(l`épi)génétique complexe de la leucémie aiguë
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(l`épi)génétique complexe de la leucémie aiguë
hematologie Peer-reviewed article La (l’épi)génétique complexe de la leucémie aiguë lymphoblastique à cellules T Kim De Keersmaecker et Jan Cools Center for the Biology of Disease, VIB, Leuven; Centrum voor Menselijke Erfelijkheid, KU Leuven La leucémie aiguë lymphoblastique à cellules T (LAL-T) est un cancer hématologique agressif résultant de la transformation des lymphocytes T en cellules malignes. Chaque année, une LAL-T est diagnostiquée chez environ 5 enfants sur un million et 2 à 5 adultes sur un million. Ces 25 dernières années, les améliorations apportées aux traitements par chimiothérapie ont conduit à une hausse significative du nombre de patients survivant à une LAL-T. Cependant, le taux de survie à long terme est inférieur à 80% chez l’enfant et inférieur à 40% chez l’adulte (1). cellules cancéreuses. Ces technologies performantes nous permettent d’aborder la génétique de la LAL-T sous un tout nouveau jour, dans la mesure où nous pouvons désormais analyser en détail tous les gènes en même temps et ne sommes plus obligés d’effectuer une sélection au préalable. Cela nous a permis d’identifier des anomalies sur des gènes que nous ne suspections pas d’avoir un lien avec la leucémie. La découverte, par séquençage complet du chromosome X chez des patients LAL-T, de mutations au niveau de PHF6, une protéine dont la fonction est inconnue, en est un bel Cela fait déjà plusieurs dizaines d’années que la géné- exemple (2). tique moléculaire de la LAL-T est étudiée. Pourtant, nos Pour l’instant, nous savons que les lymphocytes T en connaissances du spectre de mutations à la base de ce développement accumulent une série d’anomalies gé- cancer ne cessent de s’étoffer chaque jour. Tout comme nétiques avant de dégénérer en cellules malignes. La pour de nombreux autres types de cancer, la recherche voie de signalisation NOTCH1 occupe une place cen- sur la base génétique de la LAL-T s’est nettement accé- trale dans la pathogenèse de la LAL-T et est activée lérée ces dernières années, grâce à l’introduction de chez la majorité des patients souffrant de la maladie. technologies avancées telles que l’aCGH (array Compa- Les cellules LAL-T présentent aussi des anomalies au rative Genomic Hybridization) à haute résolution. Cette niveau des mécanismes qui régulent le cycle cellulaire, technique nous permet désormais de déceler des modi- et l’activité d’une série de facteurs de transcription fications au niveau de l’ADN avec une résolution relati- jouant un rôle important dans l’hématopoïèse est éga- vement élevée. Elle a notamment conduit à la détection lement perturbée en cas de LAL-T. Dans les cellules de microdélétions et de micro-amplifications qui étaient LAL-T, on observe par ailleurs une activation de kinases auparavant imperceptibles avec le caryotypage tradition- ou une perte d’activité phosphatase, donnant lieu à nel. Par ailleurs, nous avons assisté ces dernières années l’hyperactivation de voies de signalisation qui stimulent à une véritable révolution dans le domaine des techno- la prolifération cellulaire. En outre, des anomalies au logies de séquençage. C’est ainsi que nous sommes pas- niveau de régulateurs épigénétiques ont récemment sés du séquençage de gènes candidats par la méthode été décrites (Figure 1). ON0419F traditionnelle de Sanger à celui de tous les gènes, voire du génome entier de cellules cancéreuses. Désormais, Dans cet article de synthèse, nous décrivons plus en grâce à cette «nouvelle génération» de techniques de détail les anomalies génétiques recensées dans les cel- séquençage, nous pouvons, en une seule expérience, lules LAL-T. Même si nous abordons également des rechercher la présence de mutations ponctuelles, d’ano- anomalies déjà connues de longue date, nous mettons malies au niveau des nombres de copies et de transloca- l’accent sur celles identifiées récemment grâce aux tions chromosomiques dans des génomes complets de développements technologiques décrits plus haut. 19 Onco l Vol 6 l N°6 l 2012 l’expression de gènes cibles (Figure 2). NOTCH1 joue un Figure 1: Aperçu des anomalies génétiques rôle majeur dans la différenciation des précurseurs des cellules dans la LAL-T. lymphoïdes, en les encourageant à se différencier en lympho- Facteurs de transcription déficients TLX1 BCL11B MLL-MLLT1 RUNX1 CDKN2B WT1 LAL-T sont porteurs de mutations activatrices au niveau du EZH2 HOXA@ Voie de signalisation NOTCH1 hyperactive SET-NUP214 cytes T plutôt qu’en lymphocytes B. Environ 50% des patients Facteurs épigénétiques LMO1 TLX3 gène NOTCH1. Quelque 13% des patients présentent en EED outre des mutations ponctuelles qui inactivent la protéine PHF6 FBXW7 (3). Celle-ci est chargée d’assurer la dégradation de SUZ12 NOTCH1 NOTCH1 dans la cellule, si bien que les patients porteurs de LEF1 CDKN2A FBXW7 PTPRC mutations de FBXW7 présentent également une hyperactivité MYB LMO2 TAL1 PICALM-MLLT10 JAK3 Dérégulation du cycle cellulaire de NOTCH1 liée à sa dégradation plus limitée (Figure 2). Kinases et phosphatases IL7R JAK1 Il y a quelques années, l’inhibition du clivage de NOTCH1 in- PTEN FLT3 PTPN2 NUP214-ABL1 duit par le complexe gamma-secrétase chez les patients porteurs de mutations de NOTCH1 semblait être une stratégie prometteuse pour un traitement moléculaire ciblé de ces pa- Figure 2: Vue d’ensemble schématique de la tients. Malheureusement, les essais cliniques avec des inhibi- voie de signalisation NOTCH1. teurs de la gamma-secrétase en monothérapie ont été arrêtés prématurément, en raison de leur faible effet antileucémique et de leur forte toxicité gastro-intestinale. En revanche, lorsqu’ils sont combinés à des glucocorticoïdes, les inhibiteurs de la gamma-secrétase ont une activité anti-leucémique synergique et Membrane plasmique ne sont associés à aucune toxicité gastro-intestinale. Aussi, Clivage par la gamma-secrétase Ubiquitination cette stratégie fait actuellement l’objet d’analyses plus approfondies en vue d’une application dans le cadre du traitement Domaine intracellulaire de NOTCH1 (ICN1) des patients LAL-T (4). Noyau cellulaire Protéasome Perte de régulateurs du cycle cellulaire Transcription Respectivement 75 et 38% des patients LAL-T présentent des ICN1 dégradé délétions homozygotes ou hétérozygotes de la région chromosomique 9p, dans laquelle se trouvent les gènes CDKN2A La liaison d’un ligand au récepteur NOTCH1 induit un (également connu sous le nom de p15) et CDKN2B (p16). certain nombre de clivages par des protéases (représentés Qui plus est, dans 99% des cas de LAL-T, aucune protéine par des ciseaux). Le dernier clivage, initié par le complexe CDKN2A ni CDKN2B fonctionnelle n’est exprimée (5). La gamma-secrétase, entraîne la libération du domaine régulation du cycle cellulaire des cellules LAL-T est dès lors intracellulaire de NOTCH1 (ICN1) dans la cellule. ICN1 migre alors vers le noyau, où il peut stimuler l’expression de perturbée, étant donné qu’en temps normal, CDKN2A et gènes cibles. Pour arrêter la cascade de signalisation, la CDKN2B bloquent la progression du cycle cellulaire en inhi- protéine FBXW7 induit la dégradation d’ICN1 (via bant les complexes CDK-cycline actifs. Outre l’inactivation de ubitiquination et dégradation par le protéasome). CDKN2A et/ou CDKN2B, quelques rares patients présentent des anomalies au niveau d’autres régulateurs du cycle cellulaire, tels que RB1, TP53 (p53) ou la cycline D2 (CCND2). Mutations activatrices de NOTCH1 dans la pathogenèse de la LAL-T. NOTCH1 est un récepteur Surexpression et mutations de facteurs de transcription transmembranaire qui, une fois lié à son ligand, est clivé par le Les cellules LAL-T se caractérisent par une expression anor- complexe protéasique gamma-secrétase. Ce clivage conduit à malement élevée de facteurs de transcription jouant un rôle la libération, dans la cellule, du domaine intracellulaire de majeur dans le développement des lymphocytes T, ou l’héma- NOTCH1, qui peut ensuite migrer vers le noyau et y stimuler topoïèse. Un certain nombre de ces anomalies de facteur de La voie de signalisation NOTCH1 occupe une place centrale 20 Onco l Vol 6 l N°6 l 2012 transcription ont été découvertes il y a déjà plusieurs années, une translocation vers les locus du TCR, quelque 8% des dans le cadre de la caractérisation des translocations chromo- patients LAL-T présentent une duplication du gène MYB somiques récurrentes. Ces anomalies ayant déjà été décrites avec, comme conséquence ici aussi, une surexpression de ce en détail dans une autre publication (6), nous nous contente- dernier (13). rons de les passer brièvement en revue. Expression de gènes de fusion associés à des facteurs de transcription Translocations et réarrangements entre des gènes codant pour des facteurs de transcription et les locus du récepteur des lymphocytes T Le gène MLL (situé sur le chromosome 11q23) code pour le facteur de transcription MLL et est impliqué dans plus de 50 Le développement des thymocytes est contrôlé par une série translocations différentes observées dans de nombreux types de facteurs de transcription, comme les protéines E2A. Lors de leucémies. Dans la LAL, les translocations les plus fréquentes du réarrangement du récepteur des lymphocytes T (T-cell re- sont les translocations t(4;11)(q21;q23) et t(11;19)(q23;p13.3). ceptor – TCR) pendant le développement de ces derniers, Elles induisent respectivement l’expression de MLL-AFF1 (éga- des recombinaisons incorrectes se produisent régulièrement lement connu sous le nom de MLL-AF4) et de MLL-MLLT1 (7). entre les éléments promoteurs forts des gènes du TCR et Les fusions impliquant MLL entraînent une surexpression du des gènes codant pour des facteurs de transcription jouant groupe de gènes HOXA@ dans la LAL-T et constituent donc, un rôle majeur dans le développement des lymphocytes T. Ce en plus des translocations du groupe HOXA@ vers le TCR, un phénomène s’observe, par exemple, fréquemment avec autre mécanisme de surexpression de HOXA@ (8). Les gènes quelques gènes HOX (homéobox) (TLX1,TLX3 et HOXA@), de fusion PICALM-MLLT10 et SET-NUP214, qui résultent res- un certain nombre de gènes codant pour des protéines qui pectivement de la translocation t(10;11)(p13;q14) et de la Tableau: Aperçu des translocations entre les locus du TCR et des gènes codant pour des facteurs de transcription. Groupe de gènes du TCR Groupe de Symbole Chromosome Gène partenaire Symbole du gène Chromosome gènes T-cell receptor a/δ 14q11 TAL1 1p32 TLX3 5q35 NKX2-5 5q35 TLX1 10q24 LMO2 11p13 LMO1 11p15 NKX2.1 14q13 NKX2.2 MYB 20p11 6q23 HOXA@ cluster 7p15 TLX1 10q24 LMO2 11p13 LMO1 11p15 LYL1 19p13 NKX2.1 14q13 T-cell receptor b du gène TCRA/D@ TCRB@ 7q34-35 interagissent avec E2A (TAL1, LMO1, LMO2, LYL1), MYB, délétion del(9)(q34.11-q34.13), sont également à la base de la ainsi que NKX2.1, NKX2.2 et NKX2-5 (Tableau) (6). Il en surexpression de HOXA@ dans la LAL-T (9, 10). résulte que les lymphocytes T en développement présentent Le gène de fusion SIL-TAL1 est, quant à lui, le résultat d’une une expression anormalement élevée de ces facteurs de délétion indétectable en cytogénétique qui est présente chez transcription qui, normalement, ne s’expriment pas, ou alors 17% des patients LAL-T (11). L’activité oncogène de TAL1 dans très peu, dans les lymphocytes en développement sains. Les le cadre de la LAL-T résiderait essentiellement dans la programmes d’expression génique responsables de la diffé- réduction de l’expression de transcripts qui sont normalement renciation des lymphocytes T sont donc perturbés. Outre régulés par E2A (12). 21 Onco l Vol 6 l N°6 l 2012 Mutations et délétions au niveau de facteurs de transcription (NUP214-ABL1) est de loin la fusion impliquant ABL1 la plus Récemment, la combinaison de l’aCGH à haute résolution et rares impliquant ABL1, comme ETV6-ABL1 et EML1-ABL1, ont du séquençage par la méthode de Sanger, deux techniques de également été décrits. L’activité des gènes de fusion impliquant détection de mutations, a permis de déceler des délétions et ABL1 peut être inhibée au moyen de l’imatinib (un inhibiteur des mutations inactivatrices au niveau de BCL11B (9-16% des de tyrosine kinase), ce qui offre des perspectives thérapeu- patients), de WT1 (10%), de RUNX1 (4%) et de LEF1 (18%) tiques pour les patients LAL-T porteurs de ce type de gènes (14-17). Toutefois, pour l’instant, on ignore encore précisément de fusion. Même si la rareté des fusions impliquant ABL1 dans comment la majorité des anomalies de facteur de transcription la LAL-T complique la mise en œuvre d’essais cliniques en la contribue à la formation de la LAL-T. De ce fait, il est difficile de matière, les données individuelles disponibles montrent que mettre au point des traitements spécifiques qui combattent l’imatinib peut être efficace dans le cadre de la LAL-T. Le fait l’effet de ces anomalies. qu’il existe des preuves indiquant que les fusions impliquant fréquente dans la LAL-T (18). D’autres gènes de fusion plus cette kinase sont des mutations tardives et ne se retrouvent Hyperactivation de la phosphorylation sur tyrosine peut-être pas dans les cellules souches leucémiques est un La phosphorylation des protéines est un mécanisme cellulaire nib. Le traitement par imatinib (ou d’autres inhibiteurs de important permettant de transmettre des signaux d’un endroit kinase) aurait alors un effet temporaire, en réduisant les à l’autre de la cellule, par exemple, depuis sa surface vers le nombreux blastes, mais ne permettrait pas d’éradiquer com- noyau. La phosphorylation permet en outre de renforcer les si- plètement la leucémie, dans la mesure où les cellules souches gnaux ou de les diffuser vers différents niveaux. Les signaux sont leucémiques ne dépendent pas de ces fusions impliquant ABL1. par ailleurs rigoureusement contrôlés par le biais de régulateurs Cette hypothèse concorde avec les observations récemment négatifs et de mécanismes de rétroaction. La phosphorylation faites dans le cadre de la LMA (leucémie myéloïde aiguë) et de des protéines ne s’effectue pas de manière arbitraire, mais à des la LAL. Des chercheurs ont en effet démontré que ces leucé- endroits bien précis des protéines. Les kinases sont les enzymes mies aiguës connaissent une évolution darwinienne, dans la présentes dans la cellule qui exécutent cette phosphorylation mesure où les cellules leucémiques accumulent sans cesse des (dans nos cellules, on compte environ 500 kinases différentes qui mutations supplémentaires et où les plus adaptées possèdent remplissent chacune une fonction spécifique). Nos cellules un avantage sélectif en termes de croissance. Dans bien des contiennent également toute une série de phosphatases (les cas, une thérapie ciblée par inhibiteurs de kinase ne sera donc enzymes responsables de la déphosphorylation), qui jouent un pas efficace pour le traitement à long terme de la LAL-T, mais rôle régulateur essentiel et peuvent atténuer les signaux. pourra se révéler utile si elle est combinée avec d’autres médi- autre élément susceptible de compliquer l’utilisation de l’imati- caments. L’hyperactivation de kinases ou l’inactivation de phosphatases peut perturber le déroulement normal de la phosphorylation Mutations de FLT3 et de RAS et provoquer une hyperactivation de voies de signalisation qui La protéine FLT3 est un récepteur à activité tyrosine kinase qui stimulent la prolifération cellulaire. La kinase BCR-ABL1, qui est joue un rôle important dans le développement des cellules en cause dans la leucémie myéloïde chronique, et l’activation souches hématopoïétiques. Bien que les mutations activatrices de la voie PI3K (PI3kinase) par mutation de la kinase ou par de FLT3 soient l’anomalie génétique la plus fréquente dans la délétion du régulateur négatif PTEN sont des exemples connus LMA, elles sont rares dans la LAL-T et ne sont présentes que de ces anomalies. chez quelque 4% des patients (27). Les inhibiteurs de FLT3 développés pour les patients LMA pourraient aussi être utiles Fusions impliquant ABL1 dans la LAL-T pour le traitement des patients LAL-T porteurs de mutations Dans la LMC (leucémie myéloïde chronique) et la LAL-B, la de FLT3, mais cette possibilité doit encore être étudiée davan- fusion BCR-ABL1 est fréquente. En revanche, les fusions impli- tage. Outre des mutations de FLT3, on observe également des quant ABL1 présentes chez quelque 8% des patients LAL-T mutations de RAS dans la LAL-T. Les protéines RAS (NRAS et impliquent généralement un autre gène que BCR. Les pro- KRAS) ne sont pas des kinases à proprement parler; des muta- téines résultant de ces fusions présentent une activité kinase tions au niveau de KRAS ou de NRAS induisent une activation continue, si bien qu’elles stimulent en permanence la proliféra- des kinases MAP, qui sont également activées à la suite de fu- tion cellulaire. La fusion entre les gènes NUP214 et ABL1 sions impliquant ABL1 et de mutations de FLT3. Il est commu- 22 Onco l Vol 6 l N°6 l 2012 L’un des mécanismes oncogènes contribuant à l’activation de Figure 3: Vue d’ensemble schématique de la ces voies de signalisation est la mutation des kinases JAK. La voie de signalisation JAK-STAT. famille des kinases JAK compte 4 membres: JAK1, JAK2, JAK3 et TYK2. Toutes les kinases JAK, à l’exception de TYK2, sont des oncogènes associés à la leucémie, et des translocations ainsi que des mutations activatrices de JAK1, JAK2 et JAK3 sont Récepteur de cytokine observées dans de nombreuses tumeurs hématologiques, es- Phosphatases sentiellement myéloïdes. Des mutations de JAK1 et JAK3 ont également été décrites dans la LAL-T, ce qui peut expliquer l’hyperactivation de la voie de signalisation constatée chez 10% des patients (23, 24). Récemment, un autre mécanisme associé à l’activation de la voie Transcription de gènes cibles Noyau cellulaire de signalisation JAK/STAT a été identifié. Il s’agit de la mutation du récepteur de l’interleukine 7 (IL7R). En effet, des mutations activatrices de ce récepteur nécessaire au développement des cellules lymphoïdes provoquent une immunodéficience (OMIM Lorsqu’une cytokine se lie à son récepteur, les kinases JAK 608971). Le séquençage du gène IL7R chez des patients LAL-T sont activées, ce qui induit leur phosphorylation ainsi que a permis de déceler des mutations activatrices d’IL7R chez envi- celle du récepteur. Ce dernier recrute alors des protéines ron 10% d’entre eux. La majorité de ces mutations sont des in- STAT. Celles-ci sont à leur tour phosphorylées, entraînant sertions et des délétions au niveau de l’exon 6, avec maintien du la formation de dimères et l’activation des protéines STAT. cadre de lecture dans l’exon 6 qui code la partie transmembra- Les dimères STAT migrent enfin vers le noyau cellulaire, où ils activent la transcription de gènes cibles qui régulent la naire de l’IL7R. Ces mutations entraînent une activité continue et différenciation et la prolifération cellulaires. incontrôlée de l’IL7R sans que la liaison de l’IL7 à son récepteur ne soit nécessaire et, par conséquent, une activation permanente de la voie de signalisation JAK/STAT (22, 23). nément admis que l’activation de la voie de signalisation RAS/ Inactivation de tyrosine phosphatases MAPK constitue un mécanisme oncogène important utilisé par Des phosphatases participent également au contrôle de l’acti- la plupart des kinases oncogènes. L’inhibition ciblée de cette vité des kinases JAK (Figure 3). Des expériences réalisées sur voie de signalisation serait dès lors pertinente d’un point de des patients LAL-T à l’aide de l’aCGH ont permis de déceler vue thérapeutique, mais, malheureusement, elle joue un rôle des délétions de l’ensemble du gène phosphatase PTPN2 chez tout aussi important dans les cellules saines, ce qui peut expli- 6% d’entre eux. La protéine PTPN2 est responsable de la dé- quer la toxicité des inhibiteurs de MAPK. phosphorylation et de l’inactivation de NUP214-ABL1 et de kinases JAK (25). La délétion de la protéine PTPN2 dans les Activation de la voie de signalisation JAK/STAT cellules LAL-T constitue par conséquent une autre explication Les cytokines régulent de nombreux aspects de l’hématopoïèse à l’activation excessive de la voie de signalisation JAK/STAT. et de la réponse immunitaire, et peuvent exercer leur effet sur la Récemment, des mutations inactivatrices rares au niveau de cellule en se liant à leurs récepteurs. Une fois qu’une cytokine se PTPRC (également connue sous le nom de CD45), une phos- lie à son récepteur, les kinases JAK associées au récepteur sont phatase remplissant la fonction de régulateur négatif de la voie activées et ce dernier est phosphorylé. Le récepteur recrute de signalisation JAK/STAT, ont également été décrites chez des alors des protéines STAT. Celles-ci sont à leur tour phospho- patients LAL-T (26). rylées, ce qui entraîne leur dimérisation et leur activation. Les De nombreux inhibiteurs agissant sur la voie de signalisation dimères STAT migrent ensuite vers le noyau cellulaire, où ils ac- JAK/STAT sont actuellement en cours de développement pour tivent la transcription de gènes cibles qui régulent la différencia- le traitement des patients atteints de tumeurs hématologiques tion et la prolifération cellulaires (Figure 3). Dans la LAL-T, malignes dépendantes de JAK/STAT. L’avenir nous montrera si différents mécanismes pouvant déclencher une hyperactivation ces médicaments sont aussi efficaces pour les patients LAL-T de la voie de signalisation JAK-STAT ont déjà été découverts. présentant une hyperactivation de JAK/STAT. 23 Onco l Vol 6 l N°6 l 2012 Inactivation de la phosphatase PTEN la mesure où elle nous permet d’identifier des acteurs essen- Le gène PTEN code une phosphatase qui combat l’activité de tiels sur la base de la présence de mutations de ces gènes la phosphoïnositide 3-kinase (PI3K). Il y a de cela quelques observées dans la leucémie. années, des délétions et des mutations inactivatrices au niveau de PTEN, un gène suppresseur de tumeur dans de nom- Récemment, des mutations et des délétions au niveau de plu- breux cancers, ont également été décelées chez 17 à 36% sieurs régulateurs épigénétiques ont également été identifiées des patients LAL-T (19, 20). D’autres composants de la voie chez des patients LAL-T. de signalisation PI3K, tels que PI3K et AKT, présentent aussi des mutations dans respectivement 9 et 2% des LAL-T (20). Anomalies dans le complexe PRC2 Des chercheurs ont démontré, dans des modèles murins, que L’aCGH à haute résolution et le séquençage du génome com- des inhibiteurs de PI3K peuvent être efficaces pour traiter plet de cellules cancéreuses LAL-T ont permis de déceler, des patients présentant une hyperactivation de la voie de si- d’une part, des délétions récurrentes et, d’autre part, des muta- gnalisation PI3K (21). tions inactivatrices au niveau de l’histone méthyltransférase PRC2 (polycomb repressor complex 2) dans des cellules LAL-T Anomalies au niveau de régulateurs épigénétiques (23, 28). Le complexe PRC2 est principalement responsable de Ces 50 dernières années, la génétique a connu une véritable (H3K27me3), caractérisant une chromatine inactive sur le plan révolution qui nous a permis de développer considérable- transcriptionnel. Par le biais de cette méthylation, le complexe ment nos connaissances au sujet des mécanismes d’appari- PRC2 assure le marquage initial des éléments sensibles à PRC tion des tumeurs. L’étude des leucémies a fortement contri- qui doivent être inactivés dans le génome. Le complexe PRC2 bué à cette évolution, notamment par le biais de l’étude des comprend 4 protéines: 3 avec un domaine SET qui assure l’ac- réarrangements chromosomiques, de l’utilisation du profilage tivité méthyltransférase (EED, SUZ12 et EZH2) et RBBP7/4 de l’expression génique et, plus récemment, de la détermina- (également connue sous le nom de RbAp46/48), une protéine tion des premiers génomes complets de cellules tumorales. de liaison aux histones. Des délétions et/ou mutations inactiva- Ces dernières années, les connaissances relatives au rôle des trices au niveau des protéines EED, SUZ12 et EZH2 sont prin- modifications épigénétiques dans la leucémie ont également cipalement décelées dans l’ETP-LAL-T, un sous-groupe extrê- fortement évolué. Par modifications épigénétiques d’un gé- mement immature et agressif de LAL-T (42% des ETP-LAL-T nome, nous entendons la modification de l’emballage de présentent des mutations, contre 12% des LAL-T non ETP) l’ADN et de l’accessibilité de ses régions. Le génome complet (23). Certains éléments indiquent que l’activation de NOTCH1 d’une cellule est énorme (environ 6 x 109 paires de bases, et l’inactivation de PRC2 pourraient être des mutations coopé- plusieurs mètres de long). Pour que l’ADN puisse s’insérer ratives dans la LAL-T, étant donné qu’elles réduisent toutes dans le noyau d’une cellule et que l’expression génique puisse deux le niveau de méthylation H3K27me3 dans les cellules et être régulée à un niveau supérieur, l’ADN présent dans nos qu’elles partagent les mêmes gènes cibles. Par ailleurs, l’obser- cellules est enroulé autour d’histones, et l’ADN proprement vation selon laquelle la diminution de l’expression d’EZH2 peut dit ainsi que ces histones sont modifiés par méthylation et induire des tumeurs oculaires chez la drosophile Drosophila acétylation. Le statut de méthylation et d’acétylation de melanogaster, dont les yeux expriment le ligand de NOTCH1, l’ADN et des histones est régulièrement modifié. Ainsi, les vient encore renforcer cette hypothèse. En outre, la réduction régions de l’ADN qui ne sont pas utilisées dans certains types de l’expression d’EZH2 dans des cellules LAL-T humaines ac- de cellules sont emballées hermétiquement et rangées soi- croît la capacité de ces cellules à induire des tumeurs gneusement, tandis que celles nécessaires à la transcription lorsqu’elles sont transplantées chez des souris immunodéfi- restent ouvertes et accessibles. Toute une série d’enzymes cientes (28). la triméthylation de l’histone H3 sur le résidu lysine 27 sont chargées d’assurer correctement la méthylation, la déméthylation, l’acétylation et la désacétylation, et contrôlent de Anomalies au niveau de PHF6 cette manière le statut de ces régions de l’ADN. Le fonction- L’incidence de la LAL-T est 3 fois plus élevée chez l’homme nement précis de ces mécanismes et les protéines qui y sont que chez la femme. En combinant l’aCGH à haute résolution impliquées restent encore relativement flous, mais plusieurs avec une stratégie très subtile consistant à séquencer de ma- acteurs importants ont déjà été identifiés et étudiés. De nou- nière spécifique tous les gènes du chromosome X, des cher- veau, l’étude des leucémies joue un rôle clé à cet égard, dans cheurs sont parvenus à identifier des délétions et mutations 24 Onco l Vol 6 l N°6 l 2012 Références 1. Pui C, Relling MV, Downing JR. Acute lymphoblastic leukemia. N Engl J Med 2004;350(15):1535-48. 2. Van Vlierberghe P, Palomero T, Khiabanian H, et al. PHF6 mutations in T-cell acute lymphoblastic leukemia. Nat Genet 2010;42(4):338-42. 3. Paganin M, Ferrando A. Molecular pathogenesis and targeted therapies for NOTCH1induced T-cell acute lymphoblastic leukemia. Blood Rev 2011;25(2):83-90. 4. Real PJ, Tosello V, Palomero T, et al. Gamma-secretase inhibitors reverse glucocorticoid resistance in T cell acute lymphoblastic leukemia. 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Récemment, des mutations rares ont également été décrites dans d’autres régulateurs épigénétiques tels que SETD2 (une H3K36 tri-méthylase) (5 patients sur 106), dans le domaine HAT d’EP300 (5 patients sur 106) et dans DNMT3A (DNA methyltransferase 3A) (2 cas sur 57) (23, 29). Les recherches devront nous montrer si la fonction modifiée de ces régulateurs épigénétiques peut contribuer à l’apparition de la LAL-T et s’ils peuvent servir de base pour le développement de nouveaux traitements pour les patients LAL-T. Conclusions et perspectives Dans le présent article, nous avons dressé un aperçu des anomalies génétiques et épigénétiques présentes dans les cellules leucémiques chez les patients atteints de LAL-T. Ces résultats montrent que les développements technologiques récents de la génétique ont porté leurs fruits et ont permis une meilleure caractérisation génétique de la LAL-T. Cependant, bon nombre de questions intéressantes sont toujours sans réponse. Pourquoi le pronostic des patients LAL-T adultes est-il moins bon que celui des enfants? Est-ce une question d’observance thérapeutique, ou existe-t-il des causes d’ordre génétique? Quelles sont les anomalies génétiques à l’origine des récidives? Comment transposer les nouvelles connaissances acquises dans le domaine de la génétique moléculaire en traitements plus efficaces pour les patients? L’épigénétique n’en est qu’à ses premiers balbutiements, et le potentiel oncogène des anomalies décelées au niveau des régulateurs épigénétiques est encore totalement inconnu. En outre, nous n’avons toujours pas la moindre idée du rôle précis joué par certaines anomalies identifiées plus ou moins récemment dans le développement de la LAL-T. La caractérisation d’autres cohortes incluant davantage de patients, ainsi que la mise sur pied d’études fonctionnelles dans des modèles cellulaires et murins nous permettront probablement de répondre à ces Reçu: 05/10/2012 – Accepté: 23/10/2012 questions dans les années à venir. 25 Onco l Vol 6 l N°6 l 2012