Les échanges - Analyse d`un sujet de dissertation « Le don n`est
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Les échanges - Analyse d`un sujet de dissertation « Le don n`est
1 Les échanges - Analyse d’un sujet de dissertation « Le don n’est-il qu’une forme d’échange parmi d’autres ? » 1) Que présuppose la question posée ? Le sujet présuppose que le don est une forme d’échange, un échange comme les autres, c’est-àdire un échange dont la forme est particulière mais qui ne diffère en rien, sur le fond, des autres formes d’échange. 2) Donner, par définition, n’est-ce pas le contraire d’échanger ? Enumérer les caractéristiques qui distinguent ordinairement le don et l’échange (1ère partie du développement). On oppose spontanément le don et l’échange ou on considère que le don n’est pas un échange ordinaire, un échange parmi d’autres. En effet, l’échange quel qu’il soit est lié à un intérêt, sous sa forme économique notamment, puisqu’il n’y a pas d’échange sans contrepartie, par opposition au don qui est, semble-t-il, désintéressé. Donner, par définition, ce n’est pas échanger. Ainsi donne-t-on de l’argent pour aider une association ; on donne des cadeaux à Noël ou pour un anniversaire, non pas par calcul intéressé, mais pour faire plaisir à autrui et lui manifester notre affection. On donne son sang, son temps et même, dans certaines circonstances, sa vie. Donner, c’est offrir sans espoir de retour, sans attendre de contrepartie. Le don ne demande pas de retour, il n’est pas une relation réciproque, il renvoie à des valeurs morales comme la générosité, la gratuité, le plaisir désintéressé et échappe par là même au rapport marchand. Exemple du don de soi dans l’amour. 3) Quels sont les avantages respectifs du don et de l’échange (l’échange marchand notamment) ? Donner des exemples. Le don lie : ce lien permet d’échapper aux règles de l’échange monétaire et d’instaurer des liens désintéressés, donc des relations humaines autres que marchands. Par exemple, le don est au fondement de l’amour et de l’amitié : entre amis, on ne compte pas, on ne tient pas un registre des dons effectués, des dons reçus. Selon Aristote, la cité repose sur l’amitié – philia -, c’est-à-dire sur l’attachement mutuel des citoyens. Le don, dans cette optique, permet une forme authentique de rapport à autrui. Les liens affectifs, à l’intérieur de la famille, par exemple, interdisent l’échange : les parents ne coptent pas les heures de nuit passées à donner le biberon, ils donnent sans compter. Le don est, très souvent, un don sans contre-don. Si je consacre mes efforts à assister un parent malade, je m’attends, certes, à ce qu’il en fasse autant pour moi si je suis à mon tour souffrant, mais je souhaite n’être pas malade et donc n’avoir pas à recevoir la contrepartie de mon don gracieux. De même la solidarité des syndicalistes, par exemple, ne se monnaye pas. On offre des cadeaux au collègue qui part à la retraite. Le mutualisme consiste à 2 verser dans la caisse commune une somme d’argent dont on n’espère ‘avoir pas besoin d’en recevoir la contrepartie. En même temps, ce lien que crée le don nous rend dépendant d’autrui ; on échange des cadeaux et la chaîne est sans fin. Quand je reçois un cadeau de celui à qui j’ai fait un cadeau pour compenser le cadeau reçu, nous ne sommes pas quittes. Il en va ainsi des invitations. Inversement, si l’échange est toujours en quelque façon intéressé en ce sens qu’il repose sur un calcul d’intérêt (donnant-donnant) qui vise à maximiser le gain et à minimiser la perte, si l’échange monétaire, marchand en particulier, tend à pervertir, dénaturer, corrompre les rapports entre les hommes, l’échange marchand délie là où le don lie : quand j’ai payé mon dû, je suis libéré de ma dette (exemple du prisonnier qui a payé sa dette à la société ou de celui qui rembourse la dette qu’il a contractée). C’est l’intérêt de l’argent qui n’est pas toujours mauvais : l’argent nous libère des liens personnels, il intervient comme un tiers. Au total, l’échange monétaire constitue les individus comme autant d’atomes sociaux, menant des existences séparées, tandis que le don établit des alliances, fait de chacun le membre d’une totalité. 4) Tout peut-il, doit-il s’échanger ? Qu’est-ce qui, au juste, n’a pas de prix ? La vie sociale serait impossible si les membres de la société ne partageaient pas de très nombreux biens qui échappent aux lois de l’échange. On ne peut vendre que ce dont on est propriétaire. Or on n’est pas propriétaire du savoir, de la culture, du sous-sol (on peut être propriétaire du sol mais pas du soussol), de l’espace public, de l’Etat et de ses biens, du royaume pour un roi, etc. Cf. cours. 5) Si tout semble opposer le don et l’échange, le don n’obéit-il pas à la même logique que celle de l’échange ? Recenser au moins deux raisons qui peuvent nous faire douter du caractère désintéressé du don (2e partie du développement). Mais le don, pour souhaitable qu’il soit, est-il vraiment possible ? Le don n’obéit-il pas, malgré ses apparences, à la même logique que celle de l’échange ? Le don n’est-il pas idéalisé ? Deux raisons au moins peuvent nous faire douter de ce que le don ne serait pas une forme d’échange parmi d’autres. Première raison : un acte véritablement désintéressé est-il possible ? N’agit-on pas toujours par intérêt ? Ne donne-t-on pas, en réalité, dans l’espoir, fût-il inconscient, recevoir en retour ? On donne pour se faire plaisir, pour avoir bonne réputation, pour se donner bonne conscience, voire pour dominer autrui. Deuxième raison : le don n’échappe pas à la logique marchande et à celle de la consommation. Les cadeaux que l’on fait à Noël, par exemple, entrent dans une logique marchande, entretenue par la publicité et la pression sociale. 3 Troisième raison, plus essentielle encore : la tradition, les coutumes, la fierté nous obligent à rendre lorsqu’on nous a donné. Le don appelle nécessairement un contre-don. Ainsi dans les sociétés primitives le don est-il un échange contraint. Étudiant les tribus du nord-ouest de l’Amérique du nord, Marcel Mauss, dans son Essai sur le don, met en évidence la pratique du “potlatch” qui consiste à offrir des biens à un rival afin de le défier ou de l’humilier; le donateur doit, sous peine de perdre tout son prestige, pratiquer un contre don équivalent (présents, banquets, etc.). Le potlatch est un type de prestations sociales dans lesquelles s’affrontent sous forme de fêtes les chefs de clans rivaux. Cette pratique est organisée en un système de rivalité : il s’agit de surenchérir sur les dons de l’autre, ce qui implique ce que Mauss appelle l’ “allure agonistique” (le combat) de cette prestation. Au lieu de se battre à coups de flèches, on se bat à coups de cadeaux. Le don s'inscrit dans une sorte de compétition qui va au-delà des biens et objets offerts. La fin recherchée consiste à renforcer l'autorité et le prestige de celui qui donne (groupe, chef, individu), en lui permettant d'exercer sa domination sur les autres. Lorsqu'il n'y a pas de réciprocité égale, le don crée, du coup, un rapport de domination et de dépendance. Marcel Mauss note le caractère paradoxal du don: il est par définition volontaire et, de ce fait, gratuit. Cependant, toutes les sociétés font obligation aux individus de pratiquer l'échange. Le don est à la fois volontaire et obligatoire. Il possède l'une des caractéristiques du fait social tel que le définissait Durkheim : il s’impose à l’individu, il est contraignant. 6) S’il faut se méfier de la pureté apparente des dons, faut-il pour autant renoncer à l’idéal du don ? A quelles conditions le don peut-il être ou rester un véritable don ? (3e partie du développement) Il faut certes se méfier d’une trop grande naïveté concernant le don, mais l’idéal du don n’en demeure pas moins légitime. Le don reste une valeur quand bien même il est difficile. Certes, le don n’est jamais tout à fait désintéressé et pur, s’il peut même étouffer, voire emprisonner autrui (quand on donne démesurément à l’autre sans se soucier de sa capacité à accepter le don qui lui est fait, lorsqu’on attend et exige trop de lui, et qu’on l’enferme dans son désir). Je peux tenter de donner avec précaution en essayant de ne pas blesser ou humilier l’autre. 7) Les hommes, au final, n’agissent-ils que par intérêt ? Sont-ils capables d’actions véritablement désintéressées ? Vous vous appuierez, pour répondre à cette question, sur le texte de Sénèque ci-dessous. Nos intuitions morales communes privilégient ce qui est désintéressé par rapport à ce qui est intéressé. Ce que je fais par pur devoir vaut mieux que ce que je fais en exigeant mes droits. Jankélévitch définit ainsi la morale : l’autre a tous les droits, je n’ai que des devoirs. L’amour vaut ainsi mieux que l’argent, une union amoureuse vaut mieux qu’un mariage économique ou arrangé en vue de l’intérêt mutuel. Le dévouement absolu, sans espoir de retour, est sublime. Mais le désintéressement est-il vraiment possible ? Un acte est désintéressé lorsqu’il ne poursuit aucun but égoïste ou lorsque l’égoïsme 4 ne suffit pas à l’expliquer. Agir de façon désintéressée, c’est agir sans l’espoir d’une récompense ou sans la crainte d’un châtiment, ni même pour le simple plaisir d’avoir bien agi. Or si on l’on peut jouir du bien qu’on fait à l’autre, cela ne prouve pas qu’on le fait pour en jouir. Et même si cela est, mieux vaut cette jouissance-là que celle du salaud, qui ne sait jouir que du mal ou de son propre bien. Il n’y a aucun mal, de point de vue, à se faire plaisir en faisant plaisir, à se faire du bien en faisant du bien ou le bien… Texte de Sénèque. « Si c’est l’intérêt et un vil calcul qui me rendent généreux, si je ne suis jamais serviable que pour obtenir en échange un service, je ne ferai pas de bien à celui qui part pour des pays situés sous d’autres cieux, éloignés du mien, qui s’absente pour toujours ; je ne donnerai pas à celui dont la santé est compromise au point qu’il ne lui reste aucun espoir de guérison ; je ne donnerai pas, si moi-même je sens décliner mes forces, car je n’ai plus le temps de rentrer dans mes avances. Et pourtant (ceci pour te prouver que la bienfaisance est une pratique désirable en soi) l’étranger qui tout à l’heure s’en est venu atterrir dans notre port et qui doit tout de suite repartir reçoit notre assistance ; à l’inconnu qui a fait naufrage nous donnons, pour qu’il soit rapatrié, un navire tout équipé. Il part, connaissant à peine l’auteur de son salut ; comme il ne doit jamais plus revenir à portée de nos regards il transfère sa dette aux dieux mêmes et il leur demande dans sa prière de reconnaître à sa place notre bienfait ; en attendant nous trouvons du charme au sentiment d’avoir fait un peu de bien dont nous ne recueillerons pas le fruit. Et lorsque nous sommes arrivés au terme de la vie, que nous réglons nos dispositions testamentaires, n’est-il pas vrai que nous répartissons des bienfaits dont il ne nous reviendra aucun profit ? Combien d’heures l’on y passe ! Que de temps on discute, seul avec soi-même, pour savoir combien donner et à qui ! Qu’importe, en vérité, de savoir à qui l’on veut donner puisqu’il ne nous en reviendra rien en aucun cas ? Pourtant, jamais nous ne donnons plus méticuleusement ; jamais nos choix ne sont soumis à un contrôle plus rigoureux qu’à l’heure où, l’intérêt n’existant plus, seule l’idée du bien se dresse devant notre regard. » Sénèque, Les Bienfaits (61-63), traduction, 1914. Sénèque se demande, dans ce texte, le don n’est qu’une forme d’échange intéressé. Qu’est-ce qui peut bien amener à être généreux et à donner sans espoir de retour ? Est-ce finalement toujours l’intérêt qui prime et en ce sens le don ne serait-il qu’un échange déguisé ? À la question de savoir si la générosité peut être désintéressée, le stoïcien Sénèque répond, dans cet extrait de l’ouvrage Les Bienfaits, que si l’on peut tirer une satisfaction à faire le Bien, l’intérêt reste secondaire par rapport à ce que pourrai être un « vil calcul » ; en ce sens la morale elle-même peut être désintéressée. Pour établir sa démonstration, Sénèque commence par un raisonnement par l’absurde qui rend intenable toute position utilitariste. Il nuance ensuite son propos expliquant que s’il existe un plaisir à être généreux, cela ne fait pas du don une activité systématiquement intéressée. Enfin, il conclut en illustrant sa thèse avec l’action du mourant qui fait son testament et qui, de toute évidence, ne peut en tirer de bénéfice. 1. L’hypothèse d’une générosité par calcul est intenable A. L’hypothèse utilitariste 5 L’utilitarisme fait de l’utilité le critère principale de l’action morale : une action ne serait bonne que dans la mesure où elle s’associe à un avantage personnel. La philosophie épicurienne à laquelle s’oppose Sénèque dans ce texte prétend concilier vertu et plaisir, c’est un hédonisme : la générosité doit et peut exister pour le propre plaisir de celui qui la pratique. B. Réfutation Elle s’oppose ainsi au « vil calcul » d’une action faite par intérêt que dénonce ici Sénèque. En effet, être généreux pour se procurer égoïstement des avantages est une contradiction. Sénèque va donc faire une démonstration par l’absurde : si la générosité était une manière déguisée de répondre à ses intérêts alors il ne pourrait exister de don au voyageur qui s’en va définitivement, ou de don au mourant que je ne peux plus revoir non plus et qui, de la même manière, ne pourrait me rendre de services en échange intéressé. Réciproquement, si je suis moi-même mourant, je ne pourrais bénéficier d’un quelconque avantage en retour. Dans ces situations où l’action ne peut se prolonger dans le temps, il n’est pas possible qu’elles fassent l’objet de calcul à long terme. Il y a donc des cas de dons qui, audelà de la question de leur intention, ne peuvent de fait constituer un échange. Ainsi, face à la thèse cynique qui fait de tout don généreux un calcul égoïste déguisé, Sénèque oppose des situations de don qui ne peuvent, dans leur nature même, attendre un quelconque avantage en retour. Ne peut-on pas alors objecter que le plaisir de faire le bien est déjà une forme de calcul intéressé, comme par exemple « la bonne conscience » ? 2. Pourtant, la bienfaisance procure une forme de satisfaction A. La thèse d’une morale intentionnelle La question de Sénèque, qui est en réalité la question des fondements de la morale, porte sur la possibilité de faire le bien pour soi-même. La « bienfaisance » peut-elle être « désirable en soi », et non un moyen en vue d’une autre fin ? Sénèque pose ici les présupposés d’une morale intentionnelle telle qu’on peut la retrouver chez Kant. L’action vertueuse peut et doit être une fin en soi ; à ce titre elle repose sur une intention pure, c’est-à-dire sans faire l’objet d’un calcul intéressé. B. Des faits prouvant la possibilité de cette thèse Cependant, il est clair que psychologiquement on peut, lorsqu’on est généreux, espérer quelque chose. Mais cet espoir ne peut se confondre avec un calcul d’intérêt car il s’agit d’une satisfaction symbolique ou spirituelle (qui ne serait donc pas « vile » mais noble) comme la reconnaissance divine, la prière de la victime, la reconnaissance de la personne secourue ou tout simplement le plaisir d’aider autrui. En ce sens, la générosité comme l’hospitalité ne seraient pas totalement gratuites, mais ces motifs secondaires n’altèrent pas la valeur de l’action vertueuse car le bénéfice n’est pas d’ordre matériel donc quantifiable et calculable. Le plaisir intellectuel ne serait pas « vil » 6 comme le plaisir sensible, mais un plaisir conforme aux exigences de la raison. Nous pouvons nous retrouver sous le « charme » d’une action vertueuse dont justement on ne recueille pas le « fruit », c’est-à-dire l’intérêt personnel calculé. Le charme est un sentiment d’attirance pour quelque chose qui justement ne répond pas aux canons de la beauté apparente et facilement identifiable. Ce vocabulaire n’est pas sans faire penser au charme de Socrate dont beaucoup tombaient amoureux malgré sa laideur physique. Ainsi, on peut agir selon une intention purement morale car elle tire de son action une satisfaction spirituelle et non pas vénale. Le don, s’il n’est pas un échange matériel déguisé, est-il cependant un échange d’un autre ordre, un échange symbolique ? 3. On peut faire le bien par plaisir de la raison A. La question du don et l’exemple paradigmatique du testament Si le don n’est pas un vil calcul déguisé, mais implique tout de même une forme de reconnaissance symbolique ou spirituelle, alors, en ce sens, il serait une forme d’échange. Telle est la thèse de l’ethnologue Marcel Mauss. Celui-ci s’appuie sur l’analyse du « potlach », pratique communautaire des Indiens d’Alaska. Il montre que les liens sociaux se tissent sur une construction culturelle, qui n’obéit pas seulement à des contraintes économiques du vivreensemble, mais reposent sur des convictions collectives traditionnelles plus ou moins sacrées. Ainsi, les objets auraient une sorte de puissance magique et, de ce fait, chaque fois qu’on accepte le don d’un objet, il faut donner quelque chose en échange. À cette idée que le don serait toujours une forme d’échange (même s’il n’est pas marchand), on peut opposer l’exemple paradigmatique que nous propose ici Sénèque : celui qui fait son testament ne peut de toute évidence rien recevoir en retour, puisqu’il ne sera plus de ce monde et, par conséquent, n’aura même pas la satisfaction d’avoir fait plaisir par sa générosité. B. L’amour du Bien Qu’est-ce qui motive alors les scrupules et le temps que passe le rédacteur du testament ? Il semblerait que celui qui s’apprête à donner ces richesses soit gouverné par le souci d’opérer un juste partage de ce qui lui appartient entre ses héritiers, autrement dit par l’idée morale de justice. Dès lors la démonstration est faite que, non seulement il peut y avoir des cas de générosité désintéressée mais qu’en plus, seule l’action désintéressée peut être véritablement morale. La vertu ne peut être subordonnée au plaisir sensible et immédiat. En ce sens, le don reste une fin en soi. Et même s’il s’accompagne du plaisir intellectuel de faire le Bien, il reste désirable pour lui-même, une fin en soi (et non un bien conditionné par un autre comme dans l’intérêt ou le plaisir sensible). Conclusion Il est finalement plus facile de déterminer pourquoi on fait le mal : on y trouve une satisfaction personnelle que l’on fait passer avant celui des autres. La difficulté se pose lorsqu’on 7 analyse les motivations de celui qui fait le bien. Si derrière chaque don se cachait en réalité un vil calcul intéressé alors on ne donnerait plus jamais rien à ceux qui s’en vont, ou plus simplement aux mourants. Or, les contre-exemples ne manquent pas. Mais Sénèque se doute bien que si l’on ne cherche par toujours de manière vénale à tirer profit de ce que l’on fait, on est cependant dans un état d’attente de reconnaissance symbolique. On peut espérer plaire à Dieu si l’on est croyant, ou plus immédiatement attendre d’être remercié. N’est-ce pas alors une forme d’intérêt que l’on recherche, faisant du don encore une forme d’échange ? C’est avec l’analyse de la rédaction d’un testament qu’apparaît le mieux le caractère inconditionné de la vertu véritable. Puisque lorsque l’on donne tout ce que l’on possède à ses héritiers, on ne peut rien attendre en retour, c’est que la générosité n’est guidée que par l’Idée du Bien. Et si ce sentiment de rendre justice peut procurer une forme de plaisir à anticiper, cela reste attaché à l’exercice de la vertu. En ce sens, l’homme vertueux est bien l’homme de valeur dont la préoccupation principale est le Bien et non l’intérêt personnel. Contre tout cynisme, Sénèque présente donc une vision optimiste de l’homme qui peut être véritablement bon. 8) Il y a au moins deux réponses possibles et opposées à la question posée. Lesquelles ? Formuler clairement, sous la forme d’une alternative (« ou »), le problème que pose l’intitulé du sujet ? D’un côté, le don n’est pas une forme d’échange parmi d’autres, puisque donner, par définition, c’est offrir sans attendre une quelconque contrepartie : le don est unilatéral, inconditionnel, alors que l’échange présuppose la réciprocité. Le don est donc tout le contraire d’un échange. D’un autre côté, un don quel qu’il soit cache toujours un échange et une contrainte, en sorte que le don obéit à la même logique que l’échange. Le don ne serait donc qu’une forme d’échange parmi d’autres. Le problème est donc le suivant : le don authentique, désintéressé, gratuit est-il possible ou bien n’est-il pas, comme l’échange, intéressé, égoïste, en attente de réciprocité ?