Author`s personal copy - Centre Hospitalier Esquirol de Limoges

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L’Encéphale (2010) 36, 159—165
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journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
PSYCHOGÉRIATRIE
Troubles du sommeil chez les aidants à domicile de
patients atteints de démence
Sleep disturbances in home caregivers of persons with dementia
P. Thomas a,∗, C. Hazif-Thomas b, M. Pareault a, F. Vieban a, J.-P. Clément a
a
Centre mémoire de ressources et de recherche, service hospitalo-universitaire de psychogériatrie,
15, rue du Docteur-Marcland, 87025 Limoges cedex, France
b
Centre mémoire de proximité, service de psychiatrie du sujet âgé, CHG de Quimperlé, 29300 Quimperlé, France
Reçu le 1er octobre 2008 ; accepté le 29 juin 2009
Disponible sur Internet le 23 septembre 2009
MOTS CLÉS
Sommeil ;
Insomnie ;
Automédication ;
Aidants ;
Démence ;
Maladie d’Alzheimer
∗
Résumé
Contexte. — Des estimations suggèrent que plus de 700 000 adultes sont des aidants de personnes
démentes et qu’un grand nombre présente, à un moment ou à un autre de leur engagement
auprès du malade, diverses altérations de leur sommeil. Les professionnels de santé sont à
même de repérer et gérer ces difficultés qui, compte tenu de leur ampleur, sont un enjeu de
santé public.
Objectif. — Étude prospective du retentissement sur le sommeil de l’aidant principal de la prise
en charge d’un patient dément vivant à domicile. Elle porte sur deux populations. Un groupe
témoin concerne 86 personnes âgées vivant dans ou aux alentours de Limoges (France) et qui ont
été contactées pour participer à l’étude par leur club du troisième âge. L’autre groupe concerne
98 aidants de personnes atteintes de démence, vivant à leur domicile et dont l’examen a été
réalisé lors d’une consultation du malade. Dans chaque groupe, les personnes répondaient à un
questionnaire pour décrire leurs possibles troubles du sommeil.
Résultats. — Les aidants sont en butte à davantage de troubles du sommeil que les personnes
âgées n’ayant pas de tels soucis. Les problèmes de sommeil des aidants sont souvent liés à des
difficultés similaires chez le malade. Les aidants sont plus souvent hypertendus ou dépressifs.
Ils prennent davantage de médicaments et s’automédiquent plus souvent.
Discussion. — Trois facteurs majeurs de troubles du sommeil de l’aidant sont ici relevés dans
cet article : l’apparition chez les aidants d’éléments de vie qui rompent avec les habitudes
du sommeil, le poids du fardeau qui les expose à la dépression et les risques pour la santé de
l’aidant. Un traitement efficace des troubles du sommeil de l’aidant nécessite une prise en
compte vigilante de ces trois facteurs.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (P. Thomas).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2009.06.010
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KEYWORDS
Sleep;
Insomnia;
Self-medication;
Caregivers;
Dementia;
Alzheimer’s disease
P. Thomas et al.
Summary
Background. — Estimates suggest that there are more than 700,000 adult caregivers of persons
with dementia in this country, a large number of whom experience some form of sleep disturbance during the course of their caregiving career. Health care professionals are in the best
position to detect and address this significant public health problem.
Objectives. — Prospective study of sleep with the main caregivers providing home-care for
demented patients.
Methods. — This study was performed on elderly persons living at home. Two populations were
concerned. The control group concerned 86 old persons living in the area of Limoges (France)
and was contacted to join by the senior clubs of this city. The other group concerned caregivers
to persons with dementia, living with them at home, and the assessments were done during the
patient assessment. Each group had a cognitive evaluation by a Folstein’s test and answered a
questionnaire to describe their possible sleep difficulties.
Results. — Sixty-eight caregivers face sleep disturbance versus 25 non-caregiver controls. Caregiver sleep-problems are often linked to sleep disturbances in the care-recipient. Night-time
awakenings by persons with dementia are a common precipitating cause of sleep/wake disturbances in vulnerable caregivers. Caregivers awake 2.3 times during the night versus 1.2 for
control persons. Caregivers awake earlier (around 6:20) than non-caregivers (around 7:05) and
their sleep time is shorter by one hour. Caregivers are more often depressed (28 in 98 versus 13
in 86) and have more often high blood pressure (56 in 98 versus 24 in 86). They received more
medications and used more often self-medication.
Discussion. — Three major contributors to caregiver sleep-disturbance are pointed in this paper:
the apparition of caregiver disrupted sleep routines, caregiver burden and depression and
the caregiver’s physical health status. Successful treatment of a caregiver’s sleep disturbance
requires careful consideration of each of these contributors. Non-pharmacological options are
generally recommended as a first line of treatment for managing sleep disturbances in older
adults, including caregivers of persons with dementia.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Les aidants de patients déments à domicile sont en butte
à de nombreuses difficultés. Outre la charge de travail
et le coût financier représenté par l’engagement auprès
du malade, des difficultés psychologiques se font rapidement jour en raison de la durée ou de la lourdeur de la
prise en charge et de l’aggravation progressive de la maladie avec son cortège de dépendance et de troubles du
comportement. L’anxiété et la dépression se rencontrent
fréquemment chez eux. Les troubles du sommeil du malade
sont parmi les causes le plus fréquemment citées par les
aidants pour expliquer la nécessité de l’institutionnalisation
du malade [7]. Rapidement, ils ont un retentissement sur le
sommeil de l’aidant et son état de santé. Cet article vise
à regarder l’importance des troubles du sommeil chez les
aidants, à évaluer leur risque sur la santé de l’aidant et à
regarder les liens qu’ils peuvent avoir avec l’état du malade.
Une comparaison est faite entre une population d’aidants
et une population témoin de personnes âgées d’âge comparable.
Méthodes
Chaque aidant ou chaque personne du groupe témoin était
invité à participer à l’étude et son accord écrit était requis.
Le protocole de l’étude a été soumis et approuvé par le
président du Comité de protection de la personne humaine
le 29 novembre 2007. Lors d’une consultation spécialisée,
psychiatrique ou gériatrique, couplée à la réalisation d’une
consultation du malade dément pour les aidants, le médecin lui proposait de répondre à un questionnaire en 20 points
sur son sommeil, les pathologies auxquelles il était exposé
et les traitements habituellement reçus, l’utilisation éventuelle d’hypnotiques ou d’une automédication régulière
(plus de cinq fois par semaine). Compte tenu de la fréquence des troubles cognitifs dans la tranche d’âge de
la population étudiée et d’un possible retentissement de
ceux-ci sur le sommeil, il était proposé, aux personnes de
la population témoin et chez les aidants, sans caractère
d’obligation, d’évaluer leurs performances cognitives par un
test Mini Mental Test (MMSE) de Folstein [5] au cours d’une
consultation auprès d’un médecin investigateur. Le médecin
relevait systématiquement le niveau de l’atteinte cognitive
du malade dément par le même test, le diagnostic du type de
démence et les problèmes éventuels de sommeil du malade.
Les personnes du groupe témoin ont été contactées par
les clubs du troisième âge de Limoges et n’avaient comme
critère d’exclusion que le fait de s’occuper d’un malade à
domicile. Proposition sans obligation leur était faite de venir
en consultation mémoire. Les aidants ont été contactés par
les médecins des diplômes universitaires de psychogériatrie
de Limoges (Pr Clément) et d’Ivry (Pr Belmin), par les médecins du service universitaire de psychogériatrie de Limoges
et de Quimperlé et du centre de mémoire, de ressources et
de recherche du Limousin. Les critères d’inclusion étaient
d’être l’aidant principal d’un patient dément vivant avec
lui à domicile. La définition prise pour cet aidant était un
individu qui aide régulièrement et bénévolement un proche
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Troubles du sommeil chez les aidants à domicile de patients atteints de démence
161
Tableau 1 Populations étudiées.
Characteristics of the studied populations.
H/F
Âge
MMSE
Population témoin
Aidants de dément
28/58
37/61
72,1 ± 7,9 [60—89]
73,1 ± 7,2 [56—87]
27,9 ± 2,6 [22—30]
29,4 ± 3,1 [22—30]
Total
65/119
72,6 ± 8,0 [56—89]
28,9 ± 1,9 [22—30]
H/F : hommes/femmes.
H/F: men/women.
dément, qui vit avec ce proche au moins depuis six mois
[23]. Il n’y avait pas de critère d’exclusion. Proposition sans
obligation leur était faite, comme pour la population témoin
de venir en consultation mémoire. Les critères appliqués au
diagnostic étaient ceux de McKeith et al. pour la maladie à
corps de Lewy [14] et ceux de l’American Association pour
la maladie d’Alzheimer [1].
Les tests statistiques utilisés ont été le Chi2 pour les
comparaisons d’effectifs, le test t de Student pour les
comparaisons de moyennes des variables quantitatives
suivant la loi normale et le test non paramétrique de MannWhitney dans un autre cas : comparaison des heures de
réveil.
Résultats
Quatre-vingt-six personnes ont été recrutées pour constituer le groupe témoin et 98 aidants ont accepté de répondre
au questionnaire. Trente-trois personnes du groupe témoin
et 46 aidants ont demandé à bénéficier d’un test de Folstein. Le Tableau 1 présente les caractères généraux de ces
deux populations. Les aidants s’occupaient de 98 malades
déments âgés de 78,07 ± 5,5 ans et ayant un MMSE moyen
de 17,7 ± 6,3. Soixante-douze malades présentaient une
démence de type Alzheimer et 26 une maladie à corps
de Lewy. Les MMSE des premiers étaient significativement moins altérés que celui des seconds, respectivement
16,4 ± 6,5 et 21,4 ± 3,9 (t = 4,61 ; p < 0,001).
Caractéristiques des nuits des aidants
Vingt-cinq personnes du groupe témoin disent mal dormir
contre 68 parmi les aidants (Chi2 = 29,78 ; p < 0,001). Il n’a
pas été relevé ici de différence significative quant au genre
des personnes interrogées, ou encore à leur niveau cognitif
au MMSE. Les personnes des deux groupes utilisent la sieste
l’après-midi dans les mêmes proportions (20 %). Vingt-deux
personnes témoins sur 86 signalent une fatigue matinale
au réveil contre 65 aidants sur 98 (Chi2 = 30,5 ; p < 0,001).
Il n’y a pas plus de cauchemars dans l’un ou l’autre des
groupes et, si davantage d’aidants se plaignent de difficultés d’endormissement, 40 contre 27 dans le groupe témoin,
la différence n’est pas significative. Le Tableau 2 présente
les caractéristiques des nuits de ces groupes. Les aidants se
réveillent significativement plus souvent et plus tôt et ont
des nuits plus brèves que les autres personnes âgées.
Liens entre sommeil de l’aidant et malade
Il existe des liens entre les troubles du sommeil de l’aidant
et ceux du malade. Le MMSE des malades lorsque l’aidant
dort mal est à 16,8 ± 6,7 contre 19,7 ± 5,0 dans l’autre cas
(t = 2,40 ; p < 0,05). Même si le MMSE des malades atteints
de démence à corps de Lewy est moins dégradé, cette
maladie génère davantage de troubles du sommeil chez
l’aidant. Parmi les 68 aidants qui disent mal dormir, 46
s’occupent d’un malade Alzheimer et 22 d’une maladie à
corps de Lewy. Seuls quatre aidants s’occupant de cette dernière démence déclarent bien dormir (Chi2 = 3,86 ; p < 0,05).
Sur ces 68 aidants qui déclarent mal dormir, 59 signalent
que le malade dort mal. Seuls quatre aidants qui disent
bien dormir signalent des difficultés de sommeil chez leur
patient (Chi2 = 48,8 ; p < 0,01). Toujours sur les 68 aidants
qui déclarent mal dormir, 41 signalent que le malade a des
cauchemars et seuls cinq qui disent bien dormir signalent
ce problème chez leur patient (Chi2 = 15,9 ; p < 0,01). Vingttrois aidants signalent que les patients ont une inversion du
rythme veille—sommeil. Tous déclarent mal dormir. Lorsque
l’aidant dort bien, le malade se réveille moins d’une fois par
nuit (0,9 ± 0,8) et lorsqu’il dort mal, le malade se réveille
plus de deux fois (2,2 ± 1,1 ; t = 6,10 ; p < 0,01).
Problèmes de santé associés chez l’aidant
Les problèmes de santé suivants, susceptibles d’interférer
avec le sommeil, ont été recherchés par l’interrogatoire
Tableau 2 Caractéristiques du sommeil des deux populations.
Sleep characteristics of the populations.
Nombres de réveils/nuita
Témoins
Aidants
a
b
c
1,2 ± 0,9 [0—4]
2,3 ± 1,4 [0—8]
t = 6,72 ; p < 0,001.
t = 4,69 ; p < 001.
U test Mann-Whitney = 5674 ; p < 0,001.
Heures sommeil/nuitb
7,3 ± 1,6 [4—10]
6,3 ± 1,6 [0—9]
Heure réveil/matinc
7 h 05 ± 1 h 10
6 h 22 ± 1 h 16
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P. Thomas et al.
Tableau 3 Pathologies associées chez l’aidant.
Caregivers’ associated pathologies.
Témoins
Aidants
Problèmes
cardiovasculaires
Hypertension
artérielle
Diabète
Difficultés
mictionnelles
Problèmes
thyroïdiens
Maladie de
Parkinson
Douleurs
Dépression
traitée
33
41
24
52
10
9
10
14
12
7
2
0
22
31
13
28
Tableau 4 Présentation de la consommation médicamenteuse dans les deux populations.
Drugs used in the two subpopulations.
Témoins
Aidants
a
b
c
Nombres de médicamentsa
Hypnotiquesb
Automédicationc
2,35 ± 2,37 [0—12]
3,40 ± 2,21[0——6]
21
41
15
30
t = 3,133 ; p = 0,002.
Chi2 = 6,22 ; p = 0,013.
Chi2 = 4,30 ; p = 0,038.
dans les deux populations étudiées : problèmes cardiovasculaires en dehors de l’hypertension, hypertension artérielle,
diabète, difficultés mictionnelles, problèmes thyroïdiens,
maladie de Parkinson, existence de douleurs chroniques
et dépression traitée (Tableau 3). Seules l’existence d’une
hypertension connue (Chi2 = 11,95 ; p < 0,001) et l’existence
d’une dépression traitée au moment de la consultation
sont significativement plus fréquentes chez les aidants
(Chi2 = 4,78 ; p = 0,029).
Médicaments pris par l’aidant
La population qui dort mal, aussi bien chez les témoins
que chez les aidants, prend statistiquement davantage
d’hypnotiques et s’automédique plus que celle qui dort
bien. Parmi les 93 personnes qui dorment mal, dans
les deux groupes étudiés, 44 ont recours à des hypnotiques (Chi2 = 15,6 ; p = 0,001) et 31 à une automédication
(Chi2 = 8,02 ; p = 0,005). Le Tableau 4 présente la consommation médicamenteuse des deux populations étudiées.
Les aidants consomment davantage de médicaments que la
population témoin, prennent plus souvent des hypnotiques
et utilisent plus souvent l’automédication. Les hypnotiques
prescrits par les médecins, dans les deux populations et à
égalité de répartition, sont pour moitié des hypnotiques à
demi-vie courte, pour moitié des benzodiazépines à demivie longue. Les aidants utilisent très fréquemment des
hypnotiques à durée de vie courte (17 fois) ou longue (quatre
fois) en automédication, quand ces traitements ne sont
jamais utilisés dans cette circonstance dans la population
témoin. Les autres produits utilisés, comparables dans les
deux populations, sont les tisanes, le thé ou le café et plus
rarement l’alcool.
contrainte. Elle est vulnérable au plan santé, l’hypertension
artérielle et la dépression étant ici plus fréquentes. Elle
prend davantage de médicaments et s’automédique davantage. Les médicaments utilisés pour dormir ne sont pas
toujours des hypnotiques d’activité rapide à durée de vie
brève (zolpidem ou zopiclone) qui génèrent moins de sédation durant la journée que les benzodiazépines à durée de
vie longue, qui de plus retentissent sur le sommeil paradoxal. L’étude comporte cependant des biais, en particulier
ne sont évalués ici que les aidants suivis par des spécialistes. Nombre d’entre eux qui comptent parmi les plus
vulnérables échappent à la surveillance médicale lorsque
le malade n’a pas un suivi spécifique. De plus la plainte
sommeil est sollicitée par l’interrogatoire, mais la pratique
clinique montre que l’aidant d’un patient dément est volontiers en retrait de ses propres difficultés, derrière celles du
malade [13]. C’est dans ce contexte que nombre d’aidants
ont décliné la passation d’un test de Folstein et on peut
interpréter ce « retrait » comme une conduite d’évitement
en lien avec une certaine anxiété ; ce sont ces mêmes
aidants qui parfois déclinent un traitement antidépresseur
sous prétexte de la crainte alléguée que ce dernier amputerait leur mémoire. Pour le groupe témoin, d’autres raisons
peuvent être avancées : manque de disponibilité pour une
situation de test vécue comme scolaire, refus de se projeter dans une problématique de perte d’autonomie, attitude
ambivalente quant à la participation authentique à une
étude scientifique. . . La phobie d’implication peut encore
relier les témoins dans une certaine « timidité » et n’est
pas sans évoquer la question de la diminution des engagements si fréquente chez nombre de sujets âgés démotivés,
plus exposés que d’autres à un risque d’altération cognitive.
Discussion
Trois types de facteurs influencent les troubles du
sommeil de l’aidant
La population d’aidants de patients déments vivant à domicile est davantage exposée à des problèmes de sommeil
qu’une population d’âge comparable sans le même type de
Les troubles du sommeil de l’adulte sont influencés par trois
types de facteurs (modèle 3P de Spielman) : prédisposant,
précipitant et pérennisant [21]. Ces facteurs ne sont pas
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Troubles du sommeil chez les aidants à domicile de patients atteints de démence
indépendants de la démence et de son retentissement sur
la personne qui prend en charge un malade.
Les femmes âgées, de santé fragile, sont fréquemment
engagées dans le soin d’un époux ou d’un parent présentant
des troubles cognitifs [23]. L’âge avancé, le genre féminin,
les problèmes de santé sont des facteurs « prédisposant » de
la désorganisation du sommeil. Non seulement leur sommeil
est plus fragile que chez les jeunes, mais l’évolution chronique est aussi plus fréquente [3]. Plus que les hommes,
les femmes âgées sont exposées à des apnées obstructives
du sommeil ou à un syndrome des jambes sans repos [4].
Dans cette étude le risque spécifique des femmes n’est pas
relevé, mais hommes et femmes aidants sont exposés aux
deux autres facteurs.
Ces facteurs « prédisposant » potentialisent l’effet
des facteurs « précipitant » : changement des rituels
d’endormissement du fait de l’anxiété et rupture du calme
de la nuit en raison des troubles du comportement nocturnes du malade. Bien souvent l’aidant ne dort que d’un
œil en raison des risques auxquels peut s’exposer le malade
et cette hypervigilance facilite les réveils nocturnes [10].
L’aidant vulnérable aura de grandes difficultés à redormir
après avoir été réveillé au milieu de la nuit pour changer
le malade, le rassurer, lui faire regagner son lit lorsqu’il a
une inversion du rythme veille—sommeil. L’aidant a aussi
souvent une relation affective forte avec le malade.
Certains facteurs rendent pérennes ces troubles. Lorsque
les circonstances qui ont conduit à des troubles du sommeil
disparaissent, ceux-ci perdurent. Trois éléments sont importants pour expliquer cette problématique : l’acquisition par
l’aidant d’une mauvaise hygiène de sommeil, son épuisement du fait du fardeau supporté, son état de santé
enfin, notamment son anxiété et sa dépression éventuelle.
Les essais de restaurer le sommeil sous assistance médicale ou par automédication peuvent s’avérer désastreux :
prise prolongée et sans réel contrôle médical d’hypnotiques,
excès de temps de sieste compensateur dans la journée,
café pris en abondance pour se tenir éveillé, consommation d’alcool ou de diverses automédications pour trouver
un sommeil qui se dérobe. Aux problèmes « précipitant »
liés au malade s’ajoutent les conséquences d’une mauvaise hygiène de vie qui cristallisent durablement les
troubles du sommeil et qui perdurent parfois alors que
le malade est institutionnalisé ou qu’il est décédé [12].
Le deuil de la personne jusque-là en soin ajoute un
poids de douleur morale qui ne facilite pas un bon sommeil [12]. On pourrait comparer la situation de l’aidant
à celle des ouvriers qui font les « trois huit » et qui
sont censés être alertes et disponibles la nuit comme
le jour. Les conséquences pour la vie quotidienne sont
notables : fatigue matinale, tendance à l’endormissement
dans la journée, manque de disponibilité affective et
irritation pour un rien, stress, anxiété et dépression,
risque accru d’accident domestique ou de la vie quotidienne.
Le niveau du fardeau des soins à donner au malade
est un facteur de stress important qui fixe et pérennise
les troubles du sommeil. De ce fardeau lié à la progression de l’atteinte cognitive, résultent des problèmes
physiques, psychologiques ou émotionnels, sociaux et financiers qui s’abattent sur les épaules d’un aidant naturel
163
en charge d’un adulte dépendant. À coté du fardeau
objectif qui a un impact direct sur le sommeil comme
les errances nocturnes du malade, l’agitation physique
et l’incontinence, s’ajoute un fardeau subjectif lié à la
dépression du malade, l’impression de solitude dans les
soins de l’aidant, la raréfaction des visites au fur et à
mesure de la progression de la maladie, les changement
non désirés des rôles familiaux ou des modalités relationnelles avec le malade [23]. La perte de maîtrise dans
la gestion du quotidien de la maisonnée s’aggrave progressivement et l’aidant est de plus en plus noyé dans
des tâches ingrates. Tous ces facteurs se combinent et
vont engendrer un risque de morbidité et de mortalité
[18].
Dernier facteur rendant pérennes les troubles du sommeil, l’état de santé de l’aidant se détériore avec la longue
durée de prise en charge [23]. L’anxiété de l’aidant croît
devant une situation qui se détériore et dont il ne sait
de quoi elle sera faite demain. Les troubles du sommeil
désormais bien installés facilitent le glissement de l’aidant
dans la dépression, ce qui, bien sûr, ne favorise pas la gestion du stress [22]. Dépression et anxiété s’accompagnant
volontiers de trouble du sommeil. Une boucle vicieuse est
ainsi ouverte. Le stress de l’aidant est directement lié
au fardeau, la coexistence d’une dépression et d’insomnie
exposent à un risque suicidaire, ce dont la presse rend régulièrement compte [11,16,24]. D’autres raisons mal connues
interviennent et il se peut que les moments de communication parfois plus faciles à vivre la nuit font de l’inversion
rythme veille—sommeil une réalité encore peu appréhendée
dans sa nature exacte, poussant paradoxalement l’aidant
à lui-même « inverser » sa vision de l’hygiène de vie, d’où
un décalage croissant avec les attendus habituels de son
environnement. Une guidance familiale et un programme de
soutien psycho-éducationnel peuvent ici avoir du sens afin
d’aider l’aidant à rester ancré dans la réalité sociale.
La prise en charge au long cours d’un malade dément
s’accompagne fréquemment de problèmes somatiques qui
peuvent engendrer des difficultés à dormir : majoration
du ressenti des douleurs, perte de poids [23], hypertension artérielle [6], problèmes cardiovasculaires [25]. L’accès
aux soins pour l’aidant n’est pas toujours aisé et nombre
d’entre eux soit ne se soignent pas ou mal, soit ne sont pas
compliants aux prescriptions ou n’utilisent pas suffisamment
de temps pour la convalescence après un accident de santé
[2,23].
La prise en charge des troubles du sommeil de
l’aidant
Les troubles du sommeil de l’aidant doivent être dépistés,
en particulier lors des consultations du malade, surtout si
celui-ci présente lui-même des problématiques nocturnes.
Une éducation de l’aidant est nécessaire pour prévenir
les troubles et leur pérennisation : récupération des rituels
d’endormissement et d’une bonne hygiène de vie. Un temps
pour la sieste est indispensable lorsque les nuits sont rendues difficiles par un malade agité ou errant. Mais le temps
du sommeil l’après-midi doit être limité. Se conserver dans
la journée des créneaux de temps à soi, de plaisir à faire,
pour se recréer fait partie d’une bonne hygiène de vie
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[15]. Nombre de techniques comportementales destinées à
retrouver une hygiène de sommeil incluent cette dimension
[20]. L’activité physique, les promenades avec le malade
restant longtemps possibles, la relaxation, la méditation, le
yoga ont montré une efficacité sur le stress des aidants et
le rythme de leur sommeil [26].
Dans l’ensemble, les aidants font moins d’exercice physique que les personnes de leur âge [17,19]. L’exercice
physique régulier, adapté à l’état de santé et à la condition physique de la personne, après un avis médical, réduit
le risque ou les conséquences du nombre de morbidités
fréquent dans l’âge avancé. Il améliore la qualité du sommeil et a un impact favorable sur le rythme circadien
[8].
Les aidants présentant des troubles du sommeil doivent
être examinés et pris en charge par leur médecin de famille
et il est bien entendu que la prescription d’un hypnotique n’est pas la panacée mais un palliatif temporaire. La
prise en charge d’une dépression, la réduction du stress
dans le soin de la personne démente par une pédagogie et la mise en œuvre de solution de répits et une
aide aux aidants sont indispensables. Une prise en charge
dans un groupe thérapeutique type bien-être est ici intéressante à promouvoir en tant que piste préventive pour
mieux prendre les besoins de cette population particulièrement fragile. Dans ce cadre, une pratique de relaxation
ou de Shiatsu. Littéralement, Shiatsu signifie pression (atsu)
des doigts (shi) : c’est donc une stimulation du corps par
les mains, les doigts, issue d’une pratique traditionnelle
chinoise (age-old-therapy). Cette pratique se base sur la
tendance naturelle du corps à se guérir lui-même et la
stimule. Ce soin peut ainsi aider à appréhender les somatisations si fréquentes chez les aidants débordés. On note en
effet que les troubles directement liés à un état de tensions
musculaires (gorge serrée, estomac noué, etc.) semblent
être nettement améliorés à la suite des séances de Shiatsu
[9].
Conclusion
Les aidants de patients déments à domicile sont davantage
exposés aux troubles du sommeil que les autres personnes de
leur âge. L’insomnie est source d’une comorbidité somatique
et psychiatrique. La prise en charge des difficultés du sommeil de l’aidant passe par une aide aux aidants pour réduire
les conséquences des facteurs précipitant. La prévention de
ces troubles nécessite un dépistage systématique des facteurs pérennisant l’insomnie des aidants. La thérapeutique
des troubles du sommeil de l’aidant, lorsqu’ils sont institués, passe par des solutions non médicamenteuses et une
adaptation des psychothérapies incluant des programmes de
gestion du stress.
Références
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