L`article du Journal du Sida.

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L`article du Journal du Sida.
TERRAIN
Portrait
thierry Gamby, médecin engagé
Dermatologue à Marseille,
spécialisé VIH, le docteur
Thierry Gamby prendra sa
retraite de chef de service
hospitalier l’année prochaine.
L’occasion de faire le portrait
d’un homme qui depuis la première heure lutte contre le
sida, et s’est toujours consacré à ses patients avec passion et humanité.
Des années d’isolement
En 1981, il est consultant en dermatologie à l’Institut Paoli-Calmette, le centre
anti-cancéreux de Marseille, quand on
commence à parler du sida : « J’avais
toutes les raisons d’être en première
ligne puisque j’étais : médecin, gay, cancérologue et dermatologue. » Il est en
alerte dès ce moment-là. Un an plus
tard, le Centre de transfusion sanguine
© Sylvie de Taroni
C
‘est dans un tout petit bureau
de l’hôpital Saint-Joseph, dans
les quartiers chics de Marseille,
que Thierry Gamby reçoit. Quand beaucoup de ses confrères chefs de service
ont le culte de la fonction et des apparences, lui est d’une simplicité extrême,
en jean et blouse blanche. Il vous regarde
droit dans les yeux, avec un indéfectible
sourire qui ne lui fait pour autant pas
oublier ses années de lutte. Depuis les
premières heures de l’épidémie du sida,
il a toujours eu à cœur de soigner, de
lutter contre les discriminations, faire
de la prévention, informer.
C’est à la fin de son internat que Thierry
Gamby a découvert ce qu’était la discrimination. « J’ai commencé ma carrière
en Guadeloupe dans une léproserie, j’ai
donc tout de suite, dans ma vie de médecin, été sensibilisé à la discrimination, la
dermatologie et les maladies tropicales »,
se souvient-il.
demande à ce que les homosexuels ne
donnent plus leur sang dans un souci
d’intérêt général. « A l’époque, on se
doutait juste qu’il y avait des groupes
de donneurs à risque. Les premiers cas
avaient été décrits à San Francisco,
on ne savait pas exactement ce qui se
transmettait ». Le docteur Gamby prend
alors son bâton de pèlerin et commence
à informer la communauté gay de cette
mesure : « En étant poli et gentil, commente-t-il, on peut faire passer tous les
messages. »
En cette année 1982, il est confronté à
son premier cas de sida. Un couple gay
le consulte, l’un des deux a un Kaposi.
Pour le médecin, le diagnostic ne fait
pas de doute, mais il n’a rien à proposer à son patient : « Je n’avais que des
signes cliniques, aucun traitement, j’étais
paralysé. Le mot sida n’était pas encore
connu de l’ensemble de la population,
il fallait faire très attention à ce que
l’on disait. » Trente ans plus tard, il est
toujours bouleversé en évoquant cette
consultation.
Les débuts de la vie associative
En 1983, il reçoit en urgence un jeune
homme atteint de toxoplasmose cérébrale, qui sera transporté en ambulance
dans le service de Willy Rozenbaum à
Paris. Se sentant toujours aussi seul à
Marseille pour faire face à ce désastre,
il se met en tête de créer un réseau
de professionnels pour entourer et soigner – dans la mesure du possible – ces
malades. « Thierry Gamby a initialisé
la décentralisation des soins de cette
pathologie, qui pendant plusieurs
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© Sylvie de Taroni
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Pendant toutes
ces années,
mon rôle principal
a été de créer le lien
entre la communauté
des patients qui
connaissaient
leur maladie
et les médecins.
*Centre
hospitalier
d’information et de
soins de l’immunodéficience humaine,
devenu Corevih
en 2005.
** Il continuera
toutefois à suivre
ses patients à
son cabinet, en
partenariat avec les
hospitaliers de son
ancienne équipe.
années, ne pouvait être suivie qu’à
Paris », tient à préciser le docteur
Gustavo Gonzales-Canali, un de ses
amis, également spécialiste du sida.
A la création d’Aides, Thierry Gamby
fonde l’antenne Provence en 1985,
dont il fut président pendant cinq ans.
Pour les médecins, il était encore difficile à cette époque de faire face au
désarroi des malades : « On connaissait la sémiologie, on donnait du Bactrim®. C’était trop peu mais c’est tout
ce qu’on connaissait, tout ce que l’on
pouvait faire ! » Alors il a fallu soutenir,
aider psychologiquement les patients
et leur entourage. Il a fallu trouver des
bénévoles, leur donner des connaissances médicales, les former à l’écoute. Et
créer un réseau sur l’ensemble du territoire pour lancer des permanences
Aides, afin que dans chaque région, les
victimes du sida puissent être écoutées
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et soutenues. Dès 1986, il collabore à
un Groupe régional de travail multidisciplinaire sur le sida, à l’Observatoire
régional de la santé, sous la présidence
du Dr Yolande Obadia.
Président de l’Association des sidénologistes libéraux de Provence (ASLP, créée
en 1988), il organise et anime également
plusieurs centaines de conférences sur le
VIH. Avec du recul, il s’amuse d’être allé
parler à des publics aussi variés que des
fonctionnaires du TGI, une loge maçonnique, des dominicains, des prostituées :
« C’était une expérience intéressante et
un exercice difficile que de dire la même
chose mais avec des mots différents. »
Le docteur Gustavo Gonzales-Canali
dit de lui qu’il est capable d’un don de
soi total. On l’imagine aisément quand
on sait que pendant plusieurs années,
après sa journée de consultations, il
assurait la permanence téléphonique
d’Aides, d’ailleurs installée à son domicile ! En 1994, après de « passionnantes
mais épuisantes années » de ce bénévolat, Thierry Gamby démissionne de
l’association Aides, qui devient, selon lui,
« antimédicale ». « A ce moment-là, en
tant que médecin, je me suis senti rejeté,
en tant qu’être humain j’ai été choqué.
Pendant toutes ces années, mon rôle
principal a été de créer le lien entre la
communauté des patients qui connaissaient leur maladie et les médecins. »
Des médecins peu concernés
Pour sensibiliser les médecins au VIH,
Thierry Gamby se souvient avoir envoyé,
en 1985, un courrier à une cinquantaine
de médecins du CHU de Marseille, pour
leur demander leur collaboration et les
informer de la création d’Aides. Il n’a
obtenu que huit réponses. « Il y avait à
l’époque un grand désintérêt de la part
de la masse des médecins, et je trouve
que ça dure encore, déplore-t-il. Les
généralistes ne sont pas toujours bien
formés à cette pathologie. »
Lorsqu’il fait appel à quelques universitaires pour prendre en charge dans
leur service ces patients rejetés, le
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Pr Jean Albert Gastaut répond présent
à l’appel, qui sera l’initiateur du suivi en
Cisih* à Marseille, les hôpitaux privés
n’ayant pas, à l’époque, les moyens de
cette prise en charge.
« Le sida n’a jamais été une maladie
dans l’air du temps et il n’y a jamais eu
de volonté publique de faire en sorte que
ça le soit », lance-t-il, inquiet du manque
de relève dans les facultés françaises.
Beaucoup de ses alter ego sont, comme
lui, proches de la retraite. Un crève-cœur
pour lui qui a tant plaidé en faveur d’une
importante collaboration entre les médecins de ville et les spécialistes du sida.
L’art d’être médecin
A moins d’un an du jour J, Thierry Gamby
est un peu mélancolique : « Aujourd’hui
je suis fatigué, je travaille 70 heures par
semaine, j’ai 64 ans, et pourtant mon travail, ma relation avec les patients représente 80 % de ma vie et de mon équilibre.
La retraite, j’y pense bien sûr, mais ça me
rend un peu triste ! »** Après 40 années de
médecine dont 30 de lutte contre le sida,
sa passion est intacte : « Je suis un être
humain avant tout. Juste après je suis
médecin ! Quand une personne arrive
dans mon bureau, je suis toujours aussi
content de faire une nouvelle rencontre,
d’aider une nouvelle fois quelqu’un, de
l’écouter. Je m’offusque contre ceux que
j’appelle “les médecins tuyauterie” qui
ne consacrent pas plus de cinq minutes
à chaque patient. Il faut briser la glace,
prendre en compte le moral du malade
qui est tellement important et lutter
contre l’isolement. J’ai encore quelques
patients pour qui je suis le seul au monde
à savoir. Ce combat doit être un axe
majeur de la lutte contre le sida. »
Avec sa capacité d’empathie envers ses
patients, « le docteur Gamby donne toutes ses lettres de noblesse à la médecine en tant qu’art et non pas en tant
que science », loue le docteur Gustavo
Gonzales-Canali. Gageons que les nombreux médecins qui l’ont croisé perpétueront cet état d’esprit.
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Sylvie de Taroni