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C.C.R.A Collège Coopératif Rhône-Alpes « QU’EST CE QUE JE FAIS LÀ ? » RECHERCHE COMPRÉHENSIVE SUR LES FONDEMENTS D’UNE PRATIQUE D’ÉDUCATEUR D’INTERNAT EN M.E.C.S Mémoire présenté en vue de l’obtention du Diplôme Supérieur en Travail Social (D.S.T.S) Directeur de Recherche Gilbert Berlioz Auteur david Ryboloviecz LYON 2009 REMERCIEMENTS Mes remerciements sont destinés tout particulièrement à : - Mon Directeur de recherche qui a toujours cru que je pouvais arriver au bout de l’écriture de ce mémoire! - Ma tutrice. - Les éducatrices et les éducateurs qui se sont prêtés au jeu des questions-réponses et sans qui ce mémoire de recherche n’aurait pu voir le jour ! - Mes collègues, Directeur, Directeur adjoint et Chefs de service qui m’ont soutenu et supporté pendant toutes ces années. Une pensée toute particulière à : - Ma femme et mes enfants qui ont eu une patience infinie au cours de ces quatre années de formation et de la rédaction de ce mémoire. - Ma maman qui a pris le temps de relire ce texte et de corriger les fautes. SOMMAIRE INTRODUCTION GÉNÉRALE p1-p16 PREMIERE PARTIE p17-p 48 Chapitre 1 le dispositif de l’action sociale et médico sociale en France p20-p27 1.1 La prise en charge des enfants 1.2 Une législation pour la protection des mineurs p20 p21 1.2.1 L’ordonnance de1945 1.2.2 L’ordonnance du 23 décembre 1958 1.2.3 L’article 375 du code civil 1.2.4 La loi de 2002-2 1.2.5 La réforme de la protection de l’enfance de 2007 1.3 D’une organisation déconcentrée à une organisation décentralisée p26 Chapitre 2 Les éducateurs : une profession en perpétuelle évolution p28-p34 2.1 L’alliance de deux mots chargés de sens 2.2 Les métiers du social en perpétuelle réflexion p29 p30 2.2.1 Le travail d’analyse d’Yves Barel 2.2.2 Jacques Ion interroge le Travail Social 2.2.3 L’approche de Jean Paul Lassaire 2.2.4 L’approche de Joël Cadière Chapitre 3 Un établissement spécialisé au sein d’une association 3.1 Le CODASE 3.2 L’espace Adolescents 3.3 Un lieu spécifique : le Refuge p35-p43 p35 p37 p38 3.3.1 Des jeunes en grande difficultés 3.3.2 Une équipe de professionnels, dans le malaise et le doute 3.3.3 L’émergence d’une question centrale Chapitre 4 Une réflexion autour du concept de Représentation 4.1 Les représentations : quelques définitions 4.2 Les représentations sociales 4.3 Les représentations à la croisée des chemins p44-48 p44 p45 p47 DEUXIEME PARTIE p49-p84 Chapitre 1 Démarche méthodologique p51-p55 1.1 La détermination du terrain d’enquête 1.2 Carte d’identité des locuteurs 1.3 Le guide d’entretien 1.4 Les entretiens 1.5 Le découpage des discours 1.5.1 Discours sur le parcours 1.5.2 Discours sur le métier 1.5.3 Discours sur les adolescents Chapitre 2 Discours sur le parcours 2.1 Alberte 2.2 Boris 2.3 Charlotte 2.4 Danielle 2.5 Evelyne 2.6 Fabien 2.7 Hélène 2.8 Isabelle 2.9 Bilan des discours sur le parcours p51 p52 p53 p54 p57-p63 p57 p58 p58 p58 p59 p60 p60 p61 p62 Chapitre 3. Le discours sur le métier 3.1 Alberte 3.2 Boris 3.3 Charlotte 3.4 Danielle 3.5 Evelyne 3.6 Fabien 3.7 Hélène 3.8 Isabelle 3.9 Bilan des discours sur le métier p64-p75 p64 p65 p66 p67 p68 p70 p71 p72 p74 Chapitre 4. Le discours sur les adolescents p76-p82 4.1 Alberte 4.2 Boris 4.3 Charlotte 4.4 Danielle 4.5 Evelyne 4.6 Fabien 4.7 Hélène 4.8 Isabelle 4.9 Bilan des discours sur les adolescents p76 p77 p77 p78 p79 p79 p80 p81 p81 Conclusion de la partie p83 TROISIÈME PARTIE p 85-p121 Chapitre 1. Les figures d’éducateurs p87-p101 1.1 Différentes approches 1.1.1 Selon jean paul Lassaire 1.1.2 Trois modèles de travailleurs sociaux 1.1.3 Yves Barel un précurseur p87 1.2 Synthèse des trois approches 1.2.1 La réparation 1.2.2 L’émancipation 1.2.3 Le technicien p89 1.3 Tentative de rapprochement aux trois figures p91 1.3.1 Le parcours personnel de l’éducateur et l’idée de choix 1.3.1.1 Faire un choix, quand il s’agit de son avenir professionnel 1.3.1.2 D’un choix personnel à l’accompagnement dans le choix 1.3.1.3 Ce droit au choix, pour construire sa vie 1.3.2 Être en relation pour accompagner 1.3.2.1 Être en relation 1.3.2.2 Accompagner des adolescents en souffrance 1.3.2.3 Relation et accompagnement : deux notions clefs 1.3.2.4 Rattachement à la figure de la réparation 1.3.3 Travailler avec des jeunes en souffrance 1.3.3.1 Un tableau noir 1.3.3.2 Une rupture familiale 1.3.3.3 Un double constat qui explique la nécessité du placement 1.3.3.4 Agir pour aider à sortir de la souffrance 1.3.3.5 Rattachement à la figure de la réparation 1.4 Synthèse du rattachement aux figures p100 Chapitre 2. Tension entre éthique de conviction et éthique de responsabilité p102p111 2.1 Comprendre le concept 2.1.1 Quelques mots sur l’éthique 2.1.2 La théorie de Max Weber p 102 2.2 Du côté des éducateurs d’internat 2.2.1 Identifier l’éthique de conviction 2.2.2 Identifier l’éthique de responsabilité 2.2.2.1 Ce qu’attend l’extérieur 2.2.2.2 Des outils concrets d’intervention p104 2.2.2.3 Mise à jour de l’éthique de responsabilité 2.3 Émergence d’une tension 2.4 Schématisation du résultat p108 p111 Chapitre 3. Accompagner les professionnels, pour éviter le désenchantement p112121 3.1 Évaluer son travail 3.1.1 L’évaluation en question 3.1.2 Qu’est-ce que l’évaluation p113 3.2 Oser parler de ce qui est en action p115 3.3 Poser les bases d’une évaluation régulières des situations des jeunes p116 3.4 Poser les bases d’une évaluation individuelle des professionnels p117 3.5 Réintroduire une dimension p119 Conclusion de la partie p122 CONCLUSION GÉNÉRALE p123-127 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES p128-131 BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE p132-135 ANNEXES AVANT PROPOS « Il n’y a qu’une éducation. Elle s’adresse à tous. Elle est de tous les instants. Tout être Humain peut se développer et même se transformer au cours de sa vie. Il en a le désir et les possibilités. Notre action est menée en contact étroit avec la réalité. Le milieu de vie joue un rôle capital dans le développement de l’individu. L’éducation doit se fonder sur l’activité, essentielle dans la formation personnelle et dans l’acquisition de la culture. L’expérience personnelle est un facteur indispensable du développement de la personnalité. Tout être humain, sans distinction de sexe, d’âge, d’origine, de convictions, de culture, de situation sociale a droit à notre respect et à nos égards. La laïcité, c’est l’ouverture à la compréhension de l’autre dans l’acceptation des différences et dans le respect du pluralisme. C’est aussi le combat pour la liberté d’expression de chacun et contre toute forme d’obscurantisme, de discrimination, d’exclusion et d’injustice. » (Gisèle de Failly, fondatrice des CEMEA) Il est nécessaire pour comprendre mon parcours professionnel de repartir à l’origine de mes choix, qui peuvent au départ apparaître comme n’ayant pas de lien avec la suite, mais qui pourtant éclairent tout ce parcours. Après un baccalauréat littéraire qui m’engageait vers les champs de l’enseignement, je me suis inscrit comme la plupart des bacheliers à l’Université de lettres (Grenoble). J’y resterai trois ans, jusqu’à la licence. Cependant au cours de ces trois années, j’ai pu également découvrir le monde de l’animation, en passant mon BAFA1, puis un peu plus tard, mon BAFD2. Cette expérience dans l’animation volontaire, sera pour moi le déclencheur de tout ce qui suivra, dans mon engagement associatif et militant (au sein des CEMEA3, dont je fus le Président), puis professionnel. En effet, après quelques expériences d’animation en centre de vacances traditionnel, j’ai alors été amené à être responsable de séjours de vacances, pour adultes déficients intellectuels. Cette étape très riche d’expériences et de contacts humains, m’amène alors à rencontrer un homme qui me propose un poste de stagiaire de contact, dans l’établissement où il est alors chef de service. Une décision se présente alors à moi : continuer la faculté, ou la quitter pour me lancer dans cette aventure et commencer un nouveau parcours. 1 2 3 Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur. Brevet d’Aptitude aux Fonctions de Directeur. Centre d’Entraînement aux méthodes d’éducation active. Mes expériences, dans le milieu de l’Education Nationale (en tant que surveillant, puis « faisant fonction de CPE »), ne me m’ont pas laissé de souvenir riche et je doute alors de mon intérêt pour rejoindre l’enseignement. Mon choix se fait alors assez naturellement et je rejoins le poste qui m’était proposé dans un foyer d’hébergement pour adultes handicapés mentaux. J’y resterai cinq ans : Après avoir été stagiaire de contact, je m’engage en effet dans une formation d’Educateur Spécialisé en cours d’emploi, à l’IFTS d’Echirolles. Ces premières années d’expérience professionnelle sont riches de découvertes, de questionnements, de doutes et de rencontres. Ces quelques années me permettent de travailler tout d’abord auprès de femmes handicapées mentales vieillissantes, puis ensuite après leur départ dans une nouvelle structure de l’Association qui m’embauche, auprès de jeunes adultes nouvellement accueillis dans l’institution (celle-ci étant jusqu’alors non mixte). Cette première expérience s’achève, subitement, car le contrat qui était envisagé pour moi (CDI) ne peut se concrétiser. Je quitte, avec regret, ce foyer d’hébergement, pour rejoindre une maison d’enfants à caractère social sur le plateau du vercors. Je resterai deux ans dans cette institution où je serai éducateur d’internat dans un groupe d’enfants âgés de 4 à 8 ans. Nouvelle expérience intéressante même si parfois difficile, car se pose alors pour moi la question de l’autorité et du positionnement de l’éducateur avec des jeunes enfants avec troubles du comportement. La dimension du « travail avec les familles » me semble un peu fragile ou peu présente dans le travail que je conduis alors. Comment peut-on associer mieux les parents, comment peut-on travailler avec eux les questions éducatives qui ont conduit au placement de leur enfant ? Autant de questions sans doute maladroites, mais bien présentes qui se posent à moi, à ce moment de ma vie professionnelle. C’est alors que l’opportunité de rejoindre une équipe d’AEMO (action éducative en milieu ouvert), se présente. Je suis recruté dans un service d’une Association grenobloise (CODASE). Je quitte alors l’internat éducatif, pour huit années ! Pendant toutes ces années, où je vais travailler dans ce service, je vais m’ouvrir à de nouvelles questions de la pratique sociale et des politiques sociales, qui vont être un terreau de questionnements de mon action professionnelle quotidienne. Ces années d’AEMO seront pour moi extrêmement passionnantes, même si les difficultés sont importantes, du fait de la confrontation à de problématiques lourdes, souvent multiples et intriquées (précarité, carences éducatives, maladie mentale, violence, exclusion). Le travail d’équipe très présent dans ce service sera d’un grand soutien et d’une véritable aide, me permettant régulièrement de remettre au travail mes pratiques quotidiennes et les choix que je peux faire dans les mesures éducatives qui me sont confiées. Les nombreux colloques ou formations auxquels j’ai participé sont venus encore enrichir cette pratique, me permettant d’aller confronter mes expériences, mes questions, mais aussi mes doutes avec d’autres professionnels. C’est dans ce contexte que s’est forgé mon souhait d’évoluer dans mes responsabilités. Mais avant de parler de mon nouvel engagement professionnel, il m’apparaît nécessaire de reparler de mon engagement associatif et militant, car c’est sans aucun doute là aussi que s’origine mon souhait de prendre des responsabilités. Cet engagement militant ne m’a plus quitté depuis le premier jour où je suis rentré en formation, pour obtenir un BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur). Cet engagement alors que je sortais de l’Adolescence se situe dans le cadre de ce que l’on appelle l’Animation Volontaire. Cette idée de volontariat est pour moi très importante, et motive mon engagement. Il me semble en effet fondamental de permettre à tous ceux qui le souhaitent, de pouvoir avoir un engagement volontaire dans le domaine de l’éducation, quel que soit, par ailleurs, son activité professionnelle. L’Association des CEMEA, mouvement d’éducation populaire milite pour des valeurs de l’Education Nouvelle et participe activement à la défense de ce principe. L’éducation de tous quel que soit son milieu et ses origines, la possibilité de chacun d’avancer dans sa formation personnelle, pour participer à la transformation sociale sont autant de principes chers aux CEMEA. C’est ce croisement d’engagements associatifs et militants et d’expériences professionnelles qui m’a progressivement conduit à souhaiter évoluer dans mes responsabilités professionnelles. En effet, participer à l’élaboration de projets éducatifs, encadrer une équipe, soutenir un travail éducatif, m’apparaissent comme autant des choses que je souhaite faire. C’est sans aucun doute pour cette raison que j’ai souhaité m’engager dans une formation DSTS, pour lier à la fois la dimension de la recherche et de la réflexion,et réfléchir aux positionnements de Cadre dans le champ du social. Cette demande de formation, dans le cadre d’un Congé individuel de formation a été faite alors que j’étais en situation d’Educateur en AEMO et que je souhaitais évoluer vers des responsabilités de cadre. Cependant, en quelques semaines, la situation a changé de manière rapide : l’été 2004, j’ai en effet postulé à un poste de Chef de Service au sein de l’Espace Adolescents, Maison d’Enfants à Caractère Social gérée par le CODASE. Ma candidature a été retenue et j’ai pris mes nouvelles fonctions le 1er septembre 04. Nouvelle ouverture, nouvelle aventure ! L’envie est grande, mais l’inquiétude et les doutes apparaissent ! Suis-je en capacité d’exercer cette nouvelle mission ? La question est d’autant plus présente pour moi, que mon recrutement se situe à un moment charnière de la structure, dont on m’a confié la responsabilité. Quoi de plus dynamique que d’être porteur d’un projet nouveau ! Je suis en effet très satisfait de m’investir dans cette aventure collective (qui associe en premier lieu les éducateurs, mais également les jeunes placés qui vivent au quotidien dans l’unité). Il me semble en effet que la question de l’accueil, du cadre de vie, de la participation des personnes à l’élaboration et au développement de projets qui les concernent (adultes et jeunes) sont des éléments clefs dans la construction de l’individu et de son identité. Les jeunes se construisent et construisent progressivement leur vie et leur avenir, les éducateurs construisent quant à eux leur identité professionnelle, consolident les valeurs qui les soutiennent et les guident et leur permettent d’intervenir auprès des jeunes qui leur sont confiés. C’est fort de cette idée que j’ai donc commencé à accompagner les équipes dont l’institution m’a confié la responsabilité. Très vite, j’ai été confronté à beaucoup de questionnements, face à des éducateurs happés par le quotidien et ayant du mal à prendre du recul, pour penser leur pratique. Mon entrée en formation a été très importante, pour me permettre de ne pas être englué par les demandes immédiates faites par les professionnels. Prendre de recul est une posture importante dans les différents actes de management. C’est sans aucun doute un enseignement important de ces quelques années en position d’encadrement. La recherche engagée au fil de ces années a été le fruit de cette réflexion. La formation au DSTS a été une bouffée d’air importante pour m’accompagner dans cette prise de fonction. Aujourd’hui quatre années se sont écoulées depuis mon entrée en formation. Quatre années à réfléchir, à penser mon positionnement et ma manière d’intervenir auprès des professionnels en internat éducatif. La recherche qui va suivre parle d’eux, de leur action, de leur doute. Elle est destinée également aux collègues cadres qui doutent de leur côté et qui oeuvrent au quotidien pour soutenir le travail des éducateurs. INTRODUCTION GENERALE Notre recherche s’ancre au sein de l’unité d’hébergement dénommée “le Refuge”, située à Grenoble et dans laquelle nous occupons le poste de Chef de Service4. Cette unité de l’Espace Adolescents accueille les plus jeunes adolescents de l’établissement. C’est à partir de ce terrain que nous avons fait nos premières observations, point de départ de notre questionnement. En effet, nous sommes, en tant que cadre, très souvent confronté aux interpellations des éducateurs intervenant dans cette unité5 qui, dans un débat contradictoire avec nous, interrogent leur pratique professionnelle et la portée de celle-ci dans l’évolution réelle des situations des mineurs qui leur sont confiés. Nous avons pu faire des observations surprenantes. Deux situations de jeunes, que nous avons choisies de retenir, nous apparaissent significatives de ce qui conduit à notre questionnement portant sur la valeur que les éducateurs attribuent à leur propre travail. Pourquoi par exemple, la prise en charge quotidienne de la jeune Léa6 est-elle si peu valorisée par les professionnels qui la mettent en oeuvre? Léa est une jeune de 14 ans, confiée à l’établissement par décision de placement direct7 du Juge des Enfants de Grenoble. Très rapidement, l’accompagnement de cette jeune fille, dans le quotidien s’avère complexe. Léa refuse d’aller à l’école, alors que son niveau scolaire est satisfaisant et ses résultats assez encourageants. Malgré cela, elle reste au sein de l’unité. Ses comportements inquiètent les éducateurs du groupe. Ils sont souvent confrontés à des crises de violence de Léa qui met à sac sa chambre ou les espaces collectifs de l’unité. Sa relation aux autres s’avère très souvent inadaptée car Léa se montre manipulatrice et influence souvent très négativement les comportements des autres. Léa semble être dans la toute puissance et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Les jeunes semblent à la fois insécurisés par ses agissements et fascinés par cette 4 Le chercheur appartient à une équipe de direction composée d’un Directeur et de son adjoint et de quatre chefs de service éducatifs, responsables des différentes unités de l’Espace Adolescents. 5 L’équipe est composée de cinq personnes titulaires et très souvent de stagiaires d’école d’éducateurs. 6 Pour des raisons de confidentialité et de protection des mineurs, le prénom des jeunes concernés ont été modifiés. 7 Il existe plusieurs formes de placements en MECS : placements directs du Juge des Enfants, Mesures de garde confiée à l’Aide Sociale à l’Enfance, Accueils provisoires, placements en pénal. Ces Types de placements sont définis par l’article 375 du CC et l’ordonnance de 1945, mais aussi par le code de l’action sociale et des familles (CASF). attitude de confrontation permanente avec les adultes censés apporter cadre et sécurité. Dans le cadre des réunions hebdomadaires d’équipe, les éducateurs alertent le chef de service : « Léa est imprévisible, elle retourne le groupe, elle veut faire la pluie et le beau temps et les jeunes la suivent ». Au travers de ces interpellations, les cadres de l’institution comprennent qu’ils expriment d’une part leur crainte de ne pas réussir à protéger les autres, des débordements de Léa et d’autre part leur crainte de devoir être, à un moment ou à un autre, en confrontation physique avec elle. Les éducateurs interrogent alors régulièrement la direction sur la possibilité réelle de Léa de rester dans l’établissement. En effet, ils pensent que cette jeune ne correspond pas au profil des jeunes habituellement accueillis au Refuge : Elle se montre trop violente, trop destructrice et ses comportements déviants viennent déstabiliser l’ensemble du groupe et viennent mettre les éducateurs en difficulté avec l’ensemble du groupe. Comme chef de service de l’unité qui souhaite tenir compte des remarques et des alertes de son équipe, nous mettons alors en œuvre un processus renforcé pour tenter de mieux cerner la complexité de la situation de cette jeune fille. Il invite l’ensemble de l’équipe à se mobiliser pour tenter de faire évoluer la situation de Léa, pour qui le Juge des Enfants ne souhaite pas un arrêt de placement. Ainsi des rencontres avec un psychiatre sont organisées, un soutien de la psychologue de l’unité est proposé, un lien renforcé avec le Juge des Enfants est mis en œuvre, pour que celui-ci puisse recevoir Léa dans le cadre des délits qu’elle a commis au sein de l’établissement : violences, dégradations, ... Progressivement, la situation de Léa semble un peu s’apaiser. Ses comportements déviants sont plus espacés, ses relations avec les adultes un peu plus sereines. Des petits progrès certes fragiles mais réels sont constatés par les adultes de l’équipe. Cependant, malgré cela, nous continuons à entendre de nombreux propos tenus d’éducateurs qui révèlent toujours l’expression d’un malaise ou d’une insatisfaction dans l’accompagnement éducatif de Léa : « Sommes-nous vraiment adaptés pour Léa ? Le travail qui est fait est-il pertinent ? Ne fait-on pas du bricolage, alors que Léa aurait besoin d’une prise en charge différente? On s’occupe beaucoup de Léa et pas beaucoup des autres et pourtant cela ne change pas beaucoup !» Tous ces propos et questions reviennent, très régulièrement dans les réunions d’équipe où la situation de Léa est très souvent évoquée. D’ailleurs dans le cadre même de la formation d’équipe engagée avec un intervenant extérieur8, la difficulté de prise en charge de Léa est souvent prise comme exemple. Lors de la journée de formation de mars 05, alors qu’il est question de la manière dont les éducateurs considèrent l’utilité de leur action auprès des jeunes, les propos tenus signent bien l’état d’esprit des éducateurs, à ce sujet: « l’éducateur, il est jamais assez bien, il ne fait jamais assez bien et il est toujours critiqué ». Pourquoi, sans réussir réellement à s’appuyer sur les constats positifs, les éducateurs expriment de manière insistante du malaise, de la critique et de l’insatisfaction au sujet de leur action éducative auprès de Léa ? Si la situation de Léa ne revêt pas un caractère exceptionnel, nous pouvons, pour fonder encore plus notre démarche, prendre celle de Sophie, jeune congolaise de 15 ans arrivée en France quelques années auparavant, avec sa famille. Ses relations familiales sont violentes et Sophie est l’objet de “recadrages violents” de la part de son père qui semble refuser qu’elle adopte la vie d’une jeune adolescente en France: il se montre très inquiet de ses relations, de ses comportements à l’extérieur. Le développement de ce climat violent amène alors le Juge des Enfants à décider du placement de Sophie au service de l’Aide Sociale à l’Enfance, qui à son tour demande à notre institution la possibilité de prendre en charge cette adolescente9. La prise en charge de Sophie s’avère rapidement être source de nombreuses questions pour l’équipe éducative. En effet, celle-ci se manifeste très souvent avec exubérance et volubilité. Les limites fixées par les adultes sont difficilement acceptées et respectées par Sophie qui est en difficulté pour canaliser seule ses débordements. Les éducateurs sont très souvent obligés de la reprendre, pour tenter de l’aider et de l’alerter sur la dangerosité de certains de ses comportements : elle joue en effet beaucoup sur le registre de la séduction souvent irréfléchie à l’égard de garçons de son âge, voire souvent même plus âgés. Les éducateurs constatent qu’il est très difficile pour Sophie de percevoir que certaines de ses attitudes peuvent la mettre en danger. Ses débordements réguliers la mettent en difficulté vis-à-vis des autres jeunes de l’unité, qui supportent de plus en plus difficilement ses sarcasmes et ses dérapages à leur égard. 8 Cette formation intitulée « la prise en charge institutionnelle des adolescents : contexte, méthodes, enjeux », a été impulsée par l’équipe de direction est s’est déroulée avec l’ensemble de l’équipe de janvier à juin 05, à raison d’une journée de formation par mois. 9 Rappelons ici qu’il s’agit donc d’une mesure de placement auprès des services du conseil général qui sera alors l’interlocuteur direct de l’établissement d’accueil. De son côté, le père de Sophie est opposé au placement et se montre très virulent à l’égard de l’institution. Il remet en cause le travail de l’équipe éducative et l’accuse d’être trop laxiste et permissive à l’égard de sa fille. Devant la complexité de cette situation, l’équipe exprime « son ras-le-bol » et son incompréhension : « ne serait-elle pas mieux chez ses parents ? Fait-on ce qu’il faut pour elle ? Ne serait-elle pas mieux ailleurs, dans un autre cadre ? » Les éducateurs rappellent également leur inquiétude par rapport à ce qu’ils perçoivent comme danger pour son évolution : « on ne peut pas toujours être derrière elle » L’équipe, sous l’impulsion du chef de service, déploie beaucoup d’énergie pour recadrer Sophie : elle est sanctionnée quand ses débordements sont trop importants. Des rencontres plus rapprochées sont organisées avec l’éducatrice de l’ASE10 et avec la famille. Sophie montre alors quelques signes d’évolution positive. Elle décroche notamment des stages en entreprise, pour tenter ensuite de signer un contrat d’apprentissage. Cette évolution apporte alors un peu d’apaisement qui permet au chef de service et aux éducateurs de noter, dans les réunions d’équipe, une certaine évolution dans sa maturité et dans sa prise de conscience de ses écarts. En effet, Sophie réussit plus facilement à reconnaître sa part de responsabilité, quand il y a conflit ou problème relationnel au sein de la vie de groupe. Malgré tout, les éducateurs continuent de douter du travail éducatif qu’ils ont mené. Pour eux, Sophie reste une adolescente en danger. Ils restent réservés face à la proposition que Sophie puisse changer d’unité au sein de l’établissement : « elle va encore trop mal ». Les éducateurs pensent même assez paradoxalement qu’elle devrait peut-être rentrer chez elle, car le travail qu’ils font auprès de cette jeune fille « la fait peu évoluer ». Ils s’interrogent sur la portée réelle du travail éducatif et sur leurs propres capacités professionnelles à pouvoir apporter une aide réelle à cette jeune et à sa famille : « cela fait un an qu’elle est chez nous et elle ne change pas beaucoup, elle est toujours aussi excitée, elle se met en danger avec les garçons, … » Les constats d’évolutions positives, fruits du travail éducatif accompli, que le chef de service peut faire, sont entendus, mais très atténués. De son côté, l’éducatrice de l’ASE souligne également les changements de Sophie, mais les éducateurs continuent à douter: « ne devrait-elle pas rentre chez elle ? » Son père doute aussi des progrès de sa fille et 10 Sigle de l’Aide Sociale à l’Enfance les éducateurs se demande s’il n’a pas un peu raison : « peut-être que les choses se passeraient mieux dans sa famille ! ». À la lecture de cette seconde situation, nous pouvons encore une fois, nous demander pourquoi malgré un processus de compréhension et d’objectivation des évolutions de sa situation, les éducateurs restent dans l’expression récurrente de doute quant à l’efficacité de leur action éducative ? Les deux situations que nous venons d’évoquer nous conduisent à nous interroger sur ce qui vient nourrir chez les éducateurs d’internat cette expression de doute, comme nous le percevons dans la situation de Sophie, mais aussi l’expression d’insatisfaction, comme elle semble s’exprimer quand il s’agit de parler de Léa. Pourquoi, alors qu’un réel travail éducatif est mis en oeuvre et qu’une évaluation positive (même si de nombreuses fragilités restent présentes) est posée notamment par le Juge des enfants et le travailleur social de l’ASE, les éducateurs résistent à exprimer de la satisfaction et de l’assurance vis-à-vis de l’efficacité de leur action éducative quotidienne? Nous sommes en effet interpellé par le décalage entre leur perception qui les conduit à considérer que ce qu’ils font n’est pas bon, et l’analyse d’autres personnes internes ou externes à l’institution qui eux perçoivent que le travail éducatif engagé met en avant des cotés positifs qui montrent que les jeunes concernées bénéficient de cette prise en charge en internat. Cet écart nous apparaît comme un problème que nous souhaitons appréhender dans ce travail. Les échanges que nous avons pu avoir avec les cadres de l’établissement et de l’association nous confirment que les constats que nous avons pu faire dans notre observation au Refuge semblent être partagés plus largement. Par exemple, en participant à une commission associative sur le thème « de la prise en charge des jeunes de 13-15 ans 11 », nous avons pu entendre les participants, éducateurs principalement, s’interroger sur leur manière d’agir au quotidien avec les adolescents, sur l’efficacité de leur intervention dans le quotidien d’un groupe d’internat. Par ailleurs les cadres extérieurs à l’association, que nous avons rencontrés et à qui nous avons parlé de nos constats au sein du Refuge, se sont montrés attentifs à ce que nous leur exposions, nous 11 Cette commission présidée par un administrateur avait pour but de favoriser les échanges d’expérience entre les professionnels des différents établissements et services de l’association. Ces échanges ont donné lieu à la publication d’un numéro spécial du journal associatif « JEM ». expliquant par ailleurs qu’ils pouvaient eux-mêmes constater ce type de réactions chez les éducateurs qu’ils rencontrent. Par ailleurs, en allant rechercher dans les écrits d’auteurs reconnus, nous avons pu constater que cette question existe de manière récurrente, dans les recherches et études. En effet, nous pouvons constater que le travail social, son sens mais aussi son efficacité, interrogent les professionnels et viennent nourrir de nombreux travaux de recherche. Nous pouvons citer par exemple Jacques Ion qui dès l’introduction de son ouvrage collectif12 rappelle que « les questions sur le travail social n’ont jamais été aussi nombreuses ». Dans un texte repris dans ce même ouvrage Michel Chauvière parle quant à lui de « nouvelle incertitude des savoirs faire » des travailleurs sociaux. Jean Pierre Rosenczveig, dans un ouvrage datant de 1998, parle lui aussi dans un titre de chapitre du (nouveau) malaise du social. Il explique notamment qu’il y a un vrai malaise des professions du social qui tient non seulement à leurs conditions de travail, mais encore aux profondes transformations de ce travail et au fossé qui a pu se creuser entre les pratiques sociales et les attentes de la population à leur égard13. Ainsi, quand on entend les éducateurs parler de leur pratique en portant un regard d’insatisfaction, il est sans doute possible de repositionner ces questionnements, mais aussi la construction de leurs représentations du métier d’éducateur, dans ce contexte plus général d’interrogation des Travailleurs Sociaux sur leurs pratiques et sur le sens de celles-ci. Notons par ailleurs que cette situation n’est pas nouvelle, car dans un texte14 datant de 1972, Pierre Tuffet écrit déjà: « j’ai eu plusieurs fois l’occasion tous ces derniers temps de rencontrer des groupes d’éducateurs travaillant en internat et j’ai été surpris de la prévalence des sentiments d’échec dans leurs propos et dans leurs conduites. Ce qu’ils disent reflète souvent la plus grande incertitude concernant leur travail, son but, les façons de s’y prendre, les raisons de le faire ; (…) ». Ces quelques lignes nous renforcent dans l’idée que ce que nous avons nous-même perçu au sein du Refuge de l’Espace Adolescent du CODASE a été identifié ailleurs. Avant d’aller plus loin, rappelons tout d’abord que l’attitude professionnelle qui consiste à porter un regard critique sur sa pratique est une démarche saine pour un 12 Le travail social en débat(s), sous la direction de J.Ion, Ed. La découverte-2005 In le dispositif français de la protection de l’enfance. Ed jeunesse et droits ; 1998 14 Un modèle pour le traitement résidentiel des enfants, in Revue de l’association française pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence- novembre, décembre 1972 13 professionnel. Cela permet en effet de rester vigilant à l’action qui est conduite et ainsi d’être en capacité de se réinterroger et de réorienter, si nécessaire, son action au regard des besoins du public accueilli. Cependant quand les constats positifs mis en évidence dans l’accompagnement éducatif des jeunes adolescents ne viennent pas transformer le discours des éducateurs qui reste avant tout critique, le sentiment chronique d’insatisfaction et de doute semble alors prendre le pas. Si les réussites observées ne transforment pas vraiment le discours, nous souhaitons mettre à jour ce qui fait écran et qui empêche les professionnels de percevoir les évolutions et les maintenant alors dans un sentiment de travail mal fait, ou d’éducateurs pas « vraiment bons ». À un premier niveau, nous pouvons déjà penser que cet état de fait est un véritable problème qui peut être décliné en trois points: Un problème pour les cadres qui sont confrontés de manière régulière à ces expressions et qui ne semblent pas entendus dans leurs constats plus positifs et valorisants pour les éducateurs. Un problème pour les éducateurs qui ne réussissent que difficilement à sortir de leur insatisfaction et qui progressivement pourraient s’essouffler en ayant le sentiment que peu de choses changent pour ces jeunes, malgré leur grande implication professionnelle. Enfin un problème pour les jeunes eux-mêmes, qui se trouvent alors confrontés à des adultes insatisfaits, ces adultes pouvant alors exiger toujours plus des jeunes ! Cependant, ce premier niveau de problèmes nous maintient dans la sphère professionnelle et pourrait alors nous limiter comme Chef de Service à seulement chercher à apporter des réponses concrètes aux problèmes évoqués. Notre volonté est plus large, car elle se situe dans une démarche de recherche. Il n’est en effet pas seulement question pour nous de tenter d’apporter des solutions pour résoudre les problèmes, mais surtout d’essayer de comprendre ce qui caractérise le rapport des éducateurs d’internat à leur fonction et les empêche de porter un jugement objectif sur les résultats produits, notamment quand ils sont bons. Qu’est ce qui fonde leur « rapport au monde » ? Et guide leur action ? C’est ce que nous nous proposons de comprendre dans le travail de recherche que nous avons engagé. Les éducateurs semblent juger leur travail à partir de ce qu’ils ont dans la tête et non pas à partir de ce que d’une part ils font concrètement et d’autre part, des répercussions de cette action professionnelle. Les éducateurs semblent plutôt situés sur des finalités qu’il faut entendre comme le caractère d’un fait, d’un enchaînement d’évènements où l’on voit un but, une évolution orientée15, plutôt que sur des objectifs qui sont des résultats vers lesquels tend l’action de quelqu’un16. Sur quelles bases fondent-ils leur action, si ce n’est sur les résultats obtenus ? Pour avancer dans la compréhension de ce qui se passe pour les éducateurs de l’Espace Adolescents, nous posons la question centrale suivante : À partir de quelles représentations, les éducateurs de l’Espace Adolescents du CODASE fondent-ils leur action auprès des adolescents placés en internat éducatif ? Dans cette question centrale, nous mettons en avant le concept polysémique de représentations. Nous nous situons alors dans le champ de la psychologie sociale. Avant d’aller plus loin, donnons immédiatement, pour y revenir plus tard17, une définition de la représentation. Nous retiendrons celle de Denise Jodelet : « C’est une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourrant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social (…) on reconnaît généralement que les représentations sociales, en tant que système d’interprétation régissant notre relation au monde, orientent et organisent les conduites et les communications sociales »18. Comprendre ce qui anime les éducateurs de l’Espace Adolescents c’est donc de rechercher les représentations qu’ils ont de leurs missions d’éducateurs d’internat auprès d’adolescents. La vision et la compréhension que chaque éducateur se fait du monde participent à la construction de ses propres références, sur lesquelles se fonde la pratique professionnelle, c’est-à-dire sa relation aux usagers, aux collègues, mais aussi sa manière de mettre en œuvre des actes professionnels 15 D’après le dictionnaire Larousse. D’après le dictionnaire Larousse. 17 Nous pourrons en effet, constater que ce concept est utilisé dans différents champs des sciences sociales et peut revêtir différentes dimensions. 18 In Les représentations sociales, sous la direction de D.Jodelet, Ed.Puf, 5ème édition 1997. 16 quotidiens. Chaque professionnel en venant travailler en internat se fait une idée de ce qui est attendu de lui : commandes sociales, missions assignées par les tutelles19, missions prescrites dans le projet institutionnel, mais aussi de ce qu’il pense être son travail. Ces éléments adossés à un parcours personnel et professionnel forment un ensemble de références qui participe à la construction des représentations, sur lesquelles chacun s’appuie pour construire son action professionnelle. Rappelons également, que la question qui nous préoccupe est circonscrite à l’internat éducatif. Il ne s’agit en effet de circonscrire notre recherche à ce terrain d’observation plus restreint que l’internat en général pouvant revêtir d’autres formes et accueillir d’autres types de public qui n’ont pas le profil des jeunes qui nous concernent. En effet, les adolescents qui sont accueillis en Maison d’Enfants à Caractère Social20, sont confiés suite à des difficultés personnelles et familiales graves, nuisant à leur développement et obligeant alors à une rupture d’avec le milieu naturel de vie. Ces placements peuvent être soit ordonnés par le Juge des Enfants21, soit mis en œuvre suite à une demande des parents de l’enfant22 et suivi par les services du conseil général23. Ces adolescents sont alors pour la plupart en situation de grande fragilité. Il est souvent constaté chez ces enfants et ces jeunes, des troubles du comportement, de l’instabilité, des situations scolaires chaotiques, des souffrances psychiques plus ou moins lourdes, des comportements sociaux inadaptés tels que de la violence, des difficultés à vivre en groupe, … La décision de placement est alors mise en oeuvre pour tenter de mettre un terme ou d’atténuer les difficultés relevées, en proposant aux jeunes une prise en charge dans le cadre d’un groupe de vie, encadrée par des éducateurs. Il s’agira alors de permettre aux jeunes de retrouver un certain équilibre en reprenant si possible une scolarité ou une formation et en favorisant un rétablissement de liens familiaux plus apaisés. 19 Nous entendons par tutelles, les instances administratives et/ou politiques qui donnent par délégation, mission aux établissements et services de mettre en œuvre des actions de politique sociale (prévention, protection de l’enfance, aide aux handicapés, aide aux personnes âgées, …). Nous pensons plus particulièrement ici, aux Conseils Généraux, aux instances d’Aide Sociale à l’Enfance, à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, … 20 Plus facilement appelée par son sigle : M.E.C.S (nom officiel de ce type d’établissement.). 21 Ces placements sont régis par l’article 375 du code civil (assistance éducative) ou l’ordonnance de 1945 pour les mineurs délinquants. 22 Il s’agit alors d’un placement appelé Accueil Provisoire, dans lequel l’autorité judiciaire n’intervient pas. 23 Ces placements sont suivis par les travailleurs sociaux de l’ASE. Dans la question centrale que nous avons formulée, nous parlons d’éducateurs d’internat. En effet, insistons sur le fait que nous retenons comme référence la fonction de l’adulte qui intervient dans la structure d’hébergement. Dans notre propos, il n’est pas question à priori, de mettre en avant la qualification des personnes. Les personnels que nous avons rencontrés viennent d’horizons divers. Certains ont des qualifications professionnelles relatives au champ de l’éducation spécialisée24, mais d’autres sont en cours de formation ou même sans qualification. Poser notre question centrale, comme nous l’avons fait, nous conduit à faire le choix d’une démarche de recherche heuristique25 qui nous permettra dans un premier temps, de cerner les différents niveaux de représentations des éducateurs sur lesquels, ils appuient ou fondent l’exercice de leurs missions éducatives. Par conséquent, nous renonçons provisoirement à poser une hypothèse qui réponde à la question. Nous avons ainsi dans notre cheminement de recherche, évacué des hypothèses que nous pensions au départ pertinentes. Prenons ainsi quelques lignes pour les exposer : La difficulté pour les éducateurs de positiver leur travail auprès des adolescents, pouvait peut-être se comprendre par l’absence ou une insuffisance d’évaluation. Telle est la piste que nous avions pensé suivre, dans un premier temps. Nous faisions alors l’hypothèse que les professionnels, face à une carence d’évaluation de leur pratique et des résultats de celle-ci, se trouvent dans l’impossibilité ou la difficulté de relever les évolutions positives des situations des jeunes dont ils s’occupent. Ainsi en creux nous pouvions penser que favoriser l’évaluation, aurait dû régler ce que nous avions pu constater. L’ensemble de l’établissement a travaillé pendant plus d’une année sur les outils de la loi de 2002-226. Une démarche de travail soutenue et mise en oeuvre par l’équipe d’encadrement de l’établissement27, a été particulièrement investie par toutes les catégories socioprofessionnelles. Malgré cela, les observations que nous avions faites précédemment perdurent ! Nous constatons alors que la mise en œuvre de 24 Il s’agit du diplôme d’état d’éducateur spécialisé (DEES), du certificat d’aptitude aux fonctions de moniteur éducateur (CAFME) 25 C’est-à-dire de donner du sens 26 Loi relative à la rénovation de l’action sociale et médico-sociale. 27 En effet, sous l’impulsion de cette équipe de direction, l’ensemble de l’équipe professionnelle a établi des outils qui permettent de mettre en œuvre une réelle évaluation des pratiques (Documents individuels de prise en charge, référentiel associatif d’évaluation, …). processus d’évaluation ne vient pas supprimer les expressions de doute et d’insatisfaction, relevées plus haut. Nous aurions pu poser plus simplement encore l’hypothèse qu’il y ait un décalage entre représentations des missions et réalité quotidienne. Décalage qui vient alors entretenir une insatisfaction chronique. Cependant, poser une telle hypothèse de travail revient en fait à écrire une évidence ! En effet, il y a toujours du décalage entre la manière dont on se représente son action et ce qui se passe réellement dans son quotidien professionnel. Aller comprendre ce qui fonde l’action de ces éducateurs d’internat et dégager les systèmes de représentation qui ancrent cet agir est la piste que nous avons choisi de suivre dans ce travail de recherche. Pour réussir cette démarche, il sera tout d’abord indispensable dans une première partie, de mettre en lumière le contexte d’intervention de ces éducateurs. Ce sera l’objet de notre première partie. Il nous faut en effet dans un premier temps, rappeler la structuration et l’évolution historique du champ de la protection de l’enfance en France. Nous ferons tout d’abord apparaître ce qui nous semble être les éléments principaux éclairant les évolutions du champ de la protection de l’enfance : quelques dates clefs, mais aussi quelques textes de loi qui à eux seuls fixent le socle du dispositif français28. Ce détour n’est pas exhaustif, mais est le fruit d’une sélection personnelle qui nous semble suffisamment éclairante pour soutenir notre démarche de recherche. À la suite de cette première approche, nous prendrons le temps de faire discuter quelques approches spécifiques d’auteurs qui dans leurs différents travaux ont mis en évidence les évolutions subies par le travail social et ses différents acteurs, dont ceux qui nous intéressent en premier lieu : les éducateurs. Là encore, nous avons fait un choix personnel, mais qui éclaire le contexte d’intervention des éducateurs. Nous nous sommes par exemple appuyé sur des réflexions plus anciennes, mais à notre avis toujours pertinentes, d’Yves Barel qui dressait en 1982, un tableau intéressant des Travailleurs Sociaux. Nous nous adosserons aussi à des travaux plus récents, tels que ceux de Jacques Ion29, de Jean Paul Lassaire30. Chacun dans sa spécificité, vient apporter un éclairage intéressant qui nous servira par la suite. 28 Nous pensons par exemple ici aux ordonnances du 2 février 1945 et du 23 décembre 1958, ou encore la loi récente de 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. 29 Le travail social en débat(s), sous la direction de Jacques Ion, coll. Alternatives sociales, Ed. La découverte-2005 30 Les théories métisses des éducateurs : savoirs professionnels et représentations, coll. aradoxes de l’ordinaire, Ed. L’harmattan- 2004 Nous prendrons également le temps, dans cette première partie de repositionner l’institution dans laquelle travaillent les éducateurs qui ont été le point de départ de notre questionnement. Ce sera pour nous l’occasion de développer les constats que nous avons pu faire, constats qui sont à l’origine de notre question centrale. Enfin, nous nous arrêterons sur le concept de Représentation. Nous tenterons ainsi de mettre en avant quelques éléments théoriques fondamentaux relatifs à ce concept. Nous faisons le choix de faire discuter quelques chercheurs qui ont consacré leurs travaux au développement de ce concept. Nous pensons en premier lieu à Serge Moscovici et Denise Jodelet, qui dans le champ de la psychologie sociale31 ont beaucoup écrit sur le concept de représentation sociale. Nous la citions plus haut, Denise Jodelet, reprise par Jean Claude Abric, explique que la représentation sociale “c’est une forme de connaissance socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social(...) on reconnaît généralement que les Représentations Sociales, en tant que système d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, orientent et organisent les conduites et les communications sociales. De même interviennent-elles dans des processus aussi variés que la diffusion et l’assimilation de connaissances, le développement individuel et collectif, la définition d’identités personnelles et sociales, l’expression des groupes et les transformations sociales”32 D’autres auteurs ont mené une réflexion sur le concept de représentation, la plupart du temps d’ailleurs en se référant aux travaux menés par Serge Moscovici et Denise Jodelet, nous pourrions par exemple pour compléter notre approche conceptuelle, nous arrêter sur les travaux de Jean Clenet33 qui définit le concept de représentation de la manière suivante: « les représentations sont des créations d’un système individuel ou collectif de pensée. Elles ont une fonction médiatrice entre le percept et le concept. Elles sont à la fois processus (construction des idées) et produit (idées). Elles se valident, se construisent et se transforment dans l’interaction -pensées et actions- ». 31 Qui est « l’étude des interactions et des phénomènes collectifs » d’après J.Maisonneuve, in la psychologie sociale, Ed. Que sais-je ? 1997 32 In Pratiques sociales et représentations- sous la direction de J.C Abric-Puf 2ème édition 1997 33 D’après D. Aimon, in le concept de représentation, travail de DEA en sciences de l’éducation réalisé à partir du cours de J. Clenet- DEA- Novembre 1998. Publication Internet. Les représentations sont vues comme produit, c’est-à-dire comme « produit de l’esprit humain qui recréé en lui une image complexe de son environnement, afin de mieux penser et agir sur celui-ci »34. Les représentations sont également vues comme processus, car elles « constituent aussi un système d’interprétation, par lequel l’individu interagit avec son environnement »35 De son côté, Joël Cadière, dans son travail sur les travailleurs sociaux et leurs représentations36, explique « qu’aucun individu ne peut vivre en dehors d’un dispositif de représentations qui fonde son rapport au monde ». En effet, les éducateurs que nous avons rencontrés sont eux aussi pris dans des dispositifs de représentations qui les font vivre et agir auprès de la population d’adolescents dont ils ont la responsabilité. Ainsi, pour comprendre ce qui développe chez eux de l’insatisfaction et du malaise, il nous faut avant tout comprendre sur quoi ils fondent leur action et par conséquent leur « rapport au monde »37. La seconde partie de notre recherche sera consacrée au recueil et au traitement et à l’analyse du discours des éducateurs. En effet, pour réussir à mettre en évidence les représentations du monde et du métier qui fondent la pratique professionnelle des éducateurs d’internat, il était pour nous incontournable de les rencontrer et de leur donner la parole. C’est ce que nous avons fait, en allant à la rencontre de dix éducateurs d’internat, appartenant à notre établissement de rattachement d’une part, mais travaillant aussi dans une autre MECS38. À partir d’un guide d’entretien39, nous souhaitions permettre à ses professionnels de parler librement de leur pratique professionnelle. C’est donc à partir de la transcription de ces entretiens que nous tenterons de comprendre les représentations qui les animent. Nous avons fait le choix, tout d’abord de traiter le 34 D’après D.Amion, in le concept de représentation- Travail de DEA en sciences de l’éducation, d’après les cours de J.Clenet- Novembre 1998. Publication internet. 35 Op.cité 36 Nous faisons ici référence aux travaux présentés en séminaire du DSTS 23 année 2005-06 intitulés « Les travailleurs sociaux, que font-ils » et « Praxéologie, le point de vue des représentations » 37 In « les travailleurs sociaux que font-ils ? » et « praxéologie, le point de vue des représentations »séminaire de sociologie- DSTS23- année 2005-2006. 38 Nous rappelons ici que nous sommes Chef de Service à l’Espace Adolescents. Il est donc important de rappeler que les éducateurs de cette institution ont un lien de subordination avec nous. Le cadre de recherche doit permettre d’évacuer en grande partie cette dimension qui peut avoir une influence sur le contenu des réponses apportées par les éducateurs. Cependant, il nous est apparu nécessaire d’ouvrir également ces entretiens à d’autres professionnels intervenant auprès d’adolescents en internat éducatif. 39 Ce guide peut être consulté en annexe. discours recueilli au travers d’items relativement simples et explicites : le discours porté sur le parcours personnel et professionnel, le discours porté sur les jeunes accueillis en internat, leur famille, les actes de prise en charge éducative quotidienne, mais aussi le discours porté sur le placement éducatif lui même. À partir de ce premier découpage, nous avons fait émerger les principaux éléments des discours. C’est à partir de ces éléments clefs que, dans notre troisième partie, nous souhaitons alors faire discuter les grandes « tendances » que nous aurons fait émerger. Pour cela, nous avons fait le choix de confronter ces grandes lignes, aux figures de travailleurs sociaux mis en évidence par quelques auteurs ayant travaillé sur ce sujet. Nous pensons ici à Yves Barel40 qui dans les années quatre-vingt a mis en avant dans ses recherches le Travailleur Social réparateur, le Travailleur Social accompagnateur de la marginalité et le Travailleur Social contrôleur social41. En 2004, Jean Paul Lassaire, dans ses propres travaux42, met en avant quelques modèles de travailleurs sociaux qui nous permettent de compléter cette « galerie ». Il parle en effet de modèle « substitut parental – rééducateur », du modèle « technicien », du modèle « gestionnaire de la différence » et « agent d’intégration ». Comme le dit lui-même l’auteur, ces modèles « fournissent des cadres de pensée » et peuvent alors être pris en référence pour notre propre travail, et nous permettre alors de mettre en évidence la tonalité des discours des éducateurs, que nous avons nous-même rencontrés. Rappelons ici qu’aucun des discours relevés ne pourra être totalement associé à une figure ou un modèle, mais nous pourrons en nous servant de cette base de référence, faire émerger de grandes tendances. Nous avons enfin fait le choix, pour nous aider dans cette démarche de nous appuyer également sur les travaux des séminaires de sociologie43, mis en œuvre dans le cadre de la formation DSTS44 à laquelle nous avons participé, notamment lors des séminaires de sociologie. 40 In « qu’est ce que le social ? » Action et recherches sociales. Ed. Erès 1982 Les termes employés ici sont personnels, mais traduisent pour nous l’idée clef défendue par Barel. 42 In les théories métisses des éducateurs : savoirs professionnels et représentations. Ed L’harmattan, 2004. 43 Nous faisons ici principalement référence au séminaire de sociologie intitulé « les travailleurs sociaux que font-ils ? » et « praxéologie, le point de vue des représentations », année 2005-2006. 44 Nous faisons référence à la promotion DSTS 23 2004-2007. 41 À partir de cette analyse, nous pourrons alors faire apparaître des éléments de compréhension éclairants, que nous avons alors fait le choix de confronter à la théorie de Max Weber, relative au concept d’éthique de conviction et d’éthique de responsabilité45. En effet, au cours de nos différents travaux de réflexion et d’approfondissement théorique, nous avons été amené à découvrir, ce concept. Ne peutil pas être un élément de réponse à notre problématique de départ, relative à la perception du malaise des éducateurs d’internat ? Est-ce que ces professionnels ne sont pas mis en tension, de manière inconsciente sans doute, entre ce qui fonde leur action et ce qui s’impose à eux en terme de responsabilité éducative ? Développer cette réflexion nous est apparu comme un axe possible de réponse à nos interrogations. Nous avons alors pu faire l’hypothèse que les tensions, les doutes et les insatisfactions exprimées par les éducateurs sont dues à la tension développée par chacun entre son éthique de conviction et son éthique de responsabilité, qui « cohabitent » pour fonder une pratique professionnelle. A partir de là, nous avons alors tenter de construire des propositions de réponse professionnelle, à destination des cadres qui animent et managent les équipes d’éducateurs. En effet, c’est avant tout à eux que s’adresse cette recherche. Eux à qui nous proposons à partir de ce que nous avons mis en lumière, de soutenir et accompagner les professionnels en les aidant à mieux vivre les tensions internes. Ceci en les aidant à percevoir autrement leur pratique, les amenant alors à ne pas rester que dans une forme d’autocritique, sans doute nécessaire pour faire progresser l’action éducative, mais qui peut également si elle prend toute la place, freiner l’envie d’agir et frustrer les motivations, voire même écraser les fondements de chacun. Nul envie pour nous de penser qu’il faut supprimer le doute qui est nécessaire à une pratique professionnelle équilibrée, mais plutôt l’envie de permettre à chaque professionnel de vivre ce doute comme un moteur de l’intervention sans cesse repensée. 45 Le savant et le politique, Max Weber- Ed. La découverte-2004. PREMIERE PARTIE : LE TRAVAIL DES EDUCATEURS AU SEIN DE L’ESPACE ADOLESCENTS OU L’ÉMERGENCE D’UN QUESTIONNEMENT L’association CODASE46 est une association grenobloise qui emploie 220 salariés répartis dans différents services et établissements oeuvrant depuis 1954, dans le domaine de la prévention, de la rééducation et de la réadaptation d’enfants et d’adolescents. Chef de service éducatif, au sein de l’Espace Adolescents47, établissement appartenant au CODASE, nous intervenons dans le cadre de la protection de l’enfance. A ce titre, nous rencontrons quotidiennement des travailleurs sociaux intervenants dans les différents internats éducatifs de cet établissement. C’est à leur contact et en les écoutant, que s’est progressivement construit le questionnement que nous avons décidé de mettre en évidence dans ce travail de recherche. D’une position professionnelle de cadre de l’établissement, c’est dans le cadre de la recherche compréhensive que nous avons fait le choix de développer notre question centrale, pour tenter d’y apporter des réponses. Il s’agit ici pour nous de quitter le domaine du champ professionnel, pour nous situer dans le champ de la recherche. Il n’est aucunement question pour nous de tenter d’apporter directement des réponses d’amélioration qui sont du ressort de l’encadrement de l’établissement. Nous espérons cependant que notre positionnement de chercheur viendra, par les éléments qui seront mis en lumière permette de mieux comprendre ce qui anime les éducateurs d’internat, accueillant des adolescents. Parler de ces acteurs du quotidien, c’est avant tout mettre en évidence leur contexte d’intervention. C’est ce que nous allons faire dans cette première partie, en rappelant tout d’abord que la protection de l’enfance est une question sociale qui traverses les années et qui est régulièrement questionnée, par les professionnels eux-mêmes, mais aussi par le politique. C’est pour cette raison, qu’il nous a semblé nécessaire tout d’abord de nous attarder sur les grandes époques qui ont marqué le champ de la protection de l’enfance. En effet, parler de ce qui anime les éducateurs, c’est ne pas oublier que ceux-ci sont traversés consciemment ou inconsciemment par des courants de pensée, mais aussi des évolutions sociétales qui souvent les dépassent, mais qui viennent faire irruption dans leur pratique quotidienne. C’est à partir de ce qu’ils vivent, de ce qu’ils ont appris, mais aussi de leur histoire 46 47 Comité Dauphinois D’Action Socio-Educative L’Espace Adolescents est une Maison d’Enfants à Caractère Sociale, plus couramment appelée MECS. personnelle, qu’ils vont construire leur propre intervention professionnelle auprès des adolescents de la MECS. Nous aborderons également dans cette première partie, le contexte plus particulier du travail en MECS. En effet, il est important de mettre également en lumière, ce qui fait le cadre quotidien de leur intervention auprès de ces adolescents. « Pour le simple quidam, même pour l’élu et le professionnel, saisir les termes du dispositif français de protection de l’enfance devient de plus en plus difficile quand il prend des colorations territoriales de plus en plus accentuées du fait de l’histoire, des richesses humaines, techniques et financières locales » . Cette citation de Jean Pierre Rosenczveig48 vient parfaitement illustrer la réalité de la protection de l’enfance sur le territoire national. Prenons le temps de nous arrêter sur quelques éléments clefs, nécessaires au lecteur pour comprendre le contexte d’intervention des travailleurs sociaux intervenant dans le champ de la protection de l’enfance. 48 In Le dispositif français de protection de l’enfance. Ed. Jeunesse et droit-1998. Chapitre 1. Le dispositif de l’action sociale et médicosociale en France, le fruit d’une longue histoire À la lecture de nombreux auteurs, nous pouvons en effet faire le constat que le champ de l’action sociale ne s’est pas construit en un jour.: « L’aide qu’apporte la société française à ses membres en situation de fragilité ou de difficulté sociale est le fruit d’une longue histoire. À une solidarité essentiellement assumée par un groupe d’appartenance (famille, groupe social) s’est progressivement substitué un nombre grandissant de modes d’intervention et de soutien dont les origines sont diversifiées »49 1.1 La prise en charge des enfants Philippe Camberlein50 met en évidence en faisant écho aux travaux d’Henri Verdier, cinq grandes périodes qui caractérisent la protection des enfants « abandonnés ou en danger » : 49 - L’organisation de la charité, du Moyen Âge à la Révolution française - L’assistance publique, de 1793 à 1904 - L’aide à l’enfance de 1904 à 1958 In Le dispositif de l’action sociale et médico-sociale en France, Ph.Camberlein, Ed Dunod, 2ème édition-2005 50 Le dispositif de l’action sociale et médico-sociale en France, Ph.Camberlein, Ed Dunod, 2ème édition2005 - La prévention sociale de 1958 à 1980 - Le droit de l’enfant à partir de 1980 Pendant très longtemps en effet, les organismes religieux intervenaient principalement auprès des enfants abandonnés et les mineurs auteurs de crimes et délits. Il s’agissait alors et avant tout d’une prise en charge clairement repérée dans le champ privé. Progressivement l’Etat va intervenir et légiférer, participant alors à l’émergence d’une « catégorisation » des enfants. Il est alors question de l’enfance « vicieuse, déficiente ou malheureuse »51. Il s’agit là de faire apparaître les différentes catégories d’enfants, pour permettre une prise en charge différenciée de ces mineurs, selon leurs difficultés. 1.2 Une législation pour la protection des mineurs : un petit tour dans l’histoire La prise en charge des enfants en difficultés devenant progressivement une préoccupation de l’Etat, nous pouvons voir apparaître au fil des décennies, une législation importante . Un parcours rapide dans l’histoire de la protection de l’enfance nous permet de rappeler les grandes tendances, qui mettent en lumière des principes ou des philosophies différentes de l’analyse et de la prise en compte des problèmes de l’enfance et de la jeunesse en France. C’est dans les interstices de cette histoire que les travailleurs sociaux vont petit à petit se construire une identité, consolidée ou fragilisée au fil des évolutions sociétales : Arrêtons-nous par exemple au XIX° siècle où le 19 janvier 1811 sera créée l’Assistance Publique, qui après la loi du 28 juin 1793, faisant obligation de prendre en charge les orphelins, vient créé une institution relative à cette prise en charge. Parallèlement, dans les années 1825-1850, l’Etat crée des colonies pénitentiaires pour mineurs délinquants. Ces deux exemples éclairent à eux seuls, la double approche singulière française. D’un côté, la prise en charge de l’enfance en danger et de l’autre la prise en charge des mineurs délinquants. Au fil des années, il est alors possible de constater un 51 In Les théories métisses des éducateurs : savoirs professionnels et représentations, Jean Paule Lassaire, collection paradoxes de l’ordinaire- Ed. L’Harmattan- 2004 fonctionnement de balancier entre une politique plutôt axée sur la prévention et l’éducation d’une part et d’autre part, la répression de la délinquance des mineurs. Les débats seront toujours intenses entre les tenants d’une répression avant tout et les tenants de la nécessité prioritaire de l’éducation. Deux ordonnances viendront sceller les choix français, savant équilibre entre les différentes approches idéologiques, spécificité française. Il s’agit des ordonnances de 1945 et de 1958. 1.2.1 L’ordonnance du 2 février 194552 Le 3 juillet 1944, une loi sur « l’enfance malheureuse » est promulguée. Cette loi organise la coordination des organismes publics chargés de la jeunesse délinquante et en danger. En fait ce texte ne sera pas appliqué et sera même annulé en 1945. Il faudra en fait attendre 1958, pour qu’un texte global voit enfin le jour. L’enfance délinquante est alors au cœur des préoccupations. Sous l’Etat de Vichy, la loi du 27 juillet 1942 voit le jour et vient officialiser l’autonomie du droit pénal des mineurs. Un nouveau principe est alors posé : « le mineur doit être rééduqué et non pas puni. La sanction répressive ne peut être que très exceptionnelle, en cas de crime seulement pour les moins de seize ans »53. C’est à partir de cette loi, que le secteur associatif va s’investir dans la mise en place de structure de prise en charge des mineurs. Celles-ci étant encadrées par des éducateurs, notamment issus du milieu du scoutisme. Cette loi de 1942 ne sera pas confirmée à la libération, mais inspirera l’ordonnance du 2 février 1945 qui « repose sur la priorité donnée à la mesure éducative sur la mesure pénale, qui reste exceptionnelle. Un pas semble avoir été franchi : il n’y a plus d’ambiguïté entre la peine et la mesure d’éducation »54. L’année 1945 verra consacré le droit pénal des mineurs, avec la création des Juges des enfants. 52 D’après Droits et pratiques éducatives de la protection judiciaire de la jeunesse, Pierre Pedron, Ed. Gualino-2005. 53 Citation de Henri Gaillac, les maisons de corrections, in Droit et pratiques éducatives de la protection judiciaire de la jeunesse, mineurs en danger-mineurs délinquants, Pierre Pedron, Ed Gualino-2005. 54 Citation de Jacques Bourquin, jeunes délinquants entre éducation et punition, in Droit et pratiques éducatives de la protection judicaire de la jeunesse, mineurs en danger-mineurs délinquants, Pierre Pedron, Ed Gualino-2005. 1.2.2 L’ordonnance du 23 décembre 195855 Depuis 1945, les mentalités ont évolué, entraînant dans leur sillon de nouvelles conceptions éducatives portées par les éducateurs intervenant auprès des mineurs. Ceux-ci sont en effet très influencés par les sciences humaines qui questionnent la prise en charge des mineurs en internat. La question de l’individualisation de la prise en charge est alors posée. Il s’agit de prendre en compte la personnalité des mineurs, tout en veillant à la sécurité de la société. En effet, si la délinquance a régulièrement décliné après la libération, la fin des année cinquante voit ressurgir à nouveau de manière importante ce phénomène. Il est question de prévention et l’action éducative est alors privilégiée. C’est dans ce contexte que l’ordonnance du 23 décembre 1958 voit le jour et va consacrer la protection judicaire des mineurs en danger. En effet, si l’ordonnance de 1945 a développé la prise en charge éducative des mineurs délinquants56, il n’en n’est pas de même pour les mineurs en situation de danger. L’exposé des motifs de l’ordonnance de 1958 est alors éclairant : « Les enquêtes menées sur des cas d’enfants martyrs, montrent que les crimes et les délits dont ils sont victimes ont été le plus souvent précédés d’une période, parfois longue, pendant laquelle il eut été possible de constater la carence ou la désorganisation familiale, de déceler chez l’enfant des déficiences graves ou d’observer des perturbations révélatrices de son comportement »57. Le Juge des Enfants, cantonné jusqu’alors à la justice pénale de mineurs, devient un des acteurs principaux de cette nouvelle orientation de protection des mineurs en danger. Cette évolution permet alors l’émergence de l’assistance éducative. C’est à partir de cette époque, que vont se développer différents modes d’intervention auprès des 55 D’après Droit et pratiques éducatives de la protection judicaire de la jeunesse, mineurs en dangermineurs délinquants, Pierre Pedron, Ed Gualino-2005. 56 Notamment grâce au « binôme Juges des enfants/ Éducation surveillée ». Ordonnance n° 58-1301 du 23 décembre 1958 relative à la « protection de l’enfance et de l’adolescence en danger » JO du 24 décembre 1958, page 11770. 57 mineurs en danger. L’article 375 du Code Civil outil principal pour l’intervention du Juge des Enfants, reprécise d’ailleurs les différents moyens d’action. 1.2.3 L’article 375 du Code Civil Cet article de loi définit la possibilité d’action du Juge des Enfants dans le cadre de la protection de l’enfance.: Art. 375 – Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du Ministère public. Le juge peut se saisir d'office à titre exceptionnel. Elles peuvent être ordonnées en même temps pour plusieurs enfants relevant de la même autorité parentale. La décision fixe la durée de la mesure sans que celle-ci puisse, lorsqu'il s'agit d'une mesure éducative exercée par un service ou une institution, excéder deux ans. La mesure peut être renouvelée par décision motivée. (…) Art. 375-3 – S'il est nécessaire de retirer l’enfant de son milieu actuel, le juge peut décider de le confier : 1° A l'autre parent; 2° A un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance; 3° A un service ou à un établissement sanitaire ou d'éducation, ordinaire ou spécialisé; 4° A un service départemental de l'Aide Sociale à l'Enfance. Toutefois, lorsqu'une requête en divorce a été présentée ou un jugement de divorce rendu entre les père et mère, ces mesures ne peuvent être prises que si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s'est révélé postérieurement à la décision statuant sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale ou confiant l'enfant à un tiers. Elles ne peuvent faire obstacle à la faculté qu'aura le juge aux affaires familiales de décider, par application de l'article 373-3, à qui l'enfant devra être confié. Les mêmes règles sont applicables à la séparation de corps. Cet article important vient comme nous le disions plus haut mettre en lumière les différentes manières d’apporter de l’aide aux enfants en danger et à leur famille: investigation, intervention en milieu ouvert, placement, … Une fois le cadre des interventions possibles posé, il reste à ne pas oublier la déclinaison de la mise en œuvre sur le terrain, au plus près des personnes concernées. Si l’État est pendant au cœur de ces interventions, comme nous l’avons vu précédemment, progressivement, de nouvelles questions vont apparaître. Les années 80 seront le théâtre de cette redistribution des rôles et des compétences. 1.2.4 La loi de 2002 relative à la rénovation de l’action sociale et médicosociale Cette loi est venue au début des années 2000 est venue réinterroger les pratiques notamment en réaffirmant la place des usagers et de leur famille. Il est en effet question de la participation de ces derniers à l’élaboration et à la mise en œuvre de leur projet de prise en charge. Il s’agit alors de repositionner chacun dans leur responsabilité. La prise en charge des enfants et des adolescents ne peut être efficiente et positive sans que les parents soient « partie prenante » et actif dans la détermination des objectifs de la prise en charge dans un service ou dans un établissement éducatif. Livret d’accueil, document individuel de prise en charge, participation au conseil de la vie sociale, sont autant de nouveaux outils qui sont imposés par la loi de 2002, pour permettre aux parents et à leur enfants d’être impliqués et de donner leur avis. Les travailleurs sociaux, dans cette nouvelle période, doivent interroger leur pratique et réfléchir à la manière de travailler avec les parents. De nombreuses questions vont alors se poser au moment de la prise en compte des éléments de cette nouvelle loi : doit-on considérer les parents comme des partenaires ? Comment donner leur donner la parole ? Ne leur demande-t-on pas d’être juge et partie ? 1.2.5 La réforme de la protection de l’enfance de 2007 A travers cette loi, la question de la prévention dans le champ de la protection de l’enfance est repositionnée comme première. Il s’agit en effet, de donner aux départements, une place prépondérante , dans l’évaluation et la prévention dans le champ de la protection de l’enfance. L’idée de déjudiciarisation au profit d’un recentrage sur la responsabilité des Conseils généraux est par ce texte est réaffirmée. 1.3 D’une organisation déconcentrée, à une organisation décentralisée La protection de l’enfance sur le territoire français a évolué et s’est organisée différemment au fil des années. Pendant très longtemps Ce dossier relevait de la compétence exclusive de l’Etat. Les lois de décentralisation de Gaston Deferre, Ministre du premier gouvernement de Pierre Mauroy, sous la présidence de François Mitterrand, sont venues apporter une déclinaison différente à cette organisation. « Cette réforme est à elle seule une sorte de révolution », souligne Alain Thevenet, spécialiste de l’aide sociale à l’enfance, dans un de ses livres58. Avant cette révolution sociale qui touche à l’organisation même du Territoire et des lieux de décision politique, l’Etat centralisateur avait seul, la compétence de protéger les mineurs, notamment en déléguant la mise en œuvre concrète de cette protection, aux Directeurs Départementaux de l’Action Sanitaire et Sociale (DDASS). “ Décentraliser à la française, c'est donner davantage de libertés, de compétences, de moyens, aux collectivités locales que la loi appelle maintenant - ce n'est pas par hasard - les collectivités territoriales ». En 1982, le nouveau Président de la République relance le dossier de la décentralisation. Le Parlement votera alors les lois de décentralisations qui autorisent le transfert de pouvoirs et des compétences plus étendues aux collectivités territoriales. 58 L’aide sociale aujourd’hui, après la décentralisation. Ed.ESF.Coll. actions sociales référence. 13e édition, 1999. C’est l’objet même de la loi du 2 mars 1982, modifiée le 22 juillet de la même année. Cette loi supprime ou allège les tutelles et élargit la libre administration des collectivités territoriales. La réforme touche tout d’abord les Conseils Généraux qui héritent de la mise en oeuvre de l’aide sociale, sur leur territoire, le département. Progressivement les compétences de Conseil Général seront précisées. La loi du 22 juillet 1983 ordonne le transfert de l’aide sociale. Les départements deviennent responsables de la mise en œuvre de la protection de l’enfance en danger. Les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) se structurent alors différemment au sein des Conseils Généraux, pour appréhender globalement la question cruciale de l’enfance et de l’adolescence en danger, qui devient une des responsabilités centrales des Conseils Généraux Cependant, ces derniers conscients de leur impossibilité matérielle à gérer à eux seuls, la protection, s’appuient sur les associations, qui travaillent depuis longtemps déjà sur les territoires, pour mettre en oeuvre cette obligation nationale de protection. Des agréments et conventions, avec les financements afférents, régissent cette délégation de service public. Dans chaque territoire, des associations départementales, régionales ou nationales, agissent dans le cadre de la protection des mineurs et gèrent service et établissements, financés en grande partie par les Conseils Généraux59. Ces services et établissements sont destinés à accueillir, soutenir et accompagner les enfants en danger ainsi que leur famille. Cette nouvelle organisation qui est une véritable révolution des mentalités soulève de nombreux questionnements de la part des professionnels, mais également de la part des politiques. Jean Pierre Rosenczveig, magistrat de la jeunesse, met d’ailleurs en lumière cette situation : « Autant de départements, autant de dispositifs de protection, même si les règles du jeu sont nationales »60. 59 60 Une autre partie du financement provient de la Protection Judiciaire de la Jeunesse In Le dispositif français de protection de l’enfance, Jean Pierre Rosencsveig, Ed Jeunesse et droit-1998 Chapitre 2. Les éducateurs : une profession en perpétuelle évolution Cette rapide approche historique du champ de la protection de l’enfance n’a d’intérêt pour nous que parce qu’elle met en lumière un cheminement de la manière d’appréhender la question sociale de l’éducation des mineurs. En effet, comme nous le mettions en évidence plus haut, les évolutions sociales, économiques et sociétales, ont eu pour conséquences de mettre en mouvement des effets de balancier dans la prise en charge des mineurs en difficultés. Progressivement l’État est venu positionner les fondements de cette prise en charge : la prévention, la protection, l’éducation, mais aussi de manière contrôlée et limitée61, la répression de la délinquance des mineurs. C’est dans ce contexte en perpétuel mouvement, que les travailleurs sociaux ont pris place dans le champ de la protection de l’enfance. Nous pouvons alors voir le cheminement des éducateurs, qui au fil des décennies se sont interrogés mais aussi remis en cause, passant par des positionnements différents, pour tenter progressivement d’affirmer une identité professionnelle. Nous entendons ici par identité professionnelle62, l’articulation de deux processus identitaires hétérogènes que sont l’identité prédicative de soi (ce que l’on veut être) et l’identité attribuée par autrui, qui nous est attribuée par identification à des catégories, des groupes d’appartenance. De nombreux auteurs sont venus éclairer notre réflexion. Il nous apparaît, au regard du sens de notre recherche, important de nous attarder sur cette question de l’évolution même des Travailleurs Sociaux. Car être éducateur auprès d’adolescents aujourd’hui, c’est sans doute consciemment ou inconsciemment être porteur de cette histoire 61 62 Nous rappelons ici le cadre fixé par l’ordonnance du 2 février 1945. En référence à l’apport de Claude Dubar, in la socialisation, Ed. Armand Colin- 2000. commune, qui participe aux représentations qui les animent et qui fondent en partie leur action quotidienne, auprès d’adolescents. 2.1 L’alliance de deux mots chargés de sens : Travailleur Social Amédée Thevenet, dans un de ces ouvrages63, met en évidence le fait que l’alliance de ces deux mots qui étaient au départ deux adjectifs est le fruit d’un cheminement au cours des décennies. Rappelons tout d’abord que le concept même de travailleur a connu des évolutions pour faire référence à la notion : « d’activité organisée à l’intérieur d’un groupe social » C’est alors qu’il devient un concept idéologique puissant qui sera repris comme dénominateur commun de toutes les professions du social . De son côté le mot social fait référence à « l’ensemble des problèmes sociaux », quand il s’agit du substantif. En ce qui concerne l’adjectif social, l’auteur insiste sur le fait qu’il a connu des évolutions. D’abord appliqué à ce qui concernait l’organisation de la société, le mot va petit à petit se préciser pour se rattacher à l’idée d’amélioration des conditions de population. On parle par exemple en 1936, de droits sociaux. Tend alors à se réaliser une certaine solidarité entre les membres d’un même groupe socio professionnel puis entre les différents groupes. Cette association de Travailleur Social peut être comparée au terme anglo saxon social work, même si comme le précise Amédée Thevenet, le titre français : « recouvre une réalité plus diffuse dans laquelle s’inscrivent volontiers d’autres intervenants sociaux tels que l’enseignant, le médecin … ». Une fois ces deux termes définis, il s’agit alors de mettre en évidence les finalités de l’intervention de ces Travailleurs Sociaux. Après avoir rappelé que « la fin du travail social est sa propre fin », Amédée Thevenet rappelle, ce qui nous intéresse en premier lieu, les différentes finalités que le travail social s’est donné passant « successivement ou simultanément de l’altruisme au professionnalisme, du respect de la personne à l’aide psychosociale, de la promotion des groupes à l’intégration sociale, de la charité à l’économie, de la tutelle au contrat ». 63 Les Travailleurs Sociaux, Amédée Thevenet & Jacques Desigaux, collection « Que-sais-je » Ed PUF1985. Cette réflexion de l’auteur sur les finalités nous intéresse, car elle fait écho à notre propre recherche, sans bien sur y être complètement collée. En effet, vouloir comprendre ce qui anime les éducateurs d’internat, c’est les resituer dans un contexte, dans une évolution historique mais aussi dans un cheminement des mentalités. Il est donc fondamental de resituer notre démarche en mettant en évidence les éléments significatifs de ce cheminement, par exemple en rappelant l’évolution des finalités du travail social, telles que des auteurs, comme Thevenet par exemple, les mettent en lumière. Par la suite, dans la confrontation des données que nous avons recueillies, nous serons amenés à faire discuter ces différentes approches, que nous souhaitons faire apparaître dans cette première partie. 2.2 Les métiers du social en perpétuelle réflexion : discussion d’auteurs Parler des éducateurs nécessite de ne pas oublier les évolutions idéologiques qui traversent régulièrement cette profession et ce champ d’intervention. En effet, le travail social, depuis son invention a toujours été interrogé et remis en cause. C’est dans un contexte toujours mouvant que les professionnels de ce secteur réfléchissent de manière quasi permanente, sur la pertinence de leurs interventions, mais aussi les objectifs et les finalités de celles-ci. Ainsi, au fil de ces remises en cause, des cadres de pensée ont vu le jour et des modèles de professionnels ont été définis. De nombreux chercheurs ont axé leur travail sur ces dimensions. Quelques-uns ont retenu plus particulièrement notre attention. 2.2.1 Le Travail d’analyse d’Yves Barel Dans un long texte64, Yves Barel vient nourrir notre réflexion de manière éclairante. Il met notamment en évidence comment les Travailleurs sociaux au début des années 80 interrogent leur pratique et quelles représentations existent du travail social. Ainsi nous pouvons retenir schématiquement trois aspects : 64 Qu’est ce que le travail social ?, in Actions et recherches sociales, Ed.Erès- Nov.1982 - Les Travailleurs Sociaux sont là pour aider les gens à résoudre leurs problèmes (réparation) - Les Travailleurs Sociaux accompagnent des marginaux (la question de la normalisation ou de la re-normalisation) - Les Travailleurs Sociaux comme « contrôleurs sociaux » À l’époque, le débat entre ces différentes conceptions du travail social est vif, les oppositions de pensée sont importantes et les Travailleurs sociaux s’interrogent sur ce qu’ils font, ce qu’ils veulent faire, ce qu’ils savent faire 2.2.2 Jacques ION interroge le Travail Social Dans un livre récent65, Jacques ION a réuni plusieurs spécialistes du travail social qui viennent interroger le sens du travail social. Nous sommes particulièrement interpellés par le texte de Michel Chauvière intitulé : Les professions du social : compétences ou qualifications ? Le chapeau de ce texte questionne le sens du travail, qui plonge les praticiens de terrain dans un questionnement sur leurs pratiques quotidiennes : «Entre les transformation des organisations et la montée en puissance du patronat social, public et privé, d’une part, la nouvelle incertitude des savoir-faire, tant pour le diagnostic que pour l’action, d’autre part, comment évolue la professionnalité des acteurs du social ? Vu le mode de construction historique du champ, cette question ne peut se ramener à la simple opposition des compétences et de la qualification. C’est pourquoi l’auteur s’intéresse aux débats qui ont marqué le monde des professionnels du travail social ces trente dernières années, successivement le débat identitariste, le débat utilitariste et le débat stratégique. » Le sens, l’orientation des pratiques, sont une nouvelle fois en filigrane des éléments défendus par Chauvière. Le travail social et ses professionnels sont en perpétuel questionnement sur ce qu’ils font, ce qu’ils produisent, dans quel sens est orientée leur action. J. Ion le rappelle d’ailleurs dès l’introduction de l’ouvrage : « (…) les questions sur le travail social n’ont jamais été aussi nombreuses (…).Le propos de cet ouvrage ne sera donc pas d’établir 65 Le travail social en débat(s), sous la direction de Jacques Ion, collection alternatives sociales, Ed. La découverte-2005 un impossible bilan (…). Il visera plutôt à faire part des multiples questions que ce travail social ne cesse de susciter (…) »66 Ainsi, comment les éducateurs qui nous intéressent seraient-ils en dehors de ce contexte, de ces débats qui animent le champ social depuis des décennies ? Nous pouvons en effet partir du postulat que chaque professionnel, quand il travaille, mène une action quotidienne auprès d’un public en difficulté, des mineurs placés en institution en ce qui concerne notre recherche, et se trouve pris dans ce contexte sociopolitique de manière consciente ou inconsciente et peut alors légitimement s’interroger sur ses pratiques et le sens de celles-ci. Les représentations des missions se construisent aussi imprégnées de ce contexte. C’est en effet à partir de ce qu’ils pensent, de ce qu’ils ont appris mais aussi de ce qu’ils imaginent qu’on attend d’eux, qu’ils construisent leur « idéal ». 2.2.3 L’approche de Jean Paul Lassaire Dans le cadre de son travail de recherche67, Jean Paul Lassaire fait apparaître également une évolution intéressante de l’intervention des éducateurs. Il met en évidence le parallèle entre l’évolution de la société et l’évolution du positionnement des éducateurs. Il rappelle que le processus de catégorisation des enfants, a permis la mise en place de différents systèmes de prise en charge, allant de l’éducation surveillée pour les mineurs délinquants aux établissements médicaux et médico-sociaux. L’auteur explique alors que « Depuis le début de l’éducation spécialisée jusqu’aux années soixante, la construction des catégories d’enfants dits déficients ou vicieux s’élabore dans un regard individualisant. Ces désignations constituent des modes de connaissance sociale des sujets à « rééduquer ». Avec des savoirs sociaux qui renvoient à des pratiques morales de redressement ou paramédicales, on néglige l’émergence des savoirs propres des premiers éducateurs. L’accent est mis sur l’implication de la personne de l’éducateur bien davantage que sur son savoir professionnel »68. Jean Paul Lassaire parle alors de l’implication quasi totale de l’éducateur d’internat, chargé de « la tâche primaire ». Il met alors en évidence pour cette période (fin de la guerre, début des 66 Le travail social en débat(s) – sous la direction de J.Ion Ed. La découverte 2005 67 Les théories métisses des éducateurs : savoirs professionnels et représentations, Jean Paul Lassaire, collection Paradoxes de l’ordinaire, Ed ; L’Harmattan 2004. 68 Les théories métisses des éducateurs : savoirs professionnels et représentations, Jean Paul Lassaire, collection Paradoxes de l’ordinaire, Ed. L’Harmattan-2004. années soixante) un modèle d’éducateur qu’il nomme « substitut parental et rééducateur »69. Pour la période suivante qui couvre les années soixante et soixante-dix, l’auteur dégage le modèle de « l’éducateur technicien, valorisant la relation »70 qui prend progressivement place auprès du modèle énoncé précédemment. Dans cette période, le rôle de l’éducation spécialisée est remis en cause : « quel que soit l’endroit où elle s’exerce, l’éducation spécialisée est touchée et doute de ses finalités »71. On interroge le rôle de contrôle social des éducateurs72. On insiste alors, sur la nécessité de restaurer « les relations familiales et sociales »,tout en ne condamnant pas les parents qui éprouvent des « difficultés à assurer leur rôle ». Depuis les années soixante-quinze, « le renoncement à changer les individus va s’inscrire dans un discours de la différence ». La remise en cause des internats éducatifs est encore plus flagrante, tel que le notait un rapport de l’I.G.A.S73 de 1978 : « un système d’hébergement éducatif dont le coût peut paraître hors de proportion avec les services rendus »74. La remis en cause de cette « relation substitutive » vient largement chambouler les professionnels du champ de l’inadaptation sociale. On les questionne sur leur utilité, les remises en cause sont importantes et les objectifs de rationalisation prennent un peu le pas sur les pratiques habituelles des éducateurs. De nombreux éducateurs vont alors s’engager dans les opérations d’insertion professionnelle et sociale. Jean Paul Lassaire parle alors des modèles de « gestionnaire de la différence » et « d’agent d’intégration »75. Ces quelques lignes reprenant les travaux de J.P Lassaire viennent confirmer que les contextes idéologiques et politiques et les conséquences structurelles qui en découlent souvent, sont de nature à générer des conceptions différentes du métier, chez les éducateurs eux-mêmes. Il nous semble important de ne pas perdre cette considération de vue, dans la compréhension que nous cherchons à avoir de ce qui fonde les actions des éducateurs en internat éducatif. Les différents modèles mis en évidence par J.P Lassaire ici, mais aussi par Y.Barel auparavant, nous fournissent des cadres de pensée intéressants qui nous serviront par la suite. 69 Ibidem. Ibidem. 71 Ibidem/ 72 Rappelons-nous que c’était une des modèles d’éducateur mis en évidence par Yves Barel, cité plus haut. 73 I.G.A.S = Inspection Générale des Affaires Sociales. 74 Rapport sur les établissements sociaux et médico-sociaux, 1978, in Les théories métisses des éducateurs : savoirs professionnels et représentations, Jean Paul Lassaire, collection Paradoxes de l’ordinaire, Ed. L’Harmattan-2004. 75 Ibidem. 70 En ce sens, l’approche que nous avons pu découvrir dans le cadre de notre formation nous apparaît tout aussi intéressante, pertinente et complémentaire. 2.2.4 L’approche de Joël Cadière76 « (…) Une analyse en travail social à partir des travailleurs sociaux euxmêmes. Il faut dire qu’un questionnement de cet ordre se heurte immédiatement à la pluralité des professions, des fonctions, des appartenances institutionnelles, des missions… En effet, chaque profession possède une formation spécifique correspondant aux notions générales pour les uns d’Aide, pour les autres d’Éducation et de Rééducation, pour d’autres encore l’animation »77. Ces quelques lignes développent là aussi, le même questionnement. En effet, les Travailleurs sociaux se positionnent et agissent différemment, selon d’où ils parlent, mais aussi selon leur parcours et leur histoire personnelle et professionnelle. C’est en partant de cela que Joël Cadière, dans son travail78, a mis en évidence différentes figures, que nous serons amenés à reprendre dans notre dernière partie: les éducateurs « promoteurs » qui s’appuyant sur leur histoire personnelle et sur des valeurs humanistes fondent leur intervention sur l’idée de l’émancipation des individus. L’action qu’ils mènent est avant tout une « mission », l’éducateur « Bâtisseur » qui se donne pour mission première de réparer en partant lui aussi de son histoire personnelle, l’éducateur « opérateur » qui n’est quant à lui qu’un rouage du système social. C’est avant tout un technicien qui apporte un savoir faire. 76 Approche compréhensive et essai de formalisation des représentations des pratiques des travailleurs sociaux, Joël Cadière, Thèse de doctorat -Université Lumière Lyon 2- 1991 et séminaire de sociologie, DSTS 23, promotion 2004-2007. 77 In Les travailleurs sociaux que font-ils ? séminaire de sociologie, DSTS 23, promotion 2004-2007. 78 Ibidem. Chapitre 3. Un établissement spécialisé au sein d’une association: contexte particulier d’intervention professionnelle Pour compléter plus largement le contexte des éducateurs d’internat, nous allons à présent, faire un détour vers ce qui est le contexte de travail quotidien des professionnels qui ont été à l’origine de notre questionnement et de l’émergence de notre question centrale. Qu’en est-il exactement ? Comment les choses se sont-elles progressivement construites ? Telles sont les deux questions auxquelles nous allons répondre à présent. 3.1 Le CODASE, une association grenobloise : Des valeurs, une mission et des actions79 Le Comité Dauphinois d’Action Socio Educative est une association de type loi 1901, pour la prévention, la rééducation et la réadaptation d’enfants et d’adolescents. Déclaré le 31 décembre 1954, à la Préfecture de l’Isère, le CODASE s’occupe de 1250 jeunes, chaque année. Cette association grenobloise est organisée en différents services et établissements qui chacun avec leur spécificité tend vers un même but : 79 D’après la plaquette de présentation du CODASE : « un horizon pour tous ». Permettre à des jeunes, désocialisés, en difficultés personnelles, de trouver leur place à l’école, au travail, dans la vie culturelle, bref dans notre société. La mission du CODASE, c’est de les aider, de leur apporter un soutien éducatif, de les inciter à utiliser leurs capacités, leur redonner confiance dans leur potentiel d’adaptation afin qu’ils puissent accepter la vie sociale et y inscrire leur avenir80. Pour répondre au mieux aux besoins des personnes l’association développe alors deux actions complémentaires : une action directe auprès des intéressés, dans les différents lieux d’action (quartiers, familles, services, établissements) et une action auprès des divers organismes et institutions (sociales, scolaires, administratives, judiciaires, …) Le CODASE est organisé en services et établissements, qui répondent plus spécifiquement aux besoins des enfants et adolescents accueillis ou accompagnés. Cette organisation et ces actions sont placées sous l’autorité, d’un Conseil d’Administration, composé de personnalités venues d’horizons divers d’un Bureau, qui met en œuvre pratiquement les projets élaborés et d’un Directeur Général qui assure la cohérence et la logistique de l’association. 220 Professionnels salariés de l’association viennent, par leur action quotidienne mettre en œuvre les différents projets, au sein des services et établissements du CODASE. Ceux-ci sont organisés autour de quatre pôles principaux : La prévention et le soin, avec les services de l’AEMO81et de Prévention spécialisée et de « Point Virgule »82. L’éducation avec le service ambulatoire83 et l’ITEP84. Le soutien parental avec des lieux de visite et de parentalité. Et enfin, l’hébergement des adolescents et des enfants, avec les établissements de l’Accueil enfance85 et de l’Espace Adolescents. C’est donc au sein de ce dernier établissement qu’a émergé notre questionnement. 80 D’après « un horizon pour tous » Sigle de l’Action Educative en Milieu Ouvert (Assistance éducative judiciaire et administrative) 82 Centre de soins spécialisé aux toxicomanes. 83 Service agréé par l’Aide Sociale à l’Enfance qui apporte un soutien éducatif en relation avec le milieu naturel de l’enfant, pour maintenir l’insertion scolaire. 84 Centre de soins agréé par la sécurité sociale. Orientation MDPH 85 Maison d’Enfants à Caractère Sociale du CODASE, accueillant les enfants et les préadolescents (8 à 14 ans) 81 3.2 L’Espace Adolescents du CODASE L’Espace Adolescents est une Maison d’Enfants à Caractère Social, accueillant d’une part des adolescents de 14 à 18 ans et d’autre part des jeunes majeurs de 18 à 21 ans. L’établissement favorise l’insertion sociale des individus en difficulté personnelle, familiale et sociale. Il s’agit « d’aider ces jeunes à se reconstruire et à être responsables vis-à-vis d’eux-mêmes et de la société »86 L’établissement accueille 95 adolescents âgés de 14 à 21 ans, de nationalité française ou étrangère. Ces jeunes sont placés dans cet établissement à différents titres, qu’il est important de rappeler brièvement ici : - Le placement direct, ordonné par le Juge des Enfants, au titre de l’Assistance Educative (art. 375.2 du Code Civil). - Le placement par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (L22 du CASF87) Ce deuxième type de placement peut avoir deux origines qu’il est important de différencier. D’une part, le placement qui fait suite à un placement judiciaire du jeune (par le Juge des Enfants) à l’ASE et d’autre part, le placement au titre de l’Accueil Provisoire qui fait suite à une entente préalable entre la famille et l’ASE, sans intervention du Juge des Enfants. - Le placement de mineurs délinquants (ordonnance du 2 février 1945 relative à la délinquance des mineurs) - Le placement en urgence, préalable à une décision judiciaire pouvant être par exemple demandé par le procureur de la République. 86 D’après « un horizon pour tous » Op.cité Sigle du Code de l’Action Sociale et des Familles, qui s’est substitué au Code Famille et Aide Sociale (CFAS) créé en 1956. 87 3.3 Un lieu d’intervention spécifique : Le Refuge88 L’unité du Refuge accueille onze jeunes âgés de 14 à 16 ans89, encadrés par une équipe pluridisciplinaire90 placée sous notre responsabilité de Chef de Service91. 3.3.1 Des jeunes en grandes difficultés L’accueil des adolescents se fait dans le cadre de la protection de l’enfance92. Ils sont le plus souvent en situation familiale très fragile, voire totalement déstructurée, avec des conséquences souvent très lourdes sur leur évolution personnelle : troubles du comportement, passages à l’acte répétés, déscolarisation …. La prise en charge de ces adolescents prend donc en compte prioritairement, les troubles de ces jeunes. Ceux-ci sont très peu dans la verbalisation de leur mal-être, mais le plus souvent dans des passages à l'acte répétés et plus ou moins graves : refus des limites posées par les éducateurs, angoisses au moment du coucher, violences verbales et parfois physiques entre les jeunes et parfois envers les adultes, déscolarisation, troubles psychologiques et mentaux …. Ces jeunes ont beaucoup de difficulté à faire preuve d’individuation. Constat est fait par exemple que des écarts de certains jeunes, viennent réveiller chez les autres des fragilités souvent à fleur de peau. Les éducateurs constatent alors souvent un effet « boule-de-neige » qui ajoute de la tension à une situation souvent déjà complexe et qui exacerbe encore plus les moments de crise. Il est en effet difficile pour ces jeunes de 88 Pour rappel, cette unité appartient à l’Espace Adolescents du CODASE Six garçons, cinq filles plus une place d’urgence (qui peut donc faire monter l’effectif à 12 ponctuellement). 90 Cette équipe est composée : de cinq éducateurs (trices) diplômées (éducateur spécialisé, moniteur éducateur), en formation (Aide médico Psychologique) ou sans diplôme. Ces postes cumulés représentent un temps de travail égal à 4,75 équivalent temps plein, de deux veilleurs de nuits représentant 2 équivalents temps plein, d’une maîtresse de maison à plein temps et d’une psychologue à 0,25 équivalent temps plein. 91 Le chef de service est responsable par ailleurs d’une seconde unité qui accueille en journée 24 adolescents en situation de rupture scolaire. 92 Cette notion fait référence au cadre légal de l’assistance éducative, telle que nous la retrouvons dans l’article 375 et suivant du Code Civil (op cité). 89 rester en dehors des conflits, tensions, événements qui ne les concernent pas directement. A leur arrivée dans l’unité, la plupart des jeunes ne bénéficient pas d'un accompagnement psychologique, souvent du fait d’un refus marqué de leur part. La Psychologue de l'unité peut engager autant que faire se peut, un suivi pour ceux qui le souhaitent ou peut aider l’équipe, à mettre en place un suivi externe. Les éducateurs soutiennent les jeunes qui sont par ailleurs suivis : CMP, lieu d’accueil psychologique spécialisé pour adolescents, mais aussi Médecins généralistes ou pédopsychiatres pour quelques jeunes. Dans toutes les dimensions du travail éducatif engagé avec les jeunes, l’équipe tente d’associer les parents93. Le travail avec les familles s'organise de manière progressive et débute dès la procédure d’admission et qui se poursuit grâce aux contacts téléphoniques, mais aussi aux rencontres avec des familles en présence ou non du travailleur social de milieu ouvert, référent du jeune confié. Ce lien est très important pour parler, avec les parents de la prise en charge de leur enfant et de tenter ainsi de sortir des résistances face au placement. Pour réussir à mettre en œuvre concrètement ces rencontres, les éducateurs ont besoin d’être soutenus car la gestion de la vie quotidienne mobilise prioritairement leur énergie, ne laissant alors que très peu de place pour tout autre travail pourtant indispensable, aux yeux de chacun. De manière générale, les jeunes du Refuge sont scolarisés, à leur arrivée dans l’unité. Pour la plupart, les adolescents sont admis en collèges, en lycée (technique ou général), en dispositifs plus spécifiques comme les Cippa94, ou encore en établissements médicosociaux. Pour la plupart, la scolarité, même si elle reste fragile pour certains, reste cependant assez stable. Il y a nécessité de mettre en oeuvre des rencontres et des contacts réguliers entre les éducateurs et ces écoles, afin de soutenir plus activement ces jeunes dans leur scolarité. Par ailleurs, les éducateurs du Refuge sont confrontés à des situations de déscolarisations préoccupantes. De plus en plus souvent, ils sont amenés à s'occuper, de jeunes totalement déscolarisés, ou englués dans un processus de déscolarisation. Ils doivent alors s’occuper de jeunes qui restent quasiment à temps plein dans l'unité. Des 93 La loi 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale rappelle cette obligation. Le Cippa devenu MGI (Mission Générale d’Insertion) est un dispositif spécifique de l’éducation nationale pour les jeunes de plus de 16 ans en difficultés scolaires importantes 94 tentatives de réponses individuelles sont faites (prise en charge en journée, aide aux devoirs, tentatives de mise en stage, ...), mais ces réponses apparaissent cependant comme fragiles ou insuffisantes pour tenter de remobiliser réellement ces jeunes qui sont dans des postures de refus massif, englués dans leur problématique dont la déscolarisation semble être le symptôme. L'organisation de l'unité et de l’équipe peut alors montrer des limites, dans ce type de situation: manque de disponibilité des éducateurs due notamment à l’organisation du temps de présence, sollicitation plus importante de la maîtresse de maison. 3.3.2 Une équipe de professionnels, dans le malaise et le doute: l’émergence d’une problématique de recherche. Comme nous avons pu déjà le faire apparaître dans l’introduction générale, l’équipe du Refuge se montre en grand questionnement quant à la pertinence de leur action auprès des jeunes qui leur sont confiés. Les situations de Léa et de Sophie, deux jeunes filles confiées à l’unité sont à elles seules assez significatives de la problématique que nous souhaitons mettre en évidence, comme point de départ de notre recherche. Léa et Sophie, chacune à leur manière, amènent l’équipe éducative a s’interroger sur la manière dont elle travaille avec elles. Les réunions d’équipe sont autant d’occasion de venir parler de ces deux jeunes pour demander si la prise en charge éducative mise en œuvre est adaptée et suffisante pour aider ces deux jeunes filles. Quand ils parlent de Léa, les éducateurs expriment souvent du malaise et de l’insatisfaction : Sommes-nous vraiment adaptés ? On s’occupe beaucoup de Léa et pas beaucoup des autres et pourtant cela ne change pas beaucoup ! ». Ces propos reviennent de manière récurrente. Les évaluations qui sont faites régulièrement avec le Chef de service de l’unité, avec la Psychologue mais aussi dans le cadre des audiences devant le Juge des Enfants, montrent que la situation reste fragile et préoccupante, mais que le travail éducatif constant et rigoureux qui est mené auprès de Léa semble positif et permet à cette dernière de modifier un peu ses comportements de toute puissance et de déviance. Malgré tout, les éducateurs restent très dubitatifs et ne réussissent pas à sortir de leur analyse assez négative de la situation. Dès notre introduction générale, nous nous demandions alors pourquoi les éducateurs expriment-ils souvent et de manière insistante du malaise, de la critique et de l’insatisfaction, au sujet de leur action éducative. Il semble que nous nous situons là, du côté de l’expression d’un vécu. Par ailleurs quand les éducateurs parlent du travail éducatif mené auprès de Sophie, nous avions noté également que ceux-ci se montraient assez fermés quant aux constats d’évolution de cette jeune fille. En effet, nous avions relevé des propos significatifs : « Fait-on ce qu’il faut pour elle ? ne serait-elle pas mieux chez ses parents ? ». Chacun s’interrogeait alors sur la qualité de l’accompagnement éducatif : « Cela fait un an qu’elle est chez nous et elle ne change pas beaucoup, elle est toujours excitée, elle se met en danger avec les garçons (…) » Dans cette situation, les constats portés par la Travailleuse Sociale de l’ASE qui parle d’une certaine évolution de Sophie, qu’elle connaît depuis longtemps, sont atténués par les éducateurs d’internat. Pourquoi, alors qu’il y a un processus de compréhension et d’objectivation des évolutions de l’adolescente, ses éducateurs persistent dans l’expression du doute quant à l’efficience de leur action éducative ? C’est une seconde question que nous nous sommes posée en observant ces deux situations95. Ces deux questions de départ nous ont alors conduits à nous interroger sur ce qui met en mouvement ces attitudes et ces positionnements d’éducateurs. En effet, nous pouvons d’un côté faire le constat qu’un réel travail éducatif est engagé auprès des jeunes : observation des problèmes rencontrés, construction collective d’hypothèses de compréhension, proposition et mise en œuvre d’actions éducatives concrètes auprès de ces jeunes et évaluation de l’impact de ces actions. Cette démarche mise en oeuvre dans les situations de Léa et de Sophie devrait permettre aux éducateurs de porter un regard plus distancié et plus objectif sur leur action éducative. Cependant cela n’est pas le cas, car ce processus de compréhension ne diminue pas ou de manière très limitée, les discours plus ou moins négatifs des éducateurs vis-à-vis de leur pratique. 95 Il faut noter que nous avons retenu ces deux situations parmi plusieurs autres toutes aussi significatives et mettant à chaque fois en évidence les mêmes questionnements sur le doute et l’insatisfaction exprimés. 2.3.3 L’émergence d’une question centrale Au regard des constats que nous avons pu faire et mettre en lumière précédemment, nous avons alors été conduit à poser deux questions de départ que nous rappelons brièvement ici : Pourquoi les éducateurs expriment souvent et de manière insistante du malaise, de la critique et de l’insatisfaction au sujet de leur action éducative auprès des adolescents ? Pourquoi malgré un processus de compréhension et d’objectivation des évolutions d’un adolescent, les éducateurs restent dans l’expression de doute quant à l’efficience de leur action éducative ? Ces deux questions nous ont alors conduit à vouloir comprendre ce qui anime les éducateurs d’internat qui s’occupent de ces adolescents en difficultés. Nous avions pensé tout d’abord trouver une hypothèse de réponse du côté du manque d’évaluation des pratiques éducatives. Mais cette réponse ne semblait pas être première, car il nous semblait qu’un réel travail de fond a été mené dans l’établissement, grâce à la construction d’une démarche d’appropriation collective des enjeux de la loi 2002-296, menée avec l’ensemble du personnel de l’établissement d’une part, mais aussi d’autre part avec l’ensemble des professionnels de l’association97. Nous avions alors pensé formuler une autre hypothèse basée sur le décalage possible entre réalité du quotidien éprouvé par les éducateurs et ce qu’ils imaginent être leurs missions et de leur travail auprès d’adolescents en internat éducatif. Nous aurions pu nous satisfaire de cette hypothèse, cependant il nous est apparu qu’apporter une telle réponse à nos questionnements allait très rapidement bloquer notre cheminement. En effet, si nous pouvons penser qu’il y a du décalage entre la façon dont on peut se représenter son action et la manière dont elle se met en acte dans une réalité quotidienne, Que souhaitons-nous réellement comprendre ? Ne s’agit-il pas avant tout pour nous de comprendre sur quoi les éducateurs d’internat fondent leur action auprès d’adolescents en difficulté ? Ce n’est qu’à partir de là, que nous pourrons alors peut-être 96 Loi relative à la rénovation de l’action sociale et médico-sociale. Notons ici que cette démarche collective a été construite en plusieurs temps : démarche qualité, élaboration des outils obligatoires référencés dans la loi 2002-2, appropriation du référentiel association relatif à l’évaluation. 97 tenter d’apporter une hypothèse de réponse ce qui est à l’origine de l’insatisfaction et le doute qui animent ces professionnels. Nous avons donc fait le choix de formuler notre question centrale de la manière suivante : À partir de quelles représentations, les éducateurs de l’Espace Adolescents du CODASE fondent-ils leur action auprès des adolescents placés en internat éducatif ? Poser une telle question revient alors clairement à se situer dans une démarche de recherche compréhensive. Cette démarche vise alors à aller recueillir la parole des éducateurs d’internat, pour tenter ensuite de faire émerger les représentations qu’ils ont de leur action et de leurs missions éducatives. Dans une telle démarche heuristique, nous ne proposons donc pas une hypothèse de réponse, qui serait parfaitement inutile, dans un premier temps. ce n’est qu’après avoir exploité le contenu des paroles des éducateurs, que nous tenterons de faire émerger une réponse. Chapitre 4. Une réflexion autour du concept de représentation Le concept de représentation a été étudié dans différents champs disciplinaires. Afin de pouvoir faire plus clairement émerger, ce qui sera notre propre base de réflexion, nous proposons de faire un rapide tour d’horizon des différentes approches. 4.1 Les représentations : quelques définitions La représentation vient du latin repraesentatio qui veut dire "action de mettre sous les yeux", et de repraesentare qui signifie "rendre présent, reproduire, montrer"98. En philosophie, la représentation est « ce par quoi un objet est présent à l’esprit », tandis qu’en Psychologie, il s’agit « d’une perception, d’une image mentale dont le contenu se rapporte à un objet »99 Le dictionnaire LAROUSSE en donne quant à lui cette définition : « Action de rendre sensible quelque chose, au moyen d’une figure, d’un symbole, d’un signe (…) Ce par quoi un objet est présent à l’esprit (image, concept). Perception, image mentale dont le contenu se rapporte à un objet, à une situation, à une scène du monde dans lequel vit le sujet. » 98 99 D’après le dictionnaire de sociologie Larousse-le Seuil. Définition du dictionnaire de la langue française Larousse. Nous le voyons ici, les représentations se situent « à la frontière du psychologique et du social »100. Ces définitions préliminaires mettent en jeu différents éléments qu’il est nécessaire de retenir : action, sujet, objet, image, perception. Il faut entendre le sujet comme étant un individu ou un groupe, l’objet comme étant ce qui est en jeu dans la perception (idée, personne, chose, évènement, …), l’image comme étant ce qui est perçu de l’objet et interprété par le sujet, l’action comme l’appropriation de l’objet et la perception comme le fait de saisir un objet par le sens ou l’esprit. 4.2 Les représentations sociales Le concept de représentation sociale a été élaboré par Serge Moscovici dès 1961. Celui-ci donne plusieurs définitions, souvent reprises ultérieurement par différents auteurs. Nous pouvons en retenir deux : « C’est un corpus de connaissances fondé sur des traditions partagées et enrichi par des milliers d’observations, d’expériences, sanctionnées par la pratique »101 « C’est une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social »102 Denise Jodelet en conduisant de nombreux travaux sur les représentations sociales insistent sur le fait « qu’on reconnaît généralement que les représentations sociales en tant que système d’interprétation régissent notre relation au monde et aux autres, orientent et organisent les conduites et les communications sociales. De même interviennent-elles dans des processus aussi variés que la diffusion et l’assimilation des connaissances, le développement individuel et collectif, la définition des identités personnelles et sociales, l’expression des groupes et les transformations sociales. »103. 100 In Travail de rceherche SERPSY de M.Odile Sanchez- document WWW.Serpsy.otg/formation-débat) 101 In images et représentations sociales, P.Moliner-Ed PUG-1996. 102 In représentations, pratiques et identités professionnelles, J.F Blin-Ed. L’harmattan-1997. 103 In Dictionnaire de sociologie- Larousse, le Seuil internet- Denise Jodelet insiste sur les caractères fondamentaux de la représentation sociale, ainsi que sur ses différentes fonctions104 Elle relève Cinq caractères fondamentaux de la représentation sociale : - Elle est toujours représentation d’un objet - Elle a un caractère imageant et la propriété de rendre interchangeable le sensible et l’idée, le percept et le concept. - Elle a un caractère symbolique et signifiant - Elle a un caractère constructif - Elle a un caractère autonome et créatif Les différentes fonctions de la représentation sont: - La fonction cognitive qui permet d’intégrer de nouvelles données, dans son cadre de pensée. - La fonction d’interprétation et de construction de la réalité qui permet de penser et d’interpréter le monde. - La fonction d’orientation des conduites et des comportements qui permet de donner du sens et de créer du lien. - La fonction identitaire qui permet de se situer dans le champ social - La fonction de justification des pratiques. Jean Clenet, dans ses travaux105 de recherche vient faire écho aux travaux de Moscovici, sur les représentations sociales. Il met en évidence plusieurs types de représentations, qu’il nomme : représentations individuelles, collectives et sociales. Reprenons rapidement les trois définitions qu’il en donne : Les représentations individuelles sont « les représentations que l’individu construit en interaction avec son environnement. Elles constituent un tout cohérent et personnel et lui servent à organiser son action ». Les représentations collectives sont « des représentations partagées par un groupe social en termes de contenu essentiellement » Les représentations sociales « se construisent par l’interaction avec les autres, par le contact avec la réalité dans l’action » 104 In pratiques sociales et représentations, sous la direction de Jean claude Abric, Ed. PUF, 1997, 2ème édition. 105 In le concept de représentation, D. Aimon, travail de DEA en sciences de l’éducation réalisé à partir du cours de J. Clenet- DEA- Novembre 1998. Publication Internet. 4.3 Les représentations, à la croisée des chemins Ce concept de représentation est complexe et recouvre en lui-même plusieurs approches. Jean-Claude Ruano-Borbalan dans un de ses textes insiste d’ailleurs sur le fait que la représentation est « une notion clef des sciences humaines »106. Il rappelle dès son introduction que « nous interprétons en permanence le monde sous forme de représentations que notre cerveau stocke. Toute vision du monde est reliée à des images mentales inconscientes ». Il définit alors la représentation comme « une création sociale ou individuelle de schémas pertinents du réel dans le cadre d’une idéologie ; elle consiste soit à évoquer des objets en leur absence, soit lorsqu’elle double la perception à compléter la connaissance perceptive en se référant à d’autres objets non naturellement perçus »107 Michel Denis108 définit quant à lui trois modalités de représentations cognitives109 : les images mentales qui « rendent compte des éléments caractéristiques de la perception visuelle », les représentations conceptuelles qui « sont très liées au langage » et les représentations liées à l’action qui «concernent le savoir que nous avons au sujet de la manière de mener une activité ». Dans notre propre formation au DSTS, nous avons compris, grâce à l’apport de différents séminaires110, que le champ des représentations est un carrefour interdisciplinaire des sciences humaines. Ce qui ne facilite pas la définition et met en lumière la complexité de compréhension de ce concept. Nous pouvons cependant dire, en nous appuyant sur les différents apports théoriques, que la représentation est une structure qui fonde simultanément le sujet individuel et le sujet social. Aborder le concept par cette entrée nécessite de ne pas oublier de rappeler que la réalité qui est une représentation du réel est véhiculée par le langage qui est lui-même produit grâce à la construction d’un code, qui est une convention d’un groupe humain. Le 106 Texte d’introduction du dossier « les représentations, images trompeuses du réel » in Sciences humaines n°27- Avril 1993. 107 Texte d’introduction du dossier « les représentations, images trompeuses du réel » in Sciences humaines n°27- Avril 1993 108 En référence aux travaux de Michel Denis, in Images et cognition Ed.PUF 1989, repris dans le dossier de Sciences humaines, Op.cité. 109 Qu’il faut entendre comme ce qui fait référence à la constitution de la connaissance humaine. In dictionnaire de la psychologie- Ed. larousse. 110 Nous faisons ici référence avant tout au séminaire de sociologie. langage est alors bien une représentation de l’objet réel. La réalité et langage mettent alors en jeu un système de représentation. Étudier et analyser le discours produit par les éducateurs d’internat à propos de leur travail, permet alors de mettre en lumière les représentations qu’ils ont de leur travail. C’est comprendre leur raison d’agir. C’est pour cette raison, qu’il nous a semblé fondamental de donner la parole aux professionnels. Dans la seconde partie qui va suivre, nous allons ainsi mettre en évidence le processus de recueil de la parole des éducateurs que nous avons fait le choix de rencontrer. DEUXIÈME PARTIE RENCONTRER ET ÉCOUTER DES EDUCATEURS D’INTERNAT Afin de pouvoir mettre en lumière ce qui fonde la pratique des éducateurs d’internat, il est indispensable de recueillir leur discours. Nous avons donc fait le choix de rencontrer des éducateurs d’internat et de nous entretenir avec eux, à partir d’un guide d’entretien. Après avoir, dans un premier temps, présenté notre méthodologie de recherche, nous expliquerons ensuite notre guide d’entretien, que nous avons construit à partir de quelques éléments clefs tirés des travaux menés dans le cadre de notre séminaire de sociologie111. Nous développerons ensuite, le éléments principaux de ces entretiens que nous avons choisi de traiter à partir de trois items principaux : le parcours, le métier et les adolescents. Dans la conclusion de cette seconde partie, nous ferons alors émerger les éléments clefs qui seront la base de notre analyse, qui nous permettra alors dans la troisième partie de faire émerger des figures d’éducateur d’une part, mais aussi des éléments de réponse possible à l’insatisfaction des éducateurs d’internat. 111 Séminaire de sociologie- DSTS 23- promotion 2004-2007. Chapitre 1. Démarche méthodologique Ce premier chapitre va nous permettre de poser les bases de la démarche méthodologique que nous avons retenue pour aller à la rencontre des éducateurs d’internat. 1.1 La détermination du terrain d’enquête Rappelons-nous tout d’abord, que la question que nous posons au départ de notre recherche, concerne les éducateurs qui travaillent en internat éducatif. C’est donc cette caractéristique principale qui nous a guidé pour déterminer notre groupe. Nous pouvons donc dire en préalable que le groupe que nous avons constitué, est représentatif à plusieurs égards, car il est constitué d’éducateurs qui travaillent dans des institutions similaires : organisation similaire, mission identique, population adolescente. Nous avons fait ce choix, car l’enjeu n’est pas pour nous, une étude statistique. Les observations initiales, qui ont nourri notre questionnement, se sont faites à partir d’une équipe d’internat spécifique112, il nous a semblé intéressant et nécessaire d’aller rencontrer d’autres professionnels, sans tenir compte de leur parcours personnel et professionnel à priori. 112 Rappelons ici que Nous travaillons dans une MECS de la région grenobloise en tant que Chef de Service. Nous encadrons plusieurs équipes éducatives, dont une constituée de cinq éducateurs encadrant un groupe de jeunes adolescents. C’est dans cette équipe qu’ont été repérés les faits significatifs, déclencheurs de notre questionnement. En effet, ce qui nous intéresse c’est principalement le discours des personnes qui travaillent auprès d’adolescents placés en internat éducatif. Nous avons donc fait le choix d’organiser nos entretiens avec différents professionnels : des éducateurs travaillant au sein de l’Espace Adolescents, mais n’étant pas directement sous la responsabilité hiérarchique du chercheur, au sein de son institution, d’autres éducateurs appartenant à d’autres institutions. Pour se faire, nous avons contacté des MECS qui accueillent des adolescents et qui emploient des éducateurs. Une équipe de direction d’un établissement grenoblois, après avoir étudié notre demande113 et en avoir parlé avec leurs équipes nous ont proposé de rencontrer des éducateurs qui travaillent dans la même équipe et qui se sont montrés favorables et intéressés pour participer à cette recherche. Notre sélection à priori s’est donc faite sur le seul critère du volontariat. Nous avions prévu de rencontrer deux équipes d’éducateurs d’internat intervenant auprès d’adolescents âgés de 13 à 17 ans. Dix éducateurs devaient être rencontrés. Au bout du compte, nous ne rencontrerons que neufs éducateurs et nous ne pourrons exploiter que huit entretiens 114. 1.2 Carte d’identités des locuteurs. Si nous n’avons pas constitué notre groupe de référence, à partir d’une sélection liée au profil des personnes, nous pouvons à posteriori faire apparaître les éléments principaux du profil de chacun des interlocuteurs rencontrés115. Ce groupe est constitué d’individus au parcours différent, mais tous diplômés de l’éducation spécialisée. Chacun a donc participé à une formation qu’elle soit d’éducateur spécialisé ou de moniteur éducateur. La plupart des éducateurs rencontrés ont moins de dix ans d’ancienneté dans le diplôme, qu’il faut cependant différencier de 113 Nous avions sollicité l’équipe de direction, par courrier, puis nous l’avons rencontrée, pour apporter les explications complémentaires 114 Une des éducatrices qui avait répondu favorablement à deux reprises sera absente aux deux rendezvous prévus. Par ailleurs, le discours de ce septième locuteur n’a pu être transcrit que de manière partielle, du fait de la mauvaise qualité de l’enregistrement audio. Cette difficulté est principalement due au débit verbal très rapide du locuteur qui une fois enregistré a été quasiment impossible à transcrire. Cet entretien a donc été inexploitable. 115 Un tableau récapitulatif est joint en annexe. l’ancienneté dans la profession, car un certain nombre des personnes rencontrées ont une pratique professionnelle de plusieurs années avant de rentrer dans une formation qualifiante. 1.3 Le guide d’entretien116 Nous avons donc fait choix d’entretiens semi directifs, destinés à recueillir le discours des éducateurs. Nous avons construit ce guide à partir des apports des séminaires de sociologie suivis dans le cadre du DSTS117. Il est en effet question de la manière dont le Travailleur Social fonde son rapport au monde, son rapport à « Autrui », celui à qui est destiné son « Agir». Il est question des « modalités constitutives et existantes » mobilisées par le Travailleur Social pour exercer sa profession. Ces éléments apportent à notre avis, un regard intéressant sur la manière dont un professionnel aborde son travail, ses missions, mais aussi sur la manière dont il construit ses propres représentations qui sont de véritables « passerelles entre le monde individuel et le monde social »118. Quatre éléments sont déclinés: - Le Vouloir faire : quand la Travailleur Social projette sur Autrui intentions et finalités. - Le Devoir faire : quand le Travailleur Social applique des recommandations extérieures à lui - Le Pouvoir faire : quand le Travailleur Social prend appui sur ses compétences personnelles, développées au fil de son parcours professionnel. - Le Faire : quand le Travailleur Social organise concrètement son activité, en actes quotidiens. C’est à partir de ces quatre éléments que nous avons construit notre guide d’entretien, car il nous semble que cette organisation nous permettra de parler avec chacune des personnes rencontrées, des différents aspects de son travail, en lui permettant d’avoir un 116 Ce guide peut être consulté en annexe du présent document. Nous faisons ici référence au texte « les travailleurs sociaux que font-ils » travaillé dans le cadre du séminaire de sociologie du DSTS 23-année 2005-2006. 118 In « Praxéologie, le point de vue des représentations », séminaire de sociologie-DSTS23- année 20052006. 117 discours sur ses tâches quotidiennes, tout en lui permettant de porter un regard plus approfondi sur ce qui le guide, ce qui l’anime. Ce sera ensuite pour nous autant de données, qu’il sera alors intéressant de parcourir et d’analyser. 1.4 Les entretiens 1.4.1 Organisation des entretiens Rappelons-nous que notre objectif est de mener une recherche compréhensive qui nous permettra de mettre évidence sur quelles représentations les éducateurs d’internat travaillant en MECS fondent leur action éducative. Il nous faut alors recueillir leur discours. Pour se faire nous avons donc de rencontrer neuf éducateurs, afin de les interroger, dans le cadre d’entretiens semi directifs. Ces entretiens ont été individuels. Ces rencontres se sont déroulées, pour tous, dans leur lieu d’activité professionnelle119. Elles ont eu lieu durant des moments où les professionnels étaient disponibles, c’est-à-dire quand ils étaient de service, mais n’avaient pas à intervenir directement auprès des adolescents de leur groupe120. Les entretiens ont été menés pour la plupart, dans une salle de réunion de l’établissement, mise à disposition121 par l’institution. La durée de ces entretiens a été variable122. Nous avons utilisé deux méthodes de recueil de la parole : prise de notes au cours de l’entretien et enregistrement vocal, avec retranscription ultérieure. 1.4.2 Déroulement des entretiens123 Avant de pouvoir aller plus loin sur le contenu des entretiens, nous souhaitons ici apporter quelques éléments que nous avons choisi d’appeler «indicateurs 119 Nous avions obtenu auparavant l’accord des directions des établissements. Les éducateurs ont été rencontrés soit à la fin de leur service, soit lors de « permanence », sans présence de jeunes dans les unités. 121 Sur les neufs entretiens que nous avons conduits, deux éducateurs demanderont à ce qu’on se rencontre dans leur bureau, car ils étaient de permanence téléphonique. Ils ne seront pas dérangés. 122 Les entretiens dureront entre quarante-cinq minutes et une heure trente maximum. 123 En annexe, il est possible de consulter, à titre d’exemple, trois transcriptions intégrales d’entretiens. 120 d’ambiance ». Voici donc résumés en quelques lignes, les principaux indicateurs concernant les neufs locuteurs124 que nous avons rencontrés. De manière générale et globale, nous pouvons noter que le guide d’entretien a été efficace et a permis à chacun de s’exprimer, sans trop de difficultés. Les questions ont été dans l’ensemble bien acceptées, par nos interlocuteurs. Il faut cependant noter que la question sur le quotidien a nécessité d’être formulée plus précisément, après le déroulement de quelques entretiens. En effet, dans les deux premiers entretiens, le fait de ne pas être plus précis, dans ce que nous entendions par quotidien125, a semble-t-il, été dans un premier temps enfermant pour les personnes. Celles-ci se focalisaient essentiellement sur les actes de la vie quotidienne pour les jeunes : lever, coucher, repas. Repréciser notre question a permis alors aux personnes de dépasser cette dimension, en s’attardant plus spontanément sur les actes de la vie quotidienne, que nous évoquions plus haut et la place des éducateurs dans ceux-ci, mais aussi sur d’autres aspects ignorés initialement : travail d’équipe, relations avec les partenaires, travail avec les familles. 1.5 Découpage des entretiens Pour étudier le contenu de la parole des différents locuteurs, il nous a semblé nécessaire de procéder à un découpage du contenu, pour le rendre exploitable. Ainsi, nous avons fait le choix de répartir les paroles de chacun selon trois grands items principaux que nous avons intitulés de la manière suivante126. : 1.5.1 Le discours sur le parcours Dans l’ensemble du discours de chacun des locuteurs, il nous a été possible de mettre en exergue des éléments se référant avant tout au parcours personnel du locuteur : d’où vient-il ? quels sont les éléments principaux de sa ou ses formations ? 124 Nous rappelons ici, qu’afin de respecter l’anonymat des personnes interrogés, nous avons remplacé leur nom et prénom, par un prénom fictif dans l’ensemble de l’écrit qui suivra. 125 Nous l’entendions en effet comme toutes les tâches qui incombent en général aux éducateurs d’internat et non pas le quotidien des jeunes placés en internat. 126 Rappelons ici, que notre choix de découpage garde toujours en toile de fond , « les modalités constitutives et existantes » mobilisées par l’éducateur pour exercer son métier et théorisées dans les séminaires de sociologie auxquels nous avons participé. Quels sont les choix qu’il a du faire ? Pourquoi a-t-il fait ses choix ? Quels sont les principaux enseignements qu’il en tire ? Nous pouvons voir apparaître, à partir de cette simple organisation de lecture, des parcours personnels différents pour des personnes qui se retrouvent ensuite ensemble dans une équipe de travail pour encadrer des jeunes adolescents en internat éducatif. Nous pouvons faire le constat que même si nous avons ciblé nos questions à ce sujet, dans la première partie de l’entretien, nous retrouvons des éléments se rattachant à ce parcours, dans l’ensemble du discours de chacun des locuteurs. Le parcours reste en effet, semble-t-il pour chacun un socle, une référence personnelle sur lequel les individus construisent leur démarche professionnelle. 1.5..2 Le discours sur le métier Faire ce choix de lecture, c’est retrouver dans le discours de chacun des locuteurs, un ensemble d’éléments relatifs à sa représentation du métier d’éducateur : Comment en parle-t-il ? Quels sont les éléments significatifs qui ressortent ? Quel est le vocabulaire employé ? sont autant de questions qui ont pu nous aider à faire ressortir ces éléments principaux. 1.5.3 Le discours sur les jeunes C’est la troisième grille de lecture que nous avons retenue, pour découper le discours des locuteurs. En effet, Le professionnel met en œuvre son « agir » en le destinant à « autrui »127. Il est pour nous incontournable de relever tout ce qui est dit sur cet « autrui », ceux à qui est destinée l’action menée. En ce qui concerne notre travail, il s’agit bien entendu des jeunes adolescents pris en charge dans les internats éducatifs. Les professionnels parlent d’eux, de leurs actions, de leurs objectifs, de leurs finalités, en référence à la population dont ils s’occupent. Nous pouvons alors faire le constat que les paroles dites sur les jeunes sont en lien principalement avec : sa personnalité, sa famille, son parcours, sa formation. C’est ce que nous mettrons en évidence par la suite en 127 faisant état des discours des éducateurs. Nous faisons une nouvelle fois référence au texte « les travailleurs sociaux que font-ils » travaillé dans le cadre du séminaire de sociologie du DSTS 23-année 2005-2006. Chapitre 2. Le discours sur le parcours Nous avons donc rencontré neuf éducateurs sur dix prévus. Nous avons souhaité exploiter le contenu de ces neuf entretiens, cependant le discours du septième locuteur, Gaston, n’a pu être que très partiellement transcrit128. Nous avons donc été contraint de nous appuyer, pour notre recherche, sur le contenu de huit entretiens exploitables. Chacun de ces discours a été découpé selon la méthode mise en évidence précédemment. Voici le résultat de l’exploitation de ces discours : 2.1 Alberte Les développements concernant le parcours sont peu importants comparés à la plupart des autres locuteurs rencontrés. En effet, quand nous lui demandons de parler d’elle, la personne développe peu, insiste peu sur ce qui constitue son cheminement personnel, pour en arriver à devenir éducatrice. Alberte parle de son « choix » auxquels elle « croit » et qui lui a permis de devenir éducatrice. Il dit avoir des « prédispositions » pour aller vers les métiers de l’éducatif, après avoir eu un parcours atypique dans la vente qui ne lui donnait plus satisfaction. Il rentrera à l’école, après avoir eu des expériences dans le champ de l’éducation spécialisée qui lui donne « du plaisir ». Il y a une certaine identification à la population : « j’ai un côté un peu enfant, je me retrouve en eux ». Ce parcours atypique que nous retrouverons pour d’autres locuteurs fait clairement la place à l’idée de choix, qui semble être la base ici de l’engagement. 128 En effet, le discours de ce septième locuteur n’a pu être transcrit que de manière partielle, du fait de la mauvaise qualité de l’enregistrement audio. Cette difficulté est principalement due au débit verbal très rapide du locuteur qui une fois enregistré a été quasiment impossible à transcrire. Cet entretien a donc été inexploitable. 2.2 Boris Cet éducateur parle de son parcours comme d’un « parcours simple ». Il s’agit là encore d’une « remise en question », qui le conduit à se réorienter. Ses premières expériences sont une « révélation ». La « formation », dans laquelle il s’engage alors, le bouscule car c’est un « travail difficile sur soi ». Il faut en effet « déconstruire » pour « reconstruire » dit-il. Avant cette formation, il n’y avait aucune « remise en question », avec le sentiment alors, « d’assurer et de savoir tout faire » avec n’importe quelle population. La formation est alors vécue comme un véritable « déclencheur » qui lui a permis une prise de conscience, de ce qu’il était, mais aussi de ses limites et de ses compétences. 2.3 Charlotte Quand Charlotte parle de son parcours, elle évoque « un déclic personnel », du fait de la fréquentation d’une cousine polyhandicapée. Cette rencontre est pour elle « un déclencheur. Ses premières rencontres professionnelles avec des personnes handicapées, sont pour elle des « contacts positifs ». Mais la formation l’a fait changer de voie. Après avoir travaillé en MAS129, puis en foyer d’hébergement pour adultes handicapés, elle décide de s’orienter vers « l’enfance en danger ». L’issue de cette formation a « confirmé » ce choix professionnel. Depuis, elle dit venir « travailler avec plaisir ». 2.4 Danielle Danielle insiste, quand elle évoque son parcours, sur le fait que le travail avec les adolescents a été une « surprise ». En effet, elle a fait une découverte, après avoir repoussé l’échéance de ce stage, par « manque de confiance » en elle. Elle se destinait plutôt au travail avec les personnes déficientes intellectuelles, champ 129 Maison d’Accueil Spécialisée. d’intervention qu’elle connaissait bien. Elle explique d’ailleurs, qu’elle était « attirée » par ce travail. Alors qu’elle pensait que le travail avec les adolescents « n’était pas du tout fait pour elle », elle découvre qu’elle s’y sent « plutôt bien » et qu’elle souhaite y rester. Sa formation débutera après plusieurs échecs pour y rentrer. L’attente de cette formation l’a conduit à aller à la faculté et obtenir une licence de psycho, qu’elle avait choisie, pour « s’ouvrir un peu » et « apprendre des choses » sur elle, sur « la relation et la communication ». C’est d’ailleurs aussi le fruit d’un travail sur elle-même qui l’aide à avancer dans son parcours personnel et professionnel et à faire le pas pour découvrir le travail éducatif avec les adolescents. 2.5 Evelyne Pour Evelyne, c’est aussi un « choix ». Le choix d’une reconversion, après avoir été comptable et de «se rendre compte que professionnellement je ne me m’épanouissais pas ». Intervenant dans le « sport adapté », elle encadre alors des « adultes handicapés ». Cette rencontre semble être pour elle un déclencheur qui la conduise à vouloir intégrer le « milieu du social », qu’elle ne « connaissait pas du tout ». Son choix est alors semé d’embûches, car après avoir démissionné et s’être « retrouvée sans rien », il a fallu qu’elle repasse le bac qu’elle avait raté quelques années auparavant et qu’elle présente le concours d’entrée aux écoles d’éducateurs. Elle explique que « la formation, c’était assez difficile pour moi », même « douloureux », car « tout était nouveau » pour elle. Mais cette « formation a été bénéfique » et elle s’est alors « intéressée plutôt à la population des jeunes et des ados ». Ayant obtenu son diplôme, elle travaille pendant plusieurs années, dans une MECS, dans sa région d’origine, avant de rejoindre son poste actuel, qui pour elle « n’est pas le même travail », même si elle travaille toujours dans une MECS. En effet, la forme de travail est aujourd’hui différente et le cadre plus souple, il « y a plus de liberté », par rapport à avant où le « cadre contenait plus ». Cette nouvelle expérience a été une nouvelle remise en cause, où elle s’est posé « la question de savoir si elle continue ou pas ». Aujourd’hui elle se dit contente « d’être restée et d’avoir persévéré ». 2.6 Fabien « les choses se sont faites sur le tas, bon je pense que c’est aussi lié à mon histoire ».Ces quelques mots pourraient sans doute résumer le parcours de cet éducateur. Celui ci met en avant un long parcours, avant d’arriver où il en est aujourd’hui. C’est l’histoire d’un cheminement qui débute par « un contrat d’animation » et le travail en quartier avec des associations. Il était alors « dans une hyper-activité », en étant « constamment sur le terrain » où il a « rencontré tous les types de professionnels ». Il « passait d’une institution à l’autre, mais toujours avec le même public ». Il s’agit « des jeunes en difficulté ». Il cherchait « un peu à voir » en allant « se confronter aux différents types de prises en charge ». Il fera alors une formation de Moniteur Educateur, avant plus tard de faire une formation d’Educateur Spécialisé. Il a « mis du temps à chercher », le « type de structure »qui l’intéressait. Il « avait déjà identifié le public », qu’il appelle « public des quartiers ». En étant dans l’animation, il avait été « sur la gestion des groupes », il voulait alors plus « s’orienter vers de l’individualité » et « intervenir sur des projets à long terme ». Au final, le locuteur admet qu’il « ne sait pas comment il y est arrivé », mais il précise aussi « je me trouve un peu à ma place ». Il se rappelle qu’il a « commencé très tôt » et que « les choses se sont faites sur le tas ». Son parcours, c’est aussi la question de ses origines, où sa « couleur de peau » a été une question. On lui avait fait comprendre qu’il «n’était pas là pour prôner telle ou telle religion ». On lui a rappelé d’où « il venait à certains moments », mais « c’est marrant, parce que je le vis bien », précise-t-il par ailleurs. « Ca ne lui pose pas plus de problème que cela, mais je le perçois à certains moments ». Il pense donc que ce parcours est « aussi lié à son histoire » car « cela vient aussi de ce qu’on est ». Il pense d’ailleurs avoir plus « appris des rencontres des autres personnes » avec qui il a été en formation, que de la formation elle -même. 2.7 Hélène Pour cette éducatrice, tout semble être l’histoire de « rencontres », qui va d’ailleurs nourrir tout son parcours. Il y a d’abord l’envie « d’être institutrice », mais très vite cette idée de profession est abandonnée pour se diriger vers une autre, car à partir de la rencontre d’une association d’un quartier où elle fait du « soutien scolaire », elle se rend compte qu’elle ne veut pas « apporter de l’instruction » et qu’en fait pour elle, le « côté instructif est secondaire ». Elle découvre en rencontrant les gens sur ce quartier, qu’elle était « très penchée sur l’écoute et le dialogue ». Elle se découvre un intérêt pour « l’histoire des autres ». « Sa première idée » de devenir éducatrice reprend alors le dessus. En effet, Hélène rappelle alors que cette envie d’être éducatrice avait été mise à mal, quelques années auparavant, par une conseillère d’orientation : qui lui avait renvoyé que « vu votre dossier , vous ne serez jamais prise ». C’était une première rencontre qui avait mis en difficulté son projet qui resurgit alors quelques années plus tard, suite à de nouvelles rencontres : « c’est ressorti quelques années après » se souvient-elle. Elle rentrera alors en formation et découvrira différentes populations. Ces expériences de stages lui ont « permis de définir que le handicap n’était pas »pour elle. En sortant de formation, elle « n’a pas d’idée précise », mais elle sait qu’elle « voulait travailler en internat avec des adolescents ». Elle « n’a pas envie de s’installer quelque part » et voulait « rencontrer le maximum de personnes et le maximum de manières de fonctionner ». Elle fera alors des remplacements dans différents institutions, pour venir ensuite rejoindre l’établissement dans lequel elle se trouve encore aujourd’hui : « de fil en aiguille, de CDD en CDI, après on reste là ! ». 2.8 Isabelle Ce qui intéressait cette éducatrice, quand elle se remémore son parcours, elle précise d’emblée « ce qui m’intéressait, c’est le terrain ». C’est pour cette raison, qu’elle abandonne le terrain du droit, « je me suis rendu compte que le droit , c’était pas pour moi ». Sa première idée était de devenir Juge pour Enfants. « Ce sont des parcours de vie, des rencontres » qui l’ont amené progressivement à envisager de devenir éducatrice. Elle était alors surveillante dans un établissement scolaire en ZEP130. Elle passe le concours, et fait le choix d’un IUT131, car elle « trouvait intéressant qu’il y ait 130 131 Zone d’Éducation Prioritaire. Institut Universitaire Technologique. trois filières ensemble ». Elle tient à affirmer qu’elle a fait « le choix ». Elle insiste en effet sur cette idée, car pour elle, il n’est pas question « de vocation », « car dans vocation, il y a comme si on n’avait pas le choix, une destinée ». Elle ne partage pas cette idée et c’est ce qu’elle renvoie aux personnes qui l’admirent quand elle parle de son métier d’éducatrice auprès d’adolescents. Elle estime en effet « qu’à un moment donné, on fait le choix ou non d’être éducateur ». Elle précise encore qu’elle « aurait pu faire autre chose ». Elle reconnaît qu’il « faut avoir une sensibilité pour pouvoir apprécier ce métier et y prendre du plaisir », mais qu’il « n’y a jamais d’obligation ». Son parcours s’est construit au fil de sa formation et de ses expériences. La rencontre « avec des enfants handicapés » n’a pas été concluante, car elle « n’y a pas trouvé l’intérêt », qu’elle a pu trouver en travaillant avec « des ados en difficultés ». ce qui « l’a amenée à devenir Éducatrice Spécialisée, c’était plus des rencontres avec ce public là ». Avec les enfants handicapés, elle avait alors « l’impression d’être moins performante ». Elle aura d’autres expériences, mais fera le choix « de l’internat », car elle s’est rendu compte qu’elle avait « besoin du quotidien, de la relation quotidienne qui permet une implication plus affective qu’en prévention ». 2.9 Bilan des discours sur le parcours A la lecture de ces différents entretiens, avec les huit éducateurs, nous pouvons tout d’abord faire le constat, que selon les personnes, la « quantité de discours »132 sur le parcours personnel peut être bien différent. En effet, certains répondent rapidement aux questions ou aux relances, sans trop insister sur leur histoire (locuteurs 1, 2, 3), d’autres par contre vont plus y faire référence tout au long de l’échange (Locuteurs 4, 8 et 9 par exemple). Pour s’arrêter plus longuement sur le contenu de ces discours, nous pouvons faire le constat que la notion de choix revient dans beaucoup des discours. Il s’agit en effet pour la plupart d’avoir fait le choix de devenir éducateur. Pour certains (Alberte, Boris ou Evelyne) il s’agit d’un choix fait après avoir vécu d’autres expériences professionnelles totalement différentes du champ 132 Nous faisons ici référence à la quantité d’éléments que nous avons pu extraire sur ce thème, dans le discours de chacun de nos interlocuteurs. Les tableaux d’analyse joints en annexe viennent imager notre remarque. du travail social. C’est pour ces trois locuteurs, le choix d’une reconversion professionnelle. Pour les autres, ce choix professionnel, s’est fait à partir de rencontres. Cette idée de rencontre est en effet également très présente, dans le discours des éducateurs. Qu’il s’agisse d’une rencontre avec un membre handicapé de sa famille (Charlotte) ou pour les autres de rencontres avec des publics d’une part ou des Travailleurs Sociaux d’autre part. Ces différentes rencontres viendront favoriser l’émergence d’un choix professionnel, qui se construira pour chacun selon un parcours différent mais qui viendra pour chacun confirmer son envie de devenir éducateur, mais également qui viendra confirmer le souhait de travailler avec des adolescents en difficulté. La rencontre avec d’autres populations, notamment handicapées, viendra confirmer le choix de la population. Nous pouvons donc retenir en conclusion de ce premier thème, que pour les huit interlocuteurs, nous rencontrons cette double idée de la rencontre et du choix. Chapitre 3. Le discours sur le métier Force est de constater que c’est ce qui occupe le plus de place dans les entretiens. Tous les locuteurs ont pu parler avec simplicité, mais aussi conviction de leur métier. Pour chacun, nous pouvons y retrouver le cœur de leur intervention auprès des adolescents. Que nous disent-ils ? 3.1 Alberte Là encore, l’idée même de « relation » sera mainte fois évoquée : « c’est un travail de relation ». L’éducateur est présenté comme « un modèle » pour les jeunes, qui viennent « prendre des choses chez nous » et « saisir ce qu’on leur apporte ». L’éducateur est celui qui va « permettre à partir du quotidien de prendre du recul ». C’est un « accompagnement ». Cette dernière idée revient de manière très importante dans l’ensemble du discours de cette éducatrice. L’éducateur « accompagne », pour « gravir un peu l’escalier », « pour montrer le chemin » et « amener vers une sociabilité » La notion « d’humanité » est très importante dans ce discours, car nous pouvons y relever de nombreux termes qui teintent l’intervention de l’éducateur. En effet, il s’agit « d’apporter une touche humaine », en ayant « les jeunes dans la tête ». Elle rejette par conséquent l’idée de « l’éducateur qui est froid, qui donne des ordres et qui endurcit », car pour les jeunes « c’est usant et fatiguant ». A contrario, cela «implique d’avoir une éthique, du respect » car elle rappelle qu’elle est « là pour les jeunes », « qu’il y a besoin de parler », mais aussi de « laisser penser le jeune ». « on est là pour les entendre », il ne faut pas « être sourd ». Tout cela semble être mis au service d’une finalité plusieurs fois rappeler : « trouver un sens », et « trouver une place positive dans la société » pour les jeunes, en aidant à « être acteur » et à « ne pas subir ». Cependant, la locutrice rappelle que les éducateurs sont là pour « rappeler la réalité » et qu’ils ont « envie que les jeunes rentrent dans le moule ». Il va falloir souvent « rabâcher » Être éducateur, c’est donc « avoir une grosse responsabilité », car « on apporte notre morale » aux jeunes. « On est normaux, alors on dit pas n’importe quoi ». C’est donc bien autre chose que « donner à manger, prendre une douche et dormir », même si elle précise qu’elle est aussi là pour apprendre aux jeunes « les gestes du quotidien ». Les parents des jeunes ne sont pas oubliés par l’éducatrice qui explique que le fait que les jeunes se « rendent compte qu’on demande la même chose que les parents, cela permet une réconciliation ». « Nous faisons un vrai travail qui sert à quelque chose ». 3.2 Boris « On accueille des jeunes qui n’ont pas choisi d’être là », il faut donc « faire attention », car « on accueille des jeunes avec leur famille, leur histoire ». Pour ce locuteur, le cadre de son intervention est ainsi posé. Il se dit là pour faire « un travail d’accompagnement », qui signifie pour lui « faire un bout de chemin ». Ce locuteur insiste également sur ce qu’on attend de lui, en rappelant d’une part qu’on lui confie un rôle qui est « de porter les objectifs du projet, avec mes propres moyens », et en rappelant d’autre part que « l’extérieur attend que j’inculque des règles pour que les jeunes deviennent autonomes et respectent les règles sociales ». Il faut qu’il aide « les jeunes à devenir citoyen ». Pour cela, il faut « décoder les attitudes et capter les choses ». Son rôle est alors de « reprendre avec les jeunes », « c’est de parler ». Le travail de l’éducateur, c’est « de donner et attendre en retour ». Il insiste beaucoup sur cette « idée du don et du contre-don » qu’il met en image en expliquant qu’il s’agit de « semer des graines ». « on récolte tout de suite, mais pas forcément » précise-t-il par ailleurs. Travailler comme éducateur en internat éducatif, c’est travailler en équipe. Pour ce locuteur, « il y a une complémentarité intéressante qui donne du sens aux éducateurs », même « s’il y a du décalage entre anciens et nouveaux éducateurs ». Pour lui en effet, « la pédagogie ancienne est plus carrée, aujourd’hui il y a plus de souplesse », mais il relève également que « les anciens sont plus avec les enfants, plus dans la proposition, ils partagent plus de choses. Avec les nouveaux, il n’y a plus cela ». Quoi qu’il en soit, il insiste en rappelant : « le bien des enfants, quand tout le monde l’a en tête, cela fonctionne bien ». La question de « l’investissement » est donc située comme très importante, car « on est plus dans du gardiennage » mais dans « la question du vivre ensemble ». Il s’agit de savoir « comment on va essayer que cela se passe bien » en n’oubliant pas « que le quotidien est fait de conflits et de bruits qu’il faut accepter », car « vivre et partager des moments, c’est important ». Cette manière d’être et de faire implique de « se remettre en question », car il y a « de la frustration car il y a de la lourdeur », et « il y a du décalage avec ce que l’on souhaite ». 3.3 Charlotte « Ici c’est similaire à ce qui se passe dans une famille ». Telle est la manière dont cette locutrice présente son travail. Elle se dit là pour « créer du lien », avec un « rôle de médiation » en quelque sorte quelqu’un qui a « un rôle tiers qui permet de mettre à distance ». Car, l’éducateur n’est pas « là uniquement pour poser le cadre et les règles », « on peut remettre sur les rails quand cela dérape » « remonter le moral et donner du « Peps ». Mais c’est aussi « donner un coup de pouce à des gens qui n’y arrivent pas tout seuls ». Elle se dit là « pour faire un bout de chemin avec eux », pour « qu’ils restent debout », « s’ils tombent, je les aide à se relever » et même « le porter si nécessaire, mais pas s’il n’a pas envie ». Tout cela reste pour elle quelque chose de « compliqué » car il ne « faut pas être bouffé dans sa vie personnelle » car « on ne travaille pas avec des machines ». Elle explique qu’elle peut «être touchée humainement par la souffrance et les situations dramatiques des autres », cependant, « on ne doit pas pleurer avec, sinon on ne va pas les aider ». « Des situations peuvent nous occuper, mais n’empêchent pas d’avancer ». « On est là pour son intérêt, on n’est pas sadiques », « on est altruiste, on a le souci des autres ». La locutrice nous rappelle « qu’il faut penser que cela sert à quelque chose », « à un moment donné, on a besoin de moi », mais « le but n’est pas d’avoir besoin de moi toute la vie ». Il faut « être attentif au message que le jeune peut nous envoyer », car pour elle « un mauvais éducateur, c’est quelqu’un qui maltraite les enfants, qui ne les écoute pas » « c’est quelqu’un qui n’est pas là pour l’intérêt des personnes dont il s’occupe » et « qui pense être supérieur et qui le fait ressentir ». Pour elle, on a « le droit de ne pas être d’accord, mais il n’y a pas de jugement entre collègue, dans la manière de faire son travail ». Les éducateurs d’une équipe sont là « dans un but commun », « d’avancer avec les jeunes dans le même sens » et « l’extérieur attend qu’il y ait de la transparence dans mon travail ». La locutrice quand elle parle de cet extérieur explique «qu’ il y a du décalage entre moi et ce qu’on attend de moi, entre théorie et pratique ». Elle insiste également sur ses missions, en faisant référence aux familles qui attendent de moi qu’elle « les informe » mais aussi qu’elle « ne prenne pas leur place » même si elle « prend soin de leur enfant ». Elle vient donc remplacer car les familles « ne peuvent pas ou n’y arrivent pas pour un temps ». 3.4 Danielle « Je ne suis pas leur mère » et »je ne serai jamais leur mère », tel est le point sur lequel insiste Danielle. Il s’agit certes d’une part «d’accompagner les jeunes dans le quotidien,( …) dans tous les actes de la vie quotidienne », dans un souci de « bien être et d’épanouissement », mais aussi de « sécurité physique et morale », mais c’est aussi « de les accompagner dans leur cheminement personnel ». Pour cela, il faut « être là », il faut être « un soutien, une béquille sur laquelle ils peuvent s’appuyer », mais qui « va devoir se retirer dans un ou deux ans ». Cela doit en effet pour elle être quelque chose de temporaire et il est « très important de faire en sorte que cette béquille ne devienne pas indispensable », car « s’il y a toujours un filet qui vient réparer ses manques, il apprendra jamais à faire ». Elle est là pour « permettre aux jeunes de s’envoler ». Ce bout de chemin fait ensemble doit permettre aux jeunes de « reprendre confiance », et qu’ils ne se retrouvent pas « totalement dépendants de nous ». La locutrice explique alors que « cela passe par plein d’outils » et notamment par « des petites choses de la vie « qui permettent aussi de « prendre du plaisir avec les jeunes, car il lui semble important de permettre aux jeunes « de comprendre que l’adulte n’est pas que sanction, interdiction ou frustration », même si par ailleurs il y des conflits et des crises qui font partie intégrante du travail éducatif (…) et qui permettent d’avancer ». « Partager des moments forts » cela permet de construire « une relation », relation « cadrée », « professionnelle » qui doit un jour « se terminer ». Cela permet aux jeunes de ne pas « rejouer les mêmes choses avec nous » et ainsi « qu’ils puissent s’approprier leur propre histoire » et « faire leur vie ». « Conversation après conversation », l’éducateur apporte « des questionnements » qui vont permettre à ces jeunes de « prendre du recul » et ainsi « de se construire ». Danielle insiste rappelle alors qu’il faut du temps et qu’il faut parfois freiner « les exigences », car « ils ont 17 ans » et « on peut pas exiger d’eux que ce soit si facile que ça à intégrer ». Cependant pour cette éducatrice « le travail qu’on fait, il existe quelque part chez le jeune, ça s’intègre forcément quelque part » , « cela rentre et fait son chemin », « il y a trois pas en avant et deux pas en arrière ». Pour elle l’éducateur « ne va pas changer le monde et le jeune du jour au lendemain ». C’est une manière pour elle d’insister sur le fait que « finalement on sert à quelque chose », en acceptant « qu’on ne maîtrise pas tout ». Cette manière de dire les choses semble être une forme de réponse à ceux qui n’ont pas un regard positif sur leur travail, « on a l’impression parfois que notre travail est dénigré ». Cependant pour faire ce travail il faut qu’il y ait « une équipe unie et forte, qui doit rassurer ». et se « sentir soutenue » pour ne pas avoir un « sentiment d’incohérence » qui serait préjudiciable aux jeunes. Danielle analyse sa place et son action comme ne se situant pas dans une « espèce de prime au mérite ». Elle ne ressent pas qu’on est « un bon éducateur quand un jeune a réussi et un mauvais quand il rate » Elle ne pense pas en effet que « notre métier puisse se juger là-dessus ». Pour elle « l’éducateur est un maillon, une petite partie de la vie des jeunes » et elle pense que « c’est le réseau social qui doit sortir un jeune de la difficulté ». 3.5 Evelyne Pour Evelyne aussi, l’idée « d’accompagnement » est au cœur du « travail éducatif ». Elle se dit là pour que les jeunes « réussissent au niveau d’une orientation professionnelle, au niveau éducatif, au niveau de l’hygiène » « qu’ils réussissent à partir de 18 ans (…) à se débrouiller presque seul » Pour cela, elle « doit faire attention à eux », « les valoriser » « et leur apprendre » « pour qu’ils arrivent à avoir quelque chose quand ils partent ». Mais elle insiste aussi sur le fait qu’être éducateur « c’est aussi poser des limites, dans une continuité ». Elle se compare alors à une « béquille, un soutien » car « on a besoin de les porter physiquement et psychologiquement ». Elle insiste cependant également sur le fait qu’il faut « savoir les limites de mon intervention », car cela peut « avoir de conséquences dans la relation »avec le jeune. Parfois elle « provoque » pour tenter de déclencher des réactions, sans savoir toujours qu’elle « sera cette réaction ». C’est donc un engagement important « presque physique » parfois qui peut déclencher de « l’agressivité ». Il faut alors savoir se « protéger ». C’est donc quelque chose « de difficile et d’épuisant », mais ce qui est « valorisant, c’est l’évolution d’un jeune ». Pour que cela puisse fonctionner, il semble donc qu’il y ait « toujours un même discours » « et garder une continuité ». Il faut donc qu’il y ait « une équipe derrière » qui puisse « prendre le relais ». Le travail en internat permet de « partager des moments avec les jeunes ». Il y a une forme de « continuité » dans « une vie de tous les jours dont les jeunes ont besoin », mais en même temps, la locutrice explique que « c’est varié » et qu’on ne s’ennuie pas, « car rien n’est pareil ». L’internat est dépeint comme « quelque chose comme dans une vie de famille », car « des jeunes qui sont placés et qui ne rentrent pas en famille (…) c’est pas facile. Il faut donc leur « permettre de passer un cap »en soutenant « un cadre où les jeunes peuvent être en sécurité », « pour qu’il n’y ait pas de problème ». L’éducatrice rappelle toutefois qu’elle n’est « pas la famille ». mais qu’elle tente plutôt « de continuer ce que les parents ont fait », en prenant en quelque sorte le relais. L’éducateur fait « le lien » entre les différents « partenaires », « les institutions qui prennent en charge le jeune, mais aussi avec « la famille ». Pour tout cela, il « n’y a pas de bons ou d’excellents » éducateurs, mais il y a « un travail qui est effectué ». Il faut être présent et ne pas « mettre en danger un jeune », même si la locutrice souligne « qu’elle peut se tromper sur quelque chose ». Elle rappelle enfin que l’éducateur est quelqu’un qui évolue dans « sa façon d’intervenir, de réfléchir … » notamment grâce à son parcours, à ses rencontres qui lui permettent « d’évoluer ». 3.6 Fabien Être éducateur « cela ne s’apprend pas », « on a quelque chose ou on ne l’a pas », discours affirmé par le locuteur qui parle lui aussi « d’accompagnement » des jeunes. Prendre en charge ces jeunes, c’est « comme dans une famille », tout en expliquant qu’en fait « on leur demande d’être un peu plus grands que les autres » car « dans une famille traditionnelle un jeune peut rester jusqu’à 25 ans » alors qu’en internat éducatif « on a des échéances, 18-21 ans », « on est limité par le temps ». Prendre en charge, « c’est pousser », pour que « les jeunes puissent être autonomes », pour qu’ils puissent « rentrer dans la vie active » en « étant un peu à jour entre d’où ils viennent, ce qu’ils sont aujourd’hui et vers quoi ils vont aller ». Il est donc nécessaire « qu’il y ait à un moment donné un déclencheur ». Cela passe alors par « le vivre avec les autres ». L’éducateur insiste beaucoup sur le fait qu’à « la base il y a le bon sens » car « on cherche toujours à mettre du sens » mais d’après lui, on peut « trouver du sens en faisant ». Il peut y avoir ensuite des « questions d’analyse » qui sont « propres à chacun ». En effet, « le parcours » personnel de chaque éducateur « vient alimenter une analyse plus fine ou une compréhension » de la situation et du parcours des jeunes qui sont confiés. C’est pour cette raison que « la complémentarité de l’équipe » est importante pour s’occuper des jeunes. L’équipe permet d’éviter « d’être pris au piège » dans une relation, d’éviter d’être « embarqué dans le fonctionnement »d’un jeune. Travailler avec ces jeunes, c’est donc savoir garder de la distance car « quand on est un peu trop proche, du côté du copinage, très souvent il y a retour de bâton ». Le but pour lui n’est pas d’attendre « quelque chose au niveau personnel », sauf « à la limite un petit sourire ». Pour lui, « suivant le fonctionnement d’une équipe, les jeunes fonctionnent de la même manière », « il y a un écho ». La notion d’équipe est donc fondamentale, il faut que chaque collègue « soit présent »mais pas « que physiquement », « c’est ce qui fait le socle ». Pour autant, il n’est pas nécessaire de savoir tout faire, car pour l’éducateur « quand il n’y a pas de souci et qu’on sait tout faire, il y a un souci quelque part ! ». « On n’apprend pas à être éducateur », il y « quelque chose qu’on porte à minima en soi », car « on n’est pas technicien de l’éducation », même « s’il y a bien des techniques qui sont liées au boulot ». « il faut aller au carton » et « être à leur côté, pas à côté ». 3.7 Hélène « le principal côté de mon travail, c’est de leur permettre d’avoir le choix », « qu’ils soient heureux et qu’ils n’aient pas de regret ». Cette éducatrice pense que c’est la base même de son travail auprès d’adolescents qu’elle prend en charge car ils « ne peuvent rentrer chez eux ». Cette notion de choix n’est pour elle pas quelque chose de « vain ». Elle fait d’ailleurs référence à sa propre expérience où elle a fait ellemême des choix qui l’ont conduite à ce qu’elle est aujourd’hui. Pour permettre cela, « c’est vraiment dans la discussion » que cela se passe. Il faut donc toujours « mettre des mots », pour pouvoir « mettre du sens dans ce qu’ils vivent » et pouvoir « peut-être donner une valeur d’ensemble ». Il faut pour elle « donner des ingrédients et après c’est eux qui font la cuisine ». Il est donc important de « vivre les choses » avec les jeunes. Mais ensuite nous comprenons que la dimension de choix est primordiale, car ce sont bien les jeunes qui s’empareront de ce qui leur a été apporté par les éducateurs, « quelque chose qui fait trace, qu’ils prendront ou qu’ils ne prendront pas ». Travailler de cette manière nécessite « beaucoup d’investissement ». C’est une implication qui conduit l’éducatrice à dire qu’elle « a deux vies », « ma vie personnelle que je construis mais aussi cette vie » auprès des jeunes. Cela peut alors « être pesant, mais ça n’empêche pas de vivre ». « C’est pesant car on y pense même quand on n’est pas au travail ». Tout ce qui est vécu est important et peut toucher : « tous ces jeunes qu’on voit passer, ces séparations, elles sont douloureuses pour eux, mais aussi pour nous ». Les éducateurs vivent des choses en tant que professionnels, mais certains évènements peuvent rendre difficile la possibilité de « faire la part des choses » entre le côté « humain (…) et professionnel ». Elle explique d’ailleurs que « leur désespoir me touche par moment et c’est dans ce désespoir qu’est notre place ». Nous comprenons que vivre des choses difficiles en tant que professionnel viennent questionner l’individu et amènent à « sentir les fondations ». « il faut donner, donner » et « il n’y a pas tellement de garde fous » car « on est des fois tellement seul ». L’éducatrice en abordant cette solitude de l’éducateur insiste sur le fait que ce dernier peut avoir beaucoup de pouvoir : « on peut avoir un pouvoir exorbitant », du fait « pouvoir dans cette parole » qui guide le jeune et « qui est le principal outil de travail » de l’éducateur. « on sait où on veut l’emmener » et c’est ce qui lui semble inquiétant voir même « immonde », car parfois « pour certains jeunes, on est le seul horizon » et « la parole va avoir du poids dans l’orientation de sa vie ». Pour elle, « heureusement qu’on se pose des questions (…), qu’on arrive à se remettre en cause et qu’on n’est pas tout puissant ». Il faut réussir à « mettre de la distance et de la limite », car « quelqu’un qui ne sait pas se remettre en cause, qui est sûr de lui, c’est dangereux pour les jeunes ». « Il faut partager de bons et de mauvais moments » qui font la vie de l’internat. Il n’y a « pas de routine », il faut accepter la liberté des jeunes qui peut « faire peur » car les éducateurs craignent de ne pas « savoir la gérer », car « le cadre rassure les éducateurs ». Elle explique cependant qu’elle pense « qu’on attend de moi ce que je fais actuellement » L’institution dans laquelle elle travaille ne lui renvoie pas le contraire. Par contre, elle parle de l’extérieur de manière plus critique : « je trouve que l’extérieur n’est pas très clair avec ce qu’il demande aux éducateurs ». « La société nous demande l’impossible (…) on nous demande trop à un moment donné », « il y a de belles paroles, de belles demandes, mais finalement dans le concret(…) quand je me lève et que je vais travailler, plus personne ne se pose de questions ». Cette éducatrice s’interroge sur les fondements même du travail qui est demandé : « Les attentes, est ce que la société les formule vraiment ? ». « Le dernier maillon, c’est l’éducateur et du coup il se débrouille ». La société et les parents des jeunes « attendent qu’on les prenne en charge et qu’ils fassent le moins de vague possible ». Il y a pour elle, dans ce qu’elle fait au quotidien « quelque chose de rebelle », « on devient éducateur par rebellion (…) un peu justicier, mais finalement on est pas du tout rebelle dans l’acte ». « Je ne me sens pas emprunt d’une mission de société,(…) mais emprunt de quelque chose qui au départ est personnel ». 3.8 Isabelle « Accompagner les jeunes dans leur vie » apparaît aussi dans le discours de cette éducatrice, qui explique que beaucoup voit ce qu’elle fait comme quelque chose de « dur », mais pour elle ce « n’est pas si dur », « il y a du bien et du moins bien ». Travailler en internat, c’est être « dans un lien plus fort, plus constant, plus régulier ». Ce qu’elle aime dans le quotidien qu’elle vit avec les jeunes, « c’est la relation dans la continuité », car « il y a la personne en face de soi ». Parfois cela peut être « violent à vivre » et quand la violence est trop présente, « le pouvoir des mots n’existe plus ». ¨Parfois, il faut alors « mettre une barrière », quand les éducateurs arrivent à leurs « limites d’humain et de professionnels ». Il ne faut pas pour autant ne s’appuyer que sur des règles, « je me rends compte que ces choses elles sont dérisoires, j’ai pas besoin de règles posées et strictes pour sentir que je travaille », « avoir des règles, cela permet de se protéger du conflit » et « avoir des règles strictes, c’est se protéger de la relation aux jeunes », alors que pour elle, le travail « c’est la relation » et « le cadre de l’internat en lui même pose un cadre ». Il n’y aurait donc pas besoin de trop en rajouter. On comprend donc, à travers son discours, qu’être éducateur c’est un « investissement quotidien » important. D’ailleurs elle rappelle à plusieurs reprises, « qu’il faut savoir donner de soi » et « que si on refuse de s’impliquer, on peut pas aller loin ». « On est dedans, on les vit » car « dans le quotidien, il y a toujours des choses valorisantes ». Être éducateur en internat, c’est « l’impression d’avoir deux familles ». Être éducateur auprès de ces jeunes, c’est donc « les aider à comprendre qu’ils ont la possibilité de faire des choix , qu’ils ont plusieurs possibilités devant eux (…) en acceptant qu’ils ne les fassent pas forcément quand ils sont avec nous ». L’important est donc « qu’ils partent avec les billes pour le faire ». Cependant, tout en intervenant en internat, cette Isabelle s’interroge : « l’internat est ce que c’est la bonne solution ? » ou encore « vu le travail social et la réalité de la société, est-ce que l’internat est la meilleure solution ? ». C’est cependant, pour ces jeunes, la possibilité de « sortir du milieu où ils étaient » et « d’être confrontés à des adultes ». Mais « est-ce qu’on fabrique des assistés ? des jeunes très adaptés au fonctionnement institutionnel, mais pas forcément capables de se débrouiller tous seuls ». Pour elle, « on leur demande de grandir super vite(…) on a la volonté qu’ils deviennent indépendants, mais on est là tout le temps ! ». Se poser toutes ces questions et « garder cela en tête, pour faire attention avec certains jeunes de ne pas rentrer dans ces travers » est quelque chose qui est important pour elle. Elle se dit présente, pour « s’occuper des jeunes qu’on nous confie » et les amener « à la réussite », ou en tout cas dans « une inscription dans un projet ». C’est aussi être présent « pour les protéger de ce qu’ils peuvent faire et de ce qu’ils peuvent subir ». C’est donc être un peu « les pompiers du social », car elle explique qu’ils sont « au front dans les difficultés de la société ». Elle se montre d’ailleurs à cet égard très critique en affirmant qu’elle « pense que la société actuelle ne se donne pas les moyens pour que les réels problèmes des jeunes adolescents accueillis soient pris en compte d’une façon plus efficace ». Pour elle, les éducateurs ne « sont pas utilisés comme il faudrait ». Elle se rappelle, par exemple que dans les émeutes des banlieues en 2005, « les premiers qui auraient du être interrogés, ce sont les éducateurs », car ce « sont des gens de terrain (…) méconnus de la société ». Il faudrait plus être sur « de la prévention, de l’anticipation et de la construction » et ne pas « être que dans l’urgence et le dernier recours ». Car elle rappelle que « quand il y a placement, c’est qu’il y a eu signalement et que c’est donc rare qu’il y ait placement sans rupture ». Elle s’interroge donc sur « pourquoi placer un jeune, pourquoi ne pas le maintenir dans sa famille ? ». Elle pense que les éducateurs d’internat peuvent être « vécus comme des personnes qui peuvent résoudre tous les problèmes » et que pour les parents « on est là pour faire en sorte que leur enfant devienne meilleur (…) surtout à l’image de ce qu’ils attendent ». Pour elle, les éducateurs peuvent être « un soutien à un moment donné ». 3.9 Bilan des discours sur le métier Nous touchons ici le cœur de ce qui préoccupe, les personnes que nous avons rencontrées. Une nouvelle fois, nous pouvons tout d’abord relever que selon les personnes rencontrées, le discours est plus ou moins étoffé et développé, mais nous pouvons cependant constater que chacune des personnes rencontrées, a pu s’exprimer de manière assez importante133 sur leur métier et ce qu’elles font chaque jour auprès des adolescents qui leur sont confiés en internat éducatif. Nous pouvons retrouver dans la quasi-totalité des discours, l’idée centrale de la « relation » qui semble être au cœur de l’action quotidienne des éducateurs. Ce terme est cité de nombreuses fois par les locuteurs qui en font un des outils principaux de leur travail. Cette relation se fait grâce à la « rencontre », autre idée mise en avant par les professionnels. Cela leur permet d’être en « lien » et ainsi de faire vivre et circuler la « parole » pour permettre aux jeunes de prendre conscience de leur situation, de leur parcours, de leurs projets. 133 Nous faisons ici une nouvelle fois référence à la quantité de discours énoncé sur le thème concerné. Cependant, mettre en évidence ces différents éléments qui sont en quelque sorte les outils de l’éducateur ne doit pas faire oublier ce qui anime les éducateurs. Qu’est ce qui guide leur action quotidienne ? Si dans notre troisième partie, nous tenterons de mettre en évidence des modèles ou des figures d’éducateurs, arrêtons-nous quelques instants sur ce que disent les éducateurs à ce sujet. Tout d’abord et de manière quasi unanime, il est question d’un travail « d’accompagnement ». En effet la plupart des éducateurs font explicitement référence à cette idée, qu’il rattache au mouvement : aider « à gravir l’escalier », « faire un bout de chemin », « permettre aux jeunes de s’envoler » ou encore « pousser ». Il est également beaucoup question d’accompagner vers l’autonomie. L’éducateur est alors celui qui aide à grandir, qui aide à « l’épanouissement ». Il peut être celui qui vient suppléer en précisant qu’il ne remplace ni la mère ni les parents, mais celui qui peut-être « béquille », sur laquelle le jeune peut s’appuyer un moment, tout en sachant qu’être éducateur en internat auprès d’adolescents, c’est seulement être présent durant un moment de la vie du jeune. Les éducateurs ne verront donc pas forcément les fruits de ce qu’ils auront semé, pour faire référence ici aux images de jardinage parfois employés par nos interlocuteurs. Il s’agit d’aider les adolescents à grandir, malgré leurs histoires personnelles souvent douloureuses et qui d’ailleurs, nous pouvons le relever dans les discours, semblent toucher les éducateurs. Beaucoup d’entre eux précisent cependant, qu’être touché du côté de « l’humain », ne doit pas empêcher de garder la tête froide et de rester avant tout « professionnel ». Certains des éducateurs rencontrés se montrent plus précis sur le sens de leur action. En effet pour eux il ne s’agit pas seulement d’apporter une éducation et de soutenir projets scolaires et de formation134, mais il s’agit aussi et avant tout d’aider les jeunes à « faire des choix » comme peuvent le répéter à plusieurs reprises, par exemple, les locutrices 8 et 9. Il s’agit alors ici plus d’un rôle de passeur, d’émancipateur que de transmission de codes ou de valeurs. Il s’agit de donner aux adolescents, la possibilité d’être maître de leur avenir. 134 Ce qui principalement repris par les interlocuteurs 1, 2, 3, 4 Chapitre 4. Le discours sur les adolescents Nous avons tout d’abord mis en évidence, les éléments relatifs au parcours de chacun des éducateurs, puis dans un second temps, le discours sur le métier d’éducateur d’internat. À présent, nous allons mettre en lumière les éléments concernant les adolescents eux-mêmes : ceux qui sont au cœur de la prise en charge éducative, ceux sans qui ces professionnels ne seraient pas là. Quel regard portent-ils sur ces jeunes ? Qu’en disent-ils ? Ce sont autant d’éléments que nous allons mettre en évidence dans ce chapitre. 4.1 Alberte Tout d’abord et quasiment en introduction de son discours sur les jeunes, cette éducatrice nous explique « qu’un enfant doit vivre avec ses parents ». Nous comprenons alors très vite, que son intervention auprès d’eux vise à maintenir « les liens familiaux » qui sont nommés comme « les racines ». Ces jeunes sont alors présentés, comme des victimes d’une « problématique familiale ». Notre interlocutrice porte un regard très positif sur eux. Elle présente les adolescents, comme des êtres fragiles plein de « fraîcheur », comme des « petits oiseaux » qui « demandent toujours quelque chose », mais qui « ne sont pas obtus » et « écoutent même si on a l’impression que non » . Un enfant est pour elle, plein « d’innocence et d’humour » et pas « abîmés par la vie » comme peut l’être un adulte. Nous comprenons que selon elle, l’adolescent subit ce qui lui arrive et notamment le placement qui est mis en oeuvre et qu’il peut alors être excusé, s’il fait des choses qui ne sont pas adaptées : « on peut faire n’importe quoi quand on n’est pas bien » et « qu’il est normal que les jeunes puissent tomber au fond parfois », précise-t-elle d’ailleurs, pour être bien comprise. Pour elle, les jeunes ont besoin de « faire confiance aux adultes » et alors ils peuvent montrer « que l’on sert à quelque chose ». 4.2 Boris Parler des jeunes dont il s’occupe ne vient pas de manière spontanée dans le discours de cet éducateur qui parle plus facilement de son métier et des missions qui lui sont confiées. Les jeunes sont évoqués principalement, à travers leur statut d’élève. En effet, il parle de ces jeunes qui sont « dans le refus de la scolarité » et « qui n’ont pas choisi d’être là », ce qui rend alors la mission éducative plus complexe, car c’est à travers l’accompagnement aux devoirs que semble se passer beaucoup de choses : « les devoirs, c’est un temps où il se passe beaucoup de choses, pour des enfants qui n’arrivent pas à aller à l’école ». Il rappelle également que « c’est difficile, les enfants qui ne sont pas là où ils devraient être, par exemple à l’école ». Il met en évidence deux types de jeunes dont il s’occupe, les adolescents qui prennent beaucoup de place et « qui parlent beaucoup », face à d’autres jeunes, plus introvertis et qui « ne disent rien, mais ont besoin de présence ». 4.3 Charlotte Pour cette éducatrice aussi, « cela a été compliqué » pour les adolescents dont elle s’occupe. Ils ont « du mal à faire confiance aux adultes » et ils s’interrogent « beaucoup sur l’intérêt que les éducateurs leur portent réellement ». Ces jeunes vivent des choses difficiles et semblent, d’après elle, en être très conscients : « ils savent très bien où cela fait mal dans leur situation ». Elle différencie « ceux qui bougent moins » et « qui sont laissés de côté » et les autres qui mobilisent beaucoup les éducateurs et effacent par conséquent le jeune « qui ne fait pas carnage » qui est un « jeune qu’on ne va pas chercher tout de suite ». 4.4 Danielle Cette éducatrice en parlant dans l’entretien des jeunes dont elle s’occupe, met en évidence que le placement en institution fait que l’adolescent accueilli n’est pas « un adolescent classique »qui peut « se reposer » chez ses parents. Il semble en effet qu’il y ait plus d’exigence à son encontre alors « qu’à dix sept ans, on ne peut pas attendre du jeune de faire tout ce travail » de prise en compte de sa situation personnelle, « de prise de recul ». Souvent les « parents ont demandé le placement parce qu’ils ont beaucoup de difficultés avec leur jeune ». Les adolescents ont donc des « histoires très compliquées » et ils sont « en carence affective ». Ils sont alors « très difficiles et vont souvent au conflit » car « on ne leur a jamais dit non ». Se prenant un peu pour « le maître du monde », il n’hésite pas à se « confronter » à l’adulte, « comme s’il avait une maîtrise un peu magique des choses ». Elle vient cependant un peu atténuer ce discours en précisant qu’à l’extérieur de l’institution les jeunes sont « différents » car « dans la vie sociale, ils se permettent moins ». L’éducatrice perçoit en effet, que les jeunes ont de réelles capacités et « qu’ils avancent tout doucement » même « si on a l’impression que non ». L’adolescent peut « mettre de mots » sur son histoire et son parcours. Elle explique que ce passage en institution lui permet de faire « son chemin » et « puis ça continue après nous », car « c’est sa vie et c’est lui qui l’a fait ». Pour cela, il faut que les jeunes apprennent « aussi à entendre ». Cette professionnelle insiste cependant sur le fait que « quand on est adolescent, il y a besoin de s’épanouir et de se faire plaisir » Parler de ces adolescents, pour elle, c’est aussi parler des parents pour qui accepter le placement « ça peut vouloir dire : là où je rate, je vais demander à quelqu’un de le faire ». Cela vient donc interroger « la place de la mère, du parent qui peut ressentir qu’il est mauvais ou bon », « il peut y avoir alors plein d’ambiguïté qui se joue dans la relation parents éducateurs ». Il peut y avoir « un double rôle » qui s’instaure « pour garder cette relation privilégiée qu’à une mère avec son enfant » et si « ce n’est pas de la haine, c’est en tout cas du ressenti négatif par rapport aux éducateurs » qui peut s’exprimer de la part des parents mais aussi du jeune placé. Ce sont « des choses très profondes qui peuvent se brasser, sans même s’en rendre compte (…) des choses quand même intimes ». 4.5 Evelyne Cette éducatrice se montre également très attentive à la situation de ces adolescents qu’elle prend en charge « qui n’ont plus rien » et qui peuvent être « complètement cassés ». En effet, « c’est pas facile de se retrouver sans famille », « il y a absence des parents donc du lien ». Les jeunes qui arrivent en internat « essayent de refaire quelque chose en arrivant là ». Ils « viennent ici pour s’arrêter, pour se poser », en quelque sorte ils « redémarrent ». Ces adolescents « cassés (…) réussissent à se mettre en route », car il « y en a qui ne savent rien du tout des tâches matérielles ». Il faut être présent et ils peuvent être « dans l’écoute », même si « cela peut être vachement difficile quand ils sont sous l’emprise de quelque chose », car il y a beaucoup « d’histoires autour du cannabis et de l’alcool », avec ces adolescents. Ils peuvent mettre « tout en échec » mais aussi être « dans l’écoute », quand ils sentent qu’il y a « quelque chose de solide en face » quelque chose qu’ils n’ont « peut-être jamais eu ». On entend dans ce que dit l’éducatrice que les adolescents sont très réceptifs aux discours que l’on porte sur eux, comme ce « père qui n’avait pas un discours valorisant sur sa fille ». Cela peut les amener à mettre « tout en échec ». Il « sentent bien quand on est pas bien », « ils aiment bien entendre » quand un adulte reconnaît qu’il s’est trompé. 4.6 Fabien Parler des jeunes directement, n’est pas facile pour Fabien. Il explique qu’il travaille avec « le public des quartiers » qui n’est cependant pas exactement le même que celui « qu’il y a en MECS »135. Pour lui ce n’est pas tout à fait la même chose, car les jeunes des quartiers, « ils ont déjà leur famille », en précisant également que « tous les jeunes des quartiers ne sont pas des délinquants ». En fait pour lui « c’est le même type de jeunes, avec des problématiques complètement différentes ». Ces 135 Maison d’Enfants à Caractère Social. « jeunes » ou ses « gamins », comme il dit souvent dans nos échanges, à la différence du travail en prévention spécialisée où « on les voit si on veut », ici en internat « ils sont là, on peut pas les éviter ». Ceci, même « s’il y a des jeunes qu’on n’apprécie pas ». Il « les accompagne en direct, au quotidien », pour leur permettre « de partir d’ici pas en réglant leur problème, mais en acceptant de vivre avec » en ayant pris « conscience de leurs difficultés » et en ayant compris « d’où ils viennent, ce qu’ils sont et où ils vont ». Dans cet objectif, il est pour lui important qu’une équipe soit cohérente, car « suivant le fonctionnement d’une équipe et d’une hiérarchie, les jeunes fonctionnent de la même manière » et alors « les gamins sont un peu perdus, parce qu’ils retrouvent ce qu’ils ont connu chez eux, l’explosion de la famille et des adultes ». On comprend que les adolescents ont besoin de « sécurité », pour pouvoir « avancer un peu, même s’ils reculent » à d’autres moments. Pour créer ce climat de sécurité, il y a donc besoin d’établir « du lien avec les jeunes, pas du copinage ». Ici, pour lui, pas question de tout mélanger, chacun doit être à sa place « adultes et jeunes », car ces derniers ne doivent pas « chercher à prendre le dessus ». Ces adolescents leur sont confiés pour « qu ‘on n’entende plus parler d’eux ». 4.7 Hélène « L’adolescence, c’est un moment de mal être (…) un moment où on découvre tout, où on a des idées préconçues, des valeurs », telle est la manière dont cette éducatrice met en évidence ce qui caractérise pour elle les jeunes dont elle s’occupe. Elle est présente pour « des jeunes qui ne peuvent pas rester chez eux, parce qu’à un moment donné, papa et maman ne peuvent plus s’occuper d’eux ». Elle prend donc en charge ces adolescents à un « moment de construction où on peut être mal et bien parfois », et où « les séparations sont douloureuses pour eux ». C’est un moment donné « de la vie où on peut rencontrer quelqu’un qui peut être à l’écoute » et « cela peut changer tellement de choses ». En tant qu’éducatrice elle est donc en relation avec des jeunes pour qui « la parole est quand même sacrément abîmée » et qui « la plupart du temps n’ont pas envie de parler ». Elle pense par exemple à ce jeune qu’elle a vu « arriver comme un animal, qui n’était pas doué de parole », « quelqu’un qui n’avait pas envie de voir les gens ». Elle parle de ces jeunes qui peuvent avoir des « pathologies », mais auprès de qui, on comprend qu’elle découvre « quelque chose de très riche qu’elle ne connaissait pas, mais qu’elle a découvert à leur contact ». Face à ces jeunes qui ne croient « plus en rien », elle agit pour « qu’il y ait au moins cette chance d’avoir un choix » même s’il « y a des jeunes qui font des choix de vraiment autre chose, des trucs fous, d’une vie dépravée ». Pour elle, même si à ces jeunes, « il faut toujours leur dire la même chose », elle rappelle que « chaque jeune est différent » et « qu’il y a toujours la parole, quand ils vont mal ». 4.8 Isabelle Pour cette éducatrice, les « adolescents en difficultés » accueillis en internat ont changé. En effet, elle a le sentiment qu « on accueille plus des bons délinquants », mais plutôt aujourd’hui « des jeunes en rupture affective et sociale », « des mineurs isolés », « beaucoup de jeunes qui n’ont pas de famille » et « des jeunes qui sont à la limite du psychiatrique et de l’éducatif » Face à ces constats, cette locutrice explique que « ce sont des jeunes qui peuvent nous toucher », mais aussi « nous perturber dans notre fonctionnement » et qui « peuvent nous interroger ». Cependant, elle constate également que beaucoup des jeunes « croient qu’ils sont obligés d’avoir un parcours et de faire des choses qu’ils leur sont imposées ». Alors que pour elle, il « y a des jeunes qui ont du potentiel » et « qu’ils ont la capacité de faire le bon choix ». mais qui « perturbés par tellement de choses, n’arrivent pas à le faire ». Elle reste cependant optimiste en notant quand ils quittent l’internat, ils « ont avancé et fait du chemin », même s’ « il en reste encore ». Quand ces jeunes rappellent plus tard les éducateurs, « ils sont fiers de dire, voilà maintenant j’en suis là ! ». 4.9 Bilan des discours sur les adolescents De manière générale, nous pouvons constater avec surprise que les éducateurs se montrent assez économes de leur propos vis-à-vis des adolescents dont ils ont la charge, même si ce qui est dit, révèle un regard à la fois bienveillant et révélateur d’une réelle inquiétude sur la situation et le devenir de ces « adolescents » souvent dénommés « jeunes ». Pour beaucoup, la question de « la rupture » familiale est à l’origine de l’éloignement nécessaire des adolescents qui expriment beaucoup de mal être : ils sont « cassés », leur parole « est abîmée », ils sont « perturbés par plein de choses », «ce ne sont pas des adolescents classiques», ils« ont des carences affectives ». Pour beaucoup, cela se traduit par des attitudes ou de comportements inadaptés. Ils font alors parfois « des trucs fous », ils ont une « vie de dépravés », car « ils ne croient plus à rien ». Les éducateurs remarquent aussi que « les jeunes ont changé » et que la question des « pathologies » occupe une plus grande place actuellement dans la prise en charge éducative de ces adolescents en souffrance. Pourtant malgré ces constats alarmants, chacun des éducateurs rencontrés porte un regard bienveillant sur ces adolescents dépeints comme « plein d’humour » et « de fraîcheur», qui ne sont pas « obtus » et qui « sont dans l’écoute », avec du « potentiel » et en capacité « d’avancer », même s’ils « ont du mal à faire confiance aux adultes » qui peut parfois se traduire par « ressenti négatif par rapport aux éducateurs ». Cette nécessaire relation aux adultes est un élément important que nous pouvons retrouver dans les discours, exprimé de manière différente, mais qui rappelle la place de l’adulte par rapport à celle de l’adolescent. On nous rappelle que pour ces jeunes, « il y a absence de parents », ce qui provoque des « séparations douloureuses ». L’arrivée en internat les amène alors à être en « lien » avec d’autres adultes à qui ils vont se confronter ou s’opposer pour aller vérifier s’il y a « quelque chose de solide en face ». Nous comprenons en écoutant les éducateurs, que ces adolescents sont en quête d’une relation avec des adultes fiables, pour être en « sécurité » et ainsi leur permettre de « redémarrer quelque chose » Conclusion de la partie Le traitement des entretiens, par le filtre de nos trois thèmes : parcours, métier, et adolescents, nous a permis de mettre en évidence des éléments clefs, que nous reprendrons pour comprendre sur quel « terreau », l’intervention des éducateurs d’internat se construit. Nous nous trouvons alors replongé dans le concept de représentations sociales dont nous rappelons à nouveau la définition de Denise Jodelet qui explique « qu’on reconnaît généralement que les représentations sociales, en tant que système d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, orientent et organisent les conduites et les communications sociales »136. Rappelons-nous également qu’aucun individu ne peut vivre en dehors d’un dispositif de représentations qui fonde son rapport au monde . Nous pouvons alors partir du principe, que chaque éducateur d’internat qui intervient auprès d’adolescent, construit son intervention professionnelle, à partir de ses propres représentations. Le décryptage du discours des professionnels, nous donne alors la matière nécessaire pour comprendre leurs représentations d’une part et d’autre part, nous permet de faire émerger quelques figures types d’éducateurs. Pour conduire ce travail, nous avons fait le choix de nous appuyer sur les éléments suivants : - Nous avons dans l’analyse des entretiens développée précédemment, fait le choix de retenir quelques éléments clefs qui nous apparaissent significatifs. Significatifs, parce qu’ils soutiennent le discours des éducateurs et semblent alors, être des éléments fondateurs de leur action éducative. Ces éléments, nous les retrouvons alors de manière récurrente dans le discours d’un ou de plusieurs éducateurs. Ils viennent éclairer d’une lumière particulière les fondements de leur action. - Notre analyse a été faite en découpant le discours de chacun des locuteurs, autour des thèmes principaux retenus. Nous avons fait le choix de ne pas revenir ensuite à une reconstruction de l’analyse par locuteur, car il nous est apparu que 136 In Pratiques sociales et représentations, sous la direction de J.Claude Abric- Ed PUF, 2ème édition 1997. cette démarche n’apporterait pas d’éléments supplémentaires à notre travail. Nous avons en effet la possibilité de retrouver les éléments principaux à partir de notre premier découpage. - Les figures de travailleurs sociaux mis évidence par des auteurs et que nous avions fait apparaître au début de notre recherche137, seront nos références pour tenter de comprendre comment les éducateurs rencontrés se positionnent. Nous pourrons, à partir de ces figures, qui seront pour nous des modèles, rattacher les éléments clefs évoqués plus haut. Nous pourrons alors constater que ceux-ci ne peuvent pas être regroupés sous une même figure, tant le discours de chaque éducateur est multiple et fait référence, selon les moments, à des modèles différents. Pour permettre une facilité de maniement de ces figures, nous avons fait le choix de simplifier les approches des trois auteurs retenus, en les regroupant, à partir des éléments qui nous apparaissent être communs. Nous constituons alors notre propre liste des figures d’éducateurs. 137 Nous faisons ici référence principalement aux travaux d’Yves Barel, de Jean-Paul Lassaire et au séminaire de sociologie du DSTS 23. TROISIEME PARTIE ÉMERGENCE DE FIGURES D’EDUCATEURS ET TENTATIVE DE COMPREHENSION DES TENSIONS Les éducateurs d’internat que nous avions rencontrés à l’origine de notre questionnement exprimaient beaucoup d’insatisfaction, vis-à-vis de leur pratique professionnelle quotidienne auprès des adolescents dont ils ont la charge. Nous arrivons, en abordant cette troisième partie à l’étape d’analyse de notre travail de traitement des entretiens que nous avons effectués auprès de neuf éducateurs. Que pouvons-nous tirer comme éléments de compréhension ? Pour répondre à cette question, nous avons fait le choix, de nous servir du travail de plusieurs auteurs qui dans leurs écrits ont mis en évidence ce que nous appelons des figures d’éducateurs. En effet, Jean Paul Lassaire138, mais aussi Joël Cadière139 de l’autre ont respectivement construit des figures d’éducateurs. Nous en rappellerons les principaux traits communs, dans un premier temps. C’est sur ces éléments que nous avons fait le choix de nous appuyer, dans un second temps, pour analyser les éléments clefs que nous avons retenus dans le traitement de nos entretiens. Cela nous permettra de comprendre à quelle(s) figure(s) se rattachent les éducateurs que nous avons rencontrés. Enfin, nous ferons un détour par la sociologie de Max Weber140, notamment en reprenant son double concept d’éthique de responsabilité et d’éthique de conviction. En effet, lors de la participation à un colloque141, en mai 2008, nous avons été particulièrement sensible à une intervention142 mettant en lumière les difficultés et les doutes rencontrés par des éducateurs d’internat. La référence à ce double concept de Weber a alors été développée et nous est apparue comme pouvant être une hypothèse de compréhension de notre propre question centrale : des éducateurs d’internat fondent leur pratique sur un certain nombre d’éléments qui peuvent se rattacher à des figures d’éducateurs, mais sont confrontés à une réalité quotidienne qui oblige à une certaine pratique et qui peut être en opposition ou en distorsion avec leurs convictions. N’est ce pas là que vient alors s’ancrer l’insatisfaction ? 138 Théories métisses des éducateurs: savoirs professionnels et représentations, Jean Paul Lassaire, Coll. Paradoxes de l’ordinaire, Ed. L’Harmattan-2004. 139 Approche compréhensive et essai de formalisation des représentations des pratiques des travailleurs sociaux, Joël Cadière- Thèse de doctorat-1991. 140 Le savant et le politique, Max Weber, Ed. La découverte-2003. 141 Colloque : « Sanction et punition en éducation ». ANTHEA, Marseille, 19&20 mai 08. 142 La sanction, aux limites de la responsabilité des institutions et des professionnels, N.Pechairal. Chapitre 1. Les figures d’éducateurs À partir des approches complémentaires de trois auteurs, nous avons fait le choix de construire, dans un but de simplification, trois figures d’éducateurs qui nous semblent significatives et qui seront ensuite un support solide pour analyser ce que nous avons mis en évidence dans notre seconde partie : que pouvons-nous retenir et modéliser du discours des éducateurs d’internat. En quelque sorte, nous pourrons par ce filtre, mettre en lumière des éléments qui fondent l’action des éducateurs d’internat. 1.1 Différentes approches Pour étayer notre démarche et construire nos propres figures d’éducateur, nous avons fait le choix avant tout de faire référence à différents auteurs qui ont traité cette question. C’est à partir de leur travail que nous pourrons ensuite faire une proposition. 1.1.1 Selon Jean Paul Lassaire Dans notre première partie, nous avions déjà fait apparaître l’approche de cet auteur143. Sans reprendre totalement notre développement d’alors, rappelons-nous simplement que l’auteur avait mis en évidence, au regard de l’évolution historique de l’intervention sociale, trois « modèles » d’éducateurs, qui apparaissent les uns après les 143 Cf. Page 29. autres, mais qui ne se substituent pas les uns par rapport aux autres, ceux ci continuant à vivre parmi les autres: - L’éducateur substitut parental et rééducateur, qui rappelle l’implication quasi totale de l’éducateur d’internat, chargé alors des tâches primaires. Nous nous trouvons alors en présence de l’éducateur qui vient prendre le relais de parents en difficultés et ne réussissant pas à s’occuper de leur enfant, alors confiés à un internat éducatif. L’éducateur est celui qui prend soin, qui veille à l’hygiène et à l’équilibre de vie des enfants et adolescents : sommeil, nourriture, hygiène, jeux, - L’éducateur technicien, valorisant la relation. Il est alors celui qui permet aux liens entre parents et enfants de se rétablir, aux difficultés d’être nommées pour être dépassées. - L’éducateur gestionnaire de la différence et agent d’intégration. Il est celui qui accompagne le jeune dans son parcours personnel et de formation. Il veille à l’insertion et à la construction d’un projet de vie qui passe par un projet professionnel par exemple. Trois modèles qui se succèdent dans le temps, puis se conjuguent parfois pour donner une consistance différente au rôle et à la place qu’occupent les éducateurs. Chacun alors dans son parcours personnel et professionnel, développe alors des compétences et des appétences différentes qui peuvent se raccrocher à tel ou tel modèle défini par Jean Paul Lassaire, pour fonder leur action quotidienne auprès des adolescents qui leur sont confiés. 1.1.2 Trois « modèles » de travailleurs sociaux selon Joël Cadière144 Dans son travail, Joël Cadière nous apporte un éclairage qui vient s’articuler avec les éléments de Jean Paul Lassaire et qui vient insister un peu plus encore sur ces modèles d’éducateur qui interviennent auprès des populations en difficulté. Nous en avons retenu trois éléments principaux : 144 D’après Approche compréhensive et essai de formalisation des représentations des pratiques des travailleurs sociaux- thèse en sociologie- Université Lumière Lyon 2- 1991 et séminaire de sociologie DSTS 23- promotion 2004-2007. - L’éducateur Promoteur qui se donne avant tout une mission. Son intervention auprès des personnes s’origine dans son histoire personnelle et son implication est avant tout militante. Il cherche l’émancipation des individus et véhicule pour se faire des valeurs fortes auxquelles il s’adosse pour faire vivre son action. - L’éducateur Bâtisseur qui a pour but de réparer : « Bâtisseur, tu parles de façon évasive de ce choix professionnel comme d’une réparation au regard de ton passé ». - L’éducateur opérateur qui est avant tout un rouage dans le système social. C’est un technicien qui apporte un savoir faire dans une chaîne d’intervention auprès de bénéficiaires. 1.1.3 Yves Barel un précurseur dans l’élaboration de Figures Dans notre première partie, nous faisions référence aux travaux d’Yves Barel, datant pourtant de 1982. Celui-ci met en avant trois aspects dans l’action du travailleur social : - La réparation, l’éducateur étant là pour aider les gens à résoudre leurs problèmes. - La normalisation, l’éducateur étant là pour accompagner les marginaux et tenter avec eux de les réintroduire dans la norme sociale. - Le contrôle social, l’éducateur ayant par le mandat qui lui est donné, pour également pour mission de veiller à l’évolution des personnes dont il a la charge. 1.2 Synthèse des trois approches À partir de ces trois approches, nous souhaitons, pour nous les approprier, construire nos propres figures d’éducateurs. En effet, si nous faisons le choix de nous appuyer sur ces trois auteurs, il sera plus opérationnel de nous référer à notre synthèse personnelle, dans la suite de notre travail. 1.2.1 La réparation L’éducateur intervient auprès des usagers qui ont connu des carences. En ce qui concerne les éducateurs d’internat, ils accueillent des jeunes qui connaissent des difficultés dans leur développement personnel du fait des difficultés familiales. Il vient, avec le support du quotidien, tenter de redonner confiance, soutenir pour que le jeune redémarre, avance, évolue et puisse avoir un avenir : « l’éducateur observe et utilise la vie réelle, aussi bien l’environnement social que les situations de la vie quotidienne, comme support principal de toute action »145. C’est à partir de ce quotidien, « de ce terre-à-terre, de ce ras les pâquerettes, que ce construit la clinique éducative »146, et que l’éducateur d’internat va apporter sécurité et réconfort, pour que le jeune, l’adolescent puisse se (re)construire, après des épreuves difficiles, des tensions familiales extrêmes, des ruptures douloureuses. Il faut redonner un rythme et une hygiène de vie, mis à mal par une vie familiale souvent décousue, où les parents n’ont pas pu, n’ont pas su imposer et tenir un cadre nécessaire pour grandir. L’éducateur vient alors réparer ce qui peut l’être. 1.2.2 L’émancipation Il faut que les jeunes qui leur sont confiés puissent grandir et se construire un avenir, à partir de choix qu’ils pourront avoir fait. C’est un peu de cette manière que nous pourrions résumer le profil de cet éducateur émancipateur. Il ne s’agit pas ici d’apporter du soin, mais de convoquer l’individu dans sa responsabilité, afin qu’il fasse ses propres choix de vie et qu’il ne reste pas dans l’exclusive dépendance des autres. Il doit pouvoir être un individu libre. Libre de ses choix et de ses erreurs, libre de ses projets et des chemins qu’il prendra. 145 146 In Le quotidien en éducation spécialisée, Joseph Rouzel, Ed.Dunod.2004. Ibidem. 1.2.3 Le technicien L’éducateur est un professionnel qui est passé par une formation spécifique. Il est celui qui met en place des projets, met en œuvre des entretiens éducatifs et qui connaît les rouages institutionnels. Il peut accompagner un jeune vers le « bon interlocuteur » : celui qui pourra aider à l’orientation scolaire ou professionnelle, celui qui peut mettre en place du soin, celui qui peut prendre le jeune en stage. Il est aussi celui qui connaît les lois, celui qui sait faire un rapport de synthèse, une note à destination du Juge. Il participe à des concertations, des audiences, … Il est un technicien de l’éducation. Il peut être aussi un technicien de la relation, celui qui a appris quelques techniques de communication, grâce à un stage de formation continue. 1.3 Tentative de rattachement aux trois figures Nous avons rencontré neuf éducateurs intervenant en internat éducatif. Neuf regards sur un parcours d’éducateur, sur un métier et une intervention ; neuf regards sur des adolescents pris en charge dans ces foyers. Nous avons fait des croisements, mis en évidence des éléments communs, mais aussi des éléments de divergence. Quels rapprochements, pouvons-nous construire à présent au regard des figures que nous avons retenues ? Pour construire cette analyse, nous avons fait le choix de ne retenir que les éléments qui nous semblent éclairants et significatifs, car présents, de façons différentes, dans les différents discours d’éducateurs. 1.3.1 Le parcours personnel de l’éducateur et l’idée de choix Pour beaucoup des éducateurs rencontrés, cette notion de choix est importante quand ils parlent de leur parcours tout d’abord, mais également ensuite dans ce qui soutient leur action éducative auprès des adolescents. 1.3.1.1 Faire un choix, quand il s’agit de son avenir professionnel En ce qui concerne le parcours, la plupart des éducateurs avaient insisté sur cette idée de choix. En effet, beaucoup parlaient du fait qu’ils avaient dû faire un choix, à un moment de leur vie. Pour certains, ils semblaient destinés à une autre profession : comme cette éducatrice147 qui nous explique qu’elle a d’abord eu envie d’être « institutrice » ou cette autre148 qui nous dit qu’elle se destinait à être « Juge des enfants », mais chacun décidait alors de faire un autre choix. Ils avaient croisé une personne, partagé les actions d’une association de quartier qui fait du soutien scolaire, vécu avec un membre de leur famille handicapé, ou rencontré d’autres jeunes dans un quartier. Ce sont ces rencontres qui leur ont fait prendre conscience qu’ils voulaient faire un autre choix professionnel. Pour d’autres, il s’agissait après un premier choix de formation professionnelle ou une première partie de vie professionnelle dans un champ totalement différent de l’éducation spécialisée, de prendre un virage important et de se réorienter : comme cet éducateur149 qui nous parle « d’une remise en question » après avoir fait des études techniques, ou cette éducatrice150 qui évoque « son choix » de devenir éducatrice après avoir travaillé de nombreuses années dans le commerce. Dans tous ces exemples relevés au fil de nos rencontres, nous constatons que l’idée de choix personnel est centrale. Elle vient remettre en cause le choix d’une première orientation ou même une formation menée jusqu’à son terme, pour s’orienter ensuite vers la profession d’éducateur. Choisir avant toute chose et être alors « maître » de son parcours. 147 148 149 150 Nous évoquons ici le discours d’Hélène. Il s’agit dans ce cas d’Isabelle. Il s’agit ici de Boris. Alberte. 1.3.1.2 D’un choix personnel à l’accompagnement dans le choix Il est très intéressant de voir le lien, même inconscient, que peuvent faire certains éducateurs entre cette idée de choix personnel qui a été le terreau de leur orientation professionnelle et ce qui semble guider leur action éducative ensuite, auprès des adolescents dont ils ont la charge. Reprenons pour illustrer notre propos, quelques mots que nous avons pu relever dans les différents discours : « le principal côté de mon travail, c’est de leur permettre de faire un choix »151 ou encore comme le précise cet éducateur152 « les aider à comprendre qu’ils ont la possibilité de faire des choix », « qu’ils puissent entrer dans la vie active en étant un peu à jour entre d’où ils viennent (…) et vers quoi ils veulent aller ». Faire des choix personnels pour permettre ensuite à ceux dont on s’occupe de pouvoir faire leurs propres choix semble être ici un élément important du socle des convictions, des valeurs, pour ces éducateurs. C’est ce qui guide réellement leur action quotidienne auprès des adolescents. 1.3.1.3 Ce droit au choix, pour construire sa vie En reprenant cette idée de choix, nous pouvons alors faire référence à la figure de l’éducateur émancipateur. En effet, l’éducateur quand il permet ou favorise la réflexion du jeune, il l’amène alors à prendre position, à choisir son chemin de vie en tout état de cause. L’éducateur est celui qui encourage l’audace, qui convoque la création personnelle, pour permettre de grandir et faire un choix de vie. On comprend,qu’il s’appuie dans cette démarche éducative, sur son propre parcours qui l’a conduit lui-même,nous l’avons vu, à faire un choix à un moment donné. Il soutient alors l’autre dans ses choix personnels, qui ne seront d’ailleurs pas forcément en accord avec les choix qu’aurait pu faire l’éducateur pour lui-même : « même si ce n’est pas le choix que j’aurai fait »153, précise par exemple une éducatrice. En encourageant le choix personnel, il valorise l’individu dans sa nécessaire capacité à s’émanciper des injonctions de l’entourage. 151 152 153 Hélène. Fabien. Isabelle. 1.3.2 Être en relation pour accompagner Dans cette simple affirmation « être en relation pour accompagner », nous retrouvons deux idées qui sont largement développées par la plupart des éducateurs et éducatrices que nous avons rencontrés. Chacun quand nous les interrogeons sur leur pratique professionnelle met en avant cette double idée de relation et d’accompagnement 1.3.2.1 Être en relation L’éducateur quand il travaille en internat ne peut éviter d’être en relation avec les adolescents dont il a la charge : «Cela passe obligatoirement par le vivre avec l’autre »154. Il va partager le quotidien avec ses jeunes, allant même jusqu’à avoir parfois le sentiment « d’avoir deux familles ». Il va vivre des moments agréables qui permettront de « prendre du plaisir avec les jeunes »155 ou au contraire des moments nombreux de tensions ou de conflits. Mais c’est à travers tous ces moments de vie partagée, que la relation se crée et que la confiance peut alors peut-être exister entre adolescents et adultes. Nous comprenons alors que la question de l’humain est fondamentale, pour tous les professionnels rencontrés : «il s’agit d’apporter une touche humaine » explique d’ailleurs clairement une éducatrice156. Pour résumer leur pensée, il s’agit de travailler au quotidien avec des adolescents qui sont dans des situations personnelles souvent lourdes. Chacun insiste alors sur le fait qu’ils peuvent être touchés par ces situations, mais qu’ils doivent réussir à garder une certaine distance pour ne pas être envahis, « éviter d’être pris au piège », comme le dit un éducateur157. Cependant, sans cette relation, il n’y a pas de travail possible. 154 155 156 157 Fabien. Danielle. Alberte. Fabien. 1.3.2.2 Accompagner les adolescents en souffrance Ce n’est que lorsque cette relation aura été créée, même parfois dans le conflit et la confrontation, que l’éducateur pourra mettre en place son accompagnement. Cette notion apparaît comme extrêmement présente dans le discours des éducateurs. Nous constatons concrètement, que l’idée d’accompagnement a pris le pas dans le discours éducatif. Il s’agit toujours d’être en mouvement, pris au sens de dynamique, car il s’agit alors de « soutenir », « pousser », « encourager » ou même parfois « forcer », pour permettre aux adolescents de sortir de cette spirale négative souvent décrite par les éducateurs eux mêmes. Il s’agit de leur permettre d’avancer dans leur vie, dans ces moments fragiles et fragilisés par l’histoire familiale. Nous comprenons ici qu’il s’agit avant tout pour les éducateurs « d’être présent »158, à côté, parfois en tenant la main ou en servant de « béquille »159 de manière temporaire, pour emmener vers l’âge adulte. 1.3.2.3 Relation et accompagnement : deux notions clefs pour aider les adolescents à rester debout. Si l’idée de choix160 apparaît en filigrane de nombreux discours de professionnels, nous pouvons par contre relever que l’idée de relation et celle d’accompagnement sont présentes, elles, de manière très explicite161 dans le discours. Tous les professionnels que nous avons rencontrés insistent beaucoup sur ces deux éléments qui portent leur action quotidienne auprès des adolescents des internats où ils travaillent. Il s’agit de deux piliers d’une action qui peuvent par la suite être déclinés de manière différente. Ce que nous aurions tendance à rattacher à des moyens, pour parvenir à des finalités - ici, éduquer par le biais de la relation ou grâce à l’accompagnement- semble rehaussé au niveau de fondements qui guident l’action. Y a t il confusion dans leur tête ? La question mérite d’être posée, car cette confusion ne 158 Evelyne. Danielle. 160 Cf. 1.3.1, p85. 161 En relisant la transcription des huit entretiens, nous nous apercevons que les mots accompagnement et relation sont répétés à de très nombreuses reprises, par tous les locuteurs. 159 participe-t-elle pas au mécontentement exprimé par les éducateurs ? En effet, ce qui est avant tout un moyen –l’accompagnement- est souvent difficile à mettre en œuvre du fait de la complexité des situations et la frustration est alors sans doute décourageante. En décryptant ces discours, nous comprenons pour notre part, que ces deux notions de relation et d’accompagnement viennent soutenir une valeur exprimée de manière plus discrète, c’est-à-dire permettre aux adolescents de (re)construire un projet personnel et professionnel. Ces jeunes sont en situation fragile et sont alors souvent englués dans des conduites d’échec. Il s’agit en les accompagnant dans leur quotidien, de les aider à reprendre pied, pour comme le rappelle une éducatrice162 « gravir un peu l’escalier », comme un écho à « l’ascenseur social ». C’est également « donner un coup de pouce, pour aider à rester debout », d’après un autre éducateur163. 1.3.2.4 Rattachement à la figure de la réparation « l’éducateur observe et utilise la vie réelle, aussi bien l’environnement social que les situations de la vie quotidienne, comme support principal de toute action »164. C’est à partir de ce quotidien, « de ce terre-à-terre, de ce ras les pâquerettes, que se construit la clinique éducative »165. Reprendre cette citation semble totalement approprié à ce que nous venons de décrire précédemment. Les éducateurs quand ils soutiennent l’idée d’accompagnement et de relation au service, comme nous avons souhaité le mettre en avant précédemment, tentent d’aider ces jeunes à s’extirper de leur situation, en les aidant à résoudre leur problème et à atténuer leurs difficultés. Nous nous situons alors dans l’idée même de la réparation. Il s’agit pour eux de permettre aux jeunes de surmonter leurs fragilités. « Faire avec », «être avec », sont autant de moyens pour y parvenir, que ce soit en permettant à ces adolescents de retrouver une hygiène de vie166 adaptée à leur âge, ou comme nous le verrons plus tard en les soutenant dans leur projet de formation, ou leur démarche de soins 162 Alberte. Locuteur n°3. 164 In Le quotidien en éducation spécialisée, Joseph Rouzel, Ed.Dunod.2004. 165 Ibidem. 166 Cette idée englobe à la fois les rythmes de vie, mais aussi l’équilibre alimentaire et l’équilibre du rythme d’une journée. 163 psychologiques. Il faut apprendre aux jeunes, «les gestes du quotidien » rappelle cette éducatrice167. 1.3.3 Travailler avec des jeunes en souffrance En analysant les différents discours à notre disposition, c’est sans hésitation que nous pouvons retenir ce thème des jeunes en souffrance. Chacun des professionnels, avec des mots différents, parle de ce « public » avec lequel il travaille comme d’adolescents « cabossés par la vie ». 1.3.3.1 Un tableau noir Ce sont des jeunes « cassés », « perturbés », « en carence affective » et qui souvent ne « croient plus à rien »168. Ce tableau assez noir laisse apparaître la lourde tâche qui attend les éducateurs qui s’occupent d’eux. Il s’agit de vivre un quotidien avec des adolescents qui vont mal et qui mettent en œuvre des comportements souvent inadaptés. Les tensions sont alors toujours très fortes et la vie quotidienne en internat peut s’avérer complexe et lourde. 1.3.3.2 Une rupture familiale Dans de nombreux discours d’éducateurs, nous retrouvons cette idée de la « rupture affective »169 du fait de la séparation d’avec la famille et les parents. « ce n’est pas facile de se retrouver sans famille »170, comme le pose une éducatrice, semble être un postulat de départ très fort. Pour tous les éducateurs rencontrés, être en internat éducatif n’est pas une situation normale, certains même, comme cette éducatrice171 s’interrogeant pour savoir si c’est la meilleure solution : « est ce que l’internat est la meilleure solution ? ». Pour chacun le lieu normal de vie est bien la 167 168 169 170 171 Alberte. Rappel du Chapitre 2- 2.2.6 Bilan des discours sur les adolescents, p 76. Isabelle. Evelyne. Isabelle. famille, comme le résume simplement une éducatrice : « un enfant doit vivre avec ses parents »172. 1.3.3.3 Un double constat qui explique la nécessité du placement Nous nous trouvons donc face à un double constat. D’une part des jeunes en situation de rupture familiale douloureuse et déstabilisante et d’autre part des jeunes en situation personnelle très fragile voire déstructurée. Nous pourrions nous interroger sur ce qui conduit à cette situation de grande souffrance et notamment en essayant de comprendre si c’est le comportement des jeunes qui conduit à l’éclatement familial ou au contraire si ce sont les fragilités familiales qui conduisent le jeune à développer des comportements et des attitudes préoccupantes. Mais ce n’est pas le sens de notre recherche. Par conséquent nous nous arrêterons seulement à mettre en évidence ce double constat, pour nous arrêter longuement sur ce qui se joue pour les éducateurs en situation professionnelle, face à ces adolescents en souffrance. 1.3.3.4 Agir pour aider à sortir de la souffrance Face à ces jeunes qui sont en souffrance, nous entendons des éducateurs qui agissent dans le quotidien auprès d’eux, pour leur permettre de sortir de cet état. Pour certains comme cette éducatrice, il s’agit de « maintenir les liens familiaux »173. Pour de nombreux autres, c’est favoriser « l’épanouissement », comme le rappelle cette autre professionnelle174. C’est-à-dire permettre aux jeunes en souffrance de pouvoir reprendre pied dans leur vie en se posant dans le foyer où ils sont placés. Ils ont à faire à des adolescents qui bien que très marqués175 et éprouvés par leurs difficultés et leur parcours chaotique, ont des capacités réelles. Il y a donc à la fois constat de la souffrance, mais en même temps constat des ressources des jeunes accueillis. Comme le rappelle par exemple cette éducatrice en expliquant « qu’il y a des 172 173 174 175 Alberte. Alberte. Danielle. Cf. 1.3.3.1, p 90. jeunes qui ont du potentiel »176. On comprend alors que pour la plupart des professionnels rencontrés, il s’agit d’apporter de la « sécurité », comme le rappelle cet éducateur177, pour leur permettre de s’appuyer sur des adultes fiables. Même si la plupart des éducateurs insistent sur le fait qu’ils ne remplacent pas les parents des jeunes, nous constatons dans leur discours qu’ils se substituent quand même aux parents en difficultés. Ils veulent tenter de donner une autre image de l’adulte, à ces jeunes en manque de repères solides. L ‘adolescent a besoin de « quelque chose de solide en face », phrase prononcée par une éducatrice178, ce qui pourrait résumer parfaitement ce que pensent la plupart des professionnels que nous avons rencontrés. Les éducateurs semblent très souvent tiraillés entre l’idée de faire avec les jeunes et le souhait exprimé de n’ « être ni le père, ni la mère ». 1.3.3.5 Rattachement à la figure de la réparation À partir des éléments que nous venons de mettre en avant, nous pouvons une nouvelle fois, faire un pont avec la figure de l’éducateur « réparateur ». En effet, quand ceux-ci tentent de soutenir les adolescents pour qu’ils sortent de leur état de souffrance et de fragilité, c’est alors tenter de réparer ce qui a pu dysfonctionner dans le passé et qui a conduit au placement. Il s’agit alors de venir en aide aux parents démunis et qui ne réussissent plus à prendre en charge leur enfant au quotidien. L’éducateur, même s’il met tout en œuvre pour associer les parents179 à ce parcours du jeune dans l’établissement, est bien animé par l’idée que ce dernier est en souffrance dans son contexte de vie et qu’il faut agir pour changer cet état de fait. Nous nous trouvons totalement inscrit dans cette finalité de la réparation. 176 Isabelle. Fabien. 178 Evelyne. 179 C’est d’ailleurs, rappelons-nous, le sens même de la loi 2002-2 rénovant l’action sociale et médicosociale. 177 1.4 Synthèse du rattachement aux figures Les éducateurs que nous avons rencontrés mettent en évidence à travers leur discours, des éléments qui fondent leur action, auprès des adolescents dont ils ont la charge. Nous pouvons notamment rattacher ces éléments autour de deux figures d’éducateurs que nous avions retenues précédemment : d’une part, un rattachement fort et profond à la figure de l’éducateur émancipateur et d’autre part un second rattachement à la figure de la réparation : Les éducateurs rattachent leur action à l’idée d’un l’accompagnement des jeunes, vers un choix qui structurera leur vie. Il faut en effet avant tout les conduire à s’émanciper et à faire des choix personnels fondateurs de leur futur parcours d’adulte. Nous l’avons vu, ces éducateurs fondent très souvent cette valeur éducative, à partir de leur propre parcours qui a été fait d’étapes et de rencontres déterminantes, les conduisant pour devenir éducateur, à faire eux-mêmes un choix important, venant parfois remettre en cause le parcours établi. Nous nous situons là dans l’idée même de l’émancipation. Par ailleurs, les éducateurs, face à des jeunes souvent décrits comme ancrés dans une souffrance et des fragilités importantes, tentent par leur action quotidienne de les aider à sortir de cet état ou à dépasser leurs difficultés, pour grandir et construire leur vie. Nous nous situons ici dans l’idée de la réparation. C’est à partir de ce double axe, que les éducateurs fondent leur action éducative auprès des adolescents. Il ne faut pas pour autant se montrer manichéen en ce qui concerne le profil des éducateurs. En effet, le discours de chacun ne peut-être rattaché à une seule figure d’éducateur. Il apparaît plus évident, que dans le discours de chacun, nous retrouvons des éléments se rattachant à plusieurs figures. Chaque éducateur quand il agit et construit son action s’appuie sur ce que nous avons appelé des fondements, qui eux-mêmes font appel à des profils d’éducateurs différents : émancipation, réparation, notamment. Mais, pour aller plus loin, en reprenant une nouvelle fois les éléments des discours, nous pouvons comprendre que l’action quotidienne telle qu’elle est décrite est faite de moments complexes et d’actions concrètes qui ne vont pas permettre aux professionnels de mettre en œuvre les objectifs fondés sur les valeurs que nous avons mises en évidence précédemment. Nous nous trouvons alors dans la perception d’un écart que nous allons tenter à présent d’analyser en nous appuyant sur la théorie de Max WEBER180, relative à l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. C’est peutêtre de ce côté-là, que nous pourrons comprendre ce qui vient créer l’insatisfaction exprimée régulièrement par les éducateurs d’internat et qui rappelons le, ici était à la base de notre recherche. 180 Le savant et le politique, Max Weber, Ed. La découverte-2003. Chapitre 2. Tension entre éthique de conviction et éthique de responsabilité 2.1 Comprendre le concept Nous nous appuyons à présent sur le double concept élaboré par Max Weber. C’est à partir de celui-ci que nous allons construire une hypothèse de réponse. 2.1.1 quelques mots sur l’éthique Le dictionnaire Larousse parle de l’éthique comme ce « qui concerne les principes de la morale ». Si nous avançons dans la compréhension de ce concept, nous pouvons par exemple nous arrêter la définition de Philippe Corcuff181 qui s’appuyant lui-même sur les travaux de Ludwig Wittgenstein définit l’éthique comme étant « l’investigation de ce qui a une valeur ou de ce qui compte réellement, ou l’investigation du sens de la vie, ou de ce qui rend la vie digne d’être vécue ». 2.1.2 La théorie de Max Weber Dans la préface du livre réédité182 de Max Weber, Catherine Colliot-Thélène rappelle que le concept se comprend en travaillant l’opposition entre 181 In Éthique de conviction, éthique de responsabilité et utopie dans le champ politique allemand actuel, approches sociologique et philosophique croisées- Erwan Autès, Sous la direction de Philippe Corcuff, Mémoire de fins d’étude IEP Lyon-2004. 182 Le savant et le politique, une nouvelle traduction, Max Weber -Ed. La découverte-2003. éthique de responsabilité et éthique de conviction, expliquant que la seconde « s’entend d’une attitude uniquement soucieuse des principes et indifférente aux conséquences de l’action (…) ce que nous désignons usuellement par l’expression : « agir par conviction » ». Il s’agit donc de se rappeler que l’éthique de conviction ne s’évalue pas au regard du contenu des convictions, qui peuvent être différentes selon les cas183, mais de bien entendre ce concept en opposition à celui d’éthique de responsabilité qui va amener celui qui agit à prendre en compte avant tout, les conséquences de ses actes. Cependant, il est également fondamental d’après Weber lui-même de ne pas caricaturer le concept : « il va de soi que l’éthique de conviction n’implique pas l’absence de responsabilité, ni l’éthique de responsabilité, l’absence de conviction »184. Si en effet, les motivations et les principes éthiques ne sont jamais attestés sous des formes pures, mais qu’il n’est pas non plus possible de parler de responsabilité, là où la cause, donc la conviction est absente. C’est ainsi que Weber s’interroge : « à quoi se jaugerait en effet la responsabilité de l’homme politique, s’il était en vérité sans principe et sans objectif ?». C’est pour cette raison que le sociologue reproche aux pacifistes radicaux de l’époque, par exemple, de ne pas prendre en compte dans leur action les conséquences prévisibles de leurs actes. D’une part, nous retrouvons donc l’éthique de conviction qui invite l’individu à mettre en œuvre les principes et les valeurs auxquels il croit, sans prendre en compte les conséquences qui peuvent en découler. D’autre part, nous retrouvons l’éthique de responsabilité qui amène l’individu à agir en prenant en compte les conséquences des actes posés. C’est une démarche dans laquelle il est également important de savoir si on peut vivre avec les conséquences des actions. À partir de ce nouveau concept, nous pouvons à présent reprendre le discours des professionnels, pour tenter de comprendre où se situe l’éthique de conviction d’une part et d’autre part qu’est ce qui peut faire référence à l’éthique de responsabilité. Nous pourrons, pour déterminer cette dernière, prendre des éléments du discours que nous n’avons pas pour l’instant pris en compte dans notre analyse, mais qui semblent à présent significatifs, dans notre démarche de compréhension. 183 184 Qu’il s’agisse du politique et du savant par exemple. Le savant et le politique, Max Weber -Ed. La découverte-2003. 2.2 Du côté des éducateurs d’internat Il nous faut à présent nous attacher à nouveau à ce qui se joue pour les éducateurs dans l’exercice de leur mission auprès des adolescents. Le rattachement au concept de Max weber nous apparaît être une approche possible. 2.2.1 Identifier l’éthique de conviction Nous avons pu dans le chapitre précédent, mettre en évidence les éléments principaux qui fondaient l’action des éducateurs d’internat. Ces principes pouvant quant à eux être rattachés aux figures de réparation et d’émancipation. Nous pouvons alors concevoir que ces fondements constituent le socle de l’éthique de conviction de ces éducateurs, au sens où Max Weber l’entendait, c’est-à-dire ce qui invite à mettre en œuvre principes et valeurs auxquels croit l’éducateur. En effet, en faisant ce travail de regroupement puis d’analyse, nous avons insisté sur ce qui fait socle à l’action éducative. Les éducateurs que nous avons rencontrés, quels que soient les outils utilisés par la suite, agissent en s’appuyant sur de principes forts, basés sur des convictions établies. Rappelons-les très succinctement : - Accompagner les adolescents dans la possibilité de choisir. C’est un pilier important pour nombre des éducateurs que nous avons rencontrés. Il s’agit en effet de favoriser l’accession à capacité de faire ses choix propres pour construire sa propre vie. - Aider les adolescents à sortir de leur souffrance et de leur fragilité. Pour les éducateurs, il s’agit en effet, face à des constats de souffrances, mais aussi de fragilités et de carences éducatives, de soutenir et d’accompagner les adolescents pour qu’ils puissent se reconstruire et devenir des adultes solides. 2.2.2 Identifier l’éthique de responsabilité Dans notre démarche de compréhension des fondements, nous nous sommes plus particulièrement arrêté sur les éléments du discours relatif à ce que les professionnels mettaient en évidence pour parler de leur métier et de leur action éducative. En reprenant le traitement de ces discours, nous pouvons aussi nous arrêter sur ce que les éducateurs pensent que l’on attend d’eux. Nous pouvons alors de manière très intéressante faire alors ressurgir quelques éléments complémentaires qui viennent teinter d’une couleur différente les convictions exprimées par les uns et les autres. Cela apporte alors une dimension nouvelle à notre compréhension. 2.2.2.1 Ce qu’attend l’extérieur « Je ressens une pression en disant c’est vous les éducateurs qui devez réussir à sortir les jeunes de la panade », cette phrase prononcée par une éducatrice185 pourrait symboliser un fil rouge dans le discours de la plupart des professionnels que nous avons rencontrés. En effet, les éducateurs, quand il s’agit de parler de ce que pensent les autres186 de leur action éducative, insistent sur la pression ressentie du fait de l’attente de la société à leur égard. Nous pouvons de manière synthétique, en relever les points clefs : D’une part l’éducateur intervient pour qu’on « le jeune ne fasse plus de vague ». C’est une idée, énoncée de manière différente par les uns et les autres, mais que nous avons entendue très souvent dans les entretiens. L’éducateur est celui qui vient canaliser les jeunes pour éviter qu’ils ne fassent des bêtises et qu’ils n’importunent la société. Avec cette injonction, l’éducateur « doit se débrouiller tous les jours », nous rappelle par exemple cette éducatrice187. D’autre part, l’éducateur est celui qui permet « l’inscription dans un projet », qu’il soit professionnel ou scolaire. Nous comprenons ici, que les jeunes qui sont confiés aux 185 Danielle. Rappelons que dans notre guide d’entretien, nous avions demandé aux éducateurs ce que d’une part leur institution pouvait attendre d’eux et d’autre part, ce que la société pouvait attendre d’eux. 187 Hélène. 186 internats ne doivent pas rester sans solution. Il s’agit pour chacun, quels que soient ses difficultés, ses limites, voire ses troubles d’être inscrit dans une démarche de formation188. Une éducatrice189 résume d’ailleurs la situation, en disant « dans notre fonctionnement, on a la volonté qu’ils deviennent indépendants (…) qu’on les amène à la réussite ». Tous les éducateurs rencontrés ont parlé à un moment ou à un autre, de manière plus ou moins insistante, de cette nécessité de construire avec ou pour le jeune, un projet d’insertion sociale et professionnelle. Il s’agira alors de travailler avec les différents partenaires scolaires, ou d’insertion, pour que les jeunes « réussissent au niveau d’une orientation professionnelle »190 ou « qu’ils soient là où ils doivent être, c’est-à-dire l’école »191. Il s’agit dans ce cas de « leur apprendre des choses ». Il s’agira de soutenir, de réadapter, d’apporter le soutien nécessaire, pour que le jeune y parvienne. Dans ces deux axes d’intervention, nous nous situons cette fois, plus dans la figure de l’éducateur technicien192. Celui qui, par ses actions concrètes, ses savoirs faire, sa connaissance du terrain, des partenaires, des institutions, va devoir construire ce projet d’insertion sociale. Ce sont de véritables « pompiers du social », comme le dit cette éducatrice193, qui interviennent quand il y a crise, quand le jeune n’est plus inscrit dans rien et que ses parents ne savent plus comment faire pour changer la situation. 2.2.2.2 Des outils concrets d’intervention Nous pouvons en effet, constater la nécessité d’outils concrets nécessaires aux professionnels pour mettre en œuvre cet objectif d’insertion sociale. L’éducateur est alors celui qui notamment à partir de l’entretien éducatif, va réussir à faire émerger une mobilisation du jeune, qui par l’accompagnement concret dans une démarche, va soutenir le jeune pour qu’il aille chercher un travail, où qu’il reprenne attache avec son établissement scolaire. C’est celui qui grâce au travail d’équipe va 188 Le terme formation vient ici regroupé à la fois la formation professionnelle et l’inscription dans une scolarité quelle qu’elle soit. 189 Isabelle. 190 Evelyne. 191 Boris. 192 Cf. 1.2.3, page 85. 193 Isabelle. pouvoir se ressourcer pour repartir dans l’accompagnement éducatif d’un jeune à la dérive. Tous ces modes d’intervention que nous avons fait le choix de reprendre ici de manière générale et très synthétique sont retrouvés dans les discours de tous les éducateurs194. Chacun à un moment ou à un autre met en avant ces différents outils éducatifs qui permettent d’intervenir auprès des adolescents. 2.2.2.3 Mise en lumière de l’éthique de responsabilité À partir de ce que nous avons développé plus haut, nous constatons que nous nous situons à présent, dans cette dimension de l’éthique de responsabilité telle que Max Weber l’a définie. Les éducateurs peuvent identifier assez clairement et simplement, ce que les autres- que ce soient les partenaires, les instances de tutelle, les parents ou plus largement la société- attendent de leur action éducative auprès des adolescents placés. Il s’agit d’une part de canaliser les jeunes fragiles et difficile et d’autre part de les inscrire dans un projet de formation nécessaire à l’inscription sociale. Nous nous situons dans une dimension différente de celle mise en évidence dans l’énoncé des valeurs et des fondements. Nous sommes bien ici dans une dimension plus technique, plus concrète, dans laquelle des outils d’intervention sont mis en œuvre, en vue d’obtenir un résultat. Nous comprenons ici que ce résultat est avant tout rattaché à une dimension de construction d’un projet de formation. Les éducateurs en intervenant dans cette dynamique prennent en compte la notion de résultat et de conséquence des actions éducatives mises en œuvre, en n’oubliant pas non plus le regard de la société, des parents qui donnent de manière plus ou moins explicite, des objectifs précis et concrets aux éducateurs 194 Dans le traitement des entretiens, nous avons pu en effet, faire ressortir des éléments énoncés et relatifs aux outils utilisés par les éducateurs : entretien, quotidien, accompagnement physique des jeunes, support important de l’équipe éducative comme lieu de ressource. 2.3 Émergence d’une tension Reprenons à présent de manière globale et synthétique ce que nous avons pu mettre en évidence dans nos précédents développements. Il nous semble en effet que confronter ces différents éléments peut nous permettre de dessiner une réponse à notre problématique de départ. D’un côté, nous avons pu comprendre que les éducateurs rencontrés fondent principalement leur action sur une dimension émancipatrice -en soutenant les adolescents dans l’affirmation d’un choix de vie qui n’est pas forcément dicté par l’extérieur qui impose ses volontés et ses objectifs pour le jeune- et sur une dimension de réparation –en accompagnant le jeune vers un dépassement des fragilités et des difficultés constatées et qui pèsent sur l’évolution et l’épanouissement-. D’un autre côté, une dimension plus technique est mise en évidence, pour répondre à des finalités plus particulièrement issues du discours de la société, en direction des éducateurs d’internat –contenir les jeunes et les inscrire dans un projet d’insertion scolaire ou professionnelle-. Ces deux axes viennent mettre en lumière, les deux aspects du concept de Max Weber: - L’éthique de conviction –que nous pouvons rattacher ici à la figure émancipatrice et réparatrice de l’éducateur soutenu par les professionnels- - L’éthique de responsabilité –que nous pouvons rattacher alors à la figure de l’éducateur technicien qui intervient au quotidien auprès des adolescents, à partir d’outils concrets et opérants, pour tenter de l’inscrire dans un projet, nécessaire pour vivre en société-. Il est intéressant de relever que nous retrouvons dans l’intervention d’ un même professionnel les deux dimensions de ce concept. Ce qui était différent pour Weber luimême qui mettait en évidence cette double approche à partir de deux personnages différents : le politique et le savant. L’éducateur, d’après nous, réunit les deux versant du concept. Face à ces deux dimensions, nous pouvons comprendre qu’il peut y avoir divergence. Divergence entre l’éthique de conviction qui anime fortement les éducateurs que nous avons rencontrés et l’éthique de responsabilité qui les conduit à agir chaque jour pour tenter de répondre aux objectifs concrets de l’action éducative, telle qu’elle peut être véhiculée par la société et intégrer par les éducateurs comme une dimension importante : inscrire les jeunes dans un projet concret qui doit leur permettre de sortir de leur difficulté. Les convictions des professionnels apparaissent avant tout rattachées à la prise en compte de la dimension humaine et personnelle de chaque adolescent accueilli. Ils agissent pour permettre à l’individu, dans tout ce qu’il a de plus complexe, d’occuper une place d’homme ou de femme bien dans sa vie et bien dans sa tête, responsable de ses choix et de son parcours. Par ailleurs quand ils oeuvrent pour que les adolescents construisent un projet, nous pouvons alors comprendre que c’est un aspect à la fois concret, mais aussi réducteur de ce que les éducateurs pensent au plus profond de leur professionnalisme, mais aussi de leur conviction de l’épanouissement de l’individu. Du fait de cette tension entre deux aspects de l’action éducative, nous pouvons conclure qu’il peut y avoir une discordance, qui vient agiter les professionnels et développe alors chez eux un sentiment de malaise et de mécontentement. Ce malaise est d’autant plus important que l’action quotidienne est lourde et qu’elle vient empêcher ou freiner la mise en œuvre du projet d’insertion. Il peut alors en résulter un sentiment de nonréussite voire d’échec. Le malaise s’inscrit alors dans une double dimension : D’une part le sentiment de ne pas tenir compte avant tout de son éthique de convictionancrée dans les fondements des éducateurs (émancipation et réparation)-, en priorisant l’action concrète nécessaire mais réductrice. D’autre part, le sentiment de ne pas réussir à mettre en œuvre réellement l’éthique de responsabilité ancrée dans le projet social intégré par les éducateurs-, du fait notamment des difficultés du quotidien, rencontrées par les professionnels. Il ne faut cependant pas se montrer caricatural en laissant penser que les éducateurs ne sont ancrés que dans l’éthique de conviction, ne partageant pas, par ailleurs, ce qui est porté par la société et qui détermine de fait, des objectifs éducatifs pour les professionnels. Nous pouvons en effet comprendre que les choses sont plus complexes et plus diffuses et ne peuvent pas être schématisées par des blocs de conviction qui s’affrontent. C’est pour cette raison, sans doute que les éducateurs, quand ils sont interrogés sur les causes de leur malaise, ne peuvent pas y répondre facilement. Par contre, ils ne remettent pas ou très peu en cause la nécessité d’agir concrètement et dans un but opérationnel, auprès des adolescents. Ils sont tous convaincus de la nécessaire inscription des adolescents dans un projet d’insertion scolaire et professionnelle. 2.4 Schématisation du résultat Pour résumer plus simplement et plus clairement encore, le résultat de notre recherche, nous proposons à présent un schéma récapitulatif : Émancipation Réparation Technicien Fondements de l’action Attente de la société Permettre de faire le choix de sa vie Contenir les jeunes Soutenir le jeune pour qu’il dépasse ses souffrances. ÉDUCATEUR Inscrire les jeunes dans un projet social Éthique de responsabilité Éthique de conviction Action éducative mal vécue : Expression de malaise Sentiment d’échec Démotivation Chapitre 3. Accompagner les professionnels, pour éviter le désenchantement Dans son intervention195 lors du colloque d’Anthéa en mai 08196, N. Péchairal en parlant des insatisfactions exprimées par les éducateurs, dans l’exercice de leur travail, rappelle la nécessité pour les cadres éducatifs, de prendre en compte les écarts entre travail théorique et travail réel. Elle insiste alors sur la nécessité de réduire ces écarts, en mettant en œuvre des outils qui viennent « permettre de mettre des mots ». Il s’agit alors de ne pas laisser les professionnels seuls avec leurs doutes, leurs inquiétudes et leur « peur de mal faire ». C’est sans doute du côté de ces outils d’évaluation à mettre en œuvre, qu’il est intéressant de s’attarder à présent. Nous avions dans le début de notre travail197 évoqué une hypothèse de réponse à notre questionnement qui faisait état du manque d’évaluation. Nous avions alors fait le choix de laisser cette hypothèse, expliquant alors que dans l’établissement de référence, un énorme travail autour de l’évaluation interne avait été mené avec les équipes et qu’une réflexion sur la mise en œuvre de la loi 2002.2 avait été également menée. Il nous apparaît à la fin de ce travail qu’il est nécessaire d’y revenir, non pas pour remettre en cause le travail d’appropriation générale fait dans cet établissement, mais pour aller plus loin sur la question de l’évaluation quotidienne du travail des professionnels, par eux-mêmes. Nous nous situons là dans une démarche beaucoup plus précise et mettant en jeu de manière plus flagrante encore la possibilité de mettre des mots sur ce qui est vécu au 195 196 197 La sanction aux limites de la responsabilité des institutions et des professionnels. Sanction et punition en éducation, Anthéa, Marseille 18&19 mai 08. Cf. page 39. quotidien. Nous avons mis en évidence les sources des tensions internes en jeu dans le travail éducatif quotidien. Les éducateurs pris dans leur action ne peuvent réussir simplement à faire ce travail de mise à distance nécessaire pour porter un regard moins négatif ou pessimiste sur son travail. Favoriser cette évaluation du quotidien, à partir d’outils existants ou d’outils à créer, voilà ce qui nous apparaît important à présent. Accompagner d’un côté les professionnels de terrain et d’un autre côté soutenir les cadres chargés de cet accompagnement et de cette mise au travail, tels sont les deux axes que nous avons retenus dans cette dernière partie de notre travail. 3.1 Evaluer son travail 3.1.1 L’évaluation en question « Les discussions sur l’évaluation sont longtemps apparues comme abstraites et ésotériques. Des débats fumeux dans l’empyrée des chercheurs et des hauts fonctionnaires… Aujourd’hui le changement est radical. L’évaluation est à la mode et les évaluateurs poussent comme des champignons après l’orage. Mais les débats n’ont plus rien de sereins (…) »198. Cette affirmation a longtemps été partagée par les professionnels de l’éducation spécialisée. Ceux-ci étaient en effet très rétifs à toute idée d’évaluation. Le sentiment d’être jugé, mais également le sentiment que le travail social ne peut être évalué, reviennent dans ce que disent les professionnels. Michel Lecointe le résume dans un de ses ouvrages199, en disant : « qu’est ce qui fait que les formations à l’évaluation ou les moments d’une formation qui abordent ce problème sont des moments chauds, souvent conflictuels, parfois passionnels ? Pourquoi de telles poussées d’adrénaline, des prises de parti ou des refus catégoriques, une grande difficulté à aborder les pratiques réelles et à les travailler ? ». 198 Un médicament redoutable, C.Bachmann, in l’évaluation en travail social, études réunies par J.P Blaie & A.kruc, Ed. PUN, Coll. Espace social-1988. 199 Les enjeux de l’évaluation, Michel Lecointe, Coll. Défi-formation- Ed. L’harmattan-1997. 3.1.2 Qu’est ce que l’évaluation ? Avant d’aller plus loin dans notre tentative de mise en action des axes d’accompagnement des professionnels, arrêtons tout d’abord sur quelques éléments de définition de l’évaluation. En 1987, dans la synthèse de ces travaux sur l’évaluation, l’Association Française pour la Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence (AFSEA), présente l’évaluation comme une « démarche tendant à mesurer l’efficacité d’une action (…) »200. De son côté, Charles Hadji, spécialiste de cette question, définit l’évaluation de la manière suivante: « Evaluer n’est pas peser un objet que l’on aurait pu isoler sur le plateau d’une balance, c’est apprécier un objet par rapport à autre chose que lui »201. Il parle également « d’une opération par laquelle on prend parti, on se prononce sur une réalité donnée à la lumière d’une grille de lecture exprimant, à l’égard de cette réalité des exigences déterminées ». Alain TROGNON reprend quant à lui une définition de BEAUVOIS qui en 1976 définissait les conduites sociales d’évaluation de la manière suivante : « C’est une conduite supposant l’adoption d’un code prédéterminé, par laquelle un agent social porte un jugement à l’aide ou non d’une technologie (tests, examens, grille, …), des conduites ou de leurs résultats d’un autre agent social. Jugement initiant une ou des réponses de l’environnement sociales (sanctions) »202. Enfin, pour sa part, Jacques FERAGUS rappelle que « l’évaluation dans sa sémantique générale, induit l’action de déterminer la valeur de quelque chose. C’est une estimation ou une mesure approximative »203. Évaluer, c’est donc porter un jugement de valeur sur ses pratiques. C’est une manière de comprendre l’impact de ce que l’on met en place dans sa pratique professionnelle. Cela permet de pouvoir infléchir certaines actions, insister sur d’autres et en développer. Cela 200 In Cahiers d’E.C.A.R.T.S/ dossier l’évaluation en question n°5 1987. L’évaluation en question, Charles Hadji- ESF éditeur, Coll.Pédagogies, 2ème édition, Paris 1990. 202 Problématiques de l’évaluation en travail social, Alain Trognon in l’évaluation en travail social, études réunies par J.P Blaie & A.Kurc, Ed.PEN, Coll Espace social, Nancy, 1988. 203 L’évaluation : définition plurielle, Jacques Feragus, in l’évaluation dans le travail social- Ed I.E.S, Genève 1989. 201 peut alors favoriser la créativité, amenant la personne qui évalue ses pratiques à développer ses moyens d’action, sans pour autant renier ses valeurs et ses finalités. Il est donc nécessaire au vu des différents constats auxquels nous sommes arrivés dans ce travail de recherche de mettre cette dimension d’évaluation au cœur de la pratique quotidienne des éducateurs d’internat. Plusieurs axes nous semblent devoir être retenus ou rappelés. 3.2 Oser parler de ce qui est en action Les éducateurs d’internat sont tiraillés et mis en tension entre leur éthique de conviction et leur éthique de responsabilité. Ils sont au cœur de ces deux dimensions. C’est donc dans cet entre-deux, qu’il est intéressant de rester. En effet, nul n’est besoin de vouloir privilégier, l’une ou l’autre des dimensions, annulant par conséquent les bénéfices de l’autre. Il s’agit à notre avis de comprendre ce qui peut se passer dans cet espace entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Quels sont les impacts de l’une et l’autre de ces dimensions ? Travailler sur cette compréhension implique tout d’abord de repérer les différents niveaux : - Aider les éducateurs à nommer leurs convictions, leurs valeurs éducatives, ce qui anime au fond d’eux le désir d’agir. - Repérer, nommer et travailler les dimensions extérieures, les éléments du projet institutionnel d’une part, mais aussi les contraintes extérieures qui peuvent venir interférer dans l’action éducative. Nommons ici à titre d’exemple, les attendus qu’un Juge des enfants peut faire apparaître dans un jugement de placement. Permettre ce repérage et cette confrontation autour des différentes dimensions, c’est donc mettre en œuvre des moments repérés dans l’action éducative. Insistons pour cela sur quelques espaces clefs : Nous pensons tout d’abord, aux réunions d’équipe. Combien de ces instances se transforment exclusivement en temps d’organisation matérielle de la vie d’un groupe d’adolescents ! Il est vital de redonner une dimension de pensée et d’élaboration collective à cet espace. La réunion d’équipe souvent hebdomadaire doit être un lieu où les situations des jeunes doivent être débattues, mais où l’équipe doit avoir le souci partagé de permettre à chacun de faire part de ses questionnements, de ses doutes, de ses incompréhensions face au type d’accompagnement éducatif mis en œuvre. C’est le temps de l’expression libre, où chacun peut mettre en lumière la manière dont il pense qu’il serait nécessaire d’agir. C’est à partir de ce que chacun apporte, que peut alors se construire l’accompagnement de l’adolescent confié. Nous ne sommes jamais plus intelligents que collectivement ! C’est dans ces moments-là que peuvent sans aucun doute se rejoindre les convictions et la responsabilité. En dehors de cette dimension de réunion d’équipe, il faut soutenir la nécessité pour les éducateurs de pouvoir exprimer leurs désaccords, leurs doutes, leurs incompréhensions et l’impact de tout cela dans leur envie d’agir. Pour cela, la dimension de la supervision d’équipe ou de l’analyse de la pratique doit être défendue. Il est en effet, fondamental qu’une équipe puisse bénéficier d’une dimension d’analyse et de compréhension de ce qui se joue, en travaillant avec quelqu’un d’extérieur à l’institution de rattachement. Quelqu’un qui n’ait pas d’implication institutionnelle, comme peut l’avoir le psychologue de l’établissement susceptible d’intervenir auprès des jeunes. Cet espace de travail doit être défendu et soutenu par l’institution ellemême. Le superviseur extérieur est alors quelqu’un qui peut entendre les tensions vécues par chacun des professionnels, qui peut aider à les formuler, à les expliquer et qui peut alors tenter d’aider à sortir du malaise qui peut exister. Nous nous situons pleinement dans cet espace intermédiaire qui met en jeu à la fois les convictions profondes des professionnels, mais aussi les aspects extérieurs en cours dans la prise en charge éducative. 3.3 Poser les bases d’une évaluation régulière des situations des jeunes Mettre en œuvre cette orientation, c’est explicitement faire référence à la loi 2002.2. En effet dans cette loi, il est clairement fait état de l’obligation de mettre en oeuvre le Document Individuel de Prise en Charge204 des jeunes accueillis. Il s’agit alors dès le début de la prise en charge en établissement, de déterminer les axes principaux de l’intervention éducative. Les différentes dimensions sont alors mises en mots : - Les attendus fixés par le Juge des enfants ou le conseil général. - Les attentes du jeune accueilli et de ses parents. - Les objectifs fixés et les moyens mis en œuvre par l’établissement d’accueil. Ce document initial est un outil important à faire vivre dans une équipe éducative, car cela permet de pouvoir s’y référer, de le reprendre régulièrement et de s’appuyer sur son contenu pour voir si des choses bougent, si la situation du jeune est en évolution positive ou négative. C’est autant de moments possibles pour que les professionnels qui interviennent au quotidien auprès du jeune puissent faire part de leurs constats, puissent partager leurs doutes ou leurs questionnements quant aux objectifs éducatifs initiaux. C’est le temps de la confrontation entre ce que l’on perçoit, ce qu’on pense être nécessaire et ce qui ne fonctionne pas. C’est un espace de création collective où chacun peut faire part de ses convictions, mais peut entendre également celles de ses collègues, mais aussi les éléments du contexte qui peuvent influencer la prise en charge. Ainsi régulièrement dans les réunions d’équipe ou dans des réunions réservées au DIPC, les différentes dimensions doivent être reprises et débattues, pour évaluer les objectifs fixés dans la prise en charge spécifique d’un jeune205. 3.4 Poser les bases de l’évaluation individuelle des professionnels C’est une autre dimension importante à mettre en évidence pour favoriser l’expression des doutes et des malaises d’une part, mais également pour permettre aux professionnels de faire évoluer leur vision des situations, sans pour autant annuler leurs propres convictions éducatives. Ainsi, un temps d’entretien d’évaluation doit être proposé aux éducateurs. C’est alors un moment exceptionnel de prise de distance par 204 Le plus souvent appeler par son sigle DIPC. Nous proposons au lecteur de se référer aux exemples d’outils qui favorisent ce travail et joints en annexe du présent travail. 205 rapport à ce qui est vécu au quotidien par le professionnel. C’est un temps qui est déconnecté d’évènements ponctuels, mais qui a comme support le vécu du professionnel : - comment exerce-t-il ses missions ? - quel regard porte-t-il sur cet exercice ? - quelles difficultés rencontre-t-il ? Ce sont autant de questions206 qui doivent permettre à l’éducateur de parler de ce qu’il vit au quotidien dans son accompagnement éducatif. C’est alors un espace d’expression dans lequel, le professionnel peut faire part de ses incompréhensions, voire de ses désaccords, mais aussi de sa vision des choses et des valeurs ou convictions qu’il défend. C’est outil doit être défendu comme étant un moment privilégié, pour tenter de faire se rencontrer convictions et responsabilités. C’est une nouvelle fois la possibilité de porter un regard sur cet entre-deux, dans lequel se construit la pratique éducative. 3.5 Réintroduire une dimension triangulaire : la place de l’institution Les différentes propositions que nous avons faites plus haut n’ont aucun sens, si elles ne sont pas portées par l’institution. En effet, pour que les éducateurs puissent s’autoriser à parler de leurs doutes et de leur insatisfaction, il est indispensable qu’ils se sentent autorisés à le faire. Il est en effet impossible pour chacun d’entre eux d’oser mettre des mots sur leur vécu et leur ressenti, s’ils ont le sentiment qu’ils seront maljugés et que ce qu’ils disent pourrait être des éléments portés à leur discrédit. L’institution doit être le lieu où l’on peut douter, où l’on peut exprimer ses réticences et son sentiment de « faire fausse route ». Cela doit être le lieu où les idées peuvent se rencontrer, où les professionnels peuvent confronter leurs désaccords, pour permettre ensuite l’émergence d’accords sur les missions et les moyens utilisés. Ce n’est qu’à ce prix que chacun ayant le sentiment d’être entendu dans ces convictions, pourra faire des concessions, trouver des compromis, sans nier et mettre de côté ce qu’il souhaite 206 Ces exemples de questions, support à l’entretien d’évaluation sont développés de manière plus approfondie, dans une trame qui peut être proposée à titre d’exemple et mise en annexe du présent document. défendre. C’est dans cet espace de parole, validé institutionnellement que va se créer la pratique éducative des équipes. L’institution est donc être au cœur de cette démarche, elle doit être le tiers entre les problématiques des jeunes accueillis- car c’est elle qui valide leurs admissions au sein de l’établissement- et l’action éducative quotidienne des professionnels mise en œuvre au bénéfice de ces jeunes. Il est cependant important de ne pas désincarner l’institution qui n’est pas et ne doit pas être une coquille vide, mais qui est l’endroit où convergent différents aspects externes et internes complémentaires207 : - L’analyse d’un réalité sociale - Une politique nationale et sa traduction au niveau décentralisé - Une commande sociale - Une philosophie institutionnelle de l’éducation et sa traduction en projet de prise en charge - L’action de différents professionnels réunis autour d’un projet commun. Pour faire vivre ce projet et permettre la rencontre des différents acteurs, l’institution doit être portée par une direction clairement repérée et garante du projet d’établissement. Les différents acteurs de cette direction ont, bien entendu, des rôles différents. Il nous apparaît dans le cadre de notre travail et des différentes conclusions mises en avant, nécessaire de parler plus particulièrement du rôle et de la place du Chef de service. En effet, ce dernier est celui qui a pour fonction notamment, d’animer les équipe éducatives. Il est celui qui est confronté en premier aux questionnements et aux difficultés des éducateurs. Rappelons nous que c’est d’ailleurs à partir de ses constats et de ses propres questionnements que nous avons construit nos questions de départ, charpentes de notre recherche. Le Chef de service est un cadre intermédiaire. C’est sans doute là que prend toute la force de cette dénomination : intermédiaire. En effet, si le Chef de service doit appartenir pleinement à une équipe de direction et en ce sens participe alors à la définition des orientations du projet d’établissement, il est aussi celui qui est au contact direct de ses équipes. Il est celui qui entend les difficultés de ses éducateurs. Il est celui 207 Nous retrouvons là tous les éléments constitutifs de l’éthique de conviction et de l’éthique de responsabilité mis en évidence dans le présent document. qui doit avec eux tenter d’y apporter des solutions. Le Chef de service est à la fois garant du projet institutionnel et le garant du bon fonctionnement d’une équipe, de sa bonne santé au sens de son équilibre et d’une collaboration interne réelle et efficace. Il est celui qui doit rappeler les exigences du placement d’un jeune, comme les attendus d’un Juge des enfants par exemple, mais il est aussi celui qui doit tenir compte entendre et prendre en compte les difficultés rencontrées par les éducateurs, des doutes énoncés et des sentiments d’impuissance exprimés. C’est en ce sens qu’il est intermédiaire. Le rôle du Chef de service, dans cette dimension d’accompagnement à la pensée, n’est pas de supprimer le doute, élément important pour permettre de repenser régulièrement sa pratique. Il doit permettre à chacun des membres de son équipe d’oser dire et de tenter de clarifier ses positions, ses questionnements. Il est en effet nécessaire de permettre : - Que chaque professionnel puisse à la fois parler de ce qui anime son action, son envie d’agir auprès des jeunes dont il a la charge. - Que chaque professionnel puisse exprimer ses inquiétudes, ses constats quant aux difficultés de prise en charge des jeunes. - Que chaque professionnel puisse participer à l’élaboration des orientations du projet éducatif de son unité de travail. - Que chaque professionnel réentende les demandes de l’institution et des partenaires et des organismes de tutelle. Ce n’est qu’en privilégiant ce processus que chacun pourra à la fois faire vivre ses valeurs et ses fondements tout en intégrant clairement les demandes sociales, sans avoir un sentiment de tension qui vienne empêcher ou freiner la création et l’envie d’agir. Faire vivre en bonne intelligence figure d’émancipation et de réparation et figure du technicien, car comme nous l’évoquions plus haut : « il va de soi que l’éthique de conviction n’implique pas l’absence de responsabilité, ni l’éthique de responsabilité, l’absence de conviction »208. L’éducateur ne s’appuie pas sur son éthique de conviction, même si nous avons pu le voir, celle-ci occupe une place importante dans ce qui les fonde à agir. Il s’est également construit professionnellement en intégrant un discours social déclinés en objectifs sociaux guidant la prise en charge éducative des jeunes 208 Le savant et le politique, une nouvelle traduction, Max Weber- Ed. La découverte-2003. adolescents en difficultés. Les conceptions éducatives ont évolué au fils des siècles209 et c’est aussi dans cette histoire que le professionnel forge son identité professionnelle. L’une et l’autre des éthiques fondent l’individu dans son action professionnelle. Il faut alors veiller à ce que l’une ne vienne pas prendre une place trop importante, développant alors un sentiment de malaise. L’évaluation des pratiques dans toutes ses dimensions est un outil nécessaire pour permettre la cohabitation des différents niveaux d’éthique : - Pour porter un regard et mettre des mots sur les pratiques partagées au sein d’une équipe. - Pour porter un regard sur la situation des jeunes, dans ses aspects positifs mais également négatifs, sans oublier de resituer ce dernier dans sa responsabilité. Nier celle-ci dans l’évolution positive de sa situation reviendrait à nier sa personne. - Pour permettre à chaque professionnel de porter un regard sur son propre parcours professionnel et les axes d’évolution possible. 209 Cf. Chapitre 1 de la première partie : dispositif de l’action sociale et médico sociale en France. Conclusion de la partie Dans cette partie, nous avons pu mettre en évidence tout d’abord, une réponse à notre question centrale, en faisant émerger les trois figures sur lesquelles, les éducateurs d’internat que nous avons rencontrés fondent leur action : la figure de l’émancipation, la figure de la réparation et enfin la figure d’éducateur technicien. C’est à partir de ces trois éléments clefs, que nous avons pu faire l’hypothèse, en nous appuyant sur le concept de Max Weber relatif à l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité, que les éducateurs vivaient une tension importante entre ces deux les deux aspects de l’éthique. D’une part l’éthique de conviction que nous avons rattachée à la double figure de l’émancipation et de la réparation et d’autre part l’éthique de responsabilité que nous avons rattachée à la figure de l’éducateur technicien. Cette tension peut alors expliquer l’expression du malaise et de l’insatisfaction que nous avions identifiée au départ de notre recherche. Les éducateurs sont tiraillés entre d’une part, leur éthique de conviction qui est souvent rattachée à leur propre parcours et qui a pour but d’apporter aux jeunes dont ils s’occupent l’envie d’être avant tout acteur de leur vie, même si le cheminement est long et sinueux et que les évolutions ne sont pas visibles facilement et d’autre part l’éthique de responsabilité, rattachée aux exigences sociales d’agir pour permettre aux jeunes d’être intégrés socialement. Dans le dernier chapitre de cette partie, nous avons alors interpellé les cadres responsables des équipes d’éducateurs d’internat, pour leur rappeler leur responsabilité importante, pour accompagner et soutenir leurs équipes, afin qu’elles puissent dépasser cette tension en les aidant à identifier ce qui les anime. Nous leur avons alors fait la proposition de s’appuyer sur les différentes possibilités d’évaluation qui s’offrent à eux, pour créer les conditions favorables à ce travail d’identification et de compréhension de ce qui est en jeu dans le travail quotidien des éducateurs d’internat. CONCLUSION GÉNÉRALE Rappelons tout d’abord notre question centrale : À partir de quelles représentations, les éducateurs de l’Espace Adolescents du Codase fondent-ils leur action auprès des adolescents placés en internat éducatif ? Cette question avait été guidée, par notre expérience de Chef de service éducatif au sein de l’Espace Adolescents. En effet nous étions dans cette activité, régulièrement le témoin de discours très contrasté des éducateurs au sujet de leur action éducative auprès des adolescents placés dans notre établissement. Beaucoup d’entre eux portaient un regard très critique sur leur travail, s’interrogeant notamment sur sa pertinence et sur l’impact positif de celui-ci dans l’évolution des jeunes. Doutes et insatisfactions restaient très ancrés, malgré les paroles des cadres de l’institution tentant de venir atténuer cet état de fait en pointant de leur côté les avancées réelles des jeunes. Nous avons donc fait le choix de donner la parole à ces professionnels de l’éducation spécialisée, pour tenter de comprendre ce qui fondait leur action et tenter dans un deuxième temps de faire émerger une hypothèse de réponse à nos questions de départ, à savoir pourquoi cette expression de malaise, d’insatisfaction et de doute de la part des éducateurs d’internat ? Nous sommes allés à la rencontre de dix éducateurs à qui nous avons donné la parole, pour qu’il nous parle de leur travail. Nous les avons invités à partir d’un guide d’entretien à nous expliquer leur action quotidienne, les difficultés qu’ils peuvent rencontrer mais aussi les éléments de satisfaction qu’ils perçoivent. Nous avons fait le choix de traiter les entretiens à partir de trois axes principaux : le discours sur le parcours personnel et professionnel, le discours sur le métier d’éducateur et enfin le discours sur les jeunes pris en charge. Ce triple traitement nous a ensuite permis une analyse approfondie que nous avons passée au filtre de ce que nous avons appelé les figures d’éducateurs. La lecture de différents auteurs nous avait en effet permis de faire émerger des modèles d’éducateurs que nous rappelons ici succinctement : l’éducateur émancipateur, l’éducateur réparateur et enfin l’éducateur technicien L’analyse que nous avons mise en œuvre, nous a permis de mettre en évidence tout d’abord que les éducateurs se rattachent prioritairement aux deux premières figures. Les éducateurs semblent en effet asseoir leur action sur des fondements humanistes qui les conduisent à soutenir et aider les jeunes dont ils ont la charge, pour que ceux-ci puissent être acteurs de leur propre vie. Aider à faire des choix est sans aucun doute le premier axe partagé par les éducateurs. Ceux-ci quelle que soit la manière dont ils peuvent s’y prendre par la suite souhaitent avant tout que les adolescents soient maîtres de leur vie. Nous avons d’ailleurs pu constater que ce fondement de leur action s’origine pour beaucoup dans leur propre parcours de vie, car les éducateurs pour la plupart ont du, à un moment donné de leur parcours, faire un choix qui venait remettre en cause les orientations initiales, pour devenir alors éducateur ! Soutenir les adolescents pour les aider à sortir des souffrances personnelles est le second axe que nous avons relevé et que nous avons associé alors à la figure de l’éducateur réparateur. En effet, au fil des discours, les professionnels ont beaucoup développé leur constat de souffrances des jeunes accueillis. Nous pouvions alors comprendre qu’il s’agissait pour eux de les aider à en sortir. Ce sont donc les deux fondements principaux que nous avons retenus, mettant ensuite en évidence des éléments se rattachant à la troisième figure : l’éducateur technicien, celui qui vient aider très concrètement le jeune à bâtir un projet d’insertion sociale Ce troisième aspect nous est apparu comme étant un axe que les professionnels ont intégré mais qui semblait se rattacher plus à une demande de la société. Nous n’avons pas souhaité les mettre en opposition, mais plutôt marquer que les éducateurs fondent tout d’abord leur action sur les deux premières figures qui proviennent de leur propre histoire et de leur propre parcours. Ensuite ils soutiennent un troisième axe dicté par le contexte social, l’environnement et sans aucun doute leur propre formation professionnelle. C’est d’ailleurs ce que nous avions mis en lumière dans notre première partie en insistant tout d’abord sur l’évolution historique de la protection de l’enfance, puis ensuite en rappelant que les travailleurs sociaux ont toujours été au cœur des questionnements sociétaux sur leur action. Fort de ces analyses, nous avons alors fait le choix de tenter de les comprendre à partir du concept de Max Webern, relatif à l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. En effet, dans le cadre d’un colloque sur l’éducation, nous avions été interpellé par un intervenant qui avait fait le même constat que nous concernant la malaise des éducateurs. Le concept de Weber était alors développé, nous interpellant sur notre propre recherche ! En reprenant nos éléments d’analyses nous avons alors pu rattacher les trois axes développés précédemment, au double concept de Weber. Tout d’abord, il nous est apparu que la référence première aux figures d’éducateur émancipateur et d’éducateur réparateur, pouvait être rattachée à l’éthique de conviction. C’est-à-dire à ce qui anime le professionnel, sans tenir compte à priori des conséquences et des résultats. En effet, les éducateurs quand ils souhaitent aider les adolescents à faire leur propre choix de vie tout en les aidant à sortir des souffrances qui les engluent ne sont pas fixés sur l’idée de la réussite sociale. C’est avant tout l’équilibre personnel des adolescents qui est visé. Le résultat obtenu n’est pas forcément visible ou décryptable immédiatement par la société. Par contre la référence à la figure de l’éducateur technicien peut quant à elle être rattachée au concept d’éthique de responsabilité. Il s’agit bien ici de permettre une véritable et concrète insertion des jeunes dans la société, en les soutenant dans la construction d’un projet de formation et en les aidant à être intégré et non pas en marge de cette société. Ces deux aspects du concept que Weber avait mis en évidence dans deux personnages : le savant et le politique, nous le retrouvons quant à nous à l’intérieur d’une même personne, à savoir l’éducateur. Nous avons pu faire une hypothèse de réponse à notre problématique de départ : tenter d’expliquer le malaise et le doute : La cohabitation de l’éthique de responsabilité et de l’éthique de conviction dans ce qui anime les éducateurs crée de la tension, qui si elle n’est pas repérée et mise en mots, se transforme en malaise et en insatisfaction. Les éducateurs sont traversés, souvent de manière inconsciente, par ces deux éthiques. Il ne s’agit pas pour les cadres de tenter d’annuler l’une ou l’autre de ces éthiques, car il apparaît en effet, à la lumière du travail de Max Weber, que le professionnel pour travailler à besoin des deux. Besoin de s’appuyer sur des convictions fortes qui soutiennent l’envie d’agir et besoin de s’appuyer sur une éthique de responsabilité qui permet à ce professionnel d’agir dans une réalité sociale et sociétale, avec ses contraintes, ses limites et ses exigences. Pour terminer ce travail de recherche, nous avons fait le choix de nous adresser alors à ces cadres, responsables des équipes d’éducateurs. En effet, c’est à eux qu’il revient en premier, du fait de leur fonction d’encadrement intermédiaire, de soutenir le travail des éducateurs. Il s’agit alors de permettre à chacun de pouvoir exprimer et mettre en lumière ce qui les anime et ce qui motive leur envie d’agir. Pour permettre cela, il faut soutenir l’évaluation des pratiques selon différents axes que nous avons relevés dans le dernier chapitre de notre troisième partie : - Développer l’évaluation des projets des jeunes accueillis, à partir du développement et de la véritable utilisation des outils préconisés dans la loi 2002.2 - Développer l’évaluation des actions éducatives menées, au sein des réunions pluridisciplinaires, mais aussi grâce à la supervision des équipes qui doit être un axe fort soutenu par les équipes de direction des établissements. - Favoriser l’évaluation personnelle et partagée des professionnels, grâce à l’entretien annuel d’évaluation. La valorisation de ces différents outils, au service des cadres et des éducateurs, est un atout qui permet la circulation de la parole professionnelle. Cela permet l’expression des doutes et des insatisfactions, d’une part, mais cela permet d’autre part de mettre en avant ce qui se passe concrètement dans les prises en charges, cela permet également de faire évoluer les projets des jeunes et les projets de groupe en tenant compte des remarques et des préconisations des professionnels eux-mêmes. Nous pouvons alors penser que chacun aura la possibilité d’être entendu dans ce qui lui tient à cœur et d’entendre aussi ce qui fait le cadre du projet et des limites nécessaires de l’action éducative engagée. Par conséquent, la cohabitation entre éthique de conviction et éthique de responsabilité sera moins vécue comme une tension interne qui développe le sentiment d’insatisfaction.Il faut cependant rester convaincu que le travail social nécessite de maintenir un niveau de doute suffisant pour favoriser la remise en cause des pratiques et éviter de basculer dans la toute puissance dévastatrice pour ceux qui auraient à subir le dictat de la « bonne pensée ». REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ABRIC Jean Claude (sous la direction de) 1997. Pratiques sociales et représentations. Paris, Ed. PUF.2ème édition 2003 Méthodes d’étude des représentations sociales. Paris .Ed. Erès BAREL Yves 1982. Les enjeux du travail social, in Action et recherches sociales, qu’est ce que le social ? Ed. Erès BLIN Jean François 1997 Représentation, pratiques et identités professionnelles, Ed L’harmattan. 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Charte de l’évaluation- site Internet officiel. 2 Sciences humaines Avril 1993. Les représentations, images trompeuses du réel. N°27 ANNEXES SOMMAIRE DES ANNEXES I. CARTE D’IDENTITE DES PERSONNES INTEROGÉES II. GUIDE D’ENTRETIEN III. DEUX EXEMPLES DE TRANCRIPTION D’ENTRETIEN IV. EXEMPLE DE GRILLE DE TRAITEMENT DES ENTRETIENS V. EXEMPLE DE GRILLE D’ENTRETIEN ANNUEL D’ÉVALUATION I. CARTE D’IDENTITÉ DES PERSONNES INTERROGÉES Sexe Age Diplôme210 Date diplôme Alberte F 40 + CAFME 2002 Boris M 30-35 CAFME 2006 Charlotte F - 30 DEES 2006 Danielle F - 30 DEES 2006 Evelyne F 40 + DEES 2000 Fabien M 35-40 CAFME 2001 Gaston M 40+ DEES 2006 Hélène F 30-35 DEES 2000 Isabelle F 35-40 DEES 1998 SIGLES DEES : Diplôme d’État d’Éducateur Spécialisé CAFME : Certificat d’Aptitude aux Fonctions de Moniteur Éducateur. du II. La GUIDE D’ENTRETIEN situation de personne interrogée. la *Sa trajectoire personnelle Parlez-moi rapidement de et professionnelle. *Sa votre parcours. situation dans Quelle est votre place l’institution. La description du travail *Parler effectué raconter des son dans cet établissement ? tâches, Pouvez-vous me parler de quotidien votre d’éducateur en internat. travail au quotidien ? Qu’est ce que vous faites ? Parler sur ce quotidien *Qu’est ce difficile. qui est Donnez-moi l’exemple d’une situation qui a été dure à vivre ou à gérer pour vous. Pourquoi ? *Qu’est ce qui intéressant. Donnez-moi l’exemple d’une situation qui a été intéressante ou valorisante pour vous. Pourquoi ? *Qu’est ce qui fonctionne Donnez-moi bien. l’exemple d’une situation que vous avez gérée et que vous avez trouvée positive ou réussie. *Qu’est ce qui apprécié Qu’est dans ce travail. appréciez ce que dans vous votre travail ? Être éducateur *Le vouloir faire Quand vous travaillez en internat avec ces adolescents, quel est votre *Le devoir faire but ? Qu’est ce que vous voulez faire ? Qu’est ce que vous pensez qu’on attend de vous ? (hiérarchie, travailleurs sociaux, juges, familles) *Le Pouvoir faire Pour vous c’est quoi un mauvais éducateur ? Quelles sont les qualités d’un bon d’internat ? éducateur III. DEUX EXEMPLES DE TRANSCRIPTION D’ENTRETIEN A. Entretien avec ISABELLE (le 16 janvier 07) Présentation du cadre de l’entretien Dans un premier temps est-ce que tu peux te présenter, me parler de ton parcours professionnel avant de rentrer en formation, j’ai fait un stage de découverte en internat sur Avignon, parce que je suis d’Avignon, dans un lieu qui s’appelle la Verdière, je pense que c’est important parce que c’est un lieu plus ou moins pilote où déjà il travaillait sur les projets individualisés qu’ils avaient déjà mis en place. C’est la personne qui a créé le chalet langevin. Donc voilà, après je suis rentrée en formation à Grenoble à l’IUT (en quelle année ça ?) en 95 je suis rentrée euh et puis j’ai fait mon stage long en prévention sur le quartier mistral et puis j’ai fait des remplacements au home, quand j’étais en troisième année, quand j’étais en stage en prévention et donc quand Daniel Masegosa était chef de service et puis quand j’ai été diplômée ils m’ont rappelée en septembre pour faire des remplacements et puis depuis je suis là (c’était en 98 ?) en 98. Septembre 98. J’ai fait le Home et les alizés en sachant que depuis, j’ai fait deux coupures de un an pour mes deux grossesses. d’accord et qu’est ce qui t’a fait choisir cette,… ce choix de dire je vais aller faire ma formation d’éducatrice spécialisée ) euh j’ai fait du droit, je voulais être juge pour enfant et je me suis rendu compte que le droit c’était pas pour moi et que ce qui m’intéressait c’était le terrain , donc et puis après c’est des parcours de vie, des rencontres qui ont fait qu’à un moment donné je me suis posé la question mais pourquoi pas ? Donc c’est ce qui m’a amené à faire un stage de contact donc, et puis j’étais pionne dans un lycée en ZEP. Donc tout a fait que je me suis dit oui je vais essayer. J’ai passé les concours et j’ai réussi d’accord, donc à la fois c’est le croisement d’intérêts, de rencontres et d’expériences qui ont fait que … ) oui voilà que tu te retrouves à l’IUT et j’ai fait le choix des IUT parce qu’en fait, que j’ai passé plusieurs endroits Montpellier, Marseille et Grenoble, parce que j’étais du sud et j’ai réussi Marseille et Grenoble et j’ai fait le choix de l’IUT, parce que je trouvais que c’était intéressant qu’il y ait les trois euh filières ? voilà, animateurs socio culturels, As et éduc qui soient, qu’il y ait des cours communs, je trouvais que c’était intéressant d’accord, alors est-ce que tu peux, … Tu es dans un repas et on te pose la question qu’est ce que tu fais comme travail, tu expliques quoi ? Je suis éducatrice spécialisée ! et ça consiste en quoi ? donc ben moi je travaille dans un foyer, un internat avec des adolescents qui ont entre , je dis entre 16 et 18 , parce que c’est à peu près la réalité, donc voilà ! et la réponse que j’ai c’est oh c’est dur ! ben non c’est comme tous les métiers, il y a du bien et du moins bien , voilà. Et quand ils me demandent ce que je fais, ben c’est je m’occupe d’eux au quotidien déjà et pis ben c’est des jeunes qui ont besoin d’être aidés soit dans des recherches de scolarité, de.. dans des recherches professionnelles et dans leur quotidien et tout ce qui est relation à l’autre, tout ce qui est, …. Voilà ! d’accord mais je ne m’appesantis pas vraiment, quand euh, parce que souvent les réactions qu’on a c’est oh là là c’est dur, c’est une vocation, il faut … Et pour moi c’est pas une vocation d’être éducateur c’est quoi alors si c’est pas une vocation ? parce que dans une vocation, dans le terme de vocation y a comme si on avait pas le choix d’accord une vocation c’est …. une destinée quoi ! voilà une destinée, moi j’estime non, qu’à un moment donné on fait le choix ou non d’être éducateur. Qu’on est une sensibilité pour, oui !mais c’est pas une obligation, j’aurais pu faire autre chose oui oui d’accord je comprend, c’était pas destiné, c’était pas tracé voilà c’était des rencontres faites qui ont ? voilà même si c’est vrai que pour pouvoir apprécier ce métier, oui pour l’apprécier et prendre du plaisir , il faut avoir une sensibilité qui fait que … euh, on est bien …. euh on peut être éducateur quoi, car sinon je pense qu si on a pas cet intérêt là on peut s’ennuyer quoi ou passer à côté des choses quoi et toi qu’est ce qui t’a fait plutôt choisir cette population et plus particulièrement l’internat ? parce que si tu y es depuis en gros 98 et que tu y es encore aujourd’hui, et qu’il y presque 10 ans qui sont passés, c’est qu’il y a quelque chose qui fait que alors déjà, le choix de la population, ben c’est que j’ai fait des stages, en … enfin déjà ce qui m’a amené au métier d’éducateur spécialisé c’est qu’à la base c’étaient plus des rencontres avec ce public là, ce style de jeunes là, déjà c’est ça qui m’a interpellé. Les stages que j’ai fait avec des personnes, c’étaient des enfants handicapés mentaux profonds, j’ai pas trouvé l’intérêt que je peux y trouver avec des adolescents en difficultés, voilà. Ca ne me renvoyait pas les mêmes choses et j’avais pas l’impression d’être aussi euh…performante ou en tout cas, … voilà. Et l’internat donc, du coup après, … mon stage en prévention m’a beaucoup appris sur le milieu ouvert et sur les questions qu’on peut se poser en milieu ouvert, mais je me suis rendu compte aussi que …, en tout cas moi dans ce que j’étais, que j’avais besoin du quotidien et j’avais besoin de la relation au quotidien qui permet une implication plus, oui plus affective que la prévention, en tout cas pour l’instant et que j’avais envie de passer par l’internat avant de repartir sur du milieu ouvert, pourquoi pas ce que tu dis là plus affectif, c’est à dire ? dans la re…, ben au quotidien, dans la vie au quotidien, dans le contact, parce que c’est vrai en prévention ben on est pas obligé (tu veux dire dans un lien plus fort) dans un lien plus fort, plus … plus constant, plus régulier (d’accord) voilà oui je comprend, plus qu’en prévention où le lien n’existe que si tu le suscites vraiment que si je le suscite et que le jeune le désire (oui) là de toute façon il y est, donc euh… de fait il y est, enfin il est à construire, mais de fait il y a la personne en face de soi, … euh et après …c’est quoi la suite de la question ? Pourquoi ? ah oui pourquoi depuis tu es en internat ? (oui …) ben oui du coup en 98, j’ai eu cette opportunité de rentrer en internat. Je pense que ce qui fait aussi que je suis toujours aux alizés, c’est qu’on a eu le déménagement qui a permis aussi une cassure entre le Home et les alizés. Pour moi c’était deux lieux différents, donc un travail différent aussi, les deux ans de pause que j’ai fait à chaque fois aussi qui m’ont permis de prendre du recul et de revenir avec des idées nouvelles et une énergie qui je pense au fil du temps s’amenuise quand je pense qu’on y est au quotidien et la tête dedans tout le temps et puis l’internat pour un conflit (corrigé en confort) personnel aussi, parce que mine de rien les horaires, ouaih, c’est avantageux (pour permettre de concilier vie personnelle, familiale et vie professionnelle ?) voilà ! d’accord, … alors est ce que, pour parler un peu de ce quotidien que tu as à grands traits dépeint, est ce que tu pourrais me donner l’exemple d’une situation plus ou moins récente, à toi de choisir, qui était pour toi, on va dire, dure à vivre, à gérer et pourquoi ça l’a été difficile ? à gérer ? euh je réfléchis, le dernière que j’ai en tête, mais je ne sais pas si , … c’est lorsque N. s’est euh s’est confronté physiquement à Samir oui voilà ! où ça a été très très violent pour moi à vivre. En même temps c’était quelque chose de nécessaire et ça a été violent parce que c’est vrai ça s’est fait parce que c’était dans les murs et qu’il fallait qu’à un moment donné on stoppe le comportement de Nacim, dans les murs. Mais c’est vrai que toute cette violence s’est assez difficile à vivre, l’arrivée de la BAC, avec l’intervention qui a été faite, de façon très… très correcte mais qui était quand même assez violente, donc oui ça a été difficile onh onh ! donc c’était quoi qui t’a le plus … c’est cette violence ? c’est que ça se fasse avec un jeune que tu connaissais ? Qu’est ce que s’est qui était le plus difficile à vivre ? C’était la violence pure j’allais dire euh.. non pas la violence pure enfin si, quoi qu’en même temps c’était assez violent, donc la violence pure, mais au delà de ça… tout le fait que oui c’était mon collègue et un jeune que je connaissais … qu’on … qu’on suit et dont je suis référente et donc il y a en plus tout un travail tout est questionnement qui fait en plus, autour de ce jeune et que euh à un moment donné on soit obligé d’en arriver là pour le stopper, c’est vrai que ben oui, le pouvoir des mots il existe plus . On avait plus cette possibilité là et que il fallait passer au delà quoi (d’accord) il ne nous entendait plus et c’est un peu un constat d’échec à un moment donné (c’est comme ça que tu l’as senti quoi?) sur le moment oui, après avec le recul non, mais sur le moment c’est se dire ben on arrive pas à … en discutant en pesant les choses de façon posée et calme on arrive pas à faire avancer. Donc il faut à un moment donné mettre une barrière autre (c’est ça, la parole n’est peut être plus assez performatrice ? C’est dans autre chose ?) voilà et c’est aussi du coup, c’était aussi difficile le soir, après , les questions des autres jeunes, « mais pourquoi vous avez appelé la police ? pourquoi, … » ils avaient du mal à entendre, bien que très vite ils ont assez vite compris, mais au départ ils comprenaient pas pourquoi on avait été obligé de les appeler. Ben je leur ai dit on arrivait à nos limites, c’étaient nos limites d’humains, de professionnels, et on pouvait pas aller au delà quoi ! Ben c’est ce constat de se dire ben oui on peut ne pas y arriver, même si on le sait constamment, mais là c’est dur quoi de faire intervenir une tierce personne, la police ! Enfin bon c’est compliqué. (d’accord, est ce que tu pourrais me donner un exemple de situation contraire, c’est à dire où tu as eu le sentiment d’une situation que tu as trouvée intéressante, valorisante et pourquoi ça l’a été par rapport à ce que tu fais avec ces jeunes ) alors mois ce que je trouve valorisant pour moi, c’est quand des anciens jeunes me rappellent, c’est ça surtout., enfin Parce que dans le quotidien, il y en a toujours des choses valorisantes, mais on les perçoit pas forcément tout de suite, ça se fait, on y est dedans, on les vit. Par contre c’est vrai quand des jeunes que l’on a accueillis il y a quelques années, nous rappellent pour nous dire où ils en sont, ou ou euh simplement parce qu’on a été des personnes repères à un moment donné et qu’ils sont fiers de nous dire « voilà maintenant j’en suis là », ou qu’ils ont une question ou que, ça je trouve que c’est, … ben oui ça montre qu’à un moment donné on a compté, qu’on a pu les aider et que même si c’était difficile au moment où on le faisait avec eux, ben ils en ont retenu des choses et voilà, qu’on … (tu dis qu’en fin de compte ça te permet quelque part de faire une évaluation de ton travail) voilà c’est ça (enfin à posteriori ?) oui à posteriori, parce que sur le concret c’est rare qu’on se dise, quand on est au quotidien, c’est très rare qu’on se dise ce jeune, vraiment c’est bon il a bien avancé . On le dit il a avancé, il a fait du chemin mais souvent quand ils partent de chez nous, il reste encore du chemin à faire, y a encore, ….et je crois que c’est vrai , c’est quand un an deux ans après il nous rappelle et il nous dit voilà , ça y est j’en suis là, j’en suis là, on se dit bon OK on a servi à quelque chose, on les a aidés à arriver là où ils s’en sont quoi. A un moment donné, ils ont entendu ce qu’on pouvait leur dire, même s’ils l’ont pas utilisé au moment où ou leur disait. (d’accord, et donc toi qu’est ce que tu, dans ce travail quotidien, apprécies ? qu’est ce qui fonctionne bien dans ton travail éducatif ? Tout à l’heure tu m’as dit des choses déjà mais) qu’est ce que j’apprécie dans mon travail ? ben déjà juste pour dire, dans le quotidien il y a plein de choses que j’apprécie pas non plus einh ! (oui oui !) sur le fait où c’est lourd , c’est toute cette répétition constante de toutes les tâches qu’il y a à faire, de tout… ça pour moi c’est assez pénible, après ce que j’aime dans le quotidien, c’est ça, c’est la relation dans la continuité et dans le fait que on on … oui, on créé quelque chose, on tisse une relation voilà ! (ce qui peut se faire parce que c’est de l’internat, parce que tu as les jeunes 24 sur 24, c’est ça quand tu dis, ..cette image de tisser, c’est que progressivement il y a quelque chose qui se construit ?) voilà c’est ça et pis même moi, je veux dire au niveau de l’investissement que j’ai, j’ai toujours dit, à un moment donné, j’avais l’impression d’avoir deux familles. Ma famille, ma vie privée qui est quelque chose et puis quand je suis au travail, mine de rien vu que j’y passe quand même un temps important, là je suis à mi temps mais, même au niveau de l’investissement, quand j’y suis pour moi c’est quelque chose de de … oui, c’est un investissement au quotidien de ma personne aussi, en tant que professionnelle, mais de ma personne (oui oui d’accord ! et alors de manière plus globale, euh … quand tu as décidé de travailler , quand tu as fais ce choix de travailler en internat, de manière plus générale, tu dirais c’est quoi ton but ? toi en tant qu’éducatrice) c’est qu’à un moment donné dans le parcours des jeunes qu’on reçoit, peut-être les accompagner dans leur vie et les aider à y voir un peu plus clair et peut-être les aider à mûrir voilà … et essayer de leur faire comprendre qu’ils ont la possibilité de faire des choix et leur donner, parce que je crois que c’est ça qui est difficile, parce qu’à un moment donné, ils croient qu’ils sont obligés d’avoir un parcours. La plupart des jeunes qu’on reçoit, ils ont l’impression de ne pas avoir le choix, de faire des choses qui leur sont imposées qui leur sont … et que en fait leur faire comprendre qu’ils ont plusieurs possibilités devant eux, que nous on pourra pas choisir à leur place, mais leur montrer qu’ils ont ces choix là et les aider à, …à faire le bon choix ou en tout cas le choix que moi j’estime être … (oui !) ce qui est super frustrant, c’est … enfin j’anticipe peut-être mais, ce qui est super frustrant c’est justement quand on sait qu’il y des jeunes qui ont le potentiel, la capacité de faire le bon choix, mais qui sont squizzés ou qui sont perturbés par tellement de choses qu’ils arrivent pas à le faire et du coup pour reprendre ce que je disais tout à l’heure, c’est quand des jeunes qu’on a accueillis il y longtemps, ils rappellent pour nous dire « ben ça y est j’ai fait le choix de…» et que ce choix là, ben ils ont réussi à faire un choix qui leur convient et qu’ils rentrent dans un … (donc toi en gros, tu es une personne qui vient permettre de faire un choix ?) ouaih pourquoi pas ! (je sais pas, c’est peut-être pas comme ça qu’il faut traduire mais, …) non non pourquoi pas , si si en partie oui , moi je pense que oui, leur montrer qu’il existe d’autre chose , qu’il existe plein de chose et qu’après ils peuvent en faire ce qu’ils en veulent avec les capacités qu’ils ont et qu’ils veulent se donner dans le choix qu’ils peuvent faire (mais qu’est ce qui fait que l’internat pour toi c’est un support ? enfin être éduc d’internat tu expliquais ce choix là, qui fait que tu as l’impression que ce but que tu veux atteindre, tu peux l’atteindre avec cette fonction d’éducatrice d’internat ? qu’est ce qui motive ça ?) ben déjà ce sont des jeunes, s’ils sont en internat, c’est qu’à un moment donné il faut qu’ils soient sortis du milieu où ils étaient, donc est ce que c’est la solution ? ça j’en sais rien encore , je sais pas, mais en tout cas ça le, … ça permet de les sortir du milieu où ils étaient et euh du coup de voir autre chose dans un fonctionnement, d’être confrontés à des adultes qui peuvent avoir une parole autre que celle qu’ils ont connue jusqu’à présent et euh donc cette histoire toujours de répétition et de constance je pense au niveau de l’internat, c’est qu’ils ont pas le choix à un moment donné. Même s’ils ont pas envie de nous voir, ils sont obligés quoi et puis on est là et que voilà … (et quand tu dis je sais pas si c’est la bonne solution, tu le dis de manière générale, l’internat tu sais pas si c’est une bonne solution ou tu ne le sais pas tant que tu n’as pas compris la situation du jeune ?) les deux ! les deux ! je sais pas si l’internat si l’internat c’est une bonne … si c’est la bonne solution pour certains jeunes, est ce que … voilà et puis est ce que l’internat c’est une bonne solution, j’en sais rien non plus (c’est intéressant que tu te poses cette question là !) oui ! (parce que alors que tu te dis …. En même temps que tu te dis c’est là que je veux travailler , tu te dis en même temps je suis pas sûr que l’internat, ce soit une bonne solution !) c’est là que je veux travailler parce qu’en tout cas, c’est ce qui me correspond aujourd’hui, vu le parcours, … vu le travail social euh où on en est au niveau du travail social, après est ce que sur du long terme, ou sur la réalité de la société aujourd’hui est ce que l’internat c’est la meilleure solution, j’en sais rien ! parce que c’est vrai que la question qu’on se pose c’est que le travers des internats, c’est que souvent ben on fabrique des assistés, ce qui est un peu … voilà ! (ça c’est ce que tu penses ou c’est ce que tu entends ? ou que tu perçois ?) c’est ce que je perçois chez certains jeunes (d’accord) voilà ! quand on reçoit un jeune qui a un parcours institutionnel d’internat depuis qu’il est tout petit, on le voit, c’est un jeune qui est très adapté au fonctionnement institutionnel des internats éducatifs, mais qu’est pas forcément adapté au fonctionnement de la société et qui est pas forcément capable de se débrouiller tout seul (d’accord ! je trouve que c’est intéressant de dire à la fois je trouve que c’est un support, mais en même temps pas je doute, mais je me questionne !) voilà moi je pense que ça peut être un des travers de l’internat (en gros c’est le fait que cela fasse des personnes qui sont hyper adaptées ?) oui hyper adaptées, oui voilà des personnes hyper adaptées, mais est ce qu’elles savent se débrouiller toutes seules ? (tu penses que cela peut freiner quelque chose, l’internat?) oui, parce qu’en même temps on leur demande de grandir super vite, puisque dans notre fonctionnement on a la volonté qu’ils deviennent indépendants, mais en même temps on est là tout le temps ! tout le temps ! tout le temps ! (quand tu dis j’ai pas la réponse aujourd’hui, est ce que tu penses que cette réponse, tu te l’as construit ou tu as plutôt tendance à dire je commence à avoir une réponse d’un côté ou de l’autre ou enfin de compte, j’ai pas envie d’y répondre à cette question là. ? est ce que tu essayes de l’obtenir cette réponse ?) non non j’essaye pas ! (d’accord) non parce que je me dis de toute façon , enfin pour certains jeunes, c’est bien ! donc après … (donc à la fois tu trouves qu’il y a des aspects importants pour certains et en même temps tu dis que c’est quand même un question ouverte ?) oui, il faut quand même garder cela en tête et faire attention avec certains jeunes de ne pas rentrer dans ce travers là (oui je comprends ! bon là tu m’as expliqué ce qu tu voulais faire en étant éducatrice et moi j’avais envie de t’entendre un petit peu sur ce que tu penses que pensent les autres , bon c’est une question à tiroirs . j’avais décliné en plusieurs paliers, par exemple qu’est ce que tu penses que ta hiérarchie attend de toi en tant qu’éducatrice ? et puis ensuite il y l’extérieur au sens prescripteur et puis après la famille et la société ? mais d’abord la hiérarchie !) ….. Ben déjà on nous confie des jeunes donc qu’on s’occupe des jeunes qu’on nous confie, qu’on les amène à une réussite entre guillemets, une réussite soit scolaire, enfin pas forcément une réussite, mais qu’il y ait une inscription dans un projet en tout cas, qu’on soit là pour les protéger aussi de de ..ce qu’ils peuvent faire eux, de ce qu’ils peuvent subir à l’extérieur, selon pourquoi ils sont placés et qu’on les aide à construire leur projet, voilà ! (d’accord et les prescripteurs alors, ceux qui confient les jeunes ?) RIRE … on va dire la même chose, plus euh, je sais plus qui disait qu’on était les pompiers du social, c’est ça ben qu’on étouffe un peu tout les … voilà , tout ce qui peut se passer au niveau de la société, mais bon ça c’est, … pas forcément sur l’éducateur en internat , mais bon … (le travailleur social quoi ?) voilà voilà !! c’est plus oui, on est au front dans les difficultés sociales de la société (donc on attend de toi que tu apaises ? ou que ça ne fasse pas de vagues, je sais pas !!) ben que oui oui, … je vois pas … bon après je pense que je ne suis pas assez au fait , que je ne me suis pas assez non plus … voilà mais je pense que la société actuelle ne se donne pas les moyens pour que les réels problèmes des adolescents que l’on peut accueillir soient pris en compte et réglés d’une façon plus efficace (oui ! et tu as l’impression que vous êtes mal considérés) non, non! (pas utilisés comme il faudrait ?) moi je pense qu’on est pas utilisés comme il faudrait, quand il y a des réflexions, je pense aux émeutes des banlieues en 95 en 2005 pardon (oui) euh je pense que les premiers qui auraient du être interrogés, c’est les éducateurs quoi, à un moment donné, ben souvent quand on entend parler des gens, c’est les psy machins, les chercheurs machins et que les gens de terrain, on va pas trop leur poser de questions sur la réalité quoi. Alors être mal considérés non je ne pense pas, être méconnus de la société, oui ! (d’accord et donc j’entend par répercussion, pas bien utilisés ?) oui moi je pense (tout à l’heure, tu disais pompier et j’avais dans la tête d’une manière un peu rapide de permettre la paix sociale quoi ! tu penses que c’est pas que ça ?) non (ça serait quoi d’autre alors ?) ça serait quoi d’autre !! (quelque, chose de beaucoup plus large ?) oui de plus large, moi ça serait plus sur une construction d’autre chose, sur une construction, pas être que justement dans l’urgence et pas arriver en dernier recours, mais être plus sur du, … sur de la prévention, sur … de l’anticipation de la construction, mais bon le je pense que c’est plus sur du milieu ouvert que ça peut se … parce que c’est que l’internat, à un moment donné, on peut pas être en prévention quoi, on peut pas être dans la prévention de .., mais plus s’interroger sur le fonctionnement des…, oui de … (toi tu penses que l’internat c’est pas forcément de la prévention ?) pas forcément non ! (en gros tu arrives après ?) ben j’arrive, oui, à un moment donné quand il y a placement c’est qu’il y a eu signalement, c’est qu’à un moment donné, il y a eu rupture quoi. C’est rare qu’il y ait un placement qui soit fait et qui soit pas dans la rupture (mais en même temps on vous considère pas comme seulement des pompiers, c’est à dire qui arrivent juste quand c’est l’urgence !) voilà ! (mais pour construire d’autre chose ! ) oui, mais en même temps c’est pour cela que je me questionne sur l’internat, parcequ’en même temps pourquoi placer un jeune si y a pas,… enfin pourquoi ne pas le maintenir, essayer de le maintenir dans sa famille avec un travail autour, c’est tout le travail de l’Aemo quoi, avec un travail autour qui fasse qu’on arrive pas forcément à la solution du placement quoi (d’accord !) mais c’est vrai qu’on voit une évolution dans les jeunes qu’on accueille, d’abord je trouve, ça fait pas si longtemps que ça, ça fait depuis 1998, mais je trouve qu’il y a vraiment une évolution dans les jeunes qu’on accueille en internat (oui, en 9 ans tu as quand même pu voir, tu peux avoir un regard quand même !) oui mais j’ai encore l’illusion que je suis encore jeune ! et que ça fait pas si longtemps – RIRE(ça veut pas ire que tu n’es pas jeune !, ça veut dire que tu as quand même un recul qui te permet d’en dire quelque chose) voilà , mais je trouve qu’il y a une évolution, ou d’abord on accueille de plus en plus de mineurs isolés, donc ben déjà c’est pas le même travail, on accueille de plus de jeunes, euh … avant moi je disais on avait des bons délinquants quoi, on savait à qui on avait en face, comment on pouvait fonctionner. Là on accueille beaucoup plus de jeunes qui sont en rupture de… en rupture affective, en rupture sociale, qui sont à la limite du psy et de l’éducatif et du coup c’est pas le même boulot (onh, tu as vraiment perçu dans ton parcours cette évolution, dans la prise en charge des jeunes ? Les jeunes que tu avais en charge..en 98, c’est plus du tout les mêmes que tu as aujourd’hui aujourd’hui ?) Pas plus du tout, il y en a encore quelques uns mais, c’est plus, …. Euh… il y a une évolution. (oui et tu as l’impression que cela nécessite pour toi une évolution de ta pratique ?) euh oui, moi je … ça ressort assez souvent, on a besoin de plus d’apports théoriques, au niveau psy, de formation qu’on a pas forcément en école d’éducs, qu’on a mais c’est très succinct et euh .. oui plus une adaptation de notre fonctionnement, oui de mon fonctionnement face à eux (euh, ma question vient juste à propos là, … comment je peux la formuler de manière simple, est ce qu’il y a une évolution ? Tu m’as répondu tout à l’heure sur quel était ton but en travaillant en internat, est ce que tu m’aurais répondu la même chose il y a 8 ans , est ce que ce serait lié à l’évolution du public ?.. c’est pas très clair ce que je dis !) si … je pense que je n’aurais pas répondu la même chose, parce que déjà j’ai 8 ans d’expérience en plus, est ce que c’est lié à l’évolution du public, je sais pas, je ne me suis pas posé la question ! Je ne sais pas comment j’aurai répondu il y a 8 ans, de façon à peu près similaire, sauf que … oui avec la pratique en moins…. Je sais pas !! je sais même plus ce que j’ai dit ! (tout à l’heure tu parlais d’accompagnement, le fait d’aider à faire un choix … est ce que cet objectif il a pas varié ?) si si il a varié, parce que cette idée de laisser la possibilité aux jeunes de faire un choix et d’accepter qu’il le fasse pas forcément quand il est avec nous et qu’il parte avec les billes pour pouvoir le faire, ça il y a 8 ans j’en étais pas consciente et c’était très dur pour moi quand je voyais un jeune partir et que je me disais ben finalement, j’ai servi à rien (c’est la dessus que cela a avancé pour toi ?) voilà, plus sur le fait de me dir, à un moment donné je lui donne les billes pour, il les prend ou il les prend pas, mais en tout cas je fais tout mon possible pour qu’il puisse les avoir et pis tant pis s’il part d’ici, sans s’en être servi, peut-être qu’un jour, il s’en servira (et l’évolution du public est ce que cela a fait évoluer tes pratiques ?) euh j’arrive pas vraiment à noter, je pense que c’est une évolution qui s’est faite petit à petit, je peux pas dire … (c’est pas flagrant quoi ?) non c’est pas flagrant et puis j’ai acquis le l’expérience aussi, donc du coup ben c’est un tout qui a fait que j’ai évolué même temps aussi, donc voilà ! (est ce que tuas pu quand même pointé que il y a des choses que tu faisais, voilà je répondais de telle manière à quelque chose et qu’aujourd’hui c’est plus possible ? C’est plus possible soit parce que le, public ne le permet pas ou parce que je pense que ce n’est plus comme ça qu’il faut faire ?) Ben disons que quand j’ai commencé, j’étais beaucoup plus rigide dans mon fonctionnement. Pour moi, il y avait beaucoup plus de choses qui étaient posées, de règles qui étaient posées, de choses à respecter , et que … mais dans le fonctionnement d’équipe aussi, dans lequel j’évoluais et que aujourd’hui je me rends compte que ces choses, elles sont dérisoires. Et qu’en tout cas j’ai pas besoin d’avoir des règles posées strictes et à respecter, pour sentir que je peux travailler et avancer quoi. (Tu as besoin de quoi, si c’est plus ça, t’as besoin de quoi pour avancer ?) Moi je trouve que c’est la relation, tout est dans … voilà après c’est .. à un moment donné c’est dans le respect de l’autre, dans les respect de soi, du jeune, dans la confiance voilà, instaurer la relation et voilà… Je pense que le cadre de l’internat, en lui même pose un cadre, donc après il y a des règles forcément à respecter, on est bien d’accord, comme de partout, mais à mon sens ça sert à rien d’en rajouter trop qui viennent du coup… qui peuvent, pas forcément tout le temps mais qui peuvent du coup parasiter la relation ou se protéger, …ça permet…., d’avoir des règles strictes, ça permet de se protéger de la relation, du conflit, de … voilà (d’accord) donc ça aussi ça peut être une chose qui a évolué, c’est que quand on commence le conflit on en a un peu peur et qu’on voit pas forcément le côté bénéfique du conflit ou on sait pas si on va être capable de le gérer ou pas. Là maintenant … (Tu m’as répondu à ce que tu penses qu’on attendait de toi, et toi qu’est ce que tu penses que doivent faire tes collègues ?) RIRE- Pour moi ce qui est super important en internat, c’est le travail en équipe. Je crois que sans le travail d’équipe et sans la confiance qui peut y avoir en équipe, c’est très difficile. Parce que pour l’avoir dans plusieurs équipes différentes, le plus dur dans ce métier justement c’est la construction de l’équipe et ce que mes collègues doivent faire, ce qu’ils leur semblent bon de faire à partir du moment où on se fait confiance quoi, voilà (d’accord) après chacun fait comme il peut, comme il veut du moment ou on a un objectif commun, et un but commun (oui et c’est une question qui va dans la suite, pour toi c’est quoi ou ça serait quoi être un mauvais éducateur ? Comment tu le définirais toi ?) déjà le but c’est de ne pas trahir l’équipe, qui sait pas se remettre en question, je pense à un moment donné, qui sait pas entendre en tout cas la parole de l’autre que ce soit de son collègue ou de son chef de service peu importe, donc voilà. Et euh après il y a plusieurs possibilités, ça c’est dans la généralité mais après dans la relation aux jeunes, c’est quelqu’un qui sait pas être à l’écoute, qui sait pas respecter l’objectif qu’on a fixé en équipe et travaillé en fonction de cet objectif là, ça peut être euh, il y a plein de … (ce qui ressort pour toi principalement, c’est à la fois le fait de pouvoir faire équipe et à la fois d’être dans une relation d’écoute avec les jeunes, c’est les deux choses que tu ressors j’ai l’impression ?) oui, et puis je pense que, vraiment je m’implique un peu , mais je pense qu’il faut savoir donner de soi aussi, je pense que pour être avec ces jeunes là et pouvoir avancer, à un moment donné si on se protège trop et qu’on refuse de s’impliquer, on peut pas aller bien loin. (ça veut dire quoi pour toi donner de soi ?) c’est, … ça revient toujours à ces histoires de règles. C’est à un moment donné ne pas avoir besoin de se cacher derrière certaines choses et ne pas avoir peur d’y aller, voilà ! C’est plus dans ça. C’est vrai que la difficulté avec ces jeunes là, c’est que justement, c’est des jeunes qui peuvent nous toucher, qui peuvent nous perturber dans notre fonctionnement, qui peuvent nous interroger qui… et donc à un moment donné, c’est savoir où sont les limites, mettre la bonne limite dans la relation, mais savoir aussi que,.. oui, il faut y aller quoi ! (d’accord, et est ce que tu as l’impression quand tu parles avec des collègues, pas forcément tes collègues, qui font le même travail que toi, est ce que tu as l’impression, quand vous discuter du boulot, qu’il y a des points communs et des points de divergence aussi ?) euh … des points communs oui, après ça fait longtemps que j’ai pas discuté, … disons des points de divergence oui, je pense justement sur cette histoire de protection et d’implication, c’est vrai que moi, … on a tous nos limites, tous nos points où à un moment donné c’est stop et je pense que le mien il est assez loin par rapport à certains de mes collègues où il peut plus près ou … voilà ( … donner à ?) voilà voilà (est ce que tu vois d’autre chose, dans des réunions où tu rends compte qu’il y des choses auxquelles tu crois vraiment et qui semblent être loin de plein de monde ?) Je vois pas là, peut-être , mais là je vois pas (je reviens un petit peu en arrière, tout à l’heure je l’ai dit dans l’ énoncé de ma question et après je l’ai un peu squizzer ! qu’est ce que tu penses que les familles attendent de toi ?) qu’est ce qu’attendent les familles ? (d’après toi) euh, ça dépend des conditions du placement, donc on peut être vécus comme les personnes qui peuvent résoudre tous les problèmes et qu’on est là pour faire en sorte que leur enfant devienne meilleur et surtout à l’image de celle qu’ils attendent euh après ça peut être un soutien à un moment donné, où les parents disent ben là on peut plus et on y arrive pas et il faut qu’on nous aide, donc voilà ! … j’ai pas vraiment en tête, … et puis voilà, dans l’évolution on a beaucoup de jeunes, en dehors des mineurs isolés qui sont accueillis, on a beaucoup de jeunes qui ont pas famille, c’est vrai que c’est …. (avec tout ça, tout à l’heure tu as beaucoup développé cette question de ce que la société attend, est ce que tu as l’impression qu’entre toi ce que tu y mets, comme objet, comme optique, comme but et les autres, qu’il y a beaucoup de décalage ?) Les autres c’est qui ? (et bien …) la société ? (oui, on va dire comme ça) oui oui (c’est ce que tu disais tout à l’heure ?) oui oui, c’est que je pense qu’on est méconnus, enfin en tout cas sur le travail qu’on pourrait faire et qu’on fait, je pense que les gens ne savent pas ce qu’on fait ! parce que quand je vois dans mon entourage personnel, où il n’y a pas beaucoup d’éducateurs, pour eux c’est un métier complètement… ils l’ont découvert en me découvrant quoi ! et donc les premières questions c’est il faut du courage ? c’est dur ? Mais non c’est pas si dur que ça, voilà .. et quand je leur explique, ils sont complètement dépassés ! déjà ils ont pas forcément conscience qu’il y a des jeunes dans ces difficultés là qui existent, qui puissent être pris en charge en internat, enfin bon voilà … Donc c’est plus sur le fait qu’on est pas connus (et toi comment tu le caractériserais toi, tu trouves que c’est frustrant, que c’est dommage, peu importe ! il faudrait que ça change) C’est ni frustrant ni dommage, après il y a des gens qui n’ont pas besoin de connaître ce que c’est qu’un éducateur de toute leur vie. Après s’ils veulent avoir une ouverture d’esprit sur la réalité de la société et voir comment ça fonctionne et bien oui qu’ils s’y intéressent un peu quoi ! (d’accord, est ce que par rapport à toutes les questions que je t’ai posées, il y a des questions sur lesquelles tu as envie d’y revenir, il y a un point que tu voudrais insister ou c’est bon !) non c’est bon !! B. Entretien avec EVELYNE (le 5 janvier 07) Ce qui m’a amené à être là aujourd’hui, ça a été dans le tard, parce que c’est une reconversion, j’ai été comptable avant pendant sept ans dans une entreprise de plomberie et parallèlement je faisais du judo et j’encadrai des adultes handicapés et je pense que le contact avec cette population et de me rendre compte que professionnellement je ne m’épanouissais pas, j’ai démissionné de mon travail, j’ai démissionné et j’ai passé le concours. Le concours je l’ai .. j’ai eu mon diplôme en 2000, donc c’est récent, en 2000. Moi je viens de la région centre, donc je ne connaissais pas du tout le milieu social, le seul contact c’était cette population d’handicapés (d’accord dans le cadre du sport adapté !) du sport adapté simplement, donc démissionné complètement et me retrouvé sans rien , ça c’était un choix et j’ai repassé mon bac que j’avais raté et ensuite j’ai passé les concours, sur Tour et Orléans et j’ai eu celui d’Orléans, Orléans Olivet. Dans le cadre de la formation, c’est vrai que c’était assez difficile pour moi parce que je ne connaissais pas du tout la psycho, je ne connaissais pas du tout la philo, un peu j’en avais fait en bac, mais très peu, donc c’était vraiment tout nouveau pour moi. Sur l’évolution de cette formation qui a été vraiment bénéfique quand même pour moi, je me suis intéressé plutôt à la population avec le jeunes, de, des ados ados même plus jeunes. Donc avant de venir ici au codase, j’ai travaillé pendant quatre ans au sein d’une MECS, donc là c’était de six à seize ans, c’était très intéressant parce qu’on travaillait, … On était en mixité et verticalité. Donc ça a été pendant quatre ans et je suis partie, c’était pas …pour de raisons personnelles, professionnelles de mon ami (d’accord) D’accord, donc y a pas, sinon j’y serais encore (c’était dans la région centre ?). région centre. Donc là, le Codase, quand je suis , je connaissais pas du tout les structures. Cela va faire deux ans et demi que je suis sur l’unité des alizés, donc je suis en remplacement (en 2004 ? ). 2004 ouaih ! Quand je suis arrivée, cette population je connaissais pas, de 16 à 18 ans, j’avais jamais travaillé. J’ai complètement découvert, même si je connaissais des ados, ce n’était pas du tout le même travail, … difficile pour moi au début, très difficile parce que c’était tout nouveau au niveau contact avec les jeunes, l’arrivée dans une équipe en remplacement aussi, ça a demandé et surtout cette difficulté… des fois…. quand je suis arrivé de travailler un week-end du tout suite. Je mes suis retrouvé avec les onze jeunes où ça brassait et où je savais pas du tout comment ça fonctionnait pour l’unité, donc ça a été, … je me demandais ce que je faisais là. Même s’il n’y avait pas d’actes violents, même s’il n’y avait pas….. pour moi j’arrivais pas à contrôler, par rapport à … Je me demandais ce qu’ils avaient le droit de faire, pas de faire, tout était nouveau. Donc ça a été difficile au début de de de .. comprendre, même si je comprends pas tout encore sur leurs actes, mais de me poser la question si je continue ou pas. Le truc c’était d’avoir discuter aussi avec les collègues, les collègues nouveaux qui arrivaient aussi sur le groupe et avec la chef de service. De poser, de me poser un peu des questions et de me dire qu’il y avait rien de catastrophique, c’était simplement … (tu étais décontenancé par rapport à ce que tu avais vécu jusqu’à présent dans le cadre de ce boulot ?) complètement ! Des plus grands, des 18 ans …… Ou je venais d’un cadre où c’était quand même plus … On contenait plus. C’était des plus petits donc c’était pas du tout le même rapport au niveau des jeunes ou c’était,, … on cadrait énormément, c’était des petits. Là il y a quand même une certaine liberté, c’est un autre contact (là où tu étais c’était un lieu global, où il y avait tous les jeunes au même endroit ?) Tout à fait ! De 16 à 17 ans, on avait dix gamins, onze gamins. Au début, j’ai travaillé avec quatorze garçons, mais il y a eu une restructuration de l’institution et là il y a eu cinq lieux, cinq unités qui ont été effectué, donc intéressantes aussi (d’accord) voilà. A l’heure actuelle, par rapport à mon arrivée , à maintenant, je suis contente d’y être restée et d’avoir persévéré … (d’avoir persévérer ici ?) Oui, à l’espace ados, malgré mes difficultés au début. Ça a été assez, … même douloureux …. (quand tu dis douloureux, c’est quelque chose qui t’envahissait beaucoup ? qui, …). Oui, quand je rentrais, … je crois que c’est le premier week-end où il y avait du monde, tous les jeunes étaient là. Je suis venu qu’un jeudi et après j’ai fait le week-end et … donc …. Il y a eu les goûters, mais ça s’était rien, mais ça circulait, ça jouait avec les portes, ça jouait avec les barres de fer. Donc j’ai circulé, j’ai pas arrêté J’ai dit je vais pas faire ça tout le temps, c’est pas ça mon, … de faire ça tout le temps, quel est mon travail là dessus et qu’est ce que je fais. Je cours après eux, même s’ils ne m’ont rien fait, c’était épuisant psychologiquement. Et l’arrivée dans un nouveau groupe, l’arrivée dans une nouvelle équipe éducative aussi qui se reformait, avec des tensions tout ça. Ça , Ça n’a pas été facile. ( on va le garder au chaud, quand tu disais c’est pas ça mon travail. Ça serait intéressant que tu puisses me dire pour toi c’est, mais ça sera dans un deuxième temps, c’est une introduction intéressante quand tu disais en gros je suis pas là pour ça !) oui ! (avant d’en arriver à ça, est ce que tu peux me dire c’est quoi ton travail ici ? comment tu le décrirais si tu étais face à quelqu’un qui ne connaisse pas du tout. Comment tu expliques ton travail tu en parles avec des amis, des gens qui te demandent ce que tu fais comme travail ?) C’est vrai qu’à l’extérieur me disent c’est pas facile ce que tu fais. Je dis stop, tout travail, … je trouve pas facile ou difficile. Ce que je fais auprès des jeunes, c’est un accompagnement. Je les accompagne, pour moi c’est qu’ils réussissent au niveau d’une orientation professionnelle et un accompagnement aussi au niveau, … un soutien psychologique, je veux dire dans l’écoute simplement , d’être là présent, d’être capable d’écouter, de leur renvoyer ce qui me semble juste. De les accompagner dans différentes tâches, bon ben c’est au niveau scolarité, au niveau professionnel, que ça soit médical aussi quand ils ont besoin. Moi dans mon travail c’est qu’il réussisse à partir là, à partir de 18 ans. Qu’il arrive à se débrouiller presque seul, je veux dire, sur certaines choses, quelque chose qu’il a réussi à construire avec notre aide. C’est aussi, pou certains au niveau éducatif au niveau de l’hygiène. Pour certains, c’est de faire attention à eux, prendre soin, leur renvoyer …. les valoriser, les aider au niveau entretien d’une chambre c’est aussi important et entretien, des tâches au niveau des vêtements. C’est aussi important. C’est aussi leur apprendre, y en a qui ne savent pas du tout. C’est qu’ils arrivent à avoir quelque chose quand ils partent d’ici, .. qu’ils puissent s’en sortir un petit peu plus, être soulagés…….. (d’accord) et aussi y a certains au niveau des des … C’est poser aussi des limites, poser des limites qui va leur permettre d’intégrer quelque chose un peu euh …au niveau des interdits de la loi. C’est de poser des limites tous les jours et d’avoir une continuité dans ces limites pour leur permettre, pour moi, qu’il arrive à se reconstruire, à intégrer certaines choses (quand tu dis se reconstruire, tu emplois le mot Re) parce que pour certains, c’est pas tous, ils ont plus rien, ou ils sont complètement cassés et ils essayent de refaire quelque chose en arrivant ici. Alors soit au niveau professionnel, soit dans la relation simplement, même s’il n’y a pas de professionnel, dans la relation sociale, arriver à un contact. C’est reconstruire c’est ça, parce qu’il se construit tout le temps, je veux dire, mais ils viennent pour s’arrêter ici, se poser, donc c’est un redémarrage , pas reconstruire, il redémarre plutôt. ……. Une béquille, moi je me trouve une béquille pour eux et un soutien ( tu te vois en béquille ?) oui (d’accord) pas pour tous, car …. Y en a qui se posent sur nous énormément, on a besoin de les porter, des fois c’est physiquement, c’est psychologiquement, les amener à sortir ici de leur lit, c’est aussi pour qu’ils arrivent à intégrer quelque chose, avoir une continuité au niveau de la formation, qu’ils arrivent …. Oui ça demande, … les lever le matin c’est vachement important arriver, à les lever à les accueillir, à les amener qu’ils puissent sortir de l’unité pour aller soit en scolarité soit en professionnel, soit à la recherche d’un emploi. Ça ils ont besoin de nous aussi, ça c’est important le matin, dès le matin. L’accueil du matin est important, le petit déj. Tout ça, pour qu’ils réussissent à se mettre en route et qu’ils réussissent à démarrer leur journée, pour mois c’est important le démarrage (c’est quelque chose auquel tu te prépare avant de venir ici le matin, tu réfléchis à la manière dont…) alors aussi c’est soit par rapport à la soirée de deux jours avant, qu’est ce qu’il y a eu par rapport à certains jeunes et comment j’ai passé la soirée, mais oui oui j’y pense dès le matin, l’arrivée le petit déj, comment les réveiller, réussir à les leverf, et donc il y aussi des matins où je n’y arrive pas du tout. Il y a des matins où je suis épuisée, ça c’est vrai et ça je le sens, le contact est différent ou je vais trop vite, ou je peux être agressive, alors ça je reviens ensuite avec le gamin et là c’est vrai ou il m’agace parce qu’il ne se lève pas et là je peux démarrer très vite, ça ça arrive, il y a des matins où je suis pas du tout … et dans la douceur, dans la parole, la façon de parler je fais attention. Quand je suis arrivé au début ici, j’avais l’habitude avec les petits, il fallait que ça tourne, ou je parlais , euh …. Douze ans, c’était différent dans la façon dont on parle à douze ans et à seize dix-sept ans Mais c’est vrai que je me sentais un peu agressive avec les grands là, ils me l’ont dit « tu parles fort », ça m’a fait réfléchir. C’est pas du tout la même façon d’intervenir, donc je me suis pas adapté mais j’ai fait attention à ce qu’ils me renvoyaient. Mais c’est vrai le matin c’est ça. Ce matin Nicolas, je me suis dit on va le réveiller, plusieurs fois, lui expliquer les choses, il a réussit à partir. Mais à d’autres moments, même en faisant ça, il va pas partir ! Ou des fois si je sais qu’il a fait le bronx la nuit, j’ai envie de … ça marche pas et c’est assez agressif et ça le matin, … c’est important pour moi le matin. J’arrive et des fois j’y arrive pas. (c’est à la fois de l’anticipation, de l’observation. Tu anticipes en, réfléchissant à ce qui s’est passé avant, tu observes le comportement et tu t’observes toi dans ta relation. C’est tout ça observation, anticipation et réfléchir sur la manière dont on est soit même) tout à fait ! La façon dont j’interviens. (peut-être dans cette continuité là, on va partir d’exemple si tu en as, pour parler du quotidien au sens large (…) votre travail vous … un exemple ou une situation qui a été dure à vivre ou à gérer et pourquoi ça l’a été en tant que professionnel) Ce qui a été nouveau pour moi ici c’est tout ce qui est histoire autour du cannabis de l’alcool, c’est quelque chose que j’avais pas où je travaillais avant ou très peu, c’était vraiment très rare. Que ici il y a quand même une consommation. La difficulté, ou un jeune, ou j’étais seule. Il avait sûrement fumé, il était très agressif et où on s’est retrouvé nez à nez physiquement et euh, c’est vrai que je me suis préparé à recevoir un coup, parce qu’on était nez à nez. C’est vrai que j’étais seule . je me suis préparé à lui redonner un coup s’il fallait me disant je me prépare vraiment s’il intervient ou s’il va me coincer contre le mur. Il y avait de l’agressivité, soit de l’alcool soit de la consommation et ça ça a été dur, j’ai tenu face c’est vrai et j’y suis allé toute seule en me disant je tiens le coup mais en sachant pas ce qui pouvait m’arriver. Le seul truc c’est que je me préparais, je me protégeais physiquement aussi. Et quand, j’ai tenu j’ai tenu, il a cassé autre chose, il s’est décalé de moi, il a pris le tabouret, il l’a lancé à côté de moi et après qu’il soit parti, ça m’a complètement épuisé, j’étais vidée, quand c’est comme ça et bien je suis sur les nerfs. Je me dis j’arrive pas à me contrôler tout de suite, on doit pas se contrôler mais ça m’a compléter épuisé, j’avais le cœur qui battait je tremblais un peu même si j’avais réussi, pas réussi mais me dire que j’ai failli me prendre une sacré volée et il est parti dehors, il a cassé autre chose. ça je me suis posé la question, j’étais assez en difficulté je veux dire. Est ce qu’il l’aurait fait avec un homme ? Est ce qu’il serait aller jusqu’à physiquement presque, je sais pas avec un homme comment cela aurait réagit. Par rapport à ma taille, il était plus grand que moi. Tout ça je me suis posé la question est-ce que c’est moi qui avait provoqué, est-ce que …. il y a eu plein de questionnements par rapport à ça. Et qu’il soit parti dehors, ça m’a soulagé. Il était mal par rapport à ce qu’il avait fait et euh … ça ça été difficile physiquement (ma question c’était ça aussi, ce qui était difficile c’était le côté physique, émotionnel du truc ?) Oui, le côté physique et émotionnel, c’est difficile parce qu’après tu es tout seul. Et ensuite, je crois qu’il y avait un stagiaire qui est arrivé et ça, ça a été difficile, parce que j’ai pas pu en parler tout de suite. Quand t’es avec un collègue, t’as un relais, ce qui est bien, t’as un relais, on peut en discuter. Et là, je me suis dans un état pareil et j’ai pas réussi, peut-être à dévier, je ne sais pas. C’est vrai qu’il n’y a pas eu de clasch, il a réussi aussi le gamin à …. (il y a eu une forte tension, avec une inquiétude que cela passe à un acte violent ?) tout à fait ! (ce qui était difficile pour toi, c’était l’émotion du moment ?) oui (parce que je voulais savoir aussi si cétait lié entre guillemets à la découverte de ces jeunes sous l’emprise de … sous l’empire de quelque chose, parce que tout à l’heure tu disais que tu n’avais pas l’habitude. Est ce que c’était aussi de se rendre compte que des jeunes se mettaient aussi en difficultés ? ) Il y a ça aussi, je trouve. On sait pas du tout, il y a méconnaissance de réaction par rapport à l’alcool ou le cannabis. C’est vrai qu’ils ont des attitudes que moi je ne connais pas, qu’ils peuvent avoir. Ça dépend sur quel jeune, et c’est vrai que cette méconnaissance, ça a été une découverte pour moi, de savoir la limite de mon intervention, de savoir où je dois intervenir, où je dois laisser, où je dois décaler mon intervention avec un jeune par rapport, … quand il est sous l’effet de l’alcool. On joue un peu avec ça les limites et c’est vrai que ça aussi, euh oui, … ça peut avoir des conséquences dans une relation. Cet été, il y a eu ça aussi avec un jeune sous alcool …. Je savais qu’il était alcoolisé, je savais. Mais le contact que j’avais avec lui avant, j’y suis allé quand même, mais en sachant pas du tout comment il allait intervenir, mais c’est vrai que ça a été limite, on joue avec des limites (toi tu dis aussi dans ce que j’entends, ce type de situation t’amène toi à re réfléchir à la manière dont tu te positionnes, car tu me disais, dans cette situation est ce que j’ai été adaptée, trop loin, je ne sais plus quels termes tu as employés, mais cela t’amène aussi à ça, c’est à dire que des situations aussi précises t’amènent à réfléchir sur ce que tu …) sur ce que j’ai provoqué, ce que j’ai fait. Je pense que des fois, je provoque. Je sais qu’il y a des situations… Cet été en Corse avec Jennifer, j’ai provoqué. Je voulais qu’elle … c’était bon. J’ai dit un mot de plus, pour que … (pour que cela déclenche quelque chose ?) oui pour que ça déclenche, ça je savais euh… et j’avais fait exprès pour qu’après en rediscuter avec elle. Ça je le savais, donc après j’ai pu en rediscuter avec elle, par rapport à ça, ce qu’elle avait mis en place. Mais il y en a d’autre, j’ai une parole … c’est vachement difficile, quand ils sont sous l’abus de quelque chose, sous la prise de quelque chose, des fois on sait pas leurs réactions. D’avoir peur, oui j’ai déjà eu peur que je me prenne un coup, ça s’est sûr ! Même si j’ai eu quatre frères devant moi qui m’ont permis de chahuter, ça ça m’a aidé. Heureusement que j’ai eu quatre frères, j’ai moins d’appréhension que quelqu’un qui n’a pas beaucoup joué. Heureusement que j’ai un peu ça, car c’est vrai que devant des grands gaillards comme ça ou même des petits, … prendre des coups… ( ça s’était le pendant quelque part, ce n’était complètement négatif, c’était de l’ordre du difficile pour toi, de ce que tu as éprouvé, j’entends ça. Est ce que tu peux me donner pareil un exemple de situation qui été pour toi plutôt intéressante, plutôt du côté du positif, du valorisant. Là où tu as eu le sentiment que quelque chose s’est passé, que tu maîtrisais quelque chose, dans le travail que tu menais ?) Moi, ce qui est valorisant, c’est l’évolution qu’y a avec un jeune. Je vais parler de Julie, où avec Julie ça a été vachement difficile avec moi, je crois qu’il y avait un rapport de force. Elle s’est servie de moi, tout ce qu’elle pouvait. Elle m’a renvoyé tout ce qu’elle pouvait, mais j’ai pas calé, c’est vrai que ça a été difficile, ça a été épuisant avec elle. C’était des coups de gueule, c’était presque physique. Je l’accompagnais dans tous ses projets. Je m’en suis pris plein la figure pendant six mois à peu près. C’étaient que des relations violentes, physiques, pour arriver à un décrochement, autre chose avec elle, ou après ça a été autre chose, un lien où elle a pu en rediscuter, se poser. Où actuellement encore, elle appelle et demande qu’est ce que je dois faire ou, … ça s’est le côté positif du travail, je suis vachement contente que Julie, elle est réussie à passer à autre chose, dans la relation, mais il fallait y aller ! (Comment tu expliques que ça est pu changé, ce déclencheur, tu as pu un peu l’analyser, ce que tu as joué, entre guillemets, là dedans ?) Je crois que c’est la continuité, je l’ai pas lâcher. C’est aussi la rassurer, c’est aussi le côté tout ce qu’elle faisait j’étais derrière, je les accompagner, par rapport à son père, les relations extérieures, professionnel, même si je m’en prenais plein la figure avec elle, j’y allais, j’y allais et j’avais toujours un même discours en face d’elle et je l’ai soutenue, psychologiquement, physiquement, je l’ai accompagnée et je pense que ça ça l’a, … je crois qu’elle a pu se reposer un moment. Elle s’est dit ben ça y est là, elle a sentie qu’il y avait quelque chose peut-être d’un peu solide en face d’elle, qu’elle en avait peut-être jamais eu. Je sais pas si c’est ça qui a pu déclencher, mais elle le dit qu’est ce que j’ai pu t’embêter, qu’est ce que j’ai pu t’envoyer promener, notre relation au début tu t’en es pris plein la figure. Maintenant, il y a autre chose, maintenant elle est dans l’écoute (toi c’est le sentiment d’avoir…) garder une continuité (une ligne conductrice ?) je trouve, de ne pas avoir laisser tomber (c’est quelque chose qui a été déclencheur d’une évolution possible de cette gamine ?) Avec moi, avec le reste c’est autre chose, mais avec moi oui. Je crois que je lui ai toujours renvoyé comme quoi je lui faisais confiance, qu’elle allait réussir. Ça s’était difficile parce que des fois elle mettait tout en échec. C’était aussi le discours du père que j’avais, il n’avait pas un discours valorisant par rapport à sa fille. Moi c’était un truc, euh, même si elle mettait en échec tout ce qu’elle mis, je la valorisais. Elle avait réussi à rester deux jours à un stage, après c’était trois jours, ouaih, je l’ai tout le temps valorisée et ça s’était bénéfique, même qi ça me mettait à mal. Il y a des moments où j’en pouvais plus, je disais aux collègues reprenez le relais, c’est vachement difficile, mais pour moi, s’il y avait cette relation avec moi où elle était vraiment forte, je me dis qu’il y avait quelque chose à faire aussi. Elle était dans la demande, elle savait comment faire, mais elle était dans la demande, donc j’ai continué, heureusement qu’il y avait l’équipe derrière, toute l’équipe pour soutenir, et dire ouf on prend le relais et on recommence, c’est comme ça que je fonctionne. Y a des moments, où y a rien qui fonctionne mais bon d’avoir essayé. (dans ton travail d’éducatrice qu’est ce que tu apprécies ?) Ce que j’apprécie le plus, c’est d’être en contact avec les jeunes, le contact avec les jeunes et d’avoir des échanges, des moments que ce soit le repas, mais des activités extérieures, partir en camps, de partager des moments avec eux, ça j’aime énormément, le travail du soir, l’internat moi j’aime bien, c’est quelque chose qui, … c’est un choix de travailler, car j’aurais pu choisir autre chose là. Travailler en internat, de faire des choses, le soir le matin, le week-end, c’est assez varié et le travail d’équipe (quel sens tu y mets toi, quand tu dis ce travail quotidien d’y faire des choses, qu’est ce que tu y mets derrière qui fait que c’est ce que tu as choisi ?) C’est vrai j’ai choisi ………… oui ça me ….. c’est valorisant, c’est …. Je sais pas qu’est ce qui …. ( je dis ça, car on entend souvent des éducateurs qui disent que le quotidien c’est répétitif, les couchers, les levers la nourriture, moi j’aimerais bien faire autre chose et toi au contraire tu me dis c’est ça qui moi me motive, qu’est ce que tu trouves toi dans ces gestes là que d’autres ne trouvent pas ?) Parce que c’est une vie de tout les jours et qui a besoin pour ces mômes là, qu’il y ait une continuité, c’est vachement important. Il faut que ce soit gai, … Il faut quelque chose comme dans une vie de famille, oui, …. Je trouve pas que c’est un quotidien, qu’on répète. C’est jamais la même chose, tous les levers ne sont pas pareil, les soirées sont complètement différentes, j’ai jamais une soirée qui est identique à l’autre, par rapport à un événement, par rapport à un jeune, par rapport aussi à mon état, si je suis bien pas bien, rien n’est pareil si je travaille avec un homme, si je travaille avec une femme, donc c’est jamais la même chose, donc moi j’ai pas l’impression de me répéter, donc en fin de compte, il y a ça aussi (ce que tu es en train de me dire c’est que dans des choses qui pourraient être répétitive, car tous les jours il y a à faire des choses, toi tu trouves une diversité dans des choses qui sont répétitives ?) Une diversité parce qu’il y a une ambiance, l’ambiance est différente. C’est ce que tu amènes toi aussi le matin l’ambiance, ce que tu vas provoquer, le soir aussi. Si j’ai pas envie de faire à manger c’est aussi différent. Ça dépend la gaieté, ça dépend la joie, ça aussi ils le sentent les jeunes, quand t’es pas bien quand t’es bien. Moi je leur dis, aujourd’hui je suis fatiguée alors je suis pas disponible, je leur dit ça (ils entendent ça ?) moi je crois oui. Ou des fois, j’ai un peu dérapé, j’ai crié dessus, j’y retourne, je lui dit j’aurais pas du te crier dessus, ça m’a énervé, l’autre m’a énervé, c’est toi qui a pris voilà. Ça ils entendent, oui, ça ils aiment bien l’entendre, c’est leur faire entendre que je suis pas un robot, je suis venu avec mon histoire avec tout ça, ce que je vis tous les jours. Non non c’est pas répétitif, rien n’est répétitif. Ce qui est répétitif, c’est quand j’ai travaillé en usine, après ma démission, oui là c’était répétitif et je savais que c’était que trois mois le temps de réintégrer l’école, là c’est répétitif, que là non. Les jeunes sont différents le matin, ils sont différents le matin et le soir, des petits trucs peuvent changer l’ambiance, il faut pas grand chose. (alors peut-être on peut élargir, là on a parlé de ce que tu faisais concrètement. Là on va y rester, mais en élargissant un petit peu. La question que j’avais envie de te poser, c’est quand tu as choisi, bon tu y as un peu répondu, mais quand tu as choisi de venir travailler en internat avec ces adolescents, ton but c’est quoi ? Qu’est ce que tu souhaites faire ? Tu te dis, voilà j’ai choisi, voilà pourquoi, qu’est ce que j’y met derrière) Pourquoi j’ai choisi l’internat, déjà la disponibilité la journée, pour moi je suis incapable de … euh, j’aime bien travailler le soir, ça ne me dérange pas. J’ai choisi d’être avec cette population le soir, euh tu fais le même travail la journée, euh il y a le travail le week-end aussi qui est important. Pour moi c’est deux choses différentes entre le week-end et la semaine. Le week-end c’est complètement différent comme ambiance, ce que j’apprécie beaucoup avec les jeunes. Et pourquoi j’ai choisi l’internat, parce que j’aime bien avoir des jours dans la semaine par rapport à mes activités personnelles.J’ai pas envie de travailler la journée, euh j’aime bien partager des moments, les différents moments, passer des soirées même jusqu’à 23 heures, ça ne me dérange pas du tout, euh les horaires ne me dérangent pas parce qu’à côté je suis épanouie, parce que je fais plein de choses à côté. J’aurais des horaires de bureau, je me sentirais totalement cloisonée. Parcequ’à côté j’ai des choses, un équilibre, ce qui me permet de venir travailler le soir, de travailler les week-ends, j’ai quand même une disponibilité. Après le choix de l’internat, c’est parcequ’il n’y a pas de côté répétitif, pour moi c’est de venir travailler, partager des moments avec les jeunes (de manière plus générale ton but ? Je suis éducatrice en internat pour… ton but c’est quoi ? ça a un but, une idée un sens ?) Pour moi en internat, c’est des jeunes, ils sont placés, ils ne rentrent pas chez eux, donc c’est quand même un lieu, c’est leur lieu, pour certains c’est que leur lieu d’être en internat, d’être ici, donc le but c’est quand même de leur permettre de passer ce cap facilement, parce que c’est pas facile de se retrouver sans famille, sans … Leur seul lieu, c’est leur chambre ici, donc c’est leur faciliter la vie pour après réintégrer quelque chose quand ils ont 18 ans, autre chose. Je sais pas , c’est le faire passer, c’est qu’un passage dans leur vie. Que ce soit facile pour eux, plus facile, déjà par rapport à leur histoire c’est de les soulager et d’arriver à faire autre chose (eh qu’est ce que tu penses que les autres pensent de ton travail. En cascade, par exemple qu’est ce que tu penses que ta hiérarchie attend de toi ? Elle t’a embauchée, elle t’a peut-être dit des choses, mais toi tu penses qu’elle attend quoi de toi ?) Ben mon travail, par rapport à ce qu’elle pense ? ……. Ben que j’effectue mon travail correctement, je veux dire à savoir au niveau de la responsabilité au niveau des horaires, au niveau …. D’être présent, de suivre les jeunes correctement que je sois présente dans toutes les réunions demandées, … que je sois pour les jeunes, le matin le soir, qu’il y ait une écoute, Ouaih, de ne pas faire n’importe quoi non plus (c’est à dire ? ça voudrait dire quoi faire n’importe quoi ?) faire n’importe quoi, j’sais pas, par rapport à mon équipe euh, faire des gros trucs, j’sais pas, se faire des soirées à l’extérieur avec les jeunes dans des conditions, … aller dans des bars, boire un coup, faire des choses qui rentrent pas du tout dans le cadre avec des jeunes qu’on a, j’sais pas de sortir le soir, de faire un week-end, aller dépenser, que ce soit n’importe quoi, ….dans un restaurant, aller … j’sais pas , accumuler des choses qui financièrement devraient pas aussi , boire de l’alcool avec les jeunes, des choses comme ça qui ne me viendrait pas à l’idée. Mais pour moi c’est le n’importe quoi, de les mettre en danger, ça ça serait n’importe quoi, …. Ce qui me demande aussi c’est de sécuriser, de la sécurité auprès de jeunes, d’être un cadre où les jeunes peuvent être en sécurité, voilà, pour qu’il n’y ait pas de problème. (pour élargir un peu ) c’est vrai que c’est difficile, pour moi c’est logique, tu vois le travail qu’ils me demandent (c’était que tu me dises comment tu percevais ce qu’on attendait de toi, voilà) Mon travail éducatif, l’accompagnement, d’être là (d’accord, … Qu’est ce que tu penses que l’extérieur attend de toi ? On pourrait le sérier. On pourrait commencer d’abord par les prescripteurs, ceux qui placent les jeunes, tu penses qu’ils attendent quoi de toi éducatrice ? on pourrait dire le juge des enfants, le conseil général, les services sociaux, …) Toutes ces personnes là, moi je …. En plus quand le juge des enfants est passé là, on est en lien. Moi je suis plus en lien, que par rapport à mon ancien boulot, la MECS, avec l’ASE. On est plus en autonomie, je veux dire, les réunions tout ça. Ce qu’ils attendent c’est qu’on fasse le lien, je veux dire, qu’on soit le lien entre le jeune et les institutions de placement et aussi qu’on soit garant de ce que le jeune, son projet individuel, on soit garant de ce qu’ils demandent eux, que le jeune ne fasse pas n’importe quoi, qu’on arrive à concrétiser leur projet, c’est ça. Je pense que je suis le lien entre l’extérieur, entre le jeune et le lien extérieur, donc les demandes du jeune, les demandes de l’ASE, les demandes du Juge, je fais le lien. Après euh … c’est ça le plus important qu’il y ait une relation. Et que le travail qu’on effectue auprès des jeunes, ce soit dit avec l’ASE, avec l’Assistant social, avec la référente tout ça. Je crois qu’il y a besoin de beaucoup de relations. Je trouve ici qu’avec certains il y a pas mal de relations. On peut s’appeler, on peut dire les choses, on a fait ça euh, et ça c’est bien (donc là c’est du côté des professionnels et qu’est ce que tu penses que les familles des jeunes qui sont confiés ici attendent de toi ?) Ca dépend certains … C’est un soutien, c’est un relais pour certain, un relais au niveau éducatif, pas à la place de la famille, je remplace pas la famille. Un relais au niveau éducatif, ça veut dire voilà j’y arrive plus au niveau de mon enfant, au niveau scolarité, professionnel, éducatif. C’est un relais moi je dis, pour certains. (quand tu dis relais, est ce que tu peux essayer de m’expliquer, ça veut dire quoi , pour toi ?) Pour moi, c’est continuer ce qu’ils ont fait euh au niveau scolarité, au niveau éducatif, c’est une continuité, je continue ce qu’ils ont entamé ou pour certains qu’ils n’ont pas du tout entamé. Pour certains parents, ça les soulage qu’on arrive à mettre en place avec le jeune, que le jeune arrive à mettre en place quelque chose de professionnel, donc c’est ça, c’est ce qu’ils demandent. La plupart des parents ce qu’ils demandent, c’est qu’ils s’en sortent les gamins. Après t’as des parents y sont complètement …, tu peux pas discuter, y a pas d’échange. Y a des absences de parents, moi c’était la première fois que je travaillais avec des mineurs isolés (oui ?) donc là il y a l’absence des parents, donc le lien … c’est seulement le placement, l’aide sociale qui place et c’est vrai que là on a pas de relais. Là on fait avec, on fait avec le jeune. Là il n’y a pas une demande extérieure de la famille, donc c’est complètement différent. ( oui oui !) Et avec certaines familles ce qui a été bien, ce qui est important c’est de redire les choses, de ce qu’on fait, pour certains : on a fait ça avec le jeune, y a ça … on a fait cette démarche là auprès du collège, on a fait cette démarche là, le jeune en est là voilà. (d’accord, ça veut dire tout ça pour toi relais ?) oui ! (est ce que tu as l’impression qu’entre ce que toi tu penses être ton travail et ce qu’on pense de ce qu’est ton travail -la hiérarchie, l’extérieur - qu’il y a du décalage entre ces deux attentes, ces deux visions du travail ?) Moi j’ai pas l’impression qu’il y ait du décalage, parce que s’il y a une discussion, on dit les choses. Euh … c’est ce qui me donne l’impression, avec l’institution, avec la direction ou avec la chef de service. Quand il y besoin d’interpeller, il y a ce qu’il faut. Il y a beaucoup d’échanges. C’est vachement important qu’il y ait un regard extérieur, un regard qui nous dise, qui me dise ben ouaih, moi j’aurais pas fait ça comme ça ou c’est bien ce que tu as fait et tout, et ça c’est important ou de poser des questions, ben qu’est ce que je dois faire ? je suis dans l’impasse ou j’en peux plus ou … je trouve qu’il n’y a pas un décalage, parcequ’on parle énormément (et entre l’extérieur et toi ?) l’extérieur au niveau de l’ASE ? (que ce soit l’ASE, les travailleurs sociaux ou les familles, la société) bon ça dépend de la relation avec l’ASE, des référents. Il y a des référents où j’ai pas de relation du tout, je les oublie même ! je les oublie parce qu’ils interviennent jamais, ils appellent jamais, et c’est vrai que dans le travail auprès du jeune, ben après je me dis oh là il faut que je l’appelle pour lui dire il y a eu ça quand même ! Donc des fois c’est démerdez vous ! et des fois c’est un travail en commun où on s’appelle régulièrement où il y a quelque chose … (ce que tu es en train de me dire c’est que si il y a un travail de lien, de mise en mots de relations régulières, le décalage il existe pas ou moins) ouaih moi je trouve parce qu’il sait ce qu’on fait (par contre s’il n’y a pas ce lien il peut y avoir un décalage entre ce qui est attendu et ce qui est fait ou ce que tu imagines toi ?) non, y a un décalage dans le travail moi je dirais, dans le travail à effectuer auprès du jeune, je veux dire. C’est bien d’avoir un soutien extérieur avec de l’ASE et tout ça, qu’ils soient présents , que ça soit repris, qu’ils fassent le lien avec la famille. Et quand y a pas, tu te débrouilles avec, c’est vrai ! Mais qu’il y ait un décalage, je crois qu’il n’y a même pas de vision par rapport à notre travail (d’accord … et alors sur un autre aspect … pour toi c’est quoi ou ça serait quoi être un mauvais éducateur ?) Un mauvais éducateur pour moi c’est quelqu’un qui met en danger un gamin, … qui le violente c’est ça un mauvais éducateur. Y a pas de mauvais dans les actes éducatifs où ça le met pas en danger. Moi je peux me tromper sur quelque chose, on en rediscute et si ça n’a pas mis à mal le gamin euh, l’hôpital, en danger euh s’il n’y a pas eu de brutalité. Moi un mauvais éducateur c’est ça, quand il y danger sur la personne, après… il faut vraiment que ce soit l’extrême parce que mauvais, … moi je suis pas mauvais ou mauvaise, j’ai pas ce point de vue … (et bon éducateur ?) non y a pas de bon, il y a un travail qui est effectué. Y a pas de bon excellent, meilleur (Onh onh !!) C’est le travail auprès des jeunes, d’être là présent, y pas de bon ou de meilleur, je suis pas dans le truc d’une hiérarchie comme ça. (pas dans un jugement comme ça ?) non ! Après mauvais oui j’en ai vu des mecs qui … dont j’ai du signaler. Ça m’est arrivé dans mon ancien boulot, je l’ai interpellé, j’ai dit stop là, j’ai fait un courrier, y a brutalité physique, là j’ai dit stop, je lui ai déjà dit. Ca m’est arrivé d’être dans cette situation, d’intervenir, de faire un écrit et de lui dire j’ai fait un écrit à la direction et il y a ça, ça ça … Donc là oui, là y a mauvais, là c’est mauvais. Y a que ce côté là, après euh …. Bon ou mauvais, on peut pas dire ça comme ça ! j’aurais pris de mots, plus euh … après c’est … plus dans la continuité. Y a des choses ou je peux reprendre avec un éducateur ou une éducatrice, ou même reprendre avec moi, mais y a pas de bon ou mauvais (donc toi tu emploierais quoi comme mots , alors ?) quelqu’un qui est efficace, euh, qui est présent , présent physiquement, psychologiquement. C’est ça ! la présence. Bon il y des jours où on est pas présent non plus, c’est ce que je te disais, il y des jours on est là mais on est pas là ! (donc toi comment tu caractérises, ou tu interpelles quelqu’un où tu as le sentiment que de manière …. ) générale il est pas là ? (oui il est pas là, il est pas présent dans le sens où tu pouvais le dire) … je dirais pas bon ou mauvais, je dirais … je sais pas quel mot je peux … pas présent, mais bon je sais pas ! (pas présent ?) oui (d’accord ! … on va s’acheminer vers la fin, mais j’ai une question qui m’occupe là Donc depuis que tu exerces , donc depuis 2000 c’est ça ?) oui (est ce que tu as le sentiment d’avoir changer d’avis sur ce qu’est ton travail ? et si t’as changer, dans quel sens ? changer ou évoluer, ou radicalement changer, j’en sais rien ! comment tu peux expliquer cette évolution ?) Moi mon travail auprès des jeunes a changé, a changé à travers les rencontres que j’ai eu , les rencontres d’éducateurs, les rencontres chef de service, les rencontres d’équipes, euh … aussi psychologues, aussi supervision, euh ça j’ai changé oui, j’interviens pas du tout de la même façon ici qu’il y a six ans. J’ai plus d’assurance déjà, un autre regard euh les gens que j’ai rencontrés avec qui j’ai échanger m’ont permis d’évoluer dans mon travail, dans ma façon d’intervenir, de réfléchir euh même au niveau de l’écrit j’ai évolué, c’était mas difficulté l’écrit à l’école. Tout ça a évolué et j’évolue encore. La supervision me fait évoluer, me fait réfléchir. Le nouvelles personnes que je rencontre au sein de cette équipe m’ont fait réfléchir, la façon de travailler. Le regard, l’écoute tout ça ça bouge. (est ce que tu pourrais me donner quelques exemples sur lesquels tu te dis j’ai radicalement –ou pas- évoluer ou changer, sur telle chose je pensais ou je faisais de telle manière et aujourd’hui je fais ou je pense de telle manière ?) Pour imager au début je crois que j’étais assez stricte, pour me protéger , je pensais qu’avec certains jeunes il fallait être très cadrante et c’est vrai que j’étais très cadrante au début de mon travail et que là je me rend compte qu’il n’y a pas que le cadre. Il faut lâcher certaines choses avec des jeunes pour arriver à autre chose. Avant je passais tout le temps par le cadre, avant, c’était une façon de me protéger. Que là j’arrive à avoir un cadre mais pas aussi ferme, c’est pas une fermeté aussi forte. C’est pour ça qu’au début quand je suis arrivée ici où on est autonome, on est dans une maison, … et y a des choses moi au début, quand il y avait un dégât ou ils cassaient quelque chose, j’étais assez euh, je voulais être assez ferme, je voulais arriver à une sanction. C’était l’histoire de la sanction et la sanction je l’ai laissée, … il y une sanction, mais différente. Avant il y avait une fermeté, ça j’ai évolué là dessus. Voilà si j’ai évolué dans cette relation, c’est que je me suis lâchée, lâchée, me laisser un peu évoluer différemment, moins de barrières, de sécurité, de me protéger. J’ai évolué à travers ce que j’ai rencontré, les gens, la façon dont ils travaillent. Je regarde comment ils travaillent, par exemple L. j’écoute ce qu’il dit, comment il travaille. Ça je regarde, j’apprends à travers S., je peux apprendre à travers F. la façon dont elle intervient. Il y a quelque chose qu’on apprend à travers les autres. J’écoute et après je me dis tiens j’avais pas fait comme ça, j’aurais pas dit la même chose que ça, voilà. Y a autre chose, le regard l’écoute, de me poser, prendre le temps d’écouter euh et ça je pense qu’avant j’allais un peu vite. J’écoutais, mais je prenais pas le temps de me poser avec le jeune. Ça aussi, faire les choses avec lui, de prendre son temps. Avant ça allait un peu vite peut-être, ne pas approfondir les choses. (et quand tu parles avec tes collègues, au sens large, pas que ceux de ton équipe, quand tu rencontres d’autres personnes, quand tu parles de ce travail d’éducateur est ce que tu repères des points communs entre toi et les autres ? Ou au contraire des différences ?) Ben le point commun, euh, … c’est marrant parce que quand je suis partie de l’ancienne institution , j’ai une collègue qui est partie en même temps que moi. Je suis toujours en contact avec l’ancienne institution et celle qui est partie et on a eu un point commun en se disant si je retournais travailler là bas, je ne travaillerais pas de la même façon ! J’ai évolué, j’ai appris. J’ai appris autre chose et elle aussi. Le point commun avec les autres personnes, … je crois que c’est l’écoute euh qui est énorme et la relation avec les jeunes on adore. Moi je m’éclate avec les jeunes. Et avec certains collègues ou ex collègues c’est ça, quand on parle des jeunes on a vécu un moment, quelque chose de drôle pas drôle. C’est ça, c’est ce qu’on vit avec eux, c’est ce point commun. (toi c’est quelque chose que tu aurais tendance, avec les personnes que tu rencontres, presque à généraliser, ce sentiment d’être bien avec les jeunes et d’avoir envie de passer du temps avec eux ?) Oui, et j’ai un autre exemple avec une éducatrice, je ne sais pas ce qu’elle vit, mais pour elle, « c’est lourd ce que je fais », chaque fois qu’elle m’en parle, oh c’est pas facile, il faut du temps, je dis attend il faut pas du temps, je le vis bien, mon travail j’ai envie d’y aller et que elle, elle vit lourd, c’est lourd, ça te prend au niveau physique , psychologique, t’es mal . Je dis oui, il y a des moments comme ça, mais moi je vais au travail, j’aime bien, j’y vais pas en reculant. Là il y a un décalage. Y en a qui vive leur travail complètement difficile, les relations avec les jeunes, leur histoire. C’est vrai que c’est difficile tout ça, mais il y a des espaces où on peut en parler. Des fois c’est vrai que c’est dur, des fois je reviens à la maison, c’est vrai que c’est pas facile. Mais y a vraiment des espaces. Là il y a un décalage. Je suis en décalage avec cette personne et ce que j’ai envie de lui renvoyer à chaque fois c’est du positif, c’est heureux, c’est tout va bien enfin tout va bien ! oui je vais bien, je veux dire je fais ça, j’apprécie de faire ça euh, là je travaille avec des mineurs isolés, c’est super enrichissant. J’ai découvert plein de choses et j’y vais. Après dans le travail avec les anciens collègues, il y a un décalage, parce que c’est vari ici je suis en autonomie , parce que qu’il y a pas la direction qui est derrière moi euh y a un décalage au niveau du travail. Je sais si ce serait difficile de retourner où j’étais avant où il y a la direction. Une certaine autonomie dans les synthèses, d’aller voir l’ASE, de se déplacer, à la gendarmerie tout ça, … on est vachement autonomes. C’est quelque chose que je n’avais pas avant. Non je ne me sens pas en décalage, quand je rencontre des gens à l’extérieur ouaih. (est ce qu’il y a des choses, dans tout ce qu’on évoqué ensemble où tu te dis j’aimerais revenir sur tel point, préciser telle chose ou dans l’ensemble tu penses que …) Dans l’ensemble des fois je suis un peu en vrac ! On est du matin et … (pour moi c’était pas en vrac) moi je suis plutôt du soir, je suis pas du matin ! Non non, je n’ai pas à revenir sur certains points IV. EXEMPLE DE GRILLE DE TRAITEMENT DES ENTRETIENS V. EXEMPLE DE GRILLE D’ENTRETIEN ANNUEL D’ÉVALUATION NOM DU CANDIDAT : M. RYBOLOVIECZ David DATE DU JURY : DIRECTEUR DE RECHERCHE : M. BERLIOZ Gilbert Février 2009 DIPLÔME : Mémoire présenté en vue de l’obtention du Diplôme Supérieur en Travail Social (D.S.T.S) TITRE : QU’EST CE QUE JE FAIS LÀ ? SOUS-TITRE :Recherche compréhensive sur les fondements d’une pratique d’éducateur d’internat en M.E.C.S. RESUMÉ : Cette recherche a pour origine l’expression de l’insatisfaction d’éducateurs d’internat intervenant en Maison d’Enfants à Caractère Social accueillant des adolescents. Pourquoi cette insatisfaction latente, alors même que l’institution, ses cadres et même les tutelles viennent positiver l’action éducative mise en œuvre auprès de ces adolescents en grande difficulté ? C’est du côté de la compréhension de ce qui fonde la pratique de ces éducateurs que nous avons alors orienté ce travail de recherche. Dans une première partie, nous nous sommes attachés à mettre en évidence le contexte d’intervention des éducateurs : un retour sur quelques éléments historiques et légaux, la mise en lumière d’un champ d’intervention toujours en mouvement et en questionnement, avant de décrire le contexte particulier d’intervention de l’équipe d’éducateurs à l’origine de notre questionnement. Cette partie sera également l’occasion de faire un détour par le concept de représentation « système d’interprétation régissant notre relation au monde ». Nous pourrons alors ouvrir notre seconde partie sur la démarche méthodologique qui nous a conduit à rencontrer une dizaine d’éducateurs d’internat, pour leur donner la parole sur leur pratique et de leur métier. C’est à partir de cette «matière première » que nous avons tenté de faire émerger des figures d’éducateurs telles que l’émancipation, la réparation ou le technicien. Ces différentes figures ont pu être rattachées, dans notre troisième partie au concept de Max Weber relatif à l’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction, cohabitant dans la pratique des éducateurs. Nous avons alors pu faire l’hypothèse que ces deux éthiques au sein d’une même pratique, engendre de la tension, terreau de l’insatisfaction et du doute pour les éducateurs. À partir de cette compréhension, nous invitons les chefs de service, responsables des équipes d’éducateurs à s’emparer de cette question de l’évaluation, afin de soutenir les éducateurs. Chacun, à partir de différents niveaux d’évaluation que nous avons rappelés, doit en effet pouvoir porter un regard et mettre des mots sur sa pratique afin de comprendre ce qui est en jeu, ce qui peut progresser et ce qui fonctionne. Il n’est pas question ici de supprimer le doute nécessaire au travail social, mais d’aider à comprendre et à dépasser l’insatisfaction ressentie, pour vivre plus sereinement sa pratique d’éducateur en Maison d’Enfants à Caractère Social. MOTS CLEFS : représentations- éducateur- M.E.C.S - éthique de conviction- éthique de responsabilité. NOMBRE DE PAGES : 127 ANNEXES : en fin de document CENTRE DE FORMATION : COLLÈGE COOPÉRATIF RHÔNE-ALPES (C.C.R.A)