intersens - EPI Centre de Ressources

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intersens - EPI Centre de Ressources
INTERSENS
villes et territoires, diversités et égalités en Picardie
no 10-thématique 2011
Pratiques sportives
adolescentes
Des clubs aux quartiers
Quel sens ont les pratiques sportives des adolescents des quartiers périphériques ?
Ce numéro est consacré à cette question : au-delà des activités sportives elles-mêmes,
il s’agit de comprendre ce qu’elles représentent pour ces jeunes et la place qu’elles
occupent dans leur construction personnelle.
Une grande part de ce dossier provient de l’ouvrage Pratiques sportives adolescentes,
des clubs aux quartiers ; on trouvera une présentation de ce livre en page 7. Autour des
textes d’Anne Bourgain, qui a dirigé l’ouvrage, figurent de courts extraits d’articles produits par des contributeurs à cette publication.
Enfin diverses informations relatives aux sports dans les quartiers ont été ajoutées à ce
numéro spécial.
Par économie de place les notes de bas de page n’ont en général pas été conservées ici.
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en page 3)
Sommaire
■ Entre club et rue ............................................ 1
■ Savate forme pour les filles ........................... 2
■ Les tatamis, une autre scène... ..................... 2
■ En relations ................................................... 2
■ L’immédiat ...................................................... 3
■ Le concret ...................................................... 3
■ Un atlas des équipements sportifs ................ 3
■ Inciter à la pratique ........................................ 4
■ L’engagement du gouvernement en faveur du
développement du sport dans les quartiers .... 4
■ Le regard de l’autre ....................................... 4
■ Violence et esthétisme .................................. 5
■ Quels clubs sportifs dans les quartiers ? ...... 5
■ Glisse urbaine ............................................... 6
■ Un travail sur soi-même ................................. 6
■ Bibliographie .................................................. 7
Entre club et rue
Ce qui semble souvent prévaloir, dans les pratiques de quartier, et ce dans des milieux
socioculturels très différents, c’est la facilité d’accès au lieu, la rapidité du geste, l’aspect
immédiat d’une pratique apparemment non codifiée. « Il y a un terrain juste derrière chez
un copain, on peut jouer direct, c’est posé... »
Pouvoir réaliser une échappée, une escapade (presque à la sauvette, en freestyle et en
freetime) entre deux cours, ou entre deux entraînements plus cadrés en club, c’est « toujours ça de pris », en termes de jouissance sportive, dans une optique du dédommage-
■ Sport dans la ville .......................................... 8
■ De la rue ........................................................ 8
(suite p. 2)
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Intersens n° 10
Savate forme pour les filles
Le centre social et culturel d’Etouvie (CSC) à Amiens a reçu le 25 mai dernier le laurier
régional Picardie de la Fondation de France pour une action de promotion de la savate
forme en faveur des jeunes filles du quartier âgées de 13 à 18 ans. Cette action, rendue
possible grâce au partenariat avec le club de boxe française d’Etouvie, a été financée par la
Fondation dans le cadre de son appel à projets « Allez les filles ! » Douze jeunes filles ont
ainsi pu pratiquer sur l’année scolaire 2010-2011 ce sport fitness alliant la gestuelle de la
boxe française à la danse, sur fond musical et sans contact physique.
Cette pratique leur a permis de renforcer leurs liens sociaux et de solidarité, ainsi que de
prendre confiance en elles. « On voit ces jeunes filles aujourd’hui rayonnantes. Avec le
sport, elles ont pris de l’assurance. Ce projet collectif leur
a donné la possibilité de trouver un espace dans lequel elles peuvent s’exprimer, tant
physiquement que par la parole » confie Ghislaine Roche,
la directrice du CSC Etouvie.
Ce projet s’inscrit dans une
nouvelle démarche de travail
du Centre sur les questions de
mixité sociale et de la place des
jeunes dans le quartier.
LES TATAMIS, UNE AUTRE SCÈNE...
À son arrivée dans un dojo1, l’adolescent est aussitôt plongé dans un autre monde, un
monde qui offre un espace curieux, un rapport au temps différent, une ambiance
singulière ainsi que des règles et rituels spécifiques et une langue nouvelle.
D’emblée, cet univers se présente comme foncièrement atypique : objet original en France,
le tatami marque immédiatement la référence à une autre culture et à une autre tradition.
Ce sont les tatamis qui donnent le ton, dans un jeu de couleurs qui soumet l’espace à un
découpage précis : le cadre se départage entre un dehors – celui de la vie quotidienne –
commun à tous et un dedans, le dojo – espace sacré, consacré au combat, exclusivement
réservé aux initiés. S’ajoute à cette première découpe la délimitation de la surface de
combat. Le randori2, ainsi mis en valeur, reste au cœur de la scène. Ce surprenant décor
porte à la vue de l’adolescent la rencontre réelle avec l’autre, dans un corps à corps
pouvant paraître d’une extrême violence. En montant sur un tatami, le jeune fait aussi
connaissance avec une atmosphère unique, où se mêlent culture japonaise et coutumes ancestrales. Le sujet est invité à accéder à une autre dimension du temps, différente de celle du quotidien et fortement teintée du passé. Le temps fait partie intégrante du cadre, rythmé par le retour régulier d’entraînements aux horaires fixes et
scandé de moments d’échauffement, d’apprentissage technique et de combat. Une
seule scène pour plusieurs actes... de cette manière, le temps participe à la mise en
place d’une ambiance particulièrement feutrée, paisible, qui favorise l’introspection,
dans une éthique où il est primordial de maîtriser le plus insignifiant des détails, chaque geste ayant sa propre nécessité et un sens bien défini. À ces premières impressions
et sensations, qui influenceront nettement le type d’investissement du sujet à l’égard de
sa pratique sportive, s’adjoignent les effets d’une tout autre rencontre : celle des codes et
des rites. Le règlement, où « pas tous les coups sont permis » (Paul), s’applique à tout ce
qui peut se faire ou non dans un dojo. Il vient à la fois démarquer ce qui est admis de
ce qui est prohibé et donner un cadre pouvant canaliser le déferlement pulsionnel qui
saisit par moments l’adolescent. Ces nombreuses règles font du registre symbolique
un élément capital, omniprésent. Il transparaît en premier lieu dans les rituels, comme
le port d’une tenue spéciale ou le cérémonial du salut. Suivre ces rituels n’est pas sans
rappeler les cérémonies initiatiques qui aidaient jadis les jeunes à entrer dans le monde
des adultes. N’est-ce pas là ce qu’indique ce judoka, à qui les entraînements enseignent
l’art d’« être dur », pour faire face « à ce qui nous attend dans la vie » ?
PAS DE QUARTIER CHEZ LES ADOS...
Magali Kudelski
1. Le dojo est le lieu où se pratiquent les arts martiaux japonais budo, tels que le judo.
2. Le randori signifie l’exercice libre. Il est utilisé comme équivalent du terme « combat ».
Intersens n° 10
2
(suite de la p. 1)
ment par rapport à un univers souvent contraignant : on pratique alors pour le « fun ».
Souvent les jeunes utilisent avec beaucoup
de stratégie les différents lieux ou spots,
comme cet adepte du foot de quartier : « Le
club, c’est bien pour apprendre la technique. »
Il y a ceux qui pratiquent le handball librement dans le quartier, en alternance avec le
football en club : « Au foot, il faut vraiment
se déchirer, c’est un plus grand terrain. »
Il y en a d’autres pour qui la pratique de
quartier s’inscrit dans une complémentarité
par rapport à celle, plus exigeante, de la fédération : c’est alors une façon d’anticiper
sur l’arrêt éventuel de la compétition, une
reconversion avant l’heure pour ainsi dire,
une façon de poursuivre autrement : « Je ne
me vois pas arrêter le sport, si j’arrête en
club, je continuerai quand même de façon
autre. L’athlé c’est naturel pour moi, c’est ce
qui m’est le plus facile, et le basket pour le
plaisir, le fun. »
Le quartier offre en effet un espace de plus
grande liberté avec une certaine autorégulation quand les choses fonctionnent bien,
comme en témoigne une jeune footballeuse : « Dans le quartier, on peut jouer
comme on veut, on s’arbitre nous-mêmes,
ça pose pas de problème, on n’est pas obligés d’écouter. En club, il faut faire ce que
dit l’entraîneur, des fois, ça me saoule ! »
C’est comme une parenthèse, un moment
de défoulement, où les règles posées habituellement semblent intériorisées et autorisent une pratique libre sans dérapage :
« Quand on se connaît plus, ça joue mieux.
On joue à un niveau plus calme, moins technique, moins physique... » L’entente, la complicité semblent fonder cette pratique plus
conviviale, plus décontractée.
En relations
C’est toujours une pratique collective, voire
communautaire, qui rassemble des jeunes
de même quartier, mais surtout par affinités – entre potes, entre nous –, ou de même
sexe – entre filles –, de même génération, et
parfois contre une autre génération – « des
fois on joue contre des daronnes... » –, avec
souvent des effets de renforcement
identitaire ou d’appartenance tribale : représenter un quartier, un groupe, se couler
dans une marque, disparaître dans des habits larges (XXL) ou adopter d’autres signes
de reconnaissance.
Derrière cette apparente spontanéité se
cache un univers très hiérarchisé avec des
modèles identificatoires assez marqués : les
amateurs/les « grands », les meilleurs, la
« crème », ceux qui « n’en sont plus à apprendre la technique », ceux qui « assurent,
ne galèrent plus ». Selon les lieux on cons-
tate plus ou moins de brassage social, ethnique, par genre, etc. Dans tel quartier on
peut s’initier, dans tel autre c’est le coin réservé aux « pros ». Les lignages identitaires
sont donc visibles à travers différents codes, différents rites sociaux. Les grands, en
l’occurrence, décident des règles, indiquent
les lieux où cela se passe : « Quand il n’y a
pas de match avec le club, il y a toujours un
match au quartier. »
L’immédiat
La vitesse évoquée plus haut, cette importance du rythme, de l’allure, semblent
d’ailleurs correspondre à la langue (la
tchatche) spontanément utilisée pour rendre compte de ces pratiques. Il y a une dimension furtive évidente dans ces défoulements du corps et de l’esprit exécutés sur
le pouce, vite fait : « On se fait tourner les
bécanes, ça tourne vite fait. » Ce qui témoigne d’une recherche du vertige, de la découverte de sensations toujours nouvelles.
L’essentiel, c’est de se « taper un bon délire », de « décoller », de ne surtout pas rester à la même place : « Je préfère pas trop
rester à m’ennuyer, j’enchaîne, c’est une habitude, c’est normal. » Il faut que ça bouge,
que la mécanique tourne, comme d’ellemême, en pilotage automatique : par définition, dans l’acte sportif, c’est le corps qui
prend le relais de la pensée. [...]
Un atlas
des équipements sportifs
Le ministère des Sports a publié en mai 2011 un Atlas des équipements sportifs français, dans lequel on apprend qu’une base de données géolocalisées a été créée en 2005 par le Ministère. Les équipements sportifs, espaces et lieux de pratique sont ainsi recensés sur le site
www.res.sports.gouv.fr, soit près de 260 000 références.
Le Ministère a pu exploiter ces données et produire douze cartes faisant état de la densité
des équipements en France métropolitaine et d’Outre-mer. On regrettera l’absence d’informations pour Mayotte.
En Picardie, le nombre d’équipements sportifs est ainsi de 10 793, soit 57,2 équipements
pour 10 000 habitants, hors sports de nature. Cela situe la Picardie au-dessus de la valeur
moyenne française – 39,9 équipements sportifs pour 10 000 habitants – ainsi qu’au-dessus de la valeur médiane (qui partage les résultats en deux groupes d’un nombre identique)
qui se situe à 47 pour
10 000 habitants.
Cet atlas nous apprend
également que si les
zones rurales apparaissent mieux dotées en
équipements sportifs,
ces dernières pâtissent
Le concret
À Amiens, lors d’Agora 2011
Ils apprécient l’aspect très matériel, très
concret de ces pratiques car ils ont la sensation de pouvoir toucher du doigt des objectifs qui sont très visibles : « L’athlé ça me
saoule, parce que tout le temps en individuel, c’est vraiment chiant. C’est vraiment
au niveau du temps, de la place, alors qu’au
basket en groupe t’as une sorte d’objectif :
cependant de problèmes d’accessibilité.
L’atlas repère les équipements selon six
catégories : les bassins aquatiques, les
courts de tennis, les terrains de grands
jeux, les salles de pratiques collectives,
les équipements extérieurs et les petits
terrains en accès libre, et enfin les autres
équipements.
(suite p. 4)
INTERSENS – villes et territoires, diversités et égalités en Picardie – est édité par l’Espace
picard pour l’intégration (EPI) et la Licorne.
EPI : 21 rue de Sully, espace 22, 80000 Amiens. Tél. 03 22 91 92 38.
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Ont collaboré à ce numéro : Jérémy David, Anne Dechoz, Maria-Isabel Dos Santos, M’hammed
El Hiba, Camille Gremez, Alain Merckaert, Ghislaine Roche, Nelly Salé.
Photos de la rédaction sauf p. 2 et 8 : clichés des associations.
Photos p. 4 et 6 : merci et bravo à Eléa et Elise.
Directeurs de publication : Maria-Isabel Dos Santos, M’hammed El Hiba.
Impression : Imprimerie moderne de Bayeux.
Trimestriel. Dépôt légal à parution. ISSN : 2101-910x
Réalisé avec le soutien de la préfecture de la région Picardie/SGAR, de l’Agence nationale
pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (l’ACSE)/direction régionale de la jeunesse,
des sports et de la cohésion sociale de Picardie (DRJSCS) et du conseil régional de Picardie.
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Intersens n° 10
Inciter à la pratique
(suite de la p. 3)
« Malgré une large démocratisation depuis plus d’un siècle, le sport reste soumis à de
nombreux discriminants comme le revenu, le diplôme, l’âge, le genre et le territoire. »
Ce constat est extrait d’une note d’analyse d’avril 2011 rédigée par le Centre d’analyse
stratégique (CAS), laquelle formule des propositions pour le développement de la pratique
sportive par des politiques publiques adaptées.
Parmi celles-ci :
— développer en club des activités non compétitives et une offre de service sportif pour
tous les publics ; sensibiliser, former et accompagner les bénévoles à cette dimension ;
— intégrer des équipements sportifs et des dispositifs d’incitation à l’activité physique dans
les aménagements urbains et architecturaux ;
— miser sur le plaisir et le bien-être dans les actions de communication incitant à la pratique
d’une activité physique régulière ;
— conduire, en lien avec les organisations patronales et syndicales, une étude relative aux
bénéfices de l’activité sportive sur le bien-être et la santé des salariés en entreprise.
On apprend également par cette note qu’avec l’inscription du sport dans le traité de Lisbonne, « l’Union européenne souhaite désormais promouvoir l’action des États membres
et des collectivités locales en matière de politiques sportives ». L’installation, le 29 mars
dernier, d’une « Assemblée du sport » qui vise à renforcer « la collaboration des acteurs
publics et privés » s’inscrit dans cette perspective.
Le CAS est une institution d’expertise et d’aide à la décision placée auprès du Premier
ministre.
Pour plus d’informations sur le CAS : http://www.strategie.gouv.fr/
L’engagement du gouvernement en faveur du
développement du sport dans les quartiers
Lors de la clôture du colloque « L’éducation par le sport au cœur de la politique de la ville »
le 3 février dernier, le ministre de la Ville, Maurice Leroy, a évoqué les moyens mis à
disposition du Centre national pour le développement du sport (CNDS) : plus de 50 millions d’euros supplémentaires ont été alloués pour le sport dans les quartiers grâce à la
dynamique Espoir banlieues. Il faut ajouter à cela la construction de 82 nouveaux équipements sportifs et la réhabilitation de 59 équipements entre 2004 et 2009 : 372 millions
d’euros ont ainsi été investis grâce à l’intervention de l’Agence nationale pour la rénovation
urbaine (ANRU).
Le Ministre a notamment insisté sur l’importance pour « les habitants des quartiers populaires » de s’approprier ces espaces : « Il faut faire vivre ces équipements, avec l’engagement des collectivités locales, la vitalité des associations et des clubs sportifs. »
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avoir une balle pour la mettre dans un panier... » Marquer des points, c’est beaucoup
plus concret que réaliser un score qui reste
virtuel, abstrait. La logique est en effet radicalement autre. Les sports pratiqués en
club – a fortiori l’athlétisme – amènent les jeunes à une confrontation avec eux-mêmes, et
à tendre vers un but moins visible, plus absolu, qui se traduit par un score, une place,
un chiffre à réaliser, chiffre qui vient recouvrir le sujet, le représenter. On peut concevoir que celui qui s’engage dans cette lutte
symbolique peut à d’autres moments éprouver un soulagement à s’adonner à une pratique sportive plus « terre à terre », avec des
objectifs plus matérialisés, plus tangibles. [...]
Le regard de l’autre
Au-delà de la vitesse, dans une société qui
s’emballe, c’est la dimension de constante
évolution qui prime : « Au basket, ça va plus
vite qu’au foot pour marquer. Ça marque
tout de suite, on enchaîne, c’est en continu,
ça évolue tout le temps. » Ici s’exprime peutêtre une tendance assez générale chez les
jeunes sportifs : évoluer sur ces nouveaux
terrains (pas forcément matérialisés, mais
sans cesse réinventés), jouer comme dans
un film, enchaîner les séquences. La dimension scopique est assez prononcée, les
prestations – mais les artistes actuellement
parlent aussi de performances, et les sportifs d’aujourd’hui ne sont-ils pas d’abord des
artistes ? – sont offertes au regard de l’autre.
Aussi la pratique sportive participe-t-elle
souvent d’une recherche esthétique, qui se
matérialise par la réalisation de figures,
comme le alley-oop au basket de rue :
« Ceux qui sont très forts, ils arrivent à
“dunker” tout de suite. Y a plus de possibilités de faire des trucs beaux et tout. »
Le regard se limite parfois à celui des pairs
– les copines ou copains – et l’implication
des parents semble varier beaucoup selon
le milieu social. Si certains jeunes sont drivés par les parents, très, voire trop présents
sur le terrain, d’autres ont l’habitude de se
passer de la présence des adultes, et disent
même éprouver de la gêne, presque de la
honte en présence d’un tiers, surtout s’il
s’agit d’un proche susceptible de « mettre
la pression » : « Y a pas de parents qui viennent nous voir » ; « J’aime pas quand on me
regarde, surtout les gens que je connais, ça
me
décourage. »
Souvent
ces
adolescent(e)s évoluent derrière les hautes
clôtures d’un terrain aménagé à l’intérieur
d’un parc de loisirs par exemple, sur le
modèle des campus américains. Les promeneurs peuvent les voir en passant, furtivement, les deviner, parfois les admirer, à
distance, sans jamais pénétrer dans l’en-
ceinte, sans que jamais ces deux mondes
ne se rencontrent.
Violence et esthétisme
Ces scénarios tournés pour soi et pour ses
coéquipiers, pour les adversaires aussi, bien
plus que pour un public, intègrent la dimension de la surprise par la stratégie du leurre
ou du semblant : ainsi s’enchaînent les feintes, les bluffs, les esquives... les « bashes ».
Ce qui ne va évidemment pas sans la question du risque corporel, qui fait partie intégrante du jeu : « Casser la cheville : tu pars
et tu repars dans l’autre sens (feinte), et si
les chevilles ne suivent pas, ça fait mal. »
Chacun selon sa personnalité a son propre
rapport à la douleur, sa façon de « gérer » les
blessures : s’écouter, prendre la mesure de
ces signes d’alerte, s’arrêter, ou a contrario
persister, les ignorer, aller à la casse. Dans
certaines pratiques dites à risque qui relèvent
du sacrifice et peut-être même de la figure
de l’ordalie, il y a les « abonnés à l’hosto » qui
vont régulièrement se faire recoudre, rafistoler, et que les infirmières appellent par leurs
prénoms. Il y a ceux qui aiment « être dans
le rouge », aller au-delà des limites, sentir le
goût du sang dans la bouche. Certains savent s’arrêter juste à temps, au bord, sur le
fil : « Je me dis jamais qu’il faut que je me
déchire, je suis juste sur la limite... »
Parfois, ça dérape, les tensions deviennent
des heurts, qui terminent en « baston », violence dont les médias se font volontiers
l’écho : « Dans le journal, ils disent “les jeunes de... ils ont fait ci ou ça”, mais faut voir
pourquoi aussi. [...] C’est vrai qu’on règle
nos différends par des coups de poing [...],
on n’est pas calmes déjà à la base, alors [...]
des fois l’arbitre il met un carton pour presque rien, ça nous énerve, on frappe direct... » Quand les pratiques se radicalisent,
que les enjeux montent en puissance, l’autre
devient l’adversaire à détruire, à bouffer, ce
dont la langue utilisée dans les milieux sportifs témoigne. [...]
On aurait tort de voir dans ces excès un phénomène inédit et de surcroît spécifique de la
jeunesse. Bertrand During a décrit ces débordements comme des « effets pervers » du
sport (1984). Le célèbre jeu de la soule, cette
pratique ancestrale, en fournit une illustration :
il s’agit d’une balle de cuir qu’on jette pardessus les toits. À Tricot, dans l’Aisne, une
équipe de célibataires est ainsi traditionnellement opposée à une équipe d’hommes mariés (cette version porte le nom de la choule),
tous les coups y sont permis comme l’énonce
un jeune adepte. Si ces pratiques extrêmement violentes sont autorisées, c’est, nous
pouvons en faire l’hypothèse, en tant qu’elles participent d’une sorte d’initiation militaire.
(suite p. 6)
Dans cette fabrique de lien social qu’est le sport, parents, managers, sponsors ou
équipementiers, employeurs parfois (généralement des entreprises publiques) forment les premiers cercles, constituent les premiers témoins de la poursuite du rêve et
de l’énergie déployée à sa réalisation. Paré de la brillance de ses états de service et de
ses performances, frayant dans les eaux troubles du triomphe de l’individualisme et du
culte de la personnalité, le vainqueur incarne un idéal auquel chacun des individus
d’une communauté s’identifie. Le sport, ou plus précisément la victoire sportive, devient elle-même objet d’une idéalisation et ferment de lien social, avec parfois sa traduction politique. En 1998, à la suite de la Coupe du monde de football, la trilogie
« black-blanc-beur » s’exprime comme un tacle bien tempéré adressé au dévoiement
des valeurs républicaines attachées au « bleu-blanc-rouge ».
DÉPASSEMENT AUTORISÉ
Arnaud Tellier
À Amiens,
lors d’Agora 2011
Quels clubs sportifs dans les quartiers ?
L’Agence pour l’éducation par le sport (APELS) vient de mener une recherche-action sur la
période 2007-2010 avec le soutien du Secrétariat général du comité interministériel des
villes (SG-CIV) : il s’est agi d’« évaluer les réels effets sociaux et culturels des actions
sociosportives [financées par son appel à projets Fais-nous rêver] pour les habitants des
banlieues. »
En effet, après les premières émeutes urbaines en France dans les années 1980, « les
pratiques sportives en club sont apparues comme des environnements pertinents pour
gérer la violence et pour pacifier les banlieues françaises. [...] Le sport est devenu progressivement un outil quasi magique d’encadrement éducatif des jeunes des quartiers ».
Le rapport final révèle que les « clubs traditionnels
qui proposent du sport dans un but strictement compétitif » sont les plus présents. Cependant, des « clubs
militants » ont pour vocation « de proposer un accompagnement individualisé pour les jeunes des quartiers en utilisant le sport comme un outil d’apprentissage de compétences sociales ou professionnelles ».
Parmi les bénéficiaires, ceux qui habitent le quartier
ne forment en général qu’une minorité, et il s’agit avant
tout de jeunes garçons.
Les clubs étant confrontés à des difficultés de gestion
quotidienne, les actions sociales innovantes y sont rares et fragiles. Face à la passivité des bénéficiaires et au
déficit de reconnaissance et d’accompagnement des
clubs innovants en banlieue, l’APELS propose un pacte
civique du sport, « une sorte de contrat social alliant
solidarité, diversité et reconnaissance des acteurs ».
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Intersens n° 10
(suite de la p. 5)
GLISSE URBAINE
Les rollers, skaters, ou autres riders casse-cou sont autant de chevaliers des temps modernes, prêts à rider partout où le terrain permet de délirer, terme à prendre ici au sens étymologique (où l’on sort du sillon). L’obsession consiste à fuir le quotidien, l’espace quadrillé
des règles sociales, au profit des courbes et des zigzags, dans un refus des pratiques instituées, pour échapper à toute codification, et accéder ainsi à de nouvelles sensations. Alain
Loret a souligné l’aspect franchement anticonventionnel – à la base, du moins – du funwear :
« À l’opposé des “trois bandes” trop parallèles, trop régulières, trop straight en un mot, que
proposait depuis longtemps la firme Adidas, le graphisme spontané, les zébrures et les
zigzags de la figuration libre furent jugés particulièrement appropriés. Ces dernières connotaient le surfwear d’un esprit alternatif, profondément avant-gardiste, sinon underground. »
Cette glisse est une aventure des sens, dans laquelle on fait corps avec les éléments, à
travers une expérience solitaire où le sujet est réduit à la seule corporéité. Mais surtout,
paradoxalement, il est seul... avec d’autres : « Sans mes copains, j’arrêterais le roller. » Ainsi
se créent de nouvelles bandes, des clans, des tribus, souvent à forte dominance masculine. Tous veulent s’éclater pour être à l’heure de leur désir, dans une éthique du dérapage.
Ils évoquent parfois un vécu onirique – « tu fermes les yeux, tu planes » – dans lequel le
rêve et le fantasme sont détournés de la scène sportive. La langue le dit bien : « Les mecs
font des trucs hallucinants, c’est une culture où tu pars de rien. [...] [Le hip-hop et le skate]
viennent de la rue, et sont vrais. C’est ça le lien, on a la même rage. Quand tu prends une
planche, que tu fais un truc terrible et que tu retombes dessus, t’en tires une force inimaginable. C’est pur. La rue est pure. » [...]
Pour réaliser cette intrusion physique et sonore dans le paysage urbain, c’est parfois audessus des lois qu’il faudra surfer, selon une logique du défi. En l’absence de lieux spécifiques, ce sont les espaces publics qui sont pris d’assaut, de façon symbolique : l’hôtel de
ville d’Amiens jusqu’à une époque récente, ou les abords de la maison de la culture, les
contre-allées de l’université, particulièrement roulables, les marches du palais de justice de
Marseille, etc. Tous lieux d’affrontement possible avec la police pour cause de « dégradation du mobilier urbain ».
JEUNES CORPS À L’ÉPREUVE ET TRAUMATOPHILIE
Anne Bourgain
Ces pratiques de glisse urbaine sont souvent associées à une contre-culture
jeune, caractérisée par
une indiscipline et une résistance envers les institutions, ou à une forme de
hors-piste et de nomadisme urbain. Or, le roller
hockey est très réglementé et organisé en
championnat par des
clubs affiliés à la Fédération française de roller
skating. Les skateparks
sont gérés par des associations subventionnées
par les municipalités avec l’objectif plus ou moins affirmé de lutter contre les nuisances
sonores et la dégradation du mobilier urbain en déplaçant les riders dans des espaces
délimités en périphérie des villes. Quant au roller fitness, il s’est également institutionnalisé
rapidement mais de manière relativement indépendante vis-à-vis des structures fédérales.
Depuis les années 1995 et les premières grandes randonnées parisiennes, une cinquantaine d’associations réparties dans toutes les grandes villes étudiantes de France ont vu le
jour. Fondées pour organiser des randonnées nocturnes, elles se sont rapidement diversifiées en proposant des cours de roller, des magazines, des sites Internet, des vacances en
roller et une multitude d’événements comme les 24 heures du Mans en roller.
LA VILLE EN ROLLER
Le roller comme espace de recomposition sociale et identitaire chez les jeunes adultes
Éric Passavant
Intersens n° 10
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Parfois le rival est plus virtuel : en athlétisme
où règne la rigueur olympique, l’adversaire
est une machine, le chronomètre par exemple. Les sports de défi – chute libre, parapente – très en vogue actuellement cherchent
une certaine dilution du corps dans l’espace :
éclate totale, fantasme de voler... d’habiter totalement son corps et non partiellement, en
kits, par petits bouts selon les parties du corps
sollicitées : un jeune basketteur qui avait la
sensation d’habiter son corps jusqu’au coude
seulement dit pouvoir se récupérer dans des
pratiques comme le saut qui l’engagent de
façon plus totale. La prise en compte toujours
accrue de la dimension esthétique, la reconnaissance d’un langage du corps, la possibilité de gagner toujours plus en contrôle sur
ce qui, du corps, toujours échappe (en réalisant des prouesses), tous ces aspects font
des pratiques sportives un laboratoire où
s’apprivoise ce corps en mutation, ce corps
souvent étrangement inquiétant.
Un travail sur soi-même
En accueillant des sensations toujours nouvelles, dans des pratiques initiatiques, il est
possible de se propulser dans une dimension héroïque pour gagner sa propre estime
et celle d’autrui : tous veulent réussir le geste
inédit, le truc impossible : « On fait des trucs
de ouf avec nos planches » ; « Y en a même
qui me disent : c’est super, ce que vous faites, mais quelle colle vous utilisez ? » Belle
revanche pour tel adolescent que d’autres
avaient quelques années avant critiqué pour
son corps (« avant [de faire de la muscu]
pour eux j’étais un gringalet »). Pour tel autre
la pratique sportive sera un espace d’apprivoisement de ce corps jusqu’alors indomptable, pas encore pubère, ou à l’inverse
l’étant déjà trop : se jeter à l’eau, faire corps
avec d’autres lui permettra de se dégager
de la phobie du regard de l’autre.
On constate que pour certains le sport alors
vecteur de sublimation, aura plutôt favorisé
le travail de subjectivation à l’adolescence,
alors que pour d’autres il aura a contrario à
certains moments pu contribuer à la
désubjectivation : le but serait alors en
s’éclatant (expression à prendre au pied de
la lettre) de se débarrasser de la pensée
(quand le garde-fou ne fonctionne plus :
« Mes pensées partent dans le skate pour
ne pas péter les plombs »). Dans certaines
pratiques à risque, dites extrêmes, qu’on
peut écrire x-treme pour en garder la dimension d’énigme, d’inconnue, on ne sait
plus très bien qui sacrifie quoi.
Par ces pratiques, qui mettent résolument
le corps en avant, les adolescents parlent :
ils se parlent, et nous parlent. [...]
***
Les contributions figurant dans ce livre
PREMIÈRE PARTIE
SPORT ET ADOLESCENCE : QUEL LIEN SOCIAL ?
Cet ouvrage est né de la
rencontre des auteurs
avec la pratique sportive, mais aussi d’une attention portée à la question du devenir chez les
adolescents.
Pour nombre d’adolescents, le sport ne représenterait-il pas d’abord
une nouvelle place à
conquérir, un peu à distance de l’enfance, un
autre mode de vie, une
façon d’être à l’heure de
son désir ?
192 pages au format 13,5 x 21,5 cm, novembre 2010
ISBN : 978-2-910449-37-7 - prix : 17
Anne Bourgain est maître de conférences HDR à l’université Paris 13 et membre de l’Unité transversale de recherche en
psychogenèse et psychopathologie.
Cet ouvrage a été réalisé grâce au soutien de la direction régionale
de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale de Picardie/
Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances,
la préfecture de la région Picardie, Secrétariat général pour les affaires régionales, l’Unité transversale de recherche en psychogenèse
et psychopathologie de l’université Paris 13.
DE LA RUE À L’ERRANCE SPORTIVE
Anne Bourgain
RÈGLES OU PRATIQUE LIBRE : DU CLUB À LA PASSION DU FREESTYLE
Anne Bourgain
LES COUPS DU SPORT, LES ADOLESCENTS AUX PRISES AVEC LE DÉSIR
D’AFFRONTEMENT
Anne-Marie Waser
VIOLENCE MAÎTRISÉE DANS LES SPORTS DE COMBAT
Arnaud Waltz
LA VILLE EN ROLLER, LE ROLLER COMME ESPACE DE RECOMPOSITION
SOCIALE ET IDENTITAIRE CHEZ LES JEUNES ADULTES
Éric Passavant
JEUNES CORPS À L’ÉPREUVE ET TRAUMATOPHILIE
Anne Bourgain
DEUXIÈME PARTIE
DIMENSIONS PSYCHIQUES DE L’ACTE SPORTIF À L’ADOLESCENCE
PAS DE QUARTIER CHEZ LES ADOS...
Magali Kudelski
« MON CORPS, CE HÉROS... »
Anne Bourgain
DÉPASSEMENT AUTORISÉ
Arnaud Tellier
VOIES ET DESTINS PSYCHIQUES DE LA PRATIQUE SPORTIVE
Éliane Allouch
***
POUR NE PAS CONCLURE
LES AUTEURS
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
Bibliographie
Adamkiewicz E., « Les performances sportives de rue », Les annales de la
recherche urbaine, n° 79, 1998, p. 50-58.
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et sonores des skateurs aux espaces urbains », Espaces et société, « Les
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7
Intersens n° 10
Sport
dans la ville
Créée en 1998, l’association Sport dans la ville a
pour but de favoriser l’insertion sociale et professionnelle des jeunes de
quartiers sensibles de la
région Rhône-Alpes à travers le sport.
Ses activités sont nombreuses et diversifiées : mise en
place et animation de centres sportifs au cœur des
quartiers, actions de sensibilisation au monde professionnel, etc.
On pourra trouver sur son site Internet l’agenda et les articles relatifs aux rencontres sportives qu’elle organise, son programme de
formation et d’insertion professionnelle, la présentation de Campus, complexe sportif et éducatif pour 2 500 jeunes, situé à Lyon.
http://www.sportdanslaville.com/
DE LA RUE
Grandir dans la rue, n’est-ce pas être privé du temps de l’enfance, devenir trop vite un homme, ou plutôt faire l’homme ? La
rue, par son étymologie – ruga : la ride, le sillon – nous rappelle
bien que la marque du temps est inscrite dans la ville même :
elle est ce qui sillonne, sépare, relie. Elle invite d’autre part à
redéfinir la séparation entre espace public et espace privé et
nous plonge au cœur de la problématique du dehors et du
dedans.
Dans ce qu’on appelle à présent les « cités » (on parle d’ailleurs
désormais des « jeunes des quartiers ») on observe ainsi un processus d’appropriation de l’espace dit public – « ma rue, mon
quartier, mon bloc... » – avec sa terminologie propre : le bâtiment, la barre, la zone.
La rue s’y donne à lire comme le sas, le seuil, comme en témoignent ces espaces intermédiaires entre le dedans et le dehors
que sont les halls, les « cages » d’escalier, ou les diverses « planques » – cours, squares, parkings – qui valent comme lieux de
transit : l’occupation de ces espaces de passage est un phénomène d’une grande visibilité qui ne manque pas d’inquiéter ceux
qui sont contraints de compter avec cette présence incontournable du jeune errant quand il se « pose » : ce qui peut
se traduire par la nécessité d’enjamber des corps pour rentrer chez soi...
Cette manière de s’inscrire dans le social par une appropriation
sauvage, voire agressive de l’espace urbain n’est certes pas nouvelle. Depuis toujours les défenseurs de l’ordre public s’emploient
à faire circuler les sujets, à éviter les rassemblements, en adoptant parfois la stratégie américaine du couvre-feu. Certains jeunes dits en galère ont justement tendance à investir la rue comme
une surface de séparation avec la famille : après un événement
traumatique, il arrive que le dedans se révèle dangereux et le
dehors sécurisant. Les choses s’inversent, et ce qui peut apparaître dans l’imaginaire collectif comme une jungle, un espace
dangereux, devient l’espace vital de dégagement par rapport au
monde clos de la famille. Mais comme l’ont bien montré A.
Vulbeau et J.-Y. Barreyre (1994), cette forme d’errance d’une
zone à l’autre n’est pas toujours, ou pas vraiment un « espace de
résolution ».
Le groupe ou la bande permettent au jeune de recréer du contenant, du dedans que figure cet espace de déambulation, entre la
dérive et les quelques points d’ancrage, de repère (et qui sont
autant de repaires) : que l’on pense au rassemblement au centre
des grandes villes comme le Forum des Halles à Paris, mais aussi
à des espaces de pratiques sportives quelque peu sauvages,
auxquelles nous reviendrons, comme la « roule » urbaine à « bécanes » ou le foot au pied d’immeubles. En tous temps, en tous
lieux, tous milieux sociaux confondus, la jeunesse a cherché cette
visibilité : c’est le plus souvent en bande qu’elle se rend en ville,
parfois dans une certaine théâtralité. Il s’agit de se mettre en
scène. La rue peut aussi servir de terrain de jeu, d’espace initiatique, voire de scène pour le bizutage quand elle accueille les
rituels défilés estudiantins.
Enfin, le pouvoir attractif de la rue, et sa fonction de lien social ne
sont pas davantage à démontrer : il y a bien une culture de rue,
avec des sports de rue, des arts de la rue. On peut tenir au cœur
de la ville des agoras, ou laisser derrière soi ou sur les murs des
traces sonores ou visuelles par la pratique du roller ou du skate,
ou l’art du tag ou du graph.
DE LA RUE À L’ERRANCE SPORTIVE
Anne Bourgain
ISSN : 2101-910x
Intersens n° 10
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