455_Les Pradous - mezenc-doc

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455_Les Pradous - mezenc-doc
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Nom (s) de la maison : Les Pradous
Cadastre de 1827 : Parcelle n°455
Cadastre de 2010 : Parcelle n°56
Thème développé :
Contributeurs : Stéphanie Casarrubios - Michel Engles - Marcel Eyraud- Paulette Eyraud
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Date de rédaction/Correction : 2 janvier 2012
Propriétaires
Actuel : Marie-Christine et Marie-Claire Roche
1827 : Jeanne Marie Fargier
Cette modeste chaumière classée 6 (la dernière dans l’ordre d’imposition) appartenait en 1827 à
Jeanne Marie Fargier. Sur le plan cadastral, elle ressemble alors comme une sœur jumelle à sa
voisine, accolée à elle et située sur la parcelle 454 dont les propriétaires sont les héritiers de Louis
Fargier. Il y avait donc certainement un lien de parenté entre ces deux maisons.
Elle comportait deux niveaux. Comme il se doit, la petite écurie où l’on gardait deux vaches était au
rez-de chaussée. L’étage comportait une grange au nord dont on aperçoit la porte dans la photo cidessous ainsi qu’une pièce à vivre au sud. Un escalier en bois permettait d’accéder à l’écurie.
Comme on le voit dans la généalogie jointe, Jeanne Marie était apparentée aux Bertrand par sa
mère. C’est donc sans doute à la suite
d’une succession que la chaumière passe
ensuite à Rosalie (ou Rose) Bertrand,
célibataire, fille de Pierre Bertrand et de
Marie Soleilhac. En 1915, elle est
reconstruite et couverte à lauzes et
appartient alors à François Bertrand, fils
de François Bertrand et de Rosalie Gibert,
marié à Rosine Descours, originaire de
Saint-Front. Il s’agit à nouveau d’une
affaire de famille puisque François
Bertrand est cousin de Rosalie Bertrand.
À la mort de son mari, en 1944, Rosine
hérite de la maison.
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Cette vue date probablement de 1903-1904 puisque l’église n’y apparaît pas.
De la gauche vers la droite, on aperçoit : Les Pradous, Chez Riou (454), La Madeleine de Bouquet (441), Le cordonnier de la Claire (446).
Cette vue actuelle est prise sous le même angle que la photo ci-dessus. Les Pradous, à gauche, sont à moitié cachés par les épicéas.
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Cette dernière passe ensuite à Marie Morel, épouse Roche et nièce par sa mère des précédents
héritiers. À la mort de ses parents, vers 1985, François Roche en hérite.
Décédé en 2010, François laisse les Pradous à Marie-Christine et Marie-Claire Roche, ses filles.
Façade sud des Pradous.
Sur cette photo prise de la draille, on aperçoit la porte ouverte de la fenière des Pradous.
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Les couviges et la dentelle aux Estables.
Aux Estables comme sur tout le plateau, la vie familiale était parfaitement structurée. De même qu’à
l’église hommes et femmes étaient séparés, à la maison, chacun avait ses responsabilités : aux
femmes le soin (par ordre de priorité) des bêtes, du ménage et des enfants, aux hommes le travail
des champs. C’était également le « Seigneur et Maître », pourvoyeur de deniers, qui tenait les
cordons de la bourse. Et comme « un sou est un sou », ces cordons se desserraient difficilement.
Pour cette raison, très tôt, les femmes ont tenté de gagner quelque argent pour pourvoir s’offrir des
« extras » comme le café le sucre ou l’huile, en occupant leur « temps libre » par des activités plus
ou moins lucratives telles la récolte des simples, ou la confection de dentelles.
C’est ainsi qu’au village, comme dans toute la Haute-Loire (hormis Le Béage) et dans le Puy de
Dôme apparurent les couviges (covegis) de dentellières. Le mot vient du latin cum vicinus (entre
voisins) et en effet, ces groupes de femmes, vêtues de la coiffe traditionnelle, que l’on pouvait voir, il
y a encore peu de temps, assises devant les maisons à la bonne saison, étaient le témoignage de la
convivialité et de la solidarité qui régnait à une époque où toutes les occasions étaient bonnes pour
se rencontrer en des lieux bien spécifiques. Aux hommes le café avec jeu de cartes et billard, aux
femmes le lavoir et le couvige, et pour tous, le coin du feu pour les veillées.
Devant Fillade (530), de gauche à droite : Marie Bonnefoy née Leydier, Léonie Bonnefoy née Eyraud, Madeleine Sanial née Gailhot
Marie et Madeleine portent la coiffe à cocarde, Léonie le flot.
La dentelle appartient au patrimoine des Estables. Jadis, toutes les femmes du village, jeunes ou
âgées dentellaient. Cette activité était plus rare dans les grosses fermes avoisinantes où la
disponibilité des femmes était moindre (le soin des nombreuses bêtes les occupaient de l’aube à la
nuit) et où l’éloignement des voisins était un handicap. Elle se pratiquait toutefois dans les veillées.
Au village, il en était autrement. Les enfants à l’école, placés ou à la gardiò (Voir fiche de Cléry,
parcelle 409), l’entretien de la maison peu exigeant, laissaient par conséquent place à des heures de
loisirs qu’il fallait bien occuper.
L’été, on trouvait des couviges un peu partout dans la région. Tous étaient sur le même modèle, les
femmes le plus souvent vêtues de noir car dans ces grandes familles, beaucoup d’enfants mouraient
jeunes et l’on portait le deuil longtemps. Et comme, il ne fallait pas déprofiter, on usait ses vêtements
jusqu’au bout. Les têtes portaient la coiffe blanche et le ruban noir, quelquefois le flot ou la cocarde.
Parfois, le petit chapeau de Goudet surmontait le tout.
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Sur cette carte postale prise au début du XXe siècle devant « Chez Antoine » (439), quatre dentellières portent le chapeau de Goudet.
De gauche à droite :
Renée Cornut (1858-1938) épouse d'Antoine Croze et mère de « la Florentine » (1858-1938) (481) - Agathe Rochette épouse Portal (1836 - ?)
(487) mère de Casimir Portal, grand mère de Rosa Eyraud - Rose Bertrand des Pradous, célibataire, dite Jouselle (1840-1919) (455) - Mère
Guilhot, mère de Pierre Guilhot (439) - Claire Rochette (?-1922) Vve Eyraud puis épouse d’Antoine Ribbes (446) - Virginie Méjean (1868-195)1
épouse Marion (402) - Rosine Portal épouse Fargier, fille d'Agathe Rochette.
L'homme est Pierre Bertrand, des Pradous, frère de Rose Bertrand, tous deux nés de Pierre Bertrand et de Marie Soleilhac.
Les dentellières travaillaient (c’est le terme qu’elles utilisaient), leur carreau (lou carel) sur les
genoux, protégé par une
housse
(l’acataïre)
rabattue sur les jambes,
assises sur leur chaise
basse (la tsadeïra), un
petit banc ou une grosse
bûche (l’estellou)
sous
les pieds. Le carton neuf
servant de modèle et livré
par la leveuse était fixé
sur le rouleau. Des
épingles à grosses têtes
de verre coloré faisaient
fonction de repères. Les
écheveaux de fils (les
poupounes) avaient au
préalable étés embobinés
(bouidés) sur les fuseaux
à l’aide du tour (la rodà) et
rangés dans la boite à
fuseaux (la boustia a fus). À leurs pieds, la corbeille (lou pailha) contenant fil et ciseaux.
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Parentes et amies, en groupes immuables se retrouvaient les après-midi de la belle saison aux
mêmes endroits du village, avec parfois de petites variantes lorsque le vent changeait ou que le soleil
se faisait brûlant.
C’étaient des rendez-vous empreints de convivialité et de solidarité. Si les mains s’affairaient autour
du carreau, les langues n’étaient pas inactives. Et le travail minutieux était rythmé par les potins, les
confidences, parfois par des paroles de réconfort et de soutien, mais aussi par des prières et des
chants : les couviges étaient une échappatoire au quotidien pas toujours rose.
Les jeunes mamans emmenaient le berceau, lou branlé, le reliaient à leur sabot par une ficelle. Ainsi,
elles berçaient le bébé (on berçait beaucoup dans le temps) tout en dentellant.
Dans son Livre de paroisse, l’abbé Cortial cite Hyppolyte Achard (Dentelles et dentellières – Page
107b) :
« Avec les mains la langue aussi travaille.
On prie, on chante, on dit son petit mot,
Sur l'œil voisin dont on cherche la paille,
Et du pied droit, on berce le marmot » …
L’apprentissage de la dentelle se faisait dès l’âge de 6-8 ans avec le petit carreau, le plus souvent de
mère en fille, ou sous la conduite de la grand-mère, ou de la béate à l’assemblée, plus tard à l’école.
C’est ainsi que Célina Eyraud racontait que toute jeune, elle avait reçu de son grand-père un petit
carreau dont elle était très fière. Elle allait à l’école de la Vacheresse et s’échappait à chaque
récréation pour aller chez sa grand-mère qui l’avait initiée et passer ses fuseaux.
En hiver, avant que l’électricité n’arrive au village, c’étaient les veillées (veilhades) « à la boule ». La
boule de veillée (lou doulhi) était un vase sphérique en verre léger que l’on remplissait d’eau de pluie.
Posée sur une petite table ronde (la tsabra) et éclairée par une lampe à huile de faines de hêtre, lou
chaleih, elle servait de loupe et projetait sa maigre lumière sur le carreau des dentellières installées
tout autour sur leurs chaises, dans un ordre très précis, car il fallait que la main droite, celle qui pose
l’épingle sur le carton, soit éclairée par l’esclirou du chaleih. Pendant que les hommes jouaient aux
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cartes ou au jeu de bourre, les femmes bavardaient tout en travaillant. Lorsque la cheminée ou le
fourneau ne dispensaient pas assez de chaleur, elles se réchauffaient en posant les pieds sur une
chaufferette remplie de braises. Avant de repartir dans la nuit et la neige, elles partageaient une
simple tartine et une boisson chaude.
Quelques accessoires de dentellières :
Le chaleih, las boulas do veilha, les bobines de fil, les fuseaux et la planchette d’enroulement.
Au fur et à mesure que le ruban de dentelle s’allongeait, on l’enroulait autour d’une planchette, le
plus souvent finement ouvragée et comme la Pierrette de la Fable, on estimait l’évolution de son
pécule au nombre d’aunes fabriqués. Car des dentelles en lin blanc ou bis, rarement noire, était
collectées puis vendues par les leveuses, femmes du village appointées par les marchands de Lyon
ou du Puy. C’est elles qui remettaient aux dentellières les modèles en carte de Lyon de couleur
brique ou marron clair ainsi que le fil. Elles levaient la dentelle, mesurée en demi-aunes (59,4
centimètres). Enroulés par coupe de 42 aunes (25 mètres), les rubans étaient remis à leurs donneurs
d’ordres qui passaient de nouvelles
commandes et en approvisionnaient la
matière.
Parmi ces leveuses, certaines sont
encore dans les mémoires : Rosette
Raymond, épouse Eyraud, appelée
« La Yaude » (516 - La Yaudo), Julie
Rochette (Voir photo), Célina Marion,
Rosine Bertrand (340 - Le Four),
Catherine Noyer (355 - Perrache).
Une des dernières leveuses, qui a
abandonné ses activités autour des
années 1967, était Rosa Eyraud, née
Fargier, dite « La Rosa du château »
(R216 - Le Château). Elle œuvrait pour
Dentelle dorée
une trentaine de dentellières.
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Toutes les dentellières savaient faire de la dentelle linéaire mais peu avaient la maîtrise des
napperons en dentelles. Elles savaient encore moins aponcer, c'est-à-dire coudre ensemble par un
discret surjet les différents morceaux constituant le napperon, en respectant bien les motifs. Dans les
centres dentelliers, aponcer est d’ailleurs un métier à part entière.
Rosette Eyraud née Raymond dite « La Yaude »
Rosa Rochette (1886-1978) et sa sœur Julie Rochette (1896-1965),
filles de Baptiste Rochette
En médaillon, Victorien Rivière, époux de Rosa
Dans les années 1920, une spécialité fut introduite aux Estables par Rosette Eyraud, la Yaude : la
dentelle dorée. Rosette avait deux frères à Lyon qui avaient entendu dire qu’on recherchait des
dentellières pour faire ce type d’ouvrage. Poussée par ses frères, elle s’initia à cette technique. La
rentabilité, supérieure à celle de la dentelle classique apparut très vite. La texture du fil métallique
nécessite, lors des croisements moins de pose d’épingles ; cela tient mieux, c’est plus rigide et le
travail avance donc beaucoup plus vite. Les fuseaux sont différents : ils ont une gorge beaucoup plus
épaisse car le fil métallique est capable de scier le bois du fuseau. Ainsi a commencé l’époque
glorieuse de la dentelle dorée des Estables, dentelle recherchée pour les ornements de l’Église
catholique, les costumes de théâtre et régionaux. Sa renommée dépassa les limites de la commune
et le club local Peï Veï fut même contacté par l’Opéra Garnier et des associations catholiques
bretonnes. La Célina faisait une merveilleuse dentelle assez large, or et argent mélangés, appelée le
levant. Cette dentelle dorée est peu répandue : on la trouve essentiellement en Allemagne, dans la
région de Abenberg.
Mais curieusement, dans cette région où les patriarches régnaient sur le foyer et où la dentelle était
le monopole des femmes, quelques hommes s’y sont risqués. Ils acceptaient même parfois de
suppléer leur épouse pour terminer une coupe très urgente ! C’est ainsi que le père Morel (Chez
Morel – 403), Louis Gailhot (Chez Gailhot – R314-315) et François Roche des Pradous savaient
denteller. Le père Noyer et le père Giraud, avaient des tours et fabriquaient des fuseaux.
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En 1992, de gauche à droite :
François Roche des Pradous, Rosa Eyraud née Fargier, Marie Chapelle née Chanéac, Marie-Rose Teyssier née Eyraud, Marie
Michel née Exbrayat, Marie Bonnefoy née Leydier, Rosa Teyssier née Leydier, Marie Ribbes, née Giraud.
Issue d’un labeur long et difficile, la dentelle payait mal. Déjà, en 1935, l’abbé Cortial au chapitre
« Dentelles et dentellières » (Livre de Paroisse TI) écrit « Les salaires au XIXe siècle étaient faibles ».
Il parle ensuite du marasme actuel et en précise les conséquences directes « Les salaires, qui
n'avaient jamais été bien élevés sont descendus effroyablement : vingt ou trente sous par jour pour
l'ouvrière médiocre, quatre ou cinq francs pour les plus habiles ou les plus heureuses ». Le prix du
pain était alors de 2,16 francs le kilo ! Mais cela apportait un peu d’amélioration au quotidien, de
beurre dans les épinards ou plutôt de saindoux dans l’arnaoù. Philibert Sanial racontait que sa mère,
avec sa dentelle, arrivait à payer chaque jour le pain pour sept personnes, ainsi qu’un peu de café,
de sucre ou d’huile.
Émile Cortial attribuait ce déclin, outre à la concurrence de la dentelle mécanique, à deux autres
causes terriblement d’actualité : la crise et la concurrence chinoise ! Il redoutait le désamour des
jeunes filles pour le carreau qui risquait d’entraîner la disparition de cet art, désormais livré à de
vieilles mains tremblantes.
Les faits lui ont donné raison. Pendant quelques années, le club local Peï Veï a tenté de ranimer la
flamme. Des couviges ont été organisés pour le plaisir des yeux et des touristes. Les mémés
étonnaient par leur savoir-faire et par leur patois. Elles étaient admirées, prises en photo. Il se
vendait de la dentelle, on allait au restaurant : quel bonheur !
Mais les vieilles mains tremblantes ont presque toutes disparu et avec elles la dentelle aux Estables
Seule reste chez les rares survivantes, la nostalgie des couviges d’autrefois, de ce bonheur de se
retrouver pour denteller ensemble. Cet oasis au milieu de leur vie rude et difficile leur permettait d’en
oublier les tracas, de se réchauffer mutuellement le cœur, de se sentir comme des sœurs d’une
même famille. « On était toutes pareilles », avaient-elles l’habitude de dire.
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Couvige devant « Chez Rochette » (299).
Couvige devant « Batou » (R132).
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Couvige devant Chez Surrel (384). De gauche à droite :
Marie Falcon née Faure, Marie Bonnefoy née Leydier, Rose Eyraud née Fargier, Antoinette Eyraud célibataire, Marie Leydier née Portal,
Mme Teyssier née Leydier.
Couvige en 1962 au-dessus du Darounas, sous le Gouillas (R95). De gauche à droite :
Rosette Bonnefoy née Chanal, Claire Marion née Eyraud, femme du cordonnier, dite "la cordonnière", Marie Petit, veuve de Florian Arsac,
dite "La Marie de Florian", Léonie Bonnefoy née Eyraud, Victoria Issartel née Chanal.
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Cahier de leveuse dans lequel elle notait les dentelles « levées ».
Dans les années 30, la dentelle était enseignée à l’école de filles, témoin
cette page de cahier.
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