Coryciana - Education.lu

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Coryciana - Education.lu
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Les « Coryciana » : texte et contexte.
Janus Corycius – sa vie et « son » œuvre,
avec une traduction et un commentaire d’extraits choisis
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Le candidat déclare avoir réalisé ce travail par ses propres moyens.
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KEILEN Lydia
Candidat au Lycée Classique Athénée de Luxembourg
Les « Coryciana » : texte et contexte.
Janus Corycius – sa vie et « son » œuvre,
avec une traduction et un commentaire d’extraits choisis
Athénée de Luxembourg, 2011
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Résumé
Les « Coryciana » : texte et contexte.
Janus Corycius – sa vie et « son » œuvre,
avec une traduction et un commentaire d’extraits choisis
1. Objectifs de la recherche
-
Présentation d’un recueil de poésies en langue latine de la 1ère moitié du XVIe
siècle (1524), les Coryciana
-
Présentation de l’homme auquel on le doit, Janus Corycius, ainsi que de ses
contacts religieux et poétiques
-
Présentation de l’édition moderne réalisée par Jozef IJsewijn (1997)
-
Traduction et commentaire d’extraits choisis
2. Méthodes à mettre en œuvre
-
Recherches littéraires, poétiques, lexicales et historiques
-
Traduction et commentaire de textes latins
3. Résultats escomptés
-
Présenter et rendre accessible le recueil des Coryciana au public francophone
intéressé
-
Aboutir sur un travail de recherche apte à mener à un projet de traduction
commentée de l’ensemble du recueil des Coryciana dans le cadre d’une thèse
de doctorat
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Protinus aerii mellis caelestia dona
Exsequar : hanc etiam, Maecenas, adspice partem.
Admiranda tibi levium spectacula rerum,
Magnanimosque duces totiusque ordine gentis
Mores et studia et populos et proelia dicam.
In tenui labor ; at tenuis non gloria, si quem
!umina laeva sinunt auditque vocatus Apollo.
« Je continuerai à chanter le miel aérien, présent céleste :
regarde encore, Mécène, de ce côté. Je t’offrirai un spectacle admirable
de petits objets : je te dirai les chefs magnanimes, et pour la nation tout
entière, j’évoquerai les mœurs, les passions, les peuples, les combats.
Mince est le sujet, mais mince n’est pas la gloire, si des divinités
jalouses le permettent et si Apollon exauce ses vœux. »1
1
Virg., Géorg., IV, 1-7. Texte établi par Maurice Rat : Virgile, Les Bucoliques et les Géorgiques, Classiques
Garnier, Paris, 1953.
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Préambule
Au début du livre IV des Géorgiques, Virgile propose à Mécène, dédicataire de l’œuvre, de
s’intéresser encore avec lui à une occupation spécifique de l’homme qui cultive la nature,
l’apiculture : « Je t’offrirai un spectacle admirable de petits objets : je te dirai les chefs
magnanimes, et pour la nation tout entière, j’évoquerai les mœurs, les passions, les peuples,
les combats. Mince est le sujet, mais mince n’est pas la gloire ». Par l’intermédiaire de « petits
objets », ou poèmes, sera proposée dans le présent travail, la « nation tout entière », ou foule,
des poètes qui collaborèrent à faire naître les Coryciana sous les regards changeants de
« chefs magnanimes », séculaires et ecclésiastiques, seront proposées leurs « mœurs » et
« passions » face au sujet abordé. « Mince » d’ailleurs, et peu varié – tous les poèmes ont une
source d’inspiration commune –, mais « élaboré est le sujet », accordant aux poètes impliqués,
issus de nations bien diverses, une gloire non négligeable ! Sans dire que les Coryciana
soient, comme « le miel aérien », un « présent céleste », un doux agrément, qui bourdonnera
doucement dans les oreilles de nos lecteurs, nous en montrerons les qualités non negligeables
dans le présent travail.
Afin que le lecteur francophone puisse avoir accès et s’intéresser davantage à une œuvre de la
littérature latine du XVIe siècle, peu connue jusqu’à présent, ce travail cherche à présenter un
recueil de poèmes que l’on doit au Luxembourgeois Johann Goritz, dont le nom apparaît
presque exclusivement sous sa forme latinisée, Janus Corycius2. Paru à Rome en 1524, ce
recueil est intitulé d’après les nombreux poèmes et chants rédigés pour et offerts à son
dédicataire Corycius, les Coryciana.
Ce travail présentera la traduction et un commentaire de poèmes choisis des Coryciana, ce qui
n’est pas possible sans avoir donné, au préalable, des précisions au sujet de l’instigateur de
cette œuvre, Corycius lui-même. Par ailleurs, nous éclaircirons le contenu des Coryciana,
rappellerons les conditions dans lesquelles ce recueil a vu le jour, et présenterons deux poètes
qui collaborèrent à sa rédaction et à sa parution. Ce faisant, nous essayerons de définir ses
éventuels modèles ou sources d’inspiration et parlerons, si possible, de son impact sur la
postérité.
2
En ce qui concerne la dénomination des auteurs des Coryciana, nous avons, en général, opté pour le nom
« italianisé » du moment que l’auteur ou bien était originaire d’une ville ou région d’Italie, ou bien était mieux
connu sous ce nom, tandis que nous avons gardé le nom latinisé pour les auteurs « étrangers » et les auteurs
moins connus.
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Le texte de référence et l’outil de travail le plus précieux pour ce projet de traduction, de
commentaire et de biographie est l’édition critique remarquable élaborée par Jozef IJsewijn et
parue à Rome en 1997 chez la maison d’édition Herder. En plus d’être un outil indispensable
tant pour l’établissement du texte – et les leçons relevées dans l’apparat critique –, que pour
les renvois aux auteurs classiques, cette édition nous a également servi de point de départ pour
fournir la version la plus actuelle, et aussi exhaustive que possible, des connaissances dont
nous disposons au sujet du dédicataire, de sa vie, de son époque et des hommes qu’il
rassemblait autour de lui.
Dans un premier temps, nous présenterons ainsi les contextes historico-politique et religieux
de l’œuvre, afin de mieux cerner la vie et l’œuvre de l’instigateur des Coryciana, Janus
Corycius, ainsi que différents aspects de sa personnalité. Nous pourrons ainsi également
mieux cerner la vie et l’œuvre de certains hommes de son entourage et de plusieurs auteurs de
l’œuvre - notamment Blosio Palladio ou Biagio Pallai, auteur de la dédicace de l’editio
princeps et, pour ainsi dire, son géniteur, et Caius Silvanus Germanicus, un des poètes qui
sont représentés par un grand nombre de poèmes dans les Coryciana. Nous préciserons ainsi
les différents points de vue que leurs témoignages suggèrent, afin de compléter le portrait du
dédicataire et de « son » œuvre.
Dans un deuxième temps, nous présenterons et commenterons l’édition d’IJsewijn en nous
intéressant à l’édition elle-même, ainsi qu’à la tradition manuscrite et l’établissement du texte
qu’elle propose. En nous basant sur cette édition, nous traduirons et commenterons ensuite
des poèmes choisis des Coryciana, tout en motivant le choix de ces poèmes et en présentant
les différents personnages, sources et auteurs qu’ils mettent en scène et appellent.
En guise de conclusion, nous ferons une « ouverture » du sujet. Après avoir rappelé les étapes
que nous aurons atteintes, et signalé les questions auxquelles nous ne pourrons pas encore
répondre de manière satisfaisante, nous donnerons un aperçu des étapes prévues pour la suite
de notre projet de traduction commentée.
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Introduction : Rome au tournant du XVIe siècle
« Der älteste römische Musenalmanach » selon Ludwig Geiger3, les Coryciana connurent un
renouveau d’importance certain à la fin du XIXe siècle. Cette importance n’est certainement
pas sans actualité de nos jours, aux yeux de tous ceux qui s’intéressent à la vie culturelle et
poétique à Rome de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, comme le montrent les
nombreuses références à cette œuvre depuis la fin du XIXe siècle.
En effet, quelle est cette Rome des années 1500 ? Est-ce une époque spécialement favorable
au développement de la vie culturelle et poétique ? Une époque propice à faire naître un
recueil poétique tel que les Coryciana ? Quels sont les événements et les rencontres sans
lesquels ce recueil n’aurait pas vu le jour ? Comment la ville accueillait-elle poètes et hommes
de lettres pour que des échantillons de leurs talents soient réunis par un des leurs dans un
ouvrage d’envergure tel que les Coryciana, qui ne rassemblent pas moins de quatre cents
textes rédigés par à peu près cent trente poètes ?
Dans l’Europe de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, les contextes politique et religieux
ne garantissaient certainement pas un essor culturel commun, et suscitaient, bien au contraire,
des tendances diverses à tous les niveaux, politique, religieux et culturel, dans les villes-états
d’Italie et les pays prédominants. En Italie même, les cités et royaumes perdaient un à un leur
autonomie, pour ne plus constituer que des « instruments » des grands pouvoirs. Au contraire,
si les rois de France, d’Angleterre et d’Espagne cherchaient à s’emparer également de la
domination de Rome, en revanche la Curie et le Pape se firent dès lors des champions de la
politique internationale, afin d’assurer à la ville éternelle une certaine prédominance
politique4. Ce mélange des pouvoirs – qui allait vite devenir une confusion des pouvoirs –,
n’éveillait certainement pas toujours de la bienveillance à l’égard de la papauté, comme
André Chastel le résume dans son œuvre sur le sac de Rome :
3
L. Geiger, « Der älteste römische Musenalmanach » in Vorträge und Versuche, Beiträge zur LiteraturGeschichte, Dresden, 1890, p. 63-87.
4
Cf. P. Partner, Renaissance Rome 1500-1559. A Portrait of a Society, University of California Press, Berkeley,
Los Angeles, London, 1976, p. 26, qui va jusqu’à dire que « Rome devint les poumons, quoique malades, à
travers lesquels l’Italie respirait ». Néanmoins, on assistait déjà aux préliminaires de la réduction du pouvoir
papal à la seule domination de l’Etat pontifical.
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« Dans la monarchie centralisée de l’Eglise, l’administration risquait toujours, selon les
cas, de décevoir, d’irriter, de scandaliser, quand on avait affaire à l’énorme machine de la
Curie.
Il y avait surtout quelque chose de dangereux et d’absurde dans le récent développement
de la politique territoriale et militaire de la papauté ; Léon X et Clément VII avaient
hérité de la situation en vedette mais aventureuse créée par Jules II. Au respect dû au
Pape se mêlait irrésistiblement l’admiration ou la suspicion que s’attirait le chef de l’Etat
romain »5.
Néanmoins, la politique de Léon X avait beau être ambiguë et non sans dommage pour la
communauté chrétienne, en raison de décisions souvent très, voire trop séculaires6, le pape
lui-même s’est assuré une place digne d’être mentionnée dans les domaines de la culture, de
la science et de l’art7. En effet, les choix politiques de Léon X n’ont souvent pas fait preuve
d’une prise de position, encore moins d’une décision bien précise au sein de la politique
« européenne » de l’époque, et, par ailleurs, ses hésitations au sujet de la question luthérienne
n’ont pas contribué à endiguer cette volonté d’innovation religieuse et ecclésiastique, de plus
en plus présente, en Allemagne et ailleurs en Europe8. Cependant, en ce qui concerne les arts,
comme la famille des Médicis en avait la tradition et la renommée, Jean de Médicis lui aussi
veillait à la propagation des arts et au soutien des milieux culturels et artistiques en Italie, et se
montrait avide de tout nouveau témoignage de talent poétique9. Ainsi, sous son pontificat,
« période de zénith de la Renaissance »10, de nombreux poètes ou amateurs de poésie purent
accéder à une gloire plus ou moins durable, d’autant plus que les publications des premières
5
A. Chastel, The Sack of Rome, 1527, Princeton University Press, 1977, et sa traduction française, Le sac de
Rome, 1527, Gallimard, Paris, 1984, p. 10.
6
Les hésitations, voire les attitudes changeantes en ce qui concerne le ralliement politique de Léon X, sa prise de
position tardive dans la question des Indulgences, ainsi que dans le débat de la Réforme, contribuèrent
certainement à une perte d’autorité, aussi bien au sein de la communauté chrétienne qu’aux yeux des dirigeants
étrangers, et furent ainsi les indéniables indicateurs d’un pouvoir papal de plus en plus réduit. Cf. M. Creighton,
A History of the Papacy from the Great Schism to the Sack of Rome, Volume 6, London, 1897 (Nabu Public
Domain Reprints, 2010), pp. 61-213 : le pontificat de Léon X des points de vue ecclésiastiques, politiques et
culturels.
7
L. Geiger, op. cit., p. 66 : « Mag Leo durch seine doppelzüngige Politik viel verschuldet, durch seine
Genusssucht Manches in seinem Staat und in der gesamten Christenheit geschädigt haben : durch seine
Bildungsfähigkeit und sein Bildungsbedürfnis, durch sein feines, tief eindringendes Verständnis für
Wissenschaft und Kunst weit mehr als durch spezielle Unterstützung, die er den Einzelnen zu theil werden liess,
hat er sich einen unvergänglichen Platz in der Geschichte des Geistes erworben. »
8
Pour le contexte général de la politique papale à Rome au début du XVIe siècle, cf. également P. Partner,
« Rome and Papal Policy, 1513-1559 », in op. cit., pp. 25-46.
9
G. Ellinger, Geschichte der neulateinischen Literatur Deutschlands im sechzehnten Jahrhundert, I. Italien und
der deutsche Humanismus in der neulateinischen Lyrik, Walter de Gruyter & Co, Berlin & Leipzig, 1929, p. 196,
va même jusqu’à affirmer que la poésie latine n’était point pour lui une occupation superficielle ou d’amateur,
mais que le plaisir dérivé de la lecture de beaux poèmes latins comptait plutôt parmi ses besoins vitaux.
10
Ibid., p. 66 : « die Zeit der Sonnenhöhe der Renaissance ».
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10
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maisons d’éditions italiennes11 firent preuve d’une volonté accrue, non seulement des Italiens
eux-mêmes – entendons Florentins et Vénitiens, notamment –, mais aussi des étrangers qui
avaient établi leur résidence en Italie, de diffuser leurs connaissances, littéraires, poétiques ou
religieuses, au-delà des cercles d’amis ou de proches, voire au-delà des frontières des
différents États italiens12. Indépendamment de l’origine des amateurs d’art, des poètes et des
artistes tout court, Léon X parvint à les attirer à Rome, qui devint ainsi la seconde patrie de
nombreux artistes étrangers et s’imposa comme capitale humaniste. Malgré les difficiles fairevaloir et contrats-promesses politiques du souverain papal d’un côté, le luxe et la pompe
superflus des cérémonies religieuses du Médicis de l’autre13, le pontificat de Léon X fut
comparé à un nouveau siècle d’or, un siècle augustéen faisant renaître arts et cultures, où le
mécénat jouait un rôle certain dans l’épanouissement artistique et culturel14.
11
Outre la célèbre maison d’édition d’Alde Manuce à Venise, capitale de l’imprimerie au tournant du XVe
siècle, d’autres éditeurs commençaient à être renommés non seulement en Italie, à Padoue et à Rome, en
l’occurrence, mais aussi à Paris, à Lyon ou à Francfort, cf. Lowry, M., Le monde d’Alde Manuce. Imprimeurs,
hommes d’affaires et intellectuels dans la Venise de la Renaissance, trad. de l’anglais par S. Mooney et F.
Dupuigrenet Desroussilles, Promodis / Editions du Cercle de la Librairie, Paris, 1989, pp. 15-56 : « Hommes
d’affaires et intellectuels ».
12
Cf. les réflexions de Martina Hansmann au sujet de la continuité culturelle, d’un côté, et de la reprise
culturelle, de l’autre qui, à Florence, à partir du début du XVe siècle, se manifeste dans le cadre d’une volonté de
propagande culturelle : « Dante – Petrarca – Boccaccio : Die Dichter der Stadt Florenz als Gegenstand
öffentlicher Selbstdarstellung », in Müller Hofstede, J. (Hrsg.), Florenz in der Frührenaissance, Kunst-LiteraturEpistolographie in der Sphäre des Humanismus ; Gedenkschrift für P. O. Kristeller (1905-1999), CMZ,
Rheinbach, 2002, pp. 109-130.
13
Cf. A. Chastel, op. cit., pp. 75-120 : « Rome-Babylone ». On peut ajouter ici le témoignage de Raffaele
Maffei, - son frère, Mario Maffei de Volaterra, est représenté par quelques poèmes dans les Coryciana -, qui,
dans son De Institutione Christiana, revendique six sujets auxquels le pape, en tant que seule personne non
corrompue et incorruptible, devrait s’intéresser davantage, dans le but de les améliorer : le soin de Rome et de la
Curie, la réforme du clergé séculaire, l’amélioration du clergé religieux, la relecture et l’authentification des
textes religieux, la revitalisation du gouvernement civil et ecclésiastique et la restauration de la paix au sein de la
Chrétienneté (cité par J. F. D’Amico, Renaissance Humanism in Papal Rome. Humanists and Churchmen on the
Eve of the Reformation, John Hopkins University Press, Baltimore and London, 1983, p. 223).
14
Cf., i. a., la description heureuse d’A. Lesen, « Blosio Palladio Sabino e il cenacolo letterario di Giano
Goritz », in Terra Sabina, IV, 1926, n. 2, pp. 37-42 : « Il secolo di Leone X o per meglio dire, gli anni del
pontificato del Papa Mediceo furono l’età felice per i letterati che si raccoglievano nella casa dei munifici
protettori o all’ombra di folti boschi o fra le rovine ancora esistenti in gran numero della antica grandezza, ed ivi
passavano i giorni ed una parte anche della notte quasi in tornate accademiche, proponendo erudite questioni, o
recitando poesie, o trattenendosi in sereni ragionamenti e scherzi piacere voli. » Cf. également les dires de
Gregorovius, « Die Dichter am Hofe Leos X. », in Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter, in Werke, Paul
Aretz GmbH Verlag, Berlin, p. 235 : « […] zur Zeit Leos widmete man den Dichtern bereits selbstständige
Bearbeitungen. So schrieb ein in Rom lebender Arzt, Francesco Arsilli von Sinigaglia, ein Literaturgedicht »Von
den Stadtpoeten«. Es enthält eine epigrammatische Reihe von über hundert Porträts von Zeitgenossen, die den
Parnaß Leos belebten . […] Es gibt aber auch einen ersten römischen Musenalmanach, die »Coryciana«, das
liebsenswürdigste literarische Denkmal der Zeit Leos X. ».
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Il va de soi que cet essor culturel, perçu comme tel par les contemporains de Léon X, l’était
davantage par ceux qui pouvaient le comparer au pontificat suivant, aux années de
« domination étrangère », sous Adrien VI (1522-1523), avant qu’un autre Médicis, le Cardinal
Giulio de’ Medici, ne soit couronné Pape Clément VII en novembre 1523 (1523-1534), à un
moment où les profondes rivalités ecclésiastiques et politiques n’accordèrent point leur place
méritée aux arts et cultures, même sous un pape italien et Médicis.
Or, selon les dires très élogieux de Silvanus Germanicus, un des poètes « publiés » par le
recueil des Coryciana, même le pape Adrien VI, un étranger aux Romains par son origine
néerlandaise et son attitude réaliste15, contribua à la prospérité religieuse qui, grâce à une
politique de réorientation vers un culte authentique et sincère, non négociable, ni par l’argent
ni par le statut social, se reflétait non seulement dans la construction d’édifices religieux
somptueux, mais aussi dans la reconstruction de la foi religieuse16. En principe donc,
l’expression sincère et régulière de la foi religieuse ne pouvait pas être contestée dans la
cérémonie et les honneurs annuels que Janus Corycius et ses amis rendaient à l’aïeule du
Christ, à Sainte Anne, devant les statues de celle-ci, de la Vierge et de Jésus-Christ dans
l’Eglise Sant’Agostino à Rome. Néanmoins, l’orientation religieuse d’Adrien ne fut pas telle
que le pape favorisât des fêtes certes dédiées à des Saint(e)s chrétien(ne)s, mais qui
témoignaient également, par les propos tenus et les poèmes rédigés à l’occasion, d’une
profonde vénération de la culture classique des Anciens. En général, – et les mots de Silvanus
Germanicus semblent alors bien plus dus à la captatio benevolentiae qu’à une impression
vécue –, la situation des lettrés sous Adrien VI ne parut guère aisée.
15
M. Creighton, op. cit., pp. 214-273.
Coryciana, éd. IJsewijn, 398, vv. 81-92, p. 332 :
Divino Hadrianus favore Sextus
Terrarum imperii regens habenas,
Pulvo saecula transfigurat auro.
Mira mole deis struuntur aedes,
Quas centum et totidem ferent columnae,
Nec sat esse putat novare templa
Sumptu regifico et labore grandi,
Sincerum revocat Deorum honorem.
Legum nulla potest severitatem
Arca vincere, nec favor genusve
Iura flectere, sed pari statera
Pendet iustitiae fides utrinque.
Cf. infra : II. 2. c. 2. Commentaire (du poème 398) pour la traduction intégrale ainsi que le commentaire de ce
poème.
16
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12
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Selon Chastel, « ils dépendent du pouvoir, ils tentent de se concilier les princes et les
pontifes », sans toujours avoir du succès, et le pontificat « antihumaniste » d’Adrien est vu
comme « l’intrusion violente de l’inculture et de l’erreur dans le monde romain »17. Julia Haig
Gaisser cite dans ce même contexte le De litteratorum infelicitate de Pierio Valeriano, poète
contemporain de Corycius18. Comme Valeriano insiste justement sur la condition de
dépendance des litterati et de leur place ambiguë dans la société, Gaisser affirme que, selon
les dires de ce contemporain, Adrien faisait même preuve d’une répulsion spécifique des
poètes et de toutes leurs œuvres :
« « … ecce adest [Hadrianus] Musarum, et eloquentiae totiusque nitoris hostis acerrimus,
qui litteratis omnibus, inimicitatis minitaretur… » et « … Dei beneficio altero Imperii
anno decessit, qui si aliquanto diutius vixisset, Gottica illa tempora adversus bonas
litteras videbatur suscitaturus »19.
L’auteure plaint ainsi la fête annuelle de Corycius comme « victime du puritanisme sans joie
du Pape »20. Aux yeux d’Adrien VI, cette fête était l’expression d’une mauvaise foi, trop
inspirée des Anciens et par là-même contraire aux exigences strictes du pape, selon un autre
contemporain, Paolo Giovio :
« Suspecta enim habebat poetarum ingenia utpote qui minus syncero animo de Christiana
religione sentire, et damnata falsissimorum Deorum nomina ad veterum imitationem
studiose celebrare dicerentur »21.
Francesco Berni va encore plus loin et attaque de sa verve satirique la Cour d’Adrien,
constituée tout entière d’étrangers, selon lui, non seulement d’étrangers à la nation romaine,
mais aussi d’étrangers à la langue et à la culture romaines22.
17
A. Chastel. op. cit., pp. 175 et 195.
J. H. Gaisser, « The Rise and Fall of Goritz’s Feasts », in Renaissance Quarterly 48 (1995), pp. 41-57.
19
P. Valeriano, De litteratorum infelicitate, éd. Genève, 1822, p. 69-70.
20
J. H. Gaisser, op. cit., p. 54 : « Goritz’s celebration was surely a casualty of the pope’s joyless puritanism. »
21
P. Giovio, « Vita Hadriani Sexti », in De Vita Leonis Decimi Pont. Max., Florence, 1551, II, 144-15, cité par J.
H. Gaisser, op. cit., p. 52, n. 40.
22
F. Berni, Capitolo di Papa Adriano 31-36, in Poesie et Prose. Ed. Ezio Chiòrboli. Genève et Florence, 1934,
p. 62-69, cité par J. H. Gaisser, op. cit., p. 52, n. 41 :
« Ecce che personaggi, ecco che corte,
Che brigate galanti cortegiane … ».
Nous reviendrons plus loin sur cette citation, témoignant d’une attitude très négative envers Corycius en tant
qu’homme de la Cour d’Adrien VI : cf. infra : I. 1. f. Hostilités et jalousies diverses.
18
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13
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Rappelons dans ce contexte que la satire a toujours fait partie de la culture proprement
romaine et a pu être considérée comme l’expression d’une sorte d’autocritique, aussi bien aux
niveaux politique et religieux qu’au niveau intellectuel. A cet effet, mentionnons brièvement
une coutume typiquement romaine, datée de la papauté de Jules II : dans le double but
d’honorer la divinité ancienne Pasquino et de s’exprimer librement au sujet des circonstances
politiques et sociales, la pratique d’attacher des phrases satiriques à la statue du Pasquino non
loin de la Piazza Navona, fait preuve d’une volonté certaine des contemporains à ne pas tout
passer sous silence, mais, au contraire, à critiquer les défauts de la société23. Visiblement, la
plupart des contemporains étaient conscients de ce que l’atmosphère générale sous Adrien VI,
contrairement au pontificat de Léon X, était peu propice à un véritable apanage culturel au
sein duquel Rome aurait accueilli hommes de lettres et intellectuels de l’Europe tout entière.
Enfin, un seul poème des Coryciana mentionne le successeur d’Adrien VI, Clément VII
(1523-1534). Cette mention unique est certainement due au fait que la date de parution de
l’editio princeps du recueil, juillet 1524, était très proche de l’entrée en fonction du nouveau
pape Médicis, le 26 novembre 152324. Voici la notice d’entrée de cette édition, mentionnant
justement le pape Clément VII comme celui qui se chargerait de punir toute (ré-)édition non
autorisée, suivie de la datation et de la provenance de l’édition :
23
A. Chastel, op. cit., p. 11 et P. Partner, op. cit., p. 202 : « Rome had its own place in the 16th-century literature
of disillusion and satire. As in some other things, the antiquity of Roman tradition made Renaissance Italy seem
callow. Satire on the abuses said to surround the Roman bishop goes back at least to the ninth Christian century,
to which the “Invectiva in Romam” belongs. Satire on the Roman court is to be found in almost all the more
important Italian writers of the early Cinquecento, and not only in the savage Aretino but also in the mild
Ariosto. But there was also an internal tradition of Roman satire, which was influential on Aretino and on many
other writers. Adjoining the palace of Cardinal Oliviero Carafa in Parione was a battered ancient statue known to
the Romans as “Pasquino”. Under Julius II the statue was annually decorated with hangings to which humanist
poets attached verses in Latin or Italian … soon recipient of the mordant political lampoons which the Romans
had at least since Sixtus IV’s time delighted to compose against unpopular members of the papal government, or
even against the pope himself. The humanist tradition of the Neo-Latin epigram combined, in the pasquinade,
with the vernacular late medieval tradition of the political lampoon. […] The aim of the pasquinade was biting
abuse; libelous obscenity was Pasquino’s stock-in-trade. The model of the Neo-Latin pasquinade was Martial.
But the vernacular writers could allow their fantasy to roam ». La pratique même d’attacher des poèmes à une
statue en vue de s’exprimer sur un sujet défini rappelle évidemment celle des poètes coryciens qui, en attachant
leurs poèmes à la statue de Sainte Anne, de la Vierge et de l’Enfant, témoignaient de leur reconnaissance aussi
bien envers ceux-ci qu’envers Corycius.
24
Coryciana, éd. IJsewijn, 399, vv. 17-18, p. 335 :
« Ista pater statuat Clemens, cui cymba tuenda est
Sacra, procellosis eruta cymba vadis. »
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Le Sacco di Roma, l’événement majeur dont le pontificat de Clément VII restera marqué et
pour l’occasionnement duquel celui-ci sera souvent jugé seul coupable25, ne fut point un
événement inattendu, mais il refléta sans aucun doute l’ambiance – dégradée – générale de
l’époque, du point de vue religieux aussi bien que des points de vue social et culturel. Dans
une lettre à Jacques Sadolet, Erasme peint à merveille la portée – de loin plus que locale –, du
Sac de Rome :
« Nous voyons Rome en proie à des occupants plus cruels que ne l’ont été autrefois les
Gaulois ou plus tard les Goths […] Barbarie inouïe ! La sauvagerie des Scythes, des
Quades, des Vandales, des Huns ou des Goths fut-elle jamais assez grande pour les pousser,
non contents de piller toutes les richesses, à brûler encore les livres, chose sacrée ? […] la
catastrophe qui s’est abattue sur Rome s’est abattue sur toutes les nations car elle n’était pas
seulement la citadelle de la religion chrétienne, la nourrice des intelligences et pour ainsi
25
Rappelons que les troupes de Charles V ne sont entrées dans Rome qu’après la rupture de Clément VII avec
l’empereur, en faveur de la Ligue de Cognac, pro-française. Kenneth Gouwens, Remembering the Renaissance,
Humanist !arratives of the Sack of Rome, Brill, Leiden, Boston, Köln, 1998, p. XIX dit même : « The event
served as the coup de grâce (sic) for Clement VII’s foreign policy, which had taken as its chief aim preventing
either Spain or France from gaining dominance over the Italian peninsula. » Il mentionne par ailleurs un
contemporain, Pietro Alcionio, qui, dans ses Discours sur le Sac de Rome, exprime la conviction que la politique
trop armée, et trop peu spirituelle de Clément VII a inévitablemenet entraîné la catastophe : « qui < i. e., Deus >,
ut mea fert opinio, carcere orbitate rerum carissimarum tantisque malis te conflictari voluit ut certo scires
liberalitatem ac innocentiam fidissimam tui custodiam futuram fuisse, non arma. Illarum enim virtutum praesidio
nullos saltem barbaros (ut de aliis sileam), hostes habuisses, et si quando habuisses illis tandem venerationi
fuisses. Armorum fiducia immanissimos barbaros lacessisti, quibus tandem praedae ac ludibrio fuisti » (BAV
Vat. Lat. 3436 40r, cité par K. Gouwens, op. cit., p. 49.
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15
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dire la demeure la plus tranquille des Muses, mais encore la mère commune de tous les
peuples. […] Cela fut assurément une catastrophe internationale, pas seulement
nationale 26. »
Le climat politique et les dissonances religieuses faisaient preuve d’une volonté accrue, non
seulement des Espagnols et des Anglais, mais aussi des Luthériens, de transformer
profondément l’Italie et l’Europe aux niveaux politique et religieux27. Nul ne pouvait alors
échapper au désordre collectif qui régnait à Rome28. Néanmoins, grâce aux témoignages des
poètes eux-mêmes, on peut affirmer que le pontificat de Clément VII, tout comme celui du
Médicis précédent, Léon X, était de nouveau plus favorable aux intellectuels et aux artistes
que ne l’avait été Adrien VI dans les années intermédiaires29.
26
Cf. Gerlo, A., Foriers, P. (éd.), op. cit., Lettre 2059 à Jacques Sadolet, pp. 606-607.
Cf. A. Chastel, op. cit., p. 114 : « Ainsi, tandis que la doctrine affichée par les papes Médicis – qui était à vrai
dire, la pensée traditionelle de l’Eglise – déclarait l’invulnérabilité de la ville pontificale, tout se conjuguait pour
faire de l’humiliation du Saint-Siège et de la destruction de la Ville éternelle une nécessité. Le subconscient
collectif en Italie comme en Allemagne était remué par la croyance populaire aux présages et aux signes
célestes : l’attentat contre Rome s’y inscrivait parmi les symptômes de la crise finale du monde chrétien. » Cf.
également le témoignage de Bernhard Schimmelpfennig, Das Papsttum, Von der Antike bis zur Renaissance,
WBG, 20096 (1984), p. 290 : « Demzufolge erschien der Sacco di Roma nicht nur Reformatoren, die den Papst
als Antichristen verurteilten, sondern auch vielen Katholiken als gerechte Strafe für das Papsttum, das in ihren
Augen durch allzu viel Mißstände Gottes Zorm erregt hatte. »
28
Pierio Valeriano, dans son De litteratorum infelicitate (op. cit., pp. 67-69) peint d’une façon réaliste cette
atmosphère dégradée qui n’épargnait même pas les étrangers cultivés et fortunés. Georgius Sauromannus et
Angelus Caesus sont deux exemples de l’entourage de Corycius. Que lui-même n’ait pas vécu un sort meilleur,
nous le verrons au point suivant. Cf. I. 1. a. La vie de Janus Corycius.
29
Cf. les dires élogieux de Girolamo Vida au sujet du mécénat des Médicis, in Opera, Venise, 1538, p. 205, cité
par V. Fanelli, Ricerche su Angelo Colocci e sulla Roma cinquecentesca, Bibliotheca Apostolica Vaticana,
Vatican, 1979, p. 97 :
« Iam pridem tamen Ausonios invisere rursus
Coeperunt Medycum revocatae munere Musae :
Thuscorum Medicum, quos tandem protulit aetas
Europe in tantis solamen dulce ruinis.
Illi etiam Graiae miserati incommoda gentis.
Ne Danaum penitus caderet cum nomine virtus,
In Latium advectis iuvenes, iuvenumque magistros,
Argolicas arteis quibus esset cura tueri,
Securos Musas iussere, atque ocia amare.
Illi etiam captas late misere per urbes,
Qui doctas tabulas veterum monimenta virorum
Mercati precio adveherent, quae barbarus igni
Tradebat, Danaum regnis opibusque potitus. »
Cf. l’annexe 1 pour la traduction de ce panégyrique du mécénat des Médicis.
Cf. également le témoignage d’Ange Politien, protégé de Laurent de Médicis, Silvae, Rusticus, vv. 557-569 :
« Talia Faesuleo lentus meditabar in antro
Rure suburbano Medicum, qua mons sacer urbem
Maeoniam longique volumina despicit Arni,
Qua bonus hospitium felix placidamque quietem
Indulget Laurens, Laurens haud ultima Phoebi
Gloria, iactatis Laurens fida ancora Musis.
Qui si certa magis permiserit otia nobis,
Afflabor maiore deo nec iam ardua tantum
27
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16
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Malgré l’absence d’une opinion politique forte et susceptible d’influer sur les événements
« européens », Clément parvint à relâcher de nouveau l’atmosphère culturelle tendue sous son
prédécesseur :
« Ce qui a manqué au politique : la pensée forte, le juste calcul des moyens,
l’appréciation exacte des forces…, est peut-être ce qui a permis au « mécène » de
maintenir le climat original de Rome, grâce à sa souplesse d’esprit et à ses curiosités
multiples, à son accueil aimable de prince cultivé pour les talents et les initiatives. […]
Clément avait une idée généreuse et intelligente des devoirs culturels de son pontificat.
Compétent et ouvert, il inspirait confiance aux artistes qui rêvaient de sa protection,
surtout après les rebuffades d’Adrien VI 30. »
Alors que des rassemblements d’hommes cultivés à l’occasion de jours de fête, tels que les
symposia d’un Colocci ou d’un Corycius, pour ne mentionner que les plus connus31, furent
très fréquents avant le pontificat d’Adrien VI et avant le Sac de Rome, par la suite, dès la
seconde partie du pontificat de Clément VII, ce n’est que péniblement que des hommes
engagés les font renaître, désireux de ne pas rompre avec une tradition humaniste désormais
chère aux esprits cultivés32. Martin Lowry, dans son œuvre sur Alde Manuce, affirme que les
humanistes préfèrent ne pas se laisser influencer dans leur liberté culturelle par les
événements politiques, religieux et sociaux, mais d’agir et de réagir ensemble :
« A travers l’Italie, les humanistes tentaient de réagir à ces bouleversements. Ils se
regroupaient, souvent dans des organisations semiofficielles33. »
Alors que Lowry pense avant tout aux assemblées formées par et autour d’Angelo Colocci, on
doit également parler de celle réunie chez Corycius et faire mention du soi-disant Prométhée
Silva meas voces montanaque saxa loquentur,
Sed tu, (si qua fides), tu nostrum forsitan olim,
O mea blanda altrix, non aspernabere carmen,
Quamvis magnorum genetrix, Florentia, vatum,
Doctaque me triplici recinet facundia lingua ».
30
A. Chastel, op. cit., p. 306.
31
J. Burckhardt, Die Cultur der Renaissance in Italien, Leipzig, 1885 (BiblioLife reprint), pp. 310-311.
32
On peut penser au cercle formé autour de Pic de la Mirandole ou aux groupes qui se formaient autour des
grands éditeurs, souvent très favorables au développement de cercles littéraires. Cf. M. Lowry, op. cit., pp. 5781.
33
Ibid., p. 203. Les académies les plus connues de l’époque, et qui ont souvent contribué à façonner des cercles
plus restreints comme on en trouve autour de Corycius et de Colocci, sont certainement celles de Marsile Ficin,
de Pontano et de Panhormitano. Nous y reviendrons plus bas : cf. I. 1. c. Le cercle poétique du lettré.
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des Coryciana, Blosio Palladio. Non seulement le premier à publier cette œuvre34, il semble
aussi avoir fait revivre les fêtes qui rassemblaient comme convives poètes et artistes afin de
célébrer avec art et piété non seulement les Saints, mais aussi les représentants de la culture
classique. Pierio Valeriano témoigne de cet engagement de Palladio dans un poème écrit en
son honneur :
« Au banquet de Blosio Palladio,
Après le rétablissement de Rome.
Nous vivons, hélas, après les cruels embrasements de la malheureuse Rome,
Après tant de meurtres, d’épidémies et de toutes sortes de trépas,
Les survivants du Germain inhumain et du sauvage Espagnol,
Nous vivons, nous ne succombons pas encore tout à fait.
Bien sûr, Blosio Palladio ravive les autels refroidis
Et célèbre derechef, ô docte Minerve, tes chœurs.
Désormais les talents ont le droit de se relever, où qu’ils se soient retirés,
Pour voir qu’il y a un endroit pour la joie perdue.
Car cet homme prépare de joyeux banquets aux doctes poètes,
Et ordonne à toute épidémie de s’abstenir du festin.
Et il invite les joies et les rires et les amours doux,
Et le Génie et les cithares et la plaisanterie et les jeux.
Quant à vous, fixez ici vos demeures éternellement durables,
Vénus, et le cortège délicieux de Vénus,
La joyeuse Charis, l’hilare Bacchus, l’admirable Apollon,
Et, après son envol, le beau rejeton d’Atlas »35.
34
Cf. infra : I. 1. a. La vie de Janus Corycius et II. 2. a. La lettre-dédicace de Blosio Palladio.
P. Valeriano, Hexamètres, Odes et Epigrammes (Venise, 1990), ff. 110v-111r, cité par IJsewijn, Coryciana,
Introduction, p. 10 :
« In Blosii Palladii Symposium, / post Romam restitutam.
Vivimus en miserae post saeva incendia Romae,
Totque neces, pestes, exitiii omne genus,
Relliquiae immanis Germani, inmitis Iberi,
Vivimus, et nondum funditus occidimus.
Extinctas siquidem Blosius nunc suscitat aras,
Instauratque tuos, docta Minerva, choros.
Iam licet ingeniis se attollere, siqua iacebant,
Amissae ut videant laetitiae esse locum.
Nam parat is doctis convivia laeta poetis,
Et iubet omnem epulis his procul esse luem,
Gaudiaque et risus, dulcesque invitat amores,
Et Genium, et citharas, atque salem atque iocos.
At vos mansuras aeternum hic figite sedes
35
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On assiste ici à un appel fervent aux anciennes divinités liées à l’art, à la musique et à la
poésie, à accorder l’inspiration véridique, et le talent, aux poètes et artistes prêts à revivre, car
tous nécessitent alors une source nouvelle et puissante. Aussi semble-t-il qu’il y en eût pour
penser avec optimisme que Rome allait revivre de ses cendres, malgré les fléaux et les
épidémies qu’elle avait dû et devait supporter. Mais cette résurrection ne pouvait se faire que
par l’intermédiaire d’hommes engagés qui tentaient de raviver les mœurs religieuses,
culturelles et littéraires du début du XVIe siècle36 ! En effet, d’après ce qu’affirme Valeriano,
ce fut bien grâce à l’engagement d’hommes comme Blosio Palladio qu’une réunion de poètes
semblait de nouveau envisageable après 1527. Or, comme Palladio faisait justement partie des
poètes représentés dans les Coryciana et que c’est lui qui a veillé à leur publication, le
témoignage de Valeriano nous incite à affirmer que Janus Corycius fut sans doute un de ceux
qui contribuèrent à façonner ce début de siècle par des « banquets joyeux » (convivia laeta) de
« doctes poètes » (doctorum poetarum). Sa fête annuelle, religieuse et littéraire en même
temps, semble même avoir eu un tel caractère régulier que, de son vivant, les gens s’en
enquéraient quand ils n’y avaient pas été invités ou quand ils n’y avaient par assisté37, et que,
même après sa mort, les convives de jadis perpétuèrent les jours de fête, comme on le voit
avec les pieux souhaits de Palladio.
Et Venus, et Veneris deliciosa cohors,
Laeta Charis, Bacchusque hilaris, formosus Apollo,
Et, positis alis, pulcher Atlantiades ».
36
L’engagement du poète semble ici extrêmement puissant et son attitude fière, étant donné que d’une
atmosphère entièrement pessimiste et dévastatrice, il sait parvenir à un ton joyeux, voire festif, à travers un
mouvement ascendant, du négatif au positif, des connotations associées aux champs sémantiques. En effet, dans
les vers 1 à 10, de nombreux termes à connotation négative décrivent le ressenti d’un contemporain de la
dévastation de Rome par les troupes de Charles Quint, comme misera Roma, saeva incendia, neces, pestes, exitii
omne genus, immanis, immitis, occidimus, extinctae arae, laetitia amissa, lues. Or, cette situation affreuse,
Blosio Palladio sut la transformer (suscitat, instaurat, parat, invitat) en une atmosphère plus joyeuse et propice à
la présence de différentes divinités, où même des sentiments positifs sont personnifiés et divinisés. Dans les vers
11 à 16, des termes comme gaudia, risus, dulces amores, Genium, citharae, sal, iocus, Venus et Veneris delicia
cohors, laeta Charis, Bacchus hilaris, formosus Apollo, pulcher Atlantiades témoignent de cette volonté certaine
de retrouver la liberté de vivre une vie digne d’hommes de lettres. Des mentions semblables se trouvent chez
deux autres poètes des Coryciana, Francesco Arsilli et Pietro Corsi qui, en tant qu’hommes cultivés, souhaitaient
ou regrettaient la liberté comme le bien suprême, cf. Ellinger, op. cit., p. 265 :
Francesco Arsilli : « Illa et adhuc geniis nostris infusa ob Olympo
Libertas, paucis vix bene culta animis,
Incorrupta manens, pretium nec flexa per ullum
Durat, et est nullis obruta servitiis »
et p. 266 : Pietro Corsi : « Tu tamen, o genitor, pacato haec pectore cernis
Atque omnem sensim pateris comburier urbem.
Nos iterum atque iterum morimus, nec ferre dolorem
Possumus hunc ! »
37
Cf. C. Longueil, Christophori Longolii orationes duae pro defensione sua in crimen lesae majestatis … oratio
una ad Luterianos … epistolarum libri quatuor … epistolarum Bembi et Sadoleti liber unus, Florence, 1524,
Reprint Farnborough, 1967, p. 33, cité par J. H. Gaisser, op. cit., p. 50, n. 31 : « De eodem Gorytio, illud mihi
velim diligenter perscribas, ecquid sacrum Annae diem, anniversario illo studiosorum hominum conventu
epulisque celebrarit ? An vero propter superioris dissidium, coenas facere omnino desierit ? »
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Si l’année 1527 marqua ainsi en Italie, et notamment à Rome, une coupure manifeste aux
niveaux politique et religieux, la continuité artistique semblait garantie par des hommes
engagés à faire renaître de ses cendres la ville saccagée38.
Le Sac de Rome par Maarten van Heemskerck39.
38
Cf. également le témoignage passionné de Delio Girolamo Alexandrino, souhaitant une renaissance spirituelle
et poétique de Rome, selon le modèle des pieuses poésies des ancêtres : Coryciana, éd. IJsewijn, 379, vv. 85-97,
pp. 269-270 :
« Sis igitur felix illi, pia virgo, tuaeque
Hesperiae fractae iam tanta mole malorum,
Belorumque ruinis ; et si iusta rogamus,
Si veteres proavi, quanquam calihine mersi,
Adversus Superos semper pietate fuere
Insignes, culmen viguit si maxima semper
Relligionis et est modo culmen Roma Deorum,
Sique pii quicquam, qui te cecinere, poetae
Profecere suis numeris, iam respice, Virgo,
Romanas arces, vasta et Capitolia passim
Obsita nuc dumis silvestribus, aurea quondam.
Respice Diva ! Iterum rerum moderetur habenas,
Terrarumque orbis solitum sit Roma theatrum. »
39
Source web du tableau : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7d/Sack_of_Rome_1527.jpeg.
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20
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I. Janus Corycius : l’homme et « son » œuvre
Avant de clarifier les circonstances des origines, de la création, du développement et de la
parution des Coryciana dans cette Rome au tournant du XVIe siècle, il nous paraît inévitable
d’éclaircir d’abord les différents épisodes de la vie de son instigateur et de cerner le rôle de
celui-ci dans l’époque et dans la société dans lesquelles il a vécu.
Les informations relatives à sa vie aussi bien que les informations relatives à son œuvre nous
sont d’abord fournies par Janus Corycius lui-même, ensuite par différents poètes des
Coryciana, enfin par des témoignages de l’époque de Corycius, dont Joseph IJsewijn reprend
un certain nombre dans la préface de son édition40. Par ailleurs, plusieurs témoignages
d’auteurs modernes, dont les plus « anciens » seraient Gregorovius (1821-1891), Ludwig
Geiger (1848-1919) et Pierre Grégoire (1907-1991), permettront d’augmenter ce portrait de
certains détails – parfois plus précieux que précis –, d’un côté, de suppositions et de
commentaires personnels, de l’autre côté, montrant que leurs auteurs cherchaient à présenter
au lecteur intéressé un homme réel, entouré d’hommes réels, à un moment d’apogée culturelle
à Rome.
L’enthousiasme que Janus Corycius a pu susciter parmi ces auteurs des XIXe et XXe siècles,
avides de découvrir davantage, voire de faire (re)vivre cette Rome du tournant du XVIe siècle,
semble souvent sans bornes41. Ainsi, un compatriote, le Luxembourgeois Pierre Grégoire,
révèle notre homme au lectorat germanophone dans un récit aussi intéressant que bizarre, en
lui attribuant jusqu’au pouvoir d’améliorer l’état du monde de l’après-guerre:
« Jahrelang im Banne jener einzigartigen Gestalt stehend, die, dem allgemeinen Zuge
ihrer besten Landsleute folgend, in einer der fernen Weltstädte den luxemburgischen
Traum von der Grösse des inneren Reiches verwirklichte, an allen Quellen nach
unscheinbarsten Einzelheiten aus ihrem verborgenen Leben forschend und so in ihrem
kunstbegeisterten Römer-Dasein die letzte Erfüllung einer unserer heimatlichen
Sehnsüchte erkennend, habe ich, mit der Laune des Verliebten und der Schöpferlust des
40
Dans cette partie du travail, nous nous servirons de ces témoignages pour documenter notre propos, tout en en
ajoutant d’autres, que l’éditeur n’évoque pas.
41
Cf. également le récit fictif de Klabund (alias Alfred Henschke) auquel Pierre Grégoire fait allusion dans son
article « Humanisten um Janus Coricius römischen, Mäcen und luxemburgischen Renaissancemenschen », in
Die Warte - Wochenbeil. z. Luxemburger Wort 32 (1979), Nr. 15, p. 1 et 4. L’auteur y fait parler Corycius
comme l’éditeur, assez arrogant, à notre avis, de son ouvrage Borgia, Roman einer Familie, paru en 1928.
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21
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Hingerissenen, den Freund aller Renaissancegelehrten, den ‚‚Mann des reinen Herzens’’,
wie Erasmus von Rotterdam ihn zu nennen liebte, den berühmten und dennoch
unbekannten Johann Goritz, der dem kleinen Dorfe Koerich in der Geschichte des
Humanismus einen Ehrenplatz für alle Zeiten zu sichern wusste, in seiner Furchtlosigkeit
wie in seiner Bescheidenheit, in seiner geistigen Ueberlegenheit wie in seiner seelischen
Klarheit vor den Augen seiner unwissenden Nachkommen beschwören wollen, damit, in
diesen dunklen Tagen der vergehenden Menschlichkeit, seine Haltung als die wesenhafte
unseres Volkes neuerkannt werde, und, vielleicht, aus anderen Humanisten und humanen
Geschöpfen unseres Erdreiches hinüberwirke in die bedrohte Gegenwart der ganzen
Welt »42.
Louange certes très subjective et peut-être exagérée43, visant à attirer l’intérêt de son lectorat
plus qu’à lui fournir des informations détaillées et précises, le témoignage de Grégoire montre
néanmoins l’importance que l’on voulait accorder à ce Luxembourgeois, et souligne le
caractère humaniste, voire « européen » – seul le signifiant nous paraît ici anachronique, pas
le signifié –, de son apport à la Rome du tournant du XVIe siècle44. Sans doute, ce « récit » a
été rendu plus exact par Pierre Grégoire lui-même dans différents articles au sujet de
l’emplacement de sa demeure, ainsi qu’au sujet des dispositions testamentaires de Corycius45,
mais il montre la personnalité marquante de notre homme, et ce, au-delà des siècles.
42
Grégoire, P., Die Entdeckung des Giano Coricio, Erzählung, Luxembourg, 1948, préambule.
La caractérisation de Corycius par Ludwig Geiger, dans son article « Der älteste römische Musenalmanach »
op. cit., p. 64, peut également être considérée comme interprétative : « Er hatte etwas von dem antiken Weisen
an sich […] Trotzdem er, wenn er gewollt, Dichter hätte genannt werden können, zog er es vor, ruhig für sich
und seine Freunde zu leben, eifrig in seinem Amte thätig zu sein, mit strenger Gerechtigkeit geschmückt als
seiner schönsten Zier. »
44
On trouve une louange semblable des Coryciana chez H. Grimm, « Corycius, Johannes », in !eue Deutsche
Bibliothek, Berlin, 1957, t. 3, pp. 372-373 : « [Als] eine wertvolle Quelle zur Geschichte des deutschen
Humanismus, vereinte [die Sammlung] nahezu den römischen Poetenhimmel der zwei ersten Jahrzehnte des 16.
Jahrhunderts ». Par contre, nous n’avons pas trouvé de preuve qui préciserait l’allusion de Grimm à un recueil
poétique paru sous le nom de Corycius, non pas à Rome en 1524, mais à Venise en 1520. Heinz Schmitt, lui
aussi, dans son article sur Corycius dans le Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexikon, XXIX, 2008, cols.
303-319, affirme (col. 305): « Die Art des Zustandekommens der avantgardistischen Sammlung traf den Nerv
der Zeit derart, daß ihr Titel nahmengebend für einen kleinen Sproß am Baum der literarischen Gattungen
wurde. Unter dem Begriff "Coryciana" firmieren mehrere gleich geartete Sammlungen, die auch außerhalb Roms
zusammengetragen wurden, so etwa bereits 1520 in Venedig die Gorricia des Ludovicio Rigi. »
45
Grégoire, P., « Humanisten um Janus Coricius römischen Mäcen und luxemburgischen
Renaissancemenschen », in Die Warte - Wochenbeil. z. Luxemburger Wort 32 (1979), Nr. 15, pp. 1 et 4, Nr. 16,
pp. 1 et 4, « Die römische Residenz des Giano Coricio », in Die Warte - Wochenbeil. z. Luxemburger Wort 33
(1980), Nr. 24, « Die Vermächtnisse des Johannes Coricius, Ergänzung und Berichtigung », in Die Warte Wochenbeil. z. Luxemburger Wort 33 (1980), Nr. 32, pp. 1-2.
43
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22
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Par ailleurs, les connaissances actuelles sur Corycius, à travers une étude plus précise et
détaillée des auteurs et des poèmes des Coryciana eux-mêmes d’une part, grâce aux travaux
majeurs d’IJsewijn et, par exemple, de Gaisser46 ou Bober47, de l’autre, nous permettent
désormais de tracer un portrait assez exhaustif de ce « Luxembourgeois à Rome ».
46
J. H. Gaisser, op. cit., pp. 41-57.
Bober, P. P., « The Coryciana and the Nymph Corycia », in Journal of the Warburg and Courtauld Institutes,
Vol. 40 (1977), pp. 223-239.
47
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23
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I. 1. Janus Corycius : l’homme48
I. 1. a. La vie de Janus Corycius
Que Janus Corycius ait été d’origine luxembourgeoise, différents témoignages de l’époque le
confirment. En effet, l’humaniste luxembourgeois Jérôme de Busleyden appelle Corycius « un
homme de sa nation », voire « un compatriote », en le désignant comme « gentilis suus
Romae agens »49. De même, le pape Clément VII, en s’adressant aux Luxembourgeois, le 8
avril 1524, appelle Corycius non seulement « un notaire et un proche de nous » (notarius et
familiaris noster) mais également « votre concitoyen » (cives vester)50.
51
48
Comme nous l’avons déjà mentionné, de nombreux renseignements au sujet de la vie de Janus Corycius nous
proviennent des remarques et des notes d’IJsewijn dans son édition des Coryciana (not. pp. 3 à 9) qui se basent,
sinon sur les sources signalées individuellement, sur les témoignages reproduits dans la même édition (pp. 10 à
16). Par ailleurs, les découvertes de Pierre Grégoire, ainsi que de son prédécesseur, Jean Scheid, que nous allons
retracer dans leurs grandes lignes par la suite, permettent de situer Corycius en tant que propriétaire de différents
domaines et demeures, non seulement à Luxembourg, mais aussi à Rome. Le lecteur se reportera aux renvois aux
notes de bas de page dans les pages suivantes.
49
1508, epistola Machlinia data. H. de Vocht, Jerome de Busleyden, Founder of the Louvain Collegium
Trilingue, Humanistica Lovanensia 9 (Turnhout, 1950), pp. 397-399, citée par IJsewijn, Introduction, p. 3, n. 1.
50
« Dilecti filii salutem etc. Ex dilecto filio magistro Joanne Corysio cive vestro, notario et familiari nostro,
cuius opera assidue utimur et fide iuvamur, relatu pietas ad nos vestra perlata est … » Cf. P. Balan, Monumenta
Reformationis Lutheranae ex tabulariis secretioribus S. Sedis 1521-1525… (Ratisbonne 1884), pp. 325-326, no
147, cités par IJsewijn, Introduction, p. 3, n. 4.
51
Cette gravure, représentant les sept disciples ou défenseurs de Jakob Wimpheling (le premier de la gauche),
débattant avec Thomas Murner, cf. le frontispice de Wimpfeling, Jakob, Defensio Germaniae Jacobi
Wympfelingii, Freiburg, 1502, inclut également Johannes Corycius (le sixième de la gauche). Source web :
http://www.deliciarum.info/26/12/2008/jakob-wimpheling/.
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Afin de lever le moindre doute au sujet de l’origine luxembourgeoise de notre homme,
IJsewijn précise que, si d’autres appellent Corycius « clericus Trevirensis », c’est qu’à
l’époque, le Luxembourg appartenait à l’archidiocèse de Trêves52. Au pied de la stèle que
Corycius a fait ériger dans l’Eglise Sant’Agostino à Rome, on peut également lire que le
donateur est d’origine « luxemburg[ensis] ex Germanis ».
53
Par ailleurs, Pierre Grégoire, dans plusieurs articles consacrés à son compatriote, retrace la
jeunesse de Corycius et, en se rapportant aux archives de l’université54, le situe à l’Université
de Heidelberg d’octobre 1479 à septembre 1481 où il a suivi l’enseignement de Jakob
Wimpheling (1450-1528) – pour lequel il aurait déjà travaillé comme secrétaire pendant cette
période –, et passé deux baccalauréats, en art et en théologie.
52
La mention de Corycius par un contemporain, Paolo Giovio, doit être comprise comme telle : P. Giovio,
« Michaelis Angelis vita (1527) », in The First Biographiy of Michelangelo, Paolo Giovio’s brief Latin vita, with
English, Italian, and German Translations, edited by C. Davis, 2009, p. 11: « Probantur secundum [Michealem
Angelem], sed longo equidem intervallo, suamque laudem meriti, Sansovinus ex Aretino agro, cuius est Anna
cum Maria filia, et nepote Christo infanti, multis carminibus ambitiose celebrata, quum eam Coritius Trevir
poetarum patronus epulo praebito dedicaret… ».
53
IESU DEO DEIQ[UE] FILIO MATRI
VIRGINI ANNAE AVIAE MATERNAE
IO[ANNES] CORICIUS EX GERMANIS
LUCUMBURG[ENSIS] PROT[ONOTARIUS] APOST[OLICUS] DDD
PEREPETUO SACRIFICIO DOTEM
VASA VESTES TRIBUIT MDXII
VESTRA LOCUM UT PIETAS ALIQUEM
POST REDDAT IN ASTRIS
HAS DEDIT IN TERRIS
CORICIUS STATUAS.
54
Pierre Grégoire reproduit ces informations dans son article « Humanisten um Janus Coricius römischen Mäcen
und luxemburgischen Renaissancemenschen », op. cit. : « Johannes Luczenburg, diocesis Treverensis, XXIX,
octobris 1479 » et « Postea VII quoque die Julii ? (sic) admissi sunt ad baccalaureatus gradum in artibus … (7.)
Johannes Corrich de Leuczenburg, determinavit sub magistro Eduardo Gruningen, sacre theologie baccalaureo
XXIIII die mensis Septembris. »
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26
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Par ailleurs, Corycius réapparaît dans l’archidiocèse de Trêves en tant que doyen du diocèse
Bernkastel, de décembre 1510 à mars 151355, puis, sous le nom de Johannes Curricy, en tant
que prêtre non-résident à Feulen, où, après sa mort, il fut remplacé le 18 septembre 1527 par
Thomas von Kochem56. On sait par ailleurs à travers des actes notariaux, repérés et reproduits
(en partie) par Pierre Grégoire dans les articles mentionnés ci-dessus, que Janus Corycius a
légué ses propriétés romaines et luxembourgeoises à ses neveux Heinrich et Johann Brant de
Luxembourg. Ces héritiers semblent également apparaître dans la mention suivante de Schon,
datée du 13 janvier 1536 : « Die Erben J. Corricii, Bet., haben den vom Verstorbenen für die
Pfarrkirche Zolver verordneten Kilch noch nicht geliefert »57. Un certain Godhart Corricius y
apparaît également, en date du 10 juin 1532, en tant que prêtre à Mondorf58.
Ces témoignages nous permettent de situer la vie de Corycius, d’un côté à Luxembourg, de
l’autre côté à Rome, et ce, au tournant du XVIe siècle59. D’autres mentions de Janus Corycius
précisent sa date d’arrivée à Rome autour du printemps de l’année 1497, et la date de son
départ, forcé, en 1527. En effet, on le rencontre pour la première fois parmi les notaires de la
Sacra Rota Romana en mai 149760 avant de retrouver son nom dans d’autres domaines et
fonctions, dont témoigne, entre autres documents, la lettre-dédicace de Blosio Palladio,
publiée avec l’editio princeps des Coryciana, en 1524. Dans cette lettre, Palladio affirme que
Corycius était receptor supplicionum ou a supplicibus libellis / a libellis justitiae61 durant six
55
Les hypothèses émises par Keil et d’autres, selon lesquelles il s’agirait d’un Koerich, faubourg de Trêves, ont
ainsi été vigoureusement rejetées par IJsewijn : cf. IJsewijn, Introduction, p. 3. Pour la mention de Coricius
comme décan de ce diocèse de Trèves, cf. J. IJsewijn, « Goritz, Corycius, Johannes », in W. Killy (ed.) Literatur
Lexikon, t. IV, Berlin, 20092 (1989), p. 322 et Bietenholz, P. G. (ed.), Deutscher, T. B. (ass. ed.), Contemporaries
of Erasmus, a biographical register of the Renaissance and Reformation, 3 vol., University of Toronto Press,
Toronto, Buffalo, London, 1985-1987, p. 348. Une autre attestation de Corycius en tant que décan de Bernkastel
se trouve également chez A. Schulte, Die Fugger in Rom 1495-1523, Duncker & Humblot Verlag, Leipzig,
1904, p. 40 : « Annaten in Trier : das Dekanat in Bernkastel (Jo. Gurici, also wohl der an der Kurie lebende
deutsche Gastfreund und Gönner der Humanisten !)»
56
Cf. F. Decker, « Feulen 963-1963, Beitrag zur tausendjährigen Geschichte der Pfarrei und Gemeinde », in
T’Hémecht, Zeitschrift für Luxemburger Geschichte, 1959 (Jahrgang 12, Heft 2), Saint-Paul, Luxembourg, pp.
143-184.
57
A. Schon, Zeittafel zur Geschichte der Luxemburger Pfarreien (von 1500-1800), Kremer-Müller, Esch, 1954,
p. 31.
58
Ibid., p. 28. Dans les différents articles parus en 1979 et 1980, Pierre Grégoire renvoie à ces renseignements
biographiques, cf. supra : p. 22, note 45.
59
Jérôme de Buysleyden (1470-1517) et Clément VII (1478-1534, pape de 1523 à 1534).
60
J. Burchardus Argentinensis, Diarium sive rerum Urbanarum Commentarii (1483-1506). Texte latin publié
par L. Thuasne. Tome premier (1483-1492) (Paris, 1883) ; Tome second (1492-1499) (Paris, 1884) ; Tome
troisième (Paris, 1885), cité par IJsewijn, Introduction, pp. 11-12.
61
Coryciana, éd. IJsewijn, p. 29 : C. Blosii Palladii Epistolae nuncupatoriae titulus Blossius Palladius Romanus
Iano Corycio Lucumburgensi a libellis iustitiae viro clarissimo salutem plurimum dat, et 7, p. 31 : « […] tum
vero rigidam in iustitia et supplicibus libellis, quibus iam sub sex Pontificibus praesides … . »
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27
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pontificats, d’Alexandre VI à Clément VIII62. A partir de l’année 1512, il devint
protonotarius apostolicus et en 1513 Léon X l’appelle acolythus capellanus et familiaris63.
Pendant ces années et les années suivantes, le nom de Corycius apparaît également dans
d’autres documents ecclésiastiques64. En se basant sur l’œuvre de Hoberg, Christiane
Schuchard mentionne Corycius comme notaire de l’auditeur Johannes Antonius de Sancto
Georgio en 1493, et d’Antonius Flores de 1497 à 149965. Les Coryciana eux-mêmes peuvent
corroborer ces dates et faits de la vie de Corycius autour des années 1515 - 1520 : en effet, les
poèmes 374, 381, 388 – il sera davantage question de ce dernier –, et 390 situent la vie, et
surtout les fêtes annuelles, de Corycius sous le pontificat de Léon X66.
Néanmoins, étant donné que l’editio princeps des Coryciana date de 1524, d’autres poèmes
mentionnent également les papes suivants. Outre le poème 398, les poèmes 392 et 396 situent
62
Il s’agit ainsi des papes Alexandre VI (1492-1503), Pie III (1503), Jules II (1503-1513), Léon X (1513-1521),
Adrien VI (1522-1523), Clément (1523-1534). Cf. une remarque semblable de Pierio Valeriano, De litteratorum
infelicitate, éd. Genève, 1822, p. 67 : « … in Romana aula ab Julio ad Clementem usque nemo unus eo lepidius,
sincerius et amicabilius amplexatus [est] … ».
63
Documenta Leonina : Hergenröther J. A. G., Leonis X P. M. Regesta e tabularii Vaticani manuscriptis
voluminibus aliisque monumentis collegit et edidit Jos. S. R. E. Cardinalis Hergeroether (Friburgi Brisgoviae
1884-1891), vol. I, p. 74 (19 Mart. 1513), nn. 1355-1357, vol. II, p. 91 (15 Mai 1515), nn. 15464-15465, cités
par IJsewijn, Introduction, p. 15.
64
Cf. IJsewijn, Introduction, p. 4, n. 11.
65
Ch. Schuchard, « Zu den Rotanotaren im 15. und frühen 16. Jahrhundert », in Jamme, A., Poncet, O. (dir.),
Offices et papauté (XVIe-XVIIe siècle), charges, hommes, destins, Collection de l’Ecole Française de Rome,
2005, p. 810, qui se rapporte sur l’œuvre de H. Hoberg, « Die Protokollbücher der Rotanotare von 1464 bis
1517 », in Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte 70, Kanonistische Abteilung 39, 1953, SS. 177227.
66
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 374, vv. 39-46, p. 253 :
« Da pacem potius, et magni Caesaris arma
Gallorumque truces animos in barbara vertas
Sceptra ducum gentesque feras : hoc maximus optat
Hoc Leo, mortiferum cui cura avertere bellum,
Et pacem praeferre orbi. Tu, Diva, Leonem,
Respice iactatum tanto sub pectore rerum ;
Respice, compositis regum ut discordibus armis
Conveniant, proni et pedibus dent oscula sacris »,
381, vv. 33-35, p. 272 : « At vobis prima ingentem servare Leonem
Cura sit, auspiciis cuius vestroque favore
Est iterum Ausoniis tandem pax reddita terris »,
390, vv. 9-12, p. 315 : « Ex quo moenia cinxit haec Quirinus,
Atque Urbs imperio potita rerum est,
Ad sacrum Decimi thronum Leonis ? »
et vv. 31-34 : « Amissum, Leo, si reposcis orbem,
Caetu hoc utere : iam tibi Niphaten,
Iam Tigrin dabit, et iugo ab Promethei
Reges nexilibus trahet cathenis ».
Le pape Jules II est également mentionné dans deux poèmes :
384, vv. 86-87, p. 286 : « Ergo unquam aspiciam pacata per oppida pacem,
Pacem exoptatam, ceu quando ingentis Iuli »,
et 400, v. 72, p. 347 : « … ut Iuli grandia gesta canat ».
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28
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Corycius, son assemblée et les témoignages poétiques de cette assemblée sous le pape Adrien
(1523-1526) et souhaitent que celui-ci soit favorable aux poètes67. A travers leurs poèmes, ils
cherchent ainsi à prôner le retour d’un siècle d’or, siècle augustéen au cours duquel poètes et
artistes pourraient, selon leur souhait, jouir du soutien papal. Or, comme nous l’avons déjà
mentionné dans l’introduction, Adrien n’était guère favorable à ce genre de réunions
religieuses, festives et littéraires, bien que Corycius lui-même ne semble pas avoir souffert
d’autres restrictions, étant donné qu’il a continué son service de notaire à la Curie68.
Un autre témoignage encore nous permet de situer Corycius à Rome en 1523, parmi les
érudits de l’époque. Erasme, dans une lettre à son ami Marc Laurin, datée de février 1523,
mentionne notre homme, qu’il caractérise d’« homme au cœur très sincère » (vir candidissimi
pectoris), lorsqu’il fait le compte de toutes les choses qui l’attireraient à Rome, si son
« tyran », un calcul rénal, ne le lui interdisait69. Si Erasme le compte alors parmi les nouveaux
venus, son nom lui est en revanche déjà familier (tandis que le nom d’Angelo Colocci ne lui
dit rien), et, un an après, en 1524, il le classe encore une fois parmi « les bienveillants »70.
A la fin de sa vie, néanmoins, ni fonctions ecclésiastiques, ni amitiés influentes, ni poètes
illustres qui chantèrent son éloge dans un grand nombre de vers ne purent empêcher qu’il
vécût, comme tant d’autres, les atrocités que Rome devait supporter dans les années 15261527.
67
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 392 In convivium celebre Corycianum sub Hadriano Pontifice, p. 325 :
« […] Dii faxint stabili fato, qui saecla revexit
Aurea, sint sacro crebra sub Hadriano »
et 396 De conventu, p. 327 :
« Traiani haec Fora sunt, sunt Horti Coryciani ;
Sunt lecti proceres ; omnia summa puta.
Sic cultus redeat prior his, Hortis viror insit
Perpetuus ; sint cari Hadriano proceres.
Sic liceat nobis longum his Corytoque Foroque
Posse frui : o, precor, hoc audiat Anna parens ! »
68
Cf. supra : Corycius a encore assuré son service de protonotaire sous le pontificat de Clément VII, d’après les
informations données par Palladio dans sa lettre-dédicace.
69
Cf. Gerlo, A., Foriers, P. (éd.), op. cit., Lettre 1342 à Marc Laurin (du 1er février 1523) pp. 268-269 : « Et il y
avait, indépendamment de cela, beaucoup de choses qui m’attiraient à Rome : il y avait là une foule de livres les
meilleurs, et d’hommes les plus savants, tant de vieux amis parmi lesquels Richard Pace […], Pierre Bombace et
Johann Faber, et Georges Sauermann […] et Hermann le Frison, […], tant de nouveaux venus parmi lesquels
Coricius au cœur très sincère, et Landavus … . »
70
Cf. Gerlo, A., Foriers, P. (éd.), op. cit., Lettre 1479 à Haio Hermann (du 31 août 1524), p. 650 : « D’autre part,
quand je me trouvais en Italie, j’ai révéré tous les savants et n’en ai méprisé aucun. Le nom d’Angelo Colocci, je
ne l’ai même jamais entendu », et p. 656 : « J’ai lu avec plaisir la liste des gens bienveillants. Parmi ceux-ci je ne
reconnais le nom de personne, sinon de Sadolet, d’Alcyonius et de Coricius. »
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29
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Surtout Pierio Valeriano témoigne du départ forcé de Rome de Corycius et illustre sa mort
peu agréable. Le poète du De litteratorum infelicitate affirme ainsi qu’il fut fait prisonnier par
ses compatriotes, dépouillé de ses possessions, humilié par des rançons trompeuses, voire
trahi par des hommes qui, auparavant, avaient travaillé pour lui. Il semble en effet avoir caché
une certaine somme d’argent dans sa maison, afin de s’en servir pour la fuite ou après le
retour au calme. Cependant, selon le récit qu’en fait Valeriano, le seul ouvrier au courant de
l’affaire, prisonnier lui aussi, demanda de l’or à Corycius pour racheter sa propre vie. Comme
ce dernier ne voulut pas révéler le secret, l’ouvrier s’en chargea avec minutie devant les
bourreaux espagnols71, de sorte qu’il ne restait ni fortune, ni honneur à Corycius. En prenant
la fuite de cette ville qui l’avait jadis accueilli, et qui l’avait hébergé pendant presque trente
années, Corycius tenta probablement de retourner dans sa patrie, mais il tomba malade à
Vérone, où il dut s’attarder, avec l’espoir – vain –, d’en repartir en bonne santé. Selon
Valeriano, c’est « exaspéré par le regret de Rome aussi bien que par la perte de ses affaires »
qu’il succomba à la maladie72. L’invasion des troupes de Charles Quint mise à part, la fuite de
Corycius pourrait néanmoins avoir d’autres raisons. Dans le contexte de la querelle
luthérienne qui suscitait de plus en plus de suspicions parmi les hommes d’église, l’origine
germanique de Corycius n’était certainement pas bien vue au sein des protonotaires.
71
La violence et le non-respect d’aucune valeur des Espagnols, encore le quatrième jour du Sac de Rome, malgré
leur dévotion chrétienne, ont également été relevés par Creighton, op. cit., p. 343 : « […] They were determined
to use to the full the opportunity which was in their power for gathering riches. […] There still remained the
discovery of secret hoards of wealth, and the possibility of extracting ransoms from those who had possessions
or friends elsewhere. » Cette citation montre que Corycius a subi le même sort que de nombreux autres hommes
fortunés à Rome, quelles qu’aient été leurs positions sociales.
72
P. Valeriano, De litteratorum infelicitate, éd. Genève, 1822, p. 68 : « Sed quo tandem evasit tanta in bonos
omnes liberalitas atque illa Coricii pietas poetarum tot testimonio comprobata totque eruditorum paginis
decantata ? Capta a barbaris urbe, ipse quoque a Germanis suis captivus factus, fortunae bonis spoliatus gravique
aere capito redempto, aureorum tamen vim quandam sub inferioris aulae limine defoderat, fabro uno tantum
conscio, qui cemento locum obturaverat. Accidit autem ut idem faber captivus factus pro se redimendo aureos a
Corycio peteret mutuos ; ille ne secretum proderet, quippe qui aliunde non habebat unde eos expromeret nisi ex
defosso, perbelle negavit. Indignatus faber rem Hispani ductori, a quo in vinculis habebatur, prodit. Ille in aedes
Coricii transmigrat dumque hominem comparandis necessariis ablegat, aurum ipse domi de latebra eruit ; qua re
patefacta, cum rei indignitatem Coricius apud exercitus principes expostularet, ab omnibus contemptus
elususque est. Hinc ad miserabilem redactus inopiam aegre Roma aufugit et Veronam appulsus, ut inde recta in
patriam commigraret, aeris alieni gratia persolvendi dum Calysti Amadei eius urbis propraesulis liberalitate
sustinetur, ibi in gravissimam incidit aegritudinem. Qua confectus, et Romae et perditarum rerum desiderio
exulceratus occubuit. »
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30
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En plus, peut-être influencé par les dires de Luther, il semble avoir réduit la cérémonie
religieuse en honneur de Sainte Anne en faveur du banquet festif, et il y en eut alors pour le
traiter d’hérétique : victime de l’incertitude générale et de la méfiance qui en naissait, il aurait
peut-être été forcé de partir même s’il n’y avait pas eu de Sac de la ville73.
Outre ces témoignages officiels et personnels au sujet de la vie et de la mort de Corycius, on
trouve une panoplie de renseignements précieux et très vivants dans la lettre-dédicace de
Blosio Palladio, publiée dans l’édition des Coryciana assurée par Ludovico degli Arrighi et
Lautizio Perugino, en juillet 152474. De cette lettre-dédicace, il sera davantage question au
point suivant (I. 1. c. Le cercle poétique du lettré), étant donné qu’elle fournit non seulement
des informations au sujet de la fonction ecclésiastique et notariale de Corycius, mais aussi des
renseignements au sujet de son entourage religieux et poétique.
73
IJsewijn (Introduction, p. 8) suggère ces attitudes malveillantes envers Corycius à partir de différentes lettres
et accusations dans des poèmes, dont nous traiterons davantage au point I. 1. f. Hostilités et jalousies diverses.
74
C’est bien cette édition de 1524 qui est utilisée, sauf exceptions ou erreurs manifestes, comme source
principale par IJsewijn dans son édition moderne du texte.
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I. 1. b. La fonction juridique du clerc
Avant d’en venir au côté plus personnel – et plus poétique –, de la vie de Janus Corycius,
insistons sur la fonction juridique de celui-ci. C’est tout d’abord à travers ses propres dires,
dans une lettre adressée à Silvanus Germanicus, qu’on peut le situer au milieu des notaires de
la Sacra Rota Romana, le tribunal de la Rote, prélats au service de la Curie, chargés de
trancher des causes ecclésiastiques. Dans cette lettre, Corycius remercie l’ami-poète de lui
avoir fait parvenir un poème de Francesco Arsilli75, qui lui a procuré un plaisir bien plus
grand que son travail quotidien, monotone et peu agréable, selon lui76.
Corycius était donc un homme chargé de se documenter sur et de régler les causes à être
entendues par le pape, le plus souvent non tranchées aux premières instances. Le rôle de la
Rote, « un tribunal suprême dont l’origine remonte aux premiers âges du temps chrétien »77,
devint en effet de plus en plus grand quand les litiges ne pouvaient plus tous être tranchés par
le pape et devaient être confiés à des substituts78. De même que, au tournant du XVIe siècle, la
Ville éternelle était devenue le centre ecclésiastique de l’Europe, de même, en plus du
caractère de plus en plus cosmopolite de la Curie, une cléricalisation croissante envahissait le
domaine judiciaire79 :
« Rome était le centre d’une activité cosmopolite extraordinaire : l’administration
ecclésiastique supposait un personnel énorme ; plus que jamais les problèmes
internationaux qui, depuis la descente des Français en 1494, passaient toujours par l’Italie,
se négociaient à Rome80. »
75
Le poème d’Arsilli se trouve dans les deux manuscrits principaux (V et C) et dans l’édition de 1524 (E):
Coryciana, éd. IJsewijn, 400 (3), pp. 344-359.
76
Cf. Lettre à Caius Silvanus (C. 400 (2) [mss E/Vc]) : « Je te remercie beaucoup, Silvanus, de m’avoir donné à
lire l’opuscule de notre Arsillus, Des poètes de Rome, assurément de loin plus agréable et plus beau que ces
requêtes officielles que j’ai entre les mains chaque jour, qui présentent différends et querelles et qui, pour un
habitué, il est vrai, remuent dégoût et colère. Voilà pourquoi j’en ai éprouvé un plaisir immense, et tu n’aurais
pas pu m’envoyer quelque chose de plus cher. »
77
H. J. Dugué de la Fauconnerie, Le tribunal de la Rote, Paris, 1859, p. 1.
78
P. T. Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale : conféré avec les
maximes et la jurisprudence de France (1787), p. 204 ss.
79
Cf. J. F. D’Amico, op. cit., p. 4 ss.
80
A. Chastel, op. cit., p. 12.
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33
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Suite à cette centralisation du pouvoir judiciaire – la centralisation du pouvoir ecclésiastique
n’était pas nouvelle –, Rome attirait des hommes compétents de partout l’Europe pour
orchestrer la bureaucratie croissante de la Cour papale :
« Bureaucratic organization characterized Renaissance Rome more than any other
Western European society. The need to staff the myriad offices of the Curia Romana
attracted to Rome from all parts of Europe men whose lives were affected by its demands
an its opportunities81. »
Aussi la forte présence d’Italiens non-romains, d’Allemands (et de quelques Luxembourgeois
parmi eux), de Français et d’Espagnols montre-t-elle l’importance que l’on accordait à ces
offices dans l’entourage immédiat du Pape. Evidemment, en tant que cour d’appel suprême, et
grâce à cette panoplie de fonctions, d’offices et de bureaux82, la Curie contrôlait non
seulement les causes ecclésiastiques, mais aussi les causes judiciaires de l’Europe tout entière.
Le diagramme suivant visualise l’énorme multitude d’attributions et de fonctions assurées par
la Curie83 :
81
J. F. D’Amico, op. cit., p. 19.
Ibid., p. 21 : « The Curia grew as a result of the papacy’s position as the court of final appeal in spiritual and
temporal matters, through its ability to dispense or forgive from ecclesiastical or civil censures or impediments
and by means of its claims to control the distribution of a wide variety of ecclesiastical offices throughout
Europe », et pages suivantes.
83
Ibid., p. 22.
82
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34
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Un de ces offices de la Curie était donc la Sacra Rota Romana, le tribunal de la Rote – la
première occurrence du nom de Rota date de 1336 –, ou l’Audientia causarum apostolici
palatii, traite les cas contentieux à être présentés au Saint-Siège et à être suivis d’une
investigation judiciaire avec preuve, excepté les cas majeurs84. Elle traite en première
instance, et décide même en seconde ou troisième instance, les cas que le pape ou bien
proprio motu ou selon la requête des partis, appelle pour qu’ils soient jugés par lui-même ou
la Rote. Par ailleurs, elle constitue la cour d’appel pour les cas déjà traités au tribunal
épiscopal de première instance. Enfin, elle traite en dernière instance les cas traités par un
tribunal inférieur de seconde ou troisième instance, de même que des cas qui ne sont pas
encore devenus res judicatae. La Sacra Rota Romana est composée d’auditores, du rang de
prélats, qui sont nommés par le pape, doivent être des prêtres, et avoir un doctorat en
théologie et en droit canonique, de même qu’une certaine expérience d’enseignement et
d’exercice notariaux. Chaque auditeur choisit un assistant, lui aussi docteur en droit, approuvé
par le pape. Par ailleurs, celui-ci nomme un promoteur de justice et un defensor vinculi ou
substitut pour des cas matrimoniaux, de profession religieuse ou d’ordination sacrée, sur
recommandation du Collège des Auditeurs. Des notaires, en général quatre par auditeur,
choisis par le Collège des Auditeurs après un concours, élaborent des propositions de loi et
prennent une décision, ou bien en plénum, ou bien à trois, à moins qu’une décision papale
n’en traite différemment. L’auditeur qui prépare le rapport est appelé ponente ou relator.
Souvent, les notaires délégués par l’auditeur, appelés notarii principales, délèguent eux aussi
le travail à des collègues, appelés notarii substituti. Les contestants peuvent plaider
personnellement ou employer un procurator ou avocat. La plainte et la défense doivent être
faites par écrit, et des copies sont distribuées aux juges assistants, au promoteur et à tous les
concernés. La défense écrite peut être clarifiée oralement en présence des juges. Les auditeurs
décident par majorité des voix et la sentence doit contenir la conclusion obtenue ainsi que les
raisons de celle-ci.
Historiquement, jusqu’à la fin du XIIe siècle, les cas ecclésiastiques furent présentés au SaintSiège par l’ensemble du monde chrétien, puis discutés et décidés dans un Consistoire, devenu
une sorte de Concile en raison des nombreux évèques présents. A la fin du XIIe siècle
néanmoins, le nombre croissant de cas et une procédure plus détaillée et compliquée firent en
sorte que le pape nomma pour chaque cas un cardinal ou un des chapelains de ceux-ci, et plus
rarement un évèque, pour présider au procès, entendre l’évidence des partis en litige et faire
84
Les définitions et explications suivantes sont tirées de l’Encyclopédie Catholique aussi bien que de l’article de
C. Schuchard, op. cit., pp. 805-828.
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un rapport au pape, qui donnait sa décision personnellement ou dans un Consistoire. Lorsque
l’auditeur lui aussi avait le pouvoir de décider, le pape devait approuver la décision.
A partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, les auditeurs formaient une classe distincte des
chapelains et portaient le titre de Sacri palatii causarum generales auditores. Cette innovation
d’Innocent IV (1243-1254) leur assura les cas de bénéfices et les cas mineurs, alors que les
cardinaux étaient responsables des autres cas. Peu à peu, des cas de plus en plus nombreux
furent confiés pour décision aux auditeurs, quitte à être approuvés par le pape. Les auditeurs
ne constituaient donc pas encore un tribunal à juridiction définitive, mais seulement un
collège dont le pape sélectionnait des juges pour les cas qu’il voulait leur confier. Suite aux
charges croissantes qui lui étaient confiées, la Rote finit par devenir un tribunal autonome, en
concurrence avec le pape, et le premier document jugé collegialiter date de 1323. Sous Sixte
IV (1471-1484), en 1472, les auditeurs sont fixés au nombre de 12 – ce nombre variera selon
les papes –, de sorte que les notaires étaient au nombre de 48 et s’étaient organisés en
communauté avant que leur collège ne devînt officiel en 1477. Probablement à partir du
Grand Schisme (1387-1417), les appels civils dans les territoires papaux étaient confiés aux
tribunaux des auditeurs du palais sacré. Ce n’est qu’avec l’institution des congrégations
romaines à la fin du XVIe siècle, que la juridiction de la Rote dans les affaires ecclésiastiques
devint plus limitée et se développa en un tribunal civil.
Parmi ces notaires, la proportion des étrangers était, même à la fin du XVe siècle, très élevée,
voire absolument dominante85. Schuchard mentionne comme exemple l’année 1471 où l’on
ne trouve pas un seul Italien parmi les notaires qui sont, au contraire, de nationalités
allemande, française, belge, espagnole ou polonaise. Par ailleurs, le nombre d’Allemands
reste très élevé, jusqu’à ce que les Italiens prennent peu à peu la relève dans les toutes
dernières années du XVe siècle. Les groupes de notaires semblaient toujours conçus de
manière « multinationale », quelle que soit, par ailleurs, la nationalité de l’auditeur pour
lequel ils travaillaient. Si ces groupes variaient peu, c’est que les auditeurs « gardaient » en
principe leurs notaires, à moins que ceux-là aient changé de fonction. Ainsi s’explique aussi
l’exemple de Corycius qui, en 1493, est répertorié comme notaire de l’auditeur Johannes
Antonius de sancto Georgio, puis, en 1497-1499, comme notaire de l’auditeur Antonius
Flores. Le premier auditeur, promu cardinal, légua ses notaires à l’auditeur nommé à sa place.
85
J. F. D’Amico, op. cit., p. 66 : « Because of Rome’s relatively small population throughout most of the
Quattrocento, the Curia’s posts had to be staffed by immigrants, a factor that contributed to social mobility ».
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Les raisons pour les changements de personnel ne sont pas toujours claires et la motivation
des décisions peut rester obscure, même si le décès ou la résignation sont des motifs évidents,
et que des conflits d’intérêts tout comme des affaires de concurrence ont été retracés. Si
l’origine d’un auditeur et des notaires ne jouait donc pas de rôle dans le choix des notaires
(notarii principales), ceux-ci faisaient néanmoins souvent appel à des compatriotes, voire des
membres de leur famille, quand ils choisissaient leurs substituts (notarii substituti)86, et ils
semblaient peu à peu investir le rôle de patrons pour leurs substituts et les familles de ceuxci87.
Le fait que le Luxembourgeois Corycius appartenait à ces notaires apostoliques n’a donc rien
d’étonnant, étant donné le caractère cosmopolite et « international » des fonctionnaires
judiciaires, et des fonctionnaires de la Curie en général. Le contexte était favorable, nous
l’avons vu, à une ouverture des fonctions ecclésiastiques aux humanistes venus de l’Europe
tout entière qui, selon D’Amico, préféraient accepter ces postes à Rome, tout en pouvant les
cumuler avec des charges en province qui ne nécessitaient point leur présence « sur le
terrain ». Il en est ainsi de Corycius qui, tout en étant notaire apostolique à Rome, était
également décan de Bernkastel au cours de la première décennie du XVIe siècle. Etant donné
que les charges et offices de la Curie devenaient des sources de revenu primaires pour les
hommes de lettres, bon nombre de curialistes étaient des humanistes qui, outre leurs tâches à
la Curie, soignaient par là-même leur patrimoine, tout en nouant des relations sociales et en
développant leur loisir intellectuel à Rome88.
86
Malheureusement, le nom d’aucun substitut de Corycius ne nous est rapporté.
Le fait que Corycius a été responsable du doyenné de Bernkastel, dans le diocèse de Trèves, de décembre 1510
à mars 1513, ne semble pas avoir influé sur son activité notariale à la Curie, cf. J. IJsewijn, « Goritz, Corycius,
Johannes », in W. Killy (éd.), Literatur Lexikon, t. IV, 20092 (1989), Walter de Guyter, Berlin, pp. 322-323.
88
P. Partner, op. cit., p. 144 : « Contrasts with the real men of business a figure like Monsignor Angelo Colocci,
the possessor of numerous venal offices under Julius and Leo, but given after the death of his wife in 1518 the
“expectation” of the diocese of Nocera, which he eventually and by none too creditable methods occupied as an
absentee bishop. Colocci’s real interests, like those of Goritz, were his archeological collections and his literary
circle ; the curial business he had to do was the tedious necessity which financed his academic and literary life ».
Cf. aussi J. F. D’Amico, op. cit., p. 88 : « Ultimately the curialists, including the humanists, displayed a
pragmatic and proprietary attitude toward the Curia. » Corycius semble ainsi avoir partagé le sort de nombreux
étrangers, venus à Rome pour entamer une carrière ecclésiastique, tout en s’intéressant à d’autres domaines. Cf.
encore J. F. D’Amico, op. cit., p. 7, qui mentionne Jakob Questenberg, (~1470- ~1524), un Allemand qui a fait
des études de droit ainsi que des études classiques, et qui est resté pendant quarante années au service de la
Curie, sous sept papes : Innocent VIII, Alexandre VI, Pie III, Jules II, Léon X, Hadrien VI et Clément VII.
Pendant ce temps, il a progressé du notariat papal au protonotariat apostolique, pour enfin devenir clerc du
Collège des Cardinaux et jouir de bénéfices dans son pays natal. Pendant ces quarante années, il ne quittait guère
sa nouvelle patrie, tout en contribuant à développer et à soutenir la vie intellectuelle de celle-ci.
87
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37
__________________________________________________________________________________________
__________________________________________________________________________________________
38
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I. 1. c. Le cercle poétique du lettré
Dans le contexte de cette occupation juridique de Corycius, il peut sembler étonnant que
l’homme privé se soit intéressé à la littérature et à la poésie. Mais, nous l’avons vu, sa lettre à
Silvanus Germanicus montre que littérature et poésie furent pour lui un loisir chéri89. En
même temps, ses intérêts littéraires et poétiques lui ont valu une renommée bien plus grande
que son occupation notariale, car c’est par son engagement poétique que le nom de Corycius
nous est aujourd’hui (plus) familier : dans de nombreux poèmes, commentaires et critiques,
Corycius est en effet comparé à un personnage chanté par Virgile. Au plus tard à la lecture de
la lettre-dédicace de Blosio Palladio, il est évident que Janus Corycius doit une partie non
négligeable de sa célébrité à cet homonyme, le petit vieux de Cilicie, dont Virgile fait l’éloge
au livre IV des Géorgiques :
« Aussi me souviens-je d'avoir vu au pied des hautes tours de la ville d'Oebalus, où le
noir Galèse arrose de blondissantes cultures, un vieillard de Corycus, qui possédait
quelques arpents d’un terrain abandonné, ni docile aux bœufs de labour, ni favorable au
bétail, ni propice à Bacchus.
Là pourtant, au milieu de broussailles, il avait planté des légumes espacés, que bordaient
des lis blancs, des verveines et le comestible pavot ; avec ces richesses, il s'égalait, dans
son âme, aux rois ; et quand, tard dans la nuit, il rentrait au logis, il chargeait sa table de
mets qu'il n'avait point achetés. Il était le premier à cueillir la rose au printemps et les
fruits en automne ; et, quand le triste hiver fendait encore les pierres de gel, et enchaînait
de sa glace les cours d'eaux, lui commençait déjà à tondre la chevelure de la souple
hyacinthe, raillant l'été trop lent et les zéphyrs en retard.
Aussi était-il le premier à voir abonder ses abeilles fécondes et ses essaims nombreux, à
presser ses rayons pleins d'un miel écumant ; les tilleuls et lauriers-tins étaient pour lui
extrêmement féconds ; et autant l'arbre fertile, sous sa nouvelle parure de fleurs, s'était
couvert de fruits, autant il cueillait de fruits mûrs à l'automne. Il transplanta aussi et
disposa par rangées des ormes déjà grands, et le poirier déjà très dur, et d'épineux
pruniers portant déjà des prunes, et le platane prêtant déjà ses ombres aux buveurs. Mais
je passe sur ces développements, gêné par une carrière trop étroite, et laisse à d'autres sur
ce point le soin de traiter le sujet. »90.
89
90
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 400 (2), pp. 342-344.
Virg. Géorg. IV, 125-148. Cf. infra : II. 2. a. 2. Commentaire (à la lettre-dédicace), p. 116, note 280.
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39
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Quiconque parle du jardin ou de l’amabilité de Janus Corycius, homme d’un âge avancé, lui
aussi, semble se souvenir de ce passage virgilien, dédié à l’éloge d’un vieillard occupé à
l’horticulture et à l’observation des saisons et des cycles de la nature91. En plus, l’un et l’autre
doivent leur renommée aux poètes. Et c’est peut-être justement à cause de cette référence à
Virgile que, malgré l’origine étrangère de Corycius, la plupart des poètes et des humanistes de
l’époque le considèrent comme un Romain à part entière, l’acceptèrent, voire l’honorèrent
comme tel dans leurs poèmes et virent en lui « un Romain, non pas par la naissance, mais à
juste titre et par ses qualités »92. Même à un moment où l’Allemagne n’est plus considérée par
les Romains comme un pays fidèle aux traditions religieuses prônées par le Saint-Siège, vu les
différends de Luther avec le Pape et les institutions religieuses, Corycius semble ne pas être
assimilé aux Allemands par ses compatriotes – on ne peut repérer que quelques comparaisons
malveillantes vers la fin de sa vie. Ainsi, par exemple, Pietro Mellino et Giano Vitali
Panormitano, deux poètes des Coryciana, distinguent avec véhémence Corycius de ses
compatriotes et revendiquent pour lui une origine différente, plus élevée. L’un vante ainsi les
exploits de Corycius, contraires aux forfaits de Luther :
« Corycius a élevé les divinités par sa main habile et sa parole ;
Luther a détourné les divinités par son propos et par ses actions.
Ô des coutumes combien opposées l’Allemagne a-t-elle produites !
Piété et impiété tirèrent leur origine d’un seul et même endroit. […] »93.
L’autre, quant à lui, revendique pour Corycius une patrie plus accueillante que la Germanie ne
saurait l’être, à ses yeux :
« Ce n’est pas l’Allemagne qui te supporta, Corycius,
Dans ces régions enneigées,
Au milieu de la barbarie trop insensible,
Mais des contrées heureuses, des demeures célestes,
Royales et heureuses t’ont envoyé ici chez nous,
91
Cf. l’annexe 2 où nous reproduisons le poème de Giano Pascoli, Senex Corycius (1902) qui chante
abondamment cet « homme de la nature ».
92
Cf. C. Longueil, op. cit., p. 33, cité par J. H. Gaisser, op. cit., p. 49, n. 30 : « Ioannem Goritium, ortu quidem
Germanum illum, sed iure ac virtute Romanum. »
93
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 277, p. 193 :
« Erexit Superos dextra linguaque Corytus ;
Evertit Superos ore manuque Luther.
O quam diversos peperit Germania mores !
Orta uno pietas impietasque loco est […] ».
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40
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Des régions éloignées des dieux »94.
D’autres, bien sûr, le critiqueront et le condamneront, simplement parce qu’il appartenait à la
nation allemande95. Or, il est évident, et nous en avons déjà parlé, que Corycius n’est pas le
seul « étranger » dans cette assemblée représentée par les Coryciana : un grand nombre de
poètes ont une origine non romaine, voire étrangère96 :
« Aucun d’eux n’était proprement romain, mais l’enthousiasme pour les Antiques, pour la
Ville, était devenu pour eux une sorte de religion artistique, et ils étaient tous
extrêmement sensibles aux nuances nouvelles de la culture97. »
L’attraction extraordinaire exercée par la ville de Rome à cette époque est par ailleurs décrite
par Erasme qui, lui-même un étranger par l’origine, s’enthousiasmait pour sa nouvelle patrie
spirituelle :
« Qui en effet, même s’il était né dans une autre partie du monde, n’était pas accueilli,
réchauffé, éduqué dans la paix de son giron ? Qui avait le sentiment d’y être un étranger,
94
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 8, vv. 59-64, p. 48 :
« Non Germania te tulit, Coryti,
Illis in regionibus nivosis,
Inter barbariem rigentiorem,
Verum sidera laeta, laeta coeli
Tete regia misit e repostis
Huc ad nos regionibus Deorum. »
Il y en eut, en effet, pour ne pas chanter le mécène à cause de son origine allemande, alors que le sculpteur
toscan qu’il engagea, Andrea Sansovino, fut particulièrement loué : cf. le poème 246, p. 175, où son œuvre est
chantée par Lorenzo Cataneo :
« Non sunt Praxitelis manu expolita,
Non haec Phidiacus labor peregit,
Nec quisquis Rhodius, Scopasve prompsit,
Quibusvis aliis diu sepultis
Sub terris animae peritiores,
Sed Thusco ingenio, manu, arte, Thuscus
Andreas, Coryti exhibentis aurum
Dulci praesidio et decore fultus […] ».
95
Nous en parlerons un peu plus loin : I. 1. f. Hostilités et jalousies diverses.
96
Cf. les noms de plusieurs poètes publiés par les Coryciana : Panhormitanus, Bellunensis, Veronensis,
Germanicus, Alexandrinus, Saxus, etc., et l’article de C. Schuchard, déjà cité, au sujet de la constitution
internationale des notaires de la Rote, avec une forte présence d’Allemands dans les groupes notariaux constitués
sous les pontificats de Martin V à Alexandre VI. Ajoutons les données fournies par K. Schulz, « Fremde
(Kunst)Handwerker, Gewerbegruppen und Bedienstete an der päpstlichen Kurie (ca. 1400-1527) », in Jamme,
A., Poncet, O. (dir.), Offices et papauté (XVIe-XVIIe siècle), charges, hommes, destins, Collection de l’Ecole
Française de Rome, 2005, p. 200, qui retrace 41% d’Italiens, par rapport à 59% de Non-italiens au sein du
personnel de la Cour de Léon X, toutes charges confondues.
97
A. Chastel, op. cit., p. 217, et J. F. D’Amico, op. cit., p. 89 : « Rome’s appeal to the humanists went beyond its
value as an employment center. The city represented an ideal, and thus inspired men’s imagination with its
classical ruins and associations. »
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fût-il venu des confins de la terre ? Pour combien n’a-t-elle pas été une patrie plus chérie,
plus douce, plus heureuse même que la leur ? Quel esprit a été assez sauvage pour ne pas
en revenir civilisé et apprivoisé par sa fréquentation ? Qui, ayant vécu quelque temps làbas, n’en est pas reparti à contrecœur et n’a pas saisi avec joie l’occasion d’y retourner
lorsqu’elle lui était donnée, tenté de la susciter si elle lui était refusée ? 98 ».
Quelque variée que soit la panoplie des poètes que l’on rencontre dans l’entourage de
Corycius, elle est non seulement unie par le fait que lesdits poètes ont quitté leur patrie et
choisi Rome comme leur nouvelle patrie, mais elle se réunit également pour rendre hommage
à Corycius, pour honorer le lieu de culte qu’il a fait ériger au centre de la ville, et pour
admirer et chanter l’œuvre d’Andrea Sansovino99.
C’est d’ailleurs ce caractère religieux et littéraire qui distinguait l’assemblée de Corycius de
celle de Colocci, qualifiée plutôt de patriotique et d’antiquaire100. Une lecture intéressante
d’une assemblée telle que Corycius réunit autour de lui nous est fournie par Pierio Valeriano.
Il décrit le sodalitium comme « une association faisant naître des liens très intimes et amicaux
entre ses membres, surtout à travers des dîners communs »101, et il donne comme exemple les
assemblées qui se sont constituées autour de Sadolet, de Giberti, de Corycius, de Colocci, de
Mellino, de Corsi et de Palladio102. On trouve une description semblable chez Jacques
Sadolet, qui, en s’adressant à Angelo Colocci, se souvient non sans nostalgie des fréquentes
assemblées entre amis : après un dîner convivial chez l’un ou chez l’autre, des hommes
98
Gerlo, A., Foriers, P. (éd.), op. cit., Lettre 2059 à Jacques Sadolet, p. 607. Cf aussi P. Partner, op. cit., p. 75 :
« Sixteenth-century Rome was a city of immigrants, which in turn lived off a floating population of pilgrims and
tourists ».
99
L. Geiger, op. cit., pp. 73-74 : « [Die Dichter] sind unter sich geeint, nicht bloss dadurch, dass sie Rom als
ihren gemeinsamen geliebten Wohnsitz verehren, nicht bloss dadurch, dass sie sich alle als Glieder einer und
derselben Gemeinde fühlen, sondern dadurch, dass sie Corycius als ihr Oberhaupt preisen, dass sie Sansovino
anstaunen und sein Werk bewundern ».
100
Cf. J. H. Gaisser, op. cit., p. 44 : « […] the two groups were different in kind : Colocci’s was patriotic and
antiquarian, while Goritz’s was religious and literary ».
101
Cf. également J. H. Gaisser, « Teaching Classics in the Renaissance: Two Case Histories », in Transactions of
the American Philological Association 131 (2001), p. 6, qui fait le point sur les sodalitia évoqués par Pierio
Valeriano : « Roman humanists of every degree – whether dependents like Valeriano, or their intellectuallyminded patrons, or well-off laymen with literary interests – had the institution of the sodality as the focus of their
social and intellectual life. The sodalities were loosely organized groups of humanists who met periodically for
dinner and conversation at the house of one – richer than the rest – who served as the host and patron. There
were many sodalities, and their memberships were fluid and overlapping. Some were religious in focus, others
antiquarian, but they were alike in their enthusiasm for classical literature, for modern Latin poetry, and for
celebrations and festivities marked by their own poetic display. Latin poetry was the currency of their world ».
102
Cité par J. H. Gaisser, « The Rise and Fall of Goritz’s Feasts », op. cit., p. 43, n. 9 : « Nulla enim commercia
maiorem conciliant amiciciae coniunctionem quam convictus, quam simul ali, et enutriri, unde sodales et
sodalitium, pro amicorum eorum collegio qui saepe simul cenitant. Cuiusmodi Romae habetis Sadoletum,
Gyberticum, Coritianum, Colotiacum, Melineum, Cursiacum, Blosianum, et alia ».
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42
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instruits ont pris plaisir aussi bien à réciter des poèmes et à prononcer des discours qu’à les
écouter103. Le caractère convivial de ces assemblées, destinées à procurer un plaisir distingué
aux participants104, peut nous faire penser aux banquets philosophiques antiques105 et aux
vastes banquets organisés lors des Saturnalia, où discours et bons mots égayaient et faisaient
rivaliser entre eux les convives après un dîner entre amis106.
L’endroit où se tenaient ces assemblées nous ramène à Corycius et au petit vieux de Cilicie :
l’un et l’autre savaient jouir de la nature et possédaient un jardin cultivé par leurs soins. Ce
jardin ne fut pas uniquement destiné à l’horticulture, mais était souvent le lieu de rencontre
pour les amis et les proches. La propriété de Janus Corycius, la vigna coritiana, a été localisée
« proche du forum de Trajan » par les poètes eux-mêmes107, « dans la partie sud des anciens
103
Jacopo Sadoleto, Epistula ad Colotium, in Opera quae exstant omnia, t. I, Vérone, 1737, pp. 117b-122b :
« […] Ac mihi recordanti spatium praeteriti temporis et vetera animo repetenti, cum et plures convenire soliti
eramus una et erat aetas nostra ad omnem alacritatem animique hilaritatem longe aptior, quoties venire in
mentem putas eoorum coetuum conviviorumque, quae nos inter nos crebro habere solebamus, cum aut in hortis
tuis suburbanis aut in meis Quirinalibus aut in Circo Maximo aut in Tyberis ripa ad Herculis, alias autem aliis in
Urbis locis conventus agebantur doctissimorum hominum, quorum unumquemque et propria ipsius virtus et
communis cunctorum praedicatio commendabat ! Ubi post familiares epulas non tam cupedia multa conditas
quam multis salibus, aut poemata recitabantur aut orationes pronunciabantur cum maxima omnium nostrum, qui
audiebamus, voluptate, quod et summorum ingeniorum in illis laus apparebat et erant illa tamen, quae
proferebantur, plena festivitatis et venustatis … », cité par IJsewijn, Introduction, p. 12.
104
Cf. également le témoignage pittoresque d’Arthur de Gobineau qui, dans Die Renaissance : historische
Szenen (trad. de B. Jolles), Leipzig, Insel-Verlag, 1917, pp. 221-225, décrit un rassemblement convivial dans la
maison du Luxembourgeois, souligné par maint détail romanesque : fresques murales, vases impressionnants, sol
en marbre et fauteuils confortables accueillent les illustres invités dans une salle dont même le plafond est
pourvu de fresques. A l’occasion, ni les propos religieux et politiques, ni les conversations entre amateurs d’arts
et peintres, ni, enfin la jovialité et le bon cœur de l’hôte ne manquent : tous concourent à une atmosphère festive,
dédiée aux arts, à la religion et au bien-être.
105
Cf. à ce sujet l’analyse de C. Dröge, « Das Symposium im Humanismus : Giannozzo Manetti und Marsilio
Ficino », in Lowry, M., op. cit., p. 241 : « Hierin liegt die ganz eigentümliche Authenzität dieses Symposiums,
dessen mangelnde « Echtheit » gelegentlich diskutiert wurde. Ficinos Anliegen war es, einen Kultus
wiederherzustellen, eine erloschene Flamme, die Flamme der platonischen Philosophie, der Weisheitslehren des
Altertums wieder neu zu entfachen, von deren göttlicher Herkunft er zutiefst überzeugt war. « Li tem revient »
hiess die Devise seines Mäzens Lorenzo il Magnifico, « die Zeit kehrt zurück », die Zeit des Wissens, die Zeit
des Glanzes, die Zeit der Schönheit und der geistigen Veredelung des Menschen. So hat dieses Symposium
Ficinos etwas Beschwörendes : Durch die hieratische Nachahmung des als Ritus verstandenen Mahles, durch das
Einbringen alles akkumulierten Wissens der Jahrhunderte in die Form der platonischen Rede suchten Ficino und
sein Kreis den Geist der klassischen Antike zu erwecken und eine neue Zeit anzukünden, die griechischrömische Bildung mit christlicher Offenbahrung endgültig versöhnen sollte ». Des parallèles avec les banquets
organisés par Corycius nous semblent évidents.
106
Cf. Infra : I. 2. Janus Corycius : l’œuvre. Nous y mentionnerons des passages tirés des Saturnales de
Macrobe, afin de comparer le caractère et le but de ces banquets aux fêtes annuelles de Corycius.
107
Cf. le témoignage de Baldassare Castiglione Coryciana, éd. IJsewijn, 276, vv. 28-31, p. 193 :
« [Corycius] autem caris semper stipatus amicis,
Inter odoratum citrii nemus, inter et hortos,
Suspiciens sacras Capitoli in colle ruinas
In medio vatum felices exigat annos ! »,
les indications de Silvius Laurelius, Coryciana, éd. IJsewijn, 393, vv. 1-2, p. 326 :
« Trajano haec quondam, nunc Annae sacra parenti ;
Caesaris hinc nomen, numen at inde Deae est » (cf. annexe 3 pour les textes latin et français de ce poème),
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jardins de Salluste » par Lattès108, sur l’Esquilin « à un endroit qui s’appelait ‘Spoglia Christi’
et où la maison de Christoforo Savello avait été construite auparavant » par Pierre Grégoire109,
enfin de façon assez précise par IJsewijn :
« [Sa] maison se trouvait dans la région du Parione près de la demeure de’ Galli sur la
piazza della Cancellaria, et n’était donc pas très loin de l’église Saint Augustin, où il
plaça la statue de Sainte Anne. Mais la villa, où les dîners étaient célébrés, était située
près du Forum de Trajan, entre l’église San Lorenzo et la Piazza Clavium Aurearum sur
le Campo Carleo et la Via dei Carbonari. Cet espace, excepté une petite partie du Campo
Carleo, disparut tout à fait de nos jours avec la construction de la Via dei Fori
Imperiali»110.
Silvanus Germanicus nous décrit par ailleurs comment le jardin était aménagé et quelles
étaient les plantes qui charmaient les yeux et le nez des invités. Selon lui, les convives étaient
invités à s’attabler au milieu de la nature, à rechercher l’ombre fournie par le lierre et le
394, vv. 1-4, p. 326 : « Coelum suspiciens, bearis Anna ;
Terram despiciens, bearis alto
Traiani Foro ; et es beatus usque
Terras si, Coryti, vides, si et astra »,
396, v. 1, p. 327 : « Traiani haec Fora sunt, sunt Horti Coryciani »,
les dires de Girolamo Vida, Coryciana, éd. IJsewijn, 397, vv. 53-54, p. 329 :
« Traianique Foro et Tarpeiae proximus arci
Excipit et vates et egregios heroas »,
et ceux de Sivanus Germanicus, Coryciana, éd. IJsewijn, 398, vv. 10-11, p. 330:
« Traiani spacium Fori petamus,
Postes hic ubi Corytus recludit ».
108
S. Lattès, « Recherches sur la bibliothèque d’Angelo Colocci » in Mélanges d’archéologie et d’histoire, 48,
1931, p. 308 : « Les Horti colotiani, situés au pied du Pincio, dans la partie sud des anciens jardins de Salluste,
étaient, avec ceux de Blosio Palladio et du mécène allemand Hans Goritz – Corycius pour les humanistes – un
des lieux de réunion préférés de l’Académie romaine. »
109
P. Grégoire, « Die Rom-Residenz des Giano Coricio », in Die Warte - Wochenbeil. z. Luxemburger Wort 33
(1980), Nr. 24, et l’annexe 4 pour la reproduction de la demeure de Corycius, publiée avec l’article.
110
Coryciana, éd. IJsewijn, Introduction, p. 7 : « [Ejus] domus erat in regione Parionis prope ab aedibus de’
Galli in platea Cancellariae, itaque non nimis longe aberat ab ecclesia Sancti Augustini, ubi statuam Sanctae
Annae posuit. Villa autem, in qua cenae Corycianae celebrabantur […], sita erat apud Forum Trajanum inter
ecclesiam Sancti Laurentii et Plateam Clavium Aurearum in Campo Carleo necnon et Viam Carbonariorum.
Haec area, excepto parvo Campi Carleonis spatio, nostra aetate omnino interiit cum Via Imperii aperiretur ». Cf.
également la caractérisation plus générale de P. Partner (op. cit., p. 190) qui affirme qu’à l’époque de Corycius,
l’aristocratie romaine était désireuse de posséder un jardin urbain pour des raisons diverses : « The most
seductive manifestation of aristocratic classicizing taste was the Roman garden, which often amounted to an
open-air museum. From the beginning of the century the same people who were buying vineyards on the
Quirinal, Esquiline, Pincio and Viminale, and making them into cultivated and well-kept walks and gardens,
which served to show collections of classical monuments and statuary, often arranged with exquisite taste. […]
The main aim of the Roman gardens was to set off the collections of antiquities. This did not exclude a concern
for horticulture ».
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myrte, et à jouir des saveurs que leur proposait l’hôte, lui-même intimement lié à la nature en
ayant la chevelure ornée de genêt et de laurier111.
C’est donc au milieu de la nature, et pourtant en plein centre-ville, que poètes et amis se sont
rencontrés pour célébrer le jour de la Sainte Anne et rendre hommage à l’homme qui semblait
non seulement rassembler des hommes de quelque statut social et littéraire, mais qui inspirait
aussi une grande confiance à bon nombre de jeunes talents, comme nous allons le voir sous
peu.
Outre l’œuvre des Coryciana elle-même, c’est le poème De Poetis Urbanis, publié avec le
recueil dédié à Corycius (sous le numéro 400 (3)), qui nous fournit, en plus des noms de ces
talents, des renseignements à leur sujet, et qui nous permet ainsi de mieux cerner le cercle
poétique regroupé autour de Corycius.
En effet, comme Blosio Palladio le suggère dans sa lettre-dédicace, Francesco Arsilli y retrace
les noms d’une cinquantaine de poètes dont la moitié à peu près est représentée dans le recueil
par des poèmes plus ou moins longs. Afin de ne pas les relever ici dans une liste démesurée,
nous renvoyons le lecteur aux annexes pour le poème lui-même et la liste des noms qu’Arsilli
y mentionne112.
Parmi ces noms, on rencontre des poètes et des curialistes que l’on compte au nombre des
membres de l’Académie romaine. Si ce terme est assez général pour rendre compte des
différents « cercles », il montre néanmoins qu’il y avait une tendance certaine chez les
hommes de lettres, les humanistes de l’époque, à se réunir selon différents buts et
111
Coryciana, éd. IJsewijn, 398, vv. 11-17 :
« Postes hic ubi Corytus recludit,
Ornatos hedera sequaciore,
Et myrto Idalios olente odores,
Intertexta humilis coma genistae,
Et laura pariter virentiore,
Invitatque viros disertiores
Ut sumant patulis dapes sub umbris ». Pour une analyse détaillée des comparaisons qui ont été faites entre la
demeure et les jardins de Corycius et l’antre corycien non loin du Parnasse, surtout en raison de leur caractère
enchanté, voire mystique, cf. Phyllis P. Bober, « The Coryciana and the Nymph Corycia », in Journal of the
Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 40 (1977), p. 223-239. C’est elle aussi qui, en mentionnant l’ouvrage de
D. Gnoli, « Orti litterari nella Roma di Leo X », in !uova antologia, LXV, 1930, i, 1 Jan., pp. 3-19, ii, 16 Jan.,
pp. 137-148, rappelle que l’auteur y a répertorié de la poterie du XVIe siècle, trouvée dans les jardins de
Corycius et sur laquelle on lit encore les lettres G. L. (Goritius Luxemburgensis).
112
Cf. l’annexe 5 pour la liste des noms et l’annexe 17 pour le poème lui-même. Nous mentionnerons plus loin
Francesco Arsilli pour avoir entrepris de nous présenter – et ainsi de nous préserver –, une sorte de miroir de
l’entourage poétique de Corycius en écrivant son poème en l’honneur des poètes de Rome : cf. infra : I. 2. Janus
Corycius : l’œuvre. Une présentation exhaustive et détaillée, de même que la traduction intégrale du poème
constitueront des parties du projet de traduction commentée que nous envisageons à la suite du présent travail.
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occupations, comme, par exemple, la discussion au sujet de l’histoire et de la civilisation
classiques, le partage des intérêts, voire des trouvailles et acquisitions, archéologiques ainsi
que les compositions latines (ou grecques) des contemporains113. Si nous ne savons pas si
Corycius appartenait, ou non, à la seconde Académie de Pomponius Léto, force est de
constater que les caractéristiques relevées pour celle-ci valent également pour définir les
rassemblements autour du Luxembourgeois114. En effet, de caractère informel, ces rencontres
se tiennent dans la demeure d’un membre respecté, souvent plus âgé et assez riche pour
garantir un cadre détendu à l’occasion, et invitent, en général, un certain nombre d’habitués,
tout en attirant de nouveaux venus, selon qu’elles se constituent spontanément ou sont
planifiées d’avance115. Si l’Académie de Pomponio Léto, et de son successeur immédiat,
Paolo Cortesi, fut certainement la plus connue à Rome, des cercles plus restreints, comme
ceux qui se sont formés autour de Corycius, de Colocci et de Mario Maffei, jouaient un rôle
non négligeable dans le façonnement du paysage culturel de l’époque116.
En effet, même après la mort de Léto et le départ de Rome de Cortesi, ces rassemblements
donnaient lieu à des échanges de points de vue entre hommes de lettres et hommes de l’église
– bon nombre des habitués faisaient partie de la Curie117 –, ainsi qu’à d’occasionnelles
discussions au sujet de la politique et des événements religieux contemporains. Lieu
d’expression donc, et lieu de rencontre, les académies, souvent situées, nous l’avons vu, dans
les horti d’un membre plus âgé, voire du mécène lui-même, offraient à leurs membres un
cadre « neutre » au milieu d’une société qui, par ailleurs, surtout par rapport à certaines
questions politiques, comme la politique papale, ou religieuses, comme les différentes
tendances en Allemagne, sans encore parler de l’intégration de l’Antiquité dans la religion
chrétienne, n’acceptait point une expression générale libre. Néanmoins, le but de la plupart de
ces petites académies était multiple et souvent non sujet à des considérations litigieuses. Ainsi
113
J. F. D’Amico, op. cit., p. 89-96 : L’auteur y insiste, par ailleurs, sur la relative « fermeture » de ces cercles,
c’est-à-dire leur cadre apolitique et détourné de questions religieuses, bien que la seconde Académie de Léto ait
été refondée en tant que sodalitas religieuse, vouée aux Santi Vittore, Fortunato et Genesio.
114
Un des poètes des Coryciana, qui est en plus le dédicataire du recueil dans les manuscrits C et V, Giovanni
Maria Cataneo, mentionne Corycius comme « homme excellent et pilier unique de l’Acadömie romaine » (vir
optimus et Academiae Romanae unicum praesidium), cf. Coryciana, éd. IJsewijn, p. 50.
115
D’après la définition de l’Académie romaine et des académies romaines donnée par J. F. D’Amico, op. cit.,
pp. 89-112 : « The Roman Academies. »
116
Nous mentionnerons encore les différents aspects de ces académies ou « cercles d’humanistes » au point I. 2.
Janus Corycius : l’œuvre, en rapprochant le recueil publié par Blosio Palladio des Saturnales de Macrobe, aussi
bien par rapport à l’occasion et le but des deux événements que par rapport à leurs déroulements concrets.
117
Pour n’en mentionner que les plus connus, rappelons que Jacopo Sadoleto et Pietro Bembo étaient, comme
Corycius, des secrétaires du Pape, que Colocci avait, entre autres fonctions, celle de secrétaire apostolique, puis
celle d’évèque de Nocera, qu’Alessandro Farnese allait devenir pape lui-même, que Viterbo était cardinal et
Mario Maffei évèque.
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46
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les participants y entendaient surtout des discussions au sujet des histoire et civilisation
antiques et néolatines, échangeaient des considérations sur les recherches et découvertes
archéologiques et proposaient des productions poétiques et en prose, que l’on critiquait
aussitôt après leur présentation au sein du groupe118. Il est évident que, dans le souci
d’harmoniser les différents thèmes et sujets, il fallait, à un moment donné, rapprocher
l’Antiquité des questions religieuses contemporaines. On en venait alors inévitablement à un
mélange idéologique certain entre idées traditionnelles chrétiennes et représentations ou
motifs classiques, qui deviendra habituel, comme on le voit non seulement dans le recueil des
Coryciana, mais aussi chez d’autres auteurs de l’époque119.
Du « cercle » poétique de Corycius, dont les rassemblements semblent avoir eu lieu
annuellement, nous présenterons deux membres. L’un est représenté par des poèmes plus
longs, tandis que l’autre, outre une lettre-dédicace et des contributions plus courtes, a pris soin
de l’édition du recueil : Silvanus Germanicus et Blosio Palladio.
Le premier, malgré une contribution importante aux Coryciana, est longtemps resté un
personnage assez obscur. Même l’origine de son nom ne semblait pas évidente, d’ici une
vingtaine d’années120. Or, la description de Silvanus Germanicus par Heinz Schmitt dans le
Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexikon121 nous fournit aujourd’hui des données
assez exhaustives au sujet de ce poète qui n’écrivit pas moins de 34 poèmes, de deux à cent
quarante-cinq vers – 836 vers en tout –122, pour le recueil dédié à Corycius. Comme il est
répertorié en tant que clerc au diocèse de Breslau, Schmitt présume que, comme ses amis
Caspar Ursinus Velius (1493-1539) et Georg Sauermann (1492-1527), il a connu le soutien de
l’évêque Johann V. Thurzo (1506-1520) et que, probablement, il a été éduqué à la « Breslauer
118
J. F. D’Amico, op. cit., p. 91, et p. 112. L’auteur y constate que ce caractère organisé des académies a
certainement contribué à susciter des reproches de monotonie, voire de stéréotypie de la part de ceux qui n’en
faisaient pas partie. De même, le fait de chanter sans cesse les grands hommes – de la Cour –, pouvait faire dire à
quelques-uns que l’on s’intéressait davantage à des préoccupations matérielles, comme le souci du poste à
obtenir, ou de la fonction à remplir, qu’à des questions intellectuelles ou sprituelles.
119
On peut par exemple mentionner ici l’ouvrage théologique In Quattuor Libros Sententiarum de 1503, adressé
à Jules II par Paolo Cortesi où l’auteur cherche à fusionner les cultures chrétienne et classique, afin de rendre
l’une indispensable à l’autre et vice-versa.
120
Lorsqu’Ellinger, op. cit., présente un certain nombre de poètes de l’entourage de Corycius, il dit également
qu’il y avait « [den] nur unter seinem humanistischen Dichternamen bekannte[n] C. Silvanus (Forster oder
Waldmann ?) Germanicus ».
121
H. Schmitt, « Sylvanus », in Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexikon, XXXI (2010), cols. 1364-1382.
122
Il s’agit des poèmes 271, 272, 273, 274, 275, 280, 288, 289, 292, 293, 304, 305, 311, 312, 313, 314, 315, 320,
321, 322, 323, 324, 325, 336, 337, 338, 348, 349, 382, 385, 386, 387, 388, et 398.
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47
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Domschule »123. Dans une lettre du 3 mai 1515, adressée à l’évèque, Silvanus se désigne luimême comme « ton humble serviteur » (tuus servulus), au service d’un « prince excellent »
(princips optimus). Dans une autre lettre, adressée au chancelier épiscopal Dominicus
Schleupner (ca. 1480-1547), il recommande à celui-ci le chanoine Laurentius Pöschel (1539),
dont il a fait la connaissance à Rome et avec lequel il s’est lié d’amitié. Déjà le De poetis
Urbanis de Francesco Arsilli mentionne Silvanus comme « compatriote » (concors patria) de
Caspar Ursinus124. Par ailleurs, Schmitt mentionne un compatriote et contemporain de
Silvanus, Franz Faber alias von Koeckritz (1497-1565) qui, dans son Sabothus, fait l’éloge
des poètes de Silésie qui se sont distingués par leurs vers, et compte Silvanus parmi eux : « Et
tu Sylvane in claris numerere poetis », malgré le fait que celui-ci ne put pas (encore) accéder à
une gloire et une renommée plus grandes à Rome, faute de moyens financiers. Silvanus s’est
probablement rendu à Rome au printemps 1509, car il s’y trouvait en juin de cette année :
dans sa copie du Méléagre de Basinio Basini (1425-1457), il rapporte à Léon X qu’il se
trouvait à Vérone quelques jours après la bataille d’Agnadello, le 14 mai 1509, et qu’il avait
justement trouvé une copie du Basini dans une maison dévastée. Ensuite, on rencontre
Silvanus à Rome, d’un côté comme le premier éditeur de l’Apocolocyntosis de Sénèque et de
L’histoire de Ferdinand I, roi d’Aragon de Lorenzo Valla, dédiée au riche mécène Anton
Fugger, et de l’autre côté comme membre de l’académie rassemblée autour de Corycius125. De
même, ses épitaphes pour Imperia ou Lucrezia Cognati (1481-1512), parues dans le Imperiae
Panegyricus, édité par Giano Francesco Vitali (1485-1560), lui aussi un poète des Coryciana,
témoignent de son activité à Rome vers 1512. En plus, lors du couronnement de Léon X,
celui-ci, tout comme son prédécesseur Jules II, accorde à un certain Georgius Silvanus les
bénéfices de l’autel St Pierre et Paul, et de la Vierge Marie au Breslau, et ce Silvanus continue
à disposer des paroisses de St Michel et de St Gotthard, de sa commune natale Strehlen. La
copie du Méléagre, dotée d’une dédicace du 23 mai 1513 à Léon X, serait un remerciement
pour ces attributions de la part du pape Médicis. Un autre poème panégyrique témoigne de la
123
Cf. également G. Ellinger, op. cit., pp. 493-496.
Coryciana, éd. IJsewijn, 400 (3), vv. 223-230, p. 353 :
« Alta supervolitans URSINUS tecta Quirini
Fertur Parrhasi GASPAR ab axe poli,
Barbariem incultam patriis de finibus arcet,
Ducit et Ausonias in nova templa deas.
Aemulus huic, concors patria, iuvenilibus annis
SILVANUS numeris certat et arte pari.
Auspice Germanas hoc iam fluxere per oras
Attica Romano conflua mella favo ».
125
Selon Schmitt, op. cit., la dédicace « C. Silvanus Germanicus Antonio Fuccaro Augustensi » indique avec
certitude que l’humaniste Caius Silvanus Germanicus, poète et copiste des Coryciana, et le Silésien Georg
Silvanus, mentionné par von Logau dans l’entourage d’Anton Fugger, sont une seule et même personne.
124
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48
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bienveillance de Léon X, non seulement envers le poète, mais envers la ville tout entière : la
Silva, un éloge de 630 hexamètres composé afin de célébrer l’érection d’une statue de Léon X
par Domenico Amio, ne put malheureusement pas être prononcée publiquement, faute
d’occasion126. Un témoignage plus explicite de sa plume, un epyllion, que l’on peut
rapprocher de motifs utilisés par Claudien, chante le nouveau pape Clément VII, invité à
sauver l’Europe de la menace turque. Schmitt mentionne par ailleurs un troisième mécène de
Silvanus, outre Anton Fugger et Alberto Pio, Giano Matteo Giberti (1495-1543), évêque de
Vérone, à qui est dédiée la préface de cette œuvre panégyrique. Ce poème, tout comme
l’éloge de Léon X, paraissent le 21 décembre 1524 chez Ludovicus Vicentinus et Lautitius
Perusinus, les éditeurs du texte des Coryciana.
Pour ce qui est des qualités littéraires et poétiques de Silvanus, nous allons les découvrir dans
la deuxième partie de ce travail, où nous traduirons et analyserons deux de ses poèmes
coryciens. Mais Silvanus Germanicus ne doit pas uniquement être présenté comme un poète
du recueil – et ses poèmes sont innmobrables, nous l’avons vu. Il est également le copiste du
manuscrit C, c’est-à-dire du codex Corsinianus Niccolò Rossi 207, répertorié par IJsewijn.
Même si l’établissement du texte n’en a pas été influencé et que l’édition de 1524 n’en a pas
tenu compte127, cette double participation de Silvanus ne nous semble pas sans importance,
car elle montre combien un des poètes a été impliqué dans la finalisation et la publication (au
premier sens du terme) des Coryciana.
Blossius Palladius, ou Blosio Palladio, de son côté, cache moins son engagement dans la
publication, matérielle cette fois-ci, du recueil poétique des Coryciana. En effet, même si la
contribution poétique du Sabin aux Coryciana est de loin moins importante que celle de
Silvanus Germanicus – il ne rédigea que sept poèmes128 –, sa personnalité est autrement
caractéristique pour le recueil. Celui-ci, en effet, n’aurait pas été publié sans les soins du
Sabin. C’est du moins ce qu’il prétend. Connaissant bien le dédicataire et ses scrupules
littéraires et poétiques, Blosio Palladio nous fait croire qu’il fallait un acte surhumain – il se
compare à Prométhée –, pour arracher le recueil à Corycius et le faire paraître au grand
public.
126
Cf. H. Schmitt, op. cit., cols. 1364-1382.
Cf. IJsewijn, Introduction, p. 19.
128
Il s’agit ici des poèmes 9, 38, 56, 127, 136, 138 et 140.
127
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49
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Du point de vue biographique, on constate qu’il vit une carrière semblable à celle de
Corycius, étant secrétaire à la Curie sous Léon X. Il fut, par ailleurs, le secrétaire privé de
Clément VII, de Paul III et de Jules III, et l’évèque de Foligno de 1540 jusqu’à son abdication
en 1547129. Blosio Palladio se présente au lecteur moderne comme un homme typique de son
siècle, un poète qui, contrairement à l’humaniste qui fait des études et des recherches,
« cueille les fruits de ces études et recherches ». De même, si l’humaniste « ressuscita le
monde latin », le poète, quant à lui, le « reproduisit »130. Sa conception de la poésie semble
bien avoir été celle de l’art pour l’art, où le jeu avec les témoignages anciens, le jonglage
stylistique – parfois extrême –, ou l’exagération dans le vocabulaire, deviennent plus
importants que le contenu réel de l’œuvre. Le désir de plaire au lecteur par son art lui tenait
plus à cœur que le souci d’authenticité131. Sans pour l’instant parler de ses quelques poèmes,
on peut constater ainsi que la lettre-dédicace est truffée d’allusions littéraires, notamment
virgiliennes – le petit vieux de Cilicie ou le Silène endormi –, et mythologiques – Prométhée –
, alors que la vérité – la retenue et les hésitations de Corycius –, lui importe peu. Seuls
importent l’élégance du style, de la lettre et du recueil, et le projet de publication de ce
dernier, justifié, selon Palladio, par ces mentions littéraires et mythologiques mêmes132.
Néanmoins, la valeur de son témoignage et sa place au sein des hommes de lettres et des
poètes de son temps ne sont pas mineures133. Outre le fait d’avoir amené la publication des
Coryciana, Palladio publia également un autre recueil poétique issu de l’Académie – à
laquelle il présida pendant un certain temps –, le Suburbanum Augustini Chisi. En plus de cet
ouvrage qui chante la villa luxueuse du banquier Agostino Chisi, l’actuelle Villa Farnesia,
Palladio rédigea deux éloges, l’un pour les chevaliers de Rhodes, l’autre, tout comme
Silvanus Germanicus, en hommage à Léon X en vue de la dédicace d’une statue en marbre.
129
J. F. D’Amico, « Blosius Palladius of Sabina », in Bietenholz, P. G. (ed.), Deutscher, T. B. (ass. ed.),
Contemporaries of Erasmus, a biographical register of the Renaissance and Reformation, 3 vol., Toronto,
Buffalo, London, University of Toronto Press, 1985-1987, pp. 46-47.
130
Cf. A. Lesen, op. cit., p. 37 : « l’umanista studiò, il neolatinista raccolse i frutti di quello studio ; […]
l’umanista risuscitò il mondo latino, il neolatino li riprodusse ».
131
Cf., i. a., Coryciana, éd. IJsewijn, 38, p. 68 :
« Vatibus an, Coryti, debes magis, an tibi vates ?
Alterutri alteruter debet, uterque Deis »,
132
A. Lesen, op. cit., p. 40, en résumant les Coryciana, dit ceci au sujet de Palladio : « La parte la più
interessante è senza dubio la scherzosa lettera di Blosio Palladio di cui giova dar larga notizia anche perchè serve
a fomarsi un esatto giudizio dello stile elegante e del carattere giovale di questo illustre figlio della regione
sabina. »
133
J. F. D’Amico, Renaissance Humanism (op. cit.), p. 111 : « … the absence of a major humanistic work by
Blosio is significant. One is left with the definite impression that he belonged to an intellectual world that had
passed, and that he could not find the justification or strength to commit himself to the new one he served.
Perhaps he sensed that Roman humanism, with its optimistic devotion to neoclassicism, was not the proper
response to the new problems facing the Curia and Italian intellectuals. »
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50
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Selon D’Amico, cette louange du pape Médicis est représentative du souci constant des
hommes de lettres de l’époque de trouver, grâve au rôle du pape, des liens entre les idéaux de
l’humanisme romain et les traditions ecclésiastiques et religieuses134. La mort du souverain
pontife empêcha pourtant aussi bien l’érection de la statue que la prononciation publique des
différents hommages135. A l’intérieur du recueil des Coryciana, on peut encore signaler le bel
hommage à la statue de Sainte Anne, de la Vierge et de l’Enfant, que l’on doit
vraisemblablement à Palladio136. Mais, si on parle de Blosio Palladio dans le contexte des
Coryciana, c’est surtout son rôle de « révélateur » qu’il faut souligner, son rôle d’homme
connaisseur qui, en tant que proche de Corycius, et connaissant non seulement sa fonction
juridique – qui lui permit de fréquenter les plus hauts dignitaires de l’Eglise –, mais aussi son
intérêt artistique, qu’il mit au service des poètes et des sculpteurs, pressentit et craignit que la
publication du recueil ne fût postposée par la piété même du dédicataire.
134
J. F. D’Amico, Renaissance Humanism (op. cit.), p. 135, où Palladio est décrit comme « a natural spokesman
for the ideals that bound Roman humanism to the ecclesiastical and religious traditions of Rome, [who] argued
for the central position of the papacy in the union of Christianity and classical culture. »
135
J. F. D’Amico, « Blosius Palladius of Sabina », in Bietenholz, P. G. (ed), Deutscher, T. B. (ass. ed.), op. cit.,
pp. 46-47.
136
Cf. Coryciana, ed. IJsewijn, 56, pp. 75-77 et infra : annexe 6.
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I. 1. d. L’engagement religieux de l’homme de foi
Si, jusqu’à présent, l’on pouvait croire que l’intérêt littéraire et poétique de Janus Corycius
était uniquement dû à son désir de faire revivre entre amis l’habitude des lectures privées des
Anciens, ou celle des banquets destinés à égayer les convives aussi bien par les mets que par
les mots, il faut en revanche noter que, dans notre cas, l’occasion à laquelle Corycius
rassemble autour de lui ses amis est bien le jour d’une Sainte : le jour de Sainte Anne, le 26
juillet. Le caractère religieux de cette fête ne saurait être négligé, d’autant plus que l’homme
lui-même est un docteur en théologie et droit canonique137.
Le 13 décembre 1510, Corycius a conclu avec les Pères Augustins qu’il érigerait un autel
dans leur église, « auprès de la troisième colonne, à gauche de l’autel de la nef centrale »138.
L’église a ensuite été consacrée le 23 novembre 1511, même si les travaux se sont prolongés
jusqu’en 1527. La triple statue en marbre de cet autel, fabriquée d’une pièce par Andrea
Sansovino, regroupe Sainte Anne et la Vierge Marie tenant Jésus-Christ dans ses bras. A
celle-ci vient s’ajouter une fresque, également commandée par Corycius139, réalisée par
Raphaël et représentant le prophète Isaïe, entouré de putti140.
Selon IJsewijn141, le culte du Christ, de la Vierge et de Sainte Anne fut très répandu dans le
bassin du Rhin et en Belgique, auprès des « Germani Inferiores » vers la fin du Moyen-Âge,
et Ellinger va même jusqu’à affirmer que Sainte Anne y était vénérée comme une Sainte « à la
mode »142. Dans son œuvre sur les mystères païens de la Renaissance, Wind ajoute que, à côté
de la vénération de la « trinité terrienne », de Josèphe, de Marie et de Jésus-Christ, également
137
Cf. C. Schuchard, op. cit., p. 805, et la définition du protonotaire de l’Encyclopédie Catholique, donnée cidessus (I. 1. b. La fonction juridique du clerc).
138
IJsewijn, dans l’introduction de son édition (p. 9) affirme que c’est grâce à son appartenance à la sodalitas de
la nation germanique que Corycius a pu rassembler l’argent pour faire construire cet autel et pour commander la
statue et la fresque. Cf. également la note suivante.
139
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, Introduction, p. 4-5. Le soutien financier de Corycius ne se limite pas à ce projet
de construction d’un autel avec groupe statuaire, surmonté d’un tableau dans l’Eglise Sant’Agostino. Nous
connaissons encore une autre participation du Luxembourgeois à un projet de construction ecclésiastique à
Rome, à savoir celle de l’Eglise Santa Maria dell’Anima, où, après la rénovation de l’hospice, une rénovation de
l’église fut décidée par la fondation allemande, le 24 septembre 1499. La liste des donateurs mentionne « de
nombreuses vieilles connaissances », parmi lesquelles figure Corycius, avec une participation de 50 ducats.
L’Eglise elle-même fut inaugurée et consacrée le 23 novembre 1511. Cf. A Schulte, Die Fugger in Rom 14951523, Duncker & Humblot Verlag, Leipzig, 1904, p. 204 pour les données exactes et le renvoi à la liste.
140
Cf. l’annexe 7 pour une représentation du groupe statuaire surmonté de la fresque d’Isaïe.
141
Coryciana, éd. IJsewijn, Introduction, p. 5.
142
G. Ellinger, op. cit., p. 339, où il utilise le terme « Modeheilige ».
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assez répandue à Rome, le culte initié par Corycius, honorant Marie, Jésus-Christ et Anne, en
était une variante143.
Il semble ainsi que Corycius ait amené une coutume religieuse de sa patrie à Rome, sa
nouvelle patrie, pour en faire l’occasion d’une fête annuelle qui ne donnait pas seulement lieu
à une messe célébrant Sainte Anne. En effet, à partir de l’année 1512, le 26 juillet devint aussi
l’occasion d’une cérémonie annuelle144 solennelle qui, après la messe et la célébration
matinales, amenait les croyants à accrocher leurs prières et remerciements à « des cadres
disposés autour de la colonne, voisine de la statue »145, pour ensuite se rendre en cortège,
voire en procession, aux jardins de Corycius près du Forum de Trajan146. Après la matinée, la
deuxième partie de cette journée mit en scène poètes et orateurs, gâtés et inspirés par les mets
et le vin de leur hôte. Cette journée de fête, mêlant piété religieuse et intérêts littéraires,
poétiques et artistiques reflète bien le caractère de la ville cosmopolite du tournant du XVe
siècle : le profane et le sacré se jouxtaient, l’Antiquité et les usages chrétiens étaient
entremêlés :
« Cet amalgame constant, ces deux histoires [du christianisme et de l’antiquité] mêlées
dotaient Rome d’une attirance quasi magnétique pour les intellectuels, les poètes et les
artistes, comme pour la foule des pèlerins et des fidèles »147.
Nous reviendrons sur l’aspect poétique et intellectuel de l’après-midi de cette journée de fête
annuelle. Ce qui nous intéresse à présent, c’est l’engagement religieux dont Corycius faisait
preuve en organisant cette célébration quasi officielle de Sainte Anne, qui, selon plusieurs
poètes du recueil, convenait à merveille à son caractère.
143
E. Wind, Pagan mysteries in the Renaissance, 1958, dans sa traduction allemande, Heidnische Mysterien in
der Renaissance, Suhrkamp, Francfort, 1981, p. 292 : « Eine weitaus nachhaltigere Wirkung hatte die später von
der Gegenreformation sanktionierte Verehrung der Heiligen Familie (Joseph-Maria-Christus) als »irdischer
Dreieinigkeit«. Eine Variante, die ebenfalls lange beliebt war, ist die Triade Anna-Maria-Christus (Heilige Anna
Selbdritt), um die ein spezieller humanistischer Kult in der Kirche von Sant’Agostino in Rom entstand. »
144
La régularité de cette fête est attestée par différents témoignages, on l’a vu. En voici un autre : Hieronymus
Aleander, Diarium, éd. Omont, « Journal autobiographique du Cardinal Jérôme Aléandre », in Notices et
Extraits des manuscrits de la Bibliothèque !ationale, t. 35, Paris, 1896, p. 17 : « (1516) Jul. 27 (…) Corycius de
more celebravit Annalia, data Saliari coena in hortis suis… », cité par IJsewijn, Introduction, p. 15.
145
J. Ruysschaert, « Les péripéties inconnues de l’édition des ‘‘Coryciana,, de 1524 », in Atti del Convegno di
Studi su Angelo Colocci : Jesi, 13-14 settembre 1969 (Jesi, 1972), p. 48.
146
Coryciana, éd. IJsewijn, 398, vv. 9-17 passim :
« Sed iam rite Deae sacris peractis,
Traiani spacium Fori petamus,
Postes hic ubi Corycius recludit
[…] invitatque viros disertiores
Ut sumant patulis dapes sub umbris ».
147
A. Chastel, op. cit., p. 13.
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Si les poètes chantent Corycius comme un homme généreux et bienveillant envers eux, on
retrouve, en plus, à différents endroits, l’éloge de sa profonde piété, allant jusqu’à l’honorer
comme l’instigateur de la véritable foi. Ainsi par exemple, selon Marco Antonio Casanova,
aucun chantre n’aurait pu mieux vénérer les Dieux que Corycius, aucun sculpteur n’aurait pu
mieux les représenter :
« Nos saintetés n’auraient pas préféré qu’un autre les eût dites,
Corycius, qu’une autre main les eût parfaites »148.
Dévoué au culte de Sainte Anne, Corycius semble être un élu, destiné à manifester et à
répandre sa piété dans son entourage, de sorte que l’inspiration religieuse se transmet aux
poètes, enthousiasmés avec leur mécène, comme le suggère Blosio Palladio :
« Dois-tu plus aux poètes, Corycius, ou vice-versa ?
L’un le doit à l’autre et l’un et l’autre aux dieux149. »
Si la piété chrétienne domine évidemment, et que Dieu est, en fin de compte, l’unique source
d’inspiration de tous, Corycius est néanmoins considéré lui-même comme celui qui repousse
les vieilles croyances afin d’instaurer le vrai culte du Christ et de la Sainte Famille. Fabio
Vigil Spoletino présente ainsi Corycius comme l’instigateur des vrais dieux :
« L’ancienneté mal amusée crut que Palladius, tombé du ciel,
Animait et l’action et les regards.
Toi, Janus, tu nous as fourni trois statues d’hommes avec art
Telles qu’on les croirait animées, voire douées de parole.
[…] Ô combien te devons-nous donc, à toi qui vainquis les divinités
Vaines des ancêtres par les divinités véritables ! » 150
Le mécénat de Corycius est ainsi rapproché de sa piété envers Sainte Anne, la Vierge et
l’Enfant, voire interprêté comme une conséquence immédiate de cette piété, de sorte que les
poètes se demandaient à plusieurs reprises ce qui serait plus durable, les cadeaux, les poèmes
148
Coryciana, éd. IJsewijn, 11, p. 51 :
« Non alium, Coryti, mallent se nostra dicasse
Numina, non aliam se poliisse manum ».
149
Ibid., 38, p. 68 : « Vatibus an, Coryti, debes magis, an tibi vates ?
Alterutri alteruter debet, uterque Deis ».
150
Ibid., 45, p. 71, et annexe 8 pour le texte latin intérgal et la traduction.
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ou la piété. Voici encore un témoignage de Blosio Palladio, revendiquant une vie éternelle
aussi bien pour les cadeaux de Corycius que pour sa piété :
« Dat statuas, aram et picturae munus eodem
Munere Corycius, Diis tria dona tribus.
Verum inter statuas aramque et nobile pictum
Longe plus placet his Corycii pietas.
Quare hi permoti hac pietate et muneribus Dii
Impulerunt vatem in carmina ; quae et dederant
Continuo vates ; dignas Diis, munere dignas
Corycio et Superis treis dederunt tabluas.
Sic factum, et merito, pietas ne et dona perirent.
Tam bene ut hic dederat, tam bene et ista cani »151,
et l’affirmation de Giovanni Capito Aretino que seule la piété sera perpétuelle, alors que l’art
et les vers ne sont pas susceptibles de durer éternellement :
« Ars, pietas, numeri certant hic, sed duo tamen
Deficient ; pietas sola perennis erit »152.
Corycius, le protonotaire et l’homme de lettres, est ainsi représenté comme un homme pieux,
et extrêmement influent dans les domaines culturel, littéraire et religieux, ce qui explique son
intense activité de mécène, non seulement pour les hommes de lettres, mais aussi pour les
peintres et sculpteurs à Rome.
151
152
Coryciana, éd. IJswijn, 127, pp. 112-113.
Ibid., 224, vv. 7-8, p. 162.
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56
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I. 1. e. L’intérêt artistique du mécène
Homme pieux et engagé au niveau religieux, Corycius s’est également intéressé aux arts, et
semble avoir collectionné statues et inscriptions antiques153. Selon une coutume chère aux
hommes aisés de l’époque, Corycius s’est engagé à préserver l’art antique dans l’art
contemporain, à faire revivre celui-là dans celui-ci et vice-versa154. Dans les Coryciana, on
trouve plusieurs allusions à son souci de préserver l’art antique, quelle que soit son origine, et
à l’intégrer dans ses demeures et jardins. Voici l’éloge du Saxon Janus Hadelius :
« Quod superest fractis longa ex aetate sepulchris
Colligit, inque hortis collocat omne suos ;
Cum base, cum titulo siquam modo viderit urnam,
Ponit in electis ordine quamque locis.
Eruta Flaminiae, sunt eruta multa Latinae,
Lectaque sunt uni tot monumenta viro,
Fractaque tot veterum, totque integra signa virorum
In sua conspicuas atria vexit opes,
Ut quid Roma fuit, quantisque eversa ruinis
Prae se Corycii vel domus una ferat »155.
Outre la passion pour les œuvres d’art elles-mêmes – aussi bien pour les objets et témoignages
antiques que pour les créations contemporaines –, Corycius s’est intéressé aux artistes et aux
poètes. Un grand nombre de poètes publiés par les Coryciana ne seraient probablement pas
connus sans lui, et les hommes de lettres, à en croire Pierio Valeriano, le chérissaient à
l’unanime :
153
Cf. les dires des poètes du recueil eux-mêmes et Coryciana, éd. IJsewijn, Introduction, p. 7 : « Corycius in
villa sua inter Quirinalem collem et Rupem Tarpeiam antiquas collegit statuas et inscriptiones, non aliter atque
Iulius II P. M. atque ante eum Pomponius Laetus, cuius domus in Colle quoque Quirinali sita fuerat haud longe a
villa Coryciana. »
154
Cf. P. Partner, op. cit., p. 190, cité ci-dessus (p. 44, n. 110) et p. 146 : « One of the most typical
manifestations of humanism in Renaissance Rome was the gathering of humanists in the garden, vineyard or
villa of some curialist patron who was rich enough to entertain them but not so rich as to overawe or bully them.
The Luxemburger curialist, John Goritz, entertained his literary friends on St Anne’s Day… . Similar meetings
were held by Monsignor Angelo Colocci, whose villa was in the new archeological zone on the Pincio which he
and other speculators had opened up during Leo’s pontificate. The grounds of such villas were re-planted with
trees and vines, and decorated with antique statues and sarcophagi… »
Cf. également le poème 370 du Saxon Janus Hadelius, Coryciana, éd. IJswijn, p. 246 :
« Relligione nova virtutem iungere priscam
Corycius dum vult, illud et illud habet ».
155
Coryciana, éd. IJsewijn, 368, p. 244.
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57
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« Universae etiam academiae, et omnibus, qui litterarum nomine censerentur, geniales
hortos suos ad Traianum consecraverat, conventumque insuper, et quoddam rei litterariae
certamen quotannis Divae Annae festo instituerat, longaque amorum serie celebrarat,
quod tantum illi gratiae conciliavit, ut nemo unquam Principum aetate nostra magis
fuerat, quam unus Coritius litteratorum omnium carminibus celebratus, vereque leporum
omnium pater appellatus »156.
Etant donné son engagement « total », incluant religion, littérature, poésie et sculpture,
Corycius est présenté comme un homme qui se concilie la grâce de tous et que tous vénère à
bon droit comme « père de tous les agréments »157.
Or, si la vénération de la Sainte devait être parfaite, il fallait que poésie et art plastique se
joignent et fonctionnent ensemble158, contrairement à la conception de l’art pour l’art. C’est
ainsi que Corycius, enflammé par une piété enthousiaste, avait commandé à Andrea
Sansovino, pour une chapelle de l’Eglise Sant’Agostino159, le triple groupe statuaire qui
semble lui-même enthousiasmé par la perfection artistique que son créateur lui a inspiré :
« Cum tot ubique habeas spirantia saxa, colores,
Aeraque, vita quibus ni sit, inesse putes,
Cur tantum tria ducta uno de marmore signa,
Anna avia, et Mater Virgo, Puerque Deus,
Ingenia incendunt hominum, stimulantque poetas,
Quot Roma atque ingens ambitus orbis habet ?
Non hunc Corycius, non Sansovinus honorem
(Hic sumptu quamvis inclytus, ille manu)
Affectent : vis haec coelesti a lumine fusa est ;
Scilicet est tanti sacrum habuisse locum.
Nanque Augustini ingenium et facundia et ardens
Illa adeo pietas atque amor ille boni
156
P. Valeriano, De litteratorum infelicitate, éd. Genève, 1822, p. 67.
Silvanus Germanicus utilise une expression semblable pour caractériser le mécène : cf. Coryciana, éd.
IJsewijn, 398, v. 105, p. 333 : « pater elegantiarum ». Pierio Valeriano et Silvanus font ainsi preuve du double
caractère, aussi bien paternel et généreux qu’élégant, voire mondain de Corycius.
158
L. Geiger, op. cit., p. 70 : « Sollte […] die Verherrlichung eine vollständige sein, so mussten, gerade zur Zeit
der Renaissance, Poesie und bildende Kunst mit einander Hand in Hand gehen. »
159
Au sujet de l’établissement de chapelles, plutôt que d’églises au cours de la Renaissance, cf. P. Partner, op.
cit., p. 183 : « No great church was completed in Rome during the Renaissance period. […] The great art of
Roman Renaissance churches lies essentially in their private chapels: the Chigi chapels at S. Maria del Popolo
and S. Maria della Pace […], the Mattei chapel in S. Maria della Consolazione […], the Cesi chapel in S. Maria
della Pace. »
157
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58
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Hanc mentem inspirant coeli de vertice, virtus
Unde hominum, unde Deum non moriatur honos160. »
On serait tenté de parler de « correspondances », tant Pierio Valeriano loue ici l’interaction
des qualités poétiques, artistiques et spirituelles de la statue patronnée par Corycius et qui
devient, pour ainsi dire, une œuvre vivante. Selon ces témoignages, plus la piété de Corycius
était grande, mieux l’artiste a pu représenter des statues dignes de piété et de vénération161.
Blosio Palladio chante, lui aussi, l’éloge de cet autel multiple, dédié non seulement au culte
religieux, mais aussi à l’inspiration des poètes et des artistes :
« Sacrosancta Columna, hospitium Deûm,
Vatum materies, artificum labor,
Spes certissima mortalibus ac salus, … »162.
Que ce soit au niveau religieux, ou dans l’excellence artistique et poétique, les statues ont
suscité des efforts également honorables, qui réalisèrent un groupe d’une « simplicité
élégante » et d’une « grandeur tacite »163.
160
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 197, pp. 147-148.
Cf. de même le poème 294 de Giano Vitali, Coryciana, éd. IJsewijn, p. 201 :
« Mutarunt pariter se ars et natura, Coryti
Dum tria formaret Numina Sansovius.
Ars finxit naturam, artem natura refinxit,
Effigiem subiens altera in alterius.
Sic tantum varie, tantum bene confunduntur,
Ut communia dehinc nomina et ora habeant ».
161
Cf. également le poème 28 de Petrasancta, Coryciana, éd. IJsewijn, p. 58 :
« Corycius simulacra Deûm de marmore iussit,
At Sansovino numina vera dedit.
Nec mirum est, quoniam formas rerumque Deûmque
Natura in rebus sedula disposuit.
Ergo dum vivos tentat tria numina, vultus
Detexit sculptor, non simulavit opus »,
et le poème 65 de Giano Baptista Cataneo d’Imola, Coryciana, éd. IJsewijn, p. 84 :
« Aspice, Corycio votum solvente triforme,
Vivida coelicolis signa dicata tribus.
O quam virgineos referunt pia marmora vultus,
Quam veros habitus nobile vincit opus !
Laocoontei artifices scalpsere figuras,
Aut is, qui antiquae non minus artis habet ».
162
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 56, vv. 2-4 , p. 75 et la suite.
163
Il nous semble ici tout à fait permis d’utiliser l’expression « Edle Einfalt, stille Grösse », par laquelle
Winckelmann caractérisait les œuvres antiques dont les découvertes récentes fascinaient les lettrés de l’époque.
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59
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L’œuvre d’Andrea Sansovino est en effet d’une précision et d’une grâce extraordinaires164,
donnant, pour ainsi dire, vie aux représentés, une vie concrète, physique, en plus de la vie
éternelle qu’ils symbolisent pour les mortels :
« Si réels sont les visages représentés par le sculpteur
Qu’on les croirait respirer, les rochers muets parler 165. »
164
Cf. J. H. Gaisser, « The Rise and Fall of Goritz’s Feasts », op. cit., pp. 46-47, n. 20, l’annexe 8 pour la
représentation de la stèle (statue et tableau), et l’annexe 9 pour la fresque de Raphaël avec les deux inscriptions,
l’une en grec, l’autre en hébreu. Un autre témoignage, presque contemporain de Corycius et de Sansovino, de la
légèreté quasi bougeante de l’œuvre nous est fourni par Vasari qui, dans l’édition de 1550 du texte traitant de
Sansovino, « Vie d’Andrea dal Monte Sansovino », in Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes
(5e partie), Traduction et édition commentée sous la direction d’André Chastel, Arts, Berger-Levrault, 19892, pp.
309-319, loue la statue dans les termes suivants : « La main délicate d’Andrea a drapé mieux que tout autre ; la
riche retombée des plis est bien comprise, les mouvements du tissu sont rendus avec légèreté ».
165
Coryciana, éd IJsewijn, Girolamo Laurelio, 265, p. 183 :
« Tam veros finxit sculptor sub marmore vultus
Spirare ut credas, mutaque saxa loqui ».
On retrouve la même impression d’être en présence de statues vivantes dans un grand nombre d’autres poèmes,
dont Laurentius Vallatus, 254, p. 179 : « Est Deus, et non est ; Deus est, quod vivere reris ;
Non est, quod tactu marmora dura rigent »
et 255, p. 179 : « Est Deus, et non est ; spirat, non spirat ; idipsum
Est Deus ; ars ipsa est noscere quid Deus est »,
de même, Silvio Laurelio, 69, p. 86 : « Corytii mens, Sansovini ars, carmina vatum
Signa istaec adigunt vivere, muta loqui »,
le témoignage très fort de Pietro Corsi, 278, p. 194 :
« Dum Coryto scalptor tria numina marmore in uno
Effigiat, Dii tres sese operi insinuant.
Quisque suis proprium membris dant sensum animumque :
Hinc homini est vivos fas tetigisse Deos.
Scilicet veri Superi, quos casta precantum
Audire e surdo marmore vota liquet »,
Giano Vitali Panormitano, 231, p. 167 :
« Quod tris tam levi spirant sub marmore signa,
Non ars Sansovii est, sed Coryti pietas »,
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L’impression vivante obtenue grâce à l’excellence artistique est d’autant plus remarquable
que les représentés, tout en semblant réellement bouger, respirer et sourire, sont façonnés à
partir d’un seul bloc de marbre, comme Pietro Corsi le rappelle :
« Lorsque Corycius demande qu’on sculpte trois dieux
D’un seul marbre, le sculpteur anime trois dieux.
Ce que l’art ne voulut faire, la bienveillance divine l’accorda à l’art ;
Ainsi vivent trois dieux par un seul marbre166. »
On peut encore signaler tout particulièrement un poème d’Alexander Alxandrinus qui, en
faisant appel à la métempsychose enseignée par Pythagore, affirme que l’âme de Phidias est
passée dans le corps d’Andrea Sansovino, et semble ainsi considérer Corycius, l’initiateur de
la statue, comme un homme apte à faire revivre les âmes, même divines :
« Dogmata Pythagorae ni sunt ludibria nobis,
Artificem Phidiae credo habuisse animam »167.
Horatius Coclius Otriculanus, 319, p. 217 :
« Est lapis, an potius vera haec tria Numina ? Si sunt
Numina, dextra hominis conficit ergo Deos ?
Si lapis, ergo lapis ridet, colit, aspicit, audit,
Et lapidi fas est dicere inesse animam.
At rerum patitur minus hoc natura, nec illud
Credibile est. Quid ni ? Credere utrunque potes.
Ex lapide hos mira finxit Sansovius arte ;
Vivere Corycii sancta dedit pietas.
O mirum ingenium, pietas o maxima ! Utrunque
Dicere naturae praevaluisse licet »,
ou Petrus Andreas Sanctuccius, 365, vv. 5-6, p. 240 :
« Uno qui ut spirent tres (mirum !) in marmore : Christus
Atque avia, et Marië, nata, nepos, avia ».
166
Coryciana, éd. IJsewijn, 12, p. 52 :
« Dum petit uno Superos treis marmore duci
Corycius, sculptor treis animat Superos.
Nanque ars quod nequiit, Superûm favor addidit arti ;
Sic uno vivunt marmore tres Superi ».
Cf. aussi le début du poème 15 de Giano Maria Cataneo, vv. 1-2, p. 52 :
« Tres Charites, Charis una, uno tria numina saxo,
Unum numen, amor trinus, et unus amor »,
le début du poème 64 de Giuliano Princivallo Camers, vv. 1-2, p. 83 :
« Descendêre polo tria numina marmor in unum ;
Haec statio aetheria sede probata magis »,
le poème 130 de Giano Baptista Cataneo, vv. 7-8, p. 114 :
« Si lapide ex uno in plures diducta figuras
Marmora sunt laudi, qui sapis, haec celebra ! »,
ainsi que la courte épigramme 217 de Girolamo Pacinas, p. 158 :
« Mater, Nata, Nepos uno sub marmore vivunt
Munere Corycii, pollice Sansovii ».
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Tant d’éloges, non seulement envers l’homme pieux, mais aussi envers l’homme qui, par son
intérêt artistique et littéraire, inspire de la vie aux poètes et aux sculpteurs, montrent avec
évidence que Corycius a été considéré par ses contemporains comme un homme généreux et
un mécène pour les poètes et les talents artistiques de l’époque. Et alors, bien que le recueil
des Coryciana n’ait pas fait connaître des poètes excellents, comme cela avait été le cas avec
les poètes patronnés par Mécène au temps d’Auguste, la référence à cet homme semble
s’imposer quand les poètes parlent de Corycius au temps du pontificat de Léon X :
« Non nunc Moecenas, non rex Macedum, nec Athenae,
Corycii at pietas excitat ingenia haec »168.
D’ailleurs, si le donateur est comparé à Mécène, le nom de l’artiste apparaît lui aussi à côté
des sculpteurs antiques éminents. Giorgio Vasari, un homme proche de son époque, nous
fournit des explications au sujet du caractère, du talent et de la vie d’Andrea Sansovino169.
Même si ces informations sont parfois à utiliser avec précaution, elles montrent néanmoins
combien le talent de ce jeune homme de la campagne sut impressionner les intéressés de
l’architecture et de la scultpure et ce, dès la fin de sa vie170. Né au Monte Sansovino en 1471,
comme le suggère Chastel, plutôt qu’en 1460, Andrea Sansovino vécut jusqu’en 1529. Inscrit
à la Corporation des Tailleurs de pierre et de bois en 1491, il fut considéré comme l’auteur de
différentes œuvres, dont toutes ne peuvent cependant être identifiées et retenues comme
siennes171. Or, deux chapiteaux de piliers de la sacristie aussi bien que la chapelle du SaintSacrement de Santo Spirito comptent parmi ses œuvres et on lui attribuait de nombreuses
167
Coryciana, éd. IJsewijn, 86, p. 92.
Ibid., 162, vv. 1-2, p. 130, et 400 (3), vv. 361-362, p. 358 :
« Vatibus hic sacris Moecenas splendidus, illi
Si foret Augustus ; tempora avara nocent ! »
Voir de même le poème 14 de Girolamo Angeriano, p. 52 :
« Quis dedit huic animam saxo ? Quis numina coelo
Eripuit, terras et facit haec colere ?
Non manus artificis polit hoc opus ; ipsa benigni
Corytii durum saxum animat pietas ».
169
Les explications suivantes reprennent le texte de Vasari (op. cit.), tout en tenant compte des corrections et
précisions données par A. Chastel, à partir de sources modernes. Pour le portrait de l’auteur, cf. l’annexe 10.
170
G. Vasari, op. cit., p. 309 : « C’est à juste titre qu’il fut considéré par les connaisseurs de son époque comme
le plus éminent des architectes et des perspectivistes », et p. 315 : « L’architecture et la sculpture doivent
beaucoup à Andrea ; la première, pour ses découvertes dans le domaine des mesures et du levage des poids ainsi
que pour son zèle inégalé ; la seconde, parce qu’il a su travailler le marbre à la perfection avec une aisance
merveilleuse, un bon jugement et beaucoup de soin ».
171
Cf. G. Vasari, op. cit., pp. 309-310 et 317, où Chastel fait valoir ses doutes si le retable en terre cuite avec
Saint Laurent, d’autres saints et de petites scènes admirablement réalisées dans l’église Sainte-Agathe à Monte
Sansovino, de même que le retable avec l’Assomption, sainte Agathe, sainte Lucie et saint Romuald, sont
vraiment des œuvres de la main d’Andrea Sansovino.
168
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62
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commandes pour le roi, qu’il aurait réalisées lors d’un séjour au Portugal172. En 1500, un
Baptême du Christ fut commencé à Florence, un Christ, une Vierge ou un Saint Jean, à
Gênes. Chargé par Jules II, il sculpta le Tombeau du Cardinal Sforza en 1505 et en 1507, le
Tombeau du Cardinal Girolamo Basso della Rovere. En 1512,
« à Saint-Augustin de Rome, sur un pilier au milieu de l’église, il sculpta une sainte Anne
avec la Vierge et l’Enfant un peu plus petite que nature, qui est un chef-d’œuvre
moderne : l’expression de la vieille femme trahit une grande gaieté très naturelle, la
Vierge est d’une beauté divine, l’enfant Jésus, charmant, est d’une perfection
inégalable »173.
Chargé par Léon X, Andrea Sansovino commença en 1513, puis participa à la décoration en
marbre de la chapelle de la Vierge à Notre-Dame-de-Lorette jusqu’en 1527, avec des scènes
comme la Visitation, la !ativité ou Adoration des Bergers, l’Annonciation et l’Epiphanie. Le
succès du sculpteur semble grand à l’époque et, entre 1511 et 1517, il présida au chantier du
palais des chanoines, projeté par Bramante selon l’ordre de Léon X, avant d’y être remplacé
par Antonio da Sangallo le Jeune. Non oublieux de ses origines, Andrea Sansovino retournait
en été au Monte où, en 1523, il entreprit le projet de construction d’un cloître et d’une petite
chapelle pour les pères augustins. La dernière sculpture de sa main serait un Saint-Roch dans
l’église de San Quirico près d’Arezzo. Il est intéressant à noter qu’à sa mort, en 1529, Andrea
Sansovino semble toujours être mis en rapport avec Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant : selon
Chastel, dans la première édition de l’œuvre de Vasari, figuraient les épitaphes suivantes :
« SANSOVII AETERNUM NOMEN TRIA NOMINA PANDUNT.
ANNA, PARENS CHRISTI, CHRISTUS ET ORE SACRO »
et « SI POSSENT SCULPI MENTES UT CORPORA CAELO
HUMANUM POSSEM VEL REPARARE GENUS.
HUMANAS ENIM SCULPO QUASCUMQUE FIGURAS
ESSE HOMINES DICAS,
PARS DATA SI ILLA FORET
»174.
172
Ce voyage manque de preuves : cf. G. Vasari, op. cit., p. 317, note 12.
Ibid., p. 312, et l’image de la statue reproduite ci-dessus (p. 60).
174
Ibid., p. 318, n. 41.
173
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63
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Si cette carrière artistique semble vaste, déjà les contemporains n’allaient pas jusqu’à
comparer Andrea Sansovino à l’homme du moment, Michelange. Paolo Giovio, dans une
sorte de biographie de celui-ci, mentionne ainsi Sansovino comme son « collègue
inférieur »175.
Néanmoins, la biographie d’Andrea Sansovino peut certainement être précisée par les
innombrables poèmes des Coryciana qui témoignent du génie et du talent de cet homme,
souvent comparé à Phidias ou à Praxitèle, comme Corycius est comparé à Mécène :
« Inspirat Moecenas mentem animumque
Corycio, ac artem Sansovino Phidias176 ».
Une comparaison encore plus explicite entre Andrea Sansovino, Praxitèle et Phidias se trouve
dans un poème de Lorenzo Cataneo :
« Non sunt Praxitelis manu expolita,
Non haec Phidiacus labor peregit,
Nec quisque Rhodius, Scopasve prompsit,
Quibusvis aliis diu sepultis
Sub terris animae peritiores,
Sed Thusco ingenio, manu, arte, Thuscus
Andreas, Coryti exhibentis aurum
Dulci praesidio et decore fultus […] »177.
175
Giovio, P., « Michaelis Angelis vita (1527) », in The First Biographiy of Michelangelo, Paolo Giovio’s brief
Latin vita, with English, Italian, and German Translations, edited by C. Davis, 2009, p. 11: « Caeterum tanti
ingenii vir natura adeo agrestis ac ferus extitit, ut supra incredibiles domesticae vitae sordes successores in arte
posteris inviderit. Nam vel obsecratus a principibus numquam adduci potuit ut quemquam doceret vel gratia
spectandi saltem in officinam admitteret. Probantur secundum eum, sed longo equidem intervallo, suamque
laudem meriti, Sansovinus ex Aretino agro, cuius est Anna cum Maria filia, et nepote Christo infanti, multis
carminibus ambitiose celebrata, quum eam Coritius Trevir poetarum patronus epulo praebito dedicaret… ».
176
Coryciana, éd. IJsewijn, Michael Venturus Fulginas, 238, vv. 7-8, p. 171.
177
Ibid., 246, p. 175 et aussi 245, v. 9, p. 175. L’« Ode à la Colonne de Corycius », par Blosio Palladio,
Coryciana, éd. IJsewijn, 56, p. 75 ss., doit également être mentionnée ici : cf. infra : annexe 7, ainsi que le
poème 48 de Favonius Vergerius, p. 72 :
« Marmora Phidiaco non concessura labori,
Artificis spectes si ingenium atque manus,
Corycius, quo non pietate insignior alter,
Et qui praecipue nil nisi sacra colit,
Dedicat haec mentemque simul tibi, sancte Deorum ;
Dignum praesidiis munus utrunque tuis ! »
et le poème 64 de Giuliano Princivallo Camers, Coryciana, éd. IJsewijn, vv. 11-18, p. 83 :
« Vivida iam celebris sileant armenta Myronis ;
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64
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Silvio Laurelio insiste aussi que l’on peut à bon droit comparer Sansovino à Praxitèle :
« Praxiteles nostro si clarior arte fuisset,
Noster Praxitele maior erat numeris.
At quid Praxiteles iuris sibi vendicet, heic iam
Arte ubi Praxiteles vincitur et numeris »178.
Un témoignage non moins élogieux, tout en restant ambigu, nous provient d’Angelo Colocci :
« Miramus gelida religatum rupe Prometheum
Praebere aeterno pectora vulturio.
Ille hominem finxit ; sed quae tormenta meretur,
Qui Divorum animas intulit huic lapidi »179.
S’il fait certes l’éloge du groupe statuaire, il ne cache tout de même pas une certaine rancune,
voire un sentiment de jalousie envers Corycius. La statue exerce une fascination certaine,
même sur Colocci, car il met sur un pied d’égalité la révélation du feu à l’homme et la
publication du recueil des Coryciana. Mais le poète exprime non moins une cruauté évidente
envers l’homme qui a commandé cette statue, car il semble envisager avec satisfaction le
même supplice, voire un plus grand supplice, pour Corycius que pour Prométhée.
Ce témoignage nous montre que tous n’étaient pas entièrement favorables à Corycius, et qu’il
y en eut pour le critiquer, voire l’attaquer ouvertement pour différentes raisons.
Lysippi Alcides iam taceatur opus ;
Praxitelis taceat Veneris, iracula fama,
Nec vaga Phidiacum nobile iactet ebur ;
Laocoontis opus, felix et gloria cedat,
Et Polycletea signa peracta manu !
Illis ampla fuit laus olim effingere corpus ;
Marmore in hoc animus fingitur arte nova ».
178
Coryciana, éd. IJsewijn, 72, p. 87.
179
Ibid., 33, p. 60.
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65
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66
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I. 1. f. Hostilités et jalousies diverses
Malgré le caractère généreux et joyeux de Corycius, son application religieuse, littéraire et
artistique, il y eut des contemporains qui ne chantaient pas son éloge ou n’y participaient plus.
Vers la fin de sa vie, Corycius a ainsi été soupçonné de luthéranisme et d’hérésie180, surtout
par son « rival », Angelo Colocci. Cet homme, non sans faire preuve de talent poétique181,
avait une grande influence au sein de la Curie, et il a su se procurer, souvent pour une somme
d’argent importante, d’innombrables fonctions curiales, comme celles de secrétaire
apostolique, de magister registri litterarum, de sollicitor litterarum apostolicarum, de
trésorier général, puis des fonctions ecclésiastiques comme celle de chanoine, puis même
celle d’évèque182. Cette carrière éblouissante, qui lui a valu une fortune considérable, est en
partie parallèle à celle de Corycius, mais celui-ci, en tant qu’étranger, semble avoir mérité de
ses fonctions plutôt que de les avoir achetées.
180
G. Lancellotti, Poesie italiane e latine di monsignor Angelo Colocci, Jesi, 1771, pp. 75 et 76, cité par J. H.
Gaisser, « The Rise and Fall of Goritz’s Feasts », op. cit., p. 53, nn. 43-44, et Coryciana, éd. IJsewijn, Carmen
extravagans, VI, 9 p. 378 :
« Coricio et Luthero bene convenit, ambo bibaces
Ambitione ambo nequitiaque pares.
Germanae maculae. Hoc unum male convenit illis :
Ille aliquem, nullos hic putat esse deos »
et VI, 12, p. 382 : « Coelitibus Janus qui magnas nuncupat aras
O Dii, vos ficto numine ludificat
Annam adamat scortum et praetexens nomine culpam
Vobis, non vobis, haec sacra templa dedit ».
Voir de même les dires de Giovanni Baptista Sanga, Carmen extravagans VII, vv. 1-8, p. 388 :
« Quid hoc putemus esse ? Cur Annalia,
Solemne Corytus sacrum
Divumque honores deserat, nec iam bonis
Mortalibus det cenulas,
Sed immerentes barbarus derideat
Vexetque contumeliis ?
An quod secutus Lutheri sectam impiam
Nunc nostra contemnit sacra ?
An ante priscis semper ille ritibus
Illusit ?[…]
Adeste nunc, adeste, mortales boni,
Impune ne nos laeserit
Senex avarus, execremur ipsum
Et Lutheranum Corytum ».
181
Francesco Arsilli, dans son De poetis Urbanis (Coryciana, éd. IJsewijn, 400 (3), p. 351, vv. 185-186) ne
mentionne pas plus que son nom, lui, à qui les Muses ont particulièrement bien enseigné leur art, mais dit que le
passer sous silence ne serait pas juste :
« Te si, Coloti, o Musarum candide alumne,
Praeteream, vates invidiosus ero. »
182
J. F. D’Amico, Renaissance Humanism (op. cit)., p. 107.
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Or, Colocci, curialiste italien, et fervent défenseur de la romanité de l’époque, contribuait sans
doute à établir une certaine distance entre Romains et « non-Romains », et à répandre une
certaine hostilité, même envers les curialistes étrangers.
En général, l’atmosphère à la Cour papale se dégradait peu à peu, et les hostilités, ouvertes ou
cachées, envers les étrangers devenaient au plus tard évidentes avec l’affaire de Longueil qui
divisait les humanistes de l’époque en partisans des étrangers à Rome et en adversaires de
ceux-ci.
Ainsi l’origine germanique de Corycius suggérait bientôt – pour la première fois depuis son
arrivée à Rome, notons-le –, les pires choses à certains Romains. Ainsi, dans son Capitolo di
Papa Adriano, Francesco Berni, un ami de Colocci, reproche à Corycius et à d’autres
contemporains non romains, comme Copis, Winkler ou Trinchefort, leur nationalité étrangère
et insinue même leurs noms sont dissonants et hideux183. En plus, si d’aucuns chantèrent
encore la « Germanie » comme la patrie de l’édition, invention bienheureuse pour tous les
hommes de lettres184, en revanche, dans le contexte des décisions religieuses et politiques du
pape Adrien qui ne semblaient plus acceptables aux Romains, souvent pour des raisons
d’inconvénience personnelle, il y en eut même qui rapprochaient Adrien et Janus par leurs
noms et les condamnaient ipso facto l’un et l’autre185. Mais les querelles ne semblaient pas
naître de cette seule source. Une autre source de critique semble avoir été des rivalités entre
invités et non-invités, comme le montre ce témoignage de Longueil :
« De eodem Gorytio illud mihi velim diligenter perscribas, ecquid sacrum Annae diem
anniversario illo studiosorum hominum conventu epulisque celebravit : an vero propter
183
F. Berni, Capitolo di Papa Adriano 31-36, in Poesie et Prose. Ed. Ezio Chiòrboli. Genève et Florence, 1934,
pp. 62-69, cité par J. H. Gaisser, « The Rise and Fall of Goritz’s Feasts », op. cit., p. 52, n. 41 :
« Ecce che personaggi, ecco che corte,
Che brigate galanti cortegiane :
Copis, Vincl, Corizio et Trincaforte !
Nomi da far isbigottir un cane,
Da far inspiritar un cimitero,
Al suon delle parole orrende e strane ».
184
Cf. Filippo Beroaldo, un des poètes représentés dans les Coryciana, cité par G. Ellinger, op. cit., p. 339 : « O
Germania, muneris repertrix,
Quo nil utilius dedit vetustas,
Libros scribere quae doces premendo… ».
185
Vat. lat. 3353, fol. 191v cité par J. H. Gaisser, « The Rise and Fall of Goritz’s Feasts », op. cit., p. 52, n. 42, et
deux autres épigrammes d’Antonio Tebaldeo, Coryciana, éd. IJsewijn, Carmina extravagantia VIII, 1 et 2, p.
390 :
« De Adriano e Iano : Adrianus Iano merito favet. Ille sibi ipse
Hoc prestat : Ianus dimidium Adriani est »
et « De eisdem : Iure faves Iano, Adriane, ut pars nominis ille
Magna tui est, partem sic et honoris habet ».
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anni superioris dissidium, caenas facere omnino desierit : an sodalitatem potius illam
(scis quam dico) non vocarit : reliquis caenam dederit. Neque vero quam eos laute
splendideque acceperit, quaero, novi hominis magnificentiam : sed quid dictum, quamque
frequens convivium eo hominum genere fuerit, qui se academicos et esse et numerari
existimant. Subvereor interdum, ut cum illis in gratiam redierit. Contra cum mihi in
mentem venit, istis et caenas et hortos Epicuri mirum in modum probari, hunc autem
mensas non sumptuose minus quam libenter instruere, jam nihil inimitiarum reliquum
esse suspicor. Tu me velim de tota diei illius ratione certiorem facias »186.
La nationalité étrangère de Corycius pouvait bien contrarier d’aucuns ; force est de constater
que la piété de l’homme a également été attaquée, pour la simple raison que, pour certains, le
festin était trop littéraire et trop convivial, voire trivial, et que les poètes manquaient de
talent187. Le recueil ne serait autre chose qu’un assemblage vain et ridicule de soi-disant
poètes. Voici le témoignage assez sévère de Paolo Giovio :
« Verum sicuti librum scripsisse integrum perdifficile semper fuit, ita certis incitati
ingenii flatibus quisquam mediocri exercitatione unum atque alterum aliquando
epigramma felici eventu poterit decantare. Hunc fiebat ut paulo ante Urbem funditus
eversam, frequenti et permolesta poetarum multitudine premeremur, quum Romae
certissimus literatis omnibus esset receptus, et inepti saepe atque ridiculi, ubi quaternos
versus Coritianis statuis affixissent, per iocum corona laurea donarentur. Itaque horum
nomina nequaquam citabo. Nam ea satis sunt illustrata iucundo poemate quod mihi De
poetis urbanis nuncupavit Arsilius Senogalliensis, idem medicus et poeta insignis 188. »
A. Chastel ravive la même impression quand il ramène la prolifération d’œuvres mineures en
ce début du XVIe siècle au fait que le siècle précédent était très, voire trop abondant en
œuvres qualitativement majeures:
« Par comparaison avec les grandes ambitions de l’époque précédente, le ton général était
peut-être mineur, plus soucieux de charme que de grandeur, comme on l’observe aussi en
littérature189. »
186
Cf. Longolius, Epist. Libr. II, folio m. 183, 93v-94, cité par J. H. Gaisser, « The Rise and Fall of Goritz’s
Feasts », op. cit., p. 50.
187
Cette impression de « manque de talent » est en partie due au caractère répétitif des poèmes, tous adressés aux
mêmes dédicataires, et tous susceptibles de chanter un sujet sembable.
188
Paolo Giovio, Dialogus de viris et foeminis aetate nostra florentibus, lib. II, in Paolo Giovio, Dialogi et
Descriptiones, Opera IX, Rome, 1984, p. 240, ll. 9-17, cité par IJsewijn, Introduction, p. 12. C’est nous qui
avons relevé en caractères gras les adjectifs à connotation négative.
189
A. Chastel, op. cit., p. 307.
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Outre ces critiques, on a également accusé leur dédicataire d’avarice, d’ivresse, de fausse
piété et de blasphème, en insinuant qu’Anne ne serait pas Sainte Anne, mais une compagne
peu recommandable de Corycius, comme le montrent différents poèmes de Colocci190.
Giovanni Baptista Sanga a, lui aussi, rédigé des vers virulents contre Corycius :
« Et quod creditum est,
Non hunc honorem Virgini deiparae,
Aut Virginis matri, aut Deo,
Meretriculae sed Annae et eius nomini
Memoriaeque detulit ? … 191. »
Même des épitaphes outrageantes, accusant non seulement l’homme vivant, mais aussi
l’homme mort d’occupations frivoles, voire impies, ont été rédigées à son adresse, entre
autres par Antonio Tebaldeo :
« Hec Corythum amphora habet ; genuit Germania, nullos
Credidit esse deos, sordida vita fuit.
Ius fecit venale ; ferox hunc egit ïambus
Ad laqueum. Meretrix Anna dedit tumulum.
Quaeris cur iacet hic ? Epularum nidor odorque
Bacchiadum vivo gratus et exanimo est 192. »
A travers des poèmes comme celui-ci, il semble que les « détracteurs » de Corycius, lui en
veuillent surtout pour sa nationalité allemande, considérée sans ménagement comme
synonyme de profession de foi luthérienne, et donc hérétique. Mais on peut supposer que le
caractère festif de la fête annuelle, lui aussi, n’ait pas plu à des hommes comme Tebaldeo ou
190
Cf. supra : Carmina extravagantia VI, v. 9 et VI, v. 12 (Coryciana, éd. IJsewijn, pp. 378 et 382), et la
description du caractère d’Angelo Colocci par V. Fanelli, Ricerche su Angelo Colocci e sulla Roma
cinquecentesca, Bibliotheca Apostolica Vaticana, Vatican, 1979, p. 34 : « Ma anche monsignor Angelo
possedeva spirito e arguzia, sarcasmo pungente e prontezza nell’invettiva e nel motteggio ; ne sentirono il sottile
veleno il papa Alessandro VI, i poeti Fabio Vigile e Guido Postumo, il Coricio, Lutero ed anche Erasmo ».
191
Coryciana, éd. IJsewijn, Carmina extravagantia VII, 10-16 et 35-38, pp. 388-389.
192
Ibid., VIII, 3, p. 390.
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Sanga, peut-être pour la seule raison qu’ils n’y étaient pas ou plus conviés. En effet, celui-ci
avait naguère chanté le bonheur de Corycius et le talent de Sansovino193 et semble ainsi avoir
fait partie des convives de Corycius, alors que celui-là, outre ses vers peu agréables, n’est
représenté dans les Coryciana que par une mention d’Arsilli dans le De poetis Urbanis194.
Si les sources de ces critiques semblent aujourd’hui sans fondements, on ne doit pourtant pas
oublier que Rome vivait une période très difficile en ce début du XVIe siècle : dans une
atmosphère d’incohérence politique, de débats littéraires et culturels, et de rivalités
religieuses, les étrangers devenaient rapidement des suspects, surtout s’ils occupaient ou
continuaient à occuper de hauts postes. Tout sentiment d’irrespect, politique, culturel ou
religieux, fondé ou pas, que les « natifs » pouvaient soupçonner à leur égard, était capable de
susciter des attaques de la part de ceux qui se croyaient les « véritables » défenseurs de la
patrie.
Néanmoins, s’il y en eut pour critiquer l’homme et l’œuvre, l’œuvre à travers l’homme ou
l’homme à travers l’œuvre, celle-ci reste un témoignage précis et – du moins souvent –,
objectif de la création et de l’activité poétiques à Rome au début du XVIe siècle.
193
Coryciana, éd. IJsewijn, 58, pp. 79-80 :
« Felix consilio Coricius pio
Felixque ingenio, qui bona noverit
Terris mox peritura
In coelestia vertere […] »,
116, p. 106 : « Cum tam vera Deûm sint haec simulacra, putandum est
Vidisse in coelis numina Sansovium »,
et 118, p. 107 : « In Sipylo Nioben dubitet quis flere ? Deorum
Rident ora trium Sansovii ingenium ».
194
Ibid., 400 (3), vv. 245-248, p. 354 :
« Flava Tibaldeum placidis sic Flavia ocellis
Incitat, occultis praecipitatque dolis,
Aptior ut nullus malesani pectoris ignes
Explicet, et lepida comptior arte sales ».
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I. 2. Janus Corycius : l’œuvre
La constitution du florilège des écrits des poètes rassemblés autour de Janus Corycius, adressé
à celui-ci et patronné par lui, s’insère dans une pratique de plus en plus établie au début du
XVIe siècle. Ellinger, dans son ouvrage sur la littérature néolatine, parle du De poetis Urbanis
de Francesco Arsilli comme du reflet de la volonté déterminée de ne point oublier, mais, au
contraire, de chanter expressis verbis les poètes regroupés, en grande partie du moins, autour
de Corycius, et représentés dans les Coryciana, car ils fournissent alors comme un miroir de
la diversité poétique de l’époque :
« Unzweifelhaft bezeichnet dieser römische Dichterkreis, die Kleinen wie die Grossen,
eine
in
sich
abgeschlossene
Periode
der
neulateinischen
Dichtung
Italiens.
Diese Überzeugung muss sich auch den Poeten selbst aufgedrängt haben. Insbesondere
spricht dafür die Tatsache, dass damals der Versuch gemacht wurde, das Fazit aus der
Entwicklung zu ziehen und alle Mitglieder des Kreises als Teile des Ganzen wie in ihren
Einzelleistungen zu charakterisieren. […] Als Denkmal eines wichtigen Abschnittes der
Gesamtentwicklung wird das Gedicht [De poetis Urbanis von Francesco Arsilli] immer
merkwürdig bleiben195 ».
A ce moment de reprise culturelle196, souvent comparée à une renaissance du siècle
augustéen, avec Mécène comme figure emblématique du soutien artistique et littéraire, des
recueils de poèmes ont été adressés à de riches mécènes des arts et de la littérature, qui se
manifestaient par leurs intérêts culturels les plus divers et leur générosité particulière envers
de jeunes talents197. Parmi les mécènes les plus connus des XVe et XVIe siècles figurent
certainement les Médicis198, notamment Cosme de Médicis et Laurent le Magnifique, de
même que les papes Léon X et Clément VI – nous l’avons vu –, mais aussi Niccolò Niccoli,
ou encore Charles-Quint199.
195
G. Ellinger, op. cit., pp. 262-263.
Cf. Gregorovius, op. cit., p. 232 : « Seit dem XV. Jahrhundert entstand die üppigste Nachblüte der
lateinischen Poesie. »
197
Cf. supra : I. 1. e. L’intérêt artistique du mécène, et L. Geiger, op. cit., p. 63.
198
Cf. le poème élogieux de Girolamo Vida, mentionné ci-dessus (et reproduit et traduit dans l’annexe 1), cité
par V. Fanelli, op. cit., p. 97.
199
L. Zanta, La renaissance du stoïcisme au XVIe siècle, réimpression de l’édition de Paris, 1914, pp. 3-4.
196
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Si ce fut à un niveau – financier –, moins élevé, les cercles d’un Colocci ou d’un Corycius
comptaient sans doute parmi les mécénats les plus remarquables de l’époque200. A l’image des
académies philosophiques, comme celle de Ficino ou de Pontano – Colocci fit partie de cette
dernière lors de sa jeunesse à Naples –, les hommes cultivés et fortunés veillaient à créer
autour d’eux des cercles d’amis-poètes, de lettrés et de jeunes talents, à travers lesquels ils
pouvaient témoigner de leur générosité, non sans leur faire profiter en retour des bienfaits
d’un public lettré choisi, cultivé et bienveillant.
Au sein de ces regroupements littéraires et poétiques, les poètes et les hommes de lettres
prisaient alors avant tout une forme littéraire succincte, apte à rendre compte des objectifs les
plus divers, comme l’affirment Burckhardt et Geiger201 : l’épigramme, « la forme la plus
concentrée de la gloire »202, répondait à la fonction épidictique, voire panégyrique du langage,
sans lasser le public par de longs développements, et permettait ainsi à la fois de chanter des
éloges, d’être spirituel par des plaisanteries et de témoigner de la grâce, voire de la vénération
aux souverains séculaires ou ecclésiastiques203. Les Coryciana témoignent en effet de cette
volonté constante de fêter non seulement le siècle, surtout sous Léon X, mais aussi leur Janus
Corycius en tant que mécène, homme de foi et initiateur d’œuvres artistiques et plastiques204.
Or, tout comme les nombreux témoignages, éloges et chants au sujet de la grandeur de Rome,
ainsi que, plus tard, les lamentations au sujet de la grandeur passée de Rome (surtout après le
Sac de 1527) s’inspirent des Ecritures ou des œuvres antiques, de même, les Coryciana, tout
en constituant des prières ou des chants en l’honneur de Sainte Anne et de Corycius, font
200
Cf. Ellinger, op. cit., p. 220 : « Der Hof Leos X. war nicht die einzige Gaststätte der neulateinischen
Dichtung. Einen anderen wichtigen Mittelpunkt schuf […] Angelo Colocci aus Jesi […] Die seit dem Tode des
Pomponius Laetus eingegangene Akademie organisierte er […] neu », et p. 221 : « Treu bei allen Bemühungen
stand ihm sein Freund (sic), Johann Goritz aus Luxemburg (Corycius), zur Seite, auch er nach Kräften die
neulateinischen Poeten mäzenatisch begönnernd ».
201
J. Burckhardt, L. Geiger, op. cit., p. 299 : « Unter Leo X. waren lateinische Epigramme das tägliche Brot ; für
die Verherrlichung wie für die Belästerung des Papstes, für die Züchtigung gennanter wie ungenannter Feinde
und Schlachtopfer, für wirkliche wie für fingirte Gegenstände des Witzes, der Bosheit, der Trauer, der
Contemplation gab es keine passendere Form ».
202
Ibid., p. 298 : « die concentrirteste Form des Ruhmes ». Mentionnons ici une collection d’inscriptions parue
en 1521 sous le titre Epigrammata Urbis Romae, à laquelle, par exemple, Mario Maffei, un des poètes des
Coryciana, contribua. Cf. également Gregorovius, op. cit., p. 234 : « […] Der Überschuß der klassischen
Sprachbildung wurde zur Poesie. Es war die Jugendzeit der Philologie, wo die Grammatiker mit den Musen des
Olymp schwärmten, ehe sie zu Pedanten eintrockneten. Es gab keinen gelehrten Latinisten, der nicht auch
Gedichte geschrieben hätte, die philologische Wissenschaft und die Dichtkunst waren noch ungetrennt.
Namentlich verführte die leicht zu behandelnde Form des Epigramms zu einer maßenhaften
Gelegenheitsdichtung. Wer nur immer Epigramme auf Statuen, Götter, Helden und Philosophen, auf Männer und
Frauen, alter wie neuer Zeit verfaßte, wollte als Poet angesehen sein. »
203
Cf. J. F. D’Amico, op. cit., p. 98, qui constate que cette constante volonté de glorification et d’éloge enlève
certes à un certain nombre d’écrits leur valeur historique, mais leur accorde, par là-même, un rôle de témoignage
intrinsèque aux événements caractéristiques de l’époque.
204
Cf. supra I. 1. e. L’intérêt artistique du mécène.
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souvent écho à la littérature et à la culture antiques. Si le nom de Corycius a en effet invité de
nombreux poètes, puis des commentateurs encore plus nombreux, à rapprocher l’homme du
petit vieux de Cilicie des Géorgiques, en revanche, le recueil tout entier démontre la volonté
constante d’honorer, de manière double, aussi bien Dieu et les Saints que les auteurs
classiques, et de faire naître un « joyeux mélange » typique des productions culturelles,
littéraires ou artistiques de la Renaissance205. Ellinger décrit à merveille ce regard des poètes
de l’époque, (re)tourné vers l’Antiquité :
« Die Welt des klassischen Altertums war die Lebensluft geworden, in der sie atmeten,
und daraus folgte, dass sie es als ihr gutes Recht betrachteten, für alles, was sie bewegte,
aus der Antike Farbe, Bild, Vergleich zu entlehnen, so wunderlich auch dieses
Zusammenschweissen zweier grundverschiedener Welten sich ausnimmt206. »
Tout en témoignant d’une connaissance certaine des poètes des œuvres de l’Antiquité
classique207, le recueil peut, par l’occasion à laquelle il a été constitué ainsi que par sa forme,
être rapproché de façon plus précise d’une coutume chère aux Anciens : les banquets
philosophiques ou littéraires.
IJsewijn, dans son édition critique des Coryciana, a rapproché le recueil – selon ses propres
dires, « ni omnia fallunt » –, des Saturnales de Macrobe, et cité plusieurs passages de cette
œuvre208, auxquels, selon nous, d’autres doivent être ajoutés. Le premier passage qu’il cite
traite justement de l’occasion de la fête des Saturnales209, et des rites et coutumes qui se sont
établis pour cette occasion. Sont ainsi présentées la noblesse et la science de l’hôte et des
convives, relevés l’excellence et le raffinement des propos, d’où ces rassemblements
annuels tirent leur triple caractère savant, convivial et agréable :
« Pendant les Saturnales, les personnes les plus distinguées de la noblesse romaine, et
d'autres hommes instruits, se réunissent chez Vettius Praetextatus, et consacrent les temps
solennellement fériés à des entretiens sur les arts libéraux, en se donnant aussi des repas
avec une mutuelle politesse et en se retirant chez eux seulement pour le repos de la nuit.
205
La formule suivante de J. F. D’Amico, Renaissance Humanism (op. cit.), p. 109, nous semble
particulièrement bien choisie pour décrire le contenu, voire un des objectifs du recueil : « The poems sing the
praises of a humanist culture as the central element in a reclassicized society ».
206
G. Ellinger, op. cit., p. 320.
207
En commentant les différents poèmes nous préciserons davantage à quels auteurs classiques les poètes font
allusion : cf. infra : II. 2. Traduction et commentaire.
208
Coryciana, éd. IJsewijn, Introduction, pp. 6-7.
209
Rappelons que la fête des Saturnalia était en général célébré le 17 décembre, et pouvait s’allonger jusqu’au
23 ou au 25 décembre.
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Ainsi, pendant tout le temps des féries, ils consacrent la meilleure partie du jour à des
discussions sérieuses et débattent, durant le repas, sur des sujets convenables à la table,
de telle sorte qu’il n'y a pas un moment de la journée qui ne soit pas rempli de quelque
propos instructif ou agréable » 210.
Si l’on compare les banquets ainsi caractérisés aux fêtes annuelles chez Corycius en
utilisant les mêmes critères, on trouve des parallèles évidents. Le caractère noble et
savant des convives, nobilitatis proceres ou docti, le sérieux des propos, colloquium
liberale et seriae disputationes, le charme aussi bien de la convivialité que des
intervenants, sermones conviviales et docte vel lepide proferendi, ainsi que la régularité
et la collégialité réciproque des fêtes, sollemniter et mutua comitas, rappellent la
distinction des invités du curialiste Corycius, l’éloquence de leurs propos211, proférés à
une occasion religieuse sollennelle que tous veulent honorer à sa juste valeur212, et le
charme exercé sur les chantres et poètes par cette réunion dans le jardin corycien.
Or, à notre avis, l’éditeur omet ici un autre côté – agréable lui aussi pour les convives –, des
banquets que Macrobe mentionne : aussi bien ceux qu’il décrit que celui qu’il évoque comme
210
Macr., Sat. I, 1, 1-2 : « Saturnalibus apud Vettium Praetextatum Romanae nobilitatis proceres doctique alii
congregantur, ut tempus sollemniter feriatum deputant colloquio liberali, convivia quoque sibi mutua comitate
praebentes, nec discedentes a se nisi ad nocturnam quietem. Nam per omne spatium feriarum meliorem diei
partem seriis disputationibus occupantes cenae tempore sermones conviviales agitant, ita ut nullum diei tempus
docte aliquid vel lepide proferendi vacuum relinquatur. »
211
Cf. i. a. Coryciana, éd. IJsewijn, 398, vv. 16-25 passim, p. 331 :
« Invitatque viros disertiores […]
Felix turba coit peritiorum,
Et docta serit allocutione
Sermones lepidos et elegantes. […]
Se non inferiora quisque narrant. »,
vv. 46-47 : « De rerum ordine disserunt vicissim
Docte, Iuppiter, et simul diserte. »,
vv. 60-61 : « Dic siquando parem virûm coronam
Vidisti, aut epulas celebriores »
et v. 130 : « Cohors rara virûm venustiorum. »
212
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 398, vv. 1-8 :
« Anni curriculo perenniore
Annae iam rediit dies dicatus,
Quo Phoebea cohors, pii poetae
Diversum vario calore carmen
Edunt et populo exhibent legendum,
Quae divae Corytus locavit aram,
Atque arae statuas politiores
Eventu imposuit secundiore. » et v. 62 :
« Hic consessus habet Deos sodales. »
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référence, le Banquet de Platon, avaient surtout, selon Macrobe, un caractère cupidinien,
ajoutant un aspect plus intime à leurs attraits propres, par l’intermédiaire d’une conversation
guidée par le sentiment amoureux et les discussions s’élevant à son sujet :
« Cependant la conversation à table aura toujours plus d'agrément qu'aucune autre,
comme elle a plus de licence et moins de sévérité. Ainsi, dans le Banquet de Platon,
comme dans tous les auters repas qui ont été décrits, la conversation ne porte point sur un
sujet plus austère, mais elle constitue un traité agréable et varié de l'amour. Et dans ce
traité Socrate lui-même, n’implique point, selon son habitude, ni ne presse son adversaire,
dans des discussions de plus en plus tordues et resserrées ; mais il lui fournit, en l’éludant
plutôt qu’en le combattant, l'occasion de s'esquiver et de fuir. Les conversations à table
doivent donc être irréprochables et décentes, autant qu'attrayantes et agréables ; quant à la
discussion matinale, elle sera toujours plus grave, telle qu'elle sied à d'illustres et doctes
hommes213. »
Si IJsewijn ne parle pas de cet aspect cupidinien des banquets, on peut néanmoins affirmer
que Corycius, en tant qu’hôte empressé, semblait veiller le plus possible au bien-être physique
et émotionnel de ses invités, une fois que la troupe avait rejoint ses jardins214. Le parallèle le
plus évident entre le déroulement de la fête des Saturnales telle que Macrobe la décrit et la
journée du 26 juillet de Corycius est la répartition des journées en une occupation matinale
plus solennelle et plus sérieuse, dédiée aux discussions – philosophiques ou religieuses –,
(matutina vero erit robustior disputatio), alors que l’après-midi se déroule dans une
213
Macr., Sat. I, 1, 2-4 : « Sed erit in mensa sermo jucundior, ut habeat voluptatis amplius, severitatis minus.
Nam cum apud alios quibus sunt descripta convivia tum in illo Platonis symposio non austeriore aliqua de re
convivarum sermo, sed Cupidinis varia et lepida descriptio est, in quo quidem Socrates non artioribus, ut solet,
nodis, urget atque implicat adversarium, sed eludendi magis quam decertandi modo apprehensis dat elabendi
prope atque effugiendi locum. Oportet enim versari in convivio sermones, ut castitate integros, ita appetibiles
venustate ; matutina vero erit robustior disputatio, quae viros et doctos et praeclarissimos deceat. »
214
Cf. par exemple Coryciana, éd. IJsewijn, 398, v. 10 ss :
« Traiani spacium Fori petamus,
Postes hic ubi Corytus recludit,
Ornatus hedera sequaciore,
Et myrto Idalios olente odores,
Intertexta humilis coma genistae,
Et laura pariter virentiore[.] », v. 21 ss :
« Longa stant serie cibis onustae
Mensae […] » et v. 48 :
« Hospes interea hinc et inde felix
Mensas Corycius frequentat omnes
Et larga pateris manu Lyaeum
Propinat, lepidos ciens cachinnos. »
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atmosphère conviviale plus relâchée et moins grave (Sed erit in mensa sermo jucundior, ut
habeat voluptatis amplius, severitatis minus).
Outre ce caractère sollennel et noble des fêtes – entendons des matinées et des propos tenus
quand les convives ne sont pas attablés –, on peut leur trouver, à toutes les deux, un contexte
religieux qui les distingue d’autres banquets plus oisifs ou essentiellement culinaires,
dépourvus d’intérêt littéraire ou religieux :
« Quant à nous, aussi bien pour célébrer les féries sacrées que pour éviter cependant
l'ennui de fêter, et pour consacrer notre loisir à une activité utile, nous nous sommes
rassemblés pour la journée entière et nous allons nous adonner, chacun pour sa part, à des
discours instructifs. Car puisque « aucun scrupule religieux ne défendra de curer les
fossés les jours de fêtes solennelles », […] pourquoi, par l'honneur même de la religion,
n’est-il pas considéré comme utile de consacrer à l’étude sacrée des lettres les jours de
fêtes ?215 »
En effet, des expressions comme « célébrer les fêtes sacrées » (honorem sacriis feriis
haberemus), « un loisir et une activité utiles » (negotium utile [nec] torpor feriandi aut
otium), « tenir des conversations instructives » (doctis fabulis ex symbola conferendis),
« des jours de fêtes sollennelles » (sacra sollemnia), « le scrupule religieux » (religio),
etc. témoignent de la volonté manifeste des convives de ne point se contenter
d’assemblées inutiles, mais, au contraire, de se servir de ces rassemblements annuels
pour y faire coexister, voire confondre occasions religieuses et littéraires ou poétiques.
De même, la fête annuelle de Corycius ne se contente point d’une occasion quelconque,
mais cherche à valoriser réciproquement les honneurs religieux présentés à Sainte
Anne, les remerciements dédiés à l’hôte et les louanges chantées par les poètes216.
215
Macr., Sat., I, 7, 7-8 : « Nos vero ut et honorem sacris feriis haberemus et vitaremus tamen torporem feriandi
atque otium in negotium utile verteremus, convenimus diem totum doctis fabulis velut ex symbola conferendis
daturi. Nam si per sacra sollemnia rivos deducere religio nulla prohibebit […], cur non religionis honore putetur
docare sacris diebus sacrum studium litterarum ? »
216
Cf. par exemple Coryciana, éd. IJsewijn, 38 :
« Vatibus an, Coryti, debes magis, an tibi vates ?
Alterutri ateruter debet, uterque Deis. »
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78
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A cette explication au sujet de la nature des banquets, il nous semble utile d’ajouter la suite du
texte macrobien, et préciser justement l’occasion pieuse qui a, au tout début, fait naître le
rassemblement sollennel et littéraire des convives autour de Corycius le jour de la Sainte
Anne.
« Or, puisque quelque force divine sans doute a voulu que vous soyez réunis à nous,
passons, si vous voulez bien, la journée avec des repas et entretiens communs. Je me tiens
assuré de ce que tous ceux qui sont ici rassemblés sont d’accord217. »
Il va sans dire que dans le texte macrobien, « quelque force divine » (vis deorum aliquis)
n’évoque point une divinité réelle. Néanmoins, aussi bien les convives de la fête de Corycius
que le rapporteur des Saturnales semblent considérer une puissance supérieure comme
instigateur du rassemblement. Tout comme « quelque dieu » et, plus précisément, son démon,
invitait Socrate à discourir au sujet de l’Amour et à en instruire les intervenants avec sagesse
et grâce, de même, une inspiration certaine invite Corycius à fêter une Sainte de sa patrie et à
l’honorer par les propos de doctes convives, tout en honorant ceux-ci par l’occasion.
Outre la nature et l’occasion du banquet, IJsewijn souligne encore le fait que, dans les deux
cas, les invités se rassemblent autour d’un « maître des suppliques », car Postumianus dit en
effet préférer l’agrément des rassemblements et des entretiens entre érudits aux âpretés des
plaidoiries :
« Ceci seul […] m’a semblé excellent tout au long de ma vie : tant que la plaidoirie me
laisse du loisir, de passer mon temps à converser dans la société d'hommes érudits, tes
semblables218. »
217
Macr., Sat., I, 7, 9 : « Sed, quia vis quoque deorum aliquis nobis additos voluit, facite, si volentibus vobis erit,
diem communibus et fabulis et epulis exigamus, quibus ut omnes hodie qui praesentes sunt adquiescant
impetratum teneo. »
218
Macr., Sat., I, 2, 3 : « Hoc unum […] nobis […] in omni vitae cursu optimum visum est, ut, quantum cessare
a causarum defensione licuisset, tantum ad eruditorum hominum tuique similium congressum aliquem
sermonemque conferrem. »
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Cette fois-ci, c’est Corycius lui-même qui affirme dans une lettre à Silvanus que, pour ne pas
succomber au quotidien des suppliques, il accepte volontiers une distraction qui, en
l’occurrence, lui est fournie par l’opuscule de Francesco Arsilli, De poetis Urbanis219. De
nouveau, la suite du texte des Saturnales permet d’insister davantage sur le caractère noble,
c’est-à-dire utile et honorable, de l’assemblée ainsi que de son objectif :
« En effet, un esprit bien dirigé ne saurait nulle part trouver de repos plus utile et plus
honnête, que dans un entretien savant et tolérant, que dans une société de répliques
savantes et ouvertes. Mais quel est donc ce banquet ? Sans doute parles-tu de celui qui
eut lieu récemment chez Vettius Praetextatus, entre des hommes très doctes et illustres, et
qui, continuant ensuite parmi les convives, se diversifia agréablement. 220 »
« L’esprit bien dirigé » devient ainsi le réceptacle d’un otium qui ne saurait être plus utile,
plus honorable ou plus apte à refléter l’excellence intellectuelle perçue à travers les
conversations entre convives. La variation à laquelle Postumianus fait allusion convient à
merveille aux convives de Corycius qui, autour d’un même sujet, cela va de soi, – la
conversation des banquets étant toujours limitée à certains sujets par celui qui préside
l’assemblée –, essaient d’apporter le plus de variation possible dans la forme et la couleur de
leurs louanges221.
On peut conclure de cette ébauche de comparaison que la fête de Corycius, tout en tirant son
origine d’une occasion religieuse, fait renaître les banquets antiques et renoue avec la tradition
des discussions entre amis-poètes ou philosophes. Le double but de la journée, dédiée à Sainte
Anne, à la Vierge et à l’Enfant, et vouée à des discussions philosophiques et littéraires, fait
preuve d’une conscience aiguë des hommes de lettres réunis de doter les traditions antiques
219
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 400 (2), pp. 343 et 344 : « Multam, Silvane, tibi debeo gratiam, quod mihi nostri
Arsilli de urbanis poetis legendum libellum indulseris, longe iucundiorem profecto et venustiore iis libellis, qui
mihi quotidie inter manus versantur, et lites praeferunt atque contiones ac, licet assueto, nauseam et bilem
commovent. Ingentem itaque ex eo voluptatem cepi, nec mittere mihi carius potuisses quippiam » et « Multam,
Silvane, tibi debeo gratiam, quod mihi nostri Arsilli de urbanis poetis legendum miseris libellum. Porro magnam
voluptatem coepi, mittere nec carius nec iucundius potuisses aliquid. »
220
Macr., Sat., I, 2, 4-5 : « Neques enim recte institutus animus requiescere aut utilius aut honestius usquam
potest, quam in aliqua opportunitate docte ac liberaliter colloquendi, interrogandique et respondendi comitate.
Sed quodnam istud convivium ? An vero dubitandum non est, quin id dicas quod doctissimis procerum
ceterisque nuper apud Vettium Praetextatum fuit et discurrens post inter reliquos grata vicissitudo variavit ? »
221
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, epist. nunc., 4 : « Praeclare illi quidem et, ut in divinis rebus, prope divine ! Qua
sane in re nescio an potius ubertatem ingeniorum copiamve sententiarum an carminum genera et varietates
laudandas putem, cum in omnibus quamquam inventione, stylo, metro diversis unus tamen ac prope idem decor
concentusque eniteat. Alius elegis, alius heroicis, alius lyricis numeris aut phalaeciis agit ; aeque pulcre omnes.
Adde rei ipsius ad materiae dignitatem, cum non, ut prisci coacervatim in licentiosis Lampsaceni iocularibus sed
in Dei ac divorum laudibus canendis ingenium exercuerint. »
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d’une nouvelle signification. N’empêche que le lecteur moderne pense au terme même des
Saturnales, fête dédiée à Saturne : ce dieu est en effet mentionné dans un certain nombre de
poèmes des Coryciana !222 En commentant le poème 398 de Silvanus Germanicus, nous
parlerons davantage de cet hommage – vraisemblable – à Virgile, lorsque le poète suggère
justement un retour aux règnes saturniens (saturnia regna) et souhaite une renaissance de
l’âge d’or avec un mécène comme Corycius223.
Retournons avec ces parallèles entre fête antique et célébration au début du XVIe siècle au
caractère multiple de la ville de Rome à cette époque. Si d’aucuns ont regardé d’un mauvais
œil le mélange des traditions chrétiennes et de l’héritage antique, les poètes et les artistes qui
ont contribué aux Coryciana ont visiblement apprécié l’équilibre entre le profane et le sacré,
et l’ont considéré comme très stimulant : en effet, le modèle antique pouvait servir de base à
un témoignage d’inspiration chrétienne qui, dans ce contexte, se voyait même souvent
approfondie par le recours aux coutumes anciennes, chères aux esprits pieux. Le respect des
traditions religieuses d’un côté aussi bien que la célébration de la fête des Saints de l’autre,
donnaient aux fidèles l’occasion de faire preuve de leur foi, à travers une manifestation non
seulement religieuse, mais également culturelle.
222
Références textuelles à Saturne et aux règnes saturniens (Virg., Buc. IV, 6 : « Iam redit et Virgo, redeunt
Saturnia regna ») : Coryciana, éd. IJsewijn, 388C, v. 48, p. 309 : « O fortunatae gentes, Saturnia regna »,
256, v. 4, p. 179 : « Virtus prisca reditur, redeunt moribus artes »
et vv. 34-37, p. 180 : « Exultet, laudetque simul iam quilibet ordo :
Mercurii, Venerisque probae, mundaeque Dianae
Cum Iove, cum Phoebo, cum Pallade saecula surgunt
Aurea Saturni, pulcherque renascitur orbis »,
et 373, vv. 36-38, p. 250 (qui font allusion à Lactance, Div. Inst. I, 15, où il parle du règne bienveillant de
Saturne) :
« Instituit primus qui iam a mortalibus ipsos
Mortales pietate coli, num forsitan amicus
Ille fuit, Saturne, tibi, an tibi, Iuppiter, ille ? »
223
Cf. infra : II. 2. c. Le poème 398.
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I. 2. a. Les Coryciana, un recueil multiple
Comme on a pu le constater à travers les chapitres précédents, bien qu’il n’y ait eu qu’un seul
homme pour veiller à la publication du recueil à l’époque, Blosio Palladio, l’auteur de la
lettre-dédicace, en revanche, d’innombrables poètes ont contribué à la rédaction de cette
œuvre variée. Il est désormais clair au lecteur que cette variation se trouve au niveau du style
des poèmes plutôt qu’au niveau de leur sujet224.
Si Janus Corycius était certes l’instigateur de ces témoignages poétiques, il n’en fut pas pour
autant le seul destinataire ; car, lors de la célébration annuelle, les poètes firent preuve de leur
double dévouement, d’un côté devant le Seigneur, la Vierge et Sainte Anne, de l’autre côté
devant le mécène, en attachant leurs poèmes aux différents côtés de la statue sculptée par
Andrea Sansovino225. Le désir de plaire et de rédiger des poèmes dignes, non seulement de
leur hôte, mais aussi de l’occasion du rassemblement, la triple statue et l’éloge des
représentés, devient très visible dans ce poème d’Aurelio Fossa, qui invoque le groupe
statuaire commandé par Corycius comme source d’inspiration :
« Les marbes, les temples, les autels, comme tout est déjà rempli
De poèmes, de tableaux, de noms et de titres,
Que puis-je faire, moi, poète malheureux ? Dois-je vraiment
Ecrire quelque poème ? Quoi donc écrire ? Je ne sais quoi écrire !
Statues de Corycius, pardonnez-moi si je me tais,
Ou donnez-moi des poèmes dignes de leur sujet 226. »
224
Cf. la citation et les premières phrases d’introduction de ce travail : Virg., Géorg., IV, 1-7 :
« Protinus aerii mellis caelestia dona
Exsequar : hanc etiam, Maecenas, adspico partem.
Admiranda tibi levium spectacula rerum,
Magnanimosque duces totiusque ordine gentis
Mores et studia et populos et proelia dicam.
In tenui labor ; at tenuis non gloria, si quem
Numina laeva sinunt auditque vocatus Apollo ».
225
Voici un autre témoignage de Paolo Giovio, faisant l’éloge de Corycius : Jovius, Elogior. Cap. CIII. :
« Franciscus Arsillus scripsit…lepidum item libellum de Poëtis urbanis mihi tamquam veteri sodali dedicatum,
quum Leone ingeniis liberaliter arridente, multi undique poetae illustres, nequaquam ad inanes spes in Urbem
confluxissent, et pulcherrimo quodam certamine a singulis in una tantum statuae materia scriberetur, quo
carminum farragine Coritius homo Trevir, humani juris libellis praepositus, uti perhumanus poetarum hospes, ac
admirator inclaruit ; ea scilicet statua insigni marmorea, Aureliano in templo dedicata, invitatisque vatibus, ut
tria numina Christi Dei, et Matris, ac Aviae uno in signo celebrarent », cité par P. Bayle, Dictionnaire historique
et critique, vol. 1, p. 971.
226
Coryciana, éd. IJsewijn, 229, p. 166 :
« Marmora, templa, arae cum iam sint omnia plena
Carminibus, tabulis, vatibus et titulis,
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Les « tabuli » et les « tituli » que Fossa mentionne ici, ne renvoient pas seulement à des
tableaux ou à des représentations, comme IJsewijn l’a suggéré dans sa traduction227, mais aux
différents côtés de la statue, respectivement de la stèle, auxquels les poètes attachaient leurs
poèmes. Le poème 269 de Silvio Laurelio témoigne de façon plus précise de ces tabellae ou
faces de la stèle
« Voici poèmes et tablettes en assez grand nombre,
Voici également des poètes très nombreux.
Mais si on rappelait le mérite de ceux-ci,
Aussi bien les Saints que la piété de Corycius,
On s’étonnerait davantage qu’il n’y ait pas eu plus de poètes,
De poèmes et de recueils ; mais ne t’en étonne pas
Longtemps : les suivront dès lors
Encore mille fois mille poètes.
Et toi, je l’espère, tu verras plus rapidement
Cette colonne entourée de tablettes de-ci et de-là,
Pour que, désormais, les colonnes puissent céder
A celui-là les sept merveilles chantées à vive voix.
C’est à bon droit, c’est juste qu’ils le méritent,
Aussi bien les Saints que la piété de Corycius »228.
Infelix quid agam vates ? Num scribere quicquam
Debeo ? Quid scribam ? Scribere nescio quid !
Corycii statuae, veniam mihi ferte silenti,
Aut mihi materia carmina digna date ».
227
J. IJsewijn, « Poetry in a Roman Garden », in P. Godman and O. Murray (eds.), Latin Poetry and the
Classical Tradition. Essays in Medieval and Renaissance Literature (Oxford, 1990), p. 214.
228
Coryciana, éd. IJsewijn, 269, pp. 184-185 :
« Sunt hic carmina plura, sunt tabellae
Plures, sunt quoque plurimi poetae.
Verum si reputes quid hi merentur
Et Divi et pietas Coryciana,
Plus mirabere non fuisse plures
Vates, carmina, codices ; sed ipsum
Ne mirere diu : sequentur hinc iam
Hos vel millia mille plus poetae.
Quin tu hanc spero vel ocyus videbis
Cinctam hinc inde tabellulis columnam,
Ut miracula detonata septem
Isti cedere iam queant columnae.
Et iure et merito merentur ipsum hoc
Et Divi, et pietas Coryciana ».
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84
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Le poète parle en effet de « chants assez nombreux » sur des « côtés assez nombreux ». Selon
José Ruysschaert, qui commenta le premier les projets d’édition des Coryciana et l’édition de
1524 elle-même229, le poème 269 devait clôturer le recueil. Celui-ci aurait ainsi regroupé les
poèmes attachés aux quatre tabellae, avant qu’une cinquième tabella ne fût ajoutée à la stèle,
commençant une nouvelle partie du recueil. D’autres poèmes témoignent également de ces
« côtés » ou « faces » de la stèle : en effet, le poème 271 de Silvanus Germanicus et le poème
297 de Delio Girolamo Alessandrino parlent de trois, puis de quatre faces où l’on accrochait
des tablettes votives à des cadres ou tableaux prévus à cet effet. Or ils suggèrent aussi qu’un
cinquième côté est indispensable, vu le nombre sans cesse croissant des poètes et de leurs
œuvres prolifiques. Silvanus revendique clairement qu’un cinquième côté soit mis à la
disposition des poètes, afin que d’autres – et surtout lui-même –, puissent jouir de l’honneur
d’y accrocher leurs poèmes et, par la suite, être « publiés » par le recueil230. Or, non sans
insistance osée, il va jusqu’à terminer ce poème 271 par une menace envers son protecteur et
ami, en lui faisant comprendre qu’en l’absence d’un cinquième côté, il ne ménagera pas son
nom dans ses écrits231. D’une façon non pas menaçante, mais en rien moins insistante, Delio
Girolamo prie Corycius d’ajouter une cinquième face à la stèle, où toutes les traces
d’inspirations des poètes innombrables et toujours nouveaux puissent être recueillies et
proposées au public :
« Si tu veux savoir combien de poètes sont à ce jour en vogue à Rome,
Tu ne peux connaître leur grand nombre sans grande peine.
Une bonne partie a été retenue grâce à la stèle quadriface de Corycius :
Parcours celle-là, mais aie pitié des anciens, également.
Entre temps d’innombrables poètes écrivent de nouveaux poèmes,
Et tu auras un cinquième côté à parcourir »232.
229
J. Ruysschaert, op. cit., pp. 45-66.
Coryciana, éd. IJsewijn, 271, vv. 1-5, p. 186 :
« Quartam versiculis suis tabellam
Explevere viri disertiores,
Nec nostris superest modis locellus.
Quare, Iane, rogatus adde quintam,
Seras respue nec meas Camoenas ».
Cf. Annexe 11 pour l’ensemble du poème et sa traduction. C’est justement Silvanus Germanicus qui profitait
beaucoup, voire le plus, de ce cinquième côté de la stèle.
231
Coryciana, éd. IJsewijn, 271, v. 37-38, p. 187 :
« Sin prorsus, Coryti, nihil moveris,
Expecta palinodiam malignam ».
232
Coryciana, éd. IJsewijn, 297, p. 203 :
« Quot vigeant hodie si quaeris in Urbe poetae,
Multos non multo scire labore potes.
230
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Etant donné que le recueil ne se termine point avec le poème 271 de Silvanus, Corycius
semble avoir entendu les prières de ses amis-poètes et accordé à son entourage non seulement
cette cinquième face, mais aussi une « publication » plus vaste.
Néanmoins – et la lettre-dédicace de Palladio en est le témoin –, Corycius ne semble pas avoir
réagi immédiatement aux requêtes des poètes qui, comme s’ils étaient des clients, se voyaient
exprimer des suppliques au magistrat, afin que leurs souhaits soient exaucés. Ainsi, par
exemple, Silvio Laurelio se plaint que Corycius ait certes dédié les statues, mais que les
poètes les ait ornées sans qu’il tienne compte de leurs œuvres, en les jetant dans un coin, non
lues, comme il avait l’habitude de le faire avec les requêtes officielles. Son poème suggère, à
travers un rythme quasi incantatoire, le caractère inadéquat du geste et, plus précisément, de
l’absence de geste de la part de Corycius :
« Déjà un lustre, je pense, Corycius, et plus,
Depuis ta dédicace des trois statues,
Riches et somptueuses et très soignées ;
Les poètes les ornèrent de partout avec variété ;
Mais toi, comme si tu te regardais d’un mauvais œil,
Toi et de si nombreux poètes, tu permets que tant
De poèmes si importants jonchent le sol,
Comme les livres des suppliques que tu as repoussés.
Ah ! Action mauvaise, action inélégante !
Voilà pourquoi nous te demandons à travers tes statues
De ne plus, de ne pas permettre que des poèmes
Si longtemps négligés jonchent le sol
Comme les livres des suppliques que tu as repoussés »233.
Quaternis bona pars Coryti est inclusa tabellis :
Has lege, priscorum sed miserare vicem.
Interea innumeri vates nova carmina scribunt,
Atque tibi dabitur quinta tabella legi ».
233
Ibid., 4, p. 43 :
« Iam lustrum, Coryti, puto, est, et ultra
Quod tu treis statuas tuas dicasti
Sumptu divite, nec minore cultu ;
Ornarunt varie undecunque vates ;
At tu, ceu tibi vatibusque tantis
Malignis invideas, tot atque tanta
Sinis carmina in angulis iacere,
Reiectos quasi supplices libellos.
Ah factum male, factum ineleganter !
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Quoi qu’il en soit, le fait d’attacher des poèmes à la stèle de ce groupe statuaire semblait une
pratique établie qui pouvait même aller jusqu’à faire naître des sentiments de traitement
injuste, surtout quand il n’y avait plus d’espace libre pour les « retardataires ».
La coutume elle-même d’attacher des poèmes à une statue vouée à une divinité ou un(e)
Saint(e)234 était peut-être reprise d’une habitude instaurée par le Cardinal Oliviero Carafa qui,
à un coin de rues non loin de la Piazza Navona, avait fait ériger une statue dite « de
Pasquino ». Celle-ci, par l’intermédiaire de poèmes satiriques en latin, puis en italien, que l’on
y attachait à différents moments de l’année, représentait une certaine « opinion publique » et
contribuait à établir l’expression satirique à Rome. Néanmoins, contrairement à Corycius, le
Cardinal ne faisait pas publier ces satires dans un recueil, mais, à partir de 1509, il les publiait
dans de petits fascicules annuels235.
Cette pratique du Pasquino montre que le mélange des traditions antiques et chrétiennes est
très présent parmi la population romaine et, malgré le culte explicite voué à Sainte Anne, les
dieux antiques sont présents, aussi bien pour signifier des figures allégoriques et des notions
abstraites que pour constituer des représentants d’une beauté poétique neutre236. Chez la
plupart des poètes, on peut ainsi, selon Burckhardt et Geiger, supposer un désir authentique de
servir la cause sainte, d’autant plus que la foi catholique n’était souvent pas incompatible avec
le culte des divinités païennes237. L’étude de l’Antiquité servait alors souvent à étoffer les
thèmes poétiques de l’époque, et à favoriser ainsi le mélange harmonieux des idéologies
antiques et humanistes :
Quod te per statuas tuas rogamus
Ne iam, ne sine tam diu neglecta
Ista carmina in angulis iacere
Reiectos quasi supplices libellos ! »
Cf. infra : II. 2. a. La lettre-dédicace de Blosio Palladio, où celui-ci se plaint que Corycius n’ait donné suite aux
requêtes de ses amis-poètes qu’après de longues années.
234
G. Vasari, op. cit., p. 312 : « Pendant de nombreuses années on accrocha [à la statue] sonnets et autres
compositions variées et érudites ; les Frères en ont un recueil entier que j’ai vu avec étonnement ».
235
Cf. J. IJsewijn, « Poetry in a Roman Garden », in P. Godman and O. Murray (eds.), op. cit., p. 212, et aussi P.
Partner, op. cit., p. 202.
236
Cf. les réflexions de J. Burckhardt et L. Geiger, op. cit., p. 288 : « Die alten Götter in der Renaissance [haben]
eine doppelte Bedeutung ; einerseits ersetzen sie allerdings die allgemeinen Begriffe und machen die
allegorischen Figuren unnöthig, zugleich aber finden sie auch ein freies, selbstständiges Element der Poesie, ein
Stück neutrale Schönheit, welches jeder Dichtung beigemischt und stets neu combinirt werden kann ».
237
J. Burckhardt, L. Geiger, op. cit., p. 289 : « … wird man ein ganz ehrliches Verlangen voraussetzen dürfen,
mit ihrer gelehrten lateinischen Poesie dem Heiligen zu dienen, womit freilich ihre halbheidnische Auffassung
des Katholicismus nur zu wohl zusammenstimmte ».
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87
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« The increasing body op neo-Latin poetry which incorporated theological and religious
themes dedicated to poets and cardinals by humanists, and the beginning of a fuller
exposition of Christian thought and history inspired by humanistic studies of antiquity,
were important steps in the success of incorporating classicism and religious thought in
the second half of the quattrocento238. »
Avec les poèmes qui constitueront les Coryciana, on en vient ainsi à l’expression explicite
d’une inspiration double aussi bien que d’une profession de foi double, vouée au Seigneur, à
la Vierge et à Sainte Anne, mais rappelant également la splendeur des éminences antiques.
238
J. F. D’Amico, Renaissance Humanism (op. cit.), p. 144.
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I. 2. b. Les « péripéties » des Coryciana
Jozef IJsewijn, dans son édition des Coryciana, suit les résultats des recherches effectuées par
José Ruysschaert dans le cadre d’un colloque au sujet d’Angelo Colocci, en ce qui concerne la
tradition des manuscrits. Ces recherches furent publiées en 1972239 et Ruysschaert les motivait
comme suit :
« Si nous avons choisi de traiter ici des « Coryciana » c’est que deux manuscrits
conservés à Rome, à la Vaticane et à la Corsini, permettent de retracer l’histoire, restée
jusqu’ici inconnue, de la préparation de la fameuse édition de 1524, documentant ainsi
d’une manière nouvelle certains aspects du milieu dans lequel vivait Colocci240. »
C’était donc dans le cadre de recherches au sujet de l’ami et « rival mondain » de Corycius
que Ruysschaert a élucidé certains points de la tradition manuscrite des Coryciana. Nous
retracerons ici les étapes les plus significatives du « périple » du texte corycien, et retiendrons,
du point de vue actuel, deux manuscrits et une édition qui ont conservé un texte que l’on peut
considérer comme intégral. Voici comment IJsewijn les présente :
C
Codex Niccolò Rossi 207 (Corsinianus) de la main très soignée et élégante de C.
Silvanus Germanicus241,
V
Codex Vaticanus Latinus 2754 de la main de Giano Vitali Panormitano, un ami de
Silvanus, revu et corrigé par Fabio Vigil Spoletino,
E
Typographie de juillet 1524, faite par Ludovico degli Arrighi et Lautizio Perugino
C’est à partir de l’édition de 1524 que Ruysschaert retrace l’histoire du texte, en se reportant
avant tout à la lettre-dédicace de Blosio Palladio d’un côté, celle de Giano Maria Cataneo de
Novare de l’autre, puis à l’échange épistolaire entre Corycius et Silvanus qui, outre des
considérations au sujet de la publication du recueil, mentionne le poème de Francesco
Arsilli242.
239
J., Ruysschaert, op. cit.
Ibid., p. 46.
241
Le manuscrit est décrit comme suit dans Kristeller, P. O., Iter Italicum, t. 2, Londres-Leyde, 1967, p. 114 :
Niccolò Rossi 207 (45 D 4) cart. misc. XVI in. 152 fols. Epigrammata in statuas Coritianas. The collection
includes verses by [authors’ list] C. Silvanus (title only, 133). f. 143-52v. Franc. Arsillus, poem de poetis
urbanis. Also a letter […] of C. Silvanus to Coritius (142) and the latter’s reply (142v).
242
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 400, p. 341 ss.
240
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89
__________________________________________________________________________________________
Celui-là joue un rôle non négligeable, non seulement dans la contribution de poèmes, mais
également dans la transmission du recueil lui-même, étant donné que c’est lui qui a copié le
manuscrit C243. Selon Ruysschaert, ce compatriote de Corycius aurait même projeté de faire
une édition du recueil, vu le nombre de lignes laissées libres dans le manuscrit, nombre
correspondant à celui des vers que l’on trouvera dans l’édition de 1524. Par ailleurs, un
deuxième projet d’édition a pu être découvert à l’aide du manuscrit V, attribué à Giano
Francesco Vitali, un ami de Silvanus et un des poètes des Coryciana. Ruysschaert rend un tel
projet d’édition vraisemblable, étant donné que les deux poètes avaient déjà publié un livret
de poèmes dédié à la courtisane Imperia, en 1512244. Les manuscrits C et V sont, néanmoins,
les copies d’un même original et présentent, à la place de la lettre-dédicace de Blosio Palladio
et en guise de préface, une lettre de Giano Maria Cataneo de Novare à son frère Jacopo245, ce
qui indiquerait clairement une collaboration entre Cataneo, Vitali et Silvanus. Selon les dires
du premier, l’ordre des poèmes dans cette édition projetée était « celui dans lequel on les avait
donnés à Corycius », ce qui nous permet de dire que les 269 premiers poèmes suivent l’ordre
chronologique des fêtes de Sainte-Anne. En traitant du corpus manuscrit et édité des
Coryciana246, Ijsewijn fournit un autre indice suggérant qu’un tel projet d’édition existait
déjà, – seulement –, trois années après la première fête patronnée par Corycius, sans que
l’éditeur ne puisse pourtant être identifié à Cataneo. IJsewijn mentionne ainsi une lettre de
l’érudit allemand Michael Hummelberger qui, le 25 février 1515, écrivit à son ami Henricus
Bebelius :
243
Sa main a pu être reconnue grâce à la signature du manuscrit Laur. Plut. XXXIII : cf. J. Ruysschaert, op. cit.,
p. 49 ss.
244
Cf. J. Ruysschaert, op. cit., pp. 50-51.
245
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, p. 49-50 : [Ioannes Maria Cataneus Iacobo Cataneo Fratri suo Salutem] [Scribis
te pellectum varietate carminum, quae in Statuas Corytianas iampridem ad te misi, cupere reliqua cognoscere ;
quod intelligas non solum Romanos poetas in ipsis ingenium suum exercuisse, verum etiam exteros idem mira
felicitate tentasse. Hortaris insuper ut ea omnia in volumen redacta imprimi curem, et ut Deo optimo suus honos
reddatur, et omnes intelligant non esse adeo effoetum saeculum nostrum, quin aliquando audeat cum antiquitate
certare. Feci quod rogabas, etsi plaeraque me in contrarium trahebant. Nam neque facile dabatur eorum omnium
exemplum, nisi per Corytium ; qui licet mihi sit amicissimus, videatque huiusmodi publicationem ad laudem
Dei, et poetarum, qui sua excoluerunt, pertinere, tamen non mediocriter verebatur ne dum aram et statuas erigit,
vasa, vestimenta, dotem ad perpetuum sacificium donat et dedicat, et ea omnia summa cum pietate, malignus
interpres, si illa aedi passus esset, potius ambitioni data imputaret. Nec scrupulus ille nos parum offendebat, ne
istud non tam religionis aut tua causa fecisse videremur quam quod tribus epigrammatis nos quoque in hoc albo
essemus. Vicit tandem amor omnes difficultates, praesertim cum intelligeremus istud opus ad aliorum potius
laudem quam ad nostram pertinere, quoniam multi nos et scribendi copia et caeteris omnibus ornamentis longe
superassent, et testari possumus Corytium, virum optimum et Academiae Romanae unicum praesidium, diu
reluctatum ne ista emitteremus, vixque tandem expugnatum amicorum voluntati cessisse.
Haec igitur eo ordine, quo Corytio fuerant data, quanquam non eodem filo propter ingeniorum diversitatem
composita ad te typis impressa mitto ne aliquis, si praeteritus aut in alium locum translatus esset, se notari
existimaret et ut clariora obscuriorum comparatione magis elucescerent. »
246
Coryciana, éd. IJsewijn, p. 17 ss.
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90
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« Poemata in Aram Coritianam a multis nostri aevi poetis hic conscripta, ut edita fuerint,
curabo ut et tu habeas. Sunt satis multa et latina et graeca. Ea propediem in lucem emittet
Corycius studiorum et doctorum alter Maecenas »247.
En 1515 un projet d’édition existait bel et bien, et l’auteur pourrait en être Cataneo. Un
deuxième éditeur est envisagé par IJsewijn : Mariangelo Accursi, que Francesco Arsilli
mentionne dans son poème De poetis Urbanis248 et qui écrivit un protreptique pour
Corycius249 afin que celui-ci publie le recueil.
Un autre érudit qui intervient dans la constitution du recueil des Coryciana est, selon
Ruysschaert, puis IJsewijn, Fabio Vigil Spoletino250 qui corrigea le texte que Vitali avait
copié, c’est-à-dire l’actuel manuscrit V (Codex Vaticanus Latinus 2754), probablement à
partir de l’archétype autographe de Corycius251. C’est également Vigil qui proposa la division
du recueil en trois parties ou livres, les épigrammes, les hymnes et les annales, non sans varier
l’ordre des poèmes, surtout de ceux de la cinquième tabella, donc ceux qui suivent le poème
269 de Laurelio. En effet, après avoir constitué le corpus tel que nous le lisons aujourd’hui,
sans la lettre de Cataneo, Vigil a regroupé les poèmes selon un certain ordre qui n’est pas de
nature chronologique, et il semble avoir repoussé les poèmes plus longs dans les livres II et
III252.
247
A. Horawitz, ‘‘Analecten zur Geschichte des Humanismus in Schwaben’’, Sitzungsberichte der K. Akademie
der Wissenschaften [in Wien]. Phil.-Hist. Klasse, Bd. 86 (Wien, 1877), p. 267, cité par IJsewijn, Coryciana, p.
17 : 2. 1. De Traditione Carminum manu et typis scripta.
248
Coryciana, éd. IJsewijn, 400 (3), vv. 205-210, p. 352 :
« Ut volucrum regina super volat aethera, et alti
Immotum lumen solis in orbe tenet,
Sic illa genitus clara Mariangelus urbe,
Alite quae a Iovia nobile nomen habet
Felici ingenio solers speculatur in antro
Corycio, unde refert carminis omne genus ».
249
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, pp. 35-39, et l’annexe 12 pour la reproduction du poème de Mariangelo Accursi.
250
Fabio Vigil appartenait, lui aussi, à l’entourage papal. Secrétaire privé sous Farnese, il devint évèque de
Foligno en 1539 et de Spoleto en 1540, cf. Bietenholz, P. G. (ed.), Deutscher, T. B. (ass. ed.), op. cit., pp. 392393.
251
Cf. J. Ruysschaert, op. cit., p. 54, qui suppose ce recours à l’archétype, composé de textes autographes « ainsi
qu’on le devine aux défauts propres à chacune des deux copies ». Outre ces corrections, la contribution de Vigil
ne peut pas tout à fait être cernée, vu que le manuscrit V manque des feuillets finaux que Vigil mentionne.
252
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 2. 2. De genesi et compositione corporis carminum Corycianorum, p. 22 :
« Corpus Corycianum a Fabio Vigili divisum est in libros tres, eiecta Catanei praefatione. Usus est codice a Iano
Vitali maxima ex parte conscripto.
Quo ordine carminum Vigil usus sit non liquet, nisi quod pleraque carmina longiora in libros II et III reiecit.
Constat autem Vigilem carmina non disposuisse secundum tempora, quibus scripta sunt. Carmina 277 et 284,
quibus Lutherus vituperatur, non ante 1520 scripta sunt ; Hadeliana autem (CC 368-371) anno ut videtur 1518 et
1519. »
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91
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Par ailleurs, Vigil nous renseigne sur le bilinguisme de la communauté autour de Corycius en
indiquant en bas du folio 88r du manuscrit V « Sequantur mox graeca » et en laissant des
feuillets en blanc (88v-94v). Le recueil n’était pas uniquement consacré aux poètes latins,
mais avait l’intention de rassembler auteurs latins et grecs – ce qui convient bien mieux à
l’esprit humaniste des invités. Le but aurait ainsi été d’inclure dans une même œuvre des
poètes et hommes de lettres latins et grecs253. Selon IJsewijn, si ces poèmes grecs suivent en
effet le texte, ils se trouvent justement sur les feuillets manquant à V. Le renvoi à des textes
grecs semble néanmoins pertinent, d’autant plus que d’autres témoignages le corroborent.
Ainsi, par exemple, la lettre de Giano Maria Cataneo à son frère (cf. supra) dit que « non
solum Roman[i] poeta[e] in ipsis ingenium suum exercu[erant], verum etiam exteros idem
mira felicitate tenta[uerant] ». De même, Ludovico Faber, dans le poème 284, insiste sur le
chant bilingue, grec et latin, dédié à Corycius254, et enfin Angelo Colocci, dans un de ses
poèmes critiques au sujet de la fête annuelle chez Corycius, mentionne aussi bien les poètes
grecs et latins, que leurs « élucubrations latines et attiques » (Latinas simul Atticasque
febres)255. IJsewijn propose alors des noms de ces lettrés et savants grecs en tant qu’« associés
coryciens grecs » (socii Coryciani Graeci), comme Jean Lascaris ou Marcus Musurus, ou bien
encore des savants comme Scipion Carteromachus, dont des poèmes auraient pu figurer dans
la partie grecque des Coryciana256. Selon Ruysschaert et IJsewijn, un deuxième collaborateur
– anonyme, ou peut-être Silvio Laurelio –, semble avoir ajouté des notices, voire des poèmes,
notamment l’actuel poème 2 de Vitali, pour lequel on avait laissé en blanc le nombre exact de
lignes. Ces variantes témoignent d’un coup de mains de Silvanus et proviennent donc selon
toute vraisemblance de sa copie du texte, car elles sont signalées par « Syl˂vanus>
l<egebat> »257. Signalons enfin que Vigil comptait précéder « son » édition d’une préface
autre que celle de Cataneo, et, vu la proximité entre Palladio et Vigil, Ruysschaert suppose
qu’il s’agit alors de la lettre-dédicace de Palladio, telle qu’elle figure en effet dans l’édition de
1524.
253
Cf. de même la lettre de l’Allemand Michael Hummelberger à Henricus Bebelius, déjà mentionnée : « Sunt
satis multa et latina et graeca ».
254
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 284, vv. 5-6, p. 196 :
« Tales a Coryto, tales scalptore, poetae
Concelebrant Graio carmine et Ausonio ».
255
Ibid., Carmen Extravagans, VI, 4, vv. 4 et 10, p. 196 :
« Tot Graii simul, et simul Latini ; […]
Latinas simul Atticasque febres ».
256
IJsewijn, Introduction, p. 19.
257
Ibid. et J. Ruysschaert, op. cit., p. 56 pour d’autres hypothèses sur ce collaborateur anonyme.
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92
__________________________________________________________________________________________
Suite à ce travail de compilateurs, de scribes et de correcteurs, l’œuvre de Palladius semble se
limiter à mener à terme le projet de publication, et à signaler cela de manière explicite dans la
lettre-dédicace qu’il adresse à Corycius. En effet, sans mentionner aucun projet d’édition ou
de publication antérieur, il s’arroge la priorité dans cette entreprise, en se servant de la
comparaison virgilienne – désormais familière –, du Silène endormi auquel deux enfants
innocents, Chromis et Mnysallos, arrachent un secret jusqu’alors bien gardé.
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93
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__________________________________________________________________________________________
94
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I. 2. c. Présentation et commentaire de l’édition d’IJsewijn (1997)
A ce jour, l’édition des Coryciana de Jozef IJsewijn, nous l’avons déjà suggéré, est la plus
exhaustive, non seulement au sujet des informations fournies sur Corycius et les poètes, mais
aussi au sujet de la tradition des manuscrits et de l’organisation du recueil. Si le travail de
Ruysschaert a été indispensable aux recherches d’IJsewijn258, celui-ci rectifie néanmoins un
certain nombre de suppositions, de dates et de noms qui interviennent dans les « péripéties »
des Coryciana.
Avant de donner de plus amples informations sur les manuscrits eux-mêmes, tels qu’IJsewijn
les présente dans son édition et avant de mentionner les informations complémentaires et
supplémentaires que l’éditeur fournit, voici, en guise de repère général, le squelette de son
travail d’édition :
pp. V-VI
table des matières
pp. VII-VIII avertissements
pp. IX-X
bibliographie
p. X
abréviations
Introduction
pp. 3-16
1. Janus Corycius
- le personnage (nom, origine, travail)
- les témoignages
pp. 17-28
2. Le corpus des Coryciana
2. 1. Tradition manuscrite et éditions
2. 2. Genèse et composition
2. 3. Aperçu de l’édition romaine (E)
2. 4. Tableau synoptique de la présence et de la disposition des chants
dans les manuscrits et dans l’édition (C/V/E)
2. 5. Leçons extravagantes
2. 6. Raison d’être de la présente édition
258
Outre Ruysschaert, IJsewijn mentionne et remercie Gianni Ballistreri pour son travail de recherche et de
collation des manuscrits en question (cf. IJsewijn, Introduction, p. VII)
__________________________________________________________________________________________
95
__________________________________________________________________________________________
pp. 29-34
Lettre-dédicace de Blosio Palladio
pp. 35-248
Livre I : épigrammes (1-8 : epigrammata ; 9-33 : icones ; 34 : carmen ;
35-372 : epigrammata)
pp. 249-312
Livre II : hymnes (373-388)
pp. 313-364
Livre III : jours festifs annuels (389-399 : hymni ; 400.1-2 : epistolae ;
400. 3 libellus)
pp. 365-390
Chants extravagants
pp.391-417 (fin)
Index
- des poètes-auteurs cités dans le recueil
- des autres noms (non mentionnés)
- des mots rares
- métrique
Suite à des considérations au sujet de Corycius et de son temps, pour l’explication desquelles
il a déjà recours au texte du recueil lui-même, IJsewijn décrit les deux manuscrits relatifs aux
Coryciana, qu’il n’a pourtant que guère utilisés. En effet, le texte de base de l’édition de 1997
est l’édition procurée par Ludovico degli Arrighi Vicentino et Lautizio Perusino en 1524 qui,
selon Ruysschaert, correspond au texte du manuscrit V, corrigé par Vigil, mais qui, selon
IJsewijn, n’a utilisé aucun des deux manuscrits. Voilà pourquoi il présente la tradition des
manuscrits comme suit :
« Coryciana carmina, praeter extravagantia quaedam disiecta, nobis tradita sunt uno libro
Romae anno 1524 edito (E) duobusque codicibus manu scriptis, qui sunt Vaticanus
latinus 2754 (V) et Corsinianus Niccolò Rossi 207 (C). At testes hi tres nonnullis in locis
inter se variant. Accedit quod tum in libro cum in codicibus nonnulla supersunt vestigia
laboris ecdotici per longius temporis spatium et fere ad ultimum excudendi momentum
protracti. Exempli gratia, codex Corsinianus quasdam habet lectiones meliores aut
additicias, quae non iam in editionem Romanam translatae sunt »259.
Quant aux manuscrits et à l’édition eux-mêmes, voici la description qu’IJsewijn en fait260 :
C : Codex Niccolò Rossi 207 de la Bibliothèque Corsini a été tracé avec un très grand
soin de la main très élégante de Caius Silvanus Germanicus, dont on peut lire de très
nombreux poèmes dans les livres II et III des Coryciana.
259
260
Coryciana, éd. IJsewijn, 2. De Corpore Carminum Corycianorum, p. 17.
IJsewijn, Introduction, pp. 18-21.
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96
__________________________________________________________________________________________
Au verso du premier feuillet, on lit un titre en majuscules : IN STATUAS CORITIANAS
EPI/GRAMMATA : –. Les feuillets 1v à 4 sont blancs, excepté qu’au feuillet 3r, une
partie du titre a été reproduite, puis biffée d’une encre sombre. Les poèmes commencent
au feuillet 5. Il est bien établi que le codex n’a pas été composé avant 1517, bien que le
poème 4 de Silvio Laurelio commence par ces vers : « Déjà un lustre, ô Corycius, je
pense, et plus / Depuis la dédicace de tes trois statues ». Comme la statue, sauf erreur, a
été consacrée en 1512, les mots « un lustre et plus » ne peuvent désigner que les environs
de l’année 1518. Silvanus proposa d’insérer d’assez nombreux poèmes de sa propre main,
même après l’achèvement du recueil, puisqu’il a laissé des blancs derrière les poèmes 2
et 394, tout en y inscrivant son nom. Silvanus était un poète d’origine silésienne, un
proche des marchands Fugger. Or ceux-ci transféraient de Germanie à Rome l’argent que
Corycius destinait aux bienfaits ; voilà pourquoi on a le droit de présumer que Silvanus a
peut-être abordé Corycius pour la première fois par l’intermédiaire des Fugger.
Certains poèmes du manuscrit ont été ajoutés par un second copiste, Giano Vitali
Panhormitano, un ami de Silvanus.
V : Le même Vitali, en personne, a copié le codex Vaticanus Latinus 2754, qui,
aujourd’hui, présente une lacune à la fin. L’écriture aussi bien que les feuillets sont de
loin moins beaux que ceux du Corsinianus et le manuscrit en entier ressemble plus à un
brouillon qu’à un exemplaire préparé pour l’impression. Or c’est Fabio Vigil de Spoleto
qui a redressé tout le livre, corrigé les poèmes – surtout son propre poème 57, qui a été
redressé deux, voire trois fois comme on peut le constater dans ce même codex Vaticanus
–, qui a détruit la préface de Cataneo, ajouté de petits poèmes personnels, divisé le recueil
en trois livres, changé également l’ordre et ajouté la note : « Que suivent bientôt les
[poèmes] grecs ». […] 261
Enfin, un copiste anonyme, un collaborateur de Vigil, a complété le manuscrit, avec
l’aide de Caius Silvanus. En effet, aussi bien le poème 2 de Vitali, que les chants 368 et
369 ont été ajoutés par lui dans les espaces laissés en blanc. De même, il a changé les
vers 6-7 et 12-13 du poème 4 et ajouté la notice ‘‘Syl<vanus> l<egit>’’. Mais pour ce
travail de remplissage et de transformation il ne semble pas s’être servi du manuscrit C,
comme le veut Ruysschaert. Car à certains passages, C et V ont des variantes. Ainsi, en 2.
12, C lit Illa, alors que V, de même que l’édition, lisent Ista. Nous ignorons qui a été cet
anonyme : peut-être Silvio Laurelio qui offrit son aide en comparant les poèmes (cf. les
épigrammes 4 et 269). D’autres mains encore (ou des calames plus épais) ont fait
261
Cf. supra : I. 2. b. Les « péripéties » des Coryciana, pour les détails sur ce témoignage de poèmes grecs.
__________________________________________________________________________________________
97
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quelques changements mineurs ((cf. c.2 (titre) ; 58.12 ; 103 (titre) ; 157A. 1 ; 172.3 ; 269
(titre)).
E : Les imprimeurs Ludovico degli Arrighi et Lautizio Perusino, qui éditèrent fort bien en
juillet 1524 les Coryciana, ne se sont servis d’aucun des deux manuscrits. Cette édition
est préfacée par la lettre-dédicace de Blossio Palladio à Corycius. Il n’est pas douteux que
Palladio, bien qu’il n’ait pas daté sa lettre, l’a rédigée ou bien complétée à la fin de
l’année 1523. En effet, il y écrit non seulement (§3) que « de là assurément une
décennie… qu’il a installé la statue avec l’autel dans l’église de Saint Augustin », mais il
mentionne aussi (§7) « … les livres des suppliques, auxquels tu présides déjà sous six
papes ». Ce nombre « six » n’est justifié qu’à une date postérieure à l’élection du pape
Clément VII, c’est-à-dire après le 19 novembre 1523. Du reste, Palladio ne mentionne
même pas d’un mot les projets d’édition précédents et leurs instigateurs. En utilisant
seulement une image virgilienne, il dit avoir enlevé les poèmes à Corycius en cachette262.
Les poèmes manuscrits semblent déjà avoir été fournis à l’imprimeur en 1523. C’est ce
que l’on peut déduire de ce que Ludovico Vicentino, avec l’épigramme 10, dont Marco
Antonio Casanova est l’auteur, propose en une belle écriture au feuillet 8v. Le poème,
dont le titre est Il modo de temperare le penne, fut publié en 1523. Par cette épigramme il
a illustré la forme d’écriture qu’il faut utiliser pour les « Litera de brevi ». Mais il semble
que cette conclusion soit contredite par le chant 399 où Clément VII est loué au vers 14,
qui, comme il a été dit, fut élu le 19 novembre 1523. Voilà pourquoi il faut conclure que
l’éditeur ou bien connaissait l’épigramme 10 par une autre source, ou bien qu’il n’avait
pas [encore] reçu certains poèmes des Coryciana fin 1523 ou début 1524.
Les exemplaires de cette édition ne sont pas tout à fait rares. Ils ont été préservés, à ce
que je sache, dans les bibliothèques européennes [et américaines] suivantes : […].
Pour ce qui est de l’évaluation de l’édition romaine, sur laquelle IJsewijn s’est basé
principalement, par rapport aux manuscrits V et C, on se reportera à l’annexe 13, où nous
reproduisons le tableau comparatif entre le texte de cette édition et celui des manuscrits établi
par l’éditeur263.
Les leçons divergentes, qui ne figurent ni dans les manuscrits V et C, ni dans l’édition de
1524, bien que, toujours selon IJsewijn, elles ne soient pas très nombreuses, figurent, pour la
plupart dans les manuscrits suivants :
262
Palladio compare en effet Corycius au silène endormi qui, enlacé de surprise par deux jeunes bergers – rôle
qui revient ici à Palladio –, leur accorde enfin le chant souvent promis, jamais offert, cf. Virg., Buc. VI, 13-26.
263
Coryciana, éd. IJsewijn, pp. 24-26.
__________________________________________________________________________________________
98
__________________________________________________________________________________________
L
Vaticanus latinus 2833
M
Vaticanus latinus 2834 (qui contient différents poèmes coryciens et colocciens de
Marco Antonio Casanova)
N
Vaticanus latinus 3388
O
Vaticanus Ottobonianus latinus 1519
Après avoir détaillé l’histoire des manuscrits, des projets d’éditions, de la structure du recueil
et des poèmes extravagants264, IJsewijn affirme :
« Hujus editionis exemplum est E nisi iis in locis (valde raris) quibus manifesto errorem
continet. Accedit quod bis terve meliorem lectionem praebere a codice quodam carminis
au)tograf%= traditam. […] Carmina in solis codicibus CV obvia suis locis interserui,
litteris tamen minoribus expressa ut uno oculorum ictu cognosci possint »265.
Sans donc reproduire uniquement le texte de l’édition de 1524, IJsewijn ajoute les poèmes et
lettres que seuls les manuscrits C et V transmettent, afin de fournir au lecteur une opinion
d’ensemble de ce que, dans la Rome du début du XVIe siècle, on rapprochait du recueil des
Coryciana et considérait comme version possible du texte original.
Dans ce tableau synoptique, signalons deux divergences notables entre les textes qui nous
sont transmis. Ainsi, par exemple, les trois titres
CORYCIANORUM LIB<ER> I EPIGRAMMATA DE EDITIONE,
CORYCIANORUM LIB<ER> II HYMNI et
CORYCIANORUM LIB<ER> III ANNALES DIES266
des différentes parties des Coryciana, se trouvent dans V et E, alors qu’ils manquent dans C.
Il en va de même pour le titre ICONES, que V et C ont derrière le poème 8. Par ailleurs,
différents groupes de poèmes sont décalés d’un manuscrit à l’autre, sinon des manuscrits à
l’édition (cf. l’annexe 13).
264
IJsewijn, 2. 5. De carminibus extravagantibus, pp. 26-27 pour de plus amples considérations sur les
témoignages au sujet de ces poèmes, et pp. 365-390 pour les poèmes eux-mêmes.
265
Ibid., 2. 6. De ratione hujus editione, p. 27.
266
Coryciana, éd. IJsewijn, pp. 35, 249 et 313.
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99
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100
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II. Traduction et commentaire d’extraits choisis
Comment déterminer quels poèmes traduire d’un recueil qui en contient quatre cents,
composés par à peu près cent trente poètes ? Comment, dans un ensemble de poèmes de
toutes longueurs, de complexités différentes et de beauté variable, en choisir quelques-uns en
vue de les présenter, traduire et commenter dans ce travail, première étape d’un projet de
traduction commentée ?
Un premier survol du recueil nous a permis de remarquer des textes attirants par leur incipit et
leur composition, du point de vue de la forme aussi bien que du contenu. Ces textes ne sont
pas dépourvus d’un certain charme, par le ton qui les colorie ou l’objectif qu’ils visent, et,
après les avoir lus et relus, nous avons constaté que ces textes constituent même des moments
importants du recueil. Si l’intérêt pour la lettre-dédicace semble évident, le choix des autres
textes ne l’est pourtant pas forcément, de sorte que nous motiverons ce choix et présenterons
ceux-ci de façon succincte avant de les traduire et de les commenter.
II. 1. Motivation du choix des extraits et présentation de leurs fonds et
formes
Après avoir repéré et choisi les textes en question – la lettre-dédicace, les poèmes 388 et 398,
ainsi que l’échange épistolaire, suivi du poème de Francesco Arsilli, 400 –, nous nous
sommes rendu compte que ces textes occupent des positions-clés dans le recueil. En effet,
après avoir appris à connaître les circonstances de la naissance du recueil, les caractéristiques
de son patron et mécène, de même que l’histoire manuscrite et imprimée du recueil, le lecteur
constate que les noms des auteurs des textes choisis, Blosio Palladio, Silvanus Germanicus et
le dédicataire lui-même, Janus Corycius, ont souvent été cités dans ces contextes : à vrai dire,
on peut considérer ces trois hommes comme les piliers des Coryciana. D’un côté, leurs textes
fournissent d’innombrables informations précieuses sur Corycius lui-même ainsi que sur la
fête annuelle qu’il organisait en l’honneur de Sainte Anne et le recueil de poèmes qui en est
issu, de l’autre côté, ils fournissent des renseignements non négligeables sur des auteurs si
bien représentés dans le recueil que l’on pourra peut-être même les appeler des auteurs
caractéristiques du recueil.
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101
__________________________________________________________________________________________
C’est ainsi que nous avons choisi de traduire et de commenter la lettre-dédicace ou epistula
nuncupatoria rédigée par Blosio Palladio. Celui-ci, tout en étant un ami proche de Corycius,
semble bien être le promoteur définitif de l’ouvrage, en se substituant à d’autres éditeurs
possibles, et en substituant sa propre dédicace à celle de Giano Maria Cataneo, comme nous
l’avons vu267. La lettre elle-même donne au lecteur moderne une description physique et
psychologique assez précise de Janus Corycius, et peut-être son portrait le plus vivant.
Palladio insiste néanmoins a principiis sur un trait de caractère particulier du mécène : avare,
celui-ci ne le serait pas en ce qui concerne les dons ou le soutien envers les poètes, mais en ce
qui concerne le partage des poèmes. Voilà pourquoi Palladio sent le besoin urgent de
s’arroger le rôle de révélateur du recueil afin que celui-ci, après des péripéties d’une dizaine
d’années, soit rendu accessible au public, et que les poètes qui y ont contribué, puissent, enfin,
jouir de la gloire qui leur est due, selon lui.
Ensuite, les poèmes 388 et 398, tout en étant rédigés par le copiste d’un des deux manuscrits
préservés, Silvanus Germanicus, fournissent sans aucun doute des renseignements précieux au
sujet du déroulement de la journée solennelle vouée à Sainte Anne : aussi bien la matinée
religieuse que la fête dans les jardins de l’hôte y sont évoquées et décrites. Après avoir
analysé plus en détail le recueil, il nous semble qu’aucun autre poème ne saurait mieux
décrire, voire faire revivre les différentes parties de la journée, c’est-à-dire les cérémonies
religieuses matinales et les discussions variées de l’après-midi. Outre cela, les deux poèmes
nous montrent qu’un homme comme Silvanus Germanicus, d’origine non romaine, désirait
vivement faire partie du cercle poétique qui s’était formé autour de Corycius, car celui-ci lui
permettait un accès certain à la vie littéraire romaine de l’époque. Non seulement la forme des
poèmes, mais également leur contenu semblent témoigner d’un style et d’un souci littéraires
caractéristiques de l’époque. Le poème 388 fait revivre la rivalité – certes contemporaine à
toute époque –, entre les Anciens et les modernes, tout en entrant par là-même dans un
certamen qui n’est absolument pas dépourvu de beauté. Le poème 398, en faisant faire au
lecteur le tour des différentes parties de la journée festive, et en lui montrant, concrètement,
les hôtes, leur érudition, leurs conceptions du monde et leurs sujets de conversation, permet
également au lecteur moderne de connaître davantage les connaissances physiques,
astrologiques, poétiques et religieuses des hommes de lettres de l’époque. En effet, dans le
souci constant de se montrer « à la hauteur » aussi bien du dédicataire du poème que des
267
Cf. supra : I. 2. b. Les « péripéties » des Coryciana.
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102
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poètes qui sont parvenus à rédiger une œuvre durable, Silvanus semble vouloir créer une
œuvre « totale », un poème si dense que forme et fond concourent à la perfection, à nos yeux.
L’impression de cette perfection est certainement soulignée par le style très classique du
poème : le vocabulaire classique prend des significations nouvelles, les images utilisées
combinent souvenirs poétiques classiques et connotations nouvelles, et l’occasion même du
poème, la fête de Sainte Anne, dote les évocations classiques d’un sens religieux nouveau,
cherchant à combiner au mieux l’héritage classique et la foi chrétienne268.
Enfin, les textes regroupés sous le chiffre 400, sont constitués aussi bien d’un échange
épistolaire entre Silvanus Germanicus et Janus Corycius, que d’un poème devenu
représentatif de cette Rome, tout juste encore épargnée par l’horrible Sac de 1527. Si les
lettres nous présentent deux hommes dans leurs occupations et préoccupations quotidiennes,
le poème De poetis Urbanis de Francesco Arsilli nous fournit par ailleurs les noms, non
seulement d’une grande partie des poètes représentés dans les Coryciana, mais également
d’autres poètes considérés à l’époque. Burckhardt dit à juste titre que le nombre de poètes
était tel qu’il valait bien la peine de les regrouper dans un poème, quitte à ce que l’auteur ne
s’abstienne pas d’en critiquer un certain nombre :
« Damals lohnte es sich auch der Mühe, die ganze Poetenschaar, welche an Leos Hofe ihr
Glück suchte, in einem eigenen grossen Gedicht ,,de poetis urbanis’’ zu mustern, wie
268
Pour une étude un peu plus détaillée de cette volonté, caractéristique de l’époque, de combiner héritage
classique et tradition chrétienne, cf. J. F. D’Amico, Renaissance Humanism (op. cit.), p. 137 au sujet du discours
préparé par Blosio Palladio pour Léon X : « Blosio’s […] oration epitomized the High Roman Renaissance
humanist view of Christian and ancient history. In his hands the classical and Christian pasts were given a
singular interpretation that blended the various aspects into a new cultural unit. Blosio did not simply equate
Christ or the Virgin with Jupiter ; he used this rhetorical device to express the essential unity he saw between the
pagan culture of Rome as revived by the humanists and the Christian culture of his day », et pp. 156-159, où
l’auteur traite surtout de l’ouvrage de Cortesi : « New words were invented and old ones made to carry new
meaning. […] Humanists took the highroad linguistically and employed rhetorical devices, strict classical
vocabulary, highly involved syntax ; […] The ideal is literary rather than technical – i. e., literary canons rather
than the theological tradition of previous generations determine language. […] Behind this was [the] desire to
make the Christian Church and theology more harmonious with his classicism [which] had the effect of
emphasizing the Roman quality of the Christian religion. Through [this] language Christianity exhibited close
ties with the culture of the ancient Roman world, especially Imperial Rome. […] Language was [the] device for
uniting Christianity and classical culture. […] Cortesi’s aim was to make theology part of the humanist classical
culture. He chose the language of the Roman humanists, which he had helped to form, and applied it to a new
discipline. He belonged to the Roman humanist tradition of transforming Christian topics and personages into
their classical equivalents. We have already seen, in the poetic compositions of the Coryciana, how common this
was. [This] aim […] can be compared to the classisizing of religious topics undertaken by artists in Rome in the
High Renaissance… ».
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103
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Franc[iscus] Arsillus that, ein Mann, der kein päpstliches oder anderes Mäcenat brauchte
und sich seine freie Zunge auch gegen die Collegen vorbehielt269. »
Le témoignage privé des correspondants aussi bien que les indications au sujet des poètes, de
leurs attitudes envers la vie et de leurs œuvres, nous permettront de tracer un portrait plus
complet de cette époque pré-crépusculaire270. Il est intéressant de constater que le poème
d’Arsilli a été ajouté aux Coryciana dès l’édition de 1524, car, vraisemblablement, on a voulu
« compléter » le recueil, comme si le lecteur pouvait mieux se repérer dans l’ouvrage en y
trouvant une sorte de liste de – presque – tous les poètes contemporains à Rome, et ce, malgré
le fait que le poète de cette liste n’a pas contribué au recueil même. Cet ouvrage constitué des
400 Carmina coryciana proprement dits, de l’échange épistolaire et du poème d’Arsilli
s’avère alors apte à présenter la Rome poétique de l’époque, voire à en devenir le miroir271.
Pour le dire en d’autres mots, citons encore une fois Wind qui, dans son œuvre sur les
mystères païens à la Renaissance, affirme que renaissance de l’Antiquité et espoir semblaient
bien être les termes-clés pour rendre compte de la foi des hommes de lettres de la
Renaissance :
« Die Wiederbelebung der Antike war also mit der […] Hoffnung auf einen universalen,
die konfessionellen Unterschiede transzendierenden Glauben verbunden272. »
269
J. Burckhardt, L. Geiger, op. cit., p. 300.
Dans le cadre du présent travail, tout en l’ayant déjà mentionné et cité à différentes occasions, nous ne
traduirons pas le poème d’Arsilli, mais seulement l’échange épistolaire entre Corycius et Silvanus.
271
Cf. J. F. D’Amico, Renaissance Humanism (op. cit.), p. 109, au sujet des Coryciana : « The more than four
hundred poems are of varying value in quality and historical interest, but they are good examples of the
classicism that inspired Roman humanists and the literary conceits that attracted them. A particular striking
feature of the poems is the classical form in which religious subjects are discussed. […] The poems sing the
praises of a humanist culture as the central element in a reclassicized society ».
272
E. Wind, op. cit., p. 281.
270
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104
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II. 2. Traduction et commentaire
II. 2. a. La lettre-dédicace de Blosio Palladio
Nous avons déjà mentionné le discours que Blosio Palladio avait rédigé en l’honneur de Léon
X pour montrer combien ce poète de l’entourage proche de Corycius peut être considéré
comme caractéristique de son époque. Non seulement cet éloge, mais aussi la lettre-dédicace,
nous le verrons, témoignent d’une volonté accrue de renouer avec les traditions antiques et,
surtout, de retrouver la grandeur poétique antique, tout en inspirant aux unes et à l’autre la
bénédiction de la foi chrétienne :
« Blosio’s […] oration epitomized the Hight Roman Renaissance humanist view of
Christian and ancient history. In his hands the classical and Christian pasts were given a
singular interpretation that blended the various aspects of a new cultural unit. Blosio did
not simply equate Christ or the Virgin with Jupiter ; he used this rhetorical device to
express the essential unity he saw between the pagan culture of Rome as revived by the
humanists and the Christian culture of his day273. »
Artiste des mots, nous l’avons vu, Blosio Palladio n’omet pas d’occasion pour montrer ses
connaissances, et parvient ainsi à ouvrir le recueil des Coryciana par une lettre-dédicace
chaleureuse et profonde d’un côté, intéressée et faisant sourire le lecteur, de l’autre.
273
J. F. D’Amico, Renaissance Humanism (op. cit.), p. 137.
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106
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II. 2. a. 1. Texte et traduction
BLOSSIUS PALLADIUS ROMAUS IAO Le
Romain
CORYCIO LUCUMBURGESI A LIBELLIS chaleureusement
Blossius
le
Palladius
salue
Luxembourgeois
Janus
IUSTITIAE VIRO CLARISSIMO SALUTEM Corycius, homme très célèbre, chargé des requêtes
PLURIMAM DAT
1.
Corycium
juridiques.
senem
tibi
quadantenus 1. C’est le vieillard Corycius que Virgile – tu le sais
cognominem, Iane Coryci, P. Vergilius (ut scis) – loue dans un grand nombre de ses vers274, Janus
multis versibus collaudat, facitque eum ad Corycius, ton homonyme pour ainsi dire, et qu’il
Galaesum flumen sub altis Tarenti turribus représente attaché au culte des jardins sous les
hortorum cultui haerentem vitamque felicem hautes tours de Tarente au bord du fleuve Galaso,
atque otiosam ruri degentem. Itaque hac una menant une vie heureuse et paisible à la campagne.
hortensi industria meruit vetulus Cilix divinis Aussi ce petit vieux originaire de Cilicie a-t-il
carminibus
interseri,
et
vita
longaevus mérité d’être mentionné dans des poèmes divins par
longaevior fieri carmine, quod illi pro aeterno cette seule application jardinière, et sa longue vie de
monumento a poeta omnium maximo statutum devenir encore plus longue grâce au poème qui lui a
est. Atque ille quidem hoc summi poetae été dressé comme monument éternel par le plus
munere aeternus iam est suasque arbores et grand poète de tous. Lui, du moins, par cet ouvrage
plantas vivacitate vincit, parique perennitate du poète suprême, est déjà éternel et triomphe de ses
huius memoria cum poetae gloria protenditur. arbres et plantes par sa vitalité, et son souvenir,
Tantum illi felicitatis attulit P. Vergilium in eius pareil en ceci à la gloire du poète, a été passé de
hortos incidisse.
génération en génération à travers les âges. Un si
grand bonheur lui valut la visite de Virgile dans ses
jardins.
2. Quid autem te, Iane Coryci, dicam, huius 2. Or que dirai-je de toi, Janus Corycius, homonyme
senis
cognominem,
annis
aequaevum,
ab de ce vieillard, son égal en âge, très attaché à
hortorum cultu non abhorrentem ? Quem omnes l’horticulture ? Toi, que tous les poètes de Rome de
nostri
temporis
urbani
poetae
uno
ore notre époque célèbrent d’une seule voix ! Que dire
concelebrant ! Quid hoc ? An factum aliquod est de ceci ? Ou s’est-il produit quelque chose qui fait
Corycios semper poetis populares, Corycium que les Corycius ont toujours la faveur des poètes, et
crocum atque adeo aromata omnia aeternitatem sentent le safran de Korykos et à vrai dire tous les
olentes ? Nisi te etiam illo longe praestantiorem parfums pour toute éternité ? A moins que je ne te
274
Virg., Géorg., IV, 127 (125-148).
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107
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et ex Parnasso monte ac Corycio specu croie même de loin supérieur à lui, cadeau des
Musarum dono nobis datum crediderim ac, si Muses, offert à nous du mont Parnasse et de la
poetice magis eloqui licet, ab Coryciis genitum grotte de Korykos, et, s’il est permis de s’exprimer
Nymphis atque educatum, quod omnia huius avec une verve plus poétique, issu des Nymphes de
aevi ingenia in Urbe excitaveris et ad virtutem Korykos et éduqué par elles, parce que tu as excité à
laudisque amorem miro ardore succenderis.
Rome tous les talents de notre époque et les a
enflammés avec une ardeur merveilleuse pour la
vertu et l’amour de l’éloge.
3. Nam tu cum abhinc ferme decennio pro tua 3. En effet, après que toi, il y a au moins dix ans de
pietate aram cum sacello in aede Divi Augustini cela, en raison de ta piété, tu avais fait construire un
Christo Deo matrique et aviae eius Mariae et autel dans une niche latérale de l’église de Saint
Annae statuisses, treisque statuas suam cuique e Augustin pour Christ Dieu, sa mère Marie et son
Lunensi illas marmore erexisses, ad haec aïeule Anne, et que tu avais fait ériger en marbre de
picturam longe inclytam et priscae aemulam Luna ces trois statues illustres, une pour chacun, que
addidisses, scalptoremque et pictorem quam tu y avais ajouté un tableau très célèbre et rival de
eximios
adhibuisses,
praeterea
sacrificio celui-là, que tu avais fait venir le sculpteur et le
quotidiano perpetuo vasa, vestem, pecuniam peintre les plus remarquables, que par ailleurs tu
legasses, tum poetae urbani omnes velut oestro avais légué pour la messe de tous les jours des
perciti tuamque tum pietatem, tum operis ipsius calices, des chasubles et de l’argent, tous les poètes
excellentiam admirati, te certatim extulerunt de la ville, comme saisis d’enthousiasme, et tantôt
tuamque
animi
magnitudinem,
statuarum admirateurs de ta piété, tantôt de l’excellence de
nitorem, artificum praestantiam suis carminibus l’ouvrage lui-même, t’ont élevé à qui mieux mieux
texuerunt.
et tissé la grandeur de ton âme, l’éclat des statues,
l’excellence des artistes dans leurs poèmes.
4. Praeclare illi quidem et, ut in divinis rebus, 4. Ils y sont en tout cas parvenus à merveille et,
prope divine ! Qua sane in re nescio an potius comme il convient aux affaires divines, de façon
ubertatem ingeniorum copiamve sententiarum divine, pour ainsi dire ! Assurément, je ne sais pas
an carminum genera et varietates laudandas si, dans ce cas, il faut louer plutôt la fécondité des
putem, cum in omnibus quamquam inventione, talents ou l’abondance des points de vue, ou la
stylo, metro diversis unus tamen ac prope idem grande variation stylistique des poèmes, alors que
decor concentusque eniteat. Alius elegis, alius chez tous, bien que différents par l’invention, le
heroicis, alius lyricis numeris aut phalaeciis style ou le mètre, un charme et une harmonie
agit ; aeque pulcre omnes. Adde rei ipsius ad presque identiques resplendissent. L’un chante en
275
Juvénal, 3, 207.
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108
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materiae
dignitatem,
coacervatim
in
cum non,
licentiosis
ut
prisci vers élégiaques, un autre en vers épiques, un autre
Lampsaceni en vers lyriques ou en vers phaléciens: d’une beauté
iocularibus sed in Dei ad divorum laudibus égale, tous. Ajoute à cela la dignité de l’activité
canendis ingenium exercuerint.
même et de son sujet : ce n’est pas, comme les
anciens l’ont fait en masse, en vue de railleries
licencieuses inspirées par Priape, mais pour chanter
les éloges de Dieu et des Saints qu’ils mettent à
l’épreuve leur talent !
5. Ergo ut in plurimis, quorum Pandectae sunt, 5. De même que donc dans le cas de la plupart des
iurisconsultis praeter rei ipsius quam docent jurisconsultes, dont les Pandectes sont l’apanage,
utilitatem unus prope stylus in tot diversissimis exception faite de l’utilité de la cause même qu’ils
tum aetate, tum patria ingeniis elucet, sic in hoc enseignent, presque un seul style se manifeste chez
uno libello praeter ipsam rem, quae – ut non de si nombreux caractères complètement divers, soit
maius dicam – divina est et de Deo ac divis par l’âge, soit par la patrie, de même dans ce seul
contexta,
ingeniorum
etiam
styli
ubertas,
elegantia,
etiam
etiam opuscule, exception faite par la cause qui – pour ne
inventionis pas dire davantage –, est divine et qui traite de Dieu
carminumque varietas admiranda nobis est. et des Saints, il faut que nous admirions à part égale
Stupendum est praeterea quosdam in his pene l’élégance du style, la richesse des talents et la
pueros esse, Romanamque pubeculam tam variété du sujet et des poèmes. Il est par ailleurs
praecox et frugiferum ingenium divis suis étonnant que certains de ces poètes soient à peine
consecrasse.
des enfants et que la jeunesse romaine ait consacré
son talent si précoce et fertile à ses Saints.
6. Felix igitur tu, Coryci, non ut Tarentinus 6. Heureux donc toi, ô Corycius, non point comme
incola de suis hortis, sed de tuis statuis, de tua l’habitant de Tarente de ses jardins, mais de tes
pietate, de divino cultu, de perpetuo sacrificio, statues, de ta piété, de ton culte divin, de ton
de tot poetis, de tot carminibus, de tua perenni sacrifice perpétuel, de poètes si nombreux, de
gloria mansuraque aeternitate. Nam quamquam poèmes si nombreux, de ta gloire éternelle et de ton
tuae laudes longe plures ac potius innumerae éternité durable. En effet, bien que les louanges
sint, tamen sic velim, Coryci, existimes, tuam qu’on t’offre soient beaucoup plus nombreuses,
felicitatem hoc uno libello contineri. Etenim hae voire innombrables, voici ce que je voudrais : que tu
tibi statuae praeterquam quod carminibus et estimes, ô Corycius, que ta félicité est contenue dans
monumentis tot poetarum perennitatem tibi ce seul opuscule. En effet, ces statues, outre le fait
contulerunt, etiam statuam in coelo statuerunt qu’elles t’ont apporté, à toi, l’éternité par les poèmes
aut certe locum ac sedem pepererunt, in quibus commémoratifs de si nombreux poètes, t’ont
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tu resideas sempiternus.
également érigé une statue au Ciel ou du moins
assuré un endroit et séjour, où tu siégeras pour
l’éternité.
7. Quod si P. Vergilius in tua aut tu in illius 7. Si Virgile avait vécu à ton époque ou toi à la
tempora incidisses, habuisset ille quidem quid sienne, il aurait certainement su quoi chanter de toi
de te prater hortense studium concineret. outre ta passion pour les jardins. Il aurait prôné dans
Praedicasset
in
homine
natione
externo l’homme d’une nation étrangère le talent romain, la
Romanum ingenium, urbanam dexteritatem, dextérité urbaine, les goûts littéraires, les relations
litteraria
studia,
litteratorum
commercia, avec les hommes de lettres, l’urbanité festive, la
fetivam urbanitatem, extemporariam dicendi capacité d’improviser, l’amour de l’Antiquité et des
facultatem,
Antiquitatis
et
marmorum marbres anciens. Certainement il aurait prôné ta
vetustorum amorem ; tum vero rigidam in sévérité intrépide en justice et dans les requêtes de
iustitia et supplicibus libellis, quibus iam sub supplication, à la tête desquelles tu es déjà sous six
sex Pontificibus praesides, severitatem, atque papes, il aurait prôné cette vieillesse qui est tienne,
etiam istam tuam caniciem corpusque teres et le corps bien en forme et vigoureux, cette tunique
vividum, istamque tunicam tenuem atque fine et simple chez l’homme sobre et éloigné de
expeditam in frugi homine et ab omni ambitione toute ambition excessive, alors qu’en d’autres
semoto, cum nitens alioqui vestiarium tibi sit, occasions, tu portes des vêtements resplendissants.
praedicasset. An vero ille illum tuum solennem Ou aurait-il pu taire ce jour solennel qui est tien,
diem tacere potuisset, quo tu Annae Christi jour au cours duquel, en l’honneur et par un culte si
aviae sacrum tanto cultu et honore, ad tuas grands de l’aïeule du Christ, Anne, tu célèbres le
primum statuas stato sacrificio, inde ad hortos jour de fête d’Anne, d’abord par la célébration
pingui et lauto epulo atque adeo omnibus bonis, d’une messe annuelle auprès de tes statues, ensuite
omnibus doctis indicto concelebras ?
par l’organisation d’un banquet dans tes jardins,
riche et somptueux, et de cette manière séant à tous
les hommes de bien, à tous les savants ?
8. Nam eo bonorum atque eruditorum virorum 8. Car c’est là que se réunit la foule des hommes
ea cohors coit ac diem celebrat ut in tuis hortis érudits et c’est là qu’elle célèbre le jour de sorte que
medias Athenas emporiumque doctrinarum dans tes jardins il semble que tu puisses inclure ce
possis videri illo die includere, et Musas de jour-là le centre d’Athènes et des talents à en
Helicone et Parnasso deductas in Tarpeium et revendre, et emmener les Muses, conduites du haut
Quirinalem tuis hortis imminentes transferre. de l’Hélicon et du Parnasse, auprès de la Roche
Ubi alius ad arbores citrias, alius ad hortenses Tarpéienne et du Quirinal surplombant tes jardins.
parietes, alius ad puteos aut signa, quae illic Lorsque l’un attache ses poèmes, par-ci, par-là, au
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plurima sunt et speciosa, omnia antiqui operis et hasard et avec variation, aux arbres cédratiers, un
gloriae plena, hac illac temere et varie carmina autre aux murs du jardin, un troisième aux puits ou
affigunt,
tuas
statuas,
tuam
pietatem aux statues, qui y sont très nombreuses et
liberalitatemque eius diei tam in deos quam in remarquables,
homines tantam uno ore concelebrant ?
poèmes
montrant
toujours
un
fignolage et une splendeur proprement antiques, ils
célèbrent à l’unanime tes statues, ta piété et ta si
grande générosité de ce jour, exprimée également
envers les dieux et envers les hommes ?
9. Denique nullum in orbe terrarum (ausim hoc 9. Enfin, de partout la terre (j’oserais le dire) aucune
dicere) concilium aut convivium est illo tuo réunion, aucun festin n’est plus noble ou plus
illius diei nobilius atque illustrius quam illustre que le tien ce jour-là, lorsque, après les
praeeuntibus mane sacrificiis et re divina, post messes préliminaires du matin et l’office divin, au
vergente vespera, selecta doctissimorum turba et coucher du soleil du soir, une foule choisie
quasi
flores
litterarum
in
hortos
tuos d’hommes très cultivés et, pour ainsi dire, la crème
coacervantur ; quos tu quidem pluris quam reges des hommes de lettres se réunit dans tes jardins. Et
plurisque quam satrapas universos aestimas et certainement, toi tu les estimes plus que des rois et
iure aestimas. Neque enim philosopho, immo plus que tous les satrapes, et c’est à juste titre que tu
sapienti tibi plus animum purpurae ac mitrae les estimes. Et en effet, à toi, philosophe, voire sage,
quam carmina et metra pervadunt, neque pluris les insignes en pourpre ou les mitres n’envahissent
eos facis qui sunt quam qui esse reges merentur.
pas plus ton esprit que les poèmes et les vers, et tu
ne fais pas plus de cas de ceux qui sont rois que de
ceux qui méritent de l’être.
10. Possem ego istos hic inserere ac nomina 10. Je pourrais, moi, introduire ici ces hommes et
poetarum tui temporis posteritati indicare, nisi mentionner pour la postérité les noms des poètes de
pene innumerabiles essent ac bona eorum pars ton époque, s’ils n’étaient pas presque innombrables
in libello ipso carminum annotaretur. Quare te et si une bonne partie parmi eux n’était pas
iterum atque iterum felicem iure appellaverim, mentionnée dans cet opuscule-même de poèmes.
cum tu in tanta ubertate ingeniorum, quantam Voilà pourquoi je t’appellerais encore et encore à
nostra tulit aetas, non solum annumerari, sed ab juste titre bienheureux, puisque, dans une aussi
omnibus unus celebrari merueris. Eant igitur grande abondance de talents que notre époque a
isti, qui laquearia aurea suspini suspiciunt in produite, tu mérites non seulement d’y être compté,
cameris suasque opes sibi habent aut avare mais d’être célébré par tous comme un des leurs.
occlusas aut inutiliter profusas aut indignis Que s’en aillent donc les orgueilleux qui admirent
erogatas, nec quicquam in poetas et doctos viros au-dessus d’eux dans leurs chambres les plafonds à
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largiuntur.
caissons en or, qui ne possèdent leurs richesses que
pour eux, soit enfermées avec avarice, soit étalées
sans but, soit dépensées pour ceux qui n’en sont pas
dignes, et qui ne font aucune largesse, ni aux poètes
ni aux hommes savants.
11. Tu enim non usque adeo dives, sed tamen 11. Mais toi, non pas riche à ce point, cependant
satis animo dives, ac divitiarum prudens assez riche d’esprit, et distributeur prévoyant de tes
partitor,
nobili
hac
liberalitate,
quam in richesses, avec cette noble générosité que tu as
perpetuum sacrificium et in solenne hoc epulum versée pour un sacrifice éternel et ce banquet
contulisti, tum alia indesinente et perpeti, quam annuel, tantôt avec une autre forme de générosité,
in omnes assidue bonos per occasionem exerces, ininterrompue et éternelle, dont tu fais preuve
factus es sempiternus, siquidem in divos, qui assidûment envers tous les braves hommes à
supra homines, in homines, qui inter homines l’occasion, tu t’es acquis une renommée éternelle,
doctrina excellerent, ostendisti simul pietatem puisque tu as fait preuve de piété et de générosité en
ac liberalitatem. Verum illi cum suis plurimis même temps envers les saints qui sont au-dessus
opibus,
quibus
uti
nesciverunt,
interibunt des hommes, et, parmi les hommes, envers ceux qui
nomenque una atque opes in terra condent, tu excellent par leur culture. En vérité, ceux qui n’ont
paucissimis tuis divitiis perbene usus, bene ac pas su se servir de leurs richesses très nombreuses,
sempiterne
uteris.
Etenim
in
coelo
tibi mourront et enseveliront en même temps leur nom
aeternitatem Divi, in terris optimi homines et
optimis monumentis perennitatem rependent.
leurs
richesses,
mais
toi,
ayant
utilisé
parfaitement tes infimes richesses, tu en profiteras
bien pour toujours. Et en effet, au Ciel, les Saints
t’accorderont l’éternité, sur terre, les meilleurs
hommes t’accorderont une renommée éternelle par
les meilleures créations de ton esprit.
12. Quo magis miratus aliquando sum te tam 12. Je me suis d’autant plus étonné parfois que tu
inglorium atque immortalitatis contemptorem aies été simple et méprisant l’immortalité à tel point
fuisse ut tuae gloriae invideres, carminaque tot que tu regardais d’un mauvais œil ta gloire, que tu
totque ingenia supprimeres et, cum gloriam tam retenais des poèmes et des talents si nombreux et
meruisses, meritam tam contemneres, aut certe que, alors que tu avais tellement mérité la gloire,
negligeres. Ecce iam decennium circumactum méritée, tu la méprisais tellement, ou, du moins, la
est ex quo ista conflata emissa divisque donata négligeais. Voilà dix ans déjà que ce recueil de
sunt nec dum in lucem a te proferentur. Invidisti poèmes a été rassemblé et offert aux Saints sans que
tibi, immo etiam Divis, immo et nobis omnibus, tu l’aies fait publier. C’est toi-même que tu as
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112
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qui non sumus tam philosophi quam tu, qui regardé d’un œil malveillant, voire les Saints, voire
gloriam amamus, qui famam non contemnimus.
nous tous qui sommes moins philosophes que toi,
qui aimons la gloire, qui ne méprisons pas la
renommée.
13. Ergo (dicam enim iam libere) tecum furem 13. Donc (je parlerai désormais sans ambages) il
esse oportuit atque istum libellum, quem tu fallut être un voleur et te dérober cet opuscule, que
sepultum atque occultum volueras, subfurari tibi tu avais voulu enseveli et caché, et le faire
atque in lucem edere opus fuit ut nobis omnibus imprimer, afin qu’il apporte quelque lumière à nous
aliquam afferret lucem. Scio non esse nos tous. Je sais que nous ne sommes pas des Virgiles,
Vergilios neque tam nos assecutos his plurimis et que nous n’avons pas réussi à faire, par ces vers si
versibus quam illum illis paucissimis. Sed nec nombreux, ce qui lui a réussi à faire par ses vers si
ullos alios praeter Vergilium fuisse Vergilios, et peu nombreux. Mais je suis convaincu qu’il n’y a
te illi Corycio anteponendum (ut dixi) non pas d’autres Virgiles à part Virgile, tout comme je
dubito, neque quia nos tibi Vergilios esse non suis convaincu (je l’ai déjà dit !) qu’il faut te
possumus, ideo tu nobis non eris Corycius. préférer à son Corycius à lui. Ce n’est pas parce que
Vives, vives, inquam, nobiscum et hoc uno nous ne pouvons pas être des Virgiles pour toi que
remedio mortem vincemus ut mortui vita per toi tu ne nous sera pas un Corycius ! Tu vivras, tu
famam et gloriam vivamus.
vivras, dis-je, en notre compagnie, et c’est grâce à
ce seul remède que nous vaincrons la mort pour que,
morts, nous vivions de la vie que donnent la
renommée et la gloire.
14. Quod si altera quoque aeternitatis via, quae 14. En effet, si l’autre accès à l’éternité, qui est
armis et victoriis quaeritur, in precio est, recherché par les armes et les victoires, a également
quinimmo preciosior quibusdam habetur, ego un prix élevé – et certains le considèrent même plus
istam mihi amabo, quae non hominem ferro précieux –, moi j’aimerai pour moi celle qui ne tue
necat, sed stylo servat, quae prodest scribendo, pas l’homme par le fer, mais qui le sauve par le
non
obest
rapiendo,
quae
innocentia, style, qui est utile par l’écrit, mais qui n’est pas
humanitate, pietate, non audacia, ira, vi, nuisible en pillant ; qui lutte avec innocence,
temeritate
contendit,
ita
ut
longe
mihi humanité et piété, et non pas avec audace, colère,
praeoptem (si id assequi possim) poetam me violence
esse quam militem.
et
irréflexion,
de
telle
sorte
que,
personnellement (si je pouvais y parvenir), je
préférerais de loin être poète plutôt que d’être
soldat.
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113
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15. Verum ad me redeo, quem furem fuisse 15. Mais je reviens à ma personne, qui confesse
fateor, ne tu esses invidus neu forte id nobis, avoir été le voleur, de peur que tu ne sois jaloux ou
quod olim illi, eveniret, cui divina opici que par hasard il nous arrive ce qui, jadis, était
roserunt carmina mures. Librum itaque istum, arrivé à celui à qui des rats ignorants rongèrent des
quem tu capsula occlusum tenebas, in tua poèmes divins275. Aussi ai-je récemment dérobé,
cellula ad laevam manum, sopito nuper tibi alors que tu dormais, ce livre que tu gardais enfermé
subripui et quasi a Sileno dormiente Vergiliani dans une petite boîte, dans ta chambre, à gauche, et
pueri, sic ego a Corycio sene aeterna carmina presque comme les enfants de Virgile au Silène
clam extorsi invulgandaque typis dedi. Dabis tu endormi, j’ai arraché en cachette des poèmes
veniam ac mecum redibis in gratiam, ut soles, éternels au vieux Corycius et donné à l’imprimeur
neque me sic furem oderis ut non recogites te des choses qui méritaient d’être connues par le
potius odio habendum fuisse ut invidum. grand public. Toi tu m’en excuseras et tu te
Denique alligas me ut vis ad tuam Tarpeiam réconcilieras avec moi, comme tu en as l’habitude,
rupem ;
me
nunquam
poenitebit
fuisse et tu ne me haïras pas en tant que voleur à tel point
Prometheum, qui ut ille de coelo ignem, sic tibi que tu ne penses pas en revanche qu’il aurait plutôt
ardentia et victura carmina ad perennitatem fallu qu’on te haït comme un jaloux. Enfin, que tu
nostram saeculique voluptatem subripuerim. m’attaches comme bon te semble à ta roche
Vale.
Tarpéienne ; jamais je ne me repentirai d’avoir été
Prométhée qui, comme celui-là le feu au ciel, moi
t’arrachai des chants ardents et destinés à vivre pour
notre éternité et le plaisir du siècle.
Porte-toi bien.
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114
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II. 2. a. 2. Commentaire276
Avant de commenter le contenu de la lettre-dédicace, il nous semble utile de rappeler que
Blosio Palladio ne fut point le premier à avoir entamé un projet d’édition du recueil des
Coryciana. Giano Maria Cataneo, qui a par ailleurs rédigé des poèmes pour le recueil277, était
davantage impliqué dans le projet d’édition que Palladio ne le fait penser ici, lui qui ne
mentionne son « prédécesseur » d’aucune parole. Mais le projet est annoncé dans une lettre
que Giano Maria Cataneo adresse à son frère Jacopo Cataneo278, et que les deux manuscrits
principaux proposent comme lettre-dédicace au lieu de celle de Palladio.
L’epistula nuncupatoria ou la lettre-dédicace de Blosio Palladio n’est donc attestée que par
l’édition des Coryciana de 1524. Comme un seul texte nous renseigne sur les dires de Blosio
Palladio, on ne peut pas nuancer les informations que celui-ci a voulu donner au lecteur, à
commencer avec sa propre contribution à l’élaboration du recueil. N’empêche que la lettre
constitue une mine de renseignements sur le dédicataire, et ce, de plusieurs points de vue :
l’ami et le proche, le magistrat et le mécène sont présentés au lecteur à travers les propos de
Palladio.
En ce qui concerne l’agencement des différentes idées, on constate que l’auteur est très
soucieux de logique : en effet, toutes les idées sont enchaînées selon des rapports logiques :
ainsi on trouve autem, nam, quidem, ergo, igitur, quod, nam, denique, enim, quo magis, quod,
verum, comme si le dédicataire voulait postuler un raisonnement infaillible et compréhensible
276
Nous avons en général opté de reprendre au nominatif des mots ou expressions isolés du texte latin, sinon de
les garder au cas requis par le poème, surtout quand il s’agit de passages plus longs.
277
Les poèmes en question évoquent surtout l’excellence du groupe statuaire de Sant’Agostino, imitant la
perfection de la nature, et la reconnaissance que tous les hommes doivent à Corycius en échange de sa piété sans
bornes : cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 15, p. 52 :
« Tres Charites, Charis una, uno tria numina saxo,
Unum numen, amor trinus, et unus amor :
Ambiguum an sculpti ; certum est audire ; precatus
Si casti fueris pectore, vota feres »,
139, p. 119 : « Quam bene cum terras rursum peragraret Iësus,
Hoc Augustini maluit esse tholo !
Nam qui se melius nosset cum non foret alter,
Hospitio potuit non meliore frui »,
170, p. 134 : « Debebant quod Dis homines, id nunc tibi debent
Iam, Coryti, cuncti, quicquid in orbe hominum est.
Illi homines fecere ; vices nunc reddidit ipsis
Corycius, Divos dum facit atque colit. »
278
Coryciana, éd. IJsewijn, pp. 49-50 et supra I. 2. b. Les « péripéties » des Coryciana.
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115
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pour tous279. Sous ce même angle, on peut signaler tout de suite que la lettre est truffée
d’énumérations, de renchérissements et de précisions : Palladio semble vraiment inquiet de
bien faire comprendre son propos à tout un chacun, serait-ce même en fatiguant l’un ou
l’autre par des répétitions voulues.
1. Dès le début de la lettre, l’ami-poète fait appel à un homonyme du Luxembourgeois Janus
Corycius, au petit vieux de Cilicie, dont Virgile décrit l’occupation quotidienne dans les
Géorgiques IV, 125-148280. L’affirmation « comme tu le sais » (ut scis) permet, dès les
premiers mots de la lettre, d’instaurer une certaine complicité non seulement entre Palladio et
Corycius, mais également entre celui-là et le lecteur qui, lui aussi, est censé repérer les
allusions au poète classique. Les noms propres mentionnés : le Galèse, les tours de Tarente et
l’origine cilicienne du vieillard (Galaesum flumen, sub altis Tarenti turribus, Cilix), font écho
à des endroits et des noms familiers à Corycius comme au lecteur281. De même, la mention
279
Ce sont ces liens logiques qui ont permis à l’éditeur de distinguer quinze « phases » ou « parties » du texte.
Virgile, Géorgiques IV, 125-148 :
« Namque sub Oebaliae memini me turribus arcis,
Qua niger umectat flaventia culta Galaesus,
Corycium vidisse senem, cui pauca relicti
Iugera rugis erant, nec fertilis illa iuvencis
Nec pecori opportuna seges nec commoda Baccho.
Hic rarum tamen in dumis olus albaque circum
Lilia verbenasque premens vescumque papaver
Regum aequabat opes animis seraque revertens
Nocte domum dapibus mensas onerabat inemptis.
Primus vere rosam atque autumno carpere poma,
Et, cum tristis hiems etiamnum frigore saxa
Rumperet et glacie cursus frenaret aquarum,
Ille comam mollis iam tondebat hyacinthi
Aestatem increpitans seram Zephyrosque morantis.
Ergo apibus fetis idem atque exanime multo
Primus abundare et spumantia cogere pressis
Mella favis ; illi tiliae atque uberrima pinus ;
Quotque in flore novo pomis se fertilis arbos
Induerat, totidem autumno matura tenebat.
Ille etiam sera in versum distulit ulmos
Eduramque pirum et spinos iam pruna ferentis
Iamque ministrantem platanum potantibus umbras.
Verum haec ipse equidem spatiis exclusus iniquis
Praetereo atque aliis post me memoranda relinquo. »
On peut également penser qu’un texte aussi évocateur du texte virgilien que la Silve intitulée « Rusticus »
d’Angelo Poliziano a été connu par les poètes des Coryciana. Cf. notamment les vers 1 à 45.
281
Cf., outre le texte virgilien, le commentaire de Servius, ad Verg. Georg. IV, 125-148 XXX, 125. NAMQUE SUB
OEBALIAE MEMINI M. T. A. Q. N. V. F. C. G. Oebalia ipsa est Laconica : unde de Castore et Polluce ait Statius
Oebalidae fratres. Galaesus vero fluvius est Calabriae, qui iuxta civitatem labitur Tarentinam, in qua se hortos
optimos vidisse commemorat. Oebaliae autem turres ait, quas condiderant hi qui de Oebalia venerant : nam, ut
etiam in tertio Aeneidis <551> diximus, Lacones, diu bello attriti ab Atheniensibus et inopiam timentes virorum,
praeceperunt ut virgines eorum cum quibuscumque concumberent : quo facto cum post victoriam iuvenes de
incertis parentibus nati erubescerent originem suam – nam et Partheniatae appellabatur –, duce Phalanto, octavo
ab Hercule, navigiis profecti, venerunt ad oppidum Calabriae, quod Tara Neptuni filius condiderat, et id auctum
280
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116
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des vers nombreux (multi versus) que Virgile accorda au petit vieux de Cilicie, introduit à la
fois l’idée de l’œuvre poétique en tant que telle et celle d’une volonté certaine de rapprocher
le recueil dédicacé de l’œuvre virgilienne.
Aussi, grâce aux évocations se rapportant au Corycius virgilien, Palladio annonce-t-il déjà les
attributs de son homme, bien qu’il y ait une nuance significative. En effet, la culture des
jardins – le soin des arbres et des plantes –, chantée par Virgile, a valu à celui-là une
réputation durable. Non seulement la vivacité de la nature est vaincue (ViVacitate Vincit),
mais la destinée humaine, elle aussi, est prolongée par la gloire du poète, ce que le sens même
des mots et les sonorités renforcent (Parique Perennitate huius memoria cum Poetae gloria
Protenditur). Le petit vieux de Cilicie est donc un personnage qui vit à travers l’imagination
du poète et le souvenir que l’on a de celui-ci (Tantum illi felicitatis attulit P. Vergilium in eius
hortos incidisse). Il deviendra même souvent représentatif de l’homme qui se contente de ce
que la nature lui offre. Or, si Virgile « a rendu l’homme attaché à la culture des jardins » (facit
eum […] hortorum cultui haerentem), créant, pour ainsi dire, son personnage avec ce trait de
caractère, en revanche, Corycius est lui-même « non détourné de la culture des jardins » (ab
hortorum cultu non abhorrens) : la litote évoque une passion d’autant plus profonde qu’elle
est intrinsèque à l’homme ! Si l’un a la chance de voir sa vie prolongée par le chant virgilien,
en hommage à son application d’horticulteur (hac una hortensi industria meruit vetulus Cilix
divinis carminibus interseri, et vita longaevus longaevior282 fieri carmine), l’autre est, déjà de
son vivant, chanté et honoré par une foule de poètes pour différentes raisons – le goût des
jardins n’en étant qu’une parmi d’autres. La nature du souvenir varie donc de l’un à l’autre,
mais Palladio envisage clairement la même gloire éternelle pour son homme, d’autant plus
que les proposition et expression vita longaevior illi pro aeterno monumento a poeta omnium
maximo statuta et pari perennitate font inévitablement penser le lecteur à l’affirmation
horatienne « j’ai conçu un monument plus durable que l’airain » (exegi monumentum aere
habitaverunt. Et aliter : Oebaliam arcem Tarentinam dicit a Lacedaemonio Oebalo, longe petito epitheto, quia
Lacedaemonii duce Phalanto Tarentum condiderunt.
127. CORYCIUM VIDISSE SENEM Cilica : Corycos enim civitas est Ciliciae, in qua antrum illud famosum est, paene
ab omnibus celebratum. Et per transitum tangit historiam memoratam a Suetonio. Pompeius enim victis piratis
Cilicibus partim ibidem in Graecia, partim in Calabria agros dedit : unde Lucanus <I346> an melius fient piratae,
magne, coloni ? Male autem quidam ‘Corycium’ proprium esse adserunt nomen, cum sit appellativum eius, qui
more Corycio hortos excoluit : quod etiam Plinii testimonio comprobatur. VIDISSE SENEM ordo est ‘memini
vidisse’. Dicimus autem et ‘memini videre’ : Terentius memini videre, quo aequior sum Pamphilo, si se illam in
somniis. RELICTI deserti atque contempti ; quis enim agrum non sperneret nulli rei aptum, non vitibus aut
frumentis vel pascuis ? Et aliter : ‘Corycium’ autem Cilica, a monte et civitate Ciliciae Coryco. Alii Corycium
non natione, sed peritia, quod haec gens studiose hortos colat. Et sic dictum est, ut Arcades ambo… .
282
L’insistance sur « longus » et « aevus » suggère évidemment le prolongement sémantique à travers le
prolongement des sonorités.
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117
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perennius)283. Vie et œuvre poétique se confondent grâce au talent du poète, de sorte que
l’une prolonge l’autre et vice-versa.
2. Si donc Palladio invoque déjà une réputation semblable pour son contemporain, il rappelle
tout de même que cette réputation ne tient ni à lui-même en tant qu’auteur de la dédicace ni à
ses propos. En demandant « Quant à toi, que dirai-je de toi ? » (Quid autem te, Iane Coryci,
dicam… ?), en continuant avec Annis AEqAEvus, puis la litote (quasi anaphorique avec la
répétition de ab hor-) ab hortorum cultu non abhorrens, Palladio suggère, sans que personne
n’agisse selon ce dessein, que son homme est inévitablement voué à être connu. Sa notoriété
étant garantie, à quoi bon en parler ? Or, la technique de la prétérition lui permet de détailler
le rapprochement entre les homonymes, en suggérant au lecteur qu’une certaine force
d’attraction semble intrinsèque aux « Corycius » et est dès lors incontournable (An factum
aliquod est Corycios semper poetis populares, Corycium crocum atque adeo aromata omnia
aeternitatem olentes ?) La proximité aux poètes, d’un côté à Virgile, de l’autre côté aux
poètes des Coryciana, de même que la relation intense et agréable avec la nature – ici
exprimée métonymiquement à travers les arômes et les fleurs284 –, font des deux personnages
des êtres particuliers et favorisés.
283
Horace, Odes, III, 30.
C’est chez Solinus, De mirabilibus mundi, 39, que l’on trouve une explication exhaustive au sujet de la
Cilicie et des caractéristiques qu’on lui attribuait : « Ciliciam, qua de agitur, si ut nunc est loquamur, derogasse
videbimur fidei vetustatis : si terminos sequimur quos habuit olim, absonum est a contemplatione rerum
praesentium. Ergo inter utramque culpam factu optimum est amborum temporum statum persequi. / Cilicia antea
usque ad Pelusium Aegypti pertinebat Lydis Medis Armeniis Pamphylia Cappadocia sub imperio Cilicum
constitutis : mox ab Assyriis subacta in breviorem modum scripta est. Plurima iacet campo, sinu lato recipiens
mare Issicum, a tergo montium Tauri et Amani iugis clausa. A Cilice nomen trahit, quem aetas pristina paene
ultra aevum memoriae abscondit. Hunc Phoenice ortum, qui antiquior Iove de primis terrae alumnis habetur.
Matrem urbium habet Tarson, quam Danaae proles nobilissima Perseus locavit. Hanc urbem intersecat Cydnus
amnis. Hunc Cydnum alii praecipitari Tauro, alii derivari ex alveo Choaspi tradiderunt. Qui Choaspes ita dulcis
est, ut Persici reges, quamdiu inter ripas Persidis fluat soli, sibi ex eo pocula vindicaverint et cum eundum foret
peregre, aquas eius secum vectitarent. Ex illo parente Cydnus miram trahit suavitatem. Quicquid candidum est
cydnum gentili lingua Syri dicunt : unde amni huic nomen datum est. Tumet vere cum nives soluuntur, reliquis
anni temporibus tenuis est et quietus. [6] Circa Corycum Ciliciae crocum plurimum optimumque : det licet
Sicilia, det Cyrena, det et Lycia, hoc primum est : spirat fragrantius, colore plus aureo est, suci ope citius proficit
ad medellam. / Ibi Corycos oppidum est et specus, qui montem inpositum mari a summo cavat vertice, patulus
hiatu amplissimo : nam deiectis lateribus in terrae profundum nemoroso orbe amplectitur mediam inanitatem,
virens introrsus lucis pendentibus. Descensus in eum per duo milia et quingentos passus non sine largo die, hinc
inde fontium adsidua scaturrigine. Ubi perventum ad ima primi sinus, alter rursus specus panditur. Quod antrum
latis primum patet faucibus, postmodum in processu per angustias obscuratur. In eo sacrum est Iovis fanum, in
cuius recessu intimo Typhonis gigantis cubile positum qui volunt credunt. / Heliopolis antiquum oppidum
Ciliciae fuit, patria Chrysippi stoicae sapientiae potentissimi : quod a Tigrane Armenio subactum et diu Solum,
Pompeiopolim devictis Cilicibus Cn. Magnus cognominavit. / Mons Taurus ab Indico primum mari surgit,
deinde a scopulis Chelidoniis, inter Aegyptium et Pamphylium pelagus, obiectus septemtrioni dextero latere,
laevo meridianae plagae, occidenti obversus fronte profusa. Palam est terras eum continuare voluisse penetrato
mari, nisi profundis resistentibus extendere radices suas vetaretur. Denique qui periclitantur naturas locorum,
temptasse eum omnes exitus promunturiis probant : etenim quoquovorsum mari adluitur, procedit in
prominentias : sed modo intercluditur Phoenicio, modo Pontico sinu, interdum Caspio vel Hyrcano : quibus
284
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118
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Or, le Corycius contemporain à Palladio est présenté comme encore plus favorisé : cadeau des
Muses, rapproché du Parnasse et du bois corycien, il se voit attribuer comme patrie des
endroits notoires et inspirés, hautement évocateurs pour les hommes de lettres de l’époque285.
En mentionnant ces lieux consacrés aux Muses et à ceux qu’elles inspirent, Palladio se veut
d’être à la hauteur des poètes (si poetice magis eloqui licet) et d’accorder à Corycius ce qui lui
revient. Le caractère « de Muse » de celui-ci ne lui est pas seulement propre et personnel,
renitentibus subinde fractus contra Maeotium lacum flectitur multisque difficultatibus fatigatus Ripaeis se iugis
adnectit. Pro gentium ac linguarum varietate plurifariam nominatus, apud Indos Imaus, mox Propanisus,
Choatras apud Parthos, post Niphates, inde Taurus atque ubi in excelsissimam consurgit sublimitatem, Caucasus.
Interea etiam a populis appellationem trahit : a dextero latere Caspius dicitur vel Hyrcanus, a laevo Amazonicus,
Moschicus, Scythicus : ad haec vocabula habet alia multa. ubi dehiscit hiulcis iugis, facit portas, quarum primae
sunt Armeniae, tum Caspiae, post Ciliciae. In Graeciam verticem exerit, ubi Ceraunius praedicatur. A Ciliciae
finibus Asiaticum limitem dispescit. Quantus meridiem videt, sole inaestuat : quicquid septemtrioni oppositum
est, vento tunditur et pruina : quo silvestris est, efferatur multis bestiis et leonibus inmanissimus.
Pline, Histoire !aturelle, XXI, 31-34, parle des différentes variantes des plantes, de leurs caractéristiques et de
leur culture : « Crocum silvestre optimum. Serere in Italia minime expedit, ad scripula usque singula areis
decoquentibus. Seritur radicis bulbo. Satiuum latius maiusque et nitidius, sed multo lenius, degenerans ubique
nec fecundum etiam Cyrenis, ubi flores laudatissimi. Prima nobilitas Cilicio et ibi in Coryco monte, dein Lycio e
monte Olympio, mox Centuripino Siciliae. Aliqui Theraeo secundum locum dedere. Adulteratur nihil aeque.
Probatio sinceri, si inposita manu crepitet ueluti fragile ; umidum enim, quod euenit adulteratione, sentit. Altera
probatio, si manu relata ad ora leniter faciem oculosque mordeat. Est per se genus satiui blandissimum uolgo,
cum sit mediocre, dialeucon uocant. Contra Cyrenaico uitium, quod omni corco nigrius est et celerrime
marcescit. Optimum ubicumque quod pinguissimum et brevis capilli, pessimum uero quod situm redolet.
Mucianus auctor est, in Lucia anno septimo aut octauo transferri in locum subactum atque ita degenerans
renouari. Usus eius in coronis nusquam ; herba enim est folio angusto paene in capillamenti modum. Sed uino
mire congruit, praecipue dulci, tritum ad theatra replenda. Floret uergiliarum occasu paucis diebus folioque
florem expellit. Viret bruma et colligitur ; siccatur umbra, melius etiam hiberna. Carnosa et illi radix uiuaciorque
quam ceteris. Gaudet calcari et atteri pereundoque melius prouenit ; ideo iuxta semitas ac fontes laetissimum.
Troianis temporibus iam erat honos ei ; hos certe flores Homerus tris laudat loton, crocum, hyacinthum ».
Et l’Appendix Vergiliana, Elégies pour Mécène, I, 133 mentionne le saphran en rapport avec différents arômes :
« Hic tibi Corycium, casias hic donat olentes,
hic et palmiferis balsama missa iugis ».
285
Stace, Thébaïde, VII, 343-350 :
« Quis tibi Phoebeas acies veterem que revolvat
Phocida ? qui Panopen, qui Daulida, qui Cyparisson,
Et valles, Lebadia, tuas et Hyampolin acri
Subnixam scopulo, vel qui Parnasson utrumque
Aut Cirrham tauris Anemorian que supinant
Corycium que nemus, propellentem que Lilaean
Cephisi glaciale caput, quo suetus anhelam
Ferre sitim Python amnem que avertere ponto »,
Varro Atacinus, fr. 5, vv. 1-2 :
« Te nunc Coryciae tendentem spicula nymphae
Hortantes, ‘o Phoebe’ et ‘ieie’ conclamarunt »,
et Ovide, Métamorphoses, I, 313-321 :
« Separat Aonios Oetaeis Phocis ab arvis,
Terra ferax, dum terra fuit, sed tempore in illo
Pars maris et latus subitarum campus aquarum ;
Mons ibi verticibus petit arduus astra duobus,
Nomine Parnasus, superantque cacumina nubes :
Hic ubi Deucalion (nam cetera texerat aequor)
Cum consorte tori parva rate vectus adhaesit,
Corycidas nymphas et numina montis adorant
Fatidicamque Themin, quae tunc oracla tenebat ».
__________________________________________________________________________________________
119
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mais il a également une forte influence sur la jeunesse romaine : tout comme Palladio
transmet la poésie virgilienne en faisant appel à un de ses personnages, Corycius transmet le
souffle poétique aux jeunes talents en les inspirant de son « génie » naturel. Si les Muses lui
en ont fait cadeau, lui-même en fait cadeau à la jeunesse romaine. Une première fois, on
constate un regroupement de termes en rapport avec la révélation (educatus, excitaveris), la
lumière (succenderis) et l’éclat (mirus ardor), vocabulaire qui apparaîtra davantage dans la
suite de la lettre pour aboutir avec la comparaison entre Palladio et le Prométhée poétique.
3. Suite à la comparaison entre Corycius et le vieillard virgilien, Palladio donne une
justification (nam) de celle-ci ainsi que de l’éloge que l’on accorde déjà de son vivant à Janus
Corycius. Comme nous l’avons annoncé plus haut, on trouve ici une suite quasi interminable
d’objets dédiés par Corycius et de qualités qui lui sont propres. Le fait qu’une seule phrase,
scandée par de nombreux adjectifs qualificatifs expressifs (Lunensis, longe inclyta et priscae
aemula, eximii, quotidianus, perpetuus) ainsi que des verbes exprimant l’ajout (ad haec […]
addidisses, […] adhibuisses), des adverbes (tum, praeterea) et des conjonctions de
coordination (-que, et), énumère et objets sacrés et qualités, insiste sur l’impression de bonté
multiple dont Corycius a fait preuve jusqu’alors et dont il fait et fera toujours preuve. Si la
dédicace de l’autel date déjà d’une dizaine d’années, la générosité ne cesse de durer à travers
les différents dons, « l’autel dans la niche » (ara cum sacello), « les trois statues » (treis
statuae), « le tableau » (pictura) et le culte voué aux divinités, mentionné par des expressions
comme « sacrifice continuel » (sacrificium perpetuum), « calices, chasubles et argent »
(vasae, vestes, pecunia286).
De ces multiples dons, Palladio déduit la raison pour laquelle Corycius est chanté par de si
nombreux poètes, d’autant plus que la générosité dont il fait preuve sied ses qualités, sa piété
(tua pietas), l’excellence de l’ouvrage (operis excellentia), sa grandeur d’âme (animi
magnitudo), l’éclat des statues (statuarum nitor) et l’excellence remarquable des artistes
(artificum praestantia). Il s’agit bel et bien d’un vocabulaire de l’excellence, tant au plan
humain et relationnel qu’au plan artistique ! Par le fait de mentionner œuvres et personnes les
unes à côtés des autres, Palladio en arrive presque à une assimilation, voire une identification
entre les artistes et leurs œuvres. L’un ne peut être caractérisé sans l’autre : évoquer
Sansovino signifie évoquer les statues, mentionner Corycius implique une mention de tous les
286
On trouve une mention semblable de dons faits par Corycius chez Girolamo Vida, Coryciana, éd. IJsewijn,
397, v. 43, p. 329 : « vasa, vestis, aeterni ignes », objets qui laissent entrapercevoir le caractère solennel des
messes célébrées en l’honneur de Sainte Anne.
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120
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ouvrages à l’origine desquels il se trouve, et parler des poètes des Coryciana ne va pas sans
parler de leurs chants et du sujet de leurs chants – et l’on pourrait recommencer au début.
4. Ensuite, même après une énumération aussi exhaustive – c’est du moins ce que l’on
pourrait croire –, la justification de l’éloge continue (quidem). Toutefois, Palladio y introduit
une fausse restriction, puisqu’il se plaint de ce que le caractère divin, convenable à l’affaire
divine, ne saurait être chanté à sa juste mesure : tout est digne d’éloge : suit alors encore une
énumération des talents et qualités des poètes qui, eux, parviennent à chanter le sujet divin !
Palladio mentionne « la fécondité des talents » (ubertas ingeniorum), « l’abondance des
points de vue » (copia sententiarum), « la grande variation stylistique des poèmes »
(carminum genera et varietates), différents et variés par le sujet, le style ou le mètre,
(inventio, stylus, metrum [ : diversi]), alors que la splendeur de leur charme et de leur
harmonie sont presque identiques (decor, concentus enitens [ : unus]). Et, afin d’être précis, il
énumère les différents mètres dont les poètes se servent : vers élégiaques (numeri elegi), vers
épiques (numeri heroici), vers lyriques (numeri lyrici) et vers phaléciens (numeri
phalaecii)287, tout en rappelant que leur diversité n’enlève rien à leur beauté, égale pour tous
(aeque pulcre omnes)288.
Et l’éloge ne se termine toujours pas, car la beauté des poèmes et la beauté du fait d’écrire des
poèmes (dignitas rei et materiae) sont justifiées par la dignité de leur sujet (in Dei ac divorum
laudes), comme si celle-ci causait celles-là ! Or, Palladio, soucieux de comparaison, n’omet
pas de mettre la beauté des poèmes et la dignité de leur sujet en rapport avec certains poèmes
des Anciens. Le résultat en est clair : des poèmes d’éloge pour Dieu et les Saints ne sauraient
être que supérieurs aux « railleries licencieuses » (licentiosa Lampsaceni iocularia), vouées
au moins sérieux des dieux romains, Priape. Selon l’auteur, outre le talent des poètes, si la
source de l’inventio est louable, la dispositio et l’elocutio le sont également. Selon la formule
« la fin justifie les moyens », l’occasion à laquelle les poèmes sont rédigés et offerts justifie et
ennoblit leur exécution.
287
Vers hendécasyllabes : - - ǀ - u u - ǀǀ u ǀ - u ǀ - u.
Ainsi, par exemple, le poème 388 de Silvanus Germanicus est écrit en hexamètres dactyliques (- uu ǀ - uu ǀ uu ǀ - uu ǀ - uu ǀ - u), alors que le poème 398, du même auteur, est composé de hendécasyllabes phaléciens (- - ǀ u u - ǀǀ u ǀ - u ǀ - u), le poème 382 en vers sapphiques mineurs, constitués par strophe de trois hendécasyllabes
sapphiques (- u ǀ - u ǀ - ǀǀ u u - ǀ u ǀ - u) et d’un adonique (- u u - ǀ u). Par ailleurs, bon nombre de poèmes, sinon la
majorité, sont en hexamètres dactyliques, de nombreux autres en hendécasyllabes phaléciens (43, 50, 52, 205,
etc.), d’autres en asclépiades mineurs (- - ǀ - u u - ǀǀ - u u - ǀ u ǀ u) (56, 92, 233, 303A, etc.), d’autres en dimètres,
trimètres (u - ǀ u - ǀ u - ǀ u - ǀ u - ǀ u -) ou sénaires iambiques (325A, 272 et 307),
288
__________________________________________________________________________________________
121
__________________________________________________________________________________________
5. Afin que cet éloge ne soit pas pour autant « hors contexte », Palladio prend soin de mettre
en rapport l’ampleur de l’ouvrage avec le quotidien de Corycius. C’est ainsi (ergo) qu’il
évoque les plaidoiries quotidiennes du protonotaire, et mentionne les Pandectes, une
compilation des traités des principaux jurisconsultes, élaborés sous Justinien en 533 apr. J.-C.
Le but de cette comparaison est de montrer que, malgré la diversité des auteurs et des styles
d’un ouvrage, il existe, pour ainsi dire, un dénominateur commun qui, pour les Pandectes
aussi bien que pour les Coryciana, est défini par son sujet ainsi que son utilité. En plus de ce
caractère utile commun aux deux œuvres, les Coryciana sont carrément présentés comme une
sorte de Pandectes. Celles-ci sont un ouvrage de référence pour celui qui exerce une fonction
juridique, ceux-là un ouvrage de référence pour celui qui s’adonne à une activité poétique.
Tout comme celles-ci regroupent différents ressorts juridiques et proviennent d’hommes de
nations différentes, ceux-là témoignent d’une grande variété de talents (ingeniorum ubertas,
inventionis et carminum varietas) autour d’un thème commun. Outre le fait de constituer un
ouvrage utile, les Coryciana ont l’avantage de tirer leur origine de talents jeunes (Paene
Pueri, Romana Pubecula Praecox, frugiferum ingenium), dont l’avenir promet un
développement certain, contrairement au caractère vieilli et désuet que Palladio attribuait aux
Anciens et que l’on pourrait également imaginer pour les auteurs des Pandectes. En même
temps, la comparaison avec la compilation juridique, élaborée par des hommes de différentes
époques ou générations et de différentes origines (ingenia tum aetate, tum patria
diversissima), nous invite à considérer de plus près l’insistance sur l’origine « romaine » de la
jeunesse évoquée (Romana pubecula)289. Au début du XVIe siècle, nous l’avons vu290, un
grand nombre d’étrangers se trouvaient à la Curie ainsi que dans son proche entourage, auquel
le milieu poético-littéraire appartenait sans doute. Or, en rédigeant cette lettre-dédicace,
Palladio cherche à rehausser le sentiment d’appartenance à la culture romaine de ces jeunes
gens. Comment, sinon, expliquerait-il les innombrables noms de poètes venus de villes à
l’étranger291 ? En plus de son attachement à Corycius et aux œuvres qu’il a incitées, cette
jeunesse est présentée comme voulant appartenir à la Rome contemporaine et qui, par le fait
de travailler activement et utilement à la prospérité de la ville en participant à l’élaboration
des Coryciana, parvient à être considérée comme y appartenant effectivement.
289
Cf. une mention pareille de cette jeunesse romaine aux vers 13-14 du poème 276 de Baldassare Castiglione
(Coryciana, éd. IJsewijn, p. 192) :
« Vos igitur […], o pueri innuptaeque puellae
Romanaeque nurus, … ».
290
Cf. supra : I. 1. b. La fonction juridique du clerc.
291
Pour donner une idée de cette panoplie d’origines, voici quelques noms de poètes : Egidio Gallo, Pietro de
Luna d’Aragon, Raymundus de Cardona, Caspar Ursinus Velius Silesius, Caius Silvanus Germanicus Silesius,
Jacobus Piso Transylvanus.
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122
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6. Pour toutes ces raisons donc (igitur), Janus Corycius se doit d’être heureux (felix) et ce,
davantage que le personnage virgilien, car ce n’est pas seulement grâce à ses jardins qu’il peut
l’être (non ut Tarentinus incola de suis hortis), mais pour toutes les raisons évoquées par
Palladio, et résumées derechef ici : les statues, la piété, le culte des Saints, le sacrifice
régulier, tant de chants de poètes si nombreux, la gloire durable, voire éternelle (sed de tuis
statuis, tua pietate, divino cultu, perpetuo sacrificio, tot poetis, tot carminibus, tua perenni
gloria, mansura aeternitate)292. Si l’on retrouve donc ici une référence à Virgile, la
comparaison « en négatif » du bonheur de Corycius à celui du personnage virgilien trace en
revanche un portrait plus exhaustif de celui-là et suggère que Corycius procure un bonheur
supérieur à ses contemporains – et vice-versa –, que ce ne fut le cas entre Virgile et le petit
vieux de Cilicie. Or, Palladio ne se limite pas pour autant à ce bonheur mutuel entre Corycius
et ses contemporains, dont il fait déjà partie : il dit expressément qu’il veut lui-même être une
(autre) source de bonheur pour Corycius : en effet, malgré la gloire éternelle qui est déjà
acquise au mécène, Palladio veut que celui-ci considère le recueil comme une source de
bonheur durable, non seulement pendant le temps de sa vie, mais même après sa mort. Et on
trouve alors encore un indice de ce Palladio qui se veut le « révélateur » du recueil et des
qualités exceptionnelles de Corycius, voire l’émissaire entre son éternité poétique et littéraire
et son éternité spirituelle, ce qui culminera – nous l’avons déjà suggéré, et nous y reviendrons
à la fin du commentaire – , dans son auto-comparaison à Prométhée.
7. C’est pourquoi, suite à la perspective de ce bonheur éternel qui semble certain pour
Corycius, Palladio suggère que voilà de plus nombreuses raisons pour Virgile de chanter
celui-ci plutôt que le petit vieux de Cilicie. Si cela rappelle la comparaison « en négatif » du
paragraphe précédent, Palladio renchérit tout de même en formulant des hypothèses au sujet
de l’éloge de notre homme par Virgile, si seulement le temps ne s’y opposait pas et que
Virgile et Corycius avaient vécu à la même époque, au lieu que l’œuvre seule du premier ait
subsisté. On peut alors se demander si le poète exprime par là le souhait d’un retour à
l’époque virgilienne, ou s’il s’aventure, au contraire, à comparer les poètes des Coryciana,
292
Aux vers 21 à 24 du poème 276 (Coryciana, éd. IJsewijn, p. 193), Baldassare Castiglione fait également le
rapprochement entre Corycius et le « jardinier » virgilien, en se demandant quelle récompense serait digne du
premier, si le second a déjà été récompensé abondamment par la récolte de ses fruits :
« Quod si olim coluit qui hortos et rura, solebat
Primus vere rosam atque autumno carpere poma,
Quaenam digna satis dabitis vos praemia vestro
Cultori ? … ».
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123
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lui-même inclus, à Virgile, et les œuvres des uns à l’œuvre de l’autre293. Encore une fois,
Palladio n’affirme rien gratuitement : suit une longue énumération des qualités communes à
« son » Corycius et au Corycius virgilien et/ou à Virgile à travers son personnage, suivie des
qualités et attributs propres au contemporain de Palladio. On trouve ainsi en premier lieu des
parallèles entre les deux vieillards, en plus de leur passion jardinière comparable (praeter
hortense studium) : le talent romain en dépit de l’origine étrangère (in homine natione externo
Romanum ingenium), la dextérité urbaine (dexteritas urbana), les goûts littéraires (litteraria
studia), les relations avec les hommes de lettres (litteratorum commercia), l’urbanité festive
(festiva urbanitas), la capacité d’improviser (extemporaria dicendi facultas), l’amour de
l’Antiquité et des marbres anciens (Antiquitatis et marmorum vetustorum amor). Ce sont ici
des rapprochements, tantôt entre Corycius et le personnage virgilien, tantôt entre Corycius et
Virgile lui-même. Suivent alors des détails sur son portrait moral et physique : sa sévérité
intrépide en justice et dans les requêtes de supplication (rigida severitas in iustitia et
supplicibus libellis), sa vieillesse (canicies), son corps bien en forme et vigoureux (corpus
teres et vividum), la tunique fine et simple chez l’homme sobre et éloigné de toute ambition
excessive, alors qu’en d’autres occasions – sans doute officielles –, il porte des vêtements
resplendissants (tunica tenuis et expedita in frugi homine et ab omni ambitione semoto, cum
nitens alioqui vestiarium). Bref, Palladio souligne sa décence et sa retenue en société quand
ces qualités sont requises. Toutes ces caractéristiques auraient déjà été sujet poétique pour
Virgile, mais celui-ci aurait certainement aussi mentionné la fête annuelle en l’honneur de
Sainte Anne (sollenis dies, sacrum tanto cultu et honore, sacrificium, epulum), présentée par
Palladio comme quasi institutionnelle. Celui-ci, au cours de l’ensemble de ce passage
hypothétique, s’aventure à réfléchir comme Virgile, voire à réfléchir à sa place et, pour ainsi
dire, à lui faire prononcer des paroles que lui-même est capable de trouver et de prononcer, ce
qui montre – non pas pour la dernière fois –, combien grande est l’auto-estime de Palladio !
Néanmoins, si l’on apprend ainsi beaucoup sur l’auteur de la lettre-dédicace, on a pourtant
aussi un portrait, et on devrait même dire le portrait physique, psychologique et social le plus
exhaustif – quoique intéressé –, de Corycius qui nous soit préservé.
8. Pourquoi donc l’éloge de Virgile est-il sous-entendu aux yeux de Palladio ? Eh bien (nam),
celui-ci continue à vanter l’excellence poétique de son homme en comparant la procession du
293
Cette comparaison deviendra en effet explicite au passage 13 (cf. infra) !
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124
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jour festif au rassemblement des talents d’Athènes294, et même aux Muses descendant de
l’Hélicon et du Parnasse. Ceux-ci sont ainsi comparés terme à terme à la Roche Tarpéienne et
au Quirinal, où la procession aboutit, alors que les talents d’Athènes représentent les jeunes
poètes, inspirés par les Muses et celui qui les représente à Rome, Corycius. Conformément au
caractère divin introduit avec l’évocation des Muses, Palladio décrit alors les agréments
proposés par l’hôte, comprenant la variété du jardin, dompté à moitié seulement par l’homme
en vue du caractère naturel qu’il garde (arbores citriae, hortenses parietes), à côté du
raffinement artistique (putei et signa plurima et speciosa, omnia antiqui operis et gloriae
plena), et l’ambiance harmonieuse qui s’en dégage (temere et varie carmina, statuae, pietas,
liberalitas in deos et in homines). Malgré la diversité du jardin, le grand nombre et l’opulence
des vestiges antiques, parmi lesquels on imagine les mouvements et déambulations des
invités, le caractère agréable de cette fête provient tout autant de l’unanimité des poètes à
considérer leur hôte comme source de ces agréments et, pour ainsi dire, comme cible et centre
de leurs attentions.
9. Si, à présent, le lecteur ressent un certain trop-plein ou rassasiement d’informations, on
serait tenté de penser que le poète, lui aussi, s’en rend compte : le « finalement » (denique)
semble en effet mettre un terme à l’énumération des qualités de Corycius, de sa fête et du
recueil qui lui est dédié. Il n’en est rien ! Tout au contraire, Palladio réitère le postulat que
nulle assemblée ni quelque occasion festive ne pourraient être plus dignes et célèbres que
celles proposées par Corycius, pour la simple raison qu’il s’agit d’une fête « totale » où, matin
et soir (mane, post vergente vespera), les plus instruits et les plus lettrés se donnent rendezvous pour un échange pieux (sacrificia et re divina), lettré et savant (selecta doctissimorum
turba et flores litterarum). De nouveau, une grande partie de cette dignité provient de l’hôte
lui-même : présenté comme un homme qui sait dispenser aux poètes mérite et estime selon
leurs talents et ce qu’ils ont accomplis, et non selon leurs positions ou leurs caractéristiques
extérieures, Corycius « estime [les poètes] plus que des rois et plus que tous les satrapes, et
[…] ne fait pas plus de cas de ceux qui sont rois que de ceux qui méritent de l’être » ([poetas]
quidem pluris quam reges plurisque quam satrapas universos aestimat […] neque pluris eos
facit qui sunt quam qui esse reges merentur). De même, les chants et vers des poètes lui
importent plus que la pourpre cardinalice et les mitres papales (!eque enim philosopho, immo
sapienti tibi plus animum purpurae ac mitrae quam carmina et metra pervadunt). Il s’agit
294
Est-il ici permis de penser au tableau de Raphaël, L’Ecole d’Athènes, terminé en 1511, où l’on
voit philosohpes, scientifiques et hommes de lettres déambuler sous les portiques ?
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donc d’un homme qui sait évaluer les hommes selon leurs qualités, leurs dires et leurs actions,
non pas selon leur position sociale. Outre son désintérêt pour sa propre personne, Palladio
semble ici faire appel à l’impartialité de Corycius, non seulement dans son travail quotidien,
mais également dans son évaluation générale des hommes. Corycius est même identifié au
philosophe, au sage qui, généreux, est désintéressé pour son propre compte et assume le rôle
d’un mécène juste, authentique et sincère. On retrouvera l’idée de désintérêt dans les passages
suivants, où ce trait de caractère distinguera justement le mécène des poètes des Coryciana.
10. Ce passage est le premier sans lien logique explicite, à la place duquel on trouve un
procédé typique pour l’éditeur d’une œuvre – et Palladio se veut tel. Bien qu’il évoque la
possibilité de relever tous les noms des poètes redevables à Corycius afin de les préserver
pour la postérité (possem ego istos hic inserere ac nomina poetarum […] posteritatis
indicare) – les verbes inserere et indicare marquent d’ailleurs à merveille le caractère inclusif
du recueil –, il avoue que deux faits l’en empêchent : d’un côté, le nombre de poètes est
beaucoup trop grand (nisi pene innumerabiles essent) – sa dédicace prendrait donc encore
plus d’ampleur –, de l’autre côté, comme il se charge tout de même de publier le recueil, il
affirme simplement que le lecteur intéressé trouvera tous les noms dans l’ouvrage ([nisi] bona
eorum pars in libello ipso carminum anotaretur). L’appel au lecteur à se procurer le recueil
ne saurait être plus explicite. La félicitation (au premier sens du terme) qui suit évoque sans
aucun doute, d’un côté le bonheur double et durable de Corycius (quare te iterum atque
iterum felicem jure appellaverim), aussi bien poète que loué par les poètes, et, de l’autre côté,
le bonheur de Palladio lui-même d’avoir entrepris ce projet de dédicace et de publication.
C’est cette confiance en soi qui explique les dires et les gestes suivants : l’auteur repousse au
loin tous ceux (eant igitur isti) qui n’utilisent leurs richesses qu’à des fins personnelles, voire
égoïstes, et il les traite de termes négatifs très expressifs. Aux uns il reproche un gaspillage
ridicule et une ostentation vaine de leurs richesses (laquearia aurea suspini suspiciunt in
cameris), à d’autres leur avarice sans but (suas opes sibi habent […] avare occlusas) et
l’inutilité de leurs possessions (suas opes sibi habent […] inutiliter profusas) et à d’autres
encore leur crédulité humiliante (suas opes sibi habent […] indignis erogatas), alors que
Corycius, au contraire, en profite pour jouer le rôle de mécène qui met ses richesses
matérielles au profit des biens intellectuels et ce, envers son entourage et la communauté tout
entière plutôt qu’envers soi-même. Ses actions s’avèrent non seulement désintéressées, mais
même altruistes.
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11. En effet (enim), bien que les richesses matérielles de Corycius soient « mesurables » (non
usque adeo dives) – le fait que Corycius fut secrétaire papal invite néanmoins le lecteur à
penser que Palladio diminue volontiers les possessions matérielles considérables de notre
homme, incluant demeures et jardins, pour insister sur ses possessions immatérielles –, il
profite davantage pour faire preuve de « largesse d’esprit » (sed tamen satis animo dives), et
on peut à cet endroit constater que, contrairement aux possessions matérielles variables et
incertaines, la durable générosité d’esprit est soulignée par un vocabulaire axé sur la durée et
la persistance (prudens partitor, nobilis haec liberalitas […] in perpetuum sacrificium et in
solenne hoc epulum, indesinens, assidue), et lui vaut une vénération perpétuelle, non
seulement au sein des hommes, mais aussi parmi les dieux. Non seulement lors des jours de
fête, mais également « ailleurs » (in alia), probablement dans la réception quotidienne des
suppliques, Corycius témoigne de générosité, ce qui nous ramène au portrait de l’homme
certes sévère, mais juste, sans préjugés ni traitements favorisant les uns et rejetant d’autres,
ouvert à tous ceux qui en sont dignes. L’utilité de cette richesse d’esprit (bene), dispensée
envers les dieux et envers ceux qui excellent parmi les hommes (in omnes assidue bonos per
occasionem […] siquidem in divos, qui supra homines, in homines, qui inter homines doctrina
excellerent) est, elle aussi, durable (sempiterne), et le monument terrestre que Corycius crée
par son assiduité lui vaut en retour un monument céleste éternel (factus es sempiternus).
L’évocation de « la renommée éternelle grâce aux meilleures créations de l’esprit » de
Corycius (optimis monumentis perennitas) rappelle encore une fois le vers horatien Exegi
monumentum aere perennius et ancre ainsi davantage le recueil dans la poésie classique.
12. Après donc avoir insisté sur toutes ces caractéristiques positives, louables et exemplaires
de Corycius et de son recueil, Palladio s’est étonné – et s’étonne –, d’autant plus (quo magis
miratus aliquando sum) que celui-là n’ait pas fait cas de son portrait illustre jusqu’à présent.
Les hésitations que Palladio prête à Corycius constituent encore un portrait « en négatif » du
mécène : des verbes à connotation négative comme « avoir été simple et avoir méprisé »
(inglorius atque […] contemptor fuisse), « jalouser » (invidere), « supprimer » (supprimere),
« mépriser » (contemnere) et « négliger » (neglegere) contrastent avec les substantifs à
connotation positive qui les complètent : « immortalité » (immortalitas), « gloire » (gloria) et
« de si nombreux poèmes et talents » (carmina tot toque ingenia). Le fait que verbes et
substantifs forment des unités de sens malgré leur caractère antithétique, explique la
contradiction que Palladio ressent à l’égard de Corycius : alors que depuis dix ans déjà les
statues sont dédiées à Sainte Anne, que la fête s’est donc déjà répétée et que les poètes ont eu
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différentes occasions d’exprimer leur gratitude dans leurs poèmes, le mécène lui-même ne
semble pas du tout concerné, ni par la mise au net du texte et la publication (au premier sens
du terme) du recueil, ni par la gloire qui lui revient en tant qu’instigateur. (Ecce iam
decennium circumactum est ex quo ista conflata emissa […] nec dum in lucem a te
proferentur). Palladio essaie de s’expliquer ce comportement en faisant appel à l’attitude
philosophique de Corycius. Que Palladio ne veuille guère la comprendre, on le voit au fait
qu’il la rend désagréable au lecteur, même à travers les sonorités (InvIdIstI tIbI, Immo etiam
DIvIs, Immo et nobIs omnIbus). Or celui-là ne convoite ni gloire ni réputation, tandis que les
poètes la désirent au plus haut point, ce que la litote « nous ne méprisons point la gloire »
(famam non contemnimus) suggère sans ambages. Le reproche de Palladio devient d’autant
plus réel que lui-même fait partie des poètes qui veulent avoir accès à la gloire qu’ils ont
contribué à conférer à leur mécène. La volonté apparemment excessive des uns d’accéder à la
gloire ne fait alors que rehausser le désintérêt de Corycius pour son propre compte.
13. Conformément à l’objectif-même de sa lettre-dédicace, Palladio cesse dès lors de jouer un
rôle passif et passe à l’action, sans retenir ses mots (ergo (dicam enim iam libere)) ou cacher
ses intentions. D’où – de nouveau –, l’abondance du vocabulaire de la révélation (fur,
subfurari, in lucem edere, ut afferret lucem), contrastant avec l’intention initiale de Corycius
de garder le livre hors portée du regard d’autrui (libellus sepultus atque occultus). Le lecteur
peut presque voir le jeu entre ombre et lumière que Palladio suggère par ses mots ! Or le poète
ne se limite pas pour autant à ce jeu de mots, mais il feint d’être conscient de sa juste position
et de celle des poètes des Coryciana dans la littérature : tout en disant qu’ils ne sauraient être
des Virgiles pour Corycius, Palladio y prétend, et quand il mentionne le petit nombre de vers
(illi paucissimi versus) du grand poète, ce n’est que pour l’opposer au grand nombre de vers
(hi plurimi versus) des – peut-être pas trop –, petits poètes. Il accentue sa réflexion vers la fin
du passage en affirmant que seule la gloire littéraire durable est un remède contre la mort (hoc
uno remedio mortem vincemus). Et de ce point de vue, Palladio revendique une position
similaire entre Virgile et les poètes qui ne sont pas des Virgiles, en leur accordant, à l’un et
aux autres, une vie éternelle à travers l’œuvre poétique. Alors que cette conception de la vie
après la mort est très peu chrétienne, elle montre évidemment la conscience littéraire aiguë du
poète, et sa volonté de s’insérer durablement dans le Panthéon des poètes latins (ViVes,
Vincemus mortem, ut mortui Vita ViVamus). Le mélange des conceptions chrétiennes et
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païennes devant lequel Palladio ne recule point dans ses textes est, nous l’avons vu,
caractéristique des lettrés de l’époque295.
14. Engagé sur la voie de la conception classique selon laquelle la gloire peut être obtenue de
deux manières (aeternitatis via), Palladio se doit de mentionner, outre la gloire littéraire, la
gloire militaire qui peut être obtenue à travers les victoires militaires (quae armis et victoriis
quaeritur). Si, d’un côté, il la présente comme la seconde possibilité (quod si altera quoque
aeternitatis via […] in precio est), il ne la choisit pas pour autant pour lui-même, malgré les
préférences d’autrui (quinimmo preciosior quibusdam habetur). Ce choix personnel est
souligné par des binômes antithétiques, opposant les caractéristiques et effets de la gloire
militaire à ceux de la gloire poétique. A l’innocence, l’humanité et la piété de celle-ci
(innocentia, humanitas, pietas) s’opposent l’audace, la colère, la violence et la témérité
(audacia, ira, vis, temeritas) de celle-là. Tandis que la gloire poétique « sauve par le style »
(stylo servare) et « est utile par l’écrit » (prodesse scribendo), la gloire militaire « tue par le
fer » (ferro necare) et « est nuisible en pillant » (obesse rapiendo) : qualités humanistes d’un
côté, vertus militaires – certainement non moins sollicitées à l’époque à Rome –, de l’autre.
Palladio insère ainsi sa réflexion dans un contexte d’actualité, et reprend, par ailleurs, la
comparaison classique entre le poète et le soldat, entre celui qui se défend par son éloquence
et celui qui combat avec son courage. Pour lui-même, le doute entre les deux possiblités
d’accéder à la gloire n’est pas permis : son choix est clair, et il l’assume entièrement (longe
mihi praeoptem […] poetam me esse quam militem), même s’il n’est pas dupe de l’ampleur de
la tâche, et, peut-être, du fait que les circonstances extérieures ne la favorisent pas (si id
assequi possim). Si l’auto-estime élevée dont Palladio a fait preuve à d’autres occasions
semble inviter le lecteur à penser plutôt à la seconde possibilité, on peut tout de même
envisager une certaine modestie de l’auteur, d’autant plus que le passage final ramènera le
Palladio du début du texte : confiant en soi et en ses talents.
15. Enfin donc, pour boucler sa lettre, Palladio retourne sur sa propre personne (ad me redeo),
comme si rien d’autre n’était légitime (verum) et rapplique ouvertement avec sa propre
« faute » (furem fuisse fateor), salutaire pour tous, d’après lui. L’idée de la révélation n’est
pas nouvelle, nous l’avons vu, mais Palladio introduit ici une problématique d’autant plus
profonde qu’elle est illustrée par une expression d’un « Ancien », Juvénal : malgré le
295
Cf. supra : II. 1. Motivation du choix des extraits et présentation de leurs fonds et formes et II. 2. a. La lettredédicace de Blosio Palladio.
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129
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caractère léger de la citation « des rats ignorants rongèrent des poèmes divins » (divina opici
roserunt carmina mures)296, Palladio rappelle au lecteur que même une raison très chétive, à
laquelle on ne pensait même pas, peut causer un grand dommage. Le jugement au sujet de
l’humanité semble lourd, mais il sert évidemment les propos du « révélateur » furtif du
recueil : même les grandes œuvres sont facilement destructibles si l’homme ne veille pas à
leur conservation ! La comparaison ultérieure de Palladio aux enfants qui parviennent à
apprendre les vers du Silène dormant sans soûl, auquel Corycius est donc comparé, suggère la
vivacité et la conscience de l’un, alors que l’autre, comme ivre par ses hésitations au sujet de
la publication, semble dépourvu de son bon sens297. Personnage d’autorité si ses
préoccupations concernent les poètes, Corycius devient un homme insensé s’il ne saisit pas
l’occasion de publier le recueil. Voilà pourquoi Palladio utilise des termes antithétiques : « les
poèmes éternels » (aeterna carmina) ne sauraient ainsi constituer un « livre enfermé dans une
petite boîte » (liber capsula occlusus). Et tout sentiment de rancune de la part de Corycius
envers le « voleur » serait insensé, vu le degré de non-sens, voire de malveillance supérieure
de la non-publication (neque me sic furem oderis ut non recogites te potius odio habendum
fuisse ut invidum). Afin de rehausser encore une fois son propos en l’ancrant dans la
littérature et la mythologie classiques, Palladio clôt la lettre par la mention de Prométhée qui,
en tant que sauveur des hommes en leur apportant le feu volé des dieux (de coelo ignem
[subripuerit]), lui a servi d’exemple quand il a enlevé au mécène le recueil des Coryciana, lui
aussi source de lumière pour les hommes (ardentia et victura carmina ad perennitatem
nostram saeculique voluptatem). On retrouve ici le jeu entre la lumière et l’obscurité, réelles
296
Juvénal, Satires, III, 203-207 :
« Lectus erat Codro Procula minor, urceoli sex
Ornamentum abaci, necnon et parvulus infra
Cantharus et recubans rupto de marmore Chiron,
Iam que vetus Graecos sevabat cista libellos
Et divina opici rodebant carmina mures. »
297
Palladio compare Corycius au silène endormi qui, enlacé de surprise par deux jeunes bergers – rôle qui
revient ici à lui-même –, leur accorde enfin le chant souvent promis, jamais offert, cf. Virg., Buc. VI, 13-26 :
« Chromis et Mnysallos in antro
Silenum pueri somno videre iacentem,
Inflatum hesterno venas, ut semper, Iaccho ;
Serta procul, tantum capiti delapsa, iacebant,
Et gravis attrita pendebat cantharus ansa.
Adgressi (nam saepe senex spe carminis ambo
Luserat) iniciunt ipsis ex vincula sertis.
Addit se sociam timidis que supervenit Aegle,
Aegle, Naiadum pulcherrima, iam que videnti
Sanguineis frontem moris et tempora pingit
Ille dolum ridens : ‘Quo vincula nectitis ?’ inquit.
‘Solvite me, pueri ; satis est potuisse videri.
Carmina quae voltis cognoscite ; carmina vobis,
Huic aliut mercedis erit’. Simul incipit ipse. »
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130
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aussi bien que métaphoriques : dénicheur du recueil d’un coin obscur de la chambre de
Corycius d’un côté, révélateur des poèmes au grand public, de l’autre, Palladio joue ici un
rôle double. Le fait même de comparer la révélation du recueil à la révélation du feu insiste
sur le caractère « vital » de ce recueil pour Palladio et ceux qui l’entourent. Tout comme le
feu a permis à l’homme de s’émanciper et de développer sa culture – des champs –, le recueil
permettra au poète et au lecteur de développer sa culture poético-littéraire. La comparaison
entre Palladio et Prométhée peut paraître osée, mais le poète l’insère dans un contexte de
dépendance : tout comme Prométhée fut puni par Zeus, Palladio accepte, voire sollicite une
peine de la part de son maître, Corycius (denique alligas me ut vis ad tuam Tarpeiam rupem)
et l’accepte donc comme juge de son action, lui qui juge autrui au quotidien. Néanmoins, le
lecteur contemporain ne saurait pas ne pas y voir un clin d’œil entre amis, par lequel l’auteur
de la lettre suggère au dédicataire non pas de le punir effectivement, mais de continuer à
l’inviter avec assiduité dans ses jardins, situés justement près de la Roche Tarpéienne.
Pour terminer ce commentaire, on peut dire que la lettre-dédicace de Palladio constitue une
merveilleuse introduction aux Coryciana. Elle renseigne le lecteur sur le dédicataire du
recueil et lui inspire une certaine confiance dans le bon jugement de son éditeur. Efficace et
utile, elle nous semble même préférable à la lettre de Giano Maria Cataneo à son frère, texte
non intéressé et plus distant non seulement du recueil même, mais aussi de l’œuvre littéraire
en tant que telle. Si l’ouverture à laquelle Palladio parvient à travers ses dires accorde à
l’auteur lui-même une position prépondérante parmi les poètes, et à « son » œuvre une place
certaine dans la littérature latine, elle permet aussi au lecteur une approche quasi familière du
dédicataire du recueil, facilitant ainsi la compréhension des circonstances dans lesquelles
celui-ci a vu le jour.
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II. 2. b. Le poème 388
II. 2. b. 1. Texte et tradution
CARMEN 388
CHANT 388
C. Silvani Germanici
de Gaius Silvanus Germanicus
In statuas Corycianas
Aux statues de Corycius
Quid veterum statuas adeo laudamus, obesas
Pourquoi louons-nous à ce point les statues des
Articulos carie ? Quid imago reperta ruinis
Anciens, rongées par la carie du temps aux articulations
Parte domus celebri thalamisque nitentibus auro
? Pourquoi, un buste déniché au milieu des débris
Ponitur ? Et tali careant quid honore labores
Est-il placé au cœur de la maison et dans des chambres
5 Nostrorum artificum ? Causas inquiro latentes :
nuptiales brillant d’un éclat d’or ?
Et pourquoi n’attribuerait-on pas aux œuvres de nos
artistes une telle gloire ?
5 J’en recherche les raisons cachées :
Hicne datur senio rebusque virisque vetustis
Est-ce que cet honneur est réservé au grand âge, aux
Tantus honor ? Tandem redivivane marmora
vieilles choses
certum
Et aux vieillards ? Ou alors les marbres ramenés à la
Numen habent ? Tantumne iuvat iacuisse tot
lumière sont-ils habités d’une puissance divine
annis
certaine?
In tenebris ? Statuasne virûm pariterque deorum
Est-ce que cela leur est tellement utile d’avoir été
10 Ipse suas sequitur genius ? Priscine magistri
enfermés pendant de si longues années
Doctius e niveo finxerunt marmore formas ?
Dans les ténèbres ? Est-ce qu’un esprit tutélaire propre
suit pareillement les statues des hommes,
10 Et celles des dieux ? Les maîtres anciens
Ont-ils représenté plus savamment les formes en
marbre blanc comme la neige ?
Nil maius video, quamvis meliora putamus
Je ne vois rien de plus grand, bien que nous
Iudicio unanimi quicquid descendit ab aevo
considérions comme meilleurs,
Maiorum, ingluviemque dierum nescit acerbam.
D’un jugement unanime, tout ce qui nous provient de
l’époque des ancêtres,
Et ce qui ne connaît point l’amère voracité des jours.
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133
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15 Nam si cuncta probe excuties, aequamus
15 En fait, si on scrute toute chose honnêtement, nous
avorum
égalons aussi bien le talent
Ingeniumque artemque simul. Documenta videre
Que l’art des aïeuls. Que celui qui désire en voir les
Qui cupit, ad Coryti sacram se conferat aram !
preuves,
Se reporte à l’autel sacré de Corycius !
Illic inveniet priscis quae apponere possit
Il y trouvera de quoi comparer aux anciens talents ;
Ingeniis ; cernet spirantia signa deorum,
Il distinguera de vivantes statues des Dieux,
20 Molliter eximio nostri mentita labore
20 Sculptées en douceur par le travail hors norme de
Sansovii, Phidiaeque parem nunc vivere dicet.
notre cher
Sansovino, et il dira aussitôt qu’un égal de Phidias vit
de nos jours.
Quo plus spectat opus, maior spectare libido
Plus il regarde l’œuvre, plus grand naît le désir de
Nascitur, et nullo satiantur lumina fine.
regarder,
Tantus inest statuis decor et reverentia sacris !
Et ses yeux ne finissent point de se rassasier.
Si grande est la beauté inhérente aux statues, si grand le
respect à l’égard des cérémonies !
25 Quamvis certa fides oculis, licet ipse superstes
25 Bien que la preuve soit incontestable, bien que le
Vivat adhuc celebri sculptor, tamen omnia
témoin lui-même vive encore, sculpteur renommé,
summa
Pourtant toutes ces sublimes perfections n’arrivent pas
Credere dissuadent, animo potuisse laborem
à nous convaincre que l’esprit d’un homme ait pu
Sic hominis Superûm magnos effingere vultus.
Ainsi représenter les traits imposants des Dieux.
Credo equidem dextram Divos tribuisse
Moi, je crois que les dieux eux-mêmes ont contribué à
supremam
l’exécution de cette œuvre ;
30 Huic operi ; neque enim fugiunt pia facta, sed
30 et en effet, leurs actions bienveillantes ne sont pas
adsunt
cachées à mes yeux, elles sont bien visibles
Auxiliumque ferunt, Coryti aut pietatis amore
Et viennent en aide aux hommes, charmés par leur
Illecti, coelum docti rexere magistri.
amour pour Corycius ou celui de sa piété,
Ce sont eux qui ont dirigé le burin de l’artiste.
Linquamus statuas, numerosque legamus
Laissons de côté les statues, et lisons les nombreux
utrinque
fragments qui entourent l’autel
Cingentes aram. Quisnam Deus impulit omnes
De part et d’autre. Quel Dieu a donc poussé tous
35 Decertare modis ampla in praeconia vates ?
35 Les poètes à lutter en composant de vastes
louanges en vers?
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134
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Ast illud nobis longe mirabile visum,
D’autre part il nous semble très étonnant
Quod nullus valeat satius cecinisse poeta
Qu’aucun poète ne soit suffisamment doué pour chanter
Hoc opus, et dictis semper maiora supersint
Cette œuvre, que les grands exploits surpassent
Laudibus, et nullo decrescat gloria fine.
toujours les louanges qu’on leur adresse,
Et que la gloire ne connaît aucune fin.
40 Sic pelago ventos reserato carcere postquam
40 Ainsi, après qu’Eole eut chassé en pleine mer
Impulit Hippotades, paulatim attollere fluctus
Les vents de leur prison ouverte, on le voit bientôt
Aspicis aequoreos, et quanto flatibus instant
dresser
Acrius, impellunt hoc ipsas altius undas.
Les flots marins, et plus ils se dressent avec ardeur
contre les bourrasques,
Plus celles-ci chassent les ondes en hauteur.
Nullius in laudes operis Libethridos antri
En vue des louanges de nul ouvrage Apollon ne lâcha
45 Vatibus uberius fontes laxavit Apollo,
45 Plus abondamment aux poètes les sources de l’antre
Nec studio simili quenquam cecinere Camoenae,
des Muses,
Qui dederit Divis statuas aut templa dicarit
Et les Camènes n’ont chanté personne avec passion
Maxima. Iam nostro toto celebratur in orbe
semblable,
Corycii nomen, dominae nec sufficit Urbis
personne qui voua des statues aux Saints et leur dédia
50 Quod memorent vates ; aliis mittuntur ab oris
les plus grands autels.
Carmina, Divorumque novas figuntur ad aras.
Déjà de partout notre globe on célèbre le nom de
Corycius,
Et il ne suffit pas que les poètes de Rome le célèbrent ;
50 On envoie des poèmes d’autres contrées
Et on les attache aux nouveaux autels des Saints.
Ast ego praetereo laudes et clara virorum
Moi, je passe outre les louanges et les noms célèbres
Nomina, qui nondum validis committere ventis
des hommes,
Parvula sufficio crescens mea lintea vates.
Poète naissant encore incapable de confier
A des vents vigoureux mes petites voiles chétives.
55 Quis valeat ? Nam si titulos et nomina demas
55 Qui le pourrait ? Car si on enlevait aux poèmes leurs
Carminibus, priscos referes scripsisse poetas.
titres
Et le nom de leurs auteurs, on dirait que des poètes
anciens les ont écrits.
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135
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Nil operum tenuit celebratius alta Vetustas,
L’Antiquité altière ne posséda aucun ouvrage plus
Ipsa Iovis quanquam miretur Graecia formam
fameux,
Elei, alta Rhodos quamvis statuisse Colossum
Bien que la Grèce elle-même admire la beauté de
60 Gaudeat invictum vasta per saecula mole.
Jupiter Eléen,
Et bien que la fière Rhodes se réjouisse d’avoir établi le
Colosse
60 Invaincu à travers les siècles par sa taille énorme.
Haec quoque quid memorem, quando si certa
Pourquoi rappellerais-je également ceci : si un jour un
cupido
désir certain
Quem traheret vatem cunctas migrare per urbes,
Entraînait un poète à parcourir toutes les villes
Quae tenuere Deûm statuas super aethera notas,
Qui possédaient des statues des dieux connues
Nil esset penitus maius, nil clarius istis
jusqu’aux nues,
Quod caneret signis ?
Il n’y aurait absolument rien de plus grand, rien de plus
éclatant à chanter que ces statues ?
Sed iam redeamus ad aras
Mais retournons de nouveau aux autels de Corycius
Corycias, ubi sancta datur Divûm omnipotentum
Où l’on peut voir les traits sacrés des Dieux tout
Ora videre, quibus gaudent coelestia regna.
puissants, sources de joie pour les autorités célestes.
Non vastum spectamus opus, nec tempore multo
Nous ne contemplons ni une œuvre vaste, ni une œuvre
Exhaustum. Statuae mentes terrore tuentum
ruinée par l’effet du temps.
70 Concutiunt tacito ; majestas tanta Deourm
Les statues frappent l’esprit de l’observateur
Ora decet. Mortali pollice ducta negaret
70 D’une frayeur tacite ; une si grande majesté sied aux
Posteritas, nisi docta manus celebrata fuisset
traits
Praxitelis nostri multorum carmine vatum.
Des Dieux. La postérité nierait qu’ils ont été tracés par
un doigt mortel
Si la main habile de notre Praxitèle n’avait été célébrée
Par le chant de nombreux poètes.
O felix Coryti, nullum moriture per aevum !
O heureux Corycius, qui vivras pour l’éternité !
75 Est tua grata Deis pietas ; tu maxima tanto
75 Est tienne une piété reconnaissante envers les
Numina dignus eras hoc qui sequereris honore.
Dieux ; toi tu étais digne de suivre
Consilio vir macte tuo ! Non subruet ista
Les plus grands destins grâce à un aussi grand honneur.
Ulla dies aevi mentis monumenta beatae.
Homme glorifié par ton projet ! Jamais aucun jour ne
ruinera
Ces monuments conçus par un esprit heureux.
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136
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Caetera casus habet ; te post tua funera certum
Tout le reste tombera sous l’emprise du hasard, mais
80 Nominis aeterni decus immortale sequetur.
après ta mort,
80 Une gloire certaine et immortelle s’attachera à ton
nom.
Sed nunc tantarum referam primordia rerum.
Mais je rapporterai maintenant les origines de tant de
merveilles,
Cum diversus amor mortalia corda fatigat,
Alors qu’un amour non ciblé fatigue le cœur de
Hic sibi conspicuas ex marmore construit aedes.
mortels,
Alter amat culti foecunda novalia ruris,
Celui-ci se forge une demeure remarquable en marbre.
85 Velivoloque mari merces committit, et auget.
Tel autre aime les terres en jachère de la campagne
cultivée,
85 Confie ses intérêts à la mer navigable et les
multiplie.
Haec tacito secum ridet dum pectore Ianus,
Pendant que Janus se rie en silence de cela en son for
Nil proprium magis esse ratus mortalibus aegris
intérieur,
Quam coluisse Deos coeloque advertere mentes,
Pensant que rien n’est plus caractéristique des mortels
Astitit ante virum, veniens se sedibus altis,
malheureux
90 Relligio, niveisque induta coloribus artus.
Que d’avoir honoré les dieux et de tourner leur esprit
vers le ciel,
Se présenta devant l’homme, descendant de son siège
en hauteur,
90 La religion, revêtue de vêtements blancs comme la
neige.
Divinos stola longa pedes ambibat, honestum
Une longue étole entourait ses pieds divins, la
Simplicitas vultum mixto terrore decebat,
simplicité convenait
In nodumque sacros cogebat vitta capillos ;
A son expression honorable où la frayeur se mêlait,
Et une bandelette retenait dans un nœud ses cheveux
sacrés ;
Atque ait : ‘‘En propera Superis praestare, quod
Et elle dit : « Hâte-toi de présenter aux Dieux ce que
olim
jadis
95 Concepisti animo, sanum nec causa moretur
95 Tu as conçu dans ton esprit, qu’aucune raison ne
Consilium, dubiis nec te venientibus horis
retarde le projet sensé,
Nec tua fata dabis, dubium si crastina vobis
Et tu ne te donneras ni toi-même ni ton destin aux
Fulserit in roseis rediens Aurora quadrigis,
heures ambiguës de l’avenir
Si l’Aurore matinale en revenant sur son quadrige
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137
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Aux doigts de rose éclaire pour vous le doute,
Et te nulla movet venturae gloria famae.
Et si la gloire d’une réputation à venir ne t’émeut point.
100 Da Superis quas nunc video sub pectore
100 Donne aux Dieux ces statues, Janus, que je vois
factas,
maintenant
Iane, tuo statuas’’. Dixit, subitoque reliquit
dans ton cœur, achevées ». Dit-elle et disparut soudain
Lumina Corycii, et pectus concussit amore
Du regard de Corycius, et lui pétrit la poitrine d’un
Divino. Iam nulla quies, iam corda fatigat
amour
Cura beata viri ; conceptum nocte dieque
divin. Désormais aucun repos, désormais un heureux
Urget opus.
souci fatigue
Le cœur de l’homme ; et il hâte l’exécution de
l’ouvrage conçu
105 Aussi bien pendant la nuit que pendant le jour.
Hinc est quod vix coepisse putaveram
C’est pour cette raison que je pensais que l’artiste
Artificem, cum staret opus. Nil ocius unquam
Avait à peine commencé sa besogne, quand l’ouvrage
Prodiit in lucem. Post tergum saxa retorta
était déjà achevé. Jamais rien ne vint au jour plus
Promptius in formas hominum conversa fuisse
rapidement.
Haud credam, neque vipereis ex dentibus ortam
Je ne croirais pas que derrière mon dos
110 Vidit Agenorides segetem stupefactus
Les rochers retournés aient été transformés plus
ahenam.
rapidement
En silhouettes d’hommes, et Cadmus ébahi ne vit pas
plus rapidement.
110 La moisson de bronze issue des dents des dragons.
Nec statuas solum posuit, tria Numina, vos
Mais la piété de Corycius ne dressa pas seulement, pour
Corycii pietas ; aeternam erexit et aram,
vous,
Assiduos arae pariterque indixit honores,
Trinité, des statues ; il érigea aussi un autel éternel
Non velut excoluit vesana mente Vetustas
Et prescrivit également des messes quotidiennes,
105 Ridendos figmenta deos, quorum ara calebat
Non pas comme l’Antiquité, d’un esprit insensé, honora
Interitu pecudum, et viridi invitabat acantho
115 des dieux risibles, des images, dont l’autel se
Numina, quae non sunt, positas descendere ad
chauffait
aras.
Par la mort du bétail et invitait, avec de l’acanthe
verdoyant,
des divinités qui n’en sont pas, à descendre aux autels
préparés.
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138
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Nec iuvat, ut quondam magno coluere paratu
Et il ne sert à rien que, comme jadis, avec beaucoup
Numen inane Iovis, lustro redeunte citato,
d’apparat,
120 Cum multo iuvenes conspersi pulvere
Les jeunes honorèrent la puissance vaine de Jupiter,
corpus,
quand le jour fixe du sacrifice revint,
Maximo Qlympiacam peterent sudore coronam.
120 Les corps recouverts de beaucoup de poussière,
Et qu’on brigue la couronne olympienne avec un effort
suprême.
Hic neque placatur taurorum sanguine verus
Notre dieu n’est pas assouvi par le sang d’un taureau,
Ille Deûm genitor, terraeque polique repertor,
Ce véritable père des dieux, le créateur de la terre et du
Qui genus humanum crudeli morte redemit,
ciel,
125 Addictum Stygiis genitoris crimine primi
Qui racheta par une mort douloureuse la race humaine,
Suppliciis, nobisque viam patefecit Olympo.
125 Vouée aux supplices des Enfers par la faute du
premier géniteur,
Et ouvrit pour nous la voie vers l’Olympe.
Quem non eliciunt superis a sedibus ulla
Par aucun massacre les prêtres ne le font sortir
Caede sacerdotes, meliori cultus honore
Des demeures supérieures : c’est dieu qui est honoré
Innocuisque sacris, coelo demigrat ab alto.
par un culte supérieur
Et des sacrifices innocents qui le font descendre du ciel
altier.
130 Nobis certa fides colitur, ritusque sacrorum
130 Nous honorons une foi sûre, et le rite des messes
Integer est, certusque Deus, quem protulit orbi
Est pur, et certain Dieu, que l’honorable vierge
Virginitatis honor, regum de sanguine creta
mit au monde, vierge issue du sang des rois,
Virgo, decus coeli, palmosae glorai Idumes,
Beauté du ciel, gloire de l’Idumée abondante en
Nulli tacta viro. Illius mox Numine viso
palmiers,
135 Virginei tumuere sinus, quantumque pudicis
Intouchée d’un homme. Bientôt ses seins virginaux,
Visceribus Numen coepisset nescia, natum
135 Après qu’elle eut vu la volonté divine,
Ingentem peperit virgo stupefacta. Nepote,
s’enflammaient et ignorant quelle grande Divinité avait
Quo felix, Anna, es, felix hominum genus. Ille
été conçue dans ses chastes entrailles,
Invenit quodcunque patet, cui machina mundi
La vierge ébahie enfanta un nouveau-né
140 Servit et ipse polus, tellus, mare, Tartara,
divin/merveilleux. Grâce au petit-fils,
pontus.
Grâce auquel toi, Anne, tu es heureuse, est heureuse la
race humaine. Celui-là
Créa tout ce qui est visible, c’est à lui qu’est soumise la
fabrique de l’univers,
140 le ciel lui-même, la terre, la mer, l’Enfer, l’océan.
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139
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Corycius dedit his statuas Diis atque locavit
Corycius donna des statues à ces Dieux et les plaça
In templo, Augustine, tuo, quod sumit honorem
Dans ton église, Augustin, ce qui en augmente l’éclat,
Inde suum, veluti Phoebe de lumine Phoebi,
Comme Phébé est éclairée par la lumière de Phébus,
Cui rarum vasto tantum iam crevit in orbe
Pour qui un si grand bien crût désormais dans le vaste
145 Inde decus laudis, nomenque perenne
univers.
manebit.
C’est pour cette raison que la gloire que confère l’éloge
qu’on fait de toi et ta renommée vivront pour toujours.
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140
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II. 2. b. 2. Commentaire
Ce poème, que Silvanus Germanicus dédie aux statues de Corycius, se trouvait, d’après ce
que l’on peut comprendre à partir du manuscrit V, derrière le poème 372. Selon la répartition
établie par Vigil, il aurait donc constitué le 1er poème du deuxième livre des Coryciana. Or,
selon la répartition actuelle, le poème 388 est le dernier du deuxième livre où, en principe, les
poèmes grecs, mentionnés entre autres par le poème 284298, devaient se trouver299, et figure
sur les folios 98r à 101v du manuscrit C, sur les folios 95r à 98v du manuscrit V et sur les
feuillets EEiiiiv à FFiiiv de l’édition E.
Composé en hexamètres dactyliques, ce poème est avant tout un éloge aux statues
coryciennes, un éloge descriptif qui ne néglige pas non plus la louange de leur dédicataire et
de leur sculpteur, ni la défense de la véritable piété, vouée à Dieu et aux Saints. Ce sont peutêtre ces trois éléments réunis, l’éloge, la description et la défense, qui font de ce poème un des
poèmes les plus classiques et les plus beaux du recueil – à nos yeux, cela va sans dire.
Pour ce qui est de la forme du poème, aussi bien du mètre que des procédés stylistiques,
auxquels nous reviendrons par la suite, le poète semble s’efforcer de rivaliser avec les auteurs
classiques afin d’ériger un monument aussi durable que les leurs. En même temps toutefois, le
contenu se veut nouveau : le poète chante le nouveau, rend hommage aux contemporains, aux
modernes, pour ainsi dire, et témoigne d’une conscience aiguë de la qualité et de la portée des
œuvres contemporaines, qu’elles soient artistiques, littéraires ou religieuses.
Le cadre pour cet éloge n’est pas nouveau, du moins pas pour celui qui a parcouru les
Coryciana et surtout si l’on sait que les poèmes de Silvanus sont vraisemblablement parmi les
plus récents du recueil. Le cadre, donc, est celui du groupe statuaire érigé par Corycius en
l’honneur de Sainte Anne, de la Vierge et de l’Enfant dans l’Eglise de Sant Agostino à Rome,
pour l’exécution duquel celui-là a engagé le sculpteur toscan Andrea Sansovino. A l’intérieur
de ce cadre, toutes les circonstances sont prises en considération : les statues elles-mêmes
marquent le point de départ non seulement pour un long développement sur les sculpteurs
298
Coryciana, éd. IJsewijn, 284, vv. 5-8, p. 196 :
« Tales a Coryto, tales scalptore, poetae,
Concelebrant Graio carmine et Ausonio »,
et Carmina Extravagantia, VI, 4, vv. 4 et 10, p. 196 :
« Tot Graii simul, et simul Latini ; […]
Latinas simul Atticasque febres ».
299
Ibid., 373, n. 1, p. 249.
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141
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anciens et la comparaison entre ceux-ci et les contemporains, et encore une confession de foi
sincère et profonde envers les Saintetés en question, mais le point de départ aussi pour un
éloge virtuose des poètes contemporains, eux aussi comparés aux Anciens, pour enfin chanter
une louange inégalée du mécène Corycius, de sa piété et de la nature béate de cette piété, pour
et par Dieu, incomparable, quant à Lui, même aux divinités suprêmes des Anciens.
L’art ne saurait alors être de l’art pour l’art, mais est, pour ainsi dire, mis au service de la
religiosité : les statues sont la preuve d’une sincérité religieuse, les poèmes celle d’une
vénération profonde. L’efficacité artistique du sculpteur et le sérieux des poètes reflètent le
scrupule religieux de l’instigateur lui-même qui, à son tour, est présenté comme digne du
grand art avec lequel Dieu créa le monde !
Enfin, le cadre, les circonstances et les thèmes évoqués reflètent à merveille les réflexions et
les préoccupations des hommes de lettres de l’époque : tout en admirant les Anciens et en les
imitant, ils essaient de s’en distancier à travers et à l’aide de leur propre grandeur ; tout en
connaissant les divinités anciennes et en s’en servant à des fins épidictiques et argumentatives
dans leurs chants, aux plans sémantique et stylistique, ils cherchent à réduire leur rôle dans la
société contemporaine dans laquelle « leur » dieu, le Dieu chrétien, l’emporte par Sa
grandeur. L’ensemble du poème est ainsi marqué par une comparaison entre les Anciens et les
contemporains, englobant art, littérature, style et religion.
Le début du poème semble très éloquent par son style et très puissant par son contenu, comme
s’il voulait impressionner le lecteur dès le tout premier vers et lui montrer que forme et fond
se complètent : « à quoi bon louer à tel point les statues des Anciens » (Quid veterum statuas
adeo laudamus), si les œuvres des contemporains s’avèrent tout aussi impressionnantes ? Les
vers 1 à 11 multiplient des comparaisons implicites et formulent, pour ainsi dire, une liste des
prétentions – non prouvées et donc contestées –, des Anciens au sujet de leurs œuvres d’art.
Cet effet de cumul, d’insistance et de répétition (Quid laudamus ? Quid ponitur ? Quid
careant ?) fait en sorte que les questions deviennent questions rhétoriques et semblent
suggérer par là-même que, de toute évidence, les prétentions des Anciens sont vaines aux
yeux de celui qui prend la peine d’observer de plus près le travail des contemporains (Et tali
careant quid honore labores / !ostrorum artificum ?). Les sonorités, elles aussi, semblent
inciter le lecteur à considérer les travaux des Anciens comme grossiers (stAtuAs Adeo
lAudAmus, obesAs / Articulos cArie), phonétiquement voués au ruine, par l’accumulation de
__________________________________________________________________________________________
142
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la guttural [r] (RepeRta Ruinis / paRte), alors que c’est de ce ruine même qu’ils revendiquent
leur importance. Contrairement aux bustes anciens – engloutis par la fin du vers –, au bord de
l’ébranlement, les artistes contemporains (!ostri artifices) relancent le défi, et, en utilisant
l’adjectif possessif de la première personne, le poète instaure clairement une complicité entre
lui-même et ceux-ci, voire s’engage activement à corriger l’image tordue de la supériorité des
Anciens. Afin de faire disparaître la croyance que les contemporains ne sauraient arriver à la
hauteur des Anciens, il propose d’en rechercher lui-même les causes cachées (Causas inquiro
latentes)300. Le fait d’introduire ce poème panégyrique, pour ainsi dire, par une formule plutôt
typique pour une œuvre du domaine scientifique, est censé souligner le sérieux du poète et
suggère en même temps la rigueur et l’efficacité par lesquelles il compte procéder. S’il
propose de rechercher les raisons cachées de cette pseudo-supériorité des Anciens sur les
modernes, c’est qu’il est conscient de ce qu’elles ne sont pas a priori à la portée de tous, mais
qu’il faut un révélateur, une sorte de Prométhée pour éclaircir les esprits ténébreux des
hommes.
La traditionnelle invocation à la Muse au début d’un poème est ici absente, car le poète se sait
inspiré par la Sainte, et c’est à travers cette foi que le poète peut annoncer qu’il révélera ce
qui, traditionnellement, ne pouvait être révélé sans l’aide des divinités-patronnes de la poésie.
Néanmoins, alors que l’annonce du poète paraît claire : « j’en recherche les raisons cachées »,
le lecteur ne trouve pas immédiatement des affirmations ou des thèses concernant ces raisons,
mais il se voit de nouveau confronté à une accumulation de questions. Alors que celles-ci
semblent être de véritables questions par leur forme : on trouve cinq fois le suffixe –ne qui
introduit bel et bien une question authentique, c’est-à-dire des questions cherchant à obtenir
des informations en réponse, le contexte les rend semblables à des questions introduites par
num, marquant, au contraire, le doute porté sur les informations y contenues ainsi que sur les
300
Cf. le témoignage non moins fervent de Giano Vitali (Coryciana, éd. IJsewijn, 8, et surtout les vers 36 à 48 :
« I nunc, credere fuisse saecla avorum
Natura, ingenio, arte doctiori
Nostris temporibus peritiora !
Nimirum hic tuba maximi Maronis
Inflatur, lyra personat Horatii,
Et centum numerantur hic Catulli,
Et compti totidem meri Tibulli,
Ut dicas merito : "Revixit aetas,
Aetas Pristina ; pristini poetae,
Revixere simul peritiores
Artis ; ingenii hic revixit omnis
Candor, simplicitas vestustiorum,
Et plectra et numeri disertiores". »
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143
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réponses attendues. Le poète, lui, connaît les réponses, et les questions elles-mêmes semblent
suggérer sa lassitude face à l’idée que les Anciens seraient meilleurs que les contemporains.
L’énumération de la première question (rebusQVE VirisQVE Vetustis) affirme que choses – le
poète ne parle pas d’œuvres –, et hommes sont sujets à une certaine fatigue, due à une
répétition inlassable, non nouvelle, ce que le vocabulaire utilisé souligne davantage : « grand
âge » (senio), « vieux » (vetusti), « ramenés à la lumière » (rediviva), « tant d’années » (tot
anni), « anciens » (prisci). Par ailleurs, les verbes des vers 1 à 11 sont presqu’exclusivement
des verbes passifs ou des verbes d’état (reperta, ponitur, reperta, ponitur, datur, carent,
nitentibus, habent, iacuisse), de sorte qu’aucun mouvement, aucune tentative de changement
ne semble possible. Quant au dernier verbe, l’ironie est encore plus grande, car le poète
cherche à savoir s’il fut utile aux statues d’avoir été cachées dans les ténèbres (iuvat iacuisse
tot annis/annos in tenebris). Et la réponse attendue est négative ! Non seulement, les hommes,
leurs travaux et les objets qui en subsistent sont vieux, mais leur vieillesse ne leur sert même
pas. L’hésitation des scribes au sujet de l’ablatif tot annis, retenu par l’édition, alors que les
manuscrits C et V ont tot annos, montre peut-être davantage la critique que le poète adresse
aux Anciens : que les années – entendons : non pas les œuvres mêmes –, soient un outil pour
accéder à la gloire ou que la gloire des œuvres soit trop vieille, suite au passage inévitable du
temps, ni ceci, ni cela ne saurait persuader le poète d’affirmer la supériorité des Anciens sur
les contemporains. Silvanus s’engage, au contraire, à donner le contre-exemple et la preuve
du fait que le travail contemporain surpasse de loin celui-là. Trop subjectifs aussi bien par le
désaveu dû au passage du temps que par la protection exagérée que l’on accordait volontiers
aux vieilles œuvres, ce travail de même que la considération qu’on en avait, sont désormais
mal perçus, même phonétiquement (ipSe SuaS Sequitur (StatuaS) geniuS).
Dans les vers suivants, surtout les vers 12 à 14, le poète se montre conscient d’une nécessaire
définition de l’art, aucune discussion ne pouvant émaner d’une base au sujet de laquelle les
partenaires de discussion ne sont pas d’accord. Or, au lieu de se lancer immédiatement à la
poursuite d’une preuve immanquable, le poète se positionne tout d’abord par rapport à son
propre point de vue. C’est ainsi qu’aux déterminants indéfinis (tali, tantus, tantum) suit une
appréciation subjective, tout à fait relative (nil maius video). Le jeu de mots entre maius et
maiorum peut sembler lourd, mais suggère pourtant comment la croyance des gens s’est
établie : parce que les œuvres des Anciens sont plus « âgées », elles seraient plus
« importantes ». Selon le poète, cependant, on ne devrait pas considérer comme meilleures
(meliora) des œuvres pour la seule raison qu’elles proviennent d’époques antérieures.
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144
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L’énorme fréquence du son [i] accentue le caractère désagréable de ce raisonnement,
choquant par sa formulation même : « IudIcIo unanImI quIcquId descendIt ab aevo /
maIorum. A ces œuvres qui ont réellement subsistées, que l’on a retrouvées et que l’on
commence à apprécier de plus en plus, le poète concède néanmoins le privilège de ne pas
avoir subi le passage vorace du temps (ingluviem dierum nescit acerbam), alors que – et cette
réflexion du poète semble bien implicite –, les œuvres des contemporains devront encore faire
preuve de cette aptitude !
La suite nous apporte alors la preuve tant attendue. Le poète, après avoir parlé pour lui-même
(nil maius video), passe maintenant à un ton confiant (nam si excuties), tout en se voulant
honnête (probe) et engagé à instaurer une connivence entre lui-même et tout contemporain
(aequamus). Il postule maintenant l’équilibre entre les Anciens et les modernes, à condition
que l’on veuille analyser et comparer avec soin les œuvres des deux partis.
Si les vers 15 à 17 abondent en subjectivité, il s’agit d’une subjectivité consciente du fait
qu’elle peut devenir objectivité, à condition que les sujets, donc ceux qui regardent, observent
et jugent, le font sérieusement. !il maius s’oppose ainsi à doctius, aequamus à meliora et le
simul finit non seulement par regrouper talent et art (ingenium [et] ars), mais par marquer un
équilibre atteint (aequamus avorum / Ingeniumque artemque simul). Or, pour ne pas sembler
se cacher derrière un jugement personnel, le poète invoque tout le monde ([ali]qui[s]) à se
joindre à lui pour considérer les preuves (documenta) de ses propos. L’utilisation du présent
dans cette proposition insiste sur sa généralité et dénote que le poète ne parle pas
d’hypothèses ou de possibilités, mais qu’il invite bel et bien tout homme à se reporter à l’autel
sacré érigé par Corycius (ad Corytis sacram se conferat aram !) pour y trouver soi-même la
preuve.
Après avoir parlé pour les admirateurs des Anciens, d’un côté, pour les défenseurs des
contemporains, de l’autre, en utilisant la première personne du pluriel ou en attribuant un seul
jugement à tous (putamus, iudicio unanimi, aequamus), il fait maintenant appel à la
perception individuelle de tout un chacun, comme s’il proposait aux lecteurs un confer que
nul ne saurait contester, tellement sa réalité est bien établie et son repérage facile, une fois
qu’il a été défini. L’utilisation du futur simple dans les vers 18 à 21 (inveniet, cernet, dicet)
renforce cette invitation au jugement critique : chacun est censé discerner lui-même ce que le
poète suggère, et chacun saura se former une opinion fondée à travers ses propres capacités
d’observation et de jugement. La réflexion amènera la constatation que les contemporains
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égalent en effet les Anciens (apponere301, parem), grâce à un travail hors du commun (eximio
labore), ressuscitant, pour ainsi dire, un sculpteur comme Phidias, alors que le responsable
élégant (Molliter Mentita) s’appelle Sansovino et est un contemporain, voire un proche
(nostri) du poète. L’œuvre semble tellement digne d’admiration et d’éloge que le poète
qualifie le groupe statuaire de statues vivantes (spirantia signa), utilisant ainsi une formule du
poète le plus classique pour renvoyer à une œuvre très récente, car l’expression spirantia
signa rappelle quelques vers du troisième livre des Géorgiques :
« Stabunt et Parii lapides, spirantia signa,
Assacari proles demissaeque ab Ioue gentis
Nomina, Trosque parens et Troiae Cynthius auctor »302.
De même que les statues font vivre les divinités qu’elles représentent, de même le sculpteur
fait revivre la gloire de Phidias.
Le poète en vient dans les vers 22 à 24 au postulat suivant : « plus on observe l’œuvre, plus
grand naît le désir de regarder, et les yeux ne finissent point de se rassasier » (Quo plus
spectat opus, maior spectare libido / !ascitur, et nullo satiantur lumina fine). Il s’agit, pour
ainsi dire, d’une conclusion logique, à laquelle tous ceux qui ont observé les statues
parviennent, pour la simple raison que la beauté inhérente aux statues est énorme et le respect
à l’égard des cérémonies non moins important (Tantus inest statuis decor et reverentia
sacris).
On trouve ici, au vers 24, la première expression d’une relation explicite entre l’art et la
cérémonie sacrée, dans laquelle celui-là a son origine. Si l’œuvre elle-même exerce une
attraction certaine, qu’il faut éprouver à travers une expérience personnelle, elle est
301
L’édition E a apponere, les manuscrits C et V opponere. Si apponere ne retient que la notion de comparaison
entre les Anciens et les contemporains, opponere suggère davantage une rivalité, une concurrence entre les deux
partis.
302
Virgile, Géorgiques, III, 34-36 : « Là se dresseront aussi dans la pierre de Paros les images vivantes de la
postérité d’Assaracus, et cette race renommée descendue de Jupiter, et Tros leur père, et le Cynthien, fondateur
de Troie ». Cf. aussi le début du poème 276 de Baldassare Castiglione (Coryciana, éd. Ijsewijn, p. 192) :
« Laudabunt alii divûm spirantia signa,
Molliter et Pario ductus de mamore vultus,
Corycii aut clarum tollent super aethera nomen,
Insignem et virtute animum, magno ore canentes
Ut veras Superûm effigies sacraverit aris,
Utque sui cordis penetralia decerit aras
Sincera pietati, almae et fidei, ipse sacerdos
Integer, innocuus, culpa semotus ab omni ».
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néanmoins comme inspirée par un souffle divin, et la main de Sansovino semble avoir exécuté
ce que la foi a inspiré à Corycius.
Or, cette cérémonie sacrée et le respect que le mécène y accorde sont justement explicités
dans les vers 24 à 32. Contrairement à l’assurance qu’il avait encore quand il incitait à
observer les statues comme preuve d’égalité entre les exploits des contemporains et ceux des
Anciens, le poète revient maintenant à des doutes, mais, cette fois-ci, il s’agit de doutes au
sujet de la nature humaine de l’œuvre. En effet, telle est sa beauté et telle sa perfection, que le
poète la dirait plus volontiers œuvre divine, alors même que le sculpteur vit encore et que les
mêmes yeux qui, tout à l’heure, prouvaient le talent des contemporains, sont les témoins de ce
spectacle (Quamvis certa fides oculis, licet ipse superstes / Vivat adhuc celebris sculptor,
tamen omnia summa credere dissuadent, animo potuisse laborem / Sic hominis Superûm
magnos effingere vultus). L’art semble avoir représenté in natura le souffle divin, ce qui,
selon le poète, ne peut se faire sans coup de main divin (credo equidem dextram Divos
tribuisse supremam / Huic operi). Evidemment, cette aide divine a été méritée par le
dédicataire des statues (pia facta, pietatis amor) et elle valut à l’artiste un guidage
perfectionnant son art (coelum docti rexere magistri). Seule la présence divine explique la
qualité extraordinaire de l’œuvre, et celle-là s’explique par la reconnaissance des divinités
représentées envers la foi et la piété dont Corycius a fait preuve en leur vouant cérémonie et
statue. Il va sans dire que le poète ne saurait trouver de meilleure contre-preuve de la
supériorité des Anciens.
Alors, bien que l’œil ne soit pas encore rassasié, que l’esprit ne puisse encore que supposer,
sans comprendre, un chef-d’œuvre de nature divine, le poète invite le spectateur à porter son
regard sur les fragments qui, de partout, entourent l’autel (Linquamus statuas, numerosque
legamus utrinque / Cingentes aram). L’insistance sur « entourant de partout » (utrinque
cingentes) laisse entrevoir que le nombre de vers doit être impressionnant. Le poète poursuit
en effet sa description, en s’étonnant quel Dieu – et l’on retrouve ainsi l’hypothèse que l’aide
divine n’est pas absente –, a pu inciter tous ces poètes à se mesurer par l’écriture de louanges
poétiques (Quisnam Deus impulit omnes / Decertare modis ampla in praeconia vates ?) Outre
l’influence d’un dieu dont la nature n’est pas précisée, mais dont la présence est notable – on
doit donc penser à Dieu qui, contrairement aux divinités anciennes, ne se manifeste qu’à
travers Sa bonté et Sa charité –, on trouve ici l’idée classique du certamen poétique. Réunis
dans l’optique de se mesurer par leurs créations poétiques, les poètes invités chez Corycius ne
sont pourtant pas dépourvus d’inspiration.
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Encore une fois, l’art semble intimement lié à la présence divine, car c’est elle qui l’a suscité :
statues et poèmes prennent leur origine dans une inspiration divine certaine ! Dans ce contexte
on s’attendrait à une couronne de laurier, attribué au vainqueur de cette lutte poétique. Mais
ce n’est pas là l’objectif du poète – et l’on trouvera ailleurs non pas un poète, mais le mécène
lui-même couronné de laurier303. Le poète préfère plutôt retenir l’idée que, si quelque Dieu a
inspiré ces poètes, il est évident qu’aucun poète n’a encore pu chanter leurs œuvres, ni ne peut
les chanter, du fait que leur nombre aussi bien que leur gloire ne cessent de croître (Ast illud
nobis longe mirabile visum, / Quod nullus valeat satius cecinisse poeta / Hoc opus, et dictis
semper maiora supersint / Laudibus, et nullo decrescat gloria fine).
Silvanus lui-même tentera pourtant d’être digne de chanter cet éloge (notamment dans les vers
40 à 54), sans toutefois prétendre à arriver à la hauteur de la tâche. Les comparaisons qu’il
utilise alors pour caractériser l’abondance des talents et des vers, donnent, toujours,
l’impression d’un nombre de vers extrêmement grand et qui va grandissant, de sorte que nul
ne pourrait en venir à bout dans une louange, mais que l’œuvre poétique, tout comme la
sculpture, restent toujours au-dessus des mots, insaisissables, comme leur source. Les
métaphores filées que l’on peut repérer dans les vers 40 à 43 se rapportent toutes aux forces
de la nature, à l’énergie naturelle, pour ainsi dire : le grand large (pelagus), les vents (venti),
les flots marins (fluctus aequorei), les bourrasques (flatus) et les ondes (undae), tous les
éléments se combinent et s’entre-aident pour manifester leur puissance en montant un
spectacle grandiose304, d’autant plus que nulle pression extérieure n’est nécessaire à cet effet :
de même que mer, vent et eau s’incitent mutuellement à la grandeur (quanto flatibus instant
acrius, impellunt hoc ipsas altius undas), de même les poètes mentionnés s’incitent à une
œuvre de plus en plus impressionnante et de plus en plus raffinée. Plus leur inspiration est
grande, plus leur verve poétique se développe, plus ils essaient de rivaliser en matière de
gloire. Si, alors, impulsion extérieure il y avait, elle devrait être de nature divine, mais le poète
affirme clairement, aux vers 44 à 48, que jamais Apollon n’a accordé d’inspiration pareille à
un poète pour chanter pareil éloge d’une œuvre pareille (!ullius in laudes operis Libethridos
antri / Vatibus uberius fontes laxavit Apollo). On retrouve l’image des sources (fontes) pour
comparer l’inspiration des poètes à un élément fondateur et puissant de la nature.
303
Cf. le poème 398, vv. 14-15 :
« Intertexta humilis coma genistae,
Et lauru pariter virentiore ».
304
Faut-il ici penser aux célèbres vers de l’invocation de la Nature de Lucrèce, De Rerum !atura, II, 1-2 :
« Suavi mari magno turbantibus aequora ventis
E terra magnum alterius spectare laborem… » ?
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Les Muses elles-mêmes n’ont jamais concouru à chanter pareille louange (!ec studio simili
quenquam cecinere Camoenae, / Qui dederit Divis statuas aut templa dicarit / Maxima), car,
filles de l’Art, elles n’ont jamais eu l’occasion de louer pareilles statues et offrandes
suprêmes. Le fait que le poète se sert ici du terme Libethridos pour caractériser les Muses
rappelle l’origine thrace de celles-ci, l’antre et la source des Muses, le tombeau d’Orphée, et
font peut-être aussi allusion à l’invocation de Corydon qui, dans le cadre du certamen
poétique des bergers, aimerait jouir d’une inspiration qui soit à la hauteur de son sujet305. Par
ailleurs, le terme Camoenae ou Camenae évoque de nouveau les sources et les fontaines dont
on attribuait traditionnellement la protection à ces divinités. C’est ainsi que le poète rappelle
encore deux fois, à travers le vocabulaire qu’il utilise, les éléments de la nature, liés de près
avec l’œuvre des poètes.
La conclusion, aux vers 48 à 51, que Silvanus tire de cette puissance poétique est que le nom
de Corycius est connu et célébré partout (Iam nostri toto celebratur in orbe / Corycii nomen),
et que même la ville des villes, Rome, ne suffit plus à célébrer les poètes inspirés (dominae
nec sufficit Urbis / Quod memorent vates). D’un côté donc, la gloire ne saurait être limitée (cf.
également le vers 39 : et nullo decrescat gloria fine), mais de l’autre côté, le poète affirme
clairement que les poètes qui se laissent inspirer par cette source poétique et qui inspirent, eux
aussi, les statues divines, accourent et envoient leurs chants de partout la terre (aliis mittuntur
ab oris / Carmina, Divorumque novas figuntur ad aras). Ceci est bien vrai si l’on considère le
grand nombre de non-Romains, voire d’étrangers qui ont contribué aux Coryciana. Plus leur
nombre est grand, plus ils viennent de contrées lointaines, et l’extension de la place pour les
fragments s’avère indispensable (ad novas aras)306.
Le poète lui-même, après avoir fait entrapercevoir au lecteur la grandeur et la fécondité de ces
talents, passe outre leurs éloges et leurs noms (Ast ego praetereo laudes et clara virorum /
!omina), trop nombreux certes, mais trop impressionnants aussi pour le peu de talent dont
lui-même dispose apparemment. Même dans ce mea culpa des vers 52 à 54, visant la captatio
benevolentiae plus qu’une véritable excuse, le poète, lui aussi vates, reprend l’image de la
barque chétive, dont les voiles ne sont pas assez robustes pour se fier sans dommage aux vents
305
Virgile, Bucoliques, VII, 21-24 :
« Nymphae, noster amor, Libethrides, aut mihi carmen,
quale meo Codro, concedite (proxima Phoebi
uersibus ille facit), aut, si non possumus omnes,
hic arguta sacra pendebit fistula pinu ».
306
Rappelons ici les revendications ferventes de Silvio Laurelio et de Silvanus lui-même auprès de Corycius,
d’accorder plus de place aux poèmes (Coryciana, éd. Ijsewijn, 269, pp. 184-185 et 271, p. 186, et supra : I. 2. a.
Les Coryciana, un recueil multiple).
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puissants de l’océan de gloire (ego […] qui nondum validis committere ventis / Parvula
sufficio crescens mea lintea vates), et clôt ainsi à merveille l’excursus poétique à travers les
forces de la nature. On peut encore relever que la comparaison des poètes et de leurs œuvres
aux vents, aux bourrasques et aux ondes, non seulement suggère l’absence de force extérieure,
et, au contraire, la présence d’une puissance intrinsèque qui favorise les talents, mais implique
également que, comme la mer peut être houleuse, parfois calme, parfois agitée, de même
l’œuvre des poètes peut être douce et élégante ou agitée et forte, et la gloire qui s’ensuit plus
importante ou plus restreinte, sans jamais pouvoir être caractérisée par quelque stabilité ou
constance prévisible, si ce n’est par l’absence de celles-ci. A travers cette généralisation de la
destinée relative de l’œuvre littéraire et poétique à laquelle Silvanus parvient, le lecteur est
tenté de croire que le poète peut tout à fait être considéré comme digne de l’éloge qu’il a
prétendu ne point savoir faire.
Ouvertement néanmoins, Silvanus reconnaît sa défaite devant la tâche d’honorer à leur juste
valeur les poètes contemporains et leurs œuvres. Selon lui, qui le pourrait (Quis valeat ?) ?
Car on ne saurait distinguer leurs œuvres et leur talent de ceux des ancêtres (!am si titulos et
nomina demas Carminibus, priscos referes scripsisse poetas) ! On retrouve ainsi la référence
aux Anciens, à l’« Antiquité altière » (alta Vetustas) qui, tout en servant de repère, semble
comme déclassée par les contemporains. Le but n’est dès lors plus d’imiter les Anciens, mais
de rivaliser avec la nature, avec le monde entier, pour créer un art digne de ce nom. Même des
œuvres comptant parmi les merveilles du monde antique, la statue de Jupiter Eléen en Grèce
par Phidias ou le Colosse de Rhodes, ne sauraient étonner ou réjouir plus le spectateur
contemporain que les poèmes dédiés à Corycius et aux statues. En introduisant l’idée de la
concession (quanquam et quamvis), le poète suggère que la beauté des œuvres antiques est
obsolète, non encore consciente de son passage à l’oubli – voire de son retour à l’oubli, si l’on
se rappelle le début du poème –, alors que la beauté des œuvres contemporaines est en plein
essor.
Mais, encore une fois, Silvanus semble changer de direction au cours de son éloge : « à quoi
bon rappeler ces choses ? » (Haec quoque quid memorem ?), se demande-t-il, alors qu’un
poète se doit simplement de reconnaître que, quelque loin que sa passion le pousse et quels
que soient les chefs-d’œuvre qu’il rencontre ailleurs, ce groupe statuaire surpasse
inévitablement tout ce qu’il a vu (quando si certa cupido / Quem traheret vatem cunctas
migrare per urbes, / Quae tenuere Deûm statuas super aethera notas, / !il esset penitus
maius, nil clarius istis / Quod caneret signis ?) ! Lui aussi, d’ailleurs, est venu d’Allemagne
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pour chanter les statues de Corycius, implicitement caractérisées de « connues jusqu’aux
nues ». Et c’est alors qu’il avoue que, malgré tout ce qu’il a pu voir en cours de route, c’est le
spectacle décrit ici qui l’a fasciné et qui a ciblé son inspiration poétique. Le spectateur ne se
rassasie donc non pas du Jupiter Eléen, ni du Colosse rhodien, mais revient, en compagnie du
poète, – dont la fonction de guide ne saura dès lors plus être contestée –, à l’autel de Corycius,
dont le raffinement artistique sera décrit dans les vers suivants (65 à 73). Les sonorités des
vers qui décrivent ce retour aux statues et à l’autel suggèrent un certain pas de danse, ou bien
le rythme du cortège qui, les jours de fête, se dirige, joyeux, vers l’Eglise Sant’Agostino, pour
ensuite continuer la procession vers les jardins ombragés de l’hôte (Sed iAm redeAmus Ad
ArAs / CoryciAs). Le spectacle qui s’y dévoile au spectateur est proprement divin (sancta […]
Divûm omnipotentum / Ora), digne des divinités toutes puissantes invoquées : même les
autorités célestes en font leur source de joie (quibus gaudent coelestia regna)307. Si le poète
fonctionne ici, pour ainsi dire, comme le Virgile dantesque qui, en initiant le mortel au
royaume des immortels, lui dévoile sa beauté grandiose, en revanche, il nous propose une
œuvre de petite taille (!on vastum spectamus opus), spectaculaire ni par ses dimensions, ni
par son âge (nec tempore multo / Exhaustum), qui, nous l’avons vu, constituait un des critères
majeurs des ouvrages antiques. Respect et grandeur sont implicites, car l’art tire son art de son
sujet, c’est-à-dire de la grandeur divine et de la piété religieuse ! Voilà pourquoi son impact
est tellement notable ! Une frayeur tacite – et puissante même par les sonorités –, qui coupe
court à toute tentative d’éloge, émane des statues (STaTuae menTes Terrore TuenTum /
ConcuTiunT TaciTo), majestueuses à bon droit pour parvenir à représenter les traits
majestueux des divinités (maiestas tanta Deorum / Ora decet). Le poète en conclut que la
postérité y attachera certainement une origine divine (Mortali pollice ducta negaret /
Posteritas) – tout comme les contemporains ont longtemps présumé qu’un esprit divin propre
suit les œuvres des Anciens (Statuasne virûm pariterque deorum / Ipse suas sequitur
genius ?). Mais il ne prétend pas à cette mystification de l’art, car il connaît l’artiste, et le
présente avec fierté (nisi docta manus celebrata fuisset / Praxitelis nostri) : tant de louanges
témoignent de son œuvre (MultoruM carMine vatuM) que l’identité de l’artiste n’est pas
obscure. Tout au contraire, elle est harmonieuse et s’éternise à travers les chants mêmes.
307
Comme le poète utilise ici l’expression coelestia regna et que, dans le poème 398, il évoque également l’âge
d’or, on peut penser qu’il fait ici une allusion directe aux saturnia regna virgiliens (Virgile, Bucoliques, IV, 6),
et qu’il considère la fête, l’œuvre et les qualités de Corycius comme la preuve d’un renouveau, voire d’un retour
à l’âge d’or, jadis hasardé par la race humaine.
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C’est alors que le dédicataire lui aussi, Corycius, pourra rendre éternels son nom et son renom
(O felix Coryti, nulluM Moriture per aevuM !). Statues et vers, artiste et poètes, tous
participeront de l’atemporalité de la création, de sorte que l’assujettissement au temps semble
levé, la rigueur et le côté destructif de son passage éliminés. L’apostrophe du poète au mécène
prend le caractère d’une prévision quasi oraculaire, qui n’est tout de même pas sans raison.
C’est ainsi que les vers 74 à 80 multiplient les termes renvoyant à la gloire et au bonheur de
Corycius : « qui vivr[a] pour l’éternité » (nullum moriturus per aevum), « glorifié » (mactus),
« un esprit heureux » (mens beata), « digne de suivre les plus grands destins » (dignus qui
sequereris maxima numina), mérités par sa « piété reconnaissante envers les Dieux » (grata
Deis pietas), « grâce à un aussi grand honneur » (tanto honore), « grâce à ton projet »
(consilio tuo). Tous ces éléments concourent à enlever l’instigateur et son œuvre à la vanité
des choses, alors que toutes les autres choses sont soumises au hasard (Caetera casus habet).
Corycius, lui, s’assure à travers l’œuvre dont il est l’instigateur un renom certain et une gloire
appelée à durer.
Silvanus s’engage alors à expliquer « l’origine de tant de merveilles » (tantarum […]
primordia rerum308). Contrairement à la mystification qu’il a reprochée aux Anciens – déjà
auparavant il recherchait les raisons cachées (Causas inquiro latentes) –, il procédera par une
véritable ex-pli-cation, impliquant non seulement Corycius, mais l’humanité tout entière
(mortalia corda). Et celle-ci sera critiquée en comparaison de Corycius, car toutes les activités
qu’elle considère comme importantes ne le sont pas aux yeux de celui-ci, à qui un amour non
308
Cf. par exemple, Lucrèce, De Rerum !atura, (i. a.) I, 54-61 :
« Nam tibi de summa caeli ratione deumque
Disserere incipiam et rerum primordia pandam,
Unde omnis natura creet res, auctet alatque,
Quove eadem rursum natura perempta resolvat,
Quae nos materiem et genitalia corpora rebus
Reddunda in ratione vocare et semina rerum
Appellare suemus et haec eadem usurpare
Corpora prima, quod ex illis sunt omnia primis »,
I, 485-6 : « Sed quae sunt rerum primordia, nulla potest vis
stinguere ; nam solido vincunt ea corpore demum »,
I, 763-6 : « Denique quattuor ex rebus si cuncta creantur
Atque in eas rursum res omnia dissolvuntur,
Qui magis illa queunt rerum primordia dici
Quam contra res illorum retroque putari ? »,
II, 80-82 : « Si cessare putas rerum primordia posse
Cessandoque novos rerum progignere motus,
Avius a vera longe ratione vagaris »,
II, 132 : « Prima moventur enim per se primordia rerum »,
II, 916-8 : « Qui poterunt igitur rerum primordia dici
Et leti vitare vias, animalia cum sint,
Atque animalia <sint> mortalibus una eademque ? », etc.
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ciblé (diversus amor) procure de la fatigue (fatigat). Ainsi ni la construction de demeures
splendides (Hic sibi conspicuas ex marmore construit aedes), ni l’agriculture printanière
(Alter amat culti foecunda novalia ruris), ni le commerce maritime (Velivoloque mari merces
committit, et auget) ne sont, selon le poète, des intérêts dignes d’une application ablsolue. Ce
sont certes des occupations qui revendiquent certains soins, mais la preuve de ce qu’elles ne
remplissent pas le cœur des mortels d’une manière absolue et ciblée, c’est qu’elles le
fatiguent. Le poète les concède aux mortels, mais s’en moque légèrement, en prenant la place
de Janus (Haec tacito secum ridet dum pectore Ianus). Selon celui-ci, que ce soit le dieu
Janus, dieu aux deux visages, dieu du changement et du renouveau, ou Janus Corycius – pour
l’instant on ne le sait pas encore –, aucune occupation ne saurait être plus adaptée aux mortels
malheureux que d’honorer les Dieux et de tourner l’esprit vers le ciel (!il proprium magis
esse ratus mortalibus aegris309 / Quam coluisse Deos coeloque advertere mentes). Si un doute
au sujet de la nature de Janus pouvait subsister, le voilà levé : il s’agit bien d’un homme (vir),
mais d’un homme digne du spectacle divin qui sera décrit dans les vers 89 à 101. En effet, la
piété religieuse personnifiée (Relligio) se présente à Janus (Astitit ante virum) et, telle que luimême l’aperçoit, le lecteur l’aperçoit à travers la description de ses attributs : son origine dans
les hauteurs (veniens e sedibus altis), ses vêtements blancs comme la neige (nivei colores), sa
longue étole (stola longa), sa simplicité (simplicitas), son expression honnête (honestus
vultus) mêlée de frayeur (mixtus terrore), ses cheveux sacrés retenus en un nœud par une
bandelette (In nodum […] sacros cogebat vitta capillos). En entendant ces caractéristiques, on
croirait volontiers qu’une divinité romaine ou grecque est décrite. De même, le discours
qu’elle prononce ressemble à la prosopopée d’une divinité antique, apparaissant à l’élu dans
une vision ou un songe. Ici, évidemment, face à l’apparition de la relligio, Janus est
pleinement éveillé et conscient de la présence divine.
La fonction de ce discours dans le poème 388 est double : le poète cherche à ancrer le projet
de Corycius dans la volonté divine, à en faire une authentique œuvre divine qu’il n’a pas le
droit de retarder davantage, car elle est réclamée par les divinités (En propera Superis
praestarem quod olim / Concepisti animo, sanum nec causa moretur / Consilium). Si le projet
est donc bien issu d’un esprit humain, celui-ci ne doit ni craindre l’incertitude des heures à
309
Cf. Virgile, Enéide, II, 265-269 :
« Invadunt urbem somno vinoque sepultam ;
Caeduntur vigiles, portisque patentibus omnis
Accipiunt socios atque agmina conscia iungunt.
Tempus erat, quo prima quies mortalibus aegris
Incipit et dono divom gratissima serpit. »
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153
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venir, ni éviter cet avenir (dubiis nec te venientibus horis / !ec tua fata dabis), à moins qu’il
ne veuille laisser passer le moment favorable par manque d’orgueil (dubium si crastina vobis /
Fulserit in roseis rediens Aurora quadrigis310 / Et te nulla movet venturae gloria famae).
Alors que Corycius, dans son for intérieur, ne veut pas encore se plier aux circonstances, la
relligio lui ordonne de dévoiler les statues créées mentalement et d’en gratifier les divinités
(Da Superis quas nunc video sub pectore factas, / Iane, tuo statuas).
Aussitôt l’apparition disparue (subitoque reliquit / Lumina Corycii), Corycius, en homme de
foi digne d’une telle présence, est profondément ému (et pectus concussit amore / Divino), se
met au travail, se réjouit d’un souci bienheureux (Iam nulla quies, iam corda fatigat / Cura
beata viri), et en est comblé nuit et jour. L’œuvre elle-même, semée en terre fertile, semble
pressée à voir le jour (conceptum nocte dieque Urget opus), et même un intéressé – ce qui est
bien le cas pour Silvanus –, est ébahi par la rapidité avec laquelle créateur et sculpteur sont à
l’ouvrage (Hinc est quod vix coepisse putaram / Artificem, cum staret opus. !il ocius unquam
/ Prodiit in lucem). Le rythme même des vers semble s’accélérer, la rapidité rend le travail
encore plus étonnant et le poète doit recourir à une comparaison des poèmes aux rochers
métamorphosés en hommes311 et les dents des dragons transformées en soldats312 (vers 107 à
310
Cf. Virgile, Enéide, VI, 535-539 :
« Hac vice sermonum roseis Aurora quadrigis
Iam medium aetherio cursu traiecerat axem ;
Et fors omne datum traherent per talia tempus,
Sed comes admonuit breviterque adfata Sibylla est :
‘Nox ruit, Aenea ; nos fando ducimus horas. »
311
Cf. la description très détaillée et précise d’Ovide, Métamorphoses, I, 395-415 : Deucalion et Pyrrha :
« Coniugis augurio quamquam Titania mota est,
Spes tamen in dubio est : adeo caelestibus ambo
Diffidunt monitis. Sed quid temptare nocebit ?
Discedunt velantque caput tunicasque recingunt
Et iussos lapides sua post vestigia mittunt.
Saxa (quis hoc credat, nisi sit pro teste vetustas ?)
Ponere duritiem coepere suumque rigorem
Mollirique mora mollitaque ducere formam.
Mox ubi creverunt naturaque mitior illis
Contigit, ut quaedam, sic non manifesta videri
Forma potest hominis, sed, uti de marmore coepta,
Non exacta satis rudibusque simillima signis.
Quae tamen ex illis aliquo pars umida suco
Et terrena fuit, versa est in corporis usum ;
Quod solidum est flectique nequit, mutatur in ossa ;
Quae modo vena fuit, sub eodem nomine mansit ;
Inque brevi spatio superorum numine saxa
Missa viri manibus faciem traxere virorum,
Et de femineo reparata est femina iactu.
Inde genus durum sumus experiensque laborum
Et documenta damus, qua simus origine nati. »
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154
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110). Alors que la matière elle-même devrait sembler non pétrissable plutôt que facilement
maniable – il s’agit de marbre –, les comparaisons montrent que le cœur et l’esprit de
Corycius sont comme une terre fertile et prolifique, apte à faire naître une semence nouvelle,
non seulement utile aux hommes – et on doit penser à la comparaison des dents transformés
en soldats –, mais aussi agréable pour les divinités, car l’homme s’occupe ici d’une gloire qui
dépasse le seuil de vie et les objectifs des mortels et sert, au contraire, les dieux.
Toutefois, le mérite de Corycius ne s’arrête pas avec la conception et la réalisation des
statues : un autel fait preuve d’une piété constante et qui est considérée comme éternelle
(AeternAm erexit et ArAm, / Assiduos ArAe pAriterque indixit honores) grâce à la répétition
solennelle des cérémonies. Suivent alors une critique virulente des cérémonies religieuses des
Anciens (vers 114 à 121) et un éloge de la grandeur suprême de Dieu (vers 122 à 140), qui
constituent, pour ainsi dire, le climax du poème. En effet, on pourrait, terme à terme, opposer
les pratiques des Anciens à celles des contemporains – chrétiens, cela va sans dire.
Contrairement aux honneurs pratiqués par « la Vieillesse à l’esprit insensé » (!on Velut
excolVit Vesana mente Vetustas), honneurs voués à des représentations risibles et inhumaines
par le sang des victimes, les honneurs pratiqués par les contemporains sont caractérisés
d’« assidus » (assidui honores), et établis pour de bon (indixit). De même, chez les Anciens,
le réchauffement de l’autel n’est pas dû aux soins des hommes mais au feu par lequel on brûle
les victimes (figmenta […] quorum ara caldebat / Interitu pecudum), afin d’apaiser des
divinités qui n’en sont pas, selon le poète. Non seulement les sacrifices lui semblent
Mentionnons, par ailleurs, un poème parmi de nombreux autres des Coryciana, qui recourt à la même
comparaison entre création artistique et métamorphose de rochers en hommes, à savoir le poème 117 de
Giovanni Baptista Sanga, Coryciana, éd. IJsewijn, p. 117 :
« Mirere ex saxis hominum genus esse renatum ?
Ex saxis fecit Sansovinus Superos ».
312
Cf. la description chez Ovide, Métamorphoses, III, 99-114 : Cadmus :
« Ille diu pavidus pariter cum mente colorem
Perdiderat, gelidoque comae terrore rigebant ;
Ecce viri fautrix supera delapsa per auras
Pallas adest motaeque iubet supponere terrae
Vipereos dentes, populi incrementa futuri.
Paret et, ut presso sulcum patefecit aratro,
Spargit humi iussos, mortalia semina, dentes.
Inde (fide maius) glaebae coepere moveri,
Primaque de sulcis acies apparuit hastae,
Tegmina mox capitum picto nutantia cono,
Mox umeris pectusque onerataque bracchia telis
Exsistunt, crescitque seges clipeata virorum.
Sic, ubi tolluntur festis aulaea theatris,
Surgere signa solent primumque ostendere vultus,
Cetera paulatim, placidoque educta tenore
Tota patent imoque pedes in margine ponunt ».
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155
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rejetables, mais aussi le faste superflu par lequel on honorait Jupiter à un jour déterminé de
l’année (!ec iuvat, ut quondam magno coluere paratu / !umen inane Iovis, lustro redeunte
citato), ainsi que les combats sportifs qui étaient censés plaire aux dieux mais qui, pour le
poète, sont des spectacles indignes des immortels (Cum multo iuvenes conspersi pulvere
corpus, / Maximo Olympiacam peterent sudore coronam). Tout, même les Jeux Olympiques,
jadis réputés dans l’ensemble du monde antique, ne semblent avoir comme objectif que le
plaisir charnel et sensuel des divinités – on peut en effet relever des termes et expressions qui
renvoient à des choses concrètes, comme « images » (figmenta), « acanthe » (acanthus)313,
« avec grand luxe » (magno paratu) et « avec beaucoup de sueur / d’effort » (maximo sudore),
« par le sang de taureaux » (taurorum sanguine) –, alors que, pour Dieu, seule une foi
intérieure, immatérielle, saurait amener le croyant à une vénération digne de Lui. La présence
réelle, puissante et significative du « véritable Père des Dieux » (verus / Ille Deûm genitor),
« créateur du monde terrestre » (terraeque polique repertor) s’est manifestée pour des raisons
bien plus importantes et à travers des pratiques bien moins inhumaines que le versement du
sang de taureaux (Hic neque placatur taurorum sanguine). C’est le rachat de l’humanité par
Jésus Christ (Qui genus humanum crudeli morte redemit), l’ouverture du ciel, pour ainsi dire,
qui a permis à celle-ci d’entrevoir l’Olympe, au lieu de se retrouver aux bords du Styx
(Addictum Stygiis genitoris crimine primi / Suppliciis, nobisque viam patefecit Olympo). Le
mélange de termes de la mythologie grecque et de la religion chrétienne peut étonner, mais on
doit toujours penser au fait que la littérature des Anciens, tout en étant critiquée et parfois
mise en doute en ce qui concerne sa véracité, ne cesse pourtant pas d’étoffer la littérature de
l’époque, même la littérature d’inspiration chrétienne, et de constituer pour les lettrés des
mines de comparaisons et d’images familières. Il va toutefois sans dire que le Dieu chrétien
est attiré par un spectacle d’une tout autre nature que Jupiter : « par aucun massacre » (ulla
caede), mais « honoré par un culte supérieur » (meliore cultus honore), « par des sacrifices
innocents » (innocuis sacris), qu’il peut être délogé de son siège en hauteur : seule « la piété
authentique et constante, exprimée à travers des cérémonies sacrées approuvées » (certa fides
colitur, ritusque sacrorum integer) est certaine et digne de Dieu, Lui-même certain, et par Qui
l’essence divine s’incarnait pour apporter bonheur et admiration non seulement à l’aïeule de la
chaste Mère, mais à la race humaine entière (vers 130 à 138).
313
Il semble y avoir ici une faute typographique dans l’édition d’IJsewijn, car on lit au vers 116 « achanto ».
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156
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Le vide des cérémonies antiques s’oppose ainsi à la plénitude de la représentation sur Terre de
Dieu par le Christ. La poussière des combats et le jeune âge des combattants – trop ambitieux
–, s’opposent à la chasteté de la Vierge et à sa décence royale (regum de sanguine creta /
Virtus, decus coeli, palmosae gloria Idumes, !ulli tacta viro). A l’occasion restreinte des Jeux
Olympiques voués à Jupiter s’oppose l’étendue sans fin créée par Dieu, admirable à tout
moment de l’année (Ille / Invenit quodcunque patet, cui machina mundi / Servit et ipse polus,
tellus, mare, Tartara, pontus).
L’éloge de la Trinité devient éloge de l’ensemble de la Terre314, à travers l’Enfant, la Vierge
et l’Aïeule. Le numen ne saurait être plus imposant, la pureté est désormais personnifiée, et
l’humanité est comme submergée par la divinité qui contrôle la fabrique de l’univers.
Suite à cet éloge passionnant de la grandeur de Dieu, Silvanus passe à un épilogue de quatre
vers (141 à 145). Si Corycius doit certes son existence au Créateur, son exploit doit pourtant
être récompensé. En effet, c’est lui qui dédiait les statues aux divinités dans l’Eglise des
Augustins, pour que les hommes pieux puissent s’y réunir pour la prière et la cérémonie
solennelle, et c’est à travers ses bienfaits que l’Eglise jouit d’un honneur particulier (templo
[…] quod sumit honorem / Inde suum, veluti Phoebe de lumine Phoebi). La comparaison avec
Phébé et Phébus suggère que Corycius, tout comme le plus grand astre luisant, entraîne dans
sa luminosité les étoiles qui l’entourent et dont la lune fait partie, éclaircie par le soleil sans
posséder de source lumineuse propre. A travers cette comparaison, le poète semble vivement
remercier Corycius de la clarté qu’il apporte à son entourage. Celui-ci, comme dans un
système solaire, vit par l’énergie de son centre de gravitation. C’est ainsi également que, en
tant que conséquence logique (Inde … Inde), la gloire de Corycius sera répandue, garantie et
éternisée par les rayons que lui-même fait émaner de son cœur élogieux.
314
Le poète semble presque vouloir impressionner le lecteur par tous les termes renvoyant à l’intégrité, la piété
et la pureté, la chasteté et la convenance (certa fides, ritus sacrorum integer, certus Deus, virginitatis honor,
virgo creta de regum sanguine, decus coeli, palmosae gloria Idumes, nulli viro tacta, virginei sinus, pudicis
viceribus, natum ingentem), qui, dès lors, ne sauraient engendrer autre chose que le bonheur – insoupçonné, il est
vrai –, de tous sur l’ensemble de la Terre (virgo stupefacta, !epote quo felix Anna, felix hominum genus,
inventor « omnium », cui machina mundi servit, polus, tellus, mare, Tartara, pontus).
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157
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Pour conclure ce commentaire, disons que le début du poème se veut extrêmement marquant.
Contrairement aux parties centrales qui répètent – non sans charme –, les mêmes thèmes, les
premiers vers sont d’une grande force poétique. Ensuite, le poète guide le lecteur à travers une
journée en présence de Corycius, non sans le priver du récit de l’origine de cette journée, de la
conception et de la création des statues et des louanges. Certes, l’insistance sur la foi du
mécène, le focus constant sur la piété de l’homme et les mentions réitérées de la faveur divine
accordée au mortel, peuvent sembler répétitifs, mais le point culminant du poème reste l’éloge
du monde contemporain, surpassant celui des Anciens sur tous les plans : religieux, artistique,
littéraire et humain, ne serait-ce qu’en la personne de Corycius. Dans cette optique binaire du
monde, le poète brille notamment par les comparaisons qu’il utilise. Si le début du poème
propose au lecteur une comparaison entre les Anciens et les contemporains, à la fin, en
revanche, celui-ci assiste à une tentative de comparaison entre mortels et immortels, entre la
piété de Corycius envers Dieu et les Saints et la piété des Anciens envers les divinités
romaines. Le passage d’une comparaison à l’autre est assuré par celle qui rapproche les forces
de la nature et l’œuvre poétique et artistique, révélant ainsi les talents du poète.
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158
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II. 2. c. Le poème 398
II. 2. c. 1. Texte et traduction
398
398
C. Silvanus Germanicus
Caius Sylvanus Germanicus
in Annales Corycianos
aux Annales de Corycius
Anni curriculo perenniore
Avec le cycle éternel de l’année
Annae iam rediit dies dicatus,
Revint déjà le jour voué à Anne,
Quo Phoebea cohors, pii poetae
Où la cohorte de Phébus, de pieux poètes
Diversum vario calore carmen
Par une ardeur variée font entendre un chant diversifié
5 Edunt et populo exhibent legendum,
5 et le donnent à lire au peuple,
Qua divae Corytus locavit aram,
Jour où Corycius érigea l’autel de la Sainte,
Atque arae statuas politiores
et, par un acte solennel favorable, ajouta
Eventu imposuit secundiore.
à l’autel des statues très raffinées.
Sed iam rite Deae sacris peractis,
Mais déjà selon l’usage les messes de la Sainte achevées,
10 Traiani spacium Fori petamus,
10 Dirigeons-nous vers le vaste Forum de Trajan,
Postes hic ubi Corytus recludit,
Où Corycius renferme ses portes,
Ornatus hedera sequaciore,
Ornées du lierre abondant,
Et myrto Idalios olente odores,
Et de myrte sentant les parfums de Vénus,
Intertexta humilis coma genistae,
L’humble chevelure entretissée de genêt,
15 Et lauru pariter virentiore,
15 Et, de même, du laurier verdoyant,
Invitatque viros disertiores
Et il invite les hommes très éloquents
Ut sumant patulis dapes sub umbris.
A prendre des mets sous les ombres étalées.
Felix turba coit peritiorum,
Une foule heureuse d’hommes connaisseurs se réunit,
Et docta serit allocutione
Et, dans un docte discours, prononce
20 Sermones lepidos et elegantes.
20 D’élégantes paroles agréables.
Longa stant serie cibis onustae
Les tables, chargées par des mets abondants, se dressent
Mensae, dumque sitim aridam Lyaeo,
Et pendant qu’on calme une soif aride par Bacchus,
Sed victo prius Albulae liquore,
auparavant dompté par l’eau de la source Albula,
Compescunt, Cerere et famem coercent,
Et qu’on apaise la faim par Cérès,
25 Se non inferiora quisque narrant.
25 Tous racontent des choses importantes.
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159
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Illinc sacra cohors chori perennis
C’est de là-bas qu’on entend la cohorte sacrée du chœur
Ad lyram numeros canit suaves,
annuel
Quos nec fulmina nec dies futuri
Chanter des vers exquis accompagnés de la lyre,
Absument carie vetustiore.
Que ni les foudres ni les jours à venir
Ne dépouilleront par l’âge qui fait vieillir.
30 Hic ultra ingenio globos Olympi
30 L’un, avancé au-delà des sphères de l’Olympe
Progressus, retegit sacros libellos,
par son talent, dévoile les livres sacrés
Et causas aperit, quid auctor orbis
Et révèle au grand jour les causes, quelle chose l’auteur de
Humana voluit tegi figura.
la terre
Alter sidereos refert recursus,
Voulut cachée au regard humain.
35 Quo vertiginis obviat rotatu
L’autre commente les cycles des astres
Noctis luna decus tenebricosae
35 Par quel mouvement de rotation la lune
Phoebeis radiis, ut igne semper
Rencontre la beauté crépusculaire qu’émettent
Fraterno niteat, quibus laboret
Les rayons de Phébus, de sorte qu’elle brille toujours du feu
Defectu spaciis, quibusve signis
Fraternel, par quelles étendues elle se fraye un chemin
40 Portendat pluviam aut serenitatem,
A sa disparition, ou par quelles constellations
Aut ventos per inane saevientes.
40 Elle prédit la pluie, ou le temps serein,
Ou les vents qui se déchaînent à travers le vide.
Hinc pensatur humi tenor iacentis,
Ensuite on pense au cours de la terre étendue,
Quantis oppida terminis recedant,
A quelles distances les villes s’écartent,
Quantus circuitus soli salique.
Quel grand pourtour ont la terre et la mer.
45 Naturae abdita funditus revellunt ;
45 Les choses enfouies de la nature apparaissent à la
De rerum ordine disserunt vicissim
surface ;
Docte, Iuppiter, et simul diserte.
C’est de l’ordre des choses qu’ils discutent tour à tour,
Hospes interea hinc et inde felix
Savamment, Jupiter, et en même temps avec éloquence.
Mensas Corycius frequentat omnes
Entretemps l’heureux hôte, Corycius, de-ci de-là
50 Et larga pateris manu Lyaeum
Passe entre toutes les tables
Propinat, lepidos ciens cachinnos.
50 Et de sa main généreuse offre et verse le vin par coupes,
Provoquant des rires agréables.
Sol, qui praecipites agis quadrigas
Ô Soleil, qui mènes les quadriges impétueux
In mundi medio, impetusque coeli
Au milieu du firmament et qui domines les mouvements de
Adversos superas potente nisu,
rotation
55 Omnem et Signiferum annuo meatu
Opposés du ciel d’un effort puissant,
Donec circuis, igneosque luci
55 Pendant qu’enfin tu fais tourner la voûte étoilée
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160
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Motu praerapido adiicis calores
Dans une course éternelle, et ajoutes des chaleurs brûlantes
- Omnes inde fluunt dies et anni,
Au mouvement très rapide de la lumière
Et rerum pariter perennis ordo –,
- De là s’écoulent jours et années, tous,
60 Dic siquando parem virûm coronam
Et, de même, l’ordre éternel des choses -,
Vidisti, aut epulas celebriores.
60 Dis si un jour tu as vu fleur d’hommes pareille
Ou des festivités plus brillantes.
Hic consessus habet Deos sodales,
Cette réunion-ci a les dieux comme convives
Quod nunc credere forsitan recusas.
Ce que tu refuses peut-être maintenant de croire.
Cum primum attigeris Laris calentis
Dès que tu auras touché l’extrémité
Extremum spacium tui Leonis
65 De ton foyer brûlant, du Lion,
Ac confinia Virginis subibis,
Et que tu iras sous les confins de la Vierge,
Primo a limine nulla te reversum
Dès le seuil, toi qui es retourné, aucune Astrée ne te
Astraea excipiet, comes futura
recevra,
Per metas propriae domus, quousque
Compagne future à travers les extrémités de ta propre
70 Librae possideas bilancis oras,
demeure
Claram lampada temperans, daturus
70 Jusqu’à ce que tu occupes les bords de la Balance
Aequas noctibus et diebus horas,
franche,
Ne longo invideat sopor labori.
Distribuant une lumière claire équilibrée, sur le point
d’accorder
Des heures égales aux nuits et aux jours,
Pour que le repos ne le cède en rien aux longues heures de
labeur.
Sedem deseruit poli nitentem,
Elle a quitté le siège céleste illustre, et, qui plus est,
75 Conventusque hominum frequentat ultro,
75 se rend auprès de l’assemblée des hommes
Et domos habitat Corycianas.
Et habite les demeures coryciennes.
Causam posthabiti poli requiris ?
Tu demandes la raison du pôle délaissé ?
Abstruso ut chalybem attrahit vigore
De même que l’aimant attire l’acier d’une force
Magnes, sic studium genusque vitae
Obscure, de même tous cherchent à imiter le goût
80 Omnes principis aemulantur alti.
80 Et le style de vie du pape.
Divino Hadrianus favore Sextus
Par une faveur divine Adrien VI
Terrarum imperii regens habenas,
Tenant les rênes de l’empire de la terre
Fulvo saecula tranfigurat auro.
Transforme les siècles d’or fauve.
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161
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Mira mole deis struuntur aedes,
Les temples pour les dieux se dressent, énormes,
85 Quas centum et totidem ferent columnae,
85 et cent et cent colonnes les porteront,
Nec sat esse putat novare templa
Et il pense que rénover les temples par un luxe royal
Sumptu regifico et labore grandi,
Et un ouvrage sublime n’est pas suffisant :
Sincerum revocat Deorum honorem.
Il rappelle la vénération sincère des dieux.
Legum nulla potest severitatem
Aucun trésor ne peut vaincre la sévérité des lois,
90 Arca vincere, nec favor genusve
90 Ni la faveur ni le statut fléchir les droits,
Iura flectere, sed pari statera
Mais d’une balance égale est suspendue
Pendet iustitiae fides utrinque.
De part et d’autre la loyauté envers la justice.
Tempus postulat in suas rotunda
Le moment réclame pour ses louanges les bouches
Laudes ora virûm, o meae Camoenae !
Harmonieuses des hommes, ô Muses !
95 Turbae cedite flagito eloquenti.
95 Cédez, je vous le demande, à la foule éloquente.
De magnis satius nihil referre,
Des grands, il vaut mieux ne rien dire
Quam vel pauca loqui, vel indiserte.
Que dire peu ou de façon maladroite.
Virtute Hadrianus vices Tonantis
De même que par la seule vertu Hadrien a mérité
Ut sola meruit subire summi,
De prendre la place du très grand Jupiter Tonnant,
100 Sic iustum iubet excoli piumque,
100 De même il ordonne que le juste soit honoré, et le
Sic nil non tribuit viris probatis.
pieux,
De même il ne dénie rien aux hommes estimés.
Unus e numero mihi frequenti,
Un de ceux qui m’entourent,
Qui vestigia principis sequuntur,
Qui suivent les traces du pape,
Invitus licet audiet citandus.
Qu’il écoute, malgré lui, il faut l’appeler :
Huc, o huc, pater elegantiarum
105 Par ici, par ici, père des élégances,
Coryti, propius gradus referto,
Corycius, rapproche tes pas,
Divis cum nequeas bonis sacella,
Alors que tu ne peux pas donner aux bons dieux des
Das tamen statuas manu politas
sanctuaires,
Laudati artificis, quibus refertur
Tu donnes cependant des statues raffinées
110 Infans omnipotens redemptor orbis,
De la main d’un artiste célébré, grâce auxquelles sont
Castae et virgineus pudor parentis,
représentés
Atque Annae effigies senis verenda.
110 L’enfant tout puissant rédempteur de la Terre,
La pudeur maternelle de la chaste vierge,
Et l’image vénérable de l’aïeule Anne.
Aram, macte animo, insuper locasti,
Par ailleurs, allez, tu as placé un autel,
Et dotem pariter sacris dedisti.
Et tu donnas également aux saints une dot.
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115 Sis felix, Coryti, ac velut catervam
115 Puisses-tu être heureux, Corycius, et de la même
Et doctam colis et venustatem,
manière que tu honores une foule docte et élégante,
Ut Divis statuas locas et aras,
Et de la même manière que tu ériges pour les Saints des
Sic faxint Superi ut queas sacella
statues et des autels,
Et centum statuas locare et aras,
Ainsi plût aux dieux que tu puisses, comme des sanctuaires,
120 Ac mensis adhibere saepe vates.
A ta guise, dresser encore cent statues et autels,
120 Et souvent inviter les poètes à tes tables.
Si te, diva, movet Coryciana,
Si les Coryciana te touchent, ô Sainte,
Si vatum pietas peritiorum,
Si la piété de poètes experts te touche,
Da nostris precibus locum precamur,
Donne suite à nos prières, nous te le prions,
Conserva Hadrianum effeos parantem
Préserve Hadrien qui prépare de détruire
125 Turcas eruere, et tuo Nepoti
125 Les Turcs sauvages, et qui est impatient de rendre
Sacris reddere gestientem honores.
Les honneurs sacrés à ton neveu.
Ac tu, Phoebe, decus perenne mundi,
Et toi, Phébus, beauté éternelle de l’univers,
Lucem hanc perpetua serenitate
Tu ramèneras indéfiniment ce jour
Aeternum revehes, precatur omnis
D’une sérénité éternelle, toute la foule rare
130 Cohors rara virûm venustiorum.
130 D’hommes élégants te le prie.
Conde pestiferi mali sagittas,
Cache tes flèches du fléau fatal,
Et caram moneas simul Sororem,
et avertis en même temps ta chère Sœur,
Nervos ut validi remittat arcus,
Qu’elle relâche les liens de sa voûte solide,
Quo praesens valeat chorus quotannis,
Pour qu’ainsi le chœur annuel,
135 Status rite Deae sacris peractus,
135 Par des sacrifices fixés parfaits en l’honneur de la
Solennes Coryti dapes adire,
déesse, selon la coutume,
Et magnum Hadrianum referre cantu.
puisse aborder le banquet solennel de Corycius,
Et rapporter le grand Hadrien dans son chant.
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II. 2. c. 2. Commentaire
Dans son commentaire du poème 398315, IJsewijn suggère un rapprochement de l’ensemble
du poème à la Silve I, 6 de Stace, intitulée « Calendes de Décembre »316. Par ailleurs, notons
que les poèmes 395 à 399, donc des poèmes de Silvio Laurelio (395-396), de Girolamo Vida
(397), de Silvanus Germanicus (398) et de Fabio Vigil (399) ne sont conservés que dans
l’édition de 1524. Aucun des deux manuscrits principaux ne les a conservés317.
Le poème en question fait avant tout un éloge de la fête de Corycius et de l’excellence dont
celui-ci et ses amis-poètes font preuve en l’occasion. S’y ajoute un jeu d’ombre et de lumière
subtil, un échange entre clarté et obscurité, aussi bien réel que symbolique, qui passe de la
description du banquet, par le détail des thèmes de conversation des convives à un
rapprochement entre constellations astrales et rassemblements humains, sous le règne
d’Adrien VI.
C’est ainsi que le début du poème, et notamment les vers 1 à 25, décrivent la journée dédiée à
la Sainte à travers un triple focus : Sainte Anne, Corycius et les poètes. Avec les différents
« acteurs » aussitôt mentionnés, les trois thèmes du poème, la piété religieuse, la personnalité
du mécène et l’œuvre poétique des Coryciana, sont dès le début introduits et présentés. Le
lecteur a tout de suite l’impression que Corycius peut tout combiner et agencer de manière à
ce qu’une œuvre totale en résulte. Tout en renseignant le lecteur sur le caractère annuel de la
fête qui rassemble de doctes convives le même jour chaque année, les deux premiers vers
suggèrent une véritable incantation sonore : A!!i curriculo pere!!iore / A!!ae…, et
rapprochent « année » et « Anne », comme si l’un ne pouvait se passer de l’autre. De même,
315
Coryciana, éd. IJsewijn, 398, p. 334.
Cf. infra : Annexe 14 pour le texte latin. Notons que le poème de Stace, tout comme celui de Silvanus, est
rédigé en hendécasyllabes. Une analyse et une comparaison systématiques des deux œuvres ne feront pas partie
de ce travail de candidature. Signalons également que l’invocation du Soleil qui, à partir du vers 52, constituera
un passage important du poème, a été rapproché de l’invocation du Soleil d’Horace dans son Carmen Saeculare
(v. 52 ss.) par IJsewijn (« Poetry in a Roman Garden », in P. Godman and O. Murray (éd.), Latin Poetry and the
Classical Tradition. Essays in Medieval and Renaissance Literature, Oxford, 1990, pp. 221-222.). Une
comparaison entre le poème 398 et ces deux textes classiques s’avérera indispensable dans la suite de notre
projet de traduction commentée.
317
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 395, p. 327, note *: « Post carmen 394 in V vacant lineae septem folii 128r et
folium 128v (sed vide notam ad carmen 392 [Hoc carmen non legitur in C ; in V autem Fabius Vigil carmen
inseruit f. 128v, quod vacavit inter carmen 394 et epistulam Silvani ad Corycium, quae legitur f. 12. Titulum
indiderat ‘‘Epigramma, celebri Coryciano convivio sub. Hadr. Pont.’’, dein mutavit in titulum, quem et habet E
[i.e. In convivium celebre Corycianum sub Hadriano Pontifice]]). In C autem sequitur, ll. 3-4, titulus carminis :
‘‘Caii Silvani Germanici in aedes Coritianas / Sylva’’. Dein vacant folia septemdecim (133v-141v).
316
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165
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les sonorités de Iam redIIt dIes dIcatus font entendre un rythme quasi incantatoire, comme
pour initier le lecteur à la cérémonie ultérieure, tout en lui rappelant les vers virgiliens
« Iam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna,
Iam noua progenies caelo demittitur alto ». 318
L’idée du bienheureux retour de circonstances propices au développement de la culture est
aussitôt suggérée par ce renvoi aux Bucoliques. Il n’est donc pas étonnant de lire au vers
suivant que la « cohorte de Phébé » (Phoebae cohors) est une assemblée de « poètes pieux »
(Pii Poetae). Ici encore l’allitération du son [p] rappelle le rythme incantatoire de la
cérémonie et annonce celui que le son varié des poèmes produit (Diversum vario Calore
Carmen / Edunt Et populo Exhibent legendum). En commentant le poème 388, nous avons
déjà mentionné la diversité, surtout métrique, des poèmes, alors que le sujet lui-même
concerne toujours l’un, deux ou trois des trois thèmes principaux focus, à savoir Sainte Anne,
Corycius ou la poésie et les poètes. Tout en rappelant l’action d’« accrocher » les poèmes à la
stèle dédiée à Sainte Anne, les verbes (edunt et populo exhibent) utilisés par Silvanus
suggèrent sans doute qu’une édition est en préparation, d’autant plus si l’on se souvient de ce
que le poème en question se trouve uniquement dans l’édition de 1524, et a probablement été
écrit plus tard que d’autres. Après avoir présenté ce triple focus, l’auteur revient à l’occasion
de la journée même : l’installation et la consécration de l’autel dédié à Sainte Anne (divae
Corytus locavit aram), de même que la commande et la pose des statues (atque arae statuas
politiores / […] imposuit […]). Les deux actions sont dès leur commencement considérées
comme un « événement favorable » (eventu secundiore).
La suite du poème maintient le caractère processionnel et rythmé de la journée en question :
aussitôt la cérémonie terminée selon le déroulement rituel (Sed iam Rite Deae sacRis
peRactis), le groupe de poètes, au nombre duquel Silvanus se compte évidemment, et qui
implique également le lecteur, se dirige vers les jardins de l’hôte (Traiani spacium Fori
petamus / Postes hic ubi Corytus recludit), situés non loin du Forum de Trajan. Le rythme vif
est maintenu, nul repos ne semble encore accordé aux fidèles, et on a l’impression que les
vers progressent au pas de course, tout comme les invités eux-mêmes parcourent la ville sans
s’attarder au beau milieu d’une journée d’été. Après la procession vers l’autel suit la marche
vers les jardins où les convives trouveront le repos et la fraîcheur convoités.
318
Virgile, Bucoliques, IV, 6-7.
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166
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Aussi le poète ne tarde-t-il pas à évoquer l’athmosphère quasi édénique des jardins coryciens :
« lierre » (hedera), « myrte » (myrtus), « genêt » (genista) et « laurier » (laurus) accueillent
de leurs odeurs agréables (sequacior, Idalios olens odores) les convives, comme si ceux-ci se
trouvaient au milieu de la nature, et non pas au milieu de Rome319. Les sonorités suggèrent,
elles aussi, un enchantement certain (OrnatOs hedera sequaciOre / Et myrtO IdaliOs Olente
OdOres), de sorte que le cadre ne pourrait être plus convenable à l’organisation d’un banquet
champêtre (Invitatque viros disertiores / Ut sumant patulis dapes sub umbris). Celui-ci, par sa
situation même, rappelle non seulement des scènes bucoliques, rassemblant au beau milieu de
la nature amis et poètes, mais aussi la proximité de la nature du petit vieux de Cilicie évoqué
par Virgile. L’ombrage créé par les différents feuillages semble même attribuer un caractère
mystique, voire initiatique au rassemblement320, que les odeurs émises par le laurier, le myrte
et le genêt souligneraient. Le poète se doit dès lors de décrire une foule heureuse (Felix
turba), d’autant plus qu’elle ne s’adonne point à un loisir inutil, mais, composée d’hommes
connaisseurs (turba (…) peritiorum), rivalise à qui mieux, mieux, par ses conversations
remarquables (Et docta serit allocutione / Sermones lepidos et elegantes). Tout semble digne
d’éloge si l’on regarde de près les adjectifs élogieux que Silvanus utilise : la foule, le discours
et les paroles (turba, allocutio, sermones) sont bienheureux, experts, savants, doux et élégants
(felix, peritus, doctus, lepidus, elegans), de manière à faire de ce banquet un festin pour les
sens et l’intelligence. Or, non seulement les convives font preuve d’excellence, mais aussi
Corycius en personne, qui, généreux comme on le connaît, gâte ses invités de préparations
319
Rappelons la situation de la demeure et des jardins de Corycius en renvoyant le lecteur à l’annexe 4. Notons
également que le vocabulaire botanique utilisé ici, en rapport avec la chevelure du vieillard, semble faire
rérérence aux vers virgiliens précédant immédiatement la description du petit vieux Cilix au livre IV des
Géorgiques. Nous lisons ainsi chez Silvanus, aux vers 11 à 15 :
« Postes hic ubi Corytus recludit,
Ornatos hedera sequaciore,
Et myrto Idalios olente odores,
Intertexta humilis coma genistae,
Et lauru pariter virentiore, … », tandis que Virgile écrit aux vers 122 à 124 :
« […] nec sera comantem
Narcissum aut flexi tacuissem uimen acanthi,
Pallentesque hederas et amantes litora myrtos ».
L’acanthe, non mentionné dans le poème 398, l’est au poème 388, où Silvanus mentionne au vers 116 les odeurs
suscitées par l’acanthe brûlé sur les autels voués aux dieux des Anciens.
320
Cf. l’article détaillé de Phyllis Pray Bober, « The Coryciana and the Nymph Corycia », in Journal of the
Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 40 (1977), p. 228 : « […] it is the entire circle of initiates with their
classicizing romanticism, private wit and self-conscious humanist intellectuality which fires the imagination ; for
they surely considered themselves initiates in composite mysteries of St. Anne and the ‘verenda nympha’ who
was both genius of a grotto-fountain and Virgin bride ». Cette piste de l’initiation des amis-poètes de Corycius à
un culte complexe et quasi éclectique devra certainement être davantage creusée dans la suite de notre projet de
traduction commentée.
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167
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culinaires appétissantes : suit une description du banquet proprement dit. Silvanus longe du
regard les tables chargées de mets (Longa stant serie cibis onustae / Mensae) et apprécie
particulièrement la boisson fraîche, anticipée avec joie par les fidèles, fatigués par la
cérémonie matinale et la procession à travers Rome, voire exténués par la chaleur qu’un 26
juillet doit faire peser sur l’Italie, boisson qui accompagne à merveille les plats (dumque sitim
aridam Lyaeo, Sed victo prius Albulae liquore, / CompesCunt, Cerere et famem CoerCent).
Ni excès de nourriture, ni excès de boisson ne sauraient pourtant être reprochés aux convives :
ils boivent du vin allongé par de l’eau fraîche321 et ils ne mangent qu’à leur faim, car le but de
leur rassemblement est un autre : « Tous racontent des choses importantes » (Se non inferiora
quisque narrant). Si le sens de cette affirmation suggère déjà une occupation utile, la
formulation en litote (non inferiora) renforce encore l’impression du bien fondé des
discussions, dont, justement, le poète parlera davantage sous peu. Le fait que boisson et
nourriture soient évoquées par les noms des divinités semble davantage insister sur le côté
poétique du rassemblement plutôt que d’indiquer les actions de boire et de manger. A travers
la vitalité des propos ainsi que des esprits, Silvanus semble vouloir portraiter une société
moderne et intéressée, caractérisée par des occupations nouvelles et des échanges actuels.
Les vers 26 à 47 évoquent alors les discussions et échanges entre amis-poètes et décrivent les
différents sujets de conversation. Tous « celui-ci, un autre, ensuite [on] » (hic, alter, hinc)
tiennent des discours sensés : « la cohorte sacrée du chœur éternel » (saCra Cohors Chori
perenni) semble vouloir rivaliser avec le principe d’ordre et d’harmonie même, c’est-à-dire le
cosme (au sens d’unité organique et belle) dont les différents intervenants vont traiter. Face à
cet ordre « programmé » des choses à venir, et face aux événements dus au hasard, les paroles
des poètes sont « atemporelles » (numeri suaves / Quos nec Fulmina nec dies Futuri /
Absument carie vetustiore), et appelées à développer une gloire durable, contrairement aux
propos des Anciens. Aussi trouve-t-on dans les vers suivants (30 à 33) plusieurs mots qui se
321
Un des noms du dieu du vin, Lyaeus, est, par exemple, utilisé à côté de celui de Bacchus par Virgile,
Géorgiques, II, 229 :
« Nunc quo quamque modo possis cognoscere dicam.
Rara sit an supra morem si densa requires
(Altera frumentis quoniam fauet, altera Baccho,
Densa magis Cereri, rarissima quaeque Lyaeo) ? »,
et par Ovide (Amours II, 11, 49) et par Horace (Odes, I, 7, 22). Quant à la source Albula, il s’agit, selon IJsewijn,
de la source tiburtine, connue pour ces eaux salutaires. Entre autres auteurs antiques, Virgile en parle (Enéide,
VIII, 332). Pour ce qui est de la représentation du vin allégé par un dieu du vin vaincu ou dompté par l’eau,
citons également les vers 101 et 102 du livre IV des Géorgiques, où on lit :
« Dulcia mella premes, nec tantum dulcia quantum
Et liquida, et durum Bacchi domitura saporem ».
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168
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rapportent à la révélation et au dévoilement, et insistent sur le caractère innovant des poètes,
de leurs poèmes et de leurs sujets de discussion. En effet, le premier intervenant s’avance
« au-delà des sphères de l’Olympe » (ultra globos Olympi), « dévoile les livres sacrés »
(retegit sacros libellos) et « révèle au grand jour les causes [censées] être cachées » (aperit
causas quid […] tegi voluit), tandis qu’un autre « commente les cycles des astres » (sidereos
refert recursus). Les paroles des convives ne sont pas soumises au passage du temps pour la
simple raison qu’elles discutent le temps même, ses origines, ses causes et ses dimensions.
Jusqu’au vers 46, où Silvanus dit que « les choses enfouies de la nature apparaissent à la
surface ; / C’est de l’ordre des choses qu’ils discutent » (!aturae abdita funditus revellunt ; /
De rerum ordine disserunt), les discours portent sur l’origine et le principe du monde,
normalement cachés aux regards des mortels (causas […] quid austor orbis / Humana voluit
tegi figura), sur les cycles des astres (sidereos […] recursus), sur les mouvements de rotation
de la lune et du soleil (Quo vertiginis obviat rotatu / !octis luna […] Phoebeis radiis), sur la
portée des constellations à travers la lune (quibus[…] signis / Portendat pluviam aut
serenitatem, / Aut ventos) et la dimension des étendues de la terre et de la mer (humi tenor
iacentis, / Quantis oppida terminis recedant, / Quantus circuitus soli salique). Si ces données
renseignent déjà en elles-mêmes le lecteur moderne sur les conceptions physiques,
cosmologiques, météorologiques et géographiques de l’époque, il va sans dire qu’à travers
leur mise en vers, le côté poétique n’est pas non plus négligé par Silvanus. Celui-ci, par
l’intermédiaire de sa propre poésie, suggère que la verve poétique des convives de Corycius
était, elle aussi, non négligeable. Outre des passages remarquables (sideReos RefeRt
RecuRsus), où les sons imitent le sens du retour éternel, on trouve de belles images, faisant
vivre des tableaux et des scènes impressionnants, comme « la beauté crépusculaire
qu’émettent les rayons de Phébus » (decus tenebricosae / Phoebeis radiis), la lune qui « luit
toujours d’un feu fraternel » (igne semper / Fraterno enite[t]), alors que, sans cette aide, « à
sa disparition, elle se fraye un chemin à travers [des] étendues » (laboret / Defectu spaciis)322,
322
Mentionnons deux passages des Astronomiques de Manilius (livre III, vers 197-198 et livre IV, vers 841852), où ce dernier décrit le « pouvoir » de la Lune, et la relation fraternelle entre Phébé et Phébus, ainsi que la
croyance que, sans la lueur de son frère, la Lune abandonne également les constellations, qui disparaissent en
son absence :
« Consule tum Phoeben imitantem lumina fratris
Semper et in proprio regnantem tempore noctis » et
« Causa patet, quod, Luna, quibus defecit in astris
Orba sui fratris noctisque immersa tenebris,
Cum medius Phoebi radios intercipit orbis
Nec trahit assuetum quo fulget Delia lumen,
Haec quoque signa suo pariter cum sidere languent
Incurvata simul solitoque exempta vigori
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et enfin les vents annoncés par la lune comme « se déchaînant à travers le vide » (inane
saevientes). Ces passages dévoilent d’un côté le caractère chétif de l’homme qui décrit cet
ordre cosmique, mais témoignent également de la fascination qu’il a pour ce dernier, et dont il
sait se servir pour donner du sens à sa propre – petite – vie. On peut ici rappeler que déjà le
poème 388 témoignait de l’intérêt certain de Silvanus pour la nature, que l’on retrouvait
notamment dans les nombreux rapprochements des actions humaines aux événements
naturels. On y avait en effet repéré des comparaisons entre les sources et les vers des poètes,
entre les vents et l’inspiration et la gloire poétiques qui, parfois, gonflent les voiles des poètes,
parfois, les immobilisent au milieu du grand large323.
Néanmoins, la conclusion de cette première partie des discours est évidente : de même que le
monde est organisé et réparti selon un ordre défini – qui fait sa beauté, étant donné que
cosmos signifie le bon ordre, le bel agencement –, de même les poètes ne parlent pas pêlemêle, mais se succèdent tour à tour, comme le soleil, du point de vue humain, succède à la
lune et vice-versa – pour prendre encore une comparaison du même domaine. Silvanus insiste
sur ce caractère à la fois ordonné, savant et éloquent des poètes quand il affirme « C’est de
l’ordre des choses qu’ils discutent, tour à tour, / Savamment, […] et en même temps avec
éloquence » (De rerum ordine disserunt vicissim / Docte, […] et simul diserte), et c’est pour
cette raison qu’il n’hésite pas à prendre le père des Dieux (Jupiter) à témoin.
A cette première tournée de discussion, si on peut le dire ainsi, succède une pause, consacrée
à des rafraîchissements et des plaisanteries offerts et proférées par l’hôte. C’est du moins
l’impression que l’on peut avoir quand on lit les vers 48 à 51, alors que, malgré l’utilisation de
« entretemps » (interea), le lecteur, au lieu de penser à une interruption véritable des discours,
a tendance à simplement suivre le regard de Silvanus, se détachant des poètes engagés dans
leurs conversations, pour se tourner du côté de plaisirs plus légers, notamment le vin et les
rires dont l’hôte égaie ses convives (Hospes interea hinc et inde felix / Mensas Corycius
frequentat omnes / Et larga pateris manu Lyaeum / Propinat, lepidos ciens cachinnos). Les
rires provoqués par l’hôte (Ciens CaChinnos) semblent naître de l’agrément créé par les
Et velut elatam Phoeben in funere lugent.
Ipsa docet titulo se causa : ecliptica signa
Dixere antiqui. Pariter sed bina laborant,
Nec vicina loco sed quae contraria fulgent,
Sicut Luna suo tum tantum deficit orbe
Cum Phoebum adversis currentem non videt astris ».
323
Cf. Coryciana, éd IJsewijn, 388, vv. 36-54, p. 294, et infra : II. 2. b. 2. Commentaire (du poème 388)
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discours des convives et par la générosité de l’hôte qui verse du vin en abondance (lArgA
pAteris mAnu LyAeum) et, notons-le, le vin ne semble alors plus mélangé à de l’eau fraîche.
Suit alors, aux vers 52 à 61 (et même jusqu’au vers 80), une invocation au Soleil comme à la
source de la lumière du jour et du monde, que le poète prend à témoin pour relever la dignité
de l’assemblée. Visible à tous et présent « au milieu du firmament » (In medio mundi), le
Soleil semble chaque jour à nouveau affronter et surpasser tout obstacle d’un effort puissant
(Sol, qui praecipiteS agiS quadrigaS / […] impetuSque coeli / AdverSoS SuperaS potente
niSu), faire se succéder les cycles stellaires dans les hauteurs tout comme la lumière et la
chaleur sur terre (Omnem et Signiferum annuo meatu / Donec circuis, igneosque luci / Motu
praerapido adiicis calores) et – ce qui est encore très caractéristique d’une conception antique
du monde –, être l’auteur même de l’évolution (Omnes inde fluunt dies et anni, / Et rerum
pariter perennis ordo)324. Faut-il penser que Dieu est à l’origine de Tout – rappelons les vers
138 à 140 du poème 388 : Ille / Invenit quodcunque patet, cui machina mundi / Servit et ipse
polus, tellus, mare Tartara, pontus –, et que le Soleil est une sorte de principe moteur qui, à
travers la chaleur qu’il émet, met en mouvement ce que Dieu a créé ? Nous ne savons – pour
l’instant –, y répondre, mais il nous semble qu’une double allusion n’est pas exclue : d’un
côté, le poète ferait ainsi appel à la piété des lecteurs, de l’autre côté, il leur rappelle non
seulement les connaissances des Anciens, mais également les découvertes des contemporains
au sujet de la physique et de la cosmologie. Lui-même, en tant que poète, mentionne
certainement aussi le Soleil comme source de mouvement, car Apollon reste le patron des
Muses, elles-mêmes patronnes de l’inspiration poétique. En l’occurrence, cette inspiration
semble parfaite, puisque Silvanus demande au Soleil « si un jour [celui-ci a] déjà vu fleur
d’hommes pareille ou des festivités plus brillantes » (siquando parem virûm coronam /
vid[it], aut epulas celebriores). Il nous semble important d’ajouter que le poète, quand il parle
des obstacles que le soleil doit affronter quotidiennement, ainsi que des successions stellaires
rapides qu’il provoque, fait également allusion au sort du poète, et même des poètes, à Rome,
à l’époque. Il leur faut, à eux aussi, faire preuve tous les jours de leur talent afin d’être
reconnus, et revendiquer leur position dans la société culturelle afin de mener une vie tant soit
peu digne de leurs œuvres. C’est à l’image de la Cour pontificale qu’on peut alors penser :
comparée au pôle lumineux du Soleil et représentée par Corycius, elle attirait par son éclat
poètes et lettrés, tout comme le soleil fait vivre les planètes de son système.
324
On peut se demander si le verbe « fluunt » ne fait pas appel à la conception héraclitéenne du monde, inspirée
du principe « pánta rhéi ».
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171
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Notons que, déjà au vers 26, le poète avait mentionné « la cohorte sacrée du chœur éternel »
(sacra cohors chori perennis). En décrivant maintenant davantage cette assemblée conviviale
réunie autour d’un membre de la Cour (aux vers 62 à 80), Silvanus suggère-t-il tel quel un
rassemblement céleste, stellaire et, pour ainsi dire divin ?325 La réponse semble bien
affirmative, car la réunion est proprement splendide: « cette réunion-ci a les dieux comme
convives » (Hic consessus habet Deos sodales), même si le Soleil, à qui le poète s’adresse
toujours, peut paraître sceptique (Quod nunc credere forsitan recusas), en raison de sa propre
splendeur. Or, Silvanus poursuit le parcours du Soleil pour illustrer son propos et envisage le
moment où le soleil passe de la constellation estivale du Lion (du 23 juillet au 22 août) dans
celle de la Vierge (24 août au 22 septembre) (Cum primum attigeris Laris calentis / Extremum
spacium tui Leonis / Ac confinia Virginis subibis), laps de temps qui inclut donc – et c’est
justement où le poète veut en venir –, le jour de la fête de Sainte Anne, le 26 juillet.
Cependant, au moment où le soleil y arrive, aucune Astrée, assimilée à la Vierge et à la
Balance (31 octobre au 22 novembre) ne l’accueille (Primo a limine nulla te reversum /
Astraea excipiet)326. Suit alors une description de la constellation de l’Astrée, que le soleil a
comme compagne quand il traverse « sa » partie du ciel, c’est-à-dire une partie intermédiaire
entre la Vierge et la Balance (Comes futura / Per metas propriae domus), jusqu’à ce qu’il
entre vraiment dans la constellation de la Balance, juste et équitable dans sa répartition des
jours et des nuits (quousque / Librae possideas bilancis oras, / Claram lampada temperans,
daturus / Aequas noctibus et diebus horas, / !e longo invideat sopor labori). Cette mention
de l’Astrée, combinée à l’évocation du retour de la Vierge et d’un équilibre juste, voire d’une
325
Faut-il ici, après Héraclite, penser à la conception pythagoricienne de l’harmonie des sphères, que les poètes
semblent non seulement discuter mais aussi imiter ?
326
Astrée est, traditionnellement, non seulement assimilée à la constellation de la Vierge en raison de sa pureté
chaste et durable envers les mortels, mais aussi à la constellation de la Balance, en raison de la justice qui la
caractérise. Cf. (i. e.) Ovide, Métamorphoses, I, 141- 150 :
« Iamque nocens ferrum ferroque nocentius aurum
Prodierat, prodit bellum, quod pugnat utroque,
Sanguineaque manu crepitantia concutit arma.
Vivitur ex rapto : non hospes ab hospite tutus,
Non socer a genero, fratrum quoque gratia rara est.
Inminet exitio vir coniugis, illa mariti ;
Lurida terribiles miscent aconita novercae ;
Filius ante diem patrios inquirit in annos.
Victa iacet pietas, et Virgo caede madentes,
Ultima caelestum, terras Astraea reliquit. »
ou Stace, Silves, I, 4, 1-4 :
« Estis, io, superi, nec inexorabile Clotho
Volvit opus, videt alma pios Astraea Iovi que
Conciliata redit, dubitata que sidera cernit
Gallicus. ».
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justice par excellence sur terre, ne saurait qu’inviter le lecteur contemporain et moderne des
Coryciana, à penser à l’Âge d’Or, le premier et le meilleur des quatre Âges, marqué, à son
déclin, par le départ de l’Astrée des mortels en tant que dernière des immortels, ainsi qu’aux
règnes saturniens virgiliens :
« Sicelides Musae, paulo maiora canamus !
Non omnes arbusta iuvant humilesque myricae ;
Si canimus silvas, silvae sint consule dignae.
Ultima Cumaei venit iam carminis aetas ;
Magnus ab integro saeclorum nascitur ordo.
Iam redit Virgo, redeunt Saturnia regna,
Iam nova progenies caelo dimittitur alto.
Tu modo nascenti puero, quo ferrea primum
Desinet ac toto surget gens aurea mundo,
Casta fave Lucina : tuus iam regnat Apollo.
Teque adeo decus hoc aevi, te consule, inibit,
Pollio, et incipient magni procedere menses
Te duce. Siqua manent sceleris vestigia nostri,
Irrita perpetua solvent formidine terras.
Ille deum vitam accipient divisque videbit
Permixtos heroas et ipse videbitur illis
Pacatumque reget patriis virtutibus orbem.
Ac tibi prima, puer, nullo munuscula cultu
Errantes hederas passim cum baccare tellus
Mixtaque ridenti colocasia fundet acantho. »327
L’assemblée de Corycius, tout en étant présentée comme un banquet où règne un juste
équilibre, aussi bien entre les convives – surtout grâce à l’homme qui ainsi, non seulement
dans sa vie publique, mais aussi dans sa vie privée, s’occupe de l’accomplissement de la
justice –, qu’entre les différentes occupations de la journée, est également rapprochée d’un
retour à l’Âge d’Or. D’un côté, la lumière du jour est de nouveau équilibrée, car la longueur
des nuits et des jours est égale pendant la période envisagée, et de l’autre côté, tout semble
reprendre sa juste place, du moins du point de vue des mortels, car Astrée « a [de nouveau)]
quitté son siège céleste illustre » (Sedem deseruit poli nitentem), afin de se rendre auprès des
327
Virgile, Bucoliques, IV, 1-20. Cf. infra : Annexe 15, pour la traduction française du passage.
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173
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mortels et, plus précisément, afin d’assister à la réunion des convives de Corycius
(Conventusque hominum frequentat ultro, / Et domos habitat Corycianas), alors que, jadis,
elle avait abandonné la race humaine, devenue trop cruelle328. Silvanus accorde ici à la
demeure corycienne un honneur particulier, car il semble, ici aussi, la mettre à pied d’égalité
avec les constellations, comme si divinités et mortels habitaient (de nouveau) les mêmes
sphères.
Or, ce n’est pas comme si Silvanus ne s’expliquait pas davantage ou qu’il affirmait
gratuitement que le ciel a été délaissé (Causam posthabiti poli requiris ?), en voilant son
propos. Tout au contraire, il poursuit son discours révélateur – qui ne cache rien –, et présente
le rassemblement autour de Corycius à travers l’image très physique et concrète de l’aimant
qui attire l’acier d’une force « obscure » (Abstruso ut chalybem attrahit vigore / Magnes). A
vrai dire, non seulement le cercle convivial autour de Corycius, mais le siècle tout entier est
considéré comme raison suffisante pour la divinité de quitter son siège céleste, car le poète
affirme que Corycius agit de manière à pouvoir imiter la vie et le style de vie « incarnés » par
le pape (studium genusve vitae / Omnes principis aemulantur alti). Représentant de Dieu sur
Terre, Adrien VI – car c’est bien de lui que Silvanus parlera au vers suivant –, représente ici
une foi véritable, suscitant une piété apte à déloger les divinités de leurs demeures célestes et
à les faire revenir parmi les mortels329, comme c’était le cas à l’Âge d’Or, avant que les
mortels ne se soient montrés indignes de l’honneur divin330. Grâce au pape, présenté comme
un aimant entre Dieu et les hommes, attirant la faveur divine, le paradis semble renaître sur
terre (Divino Hadrianus favore Sextus / Terrarum imperii regens habenas, / Fulvo saecula
transfigurat auro331). Etant donné que le poème 398 est un poème assez tardif, rédigé à un
328
Cf., i. a., Manilius, Astronomica, IV, 542-543 :
« Erigone [i.e. Astraea] surgens, quae rexit saecula prisca
Iustitia rursusque eadem labentia fugit … ».
329
Faut-il ici penser au poème 64 de Catulle, où l’assemblée des dieux quitte son séjour céleste, afin d’assister
aux splendides noces de Thétis et de Pélée ?
330
Comme nous avons déjà mentionné la Bucolique IV de Virgile, notons ici que Silvanus et ses contemporains
étaient conscients du rapprochement de ce poème à l’annonce de la naissance de Jésus-Christ, ce qui, du point de
vue de Silvanus, accentue évidemment la référence et le sens profond de celle-ci. Entre autres poèmes des
Coryciana, le poème 256 d’Aulo Orfeo Pellato (Coryciana, éd. IJsewijn, p. 179, v. 4-5 : « Virtus prisca redit,
redeunt cum moribus artes, / Et reparata novis remeant iam saecula lustris. ») suggère sans ambages ce parallèle,
tout en insistant, lui aussi, sur le retour à l’âge d’or auquel on assiste avec le rassemblement des poètes autour de
Corycius : cf. infra : Annexe 16, pour l’ensemble du texte latin.
331
Si l’expression « fulvo auro » revient souvent dans la littérature classique, notons ici juste un rapprochement
semblable chez un auteur à peu près contemporain de Corycius, Ange Politien (Silvae, Ambra, 575-579 :
« Huic aras, huic templa dedit ueneranda uetustas,
hunc aere, hunc saxo fulvoque colebat in auro;
hunc unum auctorem teneris praefecerat annis,
__________________________________________________________________________________________
174
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moment où le poète sut déjà que l’édition des Coryciana était envisagée, cette mention
d’Adrien, aux vers 81 à 92, rend évidemment hommage au pape, non pas en raison de son
attitude peu généreuse332 envers les hommes de lettres et les poètes, mais à cause de sa
« politique » religieuse, visant à réinstaurer une piété sérieuse, sincère et véritable. Non sans
envisager les effets bénéfiques d’une captatio benevolentiae, en attribuant un véritable
« programme religieux » à Adrien (Mira mole deis struuntur aedes, / Quas centum et totidem
fere columnae, / !ec sat esse putat novare templa / Sumptu regifico et labore grandi, /
Sincerum revocat Deorum honorem), Silvanus remercie le pape d’élever des constructions –
réelles (architecturales et sociales) et mentales –, solides, aptes à servir de bases ou de
fondements sûrs pour un retour à la foi authentique. Si les églises reposent de nouveau sur des
fondements solides, alors les âmes, elles aussi, ont de nouveau un repère stable. Et,
contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette « rénovation » du sentiment religieux ne va
point de paire avec quelque favorisation de la part du pape – ce que l’on n’aurait sans doute
pas pu dire de son prédécesseur, Léon X – : ni argent, ni faveur, ni position sociale ne peuvent
fléchir les bras de la balance de la Justice (Legum nulla potest severitatem / Arca vincere, nec
favor genusve / Iura flectere, sed pari statera / Pendet iustitiae fides utrinque). L’équilibre de
celle-ci ne saurait être accentué davantage : le poète dit bien qu’« aucun trésor, aucune faveur,
ni le rang social » ne peuvent « fléchir les droits », car « d’une balance égale » (pari statera),
« la loyauté est suspendue des deux côtés » (pendet fides utrinque), « envers la justice »
(justitiae). La mention de la balance permet au poète de revenir à l’image d’Astrée, retournée
chez les mortels, parce que la balance penche de nouveau favorablement du côté des mortels,
et ce, à un moment où les contextes politique et religieux ne sont pourtant pas de véritables
sources d’espoir. Silvanus accorde ici à Adrien le mérite d’un Auguste chrétien : ceux qui
pratiquent le christianisme avec ferveur et authenticité sont récompensés par des hommes
comme Corycius, voire le pape lui-même, tout comme ceux qui, sous Auguste, participaient
au renouveau culturel, étaient protégés par des hommes généreux, des mécènes, et, en
l’occurrence, Mécène, voire Auguste lui-même333.
rectoremque uagae moderatoremque iuuentae;
hunc etiam leges uitae agnouere magistrum. »)
332
K. Gouwens, op. cit., p. 39 appelle Adrien VI à bon droit « tightfisted ».
333
Cf. aussi le poème 63 de Giano Vitali Panormitano (Coryciana, éd. IJsewijn, p. 82), mentionnant la
supériorité des contemporains sur les Anciens, justement parce que leurs poèmes dévoués témoignent d’un esprit
pieux : « Quis neget ad priscum Romam rediisse nitorem,
Quandoquidem prisci cuncta nitoris habet ?
En Phidiam, atque Numam, et praeclaros ecce Marones,
Arte, animoque pio, carminibusque piis !
Hi tribus his statuis dant omnes vivere sensus,
tresque uno includunt corpore treis animas.
__________________________________________________________________________________________
175
__________________________________________________________________________________________
Comment alors, avec de telles prémisses, ne pas supposer que le temps réclame, outre
l’assistance, la participation et l’approbation des Muses (Tempus postulat in suas rotunda /
Laudes ora virûm, o meae Camoenae !) ? Suite à la comparaison de l’époque contemporaine à
celle d’Auguste – que l’on ne saurait caractériser autrement qu’euphémique, mais, si ce n’est
pas au temps de Corycius, quand donc ? –, Silvanus est obligé d’invoquer les Muses pour
qu’elles accordent leur faveur aux poètes (vers 93 à 95), et il le fait avec insistance (Turbae
cedite flagito eloquenti), ce qui montre l’estime qu’il a lui-même pour les poètes des
Coryciana.
C’est ainsi que, de retour à un propos qui concerne les poètes eux-mêmes, Silvanus feint de
disparaître face aux poètes « aguerris », quand il dit, aux vers 96 et 97, qu’il vaut mieux ne
pas parler des grands hommes si on n’est pas capable de le faire suffisamment bien (De
magnis satius nihil referre, / Quam vel pauca loqui, vel indiserte). Suit un éloge d’Adrien qui,
« par sa seule vertu, a mérité de prendre la place du Dieu suprême » (Virtute Hadrianus vices
Tonantis / Ut sola meruit subire summi), et qui accorde sa juste récompense à tout un chacun.
Ainsi, de même que tous ceux qui ont imité Dieu et son représentant Adrien en matière
religieuse peuvent être sûrs de la considération divine, de même, tous ceux qui ont imité
Virgile et son représentant Corycius en matière poétique peuvent compter sur la gloire
littéraire (Sic iustum iubet excoli piumque, / Sic nil non tribuit viris probatis).
Parmi ces hommes « aguerris », Silvanus appelle alors Corycius qui, tout en faisant partie de
l’entourage du poète, essaie tout de même de suivre les traces du pape, aussi bien du point de
vue religieux que du point de vue administratif (Unus e numero mihi frequenti, / Qui vestigia
principis sequuntur). Il l’appelle pour que, malgré ses réticences, il écoute ce que les poètes
ont à dire (Invitus licet audiet citandus). C’est lui le maître, voire le « père des élégances »
(pater elegantiarum), dont il sollicite la présence (huc, o huc, […] / […] propius grado
referto) et l’expertise en matière poétique. Si le poète affirme que les dons ou offrandes de
Corycius restent mineurs par rapport à la grandeur divine (Divis cum nequeas bonis sacella),
il l’appelle tout de même « père des élégances » et ce, non seulement envers les hommes,
mais aussi envers les dieux, car il fournit pourtant aux divinités une œuvre remarquable,
sculptée par les mains d’un artiste célébré (Das tamen statuas manu politas / Laudati
artificis). La preuve en est que le don des statues et de la fresque n’est pas mineur, que leur
Quinetiam si cuncta, hospes, mirere, loquuntur :
Nam quicquid vates tot cecinere, canunt. »
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176
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beauté est reconnue et que Corycius tout comme Andrea Sansovino sont célébrés dans un
grand nombre de vers. Silvanus, lui aussi, invite le lecteur à penser que le don – et il utilise le
terme suggestif de « dot » (dos) –, du mécène aux divinités ne saurait être mieux proportionné
à la bonté de celles-ci. « Statues » (statuae), « autel » (ara) et « dot » (dos) sont les biens que
Corycius voue à l’Enfant, à la Vierge et à Sainte Anne. Tous les trois sont dotés de leurs
caractéristiques traditionnelles : le Christ est appelé le « tout puissant rédempteur de la Terre »
(Infans omnipotens redemptor orbis), Marie est caractérisée par la « pudeur maternelle de la
chaste vierge » (Castae et virgineus pudor parentis) et d’Anne on perçoit « l’image vénérable
de l’aïeule » (Annae effigies senis verenda). Comme, par ces cadeaux honorifiques, Corycius
fait preuve d’une fidélité certaine, et qu’il honore en plus « une foule docte et élégante »
(catervam / Et doctam colis et venustiorem), les vers 115 à 120 sont une invocation aux Saints
de récompenser la constance de la fête ! Silvanus souhaite que Corycius reçoive, en retour – et
on aurait presque tendance à dire en échange –, la possibilité de poursuivre sa générosité
envers les dieux et envers les hommes, de dédier davantage de statues et de célébrer encore
d’innombrables fêtes. L’ami souhaite donc au vieillard une vie longue, exempte de troubles
ou de maladies qui l’empêcheraient de continuer à mener sa vie de mécène. Sainte Anne est
alors invoquée comme personnage-clé dans une relation typique de religio ancienne, du type
« si les Dieux veulent bien accorder telle chose, alors telle victime sera immolée et telle prière
adressée à la divinité bienveillante ». La prière du poète formule ainsi une (double) condition
« Si les Coryciana te touchent, ô Sainte, si la piété de poètes experts te touche » (Si te, diva,
movet Coryciana, / Si vatum pietas peritiorum) qui, une fois remplie, doit être suivie d’une
conséquence logique, exprimée, cette fois-ci, d’une manière très typique du christianisme,
répétant « prières » (preces) et « prier » (precari) : « Donne suite à nos prières, nous te le
prions » (Da nostris precibus locum precamur)334. Mais le poète ne limite pas sa prière à
l’entourage immédiat de Corycius. Il l’étend pour y inclure également le pape Adrien VI :
« Préserve Hadrien qui prépare de détruire les Turcs sauvages, et qui est impatient de rendre
les honneurs sacrés à ton neveu » (Conserva Hadrianum efferos parantem / Turcas eruere, et
tuo !epoti / Sacros reddere gestientem honores). On retrouve ici l’idée d’« échange »
religieux, carcatéristique des cérémonies antiques : puisqu’Adrien agit contre les Turcs et
puisqu’il fait preuve d’une piété remarquable, les dieux sont censés le préserver. Les actions
attribuées à Adrien – et les verbes « préparant » (parans) et « impatient » (gestiens), suggèrent
334
Faut-il ici penser également à un sens plus concret de la formule, et estimer que Silvanus demande à la Sainte
de lui accorder un endroit où attacher ses poèmes dans l’Eglise Sant’Agostino ? La suite des vers semble plutôt
suggérer une prière authentique, visant le salut du poète, du mécène et des convives.
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177
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des activités très intenses et répétées –, se rapportent à la préoccupation du souverain pontife
pour les événements politiques actuels, notamment la menace turque en plus des discordes
européennes, et à sa politique religieuse sincère et austère335. On a l’impression qu’Adrien
représente un remède, non seulement à la menace extérieure des Turcs, mais également à la
menace intérieure, que l’on pourrait appeler « inflation religieuse ».
En fin de poème cependant, dans les vers 127 à 137, Silvanus ne termine pas sa prière en
invoquant Sainte Anne, mais en s’adressant de nouveau à Phébus, « beauté éternelle de
l’univers » (decus perenne mundi), dont il ne remet pas en question la continuité, lui qui
« ramèner[a] indéfiniment ce jour d’une sérénité éternelle » (Lucem hanc perpetua serenitate /
Aeternum revehe[t]). Si Adrien, en tant que représentant de Dieu sur terre, était considéré
comme le remède contre la menace turque et l’impiété, Silvanus adresse maintenant, au nom
de tous les poètes des Coryciana (precatur omnis / Cohors rara virûm venustiorum), une
prière au Soleil comme au remède contre la peste, cet autre fléau qui tenait en haleine l’Italie
du début du Cinquecento (Conde pestiferi mali sagittas). En plus de la maladie elle-même,
qui faisait ses ravages, la peste signifie aussi la « maladie intérieure » dont l’Italie et surtout
l’Etat pontifical souffraient. Le Soleil, symbole de la clarté du jour, est censé écarter le mal
obscur, en substituant la clarté à l’obscurité, de manière à ce que, même la nuit, les astres
favorisent les rassemblées annuelles de Corycius (Et Caram moneas simul Sororem, / !ervos
ut validi remittat arcus). Soleil et Lune sont appelés à patronner encore bien d’autres fêtes et à
rassembler tout un chœur, d’abord pour la cérémonie religieuse, célébrée selon les rites,
ensuite pour le banquet aux côtés de Corycius et l’éloge du pape Adrien par des poèmes (Quo
praesens valeat chorus quotannis / Statis rite Deae sacris peractis, / Solennes Coryti dapes
adire, / Et magnum Hadrianum referre cantu). A travers cette invocation finale, le poète
boucle thématiquement le poème en rappelant encore une fois toutes les parties de la journée
qu’il a chantée et en anticipant la fête de l’année suivante, dès lors fixée par son appel au
mécène et au pape. Mais le poète boucle le poème aussi littéralement, puisque, tout au début
du poème, au vers 9, il avait affirmé Sed iam rite Deae sacris peractis, alors qu’ici, au vers
135, on lit Statis rite Deae sacris peractis, comme si le mot « fixés » (statis) insistait
davantage sur le caractère institutionnel de la fête.
335
Dans son commentaire des vers 124 et 125, IJsewijn rapporte au sujet de la mention des Turcs que le discours
de l’orateur pontifical, Francisco Chieregato, le premier jour de la Diète de Nuremberg, le 19 novembre 1522,
portait justement sur la menace turque (Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, 398, note aux vers 124-125, p. 334).
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178
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A regarder de plus près ces quatre derniers vers, on constate que tout s’y trouve, et selon un
ordre significatif : le chœur annuel, la cérémonie, le banquet, Corycius, Adrien, les poèmes. Si
la captatio benevolentiae que Silvanus adresse à Corycius, son mécène immédiat – qu’il
chante d’ailleurs tout au long des 137 vers –, et à Adrien, le mécène « suprême » – qu’il ne
mentionne que dans quelques vers – ne semble point cachée, en revanche le poème se termine
sur le mot « poème » ou « chant » (cantus), montrant ainsi clairement que le but principal de
Silvanus est la poésie. Tout l’esprit du poème est ainsi axé sur la valorisation de la création
poétique, mise au service de l’inspiration religieuse.
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179
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180
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II. 2. d. Le poème 400
II. 2. d. 1. Texte et traduction336
400
400
(1)
(1)
[Scriptio E/Vc]
[Version des mss E/Vc]
C. Silvanus Germanicus Iano
Caius Silvanus Germanicus
Corycio Salutem.
à Janus Corycius salut !
1. Arsillus, egregius vir, libellum ad me 1. Arsillus, un homme remarquable, m’a apporté un livre
detulit, quem de poetis urbanis conscripsit. qu’il a rédigé et intitulé Des poètes urbains. Je te l’envoie,
Eum tibi mitto, non solum ut legas, verum non seulement pour que tu le lises, mais aussi pour que tu
ut associes quoque libellis tuis, una orbem l’associes à ton recueil, pour qu’ils parcourent ensemble la
terrarum ut peragrent, postquam tandem terre tout entière, après que tu t’es enfin résolu à profiter
extra sinum parto deliberaris frui honore. de l’honneur révélé au grand public. Assurément tu ne
Non
poteris
profecto
sine
magna pourras pas refuser cette tâche sans faire preuve d’une
ingratitudinis nota id negare officii, me grande ingratitude, alors que moi je te le réclame, envers
poscente, viris iis, qui in te statuasque tuas les hommes qui ont fait preuve d’un zèle immense envers
toi et tes statues.
officiosissimi fuere.
2. Sed certum est invidulos aliquot 2. Mais il est évident que certains petits envieux
exclamaturos : ‘‘Quid tam sedulo Silvanus s’exclameront :
« Pourquoi
Silvanus
peine
si
laborat istaec edi ? Scilicet quod ipse consciencieusement à publier ces choses ? Assurément
quoque
insertus
coronae
tantorum parce que lui aussi a été inséré dans la foule d’hommes
virorum’’. At ego istius modi blaterones excellents. » Mais moi, je considère de la même manière
perinde
habeo
ac
Romani
Brutios, des bavards de ce genre que les Romains ont considéré les
dummodo sciant laudem hanc somnos mihi Bruttiens, pourvu qu’ils sachent que cette gloire me rendra
les rêves plus courts.
breviores facturam.
3. Tu vero, mi Coryci, plus quam decuit 3. Mais toi, mon Corycius, craignant plus qu’il ne sied
inanes
illorum,
immo
vero
inermes leurs aiguillons vains, voire inoffensifs, tu as, jusqu’à ce
stimulos metuens, hactenus rarissimam moment, renfermé une gloire très précieuse.
cohibuisti gloriam.
336
Pour le texte du poème De poetis Urbanis de Francesco Arsilli, cf. infra : Annexe 17.
__________________________________________________________________________________________
181
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Cave
igitur
animo
decedas ;
confige Gare, donc, de ne pas perdre courage, crève les yeux aux
cornicum oculos ; utere laude tua vivens, si corneilles, jouis de ta gloire de ton vivant, si tu as de
sapies, quae caeteris post fata longe venire l’esprit, gloire dont d’autres ne jouissent d’habitude
soleat. Naucifacito quicquid est omnino qu’après la mort. N’estime point tout ce que disent les
invidentium, quando citius invidere quis jaloux, quand on peut plus rapidement jalouser qu’imiter.
poterit, quam imitari. Vale.
Porte-toi bien !
(b)
(b)
[Scriptio E/Vc]
[Version des mss CV]
C. Silvanus Germanicus Iano
Caius Silvanus Germanicus
Coritio Salutem.
à Janus Corytius, salut !
1. Arsillus, egregius vir, libellum ad me 1. Arsillus, un homme remarquable, m’a apporté un livre
detulit, quem de poetis urbanis scripsit. qu’il a écrit au sujet des poètes urbains. Je te l’envoie, non
Eum tibi mitto, non solum ut legas, verum seulement pour que tu le lises, mais aussi pour que tu
associes epigrammaton libello, una orbem l’associes à l’opuscule des épigrammes, qu’ils parcourent
terrarum ut peragrent, postquam tandem ensemble la terre tout entière, après que tu as enfin pris la
extra sinum parto deliberavisti frui honore. décision de profiter de l’honneur issu de ton cœur.
Non poteris profecto praeter magnam Assurément tu ne pourras pas refuser cette tâche sans faire
ingratitudinis notam id negare officii, me preuve d’une grande ingratitude, alors que moi, alors que
poscente, viris iis, qui in te statuasque tuas les hommes qui ont fait preuve d’un zèle immense envers
officiosissimi fuere.
toi et tes statues, te le réclament.
2. Sed certum est invidulos exclamaturos : 2. Mais il est évident que certains petits envieux
‘‘Quid tam sedulo Silvanus laborat istaec s’exclameront :
« Pourquoi
Silvanus
peine
si
imprimi ? Scilicet quod ipse quoque est consciencieusement à publier ces choses ? Assurément
insertus coronae tantorum virorum’’. At parce que lui aussi a été inséré dans la foule d’hommes
ego eorum blacterationes perinde habeo excellents. » Mais moi, j’assume de la même manière
atque pecudum, dummodo sciant laudem leurs bavardages que les cris du bétail, pourvu qu’ils
hanc somnos mihi breviores facturam.
sachent que cette gloire me rendra les rêves plus courts.
3. Tu vero, mi Coriti, plus quam decuit 3. Mais toi, mon Corycius, craignant plus qu’il ne sied
inanes illorum, immo inermes stimulos leurs aiguillons vains, voire inoffensifs, tu as, jusqu’à ce
metuens, hactenus rarissimam cohibuisti moment, renfermé une gloire très précieuse.
gloriam.
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182
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Cave igitur ne animo decidas ; confige Gare, donc, de ne pas perdre courage, crève les yeux aux
cornicum oculos ; utere laude tua vivens, si corneilles, jouis de ta gloire de ton vivant, si tu as de
sapies, quae caeteris post fata longe venire l’esprit, gloire dont d’autres ne jouissent, d’habitude,
soleat.
Naucifacito
quicquid
est qu’après la mort. N’estime point tout ce que disent les
invidentium, quando citius invidere quis jaloux, quand on peut plus rapidement jalouser qu’imiter.
poterit, quam imitari. Vale.
Porte-toi bien !
(2)
(2)
[Scriptio E/Vc]
[Version des mss E/Vc]
Ianus Corycius Lucumburgensis C.
Janus Corycius de Luxembourg
Silvanus Salutem.
à Caius Silvanus, salut !
1. Multam, Silvane, tibi debeo gratiam, 1. Je te remercie beaucoup, Silvanus, de m’avoir donné à
quod mihi nostri Arsilli de urbanis poetis lire l’opuscule de notre Arsillus, Des poètes urbains,
legendum
lidellum
indulseris,
longe assurément de loin plus agréable et plus beau que ces
iucundiorem profecto et venustiore iis requêtes officielles que j’ai entre les mains chaque jour,
libellis, qui mihi quotidie inter manus qui présentent différends et querelles, qui, même pour un
versantur,
et
lites
praeferunt
atque habitué, remuent dégoût et colère. Voilà pourquoi j’en ai
contiones ac, licet assueto, nauseam et éprouvé un plaisir immense, et tu n’aurais pas pu
bilem commovent. Ingentem itaque ex eo m’envoyer quelque chose de plus cher.
voluptatem cepi, nec mittere mihi carius
potuisses quippiam.
2. Arsillo vero etiam atque etiam debeo, 2. A vrai dire, je suis extrêmement redevable à Arsillus
qui tantos illos viros, quorum opera pene qui a rassemblé dans un seul livre célèbre autant
spiro et vigeo, quorum ope nomen obtineo d’hommes remarquables, grâce à l’œuvre desquels j’ai,
atque umbris subtrahor, uno libello nobili pour ainsi dire, respiration et force, grâce au soutien
complexus est, verissimas uniuscuiusque desquels j’obtiens une renommée et suis retiré des ombres
laudes
attingens,
et
quodammodo – Arsillus qui en vient à louer tout un chacun, et les offre
collocatos in Musarum concilio posteritati clairement à la vue de la postérité, après les avoir placés
plane intuendos exhibet.
dans le cénacle des Muses.
__________________________________________________________________________________________
183
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3. Cum tamen efflagitationibus, ne dicam 3. Alors que je suis pourtant accablé par les instances,
conviciis virorum probatissimorum urgear, pour ne pas dire les reproches d’hommes très estimés, j’ai
carmina in nostras edita statuas publicare jugé qu’il ne fallait point céder à la volonté de rendre
typisque cudenda tradere (non tam quod public les poèmes composés pour nos statues et de les
obtrectatores
invidosque
extimescam, faire imprimer (non tellement parce que je craindrais les
quibus parum certe negotii nobiscum est, détracteurs et les envieux, auxquels assurément nous
quam quod mihi iudicioque meo non satis n’avons que peu à faire, mais parce que je ne me fie pas
fido, et consulendas mihi aures arbitror assez à mon jugement personnel et que je pense devoir
disertiorum) minime obsequendum credidi, consulter des oreilles d’hommes plus instruits), et comme
et ut ab editione abhorreo, ita quoad fieri j’ai horreur de l’édition, de même j’ai décidé de m’en
possit abstinere decrevi, non maligno abstenir, dans la mesure du possible, non pas, hélas, avec
aedepol animo, neque ut immortaleis laude une mauvaise intention, et non pas de façon à priver
homines
fraudem
aut
praeconio
illo frauduleusement des hommes immortels de la gloire ou de
excludam atque invertam, quod tot fessi cette publication, que ces hommes, fatigués par tant de
vigiliis commeruerunt (Nempe ea iactura nuits blanches, ont méritée (car cette dépense,
je la
mihi cum iis est communis), sed ne videar partage avec eux), mais pour que je ne semble pas par
forte ita gloriae appetens esse ut quid hasard à tel point à la recherche de gloire que je ne puisse
deceat, qui dedeceat non prius dispiciam.
plus distinguer ce qui sied de ce qui ne sied point.
4. Hac ratione libellus summae apud me 4. C’est pour cette raison que ce livre, pour lequel
aestimationis et gratiae ceteris quidem j’éprouve la plus grande estime et la plus grande
iungetur,
verum
in
scrinii
latebra reconnaissance, sera joint à tous les autres, mais il dormira
aliquamdiu dormiet, et hoc elegantiae quelque temps dans les profondeurs d’un coffret, et aura
praemium apud me feret.
auprès de moi cette récompense pour son élégance.
5. Scio summi oratoris esse sententiam, 5. Je sais que c’est l’avis d’un très grand orateur que la
nullius agricolae stirpem tam diuturnam graine d’aucun paysan ne peut être cultivée aussi
quam boni poetae versum conseri posse. durablement que le vers d’un bon poète. Mais moi je ne
Verum
ego
non
tanti
duco
gloriae juge pas les attraits de la gloire si chers que je serais d’avis
illecebras ut decori rationem et temporis qu’il ne faut considérer qu’en deuxième lieu la raison du
posthabendam existimem, cui sapientem séant et du temps, auxquels le sage se doit d’être
servire in primis decet. Vale.
convenable avant toute chose. Salut.
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184
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[Scriptio CV]
[Version des mss C/V]
Ianus Corytius Lucenburgensis C. Silvano
Janus Corycius de Luxembourg à Caius Sylvanus, salut
Salutem.
1. Multam, Silvane, tibi debeo gratiam, 1. Je te remercie beaucoup, Silvanus, de m’avoir donné à
quod mihi nostri Arsilli de urbanis poetis lire l’opuscule de notre Arsillus, des poètes urbains. J’en
legendum miseris libellum. Porro magnam ai certainement éprouvé un grand plaisir, et tu n’aurais pas
voluptatem coepi, mittere nec carius nec pu m’envoyer quelque chose de plus cher ni de plus
iucundius potuisses aliquid.
agréable.
2. Arsillo vero etiam atque etiam debeo, 2. A vrai dire, je suis extrêment redevable à Arsillus qui a
qui illos tantos viros, quorum quicquid rassemblé dans un seul livre célèbre autant d’hommes
sum, totus sum, uno libello complexus est, remarquables, grâce auxquels je suis tout ce que je suis, et
verissimas cuiusque laudes attingens, et qui en vient à louer tout un chacun, et les offre clairement
quasi in concilio Musarum collocatos à la vue de la postérité, après les avoir placés dans le
posteritati
sempiternae
conspiciendos cénacle des Muses.
exhibuit.
3. Cumque efflagitationibus, ne dicam 3. Alors que je suis forcé par les instances, pour ne pas
prope conviciis virorum probatissimorum aller jusqu’à dire les reproches d’hommes très estimés, je
cogar carmina nostra in nostras aedita serai forcé de rendre publics les poèmes composés pour
statuas
in
unumque
redacta
libellum nos statues et de les faire imprimer et comme, jusqu’à
publicare formisque tradere excudendum, présent j’ai craint les détracteurs qu’il est préférable de
et hactenus obtrectatores timuerim, quos mépriser plutôt que de ne rendre satisfaction aux hommes
satius est contemnere quam non satisfacere de bien, j’obéirai aussi à tes avertissements non pas,
bonis viris, parebo et tuis monitis non tam assurément parce que tu le conseilles, mais pour, par un
sane quod suades, quam ut officio quoquo devoir de quelque sorte, je puisse témoigner de mon côté
possum
testimonium
reddam
mutuum aussi et enlacer un opuscule à l’autre. En effet, c’est cela
annectumque libellum alterum alteri. Id qu’une certaine connivence aussi, qui existe entre nous,
enim exposcere videtur nonnulla quoque exige. Salut.
necessitas, quae utrisque intercedit. Vale.
__________________________________________________________________________________________
185
__________________________________________________________________________________________
__________________________________________________________________________________________
186
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II. 2. d. 2. Commentaire
400 (1) : Caius Silvanus Germanicus salue Janus Corycius
La première lettre de Silvanus Germanicus à Janus Corycius reproduite par IJsewijn à la suite
des poèmes des Coryciana sous le numéro 400 (1), est celle que l’on trouve dans le manuscrit
revu par Vigil (Vc), au feuillet 129r, ainsi que dans l’édition E (feuillet KKiiv). En se référant
à l’autre manuscrit, C, et au manuscrit V non corrigé par Vigil, IJsewijn avertit le lecteur du
fait que
« les manuscrits C et V présentent des versions plus anciennes de ces lettres. Quant au
manuscrit V, Fabio Vigil y a changé des mots et, sauf quelques exceptions, ces
transformations sont reprises dans l’édition E. Il a placé les mots changés entre les lignes
de la première lettre [de Silvanus)], et deux fois dans la marge droite. Il a écrit la seconde
lettre [de Corycius] en haut de la page, dans la marge droite, et en bas de la page. »337
Pour l’ensemble du texte, une seule variante est proposée (à la ligne 7 de l’édition actuelle) :
tandis que E lit « Quid tam sedulo Silvanus laborat istaec edi ? », Vc lit « aedi ». Notons que
C et V ont tous les deux « imprimi ».
Quant au contenu de la lettre, on peut dire qu’il s’agit en quelque sorte d’une lettre de
recommandation : l’auteur, Silvanus, envoie à Corycius l’œuvre d’un ami-poète, « homme
remarquable » (egregius vir), et lui conseille la lecture de cet opuscule qui devrait l’intéresser
tout particulièrement. La recommandation personnelle et subjective de Silvanus se double
d’un jugement sollicité et, pour ainsi dire, d’une recommandation objective anticipée de la
part de Corycius. Car celui-ci donnera certainement son jugement au sujet de l’œuvre en
question : ce sont les poètes contemporains de Rome, parmi lesquels figurent les poètes des
Coryciana qui ont fourni à Francesco Arsilli le sujet même du De poetis Urbanis.
Proposition de lecture donc et recommandation en même temps que flatterie, cette lettre
précise la relation entre Silvanus et son ami-mécène, et elle laisse même entrevoir des traits de
caractère, des habitudes et des points de vue de celui-ci, alors qu’elle introduit, en premier
337
Coryciana, éd. IJsewijn, p. 341, n. 1 : « Antiquiorem harum epistolarum scriptionem exhibent codices CV. In
V autem Fabius Vigil verba in formam mutavit, qua, paucis exceptis, in E sunt typis expressa. Mutata verba
epistolae (1) intra lineas, semel in margine dextro posuit ; Novam epistulam (2) maxima ex parte in margine
sinistro et in ima pagina scripsit ».
__________________________________________________________________________________________
187
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lieu, quelqu’un d’autre dans l’entourage poétique de Corycius, Francesco Arsilli. Afin de
relier davantage le poème d’Arsilli au recueil de Corycius – finalement publié –, Silvanus
insiste sur le projet d’édition, mature, selon lui (postquam deliberaris frui honore) et digne de
son dédicataire (una ut orbem terrarum peragrent). Il fait alors appel à la reconnaissance que
celui-ci doit aux poètes (non sine magna ingratitudinis nota), reconnaissance d’autant plus
indispensable que l’œuvre est présentée comme un devoir, une charge quasi officielle (id
officii), effectuée par des hommes très engagés (officiosissimi), non seulement sur le plan
poétique, mais aussi en matière de foi, pusiqu’ils honorent le groupe statuaire de Sainte Anne,
de la Vierge Marie et de l’Enfant érigé par Corycius.
Silvanus montre que le recueil des Coryciana est une œuvre issue d’un travail collectif assidu
et délibéré, au sujet de la constitution de laquelle le dédicataire a longtemps médité, et à la
publication de laquelle le mécène a longtemps réfléchi. Or, Silvanus lui-même interprète et
cherche à expliquer cette décision tardive du Luxembourgeois : d’un côté, la jalousie, et
même la malveillance ont pu inciter quelques-uns (aliquot invidulos) à décrier les poèmes, à
intimider Corycius et à retarder ainsi la publication (Quid tam sedulo Silvanus laborat istaec
edi ?). Par ailleurs, il prévoit également des critiques qui contesteraient ses intentions neutres
dans la composition de l’œuvre : c’est lui-même qui jouerait un rôle non négligeable dans la
publication retardée, afin de pouvoir s’adjoindre à ce groupe de poètes par des poèmes non
encore terminés (Scilicet quod ipse quoque est insertus coronae tantorum virorum)338. Cette
critique anticipée vaut certainement aussi comme auto-louange, sous-entendant que lui-même
est digne de ce cercle poétique « élitaire ». Enfin, que le recueil soit digne de jalousie ou
digne qu’on le vante avant et après sa publication, Silvanus souligne sans cesse le côté
laborieux de la tâche, à laquelle Silvanus et Corycius ont travaillé de concert, nuit et jour,
incités même par les voix qui critiquaient l’œuvre sans raison ni poids (Dummodo sciant
laudem hanc somnos mihi breviores facturam). Les critiques sont ici représentés par les
Bruttiens et comparés à eux. Ceux-ci étaient un peuple soumis aux Romains, mentionné dans
les !uits Attiques d’Aulu-Gelle, comme IJsewijn l’a repéré. En comparant certains passages
de Caius Gracchus, de Marcus Cicéron et de Marcus Caton, Aulu-Gelle mentionne, puis
explique un épisode de la 2nde guerre punique, tel que Caton l’avait raconté, et où le peuple
des Bruttiens joue un rôle peu recommandable envers les Romains :
338
Rappelons que les poèmes de Silvanus sont certainement parmi les plus récents du recueil, et que, par
exemple, les poème 395 à 399 se trouvent seulement dans l’édition de 1524.
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188
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« En effet, dans le livre qui a pour titre Des faux combats, Caton invective en ces mots
contre Q. Thermus : « Il dit que […] des décemvirs furent frappés par des Bruttiens en
présence de nombreux témoins. Un traitement si infâme, un pouvoir si tyrannique, une
telle servitude est-elle supportable ? Jamais roi n'osa rien de semblable ; et c'est ainsi que
l'on traitera des gens de bien, issus de bonnes familles ! Vous y consentiriez, honorables
citoyens ? Où sont les droits de l'alliance, la foi de nos ancêtres ? Ainsi donc, injures
outrageantes, blessures, coups de fouet dont les traces se voient encore, douleurs, tortures
par la main des bourreaux, opprobre, infamie : voilà ce que tu as osé contre des
décemvirs, en présence de leurs concitoyens et d'une foule innombrable. Mais aussi quel
deuil ! Quels gémissements ! Que de larmes ! Quelles lamentations ! Les esclaves ne
supportent qu'avec indignation les injures, et ces hommes, d'un sang noble et d'une
grande vertu, quel fut, à votre avis, leur ressentiment ? Et ne pensez-vous pas qu'il durera
autant que leur vie ? » Pour ce qui est de l'expression de Caton, frappés par les Bruttiens,
en voici l'explication. Quand Hannibal occupait l'Italie à la tête de ses Carthaginois, après
qu'il eut remporté quelques victoires sur le peuple romain, les Bruttiens furent les
premiers à abandonner Rome pour Carthage. Hannibal parti, les Romains, vainqueurs des
Carthaginois, manifestèrent leur ressentiment contre les Bruttiens : ils les déclarèrent
indignes de servir dans les légions, de porter le titre d'alliés, et décidèrent qu'ils
serviraient, en qualité d'esclaves, les gouverneurs des provinces. Les Bruttiens suivaient
donc les magistrats ; semblables à ceux que l'on appelle lorarii, fouetteurs, correcteurs,
dans les comédies, ils garrottaient et frappaient ceux qui leur étaient désignés. Originaires
du Bruttium, ils étaient appelés Bruttiens. »339
A travers cette comparaison de Caton, on comprend sans aucun doute que les Bruttiens sont
considérés comme des hommes diamétralement opposés à l’image du mos maiorum romain :
contraire au respect des ancêtres, car il s’agit même de decemvirs qui ont été lésés, le
339
Aule-Gelle, !uits Attiques, X, 3, 17-19 : « In eo namque libro qui ‘De falsis pugnis’ inscriptus est ita de Q.
Thermo conquestus est : « Dixit a decemuiris parum bene sibi cibaria curata esse. Iussit vestimenta detrahi atque
flagro caedi. Decemuiros Bruttiani uerberare, uidere multi mortales. Quis hanc contumeliam, quis hoc imperium,
quis hanc seruitutem ferre potest ? Nemo hoc rex ausus est facere ; eane fieri bonis, bono genere natis, boni
consultis ? Vbi societas ? Ubi fides maiorum ? Insignitas iniurias, plagas uerbera, uibices, eos dolores atque
carnificinas per dedecus atque maximam contumeliam, inspectantibus popularibus suis atque multis mortalibus,
te facere ausum esse ? Sed quantum luctum, quantum gemitum, quid lacrimarum, quantum fletum factum
audiui ! Serui iniurias nimis aegre ferunt ; quid illos, bono genere natos, magna uirtute praeditos, opinamini
animi habuisse atque habituros, dum uiuent ? » Quod Cato dixit : ‘Bruttiani uerberare’, ne qui fortasse de
‘Bruttianis’ requirat, id significat : Cum Hannibal Poenus cum exercitu in Italia esset et aliquot pugnas populus
Romanus aduersas pugnauisset, primi totius Italiae Bruttii ad Hannibalem desciuerunt. Id Romani aegre passi,
postquam Hannibal Italia decessit superatique Poeni sunt, Bruttios ignominiae causa non milites scribebant nec
pro sociis habebant, sed magistratibus in prouincias euntibus parere et praeministrare seruorum uicem iusserunt.
Itaque hi sequebantur magistratus, tamquam in scaenicis fabulis qui dicebantur ‘lorarii’, et quos erant iussi
uinciebant aut uerberabant ; quod autem ex Bruttiis erant, appellati sunt ‘Bruttiani’. »
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189
__________________________________________________________________________________________
comportement irrespectueux des Bruttiens est vivement critiqué par Caton. Si Silvanus
mentionne ici ce peuple, il le fait dans l’optique de comparer les diffamateurs (blaterones) aux
Bruttiens, alors que lui-même représenterait le bonus Romanus. La référence à la 2nde guerre
punique double le manque de respect ponctuel d’une injure quasi historique : après avoir
abandonné les Romains, non encore vainqueurs, les Bruttiens furent renvoyés par ceux-ci au
rang de serviteurs, indignes du titre d’alliés romains. Si les Bruttiens étaient sans doute
inférieurs aux Romains, politiquement, voire moralement, les critiques des Coryciana sont
censés être inférieurs à Silvanus et à Corycius, aussi bien du point de vue social que du point
de vue comportemental et intellectuel. Outre le fait d’ancrer ainsi le projet du recueil des
Coryciana dans l’histoire romaine, Silvanus mentionne ces critiques pour rappeler qu’il n’y
est tout de même pas tout à fait insensible, vu qu’il profite de toute « pique » pour accélérer
son projet, voire pour perfectionner son travail. En fin de compte, par le choix de ses mots,
Silvanus insinue que, contrairement aux blaterones qui profèrent des critiques individuelles,
vaines et inutiles (Inanes Illorum, Immo vero Inermes stimuli), l’œuvre de Corycius, elle, est
issue d’une réflexion profonde et collective, vouée à une gloire hors du commun (rarissima
gloria).
C’est pour cette raison que Silvanus feint de ne pas comprendre le comportement réticent,
voire peureux de son dédicataire et mécène face aux invectives (plus quam decuit metuens),
l’incite à s’opposer à cette anxiété et lui suggère de ne pas perdre courage. Il propose même
de « cr[e]ve[r] les yeux aux corneilles »340, donc de passer à un comportement actif, de
caractère révélateur, et de publier le recueil, plutôt que de se limiter à une attitude passive,
cachée, pour ainsi dire, ou occultant les exploits des talents romains. En reprenant ici les dires
de Cicéron, l’auteur suggère qu’il faut, une fois pour toutes, révéler ce projet poétique au
public, au lieu de le laisser croire à des choses mi-prouvées, mi-supposées.
Il va de soi qu’une telle incitation à l’action est soulignée, et par là-même facilitée, par une
laudatio du dédicataire : en effet, ce qui, normalement, n’arrive qu’aux poètes morts et même
morts depuis longtemps – la gloire –, Corycius pourrait l’atteindre dès son vivant, à condition
qu’il sache s’en servir ! Silvanus se montre confiant, non seulement envers la qualité du
recueil et des talents des poètes qu’il regroupe, mais aussi envers Corycius lui-même en tant
qu’homme digne de gloire et de louange. Voilà pourquoi il voit dans les Coryciana une œuvre
340
Cf. Cicéron, Pro Muréna, 25 : « Inuentus est scriba quidam, Cn. Flauius, qui cornicum oculos confixerit [et
singulis diebus ediscendis fastos populo proposuerit et ab ipsis cautis iuris consultis eorum sapientiam
compilarit] » (Il se rencontra un greffier, nommé Cn. Flavius, qui creva, comme on dit, les yeux aux corneilles
[et qui, en publiant un tableau des fastes jour par jour, déroba toute leur science à nos subtils jurisconsultes]),
puis Quintilien, Institution Oratoire, VIII, 3. 22.
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190
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à potentiel énorme, au sujet de laquelle les critiques ne sauraient se taire, vu sa « fâcheuse »
qualité. Silvanus est catégorique dans son jugement : selon lui, il est plus facile de jalouser et
de critiquer que d’imiter une œuvre de qualité (citius invidere quis poterit, quam imitari),
voilà pourquoi Corycius n’a pas le droit de se laisser influencer par ceux qui n’arrivent pas à
la même hauteur intellectuelle ! Selon nous, deux autres idées sous-tendent cette affirmation,
censée réconforter Corycius. D’un côté, l’auteur fait appel aux contemporains de se mesurer
par l’écriture plutôt que par des critiques, des invectives ou des injures verbales, et de faire
revivre la tradition du certamen poétique chère aux Anciens. De l’autre côté, il semble
également faire appel aux poètes en général de créer des œuvres personnelles et nouvelles,
plutôt que d’imiter les dires d’autrui et de se contenter d’idées reprises. Aurait-on ici un indice
de ce que les contemporains tentaient de rivaliser avec les Anciens à travers des créations
personnelles,
même
dans
des
circonstances
tout
à
fait
différentes,
proprement
contemporaines ? Non seulement éloges d’un mécène, mais aussi vénération religieuse et
confession de foi, les poèmes des Coryciana, tout en étant créés autour d’un sujet
contemporain, non comparable à quelque occasion des Anciens, essaient en effet de rivaliser
par le style avec les Anciens, et avec Virgile comme poète-phare.
Dans le but principal d’informer Corycius de l’opuscule d’Arsilli, Silvanus retrace en plus le
« récit fondateur » des Coryciana et insiste sur le fait que, tout comme les poètes avaient le
devoir de chanter le mécène, celui-ci a le devoir de rendre accessible au public un recueil
tellement digne d’éloge. Captatio benevolentiae d’un côté – bienveillance du mécène ainsi
que du futur public –, la lettre pourrait, de l’autre côté, servir de revendication des droits
d’auteurs par un représentant soucieux de la récompense de ses efforts.
La deuxième version de la lettre que Silvanus adresse à Corycius, et qu’IJsewijn propose par
la suite, se trouve au feuillet 142r du manuscrit C et reprend, comme il a été suggéré plus
haut, le texte des manuscrits C et V341. Toujours selon IJsewijn, ce texte serait plus ancien, et
représenterait mieux les informations initiales que Silvanus voulait communiquer à Corycius.
Voici les différences textuelles entre les deux groupes de manuscrits et d’éditions :
341
Coryciana, éd. IJsewijn, p. 342.
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191
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E / Vc
C/V
1. non solum ut legas, verum ut associes 1. non solum ut legas, verum associes
quoque libellis tuis
epigrammaton libello
postquam […] deliberaris frui honore
postquam […] deliberavisti (C) / deliberasti (V)
frui honore
sine magna ingratitudinis nota
praeter magnam ingratitudinis notam
2. Sed certum est invidulos aliquot 2. Sed certum est invidulos exclamaturos
exclamaturos
Quid tam sedulo Silvanus laborat istaec edi Quid tam sedulo Silvanus laborat istaec
(E) / aedi (Vc) ?
imprimi ?
Scilicet quod ipse quoque insertus
Scilicet quod ipse quoque est insertus
At ego istius modi blaterones perinde At ego eorum blacterationes (C) / blasterones
habeo ac Romani Brutios
(V) perinde habebo atque pecudum
3. mi Coryci
3. mi Coriti (C) / Coryti (V)
immo vero inermes
immo inermes
Cave igitur animo decedas
Cave igitur ne animo decidas (C) / decedas (V)
utere laude tua vivens, quae caeteris post utere laude tua, quae caeteris (C) / ceteris (V)
fata longe venire soleat
Naucifacito
quicquid
post fata longe venire soleat
est
omnino Naucifacito quicquid est invidentium342
invidentium
342
Une comparaison entre les textes de C et de V montre cinq variantes (Deliberavisti (C) – deliberasti (V),
blacterationes (C) – blasterones (V), decidas (C) – decedas (V) et caeteris (C) – ceteris (V))342 et dans le titre tout
comme au long de la lettre, C lit Coritius, alors que V lit Corycius.
__________________________________________________________________________________________
192
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Ce tableau montre que la version retenue par l’édition (E) et le manuscrit revu par Vigil (Vc)
fournit un texte qui semble non seulement préciser, mais interpréter le texte des manuscrits C
et V à certains passages, tant au niveau grammatical qu’au niveau sémantique. Ainsi, par
exemple, E et Vc lisent verum ut associes, postquam delibera[ve]ris, sine magna
ingratitudinis nota, immo vero, cave igitur animo decedas, et caeteris, dans un souci de
correction grammaticale. Du point de vue sémantique, signalons quelques précisions : E et Vc
lisent libellis tuis, là où C et V lisent epigrammaton libello, et insistent sur invidulos aliquot et
istius modi blaterones, là où C et V ont invidulos et eorum blacterationes. La différence la
plus notable est certainement que E et Vc introduisent la comparaison entre les Romains et les
Bruttiens, alors que le texte de C / V ne parle que de bétail (pecus) pour y comparer les
critiques du recueil. Si la comparaison des critiques à du bétail est certainement plus générale,
et plus communément compréhensible, l’introduction des Bruttiens montre le souci de
l’auteur-correcteur d’insérer la lettre dans un contexte proprement romain. Outre le fait de
blâmer les critiques pour leurs affirmations sans consistance, l’auteur-correcteur rend
Corycius et Silvanus plus romains, les critiques plus « barbares », au sens de non raffinés, et
donc indignes de cette œuvre poétique : tout comme les Bruttiens ne se sont pas montrés
dignes de l’alliance romaine en préférant se rallier aux Carthaginois, les critiques ont choisi de
ne point apprécier le recueil élaboré par une communauté de poètes réunis à Rome, mais de
s’attaquer à leur sujet avant la victoire, c’est-à-dire avant la publication – et donc la
reconnaissance publique –, de l’œuvre.
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193
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400 (2)
La réponse de Corycius à son ami Silvanus a également été transmise par deux versions, dont
la première est, de nouveau, celle de l’édition (E) et du manuscrit V revu par Vigil (Vc), et se
trouve au feuillet 129v de ce dernier. Pour cette réponse, les variantes entre les deux textes
sont plus nombreuses. Lorsque Vigil introduit des changements par rapport à V, nous
signalons les leçons de V dans la colonne du milieu.
E
V
Vc
1. Ianus Corycius Lucumburgen. C.
1. Ianus Corycius Lucumburg. C.
Silvano S.
Silvano S.
qui mihi quotidie inter manus
qui mihi, ut scis, quotidie inter
versantur
manus versantur
nauseam et bilem commovent
nauseam et bilem faciunt
2. quodammodo collocatos
2. quasi collocatos
3. carmina in nostras edita statuas
3. carmina in nostras olim edita
statuas
publicare
in
unumque in
unumque
volumen
redacta
redacta libellum publicare
publicare
certe negotii nobiscum
rei mecum
certe
nobiscum
certe
negotii
nobiscum
aures disertiorum
abhorreo, ita quoad
aures peritiores
quoad eius
immortaleis laude homines fraudem immortales
abhorreo, ita quoad
immortaleis homines sua laude
__________________________________________________________________________________________
194
__________________________________________________________________________________________
aut praeconio illo excludam atque homines
laude fraudem,
aut
praeconio
illo
intervertam, quod tot fessi vigiliis defrudem sua
excludam atque intervertam, quod
commeruerunt
tot fessi vigiliis meruerunt
videar forte
videar
4. in scrinii latebra
4.
videar forte
in
scrinii 4. in scrinii latebra
carcere
5. conseri
5. seminari
5. conseri
in primis
cum primis
in primis
Cette lettre pourrait être caractérisée de remerciement, d’autodéfense ou de plaidoyer pro
domo, d’éloge et d’auto-éloge. En tout cas, à travers cette réponse, on apprend à connaître
différents aspects du caractère de Corycius. Alors que la lettre de Silvanus nous avait déjà
esquissé un homme soucieux d’agir conformément à la décence, de ne pas faire quelque chose
de manière risquée ou précipitée, le portrait psychologique du Luxembourgeois peut être
affiné à travers sa réponse.
Avant de commenter le contenu de cette lettre, il est important de présenter également la
version, plus ancienne, des manuscrits C et V, différant, cette fois-ci, beaucoup de la version
de l’édition et du texte revu par Vigil. On pourra, néanmoins, à travers ces dissemblances
notables, caractériser un peu plus l’auteur de cette dernière version.
C / V343
E / Vc
1. … quod mihi nostri Arsilli de urbanis 1. … quod mihi nostri Arsilli de urbanis
poetis legendum lidellum indulseris,
poetis legendum miseris libellum.
longe iucundiorem profecto et venustiore iis /
libellis, qui mihi quotidie inter manus
versantur, et lites praeferunt atque contiones
ac,
licet
assueto,
nauseam
et
bilem
343
Nous signalerons dans le tableau même les leçons qui diffèrent de C à V, alors que nous ne reprendrons pas
celles que l’on trouve en E et Vc déjà visualisées dans le tableau précédent (cf. supra).
__________________________________________________________________________________________
195
__________________________________________________________________________________________
commovent.
Ingentem itaque ex eo voluptatem cepi, nec Porro magnam voluptatem coepi, mittere nec
mittere mihi carius potuisses quippiam.
carius nec iucundius (V) / iocundius (C)
potuisses aliquid.
2. quorum opera pene spiro et vigeo, quorum 2. quorum quicquid sum, totus sum,
ope nomen obtineo atque umbris subtrahor,
uno libello nobili complexus est
uno libello complexus est
verissimas uniuscuiusque laudes attingens, et verissimas cuiusque laudes attingens, et
quodammodo
collocatos
in
Musarum quasi
concilio posteritati plane intuendos exhibet.
in
posteritati
concilio
Musarum
sempiternae
collocatos
conspiciendos
exhibuit.
3. Cum tamen efflagitationibus, ne dicam 3. Cumque efflagitationibus, ne dicam prope
(V) / quoque (C) […] cogar
prope […] urgear
carmina in nostras edita statuas publicare carmina nostra in nostras aedita statuas in
unumque
typisque cudenda tradere
redacta
libellum
publicare
formisque tradere excudendum
(non tam quod obtrectatores invidosque et hactenus obtrectatores timuerim, quos
extimescam, quibus parum certe negotii satius est contemnere quam non satisfacere
nobiscum est, quam quod mihi iudicioque bonis viris, parebo et tuis monitis non tam
meo non satis fido, et consulendas mihi aures sane quod suades, quam ut officio quoquo
arbitror disertiorum) minime obsequendum possum
testimonium
reddam
mutuum
credidi, et ut ab editione abhorreo, ita quoad annectumque libellum alterum alteri. Id enim
fieri possit abstinere decrevi, non maligno [non V] exposcere videtur nonnulla quoque
aedepol animo, neque ut immortaleis laude necessitas, quae utrisque (C) / utriusque (V)
homines
fraudem
aut
praeconio
illo intercedit. Vale.
excludam atque invertam, quod tot fessi
vigiliis commeruerunt (!empe ea iactura
__________________________________________________________________________________________
196
__________________________________________________________________________________________
mihi cum iis est communis), sed ne videar
forte ita gloriae appetens esse ut quid deceat,
qui dedeceat non prius dispiciam.
4. Hac ratione libellus summae apud me
aestimationis et gratiae ceteris quidem /
iungetur, verum in scrinii latebra aliquamdiu
dormiet, et hoc elegantiae praemium apud
me feret.
5. Scio summi oratoris esse sententiam,
nullius agricolae stirpem tam diuturnam /
quam boni poetae versum conseri posse.
Verum ego non tanti duco gloriae illecebras
ut decori rationem et temporis posthabendam
existimem, cui sapientem servire in primis
decet. Vale.
Ce tableau montre clairement que la version de E / Vc est beaucoup plus longue et plus
explicite que celle de C. Vu la nature des ajouts et des transformations qu’elle comporte, elle
devient également beaucoup plus insistante !
La version plus ancienne, celle de C, est essentiellement une lettre de remerciement à travers
laquelle l’auteur, après s’être acquitté de cette charge, en vient à un éloge, et même à un autoéloge, bien que celui-ci soit nuancé. La version de l’édition et de Vc, par contre, semble
beaucoup plus éloge et auto-éloge que lettre de remerciement! La première nous renseigne sur
le caractère de Corycius en tant qu’homme reconnaissant envers son ami (Arsillo vero etiam
atque etiam debeo) aussi bien qu’envers les poètes qui ont contribué à fonder et à développer
sa gloire (illi tanti viri, quorum quicquid sum, totus sum). Voilà pourquoi lui-même loue
Arsilli d’avoir chanté le juste éloge des poètes, et revendique de la gloire pour eux ([Arsillo]
verissimas cuiusque laudes attingens, et quasi in concilio Musarum collocatos posteritati
sempiternae conspiciendos exhibuit.). Le fait que ce même Arsilli soit appelé « notre [cher]
Arsilli » (noster Arsillus) montre que l’homme n’est pas inconnu à Corycius, mais fait, au
contraire, partie de son entourage. Par ailleurs, cette première version semble montrer que
Corycius n’est point un homme arrogant ou superficiel comme des critiques ont pu le
suggérer – que l’on ne pense qu’aux allusions de Silvanus dans la lettre précédente –, mais au
contraire un homme qui, à travers le bon sens, sait juger les autres (obtrectatores […], quos
__________________________________________________________________________________________
197
__________________________________________________________________________________________
satius est contemnere quam non satisfacere bonis viris) et en accepte des jugements en retour
(cumque efflagitationibus, ne dicam prope conviciis virorum probatissimorum cogar carmina
nostra […] publicare), ce que la lettre-dédicace corroborerait entièrement344. Les bons
conseils d’un ami ont ainsi pu dissiper des soucis et scrupules préliminaires au sujet de la
publication des poèmes, et le sens de la décence et de la convenance envers les poètes l’a
emporté sur les hésitations personnelles (tuis monitis non tam sane quod suades, quam ut
officio quoquo possum testimonium reddam mutuum annectumque libellum alterum alteri. Id
enim exposcere videtur nonnulla quoque necessitas, quae utrisque intercedit). Homme
reconnaissant donc et conscient de ce qu’il convient de faire et de dire quand actions et
paroles concernent autrui autant que soi-même : voilà le portrait de Janus Corycius à travers
cette lettre.
Il en va différemment dans la seconde version de la lettre de réponse à Silvanus. En effet,
dans cette version, Corycius, après avoir remercié son ami selon les règles de la politesse de
lui avoir fait parvenir l’opuscule d’Arsilli (multam, Silvane, tibi debeo gratiam, quod mihi
nostri Arsilli de urbanis poetis legendum lidellum indulseris) – et ici les deux versions ne
diffèrent encore que guère –, insiste sur le fait que l’ouvrage lui parvient à un moment
absolument propice. C’est alors que les divergences commencent. Au lieu de la simple
mention de l’à-propos de la lettre que l’on trouve dans la première version, la seconde
implique le travail quotidien de Corycius. Elle suggère ainsi que les plaidoyers et les litiges
quotidiens ne lui sont plus supportables (longe iucundiorem profecto et venustiore iis libellis,
qui mihi quotidie inter manus versantur, et lites praeferunt atque contiones ac, licet assueto,
nauseam et bilem commovent) et l’homme reconnaissant et consciencieux des convenances de
la première version, nous apparaît ici las, voire dégoûté de son travail de protonotaire. La
politesse neutre et décente de tout à l’heure devient aveu quasi public d’une fatigue certaine
face au travail quotidien : exagération ou vérité ? Si l’on considère la suite de la lettre, on
constate que l’auteur continue à rendre la lettre plus personnelle et plus subjective : au lieu de
remercier les poètes en reconnaissant qu’il doit beaucoup à leurs œuvres – formule d’une
sincérité profonde et témoignant d’une reconnaissance véritable (illi tanti viri, quorum
quicquid sum, totus sum) –, Corycius insiste ici sur les œuvres des poètes, sur sa propre œuvre
ainsi que sur le nom et le renom qui y sont attachés (tanti illi viri, quorum opera pene spiro et
vigeo, quorum ope nomen obtineo atque umbris subtrahor). La portée de la lettre se voit
344
Cf. Coryciana, éd. IJsewijn, epistola nuncupatoria, p. 29, et supra : II. 2. a. 2. Commentaire.
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198
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quelque peu réduite, la crédibilité et la sincérité amoindries par une insistance trop flagrante
sur le côté public de l’entreprise, côté qui, justement, semble aller à l’encontre du caractère de
Corycius ! Alors que la version plus ancienne ne mentionne plus la redevance de Corycius
envers les poètes et envers Silvanus, redevance dont Corycius s’acquitte sans pompe ni éclat
en accordant la publication du recueil, en revanche l’ensemble de la suite de la seconde
version semble axée sur une captatio benevolentiae poussée à l’extrême. Si l’on peut encore
revendiquer sans ostentation pour Corycius des veilles aussi éprouvantes – et, assurément,
selon l’auteur, très éprouvantes –, que pour les poètes des Coryciana, le fait d’insister
plusieurs fois sur le bon sens du mécène de savoir distinguer ce qui sied de ce qui ne sied
point (sed ne videar forte ita gloriae appetens esse ut quid deceat, qui dedeceat non prius
dispiciam et Verum ego non tanti duco gloriae illecebras ut decori rationem et temporis
posthabendam existimem, cui sapientem servire in primis decet), semble néanmoins exagéré.
Evidemment, le caractère « comme il faut » de Corycius n’en est point miné, mais la
répétition semble tout de même enlever quelque chose à cette « grandeur tacite », suggérée
par la première version qui, par ailleurs, ne néglige pas de mentionner des « failles » dans
cette grandeur, en parlant de la réticence peut-être exagérée de Corycius. La seconde version,
au contraire, va jusqu’à attribuer un côté « peureux » à notre homme, trop occupé à méditer
sur l’opinion d’autrui pour pouvoir procéder à une publication immédiate, telle que les poètes
la revendiquent. Ce serait donc le mécène lui-même qui, après avoir fait preuve de générosité
et de largesses lors de ses banquets solennels et festifs, se montrerait maintenant réticent,
voire avare envers les mêmes hommes qui lui ont témoigné reconnaissance et fidélité, pour la
simple raison qu’il ne voudrait pas partager le recueil avec autrui ? Dans ce même ordre
d’idées s’insère la citation de Cicéron, « la graine d’aucun paysan ne peut être cultivée aussi
durablement que le vers d’un bon poète »345 qui, sans aucun doute, fait preuve de l’érudition
de l’auteur de cette version de la lettre, soucieux, par là-même, de rapprocher Corycius d’un
personnage marquant de la culture romaine. Evidemment, ici aussi, l’éloge de Corycius est
censé être amplifié, ses qualités glorifiées, vu sa conscience du fait que tout ce qui est censé
durer, doit non seulement être cultivé avec soin, mais déjà être entrepris et semé avec
délicatesse et scrupule. La référence au petit vieux de Cilicie devient par là-même peut-être
trop explicite, trop « vulgaire », si l’on peut s’exprimer ainsi, et la comparaison de Corycius à
un homme sage (verum ego non tanti duco gloriae illecebras ut decori rationem et temporis
345
Cic., Leg. I, 1 : « Nullius autem agricolae cultu stirps tam diuturna quam poetae versu seminari potest ».
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199
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posthabendam existimem, cui sapientem servire in primis decet), à force d’être reprise, finit
également par sembler exagérée.
Dans le cadre de la citation cicéronienne, tout comme dans l’ensemble de la partie de la lettre
qui ne se trouve pas dans les manuscrits C et V, le rôle des « révélateurs » des poèmes, de
Silvanus et de Palladio, en l’occurrence, nous semble trop accentué pour ne pas inciter le
lecteur à penser à une interférence de l’un ou de l’autre dans l’élaboration de la « version
augmentée » de la réponse de Corycius à Silvanus. Or, si tel était le cas, il faudrait
commencer par aller regarder du côté des scribes responsables pour les différentes versions,
d’autant plus que les scribes appartenaient à l’entourage poétique du mécène.
On constate pourtant rapidement que Silvanus a recopié le manuscrit C, où l’on trouve la
version plus ancienne de la lettre. Serait-ce un indice que le scribe recopie une lettre qui, pour
lui, correspond à la réalité ? Le deuxième scribe, Giano Vitali, celui du manuscrit V, où l’on
trouve la version « augmentée » de la lettre, jouerait-il un rôle dans l’élaboration de cette
version, alors qu’il aurait facilement pu vérifier l’exactitude des informations auprès de son
ami Silvanus ? La question ne saurait être tranchée, d’autant plus que Vigil, en corrigeant le
texte de V, reprenait les dires de cette même version « augmentée ». Par ailleurs, les
manuscrits C et V ont un original en commun – rappelons, par exemple, que ni l’un ni l’autre
n’ont la lettre-dédicace de Palladio, mais celle de Cataneo à son frère346 –, et Vigil avait à sa
disposition un autre original qui, comme celui de l’édition, avait la version « augmentée » de
la lettre 400. Ce n’est que le sens des deux versions, c’est-à-dire les divergences entre un
Corycius au caractère modérément fier et un Corycius d’un orgueil allant jusqu’à offenser de
potentiels critiques, que l’on peut suggérer que celui qui truffait la lettre telle qu’elle figure
dans C et V de ces expressions d’auto-éloge, voire d’arrogance, connaissait sans doute le
mécène, mais qui, ou bien, par maladresse, n’avait pas conscience de l’exagération de ses
transformations et ajouts, ou bien, par rancune, ne lui voulait pas seulement du bien, ne seraitce que par peur d’une publication retardée ou non envisagée du recueil.
346
Cf. supra : I. 2. b. Les « péripéties » des Coryciana.
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200
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Pour l’instant, la portée des deux versions de ces lettres, telles qu’elles nous ont été
transmises, ne saurait être définie, mais il est évident que l’une et l’autre ont été écrites et/ou
recopiées dans un but de clarification : l’instigateur des Coryciana, tout en étant caractérisé
par les innombrables poèmes qui lui ont été dédié, a dû être pourvu d’une voix propre, à
travers laquelle il s’exprime, ne serait-ce que fictivement.
Avec la lettre-dédicace de Palladio, cet échange épistolaire ancre la personnalité et la vie du
dédicataire dans un contexte historique et social bien défini, que les poèmes augmentent de
précisions religieuses, littéraires et poétiques.
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201
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202
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Conclusion
Il nous semble évident que la conclusion d’un travail comme celui-ci ne saurait être
concluante à proprement dire. Tout en étant terminé en soi, le présent travail de recherche, de
traduction et de commentaire s’insère dans un projet de traduction commentée plus vaste. On
ne saurait donc prétendre que les informations regroupées ici soient exhaustives par rapport à
l’œuvre intégrale des Coryciana. Si l’œuvre dédiée à Corycius donne un petit aperçu de la
Rome du début du Cinquecento, alors notre travail donne un petit aperçu de l’œuvre… .
En commençant, par exemple, par la traduction et l’analyse du poème de Francesco Arsilli,
nous devrons rendre compte de la diversité des poètes et de leurs créations si nous voulons
situer les Coryciana, non seulement dans leur époque, mais aussi par rapport aux Anciens et
aux poètes qui s’en serviront plus tard comme source d’inspiration. Seules la traduction
intégrale du recueil et une analyse détaillée de tous les poèmes pourront situer correctement
cet ensemble de témoignages poétiques par rapport à la littérature latine.
Nous pouvons néanmoins retenir dès maintenant que les portraits de Corycius et de son
entourage se sont précisés avec les textes que nous avons traduits. Nous allons même jusqu’à
suggérer que, peut-être, Pierre Grégoire n’avait pas tout à fait tort quand il a chanté l’éloge de
notre homme d’ici un peu plus d’un demi-siècle. « Ami des lettrés de la Renaissance » 347,
Corycius nous semble en effet aujourd’hui moins inconnu, et ses occupations, au moins le
jour de Sainte Anne, nous sont désormais plus familières. Par ailleurs, les éléments du recueil
analysés, que ce soient les quatre extraits principaux ou les poèmes cités tout au long du
développement, constituent un miroir à facettes multiples de la société romaine de l’époque.
L’occasion à laquelle les poèmes ont été rédigés et leurs différentes formes d’expression
renseignent le lecteur moderne sur la vie et la pensée des poètes de l’époque. De même leurs
professions de foi – signe de leurs piété et spiritualité –, leur engagement politique, religieux
ou littéraire, leurs perspectives et leurs objectifs, leurs ambitions et leurs amitiés, permettent
d’affiner le portrait de la Rome de ce début de siècle. Si tous les poèmes ne font pas preuve de
la même qualité stylistique, leur motivation, commune à tous et indélébile, reste un point
d’intérêt non négligeable.
347
Cf. Grégoire, P., Die Entdeckung des Giano Coricio, Erzählung, Luxembourg, 1948, préambule, cité cidessus : I. Janus Corycius : L’homme et « son » œuvre.
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203
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Les poèmes que nous avons choisi de traduire dans le cadre de ce travail sont des poèmes
importants, rédigés à des moments stratégiques de la composition, de l’établissement et de
l’édition du recueil, et ils témoignent tous d’une profession de foi sincère. Voilà pourquoi de
nombreux appels à d’autres témoignages du recueil se sont avérés indispensables afin de
donner un aperçu tant soit peu général de cette œuvre multiple. De l’autre côté, les
conceptions du monde – assez complexes – de Silvanus, par exemple, n’étaient de toute
évidence pas partagées par tous les poètes du recueil, et ce poète doit vraisemblablement être
compté parmi les auteurs les plus distingués des Coryciana.
C’est ainsi que la question suivante devra sans doute être élucidée : pourquoi y a-t-il de telles
divergences au niveau de la forme, de la longueur, de la recherche et de l’élaboration des
poèmes ? D’ailleurs, y a-t-il eu des critères pour que tel poète soit représenté dans les
Coryciana par un, deux ou plusieurs poèmes, et que tel autre, mentionné peut-être, mais pas
forcément, par Arsilli, n’y ait pas contribué ? Si oui, quels furent ces critères ? Manque de
place, enfin, sur les panneaux de la stèle, comme Silvanus a voulu le suggérer ? Une telle
supposition ne serait pas satisfaisante, étant donné que tous les poèmes de Silvanus ne
semblent pas avoir été donnés à Corycius après avoir été accrochés dans l’Eglise
Sant’Agostino, mais plutôt rédigés à un moment où le projet d’édition était déjà envisagé. Estce alors le goût littéraire du mécène qui se reflète dans la composition du recueil, telle qu’elle
nous est parvenue ? A cette question aussi, on ne saura répondre de manière satisfaisante
qu’après avoir traduit et commenté tous les poèmes, afin de leur accorder leur juste valeur au
sein du recueil.
Quel est, par ailleurs, le rôle exact de Blosio Palladio dans ce projet ? Et quelles informations
est-ce qu’il retient quand il se présente comme unique révélateur de l’œuvre ? De même,
quelle est l’importance de Palladio et de Silvanus dans le rapprochement de ce texte des
Géorgiques et même des Bucoliques virgiliennes, comme celui-ci semble avoir puisé son
inspiration chez le modèle classique, alors que celui-là a explicitement comparé notre
Corycius au petit vieux de Cilicie ? Leurs textes, suggestifs l’un et l’autre, ont-ils influencé les
lecteurs et commentateurs ultérieurs ? Nous sommes-nous laissé influencer de la même
manière ? Quelle que soit la réponse, il est évident qu’un texte d’une envergure telle que les
Coryciana requiert la recherche d’ensemble annoncée.
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204
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Quant au sujet principal même des poèmes, à savoir les statues et la stèle dans l’Eglise de
Sant’Agostino, une autre question à élucider est celle de l’absence totale de Raphaël dans les
poèmes, alors que la fresque ornant la stèle de l’autel dédié à Sainte-Anne a été réalisée par
lui. S’agit-il d’une sorte de propagande négative à un moment où Michelange fut plus en vue
à Rome, voire d’une fausse attribution, ou bien tout simplement d’un témoignage de
reconnaissance extrême à Andrea Sansovino, sculpteur de moindre renommée, tout comme la
plupart des poètes sont de moindre renommée ?
Par ailleurs, le commentaire entamé dans le présent travail sera affiné au niveau de
l’intertextualité, puisque les poèmes de Silvanus font davantage appel aux Silves de Stace, et
que les références à Virgile, abordées seulement en cours de route, méritent une considération
à part, aussi bien au niveau du vocabulaire qu’au niveau des images et des conceptions
générales. Nombreuses sont également les réminiscences d’auteurs classiques dans les autres
poèmes, non évoqués ici.
Enfin, des recherches « sur le terrain » s’avèrent indispensables, non seulement au niveau des
manuscrits – Jozef IJsewijn a assurément fait preuve d’un travail remarquable –, mais aussi en
ce qui concerne la situation exacte de la demeure et des jardins de Corycius. Une analyse plus
détaillée de la stèle, de la statue, de la fresque et des inscriptions permettra, par ailleurs, de
fournir des informations plus détaillées au projet intégral.
Concluons que les Coryciana constituent une source d’informations précieuse au sujet de ce
« Luxembourgeois à Rome », avant que la capitale humaniste ne sombre pour quelque temps
dans le gouffre des rivalités politiques et religieuses. Rendue un peu plus accessible au
lectorat francophone dans le présent travail, l’œuvre des Coryciana lui sera entièrement
révélée dans un travail de recherche, de traduction et de commentaire futur plus ample.
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205
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206
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Annexes
Annexe 1 : Le mécénat des Médicis
Girolamo Vida au sujet du mécénat des Médicis, in Opera, Venise, 1538, p. 205, cité par V.
Fanelli, Ricerche su Angelo Colocci e sulla Roma cinquecentesca, Bibliotheca Apostolica
Vaticana, Vatican, 1979, p. 97 :
Iam pridem tamen Ausonios invisere rursus
Déjà hélas les Muses rappelées de l’ouvrage des
Coeperunt Medycum revocatae munere Musae :
Médicis
recommencèrent
à
jalouser
les
Ausoniens :
Thuscorum Medicum, quos tandem protulit aetas
L’ouvrage des Médicis Toscans, qu’enfin le
Europe in tantis solamen dulce ruinis.
temps a révélés, doux remède pour l’Europe au
milieu de ruines aussi vastes.
Illi etiam Graiae miserati incommoda gentis.
Ceux-là ont même pris en pitié les malheurs des
Grecs.
Ne Danaum penitus caderet cum nomine virtus,
De peur que la vertu des Danaëns ne disparaisse
avec la chute de leur nom,
In
Latium
advectis
iuvenes,
iuvenumque Amenés dans le Latium, les jeunes gens et leurs
magistros,
maîtres,
Argolicas arteis quibus esset cura tueri,
et les arts d’Argos qu’il faut protéger avec soin,
Securos Musas iussere, atque ocia amare.
Ils ordonnèrent que les hommes sans soucis
aiment les Muses et leurs œuvres spontanées.
Illi etiam captas late misere per urbes,
Ceux-là, même à travers les villes prises partout
Qui doctas tabulas veterum monimenta virorum
par le malheur, pour apporter au prix du marché
Mercati precio adveherent, quae barbarus igni
de doctes tableaux, souvenirs des Anciens,
Tradebat, Danaum regnis opibusque potitus.
que le barbare livrait au feu, quand il s’empare
des pouvoirs des Danaëns et de leurs richesses.
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207
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Annexe 2 : IOABBIS PASCOLI SEEX CORYCIUS (1902)
I
Unam vidit apem cum secum diceret aeger
Vergilius : « Sic ista tepet tibi bruma, Tarentum?
Sic mihi terrarum super omnes, angule, rides?
Sic, flumen, glacie consistis, dulce Galaesi?
Quid faciam, vati nimium confisus amico? »
Hos apis abrumpit tantillo murmure questus.
Nempe querebatur vernum sibi desse teporem
Extremas operis cupienti excudere ceras,
Spargeret ut rorem post sacrum protinus ignem.
Illo Vergilium nam tempore rura canentem
Abdiderat quae tranquillo canit aequore Siren
Multaque Parthenope (didicit nam cuncta) docebat.
Septima venit hiems, cum iam sub fine laborum
Adiceret triplici caelestia dona libello.
Tum caelum contraxit hiems, et frigidus imber
Vocales prohibebat apes erumpere tectis.
At Lacedaemonium tristis petit ille Tarentum,
Hibernam, te vate, rosam visurus, Horati.
Oebaliae squalebat ager sub turribus, Aulon
Candebat nivibus, velabat crusta Galaesum.
A! Vere dicetur hiems ignava poetae!
Nam paucos primo mandabat mane tabellis
Versiculos, nec erat quod vespere lamberet ursa.
Dein horrere dies inaratam postera ceram
Et stilus usque suum frustra prescindere campum.
Quid, cum iam libros coepit sibi poscere pumex?
Nam perhibebatur victrici saepe liburna
Caesar ad Ausonium iam festinare triumphum;
Et perfecta velit libare Georgica Caesar.
Solus Vergilius saltus lustrabat et agros
Increpitans Zephyrum : « Quid tantum flare moraris? »
Hinnitum tollens Aquilo respondet acutum.
Tandem vidit apem : nec erat tum cernere torpentem
Inter palliolum manibus : se comit et ornat
Cruribus, ut flores adeat permunda politos.
« Ver ubinam, virgo, tibi? » Vixdum dixerat, ecce
Dirigit illa volans gressum dubitantis ad hortum,
Qua dabat intexta cancellus arundine rarus
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208
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Non aditum, vates, ipsi tibi : tu fore servas.
At per transennam te cognovere tuentem
Quotquot apes circum violas inde usque metebant.
Evasere aliae ringentis ab ore leonis,
Destiterunt siccare aliae lacrimas narcissi,
Ediderunt omnes magno cum murmure cantum.
Unus in horrenti ridebat hic hortulus agro :
Ridebant flores Borean in monte gementem
Atque imitabantur nivis ipsa veste colorem
Securi : niveaque senex per gramina barba
Reptat, et hic fulcit pendentia lilia iunco,
Hic paleis operit rugosam frigore caltham,
Hic cratem tendit duplici super amite virgeam,
Ut possit gelidas contemnere flosculus auras:
Falx est in manibus : curva secat arida falce.
Saturnum dicas alium, qui fallat agello
Abditus et casula natum per cuncta meantem.
Hic immortalem sustentat melle senectam.
At caelique marisque volat per caerula circum
Iuppiter, et terras gelidis quatit undique ventis.
Nequiquam : paleis vetulus sua regna tuetur
Exiguis olitor, florum pater atque apium rex.
II
« Fortunate senex » parvo post tempore vates
Tali voce redux vetulum compellat in horto :
« Ut salvus? rectene vales? » « Patienter ». « Amabo :
Quaenam, quae portas umeris huc germina? » « Pinus ».
« Quam comptus tibi, quam nitidus, pater, hortulus hic est! »
« Non fuit ». « Arte colis qua tam feliciter » « Arte ».
« Est, quod agas : ignosce : nimis sum forte molestus ».
« Sat ». Silet hic vates arridens leniter. Ille
Ultro tunc tacita victus dulcedine fatur :
« Hoc habeo curare thymum et disponere circum
Has pinos ». « Ne me respecta : nil moror », inquit.
Cumque haec curantem consectaretur : « Et ipsi,
Noli admirari, mihi sunt alvearia cordi.
Iamque et oves pavi, nunc laudo rura, magister
Exigui pridem pecoris, nunc pauperis agri ».
At nutu negitare senex. « Mihi crede: sed istinc
Praediolum procul est ». « Nonne his tu finibus ortus? »
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209
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« Mantua me genuit. Te vero? » « Corycus ». « An mons,
Unde croci triti fert aurea fila phasellus? »
Ille nihil : scrobibus pinos committit : at horret
Surculus in manibus, velut huic adflaverit aura.
Sederat in gleba tiliae gemmantis adhaerens
Trunco Vergilius. Bene florens hortus olebat
Areolaeque levi mussabant undique bombo.
Ipse pugillares citreos deprompsit, et illum
Pangebat ceris omni de flore susurrum.
Tum vatem spectare Cilix, et dicere secum :
« Rusticus est facie : nimirum cultor agelli
Et custos ovium fuit, ipso teste : sed idem
Mutat et interdum mihi fit deus ». « Hospes, at istas »
Inquit Vergilius « pinos huc unde tulisti? »
« Portavi de monte, vides quem surgere coram ».
« Ipse thymum pinosque ferens de montibus altis... »
« Ipse ». Iterumque Maro Cilicem respexit amice.
Atque hinc hospitium iunctum est : et saepe redibat
Vergilius. Nitido vates olitoris in horto
Descriptas proprio replebat nectare cellas.
Quin didicit, satio quo sidere floribus esset,
Et quibus incertum ver halaret hyacinthis
Et quos respiceres abiens, autumne, colores.
Sirpiculos, olitor, ne cessa texere iunco :
Nulla venit nobis et abit sine floribus aetas.
Iacta semel crebris irrora semina guttis.
Iam saturanda fimo tellus. Tibi raucus asellus
Somniat in stabulo clitellas stramine pastus.
At pudeat misero paleas apponere solas!
Hic operum socius fructum tibi vectat in urbem,
Linquit hic in caulis, fiat quo pinguior hortus.
Neu primum marrae, neu posthac parce bidenti.
Sed sectare manu subitas in floribus herbas :
Laedet enim ferrum fibras nascentis anethi.
Ne pigeat saeva tondere rosaria falce.
Et cum se roseae trudunt de palmite gemmae,
Haerentes teneris cochleas venare flagellis.
Multas una rosas valuit praerodere limax.
Tandem: « Care senex, hortos quoque deinde canemus.
Mella quidem relino : mox te celebrare magistro
In vinum natos iuvat aut in funera flores :
Tum quod in exigua fumans olus acre patella
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210
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Exhilarat frontem reducis nidore bubulci ».
III
Spectabat mare caeruleum de vertice collis
Mente Cilix tota. Prope falx et marra iacebant.
Stabat : et incanos pellebat flamine crines
Ventus et implebat gelida salsugine barbam.
Tempus erat dare vela rati : veniebat hirundo.
Hic luteas ad tecta domos fingebat hirundo,
Illinc e placido prodibat navita portu :
Atque hic garrulitas subgrundas rauca lacessit,
Hinc evanescit tranquilla per alta celeusma.
Detinet ille oculis abeuntes litore naves.
Mox ingens ad se Cilicis vocat ora triremis
Remorum pellens acquo certamine pontum.
Obtutu rostrum sensim gliscentis in undis
Excipit ille, diu defixus, nec videt amens
Vergilium iuxta summo consistere colle.
Vergilio paulo ante, domi non esse videnti,
Vicinus, segetes dum sarrit, dixerat : « Illic
(Sarculus ostendit montem) lupus, ut solet, errat ».
At nil respondens monti subrepere vates.
Attulerat nuper signatas urbe tabellas
Cursor. Dicebant : Maecenas Vergilio. Scis
Me desiderio tum Caesaris oblanguere,
Tum, fugitive, tui. Iamiam venit ille ; venito
Et tu, si me amas. Belle recitabis utrique,
Qua tu voce vales atque ore, Georgica. Melli
Hoc erit. Aenean mox cantu ad litora duces
Nostra. Vale. Simul haec sublegit : « Iam mihi », fatur
« Horte, vale : flores mihi iam caulesque valete.
Rorabunt alii putres aspergine porcas,
Et facient nitidas ex rubro vere corollas! »
Interea egressum ducebat semita vatem
Ipsa domum Cilicis. Simul haec iaciebat in auras :
« Vela traham puppimque ad litus fune ligabo :
Scilicet in portu lateam. Portune? Quid aeger
Dixi? Nunc adeo vastum maris aequor arandum!
Aeneae cursum Latias tendentis ad oras
Quis dicat, nisi qui patientem dixit Ulixen?
Dein et bella canam? Mox tentem pastor Achillem?
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211
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Non ego. Deductum filo dic, Tityre, cantum ».
Venerat ad casulam. Monitus conscendere montem
Incipit : erepit : iam sensim prospicit infra
Caeruleum late labi mare. Lintea longe
Omnia collucent, series velut alba larorum.
« Litus ama » vates ait. Ecce in vertice montis
Attonitum Cilicem videt, atque accedit et infit :
« Ipse ego vela, Cilix, iubeor nunc pandere ». « Felix! »
Horti respondet cultor. Miratur et addit
Vergilius : « Quid? Tu linquas hunc iussus agellum? »
Ille autem subito : « Veteri me redde paroni!
Quam lauto mihi terra urbesque agrique recedent!
Tu laudas flores : florent mihi sidera caeli,
Aureoli quorum calyces de nocte dehiscunt.
Tuque et aves et apes: resonant mihi dulce rudentes.
O felix iuvenis, velo ventoque fereris!
Inficiere oculos caelique marisque colore!
Nil vita est nisi quam salvam tibi reddidit Auster!
I : quodsi obruerint medio maris aequore venti,
Cernere si detur tantum, nec tangere, terram... »
Demisit lacrimas, nihil insuper addere passus,
Amplexuque senex tenuit pirata poetam.
Qui « tentanda via est » rediens aiebat, et ultro
Praeteriit pingues hortos aliisque reliquit.
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Annexe 3 : Le poème 393 de Silvio Laurelio
(Coryciana, éd. IJsewijn, p. 326) : textes latin et français :
Traiano haec quondam, nunc Annae sacra parenti ;
Jadis ceci pour Trajan, maintenant des
cérémonies sacrées pour l’aïeule Anne ;
Caesaris hinc nomen, numen at inde Deae est.
D’ici le nom de César, de là la volonté de la
Sainte.
Quam bene utrunque ! Putes vix haec potuisse
A merveille, l’un et l’autre ! On pourrait à
sacrari
peine croire que ceci a pu être consacré
Vel meliore viro, vel meliore Dea.
ou par un homme meilleur, ou par une Sainte
meilleure.
Annexe 4 : La demeure de Corycius à Rome
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Annexe 5 : Liste des poètes mentionnés dans le De poetis Urbanis
Jacques Sadolet (1477-1547)348,
Pietro Bembo (1472-1547),
Marcus Girolamo Vida de Crémone (ca. 1485-1566),
Franciscus Sperulus (Sphaerulus) Camers (†1526 ?),
Marco Antonio Casanova (ca. 1475-1528),
Egidio Gallo (circ. 1511),
Camillo Porzio (Porcari) (circ. 1514),
Giovanni Maria Cataneo Novariensis, auteur de la lettre-dédicace des mansucrits C et V,
Augustus Baldus / Valdus Patavinus (ca- 1450-1527),
Antonio Laelius (Massimi de’ Lelli ?),
Pietro de Luna d’Aragon (1394-1424)349,
Pindarus Santesius Sublaqueensis (1463-1526),
Pietro Tamira (1464-apr. 1519),
Faustus Evangelista Capiferreus Mathalenus (†début 1527 ?),
Baldassare Castiglione (1478-1529),
Pietro Mellino (†1725),
Celso Mellino, (1500-1519)
Blossio Palladio (ca. 1475-1550),
Baptista Casalius (Romanus) (ca. 1473-1525),
Antonio della Pagliara (1503-1570),
Pierio Valeriano (1477-1558),
Vicenzo Pimpinella (1485-1534),
Filippo Beroaldo junior (1453-1505),
Mario Maffei de Volaterra (1459-1537),
Galeatius Capella, (*~1490),
Bernardinus Capella (1460-1524),
Amiternus Antonius (†1522),
Raphael Lippus Brandolinus (ca. 1465-1517),
Ioannes Antonius Marosticus / Giano Antonio Matteazzi (†1523 ?),
Lorenzo Valla (1407-1457),
348
349
Cette liste ne constitue qu’un repère des noms mentionnés dans le poème en question et devra être complétée.
Pietrasanta, selon Francolini, Bénédict XIII selon IJsewijn.
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214
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Agathinus / Boninus (?),
Luca Filectico (1430-1490 ?),
Flaminius Marcus Antonius Forocorneliensis (1498-1550),
Scipio Lancellottus (docteur ès arts et médecine) († 1517),
Polius Donatus Florentinus de Toscanie (rhet. prof.),
Angelo Colocci Aesinas (1474-1549),
Scipio Carteromachus [Fortiguerra] Pistoriensis (1466-1515),
Aulus Ianus Parrhasius Consentinus (1470-1522 ?),
Vopiscus Ioannes Ludovicus / Aloysius de Naples († après 1548)
Raymundus de Cardona (préfet militaire Aragonensis) (1476-1523),
Mariangelus Accursius Aquilanus (ca. 1489-1546),
Petrus Andreas Ramazanus (Ramatius Fulginas ?),
Giovanni Antonio Arca (sous Jules II et Léon X),
Christophorus Suchtenius Dantiscanus (1476/7-1519),
Caspar Ursinus [=Bernhardi] Velius Silesius (1439 ?-1539),
C. Silvanus Germanicus de Silésie (1490-1527),
Jacobus Piso Transylvanus (†1527),
Ianus Pannonius (1434-1472),
Andreas Fulvius Praestinus (ca. 1475-†1527),
Syllanus Spoletinus,
Antonius Tebaldeus (de’ Tebaldeschi ?) de Ferrara,
Lucas Bonfilius (Bonfiglio) Patavinus (ca. 1470-1540),
Camillus Paleotus Bononiensis (†sous le pontificat de Léon X, âgé de 25 ans),
Thomas Fedra Inghirami de Volaterra (1470-1516),
Fabius Vigil Spoletinus (ca. 1480-1553),
Caesar Saccus Mediolanensis/Laudensis ,
Iohannes Iacobus Trivultius (1447-1518),
Franciscus Cetrarius Bruttius,
Michael Venturus Fulginas,
Ianus Macer,
Emilio Marco de Vérone,
Cruciger Nicolaus Patavinus (nom d’ordre religieux ?),
Guido de Silvestribus Posthumus Pisaurensis (1479-1521),
Marcus Caballus (<Pegasus) Anconitanus (†1524 ?),
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215
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Paulus Bombas/cius Bononiensis (1476-1527),
Marcellus Palonius Romanus,
Bernardinus Dardanus Parmensis (1472-1535),
Giano Vitali Panormitano (ca. 1485-ca. 1560),
Andreas Maro Brixianus (célèbre chantre) († ca. 1528),
Franciscus Modestus Ariminensis,
Camillus Quernus Monopolitanus (archipoeta pictus) (ca. 1470-ca. 1528),
Pietro Corsi Carpinetanus (fl. 1509-1537).
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216
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Annexe 6 : Blosio Palladio, Ad Corycii Columnam Ode Monocolos
(Coryciana, éd. IJsewijn, 56, pp. 75-77), textes latin et français :
Quae templi medium nixa tenes locum,
Toi qui occupes le milieu du temple avec assurance,
Sacrosancta Columna hospitium Deûm,
Très sainte Colonne, refuge des Dieux,
Vatum materies, artificum labor,
Support des poètes, œuvre d’artistes,
Spes certissima mortalibus ac salus,
Espoir très certain et salut pour les mortels,
Lapsam te supero credere fas polo est,
On croirait que tu as glissé du pôle dans les hauteurs,
Cusamque aethere in alto manibus Deûm,
Forgée dans le ciel éthéré par les mains des Dieux,
Non hic de Latiis montibus erutam,
Non pas creusée ici aux pieds des monts du Latium,
Aut caelo effigiatam aut hominum manu.
Représentée ou par le ciel, ou par main d’hommes.
Nam cur sint Superi expertia numinis
Car pourquoi ces rochers-ci seraint-ils dénués de
Saxa haec, quae Superûm dant tria numina,
volonté divine, qui donnent trois signes divins
Quae numen Superûm vatibus ingerunt,
Qui imposent aux poètes la volonté divine,
Et castas hominum tam eliciunt preces ?
et font naître de si chastes prières humaines ?
Non sunt, crede, Deûm expertia numinis,
Elles ne sont pas, crois-moi, dénuées de volonté
divine,
Quae vates adigunt tam bene dicere,
Qui amènent les poètes à si bien parler,
Scalptorem faciunt tam bene scalpere,
Qui permettent au sculpteur de si bien sculpter,
Pictoremque docent tam bene pingere.
Et apprennent au peintre à si bien peindre.
Salve, augusta Columna, hospitium Deûm,
Salut, auguste Colonne, refuge des Dieux,
Vatum materies, artificum labor,
Support des poètes, œuvre d’artistes,
Spes certissima mortalibus ac salus !
Espoir très certain et salut pour les mortels !
O ter fausta Columna, hospitium poli
Ô Colonne trois fois heureuse, refuge du ciel
Verorumque Deûm, non veteris Iovis
Et des dieux véritables, non pas du vieux Jupiter, ou
Aut priscae Cybeles aut Cythereiae,
des anciennes Cybèle et Vénus,
Ast Annae, ast Mariae, ast veri adytum Dei !
Mais sanctuaire d’Anne, de Marie et du Dieu
véritable !
Tu, quanquam lapide es tota Tyburtio,
Toi, bien que tu sois tout entière en pierre tiburtine,
Et tantum statuis Luna micat tuis,
Et que Luna seulement brille à travers tes statues,
Sic felicior es tu atque beatior
Tu es à tel point plus fortunée et heureuse,
Hoc cultu, his numeris, his Superis potens,
Puissant par ce culte, ces vers et ces divinités,
Quam si vel Phrygium marmor et Aphricum
Que si en marbre, tu comptais les vieux Phrygien et
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217
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Mendaces veterum duxeris in deos ;
Aphricus parmi les dieux mendiants ;
Sic felicior, inquam, atque beatior
A tel point plus fortunée, dis-je, et heureuse
Quam si mole Rhodos protumeat tua,
Que si Rhodes jaillissait de ta forme,
Eleumve Iovem, structave cornuum,
Ou si tu surpassais Jupiter Eléen, ou les autels des
cornes,
Et quodcumque vetus fama tulit, feras.
Et tout ce que la vieille renommée nous rapporte.
Nam praeter quod et heic ars, lapis enitent,
Car outre cela également, outre cet art, la pierre luit,
Haec vatum altiloquis dicta cluent sonis ;
Ces paroles des poètes sont illustres par leurs sons
grandioses ;
Divos illa malos, ista bonos ferunt ;
Ceux-là rapportent les mauvais dieux, celles-ci les
bons ;
Illic materies, hic pietas enitet.
Là c’est la matière qui luit, ici la piété.
Haec sunt, haec monumenta, o Veteres,
Voici, ô Anciens, voici des monuments de bien !
bona !
Haec sunt optima opima, haud ea sanguine
Voici les meilleures victimes, loin de votre Sang et
Vestro atque hostium adepta, inque Feretrii
de celui des ennemis, et pesées pour le temple de
Templo appensa Iovis ; heic melior locus
Jupiter Férétrien ; voici un endroit meilleur
Figendis spoliis atque tabellulis
Pour représenter les dépouilles et les tableaux
Voti compotibus, totque epigrammatis
Dont le vœu s’est réalisé, et pour tant d’épigrammes
Doctorum, pia quae concinuit chelys.
d’hommes savants, qu’une pieuse lyre accompagne.
Tu vero, Coryti, qui ingenia et manus
Toi, assurément, Corycius, qui fis naître les talents et
Vatumque artificumque elicuisti, et has
l’adresse des poètes et des artistes,
Tam claras statuas munere das tuo,
Et qui donnes ces statues si célèbres comme ton
propre cadeau,
Dii te perpetuo munere sospitent !
Que les dieux te protègent par un cadeau éternel !
Sic tu, ut tu meritus, saecla perennia
Qu’ainsi toi, comme tu l’as mérité, tu vives
Vivas incolumis ; tum senio levi
Sain et sauf pendant des siècles éternels ; qu’alors par
une vieillesse légère
Vincas Nestora, quem et consilio praeis.
Tu surpasses Nestor, que tu surpasses déjà en conseil.
Sic castae huc hominum de te habeant
Qu’ainsi de chastes prières d’hommes parlent de toi !
preces !
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218
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Annexe 7 : La stèle de Sant’Agostino
intégrant le groupe statuaire de Sainte Anne, de la Vierge et de l’Enfant, réalisé par Andrea
Sansovino et la fresque d’Isaïe, réalisé par Raphaël :
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219
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Annexe 8 : L’épigramme 45 de Fabio Vigil Spoletino
(Coryciana, éd. IJsewijn, p. 71) : textes latin et français :
Palladium coelo lapsum male lusa Vetustas
L’ancienneté mal amusée crut que Palladio était
tombé du ciel et
Motare atque hastam credidit atque oculos.
Animait et l’action et les regards.
Tu nobis tria signa hominum, Iane, arte
Toi, Janus, tu nous as fourni trois statues
parasti,
d’hommes avec un tel art
Quae motari, etiam verba referre putes.
Qu’on les croirait animées, voire douées de
parole.
Illud, et Ili arce et custodibus adservatum,
Cette beauté, conservée encore par la citadelle et
les gardiens d’Ilion,
Tydidae patuit fraudibus atque Ithaci.
Fut livrée par les fautes de Diomède et d’Ulysse.
At tua divino, Coryti, defensa favore,
Mais tes statues, ô Corycius, par la faveur
divine,
Nullius poterunt signa patere dolis.
Ne pourront être livrées par la ruse d’aucun
homme.
Adde quod et vatum simulacris gloria parta
Ajoute que même pour les représentations des
est
poètes inspirés, c’est du poème
Carmine, quam possit nulla abolere dies.
Que naquit la gloire qu’aucun jour ne pourra
détruire.
Quantum igitur tibi debemus, qui falsa
Ô combien te devons-nous donc, à toi qui
priorum
vainquis les divinités
Vicisti veris numina Numinibus !
Vaines des ancêtres par les divinités véritables !
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220
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Annexe 9 : La fresque d’Isaïe, exécutée par Raphaël
avec les inscriptions en grec et en hébreu :
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Annexe 10 : Le portrait d’Andrea Sansovino
représenté par G. Vasari, op. cit., p. 307 :
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Annexe 11 : L’épigramme 271 de Caius Silvanus Germanicus
(Coryciana, éd. IJsewijn, pp. 186-187) : textes latin et français :
Quartam versiculis suis tabellam
Des hommes très élégants ont rempli
Explevere viri disertiores,
De leurs versets le quatrième tableau,
Nec nostris superest modis locellus.
Et nul petit endroit ne subiste pour nos vers.
Quare, Iane, rogatus adde quintam,
Laisse-toi donc prier, Janus, et ajoutes-y un
cinquième,
Seras respue nec meas Camoenas.
Ne repousse pas mes inspirations tardives.
Quas si tu penitus nihil moraris,
Si tu ne les suspends point tout à fait,
Ast componere sic mihi videtur
Il me semble ainsi que tu dois les arranger
Deberes numero probatiore.
En nombre plus approprié.
En plures alii locum, Coryti,
Eh quoi, plusieurs autres poètes, Corycius,
Suis carminibus petunt poetae.
Demandent de la place pour leurs poèmes.
His tu non dabis ? An : "Quid inter istos",
Tu ne la leur donnes pas ? Ou « Pourquoi, dis-tu,
Refers, "tu quoque collocarier vis ?
Veux-tu que je te place, toi aussi, parmi eux ?
Inter candidulos greges olorum,
Parmi des troupeaux de cygnes blanchâtres,
Qui melos bene concinunt suave,
Qui chantent de concert, doucement, de la poésie,
Corvus decolor ac strepente voce
En corbeau noir et d’une voix stridente,
Turbabis crocitans sonos canoros ?"
Tu troubleras des sons harmonieux en croassant ? »
Subrides, simul asperasque nasum,
Tu souris tout en fronçant le nez,
Et ronchos mihi comminaris, istaec
Me menaces de coassements, si je ne m’avançais
Ni cessem temerarius rogare.
Pour demander cela, au hasard.
Non sic ! Vera nihil pudet fateri :
Pas ainsi ! Il n’est pas honteux d’avouer la vérité.
Certe pessima pessimus poeta
Très mauvais poète, certes, j’écris
Scribo carmina ; nonne corvus atque
Des vers très mauvais ; mais le corbeau et
Cycnus est avis ? At nimis superque
Le cygne, ne sont-ils pas oiseaux tous les deux ?
Videris, Coryti, mihi severus.
Mais tu me sembles, Corycius, excessivement sévère.
Nescis ut faciem decet venustam
Tu ne sais pas que le déshonneur sied le bel aspect,
Naevus, qua sine bella bella non est.
qui ne peut être beau sans charme.
Tu meos male pessimos notasti
Toi tu as mal mentionné mes vers très mauvais ;
Versus ; te male pessimus notabo
moi, très mauvais poète, je te mentionnerai mal.
Vates ; tu numerum imparem Deorum
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223
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Forsan nescis adhuc, eumque sacrum
Peut-être ne connais-tu pas encore le nombre inégal
Esse religioni, et ipse prorsus
des Dieux, et que cet honneur sacré
Coli abs te Superos puta ad unguem.
Appartient à la piété religieuse ; toi-même, pense
Absolument que les divinités sont honorées par toi
Quare da precibus locum, et poetis
jusqu’à la perfection.
Doctis, pentade finiens tabellas,
Fais donc suite aux prières et aux poètes
Et nostris aliquem simul locellum
Savants, en achevant un cinquième tableau,
Musis, quae statuas tuas adorant.
et en même temps, une petite place, à mes
Sin prorsus, Coryti, nihil moveris,
Inspirations, qui honorent tes statues.
Expecta palinodiam malignam.
Si, au contraire, Corycius, tu ne fais rien du tout,
Attends-toi à une palinodie malveillante !
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224
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Annexe 12 : Mariangelo Accursi, Protrepticon ad Corycium
(Coryciana, éd. IJsewijn, 1, pp. 35-38), texte latin :
CORYCII VATES, SACRO QUI NUMINA DIVUM
Carmine concelebrant, et grandi sidere certant
Corycium donare senem, propiore feruntur
Laude animi ad Superos, quam qui Phrygiosque Penates
Et profugum Aeneam felicibus intulit oris,
Indigetem post fata Iovem ; quique inserit astris
Aeciden Ithacumque viros, terrisque videndos
Laudator Superos divino lumine monstrat.
Nam nec deiectos toties vel nectare pulsos
Veridici vates simulant, aut turpe pudendae
Stigma notae, affectus varios et crimen inurunt ;
Nec quicquam in maius referunt, nec inania fingunt.
Attamen (usque adeo studiis sua tempora praesunt)
Hunc prohibet flammis pietas Augusta supremis,
Illum alii lacerum reparant, obeloque perennem
Reddunt, Pieriis ne desint lumina Musis.
At vos, heu, vates, durum queis contigit aevum,
Infelix iactura premit, famamque petitam
Corycius cohibet fructumque intercipit umbris.
Et pateris, vir magne, tuis complectier ulnis
Indocilis tantumque nefas, tantoque labore
Artifici caelata manu, verum apta videri
Aetheriis ablapsa plagis, simulacra iacere ?
Dumque times varii syncaerus murmura vulgi,
Congestos sanctis certatim vatibus olim
Detrectas, Coryci, meritos formidine honores,
Obnixusque silensque moram trahis ? Aspice quanta,
Si cadis ipse animo, pereant monumenta virorum !
P [CV 28a Sic ubi ab immenso contortum fulmen Olympo
b Deiicit horrendum infrendens Iovis ira coruscum,
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c Concidit icta prior ut quaeque est ardua turris,
d Inque alias crassata domos iniuria flammae
e Lapsa eadem obruitur, iungitque adigitque ruinas.
f Quin etiam non sponte feror. Praecordia Iesus
g (Si qua fides) movit mersis te accendere rebus.]
Olim vipereis deceptae obnoxia culpae
Fraudibus, aeterna sub nocte antiqua propago
Dum premitur, vindex vasti regnator Olympi
Induit ora hominis, sontique salutifer orbi
Posse mori voluit, vetitum Diis ; hinc nova sensim
Gens servata Deo, populo praelata priori
In facinus male sana ruit, sanctumque verendi
Iuris iniqua modum temnit, crimenque retrectat.
Cui metuens genitor rursum pietate secunda
Dexter adest, et te nutantibus affore rebus
Imperat. Eia age, rumpe moras ; cape iussa Tonantis
Certior ; instaura signis et carmine firmo
Relligionis opus ! Tendat vox certa per omnes
Tot vatum terras et inania Tartara pulset !
Iussa canunt. Rudia ecce mihi sese ora resolvunt :
Unde insueta Dei libamina prima prophanum
Fas inferre sacris, sublimia murmura vatum
Haurire, et Clius laetam contingere famam ?
[CV 46a Felix cura boni, licet ardua, commoda rerum
b Temperies, celebris studiorum gloria, virtus
c Doctrinarum adeo, si possunt laude ciere.]
Ingenium cuius nunquam Peneïa laurus,
Aut edera ulla novam praetexit sedula frontem,
[CV 48a Ut canat ignarus (velut enthea numine Phoebas
b Mota dei), tacitus dum non sua gaudia differt]
Imperat. His trepida ora et dura silentia rumpam.
Ecquis Corycio meritis ac supplice dextra
Sanctior ? Intactae melior quis munere mentis,
Tempora cui comunt Nysaei celsa corymbi,
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Et qui longaevum facundo praeterit ore
Nestora, Mopsopii quod rorem fragrat Hymetti
Et quem floriferis gravida dat harundine campis
Enna, rudimentis etiam praesignis et ortu ?
Corycium summo Cilicum se vertice tollit
Antrum ingens, celebri qua currit in aequora fronte
Terra Asiae, Diie digna domus, Diis credita sedes.
Natura eximius semper pubentibus herbis
Cingitur ingressus, resonant aviaria cantu,
Panditur et late campis crocus, aurea cuius
Lingua triplex, vitrei dependent palmite fructus,
Foeta arbor pomis felicibus omnia complet,
Fons illimis aquis, tranquillo flumine lambit
Aeternum gramen, curasque ac pectora mulcet.
Numen habet tectisque locisque, et deiuge luco
Aera agitata sonum reddunt, qualem edere terris
Aethiopum noctu Satyri Panesque feruntur.
[CV 69a Adde quod e medio, quem cingit Nereus, orbe
b Hinc septemgemini prospectat flumina Nili,
c Inde Istrum, septem cuius gelida hostia Pontum
d Intrant, Hesperia totidem procurrere regem
e Eridanum, procul hinc Solis se evolvere ab ortu
f Gangem septenis tepidum fluitantibus alveis.]
Hoc antro Omnipotens certo dedit ordine fati
Corycium prodire patrem, quem collibus altum
Axe sub extremo divûm domus, hospita Roma,
Gentibus excoluit, iustus qui numina firmet
Terna tribus statuis, terris documenta daturus
Esse Deum, trina est rerum cui iuncta potestas,
Atque eadem seiuncta tribus, velut aurea solis
Luminaque aeternumque iubar, cum provida cernit
Mens hominis, quantum Rectoris numina praestent
Metitur, mundique Deum Dominumque fatetur.
Nos igitur, populus voti reus, omine tanto
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Fundamus penito de pectore vota precesque :
« Magne Sator, rerum felicia tempora dona.
Corycium, artificem, vates coelo assere ; faustis
Sideribus Latium vigeat, Romana propago,
Qua pure coleris, casti referuntur honores,
Mole sua victrix iterum rediviva laboret ».
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Annexe 13 : Tableau comparatif
des manuscrits (C et V) et de l’édition romaine (E) (Coryciana, éd. IJsewijn, pp. 24-26) :
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Annexe 14 : Stace, Silve I, 6
Et Phoebus pater et seuera Pallas
Et Musae procul ite feriatae :
Iani uos reuocabimus kalendis.
Saturnus mihi compede exsoluta
Et multo grauidus mero December
Et ridens Iocus et Sales proterui
Adsint, dum refero diem beatum
Laeti Caesari ebriamque noctem.
Vix aurora nouos mouebat ortus,
Iam bellaria linea pluebant :
Hunc rorem ueniens profudit eurus.
Quicquid nobile Poniticis nucetis,
Fecundis cadit aut iugis Idymes ;
Quod ramis pia germinat Damascus,
Et quod percoquit Ebosia cannis,
Largis gratuitum cadit rapinis ;
Molles gaioli lucuntulique
Et massis Amerina non perustis
Et mustaceus et latente palma
Praegnantes caryotides cadebant.
Non tantis Hyas inserena nimbis
Terras obruit aut soluta Plias,
Qualis per cuneos hiems Latinos
Plebem grandine contudit serena.
Ducat nubila Iuppiter per orbem
Et latis pluuias minetur agris,
Dum nostri Iouis hi ferantur imbres.
Ecce autem caveas subit per omnis
Insignis specie decora cultu
Plebes altera, non minor sedente.
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Hi panaria candidasque mappas
Subuectant epuslasque lautiores ;
Illi marcida uina largiuntur :
Idaeos totidem putes ministros.
Orbem, qua melior seueriorque est,
Et gentes alis insemel togatas ;
Et cum tot populos, beate, pascas,
Hunc Annona diem superba nescit.
I nunc saecula compara, Vetustas,
Antiqui Iouis aureumque tempus :
Non sic libera uina tunc fluebant
Nec tardum seges occupabat annum.
Una uescitur omnis ordo mensa,
Parui, femina, plebs, eques, senatus :
Libertas reuerentiam remisit.
Et tu quin etiam (quis hoc uocari,
Quis promittere possit hoc deorum ?)
Nobiscum socias dapes inisti.
Iam se, quisquis is est, inops beatus
Conuiuam ducis esse gloriatur.
Hos inter fremitus nouosque luxus
Spectandi leuis effugit uoluptas :
Stat sexus rudis, insciusque ferri
Ut pugnas capit improbus uiriles !
Credas ad Tanain ferumque Phasim
Thermodontiacas calere turmas.
Hic audax subit ordo pumilorum,
Quos natura breuis statim peracta
Nodosum semel in globum ligauit.
Edunt ulnera conseruntque dextras
Et mortem sibi (qua manu !) minantur.
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Ridet Mars pater et cruenta Virtus,
Casuraeque uagis grues rapinis
Mirantur pugiles ferociores.
Iam noctis propioribus sub umbris
Dives sparsio quos agit tumultus !
Hic intrant faciles emi puellae,
Hic agnoscitur omne quod theatris
Aut forma placet aut probatur arte.
Hoc plaudunt grege Lydiae tumentes,
Illis cymbala tinnulaeque Gades,
Illic agmina confremunt Syrorum,
Hic plebs scenica quique comminutis
Permutant uitreis gregale sulpur.
Inter quae subito cadunt uolatu
Immensae uolucrum per astra nubes,
Quas Nilus sacer horridusque Phasis,
Quas udo Numidae legunt sub austro.
Desunt qui rapiant, sinusque pleni
Gaudent dum noua lucra comparantur.
Tollunt innumeras ad astra uoces
Saturnalia principis sonantes,
Et dulci dominum fauore clamant :
Hoc solum uetuit licere Caesar.
Vixdum caerula nox subibat orbem,
Descendit media nitens harena
Densas flammeus orbis inter umbras
Vincens Gnosiacae facem coronae.
Conlucet polus ignibus nihilque
Obscurae patitur licere nocti.
Fugit pigra Quies, inersque Somnus
Haec cernes alias abit in urbes.
Quis spectacula, quis iocos licentes,
Quis conuiuia, quis dapes inemptas,
Largi flumina quis canat Lyaei ?
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Iam iam deficio tuoque Baccho
In serum trahor ebrius soporem.
Quos ibit procul hic dies per annos !
Quam nullo sacer exolescet aeuo !
Dum montes Latii paterque Thybris,
Dum stabit tua Roma dumque terris
Quod reddis Capitolium manebit.
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Annexe 15 : Virgile, Bucoliques, IV, 1-20
( Éd. et trad. de Maurice Rat) : Évocation de l’Âge d’or, représenté par l’Astrée et les règnes
saturniens :
Sicelides Musae, paulo maiora canamus !
Muses de Sicile, élevons un peu nos chants :
Non omnes arbusta iuvant humilesque
Tout le monde n’aime pas les arbousiers et les
myricae ;
humbles tamaris ;
Si canimus silvas, silvae sint consule
Si nous chantons les forêts, que les forêts soient
dignae.
dignes d'un consul.
Ultima Cumaei venit iam carminis aetas ;
Voici venu le dernier âge de la Cuméenne
Magnus ab integro saeclorum nascitur
prédiction ;
ordo.
voici que recommence le grand ordre des siècles.
Iam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna,
Déjà revient aussi la Vierge [Astrée], revient le
Iam nova progenies caelo demittitur alto.
règne de Saturne;
Tu modo nascenti puero, quo ferrea
Déjà une nouvelle race descend du haut des
primum
cieux.
Desinet, ac toto surget gens aurea mundo,
Cet enfant dont la naissance va clore l’âge de fer
et ramener l'âge d'or dans le monde entier,
Casta, fave, Lucina : tuus iam regnat
Protège-le seulement, chaste Lucine, déjà règne
Apollo.
ton cher Apollon.
Teque adeo decus hoc aevi, te consule,
C’est sous ton consulat, Pollion, que commencera
inibit,
ce siècle glorieux et que les grands mois
Pollio, et incipient magni procedere
prendront leur cours ;
menses.
Sous tes auspices, les dernières traces de notre
Te duce, si qua manent sceleris vestigia
crime, s’il en reste encore, pour toujours effacées,
nostri,
affranchiront les terres d’une frayeur perpétuelle.
Irrita perpetua solvent formidine terras.
Ille deum vitam accipiet, divisque videbit
Cet enfant aura la vie des dieux ; il verra les héros
Permixtos heroas, et ipse videbitur illis ;
mêlés aux dieux, ils le verront lui-même parmi
Pacatumque reget patriis virtutibus orbem.
eux ; et il gouvernera l’univers pacifié par les
Ac tibi prima, puer, nullo munuscula cultu
vertus de son père.
Errantes hederas passim cum baccare
La terre, enfant, féconde sans culture, t’offrira
tellus
pour prémices les lierres rampants avec le baccar,
Mixtaque ridenti colocasia fundet acantho.
et les colocasies mêlées à la riante acanthe.
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235
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Annexe 16 : Le poème 256 d’Aulo Orfeo Pellato
Insignes artis dotes, foecunda virorum
Ingenia, et magnos vates iam desinat aetas
Nostra queri, et penitus iam conclamata putare.
Virtus prisca redit, redeunt cum moribus artes,
Et reparata novis remeant iam saecula lustris.
Est precium rebus, sunt et praeconia laudum,
Ex actis verba, ex rebus simul acta probantur.
Stat dictis manifesta fides, sunt publica facta.
Quid decus hoc magnum media spectatur in Urbe,
Corycii pietate sacrum, clara arte Savini ?
Schemate sub triplici iunctum complexibus almis
Humani generis precium, sic summa salutis,
Virginis ac sterilis partus proponitur almus.
Ex quibus aeterni Patris de virgine pura
Progenitum cernis puerum sub imagine Iësum,
Verum hominem, verumque Deum, regemque Deorum
Atque hominum, amplexu et gremio matrisque aviaeque
Compositum, blando risu cognoscere utranque.
Dicite quid veterum potuissent amplius artes
Sculptorum, eximias captantes mente figuras
Solerti caelare manu sensuque profundo
Concipere et melius naturae afferre decorum,
Aut ligno, aut caera, planisve notare tabellis,
Quam potuit spectanda diu solertia praesens
Marmoreis simulachra parans animare figuris ?
Gaudeat haec aetas cultu reparata priori,
Atque diu felix tales producat alumnos,
Quales laeta videt nunc et longaeva videbit.
Hoc precor, o Superi ; iustis intendite votis,
Ut genus homanum, posito squallore situque,
Splendeat, et demum priscos revocetur ad usus.
Gestiat ars omnis iure et merito chorus omnis
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236
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Artificum, plausuque suos agnoscat honores.
Exultet, laudetque simul iam quilibet ordo :
Mercurii, Venerisque probae, mundaeque Dinanae
Cum Iove, cum Phoebo, cum Pallade saecula surgunt
Aurea Saturni, pulcherque renascitur orbis.
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237
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Annexe 17 : Le poème 400 (3)
Francisci Arsilli Senogallensis
De Poetis Urbanis, ad Paulum Iovium
Libellus
Tempora Apollineae praesentia frondis honorem,
Illius an laudem saecula prisca ferant,
Paule, diu mecum, demorsis unguibus, aequa
Sub trutina examen iudiciumque traho.
5 Felices Musae, felix quas protulit aetas,
Cum foret Augusto principe Roma potens !
Moecenas vatum ingenti mercede solebat
Elicere ingenia, Pieriamque manum.
Testis erit nobis numerosus Horatius, et qui
10 Iam cecinit Phrygio praelia gesta duci,
Et Naso atque alii, vastum quos fama per orbem
Nunc celebrat, multo numine plena cohors.
Adde quod iis aures solitus praestare benignas
Caesar erat ; surdis tempora nostra canunt.
15 Ad laudem rude pectus erat, cui calcar inerti
Non possent tanti principis ora dare.
Talia dum tacitus dubia sub mente revolvo,
Temporibus priscis cedere nostra reor.
Sed quoties aevum hoc, peravaraque temporis huius
20 Saecula, quae Musis occoluere fores,
Obruta et ut iaceat caeno Parnassia laurus,
Nostra ego nil illis esse minora puto.
Nunc miseri tantum vates virtutis amore,
Non precio inducti, plectra sonora movent.
25 Quos si pastor agens ad pinguia culta Minervae
Duceret, et rapidos pelleret inde lupos,
Pascua mordaci rictu qui cuncta vagantes
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238
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Phoebei laniant vellera culta gregis,
Qualia nectarei caperes modulamina cantus,
30 Forsan et antiquis invidiosa viris !
Plurima nunc quamvis vatum conatibus obstent,
Attamen iis oestrum mentis inesse vides,
Quo furor ille animis coelo delapsus inhaeret,
Et propriae immemores condicionis agit.
35 Hinc tua nescio quid pectus perstringit et urget,
Ut superet IOVIAE gloria gentis avos ;
Hinc fera das chartis pressus pede bella soluto,
Dum reseras nostri temporis historiam ;
Ac mea nescio quid molli dicat otia Phoebo,
Meque etiam invitum munera ad ista rapit ;
Hinc fovet alma sinu sacros tot Roma poetas,
Fama quibus cineres contigit ante suos.
Aetas nulla tuum minet, SADOLETE, decorem,
Gloria nec longo tempore victa cadet,
45 Laocoontei narras dum marmoris artes,
Concidat ut natis vinctus ab angue pater,
Curtius utque etiam patriae succensus amore,
Et specie et forti conspiciendus equo,
Fervida dum virtus foret in iuvenilibus annis,
50 Praecipitem sese tristia in antra dedit.
BEMBUS (et hoc mirum est) Venetis nutritus in undis,
Ethrusco hunc tantum quis putet ore loqui ?
Nec minus est elegis Latio sermone disertus :
Hoc Pana ostendit, dum Galatea fugit.
55 Hic canit heroas, atque illos versibus aequat,
Et superat cantu tempora prisca novo.
In breve sive opus est spacium deflectere carmen,
Curriculo effraenis colla retorquet equi.
Ii simul Idalios Damaseni e gramine ruris
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239
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60 Unanimi flores saepe tulere sinu.
Horum opera, ad fontis dum Musae Aganippidos undam
Phoebei evitant torrida plaustra iugi,
Ut sociis vacuas oblectet carmine mentes,
Ad citharae pulsum Calliopea refert,
65 Unisonaque illi responsant voce Sorores,
Et plaudunt numeris, turba canora, deae.
Est sacer a docto celebratus carmine VIDA,
Vida Cremonensis candida Musa soli.
Panthoiden Samii corpus si credere fas est
70 Intrasse et clypei pondera nosse sui,
Altiloqui genium vatem hunc adamasse Maronis
Quis neget, ut Iuli grandia gesta canat ?
Grandia gesta canat, canat ut confectus ab annis
Ausonii molem sustinet imperii !
75 SPERULUS est elegis cultus, dum cantat amores,
Arduus, heroum dum fera bella canit.
Nec minor in lyricis, cum barbitos aemula vati
Aeolio molles concinit icta modos.
Nota erit Hesperiis, atque Indis nota puella,
80 Felsineus multa quam colit arte PIUS.
Idem priscorum reserans aenigmata vatum,
Conspicuo reddit lucidiora die.
Est CASA – molliculi vates – NOVA carminis auctor,
Cuius amat placidos blanda Camaena sales.
85 Huic decor et cultus astant, Veneresque Iocique ;
Hunc fovet in tenero Gratia trina sinu.
GALLE, tuae passim resonant per compita laudes ;
Scaena graves numeros te recitante probat.
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240
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Vivet in aeternum facundi Musa CAMILLI,
90 Quem peperit genitrix PORCIA, stirpis honor.
Certat Romano tua pagina culta Tibullo,
Laurea nunc culti carminis ambigua est.
Nonne reus Musis fierem, si nostra CATANI
Et magni AUGUSTI laudibus ora vacent ?
95 Nanque simul penitus scrutantur numina Cirrhae,
Argivasque docent verba Latina deas.
Est vafer et facilis peracuto dente renidens
LAELIUS, austero toxica corde gerens.
Huic quanvis libeat verbis petulantibus uti,
100 Est tamen ingenio mitis et arte potens,
Quique supercilii rigidi Lunensis ab annis
Assuetus teneris scindere cuncta lucerna
Lustrat, ut a nullis unguibus ictus eat.
105 PINDARUS auritas silvas testudine mulcet,
Dulcisonaque trahit concava saxa fide.
At modo quis THAMYRAE citharam non noscit amatque,
Aurea cui nitido pectore vena fluit ?
Fluctibus immerget sese ante Lycaonis Arctos
110 Aequoreis, Phoebi currus ad ima ruet,
Quam tua, FAUSTE, cadat nitidi candoris avena,
Cui levat Ismeni fluminis unda sitim.
CASTIONUM annumerem quos inter ? Martis acerbi,
Num Phoebi, an Veneris te rear esse decus ?
115 Miles in arma ferox, et amata in virgine mitis ;
Hinc molles elegos, hinc fera bella cane.
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241
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Et tu nomen habes ab nectare mollis Hymetti,
MELLINE, Aonidum culmen et Urbis amor
Pene mihi exciderant animo tua carmina, BLOSSI,
Cui nova Acidaliae vincula nectit amor,
Utque Cupidineos confundens pulvere currus,
Semper anhelantes verbere tundis equos.
At modo ne tantum priscorum insultet honori
Inter doctiloquos Lesbia sola viros,
125 Inclyta Pisaeo et praestanti sanguine creta,
Feminei splendor DEÎANIRA chori
Prompta venit nostris non dedignata choreis,
Virgineos facilis plaudere fronte pedes,
Imparibus cedit praesens cui versibus aetas,
130 Quamque novam Sappho Tibridis ora colit.
Dum gravidae nubes fugient Aquilonis ab ortu,
Dum madidas referet turbidus Auster aquas,
Sidera percutiet fulgor titulusque SEVERI,
Pandulphi pandes inclyta gesta ducis.
135 Suggerit assidue nomen tibi grande, CASALI,
Melpomene, aeternae posteritatis opus.
Dulcis Apollineo demulcens pectine chordas
AONIUS PHILEROS agmina tanta premit.
Tu quoque seu Flacci, seu per nemora alta Properti
Incedis, tibi habes, VALERIANE, locum.
Frondius Aoniis te, PIMPINELLE, decorum
Vidimus, et meritis laurea serta comis.
Dum recinent volucres, tundent dum littora fluctus,
Implumes fœtus dum feret unda maris,
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145 Huic aderis semper molli, BEROALDE, trophaeo,
Blanda Venusinae cui favet aura lyrae.
Est MARIUS versu, pergrato et scommate notus,
Cui virides colles ruraque amaena placent.
Saepius inde novem vocat ad vineta Sorores,
150 Munifica impendens citria poma manu,
Promittitque rosas, violas, vaccinia et alba
Lilia, cum primo vere tepescet humus.
Iis scelus est magnum non asseruisse CAPELLAM,
Roris Apollinei cui rigat ora liquor.
155Non te, AMITERNE, sinam dubias sub nocte silenti
Per tenebras nullo lumine ferre gradum.
Nam tu Pegasidum iuvenes deducis ad undas,
Quos fovet ingenti Martia Roma sinu.
LIPPUS adest caro, natali sidere, mancus
160 Lumine, sed docto carmen ab ore movens.
Delius huic lucis dedit haec solatia ademptae,
Ne misera ex omni sors sua parte foret.
Nam subito revocat blanda in certamina divas,
Dum movet Ausoniam dulcius arte chelym.
165 Cirrhaeas latebras et amaena MAROSTICUS antra
Visit, et huic Erato praevia signa tulit.
Inde miser dominae tactus dulcedine amandi
Demulsit placidis ferrea corda modis.
Illum tu blandis aequas, VALLATE, Camaenis,
170 Ingenio, inventu, carmine, iudicio.
Quem penes arguto scribendi epigrammata sensu
Laus fuit et gratos tingere felle sales.
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His te, cui Charites adsunt, AGATHINE, choreis
Insere, et aurata carmina funde lyra.
175 PHILETICUM haud LUCAM sileo, qui nomen ab ipsa
Luce tenens, tenebras dispulit ingenii.
Est et FLAMINIUS nimium sibi durus et atrox,
Cuius avena potest scribere quicquid avet.
Unica spes genii et languentum maxima cura
180 SCIPIO, qui Choa est clarus ab arte senex ;
Hunc quamvis arvina premat vigil intus oberrat
Spiritus et sacro pectore multa fovet.
Noscit sic montes, sylvas, maria, oppida et amnes
POLIUS ac solidis viderit illa oculis.
Te si, COLOTI, o Musarum candide alumne,
[Lacteus a dulci cui fluit ore liquor,
Urbis deliciae dictant cui verba Sorores,]
Praeteream, vates invidiosus ero.
Felix exactae est sic CARTEROMACHUS artis,
Ut nihil adscribi dimminuive queat.
Euterpen trahit hic sociasque e Phocidos ora,
190 Romuleique iubet littus amare soli.
Sospite PARRHASIO, Romana Academia opacis
Occultum in tenebris nil sinit esse diu.
Hunc circum urbanus latrando livor oberrat,
Et fessa externam voce reposcit opem.
195 Ille, velut Danaë, turri munitus in alta,
Ridenti imbelles despicit ore minas.
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Vocibus ut placidis, placido et modulamine Siren
Fallaci nautas, mersit et arte rates,
Sic modo Parthenope erudiit quem docta, VOPISCI
200 Decipitur blandis cauta puella modis.
Idem Cardonii magni dum fortia in armis
Getsa canit, grandi fertur in astra sono,
Cecropiaeque imos linguae Latiaeque recessus
Scrutatus, nymphis munera rara tulit.
205 Ut volucrum regina super volat aethera, et alti
Immotum lumen solis in orbe tenet,
Sic illa genitus clara MARIANGELUS urbe,
Alite quae a Iovia nobile nomen habet,
Felici ingenio solers speculatur in antro
Corycio, unde refert carminis omne genus.
Quantum RAMATIO tellus Fulginia, tantum
ARCADE grandisono Narnia terra nitet.
Imperium prisci donec tenuere Quirites,
Dum stetit Augusto maxima Roma duce,
215 Vix Latiae linguae Scythicas penetravit ad oras
Nomen et illius fama sinistra fuit.
At modo quae latos glacialis Vistula campos
Abluit, et gelidum per mare findit iter,
SUCHTHENIUM ingenio praestanti misit ad Urbem,
220 Qui modo lege sui carminis urget avos.
Explicat ardores, et amicae ventilat ignes,
Praebeat ut victas dura puella manus.
Alta supervolitans URSINUS tecta Quirini
Fertur Parrhasii GASPAR ab axe poli ;
225 Barbariem incultam patriis de finibus arcet,
Ducit et Ausonias in nova templa deas.
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245
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Aemulus huic, concors patria, iuvenilibus annis
SILVANUS numeris certat et arte pari.
Auspice Germanas hoc iam fluxere per oras
230 Attica Romano conflua mella favo.
Hunc puer Idalia doctum cum matre Cupido
Mirantur vatem, dum sua furta canit.
Praecipiti quoties oestro nova carmina dictat,
Pierio toties dignus honore frui.
235 Pannonia a forti celebris iam milite tantum
Extitit, at binis vatibus aucta modo est.
Nam Latium PISO sitibundo ita gutture rorem
Hausit ut Ausoniis carmine certet avis.
Nec minor est IANO, patrium qui primus ad Istrum
240 Duxit laurigeras ex Helicone deas.
FULVIUS a septem describit montibus Urbem
Reddit et antiquis nomina prisca locis.
Fulminea est adeo lingua SYLLANUS, ut illi
Aonium facili flumine murmur eat.
245 Flava TIBALDEUM placidis sic Flavia ocellis
Incitat, occultis praecipitatque dolis,
Aptior ut nullus malesani pectoris ignes
Explicet, et lepida comptior arte sales.
Urbs Patavi foret orba suo ne semper alumno,
Cuius opus tantum blanda columba fuit,
Illius Elysiis fato revocatus ab umbris
Spiritus, in lucem nunc redivivus agit.
Pectora nam tribuit facilis BONFILIUS illi,
Nec minor ingenio nec minor arte fluit.
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255 Nec mea Calliope PALEOTUM fessa silebit,
Cui fons irrorat pectora Castalius.
‘‘Laeta fluentisono remeabat ab aequore Cypris’’,
Incipit, et tanto carmine conflat opus.
Quis PHAEDRUM ignorat, VIGILISQUE poemata magni,
260 Maxima Romani lumina Gymnasii ?
SACCEUS invicti celebrat nunc gesta Triulti,
Invictasque aquilas, magnanimumque senem.
Fortunate senex, quis te furor impius egit ?
Cur geris in patrios arma nefanda Lares ?
265 Phoebus ad extremos peregrinaque regna Sorores
Ducturus, Cirrhae quae iuga summa colunt,
Incola barbaries fieret ne collis amati
Foeda timens, coeptum distulit auctor iter,
Atque agilem viridis cetram de stipite lauri
270 Fabricat, hoc circum cui breve carmen erat.
Miles erit Pheobi, et Musarum miles, honestum
Quisquis barbarico culmen ab hoste teget.
Turba pavet, tantaeque timens discrimina molis
Pensitat, atque humeris non leve credit onus.
275 Tunc subito iuvenis cunctos promptissimus inter
Exilit, intrepida sumit et arma manu.
Tollitur applausu sociorum clamor, et illi
Ab cetra impositum nomen inesse volunt.
Dexter in omne genus scripti CETRARIUS inde est,
280 Nec facile agnosces aptior unde fluat
Infantem quae cura regat, qui cultus habendo
Sit puero, et iuveni qualia, quidve seni.
Optimus ut queat hic civis sine fraude vocari,
Iureque cui res sit publica danda viro,
285 Tempora qui placidae pacis sine fraude gubernet,
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247
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Nec timeat mortem cum fera bella premunt.
Fulginas VENTURUS adest, praeceptaque in unum
Colligit, et culto carmine promit opus.
IANUS et expertus MACER est depellere morbos,
290 Pieridum tenero cultor ab ungue chori,
Fulvia quem fallax medicis subtraxit ab aris,
Iussit et Idalii vulnera amare dei.
Hausisti, CRUCIGER, sacros Heliconis honores ;
Hinc venit ad calamos prompta Thalia tuos,
295 Et cantat leges sanctique edicta senatus,
Ac duce te insolitas audet adire vias.
Exprimit affectus animi sic carmine veros
POSTHUMUS ut lector cuncta videre putet.
Cum libet, ad lacrimas ridentis lumina amicae
300 Flectit, et ad risum, cum gemit, ora movet.
MARCE, Aganippeos latices qui a fonte CABALLUS
Eruit, ille tibi nomina sacra dedit.
Inde tuis Charites numeris haerere videntur,
Numen et Idalium Pegasidumque chori.
305 At modo BOMBASI quo non vaga fama refulget,
Cui reserant Musae Phocidos antra novem.
Littoris Adriaci nuper deleta per agros,
Perque Ravennatis pinguia culta soli
Gentis Aquitanae turmas et gentis Iberae
310 Agmina, ad infernos agmina pulsa lacus,
Non sine Phoebea cecinit PALONIUS arte,
Unica Romuleae spesque decusque togae.
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Hinc mihi sese offert Parmensi missus ab urbe
DARDANUS, Aoniis pectora lotus aquis.
315 Hic canit Ausonias quoties irrumpat in oras
Barbarus, et quanto fulmine bella fremant.
Idem sollicitos elegis solatur amores
Atque gemit dominae tristior ante fores.
Qua Padus ingentes Vesuli de vertice pinus
320 Volvit et occultis exerit ora vadis,
Idem contractis epigrammata condere verbis
Gaudet, et argutos promere ab ore sales.
Cui dum Caesareas percurrit carmine laudes,
Continuit rapidas Rhenus et Ister aquas ;
325 Hunc merito Caesar lauri dignatus honore est,
Huicque Palatini militis arma dedit.
Monstra quid Hesperiis portendant urbibus, acri
Ingenio, et quicquid exta resecta notent,
IANE, Panhormeae telluris gloria, narras,
330 Cui vix in vultu prima iuventa nitet.
Tuque etiam ingenio scandis super ardua primus
Sidera, Olympiacas ausus adire domos,
Afflatusque animis aeternis concinis hymnos,
Aetherei reserans claustra verenda Iovis.
335 Vergilii hic Manes semper sub nocte silenti
Evocat et Musis cogit adesse suis.
Te, MARO, non ausim, prisco cui Musa Maroni
Aemula dat Latio nomina nota Foro,
Immemor obscuras inter liquisse tenebras,
340 Et sinere ignavo delituisse situ.
Exuis humanos extemplo a pector sensus,
Fatidicique furens induis ora Dei,
Pulcher inaurata quoties testudine Iöpas
Personat, et placido murmure fila movet.
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345 Hauriresque Helicona prius Dircesque fluenta,
Desereret coeptum quam tuus ardor opus.
Liviani audentis narrat fera bella MODESTUS,
Quotque hominum dederit millia multa neci.
Inter ut arma illi mens imperterrita mansit,
350 Huius opes Seres Antipodesque legent.
Ille opifex rerum, coeli qui lapsus ab arce,
Filius aeterni maximus ille Iovis,
Orbe pererrato, cum quid bene gesserat olim,
Describi insolito carmine vellet opus,
355 Musarum infantem subtraxit ab ubere sacro,
Aonio assuetum fonte levare sitim,
Nomen et imponens peramatae a stipite frondis,
Dixit : ‘‘QUERNUS eris ; tu mea facta canes’’.
Inde sacrosancto celebrat sic omnia versu,
360 Divinum ut cuncti numen inesse putent.
At quibus e doctis domus est ignota Coryci,
Thespiadum curae est cui bona ne pereant ?
Vatibus hic sacris Moecenas splendidus, illi
Si foret Augustus ; tempora avara nocent !
365 At tua, quod potis es, sunt Phoebi tecta sacellum,
Cumque novem Musis illa frequentat amor.
Ad vatum coetus propera, blandissime CURSI,
Ne iaceas clausas tristior ante fores.
Nam data carceribus citius si signa quadrigae
370 Contingant, frustra vocibus astra petes.
Suntque alii celebres, quos ingens gloria tollit,
Et quorum passim carmina Roma legit.
Horum si quis avet cognoscere nomina amussim,
Protinus Aureli templa superba petat.
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250
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375 Illic marmorea pendent suspensa columna,
Atque etiam haec Coryci picta tabella docet.
Illos novit Arabs, illos novere Sabaei
Et nigri Aethiopes, arvaque adusta gelu.
His ego si potero meritum subscribere nomen,
Forsitan ARSILLI fama perennis erit,
Et mea nunc totum felix Pyrmilla per orbem
Vivet, in exitium nata puella meum.
Ast ego non tantum mihi nunc temerarius augur
Polliceor, nec me tam ferus ardor agit,
385 Corvus ut his ausim crocitare per arva Caistri,
Cycneumque rudi frangere voce melos.
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251
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Bibliographie
Editions des Coryciana
- Coryciana, Rome, Ludovico degli Arrighi & Lautizio Perusino, mense julii 1524.
- Coryciana, critice edidit, carminibus extravagantibus auxit, praefatione et anotationibus
instruxit Iosephus IJsewijn, Romae, in aedibus Herder, 1997.
Témoignages anciens
- AULU-GELLE, Les nuits attiques, texte établi et traduit par René Marache, Les Belles
Lettres, Paris, 1978.
- GIOVIO, Paolo, « Michaelis Angelis vita (1527) », in The First Biography of Michelangelo,
Paolo Giovio’s brief Latin vita, with English, Italian, and German Translations, edited by C.
Davis, 2009, consulté en ligne au lien http://www.scribd.com/doc/13268652/THE-FIRSTBIOGRAPHY-OF-MICHELANGELO .
- M. Manilii Astronomica recensuit A. E. Housman, Cambridge University Press, London,
1932.
- MANILIUS, Astronomica, ed. & trad. G. P. Goold, Harvard University Press, Cambridge,
Massachusetts, London, England, 1992.
- MACROBE, Les Saturnales, traduction nouvelle avec introduction et notes par Henri
Borneque, Garnier Frères, Paris, 1937.
- OVIDIUS, Publius Naso, Metamorphosen, übersetzt und herausgegeben von Michael von
Albrecht, Reclam, Stuttgart, 1994.
-POLIZIANO, Angelo, Silvae, The I Tatti Renaissance Library, Harvard University Press,
Cambridge, Massachusets, London, England, 2004.
- VALERIANO, Pierio, On the Ill Fortune of Learned Men, ed. J. H. Gaisser, The University
of Michigan Press, Michigan, 1999.
__________________________________________________________________________________________
252
__________________________________________________________________________________________
- VALERIANO, Pierio, De litteratorum infelicitate, éd. Genève, 1822, consulté en ligne au
lien
http://books.google.com/books?id=cxRicqhfD7QC&pg=PA98&dq=pierio+valeriano+de+litte
ratorum+infelicitate&hl=fr&ei=BQ9rTMegOqKjOOOMY0J&sa=X&oi=book_result&ct=book-thumbnail&resnum=1&ved=0CCsQ6wEwAA# .
- VIRGILE, Bucoliques, texte établi et traduit par Eugène de Saint-Denis, Classiques en
poche, Les Belles Lettres, Paris, 2002.
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Table des matières
Préambule ....................................................................................................................................... 7
Introduction : Rome au tournant du XVIe siècle............................................................................. 9
I. Janus Corycius : l’homme et « son » œuvre ...................................................................................... 21
I. 1. Janus Corycius : l’homme ......................................................................................................... 25
I. 1. a. La vie de Janus Corycius ................................................................................................... 25
I. 1. b. La fonction juridique du clerc ........................................................................................... 33
I. 1. c. Le cercle poétique du lettré................................................................................................ 39
I. 1. d. L’engagement religieux de l’homme de foi ...................................................................... 53
I. 1. e. L’intérêt artistique du mécène ........................................................................................... 57
I. 1. f. Hostilités et jalousies diverses ........................................................................................... 67
I. 2. Janus Corycius : l’œuvre ....................................................................................................... 73
I. 2. a. Les Coryciana, un recueil multiple ................................................................................... 83
I. 2. b. Les « péripéties » des Coryciana....................................................................................... 89
I. 2. c. Présentation et commentaire de l’édition d’IJsewijn (1997) ............................................. 95
II. Traduction et commentaire d’extraits choisis ................................................................................. 101
II. 1. Motivation du choix des extraits et présentation de leurs fonds et formes............................. 101
II. 2. Traduction et commentaire..................................................................................................... 105
II. 2. a. La lettre-dédicace de Blosio Palladio............................................................................. 105
II. 2. a. 1. Texte et traduction...................................................................................................... 107
II. 2. a. 2. Commentaire .............................................................................................................. 115
II. 2. b. Le poème 388................................................................................................................. 133
II. 2. b. 1. Texte et tradution ....................................................................................................... 133
II. 2. b. 2. Commentaire.............................................................................................................. 141
II. 2. c. Le poème 398 ................................................................................................................. 159
II. 2. c. 1. Texte et traduction...................................................................................................... 159
II. 2. c. 2. Commentaire .............................................................................................................. 165
II. 2. d. Le poème 400................................................................................................................. 181
II. 2. d. 1. Texte et traduction ..................................................................................................... 181
II. 2. d. 2. Commentaire.............................................................................................................. 187
Conclusion .................................................................................................................................. 203
Annexes ...................................................................................................................................... 207
Annexe 1 : Le mécénat des Médicis ........................................................................................... 207
Annexe 2 : IOANNIS PASCOLI SE!EX CORYCIUS (1902) ................................................... 208
Annexe 3 : Le poème 393 de Silvio Laurelio ............................................................................. 213
Annexe 4 : La demeure de Corycius à Rome ............................................................................. 213
Annexe 5 : Liste des poètes mentionnés dans le De poetis Urbanis .......................................... 214
Annexe 6 : Blosio Palladio, Ad Corycii Columnam Ode Monocolos ......................................... 217
Annexe 7 : La stèle de Sant’Agostino ........................................................................................ 219
Annexe 8 : L’épigramme 45 de Fabio Vigil Spoletino............................................................... 220
Annexe 9 : La fresque d’Isaïe, exécutée par Raphaël................................................................. 221
Annexe 10 : Le portrait d’Andrea Sansovino ............................................................................. 222
Annexe 11 : L’épigramme 271 de Caius Silvanus Germanicus ................................................. 223
Annexe 12 : Mariangelo Accursi, Protrepticon ad Corycium.................................................... 225
Annexe 13 : Tableau comparatif................................................................................................. 229
Annexe 14 : Stace, Silve I, 6 ....................................................................................................... 231
Annexe 15 : Virgile, Bucoliques, IV, 1-20 ................................................................................. 235
Annexe 16 : Le poème 256 d’Aulo Orfeo Pellato ...................................................................... 236
Annexe 17 : Le poème 400 (3) ................................................................................................... 238
Bibliographie .............................................................................................................................. 252
Table des matières ...................................................................................................................... 260
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