Souvenirs de Chantilly
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Souvenirs de Chantilly
2014 1914 Souvenirs de Chantilly Mémoire 1914 - 2014 Centenaire de la Première Guerre mondiale Archive La Première Guerre mondiale à Chantilly à travers les documents d’archives. Mars 2014 doc n°3/12 : tilly n a h C à s d n a m e ll A s Le La Galerie des peintures du château de Chantilly après le départ des Allemands, le 4 septembre 1914. Archives privées. Chantilly - 2014 - Service Patrimoine Le 3 septembre les Allemands entrent dans Chantilly. Aucun document des archives municipales n’évoque la journée du 3 septembre 1914. Il faut alors se pencher sur les archives privées et les publications de souvenirs pour connaître l’atmosphère de cette journée sous tension dans notre ville. L’Abbé F. Husson, vicaire de Chantilly publie après la guerre ses souvenirs de la journée du 3 septembre ainsi que des informations récoltées auprès des Cantiliens. Cette publication contient des renseignements nombreux et précis sur le déroulement de cette journée. L’introduction de Gustave Macon, conservateur adjoint du musée Condé apporte un témoignage direct sur les faits et reflète l’état d’esprit des Cantiliens le soir du 2 et le jour du 3 septembre. 1. L’avancée de l’armée allemande dans l’Oise Après avoir franchi les frontières françaises fin août, l’armée allemande entame sa marche sur Paris et pénètre dans l’Oise le 30 août 1914 par le Nord-Est. Le rouleau compresseur allemand touche d’abord le Noyonnais, puis dépasse Compiègne. Malgré la résistance des troupes françaises et les combats de Verbery, Néry et Creil, l’armée allemande progresse inexorablement vers le sud pour atteindre Senlis le 2 septembre. Positions schématiques des troupes au soir du 2 septembre, Carte extraite du Guide illustré Michelin des champs de bataille 1914-1918, La Marne, 1 - L’Ourcq : Chantilly, Senlis, Meaux, 1919. Bibliothèque de Chantilly. 2. Les échos de la bataille de Senlis Le 1er septembre l’inquiétude augmente chez les Cantiliens. Les allemands approchent, les bruits de la bataille résonnent jusqu’à Chantilly et les rumeurs d’extrême brutalité des troupes allemandes déferlent dans la population. Certains Cantiliens ont déjà fui, rejoignant le flot des réfugiés du nord. L’Abbé Husson (dans Les Allemands à Chantilly, septembre 1914) décrit ce moment : « Le mardi 1er septembre, l’émoi augmente : on entend au loin le canon qui gronde sans discontinuer ; d’aucuns prétendent qu’une grande bataille se livre à Compiègne. En réalité, les Allemands essayent d’une part de forcer à Verberie le passage de l’Oise, mais les soldats de Maunoury leur font payer chèrement leur avantage ; d’autre part, ils surprennent les Anglais à Néry, mais la cavalerie alliée repousse les troupes ennemies et protège ainsi la retraite. Le mercredi 2, le 7e corps d’armée et la 55e division, accablés par la longueur des marches, les privations, les combats, remontent la route de Creil pour aller s’abriter dans les lignes du camp retranché de Paris. Sur la place de l’Hospice, c’est un fourmillement d’autos, de cyclistes, de soldats et d’officiers auxquels se mêle la population anxieuse. Les trains ne passent plus ; seuls, maintenant, les fourgons et les convois d’artillerie roulent sous la chaleur torride avec un bruit formidable. Des blessés arrivent à l’hospice ; à peine pansés, ils sont évacués vers l’arrière. L’angoisse grandit d’heure en heure, le cœur se serre à la vue de notre pauvre armée, quelques jours auparavant si enthousiaste, et maintenant couverte de poussière et exténuée par la fatigue de marches sans arrêt ! » Ecoutons ensuite les témoignage de Gustave Macon et l’Abbée Husson concernant la journée du 2 septembre. «Le 2 septembre, le canon de la bataille de Senlis nous annonça l’arrivée de l’ennemi. Au loin, la fumée ! Senlis en flammes ! Ce soir, ce sera notre tour ! On se cuirasse le cœur et l’esprit ; les peureux ont pris la fuite ; il ne reste à Chantilly que des gens calmes et résolus, prêts à tout événement, résignés au pire, mais attachés au devoir : le salut de la ville et du château importe avant tout.» « Le jour est bientôt à son déclin ; quelles nouvelles atrocités le Teuton réservet-il pour cette nuit à Chantilly ? Mais voici qu’une fumée épaisse mêlée de flammes s’élève au-dessus de Senlis. Il est six heures, on apprend que les troupes Allemandes traversaient cette dernière ville, lorsque dans la rue de la République elles furent accueillies par les coups de fusil des traînards français et marocains, attardés près de l’auberge du Point-du-jour. C’en est assez pour causer le supplice et la mort de M. Odent, maire, et de plusieurs citoyens pris comme otages, et faire de Senlis le Louvain français. [...] A l’annonce de toutes ces nouvelles, à la vue de ces soldats qui, venant de Senlis, marchent harassés et en désordre à travers la rue du Connétable, au bruit des coups de fusil tirés sur un taube que l’on essaye en vain d’abattre, la panique va-t-elle s’emparer des habitants restés fidèlement à Chantilly ? Le malheur plane dans les airs, et d’un instant à l’autre il peut s’abattre.» A l’annonce de l’approche des Allemands, le maire Omer Vallon donne l’ordre d’apporter toutes les armes à feu à la Mairie et de ne surtout opposer aucune résistance à l’arrivée des Allemands. 3. L’arrivée des Allemands C’est à nouveau l’Abbé Husson qui raconte l’arrivée des Allemands le jeudi 3 septembre. «La nuit du mercredi au jeudi s’écoule dans la plus grande anxiété. Au matin du 3 septembre, étonnement des habitants de ne pas encore apercevoir l’ennemi ! Soudain, vers neuf heures, des coups de feu retentissent : une patrouille de Uhlans, lances en avant, apparaît sur la route de Creil ; derrière, une section de cyclistes ; puis des fantassins : c’est le 27è Régiment de réserve recruté dans la Saxe Prussienne ; ce régiment se vante d’avoir, à Creil, incendié la rue Gambetta. Maintenant il déferle sur Chantilly ; dès l’abord, il gagne, par détachements, les rues adjacentes. Le gros de la colonne monte la rue de reil, entraînant une vache prise à l’abattoir.» Les Allemands qui arrivent à Chantilly ce matin-là ne sont pas ceux qui ont brulé Senlis la veille. Il s’agit d’une troupe de réservistes qui ne s’étaient pas encore battus et qui arrivait de Clermont et Creil. La colonne s’arrête devant la place de l’Hospice, pour une courte halte ; les soldats s’approchent des habitations, se font servir à boire dans les bars et hôtels de la place (hôtel d’Angleterre, hôtel Albion) puis se remet en marche. Des trois bataillons du 27è Régiment, l’un va s’installer au Mont-de-Pô ; un autre bivouaque un instant sur la Pelouse et ensuite se dirige vers Montgrésin ; le troisième enfin traverse Chantilly par la rue du Connétable. Pendant que l’infanterie pénètre dans Chantilly, les Allemands mettent en batterie six canons au Coq chantant, dominant ainsi toute la ville. Les pièces d’artillerie sont braquées dans la direction de la rue du Connétable, de l’église et du Château A 9 h30, le commandant Raab, se présente à la mairie, alors située rue du Connétable où il est reçu par le maire Omer Vallon, accompagné de M. Balézeaux, adjoint, M. Pinçon, conseiller, M. Lefebvre, secrétaire et M.Vandenbooche, employé. Le maire ayant assuré l’officier du calme de la population et de la mise en sécurité des armes à la Mairie, celui-ci lui demande de l’accompagner au Château. « A la même heure, une autre scène se déroulait au château, M. Elie Berger, de l’Institut, lequel heureusement parlait l’allemand, aperçoit la Ir., compagnie du 3me bataillon déboucher sur la pelouse par la porte Saint-Denis ; il se porte à sa rencontre ; tout d’abord un capitaine lui déclare que si aucun acte d’hostilité n’est commis et si on obéit aux ordres, aucun mal ne sera fait au château, mais que si un coup de fusil est tiré, le château sera brûlé et le personnel fusillé. M. Macon reçoit les Allemands à la grille d’honneur, demande au lieutenant Eichkoff ce qu’il désire ; « rafraîchir ma troupe », répond-il, M. Macon mène la compagnie devant le pavillon d’Enghien, dans l’espoir d’éviter l’entrée au château.[...] A 3 heures, [...] Monsieur Maçon court ouvrir cette grille que les soldats commençaient à ébranler, et revient tout de suite au château, où il a la surprise de voir la Cour ’Honneur déjà envahie par deux autres compagnies du 3e bataillon, et des voitures de paille que l’on était en train de décharger. Les soldats formaient les faisceaux dans la cour. M. Macon se met aussitôt à la recher che du commandant Raab pour organiser le logement, lui explique que les galeries du grand château étaient suffisantes pour loger 500 hommes sur la paille, et obtient qu’aucun campement ne soit fait dans les salons dorés du petit château, ni dans la chapelle, en raison du dommage qui pourrait en résulter pour les objets d’art fragiles et précieux.» Le commandant visite ensuite le château de la cave au grenier, s’étonne des vides qu’il constate ça et là (les œuvres ont été décrochées par sécurité et une partie est partie dans les caves du Louvre) et «dérobe» deux belles cartes d’Etat-major. Il choisit ensuite comme chambres d’officiers les bureaux des Conservateurs, situés au rez-de-chaussée du petit château sur le jardin de la Volière ; et M. Maçon y fait transporter matelas et couvertures du pavillon d’Enghien pour les onze officiers. La Galerie des Cerfs, la Grande Galerie, la Tribune, le Logis sont recouverts d’une épaisse litière pour les hommes. Carte postale représentant la Galerie des Cerfs après le départ des Allemands. coll. privée. La ville semble complètement désertée par ses habitants, les maisons sont closes, les passants rares ne s'abordent que pour parler à voix basse. Les Allemands réquisitionnent tout le nécessaire : vivres, vin, paille, fourrage, éclairage, literie. Les boulangeries sont surveillées. Des sentinelles sont postées aux carrefours des routes, d'autres arpentent la voie ferrée, coupée depuis le départ des troupes françaises. A l’hospice Condé on s’attend d’un moment à l’autre à recevoir la visite de ces hôtes indésirables, mais aucun ne se présente. La journée se passe ainsi dans le calme et l’inquiétude. Au matin du 4 septembre, au grand étonnement des Cantiliens encore soumis à l’interdiction de circuler, le signal du rassemblement et l'ordre de départ sont donnés. Le 27e régiment prend la route de Senlis, et se dirige vers ce qui va être la Première Bataille de la Marne. La zone de combat s’éloigne. La ville et les habitants sont indemnes, ils ne subiront pas le sort de Senlis. Quelques Uhlans vont encore traverser la ville dans la journée jusqu’au 8 septembre mais sans dommages pour Chantilly. Les habitants de Chantilly revoient avec joie et émotions les soldats français le mardi 9 au matin. Le bruit du canon se fait plus sourd, il n'y a plus de doute, l'ennemi s'éloigne. Le 12, le généralissime français télégraphie au ministre de la guerre la grande victoire de la Marne. A Paris les rumeurs les plus alarmistes ont couru sur le sort de Chantilly, annonçant la destruction de la ville. Gabriele D’Annunzio, habitué de Chantilly et ami de l’auteur Cantilien Marcel Boulenger, écrit le 19 septembre 1914 à l’occasion d’un voyage à Chantilly : « Mes yeux cherchèrent les troncs abattus , les murs écroulés. Rien n’avait souffert. Tout paraissait tranquille et sûr. Le château était toujours tel qu’il plut au duc d’Aumale :»Un cygne dormant sur l’eau». La ville était plus douce, plus taciturne que jamais. Son silence me toucha le cœur, ainsi qu’une harmonie atténuée. « 4. La Vierge de la Fondation Condé On raconte à Chantilly que si l’armée allemande épargna la ville en septembre 1914, ce fut grâce à la protection de la Vierge Marie. En effet, à l’annonce de l’invasion de Senlis et de sa mise à sac par les Allemands, certains Cantiliens prirent la fuite, d’autres se mirent à prier la Vierge. On disait à l’époque que la Vierge avait déjà sauvé une fois Chantilly en 1832 d’une terrible épidémie de choléra. Une cadette (pensionnaire de l’Hospice Condé) aurait alors vu monter dans le ciel de Chantilly, la Vierge arrêtant de la main gauche les troupes allemandes et protégeant de la main droite la ville et l’hospice Condé. En souvenir de ce moment de grande ferveur et en remerciement de la protection accordée à la ville, une statue de la Vierge Marie par Camille Debert, sculpteur Lillois, fut installée sur la chapelle. Carte postale début XXe siècle, Fronton de la chapelle de l’Hospice Condé surmonté de la statue de la Vierge Archives privées Le mois prochain Bibliographie La Marche sur Paris de l’aile droite allemande, ses derniers combats, 26 août - 4 septembre 1914, Comte de Caix de SAint Aymour, 1916. Les Allemands à Chantilly, septembre 1914, Abbé F. Husson, introduction par G. Macon, conservateur du Musée Condé. Guide illustré Michelin des champs de bataille 1914-1918, La Marne, 1 L’Ourcq : Chantilly, Senlis, Meaux, 1919. unicipal face m il se on C Le : 2 1 / 4 doc n° à la guerre