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Sur les traces des grands auteurs que 111e a ensorcelés ou dans les pas de la jetset qui s'y retrouve rituellement, Capri sait offrir à la fois son âme, son luxe, ses falaises, et sa «privacy». PAR DOMINIQUE DUNGLAS apri est une île qui existe d'abord dans les mots des 3000 livres qu'elle a inspirés. Déjà avant Tibère, empereur orgiaque et misanthrope, elle se nourrissait de mythologie. En permanence entre l'enfer d'un tourisme de masse et ses splendeurs paradisiaques, c'est son âme littéraire qui lui permet d'absorber les contradictions et de renaître.» Bigre! On arrive en fredonnant Hervé Vilard, et Riccardo Esposito, éditeur qui consacre sa vie à la culture de son «île des Sirènes», nous dévie sur les traces des grands auteurs qui ont vécu et écrit à Capri: du Divin Marquis à Pablo Neruda en passant par Marguerite Yourcenar, Graham Greene, Nietzsche, Malaparte, Dickens, Gide, Goethe, Francis Scott Fitzgerald ou Bertolt Brecht. Dans un match imaginaire opposant SaintTropez, joli port de pêche, et Capri, lido des dieux et des écrivains, il n'y a pas photo. Encore que lido est un terme inapproprié. Car, selon la maxime locale, à Capri la mer est une utopie'. Et la grotte Bleue? Et les Faraglioni? Des chromos uniquement accessibles par la mer et vampirisés part les «promènecouillons », les bateaux qui font faire le tour de l'île aux ((barbares», ces touristes pendulaires qui visitent Capri en l'espace d'une journée. En effet, les falaises dolomitiques tombent à pic dans la grande bleue et les deux villages, Capri et Anacapri, sont perchés sur les hauteurs. A moins de posséder ou de louer un yacht tout de même 200 000 dollars la semaine pour les plus grands! ' les visiteurs préfèrent les piscines des hôtels aux rochers escarpés. Et comme dans un sublime snobisme, c'est toute la vie de l'île qui tourne le dos à la mer et cultive un style citadin. Ainsi, à l'heure douce de l'apéritif à la terrasse des cafés de la Piazza UmbertoI, la fameuse «piazzetta » qui est le salon de Capri, point de tenue de plagiste ni de paréo noué sur un maillot de bain. On se croirait... à Milan. Et si un clam pin se risquait à apparaître torse nu, il se verrait immédiatement infliger une contravention par le vigile urbain impeccable sous son casque colonial blanc d'opérette . Le maillot n'est d'ailleurs pas la tenue indiquée pour emprunter, à partir de la piazzetta, la Via Camerelle, qui accueille à elle seule davantage de vitrines de luxe que le faubourg Saint-Honoré et la Via Montenapoleone réunis. Dûment « Pradaïsé », « Rolexisé » et « Toddsisé », on bute au bout de la Via Camerelle sur la terrasse du Quisisana, l'ancien sanatorium devenu le palace 5 étoiles luxe de Capri. Etape incontournable avec ses restaurants et sa piscine avec vue sur les Faraglioni. Si à Porto Cervo ou Portofino les pauvres vont voir les yachts à quai, à Capri ils vont voir les riches siroter des drinks au Quisisana. La vie mondaine et la vie tout court s'organisent autour du palace dont la fermeture, après le dernier week-end d'octobre, décrète le début de l'hibernation. La nuit caprese ne connaît elle qu'une seule étoile: la taverne Anema e Core. Nightclubers habitués des after -hours branchés de New York ou Ibiza, préparez-vous à un choc culturel. Avec son orchestre, Guido Lembo, le maître des lieux, alterne mielleuses ritournelles napolitaines, succès du top 50 et clins d'œil graveleux dans un décor d'hacienda avec roues de charrette aux murs. Avec ces ingrédients un peu rances, Guido fait pourtant prendre une mayonnaise qui a surpris bien des blasés. Ce soir, c'est une grand -mère très chic qui a grimpé sur la table pour se déchaîner aux sons d'une samba sous le regard attristé et gêné de son petit-fils. Mais on a vu à Anima e Core des brochettes d'industriels - Luca di Montezemolo, Diego Della Valle ou Paul Allen (le cofondateur de Microsoft) en tête - la fine fleur du Parlement italien et tout le gratin de Hollywood - Mira Sorvino, Denzel Washington, Julia Roberts ou Tom Cruise pour n'en citer que quelques-uns - se lâcher sans limites sous la houlette de Guido Lembo, et la boîte est considérée comme la plus trendy de la péninsule. Mystère, mystère... A 4 kilomètres de Capri (l'île ne fait que 17 kilomètres de circonférence) se dresse Anacapri. Un linteau de porte datant de l'empereur Auguste et toujours en place dans une maison du village accueille en grec ancien le visiteur: «Citadin, bienvenue au pays du doux farniente». Plus de deux mille ans plus tard, la formule est encore valide. Anacapri est moins snob et plus campagnarde que Capri et elle reste vivante douze mois par an. Elle n'en est pas moins luxueuse. Là encore, la vie s'organise autour d'un palace, le Capri Palace, plus dépouillé et zen que le Quisisana, mais d'un raffinement inouï (pas mal, le pique-nique avec verres en cristal, maître d'hôtel et serveurs au sommet du Monte Solaro ou les croisières sur les deux yachts de l'hôtel!). Dans les rues du village, on trouve encore des boutiques d'artisans et sur la place un radio -crochet a dressé son estrade. A la fraîche, les jeunes tentent leur chance sur les tubes de l'été sous les regards attendris des grands-parents. On pense à la chanson de Nino Ferrer: C'est un endroit qui ressemble [...] à l'Italie. On dirait le Sud...» Anacapri est aussi plus consciente de son héritage culturel. John Grisham et Frederick Forsyth s'y ressourcent pour écrire. Tonino Cacace, le propriétaire du Capri Palace, veut créer un musée d'art moderne et, en attendant, sa fondation amène les enfants du village dans tous les musées d'Europe pour qu'ils s'inventent un autre avenir que vendeuse de magasin . Sur la terrasse du Caesare Augustus - une vue à couper le souffle qui vous fait tutoyer les dieux-, Umberto Eco, Erri De Luca ou le philosophe Massimo Cacciari tiennent de savantes conférences. C'est aussi dans les campagnes d'Anacapri que se nichent certaines des plus belles maisons, comme l'ancienne tour romaine rénovée par Diego Della Valle. D 'Anacapri, il faut absolument pousser jusqu'au phare, à la pointe sud-ouest de l'île. Changement total de décor: le paysage se fait sauvage et lunaire. On se croirait à Lanzarote ou dans la Palma de Majorque du film «More». Et c'est l'ambiance planante de « More » qui se respire au coucher du soleil dans les transats de l'Expo Café. Au pied de l'unique restaurant du coin, le Faro, on peut se baigner. Ne nous avaiton pas dit que la mer est une utopie? Elle le reste. D'énormes vagues battent les rochers et un sauveteur taillé comme une armoire normande et à tête de Poséidon est là à demeure pour repêcher les téméraires. Retour à Capri. Mais pas dans les rues de la movida caprese, sur le sentier qui grimpe vers la villa Jove, l'une des douze demeures de l'empereur Tibère. Derrière les potagers, on entend caqueter des poules (des vraies, pas des cocottes Gucci). Les maisons patinées par le temps et le soleil se nichent derrière un écran de pins parasols, de gigantesques cactus, de bougainvillées et lauriers-roses, de citronniers dégoulinants de fruits lourds, de tonnelles de vigne folle. Chaque jardin est une invitation romanesque. Des voix, des rires. Et si c'était l'écho des artistes qui ont aimé cette terre, l'âme littéraire de Capri? Fermons les yeux. Gorki et Lénine se déchirent sur l'avant -garde russe et le réalisme soviétique, Marguerite Yourcenar et Tibère devisent tendrement du bel Hadrien, Godard fait son cinéma, Malaparte tape le carton avec Graham Greene, Félicien Marceau et Jacques d'Adelsward-Fersen, Maria Callas chantonne. Mais il faut rentrer. Car une grande nouvelle agite le Tout-Capri jet-set: Michael Jackson cherche une maison dans l'île. Il est court, à Capri, le chemin qui sépare le paradis de l'enfer.