Un ring sans étoile - Ecole de journalisme de Sciences Po

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Un ring sans étoile - Ecole de journalisme de Sciences Po
Ecole de journalisme de Sciences Po
Un ring sans étoile
Soumis par LACARRIERE Cyril
Soir de combat à la Halle George Carpentier de Paris. Le boxeur français Jean-Marc Mormeck affronte Timur Ibragimov,
venu d'Ouzbekistan. Les gradins sont remplis, quelques célébrités prennent place autour du ring.
Douze rounds de coups, d'encouragements, de peur également. Le Français l'emporte. Sa troisième victoire dans la
catégorie poids lourds, en attendant de disputer un titre mondial.
Entre désaffection et fascination, la boxe traverse une période charnière et livre un combat pour ne pas disparaître.
Pendant six semaines, Cyril Lacarrière, étudiant de 2ème année de l'Ecole de journalisme de Sciences Po, a mené son
enquête sur le milieu de la boxe sous la direction de son professeur, Pierre Serisier. Situation actuelle, place dans la
société, boxe féminine, amateurisme, menaces... "Un ring sans étoile" fait le bilan sur ce sport en crise.
Le coach Basheer Abdullah, à gauche, parle stratégie avec Adrian Ghisoiu au National Boxing Championships de 2009 à
Denver, U.S.
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Edité par Diane Jeantet
En manque de star, plombée par la multiplication des catégories et des champions, moquée pour ses combats
déséquilibrés, la boxe ne fait plus recette. Depuis la fin des années Tyson et de la Hoya, les figures manquent pour
incarner le renouveau : «ces deux types dépassaient le cadre du sport,» explique l'ancien boxeur Jean-Claude Bouttier
devenu consultant pour Canal +, «Tyson était peut-être un mauvais garçon mais c'était un champion.
A chaque fois que je le voyais monter sur le ring, j'avais la chaire de poule.» Un frisson largement entamé ces dernières
années. En France ce même Bouttier demeure une référence, 37 ans après sa deuxième défaite historique face à
Carlos Monzon, «que je sois un marqueur d'accord, mais ce n'est pas normal que les jeunes ne m'aient pas mis
dehors», déclare l'ancien champion d'Europe. Christophe et Fabrice Tiozzo, Mahyar Monshipour, Brahim Asloum, tous
champions du monde, ne prendront jamais la suite malgré des relais médiatiques décuplés. «On a pris les gens pour
des idiots, plus personne ne se lève la nuit pour suivre les combats aux Etats-Unis et tout le monde partage la
responsabilité de cet échec», assène Dominique Nato, directeur technique national (DTN) de la Fédération française de
boxe.
Dix-sept catégories de poids, quatre ceintures reconnues par la fédération internationale (WBA, WBC, WBO, IBF), 68
champions du monde potentiels, largement de quoi créer la confusion. Lorsque Brahim Asloum , premier médaillé d'or
olympique de la boxe française depuis 1936 (Roger Michelot et Jean Despeaux, JO Berlin), devient champion du monde
catégorie mi-mouche en 2007, c'est sous les moqueries qu'il soulève sa ceinture. Combats jugés trop faciles,
adversaires vieillissants, Asloum est décrédibilisé, «Ce qu'avait réalisé Brahim à Sydney était pourtant monstrueux»,
regrette Jean Claude Bouttier. En 2009, à tout juste 30 ans, il met un terme à sa carrière, faute de diffuseur.
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Professionnels VS Amateurs, la revanche
Un champion du monde sans télévision pour retransmettre ses combats, une situation pour le moins surprenante . Pour
Dominique Nato, les chaînes ont leur part de responsabilité dans la perte de repères actuels : «les télévisions ont
participé à la multiplication des champions, créant moins de visibilité pour le public, donc l'éloignement des spectateurs
et la baisse d'audience qui va avec. Résultat les chaînes finissent par se retirer.»
Autre coupable désigné, le monde professionnel : «la fédération a trop longtemps laissé la boxe pro aux mains des
promoteurs», explique Myriam Chomaz, ancienne championne d'Europe maintenant attachée à la FFB. Une position
soutenue par Jean-Marc Mormeck : «tous ces gens qui restent chez eux à ne rien faire, qui se revendiquent mentors sans
qu'on sache pourquoi et qui prennent l'argent au passage, il faut que ça s'arrête et que les boxeurs restent maîtres de
leur vie et de leur destin.» L'ancien champion du monde des lourds légers, organisateur de ses propres combats, espère
voir d'autres pugilistes lui emboîter le pas. (voir encadré 'Jean-Marc Mormeck, le rêve et l'exemple' ).
Des préoccupations qui contrastent avec la pratique amateur où le sportif reste au cœur du projet. Sur 40.000
pratiquants en France, 400 sont licenciés professionnels. Parmi eux seule une petite vingtaine parvient à vivre de son
sport. D'où le choix de conserver un statut d'amateur qui offre plus de garanties et de sécurités : «la boxe pro n'est pas
organisée et les boxeurs sont livrés à eux-mêmes. Au sein de la fédération, ils bénéficient des infrastructures
nationales et ont l'obligation de s'inscrire dans un double cursus, sportif et universitaire», détaille Bruno Wartelle,
capitaine de l'équipe de France de boxe aux Jeux olympiques d'Atlanta, aujourd'hui chargé du développement
événementiel, de la communication et référent boxe à la mairie d'Issy-les-Moulineaux (92).
Des conditions attractives qui peuvent retenir même les plus doués des champions français. John Mbumba, triple
champion de France chez les poids lourds et huitième de finaliste aux JO de Pékin, a d'ailleurs fait ce choix (lire portrait
). Trop d'incertitudes et moins de visibilité à long terme : «A l'Insep, je m'entraîne deux fois par jour, je ne travaille qu'avec
l'élite de mon sport et je sais où je vais. A l'extérieur, j'en connais qui n'ont même plus leur carrière entre leurs mains»,
explique-t-il. Pourtant malgré ces imbroglios, la boxe conserve un puissant pouvoir d'attraction, comme en atteste la
fréquentation des salles d'entraînement - augmentation de 60% des licenciés entre 1996 et 2010 - et l'aura que
conserve les quelques dernières stars de ce sport.
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«Peut-être est-ce l'école des hommes» (Alexis Philonenko)
Un paradoxe illustré par la particularité d'une pratique où se mêlent art et violence. Fabrice Burlot, sociologue du sport à
l'Insep : «c'est d'abord une activité qui déconcerte. Elle est très éloignée de l'image qu'elle dégage, on y trouve
finalement beaucoup de respect, de chaleur, d'humilité. Et en même temps les gens viennent y voir une chose
devenue de plus en plus lointaine de leur univers : la violence.» Dans une société qui cherche à civiliser sa violence cet
aspect mythologique confère à la boxe sa singularité. Gamins des banlieues défavorisées et cadres d'entreprise s'y
retrouvent, souvent dans des clubs différents mais avec des motivations comparables : trouver un sport exutoire et
changer le regard des autres sur soi. «Dans un monde où il faut faire preuve d'originalité, faire de la boxe est atypique.
Pour ces cadres, se voir coller une image de mauvais garçon peut être positif, analyse Fabrice Burlot, même choses
pour des jeunes qui veulent s'affirmer.» A la différence que ces derniers devront y apprendre des valeurs souvent loin
de l'image populaire que ce sport véhicule. Trucages, agressivité, dérapages de stars médiatiques, les clichés, bien
réels, sont nombreux à handicaper la boxe.
Mais une fois la porte d'une salle d'entraînement franchie, la réalité est bien différente.Discipline, autogestion, respect,
connaissance de son corps, les règles sont nombreuses, même si très informelles. Premier regard en entrant dans un
club et première surprise. A la différence d'un terrain de football, l'entraîneur se trouve très en retrait, presque effacé par
rapport à ses boxeurs. Distillant ses conseils au compte gouttes, intervenant rarement, sa place est décisive car il est le
seul à permettre l'accès au ring, le saint des saints. Pour ceux qui viennent pour la première fois, le contraste est
saisissant. Les comportements se lissent et les mouvements d'humeur sont rares.
Les expressions de force et de virilité se passent dans le combat, face aux autres et face à soi-même. Alexis
Philonenko, historien de la philosophie, amoureux du noble art et auteur de Histoire de la boxe, conclut ainsi l'avantpropos de son livre : «la boxe connaît les coups, mais aussi les pensées altières et nobles.»
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Un propos qu'appuient les recherches du sociologue de l'Insep : «soit on accepte de faire des efforts, soit on s'en va, il y
a une obligation à rentrer dans le moule et à bosser, on ne vient pas ici pour faire le 'mariole'. A l'encontre des idées reçues,
pour ces jeunes, la salle est un îlot sécurisé dans un environnement pas toujours simple.» Des salles où se pressent de
plus en plus de femmes. Si leur engouement pour ce sport de contacts dérange, il pourrait lui offrir un nouveau souffle.
«Les hommes y laissent un peu de leur virilité»
«En général quand je dis que je suis boxeuse, les gens sont surpris car j'ai gardé ma féminité. Et juste après ils me
disent 'donc toi il ne faut pas t'embêter', classique», raconte Lucie Bertaud, 25 ans, quintuple championne de France
(2005, 06, 07, 08, 2010) et championne d'Europe (2007). Rarement bien perçues par les boxeurs masculins, ces
nouvelles adeptes des rings représentent aujourd'hui 18% des licenciés nationaux, soit environ 6 000 femmes qui
mettent les gants.Pour la compétition mais également le loisir.
C'est le cas à l'Avia Club d'Issy-les-Moulineaux. Tous les samedis, une trentaine de femmes, plutôt cadres avec enfants,
viennent profiter des entraînements du boxeur pour se défouler. «Quoi de mieux pour se vider la tête que de taper dans
un sac», explique Bruno Wartelle, à l'initiative de ce projet, «je leur dis, tu pense à ton mari et tu frappes !» Avec l'idée de
calquer les séances sur ce que font les boxeurs, l'ancien champion veut donner une image plus attractive du sport qui
lui a tout apporté. Même si aucune n'a dépassé le stade du fitness, Bruno Wartelle y voit une diversification qui peut
être salvatrice.
Portée par le succès du film de Clint Eastwood, Million Dollar Baby, la boxe féminine bénéficie de nombreuses
campagnes de presse positives. La fédération a d'ailleurs été récemment primé par le ministère des Sports pour le
développement de la pratique du sport féminin. «Même si les hommes y laissent un peu de leur virilité", s'amuse
Myriam Chomaz. Des réticences que l'on retrouve à la maison, «chez moi c'est surtout mon père qui était réticent,» se
souvient Lucie Bertaud, «ma mère a tout de suite été ma première supportrice. Elle me conseille, me soutient et stresse
autant que moi avant un combat.» Afin de rassurer les parents et de sortir la boxe de cette image négative,
Luce imagine une plus grande complémentarité entre études et sport. Au Boxing Beats d'Aubervilliers (93), où elle est
inscrite, le club apporte un soutien scolaire en plus des entraînements, «comme ça les mamans nous confient plus
facilement leurs enfants», explique la jeune boxeuse. Impliquer les parents, inscrire les boxeurs dans une double
démarche, les idées ne manquent pas. Comme cette initiative où s'implique Brahim Asloum, la World Series of Boxing
(WSB), où des villes s'affrontent tels des matches de foot (voir encadré WSB).
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Successeuse du pugilat, réglementée en 1865, admise comme discipline olympique en 1901, sport de fantasmes,
mêlant la magie du combat le plus pur - et le plus âpre - et la dramaturgie du cirque romain, la boxe vit actuellement une
période creuse. Loin des fastes médiatiques et des gloires comme Mohammed Ali, Sugar Ray Leonard, Joe Frazier
aux Etats-Unis et Marcel Cerdan en France, la discipline se cherche un nouvel élan. Il passera nécessairement par un
assainissement du milieu, une simplification des catégories, et forcément par l'avènement d'une nouvelle idole qui
portera son sport. Pour Fabrice Burlot, il n'y a pas de fatalité, «la boxe anglaise disparaîtra peut-être mais reviendra
sous une autre forme, avec d'autres règles, mais avec toujours deux types qui s'opposent face à face», une autre manière
de ne jamais vraiment mourir.
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