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How does a woman become a local sports club
leader? The methods of transmission in work
in connection with social relations based on gender
Anne TATU-COLASSEAU
Gilles VIEILLE-MARCHISET
Laboratoire de sociologie et d’anthropologie
de l’Université de Franche-Comté – EA 3189
UPFR STAPS
31 rue de l’Épitaphe, F-25000 Besançon
[email protected]
Comment devient-on dirigeante
d’une association sportive locale ?
Des processus de transmission à l’œuvre
en lien avec les rapports sociaux de sexe
ANNE TATU-COLASSEAU • GILLES VIEILLE-MARCHISET
RÉSUMÉ : L’article a pour but l’élaboration d’une typologie de dirigeantes dans l’administration du sport
local afin de rendre intelligible la diversité rencontrée et de produire un outil de comparaison synchronique et diachronique pour des recherches sur la même thématique. En nous appuyant sur une enquête
régionale qualitative – entretiens collectifs et seize récits de vie –, nous restituons et interprétons les traits
de quatre profils types de dirigeante en nous arrêtant particulièrement sur les rapports sociaux de sexe
et les processus de transmission qui les façonnent : la dirigeante de circonstance, l’élue, la militante associative et la passionnée d’une discipline sportive. Chacune révèle un positionnement différencié dans la
division sexuelle du travail opérante au sein de la direction sportive. Les différents profils suggèrent que
la position des dirigeantes dépend des valeurs, des normes et des savoirs transmis dans différents contextes familiaux, professionnels et sportifs. Si les deux premiers profils confirment une forme de reproduction de l’ordre social masculin, les deux autres témoignent de transformation des effets de genre et
de leur traduction en matière d’investissement féminin. Ils suggèrent des changements minoritaires
mais en devenir dans la direction sportive.
MOTS CLÉS : femmes, direction, sport local, rapports sociaux de sexe, transmission.
ABSTRACT: The goal of this article is to elaborate on a study done of female leaders in local sports management to further understand the existing diversity and to produce a tool of synchronic and diachronic
comparison for future research with the same thematic. Based on a qualitative regional survey (group
discussions and sixteen personal histories) we reproduce and expound the characteristics of four typical
leader profiles paying specific attention to social relations based on gender and the ways these are transferred and shaped: the leader of circumstance, the elected representative, the activist and the passionate
sportswoman. Each type reveals a position differentiated by the sexual division of labour working within
the sports club management. The various profiles suggest that the leaders’ position depends on values,
standards and knowledge passed on within the various contexts of family, professional and sports. If the
first two profiles confirm a form of reproduction of the male social order, the two others reflect the kind
of change that’s come about by feminine investment. These suggest minor changes but will become the
future of sports management.
KEY WORDS: women, sport management, local, gender, transmission.
DOI: 10.3917/sta.090.0075
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Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset
Wie wird man Leiterin einer lokalen Sportvereinigung? Die Interaktion zwischen
Transmissionsprozessen und geschlechterspezifischen Sozialbeziehungen
ZUSAMMENFASSUNG :
Ziel des Artikels ist es, eine Typologie der Leiterinnen in der lokalen Sportverwaltung zu elaborieren,
um die angetroffene Vielfalt zu verstehen und ein Instrument des synchronen und diachronen Vergleichs für Forschungsarbeiten zur gleichen Thematik zu konstruieren. Auf der Basis einer regionalen
qualitativen Untersuchung – Gruppendiskussionen und 16 Lebensgeschichten – erstellen und interpretieren wir die Charakteristika von 4 typischen Leiterinnenprofilen, wobei wir uns besonders auf die
geschlechterspezifischen Sozialbeziehungen und die Transmissionsprozesse, die diese prägen, konzentrieren: die umstandsbedingte Leiterin, die Gewählte, die Vereinsmilitante und die passionierte Sportlerin. Jeder dieser Typen lässt eine unterschiedliche Position in der geschlechtsspezifischen
Arbeitsteilung innerhalb der sportlichen Leitung erkennen. Die unterschiedlichen Profile lassen darauf
schließen, dass die Position der Leiterinnen von Normen, Werten und Kenntnissen abhängt, die in verschiedenen familiären, beruflichen und sportlichen Kontexten vermittelt wurden. Während die beiden
ersten Profile eine Reproduktionsform der männlichen sozialen Ordnung bestätigen, zeugen die beiden anderen von einer Transformation der Geschlechtseinflüsse und ihrer Übertragung bezüglich der
weiblichen Investition. Sie lassen geringe aber wachsende Veränderungen bei Leitungspositionen im
Sport erahnen.
SCHLAGWÖRTER : Frauen, Führungsposition, lokaler Sport, soziale Beziehungen der Geschlechter, Transmission.
Come si diventa dirigente di un’associazione sportiva locale ? Processi di trasmissione
all’opera in legame con i rapporti sociali di sesso
RIASSUNTO :
L’articolo ha per obiettivo l’elaborazione di una tipologia di dirigenti nell’amministrazione dello sport
locale al fine di rendere intellegibile la diversità incontrata e di produrre uno strumento di comparazione sincronica e diacronica per ricerche sulla stessa tematica. Appoggiandoci su una inchiesta regionale qualitativa – interviste collettive e 16 racconti di vita – restituiamo e interpretiamo i tratti di 4 profili
tipo di dirigente soffermandoci particolarmente sui rapporti sociali di sesso e i processi di trasmissione
che li costruiscono: la dirigente di circostanza, l’eletta, la militante associativa e l’appassionata di una
disciplina sportiva. Ciascuno rivela un posizionamento differenziato nella divisione sessuale del lavoro
operante in seno alla direzione sportiva. I differenti profili suggeriscono che la posizione delle dirigenti
dipende dai valori, dalle norme e dai saperi trasmessi in differenti contesti familiari, professionali e sportivi. Se i due primi profili confermano una forma di riproduzione dell’ordine sociale maschile, gli altri
due testimoniano le trasformazioni degli effetti di genere e della loro traduzione in materia d’investimento femminile. Essi suggeriscono dei cambiamenti minoritari ma in divenire nella direzione sportiva.
PAROLE CHIAVE : direzione, donne, rapporti sociali di sesso, sport locale, trasmissione.
RESUMEN : ¿Como transformarse en dirigente de una asociación deportiva local? Aplicación de los
procesos de transmisión ligadas con las relaciones sociales del sexo
El artículo tiene por objetivo la elaboración de una tipología de los dirigentes en la administración del
deporte local con el fin de volver inteligible la diversidad encontrada y producir una herramienta de
comparación sincrónica y diacrónica para las investigaciones sobre la misma temática. Apoyándonos
sobre una investigación cualitativa regional – entrevistas colectivas y 16 historias de vida – restituimos e
interpretamos las características de 4 tipos de perfiles de dirigentes deteniéndonos sobre las relaciones
sociales de sexo y los procesos de transmisión que los elaboran: la dirigente circunstancial, la elegida, la
militante asociativa y la apasionada de una disciplina deportiva. En la división sexual del trabajo, cada
una revela un posicionamiento diferenciado que opera en el seno de la dirección deportiva. Los distintos
Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ?
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perfiles sugieren que la posición de los dirigentes depende de los valores, de las normas y de los conocimientos transmitidos en los distintos contextos familiares, profesionales y deportivos. Si los dos primeros perfiles confirman una forma de reproducción del orden social masculino, los dos otros atestiguan
una transformación de los efectos de género y de su traducción en materia de compromiso femenino.
Sugieren cambios minoritarios pero con proyección en la dirección deportiva.
PALABRAS CLAVES : mujeres, dirección, deporte local, relaciones sociales de sexo, transmisión.
Bien que tardive pour les Françaises, la
citoyenneté politique acquise en 1944 éloigne les
combats féministes des enjeux électoraux. La
maîtrise du privé reste longtemps le point
névralgique des militantes qui n’ont pas cherché
à entrer dans la sphère du pouvoir. À l’antithèse
du principe démocratique, l’exclusion des femmes des postes de direction ne devient, en effet,
sujet à polémique qu’à la fin de la décennie
1980 et conduit à une analyse du plafond de verre
auquel se heurtent les femmes à l’entrée des
instances décisionnelles de tous ordres. À la
dénonciation quantitative de l’appropriation du
pouvoir par les hommes succède la divulgation
qualitative des processus à la base de la disqualification des femmes. Dès lors, le questionnement
liant genre et pouvoir pénètre les sciences sociales (Mossuz-Lavau & Sineau, 1983 ; Mathieu,
1991 ; Héritier, 1996). Il révèle les fondements
culturels de la division sexuée inégalitaire du
pouvoir ainsi que les moteurs de l’arrivée des
femmes dans les territoires décisionnels (Laufer,
1982 ; Bataille & Gaspard, 1999). Simultanément, la rencontre du genre et du sport dans les
sciences sociales s’opère et valide, au travers
d’études pionnières, l’existence d’une masculinité hégémonique (Métoudi, 1978 ; Davisse &
Louveau, 1991 ; Vertinsky, 1994). L’entrée des
femmes se réalise, en conséquence, prioritairement par la confirmation de la division sexuée
des valeurs et des préoccupations, au travers de
pratiques ou modalités hautement différenciées,
ce que révèlent les portraits historiques individuels ou collectifs des premières sportives
(Arnaud & Terret, 1996). Si les chiffres de la
dernière enquête nationale suggèrent un rapprochement quantitatif de la pratique sportive
des deux sexes – 79 % des femmes et 88 % des
hommes de 15 à 75 ans déclarent, après relance,
une pratique sportive au sens large (Mignon &
Truchot, 2002) –, le rapprochement qualitatif
concerne une minorité innovante de femmes
que les chercheurs interrogent afin d’appréhender les mécanismes de socialisation sexuée et
sportive sous-jacents (Louveau, 1986 ; Mennesson, 2004). Sur le terrain, il faut cependant
attendre la déclaration de Brighton en 1994,
pour qu’un ensemble d’organisations sportives
et gouvernementales – dont le Comité International Olympique dans sa Charte Olympique de
1995, article 2, paragraphe 5 – engagent un
large mouvement de réflexion sur la place des
femmes dans l’espace décisionnel sportif, resté
citadelle masculine. Cette dynamique inhérente
au mouvement sportif se fait l’écho de trop rares
analyses scientifiques sur la thématique. Ces premières analyses tiennent surtout en un état des
lieux quantitatif qui souligne l’existence d’une
sous-représentation et d’une subordination des
femmes du niveau local au national, en France
et à l’étranger (White & Brackridge, 1985 ;
Reneaud, 1987 ; Macintosch & Beamish, 1988 ;
Hall, Cullen & Slack, 1989 ; Dechavanne, 1992 ;
Chimot, 2004 ; Deydier, 2004). Elles concluent à
l’importation de la division sexuée traditionnelle
du travail au travers d’une distribution verticale
des postes de direction et d’une autre, horizontale, des secteurs sportifs (Chimot, 2005). Elles
sont suivies d’autres sur l’identification des processus à l’origine de la reproduction d’un ordre
social masculin dans la direction sportive (Piva,
2003 ; Vieille-Marchiset, 2004) qui décrivent un
espace des possibles réduit pour les dirigeantes
sous l’effet de qualités féminines vs qualités masculines (Chantelat, Bayle & Ferrand, 2004), certes socialement élaborées, mais utilisées par les
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Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset
dirigeants pour légitimer une évolution des femmes à l’ombre des hommes. Quantitativement,
Pourtant, derrière le plus grand nombre se
cachent des exceptions qui semblent échapper
aux déterminismes de genre. En ce sens, leurs
portraits historiques (Robène, 2005 ; Sabatier,
2005), autant que les études sur les politiques de
féminisation des pratiques (Mennesson, 2003),
s’ils valident le rôle indiscutable des rapports
sociaux de sexe dans la construction des carrières de dirigeantes, révèlent simultanément
l’existence de stratégies et d’expériences différentes de la féminité ou de la masculinité. Le
positionnement novateur dans l’espace du pouvoir sportif qui en découle doit être interrogé en
dépassant une lecture reproductive des processus d’affiliation.
En effet, l’asymétrie des positions sociales
issue du travail de socialisation des genres, qui
fait du sexe un marqueur privilégié pour les
femmes mais contingent pour les hommes
(Bourdieu, 1990 ; Héritier, 1996), tend à
s’actualiser différemment dans l’espace des
positions de pouvoir : si elle impose des limites
à une majorité de femmes, elle offre, paradoxalement à d’autres, l’occasion de définir des
voies originales. L’enjeu consiste alors, préalablement, à reconnaître que la situation n’est pas
figée au regard d’une lecture diachronique collective – les femmes dirigeantes sont plus nombreuses que quelques décennies en arrière – et
individuelle – une dirigeante peut évoluer au
cours de son investissement associatif –, mais
surtout que les rapports sociaux de sexe à la
base de la structuration masculine des espaces
de pouvoir évoluent pour ouvrir de nouvelles
portes à quelques dirigeantes. Ces changements passent par des transmissions originales
et renouvelées des savoirs, savoir-faire et savoirêtre permettant à chaque dirigeante d’acquérir
une efficacité et une légitimité au poste occupé.
Or, comme le souligne Régis Debray « transmettre, c’est transporter dans le temps » (2002,
p. 13), la transmission est alors assimilable à
une succession de dons et contre-dons sur une
longue durée. La triptyque maussienne – donner, recevoir, rendre – doit donc être mise en
lien avec l’espace et le temps. De plus, « le qui
de la transmission est moteur par rapport au
quoi » (Debray, 1997, p. 31). En conséquence,
nous centrerons notre analyse sur les acteurs
influençant la passation de compétences aux
femmes investies dans la direction sportive.
Dans ces conditions, il s’agit d’abord de mettre en évidence les liens existant entre l’investissement des femmes dans la direction sportive
locale et leur positionnement dans les rapports
sociaux de sexe qui oscillent entre soumission
au masculin et modèle autonome de réussite
féminine. À un second niveau de problématique, il s’agit de souligner le rôle des acteurs de
la transmission issus de divers contextes familiaux, professionnels ou sportifs dans l’acquisition des valeurs, normes et savoirs à la base de
l’engagement des femmes dans un comité
directeur d’association sportive.
1. MÉTHODOLOGIE
Pour éclairer cette problématique, nous nous
appuyons sur une enquête régionale menée
dans la région Franche-Comté entre 2002 et
2004. Les dirigeantes sportives, du local au
régional, y sont définies comme des femmes
bénévoles élues dans un bureau directeur d’une
association sportive déclarée à la préfecture (présidente, vice-présidente, trésorière, secrétaire).
Nous ne nous intéressons donc qu’à la direction
administrative et non à la direction technique
(Reneaud, 2002). Les données supports de cet
article exploitent deux des étapes de l’enquête
qualitative : d’abord au travers d’entretiens collectifs (totalement enregistrés et retranscrits)
d’une cinquantaine d’acteurs du sport réalisé au
cours d’un colloque en mars 2003. Ensuite, par
l’intermédiaire de seize récits de vie avec des
dirigeantes sélectionnées à partir de critères permettant d’accéder à l’éclectisme des parcours
(taux de féminisation des sports, fédérations
supports, poste occupé, niveau de responsabi-
Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ?
lité, origine sociale et âge de la dirigeante, territoire urbain et rural – voir annexe 1). Les
entretiens collectifs ont servi de pré-enquête et
ainsi permis l’élaboration d’une grille d’entretien
minutieuse à la base des récits de vie. L’élaboration collective (équipe de chercheurs mixte)
d’une grille d’analyse thématique, après relecture par chaque enquêteur de l’ensemble des
entretiens individuels et collectifs, a précédé
la réalisation d’une analyse longitudinale puis
transversale de l’ensemble des entretiens.
La date de l’enquête pourrait laisser craindre un décalage des résultats par rapport à
l’actualité de la thématique. Elle ne nous apparaît pas comme une limite : d’abord, parce que
les conclusions présentées ici sont issues d’un
traitement des matériaux sous un jour nouveau
bénéficiant d’un recul favorable à une interprétation moins partisane. Ensuite, la lenteur des
processus de transmission étudiés fait qu’il faut
attendre au moins une décennie pour prétendre déceler un effet de génération sur des
processus novateurs déjà en germe chez les
dirigeantes présentées. Enfin, la richesse des
matériaux recueillis nous permet d’éclairer une
problématique originale. Dans ces conditions,
nous nous proposons d’établir une typologie de
dirigeantes sportives rencontrées, en prenant
en compte le sens que les individus donnent à
leur conduite. Nous nous inscrivons dans une
perspective compréhensive permettant, selon
Passeron (1991), d’établir des îlots d’intelligibilité de la réalité plurielle et complexe. Cette
reconstruction interprétative n’est pas une caricature ou une lecture simplifiée, voire simpliste,
du réel. Elle découle d’une préalable mise en
ordre des processus ou des critères explicatifs
de variations interindividuelles importantes
derrière les trompeuses apparences majoritaires (Vieille-Marchiset, 2004). Elle est donc un
double instrument de connaissance permettant
de rendre compréhensible la diversité locale en
synthétisant les acquis de la recherche précé1. Lire l’encadré n° 1 pour les extraits de récit de vie.
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dente au travers de l’accentuation des traits
essentiels, tout en devenant un modèle abstrait,
potentiel outil de comparaison pour des recherches ultérieures (Schnapper, 1999) dans des contextes géographiques ou temporels différents.
Nous nous inspirerons, pour ce faire, de la
construction idéal-typique de Weber (1992)
pour mettre en évidence quatre idéaux-types
issus de notre enquête : la dirigeante de circonstance, l’élue, la militante associative et la
passionnée d’une discipline sportive. Chaque
profil est d’abord illustré au travers d’un extrait
d’entretien particulièrement représentatif qui
permet d’associer globalement la dirigeante
citée à l’idéal-type, mais pas exclusivement
puisque ce dernier demeure, dans l’optique
wébérienne, une construction théorique. Puis,
il fait l’objet d’une description minutieuse des
conditions d’engagement de la dirigeante dans
son poste en lien avec son positionnement dans
les rapports sociaux de sexe. Enfin, les processus et acteurs des transmissions moteurs de
l’investissement sont décortiqués.
2. LA DIRIGEANTE DE CIRCONSTANCE
2.1. Subordination d’une mère
Pour ce profil 1, la prise de contact avec les
responsabilités associatives se fait souvent dans
un cadre officieux, sur le registre du hasard
pour la mère, lié à sa présence passive sur le
lieu de pratique de ses enfants, et sur celui de
l’opportunité pour le club en mal de bénévole.
Le coup de main fait progressivement place à
l’élection au bureau directeur suite à la vacance
d’un poste exécutif. Cette lente adhésion permet une appropriation de l’esprit sportif généralement peu familier pour cette dirigeante.
Elle est suivie d’une sollicitation officielle de la
part d’un ou plusieurs membres du bureau, la
dirigeante de circonstance souhaitant juste se
rendre utile. La fonction occupée – secrétariat
pour l’essentiel – valide une reproduction de la
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Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset
Encadré 1 : Secrétaire d’un club de football de quartier, + de 45 ans, sans diplôme, sans emploi,
mariée, 1 garçon, 1 fille.
« Enquêteur (E) : Comment êtes-vous devenue secrétaire dans le club ?
Dirigeante (D) : Tout à fait par hasard ! On a fait un challenge une année et ils avaient besoin de mains.
Mon mari à l’époque était au foot et mon fils aussi, ça faisait un petit moment qu’ils y étaient, et moi je n’aimais pas le foot et on m’a demandé de donner un coup de main à ce challenge et j’ai dit pourquoi pas (…)
et de fil en aiguille, tout doucement, parce que le foot ne m’attirait pas, je suis arrivée dans ce club où étaient
mon fils et mon mari et où joue mon mari toujours. Cela fait plus de 10 ans.
E : Votre mari joue toujours ?
D : Oui et il est dirigeant polyvalent, c’est-à-dire qu’il dépanne lorsqu’il manque des arbitres de touche ou
de centre, il est délégué de match, (…) en plus il est membre du district, il fait de la détection, il encadre les
équipes (…).
E : Quel a été le déclencheur de votre engagement officiel ?
D : Ça s’est fait une année ou deux après, le secrétaire est parti (…) et je me suis dit pourquoi ne pas aider
un petit peu le club. Sans connaissance particulière, je n’avais jamais fait de secrétariat. Maintenant, je
fais du secrétariat, de l’accueil, des permanences.
E : Combien de temps par semaine vous effectuez vos tâches de dirigeante ?
D : Je viens le lundi, mardi l’après-midi ; le mercredi, on est au terrain, on est présent pendant l’entraînement
à faire les appels des gamins, à vérifier les vestiaires, on a toujours des papiers à donner, à récupérer. Et puis,
je surveille toutes les catégories. Ensuite il y a le vendredi après midi et enfin le samedi pour les matchs (…).
E : À côté vous ne travaillez pas ?
D : Non, non.
(…) E : Et vous avez été formée pour effectuer vos tâches de dirigeante ?
D : Non, il y a le président qui m’a expliqué comment il fallait faire, ça faisait déjà trois ans qu’il était dans
l’association, il a été trésorier. Il connaissait un peu le travail de secrétaire, donc c’est lui qui m’a montré pas
mal de choses, le principal et après on se débrouille.
(…) E : Et avec le temps on progresse ?
D : Oui, mais mon travail est toujours limité, je n’ai pas de diplôme, je n’ai rien. (…) J’ai arrêté au certificat
d’études et j’ai tout de suite travaillé.
E : Est-ce que vous avez voulu évoluer dans l’association, devenir trésorière ou présidente, entrer à la ligue
ou au comité départemental ?
D : Ah non, c’est trop de souci, trop de boulot.
E : Et vous êtes toujours restée à votre poste de secrétaire ?
D : Ben oui, parce que personne ne s’est présenté.
(…) E : Et pas de discrimination, on va dire par rapport au statut de femme ?
D : Non. Au contraire, je suis la seule femme, tout le monde est très gentil avec moi, fait attention ! »
division sexuée des tâches, repérable dans sa
propre situation familiale et professionnelle, et
en accord avec son origine souvent populaire
(Le Pape, 2006). L’homme y investit les fonctions à forte valeur sociale ajoutée pendant que
la femme travaille dans l’ombre à des tâches qui
lui sont traditionnellement dévolues (Alonzo &
Liaroutzos, 1998 ; Hirata & Kergoat, 1998) en
référence à une conception naturaliste des qualités féminines et masculines (Héritier, 1996).
Ce profil se caractérise donc par la subordination. L’engagement dans les responsabilités
associatives est d’autant plus durable que la
femme le fait pour ses enfants, parfois son conjoint, se rappelant à son rôle séculaire de mère
ou d’épouse. Ainsi, en plus de la charge de conciliation qui la conduit prioritairement à accompagner les enfants pendant la pratique, la
dirigeante sacrifie son temps libre pour se mettre au service du club et assumer des tâches
répétitives qui en découragent plus d’un. Cette
forme de double contrainte suggère l’interférence permanente du privé et du public
(Théry, 1998), le deuxième s’organisant tou-
Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ?
jours en fonction du premier (Laufer, 1998). À
l’instar des travaux de Doriane Gomet (2005),
ce profil privilégie la famille et confirme, en
conséquence, une soumission à la domination
masculine exprimée de manière insidieuse au
travers de pratiques de galanterie et de sollicitude excessive (Goffman, 2002) qui conduisent
chacun à rester à sa place. La dirigeante de circonstance est convaincue de ses compétences
limitées et se construit donc un capital symbolique
négatif (Bourdieu, 1993) renforcé par des pratiques d’exclusion douces qui l’étiquettent et la
parent de caractéristiques secondaires vis-à-vis
de celles des hommes. En confirmant les préjugés, parfois intériorisés de longue date, la dirigeante de circonstance participe pleinement à
la reproduction de sa propre domination
(Bourdieu, 1990 ; Martuccelli, 2004) dans le
champ particulier de la direction sportive. Elle
peut continuer à donner de son temps quelques saisons supplémentaires après le départ
des enfants ou du conjoint. Dans ce cas, l’épuisement face à l’inorganisation des petits échelons de l’institution sportive finit par avoir
raison de sa bonne volonté et de son dévouement (Sainsaulieu & Laville, 1997).
2.2. Le rôle de la pratique des enfants et
du conjoint
Cette dirigeante transfère en général les
compétences possédées à l’extérieur en rapport
avec ses diplômes ou sa profession. Cependant,
d’un point de vue plus spécifique, elle se forme,
le plus souvent, sur le tas, par essai-erreur et
acquiert les compétences nécessaires à l’exercice de sa responsabilité en comptant sur les
conseils des autres dirigeants en poste. Il s’agit
alors d’une transmission horizontale informelle
entre pairs qui opère à la faveur d’une solidarité propre au milieu sportif (Callède, 1985).
Mais pour l’essentiel, elle bénéficie d’une transmission intergénérationnelle inversée à la base
de sa légitimité. L’investissement dans la pratique de ses enfants et leurs résultats sportifs
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représentent le bien-fondé de sa présence malgré sa méconnaissance du milieu. Initiée par
eux aux normes et aux codes de l’institution,
elle bénéficie de leur aura sportive et ne fait
l’objet en conséquence d’aucune critique. Il
s’agit là d’une forme originale de transmission à
rebours (Ségalen, 2003) qui permet à la femmemère une intégration et une ouverture sociale
nouvelles. Enfin, la dirigeante de circonstance
peut également être légitimée grâce à son conjoint au travers d’une transmission horizontale
sexuée déséquilibrée. Elle acquiert à cette occasion une visibilité sociale jamais escomptée,
même si cette forme de transmission loin de la
dédouaner de sa dépendance à son mari, la
renforce dans un statut de « femme de ». Ce
profil s’approche partiellement de celui d’autodidacte soumise à l’ordre masculin, décrit par Jacqueline Laufer (1982) à propos des femmes
cadres dans l’entreprise. Il s’en éloigne dans la
mesure où la dirigeante de circonstance
n’atteint jamais un poste à responsabilité.
2.3. Synthèse
Finalement, la dirigeante de circonstance
est mère de famille, mariée, âgée d’une trentaine d’années au début de son investissement,
elle échoue à des postes exécutifs dans le club
de ses jeunes enfants ou de son conjoint. Rarement sportive, peu diplômée, issue de milieu
modeste, elle est sollicitée pour dépanner et
rendre service sur un poste vacant dans tous
types de sport et de fédération, là où les enjeux
sont faibles et le bénévolat fait défaut. Surreprésentée en milieu rural et au niveau des
clubs, elle présente un investissement long,
indéfectible et sans évolution. Très rare à un
niveau plus élevé de responsabilité (départemental ou régional), elle n’est alors qu’une
femme-alibi cantonnée en général dans une
commission féminine sans existence décisionnelle, ni même consultative. Ce profil est majoritaire au niveau local, quelle que soit la
discipline sportive.
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Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset
3. L’ÉLUE
Encadré 2 : Présidente d’un comité départemental de tennis, vice-présidente de Ligue, 45 ans,
professeur d’EPS, mariée, 2 fils.
« E : Comment êtes-vous devenue dirigeante ?
D : La première année, j’étais joueuse en loisir, la deuxième, il y avait des membres du bureau qui ne souhaitaient pas se représenter donc (…) Monsieur X qui était président du club m’a demandé si ça m’intéressait. Je crois que cette personne vous allez souvent entendre son nom parce qu’il est déterminant dans mes
orientations. (…) Il a pris la présidence du département et celle de la ligue, (…) est le numéro 2 au niveau
fédéral, donc il a été sollicité de toute part (…) alors il m’a ensuite demandé si j’acceptais de lui succéder.
Lui faisant entièrement confiance, parce qu’il a des orientations au niveau sportif qui me conviennent tout
à fait, j’ai pris la présidence du club (…) après il m’a mise présidente du département.
(…) E : Vous avez l’impression que c’était important que cette personne vous propose ?
D : Oui, je ne l’aurais pas fait de moi-même, (…) je ne me mets pas en avant. Je me suis dit après « tiens tu
es capable de faire avancer telle ou telle chose », (…) mais c’est une fois qu’on est dans la place qu’on se le
dit, mais je n’aurais pas pris l’initiative. (…) Vous savez je crois que la prise de responsabilités au niveau
des femmes, je ne suis pas sûre que ça repose sur une idée bien ancrée de faire carrière, d’arriver à tel but,
je pense que c’est un déroulement d’événements, on vous propose, vous acceptez puis après vous allez encore
au-dessus mais ça se fait sans prétention.
(…) E : Vous avez une idée des raisons pour lesquelles il est venu vous solliciter ?
D : Il veut responsabiliser les dames, il dit que les idées transmises par les dames passent beaucoup mieux
que celles transmises par les messieurs. Une façon de présenter qui lui convient mieux, (…) il fait assez confiance et on a peut-être cette souplesse…
E : Et le fait que vous soyez professeur d’EPS, ça a joué ?
D : Oui, car quand je suis rentrée au Comité, il m’a mise responsable de l’École de Tennis.
(…) E : Il y a eu des situations où vous avez été en désaccord ?
D : Non, (…) personnellement je n’ai jamais pris position contre et je me souviens pas avoir défendu une idée
différente. Je pense que jusqu’à présent, on est relativement en osmose (…), je crois qu’on mène une politique
ensemble dont Monsieur X donne les grandes orientations. (…) Mais la fonction que j’ai, je la conçois avec
un groupe bien défini, on est une famille, on travaille tous ensemble en équipe.
(…) E : Ça vous apporte quelque chose au niveau personnel ces responsabilités ?
D : Ah oui, tout à fait, au niveau de la confiance en moi, j’étais quand même quelqu’un, ayant perdu mon
papa très jeune et ayant une sœur de 6 ans mon aînée, j’étais assistée derrière ma sœur et ça m’a beaucoup
aidé de prendre des responsabilités pour prendre de l’assurance et m’engager clairement alors que ce n’était
pas du tout dans ma nature avant, j’étais beaucoup plus en retrait et effacée, c’est pas mon style de me faire
remarquer, donc ça m’a aidé au niveau relationnel et je suis reconnaissante. Je suis aussi admirative devant
Monsieur X, lui il peut improviser devant un oratoire plein, moi je dois préparer et j’ai toujours un stress.
(…) E : Est-ce qu’à un moment donné ça a quand même pu vous prendre trop de temps pour qu’on vous le
fasse remarquer, dans votre famille par exemple ?
D : Ah ben, c’est sûr qu’au niveau de la famille (…) c’est sûr que j’essaie de gérer mais bon j’ai 17 heures
de cours et 3 heures d’UNSS donc j’ai quand même pas mal de liberté donc tout ce qui est ménage, j’essaie
d’être à peu près à jour, je passais la serpillère tout à l’heure vous avez vu… Bon j’essaie quand même de
faire d’autres choses à côté, les enfants, qui sont grands maintenant ils font du sport, je les amène sur les
différents lieux, j’essaie de les suivre au niveau scolaire, au niveau sportif.
(…) E : Vous vous voyez prendre encore plus de responsabilités ?
D : Présidente de Ligue c’est autre chose, ça demande à la fois plus de temps et de la compétence ; (…) ça
me paraît très dur au niveau politique, vous avez quand même plus de contacts directs avec les collectivités
locales. Là, ça m’effraierait un peu. (…) Je ne me sens pas présidente de Ligue comme Monsieur X, il faut
une aisance que je n’ai pas. (…).
(…) E : Pour le tennis, c’est un héritage familial ?
D : Chez nous, mon papa travaillait au FC Sochaux, dans le milieu professionnel du foot, donc on avait
une culture sportive et on a pratiqué un peu toutes les activités. (…) Mon père, ça a toujours été ma
référence, malheureusement, je l’ai perdu j’avais 17 ans. »
Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ?
3.1. Désignation d’une femme dépendante
L’élue possède, avant son engagement dans
la direction sportive, une pratique de loisir
dans un sport souvent partagé par le reste de la
famille. Très vite sensibilisée au manque de
main-d’œuvre, elle s’engage d’abord dans un
poste administratif au niveau local à l’image de
la dirigeante de circonstance. Cependant, ses
capitaux, sociaux et culturels, liés à sa profession et à sa connaissance de l’institution, la distinguent aux yeux d’un dirigeant bien placé. Elle
est alors véritablement désignée par cet homme
pour le remplacer à un poste décisionnel départemental ou régional qu’il quitte, souvent pour
prendre encore plus de responsabilités. Cette
désignation ne souffre, dès lors, d’aucune discussion, la dirigeante étant à la fois bénéficiaire
de la protection et de la formation de la part
d’un supérieur qui ne la laisse pas seule face à
ses nouvelles responsabilités. Elle lui permet de
déjouer des modalités électives restées discriminantes pour les femmes minoritaires dans le
système sportif. Son intronisation ressemble
alors à un adoubement avant lequel la dirigeante a fait ses gammes pour acquérir les nouvelles compétences propres à son poste. Le
cérémonial peut se reproduire autant de fois
que l’homme quitte un poste pour d’autres
fonctions plus prestigieuses. La femme évolue
alors littéralement à l’ombre de cet homme, se
sentant tout à la fois admirative et reconnaissante. Malgré sa progression incessante dans la
hiérarchie de la direction sportive, elle présente
une autolimitation et une réserve qu’aucune
promotion ne sait atténuer. Elle témoigne ainsi
d’une infériorité traditionnellement intériorisée et acceptée (Martuccelli, 2004) qui la fait se
sentir moins compétente que l’homme qui l’a
nommée et surtout incapable d’assumer des
enjeux supérieurs. En réservant à l’homme la
gestion du politique, les négociations en coulisse et les présentations officielles, en se cantonnant au travail préparatoire des dossiers, dans
le cocon du bureau, cette dirigeante confirme
la répartition inégale des rôles sexués dans la
83
sphère publique (Maruani, 1998) et l’existence
d’un ordre social masculin (Bourdieu, 1990)
qu’elle reproduit globalement dans la sphère
privée. En dépendant, dans son évolution, des
décisions que ce dirigeant prend pour elle, elle
confirme la place secondaire de la femme corrélée à son manque de confiance en elle. On le
comprendra par la suite, l’arrêt de l’investissement de cette dirigeante est improbable tant
elle se sent débitrice.
3.2. Le formatage d’un mentor
Au-delà d’une transmission descendante
familiale qui l’a sensibilisée tôt à la pratique
sportive et l’a accompagnée dans un parcours
scolaire long et diplômant, l’élue bénéficie par
la suite d’une transmission horizontale sexuée
unilatérale de la part d’un homme au sein de la
direction sportive. Elle est alors littéralement
formatée à la manière de diriger de cet homme,
devenu mentor, qui prétend soutenir une politique volontariste en direction de nouvelles
venues aux pratiques managériales innovantes.
Que la transmission prenne la direction d’une
femme plutôt que d’un homme laisse cependant supposer, de la part du dirigeant, l’utilisation d’un pion sur l’échiquier de la direction
locale pour soutenir une stratégie de pérennisation de son œuvre. La dirigeante promue se
retrouve dans une relation d’initiation (Strauss,
1992) et de protection à la base d’une légitimité
recevable aux yeux des autres dirigeants malgré un système masculin qui se voudrait méritocratique. L’élue est alors, dans ce mode
original et pionnier de transmission, au centre
d’un processus complexe de don et de contre-don
(Mauss, 1924) : bénéficiaire d’un poste et des
connaissances qui l’accompagnent, la dirigeante rencontre une situation d’obligation de
rendre vis-à-vis de son mentor. Elle connaît alors
le versant négatif de la dette (Godbout, 2000)
qui la rend définitivement redevable vis-à-vis
de son donateur : elle ne peut, en effet, rembourser qu’au travers d’un investissement
fidèle à ses préceptes. Le contre-don prend
dans ce cas la direction de l’institution sportive
84
Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset
qui bénéficie, en la personne de l’élue, d’une
dirigeante convaincue et disciplinée. Cette
chaîne de dons, visible dans la circulation des
postes, pérennise d’une certaine manière le système bénévole dans le même temps qu’il entretient l’arrangement social des sexes (Goffman,
2002) au bénéfice des établis mâles face aux nouvelles venues (Elias & Scotson, 1997). Elle rend
improbable toute velléité féminine d’émancipation. Ce modèle ne trouve pas d’équivalent dans
les travaux de Laufer (1982) sur le monde de
l’entreprise. Il pourrait croiser cependant quelques étapes du parcours des nouvelles héritières
(Pinçon & Charlot, 1996) formées pour prendre
la tête de l’entreprise familiale, mais s’en éloigne
cependant dans la dépendance au mentor dont
elle ne peut s’affranchir.
3.3. Synthèse
Âgée d’une quarantaine d’années au
moment où tout commence, l’élue est désignée
par un dirigeant pour lui succéder. Diplômée
de l’enseignement supérieur, sa profession est
souvent en rapport avec l’enseignement et les
activités physiques, mais dans des niveaux de
responsabilité qui restent moyens. Mariée et
mère, elle reste inscrite dans une répartition
traditionnelle des rôles sexués dans la famille en
parallèle d’une vie sportive en rapport avec la
discipline objet d’investissement. Avant sa désignation à un poste à responsabilité au niveau
départemental ou régional, elle possède déjà un
investissement associatif dans des postes exécutifs au niveau local sous l’égide du dirigeant qui
devient son mentor. Elle entre alors au service du
dirigeant tout autant que du système sportif
pour une durée indéterminée conditionnée par
son incapacité à se dédouaner de l’héritage.
4. LA MILITANTE ASSOCIATIVE
4.1. Volontarisme et marginalisation d’une femme émancipée
La militante associative 2 se caractérise par
un long parcours évolutif vers des fonctions déci2. Voir encadré n° 3 pour les extraits de récit de vie.
sionnelles. Elle possède des valeurs qui soutiennent son investissement polymorphe et surtout
volontariste. En ce sens, cette dirigeante entre
dans la direction sportive à l’occasion d’une
contingence favorable, mais sans que le hasard
y soit pour quelque chose : elle était déjà là,
dans la place, prête à répondre positivement à
toute sollicitation. Sa longue expérience associative et son dévouement lui confèrent un rôle
de confiance qu’elle assume avec humilité, mais
conviction. En conséquence, bien que peu carriériste – elle est davantage animée par l’envie
d’aider et de rendre service à autrui – elle
aspire souvent à des fonctions supérieures dans
le but d’actions encore plus efficaces. Mais son
évolution à vocation altruiste se heurte, dans les
domaines réservés, aux logiques de succession
et de solidarités masculines (Bataille & Gaspard, 1999). L’accès aux postes décisionnels
suppose alors de la patience – attendre la
vacance d’un poste – et une réelle stratégie de
positionnement pour prendre de vitesse les
mécanismes de désignation masculins. Forte de
son vécu et d’un vrai programme, la militante
associative, loin d’être une nouvelle venue, se
présente plus comme un outsider qui fait face
aux établis (Elias & Scotson, 1997). Elle est alors
stigmatisée pour son statut de femme ou de
mère : la cabale, la rumeur, les conduites et
propos machistes, les campagnes de dénigrement sont monnaie courante et agissent
comme arsenal de marginalisation d’une
femme pourtant déjà largement isolée. Dans
un tel contexte, la dirigeante doit prouver sans
cesse ses compétences et sa disponibilité sans
faille, au-delà de ce qui est exigé d’un homme
(Laufer, 1982). Cet investissement a un coût et
suppose un sacrifice consenti (Robène, 2005),
une négociation préalable au sein du couple
pour une redéfinition des rôles et un partage
des tâches. Ce processus d’interchangeabilité
des rôles au sein du couple opère à la faveur des
milieux dotés en capital culturel et s’apparente
à ce que Claude Dubar (2003) nomme l’individualisation de la vie privée d’une génération de
Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ?
85
Encadré 3 : Présidente d’un CDOS (Comité Départemental Olympique et Sportif), 60 ans, professeur
d’EPS, mariée, sans enfant.
« E : Quel est votre itinéraire de dirigeante ?
D : J’avais des responsabilités au sein du lycée que j’ai développées, puisque j’étais coordinateur de 13
profs, secrétaire d’AS (Association Sportive Scolaire), responsable de la formation continue, j’ai été aussi
dans une expérimentation ministérielle au niveau des classes de seconde (…). Je pense que j’ai eu des étapes,
c’est-à-dire que je voulais faire un maximum de choses dans mon travail et ensuite, quand je me sens bien,
je peux monter une marche. Et, ça s’est passé de cette façon au niveau sportif puisque, pendant quelques
années, j’avais les responsabilités de secrétaire générale du CDOS, bien qu’on me l’ait proposé, je ne voulais
pas devenir présidente du CDOS, j’avais encore des choses à faire et à démontrer. (…) Aujourd’hui, je suis
présidente de Profession Sport 90 (Territoire de Belfort), je suis directrice de l’UNSS (Union Nationale du
Sport Scolaire) et présidente du CDOS.
(…) E : Est ce que vous avez constaté des réticences vis-à-vis de l’entrée d’une femme ?
D : Oui, bien sûr (…). Le jour de mon élection, j’ai quand même eu quelqu’un qui avait postulé pour être au
comité directeur qui m’a dit qu’une femme n’ayant pas fait son service militaire ne savait pas commander,
(…) c’est le machisme, (…) ce sont des mesquineries, des petites phrases qui font mal, les gens pensent que
vous êtes là parce que vous avez de belles jambes et un beau cul, même si c’est pas vrai, (…) donc, moi je l’ai
mal vécu, mais au lieu de dire, « je m’en vais », ça m’a donné un peu de cœur au ventre, pour montrer que
j’étais aussi capable que les mecs. (…) Après, une femme doit être plus compétente qu’un homme pour accéder
à ce genre de place, parce que moi j’en connais des incompétents qui sont présidents et qui s’accrochent !
(…) E : L’investissement vis-à-vis des autres était une tradition familiale ?
D : Papa, maman, c’étaient des bénévoles de cœur (…). Pour eux, c’était directement dirigé vers les autres,
c’était aider les autres. On n’est pas une grande famille catholique, ni religieuse. Je crois que c’est le passé
de mon père qui a beaucoup souffert qui faisait qu’il voulait donner, quant à mon arrière-grand-mère qui
avait aussi eu de grosses difficultés, (…) c’étaient des qualités de cœur. On a toujours été élevé comme ça,
donc (…) ça me semble logique.
(…) E : Le regard de votre famille, de votre conjoint sur cet investissement associatif ?
D : Ma mère est très fière. Ce qui ne l’empêche pas de me dire, « mais arrête de travailler ! »,
régulièrement ; parce qu’elle voit que je suis toujours à droite à gauche. Elle, elle a 82 ans, et on est obligé
de lui téléphoner pour prendre rendez-vous pour pouvoir la voir ! (…) J’ai un mari brillant, il est directeur
commercial, (…) au départ, quand on s’est rencontré, c’était un pacte de non-ingérence dans l’activité de
l’autre. (…) Donc à partir du moment où il y a ce contrat, je n’ai jamais eu de difficulté à dire « je vais en
réunion à telle heure, je rentre ce soir, je pars ici, je pars là », j’ai beaucoup de chance. (…) J’avais dit, il
n’est pas question que j’arrête de travailler, je suis d’une famille où les femmes ont toujours travaillé ! »
Présidente du comité régional FFEPMM, 55 ans, infirmière, 3 grands enfants.
(…) E : Concernant vos filles ?
D : Mes deux filles ont fait de la gym. La grande, elle fait sa dernière année de compétition, elle a déjà entrepris le cursus entraîneur. Elle est au comité directeur de l’association. Elle l’a fait sans me demander.
(…) Je crois qu’elle me ressemble, elle a envie de donner, de faire.
(…) E : Est-ce qu’il faut imposer une parité dans les instances dirigeantes ?
D : Oui, je pense que ça serait mieux parce que la vision du fonctionnement par un homme ou une femme
est différente même si on va dans le même sens. (…) Chez l’homme, c’est plus direct, il pense moins à tout ce
qui va découler, toutes ces petites choses. Alors que la femme, elle va tout de suite voir le point de détail.
C’est pour ça que la parité a lieu d’être, ça a un rôle d’équilibre. (…) Les femmes, on a un rôle d’apaisement,
parce que parfois il y a des conflits qui sont surtout d’ordre personnel, (…) être diplomate. (…) On apporte
aussi plus de démocratie. (…) Mais je dirais qu’il faudrait quand même que les femmes se « boostent » un
peu plus pour s’affirmer ! Je crois que la femme qui a une responsabilité est un peu différente. Je dirais que
les femmes qui arrivent à un poste comme ça, c’est peut-être parce qu’elles disent : « moi j’arrive aussi à
faire des choses, y’a pas que les hommes ».
86
Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset
femmes issue de la révolution culturelle des
années 1960, plus autonome vis-à-vis de la
famille. Elle parvient finalement à rallier une
majorité à sa cause en imposant un style managérial personnel et novateur (Chantelat, Bayle
& Ferrand, 2004) qui prône l’écoute et le travail collectif. Elle renvoie à l’identité professionnelle spécifique des femmes guides de
haute montagne qui investissent un rapport au
métier « genré » par la féminisation de certaines compétences (Mennesson, 2005). Dans
cette perspective, elle oscille entre un féminisme différentialiste qui la rend sensible à la
parité et un autre universaliste (Heinich, 2003)
qui argue l’égalité de sexes à commencer dans
son propre couple. L’arrêt de l’investissement
est rare tant les sacrifices concédés et les coups
encaissés renforcent la volonté de cette femme.
L’abandon, quand il arrive, est alors douloureux et vécu comme un échec, une incapacité à
faire face à une bataille qui ne touche plus au
sportif mais au personnel.
4.2. Le don de soi en héritage
Représentative d’un itinéraire d’affiliation
des plus évolutifs, la dirigeante militante trouve
sa légitimité et sa motivation à la faveur d’une
transmission familiale descendante de dispositions et valeurs (Sabatier, 2005) : le don de soi,
l’abnégation, l’entraide et la solidarité sont
reçues comme héritage de plusieurs générations d’aïeux. Ce sont, en ce sens, plus des
savoir-être qui servent de moteur à l’investissement au départ et à l’occasion des coups durs.
Par la suite, la dirigeante acquiert les savoirs et
savoir-faire par autodidaxie au travers d’un travail personnel – formation, remise en question
– de tous les instants et d’une expérience longue. Elle importe également des savoir-faire de
sa vie professionnelle, actuelle ou passée, souvent proche de sa vie associative. Finalement
issue d’une dynastie, que l’on pourrait qualifier
d’associative, elle s’est engagée de longue date
dans un processus de transmission des valeurs
d’un militantisme existentiel (Sabatier, 2005) ou
d’un capital militant (Matonti & Poupeau, 2004)
en direction de ses enfants, quand elle est mère.
Cette transmission est l’occasion, dans des contextes de pratique encore majoritairement
féminins, de la naissance de dynasties sportives
nouvelles, puisque matrilinéaires et exclusivement féminines. En ce sens, elle ressemble à la
jeune diplômée décrite par Jacqueline Laufer
(1982), qui cherche une troisième voie pour
amener l’égalité des sexes au sein de l’entreprise. Il s’agit ici de faire évoluer les représentations et stéréotypes sexués qui prévalent au
sein de la direction sportive. Elle s’en différencie par son âge, la militante étant plus représentative d’une génération vieillissante de
dirigeantes.
4.3. Synthèse
D’âge mûr, la militante associative présente
un investissement associatif volontaire et polymorphe. Elle possède une connaissance précise
de l’institution liée à une évolution progressive
dans les échelons de la direction sportive
locale. Représentative du militantisme des classes
moyennes cultivées (Collovald, 2002), elle travaille souvent dans un secteur social, éducatif
ou sanitaire dans lequel les valeurs véhiculées
confirment celles de son investissement associatif pour former un profil très cohérent. Éloignée des considérations matérielles et des
enjeux de pouvoir, elle s’investit facilement
dans les fédérations féminines, non olympiques et multisports, en milieu rural, mais peut
paradoxalement percer dans les fiefs masculins
– mouvement olympique ou fédération masculine –, là où les enjeux politiques et financiers
conduisent à d’âpres luttes de pouvoir (Wigmore, 1996). Indépendante dans son couple,
mère de grands enfants, ou sans enfant, elle
peut satisfaire à l’exigence de disponibilité liée
à son militantisme et sait faire face aux hostilités masculines collectives.
Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ?
87
5. LA PASSIONNÉE D’UNE DISCIPLINE
SPORTIVE
Encadré 4 : Présidente d’un Comité départemental de judo, 58 ans, chef d’entreprise, mariée,
1 garçon, 1 fille.
« E : Racontez-moi votre parcours…
D : Ben, disons, moi c’est surtout la passion du judo. J’ai commencé ce sport à 12 ans, j’ai fait de la compétition, un peu de résultats. (…) J’ai toujours continué à m’entraîner une fois par semaine, même si je ne
fais plus de compétition. (…) J’avais commencé par la gymnastique, toute gamine à Pontarlier et il n’y a
plus eu d’entraîneur et dans le quartier où j’habitais il y avait un petit club de judo et j’étais allée là. Ça
m’avait bien plus, alors je suis restée, mais j’étais la seule fille (…), je me suis toujours entraînée avec des
garçons. (…) Même si vous allez à des stages et que vous rencontrez des féminines, si vous vous entraînez
toute l’année qu’avec des mecs, ce n’est pas pareil. (…) Les seules filles que je voyais aux stages, en interrégion, on ne discutait pas, elles étaient entre elles (…) donc c’est vrai que je me sentais bien excentrée, mais,
bon, je n’en étais pas malheureuse ! (…) Dans mon travail, c’est pareil, le fait d’être souvent une féminine
avec pas mal de masculin. Alors, c’est vrai que quand on fait l’assemblée générale des résineux, je ne suis
pas gênée, moi ça ne me dérange pas.
(…) E : Vous pouvez juste me dire rapidement votre parcours en tant que dirigeante ?
D : Là, je suis présidente départementale et j’étais responsable des féminines au niveau du département et
au niveau de la ligue aussi. Voilà, c’est par ce biais-là que j’étais dans le Comité. (…) J’ai été arbitre interrégional. Autrement, j’ai été membre du collège des ceintures noires qui n’existe plus (…). Je me suis occupée
d’entraîner des filles au club (…), je les ai emmenées en championnat de France (…). Il faut savoir, en judo
les présidents départementaux doivent être ceinture noire et plus encore les présidents de ligue !
E : Et, en tant qu’entraîneur, vous avez passé des diplômes ?
D. : Ben, disons que, j’ai le tronc commun, mais bon, j’avais essayé de faire le B.E. 1 (Brevet d’État 1er degré)
(…) E : Et cette envie d’être présidente, d’où elle est venue ?
D : C’était surtout pour faire passer des choses que j’avais vues depuis longtemps. C’est vrai que quand on
reste des années à pratiquer puis à côté du président, on voit qu’il y a des choses à changer. (…) Pour la
présidence, j’ai eu l’opportunité de me présenter parce que le président du département j’ai su qu’il allait
démissionner, bon, j’ai un petit peu dit à tout le monde : « oh ! Je vais me présenter ». (…) J’ai fait un petit
peu ma campagne, les gens se sont faits à l’idée. Parce que je me suis dit si je l’annonce de but en blanc je
risque de me faire piquer la place. J’avais vraiment envie de le faire. Et puis là, je vais me représenter avec
les Jeux Olympiques. Après, on verra bien. Parce que, c’est vrai, je voulais faire passer des choses et puis,
bon, ça ne passe pas tout de suite non plus. Il faut le temps que les gens viennent et puis de créer toute
l’équipe autour de soi, que les gens se rallient en disant : « on te soutient ».
E : Est-ce qu’une personne vous a influencé, vous a dit : « ah ce serait bien… » ?
D : Non. Plutôt le contraire.
(…) E : Est-ce que le fait d’avoir pratiqué et d’avoir été arbitre et entraîneur, vous a aidé ?
D : Je pense que cela m’a plutôt facilité. Parce que je connais un peu tout le monde, j’allais en stage, j’encadrais les féminines. Après, j’ai fait l’arbitrage, (…) j’ai fait aussi d’autres choses, le collège des ceintures
noires, entre autres, on a une partie ju-jitsu, j’ai fait aussi les stages nationaux. Donc je sais des choses et
puis les gens ils vous connaissent et quand ils veulent vous demander des choses, ils savent que déjà vous
pourrez leur répondre !
(…) E : Est-ce que la parité dans la direction sportive serait une bonne chose ?
D : Ben, moi je pense que c’est surtout une question de compétence. (…) S’il y a une fille qui a des compétences, (…) elle peut être élue. Moi, j’ai été élue, il y a pas de problème. (…) Bon, il faut aussi que les femmes le
veuillent. Je pense qu’elles ont peut-être pas assez de volonté. (…) Je vois des femmes qui viennent mais qui
repartent, qui se découragent rapidement ! (…) Sur le tapis, les organisateurs sont aux trois quarts masculins, mais à la buvette, là, on voit des femmes ! (…) Bon, j’ai l’impression aussi des fois que les femmes se
placent dans cette situation. On les a pas mises en avant et elles s’y mettent pas beaucoup non plus ! »
88
Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset
5.1. Autodésignation et affirmation
d’une sportive autonome
Ce profil de dirigeante est le seul à prétendre accéder directement à un poste prestigieux, il est représentatif d’une démarche
d’affirmation minoritaire pour les femmes dans
la direction sportive. Engagée de longue date
dans une discipline en tant que sportive confirmée, cette femme présente d’abord un investissement technique qui suit généralement
l’acquisition de diplômes d’encadrement. Forte
d’une connaissance précise du terrain, elle perçoit les besoins et souhaite par son engagement
« administratif » faire avancer sa discipline. Elle
se caractérise alors par une autodésignation qui
ne rencontre guère de contestation tant son
expérience est indéniable. Cette dirigeante se
définit par des dispositions genrées nouvelles
constituées au cours de son parcours sportif
qui l’éloigne des sentiers de la reproduction
sexuée. Elle déjoue les rouages d’une institution sportive perçue comme un lieu d’aliénation et de domination masculine (Baillette &
Liotard, 1999). Son regard critique sur la
sexuation des postes et la parité perçoit la
subordination des femmes comme un faux problème. Pour elle, l’enjeu tient dans la compétence, une femme peut donc assumer les
mêmes postes qu’un homme. La vision rejoint
celle du féminisme universaliste (Heinich,
2003), cette dirigeante prouvant par son parcours qu’un engagement autonome au féminin
est possible. Elle refuse en conséquence le
regard porté qui la définit comme exception,
mais entretient cependant, par ses actes et son
jugement, son particularisme : elle est une
femme au monde des hommes et s’est, pour ce
faire, désolidarisée des autres femmes à qui elle
n’envisage guère de transmettre son poste,
faute de candidate compétente. À l’instar des
milieux politiques, la direction sportive peut
ainsi se définir comme lieu de construction
d’une culture masculine, « là s’élabore une culture
commune, s’échangent des informations, se tissent des
réseaux. Les femmes y sont acceptées mais à condition
[…] qu’elles oublient, dans leur propos, qu’elles sont
des femmes solidaires des femmes. La plupart des femmes qui ont vécu ce type de situation se sont entendues
dire qu’elles n’étaient pas comme les autres » (Gaspard, 2000, p. 114). L’arrêt prend la forme
d’un besoin de reconversion ou d’une désillusion complète face à l’inertie d’un système
sclérosé : en passant de l’autre côté du miroir,
elle prend connaissance des tractations en coulisse qui dénaturent et dévalorisent l’enjeu
sportif. Mais cette prise de conscience conduit
parfois, au contraire, à des prétentions supérieures pour véritablement changer le système.
5.2. Le vécu sportif comme moteur
Ce profil témoigne d’un renouvellement
des dispositions acquises et mobilisées par les
femmes pour s’imposer dans la direction sportive. Comme dans d’autres champs professionnels, le bien-fondé de sa présence tient dans la
démonstration de compétences équivalentes à
celles des hommes et dans la connaissance
accrue du milieu. Pourvue des valeurs, normes
et codes de l’institution, la longue initiation
sportive de cette dirigeante lui confère donc sa
légitimité. Elle possède, en ce sens, les savoirs et
savoir-être distinctifs qui font défaut à la dirigeante de circonstance ainsi que les savoir-faire
que la militante associative ne possède pas spécifiquement. Pour construire ses dispositions,
elle a bénéficié systématiquement d’une transmission classique descendante d’un capital
sportif familial important et, comme les sportives engagées dans des sports masculins, a souvent connu une socialisation primaire et des
socialisations sexuées inversées lui permettant
de construire des caractéristiques traditionnellement réservées aux hommes (Mennesson,
2004). Elle se rapproche, en ce sens, davantage
de l’autodidacte masculine ayant intégré les
modes de vie et les valeurs masculines dans le
monde de l’entreprise décrite par Jacqueline
Laufer (1982), donc de la neutralisation de la
féminité, l’engagement se faisant sur le modèle
Comment devient-on dirigeante d’une association sportive locale ?
masculin. Son parcours long dans la sphère
sportive lui donne l’occasion de rencontres et
d’expériences formatrices, de socialisations
secondaires (Dubar, 2000) qui façonnent une
véritable culture sportive.
5.3. Synthèse
Sportive confirmée, la passionnée d’une discipline s’investit dans la pratique de ses
exploits. Issue des milieux sociaux intermédiaires, elle possède des diplômes en rapport avec
son sport, lui permettant souvent d’en faire
profession et d’être légitime. Généralement
jeune et célibataire au moment de l’engagement, elle dispose de caractéristiques sociales et
culturelles qui la rendent irréprochable aux
yeux des dirigeants en place. Elle vit pour faire
évoluer sa discipline et se positionne là où les
décisions sont prises ; en conséquence, elle
accède, le plus souvent, directement à un haut
poste à responsabilité au niveau départemental
ou régional. Ce profil déplace ce qui peut être
perçu comme transgressif de la part d’une
femme dans la direction administrative (Gomet,
2005) et y redéfinit les frontières du masculin et
du féminin. Minoritaire pour l’heure, il semble
représentatif de la jeune génération de dirigeante sportive.
6. CONCLUSION
Les quatre profils identifiés révèlent des rapports sociaux de sexe différenciés qui positionnent
spécifiquement la dirigeante dans la répartition
des rôles sexués et la construction du genre.
Certains itinéraires traduisent des changements sociaux à l’œuvre en matière d’effets de
genre et une redéfinition effective des frontières du masculin et du féminin dans le cadre
plus large de la société. Le premier profil, largement majoritaire, révèle l’exclusion douce
dont les dirigeantes font souvent l’objet. Il est
celui de la reproduction par excellence d’un
ordre social masculin où la femme se définit
d’abord et exclusivement au travers de son rôle
89
séculaire de mère. Cependant, le deuxième
profil, celui de l’élue, certes peu répandu,
entretient la dépendance de la femme vis-à-vis
de l’homme et confirme sa participation active
à sa propre soumission. Les deux autres profils,
encore minoritaires, sortent des sentiers battus
de la reproduction de la domination masculine
avec des options pourtant aux antipodes : la
militante associative trace une voie nouvelle,
celle du droit à la différence dans les méthodes
managériales, qui s’appuie sur une nécessaire
parité, tout en étant représentative d’un profil
féminin plus égalitariste et indépendant au sein
du couple. La passionnée d’une discipline sportive verse, elle, du côté universaliste prônant la
suspension de tout particularisme. Ce faisant,
elle tend souvent à confirmer et renforcer le
seul modèle à l’œuvre dans les postes de direction, en adoptant les comportements masculins
reconnus jusqu’alors au sein de l’institution
sportive.
Au niveau des modalités de transmission, la
dirigeante de circonstance est au cœur d’un
processus inversé, puisque la connaissance et la
légitimité dans le système fédéral sont acquises
grâce aux enfants investis dans les clubs.
L’autodidaxie et l’apprentissage entre pairs
développent les compétences requises pour
un poste le plus souvent subalterne à l’ombre
des dirigeants masculins. L’élue a un parcours
beaucoup plus long dans les instances
fédérales ; elle évolue dans la sphère associative
grâce à un mentor qui l’initie aux subtilités de
la direction associative. Elle reste alors endettée
et se trouve dépendante de ce protecteur,
même si elle s’affirme ensuite dans des postes à
responsabilité au sein du mouvement sportif
local. Dans les mêmes postes se retrouve la militante associative, animée de ressources spécifiques transmises dans la famille. Elle est
porteuse de dispositions au don de soi, au
bénévolat et de savoir-faire dans la gestion
d’associations, acquises très tôt au contact
d’aïeux militants. Pour le dernier profil, l’engagement dans la pratique sportive lui donne une
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Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset
légitimité particulière : elle a vécu un itinéraire
d’affiliation (Callède, 1985) à la base de sa parfaite connaissance des rouages du système
sportif. Sa connaissance des individus, des contraintes techniques et des normes administratives lui permet de prendre place dans la
direction du sport local, souvent à des postes à
responsabilité.
Ces résultats riches se font le miroir fidèle
de processus multiples de transmission à la
base d’identités de genre de moins en moins
figées dans la direction sportive. Cependant,
l’absence d’analyse des représentations des
hommes en poste reste le point aveugle de
notre perspective. Il serait en effet judicieux de
confronter ces profils aux regards portés par
les dirigeants sur les dirigeantes dans une
démarche d’enquête équivalente à celle de Pascal Chantelat (2004). Il s’agirait alors de penser
les rapports sociaux de sexe en termes de
mixité dans les clubs. Cette démarche permettrait un niveau de validation supérieur d’un
potentiel outil synchronique et diachronique
de comparaison qui devra attendre sa confrontation à d’autres contextes culturels et temporels pour être généralisé.
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Anne Tatu-Colasseau • Gilles Vieille-Marchiset
ANNEXE. PRÉSENTATION DES 16 PERSONNES INTERVIEWÉES DANS L’ENQUÊTE PAR RÉCITS DE VIE
- Présidente d’un CDOS, 60 ans, professeur d’E.P.S, mariée, C.A.P.E.P.S, sans enfant.
- Présidente d’un Comité départemental, vice-présidente de Ligue, tennis, 48 ans, professeur d’E.P.S.,
C.A.P.E.P.S, mariée, 2 garçons.
- Présidente d’un Comité départemental, judo, 58 ans, chef d’entreprise, B.E.P., mariée, un garçon
et une fille.
- Présidente Comité régional, E.P.M.M., 54 ans, infirmière libérale, diplôme d’infirmière, mariée, 2 filles
et 1 garçon.
- Présidente Comité régional du C.S.O., équitation, 36 ans, chef d’entreprise (centre équestre), B.E.E.S.
1er et 2e degré, mariée, un garçon.
- Trésorière ligue, lutte, 46 ans, ASSEM employée communale, C.A.P. d’aide-comptable, divorcée,
un garçon et deux filles.
- Trésorière Comité départemental, escalade, 40 ans, mère au foyer (jusqu’à 35 ans) puis comptable,
aucune formation professionnelle.
- Secrétaire de ligue, handball, 55 ans, secrétaire, veuve et en concubinage, 1 fille.
- Présidente de club, cyclisme, 48 ans, ouvrière, sans diplôme, mariée, 1 garçon et 1 fille.
- Présidente de club, gymnastique, 38 ans, en recherche d’emploi, en formation avec jeunesse et sport
dans l’animation, mariée, 2 filles.
- Présidente de club, basket-ball, 39 ans, secrétaire dans le privé, B.E.P., mariée, 3 garçons.
- Secrétaire de club, escrime, 47 ans, sans profession, niveau B.E.P., mariée, 3 garçons.
- Trésorière de club, tennis, 52 ans, pharmacienne libérale, diplôme de pharmacie d’officine, divorcée,
2 filles.
- Secrétaire de club, football, 50 ans, en recherche d’emploi, sans diplôme, mariée, 1 garçon et 1 fille.
- Secrétaire de club, athlétisme, 48 ans, en recherche d’emploi, sans diplôme, divorcée, 2 enfants.
- Secrétaire de club, football, 25 ans, nourrice agrée, B.E.P sanitaire et sociale, célibataire, sans enfant.