Exploration pédagogique 2 - edu.augustins.org

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Dans les manuscrits enluminés, quelles relations entretiennent la lettre, le mot et le texte avec
l’image ? Entre dépendance et autonomie, quel dialogue s’instaure entre eux?
EXPLORATION 2
Entre paléographie et calligraphie
De l’art d’écrire à … l’écriture comme art
La paléographie consiste en l’étude des écritures manuscrites anciennes, indépendamment de la
langue utilisée. Elle sert à connaître la morphologie des lettres et permet de déchiffrer les caractères
qui constituent les textes de ces manuscrits. Elle étudie les systèmes de production de l'écriture,
dans un contexte culturel et social donné et cherche, par l'étude des témoignages écrits, à
reconstruire l'évolution des écritures dans le temps. La calligraphie quant à elle, est
étymologiquement l'art de bien former les caractères d'écriture. Ce mot provient des radicaux grecs
kállos signifiant beau et grapheîn, écrire. Peut-on alors considérer que toute civilisation pratiquant
une écriture développerait un art de la calligraphie ?
La lettre et le texte
Selon le système d’écriture, la nature et l’usage du livre, la période étudiée, la région ou le pays
d’origine, les graphies varient. Elles sont rondes, anguleuses, amples, claires, denses et bien plus
encore. En occident, elles sont de couleur noire mais le bleu, le rouge et l’or sont aussi présents.
L’encre noire est utilisée pour le corps du texte tandis que la rouge est réservée aux titres, les
rubriques. Les initiales filigranées sont parfois peintes alternativement en bleu ou rouge. C’est le cas
d’une page située au tout début du premier des trois livres du recueil de Guilhem Molinier sur les
Rubrique
Initiale filigranée
Corps du texte
Psautier hymnaire à l’usage de Maguelone. Montpellier ?, vers
1410-1420. Parchemin, 198 ff., 19,5 x 15,3 cm. Montpellier,
musée languedocien – collections de la SAM, ms. 7
lois de l’art poétique. Dans le cas d’un ouvrage
liturgique, elles permettent d’introduire un psaume
ou un hymnaire par exemple et se détachent
nettement du texte par leur plus grande taille. En
orient, la graphie du coran est liée étroitement au
décor qui l’accompagne. Il orne en général les titres
et des rosettes indiquent la fin de chaque verset. Seules les 26 consonnes et 3 voyelles longues sont
notées. Leurs graphies diffèrent selon leur emplacement dans la phrase ou le mot. Afin de faciliter la
Musée des Augustins, ville de Toulouse. Service éducatif, Catherine Lemonnier. 2013
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lecture et d’éviter les confusions, les voyelles sont signalées par l’ajout de points de couleur.1Par ces
ornements, le motif ponctue la phrase et lui donne sens.
Le texte dans la page
Dans la civilisation médiévale, l’écriture du texte est réalisée par le copiste. C’est lui qui organise la
mise en page du texte, sur une ou plusieurs colonnes. Il définit la composition de la page c’est-à-dire
la répartition entre les parties écrites et les images peintes (enluminures, lettres ornées). Il trace la
réglure c’est-à-dire les lignes et le cadre qui lui permettront d’écrire droit sans déborder dans les
marges. Leur largeur est souvent assez conséquente pour laisser la possibilité d’y écrire des gloses.
Elles encadrent le texte ou sont ajoutées entre les lignes, en particulier dans les manuscrits
scolastiques. La taille des lettres, les espaces entre les mots, le type d’écriture, l’emploi des
majuscules, la hauteur des interlignes, la ponctuation, l’utilisation ou non de couleurs, la présence de
lettres ornées sont aussi minutieusement pensés et contribuent à donner du sens au texte. On
observe aussi que ces règles sont parfois transgressées. C’est le cas du Traité des oiseaux composé
Le texte se superpose sur le cèdre peint.
Hugues de Fouilloy, Traité des oiseaux ou Aviaire (Aviarium).Bourgogne ou
Champagne ?, vers 1180-1200. Parchemin, 19 ff. intégrés à un recueil factice
de 139 ff., 27 x 18,5 cm. Montpellier, musée languedocien – collections de la
SAM, ms. 8
par
Hugues
de
Fouilloy au XIIe siècle où le texte vient empiéter sur le
dessin, un cèdre et des passereaux. On peut supposer,
mais sans certitude aucune, qu’il y aurait eu une seule
main pour écrire et pour peindre.
Dans d’autres civilisations, comme celle des Batak, peuple
vivant dans le nord de l’île de Sumatra en Indonésie, on
observe un livre de divination dont les feuilles se plient en
accordéon. Le texte et les dessins tantôt géométriques
tantôt animaliers envahissent la totalité de l’espace
disponible procurant une impression de saturation, de
densité graphique se dépliant quasiment à l’infini. Ces
deux systèmes d’écriture témoignent d’un art d’écrire, d’un
bien écrire. Ces documents ont une importance plus
1
Livre divinatoire (Pustaha). Nord de Sumatra
(Indonésie), famille des Batak (groupe des Toba),
XIXe siècle ? Écorce battue de bois d’alim,
feuillet : 19 x 25 cm ; longueur totale : 2 mètres.
Figeac, musée Champollion, inv. 03 20 1
Charlotte Riou, catalogue d’exposition Trésors enluminés. De Toulouse à Sumatra. p.46
Musée des Augustins, ville de Toulouse. Service éducatif, Catherine Lemonnier. 2013
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rituelle qu’artistique mais il est difficile de dire aujourd’hui encore comment ces magiciens et leurs
« fidèles » les concevaient.
Les civilisations orientales quant à elles développent un art de la calligraphie. Une des raisons seraitelle liée au fait que la représentation figurée des êtres vivants soit interdite ? Alors la lettre se
dessine et le texte est mis en valeur par des motifs ornementaux issus de l’art antique (palmettes,
rosaces par exemple), venant aider le lecteur à se repérer dans les différentes sourates.
L’image dans la lettre
Au Moyen Âge, de petites peintures sont parfois insérées dans des lettres, on parle alors de lettres
ornées. Ces miniatures sont peintes à la main par des enlumineurs une fois l’écriture des textes
Initiale A avec David élevant son âme à
Dieu provenant d’un graduel. Cercle de
Cola Rapicano, Naples, vers 1470-1480.
Parchemin, 15 x 14,7 cm. Restauration :
Toulouse, atelier Érasme (Valérie Hallier).
Toulouse, musée des Augustins, inv. 57 8 2
Psautier hymnaire à l’usage de
Maguelone (détail). Montpellier
?, vers 1410-1420. Parchemin,
198 ff., 19,5 x 15,3 cm.
Montpellier, musée languedocien.
Collections de la SAM, ms. 7
Initiale tirée de l’Antiphonaire de
Philippe de Lévis. Saint Maurice et ses
compagnons de la légion thébaine,
lettre G. Maître de Philippe de LévisMirepoix, Toulouse ou Italie centrale ?,
1533-1535. Parchemin, 27,7 x 24,5 (d)
Toulouse, musée des Augustins, inv. 57
8 1-6. Narbonne, musée d’art et
d’histoire, n° 834 (g)
réalisés. Ces initiales, débutant un paragraphe ou un chapitre permettent de différencier, de séparer
les différents textes. Elles ont un rôle fonctionnel dans la composition de la page mais aussi parfois
une valeur symbolique. Le langage de l’image (figuration) vient cohabiter avec le langage de l’écriture
(graphie). Dans un psautier languedocien du XVe siècle, une série de huit initiales historiées
ponctuent les huit divisions du psautier. Les scènes peintes font écho au texte des psaumes. Si les
deux entrent en relation, l’un venant appuyer, souligner l’autre, il n’en demeure pas moins que les
deux peuvent parfois se contredire, l’image pouvant apporter des informations complémentaires au
texte, dépassant ainsi le statut de pure illustration. N’oublions pas qu’en général, les textes et les
peintures étaient réalisés par deux personnes différentes : le copiste et l’enlumineur. Il est difficile
encore aujourd’hui de dire si l’enlumineur était lui-même un lettré. La relation entre texte et image,
prenant place sur des feuillets entiers parfois, est donc bien plus complexe qu’il n’y paraît.
La page et l’image
Comment l’image s’inscrit dans la page et prend possession de l’espace ? Quelle fonction et quel rôle
joue-t-elle ? Comment fait-elle sens dans l’ouvrage qu’il soit sacré ou non ?
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L’image peut être un décor géométrique, végétal, figuré selon le type de livre observé. Il accompagne
le texte et facilite sa lecture. Par exemple, dans les corans mamelouks, les médaillons circulaires en
forme de rosaces s’intègrent dans le texte pour indiquer la fin de chaque verset. Dans la marge, des
Ce médaillon circulaire orné de palmettes indique la
fin du verset.
Feuillet coranique (Détail). Égypte ?, XIIIe ou XIVe siècle. Papier oriental, 2 ff., 27,5 x 19,5 cm. Restauration : Toulouse,
atelier Érasme (Valérie Hallier). Figeac, musée Champollion, inv. 01 54 1-2
losanges ou des cercles renfermant des décors de palmettes colorées scandent le texte. Le décor
peut aussi se révéler beaucoup plus prégnant en jouant le rôle d’encadrement. Le coran, dit d’Ibn alYas, est très caractéristique de la production manuscrite persane du début du XVIe siècle par
Composition en
miroir
Coran copié par Ibn al-Yas
Khomein (Iran), 1506. Papier,
328 ff., 20 x 15 cm. Pont-SaintEsprit, musée d’art sacré du
Gard, CD 003 20 1
Espace festonné appelé « nuages » dorés.
Cartouche à l’intérieur duquel
est écrit le titre d’une sourate.
l’importance accordée à l’embellissement des premières et dernières pages du volume (…) Il s’ouvre
ainsi sur un double frontispice (…) La composition en miroir répartie en plusieurs compartiments
exploite deux teintes, le bleu et l’or et s’articule autour d’un cadre carré recevant le texte. Celui-ci est
écrit en naskhi à l’encre noire dans un espace en réserve festonné et délimité par un fond doré : ce
motif, appelé "nuages" dorés, est fréquemment employé dans les manuscrits orientaux et permet de
mettre en valeur le début des sourates importantes. (…) Une bande verticale dorée délimite le texte
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le long du côté intérieur, tandis que deux larges bandeaux horizontaux sont placés sur les côtés
supérieur et inférieur. A l’intérieur de ceux-ci, les cartouches dorés contenant les titres de sourate
écrits à l’encre blanche sur un fond bleu nuit sont animés de fins rinceaux de fleurs et de fleurons
bleus, rouge pourpre, violets ou dorés au contour souligné par un trait blanc. Une frise décorative
clôt l’ensemble et reprend le décor contenu dans les bandeaux de titre en faisant alterner des
cartouches lobés dorés sur un fond bleu. Enfin, des tiges droites tracées à l’encre bleue et chargées
de fleurons se poursuivent jusqu’aux extrémités de la page. La richesse du décor liminaire contraste
avec la sobriété du reste du manuscrit. En effet, les pages suivantes ne disposent pas de mise en
valeur particulière à l’exception des marques de séparation dorées insérées dans le texte.2 Cet
exemple nous montre la virtuosité et la rigueur de l’art de la calligraphie dans la civilisation orientale,
que l’on retrouve d’une certaine manière dans la civilisation asiatique en ne séparant pas la lettre du
dessin, le mot de l’image, le corps de l’esprit, le matériel du spirituel.
Les Annales manuscrites de Toulouse, de 1295
à 1787, nous permettent d’aborder la
représentation d’êtres vivants. Livre à vocation
administrative, il était rédigé à la fin de chaque
Les
capitouls,
surmontés
de
leurs
armoiries, sont assis deux à deux sous
une arcature trilobée d’un bâtiment de
style gothique. Ils sont placés en haut de
la composition.
Initiale ornée de rinceaux prolongée
par un bandeau échiqueté formant
un encadrement.
Texte ponctué de pieds de mouche
rouges et bleus.
année. Dès son origine, la lettre initiale
marquant le début du récit s’ornait d’une
Feuillet des Annales manuscrites de Toulouse. Capitouls
miniature. Puis au fil des années, l’espace
désignés en 1369 (chronique 73, recto) et en 1370.
dédié à ces peintures prit de plus en plus
(Chronique 74, verso). Toulouse, 1370-1371. Parchemin, 40 x
d’importance. Vers 1350, on voit apparaitre la
26 cm. Toulouse, musée des Augustins, inv. D 1952 6
représentation des capitouls accompagnés de
leurs blasons dans des bandeaux occupant environ un tiers de la page. Progressivement, les scènes
sont peintes sur des pages entières soulignant en quelque sorte une espèce de droit à l’image.
2
Hiba Abid, catalogue d’exposition Trésors enluminés. De Toulouse à Sumatra. p.50
Musée des Augustins, ville de Toulouse. Service éducatif, Catherine Lemonnier. 2013
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Les livres d’heures, ouvrages personnels de dévotion et de prière destinés aux laïcs apparus au XIIIe
siècle, sont accompagnés d’images aux sujets religieux (emprunt au Nouveau Testament et à la
Passion du Christ). La représentation des saints aidait les fidèles à s’identifier à eux afin de suivre leur
exemple. Mais celle-ci côtoie aussi des sujets profanes comme ceux que l’on trouve dans les
calendriers en première partie des ouvrages, à partir du XVe siècle.
Extrait de 12
miniatures avec les
Âges de l’homme et
les Signes du
zodiaque provenant
d’un calendrier. a :
Janvier, les jeux de la
petite enfance – Les
Poissons. b : Juillet,
l’homme et sa famille –
La Vierge. c: Novembre,
les maux de la vieillesse
– Le Capricorne. Maître de
François de Rohan, Paris,
vers 1525-1537.Parchemin,
6,5 x 9,8 (a); 65 x 97 (b) ; 6,3
x 9,8 (c).Restauration:
Toulouse, atelier Érasme
(Valérie Hallier). Toulouse,
musée des Augustins.
Attardons-nous enfin sur ces feuillets persans, au caractère poétique et pédagogique, relatant
histoire et mythologie de la Perse ancienne jusqu’à la conquête musulmane au milieu du VIIe siècle.
Destiné à la formation des élites persanes, ce Livre des
Rois appelé shâhnâmeh témoigne dans ses enluminures
d’un art de la miniature particulièrement raffiné et codé
se souciant peu des conventions propres à la peinture de
la même période en occident. Les deux dimensions du
support sont les seules prises en compte laissant de côté
perspective géométrique et modelé des corps au profit
d’une affirmation de l’espace bidimensionnel dans lequel
évoluent des silhouettes longilignes vivement colorées.
L’encadrement choisi pour cette miniature
rappelle celui du texte. L’espace marginal est
orné de longues feuilles dorées.
Cette scène festive témoigne de l’accession au
trône
du
roi
Khusrow ;
les
habitants
célèbrent l’évènement en jetant de l’or dans
un feu de joie et en se prosternant.
Firdawsi, feuillet d’un Livre des Rois (Shâhnâmeh). Accession au
trône de Khusrow. Iran, XVIe siècle. Papier, 2 ff., 25 x 16 cm. Figeac,
musée Champollion, inv. 01 42 1.
L’image peinte, quelque soit la culture à laquelle elle appartient, possède son langage propre tantôt
en magnifiant le texte tantôt en l’interrogeant, parfois en s’y substituant ou en le complétant. Selon
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l’expression de François Avril, la peinture était dans les livres, pourrions-nous nous permettre de
rajouter au-delà du Moyen Âge ?
Crédits photographiques :© Montpellier, musée languedocien – Charlotte Riou- © Figeac, musée Champollion- © Ville de Toulouse, STC- © Pont-SaintEsprit, musée d’art sacré du Gard- © Toulouse, musée des Augustins - Daniel Martin- © Figeac, musée Champollion – Charlotte Riou
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