Christian Baudelot Ecole normale supérieure Département

Transcription

Christian Baudelot Ecole normale supérieure Département
Christian
Baudelot
Claire
Ecole normale supérieure
Département Sciencessociales
Verry
Institut Louis Harris, France
PROFESSION :
LECTEUR ?
RÉSULTATS D'UNE ENQUÊTE
DE LA BIBLIOTHÈQUE
SUR LES LECTEURS
NATIONALE
bibliothèque),
sentimentde déménapériodes
de
gement.J'aime la
crisepourrévélerau
BN comme une
grand jour des
partie de ma vie
logiques de
intérieure en
; faire
comporle
deuil
Ainsi
de
des
tementet
sys».
tèmes de valeurs
ce professeurde
indiscernablesen
littérature
du
XVIIIe siècle,lectempsde paix. La
perspective
prochaiteur assidudepuis
trente-cinq
ans,qui
ne du déménagedéclare :« Je suis
ment d'une grande
très obsédépar la
partiedescollections
de la Bibliothèque
mémoire on
: arrinationale (BN) a
veà un âgeoù les
fourni à de nomparents s'en vont
breux lecteurs,au
et onpasseenpremière ligne. Pour
momentoù nousles
moi, le passé,les
interrogions, tous
lesingrédients
d'un
parents,les livres,
contextedecrise ;surgitalorsau grand Il engage,pour certains,la personne
ça rentre dans le
Pourmoi, il n'y a pas
jour l'intensitédu lien qui peutunir un
tout entière.Ainsi de cettefemmede mêmesystème.
c'esttout lemêmeenjeu,
lecteurà une bibliothèque,le statut 68 ans,ancienprofesseur
de philoso- dedifférence,
monumentalet historiquede la BN
phieà l'université,étudiantla moder- c'estenjeude survie.Donc,mon avejus- nité,qui écrità lafin du questionnaire : nir à la Bibliothèquenationale,je le
poussantparfoiscet attachement
qu'auparoxysme.
« Depuisle projet TGB (Trèsgrande penseplus en termesmétaphysiques
qu'en termes purement utilitaires.
Alors peut-êtremon discoursest-il
* Lesrésultats
présentés
danscetarticle
totalement farfelu
maispour moic'est
proviennent
d'une
enquête
(Jean-Paul
DAYAN).
Financée
parquestionnaires Stetson
parla
de la métaphysique.
réalisée
auprès
deslecteurs
delaBibliothèque Bibliothèque
deFrance,
l'enquête
s'est
La Bibliothèque
nationale
LouisHarris
déroulée
àmars
parl'Institut
etle
sur12mois(d'avril1992
nationale,
j'ai
besoin
qu'elle fonctionDépartement
desciences
sociales
del'Ecole
1993)
4 513
questionnaires
eta recueilli
et
bien
Ainsi
de
autreprofesseur
cet
normale
supérieure,
lacollaboration
de
d'entretiens.
ne
».
unecentaine
avec
RIENque les DE
TEL
blée, le décor est planté.Se jouent
autourdeslivres de la rue de Richelieu despartiesgravesoù deslecteurs
mettenten jeuleurproprevie, dansce
mondeet dansl'au-delà.Sansdoute
tous ses lecteursn'entretiennent-ils
pasavecla Bibliothèquenationaledes
relationsd'une mêmeintensité,mais
les sentimentsqu'exprimentsur un
modeexacerbé
cestroisuniversitaires,
nouslesavonsretrouvésdefaçonplus
latentechez de très nombreuxlecteurs.Une bibliothèquen'est pasun
lieu de consommation culturelle
comme un autre ; la Bibliothèque
nationalemoins que tout autre (cf
l'encadréHors du temps...).
Dépositaire de la mémoiredu monde et
monumenthistorique,la BN est l'une
de ces grandesinstitutionsà même
d'engendrerentreelle et seslecteurs
des liens immatérielsqui débordent
largementles fonctions techniques
qu'elle estcenséeremplir :conserver
le patrimoineécrit et en assurerla
communication
aupublic.C'estl'une
desgrandesleçonsdecetteenquête.
tribution moyenne,tant diffèrentles
modesd'accèset lesrythmesde fréquentationde cetteinstitution.
Car il y a bien deux manièresde
compterles lecteursde la BN : ou
bien on compteles individuset les
plusnombreuxsontalorsceuxqu'on
voit le moins ;ou bienon compteles
partsdu volumed'«espace-temps»
disponibleoccupées,et, dansce cas,
les
ce sontleslecteursstatistiquement
moins nombreux - les habituésles
plus assidus -qui occupentla plus
grossepartdu volumespatialet temporeldisponible.
De fait, les 26 387 laissez-passer
de
deux jours délivrés en 1992 n'ont
donnélieu qu'à31800entrées
(soit1,2
par titulaire).L'immensemajoritéde
leurs titulairesne viennentà la BN
qu'unseuljour paran,aulieu desdeux
qui leur sontalloués.Quantaux8 334
cartesde 8 et de 24entréesattribuées,
ellesont entraîné86 300 entrées(soit
10,4par titulaire).Sachantque les24
entrées
sontvalablesdeuxans,lestitulairesde cartesde 8 et de 24 entrées
semblentconsommerla plus grande
qui leur est
part de l'espace-temps
Un public d'habitués
allouée.
Ce sonten revancheles titulairesde
En 1992,la Bibliothèquenationalea
cartesannuelles(7 802 personnes),
délivré42 500 titresd'accèset enre- voire mêmeseulementune fraction
gistré 287 000 entrées. Soit une
d'entreeux, qui constituentles gros
bataillons des lecteurs de la BN
moyennede 6 à 7 journéespar perà eux seulsde
sonneet par an. La réalité observée puisque,responsables
s'écarteen fait fortementdecettedis169000 entrées,ils occupentprèsde
de littératurequi, ayant fréquentéla
BN dansles annéessoixante,a cessé
de s'y rendreà la suited'un départen
province.Y revenantvingt ans plus
tard,il n'avaitjamaisfait renouveler
sa
carte.Et pourtant !« On a retrouvéla
tracede macarte,il y avaitunecontinuité,j'avais l'impression,bien que
beaucoup
d'années se
soientécoulées,
qu'aucunfil n'avait étérompuet que
j'étais toujourslecteur.Mêmesi entretempsj'aurais pu disparaître,mourir... je suis sûr d'ailleurs que les
fichiers de la Bibliothèquenationale
sontpleinsde lecteursdéfuntsou disparusdepuislongtemps
».
Vie intérieure,métaphysique,
survie,
continuité,deuil,mort,éternité,d'em-
60 % desplacesdisponibles(soitune
moyennede 22 entréespar personne
au cours de l'année,ce qui correspond à environ un mois de jours
ouvrables).
Encorecette estimation(18 % des
titulairesdestitres délivrésoccupant
60 % desplacesdisponibles)
pèche-telle par défaut,puisquela fréquentation destitulairesde cartesannuelles
est elle-mêmetrès diversifiée,certains n'y mettantjamais les pieds
alorsque d'autresy viennenttousles
jours. D'après les résultatsde notre
enquête,et compte tenu du temps
passéà la BN par lesdétenteursde
cartesannuelles,
ce sonten fait 18%
deslecteursqui remplissent
64 % de
l'espace-temps
disponible.Occupant
à euxseuls94 % decetespace-temps,
l'ensemble des titulaires de cartes
(annuelles,
8 et 24 entrées)
n'en laisse
finalementque 6 % aux titulairesde
laissez-passer.
La plupartdeslecteurss'y retrouvent
d'ailleurs en milieu connu. Plus de
troislecteurssurquatre(79 %) déclarent apercevoir,souventou quelque-
fois, des connaissances
quandils y
viennent.Une part très légèrement
moindre(73 %) déclarey parler souventou quelquefoisavecdesamisou
desconnaissances.
Il arriveà un lecteur surdeux de donnerdesrendezvous à des amis,des élèvesou des
collèguesà la BN. Beaucoupmoins
nombreuxparcontresontleslecteurs
qui déclarenty nouer de nouvelles
connaissances27
: % quelquefoiset
5 % seulement
souvent.La BN estun
lieu où l'on sereconnaîtmaisoù l'on
fait peu deconnaissances
nouvelles.
Quelque soit le modede calcul,ces
premières
données
invitentà serepréles
publics
de la BN sousla
senter
forme d'un ensemble de cercles
concentriques.
A la périphérie,
leslecteurs les plus nombreuxet les plus
volatilspuisque,
telscertains
papillons,
leur duréede vie ne dépasse
pas un
jour. Au centre,le noyaustabledeslecteurs permanents,relativementpeu
nombreuxmais gros consommateurs
d'espace-temps.Entre ces deux
extrêmes,s'étagent,en un dégradé
savant,un ensemblede cerclesallant
deshabituésmoinsassidusauxoccasionnelsintermittents.
A chacundeces
cerclescorrespondent
desdemandes
et
desusagesspécifiques
desressources
de la Bibliothèquenationale,mais
aussidesstatutssociauxet universitaires bien distincts ainsi que des
degrésde légitimitéet de reconnaissancegraduésau seinde l'institution.
Seuls15 % descartesannuellessont
attribuésà des lecteursétrangersà
l'universitéalorsque de 5 à 6 sur 10
deslaissez-passer
délivrésreviennent
à
cesderniers.
BN =
TGBU
Au coeurdu système,
l'université.Etudiantspréparant
undiplômedesecond
cycleou un diplômed'étudesapprofondies(DEA) (26 %),doctorants
travaillantà leurthèse,française
ou étrangère(32 %), maîtresde conférences,
professeurs
et chercheursprofessionnels (25 %) représentent
à eux tous
prèsde 83 % du public.La première
imagequenousoffre la BN estdonc
celled'uneimmensebibliothèque
universitaireune
: TGBU.Troisdomaines
derecherche
s'y taillentlapartdulion :
l'histoire(37 %), la littérature(22 %)
et l'histoirede l'art (20 %).
Condamnés
à la portion congrue,les
non-universitaires
nereprésentent
que
17% del'ensembledespublicsadmis
à fréquenterla Bibliothèque
nationale.
Ils se partagent
eux-mêmes
pourmoitié en professionnels
et en amateurs.
Les premierssont écrivains,musiciens, metteursen scène,bibliothécaires,conservateurs,
documentalistes,
L'héritage
de Julien
Cain
La structuredu public ainsi admisà
fréquenterla BN n'estpasle fruit du
hasard. La prédominance des
recherches
historiques
et littérairesest
à l'image du fondsdont les acquisitionsrécentes
ontpeumodifiéla structure. Elle est aussi le produit d'une
politique délibéréede réorientation.
Ses principesont été formuléspar
JulienCain dèsla fin desannées30.
L'exiguïtédes locauxet le caractère
patrimonialde la bibliothèqueimposaientderéserversonusageà descatégorieslimitéesdelecteurs les
: universitaireset lesprofessionnels
du livreet
de l'écrit (bibliothécaires,
archivistes,
conservateurs,écrivains, éditeurs,
éditeurs,journalistes spécialistes
;
du journalistes)
en sont,pourJulienCain
livre, de l'art ou de l'information,ils
fréquentent
laBN dansle cadredeleur commepour tousles administrateurs
généraux
qui lui ontsuccédé,
lesdestiactivitéprofessionnelle.
Les seconds
y
nataires
naturels.
effectuentdes recherchespour leur
d'autresbibliothèques, la
:
de leur A la différence
comptepersonnelgénéalogie
Bibliothèque
nationale
s'est en effet
famille,histoirelocale,en particulier. donnéles
de déciderde son
moyens
Ils comptentparmieux une part non public.
deréorientation
Lesprocédures
négligeable
de retraités.
adoptées à
Parissontplus
sévères que
danslesautres
grandes
bibliothèques
de statutcomparable,
laBritish Library en
particulier.
Beaucoup
d'étrangers
absolument
incons'en étonnent réalitéslui paraissait
c'est-à-dire
typiquement
gru,
«
(cf. l'encadré
Une bureau- français». C'esten effet à l'aunetrès
« nationale» du niveauquesontévacratie à la
luéeslesaptitudes
à sevoir délivrerou
française...).
refuser
titre
d'accès'.
un
Tel cet étuofficiellement
diant améri- Destextesréglementent
les
conditions
d'entrée.
Une
listeprécicain qui ne
le
des
autorisées
à
statut
se
personnes
comprenait
consulter
les
livres
:
chercheurs,
propas pourquoi fesseurs
d'université,
étudiants
à partirdu
on lui deman- troisième
cycle
dans
certains
ou,
cas,dela
dait un récépissé de ses
diplômes
alors 1.Silesprocédures
d'admission
sont
qu'il venait « typiquement françaises
ladomination
des
»,
universitaires
n'estpas
auseindupublic
consulter un
à l'hexagone
;
lepublic
propre
en1990-1991,
livre. Le lien
delaBritish
Library
comptait
environ
70%
(students
etassimilés
entreles deux d'universitaires
+
academic
staff professional
+
researcher).
maîtrise,
bibliothécaires,archivistes et
conservateurs de
musée,écrivains, édijoumateurs,
listes, ceux
qui recherchent des
documents
introuvables
dansd'autres
bibliothèques.
L'ordre de
cette liste
indique la
priorité
accordée
de
droit à l'université. La
détention
d'un statutuniversitaire
ou professionnel l'emporteici surl'expression
d'un
besoin documentairespécifique.Au
seinmêmedela population
universitaire, ce sontleshistoriensqui seretrou-
moyen qui
fréquentela
BN,contrairement à la BPI
(Bibliothèque
publique
d'information), où
49 % des
lecteursont
moinsde25
ans.
Pluscaractéristiques
encore, le
degréélevé
d'ancienneté
de la fréquentation
(14 ans en
moyenne)2,
les fortes
proportions
de célibataires(49%)
n'estlecasquede49 % deshommes. etdelecteurs
enfants
(67% n'enont
sans
Le mouvement
qui porteles femmes aucun,
dont45 % parmileslecteurs
âgés
verslesétudessupérieures
trouveà la
de40à 49 ans),commelafaibleproporBN un échoamplifié,en raisonde la
tiondeceuxquitravaillent
à plein-temps
surreprésentation,
danscetteenceinte, (47%,soitmoinsd'un surdeux) .
Associésà unefréquentationassidue
- 40 % déclarenty travailler habituellementplus de sept heurespar
jour, 24 % affirmenty êtrevenustous
les jours au cours du mois
précédent - tous
, cestraitssuggèrent
une forte mobilisationdes lecteurs
autourde la bibliothèque,mobilisation qui s'apparenteà une véritable
littérairesau senslarge professionnalisation.Autant d'éléventlesplusnombreux.Cesontaussi desrecherches
(histoire,français,histoirede l'art...). mentsqui contribuentà rendrecompeuxqui sontadmislesplusjeuneset le
C'est au cabinetdesestampes
plustôt dansleurcursus.
et aux te du vif attachementmanifestépar
manuscrits
orientauxque lesfemmes unegrandepartiedeslecteursà cette
Leshommes institution.
sontlesplusnombreuses.
Des lecteurs
sont en revancheplus représentés
parmilesprofessionnels,
universitaires
à plein-temps
Le statut universitaire
ounon,et lesamateurs.
qu'ellesoit - 58% des
Le résultatenregistré
étaitdonc atten- Pourstudieuse
du. Le sont moins, en revanche, lecteurs poursuivent encore des Lesformeset l'intensitédecetattached'autres traits sociodémographiques études-, la populationdes lecteurs ment varientd'ailleursselonles lecn'est pas pour autantjuvénile. La
(cf. l'enpropresà lapopulationdeslecteurs(cf.
teurset lessallesfréquentées
l'encadréQui sontles lecteursde la
moyenned'âges'y élèveà 38 anset
cadré Chaque salle a-t-elle son
11mois.Le bon quartd'« étudiants»
Bibliothèquenationale?). Autantde
public ?). Lesclivages opérés
entreles
femmesque d'hommes,
contrairement préparantdesdiplômesinférieursà la
thèsene suffit pasà abaissernotableà l'idée reçuequi représentela BN
univers
essentiellement
ment la moyenne puisque l'âge 2.Ancienneté
mesurée
d'années
comme un
parlenombre
lapremière
inscription
àlaBN
entre
masculin.
Plusjeunesquelesseconds, moyendecettecatégorie
estlui-même écoulées
l'année
del'enquête,
tenircompte
des
sans
: anset 4 mois.C'estdonc et
70%desfemmesadmises
à la BN sont avancé 27
interruptions
éventuelles.
Ladurée
moyenne
plutôt
l'éternel
étudiant
l'étudiant
desétudiantes
Ce
d'interruption
que
estdequatre
ou desdoctorantes.
ans.
premierspar le sexe,la nationalité,la
résidence
parisienne
ou provinciale,la
spécialité,la nature des recherches
effectuées
ne sontpasnuls ; mais ils
dès lors qu'on les
sont négligeables
compareaux différencesde comportementset de conduitesentreuniversitaireset non-universitaires,
étudiants
et doctorants,selonleur degréd'ancienneté.Parmi toutes les variables
étudiées,
c'esteneffet lacombinaison
du lecteurà
entreledegréd'ancienneté
la BN et sonrapportà l'universitéqui
s'est révéléela plus sensiblepour
rendrecomptede la plupartdesvariations observéesdans les comportementsou lesopinions.
Les étrangerssont nombreuxà fréquenterla BN, puisque,sur l'ensemblede l'année,plus d'un lecteur
sur cinq est étranger(un surtrois en
juillet-août).Mais leurs conduiteset
leurs aspirationss'alignentsur leurs
homologuesfrançaisde statutidentique.A la BN, un professeuraméricain ou italien ressembleplus à un
professeur
françaisqu'à un doctorant
américainou italien.En matièred'interconnaissance,
parexemple,un uni-
versitairefrançaissur deux déclare
apercevoirsouventdesconnaissances
à la BN. C'est aussile casde quatre
professeurs
étrangerssur dix. Alors
lesétudiants
que,françaisouétrangers,
et les doctorantsdéclarenttoujours
apercevoirmoins de connaissances
chevronnés.
Des
que lesuniversitaires
écartsdemêmesenss'observent
dans
la maîtrisedesprincipauxoutilsde la
BN : les performances
croissenten
fonctiondu statutuniversitaireet de
l'ancienneté.
La tendance
n'estenrien
affectéepar la nationalitédu lecteur,
certainsuniversitairesétrangersen
remontrantsouvent à leurs homologuesfrançais.
L'argent,
le bruit
le temps,
Plusencoreque tel ou tel comportement,c'est l'attitudegénéraledu lecteurà l'égardde la BN ainsique son
systèmed'attentesqu'organisentle
statutuniversitaireet le degréd'ancienneté.Invitésà formulerau basde
la dernièrepagedu questionnaire
ce
qu'ils jugeaientbon d'ajouter,un tiers
desrépondants
a utilisécettepossibilité. Beaucoup
ont célébréla beautédu
lieu et louéla compétence
desconseraussisesontplaints
vateurs,beaucoup
destempsd'attenteet desdifficultés
rencontrées
dansledomainedelaphotocopie.Un examenplusattentifdes
données
met pourtantà jour desdifférencesplus subtiles.Les plusjeunes,
les novices, particulièrementnombreuxparmilesétudiants,
seplaignent
de la froideurde l'accueil,de la difficulté à s'orienterdanslescatalogues
(cf. l'encadréLescatalogues,un labyrinthe...), etdu prixdesphotocopies.
A
mesurequ'on s'élèvedansla hiérarchie universitaire
et qu'on va versles
doctorants
qui préparent
unethèse,les
motifs de récriminationévoluent.On
neparleplusargentmaistemps,on ne
se plaintplusdu froid, on souhaitedu
caféchaud on
; déplorela longueurdes
délaisdecommunication
et lesqueues
à l'entrée,on souhaitela miseenplace
de lieux plusconviviaux,on demande
l'extensiondestablesavecdesprises
pour des portables.On commence
aussiàévoquerTolbiacou laTGB tantôt commeunemenace,
tantôtcomme
panacée.
une
Tout autreest le ton desremarques
formuléespar les universitaireschevronnéset les lecteursdotés d'une
ancienneté
pluscanoniqueles
: motifs
de satisfactionl'emportentici sur les
récriminations les
; critiquescontrela
TGB se font plus radicales ;maisce
donton seplaintsurtoutà la BN, c'est
du bruit desporteset...desautreslecteurs,jugés « beaucouptrop nombreux », ainsi que de l'irrespectdu
grandpublicpourleslivres.L'argent,
le temps,le bruit, autantd'aspectsde
la BN que les universitairesrencontrentcommedes étapesau coursde
leur carrière.C'est chezlesamateurs
que sourdentà nouveaules plaintes
surlesdifficultésde l'accèset la froideurde l'accueil.
La France
d'abord
Une analyse lexicographiquedes
sujetsde recherchedéclaréspar les
lecteursdansle questionnaire
permet
de préciserla naturede leurscentres
d'intérêt. L'histoire y occupe une
placemaîtresse,
suivie par lesétudes
littéraireset l'histoire del'art. A elles
seules,cestrois disciplinesabsorbent
plusde80 % desrecherches
encours.
Le XIXe est de loin, le sièclele plus
mentionné,suivi du XVIIIe, puis,en
ordre décroissant,
desXVIIe, XXe et
XVIe siècles.Histoirerécentedonc,à
la fois moderneet contemporaine,
maiségalement
histoirenationale les
:
lecteurscentrentleurs intérêtssur la
France,puisqu'encumulanttous les
mots,substantifsou adjectifsqui ont
trait à la Francedans les libellés
(France, français, française, françaises...),on parvientà un scoretrès
légèrementinférieur aux deux mots
dansce
revenantleplusfréquemment
corpusde sujets :histoireet siècle.Il
faut descendre
très basdansl'échelle
desfréquences
pourtrouvermentionnésdes pays étrangers,
les premiers
citésétantnosvoisinsimmédiatsl'Es:
l'Allemagne,
l'Italie
l'Angleet
pagne,
terre.Les paysextra-européens
ne se
rencontrent
que parmi les bassesfiéquences : les Etats-Unis,l'Algérie,
l'Afrique, la
Russie ne
sontmentionnésque neuf
fois, l'Amérique, l'Asie
et l'Egypte
remportant
des suffrages
encoremoins
nombreux.
Quant aux
autres pays
du monde,ils
relèvent des
fréquences
subliminales,
puisqu'ils
apparaissent
en dessous
du seuil limite
retenu
(plus decmq
citations
dansl'ensembledu corpus).Parordre
de fréquences
décroissantes
sontainsi
mentionnés
entrequatreet cinq fois :
Inde, « Rome », Hollande,Japon,
« Arabes
», Brésil,Chine,Madagascar.
Quelquesautres pays apparaissent
encoreuneà troisfois,et beaucoup
ne
sontjamaiscités.
decours.Surtout, c'est
chez les universitaires
que
culmine la
référence
au(x)siècle(s).
Totalement
absente
parmi
les mots les
plus caractéristiques des
étudiants,
cetteréférence
aux siècles
s'amorce
chezles doctorant s
(XVIIIe,XIIe,
XIe, XVIe)
pour s'épanouir chez
les professionnels de
biographes,
éditeursou préparateurs l'université (XVIIIe, XVIe siècles
d'édition.
chezleshommes XVIe,
;
XIVe,XVIIe,
Fille ou garçon,l'étudiant(e)indique XVIIIe,XVesiècleschezlesfemmes).
d'abordsonniveaud'études(maîtrise A mesurequ'elle progresse,
la carrièdeslecteursde la BN
ou DEA) et non la disciplinequ'il
re académique
pratique.L'étudiant ne se sent pas se spécialiseet enracineses cherencoreautoriséà déclarerqu'il fait de cheursdansdes territoirestemporels
l'histoire,delalittératureou dela phipar lesquelsils se définissent.Le
losophie (une exception toutefois XVIIIe siècleapparaîtalorscommele
pourla musicologie)et encoremoins carrefourle plus fréquentéà la fois
Histoire
qu'il est historien,littéraireou philopar lesdoctorantset lesuniversitaires
sophe.Il estseulement
maîtriseou
grand
professionnels.
H
en
avec un
en DEA. Il déclarealorssonsujetde Dèslorsqu'on quittel'université,disOn pouvaitsupposer
paraît aussitôt toute référenceaux
que la spécialité la façonla plusneutrepossibleenfaila
discipline
constituait
le grand sant précéderle sujet étudié d'un
siècleset aux disciplines.On change
ou
principeorganisateur
de l'universdes simplearticle,La, Le, le, les.
ici d'univers.Le non-universitaire
se
Plusavancésdansla carrière,lesdoc- distinguedetouslesautresparcequ'il
sujetsde recherche.
Tel n'est pas le
torant(e)sne négligentpasd'indiquer appelle Recherche(s),au singulier
cas (cf. l'encadré Les sujets de
la raisonuniversitairede leur présen- commeau pluriel,l'activitéqu'il prarecherchequ'ils déclarent).De fait,
l'analyse lexicale des sujets met ce (Thèseavecun grandT enpremiè- tique à la BN. Cesrecherches
désimoinsenévidencedesdifférencesde
re position chez les hommes,avec gnenten fait desactivitéstrèsvariées
spécialitésou d'objetsdansle voca- une minusculechez les femmes). qui correspondent
au caractèrehétébulaire utilisé par les lecteurspour Mais ils s'estiment,les uns et les rogènede la population« nonuniverde leur spécialité sitaire ». Recherched'un texte ou
définir leur rechercheque desécarts autres,assezassurés
dansla présentation
de ces sujets,et
pourrevendiquer
avecune majuscule d'un documentpour une émission,
doncaussidansla façonde seprésen- (c'est-à-direà l'initiale) leur discipliuneédition (travailde documentalisLittérature, te) ou pour le jouer (comédien),
A ceuxqui revendiquent ne :Histoire,Philosophie,
ter soi-même.
his- Linguistique,Lettres.
recherched'une petiteannoncedans
d'abordleurdiscipline -littéraires,
à part entiè- lecadred'un litige, recherche
toriensou philosophes et
- se définis- Quantaux universitaires
personnelledansle cadred'un hobbydonsentparl'étuded'unepériode(« leur »
re, ils déclarentbien sûrque leur travail est de l'Histoire. Mais ils spéci- nantun sensà sa retraite.Beaucoup
période, classique, moderne ou
fient aussi sa natureprofessionnelle moinsstrictet universitaire,le découcontemporaine)
s'opposentceux qui
les
raisons
les
mettenten avant
en précisantqu'il s'agit d'un travail pagethématique
et temporelestaussi
ou
d'uneédi- beaucoupplus ouvert.Coexistentici
motifsde leur présence
à la BN : étu- d'Edition, de Préparation,
d'oeuvres,
demanuscrits
diants déclarantle diplôme préparé, tioncritique,
lesdocumentalistes,
les retraités,les
ou
artistes,comédiensou musiciens,les
généalogistes
et ceux qu'on appelait
autrefoislesamateursou les simples
« curieux » pour les distinguerdes
savants.
La production
de normes
A l'exceptiondes rechercheseffectuéesparcesderniersqui nereprésententjamaisque 14à 15% du public,
la curiositésavante
estdonc,à la BN,
fortementencadréepar lescanonsde
la rechercheuniversitaire,dans ses
découpages
disciplinaires
commepar
les priorités accordéesà certains
objets ou à certainespériodes,le
XVIIIesiècleen particulier.Le trésor
universelet encyclopédique
qu'offre
la bibliothèqueestainsisoumis,dela
à un processus
de
partdesesusagers,
lecturesélectivedont lesprincipeset
lescatégories
doiventêtrerecherchés
dansles cadressociauxde l'institution universitairedu moment.
Hautlieu de la recherche
historiqueet
littéraire,templede la curiositédésintéressée
à l'abridetouteslesdemandes
économiques
ou sociales,la BN offre
doncdansla sommedescuriositéset
desintérêtsintellectuels
de seslecteurs
uneoccasionuniquedemettreaujour
lescadressociauxdela recherche
universitaire
enmatièred'histoireetdelittérature.
Elle concourtquantà elle,par
l'actionconjuguée
de sonarchitecture desnormesqui façonnentpeuà peuet
et de son climat intérieur,sesrègles defaçondurableleurscomportements
officielleset sescodesofficieux,à proet leursfaçonsdetravailler.
duire,chezleslecteursqu'ellea élus,
Avril 1994

Documents pareils