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How does a woman become a local sports club leader? The methods of transmission in work in connection with social relations based on gender Anne TATU-COLASSEAU Gilles VIEILLE-MARCHISET Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’Université de Franche-Comté – EA 3189 UPFR STAPS 31 rue de l’Épitaphe, F-25000 Besançon [email protected] Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ? Des processus de transmission à l’œuvre en lien avec les rapports sociaux de sexe ANNE TATU-COLASSEAU • GILLES VIEILLE-MARCHISET RÉSUMÉ : L’article a pour but l’élaboration d’une typologie de dirigeantes dans l’administration du sport local afin de rendre intelligible la diversité rencontrée et de produire un outil de comparaison synchronique et diachronique pour des recherches sur la même thématique. En nous appuyant sur une enquête régionale qualitative – entretiens collectifs et seize récits de vie –, nous restituons et interprétons les traits de quatre profils types de dirigeante en nous arrêtant particulièrement sur les rapports sociaux de sexe et les processus de transmission qui les façonnent : la dirigeante de circonstance, l’élue, la militante associative et la passionnée d’une discipline sportive. Chacune révèle un positionnement différencié dans la division sexuelle du travail opérante au sein de la direction sportive. Les différents profils suggèrent que la position des dirigeantes dépend des valeurs, des normes et des savoirs transmis dans différents contextes familiaux, professionnels et sportifs. Si les deux premiers profils confirment une forme de reproduction de l’ordre social masculin, les deux autres témoignent de transformation des effets de genre et de leur traduction en matière d’investissement féminin. Ils suggèrent des changements minoritaires mais en devenir dans la direction sportive. MOTS CLÉS : femmes, direction, sport local, rapports sociaux de sexe, transmission. ABSTRACT: The goal of this article is to elaborate on a study done of female leaders in local sports management to further understand the existing diversity and to produce a tool of synchronic and diachronic comparison for future research with the same thematic. Based on a qualitative regional survey (group discussions and sixteen personal histories) we reproduce and expound the characteristics of four typical leader profiles paying specific attention to social relations based on gender and the ways these are transferred and shaped: the leader of circumstance, the elected representative, the activist and the passionate sportswoman. Each type reveals a position differentiated by the sexual division of labour working within the sports club management. The various profiles suggest that the leaders’ position depends on values, standards and knowledge passed on within the various contexts of family, professional and sports. If the first two profiles confirm a form of reproduction of the male social order, the two others reflect the kind of change that’s come about by feminine investment. These suggest minor changes but will become the future of sports management. KEY WORDS: women, sport management, local, gender, transmission. DOI: 10.3917/sta.090.0075 76 Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset Wie wird man Leiterin einer lokalen Sportvereinigung? Die Interaktion zwischen Transmissionsprozessen und geschlechterspezifischen Sozialbeziehungen ZUSAMMENFASSUNG : Ziel des Artikels ist es, eine Typologie der Leiterinnen in der lokalen Sportverwaltung zu elaborieren, um die angetroffene Vielfalt zu verstehen und ein Instrument des synchronen und diachronen Vergleichs für Forschungsarbeiten zur gleichen Thematik zu konstruieren. Auf der Basis einer regionalen qualitativen Untersuchung – Gruppendiskussionen und 16 Lebensgeschichten – erstellen und interpretieren wir die Charakteristika von 4 typischen Leiterinnenprofilen, wobei wir uns besonders auf die geschlechterspezifischen Sozialbeziehungen und die Transmissionsprozesse, die diese prägen, konzentrieren: die umstandsbedingte Leiterin, die Gewählte, die Vereinsmilitante und die passionierte Sportlerin. Jeder dieser Typen lässt eine unterschiedliche Position in der geschlechtsspezifischen Arbeitsteilung innerhalb der sportlichen Leitung erkennen. Die unterschiedlichen Profile lassen darauf schließen, dass die Position der Leiterinnen von Normen, Werten und Kenntnissen abhängt, die in verschiedenen familiären, beruflichen und sportlichen Kontexten vermittelt wurden. Während die beiden ersten Profile eine Reproduktionsform der männlichen sozialen Ordnung bestätigen, zeugen die beiden anderen von einer Transformation der Geschlechtseinflüsse und ihrer Übertragung bezüglich der weiblichen Investition. Sie lassen geringe aber wachsende Veränderungen bei Leitungspositionen im Sport erahnen. SCHLAGWÖRTER : Frauen, Führungsposition, lokaler Sport, soziale Beziehungen der Geschlechter, Transmission. Come si diventa dirigente di un’associazione sportiva locale ? Processi di trasmissione all’opera in legame con i rapporti sociali di sesso RIASSUNTO : L’articolo ha per obiettivo l’elaborazione di una tipologia di dirigenti nell’amministrazione dello sport locale al fine di rendere intellegibile la diversità incontrata e di produrre uno strumento di comparazione sincronica e diacronica per ricerche sulla stessa tematica. Appoggiandoci su una inchiesta regionale qualitativa – interviste collettive e 16 racconti di vita – restituiamo e interpretiamo i tratti di 4 profili tipo di dirigente soffermandoci particolarmente sui rapporti sociali di sesso e i processi di trasmissione che li costruiscono: la dirigente di circostanza, l’eletta, la militante associativa e l’appassionata di una disciplina sportiva. Ciascuno rivela un posizionamento differenziato nella divisione sessuale del lavoro operante in seno alla direzione sportiva. I differenti profili suggeriscono che la posizione delle dirigenti dipende dai valori, dalle norme e dai saperi trasmessi in differenti contesti familiari, professionali e sportivi. Se i due primi profili confermano una forma di riproduzione dell’ordine sociale maschile, gli altri due testimoniano le trasformazioni degli effetti di genere e della loro traduzione in materia d’investimento femminile. Essi suggeriscono dei cambiamenti minoritari ma in divenire nella direzione sportiva. PAROLE CHIAVE : direzione, donne, rapporti sociali di sesso, sport locale, trasmissione. RESUMEN : ¿Como transformarse en dirigente de una asociación deportiva local? Aplicación de los procesos de transmisión ligadas con las relaciones sociales del sexo El artículo tiene por objetivo la elaboración de una tipología de los dirigentes en la administración del deporte local con el fin de volver inteligible la diversidad encontrada y producir una herramienta de comparación sincrónica y diacrónica para las investigaciones sobre la misma temática. Apoyándonos sobre una investigación cualitativa regional – entrevistas colectivas y 16 historias de vida – restituimos e interpretamos las características de 4 tipos de perfiles de dirigentes deteniéndonos sobre las relaciones sociales de sexo y los procesos de transmisión que los elaboran: la dirigente circunstancial, la elegida, la militante asociativa y la apasionada de una disciplina deportiva. En la división sexual del trabajo, cada una revela un posicionamiento diferenciado que opera en el seno de la dirección deportiva. Los distintos Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ? 77 perfiles sugieren que la posición de los dirigentes depende de los valores, de las normas y de los conocimientos transmitidos en los distintos contextos familiares, profesionales y deportivos. Si los dos primeros perfiles confirman una forma de reproducción del orden social masculino, los dos otros atestiguan una transformación de los efectos de género y de su traducción en materia de compromiso femenino. Sugieren cambios minoritarios pero con proyección en la dirección deportiva. PALABRAS CLAVES : mujeres, dirección, deporte local, relaciones sociales de sexo, transmisión. Bien que tardive pour les Françaises, la citoyenneté politique acquise en 1944 éloigne les combats féministes des enjeux électoraux. La maîtrise du privé reste longtemps le point névralgique des militantes qui n’ont pas cherché à entrer dans la sphère du pouvoir. À l’antithèse du principe démocratique, l’exclusion des femmes des postes de direction ne devient, en effet, sujet à polémique qu’à la fin de la décennie 1980 et conduit à une analyse du plafond de verre auquel se heurtent les femmes à l’entrée des instances décisionnelles de tous ordres. À la dénonciation quantitative de l’appropriation du pouvoir par les hommes succède la divulgation qualitative des processus à la base de la disqualification des femmes. Dès lors, le questionnement liant genre et pouvoir pénètre les sciences sociales (Mossuz-Lavau & Sineau, 1983 ; Mathieu, 1991 ; Héritier, 1996). Il révèle les fondements culturels de la division sexuée inégalitaire du pouvoir ainsi que les moteurs de l’arrivée des femmes dans les territoires décisionnels (Laufer, 1982 ; Bataille & Gaspard, 1999). Simultanément, la rencontre du genre et du sport dans les sciences sociales s’opère et valide, au travers d’études pionnières, l’existence d’une masculinité hégémonique (Métoudi, 1978 ; Davisse & Louveau, 1991 ; Vertinsky, 1994). L’entrée des femmes se réalise, en conséquence, prioritairement par la confirmation de la division sexuée des valeurs et des préoccupations, au travers de pratiques ou modalités hautement différenciées, ce que révèlent les portraits historiques individuels ou collectifs des premières sportives (Arnaud & Terret, 1996). Si les chiffres de la dernière enquête nationale suggèrent un rapprochement quantitatif de la pratique sportive des deux sexes – 79 % des femmes et 88 % des hommes de 15 à 75 ans déclarent, après relance, une pratique sportive au sens large (Mignon & Truchot, 2002) –, le rapprochement qualitatif concerne une minorité innovante de femmes que les chercheurs interrogent afin d’appréhender les mécanismes de socialisation sexuée et sportive sous-jacents (Louveau, 1986 ; Mennesson, 2004). Sur le terrain, il faut cependant attendre la déclaration de Brighton en 1994, pour qu’un ensemble d’organisations sportives et gouvernementales – dont le Comité International Olympique dans sa Charte Olympique de 1995, article 2, paragraphe 5 – engagent un large mouvement de réflexion sur la place des femmes dans l’espace décisionnel sportif, resté citadelle masculine. Cette dynamique inhérente au mouvement sportif se fait l’écho de trop rares analyses scientifiques sur la thématique. Ces premières analyses tiennent surtout en un état des lieux quantitatif qui souligne l’existence d’une sous-représentation et d’une subordination des femmes du niveau local au national, en France et à l’étranger (White & Brackridge, 1985 ; Reneaud, 1987 ; Macintosch & Beamish, 1988 ; Hall, Cullen & Slack, 1989 ; Dechavanne, 1992 ; Chimot, 2004 ; Deydier, 2004). Elles concluent à l’importation de la division sexuée traditionnelle du travail au travers d’une distribution verticale des postes de direction et d’une autre, horizontale, des secteurs sportifs (Chimot, 2005). Elles sont suivies d’autres sur l’identification des processus à l’origine de la reproduction d’un ordre social masculin dans la direction sportive (Piva, 2003 ; Vieille-Marchiset, 2004) qui décrivent un espace des possibles réduit pour les dirigeantes sous l’effet de qualités féminines vs qualités masculines (Chantelat, Bayle & Ferrand, 2004), certes socialement élaborées, mais utilisées par les 78 Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset dirigeants pour légitimer une évolution des femmes à l’ombre des hommes. Quantitativement, Pourtant, derrière le plus grand nombre se cachent des exceptions qui semblent échapper aux déterminismes de genre. En ce sens, leurs portraits historiques (Robène, 2005 ; Sabatier, 2005), autant que les études sur les politiques de féminisation des pratiques (Mennesson, 2003), s’ils valident le rôle indiscutable des rapports sociaux de sexe dans la construction des carrières de dirigeantes, révèlent simultanément l’existence de stratégies et d’expériences différentes de la féminité ou de la masculinité. Le positionnement novateur dans l’espace du pouvoir sportif qui en découle doit être interrogé en dépassant une lecture reproductive des processus d’affiliation. En effet, l’asymétrie des positions sociales issue du travail de socialisation des genres, qui fait du sexe un marqueur privilégié pour les femmes mais contingent pour les hommes (Bourdieu, 1990 ; Héritier, 1996), tend à s’actualiser différemment dans l’espace des positions de pouvoir : si elle impose des limites à une majorité de femmes, elle offre, paradoxalement à d’autres, l’occasion de définir des voies originales. L’enjeu consiste alors, préalablement, à reconnaître que la situation n’est pas figée au regard d’une lecture diachronique collective – les femmes dirigeantes sont plus nombreuses que quelques décennies en arrière – et individuelle – une dirigeante peut évoluer au cours de son investissement associatif –, mais surtout que les rapports sociaux de sexe à la base de la structuration masculine des espaces de pouvoir évoluent pour ouvrir de nouvelles portes à quelques dirigeantes. Ces changements passent par des transmissions originales et renouvelées des savoirs, savoir-faire et savoirêtre permettant à chaque dirigeante d’acquérir une efficacité et une légitimité au poste occupé. Or, comme le souligne Régis Debray « transmettre, c’est transporter dans le temps » (2002, p. 13), la transmission est alors assimilable à une succession de dons et contre-dons sur une longue durée. La triptyque maussienne – donner, recevoir, rendre – doit donc être mise en lien avec l’espace et le temps. De plus, « le qui de la transmission est moteur par rapport au quoi » (Debray, 1997, p. 31). En conséquence, nous centrerons notre analyse sur les acteurs influençant la passation de compétences aux femmes investies dans la direction sportive. Dans ces conditions, il s’agit d’abord de mettre en évidence les liens existant entre l’investissement des femmes dans la direction sportive locale et leur positionnement dans les rapports sociaux de sexe qui oscillent entre soumission au masculin et modèle autonome de réussite féminine. À un second niveau de problématique, il s’agit de souligner le rôle des acteurs de la transmission issus de divers contextes familiaux, professionnels ou sportifs dans l’acquisition des valeurs, normes et savoirs à la base de l’engagement des femmes dans un comité directeur d’association sportive. 1. MÉTHODOLOGIE Pour éclairer cette problématique, nous nous appuyons sur une enquête régionale menée dans la région Franche-Comté entre 2002 et 2004. Les dirigeantes sportives, du local au régional, y sont définies comme des femmes bénévoles élues dans un bureau directeur d’une association sportive déclarée à la préfecture (présidente, vice-présidente, trésorière, secrétaire). Nous ne nous intéressons donc qu’à la direction administrative et non à la direction technique (Reneaud, 2002). Les données supports de cet article exploitent deux des étapes de l’enquête qualitative : d’abord au travers d’entretiens collectifs (totalement enregistrés et retranscrits) d’une cinquantaine d’acteurs du sport réalisé au cours d’un colloque en mars 2003. Ensuite, par l’intermédiaire de seize récits de vie avec des dirigeantes sélectionnées à partir de critères permettant d’accéder à l’éclectisme des parcours (taux de féminisation des sports, fédérations supports, poste occupé, niveau de responsabi- Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ? lité, origine sociale et âge de la dirigeante, territoire urbain et rural – voir annexe 1). Les entretiens collectifs ont servi de pré-enquête et ainsi permis l’élaboration d’une grille d’entretien minutieuse à la base des récits de vie. L’élaboration collective (équipe de chercheurs mixte) d’une grille d’analyse thématique, après relecture par chaque enquêteur de l’ensemble des entretiens individuels et collectifs, a précédé la réalisation d’une analyse longitudinale puis transversale de l’ensemble des entretiens. La date de l’enquête pourrait laisser craindre un décalage des résultats par rapport à l’actualité de la thématique. Elle ne nous apparaît pas comme une limite : d’abord, parce que les conclusions présentées ici sont issues d’un traitement des matériaux sous un jour nouveau bénéficiant d’un recul favorable à une interprétation moins partisane. Ensuite, la lenteur des processus de transmission étudiés fait qu’il faut attendre au moins une décennie pour prétendre déceler un effet de génération sur des processus novateurs déjà en germe chez les dirigeantes présentées. Enfin, la richesse des matériaux recueillis nous permet d’éclairer une problématique originale. Dans ces conditions, nous nous proposons d’établir une typologie de dirigeantes sportives rencontrées, en prenant en compte le sens que les individus donnent à leur conduite. Nous nous inscrivons dans une perspective compréhensive permettant, selon Passeron (1991), d’établir des îlots d’intelligibilité de la réalité plurielle et complexe. Cette reconstruction interprétative n’est pas une caricature ou une lecture simplifiée, voire simpliste, du réel. Elle découle d’une préalable mise en ordre des processus ou des critères explicatifs de variations interindividuelles importantes derrière les trompeuses apparences majoritaires (Vieille-Marchiset, 2004). Elle est donc un double instrument de connaissance permettant de rendre compréhensible la diversité locale en synthétisant les acquis de la recherche précé1. Lire l’encadré n° 1 pour les extraits de récit de vie. 79 dente au travers de l’accentuation des traits essentiels, tout en devenant un modèle abstrait, potentiel outil de comparaison pour des recherches ultérieures (Schnapper, 1999) dans des contextes géographiques ou temporels différents. Nous nous inspirerons, pour ce faire, de la construction idéal-typique de Weber (1992) pour mettre en évidence quatre idéaux-types issus de notre enquête : la dirigeante de circonstance, l’élue, la militante associative et la passionnée d’une discipline sportive. Chaque profil est d’abord illustré au travers d’un extrait d’entretien particulièrement représentatif qui permet d’associer globalement la dirigeante citée à l’idéal-type, mais pas exclusivement puisque ce dernier demeure, dans l’optique wébérienne, une construction théorique. Puis, il fait l’objet d’une description minutieuse des conditions d’engagement de la dirigeante dans son poste en lien avec son positionnement dans les rapports sociaux de sexe. Enfin, les processus et acteurs des transmissions moteurs de l’investissement sont décortiqués. 2. LA DIRIGEANTE DE CIRCONSTANCE 2.1. Subordination d’une mère Pour ce profil 1, la prise de contact avec les responsabilités associatives se fait souvent dans un cadre officieux, sur le registre du hasard pour la mère, lié à sa présence passive sur le lieu de pratique de ses enfants, et sur celui de l’opportunité pour le club en mal de bénévole. Le coup de main fait progressivement place à l’élection au bureau directeur suite à la vacance d’un poste exécutif. Cette lente adhésion permet une appropriation de l’esprit sportif généralement peu familier pour cette dirigeante. Elle est suivie d’une sollicitation officielle de la part d’un ou plusieurs membres du bureau, la dirigeante de circonstance souhaitant juste se rendre utile. La fonction occupée – secrétariat pour l’essentiel – valide une reproduction de la 80 Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset Encadré 1 : Secrétaire d’un club de football de quartier, + de 45 ans, sans diplôme, sans emploi, mariée, 1 garçon, 1 fille. « Enquêteur (E) : Comment êtes-vous devenue secrétaire dans le club ? Dirigeante (D) : Tout à fait par hasard ! On a fait un challenge une année et ils avaient besoin de mains. Mon mari à l’époque était au foot et mon fils aussi, ça faisait un petit moment qu’ils y étaient, et moi je n’aimais pas le foot et on m’a demandé de donner un coup de main à ce challenge et j’ai dit pourquoi pas (…) et de fil en aiguille, tout doucement, parce que le foot ne m’attirait pas, je suis arrivée dans ce club où étaient mon fils et mon mari et où joue mon mari toujours. Cela fait plus de 10 ans. E : Votre mari joue toujours ? D : Oui et il est dirigeant polyvalent, c’est-à-dire qu’il dépanne lorsqu’il manque des arbitres de touche ou de centre, il est délégué de match, (…) en plus il est membre du district, il fait de la détection, il encadre les équipes (…). E : Quel a été le déclencheur de votre engagement officiel ? D : Ça s’est fait une année ou deux après, le secrétaire est parti (…) et je me suis dit pourquoi ne pas aider un petit peu le club. Sans connaissance particulière, je n’avais jamais fait de secrétariat. Maintenant, je fais du secrétariat, de l’accueil, des permanences. E : Combien de temps par semaine vous effectuez vos tâches de dirigeante ? D : Je viens le lundi, mardi l’après-midi ; le mercredi, on est au terrain, on est présent pendant l’entraînement à faire les appels des gamins, à vérifier les vestiaires, on a toujours des papiers à donner, à récupérer. Et puis, je surveille toutes les catégories. Ensuite il y a le vendredi après midi et enfin le samedi pour les matchs (…). E : À côté vous ne travaillez pas ? D : Non, non. (…) E : Et vous avez été formée pour effectuer vos tâches de dirigeante ? D : Non, il y a le président qui m’a expliqué comment il fallait faire, ça faisait déjà trois ans qu’il était dans l’association, il a été trésorier. Il connaissait un peu le travail de secrétaire, donc c’est lui qui m’a montré pas mal de choses, le principal et après on se débrouille. (…) E : Et avec le temps on progresse ? D : Oui, mais mon travail est toujours limité, je n’ai pas de diplôme, je n’ai rien. (…) J’ai arrêté au certificat d’études et j’ai tout de suite travaillé. E : Est-ce que vous avez voulu évoluer dans l’association, devenir trésorière ou présidente, entrer à la ligue ou au comité départemental ? D : Ah non, c’est trop de souci, trop de boulot. E : Et vous êtes toujours restée à votre poste de secrétaire ? D : Ben oui, parce que personne ne s’est présenté. (…) E : Et pas de discrimination, on va dire par rapport au statut de femme ? D : Non. Au contraire, je suis la seule femme, tout le monde est très gentil avec moi, fait attention ! » division sexuée des tâches, repérable dans sa propre situation familiale et professionnelle, et en accord avec son origine souvent populaire (Le Pape, 2006). L’homme y investit les fonctions à forte valeur sociale ajoutée pendant que la femme travaille dans l’ombre à des tâches qui lui sont traditionnellement dévolues (Alonzo & Liaroutzos, 1998 ; Hirata & Kergoat, 1998) en référence à une conception naturaliste des qualités féminines et masculines (Héritier, 1996). Ce profil se caractérise donc par la subordination. L’engagement dans les responsabilités associatives est d’autant plus durable que la femme le fait pour ses enfants, parfois son conjoint, se rappelant à son rôle séculaire de mère ou d’épouse. Ainsi, en plus de la charge de conciliation qui la conduit prioritairement à accompagner les enfants pendant la pratique, la dirigeante sacrifie son temps libre pour se mettre au service du club et assumer des tâches répétitives qui en découragent plus d’un. Cette forme de double contrainte suggère l’interférence permanente du privé et du public (Théry, 1998), le deuxième s’organisant tou- Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ? jours en fonction du premier (Laufer, 1998). À l’instar des travaux de Doriane Gomet (2005), ce profil privilégie la famille et confirme, en conséquence, une soumission à la domination masculine exprimée de manière insidieuse au travers de pratiques de galanterie et de sollicitude excessive (Goffman, 2002) qui conduisent chacun à rester à sa place. La dirigeante de circonstance est convaincue de ses compétences limitées et se construit donc un capital symbolique négatif (Bourdieu, 1993) renforcé par des pratiques d’exclusion douces qui l’étiquettent et la parent de caractéristiques secondaires vis-à-vis de celles des hommes. En confirmant les préjugés, parfois intériorisés de longue date, la dirigeante de circonstance participe pleinement à la reproduction de sa propre domination (Bourdieu, 1990 ; Martuccelli, 2004) dans le champ particulier de la direction sportive. Elle peut continuer à donner de son temps quelques saisons supplémentaires après le départ des enfants ou du conjoint. Dans ce cas, l’épuisement face à l’inorganisation des petits échelons de l’institution sportive finit par avoir raison de sa bonne volonté et de son dévouement (Sainsaulieu & Laville, 1997). 2.2. Le rôle de la pratique des enfants et du conjoint Cette dirigeante transfère en général les compétences possédées à l’extérieur en rapport avec ses diplômes ou sa profession. Cependant, d’un point de vue plus spécifique, elle se forme, le plus souvent, sur le tas, par essai-erreur et acquiert les compétences nécessaires à l’exercice de sa responsabilité en comptant sur les conseils des autres dirigeants en poste. Il s’agit alors d’une transmission horizontale informelle entre pairs qui opère à la faveur d’une solidarité propre au milieu sportif (Callède, 1985). Mais pour l’essentiel, elle bénéficie d’une transmission intergénérationnelle inversée à la base de sa légitimité. L’investissement dans la pratique de ses enfants et leurs résultats sportifs 81 représentent le bien-fondé de sa présence malgré sa méconnaissance du milieu. Initiée par eux aux normes et aux codes de l’institution, elle bénéficie de leur aura sportive et ne fait l’objet en conséquence d’aucune critique. Il s’agit là d’une forme originale de transmission à rebours (Ségalen, 2003) qui permet à la femmemère une intégration et une ouverture sociale nouvelles. Enfin, la dirigeante de circonstance peut également être légitimée grâce à son conjoint au travers d’une transmission horizontale sexuée déséquilibrée. Elle acquiert à cette occasion une visibilité sociale jamais escomptée, même si cette forme de transmission loin de la dédouaner de sa dépendance à son mari, la renforce dans un statut de « femme de ». Ce profil s’approche partiellement de celui d’autodidacte soumise à l’ordre masculin, décrit par Jacqueline Laufer (1982) à propos des femmes cadres dans l’entreprise. Il s’en éloigne dans la mesure où la dirigeante de circonstance n’atteint jamais un poste à responsabilité. 2.3. Synthèse Finalement, la dirigeante de circonstance est mère de famille, mariée, âgée d’une trentaine d’années au début de son investissement, elle échoue à des postes exécutifs dans le club de ses jeunes enfants ou de son conjoint. Rarement sportive, peu diplômée, issue de milieu modeste, elle est sollicitée pour dépanner et rendre service sur un poste vacant dans tous types de sport et de fédération, là où les enjeux sont faibles et le bénévolat fait défaut. Surreprésentée en milieu rural et au niveau des clubs, elle présente un investissement long, indéfectible et sans évolution. Très rare à un niveau plus élevé de responsabilité (départemental ou régional), elle n’est alors qu’une femme-alibi cantonnée en général dans une commission féminine sans existence décisionnelle, ni même consultative. Ce profil est majoritaire au niveau local, quelle que soit la discipline sportive. 82 Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset 3. L’ÉLUE Encadré 2 : Présidente d’un comité départemental de tennis, vice-présidente de Ligue, 45 ans, professeur d’EPS, mariée, 2 fils. « E : Comment êtes-vous devenue dirigeante ? D : La première année, j’étais joueuse en loisir, la deuxième, il y avait des membres du bureau qui ne souhaitaient pas se représenter donc (…) Monsieur X qui était président du club m’a demandé si ça m’intéressait. Je crois que cette personne vous allez souvent entendre son nom parce qu’il est déterminant dans mes orientations. (…) Il a pris la présidence du département et celle de la ligue, (…) est le numéro 2 au niveau fédéral, donc il a été sollicité de toute part (…) alors il m’a ensuite demandé si j’acceptais de lui succéder. Lui faisant entièrement confiance, parce qu’il a des orientations au niveau sportif qui me conviennent tout à fait, j’ai pris la présidence du club (…) après il m’a mise présidente du département. (…) E : Vous avez l’impression que c’était important que cette personne vous propose ? D : Oui, je ne l’aurais pas fait de moi-même, (…) je ne me mets pas en avant. Je me suis dit après « tiens tu es capable de faire avancer telle ou telle chose », (…) mais c’est une fois qu’on est dans la place qu’on se le dit, mais je n’aurais pas pris l’initiative. (…) Vous savez je crois que la prise de responsabilités au niveau des femmes, je ne suis pas sûre que ça repose sur une idée bien ancrée de faire carrière, d’arriver à tel but, je pense que c’est un déroulement d’événements, on vous propose, vous acceptez puis après vous allez encore au-dessus mais ça se fait sans prétention. (…) E : Vous avez une idée des raisons pour lesquelles il est venu vous solliciter ? D : Il veut responsabiliser les dames, il dit que les idées transmises par les dames passent beaucoup mieux que celles transmises par les messieurs. Une façon de présenter qui lui convient mieux, (…) il fait assez confiance et on a peut-être cette souplesse… E : Et le fait que vous soyez professeur d’EPS, ça a joué ? D : Oui, car quand je suis rentrée au Comité, il m’a mise responsable de l’École de Tennis. (…) E : Il y a eu des situations où vous avez été en désaccord ? D : Non, (…) personnellement je n’ai jamais pris position contre et je me souviens pas avoir défendu une idée différente. Je pense que jusqu’à présent, on est relativement en osmose (…), je crois qu’on mène une politique ensemble dont Monsieur X donne les grandes orientations. (…) Mais la fonction que j’ai, je la conçois avec un groupe bien défini, on est une famille, on travaille tous ensemble en équipe. (…) E : Ça vous apporte quelque chose au niveau personnel ces responsabilités ? D : Ah oui, tout à fait, au niveau de la confiance en moi, j’étais quand même quelqu’un, ayant perdu mon papa très jeune et ayant une sœur de 6 ans mon aînée, j’étais assistée derrière ma sœur et ça m’a beaucoup aidé de prendre des responsabilités pour prendre de l’assurance et m’engager clairement alors que ce n’était pas du tout dans ma nature avant, j’étais beaucoup plus en retrait et effacée, c’est pas mon style de me faire remarquer, donc ça m’a aidé au niveau relationnel et je suis reconnaissante. Je suis aussi admirative devant Monsieur X, lui il peut improviser devant un oratoire plein, moi je dois préparer et j’ai toujours un stress. (…) E : Est-ce qu’à un moment donné ça a quand même pu vous prendre trop de temps pour qu’on vous le fasse remarquer, dans votre famille par exemple ? D : Ah ben, c’est sûr qu’au niveau de la famille (…) c’est sûr que j’essaie de gérer mais bon j’ai 17 heures de cours et 3 heures d’UNSS donc j’ai quand même pas mal de liberté donc tout ce qui est ménage, j’essaie d’être à peu près à jour, je passais la serpillère tout à l’heure vous avez vu… Bon j’essaie quand même de faire d’autres choses à côté, les enfants, qui sont grands maintenant ils font du sport, je les amène sur les différents lieux, j’essaie de les suivre au niveau scolaire, au niveau sportif. (…) E : Vous vous voyez prendre encore plus de responsabilités ? D : Présidente de Ligue c’est autre chose, ça demande à la fois plus de temps et de la compétence ; (…) ça me paraît très dur au niveau politique, vous avez quand même plus de contacts directs avec les collectivités locales. Là, ça m’effraierait un peu. (…) Je ne me sens pas présidente de Ligue comme Monsieur X, il faut une aisance que je n’ai pas. (…). (…) E : Pour le tennis, c’est un héritage familial ? D : Chez nous, mon papa travaillait au FC Sochaux, dans le milieu professionnel du foot, donc on avait une culture sportive et on a pratiqué un peu toutes les activités. (…) Mon père, ça a toujours été ma référence, malheureusement, je l’ai perdu j’avais 17 ans. » Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ? 3.1. Désignation d’une femme dépendante L’élue possède, avant son engagement dans la direction sportive, une pratique de loisir dans un sport souvent partagé par le reste de la famille. Très vite sensibilisée au manque de main-d’œuvre, elle s’engage d’abord dans un poste administratif au niveau local à l’image de la dirigeante de circonstance. Cependant, ses capitaux, sociaux et culturels, liés à sa profession et à sa connaissance de l’institution, la distinguent aux yeux d’un dirigeant bien placé. Elle est alors véritablement désignée par cet homme pour le remplacer à un poste décisionnel départemental ou régional qu’il quitte, souvent pour prendre encore plus de responsabilités. Cette désignation ne souffre, dès lors, d’aucune discussion, la dirigeante étant à la fois bénéficiaire de la protection et de la formation de la part d’un supérieur qui ne la laisse pas seule face à ses nouvelles responsabilités. Elle lui permet de déjouer des modalités électives restées discriminantes pour les femmes minoritaires dans le système sportif. Son intronisation ressemble alors à un adoubement avant lequel la dirigeante a fait ses gammes pour acquérir les nouvelles compétences propres à son poste. Le cérémonial peut se reproduire autant de fois que l’homme quitte un poste pour d’autres fonctions plus prestigieuses. La femme évolue alors littéralement à l’ombre de cet homme, se sentant tout à la fois admirative et reconnaissante. Malgré sa progression incessante dans la hiérarchie de la direction sportive, elle présente une autolimitation et une réserve qu’aucune promotion ne sait atténuer. Elle témoigne ainsi d’une infériorité traditionnellement intériorisée et acceptée (Martuccelli, 2004) qui la fait se sentir moins compétente que l’homme qui l’a nommée et surtout incapable d’assumer des enjeux supérieurs. En réservant à l’homme la gestion du politique, les négociations en coulisse et les présentations officielles, en se cantonnant au travail préparatoire des dossiers, dans le cocon du bureau, cette dirigeante confirme la répartition inégale des rôles sexués dans la 83 sphère publique (Maruani, 1998) et l’existence d’un ordre social masculin (Bourdieu, 1990) qu’elle reproduit globalement dans la sphère privée. En dépendant, dans son évolution, des décisions que ce dirigeant prend pour elle, elle confirme la place secondaire de la femme corrélée à son manque de confiance en elle. On le comprendra par la suite, l’arrêt de l’investissement de cette dirigeante est improbable tant elle se sent débitrice. 3.2. Le formatage d’un mentor Au-delà d’une transmission descendante familiale qui l’a sensibilisée tôt à la pratique sportive et l’a accompagnée dans un parcours scolaire long et diplômant, l’élue bénéficie par la suite d’une transmission horizontale sexuée unilatérale de la part d’un homme au sein de la direction sportive. Elle est alors littéralement formatée à la manière de diriger de cet homme, devenu mentor, qui prétend soutenir une politique volontariste en direction de nouvelles venues aux pratiques managériales innovantes. Que la transmission prenne la direction d’une femme plutôt que d’un homme laisse cependant supposer, de la part du dirigeant, l’utilisation d’un pion sur l’échiquier de la direction locale pour soutenir une stratégie de pérennisation de son œuvre. La dirigeante promue se retrouve dans une relation d’initiation (Strauss, 1992) et de protection à la base d’une légitimité recevable aux yeux des autres dirigeants malgré un système masculin qui se voudrait méritocratique. L’élue est alors, dans ce mode original et pionnier de transmission, au centre d’un processus complexe de don et de contre-don (Mauss, 1924) : bénéficiaire d’un poste et des connaissances qui l’accompagnent, la dirigeante rencontre une situation d’obligation de rendre vis-à-vis de son mentor. Elle connaît alors le versant négatif de la dette (Godbout, 2000) qui la rend définitivement redevable vis-à-vis de son donateur : elle ne peut, en effet, rembourser qu’au travers d’un investissement fidèle à ses préceptes. Le contre-don prend dans ce cas la direction de l’institution sportive 84 Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset qui bénéficie, en la personne de l’élue, d’une dirigeante convaincue et disciplinée. Cette chaîne de dons, visible dans la circulation des postes, pérennise d’une certaine manière le système bénévole dans le même temps qu’il entretient l’arrangement social des sexes (Goffman, 2002) au bénéfice des établis mâles face aux nouvelles venues (Elias & Scotson, 1997). Elle rend improbable toute velléité féminine d’émancipation. Ce modèle ne trouve pas d’équivalent dans les travaux de Laufer (1982) sur le monde de l’entreprise. Il pourrait croiser cependant quelques étapes du parcours des nouvelles héritières (Pinçon & Charlot, 1996) formées pour prendre la tête de l’entreprise familiale, mais s’en éloigne cependant dans la dépendance au mentor dont elle ne peut s’affranchir. 3.3. Synthèse Âgée d’une quarantaine d’années au moment où tout commence, l’élue est désignée par un dirigeant pour lui succéder. Diplômée de l’enseignement supérieur, sa profession est souvent en rapport avec l’enseignement et les activités physiques, mais dans des niveaux de responsabilité qui restent moyens. Mariée et mère, elle reste inscrite dans une répartition traditionnelle des rôles sexués dans la famille en parallèle d’une vie sportive en rapport avec la discipline objet d’investissement. Avant sa désignation à un poste à responsabilité au niveau départemental ou régional, elle possède déjà un investissement associatif dans des postes exécutifs au niveau local sous l’égide du dirigeant qui devient son mentor. Elle entre alors au service du dirigeant tout autant que du système sportif pour une durée indéterminée conditionnée par son incapacité à se dédouaner de l’héritage. 4. LA MILITANTE ASSOCIATIVE 4.1. Volontarisme et marginalisation d’une femme émancipée La militante associative 2 se caractérise par un long parcours évolutif vers des fonctions déci2. Voir encadré n° 3 pour les extraits de récit de vie. sionnelles. Elle possède des valeurs qui soutiennent son investissement polymorphe et surtout volontariste. En ce sens, cette dirigeante entre dans la direction sportive à l’occasion d’une contingence favorable, mais sans que le hasard y soit pour quelque chose : elle était déjà là, dans la place, prête à répondre positivement à toute sollicitation. Sa longue expérience associative et son dévouement lui confèrent un rôle de confiance qu’elle assume avec humilité, mais conviction. En conséquence, bien que peu carriériste – elle est davantage animée par l’envie d’aider et de rendre service à autrui – elle aspire souvent à des fonctions supérieures dans le but d’actions encore plus efficaces. Mais son évolution à vocation altruiste se heurte, dans les domaines réservés, aux logiques de succession et de solidarités masculines (Bataille & Gaspard, 1999). L’accès aux postes décisionnels suppose alors de la patience – attendre la vacance d’un poste – et une réelle stratégie de positionnement pour prendre de vitesse les mécanismes de désignation masculins. Forte de son vécu et d’un vrai programme, la militante associative, loin d’être une nouvelle venue, se présente plus comme un outsider qui fait face aux établis (Elias & Scotson, 1997). Elle est alors stigmatisée pour son statut de femme ou de mère : la cabale, la rumeur, les conduites et propos machistes, les campagnes de dénigrement sont monnaie courante et agissent comme arsenal de marginalisation d’une femme pourtant déjà largement isolée. Dans un tel contexte, la dirigeante doit prouver sans cesse ses compétences et sa disponibilité sans faille, au-delà de ce qui est exigé d’un homme (Laufer, 1982). Cet investissement a un coût et suppose un sacrifice consenti (Robène, 2005), une négociation préalable au sein du couple pour une redéfinition des rôles et un partage des tâches. Ce processus d’interchangeabilité des rôles au sein du couple opère à la faveur des milieux dotés en capital culturel et s’apparente à ce que Claude Dubar (2003) nomme l’individualisation de la vie privée d’une génération de Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ? 85 Encadré 3 : Présidente d’un CDOS (Comité Départemental Olympique et Sportif), 60 ans, professeur d’EPS, mariée, sans enfant. « E : Quel est votre itinéraire de dirigeante ? D : J’avais des responsabilités au sein du lycée que j’ai développées, puisque j’étais coordinateur de 13 profs, secrétaire d’AS (Association Sportive Scolaire), responsable de la formation continue, j’ai été aussi dans une expérimentation ministérielle au niveau des classes de seconde (…). Je pense que j’ai eu des étapes, c’est-à-dire que je voulais faire un maximum de choses dans mon travail et ensuite, quand je me sens bien, je peux monter une marche. Et, ça s’est passé de cette façon au niveau sportif puisque, pendant quelques années, j’avais les responsabilités de secrétaire générale du CDOS, bien qu’on me l’ait proposé, je ne voulais pas devenir présidente du CDOS, j’avais encore des choses à faire et à démontrer. (…) Aujourd’hui, je suis présidente de Profession Sport 90 (Territoire de Belfort), je suis directrice de l’UNSS (Union Nationale du Sport Scolaire) et présidente du CDOS. (…) E : Est ce que vous avez constaté des réticences vis-à-vis de l’entrée d’une femme ? D : Oui, bien sûr (…). Le jour de mon élection, j’ai quand même eu quelqu’un qui avait postulé pour être au comité directeur qui m’a dit qu’une femme n’ayant pas fait son service militaire ne savait pas commander, (…) c’est le machisme, (…) ce sont des mesquineries, des petites phrases qui font mal, les gens pensent que vous êtes là parce que vous avez de belles jambes et un beau cul, même si c’est pas vrai, (…) donc, moi je l’ai mal vécu, mais au lieu de dire, « je m’en vais », ça m’a donné un peu de cœur au ventre, pour montrer que j’étais aussi capable que les mecs. (…) Après, une femme doit être plus compétente qu’un homme pour accéder à ce genre de place, parce que moi j’en connais des incompétents qui sont présidents et qui s’accrochent ! (…) E : L’investissement vis-à-vis des autres était une tradition familiale ? D : Papa, maman, c’étaient des bénévoles de cœur (…). Pour eux, c’était directement dirigé vers les autres, c’était aider les autres. On n’est pas une grande famille catholique, ni religieuse. Je crois que c’est le passé de mon père qui a beaucoup souffert qui faisait qu’il voulait donner, quant à mon arrière-grand-mère qui avait aussi eu de grosses difficultés, (…) c’étaient des qualités de cœur. On a toujours été élevé comme ça, donc (…) ça me semble logique. (…) E : Le regard de votre famille, de votre conjoint sur cet investissement associatif ? D : Ma mère est très fière. Ce qui ne l’empêche pas de me dire, « mais arrête de travailler ! », régulièrement ; parce qu’elle voit que je suis toujours à droite à gauche. Elle, elle a 82 ans, et on est obligé de lui téléphoner pour prendre rendez-vous pour pouvoir la voir ! (…) J’ai un mari brillant, il est directeur commercial, (…) au départ, quand on s’est rencontré, c’était un pacte de non-ingérence dans l’activité de l’autre. (…) Donc à partir du moment où il y a ce contrat, je n’ai jamais eu de difficulté à dire « je vais en réunion à telle heure, je rentre ce soir, je pars ici, je pars là », j’ai beaucoup de chance. (…) J’avais dit, il n’est pas question que j’arrête de travailler, je suis d’une famille où les femmes ont toujours travaillé ! » Présidente du comité régional FFEPMM, 55 ans, infirmière, 3 grands enfants. (…) E : Concernant vos filles ? D : Mes deux filles ont fait de la gym. La grande, elle fait sa dernière année de compétition, elle a déjà entrepris le cursus entraîneur. Elle est au comité directeur de l’association. Elle l’a fait sans me demander. (…) Je crois qu’elle me ressemble, elle a envie de donner, de faire. (…) E : Est-ce qu’il faut imposer une parité dans les instances dirigeantes ? D : Oui, je pense que ça serait mieux parce que la vision du fonctionnement par un homme ou une femme est différente même si on va dans le même sens. (…) Chez l’homme, c’est plus direct, il pense moins à tout ce qui va découler, toutes ces petites choses. Alors que la femme, elle va tout de suite voir le point de détail. C’est pour ça que la parité a lieu d’être, ça a un rôle d’équilibre. (…) Les femmes, on a un rôle d’apaisement, parce que parfois il y a des conflits qui sont surtout d’ordre personnel, (…) être diplomate. (…) On apporte aussi plus de démocratie. (…) Mais je dirais qu’il faudrait quand même que les femmes se « boostent » un peu plus pour s’affirmer ! Je crois que la femme qui a une responsabilité est un peu différente. Je dirais que les femmes qui arrivent à un poste comme ça, c’est peut-être parce qu’elles disent : « moi j’arrive aussi à faire des choses, y’a pas que les hommes ». 86 Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset femmes issue de la révolution culturelle des années 1960, plus autonome vis-à-vis de la famille. Elle parvient finalement à rallier une majorité à sa cause en imposant un style managérial personnel et novateur (Chantelat, Bayle & Ferrand, 2004) qui prône l’écoute et le travail collectif. Elle renvoie à l’identité professionnelle spécifique des femmes guides de haute montagne qui investissent un rapport au métier « genré » par la féminisation de certaines compétences (Mennesson, 2005). Dans cette perspective, elle oscille entre un féminisme différentialiste qui la rend sensible à la parité et un autre universaliste (Heinich, 2003) qui argue l’égalité de sexes à commencer dans son propre couple. L’arrêt de l’investissement est rare tant les sacrifices concédés et les coups encaissés renforcent la volonté de cette femme. L’abandon, quand il arrive, est alors douloureux et vécu comme un échec, une incapacité à faire face à une bataille qui ne touche plus au sportif mais au personnel. 4.2. Le don de soi en héritage Représentative d’un itinéraire d’affiliation des plus évolutifs, la dirigeante militante trouve sa légitimité et sa motivation à la faveur d’une transmission familiale descendante de dispositions et valeurs (Sabatier, 2005) : le don de soi, l’abnégation, l’entraide et la solidarité sont reçues comme héritage de plusieurs générations d’aïeux. Ce sont, en ce sens, plus des savoir-être qui servent de moteur à l’investissement au départ et à l’occasion des coups durs. Par la suite, la dirigeante acquiert les savoirs et savoir-faire par autodidaxie au travers d’un travail personnel – formation, remise en question – de tous les instants et d’une expérience longue. Elle importe également des savoir-faire de sa vie professionnelle, actuelle ou passée, souvent proche de sa vie associative. Finalement issue d’une dynastie, que l’on pourrait qualifier d’associative, elle s’est engagée de longue date dans un processus de transmission des valeurs d’un militantisme existentiel (Sabatier, 2005) ou d’un capital militant (Matonti & Poupeau, 2004) en direction de ses enfants, quand elle est mère. Cette transmission est l’occasion, dans des contextes de pratique encore majoritairement féminins, de la naissance de dynasties sportives nouvelles, puisque matrilinéaires et exclusivement féminines. En ce sens, elle ressemble à la jeune diplômée décrite par Jacqueline Laufer (1982), qui cherche une troisième voie pour amener l’égalité des sexes au sein de l’entreprise. Il s’agit ici de faire évoluer les représentations et stéréotypes sexués qui prévalent au sein de la direction sportive. Elle s’en différencie par son âge, la militante étant plus représentative d’une génération vieillissante de dirigeantes. 4.3. Synthèse D’âge mûr, la militante associative présente un investissement associatif volontaire et polymorphe. Elle possède une connaissance précise de l’institution liée à une évolution progressive dans les échelons de la direction sportive locale. Représentative du militantisme des classes moyennes cultivées (Collovald, 2002), elle travaille souvent dans un secteur social, éducatif ou sanitaire dans lequel les valeurs véhiculées confirment celles de son investissement associatif pour former un profil très cohérent. Éloignée des considérations matérielles et des enjeux de pouvoir, elle s’investit facilement dans les fédérations féminines, non olympiques et multisports, en milieu rural, mais peut paradoxalement percer dans les fiefs masculins – mouvement olympique ou fédération masculine –, là où les enjeux politiques et financiers conduisent à d’âpres luttes de pouvoir (Wigmore, 1996). Indépendante dans son couple, mère de grands enfants, ou sans enfant, elle peut satisfaire à l’exigence de disponibilité liée à son militantisme et sait faire face aux hostilités masculines collectives. Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ? 87 5. LA PASSIONNÉE D’UNE DISCIPLINE SPORTIVE Encadré 4 : Présidente d’un Comité départemental de judo, 58 ans, chef d’entreprise, mariée, 1 garçon, 1 fille. « E : Racontez-moi votre parcours… D : Ben, disons, moi c’est surtout la passion du judo. J’ai commencé ce sport à 12 ans, j’ai fait de la compétition, un peu de résultats. (…) J’ai toujours continué à m’entraîner une fois par semaine, même si je ne fais plus de compétition. (…) J’avais commencé par la gymnastique, toute gamine à Pontarlier et il n’y a plus eu d’entraîneur et dans le quartier où j’habitais il y avait un petit club de judo et j’étais allée là. Ça m’avait bien plus, alors je suis restée, mais j’étais la seule fille (…), je me suis toujours entraînée avec des garçons. (…) Même si vous allez à des stages et que vous rencontrez des féminines, si vous vous entraînez toute l’année qu’avec des mecs, ce n’est pas pareil. (…) Les seules filles que je voyais aux stages, en interrégion, on ne discutait pas, elles étaient entre elles (…) donc c’est vrai que je me sentais bien excentrée, mais, bon, je n’en étais pas malheureuse ! (…) Dans mon travail, c’est pareil, le fait d’être souvent une féminine avec pas mal de masculin. Alors, c’est vrai que quand on fait l’assemblée générale des résineux, je ne suis pas gênée, moi ça ne me dérange pas. (…) E : Vous pouvez juste me dire rapidement votre parcours en tant que dirigeante ? D : Là, je suis présidente départementale et j’étais responsable des féminines au niveau du département et au niveau de la ligue aussi. Voilà, c’est par ce biais-là que j’étais dans le Comité. (…) J’ai été arbitre interrégional. Autrement, j’ai été membre du collège des ceintures noires qui n’existe plus (…). Je me suis occupée d’entraîner des filles au club (…), je les ai emmenées en championnat de France (…). Il faut savoir, en judo les présidents départementaux doivent être ceinture noire et plus encore les présidents de ligue ! E : Et, en tant qu’entraîneur, vous avez passé des diplômes ? D. : Ben, disons que, j’ai le tronc commun, mais bon, j’avais essayé de faire le B.E. 1 (Brevet d’État 1er degré) (…) E : Et cette envie d’être présidente, d’où elle est venue ? D : C’était surtout pour faire passer des choses que j’avais vues depuis longtemps. C’est vrai que quand on reste des années à pratiquer puis à côté du président, on voit qu’il y a des choses à changer. (…) Pour la présidence, j’ai eu l’opportunité de me présenter parce que le président du département j’ai su qu’il allait démissionner, bon, j’ai un petit peu dit à tout le monde : « oh ! Je vais me présenter ». (…) J’ai fait un petit peu ma campagne, les gens se sont faits à l’idée. Parce que je me suis dit si je l’annonce de but en blanc je risque de me faire piquer la place. J’avais vraiment envie de le faire. Et puis là, je vais me représenter avec les Jeux Olympiques. Après, on verra bien. Parce que, c’est vrai, je voulais faire passer des choses et puis, bon, ça ne passe pas tout de suite non plus. Il faut le temps que les gens viennent et puis de créer toute l’équipe autour de soi, que les gens se rallient en disant : « on te soutient ». E : Est-ce qu’une personne vous a influencé, vous a dit : « ah ce serait bien… » ? D : Non. Plutôt le contraire. (…) E : Est-ce que le fait d’avoir pratiqué et d’avoir été arbitre et entraîneur, vous a aidé ? D : Je pense que cela m’a plutôt facilité. Parce que je connais un peu tout le monde, j’allais en stage, j’encadrais les féminines. Après, j’ai fait l’arbitrage, (…) j’ai fait aussi d’autres choses, le collège des ceintures noires, entre autres, on a une partie ju-jitsu, j’ai fait aussi les stages nationaux. Donc je sais des choses et puis les gens ils vous connaissent et quand ils veulent vous demander des choses, ils savent que déjà vous pourrez leur répondre ! (…) E : Est-ce que la parité dans la direction sportive serait une bonne chose ? D : Ben, moi je pense que c’est surtout une question de compétence. (…) S’il y a une fille qui a des compétences, (…) elle peut être élue. Moi, j’ai été élue, il y a pas de problème. (…) Bon, il faut aussi que les femmes le veuillent. Je pense qu’elles ont peut-être pas assez de volonté. (…) Je vois des femmes qui viennent mais qui repartent, qui se découragent rapidement ! (…) Sur le tapis, les organisateurs sont aux trois quarts masculins, mais à la buvette, là, on voit des femmes ! (…) Bon, j’ai l’impression aussi des fois que les femmes se placent dans cette situation. On les a pas mises en avant et elles s’y mettent pas beaucoup non plus ! » 88 Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset 5.1. Autodésignation et affirmation d’une sportive autonome Ce profil de dirigeante est le seul à prétendre accéder directement à un poste prestigieux, il est représentatif d’une démarche d’affirmation minoritaire pour les femmes dans la direction sportive. Engagée de longue date dans une discipline en tant que sportive confirmée, cette femme présente d’abord un investissement technique qui suit généralement l’acquisition de diplômes d’encadrement. Forte d’une connaissance précise du terrain, elle perçoit les besoins et souhaite par son engagement « administratif » faire avancer sa discipline. Elle se caractérise alors par une autodésignation qui ne rencontre guère de contestation tant son expérience est indéniable. Cette dirigeante se définit par des dispositions genrées nouvelles constituées au cours de son parcours sportif qui l’éloigne des sentiers de la reproduction sexuée. Elle déjoue les rouages d’une institution sportive perçue comme un lieu d’aliénation et de domination masculine (Baillette & Liotard, 1999). Son regard critique sur la sexuation des postes et la parité perçoit la subordination des femmes comme un faux problème. Pour elle, l’enjeu tient dans la compétence, une femme peut donc assumer les mêmes postes qu’un homme. La vision rejoint celle du féminisme universaliste (Heinich, 2003), cette dirigeante prouvant par son parcours qu’un engagement autonome au féminin est possible. Elle refuse en conséquence le regard porté qui la définit comme exception, mais entretient cependant, par ses actes et son jugement, son particularisme : elle est une femme au monde des hommes et s’est, pour ce faire, désolidarisée des autres femmes à qui elle n’envisage guère de transmettre son poste, faute de candidate compétente. À l’instar des milieux politiques, la direction sportive peut ainsi se définir comme lieu de construction d’une culture masculine, « là s’élabore une culture commune, s’échangent des informations, se tissent des réseaux. Les femmes y sont acceptées mais à condition […] qu’elles oublient, dans leur propos, qu’elles sont des femmes solidaires des femmes. La plupart des femmes qui ont vécu ce type de situation se sont entendues dire qu’elles n’étaient pas comme les autres » (Gaspard, 2000, p. 114). L’arrêt prend la forme d’un besoin de reconversion ou d’une désillusion complète face à l’inertie d’un système sclérosé : en passant de l’autre côté du miroir, elle prend connaissance des tractations en coulisse qui dénaturent et dévalorisent l’enjeu sportif. Mais cette prise de conscience conduit parfois, au contraire, à des prétentions supérieures pour véritablement changer le système. 5.2. Le vécu sportif comme moteur Ce profil témoigne d’un renouvellement des dispositions acquises et mobilisées par les femmes pour s’imposer dans la direction sportive. Comme dans d’autres champs professionnels, le bien-fondé de sa présence tient dans la démonstration de compétences équivalentes à celles des hommes et dans la connaissance accrue du milieu. Pourvue des valeurs, normes et codes de l’institution, la longue initiation sportive de cette dirigeante lui confère donc sa légitimité. Elle possède, en ce sens, les savoirs et savoir-être distinctifs qui font défaut à la dirigeante de circonstance ainsi que les savoir-faire que la militante associative ne possède pas spécifiquement. Pour construire ses dispositions, elle a bénéficié systématiquement d’une transmission classique descendante d’un capital sportif familial important et, comme les sportives engagées dans des sports masculins, a souvent connu une socialisation primaire et des socialisations sexuées inversées lui permettant de construire des caractéristiques traditionnellement réservées aux hommes (Mennesson, 2004). Elle se rapproche, en ce sens, davantage de l’autodidacte masculine ayant intégré les modes de vie et les valeurs masculines dans le monde de l’entreprise décrite par Jacqueline Laufer (1982), donc de la neutralisation de la féminité, l’engagement se faisant sur le modèle Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ? masculin. Son parcours long dans la sphère sportive lui donne l’occasion de rencontres et d’expériences formatrices, de socialisations secondaires (Dubar, 2000) qui façonnent une véritable culture sportive. 5.3. Synthèse Sportive confirmée, la passionnée d’une discipline s’investit dans la pratique de ses exploits. Issue des milieux sociaux intermédiaires, elle possède des diplômes en rapport avec son sport, lui permettant souvent d’en faire profession et d’être légitime. Généralement jeune et célibataire au moment de l’engagement, elle dispose de caractéristiques sociales et culturelles qui la rendent irréprochable aux yeux des dirigeants en place. Elle vit pour faire évoluer sa discipline et se positionne là où les décisions sont prises ; en conséquence, elle accède, le plus souvent, directement à un haut poste à responsabilité au niveau départemental ou régional. Ce profil déplace ce qui peut être perçu comme transgressif de la part d’une femme dans la direction administrative (Gomet, 2005) et y redéfinit les frontières du masculin et du féminin. Minoritaire pour l’heure, il semble représentatif de la jeune génération de dirigeante sportive. 6. CONCLUSION Les quatre profils identifiés révèlent des rapports sociaux de sexe différenciés qui positionnent spécifiquement la dirigeante dans la répartition des rôles sexués et la construction du genre. Certains itinéraires traduisent des changements sociaux à l’œuvre en matière d’effets de genre et une redéfinition effective des frontières du masculin et du féminin dans le cadre plus large de la société. Le premier profil, largement majoritaire, révèle l’exclusion douce dont les dirigeantes font souvent l’objet. Il est celui de la reproduction par excellence d’un ordre social masculin où la femme se définit d’abord et exclusivement au travers de son rôle 89 séculaire de mère. Cependant, le deuxième profil, celui de l’élue, certes peu répandu, entretient la dépendance de la femme vis-à-vis de l’homme et confirme sa participation active à sa propre soumission. Les deux autres profils, encore minoritaires, sortent des sentiers battus de la reproduction de la domination masculine avec des options pourtant aux antipodes : la militante associative trace une voie nouvelle, celle du droit à la différence dans les méthodes managériales, qui s’appuie sur une nécessaire parité, tout en étant représentative d’un profil féminin plus égalitariste et indépendant au sein du couple. La passionnée d’une discipline sportive verse, elle, du côté universaliste prônant la suspension de tout particularisme. Ce faisant, elle tend souvent à confirmer et renforcer le seul modèle à l’œuvre dans les postes de direction, en adoptant les comportements masculins reconnus jusqu’alors au sein de l’institution sportive. Au niveau des modalités de transmission, la dirigeante de circonstance est au cœur d’un processus inversé, puisque la connaissance et la légitimité dans le système fédéral sont acquises grâce aux enfants investis dans les clubs. L’autodidaxie et l’apprentissage entre pairs développent les compétences requises pour un poste le plus souvent subalterne à l’ombre des dirigeants masculins. L’élue a un parcours beaucoup plus long dans les instances fédérales ; elle évolue dans la sphère associative grâce à un mentor qui l’initie aux subtilités de la direction associative. Elle reste alors endettée et se trouve dépendante de ce protecteur, même si elle s’affirme ensuite dans des postes à responsabilité au sein du mouvement sportif local. Dans les mêmes postes se retrouve la militante associative, animée de ressources spécifiques transmises dans la famille. Elle est porteuse de dispositions au don de soi, au bénévolat et de savoir-faire dans la gestion d’associations, acquises très tôt au contact d’aïeux militants. Pour le dernier profil, l’engagement dans la pratique sportive lui donne une 90 Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset légitimité particulière : elle a vécu un itinéraire d’affiliation (Callède, 1985) à la base de sa parfaite connaissance des rouages du système sportif. Sa connaissance des individus, des contraintes techniques et des normes administratives lui permet de prendre place dans la direction du sport local, souvent à des postes à responsabilité. Ces résultats riches se font le miroir fidèle de processus multiples de transmission à la base d’identités de genre de moins en moins figées dans la direction sportive. Cependant, l’absence d’analyse des représentations des hommes en poste reste le point aveugle de notre perspective. Il serait en effet judicieux de confronter ces profils aux regards portés par les dirigeants sur les dirigeantes dans une démarche d’enquête équivalente à celle de Pascal Chantelat (2004). Il s’agirait alors de penser les rapports sociaux de sexe en termes de mixité dans les clubs. Cette démarche permettrait un niveau de validation supérieur d’un potentiel outil synchronique et diachronique de comparaison qui devra attendre sa confrontation à d’autres contextes culturels et temporels pour être généralisé. BIBLIOGRAPHIE ALONZO, P. & LIAROUTZOS, O. (1998). Secrétaires, des carrières à la traîne. in M. Maruani (Éd.), Les nouvelles frontières de l’inégalité. Hommes et femmes sur le marché du travail, Paris, La Découverte, 59-70. ARNAUD, P. & TERRET, T. (Éds). (1996). Histoire du sport féminin. Paris, L’Harmattan. BAILLETTE, F. & LIOTARD, P. (1999). Sport et virilisme. Toulouse, Quasimodo et Fils. BATAILLE, P. & GASPARD, F. (1999). 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PRÉSENTATION DES 16 PERSONNES INTERVIEWÉES DANS L’ENQUÊTE PAR RÉCITS DE VIE - Présidente d’un CDOS, 60 ans, professeur d’E.P.S, mariée, C.A.P.E.P.S, sans enfant. - Présidente d’un Comité départemental, vice-présidente de Ligue, tennis, 48 ans, professeur d’E.P.S., C.A.P.E.P.S, mariée, 2 garçons. - Présidente d’un Comité départemental, judo, 58 ans, chef d’entreprise, B.E.P., mariée, un garçon et une fille. - Présidente Comité régional, E.P.M.M., 54 ans, infirmière libérale, diplôme d’infirmière, mariée, 2 filles et 1 garçon. - Présidente Comité régional du C.S.O., équitation, 36 ans, chef d’entreprise (centre équestre), B.E.E.S. 1er et 2e degré, mariée, un garçon. - Trésorière ligue, lutte, 46 ans, ASSEM employée communale, C.A.P. d’aide-comptable, divorcée, un garçon et deux filles. - Trésorière Comité départemental, escalade, 40 ans, mère au foyer (jusqu’à 35 ans) puis comptable, aucune formation professionnelle. - Secrétaire de ligue, handball, 55 ans, secrétaire, veuve et en concubinage, 1 fille. - Présidente de club, cyclisme, 48 ans, ouvrière, sans diplôme, mariée, 1 garçon et 1 fille. - Présidente de club, gymnastique, 38 ans, en recherche d’emploi, en formation avec jeunesse et sport dans l’animation, mariée, 2 filles. - Présidente de club, basket-ball, 39 ans, secrétaire dans le privé, B.E.P., mariée, 3 garçons. - Secrétaire de club, escrime, 47 ans, sans profession, niveau B.E.P., mariée, 3 garçons. - Trésorière de club, tennis, 52 ans, pharmacienne libérale, diplôme de pharmacie d’officine, divorcée, 2 filles. - Secrétaire de club, football, 50 ans, en recherche d’emploi, sans diplôme, mariée, 1 garçon et 1 fille. - Secrétaire de club, athlétisme, 48 ans, en recherche d’emploi, sans diplôme, divorcée, 2 enfants. - Secrétaire de club, football, 25 ans, nourrice agrée, B.E.P sanitaire et sociale, célibataire, sans enfant.