Le sièGe De paris par Les vikinGs

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Le sièGe De paris par Les vikinGs
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SUR
Le siège de Paris
par les Vikings
885-887
Joëlle Delacroix nous fait revivre la
campagne qui mena les Vikings jusqu’aux
portes de Paris pendant presque trois
ans. Un événement qui devait participer à
l’éclosion de la future dynastie capétienne.
Alfred le Grand
Roi du Wessex de 871 à 899, il organise la
défense de son royaume contre les Vikings. Il
a succédé à son frère Ethelred en 871. En 875,
une armée viking menée par Guthrum attaque
son royaume et l’oblige à fuir pour se réfugier
dans les marais. En 878, Alfred le Grand défait
ces mêmes Vikings à Eddington. Les Danois
quittent le Wessex.
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Histoire et Images Médiévales
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N
ous sommes en 885. Charles le Gros, arrière-petitfils de Charlemagne, règne sur la Francie Occidentale et la Francie Orientale. Le hasard a permis à ce
prince de rassembler sous son autorité l’ensemble
des terres constituant autrefois l’empire du Grand Charles.
Charles le Gros est le troisième fils de Louis le Germanique. Il
a hérité des biens de ses frères Louis III le Jeune et Carloman,
décédés. En 881, le Pape Jean VIII l’a couronné empereur. Il est
roi d’Italie, depuis 880.
Fin 884, Carloman, fils de Louis le Bègue, décède. Le dernier
fils du roi Louis le Bègue, Charles, est un garçon de cinq ans.
Face au péril viking qui menace toujours la Francie Occidentale, l’enfant semble bien vulnérable. Les Grands du royaume
de Francie Occidentale se tournent alors vers Charles le Gros
qu’ils accueillent à la villa royale de Ponthion, sur la Marne, et
ils lui jurent fidélité afin qu’il assure la tutelle et la direction du
royaume de Francie Occidentale.
Le prince porte l’espoir des Grands. En lui, ils croient voir revivre
Charlemagne. Cependant, leurs espoirs sont vite déçus. Charles
est malade : il souffre de violents maux de tête. Par ailleurs, il est
pusillanime. Face aux attaques vikings, malgré l’armée qu’il peut
lever sur l’ensemble de ses territoires et la vaillance des merce-
Les Vikings exécutant les prisonniers francs.
naires francs, alamans, thuringiens, saxons et lombards qui composent ses troupes, il cède et, pour déloger les Vikings, paye le
danegeld – l’impôt aux Danois – sans affrontements.
Or, en ces années 880, une grande armée viking menace fortement le royaume franc. Chassée du Wessex par le roi Alfred le
Grand, elle débarque, à l’été 879, aux environs de Calais et se
scinde en deux parties : l’une opère dans la vallée de la Somme
tandis que l’autre part s’installer dans la vallée de l’Escaut.
Durant deux années, la région comprise entre les deux rivières
est dévastée et pillée : Thérouanne, Arras, Cambrai, Saint-Omer,
les abbayes de Saint-Bertin, Saint-Valery, Saint-Riquier sont
attaquées. Amiens, Eu sont inquiétés. Louis III le Jeune affronte
et défait cette armée à Saucourt-en-Vimeu le 31 août 881. Les
rescapés de l’armée viking se replient alors sur la Meuse et établissent un camp à Elsloo, non loin de Maastricht. De cette base,
ils attaquent Cologne, Aix-la-Chapelle, Coblence.
Joëlle Delacroix (Romancière)
Andrea Modesti (illustrations)
Mer du Nord
Elsloo
© Infographie éditions Astrolab
Manche
Jean-le-Rond, situé près du chevet de la
basilique, et la demeure de l’évêque. Il est
Saucourt
Aix la Chapelle
probable que, face à la cathédrale SaintBretagne
Paris
Étienne, se dresse déjà une église placée
sous le vocable de Notre-Dame.
L’île est coupée, du nord au sud, par le
cardo (actuelles rue Saint-Jacques, rue
de la Cité puis rue Saint-Martin) ; deux
Francie
Francie
ponts de bois, défendus par des ouvrages
Occidentale
Orientale
fortifiés, la relient à chacune des rives de
la Seine, le Petit Pont à la rive gauche, le
Grand Pont à la rive droite.
Royaume
Outre les bâtiments des quartiers comtal
de
et épiscopal, l’île contient de nombreux
Mer
Boson
édifices religieux, tels que l’église SaintAdriatique
Mer
Méditerranée
Germain et encore deux monastères de
Carte de la Francie occidentale et orientale.
femmes, Saint-Christophe et Saint-MarEn juillet 882, Charles le Gros, accompagné d’une forte tial. Des jardins et des parcelles cultivées jalonnent cet espace
armée, met le siège autour de ce camp. Mais, après douze urbain, composé en outre de maisons parfois en pierre, mais plus
jours d’attente, il entame des négociations, verse 2 800 livres souvent en bois et torchis.
d’or contre la promesse des Danois de ne plus attaquer son Les deux rives de la Seine restent très agricoles avec des champs
royaume. Les Vikings acceptent et vont établir une nouvelle de céréales, des bois et des vignes, mais, là aussi, de nombreux
base à Condé, dans le royaume de Carloman, fils de Louis édifices religieux sont implantés. Sur la rive gauche, où coule
le Bègue. Laon, Noyon, Soissons sont attaqués ; l’abbaye de la Bièvre, aux côtés des ruines des thermes et théâtres de la
Saint-Quentin et la cathédrale d’Arras sont réduites en cendre. ville gallo-romaine, s’élève notamment la puissante abbaye de
Carloman finit par payer 12 000 livres d’argent pour acheter le Saint-Germain-des-Prés fondée au VIe siècle par le roi Childépart des pillards. Des otages sont échangés. Mais lorsque le debert Ier (497-558), les églises Saint-Julien-le-Pauvre et Notreprince décède en décembre 884, deux mois après le versement Dame-des-Champs. La rive droite, marécageuse et inondable
du danegeld, les chefs vikings estiment l’engagement caduc.
en raison du bras mort de la Seine (Tudella) qui la traverse,
Sigfriđr, l’un des chefs de l’armée danoise, amène alors sa flotte abrite Saint-Germain l’Auxerrois. Un bourg s’élève autour du
sur la Seine. Le pont fortifié de Pont-de-l’Arche ne résiste pas Port de Grève, à l’emplacement de l’actuel Hôtel de Ville.
à l’assaut de ses hommes. Pontoise est pillée. Le 24 novembre La vie, dans la ville de Paris, s’articule autour des deux pouvoirs
885, la flotte du Danois, forte de sept cents navires aux dires qu’elle héberge, le comte et l’évêque, résidant chacun dans leur
du moine Abbon, paraît sous les murs de Paris.
quartier, peuplé de l’ensemble de la familia de ces deux aristocrates,
artisans, commerçants, clercs, leudes attachés à leur service.
Paris au IXe siècle
Autrefois Lutèce, chef-lieu de la civitas de la tribu gauloise des
Parisii, place fortifée, soumise à Rome en 52 avant. J.C.par le
général romain Labienus, résidence de deux empereurs romains,
Julien dit l’Apostat (331-363) et Valenticien Ier (321-375), ancienne
capitale du royaume de Clovis, Paris est délaissée par les rois
carolingiens qui préfèrent résider dans les terres d’Austrasie
dont ils sont originaires. Le pouvoir dans la ville est aux mains
du comte et de l’évêque.
La ville s’est recentrée sur l’île de la Cité, la seule alors habitée. Elle est protégée d’une muraille élevée initialement au
IVe siècle, à laquelle a été ajouté un pont fortifié de pierre et de
bois à l’entrée gardée par des tours, édifié dans le cadre de l’Édit
de Pitres par lequel le roi Charles le Chauve (823-876), ordonne
la construction de fortifications sur la Seine afin de barrer la
route aux flottes scandinaves.
Deux pôles importants font vibrer la ville. Dans sa partie occidentale s’élève le palais comtal, ancien palatium des empereurs romains, à l’emplacement de l’actuel Palais de la Cité.
Dans sa partie orientale, se dressent les bâtiments du quartier
épiscopal, la monumentale basilique-cathédrale Saint-Étienne
– 60 mètres de long, 36 mètres de large, une nef et quatre collatéraux portés par des colonnes de marbre – le baptistère Saint-
Abbon est né vers 850 en Neustrie et décède
vraisemblablement en 920. Il est moine de
l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés et fait ses
études sous la direction d’Aimoin, chancelier
du monastère Saint-Germain-des-Prés. Témoin
oculaire du siège subi par Paris en 885-887, il a
écrit un poème intitulé Bella Parisiacæ urbis,
Histoire du siège de Paris par les Normands, qui
constitue l’une des principales sources à ce sujet.
L’évêque Gauzlin
En 885, l’évêque de la ville se prénomme Gauzlin. Né aux alentours de 834, il est le fils de Rorgon Ier, comte du Maine.
Moine, il est ordonné prêtre à Poitiers en 845, alors qu’il est nommé
également abbé de Saint-Maur-de-Glanfeuil. Il entre comme
notaire au service du roi Charles II le Chauve, puis devient chancelier. Par ailleurs, il accumule les charges abbatiales : Saint-Maurde-Glanfeuil, Jumièges, Saint-Amand, Saint-Germain-des-Prés et
Saint-Denis. En 858, il est fait prisonnier avec son demi-frère Louis,
abbé de Saint-Denis, par une bande de Vikings qui ne les libèrent
qu’en échange du versement d’une forte rançon.
Histoire et Images Médiévales
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SUR
Gauzlin devient évêque de Paris en 884. Cette charge le rend
responsable de la défense de la ville. Dès l’entrée de la flotte
viking dans l’estuaire de la Seine, il a veillé à la restauration
des remparts de la cité. Comme d’autres évêques de son temps,
c’est un aristocrate qui n’hésite pas, si nécessaire, à combattre.
Aux côtés de l’évêque, se trouve son neveu, èbles, abbé de
Saint-Germain-des-Prés depuis 881. Son père, le comte de
Poitou Ramnulf Ier, est mort à Brissarthe aux côtés de Robert
le Fort. C’est un farouche homme de guerre ; cependant, aux
dires du moine Abbon, il est quelque peu cupide et libertin.
Charlemagne
(743-768 - 814)
© Infographie éditions Astrolabe, d’après une proposition de Joëlle Delacroix
Louis Ier LePieux
(778-814 - 840)
Ermangarde
( 840)
Judith
( 843)
Pépin
( 838)
Louis Le Germanique
( 878)
Emma
( 843)
Lothaire Ier
( 855)
Le comte Eudes
Carloman
( 880)
Louis III Le Jeune
( 882)
Charles III Le Gros
(839-884 - 888)
Charles II Le Chauve
(823-840 - 876)
Arnulf
( 899)
Louis III
( 882)
Ermentrude
Louis II Le Bègue
(843-877 - 879)
Ansgarde
Eudes, comte de Paris, est le fils aîné de Robert le Fort, mort en
866 à Brissarthe en affrontant les Danois menés par Hásteinn,
qui sont venus ravager la vallée de la Loire et la ville du Mans.
À ses côtés, se trouve Robert son jeune frère.
Eudes est né aux alentours de 860. Il a épousé Théodrate, sans
doute une fille du comte de Troyes.
Les origines de Robert le Fort sont restées longtemps obscures : Richer, moine de Saint-Rémi de Reims, écrivant à la fin
du Xe siècle, le donne comme le fils d’un chef saxon nommé
Witichin, rebelle à Charlemagne et déporté avec d’autres compatriotes en territoire franc. Le chroniqueur Aimoin de Fleury,
moine de Saint-Benoit sur Loire, semble également abonder en
Adelaïde
Charles III Le Simple
(879-898 - 929)
Carloman
( 884)
Les Carolingiens.
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A. Ile de la Cité
B. Ile Notre Dame
C. Ile Louviers
D. Ile aux Juifs
E. Ile aux Vaches
F. Ile de la Gourdaine
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G. Port Saint Bernard
H. Port de Grève
I. Grand Pont Fortifié
J. Vieux Pont
K. Petit Pont
L. Bourg de Grève
Histoire et Images Médiévales
1. Palais Comtal
2. Monastère Saint-Martial
3. Eglise Saint-Germain-Le-Vieux
4. Cathédrale Saint-Etienne
5. Baptistère Saint-Jean-Le-Rond
6. Eglise Notre-Dame
7. Palais Episcopal
8. Eglise Saint-Jacques et Pierre au Let
9. Eglise Saint-Jean et Pet au Diable
10. Eglise Saint-Gervais et Orme
11. Eglise Saint-Merri
12. Eglise Saint-Martin-des-hamps
13. Eglise Saint-Germain-le-Rond
14. Abbaye Saint-Germain-des-Prés
15. Théâtre
16. Thermes du Nord
17. Forum
18. Thermes de l’Est
19. Eglise Saint-Julien-le-Pauvre
Dessin J. Delacroix
F
I
Le Rithmus Teutonicus célèbre la victoire de Louis III sur
les Normands à Saucourt-en-Vimeu le 3 août 881. Il a été
rédigé dans l’entourage du roi, peu après la bataille.
© Infographie éditions Astrolabe, d’après une proposition de Joëlle Delacroix
Carolingiens
Charlemagne
(743-768 - 814)
Adeltrude
Gauzlin Ier
Comte du Maine
Rorgon, Comte du Maine
( 818)
Rotrude
Bilchide
Louis, abbé de Saint Denis
( 867)
Rorgon II
Comte du Maine
( 865)
Gauzfrid
Comte du Maine
( 877)
Gauzlin
Comte du Maine
( 914)
Gauzlin
Evêque de Paris
( 886)
Bilchide
épouse
1/ Bernard de Poitiers,
Comte de Poitiers
2/ Ramnulf Ier,
Comte de Poitiers
Gauzbert
Maison
de Poitou
Les Rorgonides.
ce sens. Cependant, Robert le Fort est le fils d’un noble franc,
le comte Robert III de Hesbaye, comte de Worms, appartenant
à une grande famille du Rhin moyen, liée aux Carolingiens et
dont les plus lointains ancêtres gravitaient déjà dans l’entourage des maires de palais mérovingiens. Cette famille compte
en son sein, Cancor, le fondateur de l’abbaye de Lorsch. En
852, Robert le Fort est abbé de Marmoutier. En 853, devenu
comte de Tours, il est également missus dominicus pour le
Maine, l’Anjou, la Touraine.
En 861, Charles le Chauve lui confie un vaste commandement contre les Bretons auquel s’ajoutent les titres de
comte d’Anjou et de Blois, puis d’abbé de Saint-Martinde-Tours. De 861 à 866, Robert le Fort combat tant les Bretons que les Vikings, jusqu’à tomber en 866, à Brissarthe.
Les circonstances de cette mort sont bien connues grâce
au récit que Réginon de Prüm en fait dans ses chroniques.
Paris a déjà été attaquée quatre fois par les
Vikings : en 845, 856, 861 et 865, les faubourgs
des rives droite et gauche ont été mis à sac.
Les Vikings, pourchassés, se sont réfugiés dans l’église
de Brissarthe. Enfermés, ils voient les Francs, qui les
croient à leur merci, se délasser, ôter casque et cuirasse.
Ils osent alors une sortie. Robert le Fort se rue au combat
sans prendre le temps de se réarmer. Il tombe mortellement blessé et son corps est tiré à l’intérieur de l’église
par les Vikings. Ramnulf, comte de Poitiers, est lui aussi
grièvement touché et meurt quelques jours plus tard.
Adélaïde, la mère d’Eudes et de Robert, est la fille du comte
de Tours, Hugues le Peureux. Elle a épousé Robert le Fort en
second mariage, après la mort de son premier mari, le Welf
Conrad Ier, abbé de Saint-Gall, auquel elle a donné plusieurs
enfants, dont un fils, Hugues l’Abbé.
C’est ce demi-frère qui reçoit à la mort de Robert le Fort, les
charges de celui-ci et le commandement contre les Vikings.
Mais Dieu eut enfin pitié ; voyant toutes ces calamités
Il ordonna au roi Louis de monter à cheval.
« Louis, mon roi (dit-il), secourez mon peuple,
Si durement opprimé par les Normands. »
Louis répond : « Je ferai, Seigneur,
Si la mort ne m’arrête, tout ce que vous me commanderez. »
Prenant congé de Dieu, il hissa le gonfanon,
Et se mit en marche, à travers le pays, contre les Normands.
Dieu fut loué par ceux qui l’attendaient pour être secourus ;
Ils dirent : « Seigneur, nous vous attendons depuis longtemps. »
Ce bon roi Louis leur dit alors :
« Consolez-vous, mes compagnons, mes braves défenseurs !
Je viens envoyé par Dieu, qui m’a envoyé ses ordres.
Je réclame vos conseils pour le combat,
Sans m’épargner moi-même jusqu’à ce que vous soyez délivrés.
Je veux que ceux qui sont restés fidèles à Dieu me suivent.
La vie nous est donnée, aussi longtemps que Christ le permet ;
S’il veut notre trépas, il en est bien le maître.
Quiconque viendra avec ardeur exécuter les ordres de Dieu
Sera récompensé par moi dans sa personne s’il survit,
Dans sa famille s’il succombe. »
Alors il prit son bouclier et sa lance, poussa son cheval,
Et brûla d’ardeur de se venger sur ses ennemis.
En peu de temps il trouva les Normands
Et rendit grâce à Dieu, voyant ce qu’il cherchait.
Le roi s’avança vaillamment, entonna un cantique saint,
Et toute l’armée chantait avec lui Kyrie eleison !
Le chant finissant, le combat commençant,
On vit le sang monter au visage des Francs et couler parmi eux.
Chacun fit son devoir, mais personne n’égala Louis
En adresse et en audace. Il tenait cela de sa naissance.
Il renversait les uns, il perçait les autres,
Et versait dans ce moment à ses ennemis
Une boisson très amère. Malheur à jamais à leur existence !
Dieu soit loué, Louis fut vainqueur.
Gloire à tous les saints la victoire fut à lui.
Extrait de la Rithmus teutonicus ou Lugwigslied
[chant de Louis], traduction de Willems,
d’après une transcription établie en 1837 par
Hoffmann von Fallersleben, bibliothèque de Valenciennes.
Le siège
Le 24 novembre 885, une flotte de Danois, forte de sept cents
navires aux dires du moine Abbon, menée par le Viking Sigfriđr,
paraît donc sous les murs de Paris. Cette troupe prend ses quartiers
au niveau de l’église Saint-Germain l’Auxerrois. À l’aube, Sigfriđr
est reçu en audience par l’évêque Gauzlin et le comte Eudes, dans
le palais épiscopal. Le Danois demande le libre passage des ponts
ainsi que le passage vers la Bourgogne où ses hommes et lui souhaitent hiverner, menaçant sinon de réduire la ville en cendre, dès
le lever du jour. Comte et évêque refusent ; le Danois se retire.
Dès que l’aube point, ses hommes se portent sur la ville, plus
particulièrement sur la tour qui, sur la rive droite, garde
l’entrée du Grand Pont Fortifié. Le combat dure tout le jour et
éprouve fortement les hommes ainsi que les fortifications couvertes d’une pluie de flèches et de pierres.
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Emenon
Comte de Poitiers de
828 à 839
Carolingiens
Louis Ier Le Pieux
(778-814 - 840)
Comte
d’Auvergne
Aymar
Comte de Poitiers de
890 à 902
Hildegarde
Gérard d’Auvergne
Comte d’Auvergne en 839
( 841)
Rorgonides
Ramnuf Ier
Comte de Poitou ( 867)
Ramnulf II
Comte de Poitou
Comte de Poitiers
en 877
( 890)
Bilchide, sœur de Rorgon II
Comte du Maine
Èbles
Abbé de Saint-Germain-des-Prés ( 892)
Gauzbert
Bernard
Comte de Poitiers de
840 à 844
Bernard de Gothie
Comte de Poitiers de
866 à 877
Èbles-Mancer
Comte de Poitou
( 935)
Les comtes de Poitou.
De chaque côté, les hommes sont armés d’une épée, d’une
lance, d’un arc et de flèches ; ils portent pour se protéger
un casque, une broigne(1) et un bouclier rond fait de bois et
de métal. Les Vikings brandissent leur redoutable hache,
maniable à une seule main, à tranchant double et terminée par
une poignée isolée de la lame par deux gardes parallèles.
La nuit venue, les combats cessent enfin. L’évêque Gauzlin
profite de l’obscurité pour faire rehausser la tour en y ajoutant
des ouvrages de bois.
L’assaut reprend avec le jour nouveau. Les Vikings assaillent la tour, la criblant de dards et de projectiles. Ils tentent
par ailleurs de combler les fossés qui l’entourent. Les Francs
répliquent, déversant sur les attaquants, poix, eau bouillante
et flèches. Les catapultes disposées sur le pont projettent des
pierres qui écrasent les ennemis. Bientôt, la tour s’ébranle ;
une brèche s’ouvre. Le combat s’engage ; Eudes, Eblès et
Robert se battent tels des lions pour repousser la menace ;
l’abbé transperce de son javelot sept ennemis d’un coup, relate
Abbon. Les Danois, alors, amassent herbe sèche et bois puis
ils y boutent le feu. Le tour disparaît dans la fumée épaisse ;
une heure durant, elle demeure invisible, jusqu’à ce que le
vent tourne et repousse la fournaise sur les assaillants. Surgissent alors de la ville deux porte-enseigne qui brandissent au
sommet de la tour des étendards safran. L’ennemi, épouvanté
selon Abbon, se retire alors.
Ces deux jours se soldent, de part et d’autre, par de nombreux morts et blessés. Sigfriđr comprend qu’il ne prendra pas
facilement la cité. Il s’apprête alors à mener un siège. Pour
commencer, il installe définitivement son campement dans
les murs de l’église Saint-Germain l’Auxerrois et entoure le
Paris a déjà été attaquée quatre fois par les
Vikings : en 845, 856, 861 et 865, les faubourgs
des rives droite et gauche ont été mis à sac.
66
Histoire et Images Médiévales
sanctuaire d’une palissade complétée d’un fossé. Ses hommes
débarquent des bateaux et dressent leurs tentes de vađmal(2).
L’hiver s’installe. Les Vikings s’affairent à construire des
machines de siège, béliers, tortues, mantelets. Ils dévastent la
région, font des prisonniers parmi les femmes et les enfants, pillent les richesses et les troupeaux qu’ils installent dans l’église
transformée en étable et écurie. De leur côté, les Francs réparent
les fortifications éprouvées par les combats de novembre et disposent sur le pont fortifié, catapultes et mangonneaux.
Le 31 janvier 886, Sigfriđr lance l’assaut général. Les combats
durent trois jours. Ses hommes se divisent en trois corps de
troupe. L’un se dirige vers la tour fortifiée tandis que les deux
autres, embarqués sur les bateaux, se portent sur le pont. Les
assaillants sont une multitude, au point que la terre est cachée
sous leurs écus peints.
Les uns accablent les Francs de boules de plomb et de flèches
tandis que les autres, dissimulés sous les tortues, s’approchent de la tour dont ils comblent les fossés à l’aide de
terres, d’herbes, puis de bétail abattu et enfin, des corps de
leurs prisonniers égorgés. Puis ils mettent en action des béliers
contre la tour. Dans la ville, l’effroi règne, les trompettes
sonnent, les cloches sonnent le glas. Le tumulte est intense ;
les armes s’entrechoquent au milieu des cris et des râles des
blessés tandis que les ennemis battent leur bouclier de leur
épée. Le comte et l’évêque exhortent les hommes à tenir bon.
Alors, les Francs et les fortifications résistent. Sigfriđr enrage.
© D.R.
© Infographie éditions Astrolabe, d’après une proposition de Joëlle Delacroix
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SUR
Le siège de Paris par les Vikings, représenté dans les
Grandes chroniques de France.
Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 782 fol. 208v.
Il ordonne de haler trois bateaux sur la Seine, de les couvrir
d’herbes sèches et d’y mettre le feu. Avec terreur, les Francs
voient avancer les embarcations vers le pont, qu’elles menacent d’embraser. Les Vikings jubilent. Ils frappent de plus
en plus fort leurs écus de leurs armes et leurs cris s’enflent
démesurément. Désespérés, les Parisiens tombent à genoux et
invoquent Germain et Geneviève, les saints patrons de la ville.
(1) Armure de torse, dépourvue de manches, composée d’un support de cuir ou
d’étoffe sur lequel sont placées des mailles en fer, rondes ou carrées, fixées par un
rivet central.
(2) Étoffe de bure fabriquée à partir de la laine de mouton.
Comtes carolingiens
Le comte (comes – compagnon du prince) est la plupart du
temps un Franc de haute lignée. Il administre au nom du roi
une portion plus ou moins vaste de l’empire appelé pagus. Il
possède dans ce territoire les compétences dont le roi doit
normalement s’acquitter : il lève les impôts, il conduit l’armée, il
assure l’ordre et rend la justice au moins trois fois par an, aidé
en cela par douze « sages » - boni homines (prud’hommes)
puis scabini (scabins) - au cours de l’assemblée du mallus
publicus. Il est secondé par un ou des vicomtes. Le comte est
rémunéré pour ses services à l’aide de bénéfices - domaines
viagers accordés en usufruit - et d’honneurs - domaines
accordés pour la durée de la charge comtale, mais que le roi
peut retirer en principe à volonté. Par ailleurs, il peut garder
une part substantielle des amendes et des confiscations
prononcées dans l’exercice de justice.
Alors, les navires virent et se bloquent contre l’éperon d’une
culée du pont. Les Francs, soulagés, éteignent l’incendie.
La nuit vient et, comme les deux nuits précédentes, les ennemis restent dans la plaine, empêchant les Francs de réparer les
fortifications. Mais, à l’aube, ils se retirent une nouvelle fois.
Les Vikings laissent de nouveau la ville en paix. Ils reprennent
leurs rapines dans la région, investissent notamment l’abbaye
de Saint-Germain-des-Prés, puis portent leurs exactions plus
loin, dans la région de Troyes et de Reims.
Dans la nuit du 6 février 886, le Petit Pont reliant l’île à la rive
gauche s’effondre, emporté par la Seine en crue. La tour, qui
le défend sur la rive, ainsi que les douze braves qui y montent la garde se trouvent subitement isolés. Leurs noms sont
gravés sur la plaque de marbre posée à l’entrée de la crypte
archéologique, sur le parvis de Notre Dame de Paris : Ermenfroi, Hervé, Herland, Ouacre, Hervi, Arnoud, Seuil, Jobert,
Gui, Hardre, Aimard et Gossouin.
Sous le commandement d’Eudes et de Gauzlin, les Francs
passent la nuit à tenter de rétablir le passage, en vain. À l’aube,
Sigfriđr et ses hommes traversent le fleuve et se portent sur
la tour pour l’encercler. Ils l’accablent de flèches auxquelles
les douze guerriers répondent par des jets de pierre. Puis, les
Danois disposent devant la porte de la tour, un chariot empli
d’herbes sèches et de broussailles qu’ils enflamment. Impuissants, les Francs, dans l’île, voient le brasier atteindre la tour
et, bientôt, l’épaisse fumée qui s’en dégage la fait disparaître à
leurs yeux. À l’intérieur, les douze braves tentent d’étouffer le
feu, mais ils disposent de très peu d’eau. La tour gémit ; le feu
l’a totalement investi. Avant qu’elle ne s’effondre, les guerriers
francs l’abandonnent et se replient sur l’extrémité restante du
pont. Le combat s’engage ; ils luttent à l’épée, frappent de taille
et d’estoc. Les Francs résistent vaillamment.
Louis (800-867), abbé de Saint-Denis, est
un fils illégitime de Rorgon Ier, né d’une liaison
avec Rotrude, une fille de Charlemagne.
Il est chancelier de Louis Ier le Pieux, puis de
Charles le Chauve.
(765 - 837)
Welf
Adelaïde
Conrad 1er de Bourgogne
(800, 863)
Hugues l’Abbé
( 885)
Richilde
Robert III
Comte de Worms et Hesbaye
Herbertides
Robert Le Fort
( 866)
Herbert Ier
de Vermandois
(850, 900/907)
Robert
(866, roi en 922, 923)
Béatrice
de Vermandois
(800, 863)
Comte de Chartres
et de Troyes
Eudes
(860, roi en 888, 898)
Théodrate
(866, ?)
Raoul
Oda
Arnoul
Hugues Le Grand
( 956)
Hugues Capet
Roi de France
(987, 996)
Capétiens
Généalogie des Robertides.
© CNRS-IRHT - B.M Besançon, ms. 854 fol. 008.
Hugues III de Tours
© Infographie éditions Astrolabe, d’après une proposition de Joëlle Delacroix
Etichonides
Histoire et Images Médiévales
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Les troupes du comtes Eudes prenant à revers les Vikings près de Montmartre, fin juin 886.
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Le 24 novembre 885, une flotte de Danois, forte de sept cents
navires parait sous les murs de Paris
Voyant leur ténacité, les hommes de Sigfriđr leur proposent de
se rendre. Les héros, épuisés, pensent pouvoir sauver leur vie et
être rachetés pour une forte rançon. Ils jettent leurs armes pour
se soumettre. Alors, les Danois les abattent cruellement. Puis ils
dépouillent les corps de leurs armes et bijoux avant de les jeter
dans la Seine. Pour finir, ils achèvent de détruire la tour.
De nouveau, une partie des Vikings part piller les régions
alentour, situées entre la Seine et la Loire. Le 16 février, ils
attaquent Chartres, mais le comte de la ville les repousse,
tuant nombre d’entre eux. Ils échouent également devant Le
Mans, mais parviennent à prendre et piller Evreux.
La situation dans la ville de Paris commence cependant à se
dégrader. Il faut imaginer, même si le blocus de la ville n’est
pas total, que les vivres commencent à manquer et que la
promiscuité favorise les maladies. L’évêque se décide alors
à demander de l’aide. Mais, l’empereur Charles est en Italie.
Hugues l’Abbé, alité, est mourant. Il s’adresse alors au comte
Henri de Saxe, comte du pays de Fulda, ayant reçu de Charles
le Gros, un commandement contre les Vikings.
En 882, ce comte conduit l’avant-garde de l’armée que l’empereur Charles le Gros lève contre les Vikings d’Elsloo. Puis, il
continue de lutter contre les Vikings établis dans la vallée du
Rhin. En 883, il défait l’une de leurs troupes près de Prum et,
en 884, ils les empêchent d’envahir la Saxe.
Henri de Saxe et ses troupes paraissent devant les murs de
Paris début mars. Il amène du ravitaillement pour la ville,
sans doute aussi des renforts. Le comte demeure jusqu’à début
avril, sans mener d’actions d’éclat, si ce n’est l’attaque, une
nuit, du camp des Danois, où les prenant par surprise, il parvient à en tuer un grand nombre et à voler bœufs et chevaux.
Henri parti, Sigfriđr fait traverser la Seine à ses hommes.
Abandonnant leur camp de Saint-Germain l’Auxerrois, ils
vont occuper le terrain de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés.
Des négociations s’ouvrent alors entre les Francs et les assiégeants. Après d’âpres discussions, Eudes et Gauzlin versent
finalement la somme de soixante livres d’argent à Sigfriđr en
échange de son départ. Cependant, cet accord ne remporte pas
l’adhésion des guerriers du chef danois. Une partie d’entre eux se
ruent alors sur la ville pour l’attaquer, mais une vigoureuse sortie
des Francs les repousse dans la Seine et plusieurs des ennemis se
noient. Sigfriđr s’éloigne alors, entraînant donc avec lui une part
seulement de ses hommes. Il fait voile vers Bayeux qu’il assiège.
Les notaires (notarii), clercs issus de
la chapelle, sont des scribes chargés de
l’établissement des actes écrits, rédigés
en latin. Ils travaillent sous les ordres du
chancelier (cancellarius), seul habilité à apposer
sur les diplômes, les signes de validation ou
« recognitio ». Cependant, les écritures restent
très restreintes, car la tradition orale demeure
très forte dans un monde où la plupart des laïcs
ne savent ni lire ni écrire.
Malgré ce départ, la position de la ville ne s’améliore pas. Les
Danois, qui demeurent encore en grand nombre, attaquent
quotidiennement et chaque escarmouche amène sa poignée
de tués. De surcroît, le 16 avril 886, l’évêque Gauzlin, malade,
décède. Le 12 mai, c’est Hugues l’abbé qui meurt à Orléans.
Eudes se retrouve soudain bien isolé. L’empereur est toujours en Italie. Le comte décide alors de quitter clandestinement la ville afin d’aller lui-même mander du secours,
auprès des seigneurs de Francie Occidentale, sans doute les
comtes et vicomtes des territoires autrefois sous l’autorité de
son père et la parentèle de sa femme. Il laisse la garde de la
cité à l’abbé èbles.
Un mois passe, durant lequel l’abbé repousse vaillamment
plusieurs attaques de Vikings qui harcèlent maintenant directement les remparts de l’île. À la faveur de la nuit, des habitants de la ville, vêtus à la mode des Danois, se glissent à l’extérieur et assaillent les Vikings, gardiens des troupeaux paissant sur la rive droite, pour leur voler des bêtes.
Abbon décrit Paris au IXe siècle
« Établie sur le milieu du cours de la Seine et au centre
du riche royaume des Francs, tu t’es proclamée toi-même
la grande ville, en disant : “ Je suis la cité qui, comme une
reine, brille au-dessus de toutes les autres. ” Tu frappes
en effet les regards par un port plus beau qu’aucun autre.
Quiconque porte un œil d’envie sur les richesses des Francs
te redoute, une île charmante te possède ; le fleuve entoure
tes murailles, il t’enveloppe de ses deux bras, et ses douces
ondes coulent sous les ponts qui te terminent à droite et à
gauche ; des deux côtés de ces ponts, et au-delà du fleuve,
des tours protectrices te gardent. »
Abbon, « Bella Parisiacæ urbis »,
traduction Philippe Remacle, http://remacle.org.
Enfin, fin juin, Eudes, accompagné accompagné d’un corps
de troupe menés par le comte de Troyes Aleaume, paraît sur
les hauteurs de Montmartre. L’aube point lorsqu’il paraît ;
casques et boucliers des renforts étincellent dans le soleil levant.
Aussitôt, les Danois traversent la Seine et se portent dans la
plaine pour barrer le passage au comte et interdire l’entrée de la ville. Les Francs chargent et forcent le passage ; les
troupes danoises plient devant la redoutable cavalerie tandis
qu’Aleaume poursuit les ennemis sur plus de deux lieues, nous
dit Abbon, jusqu’à les forcer à repasser le fleuve. Eudes est rentré dans la ville et les habitants l’accueillent avec joie et ferveur.
Revenant d’Italie, l’empereur entend enfin la nécessité de porter ses troupes sur Paris. Sans doute, le comte Henri et d’autres
seigneurs de Francie occidentale ont-ils plaidé la cause
d’Eudes. Un conseil est tenu au mois de juillet, mais c’est seulement fin août, alors qu’il atteint Quierzy, qu’il dépêche Henri
de Saxe en avant-garde.
Histoire et Images Médiévales
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La lacheté de l’empereur renforce encore le prestige
du comte Eudes
Les Vikings, ayant eu connaissance de l’approche de l’armée de l’empereur, creusent, sur la rive droite, de larges fossés qu’ils dissimulent sous la paille et les branchages. Lorqu’Henri approche, il chevauche sans méfiance pour repérer
les positions de l’ennemi. Soudain, le sol cède sous les jambes
de son cheval ! Les Danois, dissimulés alentour, se précipitent
dans le fossé où le guerrier est tombé et le tue. L’escorte du
comte a fui ! Heureusement, une sortie d’une troupe franque
permet non sans difficulté de chasser l’ennemi et de récupérer
le corps qu’il s’apprêtait à dépouiller de ses armes et bijoux.
Henri est inhumé à Soissons, dans la basilique Saint-Médard.
Créés par Charlemagne, les missi dominici
ou envoyés du maître sont chargés par groupe
de deux, souvent un laïc et un ecclésiastique,
d’inspecter l’administration du comte, de veiller
à l’application des capitulaires promulgués
lors de l’assemblée générale, de contrôler les
finances, de réprimer les abus d’autorité.
Enfin l’empereur arrive sous les murs de Paris, mi-septembre
886. Une grande armée l’accompagne, forte de six cents
hommes. Il établit son campement sur la rive gauche, face
au camp des Vikings. Impressionnés par l’importance de ces
troupes franques, les Danois restent tranquilles et engagent
des négociations qu’ils font traîner en longueur. Durant ce
temps, Charles le Gros confirme Eudes dans les honneurs de
son père et lui confie le commandement contre les Vikings à la
place d’Hugues l’Abbé. Ansery, frère du comte de Meaux, est
désigné pour succéder à Gauzlin comme évêque.
Les jours passent, sans combattre. L’hiver approche. Le mauvais temps s’installe. Sigfriđr, après avoir pillé Bayeux, a repris
le chemin de Paris. Début novembre 886, l’empereur, brusquement, cède. Il octroie le passage vers la Bourgogne et promet,
de plus, le versement d’un danegeld de sept cents livres d’argent. Il lève ensuite son armée et part. Sans combat.
Il est difficile d’imaginer ce qu’a pu être la déception des
Francs de Paris ! Avoir résisté si longtemps pour parvenir à
ce dénouement ! L’empereur avait octroyé le passage vers la
Bourgogne, mais pas précisément celui des ponts de la ville.
Les Parisiens bloquent ceux-ci et les Vikings, pour passer
au-delà de la ville, doivent traîner leurs bateaux sur la rive
ou les porter sur leur dos, afin de les remettre à flot en amont.
Le siège est terminé. Les Danois partent hiverner en Bourgogne ; ils s’engagent dans l’Yonne, attaquent Sens sans parvenir cependant à prendre la ville. À Auxerre, le monastère
Saint-Germain est livré aux flammes. Le pays de Nevers est
ravagé ; le monastère de Flavigny tombe entre leurs mains.
Ils reviennent à Paris en mai 887, réclamer la somme promise
par l’empereur Charles, que l’évêque Ansery est allé chercher
auprès de celui-ci. La rançon perçue, ils repartent et, violant
leur promesse de dédaigner le cours de la Marne, s’engagent
sur cette rivière. Les otages laissés dans la ville en gage de
leur parole sont massacrés ; seuls ceux hébergés par l’évêque
Ansery parviennent à s’enfuir.
70
Histoire et Images Médiévales
Jusqu’en 889, ils continuent d’écumer la Neustrie et l’Auxerrois. Troyes est brûlé ; Dijon et Meaux sont assiégés.
Deux fois encore, les Vikings reviennent aux alentours de
Paris, mais Eudes, devenu roi de Francie Occidentale, les
maintient éloignés de la ville, la première fois en ayant recours
aux armes, la seconde fois en versant le danegeld.
La ville est libérée. Cependant, elle est durablement affectée
par ce siège et de nombreux édifices religieux de ses rives resteront longtemps en ruine.
Les conséquences du siège
À l’issue de ce siège où la ville a tenu bon face à ses ennemis,
Eudes, son comte, a acquis un immense prestige. L’évêque
Gauzlin décédé, c’est lui qui a su mener la défense de la ville ;
c’est lui qui est sorti clandestinement chercher du renfort ; c’est
lui qui a su amener Charles le Gros à venir sous les murs de
la ville avec son armée. La lâcheté de l’empereur, qui en deux
mois de face à face avec les Vikings, n’a pas osé mener une seule
bataille et finalement a capitulé à toutes leurs exigences, renforce encore ce prestige. Eudes est l’homme fort du moment
en Francie Occidentale. Sans doute, les Grands du royaume se
souviennent-ils aussi de la vaillance de son père Robert.
L’empereur Charles, malade, subit une trépanation au début
de l’année 887. En novembre 887, lors d’une diète réunie à
Tribur, il est destitué de ses fonctions. Les Grands de Francie
Orientale choisissent pour roi, non pas Bernard le fils naturel
de Charles, mais Arnulf, son neveu, fils illégitime de Carloman. En Francie Occidentale, les Grands attendent le décès de
l’empereur qui survient le 13 janvier 888, pour le remplacer.
Le fils posthume de Louis le Bègue, Charles, n’est encore qu’un
enfant de huit ans. De nouveau, les Grands du royaume de Francie Occidentale jugent l’enfant trop jeune et inapte à résister à la
menace viking, toujours présente. Naturellement, leur choix se
porte sur celui qui a su, plus d’un an, résister à ce farouche ennemi.
Le 29 février 888, Eudes est élu roi de Francie Occidentale et couronné, à Compiègne, par Gautier, archevêque de Sens. n
Joëlle Delacroix a publié en février 2013, aux éditions l’Harmattan, un roman
historique en deux tomes, portant sur le siège de Paris.
Le siège de Paris par les Vikings
t. 1 : Les Vikings sur la Seine - t. 2 : Le choix de Porgils
Retrouvez l’univers de l’auteur sur https://sites.google.com/site/fureurodinn
POUR EN SAVOIR PLUS
Abbon, Le siège de Paris par les Normands, Editions les Belles Lettres
J. Haywood, Atlas des Vikings 789-1100, Collection Atlas/Mémoires, Autrement.
J. Renaud, Les Vikings en France, Editions Ouest-France
P. Velay, De Lutèce à Paris, L’île et les deux rives, Patrimoine au Présent,
CNRS Editions.
E. Favre, Eudes comte de Paris et roi de France, Honoré Champion, Paris
S. Sochon, Alerte, drakkars sur le Seine, éditions Charles Corlet.
Sur internet :
http://remacle.org/bloodwolf/historiens/abbon/paris.htm : site internet de
Philippe Remacle contenant de nombreuses traductions d’ouvrages latins,
grecs et classiques.
http://bookline-03.valenciennes.fr/bib/decouverte/histoire/rithmus.
asp, site internet bibliothèque de Valenciennes, texte et traduction de
« Ludwigslied » (Chant de Louis)