Gauguin, Paul (1848-1903). Noa Noa (Edition définitive) Paul
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Gauguin, Paul (1848-1903). Noa Noa (Edition définitive) Paul
Noa Noa (Edition définitive) Paul Gauguin ; bois dessinés et gravés, d'après Paul Gauguin, par Daniel de Monfreid Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Gauguin, Paul (1848-1903). Noa Noa (Edition définitive) Paul Gauguin ; bois dessinés et gravés, d'après Paul Gauguin, par Daniel de Monfreid. 1924. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. 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ÉDITIONS DU MÊME AVANT CRÈS C 1' ET AUTEUR ET APRÈS. dessins du manusAvec les vingt-sept crit original. Un volume in-8° carré, couverture illustrée, sur beau vélin » 25 fr. imprimé Il a été tiré 100 exemplaires sur vélin fil du 50 rais Un volume DE PAUL Ma» fr. A DANIEL DE MONliminaire de VICTOR SEGALEN. Avec Hommage de PAUL GAUGUIN. phototypies d'après des tableaux LETTRES FREID. huit pur GAUGUIN in-16 Tous droits de reproduction, de traduction réservés pour tous pays. 7 fr. 50 et d'adaptation 4- PAUL -f* GAUGUIN NOA NOA ÉDITION BOIS DÉFINITIVE DESSINES D'APRÈS PAR ET PAUL DANIEL DE GRAVES GAUGUIN MONFREID PARIS LES ÉDITIONS 21, RUE G. CRÈS HAUTEFEUILLE, MCMXXIV VIe ET O IL A DEUX VINGT VÉLIN ETE TIRE CENTS HORS PUR FIL :: DE 1 A 180 N° DE CET OUVRAGE EXEMPLAIRES (DONT COMMERCE), SUR LAFUMA, NUMÉROTÉS ET DE 181 A 200 :: NOTE Le texte par de La Plume, du départ suite DES ÉDITEURS celui de Gauguin, de La Revue blanche, n'a pu corrigé lui. par Le texte être aux lecteurs définitif que nous offrons Il est de de celui des éditions diffère précédentes. : La Mémoire liminaires Gauguin, sauf les Pages et l'Imagination, le Chapitre et les 70r .• Songeries Poèmes qui sont de Charles Morîce. LA MEMOIRE La mémoire d'un ET L'IMAGINATION peintre, attestée par des témoi- et par le plus simple récit* d'un poète qui rêve, parmi les oeuvres L'imagination du' peintre, en l'écoutant, les paysages et les visages et qui de telles rêveries desquels celui-oi s'inspira peu gnages plastiques à peu vérifiées La mémoire oeuvre à son tour et l'imagination oeuvre d'un d'art. peintre et d'un l 2 NOA NOA poète ont fait ceci, par l'unité concertée de deux volontés éprises du même objet et dans la foi profonde qu'un seul art fut d'abord et que l'avenir des arts est de selon le sortilège de quelle arabesque ? à de ce triomphal accord, pour renouveler la merveille réunie des gloires de tous les jardins en un bouquet ; — but comme ineffable et pourtant certain — dont ce livre à voir et à lire n'est l'indication qu'au recourir, l'instant où la prière en montrant et peut-être! de ses deux mains jointes le Chemin du paradis, l'entr'ouvre dans l'âme des Saints. titre CHAPITRE PREMIER SONGERIES « Il est extraordinaire mettre tant de puisse dans tant d'éclat. » Stéphane qu'on mystère MALLARMÉ (Écouté). du Maître, un curieux — ami attendu — dont la porte entr'ouverte invite ; pénètre dans l'atelier et dès le seuil, le visiteur reste immobile, s'étonnant En l'absence des murs. NOA 4 Il hâté s'était NOA de venir, passionnément aussi de voir l'oeuvre peureux guin, 1'OEUVRE TAHITIENNE, fruit dans vaux et de rêves, avait à tous peur) de ne pas comprendre, là-bas, même risques, les yeux jeunesse et de soleil leur clarté, s'étonnait, qu'il ces splendeurs les ont élémentaire les l'esprit fête de dans jusque s'éblouissait de toutes absolues simples, des souffles lointains vivantes d'une vie à la apportées, et fastueuse, c'est la tranquillité de à l'étrange vision la simplification dans formes même que l'intarissable Après inquiétants encore gonflées c'est si profonde, révélant, par d'in- ne persiste. qui donne l'atmosphère projette la jouissance et calmes, occident Dans ces toiles sité la (d'où venait interdit à son longtemps, qu'il singulières de notre qui nous à fonds il et, prudent, inductions frais, fois de tra- de probabilités ; il venait, cette francs, et voilà, devant discrètes où rien I'ILE années à celui de faner à l'avance imagination de Paul Gau- nouvelle de trois désireux, l'infini une inten- des lignes et c'est du mystère en le désignant, lumière, qui en le irradie. les éblouissements, premiers le étonnements, curieux cède au les premiers charme d'errer seul en rêvant, dans ce rêve pour s'y familiariser, Et peu à peu les commentaires d'inconnu. subtils, les interprétations ingénieuses qui prétendent substituer 5 SONGERIES au regard de l'artiste conquérant du critique, étapes successives saient le par chemin des le geste démonstratif le conduide l'initiation, nécessaires erreurs à la pleine lucidité ; retour au point innocent de départ, qui accomplus ou moins lentement comporte l'évolution plie d'une sinueuse arabesque Il écoutait chanter dans ces couleurs rente d'une race prompte l'âme transpa- au rire, au plaisir, amoureuse et légère, entêtée et chandes jeux de la et le jouet geante, toute naturelle, avec le lumière ; gaie avec le matin et tremblante de la nuit soir. Mais vite elle oublie les terreurs aussi du repos, sensible la joie nue de vivre libre dans la clémence de l'air, dans la caresse des herbes douces, dans la vode fleurs, lupté du bain. Elle danse, elle se couronne elle chante. La mer dont elle préfère le blanc rivage pour aux ténèbres des forêts, de corail, accompagne ses brises fraîches Et faite c'est une du travail inutile, gueurs sourdement l'Iméné et baise de du plaisir et du soleil. parfête, une ignorance perpétuelle que les générosités qu'engourdiraient de la sieste. — Tahiti ! l'île ainsi ses récifs avec les brûlures de l'ennui les voyageurs la voici telle reux la mer, jolie nous ont rapporté de la nature bien vite les lan- mal explorée gravement, font dont des fables, que nous la montre un peintre, amoud'elle, — la voici avec sa race, la plus NOA 6 belle avec la richesse du monde, ses arbres dont lés noms sas et palmiers, terre disent inouïe de sa flore, la beauté, déjà de mimo- tamaris. hibiscus, vraiment Est-elle NOA ? Nave ce paradis nave : fenua délicieuse... Le peintre Et pourquoi ne nous ment-il le croire? ? jamais dans le même décor un autre, sans doute, eût entendu d'autres paroles... — Par quelle mauvaise indépendance d'esprit au lieu d'écouter en des sa voix résonnances comparaison Un autre qui n'ont ? fonds, humaines— eût éteint statuaire animale, ne l'est-elle cette race ancienne, sol trop rideau Un autre, absents à l'énigme brillant les — s'agiter : morte, en effet, pas, ne va-t-elle pas ou aux décimée sources poursuivi par les par ou fantômes, mortes énervée des formes de leur majesté de l'incendie plans les flammes brûlées complaisant, ou atteinte des termes premiers dans la tragique rante, latin?... aux cuivrées, s'immobiliser soleil, pas vibré pour en réserver laissant sur ce tropical chercherais-tu puissante, ample ou mou- disparaître, mollesses les flèches d'un du de sa vie par le poison ou protégé par la souve- 1 SONGERIES d'un hantise raine type classique de beauté, en eût dans nos âmes, dans nos permanent d'un idéal qui nie le nôtre, yeux violés par l'insolence elle de cette Vénus noire, si robuste qu'à plusieurs assuré le triomphe et grossière semble brutale charme dangereux... : il nous en eût caché le Un autre encore épris seulement de vérité... Et chacun, selon sa loi, tous mentiraient également place en face à ton désir, si tu prétends usurper leur de cette vérité qui varie selon les âmes, et en recevoir l'impression soleil directe. qui éclaira Gauguin peintre, l'oeuvre les rayons même du t'échauffent à ton tour et fais, Que plutôt d'art qui te satisfasse, ou ne l'espère de personne. de compréhension : définitive Alors cette oeuvre-ci, que voici devant toi, sera pour toi, La NATURE. Tu n'en verras point de plus sensible On attend l'instant si tu n'es prêt à tenter Pour la réalité deux paires d'yeux Mais, maniaque la traversée longue. en soi, que t'importe-t-elle, ne l'ont jamais puisque vue identique ? un peu de la manie bizarre, et de ce temps, qui aux artistes demande compte bien moins de ce qu'ils ont fait dans leur indépendance que de — je 8 NOA NOA ne sais quel produit d'eux, tu dis encore m'y fier et trop l'artiste audacieuse le soleil, avec l'invention et le j'ai songes sous cette — Non. sais entière tifs, bien, chis ensuite force résume créatrice la nature que s'adressent d'une matériels, objecRéflé- sa révélation. des par la La création du dans lois nécessaires échos. qu'un création est artistique en ses diverses parties. peintre de se renvoient des rappels, quand une liberté Tahiti que ses diverses harmonique, de significatifs il agit, générale, elle-même, : harmonie. rigoureusement autres faire peut si elle est harmonique Or, vois seulement prix lui-même à la nature et appartient de création dans l'ensemble individuelle seulement bonne qu'au qu'il il crée, comme limitée de ses les fantasmagories avec les éléments de la force énorme mot de : Tahiti. d'abord, de son art l'artiste que, droit de par trop dominée discuter l'arbitraire l'initiation étiquette familiarité de collaboration la part selon quoi il groupe caprice Tu d'exiger qu'on se croit en droit : Je sens ici trop copieuse pour Le parties des unes drame est aux et le décor Ce paysage te garantit l'authenticité et cet arbre te jure que voici bien de cette figure, cette figure, cet arbre et cette la Mer. Ce paysage, ne font qu'un. mer témoignent par leur harmonie que la composi- 9 SONGERIES tion de l'oeuvre est juste : que la création artistique est bonne. : S'ensuit-il que cette création m'interromps au sujet indiqué par ce nom de lieu : corresponde Tu Tahiti ? — Oui. Gauguin l'a vue, que la constance Comme sincérité avec la constance d'une de ses harmonies nous Tahiti, par une figuration, par une transen un tempérament. de la réalité objective position plus ? VoulaisQue te faut-il davantage et qui pourrait affirme, voici dans tu donc que le peintre déplaçât pour te l'apporter ses mains cette réalité objective? Quelques gouttes d'eau salée et des feuilles de Pandanus ? Il eût fallu déplacer aussi le soleil peut-être ? La nature ne nous laisse lui dérober boles : l'idée, la sensation, le sentiment que des symque nous avons d'elle voilà nous tout ce que nous possédons et voilà ce que nommons la réalité, — une fiction multiforme ! Pour le prétexte essentiel de cette fiction, pour la NATUREen soi, elle se réserve hors de nos atteintes, bien qu'elle feigne de se donner — eucharistique, l'inéde compuisable ! — toute à nous en nous permettant munier à tenter tous à son secret de lui osons l'impossible faire infini. violence conquête, Nous ne gagnons rien : chaque fois que nous notre imnous vérifions 10 NOA NOA même des siècles, C'est l'enseignement puissance. qu'on ne prend rien à la NATURE avec les mains : nul autre recours que de la recréer notre intelligence, et par notre sensibilité nous apparaît. Dans les les bêtes, les fleurs, les telle qu'elle chefs-d'oeuvre images de nos musées, à celui qui sut les peindre appartinrent quel Diogène a donc dit que les lions volés pour au désert sont moins notre propriété ménageries nous ne sommes rendre leurs la leur, domestiques cage ? Sans compter beauté : mais et qu'enfin nos que nous faut nous puisqu'il dans la pour les garder que les lions captifs perdent leur la mort ne tarde pas à nous les reprendre. la conquête Seule légitime, une.vertu d'immortalité. . Pourquoi — Parce 11 t'apporte le croire de l'artiste seule recèle ? disais-tu. qu'il est le maître la nature vivante. de la vérité, L'invention de la vie. que tu lui dont tu te défiais, c'est précisément l'âme c'est la chaleur de son oeuvre, le souffle qui la vivifie, aux fleurs coupées, tôt et c'est l'eau qui manqueraient reprochais, desséchées. comme C'est l'invention qui fait la vie de l'Esprit elle fait la vie des oeuvres, l'invention qui circule comme un sang dans les éléments empruntés par l'imitation à la Nature. — Voici donc Tahiti, fidèlement imaginée. 11 SONGERIES de l'eau Voici seront toujours Voici Tahiti, qui ne tarira vertes. pas, voici — plus délicieuse ; la vision d'un artiste sensuelle et mystique. des feuilles un esprit aux yeux sibilité qui et une senà l'âme clairs, hors du monde, dans le ciel de la Quelque part, joie et de la beauté, c'est jour de suprême épiphanie quand un grand artiste qu'une des innombrables quand l'artiste, par elle, vivant sa mère : quand geants a couronné enfant lui-même d'elle, se lève pour la Nature dans l'oeuvre Et peut-être recherchée, oeuvre, belles figures de son mystérieux son énigme de son génie quel- à travers retrouvée de la NATURE, nourri laisse la beauté dire un des aspects visage éterniser de chan- le mot de d'Art. l'oeuvre par un autre enchaînerait-elle de la NATURE; à la d'un Art, la nature Art pour une autre première une seconde épiphanie. ne serait-elle, Pourquoi la Nature ? . cette OEuvre-ci, pour toi, NOA 12 Avec un esprit lucide exhale : Nave nave fenua. Terre délicieuse. NOA et docile, médite la vie qui s'en Noanoa. Terre odorante. de je ne sais quelle horreur sacrée que odeur de joie Autrefois, je deviné vers l'immémorial que je respire dans le présent : et cette joie et cette horreur condensées dans les ténèbres parfumées et proDélice relevé fondes de la forêt où les sèves perpétuelles célèbrent, loin de tous regards, une fête énorme de luxuriance ; et cette horreur et cette joie incarnées dans l'Eve puissante, fille dorée de ce soleil et de ce sol, qui mêle les parfums du santal et de toutes les fleurs à ceux de sa fière animalité. La vie quotidienne, en attitudes pittoresques et gaies dans la beauté de leur nécessité, varie sur ce thème de charme inquiet. La vie s'éveille, au matin, la terre et du soleil, comme riant. Le Plaisir dans la belle humeur elle s'était est la seule affaire, de en endormie, et le travail lui- 13 SONGERIES se fait même plaisir : d'exercer sa force, de montrer un ami. — La sagesse aussi doit son adresse, d'obliger aux veillées et la fanêtre un jeu, jeu de vieillards, taisie sans doute aussi d'avoir peur, de rien, jeu de femmes. Près de la case en bois de bourao la forêt com- et des femmes, et des hommes mence, la fraîcheur tane, vahiné sont là, groupés épars, affairés, reposant et le rire voltige. déjà, buvant, bavardant, Au loin, la mer, égayée de frêles pirogues indolemment vites, que des jeunes gens dirigent tantôt à la du corps, et pagaie, tantôt par de simples déplacements leurs paréos cuivrées bleus et blancs, et leurs poitrines dans la clarté de l'air et leurs dents luisent dans brillent l'éclat du rire. de se baigner, de hasard, Sur le bord deux soeurs qui viennent couchées en de voluptueuses d'hier et projets amours parlent attitudes d'amour : « Eh quoi? tu es la rive, un jeune jalouse ! » A quelques pas en suivant de force et de grâce, tranche à coups tane, admirable de demain. Un souvenir dé hache un tronc dispose d'arbre les éléments est nue jusqu'aux sa pose animale, les divise ; sa vahiné, d'une hanches brève dans la barque, traversée. La femme et penchée, quasi-quadrupède, une garde étrange dans élé- gance. Là-bas, vers l'intérieur, dans une maison maorie, 14 NOA ouverte NOA une femme assise sur ses jambes, le coude au genou, les lèvres enflées de colère, boude, seule au moins depuis cinq minutes, au moins pour d'après-midi, cinq minutes encore. L'heure de la sieste a passé, l'heure longue de morne incendie où la vie vaincue déserte l'île enchantée. Avec le crépuscule agitation d'immense qui tombe, volière la lune cisèle. du jour les poursuivent, de partout sourd une dans les demi-ténèbres que hommes danse, on chante : les accroupis au pied des arbres, les femmes, dans l'espace libre, comme dévêtues de blanc, et les dernières clartés chantent, au geste On se jouant autour d'elles. Ils elles miment, selon le rythme des chants, de leurs jambes, de leurs bras, l'amour et qui va venir avec la nuit... qu'elles invitent ... Avec la nuit lourde pourtant du vol des démons, des mauvais génies, des esprits des morts, les tupase dresseront, à l'heure les lèvres qui tout blêmes et les yeux phosphorescents, près de la couche où les cauchemars ne laissent pas seules les fillettes paûs tôt nubiles. II Le charme, de la Forêt la majesté, accueille, la luxuriance, l'enivrement attire, enlace de ses fortes et SONGERIES dangereuses la montagne 15 caresses le pèlerin en route qui touche le ciel. vers l'Aroraï, NOANOA! Nulle vie animale. Plein silence. Mais quelles har- dans les parfums naturels qui grisent dans l'éclat l'artiste voyageur ! Que de beaux fruits des fleurs! Ses des fruits, des feuilles, polychrome monies violentes encore des constantes splendeursyeux, émerveillés à nuits, à journées humaines contemplées pleines, si chastes d'être si naïves, évarepus de sensualités guent parmi cette Beauté féminine, Et joie des plantes triomphante c'est dans le ravissement la pour l'achever, d'être l'âme de la Forêt. de cette vision, de ces de cette présence, qu'il traverse les clai-^ souvenirs, rières rares, les fourrés épais, qu'il gravit les pentesou lisses, s'aidant des mains, heureux de= abruptes l'effort aux parois de rochers, aux troncs perpétuel, furtif sollicite d'arbres, — jusqu'à ce qu'un glissement non pas sa crainte vers l'anfractuosité où le blano ruban d'une source feuillage, rieuse, au fond Papemoe. luit dans l'ombre d'une grotte Et s'arrêtant, d'un bouquet d& sombre, source mystéil voit un jeune être, penché, perché, sur d'imperceptibles degrés dans le mur stratifié de la montagne habille d& que la Forêt pourpre, un bel être qui boit dans sa main à la source mystérieuse, à la source sauvage comme lui ! Et l'ar- 16 NOA tiste frémit NOA dans son âme à cette apparition la vie secrète, le.secret vivant de Vile. — Mais la jeune Montagne, révèle la complicité tacite et fraternelle dénoncent de la forêt avertie fille, lui qui de la par des choses qui lui voit, — et d'un bond le témoin, se détourne, s'efface au loin des rocs, des cocotiers, des lianes qui s'entr'ouvrent et se referment doucement, impénétrablement, sur sa fuite. III C'est que le sommet seulement, de la autrefois, montagne, touchèrent l'inaccessible les pieds des dieux. Là réside le Temple. végétale comme dans une extase de terreur amoureuse, et les cimes des arbres giganau seuil de cette enceinte déserte ; tesques s'inclinent Là meurt lieu la nature et de grandeur; nudité évidents invisibles, vestiges d'horreur tuaires; cultes de rites mor- des farouches anciens. — autrefois — les sacriLà, sans doute, eurent lieu fices humains. Le peintre en fixe la trace par des barrières raides où, vagues et plus terribles dans leur imprécision, de morts. restent, témoignages sculptés, des têtes SONGERIES vue la vie, Et de ce sommet, en bas si facile, souvenirs sans frivole, dante, 17 tant luit que abonle jour, plus vraie qu'en ses aspects n'apparaît nocturnes, alors que les rieurs de midi se taisent et frissonnent du jour et la gaieté oubli. que tous ces enfants Garderaient-ils, héréditaire des crimes descendent les paûs, les visions vont, quand ment, rôder autour de leur empire, nuit les enfants d'hier ou celui douces nuits sable fond et démons, de minuit qu'ils tupas'en les rani- qui où réside le Temple, à ce lieu capital de désolation ce caractère ? des meurtres ou qui tôt ou tard de leurs serviteurs. de de l'Ile qui heureuse ? Est-ce d'effrois de leur aux le regret entraîneront demain se retranchent, enfantines les des jeunes filles endormies ? la mort des dieux eux-mêmes le remords des dieux le sceau de ce sommet malfaisants, les noires, de volontaire légers, Est-ce les épouvantements donne au sommet dieux, sacrés? fantômes Ou bien serait-ce Est-ce un masque semble : des dans la Est-ce le danger à la Peur les livre dans cet inépui- histoire instants que ces imprévus âmes ou sans y songer le plus pénétrant regard et ne lui montrent plus, dans des yeux qui rêvent, que la elles défient ? énigme insondable où réside le temple Est-ce sur le sommet que la — à déesse de la Lune, Hina, dit — autrefois Téfatou, surface trouble d'une 2 NOA 1.8 de la terre : « Fais revivre le dieu mort NOA »? Est-ce l'homme là que Téfatou proféra réponse •«Non » ? miséricordieuse sa après sa tragique Jet IV ! Autrefois... Matamua Au temps de richesse, d'importance sociale, de gloire que la race autochtone régnait dans alors nationale, les lies et n'avait temps des pas encore matamua dieux, sa substance partout mais fabuleuse, c'est accueilli ! dans cette à la divinité aux l'étranger, La trouve légende terre naturellement féminine Hina, la et de la pitié qu'elle fait le plus les honneurs du passé. La lune a ses fêtes déesse du Mensonge volontiers que célèbrent les baisers, les Chants, les Danses, célèbre la Nature par d'ineffables prodiges. Les dieux de la Terre, Mer et d'autres des dieux, pas moins mémoire mants, femmes et d'autres ont aussi Reine populaire encore, jours. dans les songeries et les dieux pour Tahitiennes, les majestueux ou les douloureux le baiser de la et Taaroa, le père La femme n'en est connaît ou les terribles choisies leurs il est vrai, que divin et la ou les charvisages : mères des de la de rigoureuses, race et qui lui imposèrent de cruelles — cruelles et rigoureuses, mais qui sait ? obligations SONGERIES 19 et dont l'observance eût peut-être assuré son intégrité... Des notes nécessaires à ce sang trop généreux écrites par le peintre disent cela et je les relis sur les — sur les visages des femmes — a peints qu'il visages d'aufemmes enfants avec je ne sais quoi d'ancien, dans le rythme de leur geste, dans guste, de religieux, leurs et candides, aigus yeux dans leur immobilité rare. Il que la jeunesse éternelle la vie s'affirme, avec concertent semble qui de leurs des éléments les caractères diverses en essences, plus nécessairement la Maorie qu'en nulle autre femme. La légèreté de l'air est dans son esprit, la profondeur agitée de l'eau dans son regard ; ses pieds tiennent à la terre des que les racines arbres, et le feu solaire, qui a cuivré sa peau, habite visiblement de sa chair. A ce ses sens et rayonne aussi on solides étroitement, dirait, du sang et les caractéristil'antiquité un charme particulier, très ques de la race mêlent simple sans doute, et très difficile à pénétrer — peutêtre tout à fait impénétrable aujourd'hui que les fond naturel dieux sont mais les dieux, âme et une les femmes talgie. morts : car ils chair restent n'ont les missionnaires pu faire aux chrétiennes : aux fidèles ont Maories dieux avec une instinctive tué une morts nos- 20 NOA Leurs et leurs plaisirs NOA terreurs habitent toujours Matamua. Telle a vu la femme puérile l'artiste en qui se symbolise toute et majestueuse une race antique, et il l'a dans l'oeuvre peinte les secrets d'exprimer déroba au culte défunt dont elle fut l'idole et la chargée qu'il prêtresse, et à la nature tique merveille. Il a cherché sur dont elle est comme la synthé- ces visages, où la chaleur du sang permet à peine aux souvenirs personnels de s'inscrire, les traces de ce lointain passé que la fécondité de la terre n'a pas permis aux aïeux de Tehura le sol par de durables monuments. Je le vois de fixer sa passionnante poursuivant chasse sur au mystère et faisant parler le silence. Je le vois contemplant cette enfant nue dans son âme et franche comme dans son corps elle mais de l'extrême et brouille pensées, en dépit mobilité perpétuellement unité nuancée non pas d'aucune ruse, de sa fantaisie qui précipite le d'une variée de ses kaléidoscope succession infiniment de caprices qu'on croirait simultanés, uns aux autres le passage est rapide. Ainsi se laisse-t-elle aussi sans permettre qu'en se renouvelant pâlir dans l'esprit tant des sans se livrer, mais à la gaieté — qu'elle ordonne, et — de sans cesse elle renouvelle posséder qui l'observe, ni à la curiosité de 21 SONGERIES s'émousser, ni à la lassitude avec la trop pai- de venir Peu à peu se précise dans la recherche de et triste, de l'artiste le type d'une Eve délicieuse l'Eve de qui rien ne naîtra, mais qui conclut l'alliance de la vie et de la mort — Eve des derniers temps : sible certitude. robuste jaillissement de jeune arbre ment épuisé d'une hérédité longue... dans l'aboutisse- Voilà ce que ton premier regard attentif verrait dans cette oeuvre : et pourquoi ne serait-elle, cette oeuvre, ici pour toi, la NATURE? Pourquoi ne bornerions-nous le chemin des erreurs nous la dignité Miracle nécessaires de la lucidité et ne solliciterions- pleine ? de l'art d'une vrai, qui substitue l'opération volonté sensible au travail énorme, innombrable, inces! sant, des forces naturelles Et c'est que l'Art — il faut le répéter ! — procédant de la Nature, procède comme elle. pas seulement en ce qu'on voit : elle est avant d'elle, en son aspect évident, immédiat tout dans ce que d'elle on ne voit pas, et qui est pourUne fleur ne consiste tant dans ce qu'on voit, pas se laisser induire apparences. L'artiste et qu'il faut connaître pour ne en erreur par les premières déduire d'elle sa qui voudra 22 NOA NOA au sens fort devra donc la recréer, la reproduire du mot, — c'est-à-dire la prendre dans le germe pour la suivre jusqu'à l'épanouissement : les volutes des vérité corolles livrent tout leur sens à qui sait les inflexions Celui-là seul a le droit de déformer l'as- des racines. pect des choses pour leur faire son rêve qui sait et comment tout est venu de les causes de cet aspect tout : celui-là aura le droit dire d'intervenir créateur, en de sa volonté au travail de la l'opération car il n'a pas fait le vain rêve de donner à substituant nature l'oeuvre un double, et cette Rose ne fut jamais pour lui qu'un prétexte adorablement plausible ! C'est pourquoi dans ces décorations tahitiennes, vastes de celle-ci espaces qui tentent, l'ambition serait légitime de suspendre toiles de chevalet... d'harmoniques Ecrire les vers qui pourraient être dits pendant que bruit magnifiquement la grande symphonie, je crois déjà les lire, pris au piège de la beauté nouvelle, et quel plus ample thème : Le RÊVEdu BONHEURdans un décor anyzuhere out of the world, d'une réalité Mais l'abord dans avec le poids nécessaire objective. cette réalité, que d'ombres si facile de ces êtres, l'énigme ! Par réfugiée delà au fond 23 SONGERIES de leurs Comme me d'enfants yeux un -dédain de mentir même proféré, ne saurait tutif de secret! l'autre elles aussi, se contentent car il est invincible suffisant, invitante, n'effraye que désarme. Est-ce de cette reur sacrée l'invention et qui ! répond surprend vais t'aider Et puisque à tahitiennes, ni serpents, en effet défenseur d'un — leur profondeur. de l'artiste et de cette race, recouvert de joie ? — Attends l'une : ni nature Et, ce que je crois voir, leurs croient dire ?... trer forêts qui, consti- Pro- qui ne lasse que de splendeur, — mais qui décourage de faste, fondeur vrai les de se garder négligent et elles fauves, son caractère de deux atmosphères Ainsi impénétrables? incommunicable. cacher un secret pour perdre la rencontre Qu'importe reste qui et ou le substrat ce dessous d'hor- est-ce bien ce que les cou- Gauguin lui-même l'étranger dans qui vient ses songeries d'en; je à deviner. cette oeuvre s'ouvre devant toi comme un portique au premier au pas d'une route nouvelle lieu de s'installer dans ta mémoire seulement comme la borne étincelante mais définie où j'ai dressé mon 24 NOA NOA idéal, — tant mieux ! De ces visions soit vivifié qu'à son tour rieuses, heureuses, mysté- ton rêve. de son modèle. que tout artiste sincère est l'élève Ainsi ai-je fait là-bas. Je tenais le pin- ceau, les dieux Maories Sache seulement Ainsi feras-tu la main. me conduisaient libre toi-même, vant ces formes peintes, une transposition juste et respectueux leur si tu veux un autre de- donner par de l'unique aspect vie. Je tâcherai, content leur toi, de faire que mes tableaux la mienne là-bas — et toutes histoire, fois que tu désireras aussi parler. puisses tera rien: entre Ecoute l'autre Elle l'Eve du poème, que tu à mon oeuvre n'ajou- les franges de l'espace où tu verras se fera pour les d'infini afin de te conduire et du temps, se décomposer qui relient à travers des en circonstances totale. l'énigme arbre il Et mon récit eux les épisodes par le corridor crois. le silence que soulever souvenirs te pour donc. Elle L'accès n'est pas aussi facile que tu est épaisse, l'ombre qui tombe du grand du grand arbre qui masque adossé à la montagne, formidable. est bien subtile, très savante dans sa naïveté, — et ce n'est pas moi qui ai inventé tahitienne, ce mélange sans horreur, divin d'horreur sans ténèbres, et de joie : mais sais-tu, sans menaces de jadis — et SONGERIES de futur, sans mystère, parfois soudainement joie serait ? 25 sans l'intense éclate vie qui sourd et — si la de l'incertitude, II CHAPITRE LE CONTEUR PARLE «... Dites, vu ? » qu'avez-vous Charles BAUDELAIRE [Le Voyage.) Le 8 juin, dans la nuit, après soixante-trois jours de traversées diverses — soixante-trois jours pour moi de fiévreuse attente, d'impatientes rêveries vers la terre désirée — nous aperçûmes sur la mer des feux NOA ,30 NOA en zigzags. Sur un ciel sombre qui évoluaient se détachait un cône noir à dentelles. bizarres Nous tournions Morea pour découvrir Tahiti. après, le petit jour Quelques heures s'annonçait. avec lenteur des récifs, le cap sur la Nous approchant dans la passe de Papeete pointe Vénus, nous entrions et nous mouillions Le premier baie de Rio esprit tagne de cette petite de Janeiro. de comparaison. aux submergée l'extrême s'y aspect rien de comparable rique, C'est jours (sans doute), un caractère anciens du sans mon: déluge les eaux : une famille y a fait de solitude souche et les développant l'île mais elle garde de et de réduction que de son immensité. la mer accentue A dix heures à la magnifique yeux je regardai le sommet d'une ont grimpé, entourant, Elle a continué à s'étendre, son origine homme Tout aussi nouvelle. verneur île n'a rien de fée- par exemple seule dominait pointe est réfugiée coraux dans la rade. sans avaries du matin je me présentai chez le gou- Lacascade) qui me reçut comme un Je devais cet honneur à la misd'importance. (le nègre sion que m'avait (je ne sais trop pourquoi) confiée le Gouvernement Mission Français. il est vrai, artistique, mais du nègre n'était que le synonyme et je fis vainement tous mes efforts ce mot aux yeux officiel d'espionnage pour le détromper. LE partagea son erreur et était gratuite, personne de lui autour le monde Tout quand je dis que ma mission me croire. ne voulut bien me devint à Papeete dont l'Europe — l'Europe La vie C'était — sous chir bisme jusqu'à chercher venait officiers Dans du sno- et grotesque de si loin. public m'intéressa. Pomaré était mortellement un événement le roi ce temps-là à la catastrophe. tandis ce avec des airs que les naturels à voix basse autour du Palais. s'entretenaient la Tout singulier. d'Europe, commerçants, fonctionnaires, et soldats continuait à rire et à chanter les rues, graves encore pas ce que je venais et chaque jour on s'attendait Peu à peu la ville prenait un aspect dans à charge. cru m'affran- puérile malade qui vite j'avais aggravantes d'une imitation colonial, Ce n'était la caricature. Pourtant En les espèces 31 PARLE CONTEUR un rade mouvement anormal de voiles à de brusoranges sur la mer bleue que traversaient sous le soleil les frissons ques et fréquentes reprises les habitants argentés de la ligne des récifs. C'étaient des îles pour assister la prise la voisines, aux chaque Des fois de jour derniers de possession France. Car, qui signes qu'un en moments jour accouraient de leur Roi — à définitive de leur d'en les avaient haut roi meurt, empire par avertis. les montagnes ont 32 NOA NOA des plaques sur certains sombres versants au coucher du soleil. Le roi tenue mourut d'amiral, Là, je vis ornait la reine de fleurs seil pour instinct d'elle de la race Maorie, et faisait un objet Comme royal. la reine d'art funèbre, qui, de tout le un conpour avec le bel la grâce répandait : elle son nom le décor indiquai en grande me demandait publics artistement je lui était le salon et d'étoffes ordonner réponse tel Marau, des travaux directeur toute et fut, dans son palais, exposé aux yeux de tous. autour ce qu'elle tou- chait. Mais jour-là. choses je ne la compris encore ce qu'imparfaitement Déçu comme je l'étais par des êtres et des si différents de ce que j'avais désiré, écoeuré par toute cette trivialité débarqué national pour avoir dans cette européenne, pu démêler race vaincue, trop récemment ce qui de persiste de réel et de beau et désobligeant placage de nos imporen quelque sorte aveugle. tations, j'étais Aussi ne vis-je dans cette reine, d'un âge déjà mûr, avec de beaux restes. qu'une épaisse femme ordinaire, sous le factice Peut-être aussi avait-elle tout compris nait ce jour-là, absorbé. son charme le dessus. la part Plus tard, maorie. Le souvenir juive de son sang quand je la revis, Le sang tahitien de l'aïeul, le grand je reprechef LE donnait Tati, à à toute comme vraiment cette droits yeux vaste corporelle embrasent Vile brillait aussitôt elle-même ont fleuri Tous durant mort. se terminant de la Trinité. triangle comme un s'allument qui a surgi de l'Océan on chanta blancs Tous funèbres. ordre, et le chef Cela français. district d'Arué pressentiment et Et c'est ainsi que et que les plantes y et deux jours A six heures de du matin et les autorités, habits et les naturels dans leurs vêteles districts de chacun faisait une d'eux qui faisait décor végétal le plus terrible de pierres de corail reliées marchaient portait profonde on s'arrêta. ment indescriptible Dans de deuil, des chants la sonate Pathétique^ le jour de l'enterrement. La troupe on partit du Palais. ments — les Iménés cru entendre casques sim- brusquement la vie alentour. Vint noirs, avec invinciblement au rayon du premier soleil. se vêtirent de noir les Tahitiens J'ai forme en pointe évoque qui parfois des passions vague cette majestueuse ample à la fois et gracieuse, les deux colonnes d'un temple, dans ma pensée le grand ses frère, de grandeur, un caractère Elle avait et le haut construction ' à son de là-bas, ces bras qui sont ples, 33 comme femme, sa famille, imposant. sculpturale PARLE CONTEUR Là masse se dressait le pavillon noire. par Au un monu- avec l'atmosphère contraste en et le : amas informe du ciment. Le nègre 3 NOA 34 fit un Lacascade traduisit prète le pasteur lait donnant quelques naient Et ce fut tout Enfin, qu'un maorie. Tati, : on partit, dans les carrioles... inter- Puis, frère de les fonccela rappe- de courses. retour Sûr la route, çais pour l'assistance s'entassaient quelque connu fit un prêche. protestant tionnaires cliché discours, ensuite la rèinè,- répondit. NOA des Franà la débandade, l'indifférence le ton, tout ce peuple, si grave depuis à rire. Les vahiné reprerecommençait des fesses, bras de leur tane, dodelinant jours, le que leurs larges pieds nus foulaient lourdement la poussière du chemin. Près de la rivière de la Fatana tandis éparpillement les cailloux, leurs jupes saient leurs le chemin coquillages mousseline de jeunes et leurs jambes irritées par la purifiées, elles reprenaient de Papeete, la poitrine en avant, les deux le sein pointant sous la qui terminent Ainsi de. la robe avec la souplesse bêtes bien portantes. et végétal, et parfum portaient hanches et la chaleur. marche animal De place en place, cachées entre dans l'eau, les femmes s'accroupissaient soulevées jusqu'à la ceinture, rafraîchisgénéral. émanait des fleurs dans leurs Un parfum d'elles, parfum de gardénia — tiare cheveux. et la grâce mélangé, de leur sang — qu'elles Teine merahi noanoa très odorant), disaient-elles. (maintenant habituel. Et tout rentra dans l'ordre Il n'y avait LE CONTEUR lui de moins ./Avec niers vestiges des habitudes roi qu'un Avec fini. la tradition lui 35__ les der- disparaissaient et des grandeurs maorie anciennes. morte. C'était bien — soldatesque, hélas ! triomphait La civilisation, était et fonctionnarisme. négoce Une tristesse tant PARLE profonde de chemin trouver pour de moi. s'empara cela cela, Avoir même fait que je à Tahiti était fuyais ! Le rêve qui m'amenait ment démenti par le présent : c'est la Tahiti d'autre- fois que j'aimais. à croire fut qu'elle Et je ne pouvais tout à fait anéantie, nulle part, sauvegardé n'eût rien, deur. Mais les traces quand rieux, elles tout découvrir, sans seul, milieu de toutes ces cendres... la partie sible. Ma résolution Partir fut de Papeete, pressentais qu'en je n'ai tout à vaincre sans pas splen- tout aucun le feu coutume au de et aussi l'impos- prise. du centre m'éloigner vivant tenté bientôt européen. Je à fait de la vie des natu- rels, avec eux, dans la brousse, de patience, race si mystécomment les raviver éteint, abattu, sans avoir encore, indication, le foyer que je sois belle de sa vieille subsisteraient ? Retrouver quitter que cette de ce passé si lointain, appui Si fort me résigner cruelle- je parviendrais, la défiance de ces gens-là à force et que je saurais. Un officier de gendarmerie m'offrit gracieusement sa NOA 36 et son cheval. voiture NOA Je m'en un matin, allai, à la de ma case. recherche Ma vahiné : Titi m'accompagnait elle se nommait. Presque Anglaise, elle parlait sa plus avait mis ce jour-là Elle un peu le Français. belle robe ; une fleur à selon la mode maorie et son chapeau en fils de l'oreille, au-dessus d'un tressé, s'ornait, par elle-même de coquillages de fleurs en paille, d'une garniture canne ruban en voiture, fière d'être la vahiné d'un homme visages tant sur ses épaules, élégante, l'air et important croyait jolie, fière d'être et toute sa fierté sied aux majestueux Ils gardent de leur longue hisdes grands chefs, et des vieux souvenirs de cette féodale qu'elle vraiment rien de ridicule n'avait déroulés fière d'être elle était ainsi riche, toire noirs Ses cheveux orangés. race. un ineffaçable pli d'orgueil. Je savais bien que son amour, très intéressé, n'eût strictement guère pesé plus lourd dans des esprits européens, Mais j'y bouche tiennes que la distinguais complaisance autre qu'intéressé d'une fille. chose. mentir. ne pouvaient est tellement l'amour essentiel, vénale Ces yeux-là et cette Chez toutes ces Tahi- dans le sang, ou désintéressé, c'est tellement toujours de l'Amour. fut, en somme, assez vite parcourue ; quelet un paysage riche et ques causeries insignifiantes La route LE monotone. PARLE CONTEUR sur la droite, Toujours 37 la mer, les récifs de en et des nappes d'eau qui parfois s'élevaient fumée quand se faisait très brusque la rencontre de#la lame et du roc. corail A midi nous achevions et nous kilomètre Je visitai notre quarante-cinquième le district atteignions de Mataïea. et je finis par trouver le district une assez Il belle case que son propriétaire me céda en location. s'en construirait une autre à côté pour l'habiter. à Papeete, Le lendemain soir, comme nous revenions Titi me demanda moi. — Plus tard installé. avait J'avais si je consentais — dans quelques conscience à la prendre jours, quand avec je serai que cette demi-blanche qui à peu près oublié sa race, ses différences, au contact de tous ces Européens, ne pourrait rien m'apprendre de ce que je voulais particulier savoir, que je désirais. rien me donner Et puis, à la campagne, je trouverai je n'aurai que la peine de choisir. n'est pas la ville... térieur, Depuis restes d'une quelques bronchite jours je suis contractée du bonheur me disais-je, à l'ince que je cherche et Mais assez l'hiver la campagne malade, à Paris, les et je suis bien seul dans Papeete ; enfin ! prenons patience, dans peu de temps je serai là-bas au quarante-cinquième kilomètre. NOA 38 — la orana C'était j'étais NOA Gauguin. la princesse sur mon lit, qui entrait vêtu dans ma chambre seulement d'un et pareo simple à la ceinture, mauvaise tenue pour recevoir une femme de qualité. — Tu es malade, me dit-elle, je viens te voir. — Et tu te nommes, lui dis-je. — Vaïtua. Vaïtua existe était depuis rabaissé tout une que vraie les si toutefois princesse, Européens à leur niveau. ont dans Le fait est qu'elle il en ce pays arrivait une robe noire. Elle nus, une fleur à l'oreille, était en deuil de son oncle (le roi Pomaré qui venait de Son père, à elle, Tamatoa, malgré le frottemourir). là, pieds ment n'avait jamais d'amiral, européen, les réceptions voulu être autre chose qu'un royal Maorie, gigantesque batteur orgie d'hommes terrible dans de colère et en minotaure. Vaïtua, disait-on, Comme tout lui ressemblait Européen un casque blanc, sourire ses moments qui je regardai aux lèvres et je lui dis : — Tu es aimable sceptiques, débarque dans l'île avec déchue, le mais je voulus être poli cette princesse veux-tu que nous et du doigt, — je lui indiensemble l'absinthe prenions tout dernièrement achetée pour mes quai une bouteille réceptions. d'être beaucoup. venue, LE 39 PARLE CONTEUR très simplement. teille. du; reste, :elle s'avança désigné et.se baissa... pour prendre la bouSa légère robe,transparente; s.e: tendit ..sur les reins, des reins Froidement, vers l'endroit il n'y: avait aïeux? c'était; bien, une; princesse;-ses/; à supporter un monde; pas d'erreur, des géants braves et forts;, Surjses :pujssantes: épaules la,tête; était solidement plantée. .Je nel vis _un instant ses;dents prêtes à d'anthropophage, sa;mâchoire déchirer, son regard fuyant de rusé animal, et malgré un très beau front noble, je la trouvai tout à fait laide. que Pourvu qu'elle ne vienne pas s'asseoir cette légère menuiserie ne nous supporterait fit : malgré de jamais tous deux. sérieux sur mon lit; C'est justement ce qu'elle craquements le lit résista. Nous fîmes connais- sance en buvant. La conversation s'animait de part et d'autre ne me gênait. Je l'observais, pas et le silence elle me regardait. Mais la bouteille solidement. filait... Vaïtuabuvait Le soleil baissait rapidement.; Vaïtua fit une tahitienne puis s'allongea sur le lit. Ses deux cigarette pieds nus caressaient le bois d'extrémité, telle la langue sur un crâne. Son visage s'jStait singulière- d'un tigre ment radouci et animé. ron d'un félin méditant Je m'imaginai entendre le ronune horrible sensualité. Comme est changeant ! voilà que je la trouvai belle, très belle. Et quand elle me dit, de la saccade dans la voix : « Tu es joli », un grand trouble m'envahit. l'homme 40 NOA NOA D'une la princesse décidément... Décidément, voix entièrement très grave cette fable et cuivrée était délicieuse. elle se mit à réciter de La Fontaine, et la la Cigale Fourmi. (Un joli souvenir Soeurs qui l'avaient de son enfance instruite.) était toute partie La cigarette — Tu sais, Gauguin, passée chez les en fumée ; elle se leva. me dit-elle, je n'aime pas ton La Fontaine. Comment ! nous Peut-être est-il vilaines le bon La Fontaine. qui l'appelons mais bon, il m'embête avec ses morales. Les fourmis Les cigales ! (Et sa bouche indiquait le dégoût.) ! comme je les aime. C'est si beau, si bon de chanter. Chanter toujours. Donner toujours... avec Et était fierté, le nôtre, toujours. elle ajouta celui où l'homme : « Quel comme beau royaume la terre prodi- nous chantions toute l'année. guait ses bienfaits, « Je crois que j'ai beaucoup bu d'absinthe, je m'en » vais, je ferais des bêtises. A la porte Vaïtua. savent du jardin Un de ces jeunes rien (dans et on les classe). un jeune homme gens qui savent les bureaux on les appelle interpella tout et ne écrivains LE Vaïtua s'éloignait la tête sur l'oreiller cette phrase) la orana Gauguin. mure la orana CONTEUR 41 PARLE en l'appelant uri (chien). Je remis et à mon oreille (comme un mur: Princesse. Je me reposai... de MaJe ne suis plus à Papeete, mais au district taïeu. D'un côté, la mer et de l'autre, la montagne, — la montagne béante, crevasse formidable que bouchait, adossé au roc, un groupe énorme de manguiers. Entre ma case en bois de la montagne et la mer s'élevait bourao, et près de ma case il y avait une autre petite — Fare amu (maison pour manger). C'est le matin. Sur la mer, contre le bord, je vois une pirogue, et dans la pirogue une femme ; sur le bord un homme un cocotier presque nu; à côté de l'homme dont la queue malade semble un immense perroquet dorée retombe et qui tient dans ses serres une grosse grappe de cocos. L'homme lève de ses deux mains, dans un geste harmonieux et souple, une hache pesante qui laisse en haut son empreinte bleue sur le ciel argenté, en bas son incision un instant sur l'arbre de flammes jour thésaurisées. mort les chaleurs où vont revivre séculaires jour en à 42 NOA Sur d'un le sol pourpre, jaune écrits me feuilles semblaient les caractères langue originaire qui, de l'Inde, dans toutes serpentines — et j'y orientale, : Atua, Dieu, d'Océanie lointaine croyais lire ce mot le Taata ou Takata retrouve de longues métallique de quelque NOA les religions... Aux les plus splendides yeux de Tathagata ne sont ficences des rois et de leurs ministres crachat et de la poussière A ses yeux la pureté danse des six nagas. la pirogue et l'impureté de la la femme ligne bleue de la mer était par le vert de la crête des lames sont comme voie de Buddha rangeait La sants magnigue du ; A ses yeux la recherche à des fleurs... semblable Dans se partout, rayonne retombant est filets. quelques fréquemment la rompue sur les bri- de corail. J'allai, ce soir-là, bord de la mer. Le soleil, une cigarette fumer rapidement descendu demi caché déjà par l'île Moréa Les oppositions puissamment, tagnes, de lumière noires sur Est-ce sur l'horizon, accentuaient le ciel nettement que cette et incendié, les mon-r d'anciens châteaux &^ en vain à était à ma droite. que j'avais dont les arêtes dessinaient crénelés. sur le sable au idée féodale me poursuit LE PARLE CONTEUR 43 Là-bas, ce sommet a aspects naturels? Les flots, autour la forme d'un cimier gigantesque. ne d'une foule immense, de lui, qui font le bruit l'atteindront jamais. Seul debout parmi toutes les grances devant deurs écroulées, le Cimier protecteur reste, voisin des Cieux. un regard caché plonge dans les eaux profondes où fut engloutie la foule des vivants coupables de la science, coupables du d'avoir touché à l'arbre De là péché de la tête — et le Cimier, une tête aussi, avec je ne sais quelle analogie évoquée de Sphinx, semble par la fissure vaste où serait la bouche adresser, mal'ironie ou la compassion d'un sourire, jestueusement, aux flots où dort le passé... La nuit tomba vite — le Moréa dormait. Le silence. J'apprenais à connaître silence d'une nuit Seuls les tahitienne. battements de mon coeur se faisaient De mon lit je distinguais aux filtrations des clartés lunaires les roseaux alignés et également distants entre eux de ma case. On eût dit un instrument entendre. de musique, le pipeau des anciens, que les Tahitiens nomment Vivo. Mais c'est un instrument silencieux tout le jour durant ; la nuit, dans la mémoire et grâce à la lune, il nous redit les airs aimés. Je m'endormis à cette musique. Entre le ciel et moi rien que le grand toit élevé et léger en feuilles de pandanus où habitaient 44 NOA les lézards. Je pouvais libre NOA dans mon sommeil m'imaginer de ma tête, la voûte céleste, les étoiles. J'étais bien loin de ces prisons, les Une case maorie maisons ne européennes. n'exile, l'espace retranche au-dessus l'individu point de la vie, de de l'espace, l'infini. je me sentais Cependant, les d'autre, observions, habitants et la du district distance Dès le surlendemain entre j'avais Que faire trouverais ? Je m'étais la nature qu'il tout là bien et moi, nous De part nous restait et nous entière. mes provisions. épuisé de l'argent je de la vie. Erreur ! c'est à imaginé le nécessaire faut seul. s'adresser qu'avec vivre pour et elle est et elle est généreuse : elle ne refuse rien à qui va lui demander sa part des trésors qu'elle garde dans ses sur les arbres, dans la montagne, dans la réserves, riche mer. Mais il faut savoir aller dans la montagne pesants, fond grimper et en revenir le poisson, prendre de la mer aux élevés, chargé de fardeaux plonger, le coquillage arbres arracher solidement dans le attaché au caillou. J'étais donc, l'homme pour inférieur, aux sauvages vivant heureux autour de moi, l'instant, dans un lieu où l'argent, qui ne vient pas de la nature, ne peut servir nature produit moi, à l'acquisition ; et comme, civilisé, des biens essentiels l'estomac que la vide, je songeais LE 45 PARLE CONTEUR un indigène qui j'aperçus vers moi en criant. Les gestes, très expresgesticulait — mon : la et traduisaient parole je compris sifs, à ma tristement voisin situation, à dîner. m'invitait Mais j'eus D'un honte. signe minutes de tête je refusai. Quelques après, une petite fille déposait sur le seuil de ma porte, sans rien dire, entourés aliments proprement quelques J'avais fraîches cueillies, puis se retirait. cieusement aussi j'acceptai. de feuilles faim ; silen- Un peu plus tard, l'homme sans s'arrêter, passa devant ma case, et me souriant, ce seul mot : « Païeu ? » — me dit sur le ton interrogatif : Es-tu satisfait ? je devinais Ce fut, entre ces sauvages et moi, le commencement de l'apprivoisement venait inévitablement dérais réciproque. sur les lèvres noirs ces êtres Sauvages aux dents ! Ce mot me quand je consi- de cannibales. à comprendre leur je commençais trangrâce réelle. Cette petite tête brune aux yeux quilles, par terre, sous des touffes de larges feuilles de Déjà pourtant ce petit giromons, s'enfuit quand enfant mon regard qui m'étudiait rencontra à mon insu et le sien... Comme eux pour moi, j'étais pour eux un objet d'observation, celui qui ne sait ni la langue ni les usages, l'inconnu, ni même l'industrie la plus initiale, la plus naturelle de la vie. Comme eux pour moi, j'étais pour eux le « Sauvage ». Et c'est moi qui avais tort, peut-être. 46 NOA NOA Je commençais à travailler toutes sortes. Mais le paysage, avec ses couleurs ches, m'aveuglait. ardentes, jours incertain, Cela était m'éblouissait, je cherchais : notes et croquis de midi à quatorze de fran- Jadis tou- heures... si simple pourtant de peindre comme je voyais, de mettre sur ma toile, sans tant de calculs, un rouge, un bleu ! Dans les ruisseaux, des formes dorées m'enchantaient; à faire pourquoi hésitais-je couler sur ma toile tout cet or et toute cette joie du soleil ? — Vieilles routines d'Europe, timidités d'expression de races dégénérées !... Pour visage au caractère bien.m'initier à tout tahitien, ce charme je désirais mes depuis longtemps une femme voisines, faire si particulier d'un d'un sourire maorie, le portrait de pure extraction d'une de tahi- tienne. Je profitai, s'était pour enhardie photographies le lui demander, d'un jour qu'elle venir voir dans ma case des jusqu'à de tableaux. Elle regardait avec un intérêt tout spécial VOlympia. — Qu'en penses-tu ? lui dis-je. (J'avais appris quelques mots de tahitien depuis des mois que je ne parlais plus le français.) LE : Ma voisine me répondit — Elle est bien belle. à cette réflexion Je souris 47 PARLE CONTEUR et j'en fus ému. Elle avait d'elle les profesque diraient ? Elle ajouta tout à des Beaux-Arts le sens du Beau ! Mais de l'Ecole seurs le silence coup, rompant à la déduction qui préside des pensées : — C'est ta femme ? — Oui. ! moi le tane Je fis ce mensonge Pendant qu'elle examinait ques tableaux religieux d'esquisser son portrait, sourire énigmatique. d'un prononça ton très de l'Olympia curieusement ! italiens, j'essayai des Primitifs m'efforçant Elle fit une presque surtout moue courroucé quel- de fixer ce désagréable, : A ita (non) et se sauva. Une heure belle après, elle était robe, une fleur Que s'étah>il revenait-elle? le plaisir fruit passé dans Etait-ce son esprit? un mouvement de céder après défendu? mobile là de nouveau, à l'oreille. ou avoir simplement le simple que lui-même, Maories sont si coutumières examen de peintre de la vie résisté me Pourquoi de coquetterie, ? ou l'attrait le caprice et pur parée d'une sans caprice ? J'eus conscience du autre dont les que mon avec une profonde étude comportait du modèle, comme une prise de intérieure NOA 48 possession NOA tacite et comme une sollicitation physique, comme une conquête absolue et définitive. pressante Elle était peu jolie, en somme, selon les règles euroMais elle était belle. Tous ses péennes de l'esthétique. dans la renraphaélique contre des courbes, et sa bouche avait été modelée par un sculpteur qui parle toutes les langues de la pensée Et je lisais et du baiser, de la joie et de la souffrance. traits offraient une harmonie la mélancolie de l'ameren elle la peur de l'inconnu, tume mêlée au plaisir, et ce don de la passivité qui cède et, somme toute, reste dominatrice. apparemment Je travaillai en hâte — me doutant bien que cette volonté n'était pas fixe — en hâte et avec passion. J'ai ce que mon coeur a permis à mes mis dans ce portrait ce que les yeux, yeux de voir, et surtout peut-être seuls, n'eussent pas vu, cette flamme intense d'une très noble rappelait par des lignes surélevées cette phrase d'Edgard Poe : « Il n'y a pas de beauté parfaite sans une certaine singularité » Et la fleur qu'elle avait à dans les proportions. force contenue... l'oreille écoutait Maintenant Son front son parfum. je travaillais Mais la solitude m'était plus librement à charge. jeunes femmes à l'oeil tranquille, d'entre elles eût et quelqu'une partagé ma vie. Mais toutes mieux. Je voyais bien des de pures tahitiennes volontiers peut-être? veulent être prises, LE prisés à la mode CONTEUR maorie toutes brutalement; ont 49 PARLE (mau, saisir) sans un mot, en quelque sorte le désir du Et moi, devant elles, devant celles d'entre elles, du moins, qui ne vivaient pas avec un tane, je me senles tant elles nous regardaient, tais vraiment intimidé viol. autres hommes et moi, avec franchise, avec dignité, avec fierté. Et puis on disait de beaucoup qu'elles étaient lades — malades de ce mal que les Européens aux sauvages comme un premier essentiel élément de civilisation. apporté Aussi les vieillards montrant avaient beau maont et sans doute me dire en me d'elles : Mau tera (prends celle-ci), je ne ni l'audace ni la confiance nécessaires. l'une me sentais Je fis savoir avec plaisir. que je la recevrais à Papeete une terrible Elle avait pourtant réputation, enterré plusieurs amants... ayant successivement L'essai, d'ailleurs, ne me réussit pas, et je pus voir à l'ennui à Titi que j'éprouvais femme habituée la compagnie de cette au luxe des fonctionnaires, quels réels faits déjà dans la Sauvagerie. Au bout progrès j'avais de quelques semaines, retour, Titi et moi. De nouveau dans seul- nous nous séparâmes sans CHAPITRE III VIVO (Un groupe de six poèmes à venir). Cinq en vers et un en prose. La mer qui heurte aux récifs de corail ses vagues ne trouble pas la paix du déferlantes, approfondit, soir; et la vie alentour, et la vie dans la case, dans la NOA NOA 52 case en bois de bourao, rapide, l'immense sombre illustrée ses bruits. d'un rideau Et la nuit vient théâtre toile infini, d'étoiles. tous deux, Plaintifs tait près et loin, mon coeur et le vivo chantent. A quoi songe-t-il, et vers quoi qui s'en tements vivo dans cette tous deux, à travers A aussi, ce coeur blessé et ditesil précipite solitude, les du mon loin, insidieuse et ses bat- et l'on — l'instrument et le confidentielle de sa clarté rivage, coeur de ma alignés aux caprices la Lune bambous, et bambous me vient qui près lune ! et rythme là-bas de son vivo? ? chantent./La Lune sur le rivage, musicien, les modulations sauvage qui, Libres rit vont songe-t-il, moi pour le sauvage case, la la musique — ces dirait et la mélodie dans le silence. Silencieux tous deux, près et loin, mon coeur et le loin, Ah ! ce n'est pas un passant qui fait au sur le vivo, sa chanson : c'est mon coeur ! C'est mon coeur vivo chantent. la lune qui qui se filtre à travers sa clarté mélodique, fois et des dits souvient chantent. clair de la les bambous accompagnement danses En moi tous deux, au lune, de de ma case des mots autre- dansées. près et loin, mon coeur et le vivo Et je suis allé loin vers la mer, avec les sou- VIVO venirs et les espérances, dont les bruits, impénétrables 53 vers la mer merveilleuse de l'Ile, sont comme les murs qui couvent mon exil, et je tends mes autour mains à l'espace plein de jeunesse. Loin tous deux, loin tous deux, mon coeur et le vivo chantent. VIVO Poèmes en vers. I. — La mer qui heurte aux récifs. IL — Les chansons sur les flots (à mesure vivo la pensée s'éloigne, arrière III. voyage et rencontre — Plus de l'écoutant d'abord se reporte dans les crépuscules. vers le passé ; la civilisation). tion la jeunesse civilisation doit promettait en le voyage). loin IV. :— Plus loin que le (Au delà du dans la nuit. (Au delà de la civilisasorte de sauvagerie initiale que la détruire ou exaspérer, mais qui se le triomphe même qu'elle ignorait.) V. — Chante le vivo dans et par tahitien. cette civilisation (Le bonheur unique retrempé au souvenir est dans la nature, et, de s'être de sa jeunesse, le poète se sent capable de s'unir cet idéal.) avec 54 NOA NOA VI. — Et le vent sur la mer ouvre de larges ailes (mais il a, cet idéal, ses amertumes qui d'ailleurs ne sont pas étrangères à sa beauté). Teie iho te rui, i te rai rumaruma haati hia i te fetia. Ua riro ta'u aau i na vahiné toopiti, i te auta raa o ta' u inafatu Raua'toa i te vivo te ute nei Taha ta'na i manao ra, te faatai i tahatai ra upaupa oviri Eaha ta na e manao mafatu Ua riro Raua' haamanini ta'u ra, oviri hia : aau i na vahiné atoa, teie nei toopiti toa i te muhu ore roa, i te atea a, ta'u i pi haiuo mafatu e te vivo te ute nei Te haamanao nei té naau i te po avae I te avae i iho mai na roto i te area patéa Ua riro ta'u ota'u fare aau i na vahiné toopiti. Raua' toa i rota ia'u, i pi haiho e ite atea e, ta'u mafatu e te vivo te ute nei E ua haere roa vau, ua te miti, ma te haamanao e te tiaturi. I te miti ite mai maere hia, tei faa i te muhu ore ra oto, i te taati raa o te feuua I te atea é, i te atea é raua'toa, tau mafatu e te vivo te ute nei. e to'na nei VIVO 55 VIVO I au soleil Souriant de rêve qui se lève, de fleurs dans ces flots de feux Ce continent d'or, Floride, Eldorado, Labrador, Est-ce un pays qu'on pourrait voir ou bien mon rêve ? Est-ce des vivants vrais, qu'on pourrait voir, ceux-ci Nus et riant à deux au rire nu des choses, Eden, Ces beaux êtres avec leur Est-ce vivants, de soleil que l'Océan grâce grandiose, ou bien mon rêve aussi? de vrais O drapeau déploie, de midi, splendides dans les ciels Triomphal Fleur des Iles, es-tu le Réel Paradis ? O vaste fleur de faste ! O fleur de jeune II Chante, vivo tahitien la chanson Chante c'est chanter bien. gaîment, Ma vahiné, dans les bois l'arbre frémissant Comme Chante» du matin ! Chante Avec l'aube J'irai chanter en dansant. ! vivo tahitien Puis dans les bois sur le bord Comme de la mer les flots agités, sur le bord de la mer, Puis, En dansant j'irai chanter. joie ! 56 NOA la chanson Chante du matin Tu crois NOA ! dormir Tes yeux briller Tu crois dormir Tes dents luire Chante gaîment, c'est et je vois dans les fleurs et je vois sur les flots. chanter bien ! ! je chanterai pour Des chants clairs comme toi Viens vivo Chante, le jour. toi Viens ! je danserai pour La douce dansé d'amour. ' tahitien ! A l'ombre des pandanus Tu sais qu'il est bon d'aimer, A l'ombre des pandanus Et sur le bord de la mer. III Même la fleur Sur la mer de ses cheveux et midi brûle languit, dont lasse et lente avec langueur ondule ' et midi brûle dans les bois,et midi Et miroite, Brûle dans les cases. Pas un souffle. Pesant, Tout sec, est fait de chaleur semble mort. Tehura dort, Les fenêtres condensée L'Ile est déserte, a cessé l'agitation Et dès longtemps Tout dort. Sauf le Soleil L'air comme S'étoile le ciel, vide, du port. et ses chiens de flamme, nue et seule sur sa couchette sont engourdi, et solide. des morts closes de rideaux, mais sa peau d'or fauve dans la demi-clarté. veille ! Tehura dort. étroite. de points Et Tehura dort, à l'abandon, avec volupté. frissonne et frémit toute Soudain, elle tremble, L'Esprit tout moite entière sent sur ses paupières : VIVO Passer le vent de l'aile Puis le cauchemar affreuse s'évanouit 57 des Tupapaûs. et des songes doux à la porte crépusculaire les yeux : la fureur solaire De la sieste. Elle entr'ouvre Est apaisée, on respire, on renaît — et Tehura tend ses beaux bras. Se lève, et vers la vie et vers l'amour Conduisent la dormeuse CHAPITRE LE Mes amis. travaille voisins sont Je m'habille, CONTEUR devenus je mange pas, je partage leur IV PARLE pour comme moi presque eux; vie d'indolence avec de brusques passages de gravité. Le soir, au pied des buissons touffus des quand je ne et de joie, que domine la tête échevelée des cocotiers, on se réunit par groupes, — hommes, femmes et enfants. Les uns sont de Tahiti, NOA 60 les autres des Tongas, mats de leur Les tons NOA puis des Aroraï, font corps une des Marquises. belle harmonie avec le velours du feuillage, et de leurs poitrines cuien vrées sortent de vibrantes mélodies qui s'atténuent au tronc rugueux des cocotiers. La pres'y heurtant : comme un oiseau altier mière chanteuse commence elle s'élève subitement aux âmes de la flamme. Son cri et remonte, planant comme l'oiseau, tandis que les autres volent autour de l'étoile en satellites fidèles. Puis, tous les hommes, par un cri bars'abaisse puissant bare, un seul, terminent sont les chants sorte et causer, on s'assemble dans de case commune. On commence par une et toute ment, rarement on fait la récite l'assistance on chante. D'autres Plus la reprend on disserte quelque tombent l'eau Tout village, temps en ruine, en refrain ! Puis pour rire. sérieuses, sages. celle que j'entendis : de me surprendre depuis consciencieuse- sur des questions Voici notre d'abord, fois on conte des histoires des propositions « Dans Ce chanter un vieillard prière, dans la tonique. les imênés. tahitiens, Ou bien, pour une en accord un soir disait un et qui ne laissa vieillard, pas on voit par-là des maisons qui pourris, il hasard entr'ouverts, où par-ci des toits pénètre quand par le monde doit être abrité. pleut. Pourquoi Le bois et le feuillage ? LE ne manquent CONTEUR que nous pendant quelque mettions notre des toitures. travail Je en commun des cases construire pour temps et solides à la place de celles qui sont deve- spacieuses nues inhabitables. ment la main Nous tous successive- y donnerons ». Tous les assistants — Cela est bien. Et la proposition Voilà 61 confectionner pas pour propose PARLE sans exception du vieillard applaudirent. fut votée à l'unanimité. un peuple sage, pensai-je ce soir-là en rentrant chez moi. Mais le lendemain, comme j'allais aux informations d'un commencement d'exécution des tram'enquérant vaux décidés, je m'apercevais que personne n'y pensait plus. A mes questions on ne répondit que par des sourires évasifs lignes ces vastes fronts pensées difficiles à concilier raison qu'il rêveurs. d'applaudir à la avait-on raison peut-être avait de Tahiti conseillé. tance quotidienne? soleil, en tout Je me retirai, plein de entre elles : on avait eu du vieillard, proposition aussi de ne point faire Pourquoi ne donnent-ils de significatives soulignaient qui pourtant travailler? pas à leurs Demain? cas, se lèvera Les fidèles Peut-être! et ce dieux la subsis- Et demain le comme il s'est levé aujour- et serein. Est-ce là de l'insouciance, d'hui, bienfaisant de la légèreté ou — qui sait ? — de la plus profonde NOA 62 NOA ? Prends garde au luxe, prends garde d'en philosophie !... le goût sous prétexte de prévoyance contracter pour moi, je finis par Chaque jour se fait meilleur comprendre assez bien. Mes voisins la langue —trois de distance en proches et les autres nombreux comme des leurs. Mes pieds, distance — me regardent du caillou, se sont durcis, famiau contact perpétuel très au sol ; et mon corps, presque liarisés plus du soleil. s'en va petit La civilisation constamment nu, ne souffre à petit de moi. Je com- à n'avoir que peu de haine mence à penser simplement, — mieux, à l'aimer. J'ai toutes les pour mon prochain de la vie libre, animale et humaine. jouissances au factice, J'échappe j'entre d'un lendemain certitude dans la nature pareil au jour : avec la présent, aussi aussi beau, la paix descend en moi ; je me déveet je n'ai plus de vains soucis. loppe normalement Un ami m'est venu, de lui-même et certes ! sans bas libre, C'est un de mes voisins, intérêt. un jeune homme, très et très beau. Mes images coloriées, mes travaux mes réponses à ses quesdans le bois l'ont intrigué, simple tions l'ont regarder instruit. peindre Pas de jour où. il ne vienne me ou sculpter. Et le soir, quand je me reposais de ma journée, nous causions, il me faisait des questions de jeune sauvage curieux des choses européennes, surtout des choses de LE l'amour, CONTEUR et souvent PARLE 63 ses questions m'embarrassaient. étaient plus naïves encore que ses Mais ses réponses questions. Un jour que, lui confiant mes outils, je lui il me considéra, d'essayer une sculpture, très étonné, et me dit avec simplicité, avec sincérité, que, moi, je n'étais pas comme les autres, que je pouvais des choses dont les autres étaient incapables. Je demandais crois que Jotépha est le premier homme au monde qui m'ait tenu ce langage — ce langage d'enfant, car il faut l'être, n'est-ce pas, pour s'imaginer qu'un artiste soit quelque chose d'utile... Il arriva que j'eus besoin, pour mes projets ture, d'un arbre de bois de rose ; j'en voulais et large. Je consultai Jotépha. « Il faut aller dans la montagne, nais, à un certain endroit, me dit-il. sont à Tahiti indiens assez difficiles pour un Européen. Entre ne saurait gravir, deux hautes deux montagnes qu'on murailles de basalte, se creuse une fissure pente à travers que le ruisseau Je con- plusieurs beaux arbres. Si tu nous abattrons l'arbre qui te je te conduirai, tous deux ». plaira et nous le rapporterons Nous partîmes de bon matin. Les sentiers veux, de sculpun plein où l'eau ser- qu'elle détache, un jour s'est fait torrent et qu'elle entrepose un des rochers peu plus loin pour les y reprendre un peu plus tard finalement les pousser, les rouler jusqu'à la mer. et 64 NOA De chaque côté denté de véritables de ce ruisseau cascades, des arbres pêle-mêle parmi NOA accifréquemment un semblant de chemin ; arbres à pain, arbres de fer, fougères monstrueuses, pandanus, bouraos, cocotiers, toute une végétation folle, et s'ensauvageant toujours se faisant de plus en plus inextricable à davantage, qu'on monte vers le centre de Vile. Nous allions tous les deux, nus avec le linge à la ceinmaintes fois le ture et la hache à la main, traversant mesure pour profiter d'un bout de sentier que mon compagnon semblait percevoir par l'odorat plutôt que par la vue, tant les herbes, les feuilles et les fleurs, en s'emparuisseau rant de tout Le silence l'espace, y jetait de splendide confusion. était complet, en dépit du bruit plaintif de l'eau dans les rochers, un bruit monotone, accompagnement de silence. Et dans cette forêt merveilleuse, dans cette solitude, dans ce silence, nous étions deux — lui, un tout jeune l'âme défleurie de homme, et moi presque un vieillard, tant le corps lassé de tant d'efforts et cette et cette fatale hérédité des vices d'une société d'illusions, longue et physiquement malade ! devant moi, dans la souplesse Il marchait moralement ses formes gracieuses, voir s'incarner, en lui végétale : il me androgynes respirer dont nous étions investis. animale toute cette de semblait splendeur Et d'elle en lui, par LE CONTEUR PARLE 65 lui, se dégageait, émanait un parfum de beauté qui enivrait mon âme, et où se mêlait comme une forte essence de l'amitié le sentiment du simple tion mutuelle Etait-ce un homme produite entre nous par l'attrac- et du composé. qui marchait là devant moi ? — Chez ces peuplades nues, comme chez les animaux, la différence entre les sexes est bien moins évidente que dans nos climats. Nous accentuons la faiblesse de la femme en lui occasions de d'après A Tahiti, l'air épargnant les fatigues, et nous développement, un menteur idéal de gracilité. c'est-à-dire la de la forêt ou de la mer fortifie les modelons tous les les épaules, toutes les hanches, de la plage ainsi que les rayons du et les graviers soleil n'épargnent pas plus les femmes que les hommes. Elles font les mêmes travaux que ceux-ci, ils ont l'inpoumons, élargit toutes : quelque chose de viril est en elles et, en eux, quelque chose de féminin. Cette ressemblance des deux sexes facilite leurs relations, que laisse dolence de celles-là en éliminant parfaitement pures la nudité perpétuelle, de privilèges des moeurs toute idée d'inconnu, mysté— toute cette larcins heureux ou de hasards de rieux, livrée sadique, tives de l'amour toutes ces couleurs honteuses et fur- chez les civilisés. des différences entre les Pourquoi cette atténuation deux sexes, qui, chez les « sauvages », en faisant de 5 66 NOA l'homme NOA et de la femme amants, écarte d'eux quait-elle tout à coup, redoutable seulement la notion chez un vieux le trouble tous deux. autant même du nouveau, prestige m'approchai, amis des aux J'eus des que du vice, l'évoavec civilisé, le de l'inconnu ? — Je Et étions tempes. comme nous un pressentiment de crime... Mais le sentier mon était se détourna compagnon me présenta traverser et dans le ruisseau ce mouvement la poitrine. avait L'androgyne homme, fini ; pour et ses yeux C'était disparu. innocents bien avaient un jeune la limpide clarté des eaux calmes. La paix rentra une jouissance aussitôt infinie, dans mon autant dans l'eau à me plonger — Toetoe pondait livrer cette exclamation pour vertie, éveilla Nature me après la lutte grande voix contre comprenait, et la victoire, un de ses enfants. du ruisseau. dans ma pensée, corresà la lutte que je venais de qui, toute dans la montagne pour que physique, me dit-il. la conclure en moi-même spirituelle froide (c'est froid), — Oh non ! répondis-je. Et âme, j'éprouvai me dire une un civilisation écho m'entendait elle élevait qu'elle et per- sonore. La maintenant, à son tour m'accueillait sa comme LE 67 PARLE CONTEUR vivement dans le fourré, comme si Je m'enfonçai j'eusse voulu me fondre dans cette immense nature maternelle. nuait n'avait Et mon compagnon, près de moi, Il avec ses yeux toujours tranquilles. le fardeau soupçonné : moi seul portais sa route, rien d'une mauvaise pensée. au but. A cet endroit Nous arrivions pés de la montagne s'évasaient, s'étendait d'arbres enchevêtrés les murs escarun rideau et derrière une sorte de plateau; caché, mais que mon guide connaissait de bois de rose étendaient dizaine d'arbres très vastes conti- là leurs à la hache le plus attaquâmes et il fallut le détruire pour lui dérober Nous ramures. beau de tous une branche bien. Une convenable Je frappais, à mon projet. les mains avec la je m'ensanglantais l'intense plaisir d'assouvir en moi je ne rage heureuse, Ce n'est pas sur l'arbre sais quelle divine brutalité. que je frappais, ce n'est pas lui que je pensais abattre. écouté chanter ma volontiers Et pourtant j'aurais hache sur d'autres troncs encore quand celui-ci fut à entendre ma hache ce que je croyais me dire, selon la cadence des coups retentissants terre. Et voici Coupe par le pied la forêt tout entière Dont les semences furent jetées en toi par des souffles de toi-même Détruis en toi l'amour Comme en automne on coupe avec la main la fleur de mort, : jadis du lotus ! NOA 68 Bien un homme et pur en effet désormais, ; ou plutôt fort. Cet jusqu'à par leur égaler la lumière au fond leur par donnaient, Cette tissage. vie serait splendide dépravés, les âmes un contraste, intérieure un autre homme J'étais cruel les instincts de toutes épreuve prenait la pureté le de qui décadentes, charme saine de la vie dont j'avais simplicité le vieux du mal. En s'exaltant horreur que je respirais, sommeillent en moi assaut adieu de la civilisation, suprême trise. bien mort, détruit, ! Je renaissais civilisé NOA inouï à la déjà fait l'appren- était celle de la maîun sauvage, maintenant, un Maorie. Jotépha et moi, et joyeux, quilles nous portant retournâmes notre lourd à la case, tranfardeau de rose : Noanoa! Le soleil vâmes n'était devant pas encore couché quand nous arri- ma case, fatigués. Jotépha me dit : — Tu es content ? — Oui. Et dans le fond de mon coeur je me répétai pour moi : Oui. Je n'ai ceau parfum pas donné de bois sans de la victoire un coup respirer, de ciseau chaque fois et du rajeunissement. dans plus ce morfort, le LE CONTEUR PAPE 69 PARLE MOE I Le grand Arbre autrefois L'Arbre mort maintenant, Jette, D'un geste aigu l'ombre inhospitalière écueil sur la mer de glèbe et de gazon. d'un ! L'Amour O matin Aux hommes Et la voix Mais Chant fier de sa frondaison, de lierre vert seulement l'Arbre darde endormis des enfants humilié ses traits de lumière parmi la fenaison enchante la clairière désole l'horizon. des oiseaux et leur rythmique ondoîment du moissonneur aux semences fidèles 1 Hymne Tout est beauté Le ciel rit ! Tout doucement D'où monte comme Mais l'arbre mort est bonté ! Tout est clarté d'ailes ! ! à la plaine infinie un vaste arôme d'harmonie... se dresse et tout est dévasté. — la grande fissure de la vallée du Punaru Tahiti — on parvient au plateau de Tamanau. De là on l'Aroraï peut voir le Diadème, l'Oroféna, ; — le centre de Ylie. Bien des hommes m'en avaient parlé, et je formai le projet d'aller, seul, y passer quelques jours. — Mais la nuit, que feras-tu ? Par NOA 70 — Tu seras tourmenté — Il faut que tu sois NOA par les tupapaus. téméraire ou fou pour aller Et cette inquiète de la montagne!... sollicitude de mes bons amis tahi- ne faisait ma curiosité. les esprits déranger tiens que surexciter Je partis donc, un matin. Près dé deux heures durant, la rivière qui longeait plusieurs core, je pus suivre un sentier du Punaru. Mais ensuite je fus à reprises de chaque obligé de traverser côté, les murailles la rivière. de la montagne Ense faisaient-elles de plus en plus droites, projetant jusmiheu de Te&tt d'énormes de rocher. quartiers me fut bien en définitive mon de continuer qu'au Force voyage noux, dans l'eau, et j'en avais tantôt jusqu'aux épaules. Entre soleil les deux pointait apercevait Vers à peine. presque, cinq heures, me préoccuper murailles tantôt jusqu'aux excessivement Dans le ciel ardemment en plein le jour de l'endroit jour, élevées le bleu on les étoiles. baissant, où je ge- à je commençais la nuit, passerais à droite, un hectare de terrain presque quand j'aperçus plat où croissaient pêle-mêle les fougères, les bananiers J'eus la chance de trouver sauvages et les bouraos. quelques bananes mûres. A la hâte je fis un peu de bois pour les cuire, et ce fut mon repas. Puis, tant bien que mal, au pied d'un arbre sur les branches duquel LE CONTEUR PARLE 71 des feuilles de bananier pour m'abrij'avais entrelacé ter en cas de pluie, je me couchai. dans l'eau me laissait Il faisait froid et ma traversée Je grelottant. cochons dormis mal. Dans ne vinssent sauvages passé à mon poignet j'avais nuit était profonde. tout près de ma tête, une sorte qui m'intriguait pensant aux contes que les les jambes, de rien distinguer, de poussière que m'avaient La de ma hache. faits phosphoen les Maories malfaisant les,hommes est au coeur de la montagne sauf, Je souris singulièrement. propos du Tut>ap>aui cet esprit avec la nuit pour tourmenter Sa capitale crainte m'écorcher la: corde Impossible rescente la à qui s'éveille endormis. que la forêt de ténèbres. habille tous les morts et les âmes de Là, il se multiplie viennent grossir ses légions. Malheur au vivant qui se risque dans ces lieux infestés par les démons ! et j'étais cet imprudent. Aussi mes rêves furent-ils Je sus plus émane lière. tard que cette poussière lumineuse de petits Ils branches faire assez agités. d'une espèce champignons dans les endroits humides poussent mortes comme celles qui m'avaient particusur les servi du feu. à Le lendemain La rivière, au petit jour je me remettais-en route. de plus en plus accidentée, ruisseau, torde plus en plus, le sentier rent, cascade, se contourne 72 NOA NOA me manque fréquemment, et c'est souvent des mains que je m'aide à marcher, passant de branche en branche en ne m'appuyant que très peu sur le sol. Du fond de l'eau des écrevisses d'une taille extraor- dinaire me regardaient, semblant me dire : Que vienstu faire? et des anguilles séculaires fuyaient à mon approche. Tout à coup, à un détour brusque, j'aperçus dressée contre la paroi du rocher qu'elle caressait plutôt qu'elle ne s'y retenait de ses deux mains, une jeune fille, nue : à une source jaillissante, très haut, dans les pierres. Lorsqu'elle eut fini de boire, elle prit de l'eau dans ses mains et se la fit couler entre les seins. Puis — je n'avais pourtant fait aucun bruit — comme elle buvait une antilope peureuse qui d'instinct devine l'étranger, elle pencha la tête scrutant le fourré où j'étais caché. Et mon regard ne rencontra pas le sien. A peine me vit-elle, qu'elle plongea aussitôt, en criant ce mot : Taehae (féroce) ! Précipitamment je regardais dans l'eau : personne, rien qu'une énorme anguille qui serpentait entre les petits cailloux du fond. Non sans difficulté ni fatigue je parvins enfin tout près de l'Aroraï, le sommet de Vile, la montagne redoutée. C'était le soir, la lune se levait et, en la regardant, je me rappelais ce dialogue sacré, dans ce lieu précisément que la légende lui assigne pour théâtre : LE « Hina disait — Faites « Le Dieu Lune CONTEUR à Téfatou revivre 73 : l'homme de la PARLE Terre quand répondit il sera mort. à la Déesse » de la : — Non, je ne le ferai point revivre. L'homme la végétation mourra ainsi que mourra, ceux qui s'en nourrissent, la terre mourra, la terre » finira, elle finira pour ne plus renaître. « Hina répondit : — Faites comme il vous plaira. Moi, je ferai revivre la Lune. « Et ce que possédait possédait Téfatou périt, Hina ce que » dut mourir. continua et l'homme d'être, CHAPITRE DEUXIÈME PAPE PARTIE MOE Source tahitienne Source de vérité, ton éclat m'illumine. de volupté, tes conseils sont les vrais. Source Je t'écoute Source Voici ! Eau lustrale V (Projeté). et ta voix m'enseigne eau divine, mystérieuse, que sur tes bords l'antique ! Eau divine les Secrets, eau lustrale ! pastorale 76 NOA NOA libre et calme et gaie. — O je boirai Refleurit, Pour purifier mon coeur à ton flot sacré ! sur mon front, sur mes mains, sur mes lèvres Pour les guérir du feu des maléfiques fièvres ! Ta fraîcheur sur mes yeux-afin qu'ils puissent voir La vie ancienne réfléchie en ton miroir, Ta fraîcheur La vie humaine au soleil jeune épanouie, La vie heureuse, la vie humaine, la Vie ! Voici ! — Par groupes et par couples, librement, rieurs, couples graves, d'amis, d'amants, de pas égaux et lents l'herbe odorante, Ils vont, foyers vivants de lumière vibrante Et fastueusement vêtus de seul soleil, Groupes Foulant A la source, Et s'enivre qui rit son frais rire vermeil d'être claire comme la joie, du sang flamboie, Baigner leurs corps où l'or pourpré . Du seuil des cases, les ancêtres fiers et doux, Aïeules tenant des enfants sur leurs genoux, Et les pères dont l'oeil est plein de flamme encore, Président à ce rite d'amour et d'aurore. Et l'aurore médite au front du dieu pensif, Solidement assis dans son orgueil massif, monceau de siècles et de pierres à l'horizon son horreur familière Majestueux Qui dresse à l'homme aisément oublieux rappeler Qu'il se souvienne de faire leur part aux dieux la fleur de son extase. Et leur offre à cueillir Pour Car cette ardeur Lui vient d'eux Selon inextinguible qui l'embrase et vers eux doit retrouver son cours la loi de bienfaisante parabole Qui régit les destins, les amours et les jours. Ainsi l'aurore sur le front dur de l'idole PAPE MOE 77 l'éternelle Inscrit en s'y jouant leçon : — Si de ton propre sang libéral échanson Tu nous le verses dans la coupe de tes veines la coupe pleine Le vin débordera toujours Et ta gloire sera le prix de ta vertu ; Il tarira dans ton coeur avare, si tu — Refuses de payer la rançon légitime. Et soudain Des orbites —- gloire à toi, radieuse victime du dieu un éclair jaillissant, ! — de sang Rouge frappe à la tête et couronne Un jeune homme, entre tous le plus beau. Il frissonne, Dans la lumière divine qui l'environne Il se lève, et tous voient de son front, de son coeur les traits du soleil intérieur, Rayonner Qui dans l'intime orgueil du juste le désigne Avant qu'un dieu le montre et le proclame digne. Et de la tête éblouissante du Témoin Sur la plaine et la mer et les îles, au loin, Jusqu'au fond des sept cieux tumultueux naguère; A l'infini se propage l'âme en lumière et du temps vibrera Qui demain hors du nombre Dans le midi profond des yeux de Taora. Et tous les vivants sur cette grande figure Admirent la splendeur de leur gloire future, Et la nécessité Exalte L'élu la joie et l'amour est acclamé, l'idole Puis une extase Jette heureuse aux bras Que l'âme tendre de la mort au coeur des forts. est saluée, et du ciel influée des amants élémentaire les amantes, de ce paradis, tandis NOA 78 La Fontaine voluptueuse aux dieux réjouis Chante NOA et véridique son sublime cantique. et la couleur l'odeur partout la beauté du sang vainqueur Du sang ! C'est partout C'est lui qu'on voit, c'est lui qu'on sent, c'est lui qu'on C'est lui qui rit dans les blessures et les bouches, Iméné ! C'est Impatient d'agir, empressé de s'offrir, — autant que de plaisir, Ivre de sacrifice Et ses effluves font sur la nature comme Un rideau qu'elle tient des mains de l'homme. C'est partout la couleur du sang qui fuse et luit ! Il arrose la terre et saigne dans les fruits, Il décore la mer et c'est lui qui s'allume Aux d'or roux roses des coraux Et son odeur, De la fontaine épanouis d'écume. avec la sieste, avec le soir, où les femmes viennent s'asseoir, sur leurs hanches, les plis frais de l'onde et largement dans la brise Dénouant S'exhale Et se mêle aux senteurs s'épanche du santal. amères II O nouvelle beauté de l'Autrefois O sur ce bord, de l'infini Simple, O libre, Se donner! Se donner Mirer le monde Avoir pour Ah ! Source Source vital ! marchant la vie ancienne, sans souci de demain vivre _ sans peine, heureuse, humaine et d'hier, comme l'eau, comme ! l'air! en soi, rayonner dans les choses ! âme l'âme héroïque des roses ! d'Autrefois mystérieuse, qui chantes, je t'entends, eau divine des temps, touche, PAPE MOE Et maintenant que sur la plaine et sur mon âme L'Arbre maudit ne verse plus son ombre infâme — — Remords et désirs, mots et fumée — occident Je viens à toi, l'esprit calmé, le coeur ardent, Mère, ô Nature, Déjà riche de tes bienfaits, fièrement l'âme que tu fis pure. Pour t'offrir O Rêve oriental de vivre ! O donne-moi Asile au jardin clair du Nouvel Autrefois, Dans la patrie où j'ai choisi ma destinée, Au bord des flots où cette âme réelle est née, Où, dans la vérité et dans la volupté, Tout est beauté — tout est bonté — tout est clarté. 79 CHAPITRE LE CONTEUR VI PARLE Depuis quelque temps je m'étais assombri. Mon travail s'en ressentait. Il est vrai que beaucoup de documents me faisaient défaut; mais c'est la joie surtout qui me manquait. Il y avait plusieurs Papeete, plusieurs babil de la vahiné mois renvoyé Titi à mois que je n'entendais plus ce me faisant sans cesse à propos des que j'avais 6 NOA NOA 82 mêmes les choses mêmes répondais invariablement ce silence ne m'était Je résolus questions les mêmes par auxquelles je histoires. Et pas bon. de partir, autour d'entreprendre voyage dont je ne m'assignais le terme. de l'île un pas d'une façon précise besoin que je faisais quelques paquets légers pour le de la route et que je mettais de l'ordre dans toutes mes Anani, me regardait Tandis études, mon voisin Il inquiet. et propriétaire, se décida enfin l'ami à me demander si je me disposais à m'en aller. Je lui réque non, que je me préparais pour une prome- pondis nade de quelques seulement, que je reviendrais. Sa femme vint pas et se mit à pleurer. Il ne me crut le rejoindre et me dit qu'elle pas besoin jour je pourrais montrait, jours d'argent près pour reposer de sa que je n'avais eux ; qu'un parmi m'aimait, vivre là : et elle me toujours une place décorée d'un pour case, arbrisseau... Et j'eus moins le désir personne, de reposer toute pour toujours ne viendra l'éternité, là : du m'y dé- ranger... —Vous autres, vous promettez vous aime, vous vous, mais vous Européens, ajouta la femme d'Anani, de rester, et quand enfin on assurezpartez ! C'est pour revenir, ne revenez jamais. toujours LE CONTEUR — Eh bien, je puis jurer, de revenir à travers étroit sentier dans la montagne dont les habitants sommeillent, bien tement, leurs un fourré tard est (je n'osais la mer, je suis un qui s'étend assez loin dans une petite vallée et j'arrive à l'ancienne vivent mode maorie. Ils rêvent, ils aiment, ils ils chantent, ils prient et je vois distincqu'elles ne soient pas là, les statues de divinités statues féminines, de la déesse lunaire. l'honneur de Hina L'idole d'un et fêtes en seul bloc a et quarante de hauépaule à l'autre Sur la tête, elle porte, en forme de bonnet, une dix pieds teur. Plus qui borde et calmes. heureux 83 moi, que mon intention dans quelques jours. plus tard, je verrai. mentir), Enfin je partis. du chemin M'écartant Ils sont PARLE d'une Autour d'elle on énorme, de couleur rougeâtre. — Matamua — et danse selon les rites d'autrefois pierre le vivo varie sombrée, sa note claire avec les heures Je continue ma route. A Taravao, extrémité son cheval Européens. A Faone, et gaie, mélancolique qui se succèdent. de l'Ile, un gendarme me prête et je file sur la côte est, peu fréquentée district et des qui précède celui d'Itia, je m'entends interpeller par un indigène : — Hé ! l'homme qui fait des hommes (11 sait que je petit NOA 84 NOA suis peintre) Haere mai ta maha ! (viens manger avec hospitalière. nous), la formule tahitienne Je ne me fais pas prier, tant le sourire qui accompagne l'invitation de cheval ; mon est engageant hôte et doux. le prend et Je descends l'attache à une et avec simplement branche, sans aucune servilité, adresse. Et nous entrons tous deux dans une case où des hommes, des femmes et des enfants, assis par terre, causant et fumant. — Où vas-tu ? me demande une belle maorie d'une sont réunis d'années, quarantaine — Je vais à Itia. — Pourquoi faire ? Je ne sais quelle idée me passa par la tête et peutêtre sans le savoir disais-je le but réel, secret pour moi-même, de mon voyage : — Pour y chercher une femme, répondis-je. — Itia en a beaucoup et des jolies. Tu en veux une ? — Oui. — Si tu veux, je vais t'en donner une. C'est ma fille. — Est-elle jeune ? — Oui. — Est-elle bien portante ? — Oui. — C'est bien. Va me la chercher. La femme sortit. LE CONTEUR 85 PARLE Un quart d'heure après, tandis qu'on apportait pour le repas des maiore, bananes sauvages, des crevettes et un poisson, elle rentra, suivie d'une grande jeune fille qui tenait un petit paquet à la main. A travers la rose excessivement transparente, robe, en mousseline on voyait la peau dorée des épaules et des bras. Deux sur son visage boutons pointaient dru à la poitrine; je ne reconnus pas le type que, jusqu'à ce jour, j'avais vu partout régner dans l'île et sa chevelure aussi était très exceptionnelle, poussée comme la charmant brousse et légèrement sait une orgie Je sus dans crépue. de chromes. la suite Au soleil qu'elle était tout cela fai- des originaire Tongas. Quand elle se fut assise auprès de moi, quelques questions : — Tu n'as pas peur de moi ? — Aïta (non). — Veux-tu habiter ma case, toujours — Eha (oui). — Tu n'as jamais été malade ? — Aïta. Ce fut tout. je lui fis ? pendant que la jeune fille, impassible, rangeait par terre, devant moi, sur une grande feuille de bananier, les aliments qui m'étaient Le coeur me battait offerts. Je mangeai de bon appétit, mais 86 NOA j'étais intimidé. préoccupé, enfant treize d'environ vantait. NOA Que se passait-il Cette cette fille, jeune années, me charmait et m'épou- dans cette âme ?Et c'était moi, moi si vieux pour elle, qui hésitais au moment de signer — Peutun contrat si hâtivement conçu et conclu. être, pensais-je, la mère a-t-elle ordonné, exigé ; peutêtre est-ce un marché qu'elles ont débattu entre elles... bien nettement chez la grande et pourtant je voyais et de fierté qui sont enfant les signes d'indépendance les caractéristiques de sa race. Ce qui surtout me rassura, c'est qu'elle avait, à n'en sereine qui accoml'attitude, l'expression une action honorable, pagne, chez les êtres jeunes, louable. Mais le pli moqueur de sa bouche, d'ailleurs pas douter, bonne était et sensuelle, tendre, m'avertissait pour moi, non pour elle... Je n'oserais case je n'avais d'une goisse, dire qu'en franchissant pas le coeur serré appréhension que le danger le seuil d'une étrange d'une poignante, de la anréelle peur. Je pris mon cheval et je montai. La jeune derrière ; sa mère, un homme, deux jeunes — suivirent ses tantes, disait-elle aussi. Nous revenions à Taravao, au premier kilomètre, à neuf fille suivit femmes, — kilomètres de on me dit : Parahi teie Faone. Mais LE CONTEUR 87 PARLE (arrête-toi ici). Je descendis de cheval et nous entrâmes dans une grande case proprement tenue, presque riche — de la richesse des biens de la terre — de jolies nattes extrême sur du foin, un ménage encore bonne grâce y demeurait. près de la femme et me la présenta — Voici ma mère. jeune et d'une Ma fiancée s'assit : Puis en silence, on versa dans un gobelet de l'eau fraîche dont nous bûmes tous à la ronde, comme s'il se fût agi d'une religion familiale. Après quoi, celle que ma fiancée venait de me présenter comme sa mère me dit, le regard ému, les paupières — Tu es bon ? humides Je répondis (non sans trouble), examen de conscience : — Oui. — Tu rendras — Oui. : après avoir fait mon ma fille heureuse. — Dans huit jours qu'elle heureuse elle te quittera. Un long silence. Enfin revienne. nous sortîmes Si elle n'est pas et de nouveau à cheval, je repartis, toujours suivi de mon escorte. Chemin faisant, nous rencontrâmes plusieurs personnes qui connaissaient ma nouvelle famille, et qui, en la saluant, disaient à la jeune fille : — Eh quoi ! tu es maintenant la vahiné d'un Fran- 88 NOA NOA çais ? Sois heureuse. Bonne chance. doute dans son regard. : comment Un point m'inquiétait — Il y avait du (ainsi se deux mères ? Je deman- ma femme) avait-elle dai donc à celle qui, la première, — Pourquoi m'as-tu menti ? nommait Tehura me l'avait offerte : : La mère de Tehura me répondit — L'autre aussi est sa mère, sa mère nourricière, celle qui s'en occupe. Je rêvai tout le long de la route et mon cheval ne se sentant avec peu de confiance, plus soutenu marchait au contact des gros cailloux. trébuchant A Taravao son cheval. La je rendis au gendarme femme du gendarme, une Française sans finesse, me dit : — Comment ! vous ramenez sans malice, mais avec vous une gourgan- dine ? Et ses yeux opposait examen. une haineux déshabillaient indifférence Je regardai altière la jeune fille, qui à cet injurieux un instant le spectacle symbolique ces deux femmes : c'étaient la décrépique m'offraient tude et la floraison la loi et la foi, l'artifice nouvelle, et la nature, et sur celle-ci celle-là soufflait le souffle impur du mensonge et de la méchanceté. C'étaient aussi deux races en présence, et j'eus honte de la mienne. Il me semblait qu'elle tachait d'un nuage LE de fumée PARLE 89 ce ciel si beau. Et j'en pour le reposer et le réjouir sale mon regard or vivant, CONTEUR que j'aimais Les adieux Chinois qui à l'éclat vite de cet déjà. de famille là vend détournai à Taravao, se firent de tout, chez le et les hommes et les bêtes. Nous prîmes, qui nous Mataiea, et moi, la voiture ma fiancée déposait kilomètres vingt-cinq publique, plus à loin, chez moi. Ma femme était peu bavarde, et mo- mélancolique queuse. Nous nous sans cesse, mais elle me restait impénétrable, et je fus vite vaincu dans cette lutte. de me surJ'avais beau me promettre veiller, observions de me dominer l'un pour l'autre rester un témoin perspi- cace, mes nerfs n'étaient plus sérieuses sur les pas longs à l'emporter résolutions et je fus en peu de temps, Tehura, un livre ouvert. Je faisais ainsi — en quelque sorte, à mes dépens et — l'expérience du profond sur ma propre personne d'une âme écart qui distingue une âme océanienne pour latine, française de suite ; il faut surtout. beaucoup L'âme maorie de patience ne se livre et d'étude pas pour 90 NOA NOA à la posséder. Elle vous échappe d'abord et vous déconcerte de mille manières, enveloppée de rire et pendant que vous vous laissez et de changement; arriver prendre à ces apparences, comme à des manifestations de sa vérité intime, sans penser à jouer un personcertiavec une tranquille nage, elle vous examine de sa puérile tude, du fond de sa rieuse insouciance, légèreté. Une semaine pendant laquelle je fus d'une « enfance » qui m'était à moi-même inconnue. J'aimais Tehura et je le lui disais, ce qui la faisait sourire : — elle le savait bien ! Elle semblait, en retour, m'aimer — s'écoula, et ne me le disait point. Mais quelquefois, la nuit, des éclairs sillonnaient l'or de la peau de Tehura... Le huitième jour — il me semblait que nous venions d'entrer pour la première fois ensemble dans une case — Tehura me demanda la d'aller voir sa permission mère à Faone, chose promise. Je m'y résignai tristement et nouant dans son mouchoir quelques piastres et porter du pour qu'elle pût payer les frais du voyage rhum à son père, je la conduisis à la voiture publique. Ce fut pour moi comme un adieu. Reviendrait-elle ? La solitude de ma case me chassait. fixer ma pensée à aucune Plusieurs jours ensuite, étude... elle revint. Je ne pouvais LE CONTEUR PARLE 91 la vie pleinement Alors commença sur une assurance heureuse, fondée sur la confiance mu- du lendemain, de l'amour. tuelle, sur la certitude réciproque Je m'étais remis au travail et le bonheur habitait dans ma maison radieux comme lui. : il se levait avec le soleil, du visage de Tehura inondait de joie et de clarté l'intérieur du logis et le paysage alentour. Et nous étions tous les deux si parfaitement simples ! Qu'il était bon le matin, d'aller ensemble nous rafraîL'or chir dans le ruisseau sans doute voisin, le premier Paradis tahitien, Et l'Eve de ce Paradis aimante. comme au paradis homme tard. se livre Je suis embaumé pas comprise, Aujourd'hui femme. hâve nave fenua... de plus en plus docile, d'elle : Noanoa! Elle est entrée dans ma vie à son heure peut-être et la première allaient : plus tôt je ne l'aurais et, plus je l'entends tard, c'eût été bien comme je l'aime et par me qui jusqu'ici elle, je pénètre enfin bien des mystères restaient rebelles. Mais, pour l'instant, cela n'est pas raisonné par mon intelligence, classé par ma mémoire. C'est à ma sensibilité que Tehura confie tout ce qu'elle me dit : c'est dans mes sens et mes sentiments que je retrouverai Elle me plus tard, ses paroles inscrites. 92 NOA conduit NOA ainsi plus sûrement que par aucune autre mé- thode à la pleine compréhension gnement de sa race par l'enseide la vie. Et je n'ai plus conscience quotidien des jours et des heures, du mal et du bien. Le bonheur est si étranger au temps qu'il en supprime la notion, et tout est bien quand tout est beau. Et Tehura ne me trouble quand je rêve; ou quand je travaille alors, elle se tait. Elle sait très d'instinct point bien quand elle peut élever alors nous parlons je l'instruis Je fus pris d'aller obligé me laissait Nous n'avions à moitié à Papeete. jour ; du matin pour le moment allant quand que je le reste à je rentrai. que très peu de lumi- être renouvelée. la porte, dans J'avais la voiture je dus faire route, une heure j'ouvris était un le soir même, mais ma provision Quand chambre ; et elle m'instruit. pied et il était naire, sans me déranger et de Dieu et des dieux de l'Europe, de revenir promis la voix la lampe l'obscurité. J'eus était un la éteinte, sentiment de défiance : sûrement l'oiseau brusque d'appréhension, s'était envolé. Vite j'allumai des allumettes et je vis... Immobile, nue, couchée à plat ventre sur le lit, les yeux démesurément agrandis par la peur, Tehura me LE et semblait regardait je restai tude. Une au regard dans d'apparitions je craignais lueur fixe. surtout ces dans émanait qu'une belle, jamais 93 ne pas me reconnaître. contagion ses yeux PARLE instants quelques il me semblait puis, CONTEUR une Moi-même, incerti- étrange des terreurs de Tehura, coulât de phosphorescente Jamais je ne l'avais d'une beauté demi-ténèbres vue si si émouvante. à coup sûr Et peuplées de suggestions équivoques, dangereuses, de faire un geste qui portât au paroxysme de l'enfant. Savais-je ce qu'à ce moment-là j'étais pour elle ? Si elle ne me prenait pas, avec mon des démons ou des pour quelqu'un visage inquiet, dont les légendes de sa race spectres, des tupapaus l'épouvante les nuits emplissent qui elle était possédait, en vérité à lui sommeil ? L'intensité sous l'empire physique faisait d'elle un être superstitions, si différent de tout Enfin sans elle revint redonner ? Savais-je du sentiment même et moral de ses si étranger à moi, qui la ce que j'avais pu voir jusque-là. à elle et je m'évertuai à la rassurer, confiance. Elle m'écoutait, boudeuse, : où les sanglots tremblaient puis avec une voix — Ne me laisse plus seule ainsi sans lumière. s'éveilla. Mais, la peur à peine dissipée, la jalousie — Qu'as-tu fait à la ville ?Tues allé voir des femmes, de celles donnent qui vont au marché boire aux officiers, aux matelots, et danser, puis se à tout le monde... 94 NOA Je ne me prêtai douce, une douce Tehura folle pas à la querelle et ardente était tantôt et très frivole, NOA nuit, et cette nuit une nuit fut tropicale. très sage et très aimante, tantôt deux êtres en un, très différents, à l'improviste avec la plus décon- et qui se succédaient certante rapidité. Elle n'était point changeante, était double : l'enfant d'une race vieille. elle — il écume la mer Un jour l'éternel Juif-colporteur comme la terre — arrive dans le district avec une boîte de bijoux en cuivre doré. Il étale sa marchandise, on l'entoure. Une paire de boucles d'oreille circule de mains en mains, femmes Tehura tous les yeux brillent, toutes les la désirent. et me regarde. Elle veut la paire de boucles et ses yeux me le disent clairement, je fais semblant de ne pas comprendre. Elle m'attire dans un coin. — Je la veux. Je lui fronce le sourcil fais observer qu'en vaut à peine deux francs, — Noatou. Je la veux. Franoe cette niaiserie que c'est du cuivre. — Mais ce serait folie que de payer vingt pareille saleté ! Non. francs une LE CONTEUR PARLE 95 — Je la veux. Et avec une volubilité passionnée, les yeux pleins de larmes : — Quoi ! Tu n'auras pas honte de voir ce bijou aux oreilles d'une autre femme. Déjà un tel parle de vendre son cheval pour offrir la paire de boucles d'oreille à sa vahiné. Je ne pus me résigner cette fois, je refuse. Tehura me regarde à cette sottise vaincue encore, et, brutalement ; sans dire, elle pleure. Je m'éloigne, je reviens, je donne les vingt Juif — et le soleil reparaît. Deux grande jours après, toilette. c'était Les dimanche. cheveux lavés rien plus au francs Tehura au savon, fait sa puis séchés au soleil, et finalement frottés d'huile parfumée ; la robe, un de mes mouchoirs à la main, une fleur à les pieds nus. Elle va au temple, répétant les l'oreille, tout à l'heure. psaumes qu'elle récitera — Et tes boucles d'oreille ? lui dis-je. Tehura fait une moue de dédain : — C'est du cuivre! Aita Piro, Pirupiru. Et en éclatant de rire elle franchit le seuil de la case et part pour le temple — redevenue grave. A l'heure de la sieste, dévêtus, nus, simples, nous sommeillons, ce jour-là comme les autres jours, près 96 NOA NOA l'un de l'autre, son rêve ou nous Tehura Moi, je voudrais — et dans peut-être briller d'autres boucles. rêvons voit-elle oublier tout ce que je sais et dormir toujours... Une grande noce eut lieu à Mataiea, la vraie la noce légale que les missionnaires s'efforcent poser aux Tahitiens naire : petits chauds, bananes de déployer cochons sous un toit improvisé les parents de poissons, maioré, où un nombre assis, avait que décoraient culi- sur des cailloux La table, étaient luxe été placée gracieusement et tous les amis des deux époux là. La jeune fils grand est, dans et des fleurs. des feuilles blanche, etc.. taros, de convives étaient entiers abondance considérable Tous le plus rôtis tout extraordinaire sauvages, d'im- convertis. J'y fus invité et Tehura y vint avec moi. Le repas faisait le fond de la fête, et l'usage ces solennités, noce> fille — l'institutrice prenait du chef pour de Papeete, ressait à elle, l'avait — presque un authentique maorie, Elle sortait des écoles reli- époux de Punaania. gieuses de l'endroit et l'évêque obligée protestant, qui s'intéà ce mariage un peu hâti- LE disait-on. vement, PARLE CONTEUR 97 ce que veut Là-bas, missionnaire, Dieu le veut. On heure et on boit mange les commencent Puis discours. Ils avec ordre et méthode On les récite d'éloquence et beaucoup vraiment curieux, plein la question importante nom donnera un nouveau usage national, et qui date de toute une précieuse prérogative, très sont d'une nombreux. et c'est un concours vient familles au bout d'imprévu. : quelle des deux à la mariée constitue antiquité, enviée. ? Cet Il n'est pas rare que la discussion, sur ce point, dégénère en bataille. Il n'en fut rien ce jour-là. Tout se passa paisible— ment. La table tout entière était cordiale, joyeuse et pas mal voisines morte, mener ivre. Ma pauvre vahiné entraînée par ses de là ivre(je ne la surveillais pas) sortit hélas ! et j'eus beaucoup de peine pour la raau logis : bien gaie, mais bien pesante ! Au centre Punaania, de la table admirable trônait de dignité. la femme Sa robe du chef de de velours et bizarre, lui donnait un vague orangé, prétentieuse air d'héroïne de foire. Mais la grâce innée de sa race et la conscience de son rang prêtaient à ces oripeaux je ne sais quelle fumets grandeur des mets, aux ; dans cette fête tahitienne, odeurs des fleurs de Vile, un parfum me semblait-il, ajoutait, plus fort autres et qui les résumait tous — noanoa ! aux elle que les. /^^'. NOA 98 NOA Près d'elle se tenait une aïeule centenaire, affreuse de et que la rangée intacte de ses dents de décrépitude, encore plus terrible. Elle s'intéressait rigide, peu à ce qu'on faisait autour d'elle, immobile, presque une momie. Mais sur sa joue un tatouage, une marque sombre, indécise dans sa forme qui rappelait le cannibale rendait parlait à mes yeux pour elle. J'avais déjà vu bien des tatouages, je n'en avais vu aucun dans le caractère de celui-ci : celui-ci était sûrestyle d'une lettre ment européen. sévissant latine, Autrefois, me dit-on, contre la luxure, d'un signe d'infamie, signaient les missionnaires, certaines femmes d'un avertissement de l'enfer, ce de honte, — non point à cause du qui les couvrait péché commis, mais à cause du ridicule et de l'opprobre d'un tel signe de destruction. fiance des maories vis-à-vis qui persiste aujourd'hui Je compris alors la dé- des Européens, défiance d'ailencore, très tempérée, océanienne. par la généreuse hospitalité Que d'années entre l'aïeule marquée par le prêtre et la jeune fille mariée par le prêtre ! La marque est visible encore, double témoignage et pour la race qui l'a d'infamie, leurs, subie et surtout Cinq enfant sans doute pour la race qui l'a infligée... mois plus tard, la-jeune mariée mit au monde un bien conformé. Fureur des parents qui demandaient la séparation. Le jeune homme n'y voulut point : — Puisque nous nous aimons, qu'importe ? consentir LE CONTEUR PARLE pas dans nos usages celui-ci. autres ? J'adopte N'est-il dans toute Mais un point pourquoi s'était-il religieuse nuaient langues? 99 les enfants d'adopter cette histoire des resta obscur : l'évêque, réputé comme excellent coq gaulois, tant remué pour hâter la cérémonie légale et du mariage que... Eh! ? Les que ne disent de l'Annonciation L'ange mot de cet énigme... Et peut-être, mauvaises qu'importe ! pas langues insi- les mauvaises sait peut-être le CHAPITRE PARAHI TE VII MARAE I Sommet d'horreur de l'Ile heureuse, là réside Le Temple, lieu vivant, ouvert, sauvage, avide. le poids Là sont les pieds des dieux qui supportent Des cieux, là vient mourir la richesse des bois, Tout en haut de l'Arorai, cimier des cimes, Là s'égouttait, le sang, autrefois, des victimes 102 NOA Où les vivants Et ce rite communiaient était cher pieusement. aux Atuas cléments selon Qui, gouvernant Autrefois ! Pefiroyable l'Ile leur sagesse profonde, des mondes, expansion à la vie en faveur Pardonnaient Alors NOA était de la mort. et le peuple était fort, Et connaissait et connaissait la joie, l'amour, au sommet d'où le soleil flamboie Qui buvait, Et rayonne sur l'univers, le flux vital De la Douleur. Alors Fille Otahiti franche riche, d'autrefois féodal Splendeur riait dans la lumière, des eaux, délicieuse et fière, de son sang les sacrificateurs. Qu'illustraient Quand, de toute l'ardeur du ciel, sur les hauteurs Taroa, que sa gloire la flamme homicide Sublimes, Entretenait Où venaient les héros ! allumer contemple, du Temple leur vertu. II s'est tu, Or, voici que le cri des victimes Et voici que, partout, dans les langueurs de l'Ile Coeurs de mâles et flancs de femmes sont stériles. La prudence, Le sang dont la peur et l'épargne ont tari le sommet sacré n'est plus fleuri Et qui stagne aux longs bords des siestes Et la vieille Forêt dont la sève fervente Prodigue Palmiers ses flots insoucieux éperdument fins dont le front frémit au bord Tamaris, hibiscus, fougères gigantesques, Lianes sinuant leurs souples arabesques, énervantes. — des cieux, TE PARAHI MARAE 103 l'air de rose et le manguier qui chargent et de parfum, l'arbre de fer, D'un faste d'ombre Le santal odorant dont l'écorce étincelle, L'arbre Et toute la Forêt En nappes Et s'évapore généreuse, où ruisselle d'ombres par les lourdes frondaisons exhalaisons en amères La puissante liqueur La Forêt douloureuse de l'éternelle et la Forêt ravie, et renaît sans fin, Où la nature Dénonce naît, meurt et blâme avec le tumulte De l'Amour la folie vie. divin et le crime de l'homme, lâchement économe, ; Qui, de ses pâles jours Et corrompu interdits aux mortels, d'orgueils du sang qu'il dérobe aux autels ! S'empoisonne III Vers la cime à jamais déserte Où ne s'exhale plus la féconde et diffamée, fumée Du sang, vers le lieu mort où régnèrent Où l'homme pria, seuls font les arbres De leurs rameaux pieux, par la brise, vaste, qui s'éternise. légers Un geste d'encensoir Vers le rivage Rit et chante, les dieux, agités ému de frissons aime et dort argentés toute une humanité ingénue, oublieuse, frivole, au soleil, comme les vagues, molle, Rayonnante Et jouissant du jour tant qu'il luit. — Iméné ! Puérile, Glas de la vie ! Echo Chant immémorial Par la menace du passé profané de gaieté démentie de très haut appesantie ! ! 104 NOA NOA IV Les dieux sont morts, et Tahiti meurt de leur mort. Le soleil autrefois l'endort qui l'enflammait D'un sommeil désolé d'affreux sursauts de rêve, Et l'effroi du futur emplit les yeux de l'Eve Dorée : elle soupire en regardant son sein, Or stérile scellé par les divins desseins. Les dieux sont morts.—Mais, quand, sur son char de ténèbres, Le Soir pourpre d'amours et de meurtres célèbres, Apparaît, Du fond le Soleil furieux, pourchassant de leur tombeau se relèvent les dieux concile, Qui, sur la cime, en un formidable Durant toute la nuit demeurent immobiles, Les bras dardés vers la mer. Et, du haut du mont, Par milliers vers la grève essaiment les démons, Tupapaus, esprits Qui, dans l'étroite Vers la couchette Se glissent, C'est l'heure Viens froids des morts, larves case, en repliant cruelles leurs ailes, où la peureuse ne dort pas, frôleurs et chuchotent tout bas : des dieux, c'est soir des dieux, c'est Soir ! c'est toi qu'ils ont élue. : pour les servir C'est soir de la mort et de l'Amour, c'est Soir ! Viens : pour les aimer c'est toi qu'ils ont voulue. Tu n'iras Cueillir Baigner Fondre plus danser au bord de la mer, en chantant la fleur des lauriers-roses, l'or de ton corps à l'or de la mer, ton rêve au vague rêve des choses. PARAHI TE MARAE 105 Tu ne dormiras Nous allons plus sous les pandanus, te saisir entre nos mains creuses Les vivants sous les pandanus qui t'aimaient su féconder ta chair amoureuse ? Ont-ils Ton sang est condamné ! le temps est venu Où l'homme doit mourir pour ne pas revivre Il a trahi ses dieux : le temps est venu Où dans la nuit de la mort il doit que le Roi, le seul Roi, Taora, Couve à nouveau l'oeuf de l'éternel ! les suivre. Afin mystère, Afin que le Roi, le seul Roi, Taora, Partage à de plus grands que l'homme la Terre. Et comme jour, une femme était, au premier la vie et l'espérance, De qui procéda Qu'une femme aussi se lève, au dernier De qui vienne la mort et la délivrance. jour, Tu n'échapperas des dieux pas à l'amour Ils te posséderont dans ta juste joie, amante des dieux, Tehura, glorieuse Où tu seras dans ton désespoir C'est l'heure C'est Viens : pour Et l'enfant Antique, proie ! des dieux, c'est soir des dieux, c'est les servir c'est toi qu'ils ont élue. : pour soir de la mort Viens leur ! c'est soir ! et de l'amour, les aimer c'est toi qu'ils ont voulue. voit dans sa terreur l'appareil le sanctuaire des rites mortuaires, Soir ! 106 NOA NOA le prêtre rouge et l'oeil phosphorescent Des démons, et les dieux au geste menaçant, Et sa race au grand coeur d'autrefois qui succombe L'autel, Et gravit humblement les rampes de la tombe Où l'appellent les dieux qu'elle a mis en oubli Sommet d'horreur Le Temple, L'enfant L'homme de l'Ile lieu toujours heureuse, vivant, : là réside toujours avide. voit — et déjà les temps sont accomplis : est mort. Il est mort pour ne jamais renaître. Les Iles et les Eaux servent un autre Maître, et dont les yeux sont des foyers d'amour Et de joie, — et l'enfant, qui s'étonne du jour Nouveau, songe qu'elle est morte, — et la mort est douce Comme la sieste, au bord de la mer, sur la mousse." Meilleur, CHAPITRE LE Le soir au lit, et souvent longs âme d'enfant CONTEUR nous avons très sérieux. les traces d'autrefois PARLE de grands Je cherche entretiens, dans cette du passé lointain, bien mort ne restent pas mes questions les hommes, séduits ou asservis et toutes socialement, sans réponse. Peut-être, à notre civilisation et à notre Les dieux VIII conquête, ont-ils oublié. se sont gardé un asile dans la NOA 108 des femmes. mémoire NOA Et c'est un émouvant spectacle que Tehura à peu ses dieux nationaux lier et singume donne, quand je vois peu se réveiller en elle et s'agiter où les missionnaires sous les voiles En somme, l'oeuvre Leur enseignement superficielle. les ensevelir. très faible couche est comme une et cède vite à la qui s'écaille adroite. Tehura va au temple réguliè- de vernis atteinte moindre ont cru protestants des catéchistes est rement et pratique des lèvres et des doigts la religion officielle. Mais elle sait par coeur les noms de tous les Maorie. Elle connaît leur histoire, dieux de l'Olympe ils ont créé le monde ; comment ils aiment à être honorés. Quant aux rigueurs de la morale chrécomment tienne, elle les ignore ou ne s'en soucie et ne songe de vivre hors des liens du mariage guère à se repentir avec un tane. Je ne sais trop comment elle associe dans ses croyances Taaora et Jésus. Je pense qu'elle les vénère tous les deux. Au hasard des circonstances, elle me fait un cours de théologie tahitienne, et moi je tâche selon les connaissances expliquer européennes de la nature. ques phénomènes complet Les étoiles l'intéressent comment beaucoup. de lui quel- Elle me demande on nomme en français l'étoile du matin, celle du soir. Elle a peine à comprendre que la terre tourne autour du soleil. LE A son CONTEUR elle tour, 109 PARLE me nomme les étoiles dans sa à la langue et pendant qu'elle me parle je distingue, — les formes clarté des astres, qui sont des divinités vagues et sacrées des maîtres maories de la terre et des cieux. Il est probable rent que les habitants de Tahiti possédè- dès la des connaissances plus haute antiquité assez étendues en astronomie. Les fêtes périodiques des Aréois, société secrète qui, jadis, gouverna les Iles dont je vais avoir l'occasion de parler, étaient dées sur les évolutions des astres. Les Maories fonsem- blent même n'avoir lunaire. pas ignoré la nature de la lumière Ils supposaient que la lune est un globe sensi- blement pareil productions manière analogues la distance La semence sur la Terre habité à la terre, elle, riche en aux nôtres. Ils évaluaient à leur de la terre de l'arbre comme à la lune. Ora fut apportée blanc. Il lui de la Lune un pigeon avait fallu deux lunes pour atteindre le satellite, et quand, après deux autres lunes, il retomba sur la terre, il était sans par plumes. Cet oiseau est, de tous ceux que connaissent les Maories, celui qui passe pour avoir le vol le plus rapide. Mais voici la nomenclature tahitienne des étoiles. Je la leçon de Tehura à l'aide de documents complète trouvés dans un recueil de Morenhout, l'ancien consul. NOA 110 Je dois à l'obligeance lecture NO A de M. Goupil, colon à Tahiti, la de cette édition. Il n'est peut-être pas trop audacieux d'y voir l'ébauche d'un système raisonné d'astronomie plutôt qu'un simple jeu d'imagination. — Roua (grande est son origine) dormait avec sa femme la Terre ténébreuse. Elle donna naissance à son roi, le Sol, puis au Crépuscule, puis aux Ténèbres. Mais alors Roua répudia cette femme. — Roua dormait avec la (grande est son origine) femme dite Grande Réunion. Elle donna naissance aux reines des cieux, les Etoiles, à Faiti, étoile du soir. Le roi des cieux dorés, le seul roi, dormait avec sa femme Fanoui. D'elle est né l'astre Tauroua, Vénus, étoile du matin, le roi Tauroua qui donne des lois à la nuit et au jour, aux étoiles, à la lune, au soleil, et sert Il fit voile à gauche, vers le de guide aux marins. nord et là, dormant avec sa femme, il donna naissance à VEtoile Rouge, cette sous deux faces... étoile rouge qui brille, le soir, Rouge, ce dieu qui vole dans l'Ouest, prépara sa pirogue, pirogue du grand jour qui cingle vers les cieux. Il fit voile au lever du soleil. Etoile Rehoua s'avance femme Oura Taneipa en face des Pléiades. dans l'étendue. Il dormit avec sa : d'eux sont nés les rois Gémeaux, LE Les Gémeaux Castor et Pollux. PARLE CONTEUR sont assurément Leur histoire 111 les mêmes que nos est curieuse. Ils étaient de Bora Bora. Ayant entendu leurs parents la maison paternelle parler de les séparer, ils quittèrent et allèrent ensemble à Riatea, puis à Ouhamé, à Eimo Leur et à Otaïti. chercher, s'était inquiète, mise à les aussitôt trop toujours mère, après leur départ. Mais elle arrivait îles. A Otaïti tard dans ces différentes à devancer leur fuite et elle elle parvint qu'ils se cachaient dans les montagnes où enfin pourtant apprit elle les découvrit. devant elle jusqu'au sommet de l'Aroraï et de là, au moment, où toute dans éplorée, elle croyait les atteindre, ils s'envolèrent les cieux où ils figurent encore parmi les constellations. L'étoile brille sous représenté Rouge deux Ils se sauvèrent est sans doute notre faces. Les anciens Sagittaire, qui l'ont quelquefois sous cet aspect. d'une encore étoile nommée parle c'est Atouaehi, qui vient dans les nuages moutonnés, notre étoile du Berger. Tehura Elle me ne voulut filantes, que les étoiles ne soient pas dans ces climats, jamais admettre fréquentes Tupapaus, des génies malheureux, mélancoliquement ils traversent quête d'une autre patrie. exilés : lentement, la grande vallée, en 112 NOA NOA — Qui a créé le ciel et la terre ? et Tehura me répondent : Le Morenhout — Il était : Taaroa était son nom. Il se tenait dans le vide —- avant la terre, avant le ciel, avant les hommes — Taaora appelle, rien ne lui répond, et seul existant, il se change en Y Univers. Les pivots s'est nommé. sont Taaroa Les rochers : c'est ainsi sont Taaora, que lui-même les sables sont Taaora. Taaora est la clarté, le germe et la base : l'Univers de Taaora. C'est lui qui met tout que la coquille et règle l'harmonie en mouvement universelle. n'est « Vous ! pivots, sommes. Venez, vous ! rochers, vous ! sables nous vous qui devez former la terre. » Et il presse entre ses mains : mais et les presse longtemps les roches ces matières et les sables ne veulent Alors, de sa main droite, il lance les sept pas s'unir. cieux pour en faire le fondement du monde et la lumière est créée. Tout dans ses profondeurs se voit, l'Univers et le dieu reste brille jusque extasié devant l'immensité. L'univers brille jusque dans ses profondeurs dieu reste extasié devant l'immensité. et le LE L'immobilité CONTEUR PARLE 113 du néant a cessé ; la vie existe et tout se meut. parole a fait son oeuvre et les messagers ont accompli leur mission. Les pivots sont fixés ; sables et rochers sont à leur place. Les cieux s'élèvent et tourLa nent. La mer emplit — L'Univers est. Cette première ses abîmes. version de la Genèse se complique de : variantes qui ne sont peut-être que des développements Taaora dormait avec la femme qui se nomme déesse du Dehors (ou de la mer). D'eux sont nés les nuages noirs, les nuages blancs, la pluie. Taaora dormait avec la femme qui se nomme déesse D'eux est né le premier du Dedans (ou de la terre). germe. Est né ensuite tout terre. Est né ensuite ce qui croît à la surface de la des montagnes. Est né ensuite celui qui se nomme le Fort. Est née ensuite celle qui se nomme l&Belleon l'Ornéepour plaire. Autre variante, — qui Mahoui le brouillard relative semble à la création de la Terre. se confondre un peu avec Taaora, ainsi que ce Roua qui créa les étoiles — Mahoui va lancer sa pirogue. Il est assis dans le fond. L'hameçon pend du côté droit attaché tresses de cheveux. Et cette ligne à la ligne tient dans sa main descendre dans la et cet hameçon, il les laisse qu'il par 8 des NOA 114 de l'univers profondeur NOA pour pêcher le grand poisson (la terre). a mordu, L'hameçon Déjà se montre la base (les axes), déjà le dieu sent le poids énorme du monde. Téfatou (la Terre) émerge de la nuit, pris à l'hameçon, encore devant suspendu diriger Mahoui sorte que le jour Dormait l'air. selon règle, Je demandai et la nuit soient à Tehura Dormait rouges, Taaora de la terre Il le cours avec la pluie les dieux. déesse Ohina, de de lune, puis rouge. avec la femme : est né d'eux de telle durée. d'égale femme peut à dans sa du soleil de me nommer la a péché et qu'il le tient Y Arc en ciel, le Clair nés d'eux les nuages sa volonté. en outre, Taaora Sont ; Mahoui qui nage dans l'espace le grand poisson présent main. l'immensité Ohina, Téfatou, déesse du sein le génie qui anime et qui manifeste par les bruits souterrains. avec la femme dite : Au delà de Dormait Taaora la Terre, toute la D'eux Terre. sont nés les dieux Puis Roo, qui sortit Teirii, du ventre et Rananoua. de sa mère par le côté. naquirent encore la Colère et la Tempête, les Vents furieux, et aussi la paix qui les suit. Et la source de ces esprits est dans le lieu d'où sont Et de la même femme envoyés les messagers. LE PARLE 115 sont contesque ces filiations la plus orthodoxe : la classification Mais Tehura tées. Voici CONTEUR Les dieux convient se. divisent en Atouas et Oromatouas. Mais tout ceci est bien long et bien ardu à entendre, cessons. point — à la compréhension documents ramifient. de l'oeuvre Non Permettez alors que j'entrecoupe une promenade avec Tehura. Dieu sait ces en vous racontant de l'année, comme toujours il beau lorsque nous nous mîmes en route, le tous deux, pour rendre une visite à des amis faisait quel jour matin, dont la case se trouvait à une dizaine de kilomètres de la nôtre. à six heures, nous fîmes à la fraîche assez prestement puisque nous étions arrivés à huit heures Partis Ce fut une surprise, et les embrassades terminées, on se mit en quête pour nous fêter d'un petit cochon. Le meurtre fut accompli, on y et demie environ ; avec une superbe pieuvre prise le matin même, quelques taros et bananes, notre repas copieux et succulent. s'annonçait ajouta deux poules Je proposai pour attendre midi d'aller aux grottes de 116 NOA Mara que j'avais nulle idée de les visiter. NOA laissé souvent ma route sur sans Un jeune garçon, trois jeunes filles, Tehura et moi. La bande au complet partit joyeusement, pour faire ce petit Cachée grotte : la grotte trajet presque n'apparaît accident pur écartez et vous les yeux sant qui règne fond semble au des goyaviers, la sur le bord de la route que comme un de rocher rien, plancher tout près. entièrement les branches, de hauteur était par se qui serait laissez-vous Mais d'un mètre glisser êtes dans un trou ont perdu détaché. le souvenir obscur. Ce n'est du soleil éblouis- une grotte dont le une petite scène de théâtre, sans rideau, très rouge, distante environ de cent dehors; ils voient mètres. Sur les parois, de chaque côté, d'énormes serpents, du moins ils semblent tels, glissent lentement pour venir boire à la surface de ce lac intérieur. Ce sont des racines qui se font jour dans les fissures 4u roc. Je propose la baignade, mais sans succès : on me répond que l'eau est très froide. De longs3conciliabules à l'écart, siste. Enfin légers tous puis les jeunes vêtements; des rires qui m'intriguent. J'in- filles se décident, quittent leurs les paréos à la ceinture nous voilà à l'eau. Ce n'est qu'un cri général (toe toe) ; l'eau éclabousse LE CONTEUR PARLE 117 de partout puis l'écho répète Toe toe. « Viens-tu moi », dis-je à Tehura, et je désigne le fond. « Tu es fou? Là-bas, très loin... et les anguilles ne va jamais avec ! On là. » Et ondulante, l'eau de gracieuse, sur le bord elle se jouait comme une jeune personne fière de son adresse à la nage. Le coeur serré route fier étrange aussi d'aller je me suis mis en Par quel de natation. seul, de ma science le fond phénomène toujours tout de moi à mesure de la grotte s'éloignait-il vers lui. que je me dirigeai et de chaque côté les serpents me voir flotter avec ironie. Je crus un instant toujours J'avançais regardaient encore la tête ; plus précisément sortit au-dessus de l'eau pour me défier. Sornettes que tout cela — les tortues de mer ne séjournent pas dans une grande tortue l'eau douce. . Suis-je donc devenu fou ou plutôt complètement Je ne sais à ce Maorie, sujet aux croyances fabuleuses. moment vaincre mes doutes et j'ai presque peur. Tout au moins de l'appréhension. devant Et ces ondulations moi. Les anguilles H faut surmonter ! à pic avec élan pour cette terreur connaître et je me laisse couler le fond : je n'y arrive Je n'ai pas même touché le sol du pas, je remonte. talon pour redevenir fort. Tehura me crie : Reviens. 118 NOA Je me retourne et je NOA la vois très loin ; par quel ce sens va-t-elle à autre la distance dans phénomène l'infini : Tehura n'est plus qu'un petit centre lumineux. noir point sur le Cré non... j'en aurai le dernier mot et rageusement Enfin après une heure je nage environ une demi-heure. de route je touche au but. Un petit très ordinaire, plateau un trou béant où cela ? Mystère. Il faut l'avouer, j'ai Je reviens... Tehura seule m'attend. indifférentes Je une prière et nous revenons. de ma compagne, doux, au frottement chaleur crois Tehura Ses compagnes fait l'air reprends peur. sont parties. Tehura A qui va et je vis. remarquer quand je de l'ironie elle dit : Tu n'as Effrontément, je lui répondis. — Nous autres nous Français sur le sourire de pas eu peur ? n'avons Du reste, pas un geste d'admiration jamais de Tehura. peur. Et elle non loin de là que j'aille cueillir quelques tiare odorantes, les lui planter dans la brousse de ses cheveux. La route était belle, la mer superbe, trouva tout Morea en face grandiose vivre naturel Qu'il on a faim, de dévorer au logis. attendait et, quand qui nous et altier. fait le petit bon de cochon LE Les Atouas lui-même des dieux deux fils. père de Tetoua Chacun Nous sont tous supérieurs le premier Oro, PARLE CONTEUR après Mati Tétai Ourou connaissons fils ou petits-fils son père, et qui eut et Ourou Téféta, Raa a ses attributions les déjà : etc. ourou..., de ces dieux 119 oeuvres particulières. de Téfatou, de Mahoui... Tané le septième ciel : c'est-à-dire de ce dieu, qui a donné son nom à a pour bouche que la bouche est l'homme, commence l'extrémité à éclairer restre de la terre. la masse rompit et le divisa ciel par où la lumière la terre. Rii sépara les cieux de l'Océan, du Roui gonfla les eaux solide en innombrables du continent parties ter- qui sont les îles actuelles. de qui Fanoura, au fond pieds descendirent combattre rait la tête touchait aux et Fatouhoui, à Eiva — terre et détruire le cochon et autre de la mer ensemble nues géant, inconnue monstrueux les pour qui dévo- les hommes. Hiro, trous géants dieu des voleurs, dans les rochers. retenaient dans faisait Il délivra un lieu avec ses doigts une vierge enchanté. Il des que des arracha NOA 120 d'une seule main lieu criminel, Les Atouas travail NOA les arbres et le charme inférieurs qui au jour cachaient le fut rompu. à la vie s'intéressent et au des hommes. Ce sont les Atouas : Maho, dieux requins, patrons ; Pého, dieux et déesses des vallons, patrons des chanteurs, des comédiens et des danseurs ; Raaou, patrons des médecins ; No Apa, dieux auxquels afin d'être protégé par eux on faisait des offrandes des navigateurs contre les maléfices et les enchantements ; O Tanou, dieux des laboureurs ; Tané Sté Hua, patrons des charpentiers et des constructeurs ; Minia et Papea, patrons des couvreurs; Matatini, patrons des faiseurs de filets. sont les dieux domestiques Les Oromatouas : dieux lares. Ils sont de deux espèces : Oromatouas proprement dits et génies. Les Oromatouas maintiennent punissent les fauteurs la paix dans les familles. Varua âmes des hommes Taata, de querelles, Ce sont : les et des femmes morts les Eriorio, âmes des enfants famille; morts en bas âge et de mort naturelle; les Pouara, âmes des enfants qu'on tuait à leur naissance et qu'on supposait revenir dans le corps des sauterelles. dans chaque Les génies sont des divinités en quelque sorte supIl choisit posées ou sciemment imaginées par l'homme. tel être ou tel objet qui s'offre à sa vue, sans choix ou LE du moins CONTEUR sans apparent PARLE 121 de choix motif et à cet être ou attribue le sens divin : le requin, à cet objet par exemple, deviendra dieu pour le Maorie qui lui confiera et qui, dès lors, le consultera ce sens symbolique, dans toutes les circonstances et les légendes historiques voit les dieux se transformer probable indienne. que les Maories Les chants importantes. abondent en fables où l'on en animaux. ont connu Il est très la métempsycose viennent au derAprès les Atouas et les Oromatouas nier rang de la hiérarchie céleste, les Tiis. Ces fils de Taaros et de Hina (la lune) sont très nombreux. Esprits inférieurs aux dieux, étrangers aux hommes, ils sont dans la cosmogonie entre les intermédiaires maorie, êtres organiques défendant et les êtres inorganiques, les droits de ceux-ci et leurs pouvoirs, et leurs prérogatives contre toute usurpation. Voici leur origine. Dormait Taaroa avec Hina, et d'eux naquit Tii. Dormait Tii avec la femme Ani [Désir) et d'eux sont nés Désir de la nuit, messager des ténèbres et de la mort ; Désir du jour, vie ; Désir des dieux, Désir des hommes, Sont nés ensuite animaux, aux messager de la lumière et de la célestes j messager des intérêts humains. messager des intérêts : Tii plantes; de l'intérieur Tii du dehors qui qui veille garde aux les 122 NOA êtres de la mer ; Tii et les choses terres mouvantes Sont nés plus NOA des rivages et des ; Tii des rochers et des terres solides. tard encore : Evénement de la nuit, ; Flux et Reflux Les images des Tii étaient placées aux des Maraes (temple) et limitaient l'enceinte extrémités Evénement le Donner sacrées. détruit deur. du jour ; Aller et le Recevoir; L'invasion et dont ils furent des terres et le monothéisme ont civilisation qui eut sa granà notre contact le sens ils ont perdu Aujourd'hui de l'accord vie d'une ; le Plaisir. européenne ces vestiges naturel, et Revenir si richement pourtant doués, des créations humaines avec la — Ce sont maintenant, — et végétale. nécessaire animale maintenant qu'ils ont étudié vages, beaux eux-mêmes d'art, mais, au à notre comme moral comme des sau- école, des au chefs-d'oeuvre sté- physique, riles... une place importante dans les « spécu» des maories. lations il y Autrefois métaphysiques avait de grandes fêtes en son honneur, et elle est souLa lune tient vent invoquée Mais il" serait buait à Hina dans les récits difficile traditionnels de décider dans l'harmonie des Aréois. si le rôle du monde qu'on attriétait positif ou négatif. Le lecteur et de Téfatou se souvient que nous sans doute du dialogue avons rapporté plus d'Hina haut. LE CONTEUR 123 PARLE De pareils textes offrent une belle matière aux exéréunir et commenter la Bible océagètes qui voudront Ils nienne. fondée y trouveront sur l'adoration commun à toutes maories sont, les éléments des forces les religions de la nature, primitives que je me contente le soin de vérifier appartient points, d'abord d'indiquer religion — trait : tous les dieux en effet, les personnifications Mais ils semblent se particulariser éléments. C'est d'une des divers : aux en deux savants l'hypothèse. qui désigne les deux prinde la vie pour ensuite les cipes uniques et universels résoudre en une suprême unité. L'un, âme et intelliet matériel gence, Taaora, est mâle ; l'autre, purement constituant est femelle la netteté en quelque sorte le corps du même Dieu, : c'est Hina. Hina n'est pas le nom de la Lune seulement. Il y a Hina de l'air, Hina de la mer, Hina de l'intérieur. Mais ce nom n'appartient qu'aux éléments de l'air et de l'eau, de la terre et de la lune : le soleil et le ciel, la lumière et son empire — sont Taaroa. Et malgré cette netteté de la distinction entre la matière cevoir et l'esprit, il semble bien qu'on puisse l'unité de substance dans cette proposition aperfon- grand et genèse maorie : l'univers sacré n'est que la coquille de Taaora. Cette naïve adoration de la nature se singularise donc par un pressendamentale timent de la philosophique assez rare chez les primitifs. NOA 124 Dans les unions successives NOA de Taaora avec les diverses d'Hina nous reconnaissons bien l'action représentations et variée du soleil sur les éléments, et dans perpétuelle de ces unions, la modification que la lumière et la chaleur ne cessent de faire subir à ces mêmes élé- les fruits ments. On retrouve la sous des symboles multiformes, à des latitudes très différentes. Mais même conception la cause génératrice, la matière et le fruit, la mu et le mouvement lui-même, fécondée cause motrice, l'objet la matière et la vie ne font l'esprit, trait spécial et qui, je crois, mérite qu'un l'attention : voilà le des pen- seurs. : les maories voyaient Second point intéressant dans le la lune le terme des êtres périssables, ou plutôt qui, sans être la vie elle-même, symbole du mouvement à l'infini ; quelque chose en est le signe et le reproduit féminin, tandis que dans la terre et dans l'homme ils semblaient — car il est difficile d'oser ici rien affirmer — voir un point acquis dans l'évolud'essentiellement tion de la vie et qu'elle doit dépasser. En écrivant ce mot : évolution, soit j'y songe, et, si bizarre qu'il la grande théorie occidentale aux adorad'attribuer de Taaora, je ne puis m'empêcher d'en discerner la trace dans ces mots : « la terre finira, l'homme mourra... la lune ne finira point... l'homme dut mourir. » teurs En dépit des phases de la lune et peut-être à cause de LE leur succession tuel mouvement, CONTEUR où ils voyaient ils des choses nombre PARLE un principe ne périt. mis l'astre éternelles. Elle ne s'éteignait la matière, Hina jours, toujours s'unissant maorie des résultats se transforme affirme aussi ; Taaora, la matière avec elle, engendrera et l'homme féconde qui excellence, au que et rien la ma- que la matière durera l'esprit est tou- en mouvement, à nouveau toujours et son habitation de l'union lunaire que pour renaître; selon les lois qui donc, par sollicitera vie. Mais l'homme la terre en qui tout représente tière, et la doctrine éternelle. Le soleil de perpé- avaient elle ne mourait pour se rallumer, et il en serait ainsi perpétuellement, gouvernent 125 terrestre, de Taaora ne constituent et la qui sont avec Hina, qu'un épisode dans le poème universel de la vie, la terre finira et l'homme mourra Il est difficile, pour ne pas renaître. en laissant la pensée poursuivre sa course avec ces mots : la lune ne finira lune symbolise point, interdit supérieur formes points que la à toujours fécondable par les de ne pas conclure qu'à lumineux, la matière rayons de l'esprit la terre disparue, à l'homme dera dans un nouvel habitat nous et en se souvenant mort pour jamais un être nouveau. succéRien ne sera que cet être nouveau détrône : — n'est-ce pas une des — A d'autres de l'évolution? de supposer à celui qu'il de la théorie de vue moral et historique, le dialogue d'Hina 126 NOA et de Téfatou serait NOA susceptible de toutes différentes Le conseil de la Lune-Femme serait le interprétations. de la faiblesse féminine conseil trompeur qui ne sait pas que seule la mort garde les secrets de la vie. La de Téfatou réponse grand esprit de sa race, serait une prophétie nationale : un des anciens jours avait analysé la vitalité pressenti dans son sang les germes de la sans possible renaissance, elle et il disait : Tahiti mourra, mort, sans plausible salut, mourra pour ne pas renaître. Unité attendu de substance, théorie de l'évolution ; qui se fut à constater dans la pensée de ces ci-devant cannibales les témoignages d'une si haute culture ? J'ai conscience de ne rien ajouter à la vérité. La pourtant ne saurait être contestée. bonne foi de Morenhout Il est vrai que Tehura ne se doutait guère de toutes abstruses et qu'elle s'obstinait ces spéculations à voir dans les étoiles tupapaus filantes des génies errants. en détresse, des et dans le même Inconsciemment, esprit que ses ancêtres, comme ceux-ci pensaient que et que les Atouas, nés de le ciel est Taaora lui-même, Taaora, sont aussi des éléments célestes, elle attribuait aux étoiles la sensibilité humaine. Je ne sais jusqu'à la plus positive aurait à souffrir quel point la science de ces imaginations poétiques, je ne sais jusqu'à point la science la plus élevée les refroidirait. quel LE Tehura parlait d'une plutôt CONTEUR PARLE 127 d'une mystérieusement société à la secrète, fois secte, ou religieuse et et dont l'influence fut capitale dans les Iles politique aux temps anciens de la grandeur féodale : la Société A travers des Aréois. mais empreints l'enfant, reur les discours d'un sentiment et de vénération, institution grande, avait revêtue un peu confus démêlais je singulière, d'un caractère de intense de ter- le souvenir d'une redoutable, que l'antiquité sacré. Je devinais une tra- pleine de crimes augustes ; la vertu cachée d'un mythe difficile à interpréter, d'un secret bien gardé. de mystères, de la société s'enveloppât Que l'origine gique histoire j'en étais sûr à l'avance légende de cette avaient varié trouver mais le thème origine, leurs je voulais venu chercher Quand Tehura je m'informai m'eut de toutes à reconstituer parvins sur lequel Peut-être rêveries. richesses une des plus importantes que j'étais connaître la les siècles allais-je y spirituelles à Tahiti. dit à ce sujet ce qu'elle parts ' : trame et voici fabuleuse le récit savait, que je sous laquelle la vérité ne se montre qu'à demi. historique Oro, fils de Taaora et, après son père, le plus grand des dieux, résolut un jour de se choisir une compagne parmi / les mortelles. Tiré de Morenhout. Il la voulait vierge et belle, ayant NOA 128 le dessein de fonder avec NOA elle, dans la foule des à toutes et privilégiée. hommes, une race supérieure Il traversa donc les sept cieux et descendit sur le Paia, haute montagne de l'île de Bora Bora, où habises soeurs, les déesses Téouri taient trois revêtirent la forme humaine rier, et ses soeurs, en jeunes filles, les Iles pour tâcher d'y découvrir baiser divin. Oro Paia et Oaaoa. Tous : Oro en jeune guerdécidèrent de visiter la créature digne du en posa sur le sommet l'arc-en-ciel, une extrémité et l'autre sur la terre : ainsi saisit soeurs et le dieu traversaient les vallées du ses et les flots. Fastueux et charmants, dans les différentes lies où des les trois voyageurs on les accueillait, donnaient fêtes splendides, accouraient toutes les auxquelles femmes ; et Oro les considérait. Mais son coeur s'emcar il se faisait aimer, il n'aimait plissait de tristesse, pas. Aucune des filles de l'homme temps le regard du jeune guerrier. en vains consumés jours efforts, retourner de Bora longEt après bien des à il se disposait aux cieux, quand il vit à Vaïtapé, dans l'île belle qui se Bora, une jeune fille étrangement au petit lac nommé Avai-Aia. baignait Elle était de haute stature dans l'or tandis l'amour ne retenait de sa chair sommeillaient et le feu du soleil brillait que tous les mystères de dans la nuit de ses cheveux. LE CONTEUR PARLE 129 Oro, charmé, pria ses soeurs d'aller parler pour lui à la jeune fille pendant qu'il se retirerait, pour attendre le résultat Les de leur en déesses, sa beauté district — ainsi votre peut n'êtes frère venir Téouri : Vairaumati et Oaaoa Aussitôt table plus chargée de fruits s'aimaient. sommet aller Chaque du Paia; dormir humaine et forts chez ne devait, dit : si n'importe, et s'il est beau, il au Paia sans) tarder était attendu. qu'il comme les pour et un lit formé les plus riches. fines et des étoffes mer, gracieux — sera sa femme. préparé Et sous les tamaris ils Mais remontèrent avait fille et leur Oro, Vairaumati à si tu consens l'arc-en-ciel replaçant à Vaitapé. fois, redescendit mière la fille, la jeune est jeune à leur frère pour apprendre demander d'Avanau. est un chef, s'il jeune vequ'elles Bora. — Notre attentivement point du Paia. dire se nommait les étrangères — Vous et lui de Bora te fait frère, ajoutèrent-elles, devenir sa femme. examina de la approchant louèrent saluèrent, de Avanau, naient Vairaumati sur le sommet ambassade, la pre- recevoir une des nattes les au bord de la et les pandanus, tous les deux, tous deux divins, matin, chaque soir Vairaumati désormais, le dieu retournait il en redescendait : nulle autre le voir sous au pour créature les appa9 NOA 130 NOA rences mortelles. Et toujours, entre le Paia et Vaitapé, lui servait de passage. l'arc-en-ciel Or bien des lunes avaient lui et s'étaient éteintes la que, dans les sept cieux désolés, on ignorait d'Oro. Deux autres fils de Taaora, Orotéfa et retraite Ouretefa prenant à leur tour la forme humaine, partidepuis rent à la recherche ils exploLongtemps les différentes îles. Enfin, dans rèrent sans résultat le jeune dieu, assis avec Bora Bora, ils aperçurent à l'ombre du mango sacré. Vairaumati, Ils jeune furent de leur frère. tellement femme qu'ils émerveillés n'osèrent de la beauté l'aborder sans lui de la offrir Orotéfa se métamorphosa donc en quelques présents. truie et Ourétéfa en plumes rouges ; puis redevenant eux-mêmes bien que la truie et les plumes aussitôt ils s'approchèrent des deux amants, ces persistassent, présents dans les mains. Oro et Vairaumati reçurent les deux augustes voyageurs. joyeusement La nuit même la truie le premier Le second fut sacrifié on réserva mit bas sept petits desquels ultérieure. pour une destination aux dieux ; le troisième à l'hospitalité et offert aux étrangers; prit le nom de « cochon de l'hécatombe de l'amour gardés portée. pour » ; le cinquième multiplier et le sixième l'espèce, jusqu'à consacré le quatrième en l'honneur durent être la première LE Enfin on rôtit CONTEUR PARLE tout entier 131 sur des cailloux chauds le septième, à la mode maorie, et on le mangea. alors dans les cieux. Les frères d'Oro retournèrent Quelques semaines qu'elle était enceinte. Oro prit qu'on aussitôt tout avait ensuite Vairaumati avertit Oro le premier d'abord des sept cochons, celui mis à part et se rendit à Marae, temple du dieu Vapoa. Là il trouva un homme nommé Mahi à qui il remit le cochon en disant : — Mau maitai oe teinei bouaa (prenez et gardez bien ce cochon). Et le dieu ajouta avec solennité!... — C'est le cochon sacré. Dans son sang sera teinte de moi. Car en qui viendront ce monde je suis père. Ces hommes seront les Areois. Pour moi je ne puis rester ici davantage. Mais vous, je vous nomme Areois. la ceinture des hommes Mahi alla voir le chef de Raiatéa et lui conta l'aven- et, ne pouvant garder le dépôt sacré sans être l'ami du chef, il lui dit : — Mon nom sera ie vôtre et votre nom sera le ture mien. Le chef consentit et ils prirent en commun le nom de Taramanini. Cependant Oro, étant revenu lui déclara qu'elle accoucherait merait Haa Taboulé Rai (l'ami auprès de Vairaumati, d'un fils qu'elle nomsacré des Cieux), mais 132 NOA que, pour lui, les devait la quitter. Se changeant de Pirireré étaient l'air colonne Bora. Là son épouse éplorée haute de Bora montagne et le peuple de vue. le perdirent Haa Tabouté Rai fut un grand de feu, jusqu'au-dessus majestueusement est la plus qui et qu'il accomplis alors en une immense dans il s'éleva temps NOA saisi d'éton- nement de bien aux hommes. elle-même raumati A sa mort, prit chef et fit beaucoup il fut rang parmi au ciel, où Vai- les déesses. Oro pourrait bien être quelque Brahmine égaré qui — à quelle apporta dans les Iles de la Société époque ? — la doctrine J'ai déjà indiqué, de Brahma. dans la des traces religion océanienne, indienne et il est très probable doctrine le génie philosophique capables de comprendre esprits eux et s'associèrent l'écart naturellement autres hommes et politique gatives et pour pratiquer du vulgaire. maorie s'éveilla. se reconnurent entre race d'aspirations plus hautes, en main le gouvernement religieux fondèrent Bien qu'ils Les les rites ordonnés, à Plus éclairés que les des Iles, s'arrogèrent dans l'histoire étaient métempsycose qu'à la clarté de cette de leur bientôt ils prirent de la d'importantes une féodalité très forte de l'Archipel, n'aient vraiment la période pas connu savants. Ils préroqui fut, la plus glorieuse. l'écriture, passaient les Areois des nuits LE CONTEUR PARLE 133 à réciter mot à mot, scrupuleusement, d'antidont le texte ne pourrait être fixé par ques traditions l'écriture et traduit qu'au prix d'un travail assidu de entières plusieurs années. Ces paroles des dieux, ils ne pouvaient ajouter que des commentaires, en donnant aux Areois la certitude d'un centre et l'habitude de la méditation, les décoraient d'une grandeur plus courbait toutes les têtes eux-mêmes qu'humaine dont le prestige autour d'eux. Je ne sache rien, péenne, de plus majestueusement dans l'histoire euro- que cette compagnie militaire religieuse de laquelle toute puisde sance émanait au nom des dieux, dans l'intérêt l'Etat, décrétait la vie et la mort. Les Areois enseignaient que les sacrifices humains redoutable sont agréables aux dieux et sacrifiaient dans le Marae tous leurs enfants, sauf le premier né. C'est là ce que symbolisent les sept cochons de la légende qui sont tous mis à mort sauf celui qu'on garda pour perpétuer la race. barbare, à laquelle tant d'autres se sont soumises, devait avoir peuplades primitives une cause profonde, sociale, et d'intérêt général. Chez des races très prolifiques, comme fut autrefois la race Cette obligation de la population illimité Maorie, le développement constituait un danger suprême. Sans doute la vie dans les Iles était facile et il ne fallait pas à chacun beaucoup NOA 134 d'industrie y trouver pour le territoire, NOA le vivre Mais et le couvert. et qu'environnait se fut bientôt la mer infranchissable, naturellement la mer immense, restreint dérobé sous les pieds d'un peuple sans cesse multiplié. La mer n'eût pas donné assez de poisson ; la forêt n'a peut-être jamais assez de fruits. L'anthropophagie eu d'autres causes excès de population, d'autre solution par les et j'ose dire que, sous des formes on n'a jamais diverses, amenées que les famines donné au problème de Malthus Littéralement que l'anthropophagie. ou symboliquement, toujours les hommes trop pressés sur un point quelconque de la terre se sont dévorés entre eux. L'émigration, quand elle n'est pas elle-même un des masques de la mort, ajourne la solution innombrables du problème en déplaçant ne pouvaient recourir qui tèrent donc l'enfant. Peut-être, il fallut pour changer parvinrent l'autorité probablement l'horreur déjà éprouvé sur ce point dont ils étaient L'infanticide au meurtre même, de avaient-ils et, sans une extraordinaire énergie les moeurs nationales. s'imposant religieuse Maories, de l'anthropophagie aux Aréois qu'en Les à ce parti dilatoire, adople radical : pour s'épargner un système de l'homme, ils se résignèrent meurtre doute, les facteurs. au peuple et de traditions Ils n'y à la faveur de très anciennes les dépositaires vénérés. fut longtemps pour la race un moyen LE de sélection. CONTEUR La force PARLE 135 et morale, physique que donnait au fils de la jeunesse, au premier droit né, ce terrible d'aînesse qui était le droit même à la vie — entretenait les vertus dans le peuple constant, spectacle n'était pas non Les guerriers nation la fréquentation plus entière qui la défendait assidue le bénéfice contre Le de la mort d'une intense tro- l'engourdissement de sa sieste Le fait perpétuelle. perdit sa fécondité en est que la race Maorie historique et de la fierté. sans utilité. enseignement, à ne point le redouter et la y trouvait qui la suscitait pical, sans y apprenaient tout émotion de la force : si ceci ne fut à ses tragiques coutumes renonçant est inquiépas la cause de cela, du moins la coincïdence tante. . Dans la société institution plus sacrée. Nous sacrée, simplement L'emploi enfants des Aréois, avons la prostitution était une changé cela : elle n'est plus obligatoire sans caractère qui l'excuse — elle est tout se transmettait des pères aux elle n'est ecclésiastique ou l'ennoblisse. et les enfants tout petits. s'y exerçaient La Société était divisée, à l'origine, en douze loges les douze premiers qui avaient pour grands maîtres Aréois. des grades inférieurs, et enfin Puis venaient des apprentis gnaient par Aréois. Les dignitaires se dési- aux bras, aux particuliers aux épaules, aux jambes, aux chevilles. des tatouages côtés du corps, divers 136 NOA NOA été conduit à parler dale de Tahiti à l'époque reculée vernaient, veux Puisque j'ai je ajouter ments sur les cérémonies nation d'un Tout où les Aréois ici, féo- le gou- renseigne- |quelques la nomi- qui accompagnaient roi. ceci est du lointain. Le nouveau vêtements de la grandeur chef sortait de l'île et précédé dans leurs de tous des principaux cheveux Il se rendait de son palais, entouré somptueux, avec Matamua Autrefois. Aréois les plumes les plus son cortège ! couvert de les dignitaires qui portaient rares. au Marae. En l'aper- les prêtres, qui l'attendaient sur le seuil, proà grand bruit de trompettes clamaient et (coquillages) de tambours que la cérémonie Puis, précommençait. cédant le roi et sa suite dans le temple, ils plaçaient cevant, une victime humaine Le roi et les prêtres morte récitaient devant l'image du dieu. et chantaient ensemble des prières. à la victime Après quoi le prêtre arrachait les deux yeux : il déposait l'oeil droit devant l'image l'oeil gauche au roi, qui ouvrait! la du dieu et offrait bouche comme aussitôt pour On plaçait pour l'avaler. le joindre ensuite Mais au reste la statue le prêtre le retirait du corps. du dieu sur un brancard LE CONTEUR que les prêtres sculpté roi, assis sur ne cessaient du tambour et le nouveau devant, jusqu'au au départ. derrière. marchait prêtres battre comme 137 de quelques l'idole des Aréois peuple portaient les épaules processionnellement pagné PARLE Tout de sonner chefs, suivait accom- rivage, La multitude le long du du chemin, de la trompette les et de en dansant. la pirogue sacrée, ornée pour Au rivage on trouvait cette solennité de branches vertes et de fleurs. Après y avoir introduit l'idole, le grand prêtre on ôtait ses vêtements au roi que nu, dans la mer. Le peuple venaient Mao (dieux requins] conduisait, que les Atouas caresser et laver le roi dans les flots. Quelques instants après, le roi, consacré par ce baiser de la mer, montait croyait dans la pirogue autour des reins Taoumata, Alors, sacrée, où le grand le Maro bandeaux debout sur Roi se montrait son long silence Ourou significatifs l'avant au peuple et faisait lui ceignait prêtre de la tête la et autour de la souveraineté. de la pirogue qui, retentir à cette sacrée, le vue, rompait de toutes parts le cri (vive le Roi). d'alléde ce premier mouvement Quand le tumulte gresse était apaisé, on plaçait le roi sur le lit sacré où du dieu et on avait été apportée du Maraé l'image : Maeva d'usage reprenait ordre Arii le chemin processionnel de Maraé, à peu près dans le même qu'on avait suivi pour en venir. NOA .138 NOA le Les prêtres portaient le dieu, les chefs portaient Roi ; les prêtres ouvraient la marche avec leurs musiques et leurs danses tenant, s'abandonnant Maéra et le peuple suivait. Mais main- il ne cessait de crier : à sa joie, Arii. L'idole était solennellement rétablie sur l'autel; la se terminait fête religieuse là. La fête populaire allait commencer. alors est difficile ce point, à décrire. comme sur tant dans un but qu'on devine, ancêtres de leurs ouailles... Ce qui se passait Mais je soupçonne que, sur les missionnaires, ont légèrement calomnié les d'autres, Le roi, couché sur des nattes, hommage du peuple ». Plusieurs femmes, entièrement des danses lascives, diverses parties à se préserver Voilà, sera-t-il recevait « le dernier hommes nus, entouraient et s'efforçaient et plusieurs le roi en dansant de le toucher de leur corps, si bien qu'il avait des plus obscènes souillures. de peine sans doute, des scènes bien scandaleuses. Me de dire qu'elles n'étaient permis pas sans beauté ? Comme avec le ciel, avec Taaora, au Maraé, avec Hina du dehors dans la mer, le Roi communiait enfin avec son peuple dans ce dernier il avait communié hommage. La cérémonie était, certes, brutale et barbare et je conviens qu'elle avait son côté répugnant. Mais jusque dans cette brutalité je perçois de la gran- LE deur : c'est tout CONTEUR PARLE 139 son amour un peuple, qui exprime et cet homme est le Roi. Demain, il pour un homme, sera le maître et il disposera selon son gré des destinées qui se sont assujetties à la sienne. Le peuple n'a qu'une heure, jusqu'aux une heure dernières de liberté frénésies qu'il pousse vite d'une licence épileptique. ? Ce sont des sauvages livrés à Quoi, là, de choquant leur sauvagerie avec l'assentiment des dieux. sacrés Mais les sons de la trompette et du tambour et retentissent tout à coup : c'est la fin de l'hommage de la fête, c'est le signal de la retraite. Les plus forcenés obéissent, tout s'apaise, et c'est dans un respecà son tueux silence que le Roi se lève pour retourner palais, accompagné de sa suite. IX CHAPITRE NAVE Petits tableaux La Souriant Est-ce FENUA cadres. — Épisodes et grands commente les légendes Nature [Prose et vers) lyriques de rêve qui se lève de fleurs dans ces flots de feu d'or au soleil Ce continent Eden, NAVE Eldorado, Floride, un pays qu'on Labrador pourrait voir, ou bien mon rêve ? NOA 142 de la nature Suggestion Mer, les Arbres (la forêt) Hina. silence; Une idole — la : ligne et couleurs — la montagne parfums, impose à l'horizon saisons poids de ses lourdes massive L'immémorial Et les fleurs Et tout NOA à ses pieds ne cessent pas d'éclore, n'est que splendeur et tout que jeunesse, Et l'azur d'où le jour â larges flots s'épanche A l'ombre des buissons, aux heures de langueur, Illumine des seins dorés et des dents blanches Délice Éclate n'est de midi l'Iméné endormi dans les fleurs au bord de la mer; formes (L'Architecture tahitienne.) Joie O drapeau du soleil que l'océan dans les ciels humaines. ! déploie de midi et doré Triomphal O Fleur des Iles, Fleur des Iles fortunées Qui fleures et fleuris loin des races fanées, Terre délicieuse, Riant es-tu le Paradis qui vont parmi Et se font un chemin Est-ce Est-ce un couple un couple le sourire ? des choses dans le hallier des roses d'amants voir, ceux-ci qu'on pourrait réel — ou bien mon rêve aussi ? X CHAPITRE LE environ Depuis PARLE CONTEUR quinze jours, les mouches, rares et devenaient abondaient insupportables. auparavant, Et tous les Maories de se réjouir ; les bonites et les thons allaient çaient la saison travail, à Tahiti. Chacun monter vérifiait du large. de la grande la solidité Les mouches annon- pêche, la seule saison de ses lignes, du des hame- 144 NOA NOA tout le monde s'employait à çons. Femmes, enfants, traîner des filets, ou plutôt de longues barrières en feuilles de cocotier, le long du rivage, sur les coYaux le fond qui garnissent récifs. entre la terre On à prendre ainsi parvient dont les thons sont friands. poissons les Quand demanda mer de la mer pas moins deux furent préparatifs de trois grandes l'avant d'une relevée vivement très et les certains achevés, petits ce qui on lança semaines, ne à la à garnies d'être susceptible pirogues accouplées, grande perche au moyen de deux cordes fixées à l'arrière d'un hameçon et d'un (la perche est pourvue a mordu, il est, de cette appât : quand le poisson dans aussitôt tiré de l'eau et emprisonné manière, la ligne des récifs, et Nous franchîmes l'embarcation). nous aventurâmes loin la tête hors tortue, Tous les pêcheurs Nous arrivons de l'eau, étaient à côté des grottes Je vois encore qui nous regarde gais et ramaient à un endroit fonde et qu'on nomme effet, au large. une passer. vivement. où la mer est très pro- le Trou aux thons. de Mara 1,dit-on, C'est là, en que ces pois le coïncidence de nom avec Mara, la mort, et par extension en Orient Indien (histoire de Buddha). Tous péché, que vous retrouve» ces buddhas, antérieures, après avoir passé par une foule d'existences naissent dans TAsie centrale d'une mère qui meurt sept jours après leur de naissance. Ils prêchent tous la même doctrine, et tous ils triomphent le péché. .Mara, la mort, et par extension l. Curieuse LE PARLE CONTEUR 145 inaccessons, la nuit, vont dormir, à des profondeurs sibles aux requins. Un nuage d'oiseaux de mer plane au-dessus du trou, surveille les thons. Quand un poisson apparaît à la se laissent tomber à la surface, les oiseaux remontent avec un lambeau de chair au bec. Dans la mer et dans l'air de tous côtés on médite et jusque répondu que c'était le dieu de la mer. Je pressentais impossible et sur nos pirogues, et on l'accomplit. le carnage on ne filait pourquoi Comme je demandais longue ligne de fond dans le trou mer pas une aux thons, il me fut : lieu sacré ! Là réside une légende; j'obtins sans peine qu'on me la contât. Rana Hatou, espèce de Neptune fond des mers, dans cet endroit. tahitien, dormait au Un pêcheur commit d'y aller pêcher et son hameçon s'étant l'imprudence aux cheveux du dieu, le dieu s'éveilla. accroché il monta à la surface pour voir qui avait eu Furieux, ainsi son repos, et quand il vit que était un homme, il décida aussitôt le coupable que toute la race humaine, pour expier cette insulte, péril'audace de troubler rait. 10 NOA 146 NOA indulpar une mystérieuse le seul coupable. précisément Du châtiment pourtant, gence, fut excepté Le dieu lui ordonne d'aller avec toute sa famille sur qui, d'après les uns, est une île ou une les autres, une pirogue, et d'après une le Toa Marama montagne, « arche » '. Quand le pêcheur et sa famille furent rendus à l'enles eaux de la mer commencèrent à droit indiqué, monter. Elles couvrirent monpeu à peu jusqu'aux et firent périr tous lés vivants, tagnes les plus élevées, de ceux qui à l'exception dans) le Toa les Iles. Nous homme enfoncer la perche On attendit, ne venait aux trou sur (ou repeuplèrent thons et un des pirogues pour dans la mer et jeter l'hameçon. durant, aucun thon minutes mordre. thon d'un autre mordit, et le thon parut gros requin sauta rameur fit ployer soulevèrent vigoureux l'arrière le tard, le patron par de longues Ce fut le tour superbe donc désigné réfugiés et qui, plus Marama, dépassâmes fut s'étaient la perche. l'arbuste en tirant à la surface. sur notre et, cette capture fois, un Quatre bras les cordes à Mais aussitôt : quelques un coups — Toa Marama i. Dans Morenhout de la lune », et signifie « guerrier cette étymologie donne â penser que l'influence d'Hina fut pour quelque dans le cataclysme. chose, au moins d'après les croyances populaires, LE des terribles CONTEUR dents, PARLE et nous 147 n'avions plus que la tête de notre poisson. mon tour, C'était l'hameçon. le patron bout de très Au me peu fit de signe. Je jetai nous temps, — j'entends mes péchions, cette fois, un thon énorme rire entre eux et chuchoter; voisins je n'y pris pas à coups de bâton sur la tête, l'animal, garde. Assommé frémissant pirogue, dans la des spasmes de l'agonie, s'agitait et son corps transformé en miroir brillant de facettes, jetait les éclairs de mille feux. Une seconde fois je fus aussi heureux. Décidément, le Français portait chance. Mes compagnons me félicitaient joyeusement, bien et moi, tout dans ce concert de mon protestant glorieux, de louanges premier exploit, que j'étais je ne disais un homme pas non. de Mais comme lors je distinguai, des chuchotements et des rires inexplicables. La pêche continua soir. Quand la provision jusqu'au de petits poissons amorce fut épuisée, le soleil incenet dix magnifiques diait de rouge l'horizon, thons surla pirogue. On se prépara au retour. chargeaient Pendant qu'on mettait tout en ordre, je demandai à un jeune garçon le sens des paroles échangées tout bas et des rires qui avaient accueilli mes deux captures. Il refusa de me répondre peu le Maorie mais j'insistai, sachant possède de force de résistance, combien comme NOA 148 NOA Mon quand on le presse énergiquement. interlocuteur me confia alors que si le poisson est pris — et c'était le à la mâchoire inférieure par l'hameçon il cède vite cas — cela l'absence infidélité signifie du Tane ; je souris, Et nous Vingt-deux dans la mer, derrière folle autour J'eus maîtres aisée à cause s'oud'une de l'océan bondissaient nous comme curieux. de l'entrée présenter des et le passage Ce n'est point de la barre. que de bien la s'exciter, la sensation après nous approchions La mer y déferle furieusement, est dangereux le devant de la à la lame. pirogue Mais intérêt, les sont adroits, et avec un vif indigènes non sans un peu de crainte aussi, je suivis la manoeuvre Devant flammes ches pour phosphorescent de nous de poissons de la enfonçaient heures récifs. chose il s'agissait rameurs, sillage nos pirogues. : les redoutables poursuivaient, des troupeaux Deux Un vite, vigoureux et les en cadence. course pendant incrédule. tombe bras devancer. vrait vahiné revînmes. La nuit, aux tropiques, pagaie criaient de la qui s'exécuta nous la terre de torches sèches admirable parfaitement. s'éclairait de feux énormes des cocotiers. : sur le sable, mouvants que fournissent les bran- Et spectacle au bord c'était un des flots illuminés, : LE les familles PARLE CONTEUR des pêcheurs nous 149 attendaient; quelques et d'autres cou- figures se tenaient assises, immobiles, raient le long du rivage avec les enfants en jetant des cris aigus. D'un élan la pirogue puissant s'éleva qui sautaient sur le sable. Alors on procéda au partage. Tout notre butin fut de déposé par terre et le patron le divisa en autant parts égales qu'il y avait eu de personnes — hommes, femmes et enfants — pour concourir et à la pêche aux thons et à la pêche aux petits poissons. Cela fit trente- sept parts. Sans perdre fendit le bois, peu de toilette cheur de temps, ma vahiné prit la hache, alluma le feu, tandis que je faisais un et que je me couvrais à cause de la fraî- de la nuit. De nos deux parts sienne crue. l'une fut cuite et Tehura garda la sur les divers Puis, elle m'interrogea longuement incidents de la pêche et je satisfis avec complaisance Elle s'égayait sa curiosité. de tout, contente et naïve, et je l'étudiais sans rien lui laisser voir de mes secrètes Au fond préoccupations. causes s'était plausibles de moi dormir. à Tehura certaine Je brûlais de faire une inquiétude éveillée et ne voulait sans pas une une question, beau me dire : A quoi et j'avais question... bon? Je me répondais à moi-même : Qui sait? 150 NOA Vint NOA l'heure du coucher, et, quand nous fûmes tous deux étendus côte à côte, je dis tout à coup : — Tu as été bien sage. — Oui. — Et ton amant d'aujourd'hui, — Je n'ai pas eu d'amant. — Tu mens, le poisson a parlé. Tehura avait se leva et me considéra un caractère à ton goût ? était-il fixement. de mysticisme qui m'était inconnu et dont je n'aurais pas cru susceptibles ses traits d'enfant. Une atmosphère nouvelle venait inouï Son visage et de majesté de se créer dans notre petite case et je sentais s'élevait entre nous. Oui, d'auguste de la foi, j'attenmalgré moi je subissais l'ascendant dais l'avertissement d'en haut, et tout en faisant un que quelqu'un rapide et pénible retour sur les petitesses de notre ardentes comparées aux certitudes croyance et fût-ce d'une superstition quelconque, doutais pas que l'avertissement ne dût venir. scepticisme Tehura, au milieu Sauvez-moi d'une je ne doucement, alla fermer la porte, et, revenue de la chambre, fit à haute voix cette prière : ! sauvez-moi ! Il est soir ; il est soir des Dieux. Veillez près de moi, ô mon Dieu près de moi, ô mon Seigneur Gardez-moi des enchantements ! et des mauvais conseils, LE Gardéz-moi PARLE CONTEUR 151 de la mort subite, du mal ou de maudire De souhaiter ; menées ; Et des querelles pour le partage des terres, Que la paix règne bien autour de nous, contre le guerrier O mon Dieu ! gardez-moi Gardez-moi des secrètes furieux, Contre Qui Dont celui qui erre furieux, se plaît à enrayer, les cheveux sont toujours hérissés. Que moi et mon esprit vivent, O mon Dieu ! Ce soir-là je priai presque. Sa prière finie, elle s'approcha de moi, et me dit avec des larmes dans les yeux : — Il faut me battre, beaucoup me frapper. Et devant ce visage résigné, ce corps merveilleux, j'eus la vision d'une Que mes mains osaient se lever parfaite idole. soient à jamais si elles maudites sur un chef-d'oeuvre de la Nature ! du vêtement nue, elle me semblait recouverte de pureté jaune orangé, du manteau or de Bhixu. Belle et fleur dorée, dont le Noanoa tahitien embaumait, Ainsi !... qu'en moi l'homme adorait comme l'artiste Elle répéta : — Il faut me battre, beaucoup me frapper, sinon tu et tu seras malade. seras courroucé longtemps Je. l'embrassai, et mes yeux qui maintenant l'admi- 152 NOA NOA raient sans défiance, disaient les paroles de Bouddha. « Oui, c'est par la douceur qu'il faut vaincre la violence ; par le bien, le mal ; par la vérité, le mensonge. » Je dus lui paraître bien étrange. Plus étrange encore me parut Tehura toute cette nuit divine. Le jour se leva radieux. Dès la première heure, belle-maman nous apporta quelques cocos frais. Du regard elle interrogeait Tehura. Elle savait. Avec un jeu très fin de physionomie, — Tu as péché hier ? Tout s'est bien Je lui répondis : — J'espère bientôt recommencer. elle me dit : passé ? CHAPITRE LE CONTEUR Il me fallut rieux de famille revenir XI ACHEVE en France. me rappelaient. terre hospitalière, Adieu, terre liberté et de beauté ! je pars SON RECIT Des devoirs impé- délicieuse, patrie de avec deux ans de plus, 154 NOA NOA rajeuni de vingt ans, plus barbare aussi qu'à l'arrivée et pourtant plus instruit. Oui, les sauvages ont enseigné bien des choses au vieux civilisé, bien des choses, ces ignorants, reux. de la science de vivre Quand je quittai et de l'art d'être heu- le quai, au moment de prendre la pour la dernière fois Tehura. Elle mer, je regardai avait pleuré durant plusieurs nuits. Lasse maintenant et triste toujours, mais calme, elle s'était assise sur la les jambes pendantes effleurant de ses deux pieds larges et solides l'eau salée. La fleur qu'elle portait auparavant à son oreille était tombée sur ses pierre, genoux, fanée. De distance en distance, d'autres comme elle regardaient, fatiguées, muettes, sans pensées, la lourde fumée du navire qui nous emportait tous, amants d'un jour. Et de la passerelle du navire avec la lorgnette, longtemps encore il nous sembla lire sur leurs lèvres, ce vieux discours maorie : « Vous, légères brises du Sud et de l'Est, qui vous joignez pour vous jouer et vous caresser au-dessus de ma tête, hâtez-vous de courir ensemble à l'autre Ile ; vous y trouverez celui qui m'a abandonnée, assis à l'ombre de son arbre m'avez vue en pleurs. * favori. Dites-lui que vous TABLE TABLE La Mémoire CHAPITRE CHAPITRE et l'Imagination I. — Songeries II. — Le Conteur CHAPITRE III. — Vivo CHAPITRE IV. — Le CHAPITRE V. — 1 3 parle s • • • 29 51 Conteur parle 59 Moe Pape CHAPITRE VI. — Le CHAPITRE VII. — Parahe CHAPITRE VIII. — Le 75 parle 8t te Marae. 101 Conteur Conteur parle 107 Fenua 141 143 CHAPITRE IX. — Nave CHAPITRE X. — Le Conteur parle CHAPITRE XI. — Le Conteur achève Nave son récjt_^^ . . . i53 ACHEVÉ DÉCEMBRE VINGT NEUF POUR ET CH. LE D'IMPRIMER CENT LES VINGT-TROIS, ÉDITIONS Ci 0, PAR HÉRISSEY, MIL G. CRÈS L'IMPRIMERIE A ÉVREUX TABLE La Mémoire et l'Imagination CHAPITRE I. - Songeries CHAPITRE II. - Le Conteur parle CHAPITRE III. - Vivo CHAPITRE IV. - Le Conteur parle CHAPITRE V. - Pape Moe CHAPITRE VI. - Le Conteur parle CHAPITRE VII. - Parahe te Marae CHAPITRE VIII. - Le Conteur parle CHAPITRE IX. - Nave Nave Fenua CHAPITRE X. - Le Conteur parle CHAPITRE XI. - Le Conteur achève son récit