Doll Story : les poupées de luxe fabriquées « made in Lyon

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Doll Story : les poupées de luxe fabriquées « made in Lyon
LYON ET SA REGION
Société
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Doll Story : les poupées de luxe
fabriquées « made in Lyon »
Lyon.
Jean­Philippe Carry fabrique à Vaulx­en­Velin et distribue en Europe des poupées de luxe commercialisées à partir de 6 300 €.
Le patron de la société Doll Story, basée à Lyon, assure qu’elles ne servent pas seulement d’objet sexuel destiné pour la plupart à des clients masculins.
«O
n ne connaît
pas trop la
crise », glisse
Jean­Philippe Carry, sur un ton
tranquille, dans son show­
room situé dans une petite rue
du quartier de Vaise, à Lyon. En
2014, sa société, Doll Story, a
franchi pour la première fois le
cap des 100 poupées commer­
cialisées en France et en
Europe. Il compte en vendre
130 unités en 2015. Les pou­
pées de Doll Story ne sont pas
les poupées gonflables que des
clients reçoivent à leur domicile
sous pli discret. Elles sont en
vente sur le site internet de la
société au prix de 6 300 €, sans
option. Equipées d’options,
comme le choix du visage ou le
choix de la couleur de la peau,
le prix de ces poupées réalistes
de luxe moulées en silicone
peut atteindre 8 000 €.
Une idée trouvée
au Japon
Jean­Philippe Carry a créé Doll
Story à Lyon en 2006, de retour
du Japon. « Je suis tombé sur
ces poupées à Tokyo. Je suis
revenu avec un contrat d’exclu­
sivité pour la France et
l’Europe », explique­t­il. Au
sortir d’une activité de diri­
geant, Jean­Philippe Carry,
50 ans aujourd’hui, cherchait
« Je vends
un produit de luxe,
un objet d’art, avec
un site internet
élégant. Il n’y a pas
de trash. Je refuse
systématiquement
de vendre mes
poupées dans les
sex shops. Je refuse
aussi de participer
aux salons de
l’érotisme. »
Jean-Philippe Carry
Show-room
Jean-Philippe Carry, entouré
de deux poupées dans son
show-room de Lyon. Premier
prix : 6 300 €.
alors à créer sa propre entrepri­
se. Il s’est allié sur place à Hiroo
Okawa, le patron de 4Woods,
un fabricant japonais de « love
dolls ». Depuis, les deux parte­
naires ont même créé à Vaulx­
en­Velin une unité de produc­
tion qui emploie trois
personnes. C’était en 2011.
Stéphane Guiochon
« C’est du made in France »,
souligne Jean­Philippe Carry,
avec une pointe de fierté. C’est
même du « Made in Lyon ».
Depuis 2011, la présence en
France d’une unité de produc­
tion a not amment per mis
d’amortir les fluctuations de
devises défavor ables aux
clients et de réduire les délais
de livraison. A Vaulx­en­Velin,
la capacité de production peut
atteindre trois poupées par
semaine.
A la création de son activité, en
2006, Jean­Philippe Carry
redoutait d’avoir affaire à des
clients un peu trash. « En réali­
té, pas du tout. Les poupées ont
des fonctions sexuelles, mais ce
ne sont pas seulement des
objets sexuels. Nos clients
s’attachent à elles, prennent du
plaisir à les habiller, à les
maquiller, à les coiffer, à les
prendre en photo », explique­t­
il. Les clients de Doll Story sont
le plus souvent « des hommes
de 40 à 70 ans, seuls, cultivés,
disposant de bons revenus, des
passionnés d’art japonais aussi
et des collectionneurs. L’un
d’entre eux, propriétaire d’un
château en Auvergne, a par
exemple déjà acheté toute la
gamme que Jean­Philippe
Carry pouvait produire pour un
montant proche de 50 000 €.
Les poupées sont allées dans
« la salle des dames » du châ­
teau, située à côté de « la salle
des armes », raconte le patron
de Doll Story. Jean­Philipp
Carry envisage maintenant de
renforcer son offre. Il réfléchit
par exemple à des poupées
« plus petites, plus légères et
moins chères », dotées de nou­
velles fonctions, comme la res­
piration. Doll Story ne connaît
pas trop la crise. 
Frank Viart
« Ils veulent la poupée pour elle­même »
Interview.
Agnès Giard prépare une thèse d’anthropologie sur les love dolls.
Pour elle, aussi bien au Japon qu’en Occident, elles n’ont pas qu’un rôle sexuel.
Vous préparez une thèse
d’anthropologie sur les
« love dolls ». Quelle est leur
place dans la société
japonaise ?
Au Japon, les fabricants de
poupée […] contribuent à
répandre l’idée que la poupée
peut parfaitement, sur le plan
sentimental et sexuel, jouer le
même rôle qu’un humain
[…]. Et pourtant, il ne se vend
guère plus de 1 000 love dolls
par an […]. Le discours domi­
nant, totalement caricatural,
fait de la poupée une femme
de substitution. La réalité,
c’est que les utilisateurs veu­
lent la poupée pour elle­mê­
me, pour ses qualités pro­
pres : les poupées sont des
êtres artificiels, immobiles,
vacants, absents, privés de
cœur et de désir […]. Etant
12

« sans » voix, « sans » désir
propre, « sans » personnalité,
les love dolls ne peuvent que
plaire à des personnes qui
peuvent projeter sur elles,
comme sur un écran de
cinéma, leur propre subjecti­
vité. Le profil des utilisateurs
est difficile à cerner mais il
semble que presque tous (et
toutes, car un nombre crois­
sant de femmes achètent des
love dolls au Japon) présen­
tent ce goût marqué pour les
univers virtuels, univers qu’il
n’est possible d’explorer que
par le biais de corps
d’emprunt […]. Pour résu­
mer, la place des love dolls
dans la société japonaise, c’est
la place que certains accor­
dent, dans leur vie, à la spiri­
tualité. Ce qui n’exclut pas le
sexe, au contraire […].
LE PROGRES - LUNDI 2 MARS 2015
En Europe, les « love dolls »
sont­elles seulement
des objets sexuels ou ont­
elles un autre rôle ?
En Occident, les poupées
grandeur nature de silicone
sont systématiquement appe­
lées real dolls, « poupées réa­
listes » […]. Elles sont aussi
appelées – suivant une appel­
lation plus technique – sex
dolls, « poupées sexuelles »
[…]. On pourrait déduire de
ces appellations que les Occi­
dentaux sont incapables d’uti­
liser la poupée autrement que
comme exutoire sexuel, mais
c’est faux.
Il existe des gaines à pénis
pour la masturbation qui coû­
tent seulement 10 € et qui
sont bien plus efficaces que
les poupées pour se procurer
du plaisir. Les poupées sont

Agnès Giard. Photo Karym Bagoee
lourdes (25 à 50 kilos), iner­
tes, difficiles à plier dans la
bonne position, difficiles à
pénétrer. C’est un vrai casse­
t ê te d ’ avo i r u n e re l a t i o n
sexuelle avec. En tout cas,
cela demande de l’entraîne­
ment. Ceux et celles qui se
procurent une poupée encom­
brante, coûteuse et compro­
mettante ne le font pas pour
ses prestations sexuelles, mais
bien plutôt pour l’effet de pré­
sence […]. 
RHO

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