Author`s personal copy - Centre Hospitalier Esquirol de Limoges
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Authors requiring further information regarding Elsevier’s archiving and manuscript policies are encouraged to visit: http://www.elsevier.com/copyright Author's personal copy L’Encéphale (2010) 36, 159—165 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP PSYCHOGÉRIATRIE Troubles du sommeil chez les aidants à domicile de patients atteints de démence Sleep disturbances in home caregivers of persons with dementia P. Thomas a,∗, C. Hazif-Thomas b, M. Pareault a, F. Vieban a, J.-P. Clément a a Centre mémoire de ressources et de recherche, service hospitalo-universitaire de psychogériatrie, 15, rue du Docteur-Marcland, 87025 Limoges cedex, France b Centre mémoire de proximité, service de psychiatrie du sujet âgé, CHG de Quimperlé, 29300 Quimperlé, France Reçu le 1er octobre 2008 ; accepté le 29 juin 2009 Disponible sur Internet le 23 septembre 2009 MOTS CLÉS Sommeil ; Insomnie ; Automédication ; Aidants ; Démence ; Maladie d’Alzheimer ∗ Résumé Contexte. — Des estimations suggèrent que plus de 700 000 adultes sont des aidants de personnes démentes et qu’un grand nombre présente, à un moment ou à un autre de leur engagement auprès du malade, diverses altérations de leur sommeil. Les professionnels de santé sont à même de repérer et gérer ces difficultés qui, compte tenu de leur ampleur, sont un enjeu de santé public. Objectif. — Étude prospective du retentissement sur le sommeil de l’aidant principal de la prise en charge d’un patient dément vivant à domicile. Elle porte sur deux populations. Un groupe témoin concerne 86 personnes âgées vivant dans ou aux alentours de Limoges (France) et qui ont été contactées pour participer à l’étude par leur club du troisième âge. L’autre groupe concerne 98 aidants de personnes atteintes de démence, vivant à leur domicile et dont l’examen a été réalisé lors d’une consultation du malade. Dans chaque groupe, les personnes répondaient à un questionnaire pour décrire leurs possibles troubles du sommeil. Résultats. — Les aidants sont en butte à davantage de troubles du sommeil que les personnes âgées n’ayant pas de tels soucis. Les problèmes de sommeil des aidants sont souvent liés à des difficultés similaires chez le malade. Les aidants sont plus souvent hypertendus ou dépressifs. Ils prennent davantage de médicaments et s’automédiquent plus souvent. Discussion. — Trois facteurs majeurs de troubles du sommeil de l’aidant sont ici relevés dans cet article : l’apparition chez les aidants d’éléments de vie qui rompent avec les habitudes du sommeil, le poids du fardeau qui les expose à la dépression et les risques pour la santé de l’aidant. Un traitement efficace des troubles du sommeil de l’aidant nécessite une prise en compte vigilante de ces trois facteurs. © L’Encéphale, Paris, 2009. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Thomas). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009. doi:10.1016/j.encep.2009.06.010 Author's personal copy 160 KEYWORDS Sleep; Insomnia; Self-medication; Caregivers; Dementia; Alzheimer’s disease P. Thomas et al. Summary Background. — Estimates suggest that there are more than 700,000 adult caregivers of persons with dementia in this country, a large number of whom experience some form of sleep disturbance during the course of their caregiving career. Health care professionals are in the best position to detect and address this significant public health problem. Objectives. — Prospective study of sleep with the main caregivers providing home-care for demented patients. Methods. — This study was performed on elderly persons living at home. Two populations were concerned. The control group concerned 86 old persons living in the area of Limoges (France) and was contacted to join by the senior clubs of this city. The other group concerned caregivers to persons with dementia, living with them at home, and the assessments were done during the patient assessment. Each group had a cognitive evaluation by a Folstein’s test and answered a questionnaire to describe their possible sleep difficulties. Results. — Sixty-eight caregivers face sleep disturbance versus 25 non-caregiver controls. Caregiver sleep-problems are often linked to sleep disturbances in the care-recipient. Night-time awakenings by persons with dementia are a common precipitating cause of sleep/wake disturbances in vulnerable caregivers. Caregivers awake 2.3 times during the night versus 1.2 for control persons. Caregivers awake earlier (around 6:20) than non-caregivers (around 7:05) and their sleep time is shorter by one hour. Caregivers are more often depressed (28 in 98 versus 13 in 86) and have more often high blood pressure (56 in 98 versus 24 in 86). They received more medications and used more often self-medication. Discussion. — Three major contributors to caregiver sleep-disturbance are pointed in this paper: the apparition of caregiver disrupted sleep routines, caregiver burden and depression and the caregiver’s physical health status. Successful treatment of a caregiver’s sleep disturbance requires careful consideration of each of these contributors. Non-pharmacological options are generally recommended as a first line of treatment for managing sleep disturbances in older adults, including caregivers of persons with dementia. © L’Encéphale, Paris, 2009. Les aidants de patients déments à domicile sont en butte à de nombreuses difficultés. Outre la charge de travail et le coût financier représenté par l’engagement auprès du malade, des difficultés psychologiques se font rapidement jour en raison de la durée ou de la lourdeur de la prise en charge et de l’aggravation progressive de la maladie avec son cortège de dépendance et de troubles du comportement. L’anxiété et la dépression se rencontrent fréquemment chez eux. Les troubles du sommeil du malade sont parmi les causes le plus fréquemment citées par les aidants pour expliquer la nécessité de l’institutionnalisation du malade [7]. Rapidement, ils ont un retentissement sur le sommeil de l’aidant et son état de santé. Cet article vise à regarder l’importance des troubles du sommeil chez les aidants, à évaluer leur risque sur la santé de l’aidant et à regarder les liens qu’ils peuvent avoir avec l’état du malade. Une comparaison est faite entre une population d’aidants et une population témoin de personnes âgées d’âge comparable. Méthodes Chaque aidant ou chaque personne du groupe témoin était invité à participer à l’étude et son accord écrit était requis. Le protocole de l’étude a été soumis et approuvé par le président du Comité de protection de la personne humaine le 29 novembre 2007. Lors d’une consultation spécialisée, psychiatrique ou gériatrique, couplée à la réalisation d’une consultation du malade dément pour les aidants, le médecin lui proposait de répondre à un questionnaire en 20 points sur son sommeil, les pathologies auxquelles il était exposé et les traitements habituellement reçus, l’utilisation éventuelle d’hypnotiques ou d’une automédication régulière (plus de cinq fois par semaine). Compte tenu de la fréquence des troubles cognitifs dans la tranche d’âge de la population étudiée et d’un possible retentissement de ceux-ci sur le sommeil, il était proposé, aux personnes de la population témoin et chez les aidants, sans caractère d’obligation, d’évaluer leurs performances cognitives par un test Mini Mental Test (MMSE) de Folstein [5] au cours d’une consultation auprès d’un médecin investigateur. Le médecin relevait systématiquement le niveau de l’atteinte cognitive du malade dément par le même test, le diagnostic du type de démence et les problèmes éventuels de sommeil du malade. Les personnes du groupe témoin ont été contactées par les clubs du troisième âge de Limoges et n’avaient comme critère d’exclusion que le fait de s’occuper d’un malade à domicile. Proposition sans obligation leur était faite de venir en consultation mémoire. Les aidants ont été contactés par les médecins des diplômes universitaires de psychogériatrie de Limoges (Pr Clément) et d’Ivry (Pr Belmin), par les médecins du service universitaire de psychogériatrie de Limoges et de Quimperlé et du centre de mémoire, de ressources et de recherche du Limousin. Les critères d’inclusion étaient d’être l’aidant principal d’un patient dément vivant avec lui à domicile. La définition prise pour cet aidant était un individu qui aide régulièrement et bénévolement un proche Author's personal copy Troubles du sommeil chez les aidants à domicile de patients atteints de démence 161 Tableau 1 Populations étudiées. Characteristics of the studied populations. H/F Âge MMSE Population témoin Aidants de dément 28/58 37/61 72,1 ± 7,9 [60—89] 73,1 ± 7,2 [56—87] 27,9 ± 2,6 [22—30] 29,4 ± 3,1 [22—30] Total 65/119 72,6 ± 8,0 [56—89] 28,9 ± 1,9 [22—30] H/F : hommes/femmes. H/F: men/women. dément, qui vit avec ce proche au moins depuis six mois [23]. Il n’y avait pas de critère d’exclusion. Proposition sans obligation leur était faite, comme pour la population témoin de venir en consultation mémoire. Les critères appliqués au diagnostic étaient ceux de McKeith et al. pour la maladie à corps de Lewy [14] et ceux de l’American Association pour la maladie d’Alzheimer [1]. Les tests statistiques utilisés ont été le Chi2 pour les comparaisons d’effectifs, le test t de Student pour les comparaisons de moyennes des variables quantitatives suivant la loi normale et le test non paramétrique de MannWhitney dans un autre cas : comparaison des heures de réveil. Résultats Quatre-vingt-six personnes ont été recrutées pour constituer le groupe témoin et 98 aidants ont accepté de répondre au questionnaire. Trente-trois personnes du groupe témoin et 46 aidants ont demandé à bénéficier d’un test de Folstein. Le Tableau 1 présente les caractères généraux de ces deux populations. Les aidants s’occupaient de 98 malades déments âgés de 78,07 ± 5,5 ans et ayant un MMSE moyen de 17,7 ± 6,3. Soixante-douze malades présentaient une démence de type Alzheimer et 26 une maladie à corps de Lewy. Les MMSE des premiers étaient significativement moins altérés que celui des seconds, respectivement 16,4 ± 6,5 et 21,4 ± 3,9 (t = 4,61 ; p < 0,001). Caractéristiques des nuits des aidants Vingt-cinq personnes du groupe témoin disent mal dormir contre 68 parmi les aidants (Chi2 = 29,78 ; p < 0,001). Il n’a pas été relevé ici de différence significative quant au genre des personnes interrogées, ou encore à leur niveau cognitif au MMSE. Les personnes des deux groupes utilisent la sieste l’après-midi dans les mêmes proportions (20 %). Vingt-deux personnes témoins sur 86 signalent une fatigue matinale au réveil contre 65 aidants sur 98 (Chi2 = 30,5 ; p < 0,001). Il n’y a pas plus de cauchemars dans l’un ou l’autre des groupes et, si davantage d’aidants se plaignent de difficultés d’endormissement, 40 contre 27 dans le groupe témoin, la différence n’est pas significative. Le Tableau 2 présente les caractéristiques des nuits de ces groupes. Les aidants se réveillent significativement plus souvent et plus tôt et ont des nuits plus brèves que les autres personnes âgées. Liens entre sommeil de l’aidant et malade Il existe des liens entre les troubles du sommeil de l’aidant et ceux du malade. Le MMSE des malades lorsque l’aidant dort mal est à 16,8 ± 6,7 contre 19,7 ± 5,0 dans l’autre cas (t = 2,40 ; p < 0,05). Même si le MMSE des malades atteints de démence à corps de Lewy est moins dégradé, cette maladie génère davantage de troubles du sommeil chez l’aidant. Parmi les 68 aidants qui disent mal dormir, 46 s’occupent d’un malade Alzheimer et 22 d’une maladie à corps de Lewy. Seuls quatre aidants s’occupant de cette dernière démence déclarent bien dormir (Chi2 = 3,86 ; p < 0,05). Sur ces 68 aidants qui déclarent mal dormir, 59 signalent que le malade dort mal. Seuls quatre aidants qui disent bien dormir signalent des difficultés de sommeil chez leur patient (Chi2 = 48,8 ; p < 0,01). Toujours sur les 68 aidants qui déclarent mal dormir, 41 signalent que le malade a des cauchemars et seuls cinq qui disent bien dormir signalent ce problème chez leur patient (Chi2 = 15,9 ; p < 0,01). Vingttrois aidants signalent que les patients ont une inversion du rythme veille—sommeil. Tous déclarent mal dormir. Lorsque l’aidant dort bien, le malade se réveille moins d’une fois par nuit (0,9 ± 0,8) et lorsqu’il dort mal, le malade se réveille plus de deux fois (2,2 ± 1,1 ; t = 6,10 ; p < 0,01). Problèmes de santé associés chez l’aidant Les problèmes de santé suivants, susceptibles d’interférer avec le sommeil, ont été recherchés par l’interrogatoire Tableau 2 Caractéristiques du sommeil des deux populations. Sleep characteristics of the populations. Nombres de réveils/nuita Témoins Aidants a b c 1,2 ± 0,9 [0—4] 2,3 ± 1,4 [0—8] t = 6,72 ; p < 0,001. t = 4,69 ; p < 001. U test Mann-Whitney = 5674 ; p < 0,001. Heures sommeil/nuitb 7,3 ± 1,6 [4—10] 6,3 ± 1,6 [0—9] Heure réveil/matinc 7 h 05 ± 1 h 10 6 h 22 ± 1 h 16 Author's personal copy 162 P. Thomas et al. Tableau 3 Pathologies associées chez l’aidant. Caregivers’ associated pathologies. Témoins Aidants Problèmes cardiovasculaires Hypertension artérielle Diabète Difficultés mictionnelles Problèmes thyroïdiens Maladie de Parkinson Douleurs Dépression traitée 33 41 24 52 10 9 10 14 12 7 2 0 22 31 13 28 Tableau 4 Présentation de la consommation médicamenteuse dans les deux populations. Drugs used in the two subpopulations. Témoins Aidants a b c Nombres de médicamentsa Hypnotiquesb Automédicationc 2,35 ± 2,37 [0—12] 3,40 ± 2,21[0——6] 21 41 15 30 t = 3,133 ; p = 0,002. Chi2 = 6,22 ; p = 0,013. Chi2 = 4,30 ; p = 0,038. dans les deux populations étudiées : problèmes cardiovasculaires en dehors de l’hypertension, hypertension artérielle, diabète, difficultés mictionnelles, problèmes thyroïdiens, maladie de Parkinson, existence de douleurs chroniques et dépression traitée (Tableau 3). Seules l’existence d’une hypertension connue (Chi2 = 11,95 ; p < 0,001) et l’existence d’une dépression traitée au moment de la consultation sont significativement plus fréquentes chez les aidants (Chi2 = 4,78 ; p = 0,029). Médicaments pris par l’aidant La population qui dort mal, aussi bien chez les témoins que chez les aidants, prend statistiquement davantage d’hypnotiques et s’automédique plus que celle qui dort bien. Parmi les 93 personnes qui dorment mal, dans les deux groupes étudiés, 44 ont recours à des hypnotiques (Chi2 = 15,6 ; p = 0,001) et 31 à une automédication (Chi2 = 8,02 ; p = 0,005). Le Tableau 4 présente la consommation médicamenteuse des deux populations étudiées. Les aidants consomment davantage de médicaments que la population témoin, prennent plus souvent des hypnotiques et utilisent plus souvent l’automédication. Les hypnotiques prescrits par les médecins, dans les deux populations et à égalité de répartition, sont pour moitié des hypnotiques à demi-vie courte, pour moitié des benzodiazépines à demivie longue. Les aidants utilisent très fréquemment des hypnotiques à durée de vie courte (17 fois) ou longue (quatre fois) en automédication, quand ces traitements ne sont jamais utilisés dans cette circonstance dans la population témoin. Les autres produits utilisés, comparables dans les deux populations, sont les tisanes, le thé ou le café et plus rarement l’alcool. contrainte. Elle est vulnérable au plan santé, l’hypertension artérielle et la dépression étant ici plus fréquentes. Elle prend davantage de médicaments et s’automédique davantage. Les médicaments utilisés pour dormir ne sont pas toujours des hypnotiques d’activité rapide à durée de vie brève (zolpidem ou zopiclone) qui génèrent moins de sédation durant la journée que les benzodiazépines à durée de vie longue, qui de plus retentissent sur le sommeil paradoxal. L’étude comporte cependant des biais, en particulier ne sont évalués ici que les aidants suivis par des spécialistes. Nombre d’entre eux qui comptent parmi les plus vulnérables échappent à la surveillance médicale lorsque le malade n’a pas un suivi spécifique. De plus la plainte sommeil est sollicitée par l’interrogatoire, mais la pratique clinique montre que l’aidant d’un patient dément est volontiers en retrait de ses propres difficultés, derrière celles du malade [13]. C’est dans ce contexte que nombre d’aidants ont décliné la passation d’un test de Folstein et on peut interpréter ce « retrait » comme une conduite d’évitement en lien avec une certaine anxiété ; ce sont ces mêmes aidants qui parfois déclinent un traitement antidépresseur sous prétexte de la crainte alléguée que ce dernier amputerait leur mémoire. Pour le groupe témoin, d’autres raisons peuvent être avancées : manque de disponibilité pour une situation de test vécue comme scolaire, refus de se projeter dans une problématique de perte d’autonomie, attitude ambivalente quant à la participation authentique à une étude scientifique. . . La phobie d’implication peut encore relier les témoins dans une certaine « timidité » et n’est pas sans évoquer la question de la diminution des engagements si fréquente chez nombre de sujets âgés démotivés, plus exposés que d’autres à un risque d’altération cognitive. Discussion Trois types de facteurs influencent les troubles du sommeil de l’aidant La population d’aidants de patients déments vivant à domicile est davantage exposée à des problèmes de sommeil qu’une population d’âge comparable sans le même type de Les troubles du sommeil de l’adulte sont influencés par trois types de facteurs (modèle 3P de Spielman) : prédisposant, précipitant et pérennisant [21]. Ces facteurs ne sont pas Author's personal copy Troubles du sommeil chez les aidants à domicile de patients atteints de démence indépendants de la démence et de son retentissement sur la personne qui prend en charge un malade. Les femmes âgées, de santé fragile, sont fréquemment engagées dans le soin d’un époux ou d’un parent présentant des troubles cognitifs [23]. L’âge avancé, le genre féminin, les problèmes de santé sont des facteurs « prédisposant » de la désorganisation du sommeil. Non seulement leur sommeil est plus fragile que chez les jeunes, mais l’évolution chronique est aussi plus fréquente [3]. Plus que les hommes, les femmes âgées sont exposées à des apnées obstructives du sommeil ou à un syndrome des jambes sans repos [4]. Dans cette étude le risque spécifique des femmes n’est pas relevé, mais hommes et femmes aidants sont exposés aux deux autres facteurs. Ces facteurs « prédisposant » potentialisent l’effet des facteurs « précipitant » : changement des rituels d’endormissement du fait de l’anxiété et rupture du calme de la nuit en raison des troubles du comportement nocturnes du malade. Bien souvent l’aidant ne dort que d’un œil en raison des risques auxquels peut s’exposer le malade et cette hypervigilance facilite les réveils nocturnes [10]. L’aidant vulnérable aura de grandes difficultés à redormir après avoir été réveillé au milieu de la nuit pour changer le malade, le rassurer, lui faire regagner son lit lorsqu’il a une inversion du rythme veille—sommeil. L’aidant a aussi souvent une relation affective forte avec le malade. Certains facteurs rendent pérennes ces troubles. Lorsque les circonstances qui ont conduit à des troubles du sommeil disparaissent, ceux-ci perdurent. Trois éléments sont importants pour expliquer cette problématique : l’acquisition par l’aidant d’une mauvaise hygiène de sommeil, son épuisement du fait du fardeau supporté, son état de santé enfin, notamment son anxiété et sa dépression éventuelle. Les essais de restaurer le sommeil sous assistance médicale ou par automédication peuvent s’avérer désastreux : prise prolongée et sans réel contrôle médical d’hypnotiques, excès de temps de sieste compensateur dans la journée, café pris en abondance pour se tenir éveillé, consommation d’alcool ou de diverses automédications pour trouver un sommeil qui se dérobe. Aux problèmes « précipitant » liés au malade s’ajoutent les conséquences d’une mauvaise hygiène de vie qui cristallisent durablement les troubles du sommeil et qui perdurent parfois alors que le malade est institutionnalisé ou qu’il est décédé [12]. Le deuil de la personne jusque-là en soin ajoute un poids de douleur morale qui ne facilite pas un bon sommeil [12]. On pourrait comparer la situation de l’aidant à celle des ouvriers qui font les « trois huit » et qui sont censés être alertes et disponibles la nuit comme le jour. Les conséquences pour la vie quotidienne sont notables : fatigue matinale, tendance à l’endormissement dans la journée, manque de disponibilité affective et irritation pour un rien, stress, anxiété et dépression, risque accru d’accident domestique ou de la vie quotidienne. Le niveau du fardeau des soins à donner au malade est un facteur de stress important qui fixe et pérennise les troubles du sommeil. De ce fardeau lié à la progression de l’atteinte cognitive, résultent des problèmes physiques, psychologiques ou émotionnels, sociaux et financiers qui s’abattent sur les épaules d’un aidant naturel 163 en charge d’un adulte dépendant. À coté du fardeau objectif qui a un impact direct sur le sommeil comme les errances nocturnes du malade, l’agitation physique et l’incontinence, s’ajoute un fardeau subjectif lié à la dépression du malade, l’impression de solitude dans les soins de l’aidant, la raréfaction des visites au fur et à mesure de la progression de la maladie, les changement non désirés des rôles familiaux ou des modalités relationnelles avec le malade [23]. La perte de maîtrise dans la gestion du quotidien de la maisonnée s’aggrave progressivement et l’aidant est de plus en plus noyé dans des tâches ingrates. Tous ces facteurs se combinent et vont engendrer un risque de morbidité et de mortalité [18]. Dernier facteur rendant pérennes les troubles du sommeil, l’état de santé de l’aidant se détériore avec la longue durée de prise en charge [23]. L’anxiété de l’aidant croît devant une situation qui se détériore et dont il ne sait de quoi elle sera faite demain. Les troubles du sommeil désormais bien installés facilitent le glissement de l’aidant dans la dépression, ce qui, bien sûr, ne favorise pas la gestion du stress [22]. Dépression et anxiété s’accompagnant volontiers de trouble du sommeil. Une boucle vicieuse est ainsi ouverte. Le stress de l’aidant est directement lié au fardeau, la coexistence d’une dépression et d’insomnie exposent à un risque suicidaire, ce dont la presse rend régulièrement compte [11,16,24]. D’autres raisons mal connues interviennent et il se peut que les moments de communication parfois plus faciles à vivre la nuit font de l’inversion rythme veille—sommeil une réalité encore peu appréhendée dans sa nature exacte, poussant paradoxalement l’aidant à lui-même « inverser » sa vision de l’hygiène de vie, d’où un décalage croissant avec les attendus habituels de son environnement. Une guidance familiale et un programme de soutien psycho-éducationnel peuvent ici avoir du sens afin d’aider l’aidant à rester ancré dans la réalité sociale. La prise en charge au long cours d’un malade dément s’accompagne fréquemment de problèmes somatiques qui peuvent engendrer des difficultés à dormir : majoration du ressenti des douleurs, perte de poids [23], hypertension artérielle [6], problèmes cardiovasculaires [25]. L’accès aux soins pour l’aidant n’est pas toujours aisé et nombre d’entre eux soit ne se soignent pas ou mal, soit ne sont pas compliants aux prescriptions ou n’utilisent pas suffisamment de temps pour la convalescence après un accident de santé [2,23]. La prise en charge des troubles du sommeil de l’aidant Les troubles du sommeil de l’aidant doivent être dépistés, en particulier lors des consultations du malade, surtout si celui-ci présente lui-même des problématiques nocturnes. Une éducation de l’aidant est nécessaire pour prévenir les troubles et leur pérennisation : récupération des rituels d’endormissement et d’une bonne hygiène de vie. Un temps pour la sieste est indispensable lorsque les nuits sont rendues difficiles par un malade agité ou errant. Mais le temps du sommeil l’après-midi doit être limité. Se conserver dans la journée des créneaux de temps à soi, de plaisir à faire, pour se recréer fait partie d’une bonne hygiène de vie Author's personal copy 164 [15]. Nombre de techniques comportementales destinées à retrouver une hygiène de sommeil incluent cette dimension [20]. L’activité physique, les promenades avec le malade restant longtemps possibles, la relaxation, la méditation, le yoga ont montré une efficacité sur le stress des aidants et le rythme de leur sommeil [26]. Dans l’ensemble, les aidants font moins d’exercice physique que les personnes de leur âge [17,19]. L’exercice physique régulier, adapté à l’état de santé et à la condition physique de la personne, après un avis médical, réduit le risque ou les conséquences du nombre de morbidités fréquent dans l’âge avancé. Il améliore la qualité du sommeil et a un impact favorable sur le rythme circadien [8]. Les aidants présentant des troubles du sommeil doivent être examinés et pris en charge par leur médecin de famille et il est bien entendu que la prescription d’un hypnotique n’est pas la panacée mais un palliatif temporaire. La prise en charge d’une dépression, la réduction du stress dans le soin de la personne démente par une pédagogie et la mise en œuvre de solution de répits et une aide aux aidants sont indispensables. Une prise en charge dans un groupe thérapeutique type bien-être est ici intéressante à promouvoir en tant que piste préventive pour mieux prendre les besoins de cette population particulièrement fragile. Dans ce cadre, une pratique de relaxation ou de Shiatsu. Littéralement, Shiatsu signifie pression (atsu) des doigts (shi) : c’est donc une stimulation du corps par les mains, les doigts, issue d’une pratique traditionnelle chinoise (age-old-therapy). Cette pratique se base sur la tendance naturelle du corps à se guérir lui-même et la stimule. Ce soin peut ainsi aider à appréhender les somatisations si fréquentes chez les aidants débordés. On note en effet que les troubles directement liés à un état de tensions musculaires (gorge serrée, estomac noué, etc.) semblent être nettement améliorés à la suite des séances de Shiatsu [9]. Conclusion Les aidants de patients déments à domicile sont davantage exposés aux troubles du sommeil que les autres personnes de leur âge. L’insomnie est source d’une comorbidité somatique et psychiatrique. La prise en charge des difficultés du sommeil de l’aidant passe par une aide aux aidants pour réduire les conséquences des facteurs précipitant. La prévention de ces troubles nécessite un dépistage systématique des facteurs pérennisant l’insomnie des aidants. La thérapeutique des troubles du sommeil de l’aidant, lorsqu’ils sont institués, passe par des solutions non médicamenteuses et une adaptation des psychothérapies incluant des programmes de gestion du stress. Références [1] American Psychiatric Association.Diagnostic and statistical manual of mental disorders. 4th ed., text revised Washington, DC: APA; 2000. [2] Burton LC, Newsom JT, Schulz R, et al. Preventive health behaviors among spousal caregivers. Prev Med 1997;26(2): 162—9. P. Thomas et al. [3] Buysse DJ, Monk TH, Carrier J, et al. Circadian patterns of sleep, sleepiness, and performance in older and younger adults. Sleep 2005;28(11):1365—76. [4] Cooke JR, Ancoli-Israel S. Sleep and its disorders in older adults. Psychiatr Clin North Am 2006;29(4):1077—93, abstract x-xi. [5] Folstein MF, Folstein SE, McHugh PR. ‘‘Mini-mental state’’. 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