FACE AU FN

Transcription

FACE AU FN
LES PRATIQUES #15
FACE AU FN
coordination du projet
Cédis
COAUTEURS
Erwan Lecœur
Sociologue
Consultant en communication politique
Enzo Poultreniez
Militant écologiste
D’aucuns considéreront qu’un organisme de formation des élu-es n’a pas la
légitimité à publier un ouvrage de résistance à un parti politique et à ses
idées.
Nous leur répondrons que nous n’avons pas la mémoire courte et que face
au FN, tous les démocrates et toutes leurs organisations ont l’impérieux
devoir de se mobiliser.
ÉDITO
No pasaran !
Notre République et ses valeurs sont menacées. N’oublions jamais que tout
près de nous, il y a seulement quelques décennies, l’extrême droite a réussi
à vaincre des républiques par les urnes et par les armes.
Aujourd’hui, c’est subtilement dans le quotidien de nos territoires que
ces sombres idées se répandent et avancent. La réplique doit être à ce
niveau, par une démocratie fonctionnant à plein régime et une exemplarité
individuelle et collective des élu-es.
Quand les démocrates bafouent la démocratie, quand ils cèdent aux sirènes
de l’autocratie et du sectarisme, quand ils sont faibles pour appliquer les
valeurs, ils favorisent la banalisation du FN…
Le Cédis a eu la chance de rencontrer Erwan Lecœur. Un grand merci à lui
et à Enzo Poultreniez qui a corédigé cet ouvrage et à tous les contributeurs
à cet ouvrage pour la qualité de leur travail. Ils nous invitent à notre devoir
et nous aident à mieux comprendre pour mieux agir. Ils nous rappellent
que c’est en mettant véritablement en action notre projet politique que
nous ferons véritablement face.
Henri Arévalo
Président du Cédis
Directeur de publication : Henri Arévalo
Comité de rédaction : Anne Brégeon et Grégoire Aussavy
Cédis
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SOMMAIRE
Introduction ......................................................................................................... 7
L’émergence d’une identité locale ............................................................................. 60
       Par Erwan Lecœur
La baisse du vote Front national .............................................................................. 61
1|COMPRENDRE
Le sentiment de relégation, terreau du FN ............................................................. 61
       Par Erwan Lecœur
Hénin-Beaumont :
des apparitions locales, conviviales et inventives .............................. 62
Le FN : quarante ans d’existence ............................................................. 16
Les écologistes, entre vaillance et abattement ........................................................ 63
Le succès d’une stratégie « lepéniste » ..................................................................... 16
Faire souffler un vent frais sur Hénin ..................................................................... 63
Petite chronique d’une progression inexorable ........................................................ 18
Le happening comique : mettre les rieurs de son côté ............................................ 64
Le lepénisme, de père en fille ................................................................................... 22
« Nestor le Mort » et « chamboule-tout anti-préjugés » :
décaler le regard, pour interpeller ............................................................................ 64
Comment peut-on être électeur FN ? ..................................................... 25
Une réponse à la « crise du sens » ............................................................................. 25
Une posture « contre le système » : le parti des mécontents ................................... 27
Les votes FN : de la droite au « ni-ni » ..................................................................... 28
La peur de perdre : insécurités sociales, territoriales... .......................................... 29
Face au FN et aux crises  : proposer une alternative ......................... 32
Leçons et échecs de l’antifascisme ............................................................................ 32
Écologisme vs lepénisme : challengers politiques opposés ...................................... 35
Remettre le frontisme à sa place, à la lumière de l’écologie .................................... 37
Épilogue : l’urgence, donner du sens ..................................................... 40
     Que faire ? ............................................................................................................. 42
2|AGIR
       Par Enzo Poultreniez et Erwan Lecœur
Bassin minier : sauver le front républicain ? ................................... 46
Mission République : une tentative de sauvetage du front républicain ................. 47
Les raisons d’un échec ............................................................................................... 49
Bruxelles : un petit livre vert contre l’extrême droite ...................... 50
Genèse d’un livre vert ............................................................................................... 51
Une efficacité en demi-teinte .................................................................................... 53
L’Île-Saint-Denis :
une « île vivante » et en « Ébullition » face au FN ............................... 54
Ébullition ou la citoyenneté rénovée ........................................................................ 55
D’Ébullition à L’île vivante ........................................................................................ 56
Blouse blanche et pilule verte contre « peste brune » ............................................. 66
Un guide participatif du « Vivre mieux dans le bassin minier » ............................ 66
Régions : révéler ce que disent et font les élus FN ............................. 67
Rhône-Alpes et Nord - Pas-de-Calais : des écologistes en veille permanente ........ 68
Nord - Pas-de-Calais : démasquer le double discours  ............................................ 69
Rhône-Alpes : chroniques réelles et fiction politique .............................................. 72
La « fachosphère » :
une cartographie de l’extrême droite sur le web ................................ 75
Une carte des liens et connexions ............................................................................ 76
Six « familles » pour des centaines de sites ............................................................. 76
Reprendre et compléter la carte, repérer les « trolls » ............................................ 78
VISA : infos syndicalistes contre l’extrême droite .............................. 80
Analyser et démonter le discours pseudo-social du FN .......................................... 81
Un outil pour le monde du travail ............................................................................ 82
Des publications utiles et bien informées ................................................................ 84
Europe Écologie Les Verts :
constitution d’un groupe national de veille ........................................... 85
Partir de l’existant .................................................................................................... 85
Mutualiser et essaimer ............................................................................................. 86
Quels supports ? ........................................................................................................ 86
3|ANNEXES
Pour aller plus loin .......................................................................................... 90
Cyberographie ................................................................................................... 91
Bibliographie ..................................................................................................... 92
Lien social et démocratie partagée, contre peurs et préjugés ................................. 58
Firminy : retisser du lien social .................................................................. 59
Le Layat, bastion du vote frontiste .......................................................................... 60
Une épicerie sociale et solidaire pour recréer du lien social ................................... 60
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« Les temps sont calmes, en apparence. (…) C’est uniquement en cas de
péril extrême que nous nous inquiétons les uns auprès des autres :
« Comment trouver une morale ? » qui nous manque.
Comme si c’était une question de minutes ou de secondes.
Mais il s’agit de nos sociétés. » 1
INTRODUCTION
Face au FN
Serge Moscovici
Psychologue social
Écrire un livre à la fois explicatif et pratique sur les réponses à apporter face
à la progression des idées et des scores du Front national apparaît à la fois
comme une gageure, une nécessité renouvelée et une réponse à une attente
forte et partagée. Après des années d’atermoiements, d’hésitations parfois,
d’abandon aussi, il ne fait quasiment plus de doute que le lepénisme s’est
renouvelé et a réussi sa mue. Avec le père, le Front national a une histoire
et des succès derrière lui. Avec la fille, il a retrouvé un avenir. Face à ce
constat alarmant, beaucoup se posent des questions : que faire face à cette
réussite politique et médiatique de plus en plus évidente, cette progression
dans l’opinion et les urnes, qui semble inexorable ? Comment agir, penser,
ou répondre à ceux qui se laissent séduire par ces discours, envisagent
de donner leur voix à « Marine » et s’en félicitent, au motif que la crise
les frappe encore plus durement qu’avant, que les « politiciens » ne les
écoutent plus, sont incapables, impuissants, voire corrompus… ? Chaque
livre arrive dans un moment, dont il doit tenir compte. Celui-ci plus encore.
Un temps de crise(s)
Le climat général est tel que les victoires électorales ne donnent même plus
de motif à se rassurer. Malgré des années dans l’opposition nationale, la
gauche et les écologistes n’ont pas mis longtemps pour déchanter après la
victoire du 6 mai 2012 et les législatives qui ont suivi. Une victoire !? Depuis,
rien ne va tout à fait comme prévu. La crise financière semble réglée, mais
celle de la zone euro perdure et la dette se creuse. La croissance recule à
mesure qu’on l’attend, le déficit ne recule pas et le chômage augmente.
Et, comble de tout, il semble qu’aucune idée nouvelle n’émerge, qu’aucune
volonté ne se fera jour.
Même les promesses tenues dès les premiers temps du quinquennat ne
semblent pas arranger les choses : jamais un président et un exécutif
n’avaient si vite et autant baissé dans l’opinion. Le PS doit composer avec
1. Serge Moscovici, La machine à faire des Dieux, Fayard, 1988, p. 443.
7
INTRODUCTION
des oppositions multiples. Le Front de gauche mélenchoniste critique
de plus en plus les reculs du gouvernement, les écologistes haussent le
ton, estimant que leurs attentes sont déçues, la droite s’oppose et se fait
pousser à la faute par des mouvements qui se développent en dehors d’elle
et le FN progresse dans les esprits… Bref, la victoire a un goût amer. Et
les « affaires » qui voient les politiques défiler à la barre s’accumulent sur
les bureaux des juges : Tapie, Karachi, Bettencourt, Cahuzac, Guéant,
Kucheida, Dalongeville (Hénin-Beaumont)… Assez pour donner à la
période un parfum de « tous pourris » et à certaines expressions des relents
de droitisation, parfois extrême. Quand, un peu plus tard, une rixe entre
skinheads et « antifas » entraine la mort du jeune Clément Méric dans une
rue de Paris, on s’interroge : hasard, ou pas vraiment ? Les crânes rasés
embrigadés dans les groupuscules nationalistes violents se sentiraientils trop confiants, sûrs d’eux ? Après la droite décomplexée, l’ultra droite
débridée ? Enfin, quel rapport faire entre tous ces événements, qui donnent
l’impression d’aller très / trop vite vers des temps mauvais ?…
Un pouvoir sous haute pression
Le sarkozysme a laissé des traces à bien des titres. Un style qui a déplu.
La présidentielle s’est jouée sur des bases faussées et le premier tour a été
marqué par le résultat historique de Marine Le Pen : le FN n’avait jamais
rassemblé autant d’électeurs en France, passé de 4,8 millions (le 21 avril
2002) à 6,4 millions dix ans plus tard. Avec deux députés, le FN se présente
désormais comme la victime du scrutin et sur l’air de « l’UMPS » dispute à
Jean-François Copé le leadership dans l’opposition.
Dans les sondages, comme dans les rues, l’opinion se retourne contre son
nouveau président fraichement élu ; passé sous la barre des 30 %, François
Hollande devient le président le moins soutenu de la Ve République,
pendant que Marine Le Pen remonte dans toutes les enquêtes.
Pour remplir ses engagements, à défaut de réforme majeure, le
gouvernement a ouvert le droit au « mariage pour tous », qui a engrangé
de nombreux soutiens, mais ouvert les boulevards à ceux qui veulent
creuser un fossé dans le pays. Les manifestations sont devenues un théâtre
qui a vu plusieurs groupes envahir la scène : derrière Frigide Barjot, des
catholiques traditionnalistes, réactionnaires divers, homophobes violents
et groupuscules nationalistes ultras se sont unis contre la « gauche de
déclin » et ont profité de ce moment de visibilité pour peser sur l’UMP et le
FN, qui espéraient tous deux récupérer ce mécontentement dans les urnes.
La droite la plus réactionnaire a joué à « Mai 68 ». Et Marine Le Pen n’a
pas eu besoin de descendre dans les rues pour se frotter les mains.
Succès du FN en cours ou prévu...
Depuis qu’elle a pris les rênes du parti familial en janvier 2011, les électeurs
se font encore plus nombreux. Au point de donner l’impression que le FN
8
est à même de devenir l’arbitre des prochains scrutins, voire de prendre un
jour le pouvoir dans des villes, voire des régions. La présidentielle de 2017
est même en point de mire, pour certains analystes : Le Pen, la challenger !
L’année 2014 pourrait être celle de la confirmation de ce statut, tant aux
municipales qu’aux européennes, qui marqueront le trentième anniversaire
du premier succès national pour le vote FN (en 1984, avec 10,95 %).
Une droite divisée, une gauche en déconfiture… Certains mauvais augures
prédisent plusieurs villes passant au FN en mars et une liste Le Pen en tête
du scrutin de mai. Dans les deux cas, la direction frontiste ne cache pas ses
ambitions : pour les municipales, elle cible les 6 000 communes où Marine
Le Pen était arrivée en tête au soir du premier tour de la présidentielle.
Au second tour des législatives de 2012, le FN avait aussi franchi la barre
des 40 % dans 77 communes de plus de 4 000 habitants. Il n’y a donc pas
que Hénin-Beaumont qui risque de basculer. Une liste établie par quelques
connaisseurs de la carte électorale circule dans les rédactions.
Une urgence qui se rapproche
Contrairement à l’horizon, l’urgence se rapproche, au fil du temps. Et avec
le Front national, on a beau le penser depuis trente ans, ça ne s’éloigne pas.
Au contraire. Il est chaque jour plus urgent de comprendre, pour pouvoir
envisager d’agir, pour sortir de la nasse et de la sensation d’impuissance
dans laquelle le pays semble s’enferrer.
Individuellement et collectivement, on se sent pris dans une course
absurde contre le temps, dans laquelle le lepénisme gagne des points
chaque jour : c’est l’impression qui ressort à la fois dans les médias, chez
le boulanger, dans le métro ou le train, dans les cortèges de manifestants
contre le mariage pour tous, et parfois même quand on parle avec d’anciens
électeurs de gauche… Chaque recul de ce qui fait société semble constituer
une nouvelle avancée des idées que porte le FN depuis plus de quarante
ans sur la place publique.
À chaque fois, on se retrouve plus démuni qu’avant, plus profondément
engagé dans la « crise » multiforme et encore plus incapable de voir ce qui
pourrait s’opposer à ce qui était encore impensable il y a quelques années :
le FN au pouvoir, avec Marine Le Pen. Voilà l’état des lieux, brossé à
grands traits, sur ce front-là. Voilà l’urgence et l’argument qui guideront
les lignes qui suivent.
Un livre pour comprendre, agir et proposer
Cet ouvrage est « engagé » puisqu’il porte une démarche et la revendique ;
son objet principal et son titre ne laissent aucun doute, il s’agit bel et
bien de faire « face au FN ». Il s’adresse à un large pan de la population :
citoyen-nes engagé-es, élu-es ou militant-es, écologistes, démocrates,
convaincu-es qu’il faut inventer de nouvelles réponses face aux crises et
9
INTRODUCTION
aux impuissances qui s’accumulent et font le lit d’une certaine extrême
droite depuis trop longtemps.
Quand certains livres prennent le temps et la distance de l’analyse à froid
et de la nécessaire plongée dans les méandres de l’histoire, ou de l’analyse
(sociologique, démographique, voire philosophique) des raisons du succès
du FN et de ses idées…, on se concentrera ici sur un objectif : utiliser les
écrits et les connaissances acquises depuis des années pour proposer des
pistes d’action.
Par ailleurs, pour rester facile d’accès et efficace, ce livre fera parfois
l’impasse sur des débats qui agitent les milieux autoproclamés
« antifascistes » depuis des années. Sans les ignorer, ces débats – que l’on
pourra trouver aisément ailleurs – ont trop souvent le défaut d’être des
freins pour l’action et l’engagement, voire des motifs de démobilisation
collective. Et on a pu voir notamment comment les milieux antifascistes
ont perdu de leurs anciennes certitudes, mais aussi de leur force et de
leur pertinence, depuis une dizaine d’années, à force de disputes répétées
et insolubles sur le sexe des anges (ou des dirigeants d’extrême droite),
sur la provenance et la signification des mots (extrême droite, république,
fascisme, racisme, etc.), mais aussi sur les responsabilités partagées
de l’une ou l’autre des gauches (ou des droites, ou de tous les autres
démocrates, ou républicains autoproclamés…).
Agir : utiliser ce qui existe, et faire encore mieux
Plutôt que de reprendre toutes les expériences menées depuis des décennies
en termes de réponse au FN, il a paru plus intéressant de reprendre un
nombre restreint d’initiatives, pour en tirer à la fois leurs effets positifs
(baisse du vote frontiste, lien social renforcé, mise à jour des incohérences
frontistes, etc.), mais aussi ce que ces actions peuvent donner comme
idées nouvelles, comme pistes pour agir aujourd’hui et demain. Toutes ces
aventures posent des questions et permettent de réfléchir à la façon dont
on répond aux haines, mais aussi aux peurs qui se font jour.
Au fil des années, le rêve du FN s’est réalisé : une classe politique et un
pays divisés sur la conduite à tenir, des groupes antifascistes démobilisés,
des intellectuels relativisant les dangers et trouvant quelques raisons à
toute cette peur, une droite légitimant les argumentaires lepénistes… La
confusion est totale. Le bilan est terrible.
Plus encore que le FN et ses discours, c’est contre leurs effets qu’il faut
se battre. Comment faire ? Que faire ? Quelle efficacité peuvent avoir des
actions, qui vont de la mobilisation (non violente, toujours), à l’information
(efficace, si possible) ? Faut-il révéler, dénoncer, expliquer, proposer,
ignorer, parfois ? Des collectifs citoyens qui débouchent sur des listes aux
municipales ; des campagnes de communication décalées pour redonner
espoir et confiance à des électeurs ; une cartographie de l’Internet, ou des
fiches pratiques sur toute une série de notions et de positions de l’extrême
droite ; un roman d’anticipation révélateur, des collectifs rassemblant des
syndicalistes, des professionnels divers… Tout cela se fait, a été essayé, et
bien d’autres choses encore. Les réussites sont à méditer. Les échecs aussi.
Rien n’est à prendre tel quel, il faut plutôt inventer, s’inspirer, proposer,
relier. L’action contre la progression du FN et de ses idées n’est pas de tout
repos. Mais c’est une nécessité, pas seulement politique.
Comprendre, pour proposer autre chose
Aller plus loin que l’antifascisme : proposer une vision
En quelques pages, il s’agit de tenter de proposer une façon de comprendre
ce que le FN produit (dans les esprits et la société) et des pistes d’action.
L’analyse et les arguments seront donc orientés en fonction de cet impératif
majeur : comprendre, pour agir. Un peu à la façon d’une conférence qui
aurait pour objectif de répondre à la question : « Que faire face au FN ? »
Ce livre s’adresse donc à un public particulier. Et dans le cas présent, un
autre point ne doit laisser aucune place au doute : pour faire face au FN
efficacement, on ne peut se contenter de comprendre, ou d’agir ; on ne peut
s’en tenir à un engagement de façade, ni à une posture de principe. En
fait, l’antifascisme ne suffit pas. Il faut aller plus loin et proposer un autre
idéal, d’autres réponses aux crises actuelles. Beaucoup ont fait l’erreur de
sous-estimer cette nécessité, dans le passé. Autant l’admettre, ce livre ne
sera vraiment utile qu’à celles et ceux qui ont un idéal chevillé au corps, des
idées à faire valoir, une vision à partager.
Certains rappels des faits n’auront pour objectif que de permettre de
replacer ce parti et ses émules à leur place, ne pas se laisser intimider
par les fausses évidences, ne pas se tromper de cible, ni perdre du temps
à essayer ce qui a déjà échoué dans le passé. Pour cela, on utilisera les
ressources dont on dispose : un grand nombre de livres et d’articles,
d’analyses. Mais j’ajouterai aussi le contenu des échanges et des éclairages
qui me sont venus de rencontres et de discussions avec des citoyen-nes,
activistes, militant-es ; j’ai retiré beaucoup de choses des questions qui
m’ont été posées lors des conférences, formation et réunions publiques que
j’ai pu tenir devant divers publics, depuis plus de dix ans. C’est là, aussi,
10
que j’ai appris une chose importante : qu’il ne sert à rien d’aligner trop de
chiffres ou de concepts si on ne peut donner un « sens » réel et concret à ce
phénomène politique pour lui répondre.
C’est la principale leçon que des années d’étude, d’analyse et de réflexion sur
ce sujet me permettent de tirer avec assurance : on ne combat efficacement
le FN ni dans les rues seulement, ni dans les livres uniquement. On ne
s’oppose efficacement à ces visions morbides qu’en proposant une autre
vision du monde, à la fois souhaitable et possible. Face à un phénomène
politique majeur, il faut faire œuvre d’influence et engager une lutte
11
INTRODUCTION
en termes d’imaginaire. Le reste de l’activité politique n’aura que peu
d’efficacité, à terme : la bonne conscience, les manœuvres et les tactiques
électorales, les leçons de morale sans fond, les gros bras ou les ego, les
défenses de chapelles et les anathèmes croisés ne serviront qu’à repousser
le problème, ou le renforcer, sans lui faire face.
1
Erwan Lecœur
Sociologue
COMPRENDRE
Par Erwan Lecœur
12
Pour répondre aux arguments du FN ou de ceux qui le
soutiennent, il faut d’abord connaître cet adversaire, ses points
de force et ses lignes de fragilité pour comprendre ce qui fait sa
réussite et ce qui pourrait la défaire. Ce n’est qu’ainsi que l’on
pourra appuyer et insister là où c’est nécessaire ; ses points
de faiblesse, ses non-dits, ses incohérences et ses insuffisances
notoires.
L’objectif de cette première partie de l’ouvrage n’est pas de
revenir trop longuement sur le Front national pour décrypter
ce parti et ses dirigeants, ni même de retracer avec précision
l’histoire longue de son implantation dans les esprits, puis
dans les urnes. Cela a été fait par des chercheurs, spécialistes,
observateurs divers, depuis plus de trente ans. Il ne manque
pas de choses écrites et dites sur ce sujet – dont quelquesunes de mon fait, sur lesquelles s’appuieront les propositions
développées dans les pages qui suivent1.
En posant quelques repères et quelques rappels, il s’agira ici
de proposer un guide pour l’action, une mise en perspective,
une façon de remettre de l’ordre dans cet ensemble pour que
ces connaissances et ces apports multiples puissent se révéler
utiles pour mieux se positionner et agir. Au-delà de livres
savants, ce qui peut manquer, pour des citoyens engagés et
démocrates convaincus, c’est de moments d’approfondissement à cette chose difficile qu’est la démocratie et la
controverse, d’échanges concrets et conviviaux, organisés par
des structures ad hoc, qui se fixent pour objectif de construire
des réponses simples, construites et crédibles, aisément
reproductibles et cohérentes, adaptées à la situation et
à la nécessité de « faire face » à la désespérance sociale, à
l’insignifiance et la confusion qui forment le terreau de la
montée des idées et du vote d’extrême droite, chaque jour ou
presque. Poser un cadre pour des échanges de ce type, voilà à
quoi voudrait modestement contribuer cet ouvrage.
1. Pour plus de
précisions sur
ces points, on
pourra consulter les
ouvrages que j’ai
publiés sur le sujet,
E. Lecœur, Un néopopulisme à la française. Trente ans de
Front national, La
Découverte, 2003 ;
et le Dictionnaire
de l’extrême droite
(dir.), aux éditions
Larousse en 2007.
14
Retour sur quarante ans de succès, de père en fille
Cela fait des années que le vote Le Pen monte sans cesse et
reflue un peu. Flux et reflux, depuis 1984 et le premier succès
du FN aux européennes, puis à la présidentielle de 1988…
On reviendra, dans un premier temps, sur cette histoire de
quarante ans qui a vu le Front national passer du statut
d’aventure électorale à celui de minorité active, puis de parti
rassemblant la quasi-intégralité de l’extrême droite et attirant
des millions d’électeurs sur le nom de son président et supposé
fondateur : Jean-Marie Le Pen. Car derrière la progression
inexorable du FN, c’est surtout le lepénisme qui a marqué
la société française de cette fin de XXe siècle. C’est aussi le
lepénisme que l’on retrouve aujourd’hui, sous le visage de la
fille du chef qui perpétue la tradition et engrange les succès.
La nouvelle arme médiatique du Front national pourrait-elle
mener le parti familial à la victoire ? Alors que le père semblait
vouloir surtout poser sa marque et occuper le ministère de la
parole, la fille peut-elle prendre le pouvoir ?
Un vote à comprendre : de la droite à l’angoisse
Tenter de comprendre la réussite d’un parti, c’est aussi
approcher les logiques menant les électeurs qui lui font
confiance. Ce sera l’objet de la suite du propos ; pour lui faire
face, il faut tenter de comprendre comment le Front national
réussit à répondre à sa façon à des attentes, à des angoisses.
Si la crise est le terreau sur lequel ils prolifèrent, encore
faut-il savoir de quelle crise on parle : économique ou sociale,
politique ou financière, des ressources, ou n’est-ce pas une crise
du sens à laquelle le FN apporte des réponses ? Jean-Marie
Le Pen, et sa fille après lui, ne parlent pas seulement à notre
intelligence. Derrière les discours, ils créent un imaginaire à
coups de symboles. Et ceux qui votent pour eux ne le font pas
seulement par intérêt égoïste, ou par calcul stratégique ; il y a
quelque chose de plus mystérieux dans ce vote contestataire,
ce vote d’alarme.
Si plus d’un Français sur quatre a déjà voté Le Pen, ce ne
sont jamais tout à fait les mêmes que l’on trouve au fil du
temps. Il y a plusieurs votes FN et de nombreuses raisons
qui y mènent. Depuis les bourgeois effrayés par la gauche au
pouvoir, jusqu’aux employés qui ont peur de perdre leur statut,
en passant par les commerçants et artisans, ou les chômeurs
coincés dans leur lointaine banlieue… on a beaucoup cherché
ce qui motive ces millions d’électeurs, ce qui les rassemble, ce
qui les divise.
Ce qui reste à faire
Une fois posées l’histoire et les logiques qui ont guidé et
permis le succès du Front national, il sera temps de revenir
à la question initiale : que faire face au FN ? Comment lutter
contre cette influence, renouveler un antifascisme qui semble
s’être essoufflé ces dernières années ? D’abord, il s’agit de
ne pas reproduire certaines erreurs, certaines facilités, à
l’efficacité plus que douteuse. Si le lepénisme est porteur d’une
vision du monde, chimérique, mais efficace, alors il faut lui
15
opposer autre chose que des arguments tactiques, des critiques
moralisatrices, ou des accusations caricaturales.
Si le succès du lepénisme est le fruit d’une société qui a peur et
qui doute d’elle-même, il ne sert à rien de l’accuser de profiter
de la situation. Face au Front national, il faut proposer une
vision du monde alternative, il faut refaire société, et s’attaquer
aux racines du mal. En cela, l’écologie pourrait constituer
une réponse à la hauteur de l’enjeu, si elle dépassait le cadre
politique strict pour devenir porteuse d’un imaginaire social.
Le FN : quarante ans d’existence
Le succès d’une stratégie « lepéniste »
Si le Front national a pu occuper une telle place dans l’histoire
politique française depuis tant d’années, c’est d’abord qu’il a
bénéficié de conditions exceptionnelles au regard de toutes les
autres aventures qu’avait connues l’extrême droite avant lui.
Né en novembre 1972, dirigé depuis cette date par Jean-Marie
Le Pen, le « Front national pour l’unité des Français » (FNUF)
n’est devenu un acteur politique qu’au cours des années
1980. Ce que son président appelle la « traversée du désert »
a duré plus de 10 ans. La décennie suivante sera beaucoup
plus prolifique : le parti dépasse les 10 % à chaque élection
nationale et devient une véritable force politique et sociale.
Les années 1990 verront le parti familial se professionnaliser
et se renforcer auprès d’un électorat de plus en plus populaire.
Le FN atteint les 15 % et menace la droite parlementaire, qui
hésite à nouer des alliances pour conserver le pouvoir. Une
scission plus tard (1998) et c’est le choc du 21 avril 2002 qui
relance Jean-Marie Le Pen, président inamovible et unique
d’un parti taillé à sa mesure. Car le secret du Front national,
c’est ce que tout le monde sait de lui : le FN, c’est Le Pen !
Et derrière les multiples facettes du personnage, au-delà des
programmes sans grande conséquence, bien plus que ses élus,
ses maires, ou ses dirigeants, ce qui a guidé et décidé en dernier
ressort du destin du parti, c’est sa tendance la plus importante
devant toutes les autres : le lepénisme. Un homme, puis une
femme comme unique porte-parole ; ce qui constitue une façon
d’éviter la cacophonie politique.
Les enterrements hâtifs du FN : des erreurs d’analyse ?
On a voulu enterrer le FN trop souvent et trop vite, plusieurs fois
dans l’histoire récente. Autant on a sous-estimé trop souvent
les difficultés internes qui pouvaient mener à l’explosion du
16
Le FN, combien de divisions ?
Pour pouvoir compter sur des troupes
militantes et des cadres formés au
cours de ses premières années, le Front
national a rassemblé au long de son
histoire plus d’une dizaine de tendances
opposées, voire irréconciliables,
idéologiquement, issues de multiples
courants de l’extrême droite. Des cathos
tradis aux néo-païens, en passant
par des monarchistes, pétainistes et
autres fascistes nostalgiques de la
Phalange, néonazis et nationalistes
révolutionnaires, activistes violents
du GUD… Ils ont accepté de mettre
leurs divisions en sommeil au nom d’un
« compromis national » et de réussites
électorales incarnées et promises par le
lepénisme. Mais pour combien de temps
et à quel prix ?
Et suivront-ils Marine Le Pen, si elle
devait prendre place dans le système
en se faisant élire, ou nommer ministre
d’un futur gouvernement UMP-FN ? La
stratégie mégrétiste (Bruno Mégret),
devenue mariniste, passée au crible des
espoirs de quelques jeunes dirigeants
du FN (Florian Philippot, notamment),
pourrait mener, une fois la figure du
père disparue, à une insertion dans
les sphères du pouvoir. Une hypothèse
crédible, à voir comment elle navigue
à vue en fonction des circonstances, et
ferait d’elle une politicienne en mal de
reconnaissance par le système qu’elle
prétend combattre. Un comble pour cette
héritière de posture « anti-système » !
parti et à la perte d’influence de son discours lorsqu’il est
divisé, autant certains ont voulu penser que le FN pouvait
disparaître. Ce fut le cas lors de la scission mégrétiste, puis
après la victoire sarkozyste à la présidentielle, notamment.
Mais à chaque fois, le lepénisme est revenu en force.
Après la scission du FN à la fin de 1998, de nombreux
démocrates ont applaudi au faible score cumulé par le FN et le
MNR à l’élection européenne de 1999 (5,6 % et 3,2 %), pensant
être débarrassé de Jean-Marie Le Pen et que le mégrétisme
naissant serait moins difficile à juguler. Les écologistes ont
même pu apprécier de faire mieux que l’extrême droite divisée
et de revenir dans le jeu grâce à la campagne menée par Daniel
Cohn-Bendit et son score (9,7 %).
Le 21 avril 2002 a, du coup, surpris bon nombre de
commentateurs et d’analystes qui avaient oublié ce que le
sociologue Max Weber nous apprend, qu’entre un prophète
et un bureaucrate, la politique donne raison au premier. Au
soir du premier tour, Jean-Marie Le Pen appelle des millions
d’électeurs à lui faire confiance : « N’ayez pas peur, rentrez
dans l’espérance, vous les petits, les sans-grade… » Et dans
le même mouvement, le tombeur de Lionel Jospin se paye
le luxe d’une autodéfinition qui dépasse les clivages : « Je
suis socialement de gauche, économiquement de droite et
17
nationalement de France » ; pour rappel à tous ceux qui ont
oublié que le tournant du « ni droite ni gauche, Français
d’abord » avait été pris depuis presque dix ans (en 1993) et
qu’il n’a pas attendu que la fille corrige le père sur ce point.
Quelques années plus tard, les mêmes commentateurs ont
risqué de reproduire un pronostic erroné en annonçant la
déconfiture du lepénisme, vaincu cette fois par le sarkozysme
triomphant, en 2007. Le candidat de l’UMP avait réussi à
siphonner les voix qui avaient manqué à son prédécesseur dès
le premier tour ; Le Pen a perdu 7 points en cinq ans et le FN
s’est effondré aux législatives (sous les 5 %), portant un coup à
la dotation publique.
Mais le rebondissement suivant met en scène une autre histoire
de vases communicants : c’est pendant la présidence de Nicolas
Sarkozy que Marine Le Pen a endossé le rôle d’héritière à la
tête du parti familial. Et c’est en tant que candidate à cette
fonction qu’elle a démarré, dès 2008, une campagne qui ne
s’est pas arrêtée, jusqu’à l’élection présidentielle de 2012,
où elle rassemble encore plus d’électeurs que son père dix
ans plus tôt et provoque en partie la défaite du présidentcandidat. Quelques années plus tôt, beaucoup pariaient sur
l’âge du capitaine pour être débarrassé du « monstre ». La fin
d’un Le Pen a donné la vie à un-e autre, moins scandaleuse en
apparence, plus dangereuse sans aucun doute.
Après la scission de 1998, on avait voulu enterrer le FN ; mais
le 21 avril 2002, c’est le choc ; la France a peur et se voue au
FN sur l’air de l’insécurité galopante. La victoire de Jacques
Chirac et de la droite aux législatives qui suivent (2002)
poussent à un rééquilibrage en 2004 : le PS gagne les régions
et le FN se maintient haut et progresse au 2e tour (14,7 % et
15,1 %, !), mais personne n’y prend garde.
En 2005, le référendum sur le TCE voit la victoire du non
(dont le FN s’est fait le chantre, à droite), mais en 2007, c’est
le match Sarko-Ségo qui occupe passionnément les médias ;
pas de 21 avril bis ! Le troisième homme sera Bayrou et la
« stratégie du coucou » sarkozyste fonctionne : Le Pen perd
1 million d’électeurs de 2002. Le vieux chef peine à remonter la
pente ; aux européennes, c’est le bon casting d’Europe Écologie
qui écrit l’histoire ; la liste FN plonge à 6,3 %.
Petite chronique d’une progression inexorable
2012 : succès prévisible de « Le Pen fille »
Pour certains, c’est à Dreux que tout a commencé en 1983.
Une liste municipale FN passe la barre des 10 %. En fait,
c’est plutôt l’année suivante – après les passages télé de JeanMarie Le Pen – que le Front national a véritablement pris pied
dans le champ politique en réalisant un score de 10,9 % aux
européennes, sur un positionnement antieuropéen radical.
La relève s’annonce en 2010, et les médias changent de ton :
après une campagne interne très suivie, Marine Le Pen attire
les regards et entraine ses troupes dans les cantonales (11,4 %),
comme un tour de chauffe en vue de la présidentielle. Le
troisième homme, c’est elle ! Le match Hollande-Sarkozy fait
la une, mais ne passionne pas. Le président sortant est battu
et la candidate du FN fait mieux que son père avec 17,9 % et
1,6 million d’électeurs de plus qu’en 2007. Quelques mois plus
tard, les sondages donneront Marine Le Pen à égalité avec
François Hollande en cas de premier tour, derrière Nicolas
Sarkozy. Le contexte, ça fait beaucoup.
Les évolutions électorales du FN : scores et contextes
En 1986, aux législatives, le FN envoie 35 députés à l’Assemblée
(9,5 %), profitant d’une dose de proportionnelle. Échaudée, la
droite annulera cette disposition. En 1988, face à Mitterrand
et Chirac, Jean-Marie Le Pen confirme son implantation
nouvelle en frôlant les 10 %. Ensuite, la progression est lente
mais résolue : entre 10 et 15 % à chaque élection, jusqu’aux
régionales de 1998 (15,3 %). Les scores varient peu, fluctuent
selon la participation : le Front national attire entre 2,5 et 4,5
millions d’électeurs à chaque scrutin.
18
À partir de 1999, les variations se font plus fortes : à la baisse
avec 5,6 % aux européennes de 1999, ou à la hausse avec
16,8 % le 21 avril 2002 ; où l’abstention record et le nombre
de candidats (à gauche, notamment) entrainent cet « accident
électoral » pour Lionel Jospin ! Ensuite, les montagnes russes
se poursuivent, dans des proportions similaires, comme si le
lepénisme hésitait entre le succès et l’échec. En fait, les scores
dépendent beaucoup du contexte (médiatique) et de ce que font
les autres forces politiques.
Le succès de 2012 n’a pas été une surprise, contrairement à
celle du 21 avril 2002. Il était annoncé par les sondeurs, et
plusieurs analyses avaient montré la progression dès 2010,
après la chute de 2007 (présidentielle et législatives) et 2009
(européennes), qui marque ainsi la fin d’un lepénisme pour un
autre (père et fille). On peut d’ailleurs déceler dans ce regain
une nouvelle utilité du vote FN, à la fois pour dire sa déception
19
Résultats électoraux du FN (1973-2012)
Année
2. Score obtenu dans
les 60 circonscriptions sur 577 où
l'extrême droite
s'est maintenue au
second tour.
20
Type d’élection
Nombre de voix
%
1973
Législatives
122 000
1,33
1974
Présidentielle
190 921
0,75
1978
Législatives
82 743
0,29
1981
Législatives
1984
Européennes
1986
Législatives
2 703 442
9,65
1988
Présidentielle
4 376 742
14,38
1988
Législatives
2 359 280
9,66
1989
Européennes
2 129 668
11,73
1993
Législatives
3 152 543
12,42
1994
Européennes
2 050 086
10,52
1995
Présidentielle
4 571 138
15,00
1997
Législatives
3 785 383
14,94
1998
Régionales
3 273 549
15,01
1999
Européennes
1 005 225
5,69
2002
Présidentielle
1er tour
4 804 713
16,86
2002
Présidentielle
2nd tour
5 525 032
17,79
2002
Législatives
2 862 960
11,34
2004
Européennes
1 684 868
9,80
2004
Régionales
1er tour
3 564 059
14,70
2004
Régionales
2nd tour
3 199 392
15,10
2007
Présidentielle
3 834 530
10,44
2007
Législatives
1 116 005
4,29
2009
Européennes
1 091 681
6,34
2010
Régionales
1er tour
2 223 800
11,42
2010
Régionales
2nd tour
1 943 307
17,81
2010
Présidentielle
6 421 426
17,90
2012
Législatives
1er tour
3 528 373
13,60
2012
Législatives
2nd tour
842 684
44 414
0,18
2 210 299
10,95
31,702
du sarkozysme, mais aussi pour marquer un nouvel espoir mis
dans l’arrivée (prévue en 2010) de la fille à la place du père à
la tête du parti.2
En 2010 et 2011, « pour cet électorat qui cherche souvent à
faire passer un message, le FN redevenait un média utile et
crédible », estime Jérôme Fourquet (IFOP), tableaux à l’appui :
« C’est bien dans les zones où Jean-Marie Le Pen avait subi les
plus fortes pertes en 2007 que les scores du FN aux régionales
de 2010 traduisent les plus fortes progressions »3. Bref, une
partie de ceux qui avaient quitté Le Pen (père) pour Sarkozy
en 2007 sont rejoints par d’autres pour voter Le Pen (fille) en
2011 et 2012.
La droite prise en otage de la stratégie « mégrétiste »
La situation de l’UMP ressemble à ce qu’ont vécu le RPR et
l’UDF dans le passé : après une défaite, la droite perd pied
et se pose la question des alliances avec le FN. C’était le cas
dans les années 1980, où plusieurs accords ont été noués
localement pour des municipales. Ce fut aussi une tentation
forte au cours des années 1990, pour nombre de dirigeants de
droite. L’épisode le plus fameux reste celui des régionales de
1998. Un an après la défaite aux législatives de 1997 (suite à
la dissolution de l’Assemblée par Jacques Chirac), plusieurs
candidats du RPR et de l’UDF voient la montée du FN
fragiliser leur suprématie dans les régions ; il obtient 15,3 %
de moyenne et 275 élus dans les 22 régions métropolitaines.
Certains décident de nouer des alliances pour être élus (par
l’assemblée régionale), en négociant avec le numéro 2 du FN,
Bruno Mégret (transfuge du RPR au FN en 1986), contre
l’avis de dirigeants de leur parti, dont Jacques Chirac (encore
président de la République) et François Bayrou. Plusieurs
seront contraints à la démission (Millon en Rhône-Alpes) et
l’épisode reste gravé dans les mémoires.
C’est aussi de cette époque que date la théorie mégrétiste selon
laquelle le FN pourrait faire exploser la droite et récupérer
les 30 % d’électeurs qui hésitent entre ces deux camps et
pourraient donner leurs voix à un parti de droite dure et
républicaine. Cette idée alimente les stratégies des deux côtés
du Rubicon : au FN comme à l’UMP, entre les conseillers de
Marine Le Pen et ceux de Nicolas Sarkozy, la seule différence
sur ce point est dans l’étiquette.
Depuis sa récente défaite, l’UMP est à nouveau plongée dans
les affres de la division ; face à un FN conquérant dans de
nombreuses petites villes, alors que la gauche est en difficulté
3. Jérôme Fourquet,
« Analyse sur
la remontée du
Front national aux
élections régionales
de 2010 », note de
l’IFOP.
21
dans l’opinion et semble promise à la défaite, des militants et
des élus locaux veulent gagner, quitte à nouer des alliances
avec le FN local.
Le lepénisme, de père en fille
Au soir du 21 avril, Marine Le Pen, inconnue du grand public,
accepte sa première invitation sur un plateau de télévision ;
elle fera merveille dans le débat, attaquant la gauche comme
la droite, égratignant les journalistes, tout en remplissant son
office : susciter l’intérêt des téléspectateurs, attirés parfois
contre leur gré par ce visage et cette voix qui rappellent
tellement « Le Pen », mais avec une perruque blonde. Il n’en
fallait pas plus pour les médias, qui ont trouvé leur « bonne
cliente » pour la suite, car la fille permettait de sortir du
dilemme infernal qui se posait depuis des années : comment
inviter Le Pen régulièrement, sans être accusé de faire la
promotion de ce personnage sulfureux ?
Le lepénisme devient alors une hydre à deux têtes. Et la
plus jeune ne déplait pas. De nombreux journalistes entrent
alors dans une nouvelle relation à l’égard du Front national
par l’entremise de cette porte-parole fraîchement révélée.
Ce succès d’estime devient très vite un atout essentiel pour
conquérir le cœur des militants et des sympathisants. Or, les
années passant, nul ne peut ignorer qu’une nouvelle étape de
la vie du FN devra s’écrire après la présidentielle de 2007 : à
l’issue de cette dernière bataille, Jean-Marie Le Pen annonce
qu’elle sera la dernière pour lui. C’est donc la présidence du
parti qui est en jeu. Et la succession va s’ouvrir.
Un parti familial en héritage
« Être français, ça s’hérite ou ça se mérite », déclare le Front
national depuis des années. Dans les faits, comme pour
la présidence du parti, il vaut mieux hériter. Certains ont
compris très vite qu’il n’y aurait jamais de successeur à JeanMarie Le Pen. D’autres ont mis quelques années à accepter
que le FN, c’est Le Pen ! Et qu’il n’en sera jamais autrement,
tant que le vieux chef aurait encore un souffle de vie. Le clan
familial règne sans partage sur le parti, depuis le château de
Montretout, dans les hauts de Saint-Cloud. Le patriarche se
réserve le droit de choisir en toute circonstance et il a montré,
au fil des ans, qu’il savait manœuvrer pour empêcher toute
velléité d’émergence d’un numéro 2 potentiel et déclaré.
De ce point de vue, une malédiction des années en « 8 » a
semblé frapper l’histoire du FN : François Duprat, en 1978
22
(mort dans l’explosion de sa voiture) ; Jean-Pierre Stirbois, en
1988 (mort dans un accident de voiture) ; Bruno Mégret, en
1998 (expulsé du FN avec ses amis)… Il semble que Bruno
Gollnisch ait réussi à négocier le passage en s’inclinant face
à la famille Le Pen en 2008. Dès le début de la campagne
interne, celui qui se voyait comme le dauphin du président Le
Pen a vu de nombreux soutiens quitter le parti, laissant peu
d’espoir quant à l’issue du vote final.
Les médias et les sondages ont porté manifestement la
candidature de Marine Le Pen à la tête du parti. Elle
l’emporte, lors du congrès de Tours (fin 2010) avec près
de 70 % des suffrages et les félicitations paternelles du
« président d’honneur ». Le passage de relais se fait en toute
simplicité, comme s’il avait toujours été évident que les choses
se passeraient ainsi. Au sein du parti la tendance majeure
est donc respectée : le lepénisme perdure, au-dessus de tout.
Devant la désolation de certains partisans de Bruno Gollnisch,
qui menaçaient de quitter le FN, le vieux chef rappelle que
celui qu’il considère comme son « dauphin naturel » (jusqu’en
2002) devra accepter le choix des militants… Et d’ajouter, plus
tard, que « le destin des dauphins, c’est parfois d’échouer… »
Une dédiabolisation très stratégique
Le 1er mai 2013, alors que les rues bruissent encore des
manifestations contre le mariage pour tous, sur la grande
scène dressée place de l’Opéra, la présidente du FN prend des
accents dramatiques et dépeint une France plongée « dans des
temps obscurs, car elle s’est enfermée dans les ténèbres de
l’Europe », pour se poser en « lumière de l’espoir » car, selon
elle, le Front national est devenu « le centre de gravité de la
vie politique française ». Elle veut convaincre les médias et ses
militants : « Nous progressons dans le débat, dans les cœurs
et dans les urnes », contre le « système UMPS », la gauche et
la droite, François Hollande et Nicolas Sarkozy. Elle dénonce,
comme le faisait son père avant elle et depuis des années,
pêle-mêle le monde de la finance, les juges du Syndicat de
la magistrature, « les promesses non tenues et les trahisons
à gogo », la « mondialisation sauvage »… et « l’islamisme
fondamentaliste ».
Rien de neuf sous le soleil frontiste, donc. Depuis ses débuts,
le Front national est d’abord et avant tout un parti « hors
système » et attrape-tout. Il l’a toujours été, en ajoutant
des éléments de différenciation par rapport à l’ensemble
du champ politique, comme une façon de se singulariser :
23
contre les « bien-pensants », les « menteurs du système »,
contre « l’établissement », « l’UMPS », les « immigrés » et
les « politiciens, responsables de tout »… C’est cette posture
d’opposants permanents, face à la droite comme à la gauche
qui a fait des Le Pen les porteurs d’une parole spécifique et
reconnaissable à coup sûr dans le champ médiatique. C’est ce
que la fille a repris du père. Et c’est ce qui compte avant tout,
pour faire du lepénisme une boutique dont on sent que le fonds
de commerce est bien conservé.
Entre protestation et normalisation : le FN et le pouvoir
Par bien des aspects, le FN avait déjà changé au cours des
années 1990. C’est Bruno Mégret qui avait ravalé la façade,
tout en remettant de la radicalité idéologique en sous-main.
Et la question de son positionnement n’est pas nouvelle.
Même s’il est en train de changer et même si Marine Le Pen
tente de lui donner une nouvelle image, le parti reste partagé
entre la tentation de s’adapter au système politique pour en
tirer bénéfice (électoral, vers le pouvoir) et la volonté d’une
contestation de ce système, qui permet de rester « pur » et
attirant ; entre les deux, quelle posture tenir pour attirer
de nouveaux électeurs, mais en leur donnant un espoir
d’aboutissement ?
À ce titre, le 21 avril – et les mouvements anti-FN qui l’ont
suivi – a été vécu par beaucoup de militants frontistes comme
une séquence difficile, montrant qu’il est impossible d’accéder
au pouvoir, tant que la « marque Le Pen » soulèvera tant de
haine et de peurs dans le pays4. C’est l’enjeu qui a prévalu
et porté la stratégie mariniste, à partir du lendemain du 21
avril : faire entrer le FN dans le giron des partis républicains et
respectables ; la « dédiabolisation » est devenue un leitmotiv,
au risque de choquer quelques anciens, voire de perdre des
soutiens.
4. Sylvain Crépon
a pu en prendre la
mesure au cours
d’entretiens avec
des cadres du FN.
S. Crépon, Enquête
au cœur du nouveau
Front national,
Nouveau Monde
éditions, 2012.
5. Alexandre Dézé,
Le Front national,
à la conquête du
pouvoir ?, Armand
Colin, 2012.
24
Ce tiraillement existe depuis les débuts du mouvement et s’est
encore renforcé depuis quelques années, comme le rappelle
le chercheur Alexandre Dézé dans ses travaux consacrés à la
stratégie de Marine Le Pen5. S’il se normalise trop, le FN perd
son potentiel électoral de parti protestataire : « Un FN gentil,
ça n’intéresse personne », explique parfois Jean-Marie Le
Pen. À l’inverse, s’il se diabolise trop, il est mis au ban du jeu
électoral et reste dans une dimension politiquement stérile,
comme le constatait Bruno Mégret dans les années 1990, et
comme le craignent aujourd’hui les soutiens de la nouvelle
présidente.
Ce que le père ne semble pas avoir poursuivi, la fille pourrait
en faire son objectif : le pouvoir, dans une ville, une région,
comme ministre, voire comme présidente, un jour ?... Pour
cela, un autre problème reste entier : le manque de crédibilité
du FN et de cadres issus du parti capables de gérer des entités
importantes. Le recrutement a commencé, mais il prend du
temps. Et pour cause, c’est un parti qui s’est construit sur le
rejet des élites. Jean-Marie Le Pen n’a eu de cesse de fustiger
« l’énarchie » et les partis technocrates, de l’« établissement ».
Le seul à incarner médiatiquement ce mouvement de bascule
est devenu numéro 2 du parti et conseiller de la présidente ;
c’est Florian Philippot, au parcours de technocrate (HEC,
ENA, ministère de l’Intérieur). Son ascension fulgurante fait
peser un risque : il n’est pas aimé des cadres et des militants,
qui restent attirés par l’attitude « anti-système » du père Le
Pen. Ce clivage qui perdure pourrait contrarier les espoirs de
Marine Le Pen et ses amis.
Comment peut-on être électeur FN ?
Beaucoup d’explications du succès frontiste ont rempli les
colonnes des journaux, pages de revues et chapitres de livres.
Il n’en est pourtant aucune qui permette de résoudre tout à fait
la question de fond que se posent tous les démocrates, depuis
des années : « Pourquoi des millions de personnes soutiennent
un parti dont les idées sont dangereuses et les solutions
apparemment ineptes ? » En tête de liste vient généralement
l’explication générique qui permet d’avoir réponse à tout :
« C’est la crise ! » Il reste ensuite à dire de quoi on parle et ce
que contient cette « crise », chacun voulant voir le midi de la
crise à la porte de ses préoccupations.
Une réponse à la « crise du sens »
La première crise qui vient généralement à l’esprit : celle
du pouvoir d’achat, du chômage… la crise est économique
et sociale, et frappe les catégories les plus précaires (par
définition). C’est là que se joue le principal, au moins en
apparence. Car, derrière cette crise principale se nouent
d’autres formes de crise : financière, politique, des valeurs,
institutionnelle, des ressources… En fait, la crise est mise
à toutes les sauces depuis plus de vingt ans et semble tout
englober. La crise est partout.
25
De la crise à la « crise du sens »
Bien sûr, la crise économique frappe les sociétés occidentales –
et l’Europe en particulier – depuis le milieu des années 1970 ;
le chômage, les déficits, la baisse sensible du pouvoir d’achat
s’amplifie et la croissance a du plomb dans l’aile, à ce qu’en
disent les économistes. Mais comment le Front national, qui
proposait (depuis les années 1980) un programme pléthorique
et ultra-libéral en matière économique et sociale, aurait pu
répondre à cette crise « économique et sociale » ? Il ne l’a pas
fait. Ses réponses se situent ailleurs, sur le terrain identitaire
et symbolique.
S’il profitait bel et bien d’un terreau que la crise économique
renforce, il répondait en fait à une autre attente, que les crises
mettent en évidence : une « crise du sens ». Contrairement à
certaines formations politiques, le FN n’a donc pas tenté de
répondre aux problèmes économiques, sociaux, ou autres. Il a
dévié le regard pour proposer une autre solution : la stratégie
du bouc émissaire. Et, créant ainsi des adversaires et des
coupables désignés (les communistes, puis les immigrés, les
politiciens…), il a ouvert et rempli, dans le même mouvement,
une attente essentielle : il a donné un « sens » à ce qui arrivait
et proposé un combat pour y remédier. Et pour cela, il a utilisé
des symboles et des discours.
La force des symboles et des discours,
pour rappeler des choses
La politique est aussi affaire de symboles, qui présentent
et appuient une « vision du monde ». Mais c’est aussi par
le discours et la force des mots utilisés, voire martelés (la
« bataille du vocabulaire ») que se fait la conversion des
esprits : en répétant son message, reconnaissable, Le Pen a
posé une marque dans le paysage politique. Au fil du temps,
on reconnaît sa « touche » et son style. Et lorsque ses mots sont
repris par d’autres, il est légitimé, reconnu…
Chaque camp politique cherche à conquérir l’espace médiatique et celui des représentations, par des mots et des images
qui lui sont attribués ; il s’agit d’une bataille sémantique,
que le FN mène depuis ses débuts en utilisant tous les relais
possibles (médiatiques, partisans, culturels, etc.). Ainsi du
« problème de l’immigration », ou de l’expression « la première
des libertés, c’est la sécurité », ou de bien d’autres encore, telle
que « la France, si tu ne l’aimes pas, tu la quittes… », repris
par Nicolas Sarkozy en 2007.
26
Une posture « contre le système » :
le parti des mécontents
La réussite du Front national tient aussi à sa capacité à attirer
toute une part des mécontents de la politique, critique à la
fois du système et des institutions, refusant la règle du jeu ou
ses effets. C’est une constante de la droite populiste, que l’on
peut retrouver à différentes périodes de l’histoire du pays : de
Poujade à Tixier-Vignancour, dont Jean-Marie Le Pen fut très
proche.
Rien d’étonnant à ce que le Front national se soit toujours
présenté comme le parti anti-système ; c’est sa marque de
fabrique, son origine et son originalité, mais aussi une force
par temps de crise des représentations et lorsque la politique
institutionnelle perd de son aura. Au fil des ans, le lepénisme a
su jouer de cette posture pour attirer des militants en rupture
de ban, des aventuriers en politique et des électeurs déçus par
les autres partis.
Un vote « contre le système »
Mais c’est aussi par la provocation que le lepénisme s’est fait
remarquer et isoler par ses concurrents directs. Au cours des
années 1980, le FN est devenu infréquentable. En le mettant à
l’écart, les partis de gouvernement ont laissé le piège tendu par
leur adversaire se refermer : ostracisé, le lepénisme attirait
d’autant plus. Son porte-parole pouvait crier au scandale,
expliquer qu’il dérangeait par sa manie de dire « la vérité ».
Ce fut alors son leitmotiv : dénoncer la « bande des quatre », le
« système UMPS », « l’établissement »… Quelques dérapages
plus tard, la rupture était totale et irrémédiable.
Les années 1980 avaient été les « années fric » ; les années
1990 ont vu s’étaler les affaires. Lorsque les premières
révélations ont éclaté, Jean-Marie Le Pen n’a cessé de
dénoncer la « Ripoublique » et les arrangements entre amis.
Le Front national jouait sur l’air de « mains propres et tête
haute », donnant des leçons de morale et rappelant comment
certains mis en examen avaient été de farouches adversaires
du FN. Peu importait que Jean-Marie Le Pen fût lui-même
un millionnaire, héritier d’un riche alcoolique dépressif et
monarchiste (Hubert Lambert, héritier des ciments Lafarge).
Au fil du temps, le vote FN est ainsi devenu un recours pour
tous ceux qui voulaient marquer leur rejet d’un système
politique qui montrait des signes de déviance manifeste.
27
Les votes FN : de la droite au « ni-ni »
On a beaucoup parlé du vote populaire pour le FN, qui a fait
son succès dès les années 1990. Et certains médias se sont
même spécialisés dans l’analyse d’un vote issu de la gauche,
du « monde ouvrier », voire du Parti communiste, en faveur
de Le Pen… Bref, on y verrait la logique du passage d’un vote
« protestataire » à un autre, ce que les récentes incartades de
Jean-Luc Mélenchon permettent de réactiver sous l’angle du
match des « populismes » qui se trouveraient présents dans
deux familles politiques que tout éloigne sur le fond, comme
pour mieux les disqualifier l’une et l’autre. On comprend
aisément pourquoi les partis de gouvernement se font les
apôtres de cette analogie ; pour l’UMP comme pour le PS, la
tentation est grande de présenter tous les discours critiques
à l’égard des élu-es en place et de leurs politiques comme
des menaces pour la démocratie représentative d’où qu’ils
viennent.
Les électorats du FN : « droitiste, niniste », de rejet
ou d’adhésion…
Dans les faits, le vote Le Pen se divise en trois grandes
catégories, depuis les années 1980 : une première portion
d’électeurs idéologues, convaincus et proches de l’extrême
droite, mais peu nombreux (entre 1 et 5 % de l’électorat) ; une
seconde portion composée d’électeurs issus de la droite dure
et traditionnelle, catholiques traditionnalistes, ultra-libéraux,
qui ont fait le succès des années 1980 ; enfin, une troisième
frange, qui grossit depuis une dizaine d’années, de « ninistes »6.
6. Sur les électeurs
du FN depuis les
années 1980, voir
Nonna Mayer, Ces
Français qui votent
FN, Flammarion,
2002. Le Centre
d’études de la vie
politique française
(Cevipof) publie
régulièrement des
analyses sur le sujet,
dont P. Perrineau,
La renaissance électorale de l’électorat
frontiste, Note du
Cevipof, « Élections
2012 », no 5, avril
2012.
28
Aux premiers bourgeois, apeurés par l’arrivée des « socialocommunistes » au pouvoir, est venue s’ajouter une cohorte
d’artisans et commerçants, traditionnellement anti-État
et anti-impôts, qui forme de tout temps le vivier principal
du vote nationaliste et/ou populiste (Poujade) séduit par le
discours ultra-libéral du FN. Ce sont donc des électorats de
droite traditionnels (plutôt bourgeois et aisés) et artisans
commerçants qui ont permis les premiers bons scores du FN,
jusqu’en 1988, où le candidat Le Pen réalise 14,38 % à la
présidentielle.
C’est seulement au cours des années 1990 qu’on a vu
apparaître de nouvelles vagues d’électeurs FN, plus
« ninistes » (ni droite, ni gauche), qui ont parfois remplacé
certains « droitistes » repartis à leur camp d’origine : moins
marqués à droite, séduits par le discours « ni droite, ni gauche,
Français d’abord » tenu par Le Pen (dès 1993 !). En 1995 sa
progression chez les employés et les ouvriers, où il arrive en
tête, reflète une déception à l’égard de la droite et de la gauche.
En 2002, le résultat (200 000 voix de plus pour Le Pen qu’en
1995) se joue essentiellement sur l’enjeu sécuritaire et sur un
surplus d’électeurs chez les agriculteurs et les ruraux. Son
revers en 2007 tient évidemment à l’attraction exercée par
Nicolas Sarkozy sur un gros quart de son électorat de 2002,
principalement celui des petits indépendants, les ouvriers lui
restant plus fidèles.
Ces dernières années, un double mouvement relativement
nouveau se fait jour : l’arrivée d’électeurs plus jeunes, mais
aussi d’un électorat féminin qui refuse la figure du chef Le
Pen et apprécie mieux la gouaille de la fille. Marine Le Pen
entraine un élargissement de la base sociale et politique,
en s’adressant (avec succès en 2011 et 2012) aux classes
moyennes inférieures, en voie de paupérisation, vivant loin
des villes. Une catégorie de personnes de plus en plus issues
de la gauche (ou de l’abstention) et qui trouvent dans le vote
FN une réponse à leur peur d’être déclassées.
La peur de perdre : insécurités sociales,
territoriales…
Ce que l’on a observé comme un vote « populaire » nouveau
et massif en faveur du Front national recouvre des réalités
diverses, mais se retrouve autour de l’idée générique que ces
gens ont voulu avant tout exprimer une angoisse, une colère
ou une peur. Il ne s’agit pas de trouver des excuses, mais
de tenter de comprendre ce qui peut motiver des ouvriers,
employés, chômeurs, fonctionnaires et cadres moyens, petits
commerçants et étudiants, à transformer leur désarroi en
bulletin de vote.
Comme le dit le philosophe Bernard Stiegler, il faut prendre
au sérieux « la souffrance » des électeurs du Front national, car
« ce dont ces électeurs souffrent, c’est ce dont nous souffrons
– mais moins qu’eux, et parfois sans vouloir le savoir »7. Ce
qui n’empêche pas de penser et de défendre l’idée que ces
gens se trompent de colère, qu’ils se trompent dans leur façon
d’exprimer cette souffrance.
Un vote témoin d’une peur de « déclassement social »
On a parlé longtemps des votes de banlieue pour le FN, du
phénomène des « petits Blancs » qui se sentent minorisés dans
un environnement de plus en plus laissé à l’abandon, confrontés
à un chômage endémique et à une population immigrée de
7. Ce qui le pousse
à poursuivre cette
analyse des formes
que prend cette
« crise de représentations », dans un
livre « de combat »
contre la « bêtise ».
Bernard Stiegler,
Pharmacologie du
Front national,
Flammarion, 2013.
29
plus en plus importante. Cette vision simpliste du vote FN n’a
jamais été majoritaire ; on votait FN en raison des immigrés
présents à travers la télévision, surtout ; ce phénomène connu
comme l’effet « halo » a été décrit par plusieurs analystes dès
les années 1990. De ce point de vue, les cartes électorales ont
un peu bougé, ces dernières années : les villes et les banlieues
voient le vote FN baisser, tandis qu’il progresse dans certains
bourgs ruraux et espaces interstitiels. Il y a eu, depuis une
quinzaine d’années (certains analystes n’ont vu le phénomène
que très récemment), une migration de ce vote vers le monde
périurbain et rural. Une nouvelle carte de la « France qui
souffre et se plaint » se dessine ainsi à chaque nouvelle
consultation électorale.
Ce ne sont pas les plus pauvres qui votent FN en priorité, mais
surtout ceux qui ont peur de le devenir ; comme le sentiment
d’insécurité, le sentiment « d’insécurité sociale » fait beaucoup
pour le vote Le Pen. Ces populations qui ont peur de perdre
ce qu’elles ont acquis, ou qui craignent de ne plus avoir assez,
par rapport aux plus pauvres qu’eux (et qui cherchent donc à
être rassurées sur leur capacité à s’en distinguer) sont issues
des classes moyennes inférieures, salariés, employés, ouvriers,
parfois au chômage, ou craignant de l’être prochainement. Elles
vivent ou ont le sentiment de vivre un déclassement social, qui
renforce une peur de l’avenir, une angoisse, qui repose sur la
conviction que personne n’est à l’abri, que « tout un chacun
risque à un moment de perdre son emploi, son salaire, ses
prérogatives, en un mot son statut »8. En rendant la menace
plus tangible, le discours médiatique sur les crises porte cette
anxiété à son paroxysme.
Du global au local : restauration d’un statut « ethnique »
8. Éric Maurin, La
peur du déclassement. Une sociologie
des récessions, Seuil,
2009.
30
On peut prendre cette question d’un point de vue plus global
et général. C’est l’Europe qui est touchée par une épidémie de
malaise social ; et particulièrement les pays jusque-là considérés
comme riches. Ce qui se joue, pour des individus peu diplômés,
menacés dans leur statut et incertains de l’avenir, c’est un
sentiment de relégation à l’échelle individuelle parallèle à celui
vécu par l’Europe au niveau mondial. Pour ces « petits Blancs »,
en Suède comme en Autriche, la perte de puissance du continent
face à la concurrence globalisée est vécue comme une perte de
statut. Dans leur quotidien, les immigrés semblent être venus
pour les concurrencer directement, en mettant en question leur
prééminence d’autochtone, au nom d’une égalité de principe.
C’est à ce sentiment de spoliation que les mouvements
nationalistes viennent répondre en proposant une « préférence
nationale 
». Ébranlés par cette concurrence nouvelle et
mondialisée, les individus en viennent à regretter le temps où
leur pays les protégeait et leur assurait un statut social. La
dérégulation et le développement des sociétés multiethniques
apparaissent alors comme un abandon d’une classe laborieuse
au nom de grands principes et d’un réalisme économique
défendu par les élites. Dans de nombreux pays d’Europe,
un vote de repli se développe, qui gagne des pans entiers de
population en demande de protection particulière de la part
de l’État, instance nationale à laquelle certains voudraient
demander une reconnaissance « ethnique ».
Une crise des territoires :
le sentiment de relégation « périurbaine »
L’amplification des effets territoriaux des crises qui frappent
simultanément notre pays – mais aussi d’autres pays d’Europe
et du monde, on l’oublie parfois – est au cœur de l’explication
apportée par des géographes férus de politologie qui forme la
trame principale d’une série d’ouvrages publiés ces dernières
années sur ces questions. Souvent justes et très documentées,
ces analyses de la relégation sociale ont tenté d’expliquer la
montée d’un vote FN récent par le sentiment d’abandon que
ressentent des populations entières, reléguées à la banlieue
extrême des villes métropoles d’aujourd’hui : les fameuses
« zones périurbaines », dans lesquelles on retrouve la notion
initiale de « banlieue » (ce lieu du ban)9. Les banlieues et autres
quartiers ont rapidement été remplacés, dans les agendas
du pouvoir, par ces nouveaux territoires en déshérence :
mélange de villages sans bourg anciennement ruraux et de
zones conquises récemment sur les champs et les entrepôts
pour édifier de vastes entités pavillonnaires, cités-dortoirs
horizontales, sans âme ni services publics.
Le rêve d’accession à la propriété de millions de locataires de
HLM a été encouragé par des vendeurs de maisons individuelles et des banquiers sans vergogne qui ont accompagné
le projet résumé par Nicolas Sarkozy et sa « France de petits
propriétaires ». Ni villes ni campagnes, ces nouvelles zones
de résidence mitent le territoire et créent de nouveaux parias
sociaux ; après des heures de trajet, ils voient le monde
s’effondrer autour d’eux au travers de la fenêtre principale qui
leur reste : leur écran de télévision relié à la TNT. Ces lieux
sans urbanité, sans espaces collectifs ni services publics, où
chacun doit trouver les ressources pour sortir de l’isolement
spatial et culturel dans lequel il a choisi de résider, dessinent
le portrait d’une crise profonde du vivre ensemble.
9. Notamment le
livre très commenté de Christophe
Guilluy, Fractures
françaises,
F. Bourin, 2010.
31
Face au FN et aux crises :
proposer une alternative
mobilisations les plus réussies n’ont jamais semblé mettre le
Front national en difficulté, ou sur la sellette, médiatique ou
politique.
Pour faire face au FN et à ses idées, il faut commencer par
sortir de l’état de sidération dans lequel semblent pris de
nombreux citoyens et des militants de causes diverses. Il faut
reprendre un peu de forces et de convictions, mais aussi penser
des stratégies adaptées à l’air du temps, pour éviter les erreurs
et les pertes de temps et d’énergie.
À certaines époques, les dissensions internes du FN et
les scissions ont même paru plus efficaces pour la cause
antifasciste que bien des argumentaires et des dénonciations.
De nombreux militant-es sincères ont eu le sentiment de
voir leurs efforts peu récompensés et se sont lassés. Certains
continuent à tenir la chronique des faits et gestes des
dirigeants et activistes d’extrême droite (voir plus loin, dans la
partie « Les acteurs »), d’autres reprennent le flambeau (chez
les écologistes, notamment). Mais globalement, il manque de
cohésion et de stratégie globale. Les certitudes des débuts sur
les vertus d’une « morale » antifasciste sont passées de mode et
battues en brèche. On cherche désespérément une efficacité à
l’action à mener face au FN.
En d’autres termes, quoi qu’on en pense sur le fond (« Marine
n’est-elle pas plus dangereuse que son père ? »...), crier au
« fascisme » n’est sans doute pas le plus subtil ni le plus
efficace, car cette affirmation ne fait pas consensus et ne donne
pas de modalités d’action immédiate. De façon générale, en ces
matières l’important n’est pas d’avoir LA vérité sur le FN et sa
présidente, le sarkozysme et ce dont il est le nom, ou le signe…
Mais plutôt de trouver des façons et le moyen de parler à celles
et ceux qui se sentent glisser vers le vote FN, par colère, dépit,
regret du passé, ou peur de l’avenir… Voilà l’enjeu à relever.
L’autre enjeu majeur consiste à reconquérir le terrain du « bon
sens », en sortant des explications compliquées, pour apporter
des réponses à deux niveaux : Pourquoi en est-on là ? Comment
peut-on en sortir, au mieux ? Ce que n’ont pas assez réussi
les groupes antiracistes (moralisants, trop souvent), ou les
collectifs antifascistes (porteurs de jugements, d’anathèmes).
Leçons et échecs de l’antifascisme
Plusieurs collectifs antifascistes ont décliné, ont disparu,
au fil des années 2000. Certains tentent de se recomposer
depuis quelques années, face à la montée des scores du FN
et la recrudescence des groupes radicaux dans certaines
villes et régions : Nord, Sud-Est… Mais la difficulté est plus
forte aujourd’hui, après plusieurs périodes d’opposition et
de gouvernement. La plupart des partis et organisations
(syndicats, mouvements) ont abandonné la lutte contre les
« fascistes » à la façon des années 1980.
Les mouvements trotskistes, qui avaient été en pointe dans
l’édification de mouvements ad hoc (Ras l’front, proche de la
LCR, reste le plus connu), sont aujourd’hui affaiblis, voire
divisés sur la stratégie à mener : diabolisation, ou démontage
des programmes ? Pédagogie, ou lutte contre les « fascistes » ?
Des années d’antiracisme, parfois médiatique, ont laissé
des traces dans les mémoires de ces organisations. Et les
32
La morale ne suffit pas à faire des arguments valables
Une chose paraît aujourd’hui assez communément admise, par
tous ceux qui ont participé ou observé ces années d’activisme…
On ne peut se contenter de vouloir disqualifier cet adversaire
en dénonçant son manque de morale (républicaine, antiraciste,
ou laïque), ni passer son temps à tenter de débusquer ses
manques et ses mensonges, son odieuse filiation extrémiste
et son programme inapplicable… Tout cela est et reste sans
aucun doute nécessaire, mais pas suffisant. L’antiracisme
uniquement fondé sur de la morale peut même s’avérer
contre-productif : quand la démonstration n’est pas assez
convaincante, ou lorsque ces principes se trouvent contredits
dans les faits par ceux qui s’en prévalent ou leurs proches.
Et de nombreux antilepénistes de salon, voire quelques
antifascistes de rue ont fait l’erreur de manquer la cible, à force
de trop de facilités de langage, de caricature et d’outrance. En
face, les cellules de veille à l’œuvre au sein du Front ont repris
des arguments, les ont retournés et ont contre-attaqué, aidés
par la verve lepéniste. On a pu voir combien il est dangereux
de lancer des défis que l’on ne peut pas relever à long terme,
faute de cohérence, de ressources ou de ténacité.
À force de caricaturer les électeurs frontistes comme des
incultes, affreux antidémocrates et fascistes en puissance, la
caricature s’est parfois retournée, et Marine Le Pen a beau jeu
de dénoncer, sur les plateaux et dans les colonnes des journaux,
certains « bobos ridicules et bien-pensants », spécialistes de
« l’indignation à pas cher »… En ajoutant une dose de « vélib »
33
et un zeste de « brunch du dimanche », on comprend très vite
qu’elle parle de ces intellos parisiens que l’on voit parfois
à la télé, écolos du canal Saint-Martin, voire des Verts, ces
« pastèques » (comme dirait son père, adepte de la formule :
« verts dehors, mais rouges dedans ») qui sont devenus – après
les journalistes « juifs », les franc-maçons et les « socialocommunistes » – des cibles privilégiées du lepénisme nouvelle
mouture.
L’arme de la dérision et de la révélation
L’antifascisme a parfois refusé d’utiliser
la dérision et la révélation moqueuse,
face au FN. Le sujet serait trop
« sérieux », d’après les plus pince-sansrire du combat (parfois violent). Pourtant,
cela fonctionne bien, à la fois dans le vif
d’une discussion, pour mettre les gens de
son côté et écorner l’image des Le Pen et
leur volonté de respectabilité, mais aussi
à long terme, pour mettre en question
la vision lepéniste du monde qui séduit
parfois par son apparente cohérence et
simplicité.
Il n’est donc pas interdit – il serait
même recommandé – de faire dans
l’humour, même légèrement décalé, à
propos du parcours de potache de Le
Pen père et de bonne vivante de Le Pen
fille, ou des aventures diverses de la
famille, mise en scène par ailleurs pour
les besoins de la cause. On pourrait
évoquer, pêle-mêle, la vie de nouveau
riche de banlieue cossue (Saint-Cloud)
et ses affres, ses dérives, ses excès, la
défense des comptes en Suisse de la fille
pour le père, la propension à intenter
des procès et des menaces de poursuites
au tribunal à tout propos (journalistes,
adversaires, etc.). On pourrait même,
dans un registre que les Le Pen aiment
manier à l’égard de leurs adversaires,
envisager une approche légèrement
grivoise : qu’il s’agisse de fredonner le
« petit pull marine, au fond de la piscine »
(sur un air de Gainsbourg), ou de noter la
propension des Le Pen à avoir les fesses
34
à l’air en photos (du père comme de la
mère), ou à défrayer les chroniques des
nuits parisiennes dans certains milieux
(père et fille).
Côté finances, enfin, il serait utile de
présenter – avec humour et pour remettre
les pendules à l’heure – la situation réelle
de la PME familiale Front national, qui
fait bien vivre la famille Le Pen depuis
bien des années, pour un montant évalué
à 2 millions de francs par an (en 1999,
soit plus de 300 000 euros). Un parti et
un chef qui attirent les dons privés de
nombreux donateurs depuis longtemps
et parfois les héritages particuliers
(affaire de l’héritage d’Henri Bussière,
jugée par la cour d’appel de Nancy, en
1997)1. On pourra aussi rappeler que,
toujours prompt à donner des leçons de
propreté des mains, Jean-Marie Le Pen
a hérité de la fortune de Hubert Lambert
(en 1976), de biens immobiliers et de
valeurs et comptes divers (et des amis
bien placés pour le faire fructifier) et qu’il
a parfois eu certains oublis à propos de
ses déclarations d’impôts2. La famille,
l’argent et l’héritage, des sujets à creuser
chez les Le Pen.
1. Sur ce point, voir Caroline Fourest et Fiammeta
Venner, Le guide des sponsors du Front national et
de ses amis, Raymond Castells, 1998. Notamment
les pages 15 à 20 : « Petits rappels sur certaines
pratiques financières du FN ».
2. Sur l’ISF, par exemple, ou sur certains revenus.
La justice a parfois donné son avis : un jugement du
8 novembre 1995 le condamne à un redressement
de 1,4 million de francs pour « oublis de plus-value
boursière et sous-estimation de loyer ».
Écologisme vs lepénisme :
challengers politiques opposés
À côté des forces politiques traditionnelles, organisées suivant
le découpage droite-gauche (qui date du XVIIIe siècle), les
écologistes sont porteurs d’une rénovation du regard politique,
qui inclut des valeurs post-matérialistes, dont l’application
remet en question la plupart des positions habituelles du
champ politique. En ce sens, ils sont des challengers dans
le système politique hexagonal et mondial. Porteurs d’une
approche radicale (et réformiste), les écologistes engagés en
politique cherchent à apporter des réponses aux principales
crises de nos civilisations, dont la crise des ressources, ou celle
de la raréfaction du vivant. Problèmes autrement plus graves
et globaux que le nombre de caméras de surveillance, ou la
baisse tendancielle du pouvoir d’achat...
Même si le principal parti écologiste (EELV) est amené à nouer
des alliances avec le Parti socialiste pour avoir des élu-es et être
présent au gouvernement, le mouvement écologiste (dans son
ensemble) doit tout faire pour conserver une capacité critique
et une expression indépendante à l’égard des pouvoirs, pour
pouvoir peser sur le cours des choses et influencer à la fois les
gouvernants, mais aussi l’opinion publique. Ce qui implique
aussi de pouvoir s’appuyer sur des partenaires non strictement
politiques dans le champ de l’écologie : mouvements, ONG,
groupes de réflexion, etc.
Une écologie de combat
La force du paradigme écologiste est qu’il ne peut se laisser
enfermer dans une posture gestionnaire. L’écologie est une
approche radicale, qui nécessite une remise en question du
modèle productiviste dans son ensemble, bien au-delà des
clivages partisans et politiques actuels. C’est à ce titre que
les écologistes doivent pouvoir s’adresser sans peine à des
électeurs attirés par un vote « protestataire ». Le pire serait de
laisser à l’extrême droite politique le monopole de la critique du
monde tel qu’il est ; ce serait un pas de trop vers l’impuissance
et l’incapacité à proposer des solutions pour sortir des crises.
L’inverse de ce que les écologistes doivent proposer.
Dans le système politique actuel, l’écologie se trouve donc
nécessairement dans une double opposition et dans l’obligation
de mener un double combat : face au système actuel, qui ne
prend en compte que les questions sous l’angle de la production
et de la «  dépense  » (énergie, ressources, biens)  ; et face au Front
national (et ses diverses formules, ailleurs dans le monde) en
35
tant qu’adversaire sur la quasi-totalité des approches et des
solutions, mais aussi en tant que concurrent dans la position
de groupe d’influence.
En somme, l’écologie ne réussira qu’en devenant une véritable
pensée en actes, portée par des groupes sociaux influents,
capable de prendre place dans les esprits pour jouer le rôle que
le FN espère atteindre : devenir la source d’influence sociale
et politique capable de remplacer les imaginaires déclinants à
l’œuvre dans nos sociétés et les partis en place, gauche et droite
confondus. Elle en a les moyens, si elle veut se les donner.
Au-delà des mouvements et des partis, c’est toute une contresociété qui se reconnaît dans les valeurs que porte l’écologie.
Ces « culturels créatifs », ces « mutants » conscients de leur
devoir de préservation à l’égard d’une nature agressée, ce
« peuple de l’écologie » est bien plus important, plus nombreux
qu’il ne le suppose généralement. Il suffirait qu’il se trouve
un adversaire commun, un motif de coalition, un objectif à
atteindre et une mission impérieuse pour prendre conscience
de cette puissance nécessaire et potentielle… En face, une
contre-société réactionnaire et nationaliste espère représenter
et influer directement sur un tiers de la population, à terme.
C’est à peu près ce que pèsent les « culturels créatifs » au sens
large, selon les études menées sur le sujet10. Le principal défaut
de ces personnes, c’est qu’ils n’imaginent pas être si nombreux,
ni devoir se coaliser pour changer les choses.
Le FN et l’écologie : une conversion très difficile
Tous les partis politiques ont tenté d’avoir un discours sur
l’écologie, depuis une bonne trentaine d’années. Tous, sauf
peut-être le FN de Jean-Marie Le Pen et Lutte ouvrière
d’Arlette Laguiller. Marine Le Pen a compris récemment
– notamment depuis le Pacte écologique, puis le Grenelle –
qu’elle ne pouvait ignorer tout à fait ces questions. Le succès
d’Europe Écologie en 2009 a d’ailleurs été un coup dur pour le
FN, qui a subi une véritable déconfiture (6,3 %).
10. L’ensemble des
« créatifs culturels » et des « alter
créatifs » (aux positions très proches)
composerait 35 % de
la population, selon
l’enquête dirigée par
Jean-Pierre Worms,
Les créatifs culturels
en France, Yves
Michel, 2007.
36
Dans cette quête de crédibilité sur les questions
d’environnement, la nouvelle présidente du FN a tenté
quelques sorties provocatrices, en se déclarant par exemple
« plus écologiste que Les Verts », ou en expliquant que –
alors que Jean-Marie Le Pen ne l’avait pas signé en 2007 –
certaines propositions du pacte écologique seraient « tout à
fait compatibles avec le projet du Front national ». À peine
lancé dans la primaire écolo, Nicolas Hulot a très clairement
répondu qu’il estimait « cette compatibilité, impossible et
inenvisageable ».
Globalement, et depuis longtemps, quand le FN veut
parler d’écologie il est surtout question de qualité de vie
et de protection animale, ou de mesures pour « préserver
les paysages », « éviter les pollutions », en insistant sur la
nécessité de tout envisager de façon « apolitique » ! Force est
de constater qu’il n’y a jamais eu de véritable effort du FN sur
l’écologie, malgré quelques tentatives de compilation d’idées
sans cohérence, pour préparer 2012.
L’idée d’introduire des énergies renouvelables est évoquée
dans les solutions depuis peu (avec l’hydrogène, malgré ses
défauts) et une possible « sortie du nucléaire » est apparue
« si c’est réaliste ». Le FN va même jusqu’à critiquer certains
agriculteurs (surtout « les lobbies »), ou « pollueurs », mais
plutôt étrangers, ou « mondialisés », si possible.
Ce n’est pas vraiment de l’écologie, mais plutôt une sorte
d’environnementalisme nationaliste à tonalité différentialiste
(« chacun chez soi »), qui rejoint la notion de « capitalisme
patriotique » que le FN développe dans sa nouvelle orientation
étatiste. On reste donc, au FN, avec des discours contradictoires,
que Marine Le Pen va essayer de faire passer dans un patchwork
de mesures sans vision d’ensemble. Ici, comme sur de nombreux
sujets, derrière sa volonté de brouiller les cartes en adoptant
des positions nouvelles, le FN reste fondamentalement proautomobile et pro-nucléaire, désireux de renforcer l’industrie
lourde (dont l’armement, ou l’aéronautique) et la puissance de
consortiums d’excellence et nationaux, à tout prix.
Remettre le frontisme à sa place, à la lumière
de l’écologie
Pour des écologistes, il existe des sujets sur lesquels il paraît
possible de mettre en difficulté, voire de battre en brèche
certaines affirmations bien ancrées dans les milieux d’extrême
droite. L’écologie est a priori plutôt bien perçue par la quasitotalité de la population. Si l’objectif n’est pas de persuader
un militant frontiste convaincu de devenir électeur écologiste,
il reste possible de semer les germes du doute chez certains
sympathisants et électeurs d’un tour. Au niveau local, on
observe que des personnes non affiliées se trouvent parfois
au confluent des influences, lorsqu’il s’agit de s’opposer à des
infrastructures, d’exiger plus de transparence, voire le respect
des paroles et expressions minoritaires. Il s’agit donc de
pouvoir appuyer sur les différences entre les deux approches
sur certains points importants : les ressources, les mœurs,
l’énergie, la pollution… Car le FN n’a pas de réponse sur
certains sujets, qu’il considère – à tort – comme subalternes.
37
Velléités écologistes à l’extrême droite
En dehors du FN lui-même, des ponts
existent entre une certaine écologie
et une partie de l’extrême droite,
notamment dans la mouvance de la
Nouvelle Droite, comme dans certains
cercles catholiques traditionnalistes
(parfois très sincères, sous l’angle
de la décroissance). Sur le plan
intellectuel, certains cadres Identitaires
ont commencé à opérer un tournant
écologiste depuis quelques années,
en reprenant des idées empruntées à
la décroissance et aux théories de la
relocalisation des activités, dans un
cadre qui peut aller du « capitalisme
patriotique » (local et familial), jusqu’à
une critique de la modernité capitaliste,
ou du progrès technique sans but, ou
dangereux (OGM, biotechnologies, etc.).
La voie a notamment été ouverte par
des écrits du principal intellectuel de la
Nouvelle Droite gréciste (du GRECE),
Alain de Benoist, qui voudrait développer
une approche empreinte de décroissance
et de localisme appliquée à une critique
de la mondialisation « destructrice de
civilisations » qu’il développe depuis
longtemps (A. de Benoist, Demain la
décroissance. Penser l’écologie jusqu’au
bout, É-dite, 2007).
Même si les partis n’ont pas intégré ce
type d’apport et semblent loin de les
comprendre, il faut prendre les tentatives
de développement d’une écologie
« identitaire » au sérieux, à long terme,
et notamment les rapprochements qu’ils
pourraient opérer avec une « écologie
profonde » (parfois radicale) encore peu
présente en Europe de l’Ouest, mais qui
prend pied dans certaines franges de la
société.
Le lepénisme ne comprend pas les questions écologiques
D’un point de vue écologiste, le Front national n’aborde aucun
sujet important ; il est myope et presbyte : il voit le monde
d’aujourd’hui avec des lunettes anciennes et sales. Pour lui,
le pollueur ne doit jamais payer et les riches (Français) ne
polluent pas plus que les autres ; c’est à croire que la famille
Le Pen veut protéger ceux qui polluent beaucoup.
Puisque les pollutions ne s’arrêtent pas aux frontières,
comment pourrait-on régler le problème de la dégradation
planétaire qui nous menace à la stricte échelle de nos petits
pays, enfermés dans nos égoïsmes de nantis ? Le lepénisme
ne répond pas à ces questions, il en est incapable. Pire, la
fille, comme le père, réfléchit en faisant valoir ses intérêts
personnels : le capitalisme familial, la fuite des capitaux
autorisée, l’héritage favorisé, le droit de polluer quand on en
a les moyens…
De quelles propositions phares – ou même un peu sensées –
pourrait se prévaloir la présidente du FN, en matière d’énergie,
de logement ou d’architecture, de transport des marchandises,
d’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement, de
revitalisation des territoires ruraux, de régulation des marchés
financiers, de contrôle des autorités sanitaires, d’amélioration
38
du système de santé, de relance du projet européen, de
protection de la biodiversité, d’amélioration des services
publics et des services décentralisés, de formation adaptée
aux différents publics, de meilleure répartition du temps de
travail… ? Sur tous ces sujets, comme sur bien d’autres, le
Front national brille par l’absence de propositions concrètes,
ou l’absurdité de celles qu’il propose.
Des idées du siècle dernier : productivistes,
nationalistes et conservatrices
Une façon de réagir à la question de la nouveauté de Marine
Le Pen dans le champ politique est de rappeler que, derrière
sa posture et ses affirmations péremptoires, la fille ne va pas
beaucoup plus loin que le père dans la compréhension du
monde. Elle a ajouté la protection de l’État à une vision qui
était ultra-libérale, quelques éléments de modernité dans
l’appréhension des sujets sociétaux (divorce, avortement,
gays…). Mais sur le fond, le lepénisme reste une vision datée :
mélange d’autoritarisme teinté de capitalisme nationaliste et
de conservatisme, Marine Le Pen ne sort pas des rails. Ses
discours continuent de pointer les « mensonges de ceux qui
nous gouvernent » et « un retour au bon sens ».
Les recettes tiennent toujours à quelques viatiques : sécurité
(police et milices), armée (puissance armée), immigration (à
juguler) et emploi (à développer). Quant à l’économie, en dehors
d’une pointe d’interventionnisme, rien ne change : le PIB, la
croissance, l’emploi (national), ou la sortie de l’euro (retour
au franc) composent les bases de la pensée et de l’idéologie
frontiste depuis des lustres.
Quand Marine Sarkozy était au pouvoir…
D’un point de vue écologiste, Marine Le Pen n’a jamais réponse
aux problèmes qui se posent ; elle se perd et nous entraine
dans une surenchère pathétique et outrancière, qui pourrait
prêter à sourire si elle n’avait pas été mise en œuvre – pour
une bonne part – par Nicolas Sarkozy, sans résultat probant :
sur la sécurité, la justice, ou les mesures d’aide aux grandes
entreprises et aux cadres supérieurs, tout cela en pure perte
pour l’emploi et en creusant la dette.
On pouvait reconnaître la voix des Le Pen derrière le «  travailler
plus pour gagner plus » ; de même, c’est au lepénisme que l’on
doit bon nombre de caricatures et d’expressions perverses
qui ont nourri l’imaginaire du pays depuis quelques années :
« La sécurité, c’est la première des libertés » ; « Le problème
de l’immigration… » ; « La France, soit tu l’aimes, soit tu la
39
quittes » ; « Le racisme anti-Français »… Plus que des mots
utilisés pour blesser et pour apeurer, c’est une ambiance que
le sarko-lepénisme a distillé pendant des années au plus haut
sommet de l’État. On a donc pu voir, par bien des aspects, ce
que donnerait le FN au pouvoir.
Pour les démocrates et humanistes, il s’agit donc de considérer
et d’affirmer que la réalité du Front national s’est déjà en partie
exprimée, comme une forme de continuité du sarkozysme au
pouvoir ; avec les accents d’un « socialisme nationaliste » en
plus, on a la quintessence d’un bricolage idéologique populiste,
chauvin et dangereux qui ressemble beaucoup aux premiers
fascismes des années 1920. C’est à ce cauchemar qu’il va
falloir penser pour sortir du piège de la vision d’un FN « vierge
de toute responsabilité » et encore immaculé de promesses
intenables et dangereuses.
Épilogue : l’urgence, donner du sens
Le lepénisme n’est pas un feu de paille. Il a pénétré
profondément la société et se nourrit des échecs successifs
des gouvernants de chaque bord, il progresse plus vite en
période de crise morale et d’explosion des « affaires », mais il se
nourrit aussi par temps plus calme en apparence. Ses thèmes
sont ceux que les politiques en bout de course utilisent pour
tenter d’intéresser les électeurs et les convaincre qu’il faut se
mobiliser contre des maux : l’insécurité, le chômage, la dette,
l’immigration ou la hausse des impôts… Tous ces sujets, qui
évitent les problèmes de fond et n’agitent que des chiffons
rouges, font le bonheur des stratèges frontistes.
Passer de la gestion à la vision
On ne combat pas une vision du monde telle que celle-ci, fut-elle
chimérique, avec des plans comptables et des aménagements
à la marge de l’existant. À l’heure de l’impuissance avérée des
politiques face au pouvoir économique, au moment où la crise
semble avoir passé un nouveau cap, où le chômage bat des
records et le pouvoir d’achat stagne, il ne sert à rien d’invoquer
la croissance et la nécessité des efforts pour que reviennent les
beaux jours. Toutes ces formules ont fait leur temps. Celui qui
s’ouvre nécessite de l’élan, du souffle, une vision renouvelée.
À défaut, la gauche comme la droite s’enfonceront dans les
limbes de la gestion impuissante.
Face au FN, toute la question est de savoir si d’autres forces
sociales et politiques seront capables de proposer des voies de
40
sortie de crise porteuses à la fois de réalisme et de radicalité.
Le décider ne suffit pas, encore faut-il que cela soit suivi d’effet.
Mettre en cohérence les propositions de fond que la mouvance
écologiste cherche à présenter comme un paradigme nouveau
serait un premier pas vers la crédibilité et l’efficacité. Les
pistes sont nombreuses, mais elles nécessitent du courage et
de la persévérance.
Pour sortir de la posture d’impuissance qui est généralement
attribuée aux écologistes et à leurs alliés, une nouvelle
radicalité semble nécessaire, sur la forme comme sur le fond.
Enfin, une vision ne peut se contenter de discours et de quelques
propositions, d’éléments de programme issu de compromis
et de négociations multiples. Si le socialisme a été porteur
d’espoir, si le libéralisme a transformé la philosophie politique
occidentale, c’est qu’ils ont su rompre avec la doxa de leur temps
en proposant une autre façon de penser le monde, une vision
chargée d’un arrière-plan symbolique, un imaginaire social. Et
comme le relève Serge Moscovici11, « L’écologie est la seule idée
neuve de la fin du XXe siècle ».
L’urgence : agir et proposer une autre vision du monde
Les écologistes, qu’ils soient impliqués en politique ou dans
divers mouvements, semblent encore trop souvent hésitants à
répliquer de façon précise, argumentée, sérieuse, à la hauteur
de l’enjeu. Pourtant, l’urgence est là. Il n’y aura pas place pour
deux alternatives au système actuel. Cette position d’influence
se conquiert en passant par un conflit et en acceptant de
mener la lutte qui oppose deux camps politiques, mais aussi
et surtout deux visions du monde. Et on sait qu’il n’y a que les
combats que l’on ne mène pas (par forfait, paresse, ou manque
de volonté) que l’on perd à coup sûr.
Face aux crises qui s’accumulent jusqu’à former un « système
crisique » qui implique une « métamorphose » (E. Morin), il
y a urgence à trouver des solutions et la force de les mettre
en œuvre, à devenir une force sociale et politique, « une idée
dont le temps est venu »… C’est le rôle que s’est attribué
l’écologie. En face, il y a d’autres forces et d’autres idées qui se
nourrissent des crises pour proposer une autre voie de sortie,
d’autres solutions, celles du bouc émissaire, de l’exclusion, une
« politique du rétroviseur », qui fait l’apologie du simplisme et
du retour à un « âge d’or » imaginaire et chimérique. Sortir nos
sociétés du cauchemar que l’extrême droite propose en guise
d’avenir collectif est d’une urgence bien réelle.
11. Psychologue
social inventeur
de la théorie des
minorités actives,
ancien porte-parole
écologiste.
41
FACE AU FN
Que faire ?
Il n’y a ni formule magique ni recette à suivre pour régler une fois pour toute la
question du FN. Mais il y a des pistes, des exemples, des bonnes pratiques et des
réussites, qui peuvent nous guider. Tout ce qui a été posé dans les pages précédentes
peut paraître parfois un peu théorique ; cela a pourtant des implications très
concrètes, qui pourront être utiles au moment de composer des plans d’action,
programmes ou propositions de réformes, appuyés sur un corpus et un imaginaire
solides. De la maison jusqu’au « village global », en passant par un quartier ou un
bourg, de la ville à l’Europe, la vision et les actions proposées doivent tenir compte
de cet impératif : donner à voir, par de multiples formules, une autre voie de sortie
des crises que celle que propose le FN ; proposer une réponse à la fois plus crédible,
plus désirable et plus forte, que celle du lepénisme.
Il faut connaître cet adversaire, pour bien comprendre les ravages de la «  lepénisation
des esprits » et pouvoir argumenter. Il faut ensuite reprendre pied, sortir de la
sidération et édifier, patiemment une « vision du monde » alternative. Il faut enfin
agir, au plus proche et en fonction d’un impératif : retisser du lien, redonner du
sens, sortir de l’insignifiance et de la confusion, qui mènent à la démission et à
l’abandon de soi.
Sur la crise du sens, le sentiment de perte de lien social (et d’abandon territorial), sur
le sentiment d’insécurité, ou sur la question économique et sociale, l’alternative à
construire doit être capable de proposer des réponses à la fois globales et applicables
au niveau local, au plus proche. Sur la position « anti-système » qui fait le succès du
FN, il faut reprendre place dans la critique politique, relancer des débats, montrer
les impasses du système productiviste… Et avoir une vision pour un avenir à la
fois souhaitable et possible. Plus qu’un programme, ce sont des idées fortes et des
exemples concrets qui peuvent changer les choses.
Cela implique de concilier une approche théorique (des idées) et une action pratique
(des usages). Mais surtout, comme nous le suggère l’approche écologique, il faut
pouvoir agir localement et penser globalement.
Au niveau global : réagir à l’adversaire et développer un « sens »
à partager
Il est nécessaire de bien connaître l’adversaire (le FN), pour mieux le contrer, pour
cela on peut :
 initier ou participer à des plateformes d’information et d’analyse sur les
agissements de l’extrême droite, ses positions, ses postures ;
 développer une capacité à mettre le FN et ses figures (dont Le Pen) en dérision,
à présenter le ridicule et l’absurdité de ses positions, de ses actes ; son incapacité à
répondre à des questions importantes, essentielles (pollution, santé, gouvernance
démocratique, etc.).
Ensuite, il faut se donner les moyens de développer un imaginaire, une « vision du
monde » (une idéologie, même « douce »), à décliner en valeurs et capable d’opposer
des réponses aux visions déclinistes et morbides des différents « proto-fascismes » ;
 rappeler que l’écologie est un humanisme : sa finalité est la survie de l’humanité,
sur la planète, ce qui implique une « morale des conséquences » (ce que je fais a des
effets…) ;
42
 l’efficacité doit devenir un objectif : ce qui passe par la mise en lien de celles et
ceux qui participent à le faire vivre (un « peuple ») et par une plus grande capacité
à apparaître comme une « pensée globale » (paradigme) et une « alternative en
actes » ;
 pour être plus utile et mieux diffusée, l’écologie nécessite une forme d’apprentissage,
qui doit avoir des lieux de réflexion (fondations, universités, colloques, expositions,
etc.), de diffusion (médias, culture, etc.) et de formation : sous plusieurs formes,
mais il est temps de lancer un mouvement d’éducation populaire écologiste ;
 concrètement, l’écologie doit pouvoir poser un nouveau « vivre ensemble » : une
approche en termes d’« urbanité » appuyée sur la notion de « convivialité » (analyse
de la technique, notamment), contre l’urbanisme destructeur du XXe siècle ; la notion
« d’égalité des territoires » doit intégrer les impératifs écologiques et se donner des
moyens concrets pour agir globalement (ministère, agences, expériences concrètes
à financer, etc.).
Au niveau local : développer du lien social, par l’exemple, dans le concret
 relier : promouvoir et développer des façons d’échanger (biens, services, temps
libre) et de renforcer le lien social, les échanges (de pratiques, d’usages) ; à la fois
localement dans des lieux de rencontre dédiés ou utilisés comme tel (quartier,
bourg), mais aussi en termes d’affinités (par métier, hobbies, passions, etc.) ; fêtes,
moments conviviaux, etc.
 rendre possible : poser et promouvoir des pratiques et des usages qui peuvent
constituer des exemples réussis et attirants (plutôt que des leçons) en termes
d’alternative de vie, au quotidien : énergie, cohabitat, échanges de biens, services,
monnaie locale, gouvernance, etc.
 proposer : lors d’élections, de débats, apporter une contribution originale et
discutée en amont avec les usagers-habitants-professionnels… La solution adaptée
est celle qui fait « sens » pour eux et qui permet d’apporter une réponse efficiente
et acceptée.
 prendre soin de ne pas s’adresser aux personnes seulement en tant que
« citoyens » : ils sont aussi des consommateurs, parents, etc. Et l’objectif est
justement de construire des résolutions à ces paradoxes (citoyen/consommateur ;
parent/libertaire, etc.). Il faut, idéalement, essayer de prendre les gens « comme ils
sont et là où ils sont ».
La liste de ces exemples et pistes n’est pas exhaustive, loin de là. Mais elle permet
de voir comment, à partir de certaines analyses sur le phénomène Front national
et ses effets sur nos sociétés, on peut apporter des réponses à la fois concrètes et
efficaces au jour le jour, mais aussi de grands axes de travail pour les prochaines
années.
Qu’on se rassure, il ne s’agit pas de tout changer du jour au lendemain, de s’engager
corps et âme dans un antifascisme absolutiste ; ce dont il est question, c’est de
disposer d’objectifs à court, moyen et long terme pour reprendre confiance et envie
de changer les choses. Il y a mille façons de contrer l’influence du FN : l’important,
ici, c’est vraiment de participer. D’autres ont commencé. Des initiatives émergent
chaque jour, des idées nouvelles apparaissent chaque mois, des propositions sont
en cours… Il est temps de sortir de la sidération et de revenir dans l’histoire.
Individuellement, mais aussi collectivement. Et en guise de motivation, pour
faire « face au FN », on pourrait penser à la phrase de Périclès aux Athéniens, qui
hésitaient à se mobiliser pour sauver leur cité : « Se reposer ou être libre, il faut
choisir. »
43
2
AGIR
Par Enzo Poultreniez et Erwan Lecœur
L’ascension de Marine Le Pen et la diffusion des idées du Front
national sont résistibles. En témoignent les neuf chapitres
suivants. Sans prétendre à l’exhaustivité, ils illustrent l’action
de celles et ceux qui refusent la résignation.
Ces expériences sont riches d’enseignements et ne demandent
qu’à être renouvelées.
Elles peuvent être rassemblées en trois catégories :
 les idées qui n’ont pas porté leurs fruits, avec les exemples
du Petit livre vert contre l’extrême droite à Bruxelles et de la
Mission République dans le bassin minier du Nord - Pas-deCalais ;
 les actions concrètes et territorialisées qui ont un effet sur
le vote Front national, avec les exemples de L’Île-Saint-Denis,
Firminy et Hénin-Beaumont ;
 les initiatives transversales visant à collecter de l’information sur le Front national et à organiser une riposte, avec les
exemples des conseils régionaux du Nord - Pas-de-Calais et
de Rhône-Alpes, de la « fachosphère », de VISA et du groupe
national de veille d’EELV.
Gageons que les militants sauront trouver dans ces quelques
exemples une source d’inspiration pour en développer de
nouveaux. À la montée du Front national répond une diversité
de solutions, qui n’attendent que d’essaimer.
Bassin minier :
sauver le front républicain ?
Le bassin minier du Nord - Pas-de-Calais est-il une terre de
conquête du Front national ? C’est en tout cas ici que Marine
Le Pen concentre ses forces, face à un PS en décomposition,
des communistes qui se cantonnent à quelques bastions
et en l’absence quasi totale de la droite républicaine. Dans
ce territoire en déshérence, le FN affiche une moyenne de
40 % aux dernières législatives. Dès après les cantonales de
2011, la vague « Bleu Marine » avait montré sa force… En
face, plusieurs initiatives avaient vu le jour pour tenter de
reconstituer un « front républicain » face à la montée du Front
national. La mobilisation reste faible. Et le bassin minier
s’enfonce doucement dans une crise aux accents douloureux.
46
Des îlots de résistance émergent : la commune de Loos-enGohelle (6 801 habitants) est la seule ville écologiste, dans un
territoire dominé depuis des décennies par le socialisme. Les
scores du maire, Jean-François Caron, sont des plébiscites :
82 % dès le premier tour des élections municipales de 2008, et
un FN qui fait ses plus mauvais scores. Fort de cette légitimité
locale, Jean-François Caron tente de réunir des acteurs de
tous horizons pour construire une stratégie territoriale de
réponse au FN qui ferait le pari de l’intelligence collective pour
sortir le bassin minier par le haut de la crise systématique
qu’il traverse.
Comme si le chômage, le sentiment d’abandon et la
dégradation de l’environnement ne suffisaient pas, le bassin
minier est aujourd’hui parcouru d’affaires politico-financières
importantes. Ce climat fait émerger une défiance de la
population vis-à-vis de la classe dirigeante locale. Un système
s’effondre et laisse des habitants en perte de repères, d’une
part, et des élus locaux éclaboussés par les affaires, d’autre
part. Il n’en fallait pas plus à Marine Le Pen pour faire du
bassin minier son laboratoire grandeur nature. Elle a choisi
de s’y parachuter personnellement, accompagnée de plusieurs
cadres du parti. La même stratégie est actuellement déployée
en Moselle avec l’arrivée de Florian Philippot, candidat dans
la sixième circonscription aux élections législatives de 2012
(46,30 % des voix au second tour).
Mission République : une tentative de sauvetage
du front républicain
Le choc des élections cantonales
Les élections cantonales de mars 2011 ont provoqué un
électrochoc dans le bassin minier : le Front national se
maintient dans tous les cantons renouvelables et y obtient
partout plus de 30 % des suffrages au second tour, avec
des pointes à 43,45 % dans le canton de Lens Nord-Est et
44,74 % dans le canton de Montigny-en-Gohelle (composé de
Montigny-en-Gohelle et Hénin-Beaumont) sur la candidature
de Steeve Briois. C’est surtout la progression du nombre de
voix recueillies par les candidats frontistes qui interpelle.
L’augmentation est en moyenne de 40 %. La progression
en voix au second tour démontre donc que le FN bénéficie
désormais de reports de voix. Le cordon sanitaire a rompu ;
une porosité s’est installée avec l’électorat de droite, mais
aussi – dans une moindre mesure – avec l’électorat de gauche.
En devenant un parti « attrape-tout », le Front national fait
vaciller le front républicain.
47
Appel à la mobilisation pour le bassin minier
L’impuissance des partis politiques traditionnels à répondre
à la montée du FN est parfois teintée de résignation. C’est
ce défaitisme qu’a décidé de combattre Jean-François Caron,
maire de Loos-en-Gohelle et conseiller régional écologiste. Un
appel citoyen contre le FN est publié le 12 avril, trois semaines
après le second tour des élections cantonales. Son titre est sans
équivoque : « Face au FN, halte à l’impuissance ! Indignonsnous, engageons-nous 
! Appel citoyen de personnalités
engagées ». Il est signé par une vingtaine de personnalités du
territoire : élus, acteurs culturels, syndicalistes, universitaires,
sportifs, etc.
Texte de l’appel (extraits)
« La réponse aux inquiétudes de la
population repose sur une action à tous
les niveaux, et particulièrement les
pouvoirs publics, et les élus. Le combat
est à mener sur les valeurs et sur les
réponses concrètes à apporter.
que soient leurs orientations politiques
et leurs domaines d’intervention, une
dynamique collective de construction de
cet avenir. Impliquer, associer, mobiliser,
inlassablement…
[…]
La conférence permanente du bassin
minier avait, dans les années 1990,
mobilisé près de 2 000 personnes, au long
cours. Cette dynamique de réflexion et
de construction collective avait donné
lieu à l’élaboration d’un diagnostic
partagé sur le territoire, avait permis
de construire un projet collectif et donné
lieu à la signature d’un volet particulier
du contrat de plan État/région, doté de
vrais moyens d’action. La reprise de
la dynamique pourrait mobiliser dans
l’action, autour de la construction d’un
projet pour l’après charbon. »
Il nous faut ouvrir une deuxième
reconversion, celle de l’implication
des acteurs dans leur diversité, celle
de l’innovation, et donc celle d’un
véritable projet partagé, porteur de
la transformation et de l’avenir du
territoire.
[…]
C’est par le projet que nous répondrons
aux gens, à leurs inquiétudes. Il nous
faut enclencher ensemble, avec toutes
les personnes de bonne volonté, quels
[…]
L’appel propose de faire de la révolution démocratique la
première des priorités, pour sortir par le haut des affaires
judiciaires et de la défiance des citoyens. Il est fait notamment
référence à la Conférence permanente du bassin minier
initiée par Jean-François Caron sous la présidence de MarieChristine Blandin au conseil régional Nord - Pas-de-Calais et
qui avait abouti à la publication d’un livre blanc en 1998, puis
à l’installation de la Mission bassin minier. Symboliquement,
l’appel jette les prémices d’une union large de la gauche
48
communiste et socialiste et des écologistes sur tout le territoire
pour riposter au Front national. La droite étant inexistante, il
s’agit donc bien de reconstituer un front républicain dans les
esprits, et dans les urnes.
Les raisons d’un échec
Deux ans après son lancement, la Mission République est
tombée en sommeil, de l’aveu même du premier signataire.
Malgré les articles de presse et les nombreux relais de l’appel
localement, la dynamique est au point mort. Certes, l’élection
présidentielle, puis les législatives ont minoré les initiatives
trans-partis ; mais l’explication n’est pas suffisante.
L’effondrement du front républicain
Des élus dans une posture attentiste, des militants peu
enthousiastes et des citoyens absents 
: l’appel n’a pas
réussi à rassembler largement des citoyens, même avertis
et sensibilisés sur la question. Et pour répondre au « Que
faire ? », c’est l’impuissance qui domine. Qu’il s’agisse d’un
« collectif antifasciste » ou d’une « Mission République », les
réunions ne drainent plus les foules des années 1990. Se
réunir pour dénoncer ne suffit plus et s’avère même parfois
contre-productif.
Par ailleurs, à l’évidence l’électorat frontiste évolue : un vote
d’adhésion s’ajoute au vote de protestation. À cela s’ajoute
également un vote de ralliement d’entre-deux-tours totalement
nouveau. Les cartes du jeu politique en sont profondément
rebattues. Face à ce nouveau comportement de l’électorat, la
reconstitution d’un front républicain homogène ne peut être
suffisante. Pour certains élus, elle n’apparait même plus
comme nécessaire : si le front républicain n’engage pas à
grand-chose quand le FN est à 15 %, il en est autrement quand
il avoisine les 45 %.
En sus, la Mission République a connu une série
d’intimidations qui n’ont pas permis d’instaurer un climat de
travail apaisé : des tentatives de piratage de la messagerie
électronique aux dégradations sur des véhicules stationnés à
proximité des lieux de réunion, ces pressions ont pu avoir un
effet démobilisateur.
La fin du discours antifasciste traditionnel
Les enquêtes d’opinion montrent un Front national de plus
en plus toléré voire accepté par la population, certains de ses
constats étant même partagés par une majorité de Français.
49
Le changement d’image opéré par Marine Le Pen, qui évite
soigneusement les dérapages de son père, a rendu possible une
banalisation de son parti. L’urgence est donc au renouvellement
de la stratégie de communication face au FN. Avec des actions
plus inventives et décalées, les militants écologistes d’HéninBeaumont apportent une partie de la réponse.
Il s’agit enfin de traiter les causes du vote FN plutôt que ses
effets. C’était l’ambition première de la Mission République :
« Le combat est à mener sur les valeurs et sur les réponses
concrètes à apporter », lit-on dans l’appel. La lutte contre la
peur du déclassement social et le sentiment de relégation
spatiale est d’autant plus efficace si elle est accompagnée d’un
réengagement des pouvoirs publics sur ces territoires.
Enfin, le classement du bassin minier au patrimoine mondial
de l’UNESCO pourrait avoir des effets concrets sur le discours
du Front national. La reconnaissance de l’identité du territoire
renforce l’estime de soi des habitants et combat la désespérance
qui fait le nid du FN. Les habitants relèvent progressivement
la tête.
Conférence permanente du bassin minier et bassin minier
UNESCO sont deux autres initiatives de Jean-François
Caron qui portent des fruits et ont mobilisé un grand nombre
de citoyens et d’acteurs du territoire. C’est aussi le cas de
l’opération de développement Euralens, qui accompagne
la mutation du territoire engendrée par l’arrivée du Louvre
à Lens. Ces succès de développement d’initiatives locales,
porteuses d’espoir, contrastent avec la difficulté qu’a eue la
Mission République à mobiliser sur l’enjeu seul de la lutte
contre l’extrême droite. La leçon pourra être méditée pour
d’autres lieux et d’autres situations comparables.
Bruxelles :
un petit livre vert contre l’extrême droite
Suite aux succès des partis d’extrême droite au cours des
années 1990 (« nonante », disent les Belges), le parti Ecolo
a décidé de publier un petit livre reprenant une liste de
contre-argumentaires pour aider les militants à convaincre
des électeurs potentiels. Mais assez vite, les écologistes de
Bruxelles et de Wallonie ont dû se rendre à l’évidence : la
conviction et l’explication ne suffisent pas toujours pour faire
pencher la balance. Comment défaire un argument qui touche
les gens profondément, en leur expliquant longuement qu’ils
se trompent et que les choses sont plus « complexes » ? La
50
formation sur le terrain, la capacité à entrer en empathie avec
les interlocuteurs, voire à pousser la logique populiste jusqu’à
l’absurde peuvent parfois se révéler plus efficaces. Une logique
plus « socratique » appliquée en politique serait à méditer.
Le Front national en Wallonie (devenu Démocratie nationale)1
et le Vlaams Belang (VB, ex Vlaams Blok) en Flandre se
partagent le territoire belge, avec des dynamiques très
différentes : très forte en Flandre, très faible en Wallonie.
Jusqu’aux dernières élections communales (2012), ces
deux partis se présentaient tous les deux dans la région de
Bruxelles-Capitale, qui forme la troisième entité fédérale du
pays. Tandis que la Flandre (nord du pays) connaît un très
fort vote sécessionniste et nationaliste (qui a entrainé de
nombreuses crises politiques ces dernières années), l’ex FN
Belge n’a pas réussi à s’implanter dans le sud du pays et
l’extrême droite a quasiment disparu des écrans en Wallonie
sans qu’il soit mis en place d’action particulière. C’est dans
la région de Bruxelles-Capitale que la lutte contre l’extrême
droite a davantage mobilisé, notamment au milieu des années
1990, en réaction à la forte progression des représentants des
deux partis en lice.
Les élections communales de 1994 ont été un énorme succès
pour le Vlaams Blok (VB) et le Front national (FN) dans
la région de Bruxelles-Capitale. Ce raz de marée a eu un
écho d’autant plus retentissant que son ampleur n’était pas
annoncée. Le FN était présent dans 17 des 19 communes de
Bruxelles-Capitale et a obtenu 46 élus dans 15 communes.
Le VB était présent dans 11 communes, avec 4 élus, dans
4 communes. Dans le détail, l’extrême droite (FN et VB réunis)
recueille entre 1 % des suffrages à Saint-Josse et 21,8 % à
Molenbeek-Saint-Jean, avec une moyenne de 11 % sur les
19 communes, un score encore jamais atteint à l’époque.
Ces scores élevés pour une capitale cosmopolite comme
Bruxelles font l’effet d’une douche froide chez les militants
du parti Ecolo. C’est le cas à Uccle, commune résidentielle
bourgeoise du sud de Bruxelles, qui a vu pour la première fois
entrer deux conseillers communaux du Front national.
1. Depuis mars 2012,
le Front national est
devenu « Démocratie
nationale » suite à la
décision de la cour
d’appel de Liège, qui
a reconnu la propriété de la marque
Front national au
FN français. Cela
n’a pas empêché des
candidats se revendiquant du Front
national de se présenter aux communales d’octobre 2012
sous l’étiquette « FN
Belge », « LEPEN »
ou « FNW ».
Chantal de Laveleye est alors l’une des trois conseillers
communaux d’Ecolo que compte la commune. Sur le site de la
fondation Etopia2, elle témoigne : « Passé le choc unanimement
ressenti par tous les élus des partis démocratiques, nous avons
2. Centre d’animation et de recherche
en écologie politique.
Article du 25 février
2011 sur
www.etopia.be .
Genèse d’un livre vert
51
pris notre mal en patience ; d’autant plus aisément que les
interventions des élus FN furent particulièrement rares. »
Des membres de la « régionale Ecolo » de Bruxelles fondent
un groupe de travail baptisé « Non à l’extrême droite » chargé
d’analyser les causes et effets du vote FN et VB sur les
19 communes bruxelloises et de trouver des outils efficaces
pour le résorber. En mai 1999 est publié le Petit livre vert
contre l’extrême droite, qui vise à réfuter tous les aspects des
projets politiques du Vlaams Blok et du Front national.
L’introduction pose le cadre : « Il arrive à tout démocrate d’être
confronté à des interlocuteurs manifestement influencés ou
simplement séduits par le discours de l’extrême droite. Nous
avons conçu cet argumentaire comme un outil à l’usage de
tous ceux qui souhaitaient être mieux armés pour ce dialogue
difficile ».
Tous les aspects du discours du Vlaams Blok et du Front
national sont passés au crible, pour couvrir les possibles
interpellations de citoyens croisés au cours d’un tractage
militant. Chaque chapitre commence par exposer des extraits
de tracts de l’extrême droite et des citations de ses leaders,
puis présente la contre-argumentation étayée en plusieurs
points. Il s’agit donc en priorité de déconstruire le discours de
l’extrême droite.
Le livre vert : manuel de réfutation
Table des matières du Petit livre vert contre l’extrême droite
Défiance à l’égard du politique
 Politiciens incapables et corrompus
 Système électoral
 Fiscalité
Noyau dur du discours
de l’extrême droite
 Immigration
 Sécurité
Aspects moins connus du programme
 Femmes
 Enfants
 Syndicalisme
 Chômeurs
52
Danger pour la démocratie
 Démocratie
 Johan Demol
Annexes
 La menace du Vlaams Blok à Bruxelles
 Bref historique de l’extrême droite
flamande en Belgique
 Extrême droite et nationalismes
Une efficacité en demi-teinte
Si l’intention est louable, ce petit livre vert échoue, dans les
faits, à devenir un outil efficace de la lutte contre l’extrême
droite. Toujours sur le site d’Etopia, Chantal de Laveleye
développe les raisons de cet échec relatif : « En faire usage
lors des contacts avec la population s’est avéré malaisé :
autant le discours de ces partis est simpliste, autant la contreargumentation est complexe. Cette idéologie parle aux tripes
alors que nous faisons appel à la raison ».
L’expérience bruxelloise du livre vert nous apprend qu’on
ne peut pas mener un échange politique avec un citoyen en
commençant par nier en bloc son propos, et en se lançant
dans une contre-argumentation en dix points. Ainsi, le livre
vert propose une page entière de réponses, en cinq points, à la
phrase « On paye trop d’impôts, l’État gaspille notre argent ».
Il est en pratique impossible qu’un citoyen accorde autant
de temps de réponse. Et quand bien même, il se lasserait
rapidement d’autant de complexité.
Ironie socratique, plutôt que rhétorique de conviction
Face à un potentiel électeur d’extrême droite, la démarche
la plus efficace est d’abord celle de l’écoute, avec relances
interrogatives. Les questions (« Vous souhaitez la baisse des
impôts, d’accord… donc vous souhaitez aussi la fermeture
d’écoles ? ») sont plus efficaces que les affirmations (« Il ne faut
pas baisser les impôts parce que ça entrainera des fermetures
d’écoles ! »).
Le modèle du genre est bien sûr le philosophe grec Socrate, mis
en scène dans les dialogues de Platon, qui use d’ironie plutôt
que de rhétorique. L’ironie de Socrate n’est pas seulement de
feindre l’ignorance, elle consiste également à faire semblant
d’approuver les compétences que son interlocuteur prétend
avoir (« Je sais de quoi je parle »). Ces flatteries l’incitent à
développer son argumentaire, et à Socrate de surenchérir par
le biais de questions faussement naïves. Avec cette méthode,
Socrate révèle point par point les contradictions de la pensée
de son interlocuteur en ébranlant les postulats et en remettant
en cause les hypothèses initiales.
La complexité des réponses de l’écologie politique ne permet
pas aux militants écologistes d’adopter la posture du rhéteur,
du tribun qui use de simplisme et de démagogie, comme c’est le
cas des militants d’extrême droite. Toute la doctrine du Front
national tient d’ailleurs en une formule : « Immigration =
Chômage = Insécurité ». La posture du rhéteur (ou « sophiste »
53
du temps de Platon) ne permet pas d’exposer une pensée
complexe. Les militants écologistes doivent au contraire
s’inscrire dans celle du philosophe. Ainsi, plaquer des contrearguments du petit livre vert dans une discussion ou répondre
à « La France aux Français » par « Le Pen, nazi ! » a une
efficacité limitée.
L’enjeu de la formation militante
L’expérience de la régionale Ecolo de Bruxelles-Capitale
est riche d’enseignements. Concentrés sur leur objectif de
combattre les idées de l’extrême droite, les militants écologistes
en ont oublié qu’il s’agissait aussi de questions de posture et
de communication politique. Ils avaient préparé un manuel
pour aller « donner la leçon » aux citoyens tentés par l’extrême
droite. Cette stratégie s’est vite révélée infructueuse. Geoffrey
Roucourt, ancien secrétaire régional d’Ecolo Bruxelles, est
conscient des limites du livre vert quand il déclare : « Ce
document date, et n’était pas très bien reçu sur le terrain.
Nous ferions sans doute les choses différemment aujourd’hui ».
Le Petit livre vert contre l’extrême droite de Bruxelles-Capitale
n’est donc pas complètement opérationnel, de l’aveu de certains
de ses concepteurs. Il est cependant un bon outil pour imaginer
des trames d’entretien et des outils de communication. En
effet, il s’agit d’un document riche et qui, s’il ne prétend pas
à l’exhaustivité, permet néanmoins d’aborder les thématiques
fortes du Front national et du Vlaams Belang par différents
angles.
Il est donc une première étape qui en appelle d’autres, au
premier rang desquelles la formation pratique des militants.
Invectiver un électeur d’extrême droite potentiel ne risque
pas de lui faire revoir sa posture, au contraire ; l’aborder avec
empathie permet de libérer la parole, et de mieux en mettre à
jour les contradictions. L’expérience d’Ecolo pourrait à ce titre
donner des pistes pour élaborer des outils efficaces et adaptés
en termes d’argumentaire comme de formation.
L’Île-Saint-Denis :
une « île vivante » et en « Ébullition » face au FN
L’Île-Saint-Denis est une commune insulaire de SeineSaint-Denis (93) peuplée de 7 017 habitants (2009) et riche
de nombreuses nationalités. Dans les années 1990, le Front
national y réalise des scores inquiétants. Des citoyens
réagissent alors en se regroupant et en investissant un terrain
54
de proximité dans le cadre d’une association d’animation
locale : Ébullition. Ce projet a permis l’apparition de L’île
vivante, liste écolo-citoyenne qui a emporté la mairie en 2001
(puis en 2008). Parmi les résultats sensibles, entre 1988 et
2012, le score du FN a diminué : de plus de 15 % en 1995, il
est descendu à 7,65 % à la présidentielle de 2007 et seulement
11,13 % en 2012, nettement en dessous de la moyenne
nationale. Mais au-delà des urnes, la ville a développé depuis
plus de vingt ans une véritable culture de la mobilisation
citoyenne et des liens sociaux de proximité, face aux peurs qui
sont le lit des idéologies d’exclusion.
L’Île-Saint-Denis est un fief historique du Parti communiste,
typique de la « banlieue rouge » proche de Paris qui connaît
des difficultés sociales caractéristiques : 24 % de chômeurs,
53 % de foyers non imposables, 70 % de logements sociaux. Au
premier tour de l’élection présidentielle de 1988, Jean-Marie
Le Pen y recueille 17,36 % des suffrages.
La réaction des habitants est immédiate, avec un rassemblement spontané en centre-ville. Le choc est d’autant plus grand
que le vote Front national n’a pas de visage localement, il
n’est pas implanté. Ses électeurs ne se revendiquent pas
publiquement du parti et ne participent pas à la vie de la cité.
Pour les citoyens de gauche, très majoritaires, il est d’autant
plus difficile de combattre un ennemi dont on ne connaît ni le
visage, ni le nom.
Ébullition ou la citoyenneté rénovée
Suite à ce rassemblement naît l’idée de créer une association
citoyenne qui se détacherait des partis politiques traditionnels
pour lutter contre les causes supposées du vote FN 
:
principalement la peur de l’autre. Ces citoyens engagés veulent
trouver des réponses concrètes au malaise social exprimé
dans les urnes à travers un vote protestataire. L’association
Ébullition est fondée, notamment par Elisabeth Bourgain,
pionnière de l’école de la deuxième chance, militante féministe
et écologiste. Sa première action est l’organisation d’une grande
soirée conviviale. Selon Anne N’Guyen, une des fondatrices
de l’association, « l’idée [était] que les gens se rencontrent, se
connaissent, pour ne plus avoir peur les uns des autres. Lutter
contre la peur, c’est lutter contre le FN »3.
Plus d’une centaine d’habitants ont fait le déplacement
et découvrent la charte de l’association qui stipule 
:
« L’association inscrit son activité dans la perspective d’une
3. Cité dans Ébullition, portrait d’une
association, Barbara
Grinberg, Éditions
du Toit, 2001, 314
pages.
55
citoyenneté rénovée qui reconnait les pleins droits à tous sans
exclusive, qui prend soin de la nature et de l’environnement,
qui prône une coopération enrichissante et pacifique entre les
peuples, qui assure la participation démocratique la plus large
des citoyens aux choix, décisions et actions qui les concernent,
qui permet le libre épanouissement de chacun pour le libre
développement de tous ».
symboliquement à la Maison des jeunes. Suit la création de
quatre comités de quartier, avec réunion mensuelle, ainsi que
l’instauration de commissions publiques ouvertes à tous les
habitants.
Ébullition s’inscrit dans une démarche d’éducation populaire et
entend provoquer le débat dans la commune pour exorciser les
peurs et faire tomber les préjugés. Elle organise régulièrement
des débats citoyens participatifs sur des questions clivantes,
comme le voile à l’école ou la situation politique en Palestine.
Commission n°1
« Vie des quartiers »
associative, coopération décentralisée,
intercommunalité
Politique de la ville, gestion urbaine
de proximité, démocratie participative,
communication, intercommunalité
Commission n°4
« Finances, économie et services
publics »
En parallèle, l’association s’investit concrètement pour
l’amélioration de la qualité de vie des habitants, via la
mise en place d’activités régulières de soutien scolaire
et d’alphabétisation et organise également des sorties
pour les jeunes à la campagne, des séances d’éducation à
l’environnement ou à l’alimentation. En 1995 l’association est
agréée centre de loisirs. En quelques années, Ébullition occupe
le terrain jusqu’à devenir une contre-société locale, à côté de la
municipalité communiste.
Commission n°2
« Éducation et action sociale »
Finances, entreprises, commerçants,
artisans, économie sociale et solidaire,
insertion professionnelle, guichet
d’accueil unique, intercommunalité
D’Ébullition à L’île vivante
Culture, jeunesse, sports, loisirs, temps
libre, fêtes, tourisme, vacances, vie
En 1995, une liste L'île vivante se présente aux municipales,
composée pour partie de fondateurs d’Ébullition, et obtient
trois élus. L’association laboure toujours autant le terrain et
certains membres formulent le souhait de transformer cette
dynamique citoyenne locale en dynamique électorale. Au
printemps 2001, la liste « Ensemble pour une île vivante »,
emmenée par Michel Bourgain (adhérent des Verts), remporte
la mairie. Il rassemble 48,9 % (22 sièges) contre 41,74 % pour
la liste communiste (6 sièges) et 9,34 % pour une liste de droite
(1 siège). Cette victoire n’est pas sans créer des tensions dans
l’association Ébullition, qui connaît une division sociologique
entre ceux qui rejoignent le conseil municipal, essentiellement
des personnes issues de la classe moyenne, et ceux qui restent
dans le giron associatif d’aide et d’accueil, essentiellement
celles issues des milieux les plus populaires.
Une fois arrivé aux responsabilités, Michel Bourgain
décline son programme citoyen. Il fait de L’Île-Saint-Denis
un laboratoire de la participation citoyenne : « La solution,
c’est la démocratie participative car c’est le fondement
de la lutte contre la violence qui se développe quand il y a
trop d’individualisme ». Le premier conseil municipal a lieu
56
Les commissions publiques municipales ouvertes à tous
Affaires scolaires, restauration, réussite
éducative, parentalité, centres de loisirs,
action sociale, santé, enfance, petite
enfance, actions intergénérationnelles,
lutte contre les discriminations,
intercommunalité
Commission n°3
« Temps libre et vie associative »
Commission n°5
« Urbanisme, écologie et cadre de vie »
Urbanisme, travaux, déplacements,
espaces publics, propreté, environnement,
énergie, habitat, patrimoine immobilier,
équipements, intercommunalité
Chaque grande décision fait l’objet d’une concertation
approfondie avec les habitants et d’une coproduction des
politiques à mettre en œuvre à partir des besoins. Des
habitudes se créent et la participation des usagers s’élargit
sur de nombreux grands dossiers : cuisine centrale, plan
de déplacements, sauvegarde du pont pour le passage du
tramway, écoquartier… La commune remporte même un prix
de la citoyenneté au salon de la Nouvelle Ville (écocitoyenneté).
Lorsqu’il est question d’adhérer à Plaine Commune, le
conseil municipal (sur proposition du maire Michel Bourgain)
organise un référendum auquel tous les habitants peuvent
participer, y compris les résidents étrangers ; cela provoque
quelques réactions des autorités préfectorales, de la classe
politique la plus réactionnaire (élus UMP) et un communiqué
de Jean-Marie Le Pen. C’est l’occasion d’une réponse cinglante
et argumentée de Michel Bourgain et de son collègue de
Stains, sous la forme d’une tribune dans le journal Libération4,
dénonçant la vision moisie du millionnaire de Saint-Cloud
et affirmant : « Face au front de la haine, qui ne comprend
4. M. Bourgain
(maire de L’ÎleSaint-Denis) et
M. Beaumale
(maire de Stains),
« Front solidaire,
contre front de la
haine », Libération, 11 octobre
2002. http://www.
liberation.fr/tribune/0101427489
-front-solidairefront-de-la-haine .
57
rien de la vie des gens et de l’envie de vivre ensemble, nous
continuerons de construire et de développer un front solidaire,
vecteur de coopération et de justice entre les habitants d’un
territoire, d’où qu’ils viennent. » On retrouve donc bel et bien,
dans l’action locale résolue et citoyenne, la question de départ :
on avance, contre la montée des peurs et donc celle du vote FN.
En savoir plus
Lien social et démocratie partagée,
contre peurs et préjugés
Firminy :
retisser du lien social
La démocratie locale compose le ferment de la reconquête
citoyenne. Chaque quartier accueille une fois par an une séance
du conseil municipal, avec un temps de questions-réponses
prévu avec les habitants présents. Cette relocalisation permet
de rapprocher l’institution municipale des citoyens, qui
peuvent ainsi comprendre son fonctionnement. La présence
des élus sur tout le territoire communal tend à réduire le
fossé entre la classe politique et les citoyens, et lutte ainsi
concrètement contre le discours frontiste du « tous pourris ». La
démocratie participative est une rupture paradigmatique dans
la citoyenneté locale : l’habitant passe de la réclamation à la
coconstruction. À partir du moment où les lieux de pouvoir lui
sont ouverts, il comprend davantage la complexité des dossiers
et des arbitrages (parfois à plusieurs collectivités et acteurs).
L’éducation populaire et la compréhension des processus est
un frein au populisme.
Ébullition sur le plan associatif et L’île vivante sur le plan
politique ont permis de rénover la citoyenneté locale à L’ÎleSaint-Denis. Les 17,34 % du Front national au premier
tour de l’élection présidentielle de 1988 (au-dessus du score
national, 14 %) sont un lointain souvenir. Au premier tour en
2002, un an après l’élection de Michel Bourgain, le score du
FN baisse légèrement, à 15,97 % (15 % au plan national). En
2007 son score tombe à 7,65 %, pour remonter à 11,13 % sur la
candidature de Marine Le Pen en avril 2012, ce qui le maintient
quand même près de 6 points sous son score national (17,9 %).
Cette décrue locale du FN s’est jouée sur de nombreux
facteurs, dont la prise en considération des relations sociales
au niveau local, voire interpersonnel, sur la petite ville. Mais
le contexte global (montée du FN et effets du sarkozysme,
échec d’un gouvernement de gauche) joue fortement sur les
esprits, à L’Île-Saint-Denis, comme ailleurs. L’expérience
citoyenne et écologique menée dans la proche banlieue de
Paris n’a pas résolu tous les problèmes, mais elle a pour
intérêt d’être reproductible et exemplaire pour bien des villes
et communautés locales.
58
Comprendre l’action menée sur le long terme par les citoyens
réunis au sein de l’association Ébullition, on peut consulter le
livre écrit par Barbara Grinberg : Ébullition, portrait d’une
association. Éditions du Toit, 2001, 314 pages.
À Firminy, dans le bassin houiller de la Loire, le FN a connu une
envolée dans les années 1990, avant de baisser progressivement
pour se retrouver dans la moyenne métropolitaine française.
Sans cadres locaux ni réelle idéologie politique, ce vote
manifeste plus une désespérance sociale qu’un racisme ou
une xénophobie. Anne de Beaumont, conseillère municipale
écologiste, a décidé de combattre les causes de ce vote.
Minoritaire dans un conseil municipal dominé par la droite,
elle a réussi à imposer l’idée d’installer une épicerie sociale et
solidaire dans le quartier populaire du Layat ; le vote Front
national y a connu une décrue.
La ville de Firminy est au centre de l’ancien bassin houiller de
la Loire, à quelques kilomètres de Saint-Étienne. Elle accueille
une forte population issue d’une immigration du travail puis
du regroupement familial. La ville connaît d’importantes
difficultés sociales depuis la fin de l’exploitation du charbon,
avec un taux de chômage très fort et une ségrégation spatiale
importante entre les quartiers. La ville perd régulièrement des
habitants et le lien social se délite.
Le vote Front national se développe fortement dans ce bastion
communiste à partir des années 1980, au plus fort de la crise
économique. Le premier tour de l’élection présidentielle de
1995 place Jean-Marie Le Pen en tête sur la commune, avec
un score historique de 24,9 % et 2 460 voix.
Le Layat, bastion du vote frontiste
Au nord de Firminy, le quartier du Layat est constitué d’une
série de grands ensembles très enclavés, coupés du centreville par une voie ferrée, loin des lieux de vie, de commerce
et de convivialité. Les services publics y sont absents : encore
aujourd’hui le quartier ne dispose d’aucune école primaire. Le
quartier fait néanmoins l’objet d’une bonne desserte en bus (ligne
59
structurante entre Firminy et Saint-Étienne), mais on y passe
plus qu’on ne s’y arrête. Les autres habitants de la ville n’ont
vraisemblablement aucune raison de venir dans ce quartier.
Les habitants qui y occupent les logements sociaux ont un
sentiment de relégation, d’y être reclus, voire punis tant il est
difficile d’en sortir. De nombreux logements restent vides faute
d’attraction du secteur.
C’est dans ce terreau qu’a prospéré le vote Front national, sans
qu’il y ait émergence d’un leader local ou parachutage d’un
cadre du parti. En 1995, le score du FN à Firminy est tiré par
les bureaux de vote du Layat et des alentours.
Une épicerie sociale et solidaire pour recréer
du lien social
En 2001, la droite gagne les élections municipales. Anne de
Beaumont est alors la seule élue écologiste au milieu d’une
majorité de droite et d’un groupe d’élus de gauche dépassés par
la défaite et usés par trente ans de pouvoir communiste.
Elle propose rapidement la création d’une épicerie sociale et
solidaire dans le quartier du Layat : l’idée est de développer
une épicerie de proximité pour les personnes âgées et autres
habitants sans voiture, mais aussi une épicerie sociale
permettant l’achat des denrées alimentaires pour certaines
familles avec des réductions de 30 % et enfin une épicerie
solidaire avec des produits de commerce équitable pour attirer
d’autres clientèles et instaurer de la mixité sociale.
Cette épicerie est créée avec le lancement d’une association, Le
P’tit Pont de Layat, suite à l’audit d’une structure d’économie
sociale et solidaire et avec l’appui des travailleurs sociaux du
quartier sollicités pour le lancement du projet. La municipalité
finance la majeure partie du budget de cette épicerie sociale
et solidaire. Une salariée est recrutée, complétée depuis par
un emploi aidé, et épaulée par de nombreux bénévoles. Les
produits alimentaires sont vendus par une grande chaine
alimentaire avec une remise.
L’émergence d’une identité locale
En plus de proposer des aliments et denrées de première
nécessité (hygiène, produits d’entretien, etc.), cette épicerie
devient progressivement un lieu de rencontres pour les
habitants du quartier : on vient y lire le journal, y boire un café.
Des ateliers cuisine y sont proposés chaque mois, des sorties
pédagogiques organisées avec la conseillère en économie
60
sociale et familiale. L’épicerie, à vocation alimentaire, est
aujourd’hui devenue un lieu ressource pour le quartier. Elle a
pallié le manque de lieu de convivialité et constitue une forme
de centralité urbaine.
Ce lieu a permis de proposer à des familles une alternative
à l’assistanat et aux dons alimentaires. Ces familles peuvent
retrouver leur dignité en construisant un projet familial, grâce
notamment aux économies réalisées du fait de la remise sur
les denrées alimentaires.
Mais ce lieu a surtout favorisé l’échange entre habitants
voisins qui ne se parlaient plus, il a permis de recréer du
lien social et d’impulser des animations dans le quartier.
D’un ensemble d’immeubles dortoirs en périphérie de la ville,
l’épicerie a favorisé l’émergence d’une identité collective propre
au quartier, et donc d’une certaine fierté d’y habiter.
La baisse du vote Front national
L’épicerie a contribué à faire reculer le sentiment de relégation
spatiale et de désespérance sociale. Le vote Front national y a
nettement chuté aux élections qui ont suivi. Sur l’ensemble de
la ville, Jean-Marie Le Pen recueillait 2 017 voix au premier
tour de l’élection présidentielle de 2002 (24,57 %) et seulement
1 295 voix en 2007 (13,26 %). La baisse est plus nette que sur
le reste de la France. En avril 2012, Marine Le Pen obtient
2 132 voix (23,97 %), proche du score de 1995 mais en deçà du
score de 2002 (alors qu’elle surpasse largement son père au
niveau national).
L’implantation d’une épicerie n’a évidemment pas vocation à
résoudre tous les problèmes, notamment celui de l’emploi. La
recrudescence récente du vote FN sur Firminy l’atteste. Mais
elle a permis d’apporter une première réponse sociale à un
quartier en grande difficulté.
Le sentiment de relégation, terreau du FN
Qu’il s’agisse d’un quartier de grands ensembles en proche
banlieue, d’une nappe de lotissements en grande périphérie ou
d’habitations en zone rurale, le délitement des services publics
génère un sentiment de relégation favorable au développement
du vote Front national.
Les exemples de quartiers ou villages qui se sentent abandonnés
des pouvoirs publics sont nombreux. À l’intérieur des grandes
agglomérations, cet abandon entraîne un sentiment de défiance
vis-à-vis des centres urbains et des valeurs qu’ils portent
61
(multiculturalisme, tolérance, etc.). Il entraîne également une
concurrence, souvent fantasmée mais parfois réelle entre les
quartiers, avec naissance d’une forme de paranoïa spatiale :
« Pourquoi ce quartier a le droit au vélo libre service et pas
nous, à la ligne de bus en site propre et pas nous, à la salle de
sport toute neuve et pas nous, à la propreté et pas nous ? », etc.
Dans les villages, ce sont les grandes villes qui sont pointées
du doigt comme les responsables de l’appauvrissement des
campagnes. L’enjeu de « l’égalité des territoires » est donc
crucial pour lutter contre le vote Front national. Qu’il s’agisse
de l’aménagement durable du territoire et du maintien des
services publics de proximité, les écologistes doivent avoir à
l’esprit cet impératif d’équité. Au niveau local, l’action d’Anne
de Beaumont en faveur de l’installation d’une épicerie sociale
et solidaire est caractéristique de cette démarche.
Hénin-Beaumont :
des apparitions locales, conviviales et inventives
Dans ce coin du Pas-de-Calais délaissé par les grands partis,
l’ombre de Marine Le Pen plane sur chaque scrutin. On est en
plein laboratoire grandeur nature : ici, le FN veut prouver qu’il
peut emporter une ville et remplacer un PS en décomposition.
En face, il y a eu la gouaille de Jean-Luc Mélenchon en
2012. Avec de petits moyens et depuis plusieurs années, les
écologistes ont décidé de jouer la carte du regain de confiance
auprès de la population et de l’anti-frontisme par la dérision et
la convivialité. À leur tête, Marine Tondelier, jeune candidate
écologiste locale, a endossé le rôle de trublion politique
sympathique et inventif. Une stratégie de communication
adaptée, moins agressive que les anathèmes antifascistes
traditionnels, mais que les militants et dirigeants du FN sur
place n’aiment pas trop.
Le projet de Marine Le Pen est clair et connu : faire d’HéninBeaumont un laboratoire pour tester l’efficacité de son discours
et pour éprouver sa stratégie d’implantation depuis qu’elle a
pris la tête du parti familial. S’il accédait au pouvoir, il ne fait
aucun doute que la ville deviendrait une vitrine de l’action
locale à la sauce Front national, plus encore que ne l’ont été
Vitrolles et Orange en d’autres temps. Et cette éventualité
est devenue de plus en plus crédible, au fil des années. Avec
2 109 voix au second tour des élections municipales de 2001
(19,1 %), 3 630 voix en 2008 (28,8 %), 5 504 voix en 2009
62
(47,62 %) pour les listes menées par Steve Briois au nom du
FN, et jusqu’à 6 030 voix (55,1 %) au second tour des élections
législatives de 2012 sur la candidature de Marine Le Pen, la
stratégie d’implantation est manifestement payante dans les
urnes. L’élection municipale de mars 2014 s’annonce sous de
mauvais auspices, à Hénin-Beaumont comme dans quelques
autres villes du pays.
Pourtant, Marine Le Pen n’apporte aucune solution concrète
pour remettre le bassin minier sur les rails. Au contraire,
elle participe du climat sinistré qui s’installe et se contente
d’incarner un supposé recours face à certains élus socialistes
locaux notoires englués dans les affaires politico-financières.
Elle incarne une forme de paternalisme qui se substitue à la
société du contrôle social du temps des houillères.
Les écologistes, entre vaillance et abattement
Face à cette offensive, la droite républicaine est inexistante
et la gauche très divisée ; d’autant plus depuis le parachutage
de Jean-Luc Mélenchon lors des législatives de 2012. Alors
que le contexte ne leur est pas électoralement favorable, les
écologistes ont très tôt souhaité s’engager localement, obtenant
des scores honorables (8 % aux élections municipales partielles
de 2009 au premier tour).
Mais le climat local est extrêmement lourd. Les combats
électoraux sont violents, et les recours systématiquement
déposés par le FN ne permettent pas un relâchement de la
tension politique. Les militants écologistes ont donc été
soumis à rude épreuve, beaucoup ont connu des périodes
d’abattement, certains sont partis. Dans le même temps, les
habitants d’Hénin-Beaumont souffre d’une surexposition au
débat politique et finissent par s’en détourner. Nous avons
donc des militants de plus en plus muets face à des habitants
de plus en plus sourds.
Faire souffler un vent frais sur Hénin
Dès lors, comment rendre de nouveau audible la parole
écologiste pour contrer le Front national ? Une partie de la
réponse passe par l’expérimentation de nouvelles pratiques
militantes. Ce renouvellement a notamment été porté par
Marine Tondelier, militante des jeunes écologistes devenue
tête de pont d’EELV sur la ville, dont elle est originaire.
Elle écrit sur son blog : « Politiquement, il est compliqué de
s’opposer à Marine Le Pen. La caricature est facile, le combat
antiraciste tourne aisément à la farce, donnant prise à l’idée
de l’élite contre le peuple »5.
5. Source : http://
marinetondelier.
wordpress.com/
page/6 .
63
Plusieurs actions ont été mises en œuvre sur Hénin-Beaumont,
faisant apparaître les écologistes là où on ne les attendait pas
(karaoké), utilisant une communication simple et efficace
dans les visuels et la sémantique (Nestor le Mort, Blouse
blanche contre peste brune), se servant du jeu comme outil
de pédagogie politique (chamboule-tout contre les préjugés) et
valorisant l’expertise d’usage des habitants (Guide participatif
du mieux vivre à Hénin-Beaumont).
Le happening comique : mettre les rieurs de son côté
Le 19 mai 2012, Marine Tondelier, candidate écologiste dans
la 11e circonscription du Pas-de-Calais (Hénin-Carvin), se
retrouve par hasard à prendre l’apéritif avec quelques amis à
deux tables de Marine Le Pen et de son équipe de campagne
pendant un marché aux puces. Comment faire pour contourner
une inévitable crispation 
? Surtout, comment attirer
l’attention, alors que la notoriété de la fille Le Pen écrase celle
de la candidate écologiste ?
Marine Tondelier et son équipe décident de profiter du contexte :
un karaoké, avec titre imposé, proposé par l’association du
Champ de l’abbaye. Arrivés devant le micro, le titre imposé
s’avère être « On va s’aimer » de Gilbert Montagné. Les paroles
se prêtent facilement au détournement : « On va s’aimer,
tous ensemble, même les étrangers », « On va s’aimer, tous
ensemble les gens de gauche et droite, mais surtout pas les
gens d’extrême droite »6.
Marine Le Pen fait bonne figure tout au long de la vidéo,
mais son sourire est crispé. Une fois le morceau terminé, elle
quitte rapidement les lieux. Les écologistes ont donc réussi à
la faire fuir sans violence, simplement en usant de la dérision
comme d’une arme puissante, mais aussi en sortant du cadre
traditionnel de l’homme politique, qui contrôle son image et ne
se risque donc pas à un karaoké en public.
Les réactions des habitants du quartier ont été nombreuses et
très positives. Marine Tondelier en témoigne : « Ça a fait rire
beaucoup de monde et détendu l’atmosphère. À Hénin on en a
besoin ! »
6. La vidéo complète : http://www.
dailymotion.com/
video/xqyebj_marine-tondelier2012-le-karaokeanti-le-pen_news#.
UYRVcaLJSSo .
64
« Nestor le Mort » et « chamboule-tout antipréjugés » : décaler le regard, pour interpeller
Mettre en place des actions décalées et drôles n’empêche pas
d’avoir un discours sur le fond. Dans le cas d’Hénin-Beaumont,
les militants écologistes ont su se renouveler et mettre en
Interpeller pour attirer l’attention
Les actions mises en place par les
écologistes à Hénin-Beaumont présentent
une grande diversité, mais ont pour point
commun de se démarquer des actions
militantes traditionnelles, qui en restent
trop souvent au tractage simple sur les
marchés, au porte-à-porte, ou au collage
d’affiches.
initiatives œuvrent pour redonner
confiance à des habitants et à un
territoire, pour lutter contre le climat de
défiance que répand le Front national.
Plutôt que d’aller au devant des
habitants, il s’agit de créer une situation
où l’habitant, interpellé, vient de luimême. Au lieu de plaquer un discours
figé et préparé à l’avance, les écologistes
valorisent l’expertise d’usage des
habitants et leur démontrent que leur
territoire a des atouts importants. Ces
Dernier effet positif, ces actions attirent
les journalistes et se transforment
souvent en article dans l’édition locale
du lendemain. La presse quotidienne
régionale, friande de ce type de
happening, permet de démultiplier leur
portée.
Si les effets positifs ne se traduisent pas
systématiquement dans les urnes, ils
permettent de s’autoriser collectivement
un répit dans le temps politique héninois.
place des visuels qui interpellent les habitants et permettent
d’ouvrir la discussion. C’est le cas de l’opération « Nestor le
Mort », mise en place en mai 2012 pendant la campagne des
élections législatives.
« Ici, 31 600 emplois ont été détruits en deux ans », annonce
Nestor. Ici, c’est l’ensemble du bassin minier. Ce visuel en noir
et blanc, au message clair, interpelle les passants et permet
aux écologistes d’expliquer les solutions non seulement pour
créer des emplois, mais des emplois de qualité et respectueux
des hommes et de l’environnement.
Par un visuel efficace, les militants ouvrent le dialogue
qui permet de crédibiliser le discours écologiste sur les
préoccupations principales des habitants d’Hénin-Beaumont :
l’emploi et la santé. Ces préoccupations sont les principales
sources du vote Front national localement. Il s’agit de la peur
du déclassement liée à la perte de l’emploi et du sentiment
de relégation lié au désengagement de l’État (disparition des
services publics, notamment de santé).
Dans le même état d’esprit, en septembre 2012, à l’occasion
de la braderie d’Hénin, le groupe local lance l’idée d’un
chamboule-tout contre les préjugés, pour inviter les passants
à combattre leurs idées reçues à coup de balles de tennis.
Chaque boîte de conserve a son préjugé : « écolos = drogués »,
« élus = corrompus », « immigrés = assistés », « c’était mieux
avant », « musulmans = intégristes », etc.
65
Le jeu permet d’attirer les familles et donc d’entamer un
échange politique avec les parents pendant que les enfants
jouent. Il est aussi un outil pédagogique pour déconstruire
de manière subliminale le triptyque « chômage – insécurité –
immigration » du Front national.
Blouse blanche et pilule verte contre « peste brune »
Marine Tondelier le confie facilement : « Un lycéen peut aller
beaucoup plus loin et oser davantage encore qu’une jeune
adulte ». Le renouvellement des pratiques militantes est aussi
lié à l’âge des militants. Les actions décalées de la campagne
législative ont eu la vertu d’attirer de nombreux jeunes. Un
groupe de Jeunes Écologistes s’est rapidement formé, autour
de Paul Hubert, jeune habitant d’Hénin-Beaumont. Ils ont
lancé en octobre 2012 l’opération « des médecins contre la
peste brune ».
L’objectif est assez classique : démasquer le Front national
en expliquant aux habitants sa stratégie d’implantation, de
stigmatisation de boucs émissaires, etc. L’originalité est dans
la forme : « Quelques militants déguisés en médecins partent
à la rencontre des habitants pour soigner une ville malade. On
leur rappelle le vote législatif qui a donné Marine Le Pen en
tête à Hénin-Beaumont puis on leur explique les techniques du
FN pour gagner des voix », nous explique Paul Hubert. Le tout
est accompagné du slogan : « Contre la peste brune, une seule
solution : la pilule verte ! » Les militants sont équipés d’une
blouse blanche, de stickers et de tracts qui déconstruisent
le discours du FN. L’arrivée dans un lieu public d’hommes
en blouse blanche intrigue, et amène certains habitants à
questionner les militants avant même d’avoir été abordés.
Enfin, cette action a été initiée hors période électorale. Ceci
atteste que l’implication des écologistes ne se cantonne pas
aux élections et aux enjeux de pouvoir dans les institutions.
Un guide participatif du « Vivre mieux
dans le bassin minier »
Lancé à l’occasion des vœux de l’année 2013, le guide
participatif du « Vivre mieux dans le bassin minier » est un
bel exemple d’action contre le Front national par deux de ses
effets. Il s’agit de publier un guide rassemblant les bonnes
adresses, bons plans, tout ce qui permet de profiter des
atouts du territoire : les endroits où prendre l’air, les idées
pour se cultiver, les manières originales de se déplacer ou de
s’alimenter en dépensant peu et en polluant moins. Ce guide
66
a donc un premier effet, celui de valoriser des initiatives du
territoire qui démontrent que tout ne va pas aussi mal que ce
que certains prétendent.
Mais ce projet a avant tout une visée participative. Chacun,
qu’il soit écologiste ou non, a des idées à exposer, une expertise
d’usage à partager. Un site internet a été créé pour l’occasion,
avec pour vocation de collecter ces idées. La participation
citoyenne permet de récréer du lien social mais aussi
d’instaurer une certaine convivialité qui s’oppose au climat
général de défiance propice au FN.
Sur le site consacré, la présentation mentionne fort justement
la « lutte constructive contre le Front national, qui passe par
la construction d’un vrai programme de fond et des initiatives
favorables à la convivialité de notre territoire ». Cette initiative
a été très favorablement accueillie par les acteurs du territoire
(commerçants, associatifs, élus).
Régions :
révéler ce que disent et font les élus FN
De par leurs modes de scrutin, les conseils municipaux, les
conseils régionaux et le Parlement européen comportent
à la fois des groupes d’élus Front national et des groupes
d’élus écologistes. Faute d’implantation locale et désertant le
Parlement européen, c’est essentiellement dans les conseils
régionaux de 12 régions que le Front national fait face
aux écologistes ; ces derniers exercent des responsabilités
exécutives dans une dizaine de régions. Dans deux régions, le
Nord - Pas-de-Calais et Rhône-Alpes, la lutte contre le Front
national et ses idées est devenue une des priorités du groupe,
sous des formes innovantes.
Les élections régionales sont traditionnellement les plus
favorables au Front national pour deux raisons. La première
tient au mode de scrutin, proportionnel à deux tours avec
prime majoritaire, qui permet au FN de se maintenir quand
son score dépasse 10 % des suffrages exprimés au premier
tour. La seconde tient au territoire régional, suffisamment
vaste et peuplé pour lui permettre de constituer une liste, ce
qui n’est pas souvent le cas aux élections municipales, par
manque d’implantation locale.
Aux élections de mars 2010, le Front national a présenté des
listes autonomes dans toutes les régions de France. Au soir
du premier tour, il était en mesure de se maintenir dans 12
67
des 22 régions de France métropolitaine, avec un score moyen
de 11,74 %. Il obtenait finalement 118 élus dans 12 conseils
régionaux, et pèse entre 9 % (Centre) et 17 % (PACA) des
effectifs des assemblées régionales. Contrairement à 1998,
il n’est nulle part en position d’arbitre pour l’élection des
exécutifs régionaux.
Répartition des élus FN dans les conseils régionaux
suite aux élections de mars 2010
Région
1er tour
2nd tour
Élu-es
Alsace
13,49 %
14,57 %
5 sur 47
Bourgogne
12,04 %
13,82 %
6 sur 57
Centre
11,21 %
13,54 %
7 sur 77
Champagne-Ardenne
15,89 %
17,18 %
6 sur 49
Franche-Comté
13,14 %
14,23 %
4 sur 43
Languedoc-Roussillon
12,67 %
19,38 %
10 sur 67
Lorraine
14,87 %
18,44 %
10 sur 73
Nord - Pas-de-Calais
18,31 %
22,20 %
18 sur 113
Haute-Normandie
11,79 %
14,20 %
6 sur 55
Picardie
15,81 %
19,30 %
8 sur 57
Provence-Alpes-Côtes d’Azur
20,30 %
22,87 %
21 sur 123
Rhône-Alpes
14,00 %
15,22 %
17 sur 157
Rhône-Alpes et Nord - Pas-de-Calais :
des écologistes en veille permanente
Dans les régions Rhône-Alpes et Nord - Pas-de-Calais, les
groupes écologistes ont choisi d’être particulièrement vigilants
et actifs face au Front national et d’y consacrer du temps et
des moyens. Ce travail de veille institutionnelle est important
pour rendre compte de l’attitude et des votes des élus Front
national. Le double discours est parfois édifiant.
Dans la région Nord - Pas-de-Calais, un travail d’analyse
des votes du groupe frontiste – Marine Le Pen en tête – a
permis d’éditer un fascicule à destination de tous les militants
écologistes de la région.
Dans la région Rhône-Alpes, ce travail sur les votes et attitudes
du FN a également mené à l’écriture d’une « politique-fiction
de cauchemar, dont rêve le Front national », les Chroniques
d’Oropotamie.
68
Nord  -  Pas-de-Calais  : démasquer le double discours
Le conseil régional Nord - Pas-de-Calais connaît une forte
présence du Front national depuis ses origines. Le groupe
écologiste, présidé par Jean-François Caron, en a fait un enjeu
de la mandature 2010-2015. De fait, le groupe frontiste est
nettement plus offensif dans ce mandat que dans le précédent,
conséquence logique du parachutage de Marine Le Pen et des
cadres du parti proches de sa ligne politique. Chaque séance
plénière et commission permanente est une tribune pour la
présidente du FN.
Dénoncer l’attitude des élus frontistes
L’attitude choisie par le groupe écologiste est celle de la
riposte permanente. Le groupe vote systématiquement contre
tous les amendements et toutes les motions déposés par le
groupe FN, avec à chaque fois des prises de parole fortes.
Pendant les séances plénières, le groupe n’hésite pas à axer sa
communication directe (via les réseaux sociaux, notamment)
sur l’attitude du Front national et la confrontation politique
qui en découle. Cela permet de faire circuler l’information
rapidement et d’interpeller les journalistes friands de tweets
et autres posts.
À ce titre, le groupe dénonce régulièrement l’absentéisme
des élus du Front national, dont la plus connue d’entre
eux. Présidente du Front national, candidate à l’élection
présidentielle de 2012, candidate aux législatives dans la
11e circonscription du Pas-de-Calais, députée européenne,
conseillère municipale d’Hénin-Beaumont deux ans durant,
Marine Le Pen jongle avec les mandats et les investitures
et est la grande absente du groupe FN au conseil régional.
Jean-François Caron ne l’a d’ailleurs jamais croisée en trois
ans de travaux de la commission « Transformation écologique
et sociale » de la région Nord - Pas-de-Calais qu’il préside, la
seule où elle est inscrite ! La présence de Marine Le Pen se
cantonne aux séances plénières et commissions permanentes,
c’est-à-dire les seules réunions filmées et retransmises en
direct sur le site de la région. Ce n’est pas un hasard.
Autre axe de riposte pour les écologistes : la question de
l’irréprochabilité. Le conseiller régional frontiste Jean-Marc
Maurice est un cas d’école. Il a été condamné le 26 mai
2011 à un an de prison ferme pour abus de biens sociaux
et dissimulation d’activité, décision dont il a fait appel7. Il
comparaissait devant le tribunal correctionnel d’Arras pour
« banqueroute, détournement ou dissimulation d’actif », « abus
7. « Jean-Marc
Maurice (FN) six
mentions au casier
judiciaire, chevalier
blanc en difficulté »,
La Voix du Nord, 28
mai 2011.
69
de biens ou du crédit d’une SARL par un gérant à des fins
personnelles » et « exécution de travail dissimulé », dans sa
gestion d’un magasin de discount à Raillencourt-Sainte-Olle,
près de Cambrai (Nord). Mais Jean-Marc Maurice était, en
fait, déjà interdit de gestion compte tenu de ces antécédents
judiciaires ! Cela n’avait pas empêché le FN de le placer en
position éligible sur la liste des régionales. L’affaire devenant
plus que gênante, il a rejoint le banc des non-inscrits, ce qui
ne l’empêche pas de siéger à proximité du groupe FN et de
déjeuner avec ses « anciens » amis lors des séances plénières.
Autre élu qui a démissionné du groupe FN, Paul Lamoitier est
emblématique de l’hypocrisie frontiste. Il détient le titre de plus
gros fournisseur de viande hallal de la région Nord - Pas-deCalais. Cela contraste avec les cris d’orfraie de Marine Le Pen
en commission permanente du 8 novembre 2010 pour dénoncer
l’attribution d’une subvention à une boucherie halal de Carvin
dont l’objectif visait à moderniser l’outil de production en créant
29 emplois. À l’époque, elle s’était autorisée à instrumentaliser
ce dossier à des fins politiciennes en agitant le spectre d’une
« islamisation » de la société française.
Dernier exemple de révélation de l’attitude des élus frontistes
à l’égard de leur mandat : le 5 juillet 2012 avait lieu une
séance plénière sur l’évolution des fonds européens FEDER
et FSE (programmation 2014-2020). Alors que les élus du
Front national sont prompts à faire de l’Union européenne la
responsable de tous les maux, une seule élue était présente
(sur 18) à l’ouverture de la séance. Ils étaient deux à 11 heures,
sans jamais intervenir dans les débats. L’absentéisme à la
séance fut pourtant largement compensé par une assiduité
forte au repas offert, où une douzaine d’élus FN étaient
présents, en bonne place dans la file d’attente du buffet ! Les
élus écologistes ont pris soin de diffuser l’information sur
Twitter et leur site Internet.
Ces quatre exemples que le groupe écologiste a délibérément
choisi de porter à la connaissance du public ne sont pas
anodins. Ils démontrent le fossé entre la posture de chevalier
blanc qu’adoptent volontiers les élus frontistes et la réalité de
leurs pratiques dans les institutions où ils siègent.
Mettre à nu le double discours frontiste :
l’exemple de l’écologie
Le conseil régional du Nord - Pas-de-Calais sert souvent de
cadre à l’expérimentation du discours politique de Marine Le
Pen. Ainsi, à partir du début 2011, son groupe s’est lancé dans
70
une offensive pseudo « écologiste », contre l’exécutif régional.
Cette volonté de verdir le discours frontiste avait poussé la
nouvelle présidente du FN à recruter Laurent Ozon (membre
de la frange identitaire se présentant comme écologiste) à la
direction nationale du parti entre janvier et août 2011. Il a dû
démissionner suite aux réactions suscitées par la publication
d’un quasi-plaidoyer en faveur d’Anders Behring Breivik,
auteur du double attentat d’Oslo de juillet 2011.
Le groupe écologiste a donc été confronté à cette offensive,
sur la pêche durable, la compensation carbone ou encore l’écoconditionnalité des marchés publics, qui cachait en réalité une
volonté d’imposer une « préférence régionale ».
La première attaque date du 31 janvier 2011, quelques jours
après le Congrès de Tours. En commission permanente du
conseil régional, la toute nouvelle présidente du FN interpelle
très violemment Jean-Louis Robillard, vice-président
écologiste en charge de l’agriculture. La délibération présentée
accorde une subvention pour le développement des endives
rouges. Alors qu’il s’agit d’une espèce hybride de l’endive et
de la chicorée rouge, Marine Le Pen y voit une subvention aux
OGM. Elle dénonce ainsi les « faux écologistes » promoteurs
du gène Terminator, à la solde de Monsanto. Surtout, cette
attaque étant inattendue, les écologistes sont déstabilisés
et laissent place au doute. La délibération est finalement
retirée en attente d’un complément d’information. La vidéo
de l’intervention, immédiatement mise en ligne par le groupe
Front national, est visionnée plus de 20 000 fois dans les jours
qui suivent.
Cette séquence est un électrochoc pour le groupe écologiste,
qui s’est immédiatement engagé dans une contre-offensive,
en collectant scrupuleusement les votes des élus FN sur les
différentes délibérations présentées. Ce travail a ensuite
fait l’objet d’articles sur le site du groupe écologiste et d’un
document envoyé aux militants écologistes de la région.
On y découvre notamment les votes incohérents du Front
national, qui se targue d’une part d’être un modèle de vertu
écologiste, et qui d’autre part vote contre le financement de
deux organismes essentiels de la région : la Maison régionale
de l’environnement et des solidarités (MRES), qui regroupe
de nombreuses associations environnementalistes, et le
Centre ressource du développement durable (CERDD) dont
la mission est de promouvoir les dynamiques territoriales
durables et de sensibiliser au développement durable dans la
région. Par ailleurs, le groupe FN s’abstient ou s’oppose quasi
71
systématiquement aux délibérations relevant de la politique
de l’environnement. Cette stratégie d’écologisation du
discours, que la présidente du FN voudrait pouvoir développer
(mais pour laquelle elle manque d’arguments et de crédit) est
à mettre en contraste avec le négationnisme climatique et
l’anti-écologisme primaire développé par le Front national de
Jean-Marie Le Pen depuis des lustres et par le groupe frontiste
de la région Rhône-Alpes, où siège Bruno Gollnisch, encore
aujourd’hui.
Rhône-Alpes : chroniques réelles et fiction politique
Les scores du FN ont un peu faibli en région Rhône-Alpes,
mais il s’agit du bastion de Bruno Gollnisch, ancien bras droit
de Jean-Marie Le Pen, défait par Marine Le Pen au Congrès de
Tours et porteur d’une ligne politique réputée plus « radicale ».
Il s’oppose notamment à l’idée d’une « dédiabolisation » et n’est
pas à l’aise avec l’offensive « laïciste » de Marine Le Pen, étant
lui-même très proche des milieux catholiques traditionnalistes.
Pour répondre à un FN virulent, le groupe écologiste de la
région a mis en place une page dédiée sur son site internet,
nommée « Vigilance Front National ». On y lit : « Parce que ce
parti est un ennemi de la République, les élus écologistes ont
décidé d’analyser et de faire connaître les positions prises par
leurs homologues du Front national ».
Dénoncer les outrances, réagir et révéler
Comme en région Nord - Pas-de-Calais, les écologistes du
conseil régional de Rhône-Alpes n’hésitent pas à démasquer
les incohérences, voire les contradictions des élus frontistes en
révélant leur comportement. Et derrière Bruno Gollnisch, le
Front national rhônalpin aligne des conseillers régionaux bien
différents les uns des autres, mais tous unis par une culture
d’extrême droite très classique : anciens de l’Œuvre française,
aristocrates, anciens paras, catholiques intégristes, jeunes
skinheads…
En assemblée plénière du 16 mai 2012, Éric Piolle, coprésident
du groupe écologiste, a interpellé le Front national sur le
nombre de nostalgiques du fascisme encore présents dans
ses rangs. Il n’a pas hésité à dénoncer la visite du conseiller
régional frontiste Alexandre Gabriac chez les nostalgiques de
Mussolini ou des phalangistes espagnols ; Alexandre Gabriac,
élu FN (désormais « non inscrit »), est un protégé de Bruno
Gollnisch qui fréquente les groupuscules extrémistes les moins
recommandables et a fondé le sien, les Jeunesses nationalistes,
72
en lui donnant pour emblème un aigle couronné, très proche
du logo du parti nazi.
La vigilance face au Front national impose une bonne réactivité,
et un peu d’imagination. Il s’agit aussi de n’accepter aucune
banalisation de ses faits et gestes. En assemblée plénière
du 31 janvier 2013, la conseillère FN Liliane Boury décide
de lire à haute voix les paroles de chansons à connotations
sexuelles proposées au téléchargement sur une plateforme
subventionnée par la région. Dans le même temps, Bruno
Gollnisch choisit alors de montrer ses fesses à l’assemblée des
élu-es. À l’hilarité générale, le groupe écologiste ajoute une
riposte ferme, dénonçant « la contradiction flagrante dans
laquelle son parti est enferré, entre pudibonderie intégriste
et vulgarité troupière ». Olivier Longeon, conseiller régional
écologiste, lit alors en réponse un texte de Rabelais, « Le
torche-cul », au langage aussi fleuri, mais reconnu comme
chef-d’œuvre de la littérature française.
De l’analyse des votes à la politique-fiction
Le groupe écologiste de Rhône-Alpes a mené le même travail
que son homologue du Nord - Pas-de-Calais en collectant
et analysant les votes des élus du Front national. Mais un
collaborateur du groupe a décidé d’aller plus loin : armé de sa
plus belle plume, il a entrepris d’écrire un feuilleton fictionnel
et futuriste en treize épisodes, mettant en scène un parti
d’extrême droite imaginaire accédant au pouvoir dans une
région imaginaire… Ce feuilleton a pour titre Chroniques
d’Oropotamie8. Tournesol (pseudonyme)9 résume ainsi sa
démarche : « En tant que collaborateur du groupe d’élus Europe
Écologie Les Verts, je suis bien placé pour les observer et pour
constater que le virage « social » dont se réclame Marine Le
Pen n’a ici aucune résonance, bien que certains des conseillers
régionaux comptent parmi ses proches. Ces élus sont tout
simplement conformes à l’héritage de l’extrême droite auquel
ils se plaisent à faire référence dans leurs interventions. Leur
programme est simple : laisser-faire économique, politique
sociale réduite à néant, contrôle de la culture, surenchère
sécuritaire 
; avec le fondamentalisme catholique comme
boussole. »
Les Chroniques d’Oropotamie sont préfacées par les élus
écologistes du conseil régional, qui appuient la démarche :
« En Rhône-Alpes, à chaque assemblée plénière, au fil des
interventions des élus, la politique du Front national se
dessine. Si on en croit leurs interventions, on peut imaginer
8. Ces chroniques
sont disponibles sur
le site http://elusrhonealpes.eelv.fr .
9. « Tournesol » est
le pseudonyme choisi par le collaborateur du groupe écologiste pour signer ces
Chroniques.
73
que s’ils arrivent au pouvoir, les quartiers défavorisés seront
laissés à l’abandon et à la brutalité, avec la répression pour
seule réponse. Les collectivités locales abandonneront
d’ailleurs tous leurs territoires au profit d’un État fort, distant
et centralisé. La politique de formation et d’emploi sera
détruite. La culture sera à la fois soumise à la loi de l’offre
et de la demande, et à la censure du pouvoir central. Les
associations non catholiques seront saignées à blanc. Toute
action de protection de l’environnement sera abandonnée et
l’automobile sera vue comme la seule solution de transport.
Les effectifs de l’administration et des lycées seront purgés. Et
nous ne parlons là que de ce qui concerne le conseil régional. »
Le récit débute au soir des élections régionales de 2014. Hubert
Donatien, leader du Bataillon français, vient de remporter le
scrutin en Oropotamie. Il est arrivé en tête du second tour sur
une liste d’union avec la Droite populace. Le rapport de forces
politique est bouleversé.
« Pour les jeunes gens portant rangers et bombers qui beuglent
sous la lumière orange des lampes à sodium de l’éclairage
public, ce jour est une apothéose. On vient de connaître le
résultat du second tour des élections régionales, et, pour la
première fois, le Bataillon Français est arrivé en tête sur
une liste qu’il conduit. Hubert Domitien sera sans nul doute
le prochain président de région, même s’il a dû faire alliance
avec la Droite Populace, une liste issue de l’éclatement du
grand parti de droite après les dernières élections nationales
de 2012. Au plan national, la situation est inverse : au prix de
son éclatement, la droite classique a gardé la main sur une
coalition qu’elle a dû composer avec le Bataillon Français dont
plusieurs membres sont au gouvernement. Parmi eux, JeanneMarie de Kervenac’h, la présidente du parti, est ministre de
l’Intérieur. »
Les treize épisodes qui suivent détaillent l’installation au
pouvoir du Bataillon français 
: politiques réactionnaires,
limogeage de fonctionnaires, suppression de politiques
jugées inutiles (politique de la ville, démocratie participative,
citoyenneté, coopération décentralisée, lutte contre les
discriminations, culture, environnement, etc.).
Ce travail minutieux d’extrapolation à partir des votes et
déclarations du groupe Front national du conseil régional
dresse le portrait d’une région sous l’emprise du néofascisme.
Il permet surtout d’illustrer les conséquences des positions des
élus frontistes, à l’image de la suppression de la politique de
la ville maintes fois réclamée, ou de leur climato-scepticisme.
Les écologistes de Rhône-Alpes et ceux de la région Nord - Pasde-Calais ont donc choisi d’être très offensifs vis-à-vis des élus
du Front national dans leurs conseils régionaux respectifs.
Dans ces deux régions, ce sont même les seuls groupes
politiques à mener un travail aussi minutieux et illustré
de mise à nu des incohérences et outrances du FN, dans le
discours comme dans les actes.
Ce travail reste à être vulgarisé, diffusé largement et reproduit
par d’autres, pour trouver l’écho qu’il mérite. Si les Chroniques
d’Oropotamie sont une première tentative intéressante, les
écologistes pourraient à terme développer des outils, de la vidéo
à la bande dessinée, qui pourront toucher un public plus large
et sortir ainsi du cercle des sympathisants et connaisseurs. Ce
qui serait parfois un peu perdu en exhaustivité et précision
serait sans doute gagné en efficacité politique.
La « fachosphère » :
une cartographie de l’extrême droite sur le web
« Fachosphère », « conservatosphère » ou « réacosphère » : les
mots ne manquent pas pour tenter de décrire une réalité de
plus en plus présente sur Internet. Mais aucun ne permet
de rendre compte avec précision de la place occupée par les
multiples courants de l’extrême droite sur le web français. En
2011, les journalistes Alexandre Léchenet et Olivier Clairouin
(à l’époque respectivement jeune journaliste à Owni10 et
étudiant en première année d’école de journalisme), ont
cherché à établir une carte montrant de quelle manière des
sites partageant des propos et pensées assimilés à la droite
de la droite se connectaient entre eux. L’exercice a montré
quelques limites, mais il a le mérite d’exister et d’être éclairant
sur bien des points. Il mériterait d’être poursuivi, voire enrichi.
74
10. Objet web non
identifié, voir http://
fr.wikipedia.org/
wiki/OWNI .
75
Une carte des liens et connexions
La fachosphère
Pour réaliser cette cartographie, les deux étudiants ont utilisé
un « crawler », logiciel permettant de parcourir le web de
manière semi-automatisée et gardant en mémoire l’ensemble
des liens entrant et sortant d’un site. À partir d’un échantillon
de départ constitué d’une cinquantaine de sites reconnus par
la plupart des spécialistes et connaisseurs de cette galaxie
hétérogène comme étant situés à la droite de la droite, ils
ont ainsi pu obtenir une liste de quelques centaines de sites
connectés les uns aux autres. Certains sont apparus en
cours de route. Parmi eux, il a fallu ensuite éliminer les sites
d’information généraliste auxquels s’alimentaient les auteurs,
ainsi que certains blogs qui n’étaient plus alimentés depuis
trop longtemps.
Puis, ces amateurs d’informatique ont utilisé gephi, un logiciel
de visualisation de réseaux, qui leur a permis de dresser
une première image de ces liens entrecroisés et de mettre
la carte en place en prenant en compte le nombre de liens
connectant chaque site aux autres. Une fois ces liens mis à
jour et entrecroisés, il a fallu faire apparaitre les différentes
communautés, en mettant en évidence automatiquement des
clusters, c’est-à-dire des nœuds de liens ou groupes de sites
plus liés entre eux qu’aux autres. Derrière les « nuages » de
points et les forêts de flèches, ce sont des lieux de débats, de
conversations et influences croisées qui se révèlent doucement.
Pour retrouver la carte dans son ensemble : http://zoom.it/KEkQ
Six « familles » pour des centaines de sites
Cette technique a permis d’obtenir une carte mentionnant plus
de 350 sites et blogs situés à la droite de la droite, ou évoluant
à sa périphérie, regroupés par affinités et par échanges entre
eux. Un constat s’est très vite imposé : les termes tels que
« fachosphère », en plus de participer d’une forme de jugement
de valeur souvent impropre au recul analytique, sont loin de
refléter la variété des sites observés, car, comme dans la réalité
politique, il n’existe pas une, mais des communautés d’extrême
droite en ligne.
Dans le cadre de ce travail, il a été possible de dénombrer six
groupes remarquables, mais d’autres typologies plus affinées
sont sans doute possibles, assurent les auteurs.
Six « familles » se dégagent à première vue de cette analyse
par groupes de liens sur le web, en 2012 :
76
1. Les blogs réactionnaires, comme Fromage Plus, Brèves 3.0
ou François Desouche.
2. Les sites traditionalistes catholiques, à l’image du Salon
beige, de Liberté politique ou du blog de Bernard Anthony.
3. Les blogs liés au Front national, à l’instar de celui du
conseiller régional Pascal Erre (Champagne-Ardenne) ou de
Yann Redekker.
4. Les blogs liés aux autres formations d’extrême droite
comme celui de Thomas Joly (Parti de la France) ou le site du
mouvement Renouveau français.
5. Les identitaires, qui comprennent notamment toutes les
déclinaisons locales de Novopress.
6. Les antisionistes, à l’image du Parti antisioniste (PAS) ou
d’Égalité et Réconciliation.
77
Enfin, il y a aussi les sites n’appartenant à aucune catégorie
précise, comme Polemia ou l’Observatoire de l’Europe.
Ce dernier groupe de sites sans étiquette illustre l’une des
principales difficultés de ce travail, qui a valu d’ailleurs à ses
auteurs bon nombre de commentaires, débats et reproches
lors de la publication de la carte : les limites d’une typologie
subjective (comment affirmer qu’un site est d’extrême
droite ? Pourquoi le classer plutôt comme identitaire ou
nationaliste ?...) ajoutées à celles d’une méthode dont le
postulat de base est qu’un lien hypertexte reliant deux sites
est nécessairement signifiant. Voir un site faire l’objet d’un
lien ne signifie cependant pas que son site est « facho », mais
atteste simplement d’une forme de connexion d’intérêt avec
une communauté située à la droite de la droite.
Il n’en demeure pas moins que cette technique, avec toutes
les limites qu’on peut reconnaître, a permis d’obtenir un
aperçu de la manière dont les sites évoluant à la droite de
l’échiquier politique se structurent sur le web français. On voit
ainsi combien certaines communautés sont particulièrement
développées, comme les identitaires, tandis que d’autres le
sont nettement moins, alors qu’on parle d’elles par ailleurs
(partis, personnalités). Toutes possèdent, en tout cas, un centre
de gravité incarné par des sites faisant autorité : le Salon
beige chez les traditionalistes, François Desouche du côté
des réactionnaires ou encore Novopress, qui s’autoproclame
« agence de presse internationale », jouant un rôle central au
sein de la communauté des identitaires et fondée par Fabrice
Robert, chef de file du Bloc identitaire.
Reprendre et compléter la carte,
repérer les « trolls »
Si les auteurs reconnaissent les limites de leur approche et du
résultat obtenu – réalisé dans le cadre d’un travail d’étudiants
en journalisme, pour rappel ! – l’idée de départ a été reprise par
plusieurs médias et pourrait donner lieu à des actualisations
régulières, améliorations, précisions utiles, au fil des ans.
Il faudrait pour cela tenir compte de quelques précautions
initiales et se préparer à passer du temps devant l’écran, à
surfer sur la toile. En effet, « récolter les données permettant
d’établir ce type de carte est un travail relativement simple,
mais très chronophage 
», préviennent les auteurs, qui
acceptent les critiques et reconnaissent les insuffisances :
« Dans notre méthodologie, nous aurions sans aucun doute dû
passer davantage de temps à élaguer notre base de données et
78
à “nettoyer” notre carte afin d’y faire figurer moins de sites et
éviter ainsi certaines polémiques, quelques personnes n’ayant
en effet pas apprécié de voir leur site mentionné et ainsi
publiquement identifié comme étant d’extrême droite. »
Les polémiques issues des rangs de la communauté scientifique,
mais aussi certains commentaires agressifs exprimés par
plusieurs sites concernés ont parfois porté préjudice à la
bonne prise en compte et à la diffusion de ces travaux, lors
de la publication des premiers articles les mentionnant (sur
le site Mediapart notamment). Ce type de cartographie,
parce qu’elle tente de donner à voir quelque chose qui reste
invisible (les liens sur le web) et parce qu’elle traite d’un
sujet sensible (l’extrême droite et ses réseaux divers), ne peut
s’affranchir d’un solide travail de vérification de chaque site
mentionné, ainsi que d’une bonne dose d’explications quant à
la méthodologie employée et ses limites. C’est aussi à ce double
approfondissement que de nouveaux observateurs émérites du
web pourraient consacrer un peu de leur temps.
C'est une œuvre qui saurait se révéler bien utile et qui pourrait,
dans un second temps, utiliser les données obtenues et mises
à jour pour mieux démasquer et combattre les nombreux
« trolls » issus de l’extrême droite qui pullulent sur Internet
et qui se font un devoir de suivre les discussions sur de très
nombreux forums sous des pseudos et login très divers. Une
tendance que chacun-e peut observer aisément en surfant sur
la toile et dans toutes sortes de lieux, sans avoir besoin d’aller
sur les sites estampillés de la « fachosphère ».
En savoir plus
 L’article
d’Olivier Clairouin, paru sur Mediapart
(« Blogosphère d’extrême droite : cartographie des réseaux
d’influence », 16 mai 2011) avait été publié sur leur site
originel intitulé « Trans Europe Extrêmes » (fermé depuis
par l’ESJ, l’École supérieure de journalisme de Lille). Cf.
article de Mediapart : http://blogs.mediapart.fr/edition/
trans-europe-extremes/article/160511/blogosphere-dextreme-droite-cartographie-des-rese .
 L’article paru sur Owni (en mai 2011), où la carte remaniée
n’est plus entièrement accessible. Cf. A. Léchenet, « Les
familles d’extrême droite sur Internet ».
 http://owni.fr/2011/05/16/les-familles-dextreme-droitesur-internet/ .
79
 Alexandre Léchenet parle de cette nébuleuse en expansion
dans un article qu’il publie sur le sujet (dossier) dans Owni :
« Internet : l’immigration réussie de l’extrême droite ». http://
owni.fr/2011/05/17/internet-limmigration-reussie-delextreme-droite/ .
 On trouvera aisément sur le web de nombreuses autres
tentatives de cartographie de la « fachosphère » et d’analyses
de l’influence de l’extrême droite sur Internet.
VISA :
des infos syndicalistes contre l’extrême droite
Dès les années 1980 et 1990, des syndicalistes se sont
mobilisé-es contre la montée du FN. Depuis bientôt vingt
ans, des analyses, des formations et des argumentaires sont
construits et diffusés à l’attention du monde du travail, pour
lutter contre l’influence de l’extrême droite dans ces milieux.
Depuis les tentatives de montage de « syndicats FN » (1995
à 1998) jusqu’aux discours « sociaux » récents de Marine Le
Pen, les raisons de s’inquiéter sont nombreuses. Et la vigilance
reste une priorité. C’est la mission de VISA, association qui
regroupe des expert-es et militant-es de plusieurs syndicats et
alimente un site Internet bien informé (www.visa-isa.org).
Vigilances et initiatives syndicales antifascistes (VISA) est
une association, issue de l’ancienne commission syndicale de
la structure Ras l’front (RLF, le sigle était aussi utilisé parfois
comme Réseau de lutte contre le fascisme). Ras l’front était
né de l’Appel des 250 lancé en 1990, en réaction à la montée
du Front national et à la profanation antisémite du cimetière
juif de Carpentras, en mai de la même année. Sa commission
syndicale s’est structurée en 1996, à travers un Appel de
syndicalistes contre le fascisme d’avril de la même année
et s’est donné une publication. Celle-ci fut d’abord diffusée
sur papier sous le nom d’ISA (pour Informations syndicales
antifascistes), dont le premier numéro est sorti en août 1996.
Puis ISA est devenu VISA en février 2000, et début 2006, la
publication papier a été remplacée par une publication sur
Internet – qui atteint plus de personnes tout en réduisant les
coûts –, et la commission éditant un bulletin est devenue une
association structurée et autonome.
80
Analyser et démonter le discours pseudo-social du FN
La spécificité de VISA est de s’intéresser au discours
prétendument « social » de l’extrême droite, qu’il s’agisse du
FN ou d’autres mouvances d’extrême droite, tels les groupes
identitaires ou encore les catholiques intégristes, afin de
l’analyser et de le déconstruire. Il s’agit de prémunir le
mouvement social contre les tentatives de l’extrême droite de
détourner les questions sociales, en occupant le terrain avec un
discours tactiquement adapté… mais dont les fondamentaux
sont toujours diamétralement opposés aux valeurs fondatrices
du mouvement ouvrier et syndical : solidarité, égalité et
internationalisme.
Pour contrer ces tentatives de l’extrême droite, il faut étudier
son discours, ses initiatives, ses propositions, ses modes d’action.
Et parfois aussi ses tentatives d’infiltrer des organisations
syndicales (ou autres) et/ou d’en retourner des membres ou
des structures. Régulièrement, des événements ou prises de
position sont commentés, remis dans leur contexte, analysés
et décryptés, au-delà des apparences médiatiques, parfois
trompeuses. La mission de VISA est d’informer, derrière les
apparences.
L’affaire Fabien Engelmann, qui a touché un syndicat local de
la CGT en Lorraine en 2011 et dont le principal protagoniste
s’est présenté comme candidat aux élections cantonales pour le
FN, n’est qu’un exemple qui souligne l’extrême nécessité d’une
vigilance accrue. La crise, avec son cortège de destructions
d’emplois et de peurs engendrées, a encore renforcé cette
nécessité.
Plus récemment, une série de faits semblait donner de nouveaux
éléments de langage au FN. Un chômeur nantais s’immole par
le feu, en février 2013 ? Marine Le Pen dénonce publiquement
« la violence d’un système économique créateur de malheur ».
Le patron de Goodyear Amiens veut fermer l’usine, à la
même période ? Le FN communique : « Goodyear Amiens :
l’inacceptable fermeture ». Une savonnerie de Marseille est
mise en liquidation judiciaire  ? Marine Le Pen se rend sur place,
soi-disant pour apporter son soutien, et déclare que c’est « un
problème de patrimoine presque national ». Un référendum
en Suisse remet en cause les salaires exorbitants des grands
patrons, en mars 2013 ? La présidente du FN déplore que le
gouvernement français n’ait « pas encore interdit » parachutes
dorés et retraites chapeau, qui « scandalisent à juste titre les
Français ».
81
On pourrait prolonger cette liste de déclarations, qui ne font
cependant que renouer avec un discours qu’avait inauguré le
père, Jean-Marie Le Pen, quand il salua le 1er mai 1996 sur
la place de l’Opéra à Paris « la longue lutte des travailleurs »,
lors de la seconde « Fête de Jeanne d’Arc et des travailleurs »
(rassemblement institué par le FN le 1er mai 1995, en
concurrence aux défilés pour la fête du Travail). Dans les deux
cas, il s’agit de faire oublier une tradition ultra-libérale du
parti, qui s’inspirait de Ronald Reagan et combattait surtout
l’impôt et les syndicats. Au tournant des années 1990, faisant
le pari stratégique que « le marxisme est mort avec l’URSS »,
les dirigeants du FN (dont Bruno Mégret, transfuge du RPR)
se sont mis cependant à découvrir la nécessité de s’adresser
plus qu’avant aux classes populaires, tout en évoquant un
« capitalisme populaire et patriotique ».
La tendance s’est accélérée depuis quelques années, avec la
« vague Bleue Marine » de la fille du chef. Quand une partie
des confédérations syndicales concluent l’Accord national
interprofessionnel (ANI) « sur l’emploi » du 11 janvier 2013
(vivement critiqué par d’autres organisations syndicales),
Marine Le Pen va jusqu’à parler de « déclaration de guerre
contre les salariés » et lancer une pétition contre l’ANI.
Cependant, quand on lit de plus près ses déclarations,
elle s’offusque surtout du fait que les nouveaux avantages
patronaux ne profitent pas assez, selon elle, aux « petits »
patrons (mais uniquement « aux entreprises du CAC 40 »
– ce qui est d’ailleurs faux). Et quand l’ANI apporte au
moins un point positif pour les salariés – une taxation plus
lourde des CDD de courte durée, afin de réduire les contrats
précaires –, Marine Le Pen le dénonce dans la même volée
comme une entrave à « la compétitivité des entreprises »…
Bref, le capitalisme lepéniste reste structurellement du côté
des petits patrons. Et le corporatisme constitue toujours une
vision globale des rapports sociaux au sein de l’entreprise,
pour l’extrême droite : l’alliance illusoire que tous les régimes
nationalistes ont fait miroiter entre patrons et travailleurs
« nationaux », au service de l’économie « nationale ».
Un outil pour le monde du travail
Dès le début, VISA (et la commission syndicale de Ras l’front
auparavant) a regroupé des syndicalistes appartenant à
différentes structures et confédérations syndicales.
82
Une responsabilité accrue
L’association VISA se donne pour
ambition d’être un outil d’information
et de réflexion pour toutes les forces
syndicales qui le souhaitent, afin de
lutter le plus efficacement possible contre
l’implantation et l’audience de l’extrême
droite dans le monde du travail. Pour
ces syndicalistes, la montée du péril
oblige à plus de vigilance. En 2012,
ils réaffirment : « Il appartient aux
syndicats de porter les luttes contre le
fascisme et l’idéologie d’extrême droite.
(…) Les “valeurs” et l’idéologie portées
par le FN, totalement aux antipodes des
idéaux de solidarité et de progrès que
nous défendons, trouvent donc un réel
écho dans une fraction importante de
l’électorat. En gommant les aspects les
plus ultra-libéraux de son programme
initial, le Front national tient maintenant
un discours qui se veut social. Ce faisant
il cherche à tromper les salariés et les
couches populaires. »
« Nous, syndicalistes, avons une
responsabilité particulière pour dénoncer
les pseudo-solutions du FN qui consistent
à dresser les uns contre les autres les
précaires, les immigrés, les chômeurs
et ceux qui ont un emploi. Le devoir
des syndicalistes face au venin de la
division distillé par le FN est de défendre,
de façon intransigeante, dans notre
propagande et nos actions, la solidarité de
tout le salariat quelle que soit son origine
ou son statut. Ce combat antifasciste
doit être pris en charge par les grandes
confédérations syndicales, les syndicats
nationaux mais aussi les structures
syndicales de base. Chaque fois que
cela est possible, cette contre-offensive
syndicale doit se faire dans l’unité la plus
large. Il se mène par la participation aux
mouvements sociaux, mais aussi par les
discussions quotidiennes des militants
syndicaux avec leurs collègues dans les
entreprises. »1
1. Extrait de VISA : Qui sommes-nous ?
Aujourd’hui, l’association regroupe des militant-es FSU,
CGT, Solidaires, CFDT, FO, qui sont des adhérent-es de
sections d’entreprises, élu-es de syndicats nationaux ou encore
représentant-es de fédérations professionnelles.
VISA se veut outil et partie prenante de la bataille syndicale
contre l’extrême droite et elle entend y contribuer :
 en livrant un maximum d’information sur les dangers et le
développement de l’extrême droite en France, en Europe et
dans le monde ; mais aussi sur les « passerelles » avec d’autres
mouvances politiques, notamment dans une partie de la
droite ;
 par des analyses servant à démystifier les pseudo-propositions
sociales de l’extrême droite ;
 en relayant sur le site de l’association toutes les prises de
position, actions et réactions des organisations syndicales
contre l’extrême droite ;
83
 en dénonçant toutes les discriminations racistes, sexistes,
homophobes au sein et hors des entreprises ;
 en se faisant l’écho de toutes les actions de solidarité avec
les salarié-es de toutes les origines, dont les travailleurs et
travailleuses sans papier ;
 en aidant, par des outils adaptés (journées de formation,
interventions dans des séminaires, brochures, affiches, etc.), les
équipes syndicales à se former et se mobiliser pour démystifier
à leur tour les soi-disant propositions sociales de l’extrême
droite, dans les discussions avec l’ensemble des salariés.
Des publications utiles et bien informées
Une autre activité de l’association, depuis des années,
est la publication de livres et de brochures faciles d’accès,
qui reprennent les principaux argumentaires et retracent
l’histoire de la lutte contre les idées d’extrême droite dans
le mode du travail. Analyse des discours, rappel des faits,
alertes sur les tentatives de noyautage et les argumentaires
utilisés par certains militants d’extrême droite déguisés en
syndicalistes… L’histoire de la confrontation est ancienne et
pleine d’enseignements utiles.
En 2003, VISA a publié un premier livre sous le titre Le Front
national au travail, regroupant une série de contributions à
travers lesquelles les lecteurs et lectrices peuvent observer le
principal parti d’extrême droite, en train d’essayer d’occuper le
terrain « social ». Depuis, VISA a continué ce travail à travers
deux brochures largement diffusées, parues en 2010 puis en
2012 : « Le FN, pire ennemi des salarié-es » et « Contre le
programme du FN, un argumentaire syndical ».
NB : les brochures sont disponibles sur simple demande à
[email protected], un exemplaire gratuit ; payant en
nombre.
Le site Internet (www.visa.org) très riche et alimenté
régulièrement (formations, brochures, affiches, vidéos, etc.) est
également un portail d’informations qui permet de relayer les
pétitions, prises de position, communiqués que des centrales
syndicales ou des associations ont proposé. Il comprend, outre
les communiqués et analyses diverses, des liens nombreux
vers d’autres structures, dont RESF, le DAL, le GISTI…,
une bibliographie sur l’extrême droite. On y trouve aussi les
archives papier (1996 à 2005), ainsi que des « Formations
syndicales antifascistes », dispensées par VISA auprès des
syndicalistes.
84
Europe Écologie Les Verts :
constitution d’un groupe national de veille
Les écologistes, essentiellement le parti Les Verts, ont été
historiquement très présents dans les collectifs antifascistes
des années 1990. Mais, avec le déclin de Ras l’front à partir
de la scission entre FN lepéniste et MNR mégrétiste (1999),
comme d’autres structures du même type, les écologistes sont
de moins en moins apparus sur cette thématique. Alors que
le Front national de Marine Le Pen connaît une nouvelle
ascension, des militants ont choisi de relancer une dynamique
interne pour apporter une réponse collective. À l’initiative de
Marine Tondelier et Enzo Poultreniez, un groupe de travail
national se constitue et vise à réunir largement toutes celles et
tous ceux qui souhaitent donner de leur temps.
En récoltant 900 000 voix de plus que son père en mai 2002,
Marine Le Pen a réalisé un score historique à l’occasion de
la présidentielle de 2012. Elle a surtout confirmé le rebond
frontiste des élections régionales puis cantonales. Les dernières
enquêtes montrent que son discours progresse dans l’opinion
publique, et que les intentions de vote du Front national sont
au beau fixe.
À cela s’ajoute une stratégie d’implantation du FN, qui a
longtemps été un parti sans militant, et donc sans élus locaux.
À l’approche des élections municipales, il cherche à former des
cadres pour mener un nombre record de listes dans les villes
moyennes, avec l’objectif d’en gagner quelques-unes, HéninBeaumont en tête.
Enfin, depuis le passage éclair de Laurent Ozon à la direction
du parti, le Front national décline un discours pseudoécologiste pernicieux et fait de l’affaiblissement des écologistes
un de ses objectifs.
Partir de l’existant
Alors que le Front de gauche et plus récemment le Parti
socialiste ont défini des stratégies spécifiques de lutte
contre l’extrême droite, Europe Écologie Les Verts semblait
considérer que la question ne méritait pas d’être traitée en
tant que telle. Mises à part quelques attaques d’Eva Joly
contre « l’héritière de Saint-Cloud » pendant la campagne de
l’élection présidentielle, la présence écologiste nationale face
au Front national restait faible, sinon inexistante.
85
Pourtant, les initiatives locales et régionales ne manquent
pas, dans les groupes locaux comme les institutions. Les
pages du présent ouvrage sur les conseils régionaux du
Nord - Pas-de-Calais et de Rhône-Alpes ou sur le groupe local
d’Hénin-Beaumont démontrent que les militants se saisissent
localement du sujet.
Différents matériaux existent donc : argumentaires, tracts,
fascicules, vidéos, idées d’actions, décryptages. La première
initiative a été de créer un site internet où les rassembler et
les valoriser : http://antifn.eelv.fr .
Mutualiser et essaimer
Le but de ce groupe de travail est de mutualiser les actions qui
fonctionnent, les arguments qui portent, les bonnes pratiques
qui permettent d’avancer. Cette mutualisation permettra
ensuite d’essaimer partout où le Front national s’enracine.
Il s’agit de créer un réseau de « référents FN » dans les
régions et groupes d’élus concernés, pour permettre une bonne
circulation des informations et un enrichissement mutuel.
En quelques semaines, 80 personnes se sont associées à la
démarche, soutenue par la direction nationale du parti.
Quels supports ?
Ce groupe a une vocation opérationnelle. Une réflexion sur
les outils de lutte contre le Front national et les groupes
identitaires est en cours. Elle doit aboutir à un travail de
communication politique sur des visuels, des vidéos et un kit
militant d’actions déclinables dans les groupes locaux.
86
Le texte de l’appel à participation1
« Rejoignez le groupe de travail sur l’extrême droite ! »
Le 22 avril 2012, Marine Le Pen obtenait
au premier tour 895 520 voix de plus
que son père au second tour de l’élection
présidentielle de 2002. L’électorat
du Front national connaît donc une
nouvelle phase de croissance, qui touche
prioritairement les espaces périurbains et
ruraux où les services publics se délitent.
Plus que la peur de l’immigré, c’est
aujourd’hui la peur de perdre son statut
social, d’être relégué, qui amène certains
électeurs à se tourner vers un Front
national moins raciste et plus populiste.
Le discours du Front national a changé,
et il entre aujourd’hui en résonance avec
les inquiétudes des classes moyennes
inférieures, des propriétaires de petits
pavillons de banlieue.
Face à lui, le front républicain s’effrite,
et sa pertinence est publiquement
interrogée. Le discours antifasciste
traditionnel a de moins en moins de
prise, et le Front national s’impose
progressivement comme la seule
alternative à des partis politiques
névrosés et impuissants.
opposition crédible au repli identitaire,
au populisme et à la xénophobie.
Nous devons faire émerger un nouvel
imaginaire écolo plus désirable que
le retour réactionnaire au « bon vieux
temps ».
Depuis quelques mois se met en place
au sein d’Europe Écologie Les Verts un
groupe de travail national sur l’extrême
droite. Ce groupe informel doit définir
une stratégie écologiste de réponse au
Front national et outiller les militantes et les élu-es dans leurs contacts sur
le terrain (analyse politique, sociologie
électorale, argumentaires, visuels,
etc.). Il ne s’agit pas de se contenter
d’incantations contre le FN, mais
d’entamer un travail sur le fond et la
forme pour le contrer efficacement.
Nous disposons d’un site internet (http://
antifn.eelv.fr) qui n’attend que vos
contributions !
Ce groupe est ouvert à toutes et tous et
nous invitons donc toutes celles et tous
ceux qui se sentent prêt-es à y investir un
peu de leur temps à nous rejoindre.
Des vidéos valent mieux qu’un long discours
Les années qui arrivent sont
cruciales. Nous, écologistes, avons une
responsabilité particulière : nous devons
construire une alternative positive, une
La communication vidéo est devenue un incontournable de la
communication politique, notamment via l’effet démultiplicateur des réseaux sociaux (diffusion virale). Le groupe de
travail d’EELV prend pour exemple les trois vidéos réalisées
par l’eurodéputée écologiste Hélène Flautre en avril 2012 sur
le thème de l’immigration. Pour parer aux idées reçues sur les
migrants, les demandeurs d’asile, les étrangers, Hélène Flautre
a financé trois courtes vidéos d’animation, en partenariat avec
l’association Cette France-là. Hautes en couleurs, elles sont
surtout bien documentées, afin d’alimenter sainement le débat
citoyen et de couper court aux préjugés.
Grâce aux travaux de nombreux chercheurs indépendants,
aux visites de terrain réalisées et aux idées développées
par les écologistes européens, on voit qu’il est tout à fait
possible, et souhaitable, de concevoir une politique d’asile et
d’immigration nouvelle et ouverte. Ces vidéos déconstruisent
pédagogiquement le discours du FN sur l’immigration, et se
terminent par un faux quizz qui ouvre le débat. Le groupe de
travail entend suivre ce chemin pour de futures vidéos sur
l’insécurité, l’assistanat, la laïcité, etc.
1. Extrait de la newsletter nationale EELV,
avril 2013
87
Un kit militant
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Autre objectif majeur du groupe de travail : la réalisation d’un
kit militant pour monter des actions anti FN sur les territoires.
Le préalable est l’analyse des actions déjà menées pour juger
de leur pertinence et de leur efficacité. À partir de ce travail,
des fiches techniques seront réalisées pour que l’action soit
facilement reproduite. Ces fiches pourront être accompagnées
de visuels, d’argumentaires, etc.
Si la mise en route du groupe de travail prend du temps, la
dynamique est actuellement ascendante. Le groupe, qui
s’enrichit chaque jour de nouveaux participants, vise une
opérationnalité pour la rentrée 2013, afin d’outiller les groupes
locaux à l’approche des élections municipales.
ANNEXES
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Même si la plupart des organisations qui s’étaient investies dans la
lutte contre l’extrême droite ont connu une période de déclin depuis une
dizaine d’années, il reste des ressources et des acquis. On pourra consulter
leurs sites Internet qui regorgent souvent d’informations, d’analyses et
d’argumentaires.
La montée du FN dans les urnes au milieu des années 1980 avait entrainé
une réaction au sein des organisations de gauche. Plusieurs avaient lancé
des initiatives particulières sur la question du racisme, de l’antisémitisme
ou de la lutte « contre le fascisme ».
À cette époque, une frange du Parti socialiste a créé SOS Racisme et sa
fameuse petite main jaune ornée du slogan : « touche pas à mon pote ! ». Le
Manifeste contre le FN est un autre exemple (porté par le jeune Cambadélis)
des initiatives nées à l’époque au sein du PS.
Dans les milieux associatifs, le MRAP ou la LICRA mènent une action de
vigilance et d’information de long terme, ainsi que sur le plan juridique ;
comme la LDH, forte de son implantation internationale. Au milieu des
années 1990, des réseaux de veille informent (cf. les archives du Réseau
Voltaire, qui plus tard dérive), des rassemblements voient le jour (Comité
de vigilance contre l’extrême droite, qui a rassemblé 40 organisations,
syndicats, associations, partis de gauche et écologistes).
Historiquement, c’est autour de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire
d’Alain Krivine) que l’idée d’un réseau antifasciste large est lancée en
1990, qui donne naissance à Ras l’front (RLF), à la suite d’un appel de
250 personnalités. Le réseau RLF se développe autour d’un journal,
d’organisation de manifestations et de débats sur le sujet.
Du côté anarchiste, la Fédération anarchiste (FA) et Alternative libertaire
(AL) ont accompagné plusieurs initiatives activistes, dont un réseau
radical d’action et d’information, à l’acronyme clair : SCALP-Reflex (section
carrément anti Le Pen), qui prend diverses formes (No Pasaran, Reflex,
etc.) et essaime dans la frange libertaire et l’antifascisme radical.
Ces dernières années, l’analyse a parfois pris le pas sur la dénonciation
radicale. Des sites Internet ont repris une activité de veille universitaire
ou journalistique (par exemple 
: Fragments des temps présents).
L’antifascisme et l’antiracisme activistes ont décliné et ceux qui voudraient
les voir renaître cherchent encore leur voie, face à un FN qui a muté et des
groupes d’extrême droite qui prennent une place nouvelle dans les médias.
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Quelques sites ressource,
pour information
 Site EELV sur le FN
http://antifn.eelv.fr
 Ras l’front (RLF, groupes actifs)
Ras l’front Rouen : http://www.raslfrontrouen.com
Ras l’front Evreux : http://raslfrontevreux.over-blog.com
Ras l’front Isère : http://www.raslfront-isere.org
Ras l’front Marne-la-Vallée : http://rlf-mlv.blogspot.fr
CYBEROGRAPHIE
FACE AU FN
Pour aller plus loin
 Réseau SCALP
SCALP- Reflex Paris : http://scalp-reflex.over-blog.com
Reflex (revue web) : http://reflexes.samizdat.net
 No Pasaran
http://nopasaran.samizdat.net
 Vigilance initiatives syndicales antifascistes (VISA)
http://www.visa-isa.org
 LICRA
http://www.licra.org
 MRAP
http://www.mrap.fr
 LDH
http://www.ldh-france.org
 SOS Racisme
http://www.sos-racisme.org
 Antifa-net, portail de sites antifascistes
http://antifa-net.fr
 Fafwatch (observatoire des groupes radicaux)
http://fafwatch.noblogs.org
 Action antifasciste (révolutionnaire)
http://actionantifasciste.fr
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BIBLIOGRAPHIE
Sélection d’ouvrages de référence
Plutôt qu’une longue liste d’ouvrages sur le sujet (disponible sur Internet),
voici une petite sélection avec quelques lignes de présentation.
 Martine Aubry et Olivier Duhamel, Petit dictionnaire pour lutter contre
l’extrême droite, Seuil, 1995.
Au milieu des années 1990, de nombreux responsables politiques du PS
ont posé leur contribution. Ce Petit dictionnaire posait un ton nouveau :
direct, plus efficace et accessible. Plusieurs suivront ; le dernier en date
est cosigné en 2011 par Najat Vallaud-Belkacem et Guillaume Bachelay,
Réagissez ! Répondre au FN de A à Z, éd. J.-C. Gawsewitch, 2011.
 Daniel Bizeul, Avec ceux du FN. Un sociologue au Front national, La
Découverte, 2003.
Une plongée au cœur de la vie d’un groupe de militants frontistes, avec
leurs différences, leurs difficultés, leur « normalité » aussi. Une façon
de distinguer militants et électeurs des dirigeants et d’envisager alors
d’autres façons de « lutter » contre « ceux du FN ».
 Jean-Yves Camus, Le Front national, histoire et analyses, Éditions
Olivier Laurens, 1997.
Un classique, rédigé par un connaisseur reconnu, qui permet de
comprendre l’émergence et la composition du parti de Jean-Marie Le Pen.
Très utile, notamment pour retracer la logique des tendances et des clans
qui composent le FN depuis longtemps.
 Sylvain Crépon, Enquête au cœur du nouveau Front national, Nouveau
Monde, 2012.
Une plongée dans le nouveau FN, ses réseaux, ses cadres, ses militants
sur le terrain. Sylvain Crépon tire de ses nombreux entretiens auprès de
membres du FN ainsi que de ses observations de terrain, des pistes pour
comprendre ce qu’est devenu le FN, pendant et après l’ascension de la fille
du chef.
 Laurent Davezies, La crise qui vient : la nouvelle fracture territoriale,
Seuil, « La République des idées », 2012.
Pour comprendre ce qui pousse des populations à voter FN, il faut aussi
regarder les effets territoriaux des crises : financière, de la dette, de
l’énergie… Alors que les aides publiques avaient permis le développement
des territoires, ce n’est plus le cas depuis 2008. Une invitation à revoir la
politique d’aménagement / d’égalité des territoires.
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 Alexandre Dézé, Le Front national : à la conquête du pouvoir ? Armand
Colin, 2012.
Une analyse de la stratégie que la fille veut suivre pour faire du parti
de son père un FN de pouvoir. En posant la question : le paradoxe qui
agite le parti depuis sa création pourrait-il trouver une solution entre
« dédiabolisation », au risque d’une normalisation, et « excès de langage »
qui empêcheraient de progresser ?
 Caroline Fourest et Fiammeta Venner, Le guide des sponsors du Front
national et de ses amis, Raymond Castells, 1998.
Un livre daté, mais qui posait la nécessité de lister les financeurs du
Front national, ses amis, ses réseaux (entreprises, associations). Avec une
introduction sur les diverses façons dont le FN se finance et dont son chef
peut utiliser ces canaux.
 Caroline Fourest, Fiammetta Venner, Marine Le Pen, Grasset, 2011.
Une plongée dans le parcours de la fille du chef, qui permet de mieux
comprendre la façon dont l’héritage s’est joué et ce qu’il comporte : effets
de langage, postures, mais aussi réseaux et idées communes, au sein de
cette étrange famille en politique.
 Christophe Guilluy, Fractures françaises, François Bourin, 2010.
Un livre de géographe qui a défrayé la chronique et s’avère utile pour
analyser l’évolution d’un vote FN des territoires « périurbains » victimes
d’un « déclassement social ». Une nouvelle France « populaire », qui se
sent moins bien traitée que les banlieues, explique l’auteur, adepte d’une
« gauche populaire ».
 Erwan Lecœur, Un néo-populisme à la française. Trente ans de Front
national, La Découverte, 2003.
Issu d’une thèse sur le sujet : comment comprendre la progression du
FN en termes politiques et symboliques, comme réponse à une « crise du
sens ».
 Erwan Lecœur (dir.), Dictionnaire de l’extrême droite, Larousse, 2007.
Depuis « Action française » au « Vote Le Pen », en 300 pages, un
panorama de la galaxie de l’extrême droite en France dressé au moyen
de définitions de mots, noms et expressions (« Argent, établissement,
mondialisme, syndicats, Marine Le Pen », etc.), avec une attention
particulière au lepénisme, père et fille. Six spécialistes pour un ouvrage
collectif : J-Y. Camus, S. Crépon, N. Mayer, M.-C. Naves, B. Orfalli, B.
Schmid et F. Venner.
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Un classique de l’analyse du vote FN depuis ses débuts. Le vote
« droitiste », ou « niniste », l’évolution jusqu’au 21 avril 2002, par la
spécialiste des tendances, issue du Cevipof.
 Abel Mestre et Caroline Monnot, Le système Le Pen. Enquête sur les
réseaux du Front national, Denoël, 2011.
NOTES
BIBLIOGRAPHIE
 Nonna Mayer, Ces Français qui votent Le Pen, Flammarion, 2002.
Journalistes au Monde en charge du suivi de l’extrême droite, les auteurs
sont de bons connaisseurs du sujet et alimentent un blog très bien
informé (« Droites extrêmes »). Leur ouvrage met à jour les réseaux et
influences proches qui entourent Marine Le Pen : ralliés du mégrétisme,
anciens du GUD, un énarque, ou des militants de terrain convaincus de
l’avenir « populaire » du lepénisme.
 Serge Moscovici, L’âge des foules. Un traité historique de psychologie des
masses, Complexe, 1985.
Un grand livre, pour ceux qui veulent comprendre comment fonctionnent
les sociétés et ce que la politique peut avoir d’effet symbolique. Par
l’inventeur de la notion de « minorités actives », intellectuel et activiste
écologiste souvent méconnu, à (re)découvrir.
 Bernard Stiegler, Pharmacologie du Front national, Flammarion, 2013.
Un des meilleurs essais sur les effets de la crise culturelle, à l’heure où la
politique semble tissée d’impuissance. Le philosophe y déroule une vision
sombre mais convaincante du risque Le Pen pour les années à venir.
 Emmanuel Todd, Hervé Le Bras, Le mystère français, Seuil, 2013.
Quand le célèbre démographe s’allie au géographe pour dresser les cartes
du pays ; ils en tirent des analyses précises sur l’évolution des votes. Les
médias ont surtout retenu l’idée que la jeunesse éduquée empêcherait
l’accession du FN au pouvoir… Pas si simple.
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Imprimé sur papier recyclé cyclus
Correction / Relecture : Anne Kraft
Conception graphique : Yanni Panajotopoulos
[email protected]
Cet ouvrage a été achevé d’imprimer
par l’imprimerie Darantiere Imprim’Vert
à Quetigny (21) en août 2013
N° d’impression : XX XXXX
Dépôt légal : 3e trimestre 2013
ISBN : 978-2-916952-90-1
Diffusion / Distribution : Pollen
Éditions Le passager clandestin
1, rue de l’Église – 72240 Neuvy-en-Champagne
www.lepassagerclandestin.fr