P. Vedius Pollio, producteur de vin à Chios et Cos et fournisseur d

Transcription

P. Vedius Pollio, producteur de vin à Chios et Cos et fournisseur d
P. Vedius Pollio, producteur de vin à Chios et Cos
et fournisseur d’Hérode le Grand
Gérald FINKIELSZTEJN
Antiquités Nationales d’Israël, Jérusalem
En 1988, alors que je rédigeais le catalogue des timbres amphoriques trouvés
à Samarie – pour un mémoire inédit pour l’Académie des Inscriptions et BellesLettres rédigé à l’Ecole Biblique et Archéologique Française de Jérusalem, mon
attention fut attirée par un timbre particulier, à l’évidence rédigé en latin, que je lisais
: PEPOL, avec une ligature entre le P et le E. Juste avant l’achèvement de ce travail,
deux exemplaires du même timbre ont été publiés dans le volume des documents
latins et grecs de Massada, en 19891. De plus, je pris connaissance de trois autres
exemplaires de ce timbre, provenant respectivement de Samarie, du palais fortifié de
l’Hérodium et probablement de Césarée Maritime. Les fragments restreints de
branches supérieures d’anses sur lesquelles quatre des timbres ont été imprimés
m’ont fait penser à une production italienne, d’après leur forme cylindrique rappelant
celle des anses d’amphores de Brindes, ce que l’aspect visuel de la pâte ne
contredisait pas absolument. Cependant, l’exemplaire presque complet d’une
amphore de Massada portant le cinquième timbre a permis une identification
radicalement différente. Sa forme correspond en effet à celle d’une amphore typique
de Chios du Ier siècle av. J.-C.2. L’aspect visuel de la pâte de tous les exemplaires,
bien que non réellement spécifique, n’est pas en contradiction avec la forme de
l’amphore : jaune rougeâtre avec, parfois, une mince couverte blanchâtre sur la
surface. L’application d’un timbre latin sur une amphore de Chios (ou peut-être de
ses environs, sur la côte d’Asie Mineure), d’une part, trouvée (jusqu’ici) seulement
sur des sites construits par Hérode, d’autre part, m’ont semblé être tout à fait
1
FINKIELSZTEJN, Amphores et timbres d’amphores importées en Palestine à l’époque hellénistique :
orientations de recherches et premiers résultats, Mémoire AIBL, EBAF, Jérusalem, 1990, vol. II, 1-2
(inédit) ; COTTON H.M. et GEIGER J., Masada II. The Latin and Greek Documents. Jérusalem, 1989.
2
La photo du récipient et le dessin du profil, n’accompagnent pas la photo du timbre, et sa description
ou la classe à laquelle il appartient n’ont pas été mentionnées dans Masada II. La photo de l’anse
timbrée permet d’évaluer seulement la forme allongée de la branche verticale attachée à une épaule
presque horizontale (COTTON H.M. et GEIGER J., Masada II. The Latin and Greek Documents.
Jérusalem, 1989, pl. 48, n° 946). Il serait souhaitable que les savants – épigraphistes comme
archéologues – comprennent qu’un récipient et ses inscriptions – timbres, incisions et tituli picti –
constituent un seul et même document. Heureusement, le volume des trouvailles céramiques de
Massada, incluant les amphores, étudiées par Rachel Bar-Nathan sera réellement sous presse courant
2006. J’ai pu examiner l’amphore pour vérifier les détails du timbre grâce à l’amabilité de H. Cotton,
dès 1990, et je l’en remercie bien cordialement. Le volume sur la céramique de Masada est paru en
mars 2006 : R. BAR-NATHAN, Masada VII. The Pottery of Masada, Jérusalem, 2006. L’amphore MA
2 est analysée et illustrée pages 319-320, Fig. 92, 345, Pl. 60, 8.
123
exceptionnels et mériter une enquête et une publication rapides. Malheureusement, le
report en a été imposé en raison de deux facteurs : 1) l’impossibilité de me référer à
un récipient non entièrement publié, et 2) la nécessité d’entreprendre l’analyse
pétrographique sur tous les exemples pour confirmer l’origine des amphores. En
outre, je n’avais trouvé aucun indice sur un possible développement de la lecture du
timbre – sauf qu’il s’agissait évidemment d’un nom romain –, ni réussi à obtenir des
informations sur l’existence d’autres timbres en latin connus sur des amphores de
Chios.
Cependant, l’enquête que j’ai menée a permis d’obtenir des résultats fort
substantiels et je suis très heureux d’offrir cette première mouture à Joseph Mélèze
Modrzejewski, en reconnaissance de la confiance puis de l’amitié qu’il m’accorde
depuis plus de vingt ans. En effet, c’est en 1984 que Joseph m’a invité à dispenser un
cours sur l’archéologie du Deuxième Temple dans le cadre du Diplôme Universitaire
d’Études sur le Judaïsme (DUEJ) à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne, trois ans
après le début de mes études d’archéologie. Les fabuleuses constructions d’Hérode
tenaient, évidemment, une place de premier rang dans le programme.
I. LES ANSES TIMBREES DES SITES HERODIENS
Comme indiqué ci-dessus, la lecture de chacun des cinq exemplaires est identique :
PEV POL, avec ligature PVE qui m’a été indiquée par A. Hesnard lors d’une visite à
Aix-en-Provence (voir ci-dessous). Cette ligature des trois premières lettres est
formée ainsi : la boucle du P est placée à l’intérieur de la barre gauche du V et la
barre droite de ce dernier est confondue avec ligne verticale du dos du E, selon une
pratique très courante en sigillographie amphorique latine. Les superpositions des
frottis sur papier à cigarette de chacun des cinq timbres que j’ai pu examiner
montrent qu’ils dérivent de deux matrices différentes au moins. Cette conclusion
tient compte de l’impression généralement incomplète de la matrice sur une anse
cylindrique, au coude arrondi. Je n’ai pu examiner un exemplaire des premières
fouilles de Samarie, peut-être différent des autres. Les matrices ont été faites en
argile, cuites au four après gravure du nom, avec des lettres et une lecture inversées
(dites « rétrogrades ») de sorte que la lecture du timbre résultant soit « normale », de
gauche à droite. L’utilisation de l’argile est confirmée par la présence d’un
épaississement intrusif sur la surface d’une des matrices (Matrice A, ci-dessous).
124
I.1. Catalogue
Tous les timbres sont appliqués sur le dessus de la branche verticale de l’anse,
qui est généralement la seule partie conservée.
1) Matrice A
Le timbre issu de cette matrice mesure approximativement 3.5 x 1.0 cm. On
distingue un morceau d’argile sur le bord gauche de la matrice dépassant légèrement
vers l’intérieur. Il n’y a aucun espace ni point séparant les lettres ou les composants
abrégés du nom.
MA1. Samarie – Dessus de l’anse – CROWFOOT J.W., « Potters’ stamps », dans
Crowfoot J.W., Crowfoot G.M. and Kenyon K.M. Samaria-Sebaste III. The Objects.
London, 1957, p. 386 (D 310) = Rockefeller Museum, numéro d’inventaire PAM
33.2359 = FINKIELSZTEJN G., Amphores et timbres d’amphores importées en
Palestine à l’époque hellénistique : orientations de recherches et premiers résultats
(projet de thèse de doctorat), Mémoire AIBL, Jérusalem, 1990, 3 vol., p. 119*-120*,
n° 443. Fig. 1.
___
P̣ṾẸ P̣ỌḶ
Seuls les deux tiers supérieurs des lettres sont imprimés et le L est à peine
lisible. Lecture erronée « BEROA » de Crowfoot.
MA2. Massada – Amphore presque complète – COTTON H.M. et GEIGER J., Masada
II. The Latin and Greek Documents. Jérusalem, 1989, p. 219, n° 946, pl. 48, n°
d’inventaire 5001-61. Fig. 2.
125
___
P̣VE POḶ
La boucle du premier P et seulement la moitié de la barre horizontale du L sont à
peine visibles, suite à une cassure de l’anse. Voir MA3, qui suit.
MA3. Massada – Dessus de l’anse – Cotton H.M. et Geiger J., Masada II. The Latin
and Greek Documents. Jérusalem, 1989, p. 219, n° 947, pl. 48, n° d’inventaire 1047558/1. Fig. 3.
126
___
PṾE POḶ
La ligature n’est pas visible, et seule la barre verticale du L est visible.
MA2 et MA3 ont été incorrectement lus NEPOT[ par les éditeurs, bien que la boucle
du premier P soit clairement visible sur MA3. De plus, ils n’ont pas réalisé que les
deux timbres ont été imprimés avec la même matrice (une conclusion que seule la
superposition des frottis peut permettre de tirer avec certitude). MA2 a été daté en
27-6 av. J.-C. par le contexte archéologique.
MA4. Probablement Césarée Maritime – Eretz-Israel Museum (Ramat-Aviv), n°
d’inventaire MHP 4969. Fig. 4.
___
PṾE POL
La ligature du début et le sommet du L ne sont pas visibles. De tous les exemplaires
illustrés ici, c’est le seul qui fait apparaître le L et démontre la nature latine de
l’inscription.
2) Matrice B
Ce timbre mesure environ 3.3 x 1.2 cm. Le seul exemplaire connu est
entièrement imprimé sur l’anse.
MB1. Hérodium – L’anse est complète (17 cm. de longueur), avec les fixations sur le
col et l’épaule préservées. S. SALLER, « Short Greek and Latin Inscriptions on Small
objects found or preserved in Palestine and Nearby Places », LA XXI, 1971, p. 164,
127
fig. 2:5 (dessin), 171-172 = Musée Franciscain de la Flagellation (Jérusalem), n°
d’inventaire 1845.
___
P̣ṾE POL
Les boucles des P sont plus petites que sur la Matrice A et le L est fait de
lignes plus épaisses que celles des autres lettres de la matrice. La pâte est dite
« rose » et bien cuite, et l’anse identifiée à tort comme rhodienne. Lecture erronée :
OEPOL (bien que la lecture Pepol soit suggérée, mais jugée non satisfaisante par
Saller).
3) Matrice indéterminée
Le dernier timbre ne m’est connu seulement que par la reproduction
schématique de l’inscription et sa matrice ne peut pas être identifiée avec certitude ;
je la croirais volontiers identique à MB 1. L’objet est peut être conservé au Semitic
Museum (Harvard, Etats-Unis). C’est en fait cette inscription qui m’a permis
d’identifier la nature latine de ces timbres.
MI. Samarie – REISNER G.A., FISHER C.S. et LYON D.G., Harvard Excavations at
Samaria 1908-1910, Cambridge, 1924, p. 316, E4, commentaire « Reg. No. 2719,
Cl. T, Aug. 14, 1909 ».
_____
P[V]EPOL
La ligature n’est pas indiquée, mais le premier P est incliné à gauche, avec un
crochet à la base de sa barre verticale, correspondant à la pointe du V. Avec les
exemplaires MA4 et MB1, MI confirme la nature latine du nom.
I.2. La lecture développée de l’inscription (proposition de A. Hesnard et Cl. Panella)
J’ai consulté des collègues en France et en Italie, spécialisés dans les
productions italiennes d’amphores et leurs timbres. A. Hesnard et Cl. Panella ont
suggéré d’abord la lecture lPlVEOL (avec la ligature décrite ci-dessus), puis le même
développement possible pour les abréviations du nom, dont des parallèles
différemment rédigés étaient déjà connus, sur des anses d’amphores ainsi que sur des
tuiles : P(ublius) VE(dius) POL(lio).
Ce point de départ méritait d’être vérifié, car le lien entre Chios et ce
personnage, figure par ailleurs bien connue sous le Principat, n’apparaissait pas
immédiatement évident. J’ai continué l’enquête et les résultats (résumés dans le titre)
sont présentés ci-dessous. Nul besoin de préciser que sans la suggestion de mes deux
128
collègues – auxquelles va toute ma reconnaissance – l’étude suivante n’aurait pas pu
être entreprise. Je suis, cependant, pleinement responsable de son développement et
des suggestions et conclusions qui en découlent.
I.3. Dates des contextes archéologiques
Les travaux principaux d’Hérode sur Massada sont situés en 37-31, puis 2622 et, enfin, 15 av. J.-C., Samarie fut donnée à Hérode en 30 et la reconstruction
commencée en 27 achevée en 22, l’Hérodium fut construit entre 25-22 (ou peut-être
plus tôt, vers le milieu des années 30) et était achevé en 15 et Césarée de 22 à 10, par
étapes1. Sur la base d’inscriptions datées (tituli picti) sur des amphores complètes du
même contexte (Locus 5001) que celle presque complète de Massada (MA2), cette
dernière pourrait avoir fait partie d’une livraison spéciale pour le roi Hérode en 27-26
av. J.-C. ; c’est l’opinion exprimée par R. Bar-Nathan dans une communication
personnelle)2. Cependant, l’anse isolée MA3, provient d’un contexte (Locus 1047)
d’où proviennent un fragment daté de 19 av. J.-C. et deux amphores presque
complètes datées de 37-34. De plus, une amphore probablement très semblable à
MA2, d’après la photo partielle, est également datée de 37-34. Cependant, le
regroupement du Locus 5001 semble en faveur de la date intermédiaire. L’incidence
sur notre propos est, en fait, assez ouverte, comme nous le verrons3.
II. LE NOM
Le nom du personnage porté par les timbres semble bien confirmé. Il s’agit de
P(ublius) Ve(dius) ou Ve(idius) Pol(lio).
Le timbre est à développer en P(ublii) VE(di) POL(lionis) selon un parallèle
publié par A. Tchernia (voir ci-dessous).
III. P. VEDIUS POLLIO, LE PERSONNAGE
P. Vedius Pollio était ami d’Auguste, choisi probablement pour sa richesse et
ses capacités d’administrateur financier comme nous le verrons. Son père était un
affranchi, et lui-même appartenait à l’ordre équestre. Il est surtout connu pour sa
cruauté, suite à un incident qui eu lieu lors d’une réception qu’il donnait en l’honneur
de l’empereur. Vedius Pollio ordonna de jeter un de ses esclaves en pâture aux
murènes qui égayaient son bassin pour avoir brisé un verre précieux. Auguste
1
D. ROLLER, The Building Program of Herod the Great, Berkeley, 1998, p. 134-135, 164-165, 189190, 210.
2
H.M. COTTON et J. GEIGER, Masada II. The Latin and Greek Documents. Jérusalem, 1989, p. 134,
219.
3
H.M. COTTON et J. GEIGER, Masada II. The Latin and Greek Documents. Jérusalem, 1989, p. 154, n°
812, 166, n° 826, 167, n° 827.
129
furieux, failli rompre son amitié pour son hôte et ordonna qu’on brisât un par un tous
les verres précieux de sa collection pour le punir1.
Vedius Pollio légua l’essentiel de ses biens à Auguste, dont sa villa du
Pausilippe (Pausylipon) dans la baie de Naples. Il désirait qu’un monument soit élevé
à sa mémoire, ce que l’empereur refusa d’exaucer. D’autre part, Auguste fit démolir
la résidence véritablement palatiale de Vedius Pollio sur l’Oppius, à Rome, et la
remplaça par le Portique de Livie 2.
La nature cruelle du personnage a éclipsé les qualités de financier qui ont
certainement justifié sa position de favori auprès d’Auguste, à tel point que Dion
Cassius a pu écrire qu’il n’avait rendu aucun service notable3. Nous verrons qu’il
n’en est rien4.
Une inscription atteste que Vedius Pollio avait édifié un temple à Auguste à
Bénévent, qui fut peut-être sa région d’origine5 :
P. Veidius P(ublii) f(ilius) Pollio / Caesareum imp(eratori) / et coloniae
Benvenentanae.
Cette indication s’avère fort importante pour notre propos.
P. Vedius Pollio est décédé en 15 av. J.-C. 6.
IV. L’AMPHORE
Comme il a été signalé ci-dessus, à Massada le timbre figure sur une amphore
presque complète (il manque tout ou partie de la lèvre) d’un type de Chios daté du Ier
s. av. J.-C., comparable à un exemplaire de l’Agora d’Athènes7. Pour les détails des
composants du récipient, il faut attendre la publication du catalogue. L’anse complète
du Musée franciscain de la Flagellation à Jérusalem (MB1) correspond également à
cette classe. Des « imitations » étant toujours possibles, notamment à l’époque
romaine précoce qui voit une diffusion des formes d’amphores grecques dans
l’ensemble de la Méditerranée, seuls des examens pétrographiques des pâtes
permettraient de confirmer l’origine des récipients. Mais ceci peu aussi s’avérer
décevant, puisque j’ai moi-même examiné une amphore dont la pâte était en tout
1
Pline, HN IX, 77 ; Sénèque, De ira III, 40, 2 ; De clem. I, 18, 2.
Dion Cassius, LIV, 23, 1-6 ; Ovide, Fastes VI, 637-648.
3
Dion Cassius, LIV, 23, 1 ; pour toutes les références, voir R. SYME, « Who was Vedius Pollio? »,
JRS 51, 1961, p. 28-29, et A. TCHERNIA, ci-dessous
4
Voir aussi Tacite, Annales, I, 10, 5 ; XII, 60, 4.
5
CIL IX 1556, ILS 109.
6
Dion Cassius, LIV, 23, 1.
7
V. GRACE, Amphoras and the Ancient Wine Trade (Agora Excavations Picture Book No. 6 ; non
paginé), 1975, fig. 36, troisième amphore en partant de la gauche, fig. 47, à droite.
2
130
point semblable à celle de Chios (avec un timbre d’un type courant dans l’île) et il est
fort probable qu’elle provienne d’Érythrée, sur la côte d’Asie Mineure, face à Chios !
En tout état de cause, l’histoire du personnage nommé sur les timbres semble en
faveur d’une origine dans l’Égée orientale.
V. AUTRES TIMBRES AU NOM DE P. VEDIUS POLLIO
V.1 Amphores de Cos
À Carthage, trois exemplaires sur anse double de Dressel 2-4, forme
originaire de Cos, ont été trouvées dans un mur de soutènement (le premier « mur à
amphores » publié par A.-L. Delattre en 1894) avec l’inscription 1 :
P•lVlEI lDI•PO(llionis)
Ce timbre et l’inscription de Bénévent attestent l’orthographe Veidius.
Tchernia rappelle que les dates consulaires sur les amphores du mur de soutènement
s’échelonnent de 43 à 15 av. J.-C., cette dernière année étant celle du décès de
Vedius Pollio. Cependant, n’ayant pas connaissance de la nature précise de la pâte de
ces anses, Tchernia se limite à quelques propositions logiques en Italie même pour
l’emplacement des vignobles de Vedius Pollio. Cl. Panella qui a examiné ces objets à
Carthage, m’a indiqué que la pâte semble « égéenne ». J. Freed l’attribue directement
à Cos, mais note que les deux anses portant le timbre ont des pâtes différentes, indice
de deux amphores, mais de descriptions qui me paraissent communs à Cos 2.
Tchernia notait l’existence de trois anses.
V.2 Tuiles d’Italie
Trois exemplaires d’un timbre sur tuiles, provenant de l’Oppidum Lucano
(province de Potenza), avec l’inscription 3 :
P. lVE I(di) POLLION(is)
1
A. TCHERNIA, « Une marque d’amphore au nom de P. Vedius Pollio », RSL 35, 1969, p. 145-148.
2
J. FREED, « Early Roman Amphoras in the Collection of the Museum of Carthage », Échos du
Monde Classique/Classical Views 40, 1996, p. 119-155, en particulier la n. 58 (consultable sur
Internet) ; J. FREED, « New Observations on the Earliest Roman Amphoras from Carthage : Delattre’s
First Amphora Wall », CEDAC Carthage Bulletin 15, 1996, p. 22. J. Freed ma fort aimablement
communiqué un dossier sur les amphores de Carthage et la forme Dressel 2-4, en mars 2004. F.
Kirbihler signale dans sa thèse (voir ci-dessous) la découverte d’autres amphores au nom de Vedius
Pollio en Adriatique, dans un article que je n’ai pu (re)consulter avant l’achèvement du présent article
pour vérifier le type d’amphore concerné : D. MANACORDA, « Le anfore dell’Italia repubblica », dans
Amphores romaines et histoire économique. Dix ans de recherches (CEFR 114), Paris-Rome, 1989, p.
452.
3
M. GUALTIERI, « Figlinae, domi nobiles ed approvvigionamento di laterizi nell’Italia centromeridionale : due casi di studio », dans BOUCHERON P., BROISE H., THÉBERT Y. éd., La brique antique
et médiévale, Rome, 2000, p. 332-333.
131
La production est considérée comme locale et probablement attachée à une
villa des environs (peut-être dans la commune de Masseria Ciccotti).
VI. P. VEDIUS POLLIO EN ASIE MINEURE (ET EN GRECE)
VI.1 Témoignages
Le passage de Vedius Pollio en Égée et Asie Mineure est marqué par trois
inscriptions honorifiques, des monnaies, un édit tardif faisant référence à des
dispositions prises par lui dans le domaine cultuel. Une relation plus profonde et
durable est marquée par une loi fiscale.
VI.1.1 Bases de statues1
1. Athènes, près du temple d’Athéna Nikè : « Le Peuple à Publius Vedius Pollio fils
de Pollio »,
2. Ilion-Troie : « L’assemblée des élus (boulè) et le Peuple à Publius Vedius Pollio »,
3. Didymes, temple d’Apollon : « Le Peuple des Milésiens à Publius Vedius Pollio
pour ses bienfaits (évergétisme) ».
VI.1.2 Monnaies à l’effigie de Publius Vedius Pollio
La cité de Tralles a émis des monnaies issues de deux coins différents avec son buste
et son nom2.
VI.1.3 Édit relatif aux finances d’Éphèse
Cet édit – daté entre 41 et 47 apr. J.-C., probablement 44 – fait référence à des
dispositions prises, environ soixante-dix ans plus tôt, par Vedius Pollio pour
Auguste, concernant les cultes d’Éphèse, et en particulier, au salaire des prêtres et
aux concours sacrés et pentétériques3 :
« Paullus Fabius Persicus, prêtre,…proconsul d’Asie, a proclamé à l’instigation
de Tibérius Claudius César Auguste Germanicus lui-même, un édit bienfaisant
pour la cité d’Éphèse et toute la province… en accord avec les dispositions
prises par Vedius Pollio [mentionnées en trois occasions dans l’inscription], qui
furent confirmées par le dieu Auguste. » (…constitutio Vedi Pollionis a divo
Augusto confirmata).
1
IG II2, 4125 ; IK 3, Ilion, n° 101 ; IvDidyma, n° 146.
2
BMC Lydia, p. 338, n° 74 et 76
3
CIL III, 7124 = IvEphesos Ia, n° 17 ; voir M. SARTRE, L’Asie Mineure et l’Anatolie d’Alexandre à
Dioclétien, Paris 1995, p. 244-245, n° 61.
132
VI.1.4 La lex portoria
Cette loi témoigne de l’importance du personnage et de ses affaires en Égée
orientale. En effet, « …il a jusqu’en 17 av. J.-C. bénéficié du privilège de ne pas
acquitter de portorium en Asie. Après cette date, il ne conserve d’immunité
douanière que pour les premiers 10 000 deniers acheminés ou importés, étant la seule
personne privée à être citée nommément dans les dispositions fiscales de la lex
portoria. » 1.
VI.2 « La mission » de Vedius Pollio (P. Scherrer)
P. Scherrer a reconstitué une mission que Vedius Pollio a effectuée en Grèce,
mais surtout en Asie Mineure Occidentale, pour organiser les cultes principaux, dont
celui de l’empereur2. Il se fonde sur les témoignages qui viennent d’être cités et les
compare à d’autres documents.
VI.2.1 Ulpien (IIe-IIIe s.)
Un texte d’Ulpien atteste l’existence de cultes institutionnels à Didymes, Ilion
et Éphèse (auxquels s’ajoute Smyrne). Scherrer note qu’Ulpien emploie le même
terme de constitutio qui caractérise les mesures prises par Vedius pour les cultes
d’Éphèse3.
VI.2.2 Attestations du culte d’Auguste 4
Sur l’Acropole d’Athènes il y avait un Sebasteion, Auguste avait financé un
culte à Athéna à Ilion, et il y aurait eu un Sebasteion à Didymes.
Scherrer conclut que P. Vedius Pollio apparaît comme un spécialiste de
l’organisation des cultes de l’empereur, et en particulier de ce qui concernait l’aspect
1
SEG, 1989, 1180, § 40. N. Badoud m’a signalé cet important document et nous avons convenu qu’il
s’agissait d’un témoignage clé, dans la perspective d’une origine non pas proprement chiote, mais
d’Asie Mineure occidentale, ce que seule l’analyse de pâte permettra peut-être d’élucider. Cet aspect
sera abordé dans une addition à la présente mouture. A. Sartre m’a signalé la thèse de F. KIRBIHLER,
Les notables d¹Ephèse. Essai d’histoire sociale (133 av. J.-C.-262 ap. J.-C.), Tours, 2003. J’ai pu
rencontrer cet auteur qui m’a très aimablement communiqué les pages de son travail consacrées à la
gens Vedia (T. I, pages 300-303), desquelles j’extrais la citation concernant la lex portoria. Voir aussi
P. SCHERRER, « Augustus, die Mission des Vedius Pollio und die Artemis Ephesia », JÖAI 60, 1990,
p. 89, n. 21.
2
P. SCHERRER, « Augustus, die Mission des Vedius Pollio und die Artemis Ephesia », JÖAI 60, 1990,
p. 87-101.
3
Ulpien, Digeste, 22, 6: « Deos heredes instituere non possumus praeter eos, quos senatus consulto
constitutionibusve principum instituere concessum est, sicuti Iovem Tarpeium, Apollinem Didymaeum
Mileti, Martem in Gallia, Minervam Iliensem, Herculem Gaditanum, Dianam Ephesiam, Matrem
Deorum Sipylenen, Nemesim quae Smyrnae colitur, et Caelestem Salinensem Carthaginis. » Je
remercie N. Badoud pour la traduction de ce passage. P. SCHERRER, « Augustus, die Mission des
Vedius Pollio und die Artemis Ephesia », JÖAI 60, 1990, p. 90, n. 30.
4
Références dans P. SCHERRER, « Augustus, die Mission des Vedius Pollio und die Artemis
Ephesia », JÖAI 60, 1990, p. 89-90.
133
financier de leur mise en œuvre. Il avait donc été envoyé en Grèce et en Asie
Mineure pour organiser les cultes consacrés à Auguste. Pour Scherrer, il semble que,
du fait du caractère hautement officiel de sa mission, Vedius Pollio aurait bénéficié
d’une escorte de rang proconsulaire, sans en avoir porté le titre. R. Syme suggère que
la date à laquelle P. Vedius Pollio aurait « exercé une certaine autorité » tomberait
« clairement » vers 31/30, juste après Actium mais avant l’installation d’un
« proconsul régulier (qui que cela ait pu être) ». Il ajoute qu’il n’y a pas à supposer
qu’un membre de l’ordre équestre ait pu être en charge de l’Asie pour une période
longue. Il rappelle que M. Grant (voir ci-dessous) préfère 30/29. Scherrer, quant à
lui, situe la mission vers 27 av. J.-C. ou au plus tard 251.
Aucune de ces attestations officielles ne fait référence à un passage de P.
Vedius Pollio dans les îles grecques. Cependant, il semble difficile d’imaginer qu’il
n’ait pas fait au moins un détour par Chios et Cos, ne serait-ce que pour se détendre
et bénéficier du prestige de sa position.
VII. LES ITALIENS A CHIOS ET COS
La présence d’Italiens – negotiatores – est attestée depuis le IIe s. av. J.-C.
dans les îles de l’Égée orientale, où ils s’adonnaient à la culture du vin et à son
exportation2. Ils y reviennent après les massacres qui eurent lieu durant la guerre de
Mithridate. Dans le courant du Ier s. av. J.-C. il y a des propriétaires fonciers italiens à
Chios et Cos, mais aussi Lesbos ; il y a des hommes d’affaires italiens notamment à
Éphèse, Tralles et en Bithynie3.
Tout visiteur, et en particulier de marque, trouvait certainement un accueil
digne de lui dans ces îles. Il pouvait certainement y acquérir des terres et en
particulier des vignobles, exploités pour son compte par des employés (affranchis et
esclaves).
Le richissime et raffiné P. Vedius Pollio compte certainement parmi ces riches
propriétaires romains. L’existence d’un timbrage à son nom atteste une exploitation
organisée et non pas quelques « bouteilles » étiquetées à son nom pour sa
consommation personnelle et pour ses amis. À Chios comme à Cos, le contrôle de la
production des amphores ne s’accompagnât jamais d’un timbrage intensif à l’époque
hellénistique, contrairement à Rhodes ou Cnide par exemple. Ces îles, au contraire,
1
R. SYME, « Who was Vedius Pollio ? », JRS 51, 1961, p. , n. 72 ; P. SCHERRER, « Augustus, die
Mission des Vedius Pollio und die Artemis Ephesia », JÖAI 60, 1990, p. 101.
2
Voir notamment J. HATZFELD, Les trafiquants italiens dans l’Orient hellénique. Paris, 1919.
3
Appien, Guerre de Mithridate 47 ; IGR IV 1087 ; témoignages cités par M. SARTRE, L’Asie Mineure
et l’Anatolie d’Alexandre à Dioclétien, Paris 1995, p. 160-161.
134
sont caractérisées par un taux de timbrage particulièrement bas, de quelques unités
pour cent au mieux. Le peu d’attestations de timbres de P. Vedius Pollio n’a donc pas
de quoi trop étonner. Et ce, même s’il serait souhaitable d’en trouver d’autre et
ailleurs, notamment à Rome ou au Bénévent par exemple.
R. Syme s’interrogeait sur l’origine de « l’opulente maison des P. Vedii à
Éphèse qui entra au Sénat sous Antonin le Pieux ». Il proposait plusieurs solutions
qui vont dans le sens d’une installation dans la région de marchands italiens à la fin
de la République ou peut-être une transmission du nom par un des affranchis de P.
Vedius Pollio. C’est la conclusion à laquelle parvient F. Kirbihler, sur la foi de
certains documents apparus depuis l’article de Syme. Il signale des Vedii en Bithynie
à Nicomédie, à Iasos, à Éphèse et, fort important pour notre propos, à Cos. Avec
Kirbihler, il convient d’admettre que c’est fort probablement notre Pollio que
Cicéron a rencontré en Bythinie dès 50 av. J.-C.1.
Ce tableau apparaît donc fort en accord avec la possession par Vedius Pollio
d’exploitations viticoles à Chios et Cos. Si, donc, c’est bien lui que Cicéron
rencontre, durant le quart de siècle qui sépare cette rencontre de sa « mission » de 27
av. J.-C., puis ensuite à l’occasion de celle-ci, il aurait eu bien des occasions
d’acquérir des terres et des vignobles. Nous avons vu l’importance de son négoce
dans la région : il fallait bien qu’il reposât sur une assise foncière considérable,
constituée au cours des ans et des visites. Il est donc plausible que ses amphores aient
été intégrées dans une expédition de 27-26 av. J.-C., arrivée à Massada, peut-être,
d’ailleurs, à l’occasion de la mission elle-même, durant laquelle Vedius Pollio aura
pu ordonner l’envoi à Hérode. Une expédition en 19 ne pose pas de problème,
également pour l’ensemble des autres sites de trouvaille, et certainement pour
Césarée qui n’est pas en chantier avant 22.
VIII. HERODE ET L’ASIE MINEURE
Le roi Hérode a lui-même visité à plusieurs reprises l’Asie Mineure, à
l’occasion de voyages vers Rome. Flavius Josèphe est, bien sûr, la première source
littéraire sur les voyages d’Hérode et sur les dons que le roi a faits à plusieurs des
1
R. SYME, « Who was Vedius Pollio ? », JRS 51, 1961, p. 22, 28 ; F. KIRBIHLER, Les notables
d’Ephèse. Essai d’histoire sociale (133 av. J.-C.-262 ap. J.-C.), Tours, 2003, p. 301-303, références
aux n. 14-15, 21-23, 25-26 ; la première partie de la thèse de Kirbihler devrait paraître aux éditions
Ausonius de Bordeaux en 2006, sous le titre « Des Grecs et des Italiens : Ephèse à la Basse-Époque
hellénistique (133 av.J.-C.-30 ap. J.-C.) » ; Cicéron, Ad. Att. VI, 1, 25.
135
cités de la région. Des inscriptions attestent également la reconnaissance de certaines
d’entre elles1 :
Chios. – En 14 av. J.-C. Hérode part de Judée pour rejoindre Marcus Agrippa
à Mytilène (Lesbos), mais il en est empêché par une tempête qui le retient à Chios
pour quelques jours. Il y est bien accueilli et, sans aucun doute, sera réchauffé puis
désaltéré par le vin local de grande réputation. Il décide de reconstruire un portique
particulièrement somptueux, resté en ruines depuis la guerre de Mithridate et offre un
don en argent à cet effet. Il participa également au paiement des taxes de l’île à
Rome. Trois inscriptions pourraient faire référence à des dons d’Hérode : un don fait
par un grand roi de 1000 deniers (le paiement de la taxe ?) ; une réparation imprécise
en rapport avec une dotation pour un financement dans le domaine athlétique, qui
rappelle, d’une part, la fonction de président des Jeux Olympiques exercée en 12 av.
J.-C. par Hérode, deux ans après sa visite à Chios et, d’autre part, une dotation pour
la fonction de gymnasiarque à Cos (voir ci-dessous) ; enfin, une référence à un
athlète victorieux sur l’île du nom d’Antipater fils d’Hérode a peut-être un rapport
avec le roi2.
Ilion. – L’ancienne Troie a été favorisée par Auguste qui y reconstruisit le
théâtre, le sanctuaire d’Athéna et le bouleuterion. Hérode traversa la région d’Ilion
en 14 av. J.-C. et est intervenu en faveur de la ville auprès de Marcus Agrippa, par
l’intermédiaire de Nicolas de Damas. Rien ne témoigne d’un autre lien du roi avec la
ville3.
Cos. – Hérode finança à perpétuité la fonction de gymnasiarque de l’île. Il y
avait des liens avec la communauté juive mais aussi la nabatéenne. Une base de
statue l’honneur et confirme qu’il était citoyen romain. Il n’y a pas de témoignage
d’une visite d’Hérode à Cos, bien que cela puisse aisément se concevoir, à l’occasion
de ses voyages dans la région4.
Rhodes. – L’île a bénéficié des largesses d’Hérode avant qu’il ne soit roi. En
40 av. J.-C., il la visita, un peu moins de trois ans après le sac de Cassius, en route
pour Rome. Il contribua financièrement à la reconstruction de l’île, et notamment à
celle du temple d’Apollon pythien, bien que peut-être à une autre occasion. Il
contribua à soutenir la construction navale, une des spécialités de Rhodes. De même
1
Voir la synthèse de D. ROLLER, The Building Program of Herod the Great, Berkeley, 1998, p. 223235, par ordre alphabétique des sites ; voir aussi L. ROBERT, Etudes épigraphiques et philologiques,
Paris 1938, p. 136-138.
2
Flavius Josèphe, AJ 16, 17-19, 26 ; SEG 16, 490 ; SEG 16, 488 ; SEG 35, 930B20.
3
Flavius Josèphe, AJ 16, 26.
4
Flavius Josèphe, BJ 1, 423 ; D.M. JACOBSON, « King Herod, Roman Citizen and benefactor of
Kos », BAIAS 13, 1993-4, p. 31-36.
136
qu’à Cos, il y avait à Rhodes une communauté nabatéenne, et un Rhodien a offert un
don pour la réparation du pavement du Temple de Jérusalem1.
Samos. – Enfin, Hérode offrit des doreai au peuple de Samos à l’occasion de
son passage de retour vers la Judée, en 14 av. J.-C. 2.
On voit donc qu’Hérode était particulièrement proche des îles de l’Égée et il
ne fait aucun doute qu’il en appréciait les produits et essentiellement les vins réputés
3
.
Ajoutons aussi que, de même que pour Vedius Pollio, une base de statue
honorant Hérode a été trouvée à Athènes4.
IX. LES « HOMMES DE L’EMPEREUR
AMIS ?
» : HERODE ET P. VEDIUS POLLIO ETAIENT-ILS
Hérode comme P. Vedius Pollio peuvent être considérés comme faisant partie
de ce que l’on peut appeler anachroniquement « les hommes de l’Empereur ». Le
premier appartenait à la « classe » des rois-clients, sur lesquels Auguste a fondé son
pouvoir en Orient, partout où la domination directe n’était pas établie. On peut même
dire qu’Hérode en était le prototype. P. Vedius Pollio représente le cercle des amis de
l’Empereur, à qui ils sont fidèles et rendent des services divers, par leurs fonctions
mais surtout grâce à leur richesse5. Les deux catégories d’hommes manifestaient une
munificence et faisaient preuve d’un raffinement qui devait évidemment les
rapprocher. Ajoutons une caractéristique qui rapproche encore, « officiellement », les
deux personnages dans leur fonction d’hommes du Prince : dans deux des sites du
royaume de Judée, où la moitié des timbres étudiés ici ont été trouvés, il y avait un
culte à Auguste établi par Hérode, comparables à ceux que P. Vedius Pollio avait
promus en Asie Mineure.
Les deux personnages qui nous intéressent ici partageaient également un trait
moins sympathique : la cruauté, dont tous deux ont fait preuve à diverses occasions.
Nous avons évoqué les murènes gloutonnes de P. Vedius Pollio. Hérode, on le sait,
1
Flavius Josèphe, AJ 14, 377-378; 16, 147 ; BJ 1, 280, 424; B. ISAAC, « A Donation for Herod’s
Temple in Jerusalem », IEJ 33, 1983, p. 86-92.
2
Flavius Josèphe, BJ 1, 425 ; voir AJ 16, 24.
3
Cf. note 1. D’autres amphores trouvées à Massada attestent la diversité des origines des vins et
autres produits dégustés dans les palais d’Hérode (COTTON et J. GEIGER, J., Masada II. The Latin and
Greek Documents. Jérusalem, 1989, chapitre sur les tituli picti, passim ; communication personnelle
de R. Bar-Nathan). J’ai pu voir un échantillon de ces récipients qui a été présenté lors d’une
exposition itinérante, il y a plusieurs années.
4
OGI 414.
5
D.M. JACOBSON, « Three Roman Client Kings: Herod of Judea, Archelaus of Cappadocia and Juba
of Mauretania », PEQ 133, 2001, p. 22-38 ; R. SYME, « Who was Vedius Pollio? », JRS 51, 1961,
passim.
137
éliminait sans problèmes les membres de sa famille trop dérangeants (et, dans un cas,
en « milieu aquatique » également, lorsqu’il fit noyer, à Jéricho, sont beau-frère,
Aristobule III, Grand Prêtre du Temple de Jérusalem) 1.
Quand et où nos deux personnages ont-ils pu se rencontrer ? Les
renseignements que nous possédons ne permettent que deux suppositions. Il semble
probable qu’ils aient pu se connaître à Rome, lors de la visite d’Hérode, en 40 av. J.C., plutôt qu’à l’occasion de son deuxième voyage, de date mal précisée. Si la
mission de Pollio a eu lieu en 30, ils ont pu se rencontrer à Rhodes, lorsqu’Auguste y
convoqua Hérode. L’empereur aurait pu être accompagné par son favori, qui aurait
poursuivi ensuite sa route vers les cités où l’on suit sa trace. Mais on a vu que la date
de la mission serait à situer peut-être plus tard. D’autres voyages ne nous sont peutêtre pas connus, évidemment. Vu l’importance de son négoce à Éphèse, Pollio y
séjournait-il pour de longues périodes, aux cours desquelles il pouvait accueillir des
visiteurs de marque de passage, comme Hérode ?
Mais était-il nécessaire qu’ils se soient connus ? Hérode pouvait fort bien
commander du vin chez Pollio si celui-ci était suffisamment réputé. Pollio pouvait
aussi bien envoyer à Hérode un cadeau de ses vignes, pour l’honorer.
Pourtant, ils pourraient s’être, non seulement connu, mais aussi fréquenté. En
effet, Hérode a envoyé deux de ses fils, issus du mariage avec Mariamme
l’Hasmonéenne à Rome, en 24 plutôt qu’en 22 av. J.-C. 2. Or c’est un certain Pollio,
proche d’Hérode qui va les y héberger pendant leur séjour. L’identité de ce
personnage, identifié par Josèphe uniquement sous le nom de « Pollio », intrigue
depuis longtemps les historiens. R. Syme se demandait si c’est notre P. Vedius
Pollio 3. L’autre candidat sérieux est C. Asinus Pollio, notable à l’honorable carrière.
Il avait été, notamment, consul en 40 av. J.-C., l’année du couronnement d’Hérode à
Rome, et le rapprochement entre les deux hommes fut, alors, probablement purement
« technique ». L. H. Feldman considérait qu’Asinius Pollio était proche des Juifs et,
dans un raisonnement en cascade – intérêts juifs du consul : proximité d’Hérode –
intimité : maison ouverte à Rome –, pense qu’il a probablement hébergé les fils
d’Hérode, leur permettant de préserver une vie juive. Il le préfère à six autres Pollio,
dont Vedius, sans réelle analyse, sauf leur absence d’intérêts juifs ou de relations
1
Flavius Josèphe AJ 15, 3, 3.
Selon N. KOKKINOS, The Herodian Dynasty, Sheffield, 1998, p. 214, avec la n. 27, 369-370.
3
Flavius Josèphe AJ, 15, 343 ; R. SYME, « Who was Vedius Pollio? », JRS 51, 1961, rapide
addendum, p. 30.
2
138
avec les Juifs, spécificité qui n’a pas lieu d’être dans le milieu des « hommes de
l’empereur »1. Mais Asinius semble ne plus avoir été que toléré sous Auguste2.
Il me semble que le rôle joué par les deux hommes, rouages essentiels dans
l’appareil augustéen, semble en faveur de l’existence d’une réelle relation entre le roi
Hérode et P. Vedius Pollio. La plupart des éléments mis en lumière ici semblent nous
mener à la conclusion que ce n’est pas par hasard que les seuls exemplaires d’anses
d’amphores timbrées pouvant être attribuées à P. Vedius Pollio trouvés au Levant ne
l’aient été que dans les principales résidences d’Hérode et aussi dans le grand port de
son royaume, évidemment.
ADDENDUM
Six nouveaux exemplaires d’anses timbrées de la série PVE POL ont été
trouvés lors de fouilles récentes à l’Hérodium, dirigées par Ehud Netzer. Ils m’ont
été confiés pour publication par le fouilleur et Barbara Johnson, qui me les a remis.
Cinq des timbres sont issus de la Matrice A (MA5 à MA9) et le sixième est issu de la
Matrice B, bien que les lettres soient ici toutes plus épaisses et que le « L »
n’apparaît pas plus épais que les autres lettres. Ceci est probablement dû à un
écrasement insistant de l’ensemble de la matrice lors de l’application sur la courbe de
l’anse, très arrondie. Sur la Matrice B, la barre horizontale du « L » est légèrement
inclinée vers le bas, détail que j’ai omis de signaler dans le catalogue ci-dessus. Les
pâtes des anses sont identiques, sauf une plus sombre, et cela semble dû à une
différence dans la cuisson : rouge brun plus ou moins vineux ou rose franc, avec une
couverte beige très clair, plus ou moins épaisse et ne couvrant pas intégralement la
surface qui est parfois brune. Ces trouvailles en quantité relativement importante
dans la résidence jerosolomitaine du roi Hérode (son « Versailles » en quelque sorte)
semblent renforcer les conclusions historiques ci-dessus.
1
Flavius Josèphe, AJ 14, 388-389 ; L. H. FELDMAN, « Asinius Pollio and His Jewish Interests »,
Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 84, 1953, p. 77-78. Je ne
vois aucun argument décisif en faveur d’Asinius et contre Vedius parmi ceux présentés ultérieurement
par Feldman, concernant surtout la technique d’écriture de Josèphe (L. H. FELDMAN, CQ 34, 1984, p.
240-243, répondant à D. BRAUND, « Four Notes on the Herods », CQ 33, 1983, p. 240-241.
KOKKINOS, The Herodian Dynasty, Sheffield, 1998, p. 214, n. 27, laisse la question ouverte.
2
M. GRANT, Herod the Great, Londres, 1971, p. 145.
139

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