Conséquences de la douleur non soulagée
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Conséquences de la douleur non soulagée
Conséquences de la douleur non soulagée Dr MP HERVY* Les raisons pour lesquelles une douleur d’un malade âgé n’est pas soulagée sont de plusieurs ordres : - du fait de pathologie douloureuse pour lesquelles toutes les thérapeutiques sont encore insuffisantes, malgré le respect des indications et des posologies ( les douleurs neurogènes sont les plus fréquemment en cause) - du fait des circonstances de déclenchement ; il est plus facile de calmer la douleur au repos que la douleur déclenchée par la mobilisation ou les soins - du fait d’une méconnaissance de la sémiologie douloureuse chez le malade âgé non ou peu verbalisant, d’un certain fatalisme de la personne âgée pensant que de toute façon, on ne pourra pas la soulager. Mais quelles que soient les raisons de la persistance de la douleur, les conséquences sont multiples d’abord pour la personne souffrante mais aussi pour son entourage personnel, les soignants et les médecins qui s’en occupent. Conséquences physiques : La douleur augmente le taux de morbidité et de mortalité chez les patients âgés par le biais de l’activation du système sympathique, l’augmentation des taux d’hormones associées au stress( adrénaline, cortisol, vasopressine), pouvant aggraver une insuffisance ou une arythmie cardiaque, majorer les processus de catabolisme.1 La persistance de la douleur ne fera qu’accentuer les signes considérés comme des équivalents douloureux chez le patient âgé et malheureusement, comme souvent en gériatrie générant eux mêmes d’autres complications pouvant aboutir à un tableau de grabatisation progressif et irréversible. L’anorexie, symptôme douloureux fréquent aura pour conséquence une dénutrition, pathologie déjà très fréquemment dans la population âgée malade et hospitalisée ( 50% dans un service hospitalier, 40% en institution),de mécanisme exogène par manque d’apport et endogène par une augmentation du catabolisme protidique ( en présence d’un syndrome inflammatoire par exemple). Par exemple, une escarre douloureuse sera responsable d’une dénutrition par ces deux mécanismes et la cicatrisation sera mise en péril par la persistance de l’anorexie. Le soulagement complet de la douleur aura un effet pour le confort du patient bien évidemment mais aussi favorisera la cicatrisation de la plaie par la reprise d’une alimentation correcte. Les troubles du sommeil, autre équivalent douloureux du malade âgé sont potentiellement sources de complications propres : asthénie, diminution de la mobilité, de la vigilance majorant la perte d’autonomie. * Gériatre, chef de service, Service de Gérontologie, Hôpital BICETRE AP-HP 1 Le syndrome confusionnel, lié à la douleur d’une part entraîne une souffrance morale avec une anxiété intense 2, d’autre part génère une déshydratation par manque d’apport en eau, dénutrition. S’il perdure en l’absence de soulagement de la cause initiale, il peut être besoin des prescrire des psychotropes, pouvant eux-mêmes avoir des effets secondaires délétères pour la validité du patient. Conséquences psychologiques : Les conséquences psychologiques sont une grande souffrance morale liée au doute qui s’installe sur l’authenticité de l’écoute du malade que les soignants et les médecins peuvent avoir ( « ils s’en fichent, ils ne m’écoutent pas ») mais aussi sur l’intérêt qu’ils portent à la douleur ( « ça se voit que c’est pas eux qui souffrent »), voire sur leur niveau de compétence, ( « ils n’y connaissent rien ») d’où un certain nomadisme médical à le recherche de celui qui pourra les soulager. Mais ce doute peut se retourner contre le patient qui souffre et celui-ci se sent dévalorisé d’être aussi peu intéressant,( « je ne vaux pas la peine qu’on s’intéresse à moi ») voire se sent franchement persécuté( « ils font exprès de laisser souffrir parce qu’ils m’en veulent »). Cette souffrance morale se traduit soit par une angoisse profonde ( et le danger est de penser que la douleur est le moyen d’exprimer l’angoisse, donc de nier encore plus la douleur initiale) associé à un désir de mort plus ou moins exprimé, soit par des troubles du comportement à type de repli ou au contraire d’agitations. L’ensemble de ces éléments permet de poser un diagnostic de dépression, nécessitant un traitement spécifique mais il est fondamental de ne pas « oublier » le primum movens derrière cette pathologie « écran ». Conséquences de prise en charge pour le malade : La prise en charge de la douleur va être modifiée à cause des difficultés d’évaluation. La douleur n’étant pas soulagée, le patient va modifier sa plainte : -soit celle-ci sera majorée car le patient a le sentiment de n’avoir pas été entendu : plaintes douloureuses, demandes incessantes d’antalgiques à différents interlocuteurs -soit elle sera minimisée, voire tue par fatalisme, le patient pensant que, de toute façon, « on ne peut rien faire ».C’est surtout dans ce cas que les équivalents douloureux vus plus haut sont le plus fréquents. La prise en charge des troubles associés vus ci dessus( anorexie, troubles du sommeil, confusion, angoisse) va s’intriquer avec la prise en charge de la douleur, rendant l’évaluation des thérapeutiques plus compliquée. Dans la pratique, il n’est pas toujours facile de savoir ce qui a été réellement efficace dans le soulagement obtenu. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’il y a une amélioration, l’arrêt des différents médicaments prescrits doit se faire de façon progressive et classe par classe. Conséquences pour l’entourage familial Pour l’entourage familial, cette douleur toujours présente est responsable d’une souffrance morale dont les mécanismes sont superposables à ceux vus plus haut pour le patient et générer aussi des 2 réactions de colère et d’agressivité vis à vis de ces soignants et médecins « vécus comme incompétents ». Une fois ces réactions passées, la persistance de la douleur peut être tellement insupportable qu’elle aura pour conséquence le rejet du parent, avec un espacement des visites, une diminution du temps des visites, pouvant aller jusqu’à une demande d’euthanasie, même si celle ci n’est pas exprimée par la personne elle même. Conséquences pour les soignants : Le « non soulagement » de la douleur d’un patient retentit aussi sur les soignants qui le prennent en charge. La souffrance morale des soignants les renvoie à un sentiment d’impuissance et de colère vis à vis de celle ci et d’eux mêmes. Les limites avec la maltraitance peuvent devenir floues ! Si la toilette ou le change des protections pour incontinence sont si douloureuses plusieurs fois par jour, est il bénéfique que l’on continue à faire ces soins ? Mais des soins aussi basiques que ceux-ci, s’ils ne sont pas effectués, n’est-ce-pas de la maltraitance par négligence ? Peut on définir une graduation dans la maltraitance ? Par nature, aucun soignant ne peut accepter, quel acte de maltraitance que ce soit. La seule façon de sortir de ce dilemme est alors de fuir le patient ou de demander avec force son transfert dans un autre service ( ce qui revient au même). Cette situation « impossible du soignant ne pouvant plus soigner »3 n’est gérable que si la cohésion de l’équipe est forte, centrée sur la qualité de la prise en charge en général, d’un projet de soins individualisé pour chaque malade en particulier. Le soutien psychologique des aidants est aussi nécessaire que pour la personne âgée souffrante et sa famille. Malheureusement, dans les services hospitaliers prenant en charge des malades âgés au long cours, ce type de soutien fait souvent cruellement défaut. Conséquences pour le médecin : Le médecin responsable du patient n’est pas épargné par les conséquences de cette douleur qui perdure. Il partage avec les soignants ce sentiment d’impuissance et de colère face à cette douleur « incontrôlable ». Mais, en tant que prescripteur, se mêle un sentiment d’échec. Dans le climat actuel où il est sous entendu auprès du public que toute douleur dont on s’occupe est soulagée, la persistance de la douleur malgré une évaluation correcte, malgré l’application des médications adéquates est d’abord ressentie comme un manque de compétences. A ce sentiment d’échec, s’ajoute un sentiment de culpabilité face à la souffrance du patient mais aussi à celle de sa famille et de l’équipe soignante. Ce vécu douloureux pour le médecin peut entraîner deux types de réactions paradoxales : - rejet du patient soit en demandant des transferts pour des raisons peu fondées, soit fuite du patient en l’ « oubliant » lors de la visite 3 - prescriptions désordonnées, « urgentes », plus ou moins raisonnées mais correspondant au besoin de « faire quelque chose » face à cette situation « intenable ». Pour le ou les médecins impliqués, la clarté des objectifs fixés pour chaque patient, la cohésion de l’équipe, la possibilité de partager la souffrance induite, sont des garanties d’ un bon fonctionnement. Conséquences pour l’institution : On entend par institution toute structure et organisation de prise en charge. De nombreuses institutions prennent en charge des malades âgés que ce soit à l’intérieur de l’hôpital ou dans la communauté. Quel que soit le mode institutionnel, la présence de malades douloureux, souffrant, non soulagés malgré les efforts de tous, remet en cause les objectifs de qualité de vie et de qualité de soins qu’affichent toutes les institutions de soins et d’hébergement des personnes âgées malades et/ou dépendantes. Cette remise en cause passe par les discussions sur les moyens mis à disposition et les moyens jugés nécessaires. Peu de structures prenant en charge des malades âgés peuvent se targuer d’avoir tous les moyens nécessaires !! La persistance d’un ou deux patients douloureux, souffrants peut entraîner des situations de crise institutionnelle sérieuses et souvent cristallisent un malaise déjà antérieur. Pendant cette crise et tant qu’elle n’a pu être résolue, le malaise est présent chez tous les membres du personnel et peut retentir sur la qualité des soins accordée aux malades en général, voire au malade douloureux en particulier. En conclusion : Si toutes les douleurs ne peuvent être soulagées à l’aube du vingt-et-unième siècle, elles doivent toutes être prises en charge. Un soutien psychologique basé sur l’écoute, l’empathie, le partage clair d’informations permet de diminuer la souffrance induite par la persistance de cette douleur tant pour le patient âgé que pour sa famille et le personnel qui le prend en charge. 1 Reuben DB, Yoshikawa TT, Besdine RW, eds, Geriatric Review Syllabus : A Core Curriculum in Geriatric Medicine Syllabus Gériatrique Livre I / Traduction Française par M. Allard et B. Forette, IPSEN, Paris, 1998,464 pages. 2 Laforestrie R Voyage au cœur de la confusion La Revue de Gériatrie, Tome 21, n°5 Mai 1996, 345350. 3 Pr F.BLANCHARD et col Le vieillard âgé dément en fin de vie et le refus de soins ASP Liaisons, décembre 2000,8-11. 4