lire l`analyse au format pdf

Transcription

lire l`analyse au format pdf
Le rap francophone est-il
encore un moyen de
contestation ?
Action et Recherche Culturelles
Analyse
2013
Le
rap francophone est-il encore un moyen de
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
contestation ?
Si le rap semble aujourd’hui être devenu une composante incontournable
du paysage musical, il reste cependant pour beaucoup une musique «
dépouillée, décharnée, sans fioritures ni chichis, taillé pour l'efficacité »,
selon le critique musical Reynolds Simonvoire, carrément, une musique
violente, clichée, pleurnicharde et nombriliste. Pourtant, en parallèle à ces
perceptions négatives, de nombreux commentateurs musicaux ou
sociologues se sont accordés à dire que le rap, dans son discours, détenait
une forte composante sociale et dénonçait de nombreuses injustices. Qu’en
est-il actuellement? Cette analyse se propose d’interroger l’actualité de la
composante contestataire du rap francophone aujourd’hui.
Introduction
La musique rap est originaire de la culture Hip-Hop. Alors que le Hip signifierait en
argot américain « intelligence, débrouillardise », le Hop imite le bruit d'un bond. Le
terme « Hip-Hop », qu’on peut entendre comme « intelligence qui bouge », rassemble
une série de disciplines qui visent à « utiliser l’énergie de la jeunesse abandonnée afin
d’en sortir quelque chose de positif » et à « se dépenser d’une manière inédite1 » . Au
travers du tag (pour les arts plastiques), du break-dance (pour la danse), du scratch2,
du beat-box ou du rap (pour la musique), les jeunes ont l’occasion de se défouler et de
s’exprimer. Ainsi, si le terme « Hip-Hop » est apparu dans les blocks party du Bronx
des années 1970, cette culture visait à créer une forme d’état d’esprit positif, de
réponse à l’enfer des ghettos américains3.
En 1984, c’est l’émission télévisée intitulée « HIP HOP » et animée par Sidney, qui fait
connaître le rap en France. « La jeunesse française issue de l’immigration, voit un
changement se profiler. Pour la première fois, jeunes de tous horizons, Noirs et Arabes
notamment, sont réellement visibles à l’écran. La jeunesse des banlieues n’est plus stigmatisée
mais mise en avant, avec son vécu, ses expériences, son talent et ses aspirations 4».
Au même moment, en Belgique, le rap apparaît avec le rappeur Benny B. A l’époque, le
rap, c’est des jeunes en salopettes et en casquette qui dansent dans la rue, qui
« scratchent » et font parfois du graffiti. Aujourd’hui, c’est Scylla avec son « BX Vibes »
1Seif
2
Eddine Yahia, Hip Hop : Une révolution enfin reconnue ?, Le Laboratoire,ThinkThankDifferent, Juin 2012, p2.
Scratch : Technique qui consiste à arrêter le disque avec les doigts sur un son, le ralentir et l'accélérer,
puis recomposer des sons à l'aide de la table de mixage.
3Seif
Eddine Yahia, Hip Hop : Une révolution enfin reconnue ?, Le Laboratoire,ThinkThankDifferent, Juin 2012, p2.
p4.
4Idem,
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
1
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
qui anime la scène bruxelloise avec une fierté régionale, des codes 5 et un argot dont
son « non peut-être» est un témoignage.
Entre les deux, le rap s’est diversifié et est devenu multiple et parfois violent : rap «
oldschool », rap plus « street » ou plus « blingbling », rap festif, rap rocailleux, rap
« conscient » (ou « politique »), rap électro. Il y en a pour tous les goûts et les raisons
d’écouter du rap, sont, elles aussi, plurielles. « Il y a en a qui écoutent du rap pour le
message, d’autres parce que ça cogne, d’autres ont envie de profondeur 6 ».
Si les années 90 furent la grande époque du groupe de rap liégeois Starflam, les années
2000 virent arriver Akro et OPAQ. Aujourd’hui, les principaux acteurs de la scène
belge sont James Deano, Scylla, La Smala, Masta pi, le groupe Da Puta Madre… Et dans
cette nuée de rappeurs, de nombreuses distinctions s’opèrent, l’air de rien. Il y a les
« MC » (Mic Controller ou Maître de Cérémonie) qui rappent en live et qui auraient
des combats plus sociaux7 que ceux qui enregistreraient des CD, il y a des « blancsbecs » francophones qui seraient moins de la « rue » que les rappeurs maghrébins aux
paroles plus féroces et dénudées (comme Ben Label, B-LEL, Redouane la
déglingue…)…
Rap et slam
Le rap est resté jusqu’à aujourd’hui un art qui se développe essentiellement en ville.
Culturellement, il est très proche des marginaux, des immigrés, des banlieusards et des
contestataires de l’ordre établi. Le slam ratisse plus large. Le slameur scande parfois
son texte sans musique et nous offre de véritables poèmes là où le rap est plus
réaliste, sur une instrumentale aux caisses rythmées.
Les slameurs nous font voyager dans leurs rêves, dans des contes à mille lieues d’ici ou
bien jouent juste avec les mots. On retrouve dans les grandes villes des ateliers slam
qui réunissent autant de jeunes que de sexagénaires passionnés de slam. Véritable
creusets intergénérationnels et interculturels, les ateliers écritures slam sont la preuve
que la culture et la poésie rapprochent encore à l’heure de l’I-phone 5S et de la PS4.
5
De manière un peu caricaturale, l’univers du rap peut être caractérisé par le port de la veste en cuir,
de la casquette et un certain culte de la chaussure de sport. Dans les morceaux, il est souvent question
d’armes, de prison et de drogues.
6
Scylla, « Yo ? Non, peut-être ! », un documentaire réalisé par Martinmédias, Bruxelles, (2011 - 26’).
Scylla, « Yo ? Non, peut-être ! », un documentaire réalisé par Martinmédias, Bruxelles, (2011 - 26’).
7
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
2
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
Textes et musiques
La construction d’un texte de rap et de ses rimes est très variable. Une phrase peut
être écrite en 16 pieds8. Les rimes peuvent être aussi bien externes qu’internes,
l’important est d’avoir une punchline9 qui claque !
Le rap a l’avantage, par rapport à la chanson, de pouvoir être écrit de manière quasi
automatique, même s’il faut corriger certaine rimes creuses, ajuster les éléments de
liaison, éliminer les phrases qui riment mais qui ne veulent rien dire et tailler les mots
qui rendent les textes touffus pour ne garder que l’essentiel. Ne croyez pas pour
autant que le rap « est aussi simple que ça » (contrairement à ce que dit la chanson du
rappeur belge Caballero). Cependant il est clairement accessible à tous car il ne
demande pas de formation musicale particulière. Il existe des ateliers d’écriture
partout en France et à Bruxelles, où filles et garçons de toutes générations peaufinent
leurs textes et s’essayent à les rapper ou les slamer10.
Rapper demande de trouver son propre ton de voix et une diction caractéristique
(certains rappeurs prennent un accent quand ils rappent), mais le plus difficile est
trouver son « flow », autrement dit le rythme avec lequel on va poser les rimes sur la
musique qui impose elle-même une mesure particulière11.
Les rappeurs sont souvent accompagnés d’un DJ qui crée les « prod », les
instrumentales sur lesquelles les rappeurs vont s’exprimer. Les DJ les plus connus sont
généralement ceux associés à un groupe de rap auquel ils ont apporté leur univers. Le
groupe Iam ne peut se séparer de DJ Kéops, à l’époque DJ Djel a boosté les textes de
la « FonkyFamily », les fans de « Sniper » les ont suivis jusqu’à la sortie du groupe de
DJ Boudj. Chaque DJ a une patte particulière qui marque un groupe ou un artiste.
Aujourd’hui, sur un album de rap, il peut y avoir autant de DJ que de pistes. Les DJ
sont associés aux maisons de disques à qui ils envoient quelques sons. C’est ainsi que,
par exemple, Stromae a composé des instrumentaux pour Kery James sans que les
deux artistes ne se soient jamais rencontrés. Néanmoins, certains rappeurs sont
fréquemment accompagnés d’un orchestre, comme Baloji, HocusPocus, MAP, ou
encore La Canaille.
8
Dans le rap, on parle souvent de 16 : « un 16 bien carré » « j’taf mes 16… ».
9
Pour Rap Genius France (Lexique du rap français) : Une punchline c'est littéralement une « phrase coup de poing »,
le genre de phrase bien formulée qui laisse sans voix, souvent de belles métaphores, ou des jeux de mots grinçants.
10
Technique d’expression qui a connu un essor foudroyant depuis quelques années dans toute la Francophonie. Les
scènes slam se multiplient et accueillent de plus en plus de monde à Paris, Lyon, Bruxelles, Montréal, Lausanne,
ainsi que dans de nombreuses villes plus petites. Le slam réunit des personnes de tous les horizons et de tous les
milieux sociaux et chacun, chacune, selon son envie, peut monter sur scène pour dire un texte au public. La
personne qui dit son texte se retrouve sans musique, sans décor. Seul la valeur du texte et de l’interprétation à de la
valeur. Le slam a donné un véritable coup de fouet à l’art de la poésie orale. Pour en savoir plus :
http://www.slaam.ch, http://www.slaam.ch.
11
Pour Rap Genius France (Lexique du rap français) : « Le flow est le terme servant à définir la façon dont un
rappeur pose les syllabes par rapport au rythme. À ne pas confondre avec le débit, souvent, les gens confondent la
rapidité et le flow. Bien que ce flow ne soit pas quantifiable, en réalité, dire qu'Eminem a plus de flow que Nas ne
veut rien dire, on utilise tout de même ce mot comme si on pouvait le compter « J'ai trop de flow ».
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
3
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
De manière générale, la mélodie du rap est conçue sur la répétition (un « sample 12»).
Il s’agit d’un beat (une instrumentale) qui ne dure parfois que quelques seconde,
arrangé dans la plupart des cas pour un refrain et repris durant toute la chanson en
boucle. Un beat peut être tellement bien pensé qu’on ne remarque pas qu’il ne dure
que cinq secondes, comme c’est le cas pour le titre de 9 minutes « Demain c’est loin »
de Iam.
Les Thèmes
Le cœur du rap se trouve dans les textes, le message, le contenu ou tout simplement
les allusions présentes dans les textes.
Pourtant, les auditeurs qui écoutent la radio n’auront pas l’impression d’écouter du rap
avec du contenu. Nous ne pouvons pas leur donner tort. Il s’est développé, depuis le
début des années 2000, une vague de rap commercial, misogyne, égocentrique,
narcissique, vantant les mérites de l’argent, du sexe, de la prison. Cette vague est
largement individualiste. Elle a tendance à amplifier un climat de conflits en jouant sur
la compétition et une estime de soi fondée parla simple accumulation de possessions
matérielles.
Dans les années 90, pour beaucoup13, les rappeurs étaient des porte-parole des
banlieues. Ils se battaient bien souvent contre les stéréotypes, la ghettoïsation, le
racisme et l’extrême droite et pour la redistribution des richesses. Aujourd’hui, les
rappeurs qui vendent le plus d’albums (Booba, Maître Gims, Rohff ou Kaaris) sont
malheureusement loin de cette vague militante et plus proche souvent de l’abyssale
vulgarité. Les instrumentales se ressemblent toutes : du bruit abrutissant aux basses
lourdes, inspirées du rap américain. Les titres n’ont plus de thème mais regorgent de
nouvelles formules pour dire la même chose (« Je suis le meilleur, tu n’arrives pas à ma
hauteur») sans compter que les clips vidéos, tournés comme des publicités, ajoutent
une dose de cette testostérone et de cette misogynie qui ne manquent déjà pas dans le
titre.
Même s’ils se donnent des allures d’enfants terribles, ces rappeurs n’ont plus rien de
contestataire. Ils se font les ennemis du milieu et des valeurs Hip-Hop. Il y a 10 ans par
contre, le rap était écouté par une jeunesse rebelle conscientisée par sa propre
condition. Le pouvoir politique surveillait, alors, les moindres paroles de ces artistes
qui dérangeaient et leur collait, s’il le fallait, un procès sur le dos au moindre écart.
C’est ainsi que le groupe Le Ministère AMER dû se séparer. Après avoir perdu un
procès suite à son titre « Sacrifice de Poulet », il ne put reprendre ses activités. Le
Ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy avait, en 2005, porté plainte contre Sniper pour
12
Pour Rap Genius France (Lexique du rap français) : Échantillon sonore emprunté à une bande sonore pour
former le beat. Le procédé est le sampling et la machine est le sampler.
13
Excluons au moins de cette tendance Menelik et Yannik (cf. la chanson « Ces soirées-là »)…
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
4
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
la phrase « La France est une garce » dans le titre « La France ». NTM ou encore La
Rumeur ont dû également répondre de leurs textes dans plusieurs procès.
Le Rap Game et la récupération
Il est indéniable que le rap oldschool (1988-1999) se distingue très fortement de la new
school (1999-2004), qui elle-même ne correspond pas au rap commercial d’aujourd’hui
(2004-2013). Le rap a en effet suivi le mouvement qui tend à faire de la culture
homogénéisée et commerciale14. Il a été récupéré par de grosses firmes de disques et
des labels cherchant les profits. La radio française Skyrock15 n’est pas indépendante de
ce mouvement au sein du rap. Elle collabore effectivement avec des grosses firmes de
disques pour produire et diffuser des rappeurs devenus des produits commerciaux.
Skyrock, dont le solgan est «nous sommes les premiers sur le rap », s’est mise à dos
toute une série de rappeurs qui n’ont pas voulu se conformer à la machine16.
Dans ce cadre, certains rappeurs ont délibérément décidé de pouvoir en retirer tout
ce qu’ils pouvaient. Un artiste comme Booba n’est pas dupe. Booba s’est fait connaître
avec le groupe « Lunatic », un des groupes phares de fin des années 90. Ils ont
véritablement fondé la nouvelle génération de rappeurs, sombres, orgueilleux mais à la
musique bien « foutue ». Malheureusement, Booba, à partir de son deuxième album
solo « Panthéon », est parti dans un egotrip17 duquel il n’est jamais revenu. Il a, par la
même occasion, explosé les ventes d’albums de rap en France. Il gère sa carrière
comme un homme d’affaire et sort ce qui fait vendre. Dans ce contexte, Rohff, « plus
street » représente l’autre versant du rap commercial, puisqu’il reste fidèle à sa
banlieue. Non moins orgueilleux, il déteste Booba et les profils du même acabit et se
bat comme un diable pour être premier dans les classements de ventes d’albums.
Le grand changement
Où sont donc passés les contestataires ? C’est ce que se sont demandé les « anciens »
tels que : Iam (dans leur morceau « rap de droite », 2007), Kery James (« Derniers
Mc », 2012), Sniper (« Trait pour trait », 2006) ou encore Kool Shen (« Rappelle Toi »,
2009) et de manière générale des artistes comme Disiz, Flynt ou encore le groupe clef
14
15
A ce sujet, voire notre analyse « La culture de masse à l’heure des industries culturelles ».
A ce sujet, il est intéressant de découvrir les rappeurs qui se sont succédés dans les compilations de
Skyrock « Planète Rap ».
16C’est
dans ce cadre que Ekoué rappe : « avec les autres trouduc' que les playlists des radios ont transformé en
eunuques. Ce fut écrit noir sur blanc, pédale, reste chez toi au chaud : ne sortez plus sans votre gilet pare-balle !
Plus rancunier qu'une rumeur tu meurs. Combien de mecs se défroquent pour passer sur Skyrock ? » (La Rumeur,
« Nous sommes les premiers sur le… » sur l'album Regain de Tension, 2004).
17 Pour Rap Genius France (Lexique du rap français) : Un texte est dit egotrip s'il a pour but de flatter son propre
ego, de se vanter. Sa forme est souvent plus travaillée que son fond car un texte egotrip est rarement à prendre au
premier degré. Ces textes sont souvent constitués de punchlines.
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
5
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
La Rumeur n’ont pas cessé de dénoncer ce fameux « rap game18 » ces dernières
années.
Lorsqu’on regarde des interviews des groupes comme NTM ou Iam au début des
années 90, les artistes parlaient en « nous » et pouvaient exprimer un message
politique en période d’émeutes dans les banlieues. Aujourd’hui, alors qu’on aurait pu
attendre que l’individualisme promu par le système néolibéral, soit contesté par les
banlieusar, ceux-ci ont l’air au contraire d’avoir été convaincus. Les nouveaux rappeurs
semblent avoir succombé à la société de consommation, si l’on en croit leurs
messages. Ceux-ci relaient trop souvent des désirs de possessions matérielles (voiture,
vêtements, Rolex), voire de femmes (parfaites)19. La société de l’image et le
matérialisme poussés à l’extrême ont envahi le mouvement Hip-Hop. Sans compter
que les mass-médias ont débuté aussi une promotion sournoise de la violence. Comme
le disait très justement Akhenaton du groupe Iam dans une interview accordée au site
d’information huffingtonpost.fr : « L'information se délecte de faits divers violents qui
étaient cantonnés aux colonnes de la sixième page du journal local il y a 30 ans. Et tous les
Français se disent,"mon Dieu, que ce pays est devenu violent !". Violent ? Des aînés me
racontaient l'autre jour comment ils se battaient dans les années 60, à 400 gars contre 400
bougres, ou à l'époque des "blousons noirs", comment le public s'affrontait à coup de chaises
et de barres de fer pendant un concert de... Johnny ! Cela renvoie le grand méchant "gangster
rap" français, si souvent décrié, dans la catégorie "musique pour enfants" »20.
Nous ne pouvons donc pas vraiment en vouloir aux jeunes d’écouter Booba 21. Ils
grandissent dans la même précarité (qu’elle soit économique, sociale ou culturelle) et
sont marginalisés tout autant que dans les années 90. C’est leur manière de s’affirmer
qui a changé.
De quoi ce rap témoigne-t-il ?
Ce qui dérange avec le rap game, c’est l’invitation à l’immoralité et, comme nous le dit
le critique musical Simon Reynold, « le rythme punitif, l’attaque du scratch, abrasive
comme celle d’une machine tueuse » qui fonctionne comme une « métaphore de la
violence »22. Mais cette métaphore n’existe que par rapport à une violence qui est bien
18Pour
Rap Genius France (Lexique du rap français) : Le Rap Game désigne la compétition fictive et interminable
menant au titre de boss du Rap Game. Le but d'un rappeur dans le game est de vendre un max et d'être le maître
de l'égotrip.
19
A ce sujet, voir l’article : « Voitures, salopes, légumes: de quoi parlent le plus les rappeurs? » qui recense
statistiquement les mots les plus répandus dans le rap. Sur : http://www.slate.fr/culture/78544/paroles-rapvoitures-drogue-argent
20
Interview publiée le 13 février 2013 sur http://www.huffingtonpost.fr/akhenaton/mediatisationdelinquance_b_2758556.html
21
Même si il n’y a pas que les jeunes issues des couches sociales défavorisées qui écoutent Booba, bien
sûr.
22
Reynolds Simon, Bring the Noise, 25 ans de rock et de hip-hop, Au diable vauvert, Vauvert, 2013, p.46.
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
6
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
souvent réelle… et qui retrace les difficultés de jeunes qui subissent des fortes
inégalités de conditions et de traitement23.
Le rap, dans ses paroles, dénonce donc bien
souvent la cruauté d’un monde dans lequel
les inégalités vont grandissantes. Les écarts
de richesse sont en effet de plus en plus
grands et, de ce fait, le haut de l’échelle
sociale (qui aurait mieux fait d’être un
escabeau) un horizon de plus en plus
lointain. Les jeunes rappeurs ne sont par
ailleurs par dupes des déterminismes
sociaux dont ils sont héritiers et qui les
freinent dans leur désir d’ascension sociale.
Ils vont même jusqu’à les décrire (Cf.
extrait ci-contre).
« Ils t'ont fait croire que t'étais bête frérot; Tu
te confines dans un langage qui te restreint
frérot 24»
« Entre le jeune abonné aux musées et celui à
l’abri de bus Seul un des deux portera le poids
de son habitus
On a les mêmes os, la même langue, le même
sang mais t’oublies un détailL’genre d’accent
avec lequel tu finis tes phrases
Tu sais qu’les riches sont pas plus libres que toi
Eux aussi sont aliénés par leurs mots, leur code,
leurs choix
Sauf que leur argot est bien vu, il est même
courtisé
On dit du tien qu’il est bad, dis-leurs qu’il est
souligné25 »
Alors, de quelle réalité sociale le rap témoigne-t-il ? Le rap « révèle-t-il la réalité
impolie du capitalisme – la lutte du loup contre le loup »26 ? Si « certains morceaux
« engagés » du hip-hop (…) n’offrent aucune solution, aucune utopie, et même aucune
critique. Ils disent : les choses sont dures, tu dois être aussi dur », d’autres fustigent ce
système.
Ainsi, Diziz La Peste raconte la difficulté de
rester solidaire (cf. la punchline ci-contre
« on se tape pour des codes postaux »)
dans un monde qui met tout le monde en
concurrence… même les plus pauvres qui,
de par leur statut, n’en ont que plus
d’aspirations sociales. C’est ce dont
témoigne l’opposition« frères » et « potes
costauds » plus loin. Le dénuement, le
désintérêt
généralisé
vis-à-vis
des
conditions sociales des plus précarisées
accentuent plus encore la difficulté de
trouver une place dans la société et de s’en
sortir par le haut.
« On vit dans des ghettos sans murs derrière
des barreaux sans cellules
Un peu comme si Néo avait pris la mauvaise
pilule
Et on voit que dalle, on se tape pour des codes
postaux
Je crois avoir des frères mais j'ai que des potes
costauds
Pour moi il y a plus de 94, 93 de 91
J'en ai rien à foutre et pour moi on ne fait qu'un
Il y a plus de Sénégal quitte à être manichéens
Il n'y a que des pauvres et des riches
Des cyniques, des gens biens
Point !
Pas final, point à la ligne ! »
23
La chanson « Suicide Social » d’Orel San (bien que fils de bonne famille) témoigne effectivement des inégalités
grandissantes de nos sociétés : « Adieu les jeunes cadres fraîchement diplômés, Qu'empileraient les cadavres pour
arriver jusqu'au sommet, Adieu tous ces grands PDG, Essaie d'ouvrir ton parachute doré quand tu t'fais défenestrer,
Ils font leur beurre sur des salariés désespérés, Et jouent les vierges effarouchées quand ils s'font séquestrer, Tous
ces fils de quelqu'un, ces fils d'une pute snob, Qui partagent les trois quarts des richesses du globe ».
24 DIZIZ – Mon amour .
25 ROCE – Habitus
26Reynolds Simon, Bring the Noise, 25 ans de rock et de hip-hop, Au diable vauvert, Vauvert, 2013, p.45
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
7
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
Cette radicalité dans les propos, cette
brutalité des paroles n’est pas sans relation
avec la nécessité de maintenir, dans un
monde divisé, son honneur et sa dignité.
Certes, « le slogan ‘Je suis un homme’
[porté par le rap] pose problème car il
débouche sur de l’agressivité » mais il faut
aussi reconnaître qu’il est « la revendication
d’une victoire des victimes qui vient
conforter l’égo27 ». Une victoire qui
s’acquiert bien souvent seul… comme le
disait déjà Benny B (Cf. extrait ci-contre).
« Merde, quand je vois dans la rue tous ces
jeunes qui errent (…)
Mais je ne suis pas comme eux, je veux me
défoncer
Je ferai tout ce que je peux pour que ça puisse
marcher »
« Je descends des quartiers soit disant mal
fréquentés
Où la P.J y passe les trois-quarts de la journée
Mais j’en ai marre de tout ça
J’en ai marre de cette vie-là
Et pour sortir de cette impasse, je ferais
n’importe quoi ! »
Ainsi, « Touchés de plein fouet par le chômage, peu diplômés, dépourvus de
perspectives, certains jeunes hommes du bas de l’échelle sociale semblent trouver dans
la réaffirmation d’une virilité exacerbée et la culture d’un entre-soi masculin une
manière de restaurer leur estime de soi28 ». Heureusement, tous ne sont pas comme
cela et certains morceaux de rap peuvent être un vrai programme politique face à la
misère – un programme politique qui vise à apprendre à ne pas baisser les bras et
tomber dans l’individualisme et l’immoralité.
Ainsi, pour certains comme pour Diziz La
Peste, il s’agit de dénoncer une société
indécente et immorale, face à laquelle il faut
résister en érigeant l’honneur et l’intégrité
morale en valeurs suprêmes (Cf. extrait cicontre).
« La cité c'est la jungle, c'est le street show
Il n'y a que des types faux, des faux fous des
petits fauves
De plus en plus de gorilles, de moins en moins
de lions
La race des vrais gars est en voie d'extinction
Il y a de moins en moins de mecs carrés, au
mètre carré »
De même, il faut restaurer la moralité et
s’entêter à rester dans le droit chemin
malgré la pression et les intimidations de la
société ou de l’entourage (Cf. extrait cicontre).
« Hé Hé, ils m'disent, Ils Ils m'disent
"Tes rimes sont trop complexes pense à ton
public"
"Sérigné tu t'entète à quoi bon? Fais-toi du fric
!"
Et qu'est-ce que je dois comprendre ?
Que mon public est bête ? Et je suis censé faire
quoi
Dis-moi, Leur vendre du rêve ?
Du rap Vaporeux ? Non trop peu pour moi »
27Reynolds
28Magazine
Simon, Bring the Noise, 25 ans de rock et de hip-hop, Au diable vauvert, Vauvert, 2013, p.47
Sciences humaines, juin 2013, p21.
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
8
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
Conclusion
La pression commerciale sur les rappeurs et ceux qui les écoutent est indéniable. Elle
pénètre de plus en plus le milieu et les intentions du rap. Y résister n’est pas simple,
surtout quand on naît précarisé dans une société qui érige en valeur suprême la
satisfaction. Il existe cependant encore un rap non-commercial, aux contestations
cinglantes et aux ambitions pacifiques. Ce rap donne de multiples ressources pour
aborder le monde aujourd’hui. De nombreux exemples sont cités en annexe.
Pour le reste, comme l’exprimait David Cameron au sujet des émeutes du 8 août 2011
à Londres, doit-on croire que le rap serait vraiment et gratuitement ce culte de la
violence et de la virilité ? Pour David Cameron, l’effusion de violence qui avait eu lieu
dans les rues de Londres « n’est pas une question de pauvreté, mais de culture », une
culture «qui glorifie la violence, ne respecte pas l’autorité, ne parle que de droits et pas
de responsabilités29 ».
Pourtant si on en croit le sociologue Alinsky, être pauvre reviendrait à manquer de
pouvoir et de ressources… Or, une société libérale qui met tout le monde en
compétition sans assurer une juste répartition des chances et des places ne crée-t-elle
pas une violence tout aussi inquiétante à l’égard des individus qui manquent le plus de
ressources ? Comment ne pas voir dans ces « egotrips » le témoignage d’un manque
de pouvoir sur sa vie et, de ce fait, d’estime de soi ?
« Comme le soulignent Richard Wilkinson et Kate Pickett dans The Spirit Level:
WhyEqualityisBetter for Everyone, ce qu'on qualifie généralement de "problèmes sociaux"
(criminalité, mauvais état de santé, taux d'emprisonnement, troubles mentaux) est bien
plus répandu dans les sociétés inégalitaires que dans celles qui assurent une meilleure
redistribution des richesses et où le fossé est moins grand entre riches et
pauvres… 30 » .
Par Jerome Van Ruychevelt
Coordonnée par Delphine Masset
Chargée de Recherche à L’ARC Action et Recherche Culturelles
29
Libération, « Royaume-Uni : Cameron sur la ligne dure », 2 août 2011.
http://www.liberation.fr/monde/2011/08/12/royaume-uni-cameron-sur-la-ligne-dure_754554
30
Nina Power, Le Courrier International, The Guardian, « ÉMEUTES À LONDRES Les raisons de la colère », 10 août
2011. http://www.courrierinternational.com/article/2011/08/10/les-raisons-de-la-colere
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
9
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
ANNEXE
Pour aller plus loin et découvrir un rap contestataire et/ou noncommercial
Comme cela a été dit, le rap est extrêmement diversifié et peut raconter tout et
n’importe quoi. Il n’a pas besoin d’avoir un message politique conscient pour être de
qualité. Nous vous proposons une série d’artistes représentatifs de divers mouvements
raps francophones à écouter, pour les non initiés. Il s’agit ici du b.a.ba du rap français.
Iam et les pères spirituels du rap
« Iam », le meilleur groupe de rap français de tous les temps ? Ce ne serait pas un titre
volé, en tout cas. Le groupe marseillais a sorti son chef d’œuvre en 1997, « L’école du
Micro d’argent », qui reste un album référence dans l’histoire de la musique
contemporaine. « L’école du Micro d’argent » plante son décor dans la culture
asiatique, voir spirituelle taoïste. Les titres sont métaphoriques et en deviennent des
contes relatant un phénomène social. La fatalité du quotidien des banlieues est
racontée dans le légendaire « Demain c’est loin ». Iam dépeint aussi l’exclusion sociale,
la prostitution, l’extrême droite et n’hésite pas à se positionner politiquement (« le
Côté Obscur ») ou international (l’exhaustif tonitruant « La fin de leur monde » dont
le clip a été censuré). Et pour finir, Akhénaton (co-leader du groupe) fort présent dans
les médias, donne de l’ampleur aux débats creux sur les jeunes des banlieues en
France.
On considère généralement que le pendant parisien d’Iam est « NTM ». Le groupe est
codirigé par les deux géants Joey Starr et KoolShen. NTM est davantage « rentre
dedans » et se fait rapidement porte-voix de la colère des banlieues.
Le portrait type, le prototype du pauvre type,
Voilà pourquoi dans l'excès de zèle, ils excellent.
Voilà pourquoi les insultes fusent quand passent les
hirondelles.
Pour notre part ce ne sera pas "Fuck The Police",
Mais un spécial NIQUE TA MÈRE de la mère patrie du vice31.
Dans cette période, il serait inopportun d’oublier MC Solaar qui est le premier à
populariser le rap en France. Ses albums touchent un large public car ils sont plus
mélodiques, plus légers et ils nous plongent dans divers imaginaires très « cinéma ».
31
Supreme NTM – Police - album "1993...j'appuie sur la gâchette".
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
10
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
Certains le taxent d’avoir « boboisé » son rap. Son statut lui permet par ailleurs d’être
l’artiste rap à avoir vendu le plus d’albums en France. Restent quelques chefs d’œuvre
comme « Solaar pleure », « Hasta la vista » ou « Nouveau western » où il sample
Gainsbourg.
Les artistes présents dans le collectif « Le Secteur A » (comme StomyBugsy, Passi, Doc
Gynéco, Arsenik ou encore les Neg Marrons) emboîtent le pas aux pères spirituels
pour donner un ton plus léger au rap. On découvre alors des titres qui racontent des
soirées, les filles, des casses foireux.
Ideal J, Mafia K’1 fry – la relève est assurée
Ideal J, c’est le groupe qui a donné naissance quelques années plus tard au collectif
Mafia K’1 fry. Après NTM, Ideal J reprend le flambeau sur la scène rap parisienne. La
différence est que cette fois-ci les artistes ne se cachent plus d’avoir été des petites
frappes ou d’avoir passé un séjour en prison. Ils considèrent que c’est le seul moyen de
pouvoir insuffler dans leurs albums une morale qui fera sens pour les jeunes. Leurs
textes sont cash et directs. De Mafia k’1 fry, quasi tous partiront faire des carrières
solos. On retient Kery James (devenu un peu « le sage » actuel du rap parisien) et
l’enfant terrible du groupe : Rohff, l’un des rappeurs le plus apprécié des jeunes
d’aujourd’hui, essentiellement parce que, lui, il resterait fidèle à la banlieue.
Sniper booste le rythme
Blako, Akéto, Tunisiano, c’est trois touches bien différentes pour un même groupe. Le
premier est un reggaeman, le second possède un flow plutôt classique mais efficace.
Quant au troisième, il a le débit nerveux le plus connu du rap français. Si Sniper n’a pas
révolutionné les thèmes, il a boosté la musicalité du rap (l’album « Graver dans la
roche » s’écoute à fond dans la voiture !). Avec Sniper, on passe de la old school à la
nouvelle école aux instrumentales extrêmement mélodiques. Sniper sait déménager
mais peut aussi apporter des éléments plus calmes et engagés sur le conflit israélopalestinien (« Jeteurs de pierres ») ou sur la politique internationale (« Visions
Chaotiques ») :
« Mais j’dirais que face à cette course mondiale, pas d’amour
mais d’or noir, les States sont loin d’être à la bourre malgré
deux tours de retard. »32
A la suite de Sniper, on retrouve des gars comme Médine ou Youssoupha. Les deux
artistes, qui n’ont plus rien à prouver sur la scène rap, se caractérisent par une belle
32
Vision chaotique – Sniper- Graver dans la Roche – 2003.
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
11
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
hargne sur des thèmes qu’ils traitent avec vigueur (islamophobie, anti-impérialisme,
médias…).
Oxmo Puccino et les poètes
Si vous voulez écouter du rap, vous ne pouvez pas passer à côté du poète philosophe
OxmoPuccino. Le rappeur n’a été que très peu dans le trip « rap street », clash, cash
et hardcore mais lorgne plutôt avec la métaphore philosophique. Il écrit de véritables
contes pour raconter parfois de choses simples (son album concept « Lipopette bar »)
ou des réflexions plus profondes (« Demain peut-être »). Et pour finir, quand Oxmo
parle d’amour, ça sent la mélancolie et la chaleur d’un petit feu dans la cheminée en
plein hiver, comme dans son album « L’Arme de paix ».
« T’as jeté l’une à l’eau et promis la lune à l’autre. »
Si vous aimez Oxmo Puccino, vous pouvez passer à Hocus Pocus, plus jazzy mais tout
aussi bon dans le texte.
Disiz, de l’humour à la poésie revancharde
Disiz commence sa carrière en racontant des histoires de jeunes de banlieues sur un
ton humoristique qui tranche avec un certain rap « plaintif ». Il a un talent incroyable
pour décrire des personnages, leurs angoisses, leurs doutes dans un environnement
social précaire, macho ou violent, mais toujours avec une touche légère, voir
sarcastique. Mais Disiz, rappeur plutôt humble et discret au début, défie peu à peu le
monde du rap français jusqu’à la sortie de son album bombe « Disiz the end ». Il y
dénonce avec force « le rap game », ses mafias, ses producteurs corrompus et la
tournure commerciale que prend l’art du rap. Il raconte notamment dans « 27
octobre » comment des gars qui tournent dans le milieu sont venus le racketter à
l’hôpital le jour de l’accouchement de sa femme. En 2012, après deux ans d’absence, un
passage par le rock et une longue période de réflexion, Disiz revient avec un puissant
et émouvant « Extra-lucide ». L’artiste aborde la dépression (« Vide »), l’amitié (« Les
Bienveillants »), la superficialité (« Porté Disparu »), ou encore l’estime de soi (« Tu
Brilles », « le poids d’un gravillon ») de manière poétique, humble et posée.
« Si tu connais que la merde, tu seras fier de la merde.
Tu en feras ta valeur, la porteras en Street Wear. »33
33
Le poids d’un gravillon – Disiz – 2012.
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
12
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
Les instrumentales sont extrêmement fouillées. Bref, Disiz gagne son pari : il est
largement supérieur à ceux qu’il accuse d’enfoncer la musique dans la médiocrité. A ce
propos, il faut écouter son bijou (un peu prétentieux) « Moïse », où il expose sa
relation au rap à travers le mythe biblique du veau d’or.
« Sous la lune grise, là-haut sur ma colline
J'les regarde gigoter autour d'un feu de pacotille
Trône au-dessus des flammes, un totem en cuivre
Que les MCs acclament, le nom de leur Dieu c'est le biff
Soudain un buisson s'embrase, je vois les quartiers brûler
Des frères s'entretuer pour du biff mal calculé
La cité a perdu sa tête, décapitée
Les rappeurs parlent de capitaux, on a tous capitulé »
Keny Arkana et les militants de gauche
KenyArkana, timide dans les médias, est pourtant la rappeuse la plus engagée sur la
scène rap actuelle depuis 2006. Elle décolle définitivement avec son album chefd’œuvre « Entre ciment et belle étoile » qui résume à lui seul déjà toute la carrière de
l’artiste. Altermondialiste et anticapitaliste jusqu’au bout des ongles, elle dégage assez
de puissance et d’intelligence pour expliquer le système économico-politique en
chanson, allant jusqu’au lyrisme. Aujourd’hui, elle est une icône pour toute une
jeunesse révoltée, symbolisée dans le mouvement des Indignés (« Idignados »).
« L’esprit libre à surgi dans la ville pour sortir du silence, muni
du noble courage de celui qui n’a plus rien a perdre en criant :
Délivrance ! »34
KenyArkana soulève les foules, éveille les consciences bien au-delà de ses concerts
puisqu’elle participe aussi à des conférences et des projets alternatifs de terrain. Dans
le même registre, on peut citer également le groupe énergique MAP (Le Ministère des
Affaires Populaires) porté par les sons d’un accordéon festif. Ou encore Zebda :
souvent émouvant et juste, le groupe fouille dans la culture anarchiste catalane pour
sortir des morceaux de bravoure.
A noter que KenyArkana est une des seules rappeuses à avoir percé dans un art
monopolisé par les testostérones masculines. Mais il ne faut pas oublier que Diam’s a
démarré une formidable carrière avant elle. L’écorchée vive, « Brute de femme » à la
plume acerbe, a utilisé le rap comme une thérapie jusqu’à sa fin de carrière en 2010,
clôturée par son album le plus serein, « SOS ».
34
Entre les lignes, nous sommes le monde – Keny Arkana – Tout tourne autour du soleil – 2012.
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
13
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
Starflam and Cie – le rap belge
Si Starflam est le groupe belge le plus connu, c’est aussi parce qu’il a dominé la scène
belge avec raison pendant 10 ans. Rap terre à terre à la sonorité parfois latino (« La
Sonora »), ils sont capables de dépeindre la politique et le surréalisme belge avec
justesse (« Ce plat pays»). A noter que Baloji et Arko sont aujourd’hui en solo. Baloji a
sorti un album somptueux en 2008 (« Ceci ne nous rendra pas le Congo ») arrangé
par Marc Moulin. Le rap belge, a mis du temps à récupérer un second souffle après la
disparition du groupe de la scène. Il y a bien eu James Deano qui n’était pas si léger que
ça à en écouter « Sans exception » avec Diam’s ou encore « Loin de la vérité ».
Aujourd’hui, il semble que ce soit l’ultra noir mais non moins talentueux Scylla,
l’étendard de la nouvelle génération. Son album « Abysse » est un des meilleurs albums
de l’année 2012. Par ailleurs nous vous recommandons « L’Ange Noire » Pitcho et
également les jeunes de la Smala (proche de « 1995 » dans le style), Caballero (« C’est
aussi simple que ça »), CNN199 (« On ne sait pas où ça nous mène ») ou encore
Convok (« La vie est belge »).
1995, le retour aux sources
1995 c’est un peu le nouveau groupe qu’on attendait depuis longtemps au niveau
commercial, vu le vide abyssal qu’on nous propose sur les ondes radios. Les jeunes ont
été bercés par le Old School des années 90 et veulent revenir à un son plus
authentique. Tranchant avec le blingbling actuel, 1995 ne dénonce rien mais rappe
comme avant sur des thèmes jeunes (« La source »). Ils représentent aussi une
génération qui affirme que les banlieues n’ont pas le monopole du rap et que « les
jeunes de bonnes familles » peuvent aussi être insolents. C’est dans ce cadre
qu’Orelsan est rentré avant eux également. Dans le même état d’esprit « gentil mais de
qualité », nous vous rappelons le rap celtique de Manau qui a marqué des générations
de non initiés au rap et qui continue encore aujourd’hui à nous conter des légendes
bretonnes.
La Canaille et Zippo – les undergrounds
Il est intéressant d’écouter la Canaille parce qu’il est l’illustration des rappeurs qui
réussissent à faire une carrière parallèle aux artistes présents dans les labels raps
classiques. Les parisiens, nous offre des textes engagés aux côtés des ouvriers appuyés
par une sonorité rock (« L’usine »). Dans le même style, Zippo, qui se lance en solo
depuis peu (il vient du groupe le Pakkt), aligne un rap déjanté et révolté. Son mini
album « Bucheron » est un petit chef d’œuvre. Il égratigne la société de consommation
et l’ordre mondial sous un angle grave mais surréaliste.
Pour ce qui est du rap underground qui vit aujourd’hui essentiellement grâce à la
possibilité de vendre des projets musicaux sur Internet, nous vous proposons ce qui ce
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
14
Le rap francophone est-il encore un moyen de contestation ?
fait de meilleur en ce moment : Ahmad (Justin Herman Plaza), C-Sen (Le Tunnel), Virus
(Faire-Part) ou encore Fayçal (l’Or du commun).
La secte Phonetik – le rap décalé
Pour finir, si vous voulez du rap léger mais extrêmement bien foutu, ne manquez pas la
Secte Phonétik. Les membres de la secte dont « Hyppocampe fou » jouent avec les
mots comme personne. Ils sont originaux, drôles et nous emmènent dans des mondes
totalement loufoques avec un talent indéniable. Ils nous font un peu penser à ce que
faisait Le Klub des Loosers à l’époque, en moins vulgaire, sans doute
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2013
15
Publié avec le soutien du service
de l’Éducation permanente de la
Fédération Wallonie-Bruxelles
Editeur responsable : Jean-Michel DEFAWE
© ARC a.s.b.l. - rue de l’Association 20 à 1000 Bruxelles
www.arc-culture.be
[email protected]
Action et Recherche Culturelles
Analyse
2013

Documents pareils