Lejustemilieu duvestiaireitalien

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Lejustemilieu duvestiaireitalien
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mode
Jeudi 26 juin 2014
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Milan homme | printemps-été 2015
Le juste milieu
du vestiaire italien
Le sens du réalisme des griffes transalpines peut laisser
l’impression d’une saison milanaise peu excitante.
Mais les hommes adorent cette mode raisonnée
Milan
Envoyée spéciale
L
a mode masculine serait-elle
une discipline ingrate ?
L’homme est un client difficile, achetant par besoin beaucoup
plus que par envie, rebuté par le
concept de tendance, en quête
d’un style personnel qui aurait l’air
inné. A moins d’appartenir au cercle des « garçons de la mode », la
plupart des représentants du sexe
masculin se reconnaîtront dans
cette description.
Bien sûr, toutes les nuances sont
possibles. Des intégristes du basique le plus discret aux collectionneurs de chemises excentriques,
les sous-tribus sont nombreuses.
Et, avec son envergure internationale, le marché de la mode italien a
pour ambition de satisfaire le plus
grand nombre d’entre elles.
Face à un public éparpillé aux
quatre coins du monde, les collections d’été milanaises misent sur la
prudence : un vestiaire du juste
milieu dominé par des pièces plausibles, pimenté de quelques excentricités bien calibrées.
Pourvues d’ateliers qui maîtrisent les meilleures techniques du
luxe, les griffes italiennes ont tout
de même à cœur de peaufiner les
moindres détails pour faire la différence.Coupes,matières,petitsdécalages(depréférenceinvisiblesàdistance) distinguent cette garderobe, raisonnable mais luxueuse,
des créations, très bien conçues,
des marques de grande diffusion
qui prospèrent sur le marché masculin (Uniqlo, Gap, etc.). Le comble
du chic consistant, bien sûr, à
mélanger ces gammes de prix.
En attendant, ce sens du réalisme laisse l’impression d’une saison
demodemilanaisepastrèsexcitante. Il est vrai que ce « luxe serviciel»
possède un pouvoir de séduction
moins immédiat qu’un show spectaculaire. Mais, sur le long terme, le
choix est souvent payant. Il a
même fait la fortune de Giorgio
Armani,quiabâti son empireàpartir de ses costumes pour homme,
souples et épurés devenu un symbole d’efficacité et de réussite.
Sa dernière collection, Emporio
Armani, incarne cet esprit dans un
répertoire monochrome. Des
motifs pixellisés et des jeux de
rayures en noir et blanc animent
des pièces ultrasouples, du pantalon coupé au-dessus de la cheville,
au pull à capuche à texture floquée,
en passant par les blousons de cuir.
Tous les basiques d’une garde-robe
masculine sont là.
Si la mode masculine Armani
prospère depuis quatre décennies,
cette discipline est relativement
neuve chez Fendi, même si le
prêt-à-portermasculinyaofficiellement vu le jour en 1990. Mis quelque temps entre parenthèses, il est
en train de devenir un vrai succès
sousla directionartistique de Silvia
Venturini Fendi. La créatrice invente avec finesse et simplicité le ves-
Fendi
TIZIANA FABI/AFP
Gucci GIUSEPPE ARESU/AP
Pas d’excentricité
agressive, mais de
l’efficacité rock,
sportive et urbaine.
Une garde-robe
pour tous les jours
tiaire d’un jeune homme moderne
tel qu’on aimerait et pourrait en
croiser dans la rue. Tee-shirt minimaliste à poche de cuir, blouson en
micromosaïque de peaux, veste en
cuir imprimé denim, grande parka
impeccable aux teintes minérales,
chemises de popeline aux lignes
modernistes, maxisacs à tout faire.
Rien ne manque et tout est juste.
Même ces écouteurs gainés de cuir,
version luxe d’un objet si quotidien et fruit d’une collaboration
avec la marque spécialisée Beats.
La collection Gucci est sensiblement plus typée : Frida Giannini, la
directrice artistique, compose un
ensembleauxaccentsmarinetdandy rock à l’anglaise, très urbain.
Mais elle a trouvé la juste mesure
pour faire de son parti pris un vestiaire qui peut plaire aux plus branchés comme aux plus classiques.
Belles vestes blanches croisées, ou
modèlesàespritvareusedecapitaine de voilier, trench et pantalon de
cotontabacsimplissimes,oucostume trois-pièces effilé en satin noir
Armani
GIANNI CONGIU/REUTERS
pour rock star en tournée : tout garde un naturel salvateur.
Il y a beaucoup de familiarité
aussi dans la proposition de Diesel
Black Gold. La marque, issue du
monde du denim, n’a pas perdu
pied en montant sur les podiums.
Pas d’excentricité agressive, mais
del’efficacité rock,sportiveeturbaine. Mélange harmonieux de
velours, cuir, satin et coton, superpositions de blouson zippé et veste
de ville à la ligne nerveuse, association de tee-shirt fin pull col V sous
un trench ou une veste de moto : ce
vestiaire convaincant et sans prétention est livré avec son mode
d’emploi pour tous les jours.
Dans ce paysage milanais, les
griffes plus classiques ont aussi un
rôle à jouer. Brioni, marque de
tailleur créée à Rome en 1945, est
aujourd’hui dotée d’un directeur
artistique anglais, Brendan Mullane, qui imagine pour l’été prochain
une collection inspirée par Los
Angeles. De la mégapole moderne
aux icones classiques (Richard Burton, Cary Grant..), tout se télescope
joliment dans sa proposition. Costume gris extra-obre, ou son « cousin » à motifs végétaux, excentrique, chemise de soie à fleurs façon
Elvis ou cardigan fifties plus sage,
c’est l’élégance et l’originalité qui
unifie cette garde-robe séduisante.
Autre institution du costume
italien fondée en 1934, la maison
Canali s’est dotée pour la première fois d’un directeur de la création, l’Italien Andrea Pompilio. Et
avec ses grands manteaux à col
montant, ses costumes crème à
carreaux graphiques et ses vestes
sahariennesen veau velours, le styliste apporte un esprit moderne et
pragmatique dans la maison.
En voyant le « menu » du défilé
Etro, on prend peur : il y est question d’expositionculinaire (à Milan
en 2015), d’Arcimboldo et d’imprimés pâtes fruits et légumes. Heureusement, ces dessins caloriques
n’habillent qu’une petite partie de
la collection ; on en retient surtout
les très belles vestes coupées dans
une matière biologique inédite (un
cocktail savoureux de bambou,
chanvre, ortie et lait). Une réussite
écolo-chic qui a de l’avenir.
MonclerGammeBleuestinclassable ; une des nombreuses lignes
de cette marque née dans les Alpes
françaises et à l’origine destinée
aux sports de montagne, elle est
dessinée par l’américain Thom
Browne. Les propriétaires italiens
de la griffe qui l’ont orientée vers le
luxe visent habituellement juste :
la ligne Gamme Rouge couture,
signée Giambattista Valli, est une
capsule gracieuse et réussie. La
ligne Genoble, présentée à New
York, est un bon compromis entre
sport et ville, toujours innovante.
Pour l’été 2015, ce sera la boxe, un
vestiaire mixte dans lequel un œil
exercé détecte de nombreuses pièces intéressantes et plausibles.
Mais la présentation très complexe
brouille le message. A ce stade, on
se demande en fait s’il ne faudrait
pas changer de formule, voire de
créateur, pour donner de l’air frais
et une vraie vie à cette ligne ? p
Carine Bizet