P. Vedius Pollio, producteur de vin à Chios et Cos et fournisseur d
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P. Vedius Pollio, producteur de vin à Chios et Cos et fournisseur d
P. Vedius Pollio, producteur de vin à Chios et Cos et fournisseur d’Hérode le Grand Gérald FINKIELSZTEJN Antiquités Nationales d’Israël, Jérusalem En 1988, alors que je rédigeais le catalogue des timbres amphoriques trouvés à Samarie – pour un mémoire inédit pour l’Académie des Inscriptions et BellesLettres rédigé à l’Ecole Biblique et Archéologique Française de Jérusalem, mon attention fut attirée par un timbre particulier, à l’évidence rédigé en latin, que je lisais : PEPOL, avec une ligature entre le P et le E. Juste avant l’achèvement de ce travail, deux exemplaires du même timbre ont été publiés dans le volume des documents latins et grecs de Massada, en 19891. De plus, je pris connaissance de trois autres exemplaires de ce timbre, provenant respectivement de Samarie, du palais fortifié de l’Hérodium et probablement de Césarée Maritime. Les fragments restreints de branches supérieures d’anses sur lesquelles quatre des timbres ont été imprimés m’ont fait penser à une production italienne, d’après leur forme cylindrique rappelant celle des anses d’amphores de Brindes, ce que l’aspect visuel de la pâte ne contredisait pas absolument. Cependant, l’exemplaire presque complet d’une amphore de Massada portant le cinquième timbre a permis une identification radicalement différente. Sa forme correspond en effet à celle d’une amphore typique de Chios du Ier siècle av. J.-C.2. L’aspect visuel de la pâte de tous les exemplaires, bien que non réellement spécifique, n’est pas en contradiction avec la forme de l’amphore : jaune rougeâtre avec, parfois, une mince couverte blanchâtre sur la surface. L’application d’un timbre latin sur une amphore de Chios (ou peut-être de ses environs, sur la côte d’Asie Mineure), d’une part, trouvée (jusqu’ici) seulement sur des sites construits par Hérode, d’autre part, m’ont semblé être tout à fait 1 FINKIELSZTEJN, Amphores et timbres d’amphores importées en Palestine à l’époque hellénistique : orientations de recherches et premiers résultats, Mémoire AIBL, EBAF, Jérusalem, 1990, vol. II, 1-2 (inédit) ; COTTON H.M. et GEIGER J., Masada II. The Latin and Greek Documents. Jérusalem, 1989. 2 La photo du récipient et le dessin du profil, n’accompagnent pas la photo du timbre, et sa description ou la classe à laquelle il appartient n’ont pas été mentionnées dans Masada II. La photo de l’anse timbrée permet d’évaluer seulement la forme allongée de la branche verticale attachée à une épaule presque horizontale (COTTON H.M. et GEIGER J., Masada II. The Latin and Greek Documents. Jérusalem, 1989, pl. 48, n° 946). Il serait souhaitable que les savants – épigraphistes comme archéologues – comprennent qu’un récipient et ses inscriptions – timbres, incisions et tituli picti – constituent un seul et même document. Heureusement, le volume des trouvailles céramiques de Massada, incluant les amphores, étudiées par Rachel Bar-Nathan sera réellement sous presse courant 2006. J’ai pu examiner l’amphore pour vérifier les détails du timbre grâce à l’amabilité de H. Cotton, dès 1990, et je l’en remercie bien cordialement. Le volume sur la céramique de Masada est paru en mars 2006 : R. BAR-NATHAN, Masada VII. The Pottery of Masada, Jérusalem, 2006. L’amphore MA 2 est analysée et illustrée pages 319-320, Fig. 92, 345, Pl. 60, 8. 123 exceptionnels et mériter une enquête et une publication rapides. Malheureusement, le report en a été imposé en raison de deux facteurs : 1) l’impossibilité de me référer à un récipient non entièrement publié, et 2) la nécessité d’entreprendre l’analyse pétrographique sur tous les exemples pour confirmer l’origine des amphores. En outre, je n’avais trouvé aucun indice sur un possible développement de la lecture du timbre – sauf qu’il s’agissait évidemment d’un nom romain –, ni réussi à obtenir des informations sur l’existence d’autres timbres en latin connus sur des amphores de Chios. Cependant, l’enquête que j’ai menée a permis d’obtenir des résultats fort substantiels et je suis très heureux d’offrir cette première mouture à Joseph Mélèze Modrzejewski, en reconnaissance de la confiance puis de l’amitié qu’il m’accorde depuis plus de vingt ans. En effet, c’est en 1984 que Joseph m’a invité à dispenser un cours sur l’archéologie du Deuxième Temple dans le cadre du Diplôme Universitaire d’Études sur le Judaïsme (DUEJ) à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne, trois ans après le début de mes études d’archéologie. Les fabuleuses constructions d’Hérode tenaient, évidemment, une place de premier rang dans le programme. I. LES ANSES TIMBREES DES SITES HERODIENS Comme indiqué ci-dessus, la lecture de chacun des cinq exemplaires est identique : PEV POL, avec ligature PVE qui m’a été indiquée par A. Hesnard lors d’une visite à Aix-en-Provence (voir ci-dessous). Cette ligature des trois premières lettres est formée ainsi : la boucle du P est placée à l’intérieur de la barre gauche du V et la barre droite de ce dernier est confondue avec ligne verticale du dos du E, selon une pratique très courante en sigillographie amphorique latine. Les superpositions des frottis sur papier à cigarette de chacun des cinq timbres que j’ai pu examiner montrent qu’ils dérivent de deux matrices différentes au moins. Cette conclusion tient compte de l’impression généralement incomplète de la matrice sur une anse cylindrique, au coude arrondi. Je n’ai pu examiner un exemplaire des premières fouilles de Samarie, peut-être différent des autres. Les matrices ont été faites en argile, cuites au four après gravure du nom, avec des lettres et une lecture inversées (dites « rétrogrades ») de sorte que la lecture du timbre résultant soit « normale », de gauche à droite. L’utilisation de l’argile est confirmée par la présence d’un épaississement intrusif sur la surface d’une des matrices (Matrice A, ci-dessous). 124 I.1. Catalogue Tous les timbres sont appliqués sur le dessus de la branche verticale de l’anse, qui est généralement la seule partie conservée. 1) Matrice A Le timbre issu de cette matrice mesure approximativement 3.5 x 1.0 cm. On distingue un morceau d’argile sur le bord gauche de la matrice dépassant légèrement vers l’intérieur. Il n’y a aucun espace ni point séparant les lettres ou les composants abrégés du nom. MA1. Samarie – Dessus de l’anse – CROWFOOT J.W., « Potters’ stamps », dans Crowfoot J.W., Crowfoot G.M. and Kenyon K.M. Samaria-Sebaste III. The Objects. London, 1957, p. 386 (D 310) = Rockefeller Museum, numéro d’inventaire PAM 33.2359 = FINKIELSZTEJN G., Amphores et timbres d’amphores importées en Palestine à l’époque hellénistique : orientations de recherches et premiers résultats (projet de thèse de doctorat), Mémoire AIBL, Jérusalem, 1990, 3 vol., p. 119*-120*, n° 443. Fig. 1. ___ P̣ṾẸ P̣ỌḶ Seuls les deux tiers supérieurs des lettres sont imprimés et le L est à peine lisible. Lecture erronée « BEROA » de Crowfoot. MA2. Massada – Amphore presque complète – COTTON H.M. et GEIGER J., Masada II. The Latin and Greek Documents. Jérusalem, 1989, p. 219, n° 946, pl. 48, n° d’inventaire 5001-61. Fig. 2. 125 ___ P̣VE POḶ La boucle du premier P et seulement la moitié de la barre horizontale du L sont à peine visibles, suite à une cassure de l’anse. Voir MA3, qui suit. MA3. Massada – Dessus de l’anse – Cotton H.M. et Geiger J., Masada II. The Latin and Greek Documents. Jérusalem, 1989, p. 219, n° 947, pl. 48, n° d’inventaire 1047558/1. Fig. 3. 126 ___ PṾE POḶ La ligature n’est pas visible, et seule la barre verticale du L est visible. MA2 et MA3 ont été incorrectement lus NEPOT[ par les éditeurs, bien que la boucle du premier P soit clairement visible sur MA3. De plus, ils n’ont pas réalisé que les deux timbres ont été imprimés avec la même matrice (une conclusion que seule la superposition des frottis peut permettre de tirer avec certitude). MA2 a été daté en 27-6 av. J.-C. par le contexte archéologique. MA4. Probablement Césarée Maritime – Eretz-Israel Museum (Ramat-Aviv), n° d’inventaire MHP 4969. Fig. 4. ___ PṾE POL La ligature du début et le sommet du L ne sont pas visibles. De tous les exemplaires illustrés ici, c’est le seul qui fait apparaître le L et démontre la nature latine de l’inscription. 2) Matrice B Ce timbre mesure environ 3.3 x 1.2 cm. Le seul exemplaire connu est entièrement imprimé sur l’anse. MB1. Hérodium – L’anse est complète (17 cm. de longueur), avec les fixations sur le col et l’épaule préservées. S. SALLER, « Short Greek and Latin Inscriptions on Small objects found or preserved in Palestine and Nearby Places », LA XXI, 1971, p. 164, 127 fig. 2:5 (dessin), 171-172 = Musée Franciscain de la Flagellation (Jérusalem), n° d’inventaire 1845. ___ P̣ṾE POL Les boucles des P sont plus petites que sur la Matrice A et le L est fait de lignes plus épaisses que celles des autres lettres de la matrice. La pâte est dite « rose » et bien cuite, et l’anse identifiée à tort comme rhodienne. Lecture erronée : OEPOL (bien que la lecture Pepol soit suggérée, mais jugée non satisfaisante par Saller). 3) Matrice indéterminée Le dernier timbre ne m’est connu seulement que par la reproduction schématique de l’inscription et sa matrice ne peut pas être identifiée avec certitude ; je la croirais volontiers identique à MB 1. L’objet est peut être conservé au Semitic Museum (Harvard, Etats-Unis). C’est en fait cette inscription qui m’a permis d’identifier la nature latine de ces timbres. MI. Samarie – REISNER G.A., FISHER C.S. et LYON D.G., Harvard Excavations at Samaria 1908-1910, Cambridge, 1924, p. 316, E4, commentaire « Reg. No. 2719, Cl. T, Aug. 14, 1909 ». _____ P[V]EPOL La ligature n’est pas indiquée, mais le premier P est incliné à gauche, avec un crochet à la base de sa barre verticale, correspondant à la pointe du V. Avec les exemplaires MA4 et MB1, MI confirme la nature latine du nom. I.2. La lecture développée de l’inscription (proposition de A. Hesnard et Cl. Panella) J’ai consulté des collègues en France et en Italie, spécialisés dans les productions italiennes d’amphores et leurs timbres. A. Hesnard et Cl. Panella ont suggéré d’abord la lecture lPlVEOL (avec la ligature décrite ci-dessus), puis le même développement possible pour les abréviations du nom, dont des parallèles différemment rédigés étaient déjà connus, sur des anses d’amphores ainsi que sur des tuiles : P(ublius) VE(dius) POL(lio). Ce point de départ méritait d’être vérifié, car le lien entre Chios et ce personnage, figure par ailleurs bien connue sous le Principat, n’apparaissait pas immédiatement évident. J’ai continué l’enquête et les résultats (résumés dans le titre) sont présentés ci-dessous. Nul besoin de préciser que sans la suggestion de mes deux 128 collègues – auxquelles va toute ma reconnaissance – l’étude suivante n’aurait pas pu être entreprise. Je suis, cependant, pleinement responsable de son développement et des suggestions et conclusions qui en découlent. I.3. Dates des contextes archéologiques Les travaux principaux d’Hérode sur Massada sont situés en 37-31, puis 2622 et, enfin, 15 av. J.-C., Samarie fut donnée à Hérode en 30 et la reconstruction commencée en 27 achevée en 22, l’Hérodium fut construit entre 25-22 (ou peut-être plus tôt, vers le milieu des années 30) et était achevé en 15 et Césarée de 22 à 10, par étapes1. Sur la base d’inscriptions datées (tituli picti) sur des amphores complètes du même contexte (Locus 5001) que celle presque complète de Massada (MA2), cette dernière pourrait avoir fait partie d’une livraison spéciale pour le roi Hérode en 27-26 av. J.-C. ; c’est l’opinion exprimée par R. Bar-Nathan dans une communication personnelle)2. Cependant, l’anse isolée MA3, provient d’un contexte (Locus 1047) d’où proviennent un fragment daté de 19 av. J.-C. et deux amphores presque complètes datées de 37-34. De plus, une amphore probablement très semblable à MA2, d’après la photo partielle, est également datée de 37-34. Cependant, le regroupement du Locus 5001 semble en faveur de la date intermédiaire. L’incidence sur notre propos est, en fait, assez ouverte, comme nous le verrons3. II. LE NOM Le nom du personnage porté par les timbres semble bien confirmé. Il s’agit de P(ublius) Ve(dius) ou Ve(idius) Pol(lio). Le timbre est à développer en P(ublii) VE(di) POL(lionis) selon un parallèle publié par A. Tchernia (voir ci-dessous). III. P. VEDIUS POLLIO, LE PERSONNAGE P. Vedius Pollio était ami d’Auguste, choisi probablement pour sa richesse et ses capacités d’administrateur financier comme nous le verrons. Son père était un affranchi, et lui-même appartenait à l’ordre équestre. Il est surtout connu pour sa cruauté, suite à un incident qui eu lieu lors d’une réception qu’il donnait en l’honneur de l’empereur. Vedius Pollio ordonna de jeter un de ses esclaves en pâture aux murènes qui égayaient son bassin pour avoir brisé un verre précieux. Auguste 1 D. ROLLER, The Building Program of Herod the Great, Berkeley, 1998, p. 134-135, 164-165, 189190, 210. 2 H.M. COTTON et J. GEIGER, Masada II. The Latin and Greek Documents. Jérusalem, 1989, p. 134, 219. 3 H.M. COTTON et J. GEIGER, Masada II. The Latin and Greek Documents. Jérusalem, 1989, p. 154, n° 812, 166, n° 826, 167, n° 827. 129 furieux, failli rompre son amitié pour son hôte et ordonna qu’on brisât un par un tous les verres précieux de sa collection pour le punir1. Vedius Pollio légua l’essentiel de ses biens à Auguste, dont sa villa du Pausilippe (Pausylipon) dans la baie de Naples. Il désirait qu’un monument soit élevé à sa mémoire, ce que l’empereur refusa d’exaucer. D’autre part, Auguste fit démolir la résidence véritablement palatiale de Vedius Pollio sur l’Oppius, à Rome, et la remplaça par le Portique de Livie 2. La nature cruelle du personnage a éclipsé les qualités de financier qui ont certainement justifié sa position de favori auprès d’Auguste, à tel point que Dion Cassius a pu écrire qu’il n’avait rendu aucun service notable3. Nous verrons qu’il n’en est rien4. Une inscription atteste que Vedius Pollio avait édifié un temple à Auguste à Bénévent, qui fut peut-être sa région d’origine5 : P. Veidius P(ublii) f(ilius) Pollio / Caesareum imp(eratori) / et coloniae Benvenentanae. Cette indication s’avère fort importante pour notre propos. P. Vedius Pollio est décédé en 15 av. J.-C. 6. IV. L’AMPHORE Comme il a été signalé ci-dessus, à Massada le timbre figure sur une amphore presque complète (il manque tout ou partie de la lèvre) d’un type de Chios daté du Ier s. av. J.-C., comparable à un exemplaire de l’Agora d’Athènes7. Pour les détails des composants du récipient, il faut attendre la publication du catalogue. L’anse complète du Musée franciscain de la Flagellation à Jérusalem (MB1) correspond également à cette classe. Des « imitations » étant toujours possibles, notamment à l’époque romaine précoce qui voit une diffusion des formes d’amphores grecques dans l’ensemble de la Méditerranée, seuls des examens pétrographiques des pâtes permettraient de confirmer l’origine des récipients. Mais ceci peu aussi s’avérer décevant, puisque j’ai moi-même examiné une amphore dont la pâte était en tout 1 Pline, HN IX, 77 ; Sénèque, De ira III, 40, 2 ; De clem. I, 18, 2. Dion Cassius, LIV, 23, 1-6 ; Ovide, Fastes VI, 637-648. 3 Dion Cassius, LIV, 23, 1 ; pour toutes les références, voir R. SYME, « Who was Vedius Pollio? », JRS 51, 1961, p. 28-29, et A. TCHERNIA, ci-dessous 4 Voir aussi Tacite, Annales, I, 10, 5 ; XII, 60, 4. 5 CIL IX 1556, ILS 109. 6 Dion Cassius, LIV, 23, 1. 7 V. GRACE, Amphoras and the Ancient Wine Trade (Agora Excavations Picture Book No. 6 ; non paginé), 1975, fig. 36, troisième amphore en partant de la gauche, fig. 47, à droite. 2 130 point semblable à celle de Chios (avec un timbre d’un type courant dans l’île) et il est fort probable qu’elle provienne d’Érythrée, sur la côte d’Asie Mineure, face à Chios ! En tout état de cause, l’histoire du personnage nommé sur les timbres semble en faveur d’une origine dans l’Égée orientale. V. AUTRES TIMBRES AU NOM DE P. VEDIUS POLLIO V.1 Amphores de Cos À Carthage, trois exemplaires sur anse double de Dressel 2-4, forme originaire de Cos, ont été trouvées dans un mur de soutènement (le premier « mur à amphores » publié par A.-L. Delattre en 1894) avec l’inscription 1 : P•lVlEI lDI•PO(llionis) Ce timbre et l’inscription de Bénévent attestent l’orthographe Veidius. Tchernia rappelle que les dates consulaires sur les amphores du mur de soutènement s’échelonnent de 43 à 15 av. J.-C., cette dernière année étant celle du décès de Vedius Pollio. Cependant, n’ayant pas connaissance de la nature précise de la pâte de ces anses, Tchernia se limite à quelques propositions logiques en Italie même pour l’emplacement des vignobles de Vedius Pollio. Cl. Panella qui a examiné ces objets à Carthage, m’a indiqué que la pâte semble « égéenne ». J. Freed l’attribue directement à Cos, mais note que les deux anses portant le timbre ont des pâtes différentes, indice de deux amphores, mais de descriptions qui me paraissent communs à Cos 2. Tchernia notait l’existence de trois anses. V.2 Tuiles d’Italie Trois exemplaires d’un timbre sur tuiles, provenant de l’Oppidum Lucano (province de Potenza), avec l’inscription 3 : P. lVE I(di) POLLION(is) 1 A. TCHERNIA, « Une marque d’amphore au nom de P. Vedius Pollio », RSL 35, 1969, p. 145-148. 2 J. FREED, « Early Roman Amphoras in the Collection of the Museum of Carthage », Échos du Monde Classique/Classical Views 40, 1996, p. 119-155, en particulier la n. 58 (consultable sur Internet) ; J. FREED, « New Observations on the Earliest Roman Amphoras from Carthage : Delattre’s First Amphora Wall », CEDAC Carthage Bulletin 15, 1996, p. 22. J. Freed ma fort aimablement communiqué un dossier sur les amphores de Carthage et la forme Dressel 2-4, en mars 2004. F. Kirbihler signale dans sa thèse (voir ci-dessous) la découverte d’autres amphores au nom de Vedius Pollio en Adriatique, dans un article que je n’ai pu (re)consulter avant l’achèvement du présent article pour vérifier le type d’amphore concerné : D. MANACORDA, « Le anfore dell’Italia repubblica », dans Amphores romaines et histoire économique. Dix ans de recherches (CEFR 114), Paris-Rome, 1989, p. 452. 3 M. GUALTIERI, « Figlinae, domi nobiles ed approvvigionamento di laterizi nell’Italia centromeridionale : due casi di studio », dans BOUCHERON P., BROISE H., THÉBERT Y. éd., La brique antique et médiévale, Rome, 2000, p. 332-333. 131 La production est considérée comme locale et probablement attachée à une villa des environs (peut-être dans la commune de Masseria Ciccotti). VI. P. VEDIUS POLLIO EN ASIE MINEURE (ET EN GRECE) VI.1 Témoignages Le passage de Vedius Pollio en Égée et Asie Mineure est marqué par trois inscriptions honorifiques, des monnaies, un édit tardif faisant référence à des dispositions prises par lui dans le domaine cultuel. Une relation plus profonde et durable est marquée par une loi fiscale. VI.1.1 Bases de statues1 1. Athènes, près du temple d’Athéna Nikè : « Le Peuple à Publius Vedius Pollio fils de Pollio », 2. Ilion-Troie : « L’assemblée des élus (boulè) et le Peuple à Publius Vedius Pollio », 3. Didymes, temple d’Apollon : « Le Peuple des Milésiens à Publius Vedius Pollio pour ses bienfaits (évergétisme) ». VI.1.2 Monnaies à l’effigie de Publius Vedius Pollio La cité de Tralles a émis des monnaies issues de deux coins différents avec son buste et son nom2. VI.1.3 Édit relatif aux finances d’Éphèse Cet édit – daté entre 41 et 47 apr. J.-C., probablement 44 – fait référence à des dispositions prises, environ soixante-dix ans plus tôt, par Vedius Pollio pour Auguste, concernant les cultes d’Éphèse, et en particulier, au salaire des prêtres et aux concours sacrés et pentétériques3 : « Paullus Fabius Persicus, prêtre,…proconsul d’Asie, a proclamé à l’instigation de Tibérius Claudius César Auguste Germanicus lui-même, un édit bienfaisant pour la cité d’Éphèse et toute la province… en accord avec les dispositions prises par Vedius Pollio [mentionnées en trois occasions dans l’inscription], qui furent confirmées par le dieu Auguste. » (…constitutio Vedi Pollionis a divo Augusto confirmata). 1 IG II2, 4125 ; IK 3, Ilion, n° 101 ; IvDidyma, n° 146. 2 BMC Lydia, p. 338, n° 74 et 76 3 CIL III, 7124 = IvEphesos Ia, n° 17 ; voir M. SARTRE, L’Asie Mineure et l’Anatolie d’Alexandre à Dioclétien, Paris 1995, p. 244-245, n° 61. 132 VI.1.4 La lex portoria Cette loi témoigne de l’importance du personnage et de ses affaires en Égée orientale. En effet, « …il a jusqu’en 17 av. J.-C. bénéficié du privilège de ne pas acquitter de portorium en Asie. Après cette date, il ne conserve d’immunité douanière que pour les premiers 10 000 deniers acheminés ou importés, étant la seule personne privée à être citée nommément dans les dispositions fiscales de la lex portoria. » 1. VI.2 « La mission » de Vedius Pollio (P. Scherrer) P. Scherrer a reconstitué une mission que Vedius Pollio a effectuée en Grèce, mais surtout en Asie Mineure Occidentale, pour organiser les cultes principaux, dont celui de l’empereur2. Il se fonde sur les témoignages qui viennent d’être cités et les compare à d’autres documents. VI.2.1 Ulpien (IIe-IIIe s.) Un texte d’Ulpien atteste l’existence de cultes institutionnels à Didymes, Ilion et Éphèse (auxquels s’ajoute Smyrne). Scherrer note qu’Ulpien emploie le même terme de constitutio qui caractérise les mesures prises par Vedius pour les cultes d’Éphèse3. VI.2.2 Attestations du culte d’Auguste 4 Sur l’Acropole d’Athènes il y avait un Sebasteion, Auguste avait financé un culte à Athéna à Ilion, et il y aurait eu un Sebasteion à Didymes. Scherrer conclut que P. Vedius Pollio apparaît comme un spécialiste de l’organisation des cultes de l’empereur, et en particulier de ce qui concernait l’aspect 1 SEG, 1989, 1180, § 40. N. Badoud m’a signalé cet important document et nous avons convenu qu’il s’agissait d’un témoignage clé, dans la perspective d’une origine non pas proprement chiote, mais d’Asie Mineure occidentale, ce que seule l’analyse de pâte permettra peut-être d’élucider. Cet aspect sera abordé dans une addition à la présente mouture. A. Sartre m’a signalé la thèse de F. KIRBIHLER, Les notables d¹Ephèse. Essai d’histoire sociale (133 av. J.-C.-262 ap. J.-C.), Tours, 2003. J’ai pu rencontrer cet auteur qui m’a très aimablement communiqué les pages de son travail consacrées à la gens Vedia (T. I, pages 300-303), desquelles j’extrais la citation concernant la lex portoria. Voir aussi P. SCHERRER, « Augustus, die Mission des Vedius Pollio und die Artemis Ephesia », JÖAI 60, 1990, p. 89, n. 21. 2 P. SCHERRER, « Augustus, die Mission des Vedius Pollio und die Artemis Ephesia », JÖAI 60, 1990, p. 87-101. 3 Ulpien, Digeste, 22, 6: « Deos heredes instituere non possumus praeter eos, quos senatus consulto constitutionibusve principum instituere concessum est, sicuti Iovem Tarpeium, Apollinem Didymaeum Mileti, Martem in Gallia, Minervam Iliensem, Herculem Gaditanum, Dianam Ephesiam, Matrem Deorum Sipylenen, Nemesim quae Smyrnae colitur, et Caelestem Salinensem Carthaginis. » Je remercie N. Badoud pour la traduction de ce passage. P. SCHERRER, « Augustus, die Mission des Vedius Pollio und die Artemis Ephesia », JÖAI 60, 1990, p. 90, n. 30. 4 Références dans P. SCHERRER, « Augustus, die Mission des Vedius Pollio und die Artemis Ephesia », JÖAI 60, 1990, p. 89-90. 133 financier de leur mise en œuvre. Il avait donc été envoyé en Grèce et en Asie Mineure pour organiser les cultes consacrés à Auguste. Pour Scherrer, il semble que, du fait du caractère hautement officiel de sa mission, Vedius Pollio aurait bénéficié d’une escorte de rang proconsulaire, sans en avoir porté le titre. R. Syme suggère que la date à laquelle P. Vedius Pollio aurait « exercé une certaine autorité » tomberait « clairement » vers 31/30, juste après Actium mais avant l’installation d’un « proconsul régulier (qui que cela ait pu être) ». Il ajoute qu’il n’y a pas à supposer qu’un membre de l’ordre équestre ait pu être en charge de l’Asie pour une période longue. Il rappelle que M. Grant (voir ci-dessous) préfère 30/29. Scherrer, quant à lui, situe la mission vers 27 av. J.-C. ou au plus tard 251. Aucune de ces attestations officielles ne fait référence à un passage de P. Vedius Pollio dans les îles grecques. Cependant, il semble difficile d’imaginer qu’il n’ait pas fait au moins un détour par Chios et Cos, ne serait-ce que pour se détendre et bénéficier du prestige de sa position. VII. LES ITALIENS A CHIOS ET COS La présence d’Italiens – negotiatores – est attestée depuis le IIe s. av. J.-C. dans les îles de l’Égée orientale, où ils s’adonnaient à la culture du vin et à son exportation2. Ils y reviennent après les massacres qui eurent lieu durant la guerre de Mithridate. Dans le courant du Ier s. av. J.-C. il y a des propriétaires fonciers italiens à Chios et Cos, mais aussi Lesbos ; il y a des hommes d’affaires italiens notamment à Éphèse, Tralles et en Bithynie3. Tout visiteur, et en particulier de marque, trouvait certainement un accueil digne de lui dans ces îles. Il pouvait certainement y acquérir des terres et en particulier des vignobles, exploités pour son compte par des employés (affranchis et esclaves). Le richissime et raffiné P. Vedius Pollio compte certainement parmi ces riches propriétaires romains. L’existence d’un timbrage à son nom atteste une exploitation organisée et non pas quelques « bouteilles » étiquetées à son nom pour sa consommation personnelle et pour ses amis. À Chios comme à Cos, le contrôle de la production des amphores ne s’accompagnât jamais d’un timbrage intensif à l’époque hellénistique, contrairement à Rhodes ou Cnide par exemple. Ces îles, au contraire, 1 R. SYME, « Who was Vedius Pollio ? », JRS 51, 1961, p. , n. 72 ; P. SCHERRER, « Augustus, die Mission des Vedius Pollio und die Artemis Ephesia », JÖAI 60, 1990, p. 101. 2 Voir notamment J. HATZFELD, Les trafiquants italiens dans l’Orient hellénique. Paris, 1919. 3 Appien, Guerre de Mithridate 47 ; IGR IV 1087 ; témoignages cités par M. SARTRE, L’Asie Mineure et l’Anatolie d’Alexandre à Dioclétien, Paris 1995, p. 160-161. 134 sont caractérisées par un taux de timbrage particulièrement bas, de quelques unités pour cent au mieux. Le peu d’attestations de timbres de P. Vedius Pollio n’a donc pas de quoi trop étonner. Et ce, même s’il serait souhaitable d’en trouver d’autre et ailleurs, notamment à Rome ou au Bénévent par exemple. R. Syme s’interrogeait sur l’origine de « l’opulente maison des P. Vedii à Éphèse qui entra au Sénat sous Antonin le Pieux ». Il proposait plusieurs solutions qui vont dans le sens d’une installation dans la région de marchands italiens à la fin de la République ou peut-être une transmission du nom par un des affranchis de P. Vedius Pollio. C’est la conclusion à laquelle parvient F. Kirbihler, sur la foi de certains documents apparus depuis l’article de Syme. Il signale des Vedii en Bithynie à Nicomédie, à Iasos, à Éphèse et, fort important pour notre propos, à Cos. Avec Kirbihler, il convient d’admettre que c’est fort probablement notre Pollio que Cicéron a rencontré en Bythinie dès 50 av. J.-C.1. Ce tableau apparaît donc fort en accord avec la possession par Vedius Pollio d’exploitations viticoles à Chios et Cos. Si, donc, c’est bien lui que Cicéron rencontre, durant le quart de siècle qui sépare cette rencontre de sa « mission » de 27 av. J.-C., puis ensuite à l’occasion de celle-ci, il aurait eu bien des occasions d’acquérir des terres et des vignobles. Nous avons vu l’importance de son négoce dans la région : il fallait bien qu’il reposât sur une assise foncière considérable, constituée au cours des ans et des visites. Il est donc plausible que ses amphores aient été intégrées dans une expédition de 27-26 av. J.-C., arrivée à Massada, peut-être, d’ailleurs, à l’occasion de la mission elle-même, durant laquelle Vedius Pollio aura pu ordonner l’envoi à Hérode. Une expédition en 19 ne pose pas de problème, également pour l’ensemble des autres sites de trouvaille, et certainement pour Césarée qui n’est pas en chantier avant 22. VIII. HERODE ET L’ASIE MINEURE Le roi Hérode a lui-même visité à plusieurs reprises l’Asie Mineure, à l’occasion de voyages vers Rome. Flavius Josèphe est, bien sûr, la première source littéraire sur les voyages d’Hérode et sur les dons que le roi a faits à plusieurs des 1 R. SYME, « Who was Vedius Pollio ? », JRS 51, 1961, p. 22, 28 ; F. KIRBIHLER, Les notables d’Ephèse. Essai d’histoire sociale (133 av. J.-C.-262 ap. J.-C.), Tours, 2003, p. 301-303, références aux n. 14-15, 21-23, 25-26 ; la première partie de la thèse de Kirbihler devrait paraître aux éditions Ausonius de Bordeaux en 2006, sous le titre « Des Grecs et des Italiens : Ephèse à la Basse-Époque hellénistique (133 av.J.-C.-30 ap. J.-C.) » ; Cicéron, Ad. Att. VI, 1, 25. 135 cités de la région. Des inscriptions attestent également la reconnaissance de certaines d’entre elles1 : Chios. – En 14 av. J.-C. Hérode part de Judée pour rejoindre Marcus Agrippa à Mytilène (Lesbos), mais il en est empêché par une tempête qui le retient à Chios pour quelques jours. Il y est bien accueilli et, sans aucun doute, sera réchauffé puis désaltéré par le vin local de grande réputation. Il décide de reconstruire un portique particulièrement somptueux, resté en ruines depuis la guerre de Mithridate et offre un don en argent à cet effet. Il participa également au paiement des taxes de l’île à Rome. Trois inscriptions pourraient faire référence à des dons d’Hérode : un don fait par un grand roi de 1000 deniers (le paiement de la taxe ?) ; une réparation imprécise en rapport avec une dotation pour un financement dans le domaine athlétique, qui rappelle, d’une part, la fonction de président des Jeux Olympiques exercée en 12 av. J.-C. par Hérode, deux ans après sa visite à Chios et, d’autre part, une dotation pour la fonction de gymnasiarque à Cos (voir ci-dessous) ; enfin, une référence à un athlète victorieux sur l’île du nom d’Antipater fils d’Hérode a peut-être un rapport avec le roi2. Ilion. – L’ancienne Troie a été favorisée par Auguste qui y reconstruisit le théâtre, le sanctuaire d’Athéna et le bouleuterion. Hérode traversa la région d’Ilion en 14 av. J.-C. et est intervenu en faveur de la ville auprès de Marcus Agrippa, par l’intermédiaire de Nicolas de Damas. Rien ne témoigne d’un autre lien du roi avec la ville3. Cos. – Hérode finança à perpétuité la fonction de gymnasiarque de l’île. Il y avait des liens avec la communauté juive mais aussi la nabatéenne. Une base de statue l’honneur et confirme qu’il était citoyen romain. Il n’y a pas de témoignage d’une visite d’Hérode à Cos, bien que cela puisse aisément se concevoir, à l’occasion de ses voyages dans la région4. Rhodes. – L’île a bénéficié des largesses d’Hérode avant qu’il ne soit roi. En 40 av. J.-C., il la visita, un peu moins de trois ans après le sac de Cassius, en route pour Rome. Il contribua financièrement à la reconstruction de l’île, et notamment à celle du temple d’Apollon pythien, bien que peut-être à une autre occasion. Il contribua à soutenir la construction navale, une des spécialités de Rhodes. De même 1 Voir la synthèse de D. ROLLER, The Building Program of Herod the Great, Berkeley, 1998, p. 223235, par ordre alphabétique des sites ; voir aussi L. ROBERT, Etudes épigraphiques et philologiques, Paris 1938, p. 136-138. 2 Flavius Josèphe, AJ 16, 17-19, 26 ; SEG 16, 490 ; SEG 16, 488 ; SEG 35, 930B20. 3 Flavius Josèphe, AJ 16, 26. 4 Flavius Josèphe, BJ 1, 423 ; D.M. JACOBSON, « King Herod, Roman Citizen and benefactor of Kos », BAIAS 13, 1993-4, p. 31-36. 136 qu’à Cos, il y avait à Rhodes une communauté nabatéenne, et un Rhodien a offert un don pour la réparation du pavement du Temple de Jérusalem1. Samos. – Enfin, Hérode offrit des doreai au peuple de Samos à l’occasion de son passage de retour vers la Judée, en 14 av. J.-C. 2. On voit donc qu’Hérode était particulièrement proche des îles de l’Égée et il ne fait aucun doute qu’il en appréciait les produits et essentiellement les vins réputés 3 . Ajoutons aussi que, de même que pour Vedius Pollio, une base de statue honorant Hérode a été trouvée à Athènes4. IX. LES « HOMMES DE L’EMPEREUR AMIS ? » : HERODE ET P. VEDIUS POLLIO ETAIENT-ILS Hérode comme P. Vedius Pollio peuvent être considérés comme faisant partie de ce que l’on peut appeler anachroniquement « les hommes de l’Empereur ». Le premier appartenait à la « classe » des rois-clients, sur lesquels Auguste a fondé son pouvoir en Orient, partout où la domination directe n’était pas établie. On peut même dire qu’Hérode en était le prototype. P. Vedius Pollio représente le cercle des amis de l’Empereur, à qui ils sont fidèles et rendent des services divers, par leurs fonctions mais surtout grâce à leur richesse5. Les deux catégories d’hommes manifestaient une munificence et faisaient preuve d’un raffinement qui devait évidemment les rapprocher. Ajoutons une caractéristique qui rapproche encore, « officiellement », les deux personnages dans leur fonction d’hommes du Prince : dans deux des sites du royaume de Judée, où la moitié des timbres étudiés ici ont été trouvés, il y avait un culte à Auguste établi par Hérode, comparables à ceux que P. Vedius Pollio avait promus en Asie Mineure. Les deux personnages qui nous intéressent ici partageaient également un trait moins sympathique : la cruauté, dont tous deux ont fait preuve à diverses occasions. Nous avons évoqué les murènes gloutonnes de P. Vedius Pollio. Hérode, on le sait, 1 Flavius Josèphe, AJ 14, 377-378; 16, 147 ; BJ 1, 280, 424; B. ISAAC, « A Donation for Herod’s Temple in Jerusalem », IEJ 33, 1983, p. 86-92. 2 Flavius Josèphe, BJ 1, 425 ; voir AJ 16, 24. 3 Cf. note 1. D’autres amphores trouvées à Massada attestent la diversité des origines des vins et autres produits dégustés dans les palais d’Hérode (COTTON et J. GEIGER, J., Masada II. The Latin and Greek Documents. Jérusalem, 1989, chapitre sur les tituli picti, passim ; communication personnelle de R. Bar-Nathan). J’ai pu voir un échantillon de ces récipients qui a été présenté lors d’une exposition itinérante, il y a plusieurs années. 4 OGI 414. 5 D.M. JACOBSON, « Three Roman Client Kings: Herod of Judea, Archelaus of Cappadocia and Juba of Mauretania », PEQ 133, 2001, p. 22-38 ; R. SYME, « Who was Vedius Pollio? », JRS 51, 1961, passim. 137 éliminait sans problèmes les membres de sa famille trop dérangeants (et, dans un cas, en « milieu aquatique » également, lorsqu’il fit noyer, à Jéricho, sont beau-frère, Aristobule III, Grand Prêtre du Temple de Jérusalem) 1. Quand et où nos deux personnages ont-ils pu se rencontrer ? Les renseignements que nous possédons ne permettent que deux suppositions. Il semble probable qu’ils aient pu se connaître à Rome, lors de la visite d’Hérode, en 40 av. J.C., plutôt qu’à l’occasion de son deuxième voyage, de date mal précisée. Si la mission de Pollio a eu lieu en 30, ils ont pu se rencontrer à Rhodes, lorsqu’Auguste y convoqua Hérode. L’empereur aurait pu être accompagné par son favori, qui aurait poursuivi ensuite sa route vers les cités où l’on suit sa trace. Mais on a vu que la date de la mission serait à situer peut-être plus tard. D’autres voyages ne nous sont peutêtre pas connus, évidemment. Vu l’importance de son négoce à Éphèse, Pollio y séjournait-il pour de longues périodes, aux cours desquelles il pouvait accueillir des visiteurs de marque de passage, comme Hérode ? Mais était-il nécessaire qu’ils se soient connus ? Hérode pouvait fort bien commander du vin chez Pollio si celui-ci était suffisamment réputé. Pollio pouvait aussi bien envoyer à Hérode un cadeau de ses vignes, pour l’honorer. Pourtant, ils pourraient s’être, non seulement connu, mais aussi fréquenté. En effet, Hérode a envoyé deux de ses fils, issus du mariage avec Mariamme l’Hasmonéenne à Rome, en 24 plutôt qu’en 22 av. J.-C. 2. Or c’est un certain Pollio, proche d’Hérode qui va les y héberger pendant leur séjour. L’identité de ce personnage, identifié par Josèphe uniquement sous le nom de « Pollio », intrigue depuis longtemps les historiens. R. Syme se demandait si c’est notre P. Vedius Pollio 3. L’autre candidat sérieux est C. Asinus Pollio, notable à l’honorable carrière. Il avait été, notamment, consul en 40 av. J.-C., l’année du couronnement d’Hérode à Rome, et le rapprochement entre les deux hommes fut, alors, probablement purement « technique ». L. H. Feldman considérait qu’Asinius Pollio était proche des Juifs et, dans un raisonnement en cascade – intérêts juifs du consul : proximité d’Hérode – intimité : maison ouverte à Rome –, pense qu’il a probablement hébergé les fils d’Hérode, leur permettant de préserver une vie juive. Il le préfère à six autres Pollio, dont Vedius, sans réelle analyse, sauf leur absence d’intérêts juifs ou de relations 1 Flavius Josèphe AJ 15, 3, 3. Selon N. KOKKINOS, The Herodian Dynasty, Sheffield, 1998, p. 214, avec la n. 27, 369-370. 3 Flavius Josèphe AJ, 15, 343 ; R. SYME, « Who was Vedius Pollio? », JRS 51, 1961, rapide addendum, p. 30. 2 138 avec les Juifs, spécificité qui n’a pas lieu d’être dans le milieu des « hommes de l’empereur »1. Mais Asinius semble ne plus avoir été que toléré sous Auguste2. Il me semble que le rôle joué par les deux hommes, rouages essentiels dans l’appareil augustéen, semble en faveur de l’existence d’une réelle relation entre le roi Hérode et P. Vedius Pollio. La plupart des éléments mis en lumière ici semblent nous mener à la conclusion que ce n’est pas par hasard que les seuls exemplaires d’anses d’amphores timbrées pouvant être attribuées à P. Vedius Pollio trouvés au Levant ne l’aient été que dans les principales résidences d’Hérode et aussi dans le grand port de son royaume, évidemment. ADDENDUM Six nouveaux exemplaires d’anses timbrées de la série PVE POL ont été trouvés lors de fouilles récentes à l’Hérodium, dirigées par Ehud Netzer. Ils m’ont été confiés pour publication par le fouilleur et Barbara Johnson, qui me les a remis. Cinq des timbres sont issus de la Matrice A (MA5 à MA9) et le sixième est issu de la Matrice B, bien que les lettres soient ici toutes plus épaisses et que le « L » n’apparaît pas plus épais que les autres lettres. Ceci est probablement dû à un écrasement insistant de l’ensemble de la matrice lors de l’application sur la courbe de l’anse, très arrondie. Sur la Matrice B, la barre horizontale du « L » est légèrement inclinée vers le bas, détail que j’ai omis de signaler dans le catalogue ci-dessus. Les pâtes des anses sont identiques, sauf une plus sombre, et cela semble dû à une différence dans la cuisson : rouge brun plus ou moins vineux ou rose franc, avec une couverte beige très clair, plus ou moins épaisse et ne couvrant pas intégralement la surface qui est parfois brune. Ces trouvailles en quantité relativement importante dans la résidence jerosolomitaine du roi Hérode (son « Versailles » en quelque sorte) semblent renforcer les conclusions historiques ci-dessus. 1 Flavius Josèphe, AJ 14, 388-389 ; L. H. FELDMAN, « Asinius Pollio and His Jewish Interests », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 84, 1953, p. 77-78. Je ne vois aucun argument décisif en faveur d’Asinius et contre Vedius parmi ceux présentés ultérieurement par Feldman, concernant surtout la technique d’écriture de Josèphe (L. H. FELDMAN, CQ 34, 1984, p. 240-243, répondant à D. BRAUND, « Four Notes on the Herods », CQ 33, 1983, p. 240-241. KOKKINOS, The Herodian Dynasty, Sheffield, 1998, p. 214, n. 27, laisse la question ouverte. 2 M. GRANT, Herod the Great, Londres, 1971, p. 145. 139