LE THEME DE L`OPPOSITION DANS ANTIGONE DE Jean ANOUILH

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LE THEME DE L`OPPOSITION DANS ANTIGONE DE Jean ANOUILH
MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE
ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
Université de Toamasina
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Département d’Etudes Françaises
LE THEME DE L’OPPOSITION
DANS ANTIGONE DE Jean ANOUILH
Mémoire pour l’obtention du diplôme de maîtrise
Option : Littérature
Présenté par
: OUBEIDI-LAH Moussa
Niveau D
: ETUDES FRANÇAISES
Sous la direction de
: ANDRIAMAMPIANINA Hanitra Sylvia,
Maître de Conférences à l’Université de Toliara
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Année Universitaire : 2007-2008
MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE
ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
Université de Toamasina
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Département d’Etudes Françaises
LE THEME DE L’OPPOSITION
DANS ANTIGONE DE Jean ANOUILH
Mémoire pour l’obtention du diplôme de maîtrise
Option : Littérature
Présenté par
: OUBEIDI-LAH Moussa
Niveau D
: ETUDES FRANÇAISES
Sous la direction de
: ANDRIAMAMPIANINA Hanitra Sylvia,
Maître de Conférences à l’Université de Toliara
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Année Universitaire : 2007-2008
REMERCIEMENTS
Nous remercions Dieu de nous avoir donné la force pour réaliser ce mémoire.
Aucun travail ne s’accomplit dans la solitude, et nous sommes conscient du fait que
celui-ci a vu le jour grâce au concours de plusieurs personnes qui nous sont très
chères.
Tout d’abord, Monsieur IMAGNAMBY Abriol, enseignant chercheur à
l’Université de Toamasina, Directeur du Département d’Études françaises, qui a
accepté de nous recevoir comme étudiant dans son Département. Qu’il trouve ici
notre profonde gratitude.
Nous
exprimons
aussi
notre
vive
reconnaissance
à
Madame
ANDRIAMAMPIANINA Hanitra Sylvia, Maître de Conférences à l’Université de
Toliara, qui a non seulement accepté de diriger ce travail jusqu’à sa réalisation, mais
nous a également assisté en temps voulu, tant au niveau de la documentation qu’au
niveau moral. Ses conseils, ses remarques et ses encouragements nous ont
beaucoup aidé pour la réalisation de ce travail.
Nous exprimons ici notre gratitude à tous les professeurs du Département d’
Etudes françaises et ceux d’autres Départements qui nous ont transmis, sans
réserve, leurs connaissances.
Nos sincères remerciements vont également à l’endroits de Madame Zaïnaba
Aboudou domiciliée à Toamasina, qui nous a apporté son soutien moral et financier
pendant l’élaboration de ce mémoire.
Nous témoignons nos sincères remerciements à nos parents, plus
particulièrement à Madame Echata Mzé Ali, Ahmed Bacar, Moussa Soilihi. Ils nous
ont soutenu moralement et matériellement partout où besoin était. Qu’ils trouvent ici
l’expression de notre profonde reconnaissance.
Nous ne pouvons passer sous silence la contribution énorme de nos frères,
Salim Abdallah et Adinane Abdou Mzé pour la réalisation de ce mémoire de Maitrise.
Nous leur sommes reconnaissants.
Une autre contribution de même nature nous a été apportée par mademoiselle
RASOARIVONJY Léonie. Qu’elle trouve ici notre profonde gratitude.
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INTRODUCTION GENERALE
La présente étude porte sur la littérature française, en particulier sur le genre
dramatique qui occupe une place importante dans les littératures européennes. Bien
que ce genre ait comme fonction primaire de divertir, le rôle majeur du théâtre est
d’enseigner, d’éduquer et de transmettre une morale. Toutefois, cette morale doit se
dégager d’elle-même du processus, sans qu’il soit nécessaire de l’expliciter. Nous
sommes surtout intrigué et fasciné par le théâtre du fait que, même s’il peut être
perçu comme désuet, cet art dramatique conserve un atout indéniable qui est celui
de concrétiser sa théorie par la représentation sur scène. C’est-à-dire que les
représentations procurent au théâtre une certaine vivacité et facilitent la
compréhension du texte. De surcroit, c’est un genre littéraire conçu pour la
transmission directe d’un message au public. Il émeut facilement le spectateur en le
touchant directement.
Nous intéressant ainsi au théâtre, notre choix s’est porté sur Jean Anouilh, un
dramaturge français notoire du XXème siècle, né le 23 juin 1910 à Bordeaux et mort
en 1987. Il est un des rares témoins des deux guerres et du monde contemporain. Il
a étudié la vie précaire offerte à l’homme. Il est en contact permanent avec des
problèmes philosophiques touchant l’homme, notamment la liberté, le bonheur, les
relations entre individus, l’opposition entre les lois divines et celles des humains. Il ne
se contente pas de relater des évènements ou d’enseigner des théories, mais il a
également vécu conformément aux idées qu’il défend. Cela montre l’intérêt qu’il
porte à la vie quotidienne et à la condition humaine. Cet auteur a écrit plusieurs
œuvres marquantes dont Antigone. Cette dernière qui fait l’objet de notre étude, a
été écrite en 1942 et sa première représentation eut lieu en 1944. Depuis, elle est
devenue l’une des œuvres les plus significatives du théâtre contemporain.
Antigone, tragédie moderne, puise ses origines dans l’antiquité grecque,
s’inspirant du dernier épisode de la légende d’Œdipe, racontée par Sophocle en trois
tragédies : Œdipe Roi, Œdipe à Colone et enfin Antigone.
Cette œuvre relate
l’histoire d’Œdipe abandonné sur le mont Cithéron après qu’un oracle a annoncé qu’il
tuerait
Laïos, son père et épouserait Jocaste, sa mère. Recueilli et élevé par
Polybos, roi de Corinthe, Œdipe prend connaissance, une fois adulte, de la
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prédiction, mais croit qu’elle concerne ses parents adoptifs. Il s’enfuit alors et, sur
son chemin, se querelle avec un voyageur qu’il tue : c’était son père Laïos. Arrivé à
Thèbes, il affronte le Sphinx, créature monstrueuse qui dévorait les voyageurs
.incapables de résoudre ses énigmes. Œdipe seul réussit à répondre et délivre ainsi
Thèbes du fléau qui pesait sur elle. En récompense, il reçoit le royaume et Jocaste
pour épouse. C’est l’accomplissement de l’oracle. Quatre enfants naissent de cette
union incestueuse: Étéocle et Polynice, Ismène et Antigone. Des années plus tard, la
peste ravage Thèbes. Pour s’en défaire, Œdipe consulte l’oracle et apprend qu’il doit
trouver l’assassin de Laïos. Une enquête minutieuse lui révèle qu’il est lui-même le
coupable : il a assassiné son père et épousé sa mère. Bouleversés par cette
révélation, Jocaste se pend et Œdipe se crève les yeux et part mendier sur les routes
où il disparaît mystérieusement.
Les deux fils de l’inceste, Etéocle et Polynice s’entretuent pour le pouvoir.
Devenu roi, Créon, leur oncle, offre un bel enterrement à l’aîné et donne l’ordre de
laisser pourrir au soleil le corps de Polynice qui a monté une armée contre sa patrie,
interdisant ainsi à quiconque de l’ensevelir, sous peine de mort. Pourtant Antigone,
par piété fraternelle, outrepasse cet ordre. Elle est condamnée à être enterrée
vivante et se pend dans son tombeau.
L’inspiration mythologique que l’on constate dans la lecture d’Antigone est une
donnée fondamentale du théâtre français de la première moitié du XXème siècle, et en
particulier de l’entre-deux guerres. Le recours au mythe ou à la légende est un
retour à l’antique. Pour cette raison, la lecture des pièces d’Anouilh apporte un
enrichissement culturel. Mélangeant actualité et mythe antique où la philosophie est
encore savamment employée, ce dramaturge emprunte le théâtre de l’absurde pour
mieux présenter le non-sens de la vie. Dans l’atmosphère d’inquiétude des années
30, où le monde plongeait de plus en plus dans la détresse et dans l’absurdité, le
mythe désacralisé et réactualisé véhicule des interrogations brûlantes. Animé par la
volonté de faire réfléchir le public sur la folie des hommes et l’absurdité des guerres,
ce dramaturge a découvert dans les mythes un très riche fond à exploiter. Sans
omettre le fait que tant qu’on est en vie, notre existence n’est jamais à l’abri des
litiges. On se heurte à des obstacles et le malaise se fait toujours sentir. On n’est
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jamais satisfait car notre raison d’être ne le permet pas. Telle est l’absurdité
humaine.
En lisant Antigone, on se sent immédiatement concerné, dans ce sens où on
s’aperçoit combien la vie est éphémère. C’est comme si tout était déjà prescrit et
qu’il n’y avait pas moyen d’y remédier. De surcroît, Antigone, l’héroïne de l’œuvre,
semble être l’incarnation par excellence de la quête de la pureté, de l’honneur et du
véritable bonheur. Cette quête la pousse à rejeter la vie et à rechercher la mort. Cela
lui permet de se purifier, de s’offrir la liberté et de commencer enfin une nouvelle vie
dépourvue d’impureté. Cette pièce peut être considérée comme une approche
parfaite et concrète des problèmes sociaux à savoir l’abus du pouvoir, l’ambition,
l’organisation sociale et les rites y afférents, la ténacité et l’entêtement de chaque
individu. Elle est consacrée à la pureté, à l’idéal, au refus de tout ce qui ne relève
pas de la bonté et du droit chemin. Cette œuvre où Anouilh révèle l’état stationnaire
de la société, constitue une marque de la pensée et du désordre de la vie moderne.
Elle reflète à la fois le talent d’Anouilh et les problèmes psychologiques et significatifs
existants dans les conceptions des individus sur la vie.
Nous avons jugé utile de l’analyser pour étudier le thème de l’opposition que
l’on retrouve dans la philosophie de l’absurde.
Pour mieux montrer l’anarchie et l’absurdité de la vie, ce dramaturge oppose
les points de vue de ses personnages sur des thèmes comme le bonheur, le pouvoir,
la pureté ou la justice. D’où l’intitulé de notre travail : « Le thème de l’opposition dans
Antigone de Jean Anouilh ». Nous tentons de répondre à la problématique :
comment expliquer l’opposition qui existe entre la loi divine et la loi humaine dans
Antigone de Jean Anouilh ?
Comme nous recherchons cette idée de l’opposition dans les conceptions
philosophiques, dans la psychologie des personnages qui se manifeste dans la
parole et les comportements, l’approche psychanalytique nous semble adapté pour
atteindre nos objectifs.
La psychanalyse, telle que l’a conçue Sigmund Freud, est une théorie qui
présente un procédé de traitement médical sur des personnes atteintes de maladies
nerveuses. On peut aussi appliquer la psychanalyse à la littérature. Jean Belleminnoël est l’un des théoriciens qui prônent la psychanalyse littéraire. Dans son ouvrage
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intitulé Psychanalyse et Littérature1, il affirme : « la littérature et la psychanalyse
lisent l’homme dans son vécu quotidien aussi bien que dans son destin historique. »
Cette approche consiste à révéler la signification des actes inconscients. Ainsi, il
nous permettra de comprendre tout ce qui est flou dans les actes d’Antigone.
.L’affirmation de Jacques Lacan à propos de l’inconscient défend aussi l’idée de
Bellemin-Noël : « l’inconscient est structuré comme un langage 2». La psychanalyse
littéraire nous permettra de déterminer les significations cachées dans les actes et
paroles d’Antigone et de ses interlocuteurs. Elle nous permettra également de
trouver le sens et la logique de ce qui est absurde et incertain.
Dans le souci de mener à bien notre analyse, la présente étude se propose
de diviser le travail en trois parties.
La première a comme titre « opposition entre devoir familial et ordre royal ».
Nous allons y décrire l’opposition psychologique et physiologique qui existe entre
Antigone et ses interlocuteurs. Cette partie mettra en exergue l’attachement de
l’héroïne à la pureté.
Ce rapport d’opposition entre les personnages nous permettra d’entrer dans
une deuxième partie qui s’intitule : « opposition entre l’homme et la femme »
Il conviendra dans cette deuxième partie de sortir au clair les rapports entre
l’homme et la femme. Elle exposera au premier plan l’opposition qui existe entre les
deux êtres et leurs apports dans la société.
La troisième partie qui porte le titre « Adaptation de la pièce dans la vie
contemporaine » établira la liaison entre la situation décrite dans la pièce et ce qui se
passe dans le monde contemporain. Cette partie, qui sort du cadre du thème de
l’opposition, répond à notre souci de comprendre la réactualisation du mythe
d’Antigone en l’adaptant à la situation actuelle. Une situation qui reflète les mêmes
atrocités que celles qu’ont vécues les générations précédentes, en dépit des années
de lumière que l’humanité a connue.
1
Jean Bellemin-Noël, Psychanalyse et Littérature, Presses Universitaires de France, Paris, 1978,
p.13.
2 Jacques Lacan, Court traité de philosophie, Nathan, Paris, 1974, P.54.
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PREMIERE PARTIE :
OPPOSITION ENTRE DEVOIR FAMILIAL
ET ORDRE ROYAL
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INTRODUCTION
Le terme consanguinité révèle le lien défini par le sang qui unit des individus
appartenant à une même famille. C’est en vertu de ce lien de consanguinité que
notre héroïne s’oppose à la volonté du roi Créon pour .accomplir son devoir familial.
Elle rendra les honneurs à son frère Polynice au mépris de l’interdiction du roi. Mais
par ce même désir de vouloir enterrer son frère, Antigone sera toute entière sous le
signe de l’ambiguïté et de la fatalité. Tout au long de sa pièce, Anouilh s’est plu à
jouer avec les mots et avec l’idée même de vérité. Dans le duel entre le devoir
familial qui symbolise la pureté et la justice, incarnée par Antigone et l’ordre royal
représenté par Créon, on pourrait s’interroger sur le message qu’Anouilh veut
transmettre, autrement dit sur la signification de ce dialogue dans l’œuvre.
Aussi, traitons-nous dans cette première partie de l’« Opposition entre devoir
familial et ordre royal ». De là, nous pensons pouvoir éclaircir " la double opposition
physiologique et psychologique.qui s’établit entre Antigone, notre héroïne, et les
autres personnages de la pièce, à travers les deux chapitres suivants : « Opposition
des personnages », chapitre qui démontre les contrastes physiologiques et
psychologiques des personnages de la pièce ; « La conservation de la pureté » qui
observe, la lutte que mène Antigone pour rester juste et pure.
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Chapitre I : OPPOSITION DES PERSONNAGES
I-1. Des personnages antinomiques
Apparemment, l’Antigone de Sophocle diffère de celui de Jean Anouilh tant
dans la composition que dans la psychologie des personnages. Le dernier porte un
regard neuf sur l’Antigone antique. Il actualise le mythe d’Antigone dans le XXème
siècle pris dans les étaux des deux guerres mondiales. Il s’ensuit que les thèmes que
Sophocle avait mis en exergue sont atténués et laissent la place à des thématiques
peignant ce début de siècle décadent. A la politique, la morale collective et la quête
de soi, Antigone, l’héroïne, est cependant à l’antipode des autres personnages. Elle
s’oppose presque à tous les personnages. Le Prologue nous éclaire sur le caractère
foncier d’Antigone, tournant le dos à son entourage : « seule en face du monde,
seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi » (p.9). Cela dit, Antigone s’oppose
aux personnages aussi bien dans les idéologies que dans la beauté. Les
personnages essaieront de la sauver de son sort cruel : la mort. Elle ne l’entend pas
de cette oreille, car c’est un drame « il n’y a plus rien à tenter » (p.58).La mort reste
son unique lot.
Dans son œuvre, Jean Anouilh décrit l’héroïne comme une révoltée au sens
camusien du terme. Antigone ne se reconnait pas dans ce monde. Elle ressent
l’absurdité dans sa nudité. Elle essaie de se défaire de cette attitude. Elle s’oppose
alors à tous les personnages, à commencer par sa sœur Ismène.
L’opposition des deux sœurs s’inscrit principalement sur trois volets :
physique, philosophique et intellectuel. Tout d’abord, la beauté sépare
sœurs. L’une
les deux
belle et élégante, et l’autre laide et renfermée. Le Prologue nous
donne un aperçu de la beauté des deux filles d’Œdipe. Antigone, « la maigre jeune
fille noiraude et renfermée » (p.9), le « moineau » (p.74). L’héroïne n’est pas belle,
tandis que sa sœur Ismène est décrite comme une « blonde » et « belle ». Le
Prologue dit : « Ismène est bien plus belle qu’Antigone » (p.10). Cette beauté de la
première est associée à son gout vestimentaire. « Dans sa nouvelle robe » (p.10),
elle était éblouissante et élégante, alors qu’Antigone s’habille d’une manière très
simple. Son mode vestimentaire n’est cependant pas mentionné dans l’œuvre, mais
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il laisse paraitre, vu son tempérament triste et pessimiste, qu’elle s’habillait
modestement. Voilà pourquoi, pour paraitre belle à Hémon, elle empruntait le
parfum, le maquillage, et la robe d’Ismène, afin que son fiancé ait envie d’elle. On
peut dire que la beauté d’Ismène est très raffinée d’où son élégance, alors que
Antigone est différente. C’est dans cette perspective qu’Ismène déclare que sa sœur
est belle mais pas comme tout le monde. Elle dit :
« Pas belle comme nous, mais autrement. Tu sais bien que c’est sur
toi que se retournent les petits voyous dans la rue ; que c’est toi que
les petites filles regardent passer, soudain muettes sans pouvoir te
quitter des yeux jusqu’à ce que tu aies tourné le coin »(p.31).
« Pas belle comme nous » veut dire qu’Antigone n’est pas aussi belle que les
femmes de son rang. Cette différence fait de cette héroïne une fille du peuple. Voilà
pourquoi « les petits voyous » et les « petites filles » sont stupéfaits quand ils la
voient passer dans la rue. Elle leur ressemble tant dans son mode vestimentaire que
dans sa beauté. Elle est authentique. Elle est la représentation du petit peuple. En ce
sens, elle s’oppose au monde de la bourgeoisie. C’est pourquoi, étouffé et accablé
par ce système social, Hémon, à la surprise générale, est allé demander la main
d’Antigone, alors présentée comme son antipode. Le Prologue nous donne l’effet
de ce geste en ces termes : « personne n’a jamais compris pourquoi » (p.10).
Ensuite, la conception de la vie oppose les deux sœurs. Dans cette pièce,
Ismène est peinte comme l’heureuse et joyeuse, celle qui prend la vie dans son
pouls et en jouit. « Elle bavarde et rit » (p.9), elle est une vraie épicurienne, elle aime
la danse et les jeux (p.10). Alors qu’Antigone est décrite comme un être sombre.
« Elle pense qu’elle va être Antigone tout à l’heure » (p.9) désigne l’insouciance et
l’insensibilité de cette héroïne à l’ égard de la vie. Elle pense à la mort.
Cette opposition en ce qui concerne
la conception de la vie et de la mort
entre les deux sœurs se précise quand Ismène dit qu’elle ne veut pas mourir. Mais
Antigone réplique qu’elle aimerait aussi vivre. Elle s’entête à ne rien entendre. Elle
est prête à perdre la vie pour réaliser son projet, alors que sa sœur n’est pas du tout
prête à faire ce dernier saut, car elle se dit plus pondérée.
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En effet, l’opposition entre Ismène et Antigone est également visible à travers
la façon de penser. L’une raisonneuse, alors que l’autre est entêtée et déterminée.
Apparemment,
ce dialogue des deux sœurs, Antigone s’obstine à exécuter son
projet, alors que sa sœur essaie de la faire changer d’avis. Cette dernière se
distingue de sa sœur par son tempérament raisonneur. Nous trouvons tout au long
du débat une reprise des expressions illustrant son attitude, a savoir « j’ai bien
pensé », « j’ai bien réfléchi », « je suis plus pondérée ». Ces locutions traduisent le
caractère intelligent d’Ismène, tandis qu’Antigone se borne à refuser la main tendue
de sa sœur. Autrement dit, elle ne veut rien entendre à part les idées ce qu’elle veut
entendre. Des expressions comme « il y a des fois où il ne faut pas trop
réfléchir », « moi, je ne veux pas comprendre un peu » (p.25) expriment l’entêtement
et le caractère déterminé d’Antigone. Elle dit d’ailleurs ceci:
« Comprendre….vous n’avez que ce mot là dans la bouche, tous
depuis que je suis toute petite. Il fallait comprendre qu’on ne peut pas
toucher à l’eau, à la belle eau fuyante et froide parce que cela tâche
les robes. Il fallait comprendre qu’on ne doit pas manger tout à la fois,
donner tout ce qu’on a aux mendiants qu’on rencontre, courir, courir
dans le vent jusqu’à ce qu’on tombe par terre et boire quand on a
chaud et se baigner quand il est trop tôt ou trop tard, mais pas juste
quand on en a envie ! Comprendre. Toujours comprendre. Moi je ne
veux pas comprendre. Je comprendrai quand je serai vieille. (Elle
achève doucement). Si je deviens vieille. Pas maintenant. » (p.27)
Dans ce passage, on peut constater l’idée anticonformiste d’Antigone. Elle
veut faire bouger les choses, l’idéal politique de Créon ne l’intéresse pas. Ici Anouilh
se sert de son héroïne pour dénoncer le système politique de son époque. Il est
question de la première et de la deuxième guerre mondiale qui se sont produites en
l’espace de vingt ans. Il fallait prendre le contre-pied de cette « habitude ». Le
conformisme d’Ismène s’oppose à l’anticonformisme d’Antigone. C’est une lutte entre
deux univers : l’univers des adultes représenté par Ismène et celui de l’enfance
incarné par Antigone. Cette dernière avec ses vingt ans, refuse de vivre dans
l’univers des adultes. Elle sent l’impureté et l’injustice que dégage cet univers. C’est
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pourquoi, pour montrer la nudité du monde des adultes, elle adopte un ton ironique :
« comme tu as tout pensé ! »(p.28). A priori, penser est une réflexion, une prise de
recul devant la réalité. Aux yeux d’Antigone, l’univers des adultes n’est pas conforme
cette attitude. C’est pour cela qu’elle dit que cet univers est hypocrite et mensonger.
Selon elle, il faudrait changer cela et elle ressent les vibrations de ce « nouveau
monde ». On peut dire que cette attitude d’Antigone s’apparente à la perspective
bergsonienne où la société close et conservatrice doit laisser la place à la société
ouverte où chaque individu exprime le tréfonds de son être. Antigone présente ce
nouveau monde comme un royaume. Elle dit :
« Si, je sais ce que je dis, mais c’est vous qui ne m’entendez plus. Je
vous parle de trop loin maintenant, d’un royaume où vous ne pouvez
plus entrer avec vos rides, votre sagesse, votre ventre » (p.100)
A travers ce passage, Antigone évoque la distance qui la sépare de Créon.
L’expression « je vous parle de très loin » la situe dans un royaume où Créon ne
peut pas accéder. Comme elle est jeune, son langage ne peut pas être compris par
un vieillard sceptique. Ici les termes « rides »et « ventre »expriment une vieillesse
fondée sur l’expérience d’un passé perçu péjorativement par Antigone. Et le mot
« sagesse » perd sa valeur méliorative puisqu’il représente ici la politique séculaire
de Créon, rebelle à toute innovation des mœurs. C’est une politique à la fois
sceptique et autocratique. Ici, Jean Anouilh a voulu mettre à nu les exactions et la
folie des hommes. Ces derniers sont, au regard de cet auteur, l’incarnation de la
destruction et du déséquilibre de la nature. C’est pourquoi il donne à l’héroïne de son
œuvre, Antigone, un caractère d’enfant ; elle symbolise la pureté et l’innocence.
L’opposition d’Antigone aux personnages de l’œuvre se prolonge jusqu’à
Hémon. En effet, Antigone s’oppose à Hémon. Le Prologue nous les décrit comme
suit : il y a d’une part une Antigone solitaire, fermée et déterminée, tandis qu’Hémon
est peint comme un hédoniste. Il aime la « danse » et les « jeux » (p.10). Il a la joie
de vivre. Or, on constate que ces deux protagonistes vont s’aimer de telle sorte
qu’ils boiront dans la même coupe le breuvage de la mort. D’après le Prologue,
« personne n’a jamais compris » l’attirance d’Hémon pour Antigone. Ils sont fiancés.
Hémon est le fils de Créon, le roi. Il menait une vie facile, heureuse et plate. Il devait
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jouer le prince. C’est pourquoi on dit qu’il était l’égo de la sœur d’Antigone Ismène.
Ils avaient les mêmes goûts pour la vie, et tout portait à croire qu’ils allaient se
marier. Et pourtant, selon le Prologue, c’est la main d’Antigone, son antipode, qu’il
choisit :
« Le jeune homme avec qui parle la blonde, la belle, l’heureuse
Ismène, c’est Hémon, le fils de Créon. Il est le fiancé d’Antigone. Tout
le portait vers Ismène : son goût de la danse et des jeux, son goût du
bonheur et de la réussite, sa sensualité aussi, car Ismène est bien
plus belle qu’Antigone, et puis un soir, un soir de bal où il n’avait
dansé qu’avec Ismène, un soir où Ismène avait été éblouissante dans
sa nouvelle robe, il a été trouver Antigone qui rêvait dans un coin,
comme en ce moment, ses bras entourant ses genoux, et lui a
demandé d’être sa femme. Personne n’a jamais compris pourquoi.
Antigone a levé sans étonnement ses yeux graves sur lui et elle lui a
dit « oui » avec un petit sourire triste. » (p.10)
C’est entre les expressions « personne n’a jamais compris pourquoi » d’une
part, et « Antigone a levé sans étonnement ses yeux graves sur lui et lui dit oui » de
l’autre que l’effet de contraste prend ses forces. Certes, cette demande d’Hémon
échappe à tout le monde, mais Antigone n’en était pas surprise du tout. Elle n’en
était même pas étonnée, puisqu’elle connaissait Hémon et ce qui l’attire. Cela peut
signifier qu’Hémon docile est attiré par
une Antigone révoltée. Il fallait que l’un
prenne le contre-pied de l’autre pour pouvoir s’affirmer.
Etant le fils du roi, Hémon avait des prérogatives lui permettant de goûter à la
belle vie, alors que, au fond de lui, un autre idéal se dessine. En d’autres termes, la
vie au château ne lui satisfaisait pas et il lui fallait manifester ce malaise. Il prend
Antigone comme bouc émissaire pour manifester sa liberté. Pour affermir cela,
Hémon déclare :
« Crois-tu que je l’accepterai, votre vie ? Et tous les jours, depuis le
matin jusqu’au soir, sans elle. Et votre bavardage, votre vide »
(p.110).
Dans ce passage, nous saisissons l’idée selon laquelle l’amour d’Hémon et
d’Antigone est si fort que le premier ne pourrait vivre, dans ce bas monde, sans la
seconde. Mais, surtout, il déteste le snobisme dont son milieu est l’incarnation. Selon
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lui, c’est une vie figée, plate et sans importance. Nous voyons qu’au-delà de cette
opposition, celle d’Hémon et d’Antigone, se croise deux destins dont la mort seule
scellera le processus.
Par cette union, Hémon manifeste aussi sa liberté. En d’autres termes, on le prend
pour un adolescent qui n’a pas son mot à dire ; personne ne le prend au sérieux
dans la famille. Alors, si son choix se porte sur Antigone, c’est pour dire qu’il est
désormais assez grand pour décider de son destin. On peut dire qu’Hémon est attiré
par le goût de la révolte et l’attitude tenace d’Antigone. Cela s’explique par le fait
qu’Antigone est la seule fille de son rang à mettre à nu les pratiques absurdes de son
milieu. Elle apparaît, aux yeux de son fiancé, Hémon, comme celle qui lui inspire la
joie de vivre. Elle est authentique, tandis que le reste de la famille demeure des
clichés sans importance, inauthentique. Créon nous donne un aperçu du caractère
immature de son fils en ces termes :
« Chacun de nous a un jour, plus ou moins triste, plus ou moins
lointain, où il doit enfin accepter d’être un homme. Pour toi, c’est
aujourd’hui… Et te voilà devant moi avec ces larmes au bord de tes
yeux et ton cœur qui te fait mal mon petit garçon » (p.110).
Hémon est considéré par son père comme un adolescent, alors qu’au fond de
lui, il se sent homme. Créon explique à son fils ce que c’est qu’être un homme : cela
consiste à assumer des responsabilités, affronter les obstacles de la vie et accepter,
comme un ouvrier, sa propre tâche. Ici, Anouilh évoque cette notion de
responsabilité pour réveiller en chacun de nous le sens des responsabilités. Or cela
relève de la politique qui implique une maturité pour conduire les hommes. Créon
incarne ce modèle d’homme politique.
L’opposition d’Antigone avec les personnages de l’œuvre se prolonge jusqu’à
Créon. Elle s’oppose à son oncle, le roi. C’est une opposition idéologique, politique et
religieuse. Mais ce qui les distingue, c’est qu’ils ne sont pas d’accord sur la
conception de la vie. Créon accepte les événements de la vie et ses imprévus, les
situations délicates. Il prend la vie du bon côté. Cela lui parait nécessaire pour
diriger son royaume. Il dit :
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« Je le pouvais. Seulement, je me suis senti tout d’un coup comme
un ouvrier qui refusait un ouvrage. Cela ne m’a pas paru honnête. J’ai
dit oui. » (p.84).
Dans ce sens, Créon, se comparant à un ouvrier qui accepte la tâche de
chef d’état à bras ouvert, ne se pose pas de questions sur la nature de ses actes ;
pour lui, l’important c’est de mener à terme sa mission, tandis que sa nièce pense le
contraire, elle refuse tout ce qui entrave sa liberté. « Moi, je peux dire non encore à
tout ce que je n’aime pas et je suis seule juge » (p.84) crie-t-elle devant un Créon
décidé à lui épargner la vie. Ce dernier,
cependant, lui fait une leçon
de
politique. Mais face à une Antigone
bornée et têtue, Créon lui dit qu’il est
trop facile de dire non, (p.88), de fuir ses responsabilités. La vie sociale et politique
n’est pas la même chose. La vie relève de l’engagement, de la responsabilité et du
pragmatisme. On peut dire que cette opposition entre Créon et Antigone est fondée
sur le réalisme politique. Jean Anouilh a voulu mettre en exergue ce caractère
tyrannique de la politique pour asseoir l’idée selon laquelle la politique ne consiste
pas à dire « oui » ou « non », mais de prendre le genre humain comme une entité à
part entière et d’assurer son épanouissement.
I-2. Deux idéologies opposées
La première rencontre d’Antigone et de Créon dans cette pièce, est également
la scène où s’opposent leurs deux conceptions. Au lieu que l’entretien se déroule
dans une atmosphère calme, entre l’oncle et la nièce, il prend une allure de lutte où
deux antagonistes défendent chacun leur opinion. Le garde qui est là pour faire le
compte-rendu de l’arrestation d’Antigone à son roi constitue un obstacle à leur
communication. C’est ce qui oblige Créon à lui dire :
«On vous demandera peut-être un rapport tout à l’heure. Pour le
moment, laissez-moi seul avec elle. » (‘p.68).
Si Créon ordonne au garde de partir, c’est pour se débarrasser d’un témoin,
Car il pense qu’il peut discuter tranquillement avec Antigone et régler les choses à
l’amiable. Il ne tarde pas à se rendre compte qu’Antigone ne reculera devant rien
pour réaliser son projet.
15
L’ordre, une fois donné par le roi, le garde l’a tout de suite exécuté et a laissé
les antagonistes face-à-face. Et voilà, maintenant, personne ne pourra les déranger.
Créon et Antigone sont enfin seuls. Le dialogue peut donc commencer. En effet,
même si cela touche effectivement la famille, le roi ne doit
manifester aucune
tendresse à l’égard d’Antigone. Il est contraint de jouer totalement son rôle de chef,
parce qu’il doit donner l’exemple.
En outre, l’orgueil et la fierté qu’éprouve Antigone pour son acte jugé absurde
par Créon, empêchent toute communication réelle et lucide. Dépassé par cette
intransigeance qu’il trouve obscure, le grand roi intervient en formulant des questions
très courtes. Comme on peut le constater dans ses interventions lorsqu’il interroge
Antigone :
«Où –t-on-ils arrêtée? Qui garde le corps?» (p.64-65).
Cela montre combien il est plus difficile pour Créon d’accepter cette terrible
nouvelle, car bien qu’il ait été perçu comme un tyran, il a tout de même essayé
vainement de sortir Antigone de cette impasse. Il savait que sa future bru court un
danger, il a essayé de la sauver jusqu’au point de la supplier. Ces propos sont
illustrés dans la phrase suivante lorsque Créon dit :
« Alors, aies pitié de moi, vis. Le cadavre de ton frère qui pourrit sous
mes fenêtres, c’est assez payé pour que l’ordre règne dans Thèbes.
Mon fils t’aime. Ne m’oblige pas à payer avec toi encore. J’ai assez
payé. » (p.86)
L’expression « aies pitié de moi » qui peut parfois signifié qu’une personne est
a bout de ses forces, montre que Créon est incapable de continuer la lutte. Il supplie
donc son adversaire de témoigner de la pitié à son égard. La proposition « j’ai assez
payé » justifie cette idée de lassitude de la part de Créon. Ce qui nous permet de
dire que Créon se déclare lui-même vaincu.
A partir de cet instant, le combat de Créon acquiert un nouvel aspect, celui de
l’égoïsme ; Cela
rend encore l’ultime défaite plus certaine. Gouvernée par des
forces externes, Antigone suivra les traces de son destin jusqu’au bout. Créon,
désespéré, se rend compte qu’il n’y peut rien devant cette intransigeance de
16
l’héroïne. Il se rend à l’évidence, et il supplie Antigone de l’aider. Créon se sentant
désobéi, pensait faire fusiller le coupable encore inconnu. Désorienté et confus, il
cherche à comprendre et à se convaincre de ce qu’on vient de lui apprendre. Il
demande à chaque fois à Antigone de confirmer les dires du garde, dont il semble se
méfier. Antigone, elle, s’exprime avec calme, multipliant les détails qui prouvaient à
tout moment sa culpabilité. C’est un personnage complexe et gouverné par d’autres
forces internes, aussi bien qu’externes, qui se montre à la fois fière et enfantine.
Le caractère précis de son récit révèle bien cette fierté : les phrases
d’Antigone sont brèves par rapport à celles du garde qui se montre très bavard. De
la même manière, sa logique est simple (la pelle ôtée, il ne lui reste que les mains),
tout en étant provocatrice. Mais ses explications sont aussi nostalgiques car pour
rendre les honneurs funèbres à son frère Polynice, elle s’est servie en souvenir de
son frère, d’une pelle lui appartenant. Durant le dialogue de nos deux héros,
Antigone apparaît comme une personne inattaquable. Bien qu’elle soit coupable, elle
semble être totalement sûre d’elle-même et conserve une autonomie indéniable et
une innocence d’enfant. Créon se croit le détenteur de tous les pouvoirs et c’est lui
qui mène l’entrevue. Il parle plus qu’Antigone. Avec sa voix d’autocrate, il pense la
dominer. Dans les rares moments où elle se prononce, elle avance des réponses
courtes qui se réduisent en une syllabe comme lorsqu’elle réplique par des « oui »
et des « non ». Créon fera tout pour épargner Antigone. C’est dans cette intention
bien précise qu’il a dira :
« Te faire mourir ! Tu t’es regardée, moineau ! Tu es trop maigre.
Grossis un peu, plutôt, pour faire un gros garçon à Hémon. Thèbes
en a besoin plus que de ta mort, je te l’assure. Tu vas rentrer chez
toi tout de suite, faire ce que je t’ai dit et te taire. Je me charge du
silence des autres. Allez, vas ! Et ne me foudroie pas comme cela
du regard. Tu me prends pour une brute, c’est entendu, et tu dois
penser que je suis décidément bien prosaïque. Mais je t’aime bien
tout de même avec ton sale caractère. N’oublie pas que c’est moi
qui t’ai fait cadeau de ta première poupée, il n’y a pas si
longtemps. » (p.74)
17
Ces flatteries ont pour but d’amadouer Antigone pour qu’elle finisse par céder,
car Créon est conscient qu’il est inutile d’user de la force pour essayer de convaincre
l’héroïne.
Mais en dépit des efforts déployés par son oncle, la jeune fille va se rebeller
contre son opinion. Une fois que celui-ci bute sur cette opposition d’Antigone, il se
rend compte qu’il a en face de lui la digne fille d’Œdipe. Et lorsque celle-ci lui affirme
qu’elle n’aurait pas agi autrement si elle n’avait été qu’une pauvre servante, Créon
refuse de la croire :
« Les pauvres ont peur de la mort et se soumettent. » (p.72)
Si
Créon
fait
allusion
aux
pauvres,
c’est
uniquement
parce
que
psychologiquement, ce sont les pauvres qui, se sentant inférieurs, sont obligés de se
soumettre. Ce qui signifie que si Créon hésite pour tuer Antigone, c’est par ce qu’elle
est de sang royal, donc riche. Ce qui prouve que la loi de Créon est une loi qui
distingue les riches des pauvres, avant de les juger.
Cet orgueil démesuré, ce goût de l’excès, cette théâtralité est dénoncée par
l’ironie choquante des propos que Créon tient :
« Et le plus simple après, c’est encore de se crever les yeux
et d’aller mendier avec ses enfants sur les routes… » (p73)
Pour provoquer Antigone, Créon lui rappelle ironiquement, et sans l’évoquer,
Œdipe, le père de celle-ci, car il veut signifier par là que c’est ce lien de parenté qui
fait qu’ils ont tous des comportements bizarres face au destin.
En général, les rois ne s’attardent pas sur des problèmes personnels, alors
qu’ici, on sent véritablement que Créon hésite. Il veut, malgré l’entêtement
d’Antigone, la sauver. Cette hésitation est très visible dans les propos que Créon
tient à sa future belle fille, en lui disant :
18
« Écoute-moi bien. J’ai le mauvais rôle, c’est entendu, et tu
as le bon. Et tu le sens. Mais n’en profite tout de même pas trop,
petite peste…si j’étais une bonne brute ordinaire de tyran, il y aurait
déjà longtemps qu’on t’aurait arraché la langue, tiré les membres
aux tenailles, ou jetée dans un trou. Mais tu vois dans mes yeux
quelque chose qui hésite, tu vois que je te laisse parler au lieu
d’appeler mes soldats ; alors tu nargues, tu attaques tant que tu
peux. Où veux-tu en venir petite furie? » (p.80)
Le caractère de Créon commence à se voir, c’est une personne
machiavélique. Il sait qu’il a un mauvais rôle, mais il est difficile pour lui de faire le
bien. Il est un roi autocrate qui a l’habitude d’être obéi.
Nous remarquons qu’à travers ce passage Créon veut se montrer dur, mais
en réalité, la situation est au dessus de ses forces. Il veut essayer de sauver sa bru,
mais l’héroïne veut absolument mourir. Malgré l’effort de Créon de vouloir régler
l’affaire à l’amiable, Antigone s’obstine à réaliser son projet en disant : «Vous savez
bien que je recommencerai » (p 69)
Cette phrase est le symbole de la désobéissance d’Antigone. Elle montre
également le degré de résistance que l’héroïne compte opposer au royaume de
Créon. Il s’intéresse ensuite à ce qui l’a poussé à commettre l’irréparable. Mais
l’héroïne réplique en avançant sa pitié fraternelle et ce qu’elle estime être son devoir.
Face à une telle hardiesse et une assurance aussi paisible et inébranlable, Créon
comprend qu’il ne peut malheureusement rien faire. Il s’est finalement rendu compte
qu’il n’est qu’un professionnel de la politique, s’attachant ardemment au bonheur
terrestre. Ainsi, Créon veut manifestement apparaître comme un « prince sans
histoire », comme un homme réaliste, et un aventurier, qui a une tâche à accomplir
et qui fait son métier aussi bien qu’il peut. Cela est visible dans les propos qu’il
adresse à Antigone :
« J’ai résolu, avec moins d’ambition que ton père, de
m’employer tout simplement à rendre l’ordre de ce monde un
peu moins absurde, si c’est possible. »(p.66)
19
Il veut apparaître ensuite comme un homme sans complexe qui ne porte
aucune malédiction. Il dit :
« Moi, je m’appelle seulement Créon, une brute, je suis
décidément bien prosaïque » (p.82)
Dans ce passage, Créon se démarque foncièrement d’Œdipe. L’adverbe
« seulement » est là pour montrer cette différence entre lui et Œdipe. Il s’identifie à
une brute. Le terme « prosaïque » signifie ici que Créon est un homme sans histoire
dont les sentiments ne sont ni nobles ni délicats. Il n’a donc pas les mêmes traits de
caractères qu’Oedipe qui a une très grande force de caractère.
A travers ce passage, Créon semble vouloir se séparer de la famille d’Oedipe.
S’il annonce qu’il s’appelle seulement Créon, c’est pour laisser entendre qu’il n’a
aucun lien avec Œdipe, ce qui signifie qu’il ne sera ni complexé ni maudit.
Antigone est là pour lui rappeler, par son seul regard, ce qu’il n’a pas choisi
d’être et qu’il ne pouvait sans doute pas de devenir : un héros, peut être, et cela se
voit dans ses longues interventions qui ressemblent parfois à des monologues qui
ont pour but de convaincre. Mais Antigone ne lui facilitera pas la tâche car en
refusant de regagner sa chambre, elle va pour la deuxième fois s’opposer à la
volonté de Créon. Et c’est à partir de là que le véritable affrontement va commencer.
L’atmosphère
devient
cependant
très
paisible.
Créon
commence
à
s’apercevoir que la situation est au dessus de ses forces. Le regard et le silence
d’Antigone l’étonnent et l’agacent. C’est pour cette raison que le dramaturge nous
montre que la situation entre Créon et Antigone prend une allure délicate, qui
commence par le regard :
« Ils se regardent encore debout l’un en face de l’autre. »(p.75)
Ce silence et ce regard témoignent de la confusion de Créon. Comme
l’affirme Marie Blaise dans Psychanalyse et Littérature, « Tout acte ou geste est un
trait de communication ». Cela nous permet de dire que le silence et le regard
20
d’Antigone expriment un certain mépris à l’ endroit de son interlocuteur. Et c’est par
ce comportement que l’héroïne fonde sa provocation.
Ainsi, Créon cherche à comprendre la raison de ce brusque silence. Il
interroge celle-ci, mais n’obtient pas gain de cause. Cela est visible lorsqu’il interroge
l’héroïne :
« Tu iras refaire ce geste absurde ? Il y a une autre garde
autour du corps de Polynice et, même si tu parviens à le
recouvrir encore, on dégagera son cadavre, tu le sais bien. Que
peux-tu donc, sinon t’ensanglanter encore les ongles et te faire
prendre ? » (p.76)
L’interrogation « tu iras refaire ce geste absurde ? » dénote l’étonnement de
Créon sur l’obstination d’Antigone à vouloir réaliser son projet. Et si Créon ajoute
l’expression « que peux-tu donc ? » c’est pour montrer à l’héroïne que son acte est
vidé de toute signification.
Il continue à multiplier les questions, car tout ce qu’il veut c’est qu’Antigone lui
donne les raisons de ce comportement « absurde ». Mais les interrogations de
Créon ne sont que des
séries de questions auxquelles, en l’absence
d’éclaircissement de la part d’Antigone, il est contraint d’apporter lui-même les
réponses :
« Tu te mettrais à hurler tout d’un coup finissant par
lui faire admettre que tout cela est absurde » (p.86)
Créon se trouve finalement tenaillé entre deux conceptions qui sont pour
Anouilh inconciliables : la raison d’État et son antithèse qui est le devoir moral
incarné par l’héroïne. Cette scène présente donc un double intérêt. Elle nous permet
d’établir les faits tout en essayant de développer le portrait insensé et absurde d’une
humanité commune représentée par les gardes dune part, et préparer le dialogue
entre nos deux héros d’autre part.
Dès qu’elle fut jouée
en février 1944, la pièce d’Antigone a suscité des
interrogations sur la signification qu’elle pouvait avoir à cette date. C’était la dernière
année d’occupation de la France par l’Allemagne. Étant donné qu’il était difficile,
21
voire risqué, de dénoncer ouvertement cette occupation, les écrivains se voyaient
obligés de trouver une autre façon de critiquer .Des dramaturges comme Giraudoux
avec La guerre de Troie n’aura pas lieu, ou encore Cocteau avec La machine
infernale, ont repris des mythes pour dévoiler, au XXème siècle, les injustices et
montrer l’absurdité de la vie. Anouilh lui, en entreprenant la réécriture de l’Antigone
de Sophocle, fait de l’héroïne, d’une manière indirecte, une figure de résistance
contre ce gouvernement de la France occupée.
Ainsi, cette pièce exaltait l’opposition à un pouvoir tyrannique, en même
temps que le devoir de désobéissance. Elle faisait l’éloge des « résistants » dont
Antigone devenait alors le porte-drapeau. Ces interprétations peuvent toutes être
valides, mais si Anouilh a mis l’accent sur le dialogue du oui et du non, c’est pour
nous montrer que le débat n’est pas uniquement engagé sur un terrain politique,
mais il voulait
avant tout montrer l’absurdité de la vie. C’est pourquoi on peut
affirmer que le vrai débat s’engage sur un terrain philosophique et moral et fonde ses
bases dans un espace politique.
L’interdiction formulée par Créon concernant le sort de Polynice n’est ni
partielle ni despotique. Elle demeure selon lui, purement politique. On peut
cependant voir apparaître quelquefois, une forme opprimant, voire cynique dans les
décisions prises par le roi. Mais cela est dû à la fermeté et au respect qu’il attribue à
sa loi. Car, pour que la paix et l’ordre soient rétablis dans Thèbes, il fallait rassembler
les esprits. C’est dans ce sens que Créon tente de donner l’explication suivante à
Antigone :
« Il s’est trouvé que j’ai eu besoin de faire un héros de l’un deux.
Alors j’ai fait rechercher leurs cadavres au milieu des autres. On
les a retrouvés embrassés pour la première fois de leur vie sans
doute. Ils s’étaient embrochés mutuellement, et puis la charge de
la cavalerie argiennes leurs avaient passé dessus. Ils étaient en
bouillie, Antigone, méconnaissables .J’ai fait ramasser un corps,
le moins abîmé des deux, pour mes funérailles nationales, et j’ai
donné l’ordre de laisser pourrir l’autre là où il était. » (p.95)
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Ainsi le maintien de l’ordre implique le calcul, le mensonge et le cynisme.
Puisque la vie terrestre est la seule chose à laquelle Créon tient vraiment, il est donc
prêt à tout faire pour instaurer l’ordre dans la cité. C’est pour cette raison que, revenir
sur sa décision, est une chose inadmissible pour Créon. Il savait pertinemment que
la condamnation d’Antigone fera de lui un tyran et engendrera par la suite pas mal
de complications. Mais comme il le dit, la loi est faite pour tout le monde, et
quiconque osera la violer est passible d’être puni. C’est pour cette raison que Créon
interroge Antigone en lui rappelant le sort réservé à celui qui désobéira à son ordre
« Tu savais le sort qui y était promis à celui, quel qu’il soit, qui
oserait lui rendre les honneurs funèbres ? »(p.71)
Pour Créon, la loi est appliquée seulement quand cela l’arrange. Puisque
Antigone s’entête, Créon dira ironiquement à Antigone :
« Tu as peut-être cru que d’être la fille d’Œdipe, la fille de l’orgueil
d’Œdipe, c’est assez pour être au -dessus de la loi. » (p.71)
Pour l’héroïne, la règle à laquelle elle obéit est supérieure aux décrets pris
par le roi. Antigone a en elle une obligation intérieure, indépendante des
circonstances qui la poussent à défier cet ordre royal et défendre avec fermeté la loi
morale et l’honneur familial. Elle affirme d’ailleurs la liberté de la conscience
lorsqu’elle déclare que « Je suis là pour dire non et pour mourir. » (p.102)
C’est entre le « je suis là » qui exprime la force de sa présence et le «pour
mourir» qui éclaire son destin que le caractère inéluctable d’Antigone prend toutes
ses assises. Cette attitude est analogue à la déclaration faite par l’Antigone grecque
où elle dit : « je ne suis pas née pour partager la haine, pour partager l’amour». Mais
cet amour non partagé la conduit vers la mort.
Cette affirmation montre qu’Antigone est déterminée à aller jusqu’au bout de
sa mission. Il y a dans ces propos la certitude d’accomplir son destin.
En dépit de l’opinion que l’on peut se faire après avoir lu la pièce, nous
sommes convaincus qu’aucun de ces deux personnages n’a réellement raison. Ni
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Créon ni Antigone n’ont eu le dernier mot. Chacun défendait avec fermeté son
opinion, mais à la fin, ils se sont donné raison l’un l’autre. Créon a fini par partager
la répugnance d’Antigone pour l’expérience et la maturité en disant à son page :
«Tu es fou. Il faudrait ne jamais devenir grand. (L’heure sonne au
loin, il murmure.) Cinq heures. » (p.131)
Et Antigone, au moment de mourir, donne à son tour raison à son oncle en
disant:
« Je le comprends seulement maintenant combien c’était simple
de vivre. »(p.125)
Aucun d’eux (Créon qui représente la loi terrestre, Antigone qui incarne la
justice morale et la loi divine) n’est donc porteur d’un message exclusif et définitif. Ce
qui nous amène à déduire qu’Antigone n’est pas une pièce à thèse, et c’est
intentionnellement que l’auteur nous laisse perplexes dans le dénouement. Rien
n’est clair, rien n’est vrai ou tout est à la fois vrai et faux. Il n’y a que la mort qui
gagne. C’est la description de la situation qui régnait au XXeme siècle qu’Anouilh nous
présente ici, car la vie du siècle était dominée par l’absurdité de la vie. Ainsi les
auteurs de cette époque centraient l’ensemble de leurs œuvres sur des thèmes tels
que : l’injustice, l’opposition entre morale et politique, le bonheur et le destin.
Autrement dit, loin d’être une question qui tranche sur l’opposition entre la loi
du monde d’ici bas et la loi du monde d’en haut, cette pièce est un réquisitoire contre
l’absurdité de la vie.
A travers le duel entre Antigone et Créon, la communication est impossible.
Les réponses sont toutes de travers. Cette interprétation de la communication reflète
l’absurdité de la vie contemporaine. Dans ce souci d’incommunication, il y a une
pièce de Camus dont le titre pourrait résumer celle d’Anouilh, c’est Le malentendu.
« Les répliques sont toujours à côté » Ces deux pièces sont semblables et montrent
une vie moderne submergée par l’absurdité. Dans une certaine mesure, cette
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absurdité s’exprime dans les effets de contraste, mais parfois, elle se manifeste à
travers un attachement naturel qui incite l’héroïne à conserver sa pureté.
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Chapitre II : LA CONSERVATION DE LA PURETÉ
II-1. L’intransigeance de la pureté
Si l’on observe de près le comportement d’Antigone, sa manière d’être et sa
vision du monde, on peut déduire à partir de là que vivre et rester pur sont des
choses incompatibles. Anouilh s’est interrogé sur cette notion de pureté depuis qu’il
écrit. En relisant, on se rend compte qu’il interpelle également le lecteur à le
découvrir par lui-même. Telle qu’elle est présentée dans l’œuvre, l’héroïne préfère
mourir plutôt que d’accepter à des choses impures, car selon elle, la vraie vie est
celle de l’au-delà. Antigone est petite, maigre, noiraude et mal peignée, mais elle se
montre ici sa beauté intérieure. Si elle n’est pas coquette comme sa sœur Ismène, si
elle ne met pas de rouge à lèvres, c’est parce qu’elle est, elle-même, le symbole du
naturel et de la pureté. Elle aurait voulu être un garçon comme elle le dit ici : «Une
fille, oui. Ai-je assez pleuré d’être une fille» (p.31).
Une fille peut parfois symboliser la faiblesse. Mais si Antigone dit qu’elle a
assez pleuré d’être une fille, c’est parce que sa physionomie même l’empêche de
mener à bien sa lutte. Elle aurait préféré être un garçon, bénéficié de la même force
de caractère que les hommes, ainsi elle pourrait mieux s’opposer à Créon.
Antigone a les mêmes traits de caractère que les autres héroïnes d’Anouilh,
Thérèse ou Eurydice. Pour Giraudoux comme pour Anouilh, il y a des moments
dans la vie où des êtres ne peuvent plus se dérober devant les exigences de leur
nature profonde et où ils finissent par révéler leur identité. C’est ce que Giraudoux
appelle dans Electre « se déclarer ». En attendant que l’heure de vérité sonne pour
Antigone, voyons d’abord comment elle se présente devant nous.
Deux principaux traits semblent la caractériser. Il y a d’abord l’amour
passionné de la vie sous toutes ses formes. Cela se voit à travers la description
qu’elle fait de la vie avec toutes les sensations qui s’y rattachent. Par exemple,
toucher à l’eau : « la belle eau fuyante et froide », boire « quand on en a envie. »,
« Se lever la première le matin, rien que pour sentir l’air froid sur sa peau nue, et
courir dans le vent ». Cette idée d’attachement à la vie se poursuit dans presque
tous ses agissements, comme lorsqu’elle répond à sa sœur Ismène qui lui
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demande : « Tu n’as donc pas envie de vivre, toi ? ».Et c’est avec sincérité qu’elle lui
déclare de sa petite voix douce: «Moi aussi, j’aurais bien voulu ne pas mourir». (p.25)
A travers ce passage, Antigone a préféré utiliser le mode conditionnel plutôt
que l’indicatif. Cela signifie qu’elle souhaite vivre comme tout le monde. «J’aurais
bien voulu vivre », expression qu’elle aurait dû utiliser pour affirmer son intention, est
remplacée par le «j’aurais bien voulu ne pas mourir», pour mieux montrer la
complexité du choix qu’elle doit prendre. Un choix purement moral et qui prend ses
sources dans la préservation de l’honneur familial.
L’analyse de cette .phrase nous fait comprendre que la conscience
d’Antigone n’est pas libre, la morale l’oblige à agir contre l’ordre de Créon. Et c’est
pour cette raison qu’elle avoue qu’elle aurait aimé vivre malgré cette obstination.
Sa courte et brève scène avec Hémon suffit pour nous convaincre de sa forte
sensualité et de son amour pour la vie. Vivre, pour elle, c’est être en accord avec la
nature pure et sublime. Ce qui implique qu’elle voulait uniquement conserver intacte
les joies et les illusions de l’enfance.
Le deuxième trait s’avère paradoxal, car après avoir affiché ses envies de
vivre, elle déclare par la suite qu’elle veut mourir. Ce rejet de la vie est dû aux
imperfections de celle-ci et de son usure quotidienne. Elle défend la morale, et
lorsque Créon ordonne de ne pas enterrer son frère Polynice, sa vraie identité
apparaît, car la vie qu’elle aime est une vie douce et sans injustice. C’est pourquoi
elle se révoltera contre cet ordre de Créon. Elle se montre intransigeante et tenace
quand il s’agit de la pureté.
Existentialiste, ivre d’une liberté sans limite, Antigone croira qu’elle a
découvert son acte comme l’a fait Oreste dans Les Mouches de Jean Paul SARTRE.
Mais pour bien comprendre le personnage d’Antigone, et le sens même de la pièce,
il est indispensable de la voir évoluer à partir de la scène qui l’oppose à Créon.
Dans cette scène, l’auteur confronte deux mondes différents : d’un côté, le monde
réel représenté par Créon, et de l’autre, celui de l’idéal, incarné par Antigone. Anouilh
s’est plu à peindre la nature sauvage qui joue un rôle essentiel dans la vision de
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l’héroïne.
Elle se sent joyeuse quand elle décrit le paysage naturel de l’aube. Elle
affirme cela en ces termes :
« C’est beau un jardin qui ne pense pas encore aux hommes
(…..) Je faisais un bruit énorme toute seule sur la route et j’étais
gênée parce que je savais que ce n’étais pas moi qu’on
attendait ». (p.15)
Et un peu plus loin elle dit :
« Et il n’y avait que moi dans toute cette campagne ». (p.15)
Ces extraits montrent l’attachement de l’héroïne à la pureté, et le dégout
qu’elle a de la vie. Car pour Antigone, il ne peut s’agir que d’une vie en accord avec
la nature, et non de cette réalité misérable et médiocre que les adultes appellent
« vie ». Malgré cette obstination face à la mort, Antigone accorde une importance
capitale à la vie.
On a pu remarquer dans la grande partie de cette scène, la crudité du style,
ainsi que l’abondance des images renvoyant au corps ou à la nourriture. Le champ
sémantique est vaste : « viande, bouillie, cuisine, ventre » jusqu’au bonheur qui est
vu comme un « os » que les chiens lèchent comme tout ce qu’ils trouvent. Tout cela
n’inspire que le dégoût et l’horreur. C’est de cette manière qu’Antigone décrit la vie
des adultes.
Or, s’il est de plus en plus difficile d’attribuer un sens moral à la révolte
d’Antigone, elle peut être vue sous l’angle esthétique. Et même si Antigone est laide,
pour elle ce n’est pas grave, car une fois que la tragédie est consommée, la laideur
s’efface. Il en était ainsi pour son père. Elle le dit ici :
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« Papa n’est devenu beau qu’après, quand il a été bien sûr,
enfin, qu’il avait tué son père, que c’était bien avec sa mère qu’il
avait couché, et que rien, plus rien ne pouvait le sauver. Alors, il
s’est calmé tout d’un coup, il a eu comme un sourire, et il est
devenu beau. C’était fini. Il n’a plus eu qu’à fermer les yeux pour
ne plus vous voir ! Ah ! Vos têtes, vos pauvres têtes de
candidats au bonheur ! C’est vous qui êtes laids, même les plus
beaux. Vous avez tous quelque chose de laid au coin de l’œil ou
de la bouche. Tu l’as bien dit tout à l’heure, Créon, la cuisine.
Vous avez des têtes de cuisiniers. » (p.103)
Cette conservation de la pureté
semble être
remplacée ici par la
confrontation du beau et du laid. Le scepticisme et le pessimisme d’Anouilh, centrés
sur le personnage de Créon, fait de cette révolte une dénonciation nihiliste des
valeurs morales, par les moyens de l’art, c'est-à-dire le théâtre. Ainsi, Antigone
représente la pureté d’où son attachement à la nature sauvage. Le refus de se
confier à sa nourrice et son amour pour la nature ont en fait une seule et unique
origine, son mépris pour la vie et pour le monde des adultes.
Une telle volonté, déterminant toute une psychologie, ne peut s’inscrire que
sur une ligne où se confondent le caractère et le destin de l’héroïne. Pour cette
raison, elle refuse de vieillir, donc de se salir. A travers cette conception, on croit
entendre le proverbe grec qui dit : « Ceux que les dieux aiment meurent jeunes. »3
La petite Antigone ira tout droit vers la mort, mais elle poursuivra sa quête
jusqu’à la fin. Et cela constitue le plus court chemin de l’introduction au dénouement,
deux points que l’auteur situe dès le début de sa pièce, prenant ainsi des risques
considérables, puisque cela risque de perturber l’intérêt et le plaisir que les
spectateurs ont pour le théâtre. Rappelons-nous les phrases d’ouvertures où l’idée
de la mort de l’héroïne est évoquée d’emblée :
3
Paul Genistier, Anouilh, Seghers, Paris, 1969. p.69
29
« Voilà. Ces personnages vont vous jouer l’histoire d’Antigone.
Antigone, c’est la petite maigre qui est assise là-bas et qui ne dit
rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. (……)Elle pense
qu’elle va mourir, qu’elle est jeune et qu’elle aussi, elle aurait
aimé vivre. Mais il n’y a rien à faire. Elle s’appelle Antigone et il
va falloir qu’elle joue son rôle jusqu’au bout. » (p.9)
Ainsi, dans cette tragédie, l’architecture se réduit à la ligne droite qui conduit
inéluctablement Antigone à son supplice, envers et contre tous, y compris parfois
elle-même. Plus tard, le spectateur s’apercevra que cette droite n’est que le
prolongement du destin d’Œdipe, mais épuré, réduit à son expression la plus simple,
la plus signifiante et peut être la plus abstraite. Créon dira d’ailleurs à l’héroïne dans
une saisissante définition : « Tu es l’orgueil d’Œdipe. » (p.72)
Antigone va reproduire la vie de son père, car elle est la première à vivre le
complexe d’Œdipe après Œdipe lui-même. Elle va donc retrouver son père dans la
mort, pour être belle comme lui et être près de lui. Oedipe avait ses raisons en
choisissant Antigone pour le conduire. Antigone est restée fidèle aux idées de son
père, une fois que celui-ci est mort. C’est peut être pour cette raison que la jeune fille
se précipite vers la mort, fuyant cette laideur, pour enfin être belle comme son père.
Contrairement à ce que croit Créon, qui dit que gouverner les hommes veut
dire mêler les vérités d’un peu de mensonge utile, fléchir au temps, bref s’avilir par
charité, l’héroïne pense que c’est la vérité et la justice qui devront être à la tête du
fonctionnement de toute société.
Cette dernière vague, représentée par Antigone, se heurte à des litiges
constituant, pour elle, des obstacles qui brideront par la suite son espace
d’épanouissement. Par conséquent, la vie devient insensée et déplaisante. C’est
pour cela que la mort parait être une solution pour Antigone, plutôt que de vivre
médiocrement. Une fois que la vie est dépourvue de pureté et demeure « sale », des
pures âmes comme Antigone se sacrifieront pour la pureté. C’est dans cet angle de
vision que l’héroïne déclare :
30
« Je vais être sûre de tout aujourd’hui et que cela soit aussi beau
que quand j’étais petite ou mourir. » (p.102)
A travers cet extrait, l’intransigeance d’Antigone de vouloir enterrer son frère
se précise d’avantage. Elle veut que tout soit pur ou elle abandonne la vie.
Ici on voit clairement combien de fois Antigone est exigeante et devient
incontestablement tenace. A travers ces deux conceptions opposant nos deux héros,
faisant de Créon le réaliste et d’Antigone l’idéaliste, Victor Hugo intervient et
s’interroge ainsi :
« Le réel ou l’idéal ? Car depuis qu’il y a des hommes ces deux
conceptions les séparent d’une manière dialectique. »4
Se trouvant ainsi dans cette deuxième catégorie, Antigone savait que la mort
ne l’épargnerait pas. Mais elle préfère mourir plutôt que de céder aux compromis. La
situation devient alors plus délicate pour Créon, car s’il accepte la déclaration de sa
bru en se contentant du relatif, cela n’aura pas d’importance puisqu’ Antigone veut
tout et dans l’immédiat. Elle proclame une révolte absolue. On peut constater cela à
travers ce qu’elle dit à Créon :
« Moi je veux tout toute de suite et que ce soit en entier ou alors
je refuse ! Je ne veux pas être modeste et me contenter d’un
petit morceau, j’ai été bien sage. » (‘p. 101)
Ce qui mérite d’être retenu dans cet extrait c’est qu’Antigone se révolte. Elle
veut absolument que sa demande soit exhaussée sans condition ni jugement. Le
verbe « vouloir », employé au mode indicatif, évoque l’intransigeance et le sentiment
de l’absolu de l’héroïne. Ce qui signifie que la décision qu’elle prend est irréversible.
Mais ce qui est inattendu et stupéfiant, c’est qu’elle exige à ce que sa demande soit
exécutée dans un délai bien déterminé. Cela est rendu visible par l’emploi du terme:
« toute de suite ».Ce qui signifie que sa revendication n’est pas négociable. Mais à
travers ce propos, elle se présente comme une enfant capricieuse.
4
Cité par Etienne FROIS, Antigone Anouilh, Hatier, 1972, P.27.
31
Par ailleurs, nous constatons qu’Antigone inverse les rôles, car non seulement
elle refuse de se soumettre, mais elle oblige Créon à trouver une solution rapide et
satisfaisante pour elle, sinon elle dit non à la vie. Etre soumise à la loi de Créon,
signifie, dire oui à des choses qu’elle n’a jamais acceptées. A cause de son
idéalisme, Antigone n’arrive pas à dissocier sa beauté enfantine de celle de Créon
qui est un vieux. Elle trouve dans la mort une porte pour acquérir sa liberté. Etienne
Frois affirme cette idée de liberté d’Antigone en .ces termes:
« Le grand mot est lâché : Antigone a été obligée de convenir
que son acte privé de sens était la manifestation de sa liberté ».5
Ce désir absolu de vouloir enterrer son frère est incompris par tout son
entourage, en l’occurrence Créon. Ce dernier n’a aucunement envie de la laisser
mourir dans une histoire qu’il trouve insensée. On peut constater cela dans les
propos tenus par Créon à l’endroit d’Antigone ; des propos qui manifestent de la
compassion, de la charité :
« Je ne veux pas te laisser mourir dans une histoire politique. Tu
vaux mieux que cela. Parce que ton Polynice, cet ombre éploré
et ce corps qui se décompose entre ces gardes et tout ce
pathétique qui t’enflamme, ce n’est qu’une histoire politique. »
(p.96)
On remarque ici
qu’il y a deux opinions qui s’opposent. D’un côté il y a
Antigone qui a son opinion et qui veut la réaliser à tout prix, et de l’autre
les
membres de sa famille qui essaient de la sortir de cette impasse. On voit ici que tous
les efforts déployés pour empêcher Antigone d’obéir à la fatalité resteront vains.
Toutefois ce n’est pas une beauté de néant, car chacun de ses efforts purifiera la
notion de destin chez l’héroïne. Mais pour Anouilh, Antigone est faite pour être
morte. Son frère Polynice n’était qu’un prétexte, car quand elle a du y renoncer, elle
a trouvé immédiatement autre chose. Cela est révélé par les paroles qu’Antigone
adresse furieusement à sa sœur Ismène.
5
Etienne. FROIS, Antigone Anouilh, Hatier, Paris 1972. p.50.
32
« Tu as choisi la vie et moi la mort. Laisse-moi maintenant avec
tes jérémiades. Il fallait y aller ce matin, à quatre pattes, devant
la nuit. Il fallait aller gratter la terre par tes ongles pendant qu’ils
étaient tous près et te faire empoigner par eux comme une
voleuse » (p.105)
Nous notons que malgré les interventions de presque tous les personnages
de la pièce pour le bien d’Antigone, elle campe sur sa décision.
II-2. Deux points de vue divergents sur la pureté
Dans cette pièce, nous remarquons également que les deux conceptions de
nos deux héros peuvent être comprises comme une forme de conflit de génération.
Il y a d’une part, la vieille génération représentée par Créon, et d’autre part, celle
incarnée par deux adolescents, notamment Hémon et Antigone. Le portrait de Créon
repose essentiellement sur l’opposition entre sa vieillesse et la jeunesse passionnée
d’Hémon. Ce contraste et l’aspect invraisemblable du suicide (même si on ne sait
pas comment Hémon a pu s’introduire dans le tombeau à l’insu de tout le monde)
créent un réel effet dramatique. On peut obtenir une sorte de tableau vivant qui
pourrait être représenté sur scène par un pantomime. Ce qui apparait dans ce
tableau ce sont les attitudes, comme on le constate ici :
« Chacun se tait et écoute, car ce n’est pas la voix d’Antigone.
C’est une plainte nouvelle qui sort des profondeurs du trou
Tous regardent Créon, et lui qui a deviné le premier, lui qui sait
déjà avant tous les autres, hurle soudain comme un fou »
(p.127).
A travers ce passage, nous nous trouvons face à un tableau des
comportements figés des personnages ; cela suscite le rire, même si c’est un
moment tragique. La mise en valeur du comportement de Créon et la vivacité du
style, ajoutée à l’absence de liens entre les phrases renforcent le suspens. Mais en
ce qui concerne le comportement gestuel des personnages, Anouilh l’a décrit d’une
façon comique. On peut remarquer cela, lorsque le Messager décrit le comportement
de Créon en entendant les plaintes d’Hémon :
33
« Enlevez les pierres ! Enlevez les pierres ! Les esclaves se
jettent sur les blocs entassés, et, parmi eux, le roi suant, dont
les mains saignent » (p.127).
Désemparé, Créon se met à enlever les cailloux avec les esclaves. C’est à ce
moment là que le tableau des couleurs se fige :
« Aux fils de sa ceinture, des fils bleus, des fils verts, des fils
rouges qui lui font comme un collier d’enfant et Hémon à
genoux… », Ou lorsque Hémon, « se dresse les yeux noirs et
[…] regarde son père sans rien dire une minute » (p.127).
A chaque moment réellement dramatique, le temps paraît s’arrêter pour
montrer l’importance de la tragédie.
Par ce tableau de couleur à la fois expressionniste et naïf, où le rouge domine,
le dramaturge veut créer un choc visuel autant que dramatique. En lisant la pièce,
certaines références littéraires comme celle d’Atala de Chateaubriand viennent à
l’esprit. Le personnage principal de cette œuvre (Atala) a vécu la même situation que
celle d’Antigone qu’Anouilh décrit ici. De plus, Atala s’est suicidée comme Antigone
pour des raisons religieuses.
Par ailleurs, l’opposition violente entre Hémon un adolescent et Créon un
homme d’âge mur, qui tourne presque au duel (Hémon tire son épée), dresse un
jeune homme, à peine sorti de l’enfance, contre un vieil homme tremblant qui est un
obstacle à son bonheur et à son mariage. Cette situation qui nous rappelle le drame
du Cid de Corneille, est également une figure qui sert à nous montrer le conflit de
génération dans Antigone. Mais si dans la pièce de Corneille le fier jeune homme a
réussi à obtenir ce qu’il voulait, dans celle de ce dramaturge moderne, il n’en sort
malheureusement pas vainqueur.
La leçon à tirer ici est donc différente. Il ne faut pas oublier qu’en 1942, au
moment où l’auteur conçoit Antigone, dans un combat comme celui que menait la
résistance, l’héroïsme est un héroïsme amer et désabusé, car dans une France
gouvernée par un vieillard, les héros de l’ombre meurent pour une cause qui peut
sembler désespérée. Cette situation peut-être comparée à celle de Créon et son fils
34
Hémon. Chacun incarnait une génération, donc une idéologie différente de celle de
l’autre ; la confrontation devient alors inévitable. Mais l’affrontement entre ces deux
générations ne se limite pas seulement à Hémon comme figure de résistance contre
ce gouvernement cynique représenté par Créon, car à cette figure d’homme âgé, usé
par le pouvoir, s’oppose celle d’une adolescente intransigeante qui refuse les
compromis.
Ce personnage principal n’accepte pas l’impureté.
Antigone, encore très
jeune, se sent abandonnée. C’est d’ailleurs une des raisons de sa révolte, elle voulait
imposer sa présence et que sa liberté soit respectée. Pour ce faire, elle s’oppose à
toute proposition allant à l’encontre de son opinion. Agée de seulement vingt ans,
Antigone veut impérativement voir la réalisation de son projet. Sans cela, elle est
prête à mourir plutôt que de sacrifier son idéal. Etre heureux pour Antigone se
résume à être libre et faire ce que la conscience juge bon de faire. Sans cela, elle
ne sait pas comment s’y prendre pour être heureuse. C’est dans cette optique
qu’Antigone se manifeste devant Créon en l’interrogeant avec ironie :
« Quel sera-t-il mon bonheur ? Quelle femme heureuse
deviendra-t-elle, la petite Antigone ? Quelles pauvretés faudrat-il qu’elle fasse, elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses
dents son petit lambeau de bonheur ? Dites, à qui devra-t-elle
mentir, à qui sourire, à qui se vendre ? Qui devra-t-elle laisser
mourir en détournant le regard » (p.80)
Ce passage nous montre combien l’héroïne est pure, mentir pour elle est
inadmissible, elle se demande si elle pourrait vivre dans cette vie pourrie et
médiocre. En dépit de son jeune âge et de sa ténacité, Antigone respecte les lois
morales. Et pour cette noble raison, elle n’accepte pas l’impureté. Si elle est
interrompue, elle s’obstine à vouloir recommencer. Etienne Frois évoque ce courage
et cette ténacité de l’héroïne en ces termes :
35
Créon espère étouffer l’affaire en faisant disparaître les
trois gardes. Malheureusement, Antigone annonce qu’elle
recommencera.6
On constate à travers cet extrait, le caractère responsable et intransigeant
d’Antigone. Elle vit dans un monde impur, c’est pourquoi, elle veut y apporter une
solution.
Comme Anouilh l’a bien montré dans cette pièce, la vie de notre héroïne a été
déjà tant tracée et rien ni personne (y compris le roi Créon) ne pourra arrêter le
processus d’une machine infernale, une fois qu’elle est en marche. Elle sera donc
contrainte d’accomplir son destin jusqu’au bout. Elle avait pour destin de mourir à
l’âge nubile, donc de mourir vierge.
Cette scène capitale pour la compréhension de ce que sont, pour Anouilh, la
fatalité et le héros tragique est centrée sur le personnage d’Antigone. L’attitude de
l’héroïne est inéluctable.
résumer par
Le nom d’Antigone est marqué par le destin. On peut le
la phrase qui récapitule tout le drame centré sur ce personnage
principal : « Il fallait qu’elle meurt ». Cette proposition est essentielle pour montrer la
fatalité comme dénouement de son caractère inéluctable. D’où l’entêtement et
l’obstination pour la mort. Cette image de la fatalité est également perçue
lorsqu’Antigone ridiculise Créon :
« Si, je sais que ce que je dis, mais c’est vous qui ne
m’entendez plus. Je vous parle d’un royaume où vous ne
pouvez plus entrer avec vos rides, votre sagesse, votre
ventre (elle rit). Ah ! Je ris Créon parce que je te vois à
quinze
ans,
tout
d’un
coup !
C’est
le
même
air
d’impuissance et de croire qu’on peut tout. La vie t’a
seulement ajouté tous ces petits plis sur le visage et cette
graisse autour de toi » (p.100)
6
Etienne Frois, Antigone Anouilh, Hatier, Paris, 1972, p.45.
36
A travers cet extrait, Antigone veut montrer à Créon qu’elle est libre, c’est pour
cela qu’elle se moque ouvertement de lui avec autant d’aisance.
Psychologiquement, Antigone est morte, bien que son corps et sa conscience
vivent encore. Anouilh n’a pas hésité à magnifier ce fait, en transcendant la mort en
confusion volontaire des temps. Le procédé n’est pas nouveau, il fut utilisé dans Vol
de nuit, un roman où Saint-Exupéry nous montre le pilote Fabien qui accepte la mort
avant l’accident fatal.
Antigone est une héroïne pour la postérité : Aussi fallait-il qu’elle meurt. La
laisser vivre, l’aurait condamnée non seulement à la banalité du compromis, ce
qu’elle a toujours refusé, mais aussi probablement à l’oubli. La métaphore utilisée ici,
à propos de la mort d’Antigone, est celle du Christ, rédempteur :
« Nous allons tous porter cette plaie au côté, pendant des
siècles »7.
C’est un clin d’œil du dramaturge qui nous rappelle que le mythe repris ici,
même vieux de plusieurs siècles, est toujours vivant et que sa puissance symbolique
est presque aussi grande que celle de la vie du Christ. Et on assiste ici à l’évidence
du parallèle qui signifie que si le Christ triomphe de la mort, par sa mort sur la croix,
notre héroïne, Antigone, triomphe de la mort par sa mort acceptée, car les problèmes
qu’affronte Antigone sont de la même nature ; elle veut défendre ce qui est bien au
mépris de ce qui est injuste. Et même si elle n’arrive pas à les résoudre, ils sont la
preuve d’une inquiétude et d’une insatisfaction. De la même manière, Anouilh a
voulu montrer que malgré cette divergence idéologique, les deux personnages
aiment la vie. Quand le dramaturge avait décrit la jeune fille avec son appétit de vivre
avant qu’elle ne se pose une question de trop, de la même manière, il nous apprend
par la même occasion qu’avant de devenir roi de Thèbes, Créon était un artiste,
capable d’apprécier la musique. Ces deux personnages antagonistes trouvent ici un
point commun autre que leur lien filial.
7
Carmen Tercero, Antigone Anouilh, Nathan, Paris, 1998, p.77.
37
Or, puisque Créon est un homme d’âge mur, il est réaliste. Cela veut dire que
Créon appartient à ceux qui acceptent la vie telle qu’elle est, avec tous les
compromis qui s’y rattachent. Mais de l’autre côté, il y a Antigone, une adolescente,
qui incarne donc la nouvelle génération, celle qui rejette la vie dans sa forme banale.
Ce conflit va s’aggraver, lorsque Créon veut imposer son opinion à Antigone, car
l’affrontement ne s’opère pas seulement au niveau de l’idéologie, mais également au
niveau de l’âge. Il veut donc se faire passer pour celui qui a de l’expérience. Il tentera
en vain d’inculquer une leçon de morale sur la conception de la vie et du bonheur à
la jeune fille mais Créon sera confronté
à un deuxième problème car Antigone
refuse de changer d’avis. Il essayera de lui expliquer comment fonctionne la vie et
ce qu’il faut faire pour être heureux. Antigone réplique d’une manière ironique en
l’interrogeant sur ce qu’il faudra qu’elle fasse, elle aussi, pour être heureuse :
« Quel sera-t-il, mon bonheur ? Quelle femme heureuse
deviendra-t-elle, la petite Antigone ? Quelles pauvretés
faudra-t-elle qu’elle fasse, elle aussi, jour après jour pour
arracher avec ses dents son petit lambeau de bonheur ?
Dites, à qui devra-t-elle mentir, à qui nourrir, à qui se
vendre ? Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant le
regard ? » (p.99)
A travers cet extrait, nous avons
remarqué que malgré les tentatives de
Créon essayant d’inculquer sa politique à Antigone, cette dernière s’obstine dans son
refus et se révolte avec toute la force de sa jeunesse. Créon qui est sceptique fera
tout son possible pour prouver à Antigone que les honneurs funèbres n’ont de sens.
Il lui démontrera en vain toutes les failles pour que celle-ci abandonne cette idée.
Cela est illustré par les propos suivants :
« Tu y crois vraiment toi à cet enterrement dans les règles ?
A cet ombre de ton frère condamnée à errer toujours si on
ne jette pas sur le cadavre un peu de terre avec la formule
du prêtre ? Tu leur as déjà entendu la réciter, aux Prêtres
de Thèbes, la formule ? Tu as vu les pauvres têtes
d’employés fatigués écourtant les gestes, avalant les mots,
bâclant ce mort pour en prendre un autre avant le repas de
midi ? » (p.76)
38
A travers ces propos, on peut dire que dans ce conflit de génération, les rôles
sont un peu inversés, car d’une manière générale, ce sont les hommes d’âges mûrs
comme Créon qui devront croire à l’importance qu’on accorde aux enterrements et
non les jeunes.
Mais c’est là que le dramaturge fait apparaître la force de son message, qui
est celui du désordre et de l’absurdité de la vie moderne, car les auteurs
contemporains, pour dénoncer le désordre de leur temps, ont souvent recours aux
thèmes de l’antiquité. Et c’est dans cette perspective que Carmen Tercero affirme
dans son ouvrage sur L’Antigone de J. Anouilh :
« Le mythe repris au XXe siècle, n’est pas un rappel à
l’ordre mais c’est plutôt un rappel au désordre »8.
On constate à travers ces propos que si les auteurs reprennent les thèmes
antiques, c’est pour montrer que le monde n’évolue pas, car en dépit des années de
lumière que l’humanité a connues, elle continue de sombrer dans l’absurdité. C’est
la raison pour laquelle Anouilh a repris le mythe au XXème siècle.
Parmi les idées que le dramaturge traite, il y a un conflit de générations qui
puise ses sources dans un conflit d’idéologies. Ce conflit de génération peut être
expliqué par le caractère déterminé de la jeune fille, d’un côté, et de l’autre côté, la
triste profession de foi d’un vieillard qui ne songe qu’à chauffer ses os au soleil, et à
grignoter sur un banc la maigre part de vie qui lui reste. Cette situation conflictuelle
pèse encore lourd quand on s’aperçoit qu’aux interrogations passionnées d’Antigone
sur le sens de l’existence, Créon ne répond que par des consolations d’ordre
presque uniquement matériel.
A cette opposition d’idée, sur laquelle Antigone prend le dessus, Créon se
trouve sans force. Il se retrouvera sa force à la fin de la tragédie. Mais, sa vie sera
dépourvue de toute illusion sur le monde, sur les autres et sur lui-même. On peut
constater ce courage dans le dialogue qu’il a eu avec son petit page. En particulier,
8
Carmen Tercero, Antigone Anouilh, Nathan, Paris, 1990, p.80
39
lorsque l’heure sonne au loin et que Créon demande ce qu’ils ont à cette heure là. Le
page réplique en lui rappelant qu’ils avaient conseil. Créon dira ensuite :
« Eh bien, si nous avons conseil, petit, nous allons y aller »
(p.13)
Ce passage nous éclaire sur la personnalité de Créon. Bien décidé à
accomplir son travail, il ne reculera devant rien. Il a dit « oui », et il fera cette « sale
besogne » jusqu’à sa mort. Profondément sceptique, Créon fait parfois penser au
Philinte de Molière, dont on a pu écrire qu’il est le vrai Misanthrope puisqu’il ne croit
en rien. Et s’il s’obstine à faire son travail et à assurer son rôle de roi, nous l’avons
vu, « c’est parce qu’il faut le faire ».
Cette obstination absurde de Créon dans l’accomplissement de son rôle, est
comparable à la manifestation machinale et mécanique du Becket d’Anouilh. Celui-ci
ne répondra au roi qui lui demande ce qu’il veut qu’en lui disant :
« Il faut seulement faire, absurdement, ce dont on a été
chargé jusqu’au bout »9.
Cette phrase de Becket traduit bien la philosophie de l’absurde que prônait
Anouilh. Les adverbes « seulement » et « absurdement » dans la phrase expriment
ce travail mécanique des gardes dans cette pièce. C’est un travail qu’ils font se sans
la raison intervienne ; ils obéissent aux ordres sans chercher à savoir si c’est bien ou
mal.
Dans presque toutes ses œuvres, le Voyageur sans bagage, La sauvage,
Eurydice ou encore Antigone l’absurdité et l’indifférence règnent. Mêlant antiquité et
vie moderne, ce dramaturge fait sortir de ces thèmes une certaine originalité qui
prend ses racines dans l’absurdité.
9
J. Anouilh, Becket ou l’honneur de Dieu, Table Ronde, Paris, 1959, p.131
40
Dans cette pièce, le pessimisme de l’auteur est incarné par Créon qui ne croit
pas qu’on puisse changer le monde. Antigone est présentée ici comme celle qui
combat le gouvernement tyrannique de Créon au profit de la loi divine.
L’enjeu politique et moral est remplacé ici par l’importance de deux modes de
vie qui s’opposent. D’après nos analyses, la conception de la vie des deux héros est
diamétralement opposée. Créon est réaliste, alors qu’Antigone est idéaliste ; dans le
même ordre d’idée, Créon est pessimiste, tandis qu’Antigone est optimiste.
Mais ce qui est désespérant dans cette pièce d’Anouilh, et plus
particulièrement dans la scène qui oppose Créon et Antigone, c’est cette primauté de
l’absurde. Ce pessimisme mis en évidence par Anouilh à travers la confrontation des
deux personnages montre que tout est privé de signification.
41
CONCLUSION
Les axes de lecture de cette pièce nous ont permis de saisir les relations
établies entre Antigone et les autres personnages. Antigone va être en conflit
idéologique avec Créon qui refuse de rendre les honneurs funèbres à Polynice, frère
de l’héroïne. La conscience morale d’Antigone l’obligera à enterrer son frère car
selon elle, les âmes de tous ceux qui ne sont pas enterrés errent sans jamais trouver
de repos. Par cet acte moral, elle a violé la loi de Créon, et elle sera emmurée
vivante.
Ainsi, Anouilh cherche à ne pas occulter cette part de réalité visant à exhiber
l’absurdité humaine mêlée à l’égoïsme et à l’autocratie qui régnait au XXème siècle.
Cette absurdité se reconnaît dans l’image stérile et menaçante qui se dégage des
œuvres de cette époque, caractéristique d’un désordre latent du tissu social. C’est
ainsi que la femme cherche à s’émanciper du pouvoir phallocratique tendant à faire
du sexe féminin un simple objet. Dans les pages qui suivent nous verrons
l’opposition entre l’homme et la femme.
42
DEUXIEME PARTIE :
OPPOSITION ENTRE LA FEMME ET
L’HOMME
43
INTRODUCTION
Les auteurs du XXeme siècle n’ont pas cessé de révéler et de dénoncer le
désordre qui régnait dans ce siècle. Il en est de même d’Anouilh. Dans cette pièce,
Antigone, Anouilh met en exergue l’absurdité de la vie. Il démontre les abus commis
par l’homme exerçant un pouvoir politique.
Pour bien mener notre analyse, nous avons choisi l’intitulée : « opposition entre
la femme et l’homme » pour la deuxième partie de cette étude. Nous avons intitulé
ainsi notre travail pour faire comprendre au lecteur le message du dramaturge.
De ce fait, les chapitres qui composent cette partie montreront les oppositions
qui existent entre l’homme et la femme et leur rapport dans la société. Le premier
chapitre que nous appelons « apparence et fonction de la femme» portera sur sa
féminité ainsi que son rôle. Le deuxième chapitre « pouvoir et fonction de l’homme »
nous donnera l’occasion de voir comment se manifeste l’arrogance de l’homme
exerçant le pouvoir.
44
Chapitre I : APPARENCE ET FONCTION DE LA FEMME
I-1.La féminité
Au premier sens du terme, « féminité » désigne ce qui est propre à la femme.
Ainsi, par définition nous avons
« La féminité est un ensemble de qualités propres à la
femme ou considérées comme telles »10.
Ces qualités
font sa valeur ou peuvent constituer ses défauts. Mais
psychologiquement, on peut juger un homme ou une femme à partir de son
caractère. Certains caractères tels que la beauté ou la laideur sont naturels. D’autres
sont par contre acquis : la bonté ou la méchanceté. Nous pouvons
entrevoir à
travers l’héroïne quelques traits qui montrent sa féminité.
I-1-1. Aspect physique
Lorsqu’on parle de la femme, son corps vient immédiatement à l’esprit, car il
constitue son aspect extérieur. L’apparence physique est donc la partie visible et
concrète qu’offre ou non un sentiment de goût et d’admiration à l’égard d’autrui.
Chez Antigone, la singularité est frappante. Elle s’attache aux couleurs et au
bien-être de sa personne. Comme on peut facilement le voir, l’héroïne diffère des
autres personnages féminins, en l’occurrence sa sœur Ismène. Cette dernière est de
loin différente grâce à sa beauté physique. Jeune et belle, elle possède une
sensibilité féminine très remarquable. Le Prologue l’atteste en ces termes :
« Tout le portait vers Ismène : son goût de la danse et des
jeux, son goût du bonheur et de la réussite, sa sensualité
aussi, car Ismène est bien plus belle qu’Antigone ». (p.10)
Par rapport à la beauté physique de sa sœur, Antigone possède une beauté
morale qui influe sur la richesse de sa vie intérieure. La féminité fait de l’héroïne une
personne moralement solide. Le désir de sincérité conduit à l’affirmation d’une liberté
10
Dictionnaire universel francophone, Hachette, Paris, 1997, p.504.
45
prête au sacrifice. Le goût du sacrifice se traduit par l’obsession de la pureté morale
qui embrase sa jeunesse. C’est la raison pour la quelle elle est rêveuse :
« Ismène avait été éblouissante dans sa nouvelle robe, il a
été trouvé Antigone qui rêvait dans un coin, comme en ce
moment […] et lui a demandé d’être sa femme. Personne n’a
jamais compris pourquoi ». (p.10)
Le prologue annonce qu’Ismène était plus belle qu’Antigone ce jour là. Le terme
« éblouissante » montre cette beauté physique d’Ismène. Mais il nous apprend par la
suite qu’Hémon est allé demander la main d’Antigone. Cela nous permet de dire que
la beauté d’Antigone est mystique, cachée, et que seules quelques rares personnes
comme Hémon possèdent le dont de la percevoir. C’est ainsi, que des personnes qui
ne sont pas du sang royal la regardent avec admiration. Cela s’explique à travers les
propos d’Ismène s’adressant à sa sœur :
« Tu sais bien que c’est sur toi que se tournent les petits
voyous dans la rue que c’est toi que les petites filles
regardent passer, soudain muettes sans pouvoir te quitter
des yeux jusqu’à ce tu aies tourné le coin » (p.31)
Antigone possède une féminité discrète à peine perceptible : sa beauté est
liée à son caractère naturel.
I-1-2. Affectivité
D’une manière générale, la femme est un être doté d’une sensibilité et d’une
affection considérable. Elle est donc capable de mettre sa vie en danger pour une
chose à laquelle elle
tient affectueusement. On peut constater cela à travers
plusieurs exemples tels que celui de Tristan et Iseult. Cette dernière savait que son
attachement à Tristan risque de mettre sa vie en péril, mais elle n’a pas hésité à se
sacrifier rien que pour rester au côté de celui qu’elle aime.
Chez Antigone, la dimension affective dans le cadre familial joue un grand
rôle. Elle avait pitié de son frère. Pour cela, elle ne pouvait pas voir le cadavre de
son frère pourrir sous le soleil. Carmen Tercero évoque cette pitié et cette affection
d’Antigone à l’égard de son frère en ces termes :
46
« Les deux frères s’entre-tuent au combat et c’est leur
oncle, Créon qui, devenu roi, sauve la ville. Il rétablit l’ordre
en rendant les honneurs funéraires à Etéocle, mais ordonne
de laisser pourrir au soleil le corps de Polynice, interdisant à
quiconque de l’ensevelir, sous peine de mort. Pourtant
Antigone, par pitié fraternelle, outrepasse cet ordre »11.
On constate ici que l’affection de la femme peut atteindre une dimension
considérable. Une fois qu’elle s’attache profondément à une chose, elle ne recule
devant rien. C’est le cas de l’affection d’Antigone à l’égard de son frère. Antigone a
violé la loi de Créon sans craindre la mort. C’est pourquoi elle affiche un
comportement révolté, qu’elle ne regrette pas d’ailleurs, puisqu’elle se livre à tous les
grands défis. Elle manifeste cela Créon lorsqu’elle dit :
« Il faut que j’aille enterrer mon frère que ces hommes ont
découverts ». (p.76)
Ici apparait l’émotivité de la femme. Ses états d’âme peuvent parfois se révéler
comme une obligation ou un devoir. Le verbe « falloir » traduit la valeur de cette
tension affectueuse et le souci d’accomplir son devoir familial : « je le devais (….)
c’était mon frère » (p.70). Malgré cet entêtement et le mépris qu’elle a à l’égard de
l’interdiction de Créon, Antigone lutte pour son droit contre l’orgueil politique de son
oncle.
L’affection de la femme peut parfois l’obliger à faire ce qui est au-delà de notre
imagination. Bien sûr, en tant qu’être humain, Antigone aura quelque fois des traits
qui montrent qu’elle est un peu faible. Cela n’a rien d’étonnant puisque chaque
individu a sa faiblesse tout comme il a sa force : Antigone lutte aussi par orgueil
contre le pragmatisme politique de Créon. L’homme possède aussi des états d’âme,
mais ils sont plus développés chez la femme :
11
Carmen Tercero, Antigone J.Anouilh, Nathan, Paris, 1990, p.62.
47
« Les états d’âme désignent la situation dans laquelle une
personne se trouve. Ils sont provoqués par la sensibilité,
l’émotion ou l’enthousiasme»12
Nous constatons ici, chez Antigone, un caractère cassant, dur et exigeant. En
dépit de cette exigence, Antigone a tout de même peur de son devenir, même si elle
s’obstine dans sa volonté où s’affirme sa liberté. Mais elle refuse de comprendre.
Toutefois, dans ses paroles et ses gestes on peut constater quelques signes de
peur ou d’angoisse.
En effet, l’angoisse est synonyme d’inquiétude : c’est un trait caractéristique de
la femme. Si l’héroïne est angoissée, cela confirme alors sa féminité. L’angoisse est
un sentiment qui se manifeste en cas de problème majeur et provoque souvent une
sensation pénible. André Malraux l’affirme :
« Etrange sensation que l’angoisse, on sent au rythme de
son cœur qu’on respire mal. »13
Cette sensation étrange apparaît aussi chez Antigone, malgré son caractère
cassant et déterminé. Mais parfois cette angoisse peut avoir une apparence puérile ;
on constat cela à travers les paroles qu’elle adresse à sa nourrice. Elle dit :
« Seulement ta main comme cela sur ma joue (elle reste un
moment les yeux fermés). Voilà, je n’ai plus peur. Ni du
méchant ogre, ni du marchand de sable, ni de TaouTaou qui
passe et emmène les enfants…. » (P.35)
L’angoisse et la peur sont perceptibles à travers ce passage, mais elles ont
une dimension enfantine. Antigone ne veut que la compagnie de sa nourrice.
L’adverbe : « seulement » traduit une image restrictive, car elle a perdu sa mère
dans son enfance. La présence de la nourrice lui rappelle la liaison mère fille, lui
tenant compagnie pour faire face à un monde cruel et accomplir ce qu’elle croit être
son devoir dans un monde dont l’image suscite la peur et l’angoisse. Se tournant
vers sa mère (la nourrice), Antigone cherche en quelque sorte un refuge. Cet acte
12
Dictionnaire universel francophone, Hachette, Paris, 1997. P.497
13
Cf,in Le petit ROBERT, Paul Robert, Paris, 1984, p.1170.
48
est propre à l’enfant, car chez l’enfant, être dans les bras de sa mère lui donne la
chaleur maternelle, tranquillité et surtout protection.
I-1-3. Le langage
Le langage est un moyen de communication utilisé par les êtres humains pour
entretenir des relations entre eux. C’est ce langage verbal qui diffère l’homme de
l’animal. Ce dernier, privé de langage, ne pourra pas comprendre ce que l’homme lui
dit sans faire des gestes. Les animaux ont une autre manière pour se communiquer.
Le langage a une place privilégiée pour l’homme, car il lui permet, non
seulement de s’entendre et de s’investir dans la société, mais aussi de véhiculer
toute une civilisation, une culture et une histoire.
Il est vrai qu’avant, la femme
n’avait pas son mot à dire, surtout quand elle est en face d’un homme, mais dans
cette pièce d’Anouilh, le langage de l’héroïne a un effet dramatique quand elle veut
se mesurer à l’homme. On peut constater ce comportement surtout quand Ismène la
supplie de renoncer à son projet. En guise de réponse, elle manifeste son
insatisfaction d’être une fille :
« Une fille, oui .Ai-je assez pleuré d’être une fille ! »(p.31)
Antigone veut se comporter ici comme un individu victime de l’autoritarisme
d’un parent contre qui elle veut affirmer sa liberté. A entendre les paroles d’Antigone,
on en déduit que l’acte pour lequel elle avait bravé la mort était vide de signification.
Le statut attribué à la femme à son époque ne lui convenait pas : elle voulait acquérir
une autre identité. Nous retrouvons Simone de Beauvoir pour qui « On ne naît pas
14
femme, on le devient » .
Ici, par l’acte qu’elle commet,
Antigone refoule l’ancien statut attribué à la
femme de son époque et cherche une nouvelle manière de s’imposer et de s’offrir
une nouvelle image de la féminité. A travers son langage, on constate également
qu’Antigone veut trouver sa place dans la société. C’est pour cette raison qu’elle
cherche une certaine indépendance à l’égard de la tutelle de son oncle Créon :
14
Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe, Gallimard, Paris, 1976, p.13
49
« Moi je ne suis pas obligée de faire ce que je ne veux
pas ! Vous n’auriez pas voulu non plus, peut être refusé
une tombe à mon frère ? Dites-le donc, que vous ne
l’auriez pas voulu ? ». (p.85)
Ces propos d’Antigone expriment son autonomie. L’expression « Moi je ne
suis pas obligée de faire ce je ne veux » dénote une certaine liberté, une autonomie.
Elle refuse l’injustice commise par son oncle. Plus d’une fois, l’héroïne répète le mot
« comprendre » : elle refuse le comportement de Créon qui lui demande de
comprendre, même s’il n’y a rien à comprendre. Elle affirme donc qu’il y a des
moments où il ne faut pas « réfléchir ni comprendre »
« Comprendre (…) toujours comprendre (…). Je
comprendrai quand je serai vieille (…) si je serais vieille.
Pas maintenant ». (p.27)
Un peu plus loin.
« Je ne veux pas comprendre. C’est bon pour vous. Moi
je suis là pour autre chose que pour comprendre ». (p.89)
Il est évident qu’à travers ces deux extraits, Antigone rejette toute idée qui ne
rejoint pas la sienne. Cette résistance est exprimée par l’abondance de la négation
dans ses propos :
« Je ne veux pas comprendre ». (p.89), « Moi, je ne suis
pas obligée de faire ce que je ne voulais pas ». (p.85)
Ou encore,
« Eh, bien, tant pis pour vous. Moi, je n’ai pas dit « oui ».
(p.84)
Cette négation exprime le refus : dire « non » signifie désobéir à l’ordre pour
affirmer sa différence : « moi, je me distingue de vous », en affirmant cela, c’est
comme si elle appartient à un autre monde. Cette déclaration traduit la différence qui
existe entre elle et Créon. Elle insinue que sa raison d’être est distincte de celle de
son oncle. Ils ne peuvent donc pas se comprendre.
50
En dépit de ce comportement de femme courageuse, Antigone manifeste
parfois des traits qui montrent sa féminité. Elle essaie d’éviter de pleurer ou de
s’apitoyer sur son sort.
Cela se voit par exemple à travers les deux interventions
suivantes :
« Quand tu pleure comme cela, je redeviens petite ». (p.21)
Elle dit ensuite :
« Ne nous mettons
maintenant ». (p.30)
pas
à
pleurnicher
ensemble
Dans ces deux passages, le terme « pleure» attire l’attention. Ce mot est lié à la
féminité, dans la mesure où le sexe féminin est un être sensible et compatissant.
C’est pourquoi elle insiste sur ce mot qui lui rappelle la faiblesse féminine. Lors de
son altercation avec Créon, on a pu remarquer qu’au niveau de son langage,
Antigone alterne le tutoiement au vouvoiement. Le tutoiement montre qu’on
s’adresse à quelqu’un qu’on connait, on utilise les pronoms personnels « tu » ou
« te »et le vouvoiement pour quelqu’un qu’on ne connait pas ou que l’on respecte à
cause de son âge. On emploie les pronoms« vous » ou le « vôtre ».Dans le discours
d’Antigone, nous avons donc constaté une alternance entre ces deux types de
langage. Elle s’adresse à Créon dans un premier temps, avec une pureté et une
innocence puérile. Elle a recours au vouvoiement pour signifier le décalage d’âge
qu’il y a entre eux :
« Vous êtes le roi, vous pouvez tout, mais cela vous ne pouvez
pas ». (p.79)
Antigone parle poliment à Créon. Elle refuse l’acte de Créon, même si elle
reconnait son autorité : « Vous pouvez tout ». Cela sous-entend l’ordre, le devoir et
la responsabilité. C’est pourquoi elle lui témoigne du respect et de la révérence. Sa
parole paraît plutôt polie et témoigne de la déférence à l’égard de son oncle. De
surcroît, on a pu voir dans le comportement de l’héroïne ; au début de son entrevue
avec Créon, une expression de politesse à l’endroit de son interlocuteur. Elle était
docile tout en étant sûre d’elle. Ils se conduisaient comme deux personnes
différentes : « Le grand et le petit ». Se considérant comme une femme adolescente,
51
elle reconnaît en même temps qu’elle est une personne soumise. Voilà pourquoi
Antigone semble s’incliner devant Créon, qui n’est pas seulement le roi, mais aussi
son oncle. Cela est visible lorsqu’elle dit : « Vous êtes le roi, vous pouvez tout ». (p.79)
Cependant, Antigone est une femme adolescente qui s’initie à la vie d’adulte,
elle se permet déjà de manifester son mécontentement par l’emploi de la conjonction
« mais » qui exprime son refus ou sa méfiance à l’égard des propos de son oncle «
roi », envers qui elle doit en principe obéissance et respect. Elle est de ceux pour qui
la différence n’exclut pas le droit de s’exprimer. Face à la toute puissance du roi,
Antigone continue néanmoins à réclamer ses droits. Parvenu à son paroxysme, cet
affrontement fait apparaitre sa personnalité par le changement brusque de ton. Elle
a décidé de tutoyer le roi. Et pour ridiculiser Créon, elle s’exclame avec un ton
ironique :
« Ah ! Je ris, Créon, je ris parce que je te vois à quinze ans, tout
d’un coup ! C’est le même air d’impuissance et de croire que
l’on peut tout. La vie t’a seulement ajouté tous ces petits plis sur
le visage et cette graisse autour de toi ». (p.101)
Trois situations sont donc caractéristiques du drame : L’interjection « Ah », le
« rire », et la minimisation de Créon, « Je te vois à quinze ans ». Ces trois situations
sont significatives dans cet affrontement. Pendant que le débat prend de l’ampleur,
Antigone essaie de défendre jusqu’au bout son idée pour garder intact son choix.
L’interjection « ah » manifeste une certaine aisance de sa part. Cela implique
une certaine préfiguration de la victoire. Et pour montrer son caractère sûr d’ellemême, Antigone se permet de se moquer ouvertement de Créon par le « rire « je ris
Créon ». Le rire n’est pas vraiment une manifestation de joie. C’est la manifestation
du désir de provoquer Créon. Ironique, il incarne le mépris d’un jeune à l’égard de
quelqu’un de beaucoup plus âgé : « je te vois à quinze ans ». Cette remarque
devient intéressante dans la mesure où Créon est pris pour un homme simple et
jeune comme elle.
52
Cette lutte acharnée à laquelle Antigone se livre contre l’oppression masculine
en la personne de Créon nous fait penser à la camerounaise Calixte Beyala15qui
attribue une image forte à la femme. Ses romans constituent des brûlots contre toute
forme phallocratique.
I-2. Fonction de la femme dans la société
I-2-1.La femme: source de reproduction humaine
La femme est un être humain extrêmement complexe. Elle renferme en elle
seule une multitude de fonctions que l’homme n’est pas capable d’assumer. Elle a la
faculté de pouvoir reproduire l’espèce humaine, mais aussi de bien le protéger et
surtout d’assurer la survie de sa progéniture. Ce pouvoir permettant de protéger
l’enfant se retrouve chez notre héroïne :
« Il aurait eu une maman toute petite et mal peignée mais plus
sûre que toutes les vraies mères du monde avec leurs vraies
poitrines et leurs grands tabliers… ». (p.42)
Cette façon d’agir d’Antigone est la même pour toutes les mères. La femme
n’est pas seulement capable de produire une vie, mais elle est également capable
d’assurer avec une beaucoup de fierté et de bonté la survie de sa progéniture. La
perpétuité de l’espèce humaine se fait par la femme. Sans elle, le monde ne serait
pas ce qu’il est aujourd’hui.
En effet, en tant que mère, la femme joue un rôle indéniable dans la vie sociale.
Dans le cas de cette pièce moderne de J. Anouilh, cette liaison entre mère et enfant
est très visible dans la relation qu’Antigone entretient avec sa nourrice. Aux yeux
d’Antigone, la nourrice est l’image de sa mère et vice-versa. C’est pourquoi on
retrouve des expressions évoquant le souci et l’inquiétude d’une mère envers sa
fille :
15
Jacques CHEVRIER, Littérature francophone d’Afrique noire, Edisud, 2001, p.95.
53
« Je me lève quand il fait encore noir, je vais à ta chambre pour
voir si tu ne t’es pas découverte en dormant… ». (p.14)
Ces paroles sont celles d’une mère soucieuse du devenir de son enfant. La
nourrice s’occupe d’Antigone comme sa propre fille. C’est la raison pour laquelle
Antigone ressent une tendresse émotive à l’égard de la nourrice. On retrouve ce
besoin protecteur des mères dans la vie actuelle. Dans ce monde bien truffé de
méchanceté et d’attentat, le cœur d’une mère est inquiet. Les enlèvements des
enfants qui se propagent un peu partout dans le monde, et
toutes les actions
atroces que l’on vit actuellement ne peuvent que renforcer l’inquiétude de la femme
mère.
Nous constatons que la sécurité et le bien être des enfants sont avant tout
assurés par les mères. L’amour qu’elles ont pour leurs progénitures les pousse à
vouloir tout contrôler et même à vérifier les moindres détails de leurs actes. C’est
dans ce sens que la nourrice déclare à sa « petite colombe » :« Il va falloir te laver
les pieds avant de te remettre au lit ». (p.15)
Ce passage nous renvoie également à la valeur de l’amour maternel à l’égard
de son enfant avec le souci de le protéger à tout prix. Antigone, elle aussi, manifeste
de l’amour à l’égard de sa nourrice, comme tout enfant le fait à l’endroit de sa mère.
« Ne pleure pas, s’il te plait, nounou. (Elle l’embrasse). Allons,
ma vieille bonne pomme rouge. Tu sais quand je te frottais pour
que tu brilles ? Ma vieille pomme toute ridée. […]. Quand tu
pleures comme cela, je redeviens petite… ». (p.21)
A la question posée par la nourrice sur la raison de la sortie d’Antigone, cette
dernière veut la rassurer qu’elle aime son fiancé. Pour cela, elle se sert d’un effet de
contraste imagé en termes de « vieille pomme toute ridée » (la nourrice) opposée à
sa toute jeunesse : « je redeviens petite ».Ici se retrouve le souci de sécurité de
l’enfant reposant sur la confiance de sa nourrice qu’elle aime d’ailleurs beaucoup.
Bien qu’elle soit petite, Antigone laisse entendre son refus du statut inferieur de la
femme, alors qu’elle peut assumer des tâches sociales. De cette manière, elle
montre que la femme est en mesure de se maitriser dans la société.
54
I-2-2.La femme : pilier de la société
Dans la vie sociale ou religieuse, la femme occupe également une place
importante. L’histoire nous a laissé bien des preuves de la contribution du sexe
féminin et ont montré son importance dans la société. Au niveau de la religion, par
exemple, le rôle de la vierge Marie assigne à la femme une existence mystique.
D’abord, Dieu a fait mettre Jésus dans le ventre de la vierge Marie pour que celui-ci
soit propre et pur. Ensuite, il est mort pour le bien être de l’humanité, et quand il était
revenu, il a fait sa première révélation à une femme, en la personne de Marie
Madeleine. Cela montre le poids qu’à la femme dans l’existence humaine
Cette pureté de la femme se trouve également incarnée par Antigone qui, plus
soucieuse de la justice, refuse la condition d’infériorité imposée à la femme.
Défendant la pureté et la morale, Antigone fait appel à sa conscience pour se
soucier de la liberté face au pouvoir injuste de Créon, au nom du sentiment de la
dignité humaine. Pour s’opposer à l’accablement de son oncle qui lui raconte
l’histoire de ses frères, elle lui répond par la narration de ses souvenirs d’enfance :
« Une fois, je m’étais cachée derrière une porte, c’était le matin,
nous venions de nous lever, et eux, ils rentraient. Polynice m’a
vu, il était tout pâle, les yeux brillants et si beaux dans son
vêtement du soir ! Il m’a dit : « tiens, tu es là, toi ? » Et il m’a
donné une grande fleur de papier qu’il avait rapportée de sa
nuit. » (p.92)
Se constituant ainsi, la femme joue également le rôle d’une épouse au service
des besoins de l’homme. C’est pourquoi Jean Anouilh la considère dans sa docilité
envers l’époux dont elle s’occupe au foyer d’une manière sacré : une bonne partie de
sa vie est consacrée au service de son mari. Et dans cette pièce, l’attitude de la
femme épouse, peut être perçue à travers le comportement de la reine Eurydice.
Voici comment le Prologue décrit son comportement :
« La vieille dame qui tricote, à côté de la nourrice, qui a élevé
les deux petites, c’est Eurydice, la femme de Créon, Elle
tricotera pendant toute la tragédie… […]. Elle est bonne,
digne, aimante. » (p.12).
55
Ces paroles montrent le côté docile de la femme auprès de son époux.
Eurydice ne fait rien de déplaisant, elle suit les instructions de son mari, et assure
son rôle de femme auprès de Créon. Car comme il se doit, les femmes, si elles sont
biens traitées et considérées comme telles, se soumettent et se mettent au service
de leurs conjoints.
Parallèlement à cela, cette qualité d’épouse se retrouve chez Antigone. Elle
avoue à son futur époux qu’elle serait une bonne femme. Et malgré son côté dur et
délicat, elle voulait offrir à Hémon, son futur mari, un moment de bonheur, comme le
ferait toute femme docile et qui cherche à satisfaire son époux. L’intention d’Antigone
plus soucieuse de devenir femme d’Hémon se découvre ici :
« Mais, j’étais venus chez toi pour que tu me prenne hier
soir, pour que je sois ta femme avant. […] je voulais être ta
femme quand même, parce que je t’aime comme cela, moi,
très fort… ». (p.46)
Antigone révèle ici son aveu de femme consciente de sa place auprès
d’Hémon. Même si elle est têtue, elle ne doit pas ignorer son rôle envers son élu,
car cela ternirait son image de femme.
Toutefois, puisque l’on montre les multiples fonctions de la femme, on ne
pouvait mettre à l’écart celles d’une sœur. La femme peut également contribuer à la
vie sociale par le biais du devoir familial où s’exprime la convivialité mise en exergue
dans la relation entre frère et sœur. Cette liaison fraternelle conduit Antigone à
outrepasser l’ordre établi. Nous voyons ici comment cette liaison fraternelle entre
Polynice et Antigone est évoquée :
« Il faut que j’aille enterrer mon frère que ces hommes ont
découvert ». (p.76)
La liaison qui les unissait est très forte qu’elle considère l’acte d’enterrer son
frère comme une obligation ou un devoir. Mais ce qui prime dans cette relation, c’est
surtout les souvenirs d’enfance qu’Antigone retient de son frère Polynice. Ils
entretenaient une liaison très forte qu’Antigone ne peut pas supporter que le cadavre
56
de son frère soit la proie des chacals : Elle l’aimait et se souvenait des bonnes
actions qu’il lui a faites quand elle était toute petite, en l’occurrence, la fleur de papier
que Polynice lui a offerte :
« Polynice m’a vue, il était tout pâle,(….) Il m’a dit : Tiens, tu
es là, toi ? Et il m’a donné une grande fleur de papier qu’il
avait rapportée de sa nuit ». (p.92)
Cette parole et ce geste de Polynice à l’égard de sa sœur montrent
évidemment une certaine affection envers elle. Antigone garde en mémoire ce geste
affectueux qui lui rappelle son frère.
A travers cette liaison de frère et sœur, se manifeste aussi l’honneur familial.
Chez les Grecs, la famille est une chose sacrée, comme dans toutes les sociétés
d’ailleurs. Antigone voulait protéger l’honneur familial. En héros cornélien, il lui était
donc légitime de mourir pour l’honneur familial. Cette idée d’honneur familial se
retrouve également dans le Cid de Corneille où Rodrigue était contraint d’aller se
mesurer avec le père de sa bien aimée pour défendre l’honneur de sa famille, au
même titre qu’Antigone lutte pour l’honneur de son frère défunt. Par contre,
Chimène, pour qui, les sentiments priment, ne peut pas s’empêcher d’exprimer ce
qu’elle ressent en prononçant la fameuse litote : « Va je ne te hais point ». Une
expression qui traduit l’amour profond que Chimène a pour Rodrigue, même si ce
dernier est l’assassin de son père.
Bien sûr, l’honneur de la famille compte beaucoup, mais le rôle de chaque
membre de la famille est aussi important. Antigone se montre affectueuse et fière
d’être au service de son frère. Elle affirme cela en ces termes :
« Si mon frère vivant était rentré harasser d’une longue
chasse, je lui aurais enlevé ses chaussures, je lui aurais fait
à manger, je lui aurais préparé son lit… Polynice aujourd’hui
a achevé sa chasse. Il rentre à la maison où mon père et
ma mère, et Etéocle aussi l’attendent. Il a droit au repos. »
(p.70)
Antigone nous donne des informations au sujet du comportement qu’elle aurait
pour son frère. Elle montre le rôle qu’elle aurait eu auprès de son frère, un rôle
57
important dont elle aurait été fière d’accomplir. Au XIXe siècle, George Sand devient
le symbole de « la femme émancipée ».On lit dans ses romans une dénonciation de
l’abus de l’homme sur la femme. Une dénonciation de la prison du mariage. Vient
ensuite le XXe siècle, où on voit la fameuse œuvre de Simone de Beauvoir, Le
Deuxième sexe qui donne un fondement théorique aux revendications féminines.
Elle veut tout simplement montrer que si la femme accepte le rôle que le monde lui
attribue, c’est à dire rester au foyer et ne pouvoir s’exprimer qu’à la cuisine, personne
ne changera cette mauvaise manière à sa place. Alors, il faut affronter tout cela pour
trouver sa véritable place. C’est dans cette optique que Simone de Beauvoir dira :
« On ne naît pas femme, on le devient ».16
En analysant cette locution de Simone de Beauvoir, on comprend que cela veut
dire que la femme doit s’affirmer et imposer sa présence dans la société. Or, si nous
faisons l’analogie de ce devenir avec l’acte d’Antigone, on s’apercevrait que selon les
propos de Simone de Beauvoir, Antigone en commettant cet acte est en train de
devenir une femme, car cette dernière a secoué les mœurs de son époque pour
trouver et imposer son nouveau statut. Cela est similaire au devenir évoqué ici. Ce
dernier sous-entend donner un nouveau statut à la femme jugée égale à l’homme.
Actuellement, la femme a sa place dans presque tous les continents. En Europe par
exemple, nous voyons des femmes occuper des fonctions qu’elles ne pouvaient pas
occuper auparavant.
A l’heure actuelle, Il y a des femmes ministres, députés,
sénateurs. Entre autres exemples, Angela Merkel, Ségolène Royale.
Tout cela montre que la femme exerce les mêmes fonctions que l’homme, ce
qui veut dire que sa participation économique au niveau de la société est semblable
à celle de l’homme. Sur le plan social et intellectuel, la femme a aussi sa part. Dans
la société et surtout dans la société traditionnelle, la femme n’avait pas une place qui
lui permettait d’imposer et d’affirmer sa présence, car il était interdit aux femmes
d’effectuer certains actes dévolus aux hommes. Par exemple, aller à la chasse ou à
la guerre, participer à des réunions. C’était la tâche des hommes ; c’est dans cette
perspective que la camerounaise Calixte Beyala, suite à cette image de la femme
16
Simone de Beauvoir, Deuxième sexe, Gallimard, Paris, 1976, p.13
58
traditionnelle assujettie aux conventions de la société, entend bien substituer la
figure de la femme combattante, décidée à partir en guerre comme les hommes, et
contre la société dont elles constituent les piliers.
Cela veut dire que la femme, tant opprimée et laissée toujours au second plan,
doit à présent lutter pour obtenir un nouveau statut. Elle doit faire face à la société
confrontée à tous les problèmes pour qu’enfin elle puisse acquérir son statut.
En outre, intellectuellement, on juge que par rapport à l’homme, la femme est
tout aussi intelligente. Elle fait presque toutes les choses que l’homme faisait tout
seul auparavant. Elle exerce encore des activités que ce dernier n’est pas en mesure
d’accomplir, l’accouchement par exemple.
Par ailleurs, les femmes sont capables de se sacrifier, ou d’être sacrifiée pour la
religion et pour le bien être de l’humanité. Antigone n’est pas la première femme qui
s’est sacrifiée pour une cause religieuse ou morale. Atala, elle aussi, est morte pour
des fins spirituelles comme Antigone. Elle s’est suicidée, elle aussi, comme l’héroïne
d’Anouilh. Atala.de Chateaubriand relate presque la même histoire qu’Antigone du
point de vue de la religion et de la morale.
Sur ce même ordre d’idée, nous pouvons dire que lors de la guerre de
Troie17on a sacrifié une femme, même si ce n’est pas dans le même but qu’ici.
Sacrifier des femmes pour l’humanité était un cas courant dans l’antiquité grecque.
Exemple, le sacrifice d’Iphigénie, la fille d’Agamemnon. Ayant était irrité par les
Troyens, les grecs sont entrés en guerre contre Troie. Mais le dieu du vent ne voyait
pas cette entreprise du bon œil. Les grecs lui donnèrent alors en sacrifice la fille de
leur chef. Le dieu approuve ce geste en calmant le vent. Ils partirent alors pour
Troie.
17
Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Larousse, Paris, 1993, p15.
59
Cela montre combien de fois la femme joue le rôle d’héroïne dans plusieurs
circonstances de la vie. Dans l’antiquité, comme dans le monde actuel, elle exerce
une fonction indéniable, sans laquelle l’humanité
manquerait d’une chose
irremplaçable. Alors que la femme assure sa fonction sociale de reproductrice,
l’homme, lui, agit sur le plan sociopolitique.
60
Chapitre II : POUVOIR ET FONCTION SOCIALE DE L’HOMME
II-1. L’homme et le pouvoir
L’homme s’est toujours considéré comme supérieur à la femme. Animé par la
passion de domination, sa puissance s’exerce en politique ou au sein de la société.
Hiérarchisée, la société accorde peu de place à l’émancipation de la femme.
Dans cette pièce moderne, ce complexe de supériorité de l’homme se
manifeste surtout au niveau du pouvoir sociopolitique. En effet, de Laïos à Créon, en
passant par Etéocle et Polynice, ce comportement égoïste laisse partout ses
marques.
En fait, il ne faut pas ignorer que tout le drame de cette famille grecque de
l’antiquité repose tout d’abord sur le crime de pédophilie de Laïos père d’Œdipe.
« Celui-ci a enlevé le jeune Chrysype, fils du roi Pélops chez qui Laïos était réfugié.
Chrysype s’est suicidé de honte.18 Toute la base du mythe est totalement occultée
dans l’édifice patriarcal. La psychanalyse freudienne a pour but de protéger le père
à tout prix. » Mais on ne retiendra, dans cette immense histoire d’Antigone, que le
meurtre du père par le fils et non le crime originel du père pédophile qui a déclenché
la destruction de plusieurs générations. C’est certes un péché, mais aussi un crime
d’avoir abuser de ses facultés pour profiter d’un adolescent.
Ce cas d’abus de pouvoir peut être comparé aux agissements des hommes
d’Etat du monde actuel. En Afrique, en Asie, en Europe comme en Amérique, nous
n’avons que des exemples de paix violées. Les hommes établissent les lois, les
transgressent ensuite pour des intérêts personnels.
En Afrique, on peut constater plusieurs cas
de ce drame de l’existence
humaine. Au Zimbabwe, la ténacité et l’égoïsme de l’homme se manifestent. Le fait
que Robert Mougabé ait refusé de céder le trône, même
en sachant que des
certaines de citoyens périssent par sa seule présence au pouvoir constitue une
preuve pour montrer l’égoïsme de l’homme. Il reformule son opinion en ces
18 Htt//mael monnier, consulté le10janvier 2009, à 10heures.
61
mots : « Le Zimbabwe m’appartient ». Pour lui, tout ira bien, même si la vie de ses
citoyens se trouve menacée ou compromise.
Ce sentiment d’égoïsme incarné par l’abus de pouvoir est présent dans cette
pièce. En effet, une fois qu’Œdipe a renoncé au pouvoir, les deux fils Etéocle et
Polynice se sont arrangé pour se le partager. Mais l’aîné, Etéocle, une fois qu’il a
régné, a refusé de céder le trône à Polynice. Il savait que cela engendrerait des
conséquences qui ne seraient pas forcements bons, mais ce qui prime, c’est d’abord
ses propres intérêts. Carmen Tercero relate ce sentiment d’égoïsme et d’abus de
pouvoir en ces termes:
« Les deux fils, Etéocle et Polynice, restent à Thèbes pour
se partager le pouvoir : ils décident de régner chacun une
année à tour de rôle. Cependant, au bout d’un an, Etéocle,
qui a régné en premier, refuse de rendre le trône et chasse
son frère. Celui-ci se réfugie auprès d’Adraste, le roi d’Argos
et, avec six autres chefs, décide d’assiéger les sept portes
de Thèbes ».19
A travers ce passage, nous remarquons que c’est un cas similaire à ce qui se
passe actuellement au Zimbabwe avec Robert Mougabé. Cela prouve que l’homme
réagit toujours d’une manière excessive, surtout quand il s’agit de faire des
manœuvres pour s’accaparer du pouvoir ou d’en abuser une fois qu’il est sur le
trône.
Il en est de même pour Créon qui n’hésitait pas à se salir les mains pour rester
à la tête du pouvoir. Il est donc prêt à sacrifier la vie de plusieurs personnes ou de
mentir quand cela s’avère nécessaire pour préserver son autorité. Il admet :
« Gouverner les hommes veut dire mêler la vérité d’un peut
de mensonge utile, fléchir au temps, inventer des légendes,
bref s’avilir par charité ».20
Ces propos machiavéliques relèvent la manière d’être de Créon envers le
pouvoir. C’est un personnage complexé et trop sceptique. Ce scepticisme ajouté à I’
19
Carmen Tercero, Antigone J. Anouilh, Nathan, Paris, 1998, p.9
20
Etienne Frois, Antigone, J. Anouilh, Hatier, Paris, 1979, p.42.
62
orgueil fait qu’il devient un homme fermé qui veut être le détenteur de tous les
pouvoirs. Il veut que sa parole devienne une loi que tout le monde doit respecter.
Cela est démontré dans les interventions suivantes :
« Qui a osé ? Qui a été assez fou pour braver ma loi ? (p.53)
Un peu plus loin il ajoute :
« Votre garde est doublée. Renvoyez la relève. Voila l’ordre.
Je ne veux que vous près du cadavre. Et pas un mot. Vous
êtes coupable de négligence, vous serez punis de toute
façon, mais si tu parles, si le bruit court dans la ville qu’on a
recouvert le cadavre de Polynice, vous mourrez tous les
trois ». (p.55)
Ces deux extraits montrent le caractère autoritaire de Créon. Il est maintenant
facile de comprendre pourquoi il s’attache à la vie. Plus d’une fois, Créon bafoue la
loi, notamment les normes de la vie familiale. Cela a d’ailleurs provoqué la révolte
d’Antigone. La première chose qu’il a fait en tant que roi, c’était de violer
la loi
morale. En effet, la première décision de Créon était de laisser pourrir au soleil le
corps de Polynice, oubliant que, selon la loi divine, tous ceux qui ne bénéficient pas
des honneurs funèbres ne connaissent pas de repos. Cela est
illustré par la
déclaration de l’héroïne à l’endroit de Créon :
« Je le devais tout de même. Ceux qu’on n’enterrent pas
errent éternellement sans jamais trouver de repos ». (p.70)
Dans cette perspective, Antigone s’investit ici à défendre la loi divine, à
l’encontre du scepticisme de Créon qui ne s’attache qu’à ce qu’il voit. En refusant à
Polynice les droits funéraires, Créon passe pour un transgresseur de la loi morale.
Cela montre que l’homme une fois au pouvoir fait tout pour asseoir son autorité. Le
fait que Créon viole la loi divine en est une preuve largement suffisante.
Il y a aussi le fait qu’il s’est trahi lui-même. Après avoir enterré Etéocle, il a
proclamé qu’il punira de mort celui ou celle qui tentera d’enterrer Polynice. Antigone
outrepasse cet ordre au mépris de l’interdiction de Créon. Mais au lieu que celui-ci
se conduise comme un défenseur de la loi, Créon tentera d’étouffer l’affaire pour
63
sauver sa bru. Car dans la vie de tous les jours, les gens pensent que la famille doit
primer. Cela montre que Créon a violé la loi pour ses intérêts personnels. On peut le
sentir dans les propos de Créon adressés à Antigone
« Alors, écoute : tu vas rentrer chez toi, te coucher, dire que
tu es malade, que tu n’es pas sortie depuis hier. Ta nourrice
dira comme toi. Je ferai disparaître ces trois gardes ». (p.69)
Ici on constate que Créon n’est pas en mesure de respecter la loi qu’il a lui
même établie. La brutalité et l’égoïsme de l’homme ressurgissent. Alors que si c’était
une autre personne qui avait outrepassé cette loi, cette dernière aurait été appliquée,
mais comme il s’agit de sa future bru, l’appliquer irait à l’encontre de ses intérêts.
D’où cette tentative de Créon de vouloir étouffer l’affaire.
II-2. Fonction de l’homme dans la société
L’homme occupe une place prépondérante dans la société. Le fonctionnement
d’un peuple dépend, dans la plupart des cas, de sa façon d’agir, sa compétence et
sa vision. Cette utilité de l’homme au niveau de la société s’observe également dans
la famille,
là où sa place est aussi fondamentale. Il apparaît comme le chef, il
assure la satisfaction des besoins familiaux. Dès qu’il atteint l’âge adulte, l’homme
est appelé à exercer une fonction qui lui permettra d’obtenir un salaire et de subvenir
à ses propres besoins, ainsi qu’à ceux de ses proches. Le travail chez l’homme se
révèle comme une source vitale, car si la femme symbolise l’affection et la pitié,
l’homme représente le monde du travail.
Dans la présente pièce, Anouilh s’est plu à peindre un monde du travail assuré
par des hommes. Aucune femme n’est représentée dans le secteur actif. De Créon
jusqu’aux gardes anonymes, à l’exception du jeune Hémon, chaque homme exerce
un métier qu’il prend au sérieux. Si le jeune Hémon échappe à cette classification,
c’est seulement parce qu’il attend son tour pour remplacer son père à la tête du
royaume. Cet attachement au travail pousse parfois ces personnages à en avoir une
conscience aiguë. L’intervention du garde Jonas est là pour montrer cette
64
exagération et l’importance que l’homme donne au monde du travail. Il ira jusqu’à
citer les moindres détails inutiles:
« …On était là, on parlait, on battait la semelle,…On ne
dormait pas chef, ça on peut vous le jurer tous les trois qu’on
ne dormait pas ! D’ailleurs, avec le froid qu’il faisait…Tout d’
un coup, moi je regarde le cadavre…On était à deux pas,
mais moi, je le regardais de temps en temps tout de
même…Je suis comme ça, moi, chef, je suis méticuleux.
C’est pour cela que mes supérieurs disent : Avec Jonas on
est tranquille (…). C’est moi qui l’ai vu le premier chef ! Les
autres vous le diront, c’est moi qui ai donné le premier
l’alarme ». (p.52)
Dans cet extrait, Anouilh semble décrire la condition des ouvriers. Les gardes
sont présentés comme des ouvriers qui sont contraints d’exécuter la tâche qu’on
leur a assignée.
Les expressions comme « on ne dormait pas », « on peut vous le jurer tous les
trois », « méticuleux », « mes supérieurs » traduisent la fidélité au travail des gardes.
Cet auteur nous donne un aperçu des conditions de travail du début du siècle
dernier. On exerçait le travail, dans la plupart des cas, sans l’intervention de la
raison. Les hommes étaient incapables de réfléchir aux questions éthico politiques
de leur société. Ce trait de caractère des gardes pousse, en ce sens, la pièce vers
l’absurde. Anouilh décrira le portrait physique de ces ouvriers à travers les propos
d’Ismène :
« Et là, il y aura les gardes avec les têtes d’imbéciles,
congestionnées sur leurs cols raides, leurs grosses mains
lavées, leur regard de bœuf, qu’on sent qu’on pourra
toujours crier, essayer de leur faire comprendre qu’ils vont
comme des nègres et qu’ils feront tout ce qu’on leur a dit
scrupuleusement, sans savoir, si c’est bien ou mal. » (p.28)
Ce langage grossier exprime un comportement lié à la rigueur du travail. Il est
une source de production. Et que, par ce travail, il contribue à beaucoup de choses.
Il y a bien des choses qui ne peuvent avoir de sens sans cette contribution de
l’homme
En prenant le cas de la famille, par exemple, l’homme occupe le premier rôle
pour qu’elle
fonctionne. En tant que chef, l’homme doit subvenir aux besoins
65
familiaux, notamment la nourriture, les vêtements et les soins. Bref, la charge de la
famille lui incombe. Pour cette raison, la famille lui doit du respect, du soutien sur la
base de la compréhension des décisions qu’il aura à prendre. Suite à ses différends
avec Antigone, Ismène dira qu’en dépit de cette horrible décision de Créon, elle le
comprend un peu quand même :
« D’abord c’est horrible, bien sûr, et j’ai pitié moi aussi de
mon frère, mais je comprends un peu notre oncle ». (p.26)
Cet extrait montre le total respect que la famille doit accorder à l’homme qui agit
pour son intérêt. La famille lui doit une certaine obéissance. Ce même respect se
retrouve également entre Créon et sa femme Eurydice. Celle-ci reste au palais et
attend son époux. Elle n’exerce aucun métier à part tricoter, un métier sans
rémunération. Elle vit par l’intermédiaire de son mari. Elle ne vit donc que pour lui
obéir. Elle suit ses instructions à la lettre. Elle apparaît au niveau de la société
comme une femme digne de ce nom. Pour montrer cette obéissance envers son
mari, le Prologue annonce :
« La vieille dame qui tricote, à côté de la nourrice qui a
élevé les deux petites, c’est Eurydice, la femme de Créon.
Elle tricotera pendant toute la tragédie jusqu’à ce que son
tour vienne de se lever et de mourir. Elle est bonne, digne,
aimante ». (p.12)
Ce passage montre également la différence fondamentale qui existait entre
l’homme et la femme au niveau du secteur actif, ainsi que l’importance que l’homme
accorde au travail.
Parallèlement à cela, l’homme fournit une part considérable des besoins
économiques. Par son travail, l’homme fait que la société avance comme il se doit.
Bien sûr, les femmes contribuent, pour une large part, aux activités réalisées par les
hommes. Dans l’antiquité, le développement économique
était assuré par les
communautés marchandes et industrielles. Dès lors, L’homme a toujours symbolisé
l’activité de production. C’est pour cette raison que, si on parle de ceux qui ont
contribué à la promotion de l’économie, l’homme apparaît toujours au premier plan.
Cela se voit d’ailleurs dans les portraits d’homme qui figurent sur les pièces de
monnaies de l’antiquité. Cela signifie qu’ils étaient les piliers du pays en question.
66
Pour ne prendre que l’exemple des monnaies européennes, on pourrait voir
cela à travers la monnaie française ou belge de l’époque :
En 1816, le portrait de Louis XVIII, roi de France a représenté la monnaie de
cette époque. En 1834, c’était Louis Philipe I qui était représenté sur les pièces de
monnaie de son époque.21
Vient ensuite la Belgique : le franc redevient monnaie légale à la place du florin
néerlandais, après la proclamation de l’indépendance en 1830. Et comme Léopold
Premier était le roi des belges, puisqu’ il était le promoteur de cette indépendance, la
pièce du franc belge affichait son portrait.
Tous ces exemples constituent des marques de la production de l’homme dans
le monde du travail. Il a donc une très large avance par rapport à la femme dans ce
domaine. Ce qui explique la rareté des portraits féminins sur les pièces de monnaie
antiques. Et c’est pour cette raison également que dans la pièce d’Antigone, une
pièce antique, même si elle a été repris par Anouilh au XXe siècle, la femme n’a pas
une très grande place dans le secteur économique. Dans la pièce de Sophocle, tout
dépend de l’homme. D’où, l’acharnement des gardes et de Créon dans ce qu’ils
estiment être leurs devoirs.
21
Dictionnaire Petit Larousse, Larousse, Paris, 2003, p.772
67
CONCLUSION
De part l’analyse que nous avons menée sur ce volet, nous pouvons déduire
que même si Anouilh n’a pas développé ici un aspect qui montre l’utilité de la femme
au niveau du pouvoir, elle demeure un des piliers de la société actuelle. Et si dans
cette pièce le rôle de la femme n’est pas visible dans le secteur actif, c’est
uniquement parce que c’est une pièce antique. A cette époque là, on considérait que
la femme n’était pas faite pour un travail de ce genre.
Manifestement, l’œuvre d’Anouilh a donné de quoi réfléchir. Elle décrit
savamment une vie pénible, submergée par l’absurdité des guerres. Cette
description est à la fois une attaque sévère entre les gouvernements et une
exhortation à l’endroit du peuple pour qu’il se rendre compte de cette situation
agaçante.
68
TROISIEME PARTIE :
ADAPTATION DE LA PIECE AU
MONDE CONTEMPORAIN
69
INTRODUCTION
La Grèce antique, par l’intermédiaire de ses poètes et de ses dramaturges, a
transmis à la France un grand nombre de mythes dont Antigone. Enseignés dans les
écoles, repris par les écrivains, ils ont fini par se fondre dans le patrimoine national et
font partie intégrante de la littérature française. En renouant avec le tragique, les
dramaturges contemporains ont voulu poser des problèmes ou exprimer les
sentiments de leurs époques. Les mythes d’autrefois sont devenus un prétexte pour
annoncer des idées neuves, d’où la reprise de celui d’Antigone au XXeme siècle par J.
Anouilh.
Pour mener à bien notre étude, nous avons choisi l’intitulé : « Adaptation de la
pièce au monde contemporain », pour la troisième partie de notre travail. Les
chapitres qui composent cette partie montreront le pourquoi de cette reprise du
mythe au XXème. Le premier chapitre s’intitule : « Réactualisation du mythe
d’Antigone ».Il analysera le style utilisé par Anouilh ainsi que la structure de la pièce.
Le deuxième chapitre, « La cruauté des personnages », nous donnera l’occasion
d’étudier l’autocratie de Créon et l’indifférence des gardes face à la situation tragique
d’Antigone.
70
Chapitre I : REACTUALISATION DU MYTHE D’ANTIGONE
I-1.Langue et style
L’expression, le langage et le style utilisés par Anouilh sont bien différents de
ceux qui sont utilisés dans la pièce antique. Nous constatons en effet que l’Antigone
de Sophocle est écrite en vers, preuve de la noblesse du style. Par contre la pièce
de J. Anouilh est écrite en prose, c’est une œuvre exprimée en langage simple, il
utilise un registre de langue familier, sinon vulgaire. Cette différence suit une certaine
logique. Cela s’explique par l’intention que l’un et l’autre assignent au mythe : la
poésie grecque laisse entrevoir des héros animés par des sentiments nobles et
grands, soucieux des valeurs éthiques, notamment la vertu, le courage, la justice et
la sagesse. Les dramaturges modernes mettent en scène des personnages
préoccupés par leur époque et parlent notre langage. Antigone représente ainsi la
passion de l’absolu, c’est bien grâce au sentiment qui l’identifie à son modèle grec.
Le langage utilisé par Anouilh dans cette pièce moderne fait plutôt apparaître des
traits de la vie réelle. On sent qu’elle est plus proche de nous lorsque la nourrice
déclare: « Il va falloir te laver les pieds avant de te remettre au lit » (p.15). Ce propos
de la nourrice montre la valeur que la mère partage avec sa fille. La locution « il va
falloir te laver les pieds avant de te remettre au lit » qui peut être perçu comme une
imposition d’une mère à sa fille, laisse entendre aussi le souci d’une mère qui
s’’inquiéte pour le bien être de son enfant. Cette nourrice a un langage réaliste
lorsqu’elle ajoute par exemple:
« Mon Dieu, cette petite, elle n’est pas assez coquette !
Toujours avec la même robe et mal peignée. Les garçons
ne verront qu’Ismène avec ses bouclettes et ses rubans et
ils me la laisseront sur les bras » (p.18).
Plus d’une fois, son expression s’avère familier puisqu’elle renvoie au monde
réel. La vulgarité de l’expression de la nourrice repose sur les mots et les gestes
d’attendrissement à l’endroit d’Antigone :
Un garçon que tu ne peux pas dire à la famille : « Voilà, c’est
lui que j’aime, je veux l’épouser. C’est ça, hein, c’est ça ?
Réponds donc, fanfaronne ! » (p.15).
71
Ces interventions de la nourrice montrent bel et bien le style simple d’Anouilh,
lequel est plus proche de la réalité, plus proche de nous. Et c’est un des éléments
qui rendent la lecture de la pièce plus amusante et plus agréable. Ce même langage
se retrouve également chez presque tous les personnages de l’œuvre. Les gardes
eux mêmes emploient un langage imagé, truculent et souvent très grossier, qui
correspond à leurs personnages :
« On ne dormait pas, chef, ça on peut vous le jurer tous les
trois qu’on ne dormait pas » (p.52).
Le langage des gardes s’avère tellement familier qu’on peut facilement
imaginer ce qu’ils représentent réellement pour comprendre leur conception de la
vie. Leur façon de parler, déplacé, atteint son paroxysme, surtout lorsqu’ils ont
emmené Antigone, un des gardes dit :
« Ecoutez-moi, je vais vous dire : on va d’abord chez la
Tordue, on se les cale comme il faut, et après on va au
palais » (p.56).
Ces propos montrent l’indifférence et la cruauté des gardes à l’égard de cette
situation tragique : ils ne pensent qu’à leur distraction. Tout ce pittoresque rend le
dialogue vivant. Il en est autrement du style particulier d’Ismène dont le langage est
d’ailleurs loin d’être correct lorsqu’elle s’adresse à sa sœur:
« Je réfléchies plus que toi. Toi, c’est ce qui se passe
par la tête tout de suite, est tan pis si c’est une bêtise. »
(p. 25)
De cet entretien d’Ismène et d’Antigone, on se demande ce que pourrait penser
un grammairien de la structure de ces phrases écrites en registre familier. Les
propos qui s’ensuivent est une longue tirade énoncée avec plus de force que de
logique et de clarté, évoquant la fureur de la foule déchaînée contre les deux sœurs :
« Ils nous crachèrent à la figure. Et il faudra avancer dans
leur haine sur la charrette avec leur odeur et leur rire
jusqu’au supplice. Et là il y aura les gardes avec leurs têtes
d’imbéciles, congestionnées sur leurs cols raides, leurs
grosses mains lavées, leur regard de bœuf, qu’on sent qu’on
pourra toujours crier, essayer de leur faire comprendre, qu’ils
vont comme des nègres et qu’ils feront72
tout ce qu’on leur dit
scrupuleusement, sans savoir si c’est bien ou mal… » (p.28).
Ce passage soulève certaines questions, tant du point de vue sémantique que
Syntaxique. La puissance expressive de ce texte riche en images fait trembler
Ismène, saisie de panique. On dirait même qu’Anouilh
est préoccupé
du
mouvement tragique de la vie, exprimé par le dynamisme de la phrase et de sa
véhémence. Du côté d’Antigone, cela se voit également : sa colère et son
comportement justifient parfois son opiniâtreté. A la fin de son
altercation avec
Créon, elle apparaît comme une furie en proie à une véritable transe, crachant avec
violence son mépris :
« Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre
vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens
qui lèchent tout ce qu’ils trouvent. Et cette petite chance
pour tous les jours, si on n’est pas trop exigeant ». (p.101)
Déchaînée, elle n’est plus l’enfant fragile ni apeurée. Ne pouvant plus contrôler
son expression, elle commence à montrer son dégout de la leçon politique que
Créon lui fait. Créon lui même, maître de lui au début, perd peu à peu toute mesure
et toute dignité. Si Anouilh emprunte plus d’une fois des formules de Sophocle, son
style s’avère néanmoins différent : sa familiarité est perçue à travers soit par ses
incorrections, soit par sa crudité ou sa violence. Il n’en comporte pas moins des
morceaux ayant trait à une véritable anthologie. : Ces morceaux montrent la vision
du monde se dégageant des récits des principaux personnages. C’est ici qu’on peut
parler de la poésie de Jean Anouilh: il utilise des images et des comparaisons qui
viennent renforcer les idées et les sentiments exprimés. A côté d’un dialogue vif et
resserré, en marge des cris, nous assistons à de vastes tableaux ornés de pointes
sèches burinées dont les caractères et les vertus sont subordonnés à la structure de
l’action accomplie sous forme d’intrigue. Ses variations imaginatives résultant d’une
psychologie simplifiée là où l’anxiété appelle le pathétique. C’est donc un art
burlesque où le pathétique est parfois teinté de cruauté. On retrouve cela dans la
description que fait Créon de l’enterrement selon les rites :
«Tu as vu les pauvres têtes d’employés fatigués, écourtant
les gestes, avalant les mots, bâclant ce mort pour en
prendre un autre avant le repas de midi. (p.77)
73
Un peu plus loin il ajoute
« Et tu risques la mort maintenant parce que j’ai refusé à ton
frère ce passeport, ce bredouillage en série sur sa
dépouille, cette pantomime dont tu aurais été la première à
avoir honte et mal si on l’avait jouée ». (p.77)
La force expressive des verbes et des substantifs de ces deux passages
« écourtant », « avalant », « bâclant », « prendre » ; « passeport », « bredouillage »,
« dérisoire », suggère irrésistiblement l’idée d’un cérémonial absurde : le langage
utilisé dans cette scène
nous rappelle l’enterrement de la mère de Meursault que
Camus a si admirablement décrit dans l’Etranger.
L’attitude d’indifférence de
Meursault devant la mort exprime un fait caractéristique de l’absurde où le tragique
est circonscrit dans un monde clos. Cela est remarquable dans la première
apparition d’Antigone à l’aube. Ses souliers à la main, Antigone qui revient de sa
mission raconte à sa nourrice sa promenade. L’évocation de la nature qu’elle décrit
montre qu’elle
est éprise de pittoresque. La personnification des choses de la
nature abonde :
« C’était beau. Tout étais gris (…) Le jardin dormait
encore. Je l’ai surpris, nourrice. Je l’ai vu sans qu’il s’en
doute. C’est beau un jardin qui ne pense pas encore aux
hommes (…) Dans les champs, c’était tout mouillé et cela
attendait. Tout attendait. Je faisais un bruit énorme toute
seule sur la route et j’étais gênée parce que je savais bien
que ce n’était pas moi qu’on attendait ». (p. 14-15)
Ces propos montrent l’admiration qu’Antigone éprouve à l’égard de la nature.
L’expression « c’est beau » qui peut signifier qu’une personne apprécie de façon
méliorative une chose exprime l’admiration et l’attachement de l’héroïne à la nature.
Elle est donc attirée par la magnificence de la vie, mais ce qu’elle considère comme
son devoir l’empêche de vivre pour jouir davantage. Pour rassurer sa nourrice qui est
saisie de panique et dont les larmes commencent à couler, elle la calme en ces
termes :
« Ne laisse pas couler tes larmes dans toutes les petites
rigoles pour des bêtises comme cela, pour rien. » (p.21)
74
Ce ton suggère d’ailleurs le contexte familier qui l’unit à sa nourrice. On
retrouve ce même langage à la fin de la pièce, lors de la mort d’Antigone où il est
facile d’imaginer son horreur à l’égard de la mort. Ecoutant les propos du garde : « ils
allaient vous murer dans le trou. », elle répond avec frayeur : « Je vais mourir tout à
l’heure » (…..) « Tu crois qu’on a mal pour mourir ? » « Comment vont-ils me faire
mourir ? »Cette intuition émotive traduit son vif sentiment d’isolement et de frayeur
face à la mort qui l’attend. Et pour s’arracher à sa solitude qui atteint également
Créon, Antigone a cherché un refuge dans l’amour. C’est pour cela qu’elle a voulu
envoyer une lettre à Hémon par le biais du garde, mais ce dernier ne l’a jamais
transmis. De là s’explique l’effet dramatique où s’exprime le contraste entre le
sentiment d’Antigone et le refus du garde de remettre la lettre à Hémon. Le garde est
un confident indigne qui a rompu le dialogue intime.
Cette scène exprime le
pessimisme d’Anouilh à cause de l’impossibilité du dialogue entre les deux
personnages. Cela conduit inévitablement à une situation où la destinée s’accomplit
dans une mort inutile ou dans l’attente de la mort, expression d’un triste apaisement.
Ce passage met en exergue le style d’Anouilh, un style plus proche de la vie
quotidienne. Il renvoie également au thème de l’enfance, avec sa curieuse vision des
fils multicolores de sa ceinture, comportant l’image d’une toile naïve qui vient en
quelque sorte prolonger le monde de l’enfance. Cela nous donne l’impression d’une
vie de conflit que le temps ne parvient pas à régler.
I-2. Le rôle du temps et la structure de la pièce
Force est de constater que la narration des faits ne respecte pas une
chronologie rigoureuse. Nous connaissons l’interdiction de Créon grâce à la
conversation entre les deux sœurs. En réalité, nous ne savons pas précisément
combien de temps s’est écoulé entre le moment du délit et celui où Créon en prend
connaissance. Mais nous savons en revanche que, entre ces derniers instants et la
scène qui conduit à l’arrestation, Antigone a eu le temps de retourner au lieu où se
trouve le cadavre de Polynice. Enfin, entre le moment où les gardes viennent la
chercher et celui où le messager fait le récit de sa mort, pour le spectateur, peu de
temps a passé. Resserrer le temps de cette manière crée une intensité dans le
drame. Carmen Tercero affirme cela en ces termes :
75
« Le théâtre, art de l’illusion, ne cherche pas la vérité mais
la vraisemblance : resserrer ainsi le temps de l’action
autour de quelques moments clés, crée une plus grande
intensité dramatique ».22
Toutefois, ces quelques moments resserrés forment une seule journée
d’environ douze heures ; dès l’aube jusqu’à cinq heures du soir, heure à laquelle
sonne la cloche, indiquant à Créon et au Page qu’il est l’heure du conseil. Ce tour
d’horloge a une seule et unique valeur, celle qui fait de la tragédie une machine
infernale, une sorte de cercle vicieux auquel on ne peut échapper.
Le temps apparaît ici avec une vitesse considérable. C’est pour cette raison
d’ailleurs que les actions sont serrées entre elles. On peut constater cela à travers
les deux interventions suivantes dont la première est celle du Prologue et la
deuxième’ celle du chœur :
« Elle sent qu’elle s’éloigne à une vitesse vertigineuse de
sa sœur Ismène, qui bavarde et rit avec un jeune
homme… » (p.10)
Ou encore:
« Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n’a plus
qu’à dérouler tout seul. C’est ce qui est commode dans la
tragédie. » (p.56)
On s’aperçoit à travers ces passages que le temps est accéléré et que la
tragédie prend de plus en plus d’espace. Les propos tenus ci-dessus par le chœur
attestent cette vitesse vertigineuse du temps. Même si il y a des moments où on voit
quelques notions de temps, la pièce est presque dépourvue de caractérisation
temporelle. On peut cependant voir apparaître quelques notions temporelles. Dans
cette pièce, un élément lié au temps a une haute valeur symbolique : le soleil. Les
références qui y sont faites sont nombreuses. Perçu positivement, il renvoie à la
chaleur de l’été, saison où l’héroïne dira à sa nourrice :
22
Carmen Tercero, Antigone Anouilh, Nathan, Paris, 1998, P.86
76
« Il ne fait pas froid, je t’assure, c’est déjà l’été ». (p.22)
Mais cette valeur symbolique n’est pas toujours positive. Antigone annonce à
son fiancé Hémon qu’elle aurait protégé leur petit garçon de « l’angoisse du plein
soleil immobile ». Cela signifie que la valeur attribuée au soleil est péjorative. De
plus, c’est le soleil qui accélère la décomposition du cadavre de Polynice et rend sa
présence insupportable, même à Créon :
« Le soir, quand le vent vient de la mer, on la sent déjà du
Palais. Cela soulève le cœur ». (p.82)
Dans ce passage, le soleil n’est plus perçu comme l’élément régulateur de la
vie, car le soleil évoqué ici est celui de Midi où la chaleur accablante frappe comme
la fatalité écrasante, conduisant l’homme vers son inexorable destin de mortel. Midi
est le point culminant de la journée, de même que l’été est la saison de la maturité et
que la tragédie est le point d’orgue d’une existence héroïque. Or, on sait qu’Antigone
n’est heureuse que lorsque tout est « gris » et que le monde est encore « sans
couleur » .Elle ne peut d’ailleurs se résoudre à quitter l’enfance qui est l’aube de la
vie, ni la jeunesse qui en est le printemps. Aussi la maturité
signifie t- elle à ses
yeux une mort lente, l’impureté et la dégradation. Cette vision symbolique du soleil
nous renvoie à la description faite par Albert Camus dans l’Etranger. Cet auteur le
peint comme un élément qu’il incite au drame. La volonté de choquer a conduit
Anouilh, à la suite de Jean Giraudoux, à exploiter l’anachronisme. Tout d’abord, dans
le texte lui même, on ne saurait ne pas être surpris par la présence du « café » que
la nourrice apporte à Antigone, ou du « Tricot » d’Eurydice, ou encore de la
« cigarette » qu’avait allumée Polynice, sachant que l’action s’est passée dans la
Grèce antique.
En plus, lors de la première représentation théâtrale de l’œuvre en 1944, mise
en scène par André Barsacq, la pièce fut jouée par des acteurs en costume de
soirée .Le roi et tous les membres de la famille royale portaient le Frac, alors
qu’Antigone et sa sœur étaient vêtues d’une longue robe noire et blanche. Les
gardes étaient habillés en smoking ciré de couleur noire. L’objectif était non
77
seulement de donner au spectacle une unité et une certaine majesté, mais aussi de
souligner, par ces costumes semblables à des uniformes, l’allusion à un État policier.
A cela s’ajoute un caractère novateur. La présence de ces anachronismes a
une triple signification : tout d’abord, montrer que les héros mythiques sont dans le
monde des humains. En suite par cette modernisation du mythe, créer une certaine
complicité avec le spectateur d’aujourd’hui. Et, c’est l’essentiel, renforcer ce qui
constitue le message même de l’œuvre : le triomphe de l’absurde. La structure de la
pièce d’Anouilh offre également des traits qui nous renvoient à la vie réelle et à
l’actualité. Les évènements viennent d’eux-mêmes : il n’y a dans ce monde
controversé ni rupture, ni lieu d’action bien déterminé. Mais tout semble exprimer
l’idée que le temps est un devenir divinisé et que des hommes agissent dans une
discontinuité dynamique et aveugle. Les actes ne sont plus rattachés à une cause
noble, à un idéal. C’est pourquoi Antigone se réfère plutôt à des interdits d’ordre
religieux. Elle ne représente plus qu’elle-même, au même titre que Créon. C’est la
raison pour laquelle Etienne Frois s’interroge ainsi :
« Pourquoi les personnages agissent-ils ? Pourquoi parlentils ? Pour rien »23.
On ne saurait, certes, imaginer une vision plus pessimiste que celle de ces
personnages raidis dans un individualisme forcené et muré dans l’orgueil de leur
inefficacité. Chez Corneille, les héros, en s’affirmant, affirmaient la valeur de la
patrie, le devoir, la liberté par exemple face aux sentiments ignobles. Ici, il ne reste
aucune valeur, aucun espoir, aucun amour, aucune foi. C’est le principe même de la
tragédie qui est mis en exergue. Pour la répartition de la pièce, en voulant respecter
la structure de la pièce grecque, Anouilh n’a indiqué aucune division dans son
œuvre. On peut toutefois distinguer trois grandes phases, non en fonction d’un
changement de décor, mais selon que se trouve au centre de l’action l’un ou l’autre
des protagonistes.
Anouilh a choisi de procéder de la sorte sans doute pour rapprocher sa pièce
du monde actuel. Dans un premier temps, si l’on met à part la longue tirade du
Prologue, Antigone est montrée dans son univers quotidien, elle en a fini avec son
passé. Dans un deuxième temps, elle s’oppose au pouvoir de Créon, et dans un
23
Etienne FROIS, Antigone Anouilh, Hatier, Paris, 1972, P.50.
78
troisième le destin s’abat sur Créon. Dans la scène où figurent Antigone et les siens,
on s’aperçoit qu’elle fait irruption à l’aube, sachant qu’elle a déjà enfreint la loi de
Créon. Vient ensuite l’étape où les deux sœurs, Antigone et Ismène, se réfèrent à
une discussion de la veille.
Antigone et sa nourrice évoquent l’enfance de la fille (passé lointain). On voit
apparaitre ensuite la discussion entre Hémon et Antigone. Ils s’expliquent sur ce qui
les a opposés la veille, où Antigone nie l’existence possible d’un avenir prometteur.
Ismène, stupéfaite, a été avisée par sa sœur Antigone que le délit a déjà eu lieu.
Dans toutes ces scènes, le passé plus ou moins proche est le moment
d’angoisse.
Le futur est par contre celui de la mort qui, sans être clairement
évoquée, est déjà présente. Ces scènes forment à elles seules toute une
composition. Le schéma suivant fait ressortir le thème de la fatalité.
Moments évoqués
3
L’enfance
2
La veille
La veille
4
(L’avenir
impossible)
(L’enfance)
1
5
L’instant
présent
L’instant
présent
La suite de la scène montre qu’Antigone résiste au pouvoir de Créon. En effet,
on voit apparaitre le garde Jonas qui tente de rendre compte à Créon de l’état où se
trouve le cadavre, sans pour autant indiquer le moment de l’acte. Il s’ensuit une
rupture entre les deux personnages. Cette rupture s’accentue par le mécanisme
tragique exprimé par le chœur :
« Et voilà. Maintenant, le ressort est bandé. Cela n’a plus
qu’à se dérouler tout seul. » (p.56)
79
Le ressort exprime le mouvement cyclique de la vie que traduit l’action
dramatique. Cette action se déroule dans un temps circulaire, expression d’un
univers clos où l’homme se trouve enfermé par l’étreinte de la fatalité. Le drame où
Antigone se débat rappelle le second délit qui a eu lieu à midi. Une fois au palais,
l’altercation qui oppose Antigone et Créon concerne le « passé » sordide des frères
d’Antigone. Et son avenir avec Hémon situe le point marquant de la tragédie, où les
deux personnages se heurtent (le présent).
Vient ensuite la scène tragique où Ismène veut accompagner Antigone dans sa
mort :
« Si vous la faites mourir, il faudra me faire mourir avec
elle ». (p.104)
Quelques heures seulement se sont écoulées depuis le début de la pièce. Il y a
pourtant un blanc dans l’emploi du temps de l’héroïne, entre le moment où elle a
annoncé à Ismène qu’elle a enfreint la loi et celui où nous apprenons qu’elle a
recommencé « en plein jour ». Le chœur intervient pour évoquer le destin qui s’abat
sur Créon qui est à présent tout seul au palais. Il conclut sur cette indifférence des
gardes qui continuent d’agir comme si tout était normal.
Mais la conception d’Anouilh est en réalité un peu problématique. Se rattachant
à une tradition, insistant sur le caractère inéluctable
de la fatalité, il veut nous
présenter une tragédie contemporaine, vécue par des hommes de notre temps.
Cette tragédie traite des thèmes bien différents des thèmes antiques.
Tel qu’il a présenté la pièce, Anouilh veut d’abord attribuer à ses personnages
le même rôle qu’assumaient ceux de la tragédie grecque. Toujours est-il qu’il veut
faire en sorte que sa pièce soit le reflet de l’actualité. Comme dans la tragédie
classique, c’est le messager qui vient annoncer la mort d’Antigone et d’Hémon. C’est
ce que décrit le Prologue :
« Ce garçon pâle, là bas, au fond, qui rêve adosser au mur,
solitaire, c’est le messager ». (p.12)
Ce caractère pâle du messager détermine les qualités, « un peu pâles » des
deux amants que Créon fera coucher l’un près de l’autre. Cela nous rappelle la mort
80
de Roméo et Juliette, personnages créés par Shakespeare. Mais le fait que l’héroïne
est condamnée à mort dans la tombe des Labdacides, nous fait penser au
phénomène actuel de la peine de mort. C’est une pratique qui, sans le dire
explicitement, n’est pas vue d’un bon œil par le dramaturge.
Le rôle du messager est très secondaire puisqu’il ne participe pas directement à
la tragédie. Une règle fondamentale de la tragédie classique est respectée : la mort
des personnages à l’instar d’autres violences n’est pas montrée sur scène. Le
procédé du « récit » est courant dans
la tragédie classique, et le modèle le plus
célèbre est peut-être celui de Théramène, racontant la mort d’Hippolyte, tué par un
monstre, à la fin de Phèdre de Racine.
Cette narration a un rôle dramatique. Elle est le lieu d’une concentration et
même d’une accélération du temps de l’action.
En effet, entre le moment où
Antigone est emmenée par les gardes et celui où le Messager entre en scène, il ne
se passe, pour le spectateur, que quelques secondes. Mais, comme la narration est
faite au passé, on pourrait avoir l’impression que l’exécution s’est effectivement
déroulée dans les coulisses !
En attribuant au messager cette fonction narrative, Anouilh voulait donner à la
pièce une certaine vivacité. Cette perspective l’attache à l’actualité et au monde réel
pour la rendre vivante aux époques qui vont suivre. C’est pour cette raison que la
conclusion du chœur insiste sur l’indifférence des gardes et sur le fait que la vie
continue en dépit de cette tragédie. Le chœur insiste sur cette indifférence :
« Eux, tout çà, cela leur est égal. Ce n’est pas leurs oignons.
Ils continuent à jouer aux cartes… ». (p.133)
Ce passage montre un exemple parfait de la vie réelle. Si Anouilh achève la
pièce d’Antigone dans cette indifférence des gardes, c’est uniquement pour deux
raisons majeurs : il veut d’abord mettre l’accent sur l’absurdité de la vie et la gratuité
des sacrifices comme actes accomplis, et donner ensuite à son texte une
perspective réelle de la vie, de manière à ce que le lecteur puisse découvrir par luimême le fond de cette tragédie, car telle qu’elle a été présentée, la pièce a bien des
aspets qui sont bien plus proches de nous et de la vie contemporaine.
81
La narration repose sur la supposée objectivité du Messager en tant que témoin
de la scène. Les pronoms sujets sont à la troisième personne : « Il » représente
Créon. Mais il y a aussi les anonymes, « tout », « chacun » et l’impersonnel « on »
souvent répété.
En fait, cet effet de distanciation contribue à mettre en valeur les actes de
Créon. Tout autour de sa personne, se trouvent ceux qui semblent observer ses
créations. Or, c’est l’un des seuls moments où il réagit plus en père qu’en roi. Son
sang froid habituel s’effondre lorsqu’il comprend le drame qui se joue. Il « hurle
soudain comme un fou », puis il est vu en « roi suant, dont les mains saignent »,
« ses cheveux sont blancs ». Ce qui peut surprendre chez cet homme si robuste,
c’est le fait qu’il supplie son fils, alors que lui-même avait rejeté les supplications de
ce dernier. Il semble en fait que l’accélération du temps évoquée plus haut s’applique
également à la vie de Créon : la vieillesse s’abat tout à coup sur lui, faisant de lui ce
roi désabusé. La relation qui existe entre la pièce et la vie actuelle n’est pas
seulement visible dans la réactualisation d’Antigone, elle s'observe également dans
les comportements de chaque personnage de la pièce.
82
Chapitre II : LA CRUAUTE DES PERSONNAGES
II-1. L’autoritarisme de Créon et l’indifférence des gardes face à la
tragédie.
On comprend mal que la pièce d’Anouilh, conçue dans l’année la plus noire de
l’occupation allemande et représentée dans les derniers mois, ait connu un vif
succès et suscité des réactions passionnées. Nombreux sont ceux qui ont perçu,
dans le monde des gardes, une image de l’armée de l’occupation de l’époque. Et
dans l’affrontement Créon-Antigone, on l’image d’un gouvernement autoritaire et
cynique
face à un camp de Résistance révolté et intransigeant
incarné par
Antigone. Tout cela montre le caractère historique de la pièce.
En effet, la peinture qu’Anouilh fait de Créon rappelle souvent le gouvernement
cynique et autoritaire dirigé par Vichy pendant l’occupation allemande. La première
apparition de Créon montre un homme sûr de lui et de son pouvoir. Lorsque le garde
lui annonce pour la première fois que le corps de Polynice est déjà recouvert d’un
peu de terre, surpris, Créon intervient essentiellement à travers des interrogations :
« Qui a osé ? Qui a été assez fou pour braver ma loi ? As-tu
relevé des traces ? « (p.53)
Ces propos révèlent le caractère d’un homme orgueilleux et autoritaire. Les
interrogations et les menaces abondent dans ses phrases d’un homme habitué à
être obéi.
Dans cette autorité qui dépasse parfois les bornes, on constate Créon dirige le
pouvoir avec une main de fer. Cela est au fait qu’il n’a confiance en personne. En
effet, son autoritarisme de despote ne saurait être que l’arrogance d’un roi désabusé
et menacé. Le fait de recouvrir d’une motte de terre le corps de Polynice suffit à
Créon pour croire à une conjuration montée contre lui. Il soupçonne les amis
étrangers de Polynice. Mais Créon suspecte aussi qu’il y a des complices au sein de
sa propre garde. Par conséquent, il ne peut régner qu’en imposant la terreur et le
secret :
« A qui avez-vous déjà parlé de cette affaire ? ». « Et pas un
mot, (…) Si le bruit court dans la ville qu’on a recouvert le
cadavre de Polynice, vous mourrez tous les trois ». (p.55)
83
Ce passage montre que Créon désire que l’évènement demeure secret. La
locution « pas un mot » qui peut signifier qu’une personne impose le silence ou la
menace montre ici que Créon veut dissimuler l’évènement par le biais de la terreur. A
travers la menace qu’il profère à l’encontre de ses trois gardes « si le bruit court
dans la ville qu’on a recouvert le cadavre de Polynice, vous mourrez tous les trois »,
il manifeste son désir de vouloir étouffer l’affaire.
L’Etat décrit ici s’avère être un Etat policier où le pouvoir des ministres et des
assemblées est nié au profit des allégations des auxiliaires qui s’adressent à Créon
comme à leur « Chef ».La rapidité avec laquelle Créon envisage le peloton
d’exécution pour l’enfant embrigadé laisse entrevoir la passion de domination par la
force au préjudice de la force du droit.
En attribuant cette image à Créon, Anouilh voulait dénoncer les méfaits des
atrocités effectués par les hommes d’Etat, il actualise un peu l’évènement. C’est
d’ailleurs pour cette raison qu’il a repris le mythe au XXe siècle.
Le pouvoir politique remis en cause est un pouvoir autocratique imposé par
Créon. Cette même situation se retrouve partout dans le monde. George Bush se
sentait fort, bien plus que d’autres pays, il s’est entêté de faire le débarquement en
Irak au mépris des interdictions de l’ONU. La loi démocratique est à présent changée
en une loi autocratique ou autoritaire.
La même sentence chez Anouilh se profile au contraire sur un fond purement
machiavélique. Pour Machiavel, la conquête et l’exercice du pouvoir doivent
obligatoirement se faire par l’usage de la violence. L’ordre de Créon est établi sur
des bases mensongères car pour lui, la fin justifie les moyens. Dans un ton
méprisant, Créon dit à Antigone :
84
« Tu penses que je ne pouvais tout de même pas m’offrir le
luxe d’une crapule dans les deux camps. Mais je vais te dire
quelque chose à toi, quelque chose que je sais seul, quelque
chose d’effroyable : Etéocle, ce prix de vente, ne valait pas
plus cher que Polynice. Le bon fils avait essayé, lui aussi, de
faire assassiner son père, le prince loyal avait décidé, lui
aussi de vendre Thèbes au plus offrant. Oui, crois-tu que
c’est drôle ? (…) Seulement, il s’est trouvé que j’ai eu besoin
de faire un héros de l’un d’eux. Alors, j’ai fait rechercher
leurs cadavres au milieu des autres. (…) Ils étaient en
bouillie, Antigone, méconnaissable. J’ai ramassé un des
corps, le moins abimé des deux, pour mes funérailles
nationales et j’ai donné l’ordre de laisser pourrir l’autre là où
il était. Je ne sais même pas lequel. Et je t’assure que cela
m’est égal ». (p.95)
Ce passage montre que la loi en vigueur est une loi autocratique. L’autorité de
Créon a dépassé les bornes. Pour lui, il n’y a qu’une seule loi qui mérite d’être suivie,
c’est sa parole. En plus, on s’aperçoit que pour Créon, gouverner veut dire
systématiquement mentir, trahir et se salir les mains, bref s’avilir.
Certes, voir dans cet extrait là un simple jugement sur la politique serait
reposant. Il nous rappelle qu’on ne peut faire de la politique qu’en se salissant les
mains une fois qu’on est à la tête d’un gouvernement.
Mais Créon ne ressemble pas à Hoederer. Le leader communiste de Sartre qui
cherche par tous les moyens à prendre le pouvoir. Il est allé jusqu’à reprocher à la
pureté son inefficacité :
« C’est une idée de Kafir ou de moine. Vous autres, les
intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez
prétexte pour ne rien faire. Ne rien faire, serrer les cadres
contre le corps, porter des gants. Moi j’ai les mains
sales ».24
Cela montre dans quelle saleté les hommes d’Etat se trouvent une fois qu’ils
ont le plein pouvoir. Ainsi, Anouilh dépeint avec une certaine aisance ce pouvoir
24
Paul Genistier, Anouilh, SEGHERS, Paris 1969, p.67.
85
cynique de Créon. Il s’agit au fond d’un « anarchiste bourgeois » au pouvoir. Il veut
affirmer son autorité en faisant fi du peuple.
Ces types de gouvernements existent jusqu’aujourd’hui. Chaque jour, des lois
sont bafouées. Si l’on veut concilier la description de la pièce et ce qui se passe
actuellement, nous pouvons dire que dans bien des cas, on peut percevoir des
évènements qui sont semblables. Par exemple, les guerres tribales ou les guerres
entre deux religions peuvent être comparées à la lutte fratricide d’Étéocle et de
Polynice. Ce gout du pouvoir et cette absurdité qu’Anouilh a si agréablement décrit
dans Antigone existe encore dans la vie contemporaine.
A cause de ce pouvoir autocratique, avec Créon, les ministres et les conseillers
ne sont là que pour la figuration. Les gardes sont réduits au statut de policiers qui
n’ont pas le droit de réfléchir ni de poser des questions. Ce sont des policiers qui
obéissent aveuglement à Créon. Ils suivent les ordres bêtement sans juger si c’est
mal ou bien. Anouilh les a privés de leurs facultés intellectuelles. Ismène l’a bien
décrit en disant :
«Il aura les gardes avec leurs têtes d’imbéciles(….) qu’on
sent qu’on pourra toujours crier essayer de leur faire
comprendre, qu’ils vont comme des nègres et qu’ils feront
tout ce qu’on leur a dit scrupuleusement, sans savoir si c’est
bien ou mal… » (p.28)
Ce passage montre la stupidité et surtout la coopération absurde des grades
aux actes de Créon. L’expression « ils feront ce qu’on leur a dit scrupuleusement,
sans savoir si c’est bien ou mal » qui peut désigner des personnes qui obéissent
sans poser de question, traduit ici la stupidité et la soumission aveugle des gardes.
Même si l’ordre qu’on a leurs donné est injuste, ils obéissent quand même.
Pour se valoriser, le garde essaie désespéramment de faire son rapport, qu’il a
apparemment longtemps répété. Idiot qu’il est, le garde ne comprend pas le sens
des paroles de Créon et répond presque systématiquement à côté. Au « Qu’est-ce
que c’est ? » de Créon, il se pressa de répondre sans comprendre « C’est le piquet
de chef ». (p.64)
86
C’est un personnage stupide et borné qui n’existe que par sa fonction et par le
groupe qui le protège. Il emploie d’ailleurs toujours l’indéfini « on » à la place de
« nous », désignant la communauté des gardes.
Ce caractère donne lieu à un comique de répétition : à chacune de ses
répliques, le garde appelle Créon« chef », ce qui, en outre, ne peut qu’agacer celuici. Il répond aussi systématiquement à la place d’Antigone, alors que Créon interroge
celle-ci :
« Qu’allais-tu faire près du cadavre de ton frère ? ». (p.65)
Le garde ne peut s’empêcher de répondre en disant. « Ce qu’elle faisait chef ?
C’est pour ça qu’on vous l’amène. Elle grattait la terre avec ses mains. Elle essaie de
le recouvrir encore une fois ». (p.65)
Ce passage ne fait que renforcer la conscience limitée des gardes. Ils ne vivent
que pour obéir à Créon, ils sont donc incapables de réfléchir ou de distinguer le bien
du mal. Leurs interventions suscitent parfois le rire, c’est d’ailleurs une des fonctions
qu’Anouilh leur a assigné.
Le comique de la scène repose aussi sur le langage très populaire, voire
vulgaire. Le plus long récit du garde au moment où il voulait faire son rapport à son
roi, en est une parfaite illustration. Des expressions caricaturalement populaires sont
abondantes : «le temps que je me la cale à la joue », ou « je lui courais dessus ».
Quelquefois, la négation est même omise : « Pas loin, je voyais plus ». Les réalités
évoquées sont prosaïques : la décomposition du corps et l’odeur qui s’en dégage,
une chique, et la comparaison employée est loin d’être poétique « tremblait comme
de la gélatine ». Nous sommes ici à l’opposé du style noble de la tragédie et de
l’unité des registres préconisé dans le genre dramatique. C’est de cette manière
qu’Anouilh a mis en valeur le sens même de la tragédie : le garde incarnant de façon
exemplaire cette réalité à laquelle Antigone veut et doit échapper.
Pour montrer la stupidité des gardes et l’autocratie de Créon, nous pouvons
ainsi nous référer au dialogue d’Antigone et du garde avant que la première ne rende
l’âme. En effet, Antigone, seule face à la mort, cherche à échapper à son angoisse.
Aussi veut-elle s’intéresser à ce que cache son « dernier visage d’homme ». Mais
pour le garde qui ne connait que le règlement, l’héroïne n’existe qu’en tant que
87
criminelle dont il faut se méfier. C’est pourquoi il s’obstine à ne pas répondre à une
question pourtant simple : « Tu aimes tes enfants ? »
« Cela ne vous regarde pas ». (p.116)
Pour le garde, il n’y a que les ordres qui comptent, qu’Antigone soit innocente
ou non, cela l’importe peu, il est là pour faire son travail et il tâchera de le faire
comme il faut. Entre une Antigone qui cherche à connaître le visage de son dernier
contact dans le monde, et un garde qui cherche surtout à l’éviter, la communication
ne peut que demeurer impossible. Antigone devra donc se contenter d’écouter les
récriminations du garde. Pour garder le contact, elle jouera alors au jeu de la
politesse : « Il y a longtemps que vous êtes garde ? » (p.116)
A cette interrogation d’Antigone, le garde saisira la perche qu’on lui tend et
devient volubile, mais il ne peut débiter que des platitudes. Ainsi, lorsqu’Antigone
l’interroge sur la mort, il profite de cette occasion pour se rappeler de ses souvenirs
d’ancien combattant. Lorsqu’Antigone lui demandera si cela fait mal de mourir, il fait
allusion à la guerre, puisque c’est tout ce qu’il sait :
« Pendant la guerre, ceux qui étaient touchés au ventre,
ils avaient mal. Moi, je n’ai jamais été blessé. Et, d’un
sens, ça m’a nui pour l’avancement ». (p.119)
Ce passage traduit le non-sens de la vie, et l’indifférence des gardes.
Incapable de voir ou de sentir le déclin, la chute d’Antigone, il cherche tout d’abord à
souligner qu’il ne bénéficie pas d’avancement car il n’a pas eu de blessure au
combat.
Cette réponse semble par ailleurs s’écarter de l’attente de la jeune fille car le
garde ne parle que de souffrance physique. Même l’évocation du futur tombeau
d’Antigone ne parviendra pas à l’éloigner de son univers quotidien. Il est, au
contraire, prêt à reprendre son monologue stupide.
Cette attitude tout à fait déplacée au regard tragique de la situation crée
indiscutablement
un
effet
comique.
Néanmoins,
par
rapport
aux
scènes
« comiques » précédentes, l’évolution est nette. Ici, deux registres de langue
s’opposent, ils reflètent deux visions du monde. D’une part, le registre vulgaire du
88
garde(les phrases sont souvent nominales et les expressions familières) atteint son
paroxysme de brutalité et de cynisme, au moment où il annonce à Antigone la mort
qui l’attend. D’autre part, nous avons le registre noble d’Antigone, qui culmine avec
cette image très poétique qu’Anouilh a repris de Sophocle : « O tombeau ! O lit nuptial!
O ma demeure souterraine ! » (p.120)
Ces deux registres se heurtent et le décalage entre la situation de l’héroïne et
les propos du garde choque autant qu’il fait sourire. Mais le message le plus
important d’Anouilh n’est pas seulement de mettre l’accent sur le comportement
indifférent des gardes, mais aussi de montrer que tout cela est dû à l’autoritarisme du
gouvernement de Créon. En tant qu’autocrate, Créon est plus que satisfait de cette
situation car il veut que ses ordres soient exécutés. Et comme les gardes ne
réfléchissent pas, ils ne cherchent pas à savoir si un ordre est juste ou non avant de
l’exécuter. Ainsi, il réduit les gardes, les ministres en individus dépourvus de leurs
facultés intellectuelles. Pour comparer la manière de gouverner les hommes et les
bêtes, il dira qu’il est plus simple de régner sur des bêtes, plutôt que
sur des
hommes. Suite à cette intervention de Créon, Antigone réplique ironiquement en ces
termes :
« Quel rêve, hein, pour un roi, des bêtes ! Ce serait si
simple ». (p.89)
Ce comportement de Créon montre de l’égoïsme, de l’autocratie et du cynisme.
Tout ce qu’il souhaite, c’est d’être seul à prendre les décisions sans recevoir aucune
critique. Il veut être le seul maitre à bord.
Ce comportement stupide des gardes ressemble un peu à celui des Policiers
des gouvernements actuels. Ceux-ci utilisent rarement leurs intelligences. Ils se
contentent d’obéir aux ordres de leurs chefs sans savoir si c’est bien ou mal. En
Afrique, par exemple, nous assistons à des cas semblables tous les jours. Les
soldats de Robert Mugabe au Zimbabwe obéissent aux ordres de ce dernier sans
penser aux conséquences. Ils tuent et sont à l’origine de la mort de plusieurs
centaines d’innocents.
Ce qui est important pour eux, c’est leur travail et leurs
intérêts. Ils ont les mêmes comportements absurdes que les gardes de Créon.
89
II-2. La révolte d’Antigone.
Par définition, le mot révolte « désigne un soulèvement contre l’autorité établie,
une rébellion, ou un refus d’obéissance ».25
Dans cette pièce moderne, nous avons remarqué une manifestation de révolte
à travers le personnage principal. En effet, Antigone a une idée qu’elle croit juste, qui
est celle d’enterrer son frère. Considérant cela comme son devoir, elle ira jusqu’au
bout pour réaliser son idée.
« Il faut que j’aille enterrer mon frère que ces hommes ont
découverts » (p.76)
Ici s’affirme sa détermination de vouloir exécuter son projet. Elle est pure et ne
pourra pas vivre dans l’impureté. Sa révolte est ainsi fixée : « moi je peux dire non
encore à tout ce que je n’aime pas et je suis seule juge ». Il s’agit là d’un conflit
dramatique où elle reconnait l’absurdité de son acte, mais elle a une volonté tenace
où s’affirme sa liberté. Elle refuse tout compromis, alors que c’est la raison même de
sa révolte :
« Moi je veux tout, tout de suite et que ce soit en entier ou
alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste et me
contenter d’un petit morceau si j’ai été bien sage ». (p.72)
A travers cette intervention d’Antigone, on remarque l’ampleur et la
détermination de sa révolte. L’expression « Moi, je veux tout, tout de suite et que ce
soit en entier » qui peut signifier qu’une déclaration est irréversible, exprime ici que
sa demande n’est pas négociable. Elle veut que sa demande soit exécutée
scrupuleusement. Créon croira d’abord que cette stratégie est liée uniquement au
sentiment fraternel. Il procède aussi à une nouvelle tactique par laquelle il tente de
détruire l’image que l’héroïne accorde à sa liaison avec Polynice. Créon cherche à
discréditer Polynice dans le but de lui faire comprendre que ce dernier ne mérite pas
qu’elle se sacrifie pour lui. Il dira alors de Polynice :
25
Dictionnaire Larousse, Larousse, paris, 2003, p.891.
90
« Un petit fêtard imbécile, un carnassier dur et sans âme,
une petite brute tout juste bonne à aller plus vite que les
autres avec ses voitures, à dépenser plus d’argent dans
les bars ». (p.93)
Avec cette mauvaise image de Polynice, Créon estime pouvoir soumettre son
interlocutrice. Mais il s’est vite rendu compte qu’Antigone a une autre raison qui la
pousse à outrepasser cet ordre. Il veut comprendre pourquoi elle s’obstine à faire ce
geste absurde, si ce n’est pas pour son frère :
« Pourquoi fais-tu ce geste, alors ? Pour les autres, pour
ceux qui y croient ? Pour les dresser contre moi ? » (p.78)
Mais
Antigone lui révèle que c’est plutôt une affaire personnelle : « Pour
personne. Pour moi ». (p.77)
Antigone déclare enfin que tout ce qu’elle a fait, tout cet acharnement n’est pour
personne d’autre que pour elle-même. La révolte a donc atteint son dernier degré et
personne ne pourra l’arrêter.
La jeunesse d’Antigone favorise le désir de se révolter pour défendre son statut
social d’une part, et pour s’élever au dessus de la fatalité, de l’autre.
De plus, c’est entre le « C’est absurde » (p.78) des deux personnages et la
réplique d’Antigone, (Pour personne. Pour moi) (p.78) que se situe le point culminant
de la scène qui oppose Antigone et Créon. Le dernier prend conscience des raisons
qui ont poussé l’héroïne à agir. Libre, et consciente qu’elle va tout droit à la mort,
elle trouve sa victoire dans sa volonté de vaincre l’étreinte de la vie. Elle est toute
puissante, invincible. Rien ne peut la contraindre, car pour que la contrainte soit
rendue effective, il faut savoir la soumettre. Or, les injures et menaces de Créon qui
taxe Antigone de « petite furie » ou de « petite peste » ne font que réveiller son
amour propre. De même les tortures que Créon est en droit de lui infliger ne peuvent
l’intimider.
Ce qu’elle vient de découvrir, c’est qu’elle n’est plus une enfant qui doit justifier
ses actes, mais une adulte qui n’a de compte à rendre à personne. C’est dans cette
optique qu’elle se permet de parler avec aisance à Créon :
91
« Si je veux, moi, je peux ne pas vous écouter. Vous avez
dit « Oui ». Je n’ai plus rien à apprendre de vous. Pas
vous. Vous êtes là à boire mes paroles ». (p.84)
Antigone manifeste ici son indépendance, prête à réaliser son objectif. Ne
pouvant plus se dissocier de cette idée de révolte, elle ne veut rien entendre ni
comprendre des propos de Créon. Elle est bien déterminée à défendre ses idées
quand elle dit à Créon :
« Je ne veux pas comprendre. C’est bon pour vous. Moi
je suis là pour autre chose que pour comprendre. Je suis
là pour vous dire non et mourir ». (p.88)
A travers ce passage, nous remarquons que la position d’Antigone est claire.
Elle n’envisage pas de changer d’avis. C’est entre la négation « je ne veux pas
comprendre », et l’affirmation « je suis là pour vous dire non » que se situe sa
détermination. Créon s’aperçoit enfin que pour défendre ses idées, Antigone ne fera
aucune concession. Elle est prête à renoncer à la vie pour cette noble cause.
92
CONCLUSION
La description interne des personnages, leurs représentations dans le monde
contemporain, ainsi que le style utilisé par Anouilh dans cette pièce nous permet de
mettre en évidence une image globalisante au-delà du mythe lui-même. Les
compositions structurales internes de la pièce entretiennent des relations
d’homologie avec la situation de la vie actuelle. En effet, même s’il s’agit d’un thème
antique, il couvre .toute la situation qui régnait au XXeme siècle. Anouilh cherche par
là à mettre en lumière ce caractère historique. Le héros antique, prisonnier de son
destin, faisait tristement écho à l’individu du monde actuel, menacé par la guerre et
la montée des périls.
Aussi la description de cette situation se révèle une dénonciation des
mauvaises actions des dirigeants du XXeme siècle, une époque où régnaient les
guerres d’une part, constituant une leçon de morale pour les générations à venir de
l’autre.
93
CONCLUSION GENERALE
Nous avons rencontré dans l’œuvre de Jean Anouilh intitulée Antigone une
situation tragique qui reflète à la fois la mythologie et la réalité. L’explication
mythologique nous a appris qu’Antigone, l’héroïne, jouait un rôle tragique, celui d’un
intermédiaire entre l’humain et la divinité. Dans l’antiquité grecque, le monde divin
était en conflit avec celui des humains. Cette confrontation était souvent à l’origine
des familles maudites. Antigone en fait partie puisqu’elle est née de la liaison
incestueuse entre Oedipe et Jocaste.
A partir de la coexistence de ces deux mondes, c'est-à-dire le monde des
humains et celui des dieux, Anouilh a su opposer le devoir familial, une morale
incarnée par Antigone, à la loi
politique représentée par son oncle Créon.
Intransigeante et révoltée, Antigone s’oppose à la loi de Créon qu’elle qualifie
d’injuste et d’immorale. Déterminée à défendre les lois non écrites, l’héroïne laissera
apparaitre un complexe intérieur qui la contraint à rester indifférente face à cette
situation injuste. Ces attitudes font d’elle une femme modeste et pure, caractères qui
se reflètent dans sa parole, ses gestes et ses jugements.
Ainsi, le dramaturge a restitué les portraits psychologiques et physiologiques
des personnages pour mieux montrer les contrastes existant entre eux, car chaque
personnage possède un côté qui prend le contrepied de son prochain ; on remarque
assez vite cette opposition. Si Antigone s’est faite moralement rebelle, c’est pour
mieux s’opposer à la cruauté de la vie et à l’autocratie de Créon. Dans sa lutte, elle
n’a pas eu recours à la force, mais elle s’est servie du langage pour dominer la
pensée des autres personnages.
En fait, ce thème de l’opposition entre gouvernement et peuple reflète aussi la
situation d’aujourd’hui. Les dirigeants des pays et leurs peuples entretiennent des
rapports d’incompréhension et d’incompatibilité. Ils apparaissent comme les deux
côtés d’une même pièce de monnaie. La vision pessimiste qui émerge de la
compréhension de cette pièce traite de la situation d’aujourd’hui. Elle détermine le
lecteur à se situer aux antipodes des régimes cyniques comme celui de Créon, et de
rêver de les abolir.
94
En réalité, cette pièce d’Anouilh représente l’activité mimétique du mythe ayant
pour champs d’action la praxis humaine dans ce qu’elle a de vécu. C’est un mythe
qui est l’imitation de l’action dont la structure est subordonnée aux les caractères et
aux vertus des personnages.
Ce caractère mythique est constitutif d’une intrigue qui se joue dans un espace
intellectuel contribuant à l’évolution de l’histoire et à la vie contemporaine.
Mélangeant actualité et mythe antique, ce dramaturge veut montrer l’absurdité de la
vie et dénoncer les abus des gouvernements de son époque. La révolte d’Antigone
contre la domination de Créon est une satire qu’Anouilh adresse aux dirigeants du
XXème siècle. En dépit de son caractère dur et tenace, Antigone représente l’amour
et le respect. Ce thème de l’amour contribue à l’intelligence du drame qui part d’une
position clé : une nouveauté sans recours à la violence. L’engagement de l’héroïne a
beaucoup d’intérêt, non seulement pour elle-même, mais aussi pour toute l’humanité.
Face à un monde en péril à cause des guerres qui éclatent ici et là, Antigone
rappelle
encore l’existence de la fraternité, où elle n’apporte pas seulement de
l’aide, mais également de l’amour fraternel. Elle représente le respect entre les
hommes, en dépit des différences de vie qui sont remarquables entre nous.
Compte tenu de tout ce que nous avons constaté dans l’étude de ce
personnage principal, nous pouvons dire que J. Anouilh a essayé de réactualiser un
problème qui touche l’humanité depuis son origine : c’est le souci de survie, étant
donné que la mort reste inévitable. Certes, l’attitude d’Antigone manifeste le
pessimisme de l’auteur en ce qui concerne le destin de l’homme, mais ce
personnage révèle cependant certaines choses
qui sont en rapport avec la vie
actuelle.
Aussi, Anouilh souhaite que les dirigeants actuels effectuent des réformes sans
faire appel aux armes. Nous ajoutons qu’il
nous appartient de révéler la noble
mission de ce dramaturge. Il est grand temps d’assainir les sociétés dont les mots
d’ordre seront l’amour, l’égalité, la morale et la justice.
95
BIBLIOGRAPHIE
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ŒUVRE DE BASE :
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OEUVRES DE L’AUTEUR :
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Becket ou l’honneur de Dieu, Table Ronde, Paris, 1959.
L’Alouette, Table Ronde, Paris, 1963,180p.
III.
OUVRAGES GENERAUX :
Bible
des
Peuples,
Société
Biblique
Catholique
Internationale,
Paris,
2004,1754p.
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IV.
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France, Paris, 1983, 127p
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96
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448p.
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TERCERO Carmen, Antigone J.Anouilh, Nathan, Paris, 1990, 110p.
TOMICHE et KARL ZIEGER, La recherche en Littérature générale et comparée
en France, Presses Universitaires de Valencienne, Paris, 2007, p.158.
V.
OEUVRES THEATRALES :
CAMUS Albert, Le Malentendu, Gallimard, Paris, 1966, 102p.
COCTEAU Jean, La machine infernale, Grasset, Paris, 1934,191p.
CORNEILLE Pierre, Le Cid, Hatier, Paris, 1666,127p.
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GIRAUDOUX Jean, La guerre de Troie n’aura pas lieu, Larousse, Paris, 1969,
146p.
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ŒUVRES ROMANESQUES
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CAMUS Albert, L’Etranger, Gallimard, Paris 1942.
CHATEAUBRIAND Réné, Atala, Larousse, 1801. 127p
SARTRE Jean-Paul, Les mouches, Gallimard, Paris, 1943, 190p.
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TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION GENERALE.................................................................................... 3
PREMIERE PARTIE : OPPOSITION ENTRE OPPOSITION ENTRE DEVOIR
FAMILIAL ET ORDRE ROYAL
Chapitre I : OPPOSITION DES PERSONNAGES................................................... 9
I-1. Des personnages antinomiques ................................................................. 9
I-2. Deux idéologies opposées........................................................................ 15
Chapitre II : LA CONSERVATION DE LA PURETÉ ........................................... 26
II-1. L’intransigeance de la pureté................................................................... 26
II-2. Deux points de vue divergents sur la pureté............................................ 33
DEUXIEME PARTIE : OPPOSITION ENTRE LA FEMME ET L’HOMME
Chapitre I : APPARENCE ET FONCTION DE LA FEMME ................................... 45
I-1.La féminité ................................................................................................. 45
I-1-1. Aspect physique ................................................................................. 45
I-1-2. Affectivité ........................................................................................... 46
I-1-3. Le langage ......................................................................................... 49
I-2. Fonction de la femme dans la société ...................................................... 53
I-2-1.La femme: source de reproduction humaine ....................................... 53
I-2-2.La femme : pilier de la société............................................................. 55
Chapitre II : POUVOIR ET FONCTION SOCIALE DE L’HOMME ...................... 61
II-1. L’homme et le pouvoir ............................................................................. 61
II-2. Fonction de l’homme dans la société ...................................................... 64
TROISIEME PARTIE : ADAPTATION DE LA PIECE AU MONDE
CONTEMPORAIN
Chapitre I : REACTUALISATION DU MYTHE D’ANTIGONE ................................ 71
I-1.Langue et style .......................................................................................... 71
I-2. Le rôle du temps et la structure de la pièce .............................................. 75
Chapitre II : LA CRUAUTE DES PERSONNAGES ............................................ 83
II-1. L’autoritarisme de Créon et l’indifférence des gardes face à la tragédie. 83
II-2. La révolte d’Antigone. .............................................................................. 90
CONCLUSION GENERALE ..................................................................................... 94
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................... 96
98