Fanny Georges Centre de Recherche Images et Cognition (CRIC

Transcription

Fanny Georges Centre de Recherche Images et Cognition (CRIC
Fanny Georges
Centre de Recherche Images et Cognition (CRIC), Paris I
Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines (OMNSH)
Auteur conceptrice multimédia indépendante
13, rue Hégésippe Moreau
75018 Paris
Tél. : 06 64 25 76 26
Proposition d’intervention aux journées ICHIM 2005
Jeu vidéo : un art pour quels publics ?
Regards croisés sur les tropes de Silent Hill 4 “the room”
Fruit de la collaboration entre le sound designer Akira Yamaoka et le chief designer
Masashi Tsuboyama, artistes mondialement reconnus dans le milieu du jeu vidéo, « Silent
Hill 4 : The Room » a été salué par la critique pour la qualité artistique de sa bande originale
et de son graphisme et critiqué parfois pour le décalage de certaines fonctionnalités comme
celles de la sauvegarde avec l’usage habituel. Or ces fonctionnalités décalées ou curieuses
comme l’alternance de vision, peuvent être considérées comme des tropes, c’est à dire des
figures de style qui impliquent un décalage [KERBRAT-ORECCHIONI (1994, 59)] entre
l’usage habituel et actuel. Du regard savant au regard visé du joueur, l’art est-il le même ? Un
jeu déclaré par son créateur comme étant artistique, comme E-majordome, poserait le
dispositif ludique comme un ready-made. Construit et posé en décalage, perçu par des
amateurs d’art, il est art. Mais le jeu vidéo laissé dans son contexte pose la question inverse.
Quelles sont les acceptions de la dimension artistique du jeu vidéo par les joueurs ? Comment
le jeu vidéo fait-il sens en lui-même, et pour qui ? Quels éléments sont déterminants pour le
joueur dans l’affirmation qu’un jeu est artistique ? Ces questions sont celles de la place du
jugement du public visé dans la légitimation artistique.
Dans une première partie, nous proposons une analyse de l'appartement d'Henry
Townshend. L’analyse des décalages de l’interface, de la représentation utilisateur, de
l’environnement visuel et sonore, du scénario et de l’interactivité proposée est l’occasion de
présenter les différents éléments de gamedesign et de gameplay, de questionner sa dimension
sémiologique et la relation entre le sens et l’art.
Dans une seconde partie, sous l’angle de la sociologie des usages, nous nous penchons
sur l’acception de la notion d’art et de dimension artistique de Silent Hill. Des entretiens
exploratoires ont montré que les références internes à la série des Silent Hill étaient très
sensibles chez les joueurs et que le décalage était perçu à la fois comme une originalité et un
obstacle à la jouabilité, la séquence de sauvegarde étant trop longue. Si l’originalité globale
du jeu est sentie comme gage de réussite, elle n’est pas sentie comme étant la principale
qualité artistique du jeu, consistant plutôt en la qualité graphique (image, fluidité et réalisme
des animations) et sonore.
Henry Townshend se réveille un jour dans l’impossibilité de sortir de son appartement.
Par un trou pratiqué dans le mur de sa salle de bains aux murs couverts de sang, il accède au
monde de ses cauchemars. De l’espace confiné de l’appartement à l’espace forclos de
l’hallucination, le jeu se fait espace de visibilité d’une expérience intérieure. Le joueur se
plonge dans la réclusion mentale du personnage. Des procédés stylistiques comme
l’alternance de la vision subjective et de la vision à la troisième personne, la spatialisation de
la sauvegarde, l’interaction avec l’environnement indépendante de l’action principale créent
un environnement de jeu imposant au joueur comme au concepteur un surplus de travail
cognitif.
Cette étude a pour cadre un mémoire de doctorat en cours sur la représentation de
l’utilisateur. A l’état actuel des entretiens, nous pouvons avancer que le paradoxe de la
dimension artistique jeu vidéo nous semble résider en l’acception du mot « art » par la cible,
mais aussi en ses attendus. Considérés comme des défauts de game design ou reconnus
comme des décalages qui font sens, ces tropes sont identifiés par le joueur mais pas
systématiquement reconnus comme relevant de la définition de l’art.