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LES MYSTERES DE L’IRIS
Texte d’une conférence donnée lors du congrès Centifolia de 1999 par Christian
Remy, décédé en février 2012, et mis à jour par son épouse, Monique Remy, qui a
fondé le Laboratoire Monique Remy en 1983 et l’a dirigé jusqu’en 2000.
Lorsqu’on prononce le mot « IRIS », la
première image qui vient à l’esprit est celle
de la fleur : simplicité et raffinement,
noblesse de la ligne et architecture unique !
C’est certainement une des plus belles
fleurs ornementales qui soient et sa
silhouette rend assez facile sa stylisation, ce
qui explique pourquoi elle a été si souvent
choisie comme motif de décoration. Ce
choix décoratif a amené la fleur d’iris à
servir d’emblème à la monarchie française.
Curieusement, cet emblème est nommé «
fleur de Lys ». D’après certains, cette
dénomination serait l’altération de « fleur
de Louis » puisqu’il s’agit des Bourbons.
Légende ou vérité ? En tout cas, d’après les
botanistes, pas de doute sur l’identification
de la fleur figurant sur le blason royal : c’est
un iris et non un lys.
La première représentation qui nous soit parvenue de la fleur d’iris remonte à 3 500 ans
avant Jésus-Christ. Il s’agit d’un hiéroglyphe sculpté dans la pierre sous le règne de
Thotmes III, pharaon égyptien. Détail intéressant : il accompagne la représentation d’un
groupe de plantes médicinales. Puis on en retrouve la représentation dans un palais
Crétois, 1 500 ans avant Jésus-Christ.
Beaucoup plus tard, environ 300 ans avant Jésus-Christ, le botaniste grec Théophraste
cite l’Iris dans sa classification des plantes (le nom « iris » vient d’ailleurs du grec, « iris,
iridos », qui signifie aussi arc-en-ciel . C’est également le nom de la messagère des dieux,
Iris). Mais il semble bien qu’il s’intéressait déjà au rhizome et non à la beauté de la fleur.
Plus tard, un autre Grec, Dioscoride, évoque l’utilité de l’iris pour éliminer les taches de
rousseur, soigner les ulcères, rajeunir la peau et favoriser le sommeil.
La liste serait trop longue des auteurs ayant cité l’iris jusqu’au botaniste français de
LECLUSE qui, grâce à ses descriptions, publiées en 1576, aida à l’identification des
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différentes espèces. C’est finalement l’incontournable LINNE qui publia, au milieu du
18ème siècle, un système de classification encore utilisé aujourd’hui par les botanistes.
Chacune des parties de l’iris est conçue pour une fonction bien précise : les pétales
dressés protègent les organes sexuels du soleil et des intempéries. Les sépales servent
de plate-forme aux insectes qui viennent polliniser les fleurs, en les attirant grâce à leurs
motifs colorés, en particulier les abeilles. Cette fécondation est difficile mais la nature
fait bien les choses puisqu’elle permet une multiplication facile par la division des
rhizomes.
La partie de cette plante qui intéresse la parfumerie est la racine, ou rhizome, dans
lequel réside tout le pouvoir de la plante.
L’aspect médicinal n’a maintenant qu’une
valeur historique. Son utilisation dans ce
domaine
est
devenue
pratiquement
anecdotique. On peut mentionner la recette
qui consiste à faire macérer de la poudre d’Iris
dans un vin quelconque pour en améliorer la
qualité. Le dosage est délicat mais le résultat
est probant.
Pour la culture de l’iris, il existe une multitude
d’espèces (plus de 200) et de variétés, surtout
depuis le développement de l’hybridation, au
début du XXème siècle. Quant à celles utilisées
en parfumerie, les traités sur le sujet ne font
mention que de trois espèces : GERMANICA,
FLORENTINA, PALLIDA. En réalité, les variétés
cultivées pour la parfumerie sont le PALLIDA
en Italie et, en bien moindre quantité, le
GERMANICA au Maroc.
Rhizomes d’iris
L’origine marocaine est cultivée sur les contreforts de l’Atlas. C’est une production
familiale, et tellement dispersée qu’il est difficile d’en évaluer l’importance avec
précision. Il y a eu des périodes de petite production, résultant d’un calme relatif du
marché, production de complément qui a connu un regain d’intérêt quand la production
italienne ne pouvait plus faire face à la demande ou quand les écarts de prix entre les
deux origines lui donnaient un nouvel attrait.
L’origine italienne ou Pallida est, bien sûr, celle qui nous intéresse en premier lieu. La
majorité de cette production est concentrée dans une zone formant un triangle entre
Florence, Sienne et Arezzo. On distingue ainsi trois zones, délimitées par la configuration
du terrain : la province de Florence, la province de Sienne et celle d’Arezzo. Les deux
premières sont également les régions de production du Chianti. Quant à la troisième, elle
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est séparée des deux autres par la vallée de l’Arno.
Nous sommes donc en pleine Toscane, région chargée d’histoire et riche de trésors
artistiques, et aussi en pleine zone viticole du Chianti, où l’olivier le dispute à la vigne. En
fait, l’iris est quelque peu complémentaire de la vigne. Comme elle, il se plaît dans des
terres pauvres, caillouteuses et pentues. En outre, la vigne accaparant les versants les
mieux exposés, l’iris se contentera des moins favorables. La culture est familiale. La
pente des terrains et la dimension des parcelles interdisent la mécanisation. La seule
concession à cette mécanisation est, dans certains cas, l’utilisation d’une charrue pour
l’arrachage des rhizomes.
Plantation d’iris dans le Var
L’iris est une plante peu exigeante. La
culture en est simple et peu
astreignante. La plantation se fait,
généralement, à l’entrée de l’automne,
et on se contente ensuite de la pluie du
ciel et d’un sarclage au printemps. Mais
les choses se bousculent et se
compliquent lorsque, après un séjour
de trois ans en terre, on l’arrache en
juillet-août. Le gros du travail
commence :
L’arrachage : arracher des rhizomes à une terre où ils ont séjourné trois ans n’est pas
toujours aisé, même s’ils ne descendent guère à plus de 10 cm de profondeur.
Le traitement : lavage, ébarbage des multiples radicelles, nouveau lavage, découpage en
tranches pour les racines non décortiquées, séchage en plein air, au soleil, pendant 10
jours et plus, en prenant soin de les protéger de la pluie, et puis enfin long stockage dans
des locaux bien aérés.
On voit donc que, durant cette période d’été finissant, le travail des racines devient très
contraignant et ne peut être remis à plus tard. C’est pourquoi une exploitation familiale
ne cultivera finalement que ce qui pourra être traité par la main-d’œuvre dont elle
dispose, dans un laps de temps de deux mois environ.
Le séchage dure en principe trois ans afin de libérer les précieux Irones contenus dans
la racine. Il existe maintenant des méthodes de vieillissement accéléré qui permettent
de réduire à six mois ce temps de séchage avant broyage en poudre.
La commercialisation des racines brutes plus ou moins âgées ne se fera pas par les
petits producteurs, comme c’est le cas pour la plupart des végétaux, mais par un circuit
de collecte, un réseau de ramasseurs ou une coopérative qui a pour vocation de réguler
autant que possible le marché. La demande connaît des cycles, et la production aussi,
mais ces deux cycles sont rarement en phase ! D’ailleurs, comment mettre en phase une
production qui reste trois ans en terre et qui nécessite en général trois ans de
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vieillissement (soit 6 ans en tout) et une demande qui se manifeste de façon
intempestive, anarchique et imprévisible ?
Le schéma est classique : forte demande, hausse des cours, plantation importante, retour
au calme de la demande, pléthore de production quelques années plus tard et, donc,
effondrement des cours. Nous le savons, ce n’est pas un schéma propre aux seules
racines d’Iris. A ce petit jeu, les bonnes volontés s’épuisent. La main-d’œuvre
vieillissante se renouvelle mal et le dérèglement ne fait que s’intensifier. Le palliatif est
sans doute dans la régulation des cultures. Mais comment réguler une production
répartie sur quelques centaines d’exploitants ?
Une solution nous a semblé être que les transformateurs s’engagent (à défaut des
utilisateurs)… et qu’ils prennent des risques. D’ailleurs, notre métier ne se conçoit pas
sans une prise de risques. C’est la voie que nous avons choisie, dans notre société, en
nous engageant sur des « contrats de culture » de plusieurs années et en développant la
mécanisation.
Il ne s’agit pas, bien sûr, de se substituer à 100% à la
production italienne, mais d’obtenir une production
complémentaire permettant de combler les périodes de
manque et de maintenir une relative constance des prix car
les variations, sur un produit déjà cher au départ (environ 10
000€/kg pour le beurre d’iris à 15% en 2013), compte tenu
du faible rendement des racines, ont certainement été dans le
passé un facteur déterminant dans la désaffection manifestée
par les parfumeurs à l’égard des produits de l’Iris.
Bien sûr, malgré de telles situations, les agriculteurs ne
stoppent pas pour autant les cultures ! Ils en ont vu
d’autres... !
Iris Gris de
Jacques Fath (1947)
Voilà qui illustre bien l’un des aspects de la difficulté du « métier de la matière
première », mais c’est certainement aussi cette difficulté qui lui donne une partie de son
attrait
La transformation ou traitement :
Le rhizome, après s’être développé trois ans en terre, ou trois ans à l’air libre, ou plus
vite par des méthodes d’accélération du vieillissement, est arrivé à sa condition optimale
pour être transformé. Il aura pendant ce temps développé au mieux ses principes actifs.
Il sera alors broyé et transformé en une fine poudre. Deux traitements peuvent ensuite
être pratiqués : soit l’entraînement à la vapeur d’eau qui conduit à l’huile essentielle,
désignée sous le nom de « beurre d’Iris » en raison de son aspect pâteux, dû à la
présence importante d’acide myristique, soit l’extraction par un solvant qui conduit au
résinoïde.
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Le beurre d’Iris est obtenu par distillation des rhizomes et le rendement est d’environ
2‰ (il faut 500kg de racines pour obtenir 1kg de beurre d’iris). Sa qualité est jugée sur
sa teneur en Irones libres, qui se situe aux environs de 20%. Donc, 20% par rapport au
beurre, qui lui-même a rendu 2‰ par rapport aux racines cela constitue finalement un
rendement de 0.4‰ des irones par rapport aux racines. La répartition entre les 4 irones
majoritaires permet, elle, d’identifier la zone d’origine des racines, le plus souvent, nous
l’avons vu, pallida ou germanica. Mais le beurre d’Iris peut n’être qu’une étape de la
transformation car la parfumerie fine exige souvent un produit plus sophistiqué. Divers
procédés permettent alors d’éliminer l’acide myristique, responsable de l’aspect
« beurre » du produit, et d’obtenir une absolue pouvant contenir de 60 à 80% d’irone.
Le résinoïde est obtenu le plus souvent par
extraction avec un solvant apolaire (par exemple,
l’héxane). L’extrait est alors transformé en absolue de
manière classique afin de le rendre soluble pour
l’utilisateur. Le rendement de cette absolue est de
l’ordre de 3 à 5 % et sa teneur en Irone de 1%
environ. Elle peut aussi être obtenue par extraction
directe à l’éthanol mais sa solubilité en sera diminuée.
Quant aux utilisations qui sont faites de ces produits
de l’iris, qu’ils soient BEURRE, ABSOLUE ou
RESINOIDE, parfumeurs et aromaticiens les
Ivoire de Balmain (1980)
connaissent bien.
Dans le domaine des arômes alimentaires, la consommation est loin d’être négligeable et
c’est le résinoïde qui est le plus souvent utilisé.
Pour l’utilisation en parfumerie, on peut citer quelques noms de parfums prestigieux :
Après l’Ondée de Guerlain (1906), L’Heure bleue de
Guerlain (1912), Iris gris de Jacques Fath (1947), Y
de Yves Saint Laurent (1964), Calandre de Paco
Rabanne (1969), Chanel N° 19 de Chanel (1970),
Amazone de Hermès (1974), First de Van Cleef &
Arpels (1976), Silences de Jacomo (1978), Ivoire de
Balmain (1980), Armani de Armani (1982), Balahé
de Léonard (1983), Beautiful d’Estée Lauder
(1986), 24 Faubourg de Hermès (1995), Hiris de
Hermès (1999), Arpège pour Homme de Lanvin
(2005), Infusion d’Iris de Prada (2007), etc…
Infusion d’Iris de Prada (2007)
L’iris est l’une des rares plantes à être aussi célèbre pour la splendeur de sa fleur que
pour la richesse olfactive de sa racine. Comme la messagère des dieux qui porte le même
nom, elle semble allier la beauté et l’esprit et mettre en contact la terre et le ciel.
Christian / Monique Remy.
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