Fiches réalisées par Arnaud LEONARD (Lycée français de Varsovie
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Fiches réalisées par Arnaud LEONARD (Lycée français de Varsovie
Fiches réalisées par Arnaud LEONARD (Lycée français de Varsovie, Pologne) à partir de sources diverses, notamment des excellents « livres du professeur » des éditions Nathan (dir. Guillaume LE QUINTREC) 1 HC – L'Europe entre idées libérales et réaction de 1815 à 1849 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : J. CARPENTIER, F. LEBRUN (dir.), Histoire de l’Europe, Seuil, Paris, 1990. P. MILZA, S. BERSTEIN, Histoire de l’Europe contemporaine. Le XIXe siècle, Hatier, Paris, 1992. E. WEBER, Une histoire de l’Europe, t. 2, Fayard, Paris, 1987. R. GIRAULT, Peuples et nations d’Europe au XIXe siècle, Hachette, « Carré », Paris, 1996. J.-M. CARON, M. VERNUS, L’Europe au XIXe siècle. Des nations aux nationalismes, 1815-1914, Armand Colin, coll. « U », Paris, 1996. B. MICHEL, Nations et nationalismes en Europe centrale, XIXe-XXe siècle, Aubier, Paris, 1995. H. Schulze, État et nation dans l’histoire de l’Europe, Le Seuil, coll. « Faire l’Europe », Paris, 1998. Documentation Photographique et diapos : B. Michel, « États et nationalités dans l’Europe du XIXe siècle », La Documentation Photographique, n°6089, 1984. Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : La « première moitié du XIXe siècle » n’a pas une cohérence évidente. Le découpage chronologique du programme est, à l’évidence, politique. Ni 1800, ni 1850, ne sont des dates très pertinentes pour l’évolution de la croissance des activités ou de la mutation de la société. Les débordements en amont (enclosures en Angleterre), voire en aval (essor de la Ruhr dans les années 1850), sont parfois inévitables pour y voir clair. La chronologie politique nous invite à remonter jusqu’à la Révolution française pour en apprécier les conséquences à l’échelle européenne. Le Printemps des peuples, et son échec en 1848-49, peuvent constituer une limite pertinente, mais la plupart des évolutions commencées dans cette période se poursuivent dans la seconde moitié du siècle (l’unité italienne et l’unité allemande par exemple). Quant à la chronologie économique, elle nous oblige à remonter à la fin du XVIIIe siècle pour analyser les débuts de la révolution industrielle en Grande-Bretagne. Cet aspect de la question est au fond très classique. Il a été remis à l’honneur par l’actualité, puisque la fin de la guerre froide a été marquée en Europe par le retour des nationalismes. Tous ces peuples, que l’on croyait «noyés» dans le socialisme ou dans le « camp occidental », ont brutalement fait leur retour sur la scène de l’Histoire. Les observateurs avaient d’ailleurs spontanément qualifié les événements de la fin 1989 en Europe centrale d’« automne des peuples », par référence au «Printemps des peuples » de 1848. Cette histoire politique et idéologique, longtemps jugée « ringarde », a été renouvelée récemment, notamment par l’analyse des représentations et des symboles, et par la réflexion sur la construction des identités. La finalité civique du cours d’histoire est ici évidente : le professeur peut réfléchir avec les élèves sur la manière dont une nation se construit (souvent contre quelque chose), se dote de symboles, « s’invente » des origines, etc. Entre 1800 et 1850, dans la lancée du XVIIIe siècle, l’Europe connaît une mutation décisive. Elle entre dans un âge au cours duquel se forgent les bases de sa domination de la planète jusqu’aux premières décennies du XXe siècle. Cette mue est à la fois économique, sociale et politique. Notre continent, du moins ses pays les plus avancés, passe à l’ère industrielle et nationale. Mais si le constat est indiscutable et rend la période essentielle, ses modalités sont objet de remises en cause historiographiques : dans le reflux actuel des thèses marxistes, le concept même de révolution pose problème, qu’elle soit bourgeoise et nationale ou industrielle et urbaine. La naissance des nations Cette question d’histoire politique et culturelle est « classique », mais extrêmement utile à la compréhension de l’Europe d’aujourd’hui. Elle ne pose Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 2nde : « L'Europe en mutation dans la première moitié du XIXe siècle – Les transformations économiques et sociales – Les aspirations libérales et nationales jusqu'aux révolutions de 1848 – Un tableau de l'Europe au milieu du XIXe siècle Ce dernier thème d'étude se conçoit à l'échelle européenne. Il invite à mettre en évidence les mutations durables qui s'amorcent durant la première moitié du XIXe siècle : – les transformations économiques et sociales induites par le démarrage de l'industrialisation (Révolution industrielle) qui se traduisent par l'affirmation de la bourgeoisie, l'émergence de classes sociales nouvelles (monde ouvrier) et le développement du paupérisme ; – le développement des aspirations nationales et libérales accéléré par les transformations économiques et sociales et les influences de la Révolution française (nationalisme et libéralisme). Sont ainsi mises en évidence la nouveauté du sentiment national et la variété des situations politiques en Europe, dans un contexte de conflit entre les idées libérales et une classe politique qui appartient encore à l'Ancien Régime (réaction et vagues révolutionnaires de 1830 et 1848) ; – des cartes fournissent un tableau des situations économique et politique de l'Europe au milieu du XIXe siècle, afin d'assurer la nécessaire transition avec le programme de la classe de première. » BO 4è actuel : « Les mouvements libéraux et nationaux (3 à 4 heures) À partir d’une carte, les mouvements libéraux 2 pas de problèmes historiographiques particuliers et elle figurait déjà dans le programme précédent – à la différence que le romantisme n’est plus traité ici en tant que tel, mais apparaît seulement comme un élément du contexte. Il faut souligner les enjeux civiques de la question : faire l’histoire de la nation – analyser comment elle est née, quelles définitions on a pu en donner, pourquoi elle s’est développée –, c’est mieux comprendre les événements actuels dans les Balkans ou les débats contemporains entre « souverainistes » et « fédéralistes européens ». En quoi la France a-t-elle été à la fois le modèle et le repoussoir des aspirations nationales et libérales ? Il convient de rappeler dans un premier temps les principes révolutionnaires légués à l’Europe par la « Grande nation ». Abolition de l’Ancien Régime par la destruction des structures féodales et l’introduction de la notion d’égalité (égalité civique, c’est-à-dire face à la loi, ou fiscale), défense des libertés individuelles et surtout affirmation de la souveraineté populaire, c’est-à-dire la possibilité pour un peuple de choisir librement son destin. Ce sont ces principes qui inspirent les libéraux d’Europe. Face à ces principes, on opposera la réalité de la domination française en Europe, le pillage des richesses (Italie), l’utilisation de la répression aveugle (Espagne), la soumission des États aux buts de guerre de la France napoléonienne ou le partage de l’Europe au profi t des fi dèles et de la famille de Napoléon. Quels sont les principes que veulent imposer à l’Europe les signataires du congrès de Vienne ? On insistera sur la volonté des signataires de « restaurer la civilisation », c’est-àdire d’effacer les nouveautés introduites par la France révolutionnaire. Le congrès de Vienne marque un retour à l’Ancien Régime et à ses valeurs. On notera que la Sainte Alliance est placée sous la protection de Dieu et se donne pour buts d’éviter la contagion révolutionnaire et donc la propagation des idéaux de 1789 en Europe. Les moyens préconisés pour atteindre ces buts sont l’alliance militaire, une lutte sans merci contre les libéraux et la création d’un « cordon sanitaire » autour de la France. Comment se manifeste le sentiment national ? Porté par l’enthousiasme et la détermination des élites intellectuelles, des artistes, le sentiment national s’affirme le plus souvent de manière tragique. La conquête de l’indépendance nationale ou de la liberté se fait par les armes : guerres d’indépendance ou révolutions rythment la première moitié du XIXe siècle. Mais le destin de ces mouvements est divers. Réussite plutôt heureuse pour la Belgique ou douloureuse pour la Grèce, l’affi rmation du sentiment national est réprimée dans le sang en Pologne et échoue face à la réaction à l’occasion du Printemps des peuples. La manifestation du sentiment national pourra donc être l’occasion d’une réfl exion autour des concepts de guerre d’indépendance ou de révolution. On insistera volontiers sur le rôle des artistes romantiques qui, notamment, prennent fait et cause pour la Grèce face à l’oppression ottomane, ou pour la Pologne écrasée par l’Empire russe, et cherchent à mobiliser l’opinion publique européenne en faveur des peuples qu’ils défendent. Leur contestation des valeurs anciennes est aussi un ferment révolutionnaire car en affirmant leur mal-être face à la société traditionnelle, ils participent au combat pour la liberté. Enfi n, on pourra mettre l’accent sur le rôle de la bourgeoisie libérale qui porte le mouvement national. En effet, la bourgeoisie montre un double intérêt : d’une part, elle peut espérer participer au pouvoir politique en favorisant une libéralisation des régimes politiques et en obtenant l’octroi de constitutions, d’autre part, elle mise sur l’élargissement des marchés nationaux et donc une possibilité accrue de développement économique et donc d’enrichissement. et nationaux sont présentés comme les épisodes de la lutte qui oppose l’Europe traditionaliste restaurée en 1815 aux aspirations nouvelles des peuples léguées par la période révolutionnaire. Pour le montrer, on prend pour exemples les révolutions de 1848, les unités nationales en Italie et en Allemagne. • Cartes : États et nations en Europe en 1914. •Repères chronologiques : Rome, capitale de l’Italie (1870) ; proclamation de l’Empire allemand (1871). » BO 4e futur : « L’AFFIRMATION DES NATIONALISMES Au cours du XIXe siècle, les revendications nationales font surgir de nouvelles puissances, bouleversent la carte de l’Europe et font naître des tensions. Une étude au choix parmi les suivantes : - L’unité allemande. - L’unité italienne. - La question des Balkans. L’étude s’appuie sur des oeuvres artistiques ou sur la biographie d’un personnage emblématique (Bismarck, Cavour) et débouche sur la comparaison des cartes de l’Europe en 1848 et en 1914. Connaître et utiliser un repère chronologique en liaison avec l’étude choisie Situer sur une carte les principales puissances européennes à la fin du XIXe siècle Décrire et expliquer les conséquences des revendications nationales au cours du XIXe siècle » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Une approche strictement chronologique a paru peu pertinente, car il est nécessaire d’expliquer en quoi consiste le libéralisme et ce qu’est l’idée nationale. On commencera donc par mettre en place le nouvel ordre européen de 1815. On peut partir de la défaite de Napoléon et du retour aux principes de légitimité et d’autorité qui caractérisent la Sainte Alliance. En 1815, l’Ancien Régime semble Éloge de la stabilité Ce texte est extrait d’un mémoire rédigé par Metternich pour exposer au tsar les principes d’une saine politique européenne. Le chancelier autrichien se méfie des idées 3 alors triompher des valeurs libérales et nationales. Puis on verra comment il est contesté par le libéralisme et l’éveil des nationalités. L’idéologie libérale est la grande force contestant l’ordre de Vienne. On peut évoquer l’adoption des valeurs et des principes révolutionnaires par la bourgeoisie, les élites intellectuelles et artistiques et par une fraction importante des peuples. Le cas italien est un bon exemple. On montrera comment les aspirations libérales et nationales sont étroitement mêlées dans des pratiques politiques typiques de l’âge romantique. La lutte d’indépendance des Grecs est l’événement majeur de la décennie 1820. On peut ensuite, plus classiquement, analyser la mise en oeuvre de ces forces en 1830 et en 1848 et retracer de manière succincte les principales étapes de l’affirmation du sentiment national et libéral en Europe. On évoquera les affrontements en Grèce, Belgique ou Pologne. Les événements révolutionnaires de 1830 et 1848 seront étudiés en indiquant les causes, les faits et leurs conséquences sur le reste de l’Europe. I. 1815 : Le nouvel ordre européen Les nouvelles frontières de l’Europe en 1815 Les puissances bénéficiaires du redécoupage de l’Europe en 1815 sont essentiellement les trois puissances continentales victorieuses de Napoléon (Autriche, Prusse et Russie). Le Royaume-Uni ne cherche pas des gains territoriaux sur le continent européen (il conforte sa présence en Méditerranée par l’annexion de Malte et le protectorat sur les îles Ioniennes). Les frontières de la France en 1815 sont les mêmes qu’en 1789-1790. Mais, bien sûr, cette apparente stabilité masque une évolution considérable entre 1789 et 1814, due aux conquêtes de la Révolution et de l’Empire. Les « États-tampons » destinés à empêcher une nouvelle expansion de la France sont le royaume des Pays-Bas agrandi de la Belgique, le Luxembourg (érigé en grand-duché, il fait partie de la Confédération germanique, mais il est offert en possession personnelle au roi de Hollande), la Confédération helvétique maintenue et le royaume de PiémontSardaigne agrandi de la Savoie et de Nice. Beaucoup de nationalités européennes ne disposent pas d’un État en 1815, alors qu’elles constituent aujourd’hui des entités souveraines. Les « principales », c’est-à-dire celles qui ont fait parler d’elles dans les années suivantes sont : les Grecs, les Belges, les Polonais, les Irlandais. Mais on peut évoquer de nombreux autres peuples. Les Hongrois et certains peuples slaves (Tchèques, Croates et Slovènes…) se sentent mal à l’aise dans l’Empire d’Autriche. Outre les Grecs, d’autres peuples de religion orthodoxe aspirent à s’émanciper de l’Empire ottoman (Serbes, Roumains). Dans l’Empire russe, certains peuples commencent à prendre conscience de leur identité, comme les Finlandais ou les Baltes. On peut signaler enfin l’union forcée de la Norvège au royaume de Suède. Les Italiens et les Allemands sont dans une situation particulière, puisqu’il s’agit dans les deux cas d’une nationalité qui ne dispose pas d’un État unifié, mais qui souffre en quelque sorte d’un trop-plein d’États. L’Europe de 1815 n’est pas une Europe des peuples, mais une Europe des princes, parce que les États sont fondés sur le principe de la légitimité dynastique et non sur celui des nationalités. Le pacte de la Sainte-Alliance (26 septembre 1815) Les historiens s’interrogent encore sur la genèse de ce texte célèbre. Son principal inspirateur est le tsar Alexandre Ier, personnage complexe soumis à toutes sortes d’influences. Il semble avoir été proche un moment des idées libérales, puis gagné par une pensée mystique, qui voulait pacifier l’Europe par un retour aux valeurs chrétiennes. Il s’agit d’un texte très court : après le préambule et l’article 1, on trouve un article 2 définissant en termes très généraux la politique de la Sainte-Alliance et un article 3 invitant les autres puissances à rejoindre les trois signataires du Pacte. Les intonations religieuses du texte sont évidentes. Le titre même du pacte, la Sainte-Alliance, montre qu’il s’agit d’une alliance fondée sur « les préceptes de cette Religion sainte ». Celle-ci doit devenir le fondement de toute politique, intérieure ou internationale, si l’on en croit le préambule. On soulignera bien sûr qu’il s’agit ici du christianisme dans une définition oecuménique, puisque les trois souverains professent des religions différentes : l’empereur d’Autriche est catholique, le roi de Prusse protestant et le tsar de Russie orthodoxe. L’article 1 demande aux chefs d’État d’appliquer à la lettre les « paroles des Saintes Écritures », c’est-à-dire le message d’amour de Jésus tel fumeuses d’Alexandre Ier et il lui explique littéralement ce que signifie l’ordre mis en place au Congrès de Vienne. Le concert européen se préoccupe alors de Naples, où une révolution a éclaté : les alliés sont réunis en congrès à Troppau (petite ville de Silésie) en octobre 1820, puis à Laybach (Ljubljana, en Slovénie) en janvier 1821. Les factieux dont parle Metternich sont ceux qui veulent renverser l’ordre établi ou plutôt rétabli en 1815. Metternich désigne par ce terme générique et péjoratif les partisans des idées libérales et nationales. Il est persuadé qu’il existe une sorte d’internationale de la subversion, à l’échelle européenne, plus ou moins dirigée par les libéraux français et représentée dans tous les pays par des sociétés secrètes, « cette gangrène de la société ». Metternich songe ici aux loges maçonniques ou aux carbonari. La mission des gouvernants est définie par Metternich par les termes de « conservation », « stabilité », « fixité », qu’il oppose à « renversement », « destruction », « changement ». Pour lui, le gouvernement est naturellement conservateur : « que les gouvernements donc gouvernent, qu’ils maintiennent les bases fondamentales de leurs institutions ». On peut noter que ce conservatisme défini par Metternich se défend d’être hostile à tout progrès (« la stabilité n’est pas l’immobilité ») et se présente comme le gardien de la légalité (il s’agit de conserver un ordre légal, Metternich insiste à plusieurs reprises sur ce point). Mais il s’agit bien d’un conservatisme, clairement assumé : les gouvernants doivent rester fermes dans cette mission, ne pas hésiter à réprimer les opposants et se montrer « paternels » (on retrouve la métaphore paternaliste : cf. doc. 2). Metternich a une vision manichéenne de l’Europe au début des années 1820 : elle est divisée entre les bons et les méchants, ce qui apparaît explicitement dans la dernière phrase. Il n’y a donc aucune place pour un juste milieu : Metternich veut mettre ici en garde le tsar contre les risques d’une attitude trop compréhensive à l’égard des idées libérales ; le chancelier autrichien est très hostile notamment à l’évolution politique de la France (une monarchie qui, d’une certaine façon, a reconnu les acquis de 1789). D’un côté donc, la « gangrène » et les « factieux », de l’autre, l’ordre légal défendu par les gouvernements… « La Restitution ou chacun son compte » Caricature du Congrès de Vienne. Gravure, 1815. Musée Carnavalet, Paris. Le titre de cette caricature désigne fort bien le but du Congrès de Vienne : il s’agit de restituer, c’est-à-dire de rendre aux différents souverains de l’Europe ce qui leur a été pris illégalement, par Napoléon bien sûr. La 4 qu’il est retranscrit dans le Nouveau Testament, en se considérant comme des frères. La Sainte-Alliance est une « fraternité véritable et indissoluble » et l’Europe devrait donc être une grande famille. La métaphore familiale est filée d’une manière plus ou moins cohérente, puisque cet « esprit de fraternité » doit pousser les souverains à se comporter « envers leurs sujets et armées comme pères de famille ». On retrouve ici une conception plus traditionnelle, paternaliste, du rapport roi/sujets. Il est plus intéressant sans doute de souligner que les trois chefs d’État se considèrent « comme compatriotes » et se prêtent mutuelle assistance. L’interprétation de ce passage est plus délicate. Cette idée est développée dans l’article 2 du pacte, où les trois souverains affirment se considérer comme « membres d’une même nation chrétienne », comme « délégués par la Providence pour gouverner trois branches d’une même famille (…) confessant ainsi que la nation chrétienne dont eux et leurs peuples font partie n’a réellement d’autre souverain que (…) Dieu ». Les trois chefs d’État sont « compatriotes » donc parce qu’ils appartiennent à une nation chrétienne qui transcendent les frontières des États. On peut voir là le rêve réactionnaire d’un retour à la chrétienté médiévale, à un ordre de droit divin. Mais on peut y voir aussi l’idéal d’une Europe unie par des grands principes, dépassant les divisions confessionnelles et nationales. À l’époque en tout cas, la Sainte-Alliance apparaît bien comme un système politique dirigé contre les aspirations nationales. Ce pacte ne pouvait avoir de portée réelle pour deux raisons intimement liées : – d’abord parce qu’il s’agit d’un pacte abstrait, d’une déclaration de principes dont l’application n’est pas vérifiable. Le caractère déclamatoire du texte est particulièrement frappant, avec des formules ronflantes comme : « déclarent solennellement que le présent acte n’a pour objet que de manifester à la face de l’univers leur détermination inébranlable…» ; – ensuite parce que le tsar de Russie est pratiquement le seul à y croire. Les dirigeants anglais ont refusé de signer ce document fumeux. Castelreagh souligne « le caractère embarrassant de ce monument de mysticisme sublime et de nonsens, spécialement pour un souverain britannique » (Lettre à Lord Liverpool, 28 septembre 1815). Quant à Metternich, il s’empresse de signaler que le pacte n’a nullement la valeur d’un véritable traité. Le vrai, c’est le traité de la QuadrupleAlliance, signé par le Royaume-Uni, et instaurant les règles du concert européen. Pourquoi peut-on affirmer que la Sainte Alliance combat à la fois le sentiment national et les aspirations libérales ? La Sainte Alliance est née en 1815 alors que les souverains victorieux de Napoléon se partagent les dépouilles de l’Empire. La carte de l’Europe est redessinée selon les principes dynastiques et le droit de conquête. En ne tenant pas compte des aspirations nationales et libérales, donc de la volonté des peuples, le congrès de Vienne entendait effacer les bouleversements introduits en Europe par la Révolution française. On croyait en revenir à la situation d’avant 1789. C’était oublier la soif de liberté des peuples et leur volonté de créer des Étatsnations. Conscient du danger révolutionnaire, Metternich dote l’Europe d’Ancien Régime, d’une arme idéologique et militaire : la Sainte Alliance. Cette alliance chrétienne se donne pour tâche de maintenir partout en Europe les monarchies absolues selon les principes dynastiques et de combattre sans relâche les tentatives révolutionnaires qui doivent être étouffées dans l’oeuf par les armes comme ce fut le cas en Espagne en 1823. Il s’agissait d’empêcher que ne soit réitérée l’expérience française.Face aux idées libérales, Metternich est tout aussi virulent. Il prône une défense de l’Ancien Régime en s’appuyant sur la religion et ses valeurs qu’il oppose à celles de la Révolution (libertés individuelles, égalités civique ou fiscale, libertés politiques, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes). Cependant, les idées libérales avaient déjà gagné des pans entiers de la société européenne. La bourgeoisie ou la noblesse libérale ont pris fait et cause pour davantage de liberté et militent pour que se constituent des États-nations. Au droit dynastique ils opposent la souveraineté populaire, à l’obscurantisme ils opposent la connaissance, à l’oppression ils opposent la liberté. II. La contestation libérale Pour une représentation plus juste du peuple anglais Le chartisme est le principal mouvement qui dénonce les limites et les insuffisances de l’idéologie libérale dans l’Europe de la première moitié du XIXe siècle, alors que le socialisme est encore peu organisé. Il s’appuie très largement sur les ouvriers, même si ses revendications sont politiques. Les chartistes s’en restitution, c’est donc le retour à la légalité, à l’ordre d’avant la Révolution et l’Empire. Chacun doit y trouver son compte, ce qui suggère des notions plus pragmatiques de partage, d’arbitrages, de marchandages… C’est cette dimension qui est mise en valeur par le dessinateur. Il met en scène le partage de l’Europe en le représentant très concrètement : les souverains (reconnaissables à leur uniforme ou costume d’apparat) se partagent des « morceaux » de territoire, matérialisés par des cartes (par exemple on reconnaît très bien la carte de l’Espagne que Ferdinand VII porte sous le bras) et par des maquettes de villes (le roi de Prusse ramasse ainsi Erfurt). Certaines cartes sont roulées et déjà dans la poche des bénéficiaires : l’empereur d’Autriche a ainsi en poche Venise et le Piémont (ce qui est assez curieux, puisque le royaume de Piémont-Sardaigne est resté indépendant en 1815). Les trois personnages centraux de ce partage continental, qui semblent arbitrer, sont logiquement le tsar de Russie, l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse (on peut voir d’ailleurs au milieu d’eux la carte de la Pologne, territoire effectivement partagé entre ces trois États). L’Angleterre, représentée par Castlereagh (secrétaire aux Affaires étrangères), ne participe pas directement à ces marchandages territoriaux. La situation particulière de la France apparaît dans la caricature, qui représente une sorte de passassion de pouvoir entre Napoléon et Louis XVIII. L’empereur déchu est assis, accablé, sur un trône : Castlereagh, avec un sourire sarcastique, semble l’inviter à se lever, pour céder sa place. Le tsar de Russie s’apprête à donner la carte de la France à Louis XVIII, qui arrive en portant dans sa main la couronne. Les épaulettes qui gisent à terre devant le trône sont-elles celles de Napoléon, général vaincu ? En tout cas, les alliés chassent l’usurpateur et rétablissent la dynastie légitime des Bourbons. Dans les coulisses du Congrès, on voit Talleyrand (chef de la délégation française et grand négociateur) et Murat, qui semble épier les négociations pour savoir quel sort on va lui réserver. Le beau-frère de Napoléon a joué en effet un rôle trouble : proclamé roi de Naples en 1808, Murat a trahi Napoléon en 1814 en signant un traité avec l’Angleterre et l’Autriche et il a ainsi conservé son royaume en 1814. Mais Murat savait que les Alliés préféraient restaurer les Bourbons sur le trône de Naples et il a tenté de se rallier à Napoléon lors des Cent Jours (il est fusillé en Calabre en octobre 1815). La révolution polonaise de 1830-1831 En Pologne, une insurrection éclate contre la domination russe en novembre 1830. Les 5 prennent aux défauts du système électoral du Royaume-Uni. Ils dénoncent d’abord le suffrage censitaire, comme un système de représentation « restreint et injuste ». Le Parlement légifère pour tous, mais il n’est élu que par 900 000 personnes sur une population de 26 millions d’habitants. Malgré la réforme de 1832, le « pays légal » est donc très loin du « pays réel ». C’est pourquoi les chartistes demandent le « droit à la représentation de tous les hommes adultes », c’est-à-dire le suffrage universel masculin (définitivement établi en 1918). Ils demandent aussi « la suppression de l’obligation d’être propriétaire pour être élu » et la création d’une indemnité parlementaire, qui permette aux pauvres de faire de la politique. Jusqu’en 1858 en effet, la property qualification réserve le droit d’être élu à la chambre des Communes aux propriétaires (d’un bien ayant un revenu d’au moins 300 £ dans les bourgs et 600 £ dans les comtés). Les chartistes critiquent ensuite le découpage des circonscriptions. On sait que le système britannique, très complexe, permet à des « bourgs pourris » dont la population décline d’avoir deux députés au même titre que des villes industrielles à la population en pleine croissance. C’est pourquoi les chartistes demandent « l’égalité des arrondissements électoraux », c’est-à-dire un découpage des circonscriptions proportionnel à leur population. Les chartistes demandent enfin le vote secret (établi en 1872), car la corruption électorale est rendue possible par le vote public. Ce programme, au-delà de ses aspects techniques, constitue une critique du libéralisme, comme idéologie inégalitaire, et il propose une forme de démocratie plus avancée. Selon les chartistes, les libéraux n’ont pas institué un vrai régime représentatif. Le Parlement ne représente pas le peuple dans son ensemble, mais les seuls notables des campagnes et des villes, les « intérêts fonciers et capitalistes ». Le libéralisme est une idéologie de la propriété : il considère que seuls les propriétaires sont aptes à représenter la nation. Le texte laisse aussi entendre que la minorité qui est élue au Parlement agit en fonction de ses intérêts égoïstes et néglige les problèmes de la majorité, par exemple les problèmes des ouvriers qui ont constitué le mouvement chartiste (« sans égards pour les malheurs, les injustices… »). Dans d’autres passages de la Charte, la pauvreté est évoquée explicitement. Ce régime n’est pas vraiment représentatif, il n’est donc pas vraiment parlementaire. Les chartistes affirment que le Parlement « agit sans être responsable devant (le peuple) » et ils demandent « des Parlements annuels ». Pour eux, on pourra parler d’une véritable responsabilité politique quand le Parlement sera élu au suffrage universel et renouvelé tous les ans. Pourquoi l’insurrection grecque remet-elle en cause l’ordre hérité du congrès de Vienne ? Le congrès de Vienne avait conduit en 1815 au partage de l’Europe selon des principes dynastiques. C’est-à-dire que l’on attribuait tel ou tel territoire à un souverain sans tenir compte des peuples. Ainsi, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était nié. Il fallait au contraire museler les aspirations libérales et nationales pour maintenir l’ordre hérité de l’Ancien Régime. Tous les grands empires avaient intérêt à étouffer les prétentions nationales car tous tenaient sous leur joug des minorités plus ou moins opprimées. Enfi n, en créant les conditions d’une paix durable les souverains espéraient maintenir un équilibre entre les différentes puissances européennes. La crise grecque allait remettre en cause cet ordre hérité du congrès de Vienne. En affirmant son droit à l’existence, la nation grecque remet en cause le principe dynastique car elle déclare le droit du peuple grec à choisir librement son destin et donc à ne plus reconnaître l’autorité du sultan. C’est ce qui explique, en 1822, la condamnation par la Sainte Alliance de l’insurrection grecque et l’indifférence des souverains européens face aux malheurs du peuple hellène vaincu en 1824 à la bataille de Missolonghi. Ce sont les artistes et les élites intellectuelles et artistiques qui vont faire naître en Europe un courant d’opinion publique favorable à une intervention aux côtés des Grecs. Ils en appellent à la défense de la civilisation chrétienne contre l’ennemi musulman. Mais là encore, l’intervention militaire conduirait à l’affaiblissement de l’Empire ottoman et romprait le fragile équilibre européen. D’où les réticences des Britanniques qui voient d’un mauvais oeil les Russes se rapprocher des détroits qui séparent l’Europe de l’Asie mineure. Finalement l’opinion publique est la plus forte, les grandes puissances européennes (Angleterre, France, Empire russe) interviennent militairement et détruisent la flotte turque lors de la bataille de Navarin (20 octobre 1827). Les Ottomans qui ont perdu définitivement la maîtrise des mers sont contraints de signer le traité d’Andrinople (1829) et de insurgés proclament leur indépendance en espérant l’aide de la France et de la GrandeBretagne où les opinions publiques se manifestent en leur faveur. Mais ces pays refusent d’intervenir et la Russie mène une répression terrible en septembre 1831. La Pologne est soumise à une politique de russification brutale. La Pologne : une nation sans État depuis 1815 Cette carte permet de comprendre une situation géographique complexe. Les pointillés délimitent l’actuelle Pologne. Les hachures permettent de visualiser, au sein de l’actuelle Pologne, les territoires qui dépendent en 1830 des trois puissances dominatrices. La domination russe vue par un Polonais Ce témoignage contemporain de la révolution (écrit en décembre 1830) émane d’un auteur polonais qui dénonce l’oppression russe comme l’une des causes de la révolution. L’auteur montre que le statut d’autonomie du « royaume de Pologne » n’est pas respecté par la Russie, en expliquant que les revendications, même les plus modérées, sont immédiatement réprimées. Pour mieux dénoncer l’oppression russe, il insiste sur la modération des Polonais : les « pétitions adressées dans un esprit de modération et de calme n’étaient pas prises en compte », « le souhait le plus innocent » provoquait les persécutions. La répression de la moindre opposition rend la Constitution « mort-née », la non-publicité des débats à la Diète la prive de son rôle. Les termes employés sont extrêmement forts : « servitude », « despotes » assistés d’espions et de tortionnaires, etc. Bref, le statut d’autonomie du « royaume du Congrès » est une mascarade. « Le réveil des Polonais ». Gravure anonyme française. B.N.F., Paris. Cette gravure représente une scène de l’insurrection de Varsovie, le 29 novembre 1830. Il faut souligner qu’il s’agit d’une gravure française et donc d’un document qui relève sans doute plus de la propagande que de l’information. Le titre même de la gravure est une façon de célébrer le « réveil » d’une nation, trop longtemps plongée dans le sommeil forcé de l’oppression. L’image utilisée par les patriotes italiens est assez proche, puisqu’ils parlent de Risorgimento (une nation qui renaît, qui ressuscite, qui sort du sommeil de la mort). L’image cherche à montrer que toutes les catégories de la nation polonaise participent à l’insurrection. Le porteur du drapeau, au centre de l’image, semble appartenir à la noblesse. À droite de ce personnage, à l’arrière-plan, on aperçoit la tête d’un ecclésiastique. Une femme fait le coup de feu. L’armée est très présente, avec l’officier coiffé d’un bicorne (ou l’officier mort qui gît 6 reconnaître l’indépendance grecque. Pour la première fois, un peuple européen se libérait du joug d’un souverain étranger. Cela ne pouvait qu’inspirer d’autres minorités nationales qui ne manqueraient pas d’affirmer leur droit à l’existence. La crise grecque rompait aussi le fragile équilibre européen, l’Empire ottoman s’enfonçait plus encore dans un long déclin, il devenait « l’homme malade de l’Europe », et laissait le champ libre à une concurrence acharnée entre Autriche et Russie dans les Balkans. C’était toute l’oeuvre du congrès de Vienne qui se trouvait ainsi remise en cause. En quoi le Risorgimento prépare-t-il l’unité nationale italienne ? Le Risorgimento ou « résurgence » est le mouvement national italien apparu dans la première moitié du XIXe siècle qui doit permettre à la nation italienne de renaître. En effet, l’Italie est divisée par le congrès de Vienne et se trouve de fait placée sous la domination autrichienne. Certaines régions sont directement soumises au joug autrichien (Lombardie-Vénétie ou duchés d’Italie centrale), d’autres sont sous infl uence (royaume des Deux-Siciles ou États de l’Église). Seul le royaume de Piémont-Sardaigne est indépendant et peut apparaître comme le point de départ d’un mouvement national d’unification. Toutefois, les moyens et les buts diffèrent selon les partisans de la cause nationale. Certains, comme l’avocat Mazzini, rêvent d’une Italie républicaine et centralisée à l’image de la France jacobine. C’est par la révolution que ce but pourrait être atteint. D’autres, au contraire, souhaitent, comme le comte de Cavour, une Italie unifi ée autour du royaume de Piémont-Sardaigne et au profit de son roi Charles-Albert. Gagné aux idées libérales, partisan de la monarchie constitutionnelle, Cavour mise sur le développement économique et la bourgeoisie pour réaliser son oeuvre. Selon lui, le peuple n’est pas prêt à épouser la cause nationale car sa conscience politique n’est pas assez développée. Pour s’assurer le soutien de la bourgeoisie il favorise l’activité économique notamment par la construction d’un réseau de voies ferrées. Ce réseau peut stimuler la métallurgie mais aussi le commerce. De plus, il permet les déplacements des hommes et donc des idées ce qui favorise l’apparition d’une solidarité nationale et la disparition des particularismes locaux. La cause nationale est soutenue par les dirigeants politiques mais aussi par les élites intellectuelles (professeurs, étudiants) ou artistiques comme Verdi. Le Risorgimento correspond donc à une période de maturation de la cause nationale. Le mouvement patriotique se renforce. Mais l’Italie, isolée au sein de l’Europe du congrès de Vienne, ne peut espérer exister qu’avec la défaite de l’Autriche. Or cette dernière est encore trop puissante. III. Révolutions et printemps des peuples (1830 et 1848) L’éveil des nationalités, la politique à l’âge romantique et les espoirs déçus (1830) Les raisons du soulèvement général des peuples en 1830 sont multiples : – persistance de l’idée de liberté dans les nations, notamment chez les étudiants ; – espoir devant la réussite de la Révolution française qui obtient un changement de régime, et de la révolution belge, qui conquiert l’indépendance du pays et y instaure une Constitution. Les conséquences sont : – la réussite des mouvements libéraux et nationaux dans certains pays occidentaux où les régimes parlementaires dominent ; – la répression, notamment dans le cas de la Pologne, mais aussi de l’Allemagne et de l’Italie ; – l’attente d’une nouvelle occasion, plus favorable, de se soulever, ce qui sera le cas en 1848. L’agitation libérale en Allemagne L’autobiographie de Richard Wagner est écrite dans les années 1860 et publiée en 1911 par Cosima (fille du musicien Liszt et épouse de Wagner) et traduite la même année en français. Étudiant à Dresde et Leipzig, le jeune Wagner est gagné aux idées libérales. Dans cet extrait, il raconte l’agitation libérale dans le royaume de Saxe en 1830-1831. Wagner participe plus directement à la révolution de 1849 en Saxe (réprimée dans le sang par les troupes prussiennes) et il doit ensuite s’exiler à Zurich, Paris et Londres. L’influence de la France sur les événements allemands est soulignée avec emphase par Wagner. C’est « la révolution de Juillet » 1830 qui marque pour lui le début de « l’histoire politique du monde » ! Au-delà de l’exagération, on voit ici combien la presse allemande suivait l’actualité française. On peut au premier plan) et plusieurs soldats au couvre-chef caractéristique (une sorte de shako évasé). Les jeunes gens coiffés d’une petite toque carrée sont des étudiants. Le peuple apparaît avec les paysans portant la faux. Un accueil enthousiaste en France Nous avons là deux exemples de la mobilisation des intellectuels français en faveur de la Pologne. Charles de Montalembert (1810-1870) est le chef de file des catholiques libéraux, avec Lamennais et Lacordaire. Le journal L’Avenir, fondé en 1830, est l’organe du catholicisme libéral. Montalembert salue la révolution polonaise dans un article lyrique daté du 17 déc. 1830. Le poète et chansonnier Casimir Delavigne (1793-1843) écrit un hymne à la Pologne, pour un concert de soutien organisé le 1er mars 1831. La musique est composée par Auber (1782-1871), sans doute le plus célèbre musicien français de l’époque. On peut faire remarquer aux élèves que les musiciens s’engagent aussi en politique et que la chanson ou l’opéra sont des vecteurs des idées nouvelles. Ainsi l’opéra composé par Auber en 1828, La Muette de Portici, donna-t-il le signal de la révolution de 1830 à Bruxelles. Montalembert s’intéresse particulièrement à la nation polonaise parce qu’elle trouve en grande partie son identité dans le catholicisme. Défendre la Pologne, c’est donc défendre la religion catholique (opprimée par la Russie orthodoxe) et en même temps défendre la cause des nationalités. Or, c’est précisément le programme des catholiques libéraux, qui souhaitent « l’alliance de Dieu et de la Liberté ». Le texte dénonce « l’oeuvre impie du Congrès de Vienne », en refusant d’y voir une « Sainte » Alliance. Des rois « sans foi », qui « ont oublié Dieu », n’ont pas tenu compte de la foi des nations. Outre la Pologne, Montalembert pense peut-être à d’autres nations catholiques brimées comme l’Irlande ou la Belgique. Casimir Delavigne a bien sûr conçu cet hymne martial et patriotique sur le modèle de La Marseillaise. Les expressions comme « le jour sanglant » ou le « jour de délivrance » font penser à certains passages de l’hymne français (« le jour de gloire », « l’étendard sanglant »). Le refrain « Polonais, à la baïonnette ! » est décalqué sur le fameux « Aux armes citoyens ! ». Et le titre même de l’hymne, La Varsovienne, est construit à partir du nom d’une ville comme La Marseillaise. L’Aigle blanc est l’emblème de la Pologne (à ne pas confondre avec l’Aigle noir qui symbolise la Russie). Le « soleil de juillet », c’est bien sûr la révolution parisienne des Trois Glorieuses, qui vient de donner naissance à la monarchie de Juillet. « L’ordre règne à Varsovie » après la victoire des Russes. Lithographie de Grandville, 7 noter que la prison prise d’assaut par les étudiants est qualifiée par Wagner de « nouvelle Bastille », ce qui montre à quel point il est imprégné de l’histoire révolutionnaire de la France. Ces événements inspirent à Wagner une composition musicale, qu’il intitule Ouverture politique. Le jeune musicien y célèbre la révolution en opposant deux périodes : l’oppression, puis la libération du peuple, avec un thème qu’il intitule « Frédéric et Liberté ». Comme Wagner l’explique lui-même, le régent Frédéric (qui devient roi de Saxe sous le nom de Frédéric-Auguste II en 1836) accorde une Constitution en 1831. Le texte montre bien que les étudiants sont les principaux acteurs de l’agitation libérale en Saxe, comme dans toute l’Allemagne. La révolution consiste en affrontements entre la police et la « jeunesse universitaire ». Celle-ci est organisée en associations libérales (les Burschenschaften), auxquelles participent parfois aussi les professeurs. Wagner fait référence à l’association locale, appelée « les Compatriotes », qui porte sans doute les trois couleurs pangermaniques (noir, rouge et or). La révolution polonaise de 1830-1831 est emblématique du mouvement des nationalités dans l’Europe de la première moitié du XIXe siècle. D’abord par ses causes : c’est la révolte d’un peuple victime de la Sainte-Alliance de 1815, d’une nation qui veut retrouver ses droits à la souveraineté. Ensuite par son retentissement dans l’opinion européenne : les libéraux se sont enflammés pour la cause polonaise, comme ils avaient soutenu la cause grecque. Enfin par son échec : à la différence de la Grèce ou de la Belgique en 1830, la Pologne n’a pas gagné son indépendance, parce que les gouvernements de Paris et de Londres n’étaient pas disposés à affronter directement la Russie. L’échec de la révolution polonaise s’explique en partie par l’éloignement de ce pays par rapport à la France dont les Polonais espéraient une aide. Par ailleurs, la France de Louis-Philippe devient conservatrice à partir de 1831 et hésite à soutenir cette nouvelle indépendance. Les Polonais sont donc soumis à une effroyable répression menée par leurs voisins russes qui imposent une politique de russification draconienne. La répression russe qui s’abat sur la Pologne en 1830 est particulièrement brutale, à l’image de ces militaires venus reprendre Varsovie et y rétablir la domination russe : russification imposée, suppression des libertés, exil des intellectuels engagés, persécution contre l’église catholique accusée de soutenir la révolution… Le mouvement des révolutions de 1848 répond à une double revendication : – certains peuples réclament une Constitution : Autrichiens, Prussiens, Français obtiennent une meilleure représentativité de la nation par l’octroi d’une Constitution et des libertés fondamentales ; – d’autres réclament et proclament leur indépendance : Tchèques, Hongrois… Dans un premier temps, jusqu’en juin 1848, les forces révolutionnaires ont gain de cause, les principes de 1815 reculent et les souverains européens semblent accepter un nouvel ordre politique. Mais, dès l’été 1848, les grandes puissances s’allient pour réprimer ces mouvements, restaurer la monarchie absolue et reconstituer les grands empires rétablis au congrès de Vienne. « Debout Hongrois ! ». Gravure du XIXe siècle. Le 15 mars 1848, jour où la liberté de la presse est rétablie à Budapest, le poète Alexandre Petöfi publie son poème « Debout Hongrois ! ». C’est un véritable hymne national, qui appelle les Hongrois à secouer le joug autrichien : « La patrie appelle, ô Hongrois ! / Debout ! à présent ou jamais ! / Être esclave ou bien être libre, / Voilà la question, choisis ! / Par le Dieu des Hongrois / Nous jurons ! / Nous jurons / Que nous ne serons plus esclaves. » Cette gravure, d’un style un peu naïf, présente cette scène comme un événement fondateur de la la nation hongroise moderne. Plusieurs symboles de la nation hongroise sont représentés ici. Au centre de l’image est déployé le drapeau traditionnel de la Hongrie, avec les trois couleurs (rouge, vert et blanc) et la couronne de saint Étienne. Le roi Étienne Ier le Saint christianisa la Hongrie au XIe siècle, avec l’aide du pape Sylvestre II (qui lui confia une croix blanche). Le rouge rappelle l’oriflamme du prince Arpad, qui conquit la Hongrie à la fin du IXe siècle. Les trois couleurs se retrouvent dans l’écharpe tricolore ceinte par Petöfi, version moderne du drapeau national, adoptée précisément en 1848 sous l’influence de la France. On notera aussi la chaîne brisée, au centre et au premier plan de l’image, qui symbolise la fin de l’esclavage pour la nation hongroise (cf. le poème). Les divers acteurs de la 1831. B.N.F., Paris. Cette lithographie du caricaturiste Grandville (1803-1847), publiée en 1831, dénonce d’une façon sarcastique l’inaction du gouvernement français face à la répression russe. Le personnage central est un cosaque, cavalier russe qui symbolise la répression barbare. Il est reconnaissable à son costume (pantalon bouffant, chapeau) et à ses armes (notamment la longue pique). Grandville a accentué sa sauvagerie en donnant à son visage une expression à la fois bestiale (le personnage a l’air totalement abruti de carnages) et macabre (de loin, sa tête ressemble à une tête de mort). La force de la caricature réside dans le contraste entre son titre, inspiré d’une formule maladroite du ministre des Affaires étrangères, et l’image qui révèle que l’ordre est celui de la mort (c’est la paix des cimetières !). Le cosaque fume tranquillement la pipe, alors que ses pieds baignent dans le sang, au milieu de cadavres atrocement mutilés. Dans le lointain, tout est désolation : incendie, têtes sur des piques, gibets dressés par un autre cosaque… Le Manifeste de la Jeune Europe de Mazzini Giuseppe Mazzini publie ce manifeste en 1834 en Suisse, où il s’est réfugié comme beaucoup de militants libéraux. Il essaie ainsi d’étendre à l’échelle européenne le combat contre la réaction qu’il a commencé avec la Jeune Italie. Le style un peu emphatique de ce manifeste est typique du mouvement libéral et national de la première moitié du XIXe siècle, marqué par l’enthousiasme et un certain lyrisme romantique. On notera les mots « fraternité », « avenir », « progrès » et cette rhétorique de la jeunesse qui caractérise la génération romantique. Dans l’esprit de Mazzini, les nationalités et l’Humanité ne sont nullement contradictoires. L’Humanité a une « mission générale » de progrès et, au sein de l’Humanité, chaque nationalité a sa « mission particulière ». Il n’y a donc pas opposition entre les différents nationalismes, mais au contraire une fraternelle coopération. Le point commun entre les trois peuples associés dans ce projet, c’est qu’il s’agit de trois nationalités qui aspirent à « s’émanciper » (art. 4), c’est-à-dire à accéder à un État souverain et unifié. Les Italiens sont éclatés en plusieurs États largement dominés par l’Autriche. Les Allemands sont divisés, eux aussi, en de multiples États et indirectement soumis au contrôle de l’Autriche (gendarme de la Confédération germanique). Les Polonais ont été partagés entre la Prusse, l’Autriche et la Russie en 1815. Les peuples invités par Mazzini à rejoindre le mouvement (art. 8) pourraient être les Irlandais (intégrés au Royaume-Uni), les nationalités soumises à l’Empire d’Autriche (Hongrois, Tchèques, 8 révolution hongroise sont mis en scène d’une façon très claire. Au centre de l’image se trouvent les dirigeants de la révolution. Au-delà de l’érudition, la présentation de ces personnages peut être un moyen de réflechir sur les hommes qui font les révolutions de 1848 (origines, statut, etc.). Petöfi est l’exemple type de ces « éveilleurs », de ces intellectuels engagés au service de l’identité nationale. À sa droite sur l’image se trouvent, un peu en retrait, le général Klapka et, surtout, Lajos Kossuth (qui tient son chapeau dans la main), véritable dirigeant de la révolution. À gauche de Petöfi sur l’image, on voit le comte Batthyany (chauve), président en titre du premier gouvernement hongrois et le général Jozef Bem (barbe blanche, chapeau à plume), un officier polonais insurgé en 18301831 et passé au service de la révolution hongroise (c’est courant : on trouve des généraux polonais dans presque toutes les révolutions européennes de 1848-1849 !). À gauche de l’image se trouve l’armée régulière constituée par le nouveau gouvernement hongrois, essentiellement à partir des soldats et des officiers qui servaient dans l’armée impériale d’Autriche. À droite de l’image est représenté le peuple hongrois insurgé. On reconnaît facilement les paysans, vêtus de leur costume traditionnel (notamment à l’arrière-plan, devant l’église) et armés de leur faux. Certains personnages au premier plan semblent être plutôt des habitants des villes, bourgeois ou artisans (le personnage à l’extrême droite avec casquette d’ouvrier et tablier de forgeron), armés de fusils. Le cavalier qui tire en l’air avec son pistolet est sans doute un noble, venu à la tête de « ses » paysans. L’Italie n’est pas parvenue à l’unité nationale dans la première moitié du XIXe siècle. Les aspirations libérales et nationales se sont exprimées de diverses manières entre 1845 et 1849. Les patriotes italiens, comme Mazzini ou Mameli, ont dénoncé les divisions politiques artificielles qui empêchaient l’unité nationale et plus particulièrement l’oppression autrichienne. Le Printemps des peuples en 1848 a soulevé l’espoir d’un Risorgimento, d’une renaissance de l’Italie, qui se ferait en expulsant l’Autriche et les souverains inféodés à elle. Le roi de PiémontSardaigne a certes pris la tête du mouvement national italien en 1848, mais celuici n’a pas été assez puissant face à l’Autriche. L’armée autrichienne a étouffé les différentes révolutions et réussi à maintenir la domination directe ou indirecte des Habsbourg sur des États italiens divisés. L’unité ne s’est pas réalisée pour plusieurs raisons (qu’il est d’ailleurs plus facile d’analyser quand on connaît la suite de l’histoire, c’est-à-dire la façon dont s’est faite l’unité italienne entre 1850 et 1861). Ces aspirations ont été étouffées par la répression de 1849 et les patriotes italiens sont alors entrés dans une phase difficile de leur combat. Les libéraux italiens sont trop divisés sur les moyens d’action et ils manquent de soutiens à l’intérieur comme à l’extérieur (la France ne les soutient pas en 1849). Malgré les défaites, l’idéal du Risorgimento a cependant progressé, l’opéra et le chemin de fer étant des vecteurs de l’unité italienne sans doute plus efficaces que la barricade. La République universelle, démocratique et sociale. Lithographie de G. Sorrieu, 1848. Musée Carnavalet, Paris. Cette lithographie de G. Sorrieu constitue une excellente illustration des aspirations libérales et nationales qui se sont exprimées entre 1815 et 1848. Elle est très caractéristique de « l’esprit de 48 » et des espoirs suscités par le « Printemps des peuples ». La République universelle, c’est d’abord la fraternisation de tous les peuples, menés par la France jusqu’à la statue des droits de l’homme. L’immense cortège des nations suit un « fil rouge », au sens strict du terme, qui mène au but. Les différentes nationalités sont identifiables par leurs costumes traditionnels et surtout par les drapeaux qui ponctuent de leurs taches colorées l’image. Un arbre de la liberté, pavoisé de multiples drapeaux, est même planté dans le décor. L’Irlande a sa place dans le défilé, après l’Angleterre. La Pologne est là aussi. Les drapeaux tricolores de l’unité allemande et de l’unité italienne répondent au drapeau français. On peut noter au passage que les différentes parties de l’Italie sont évoquées : on voit le drapeau du royaume des Deux-Siciles, celui de la Lombardie, celui de la Romagne (région incluse dans les États pontificaux). Les différentes composantes de la nation allemande sont aussi présentes, avec le même drapeau noir, rouge et or pour l’Allemagne et pour l’Autriche (bizarrement, le même drapeau est attribué à la Hongrie, à l’arrièreplan). Cette fraternisation des peuples, qui vont constituer la république universelle, est rendue possible par la chute des monarchies issues de l’Ancien Régime. Cette victoire du principe des nationalités sur celui de la légitimité Slovènes et Croates…), voire les nationalités soumises à l’Empire ottoman (Serbes, Roumains…). Cette « ligue d’attaque et de défense solidaire des peuples » (art. 4) s’oppose évidemment pour Mazzini à la Sainte-Alliance des princes organisée par le Congrès de Vienne en 1815. L’agitation à Prague vue par un observateur français Cet article rend compte de l’effervescence qui gagne la bourgeoisie libérale de Prague quand elle apprend la révolution de février 1848 à Paris. Les Praguois comptent adresser leur pétition à l’empereur d’Autriche, qu’ils considèrent toujours comme leur souverain légitime, et au gouvernement de Vienne. On peut rappeler que l’empereur d’Autriche est aussi roi de Bohême. Le royaume de Bohême et les deux autres « pays » tchèques, le margraviat de Moravie et le duché de Silésie, ont chacun leur Diète, qui garantit une certaine autonomie au sein de l’Empire d’Autriche. Leurs revendications sont à la fois d’ordre politique (aspirations libérales) et d’ordre culturel (aspirations nationales). Les revendications politiques portent sur les libertés fondamentales comme la liberté de la presse ou la liberté de culte (ils demandent « l’égalité de toutes les confessions » : protestante, catholique) et sur l’égalité civile, par abolition des vestiges de l’Ancien Régime (droits féodaux et corvées). Ces aspirations libérales sont en fait inséparables des aspirations nationales, car il s’agit avant tout d’obtenir « l’égalité des deux races », c’est-àdire un traitement égal pour les Allemands et pour les Tchèques devant la loi. On demande que le tchèque soit la langue de l’administration à parité avec l’allemand. Il faut souligner qu’à cette date les deux communautés, tchèque et allemande, vivent en relative harmonie. « L’élargissement des bases de la représentation nationale » est typiquement une revendication à la fois politique et nationale. La pétition demande une Diète unique représentant les trois pays tchèques (Bohême, Moravie et Silésie), pour accentuer leur autonomie au sein de l’Empire, et en même temps un système qui représenterait mieux la population dans cette Diète (car les diètes dans l’Empire sont élues au suffrage restreint). Une barricade à Berlin dans la nuit du 18 au 19 mars 1848. Lithographie. Musée historique, Berlin. Cette lithographie allemande représente une scène de la révolution de mars 1848 à Berlin. Apprenant la nouvelle de la révolution à Vienne, les libéraux prussiens demandent des réformes. Le roi de Prusse FrédéricGuillaume IV leur en promet, mais le 18 mars, l’armée, paniquée, tire sur la foule qui était venue acclamer le souverain. Les 9 dynastique est matérialisée au premier plan par un amas d’insignes brisés : couronnes monarchiques, aigles impériaux, blasons nobiliaires… La fraternité ne se joue pas seulement entre les peuples, mais aussi entre les sexes et les classes : c’est la république démocratique et sociale. Les femmes sont bien représentées dans le cortège. Et toutes les catégories sociales y figurent : on voit des ouvriers vêtus de la blouse bleue, des bourgeois coiffés du chapeau haut-de-forme, des paysans en costume traditionnel de leur pays, des militaires en uniforme… Les diverses activités économiques, traditionnelles ou modernes, sont associées à la fête : on voit à l’arrière-plan un berger, un laboureur qui salue, un train, un bateau à vapeur… Le maître mot de l’allégorie est inscrit dans les cieux : Fraternité audessus d’un Christ qui bénit le défilé des nations. Rappelons que « l’esprit de 48 » n’est nullement hostile à la religion et que les catholiques libéraux ou sociaux ont joué un rôle important dans les révolutions. On peut se demander : pourquoi cette République est-elle universelle, sociale et démocratique ? – Universelle car elle fait converger tous les peuples (on remarquera que ces peuples sont exclusivement européens) vers la statue de la liberté qui s’appuie sur les Droits de l’homme (valeurs universelles). Universelle car la République associe toutes les couches sociales (au premier plan ouvrier et bourgeois). Ces peuples sont placés sous la protection du Christ (le christianisme a aussi une vocation universelle). Universelle et pacifi que car le lion, symbole de la force, est docilement couché. Enfin la fraternité est la valeur mise en avant avec la liberté. On remarquera que la France guide cette joyeuse communauté fraternelle. – Démocratique car les droits de l’homme sont mis en avant ; de plus, les symboles de l’absolutisme, couronnes et aigles, gisent, brisés, au premier plan. – Sociale car elle doit assurer la prospérité de tous comme l’attestent la présence des cornes d’abondance (symbole de la richesse et de la prospérité) et le fait que les hommes, femmes et enfants sont habillés de manière soignée. Pourquoi le Printemps des peuples n’est-il pas parvenu à remettre en cause l’ordre du congrès de Vienne ? La fièvre révolutionnaire qui s’empare de l’Europe en 1848 est à la fois un mouvement politique, national et social. Favorisé par la crise économique des années 1846-47, le Printemps des peuples est l’occasion de revendiquer à la fois plus de liberté et la reconnaissance de la cause nationale. Les peuples rêvent de la création d’États-nations en réalisant l’unité nationale comme en Allemagne et en Italie. Les minorités, comme les Slaves, cherchent à affirmer leur existence face à la menace que représentent pour elles les aspirations nationales des peuples dominants. Mais cette revendication nationale se double d’une recherche de la liberté. Libertés fondamentales d’abord face à l’arbitraire de régimes issus de l’Ancien Régime, mais aussi liberté politique par la reconnaissance de la souveraineté populaire jadis affi rmée par la Révolution française. Toutefois, les libéraux d’Europe ne s’accordent pas sur la nature des régimes politiques qu’ils souhaitent voir instaurés. Certains, les plus modérés, penchent pour une monarchie constitutionnelle qui associerait le peuple au pouvoir par le biais d’une assemblée élue (Allemagne). D’autres, plus radicaux, puisent leurs références dans la République jacobine et rêvent d’instaurer un tel régime, républicain et démocratique comme à Venise. Mais les mouvements nationaux et libéraux sont affaiblis par leur manque de cohésion. Des divergences se font jour entre ceux qui veulent une monarchie constitutionnelle (la bourgeoisie) et ceux qui aspirent à une révolution démocratique. Enfin, les revendications nationales de certains vont à l’encontre de celles des autres. Par exemple, la création d’une grande Allemagne réunissant tous les territoires de la Confédération germanique telle que l’imaginent un temps les députés du Parlement de Francfort ne manque pas d’effrayer les minorités nationales de l’Empire d’Autriche. Finalement, l’intransigeance des souverains finit par briser les revendications nationales et libérales comme en Allemagne, où Frédéric-Guillaume IV ne reconnaît que les principes dynastique et divin face à la souveraineté populaire. Parfois, c’est par les armes que les souverains rétablissent leur pouvoir, comme en Hongrie où les armées russes, appelées par l’empereur d’Autriche, brisent le mouvement national magyar. En 1849, tout semble revenu à la normale, mais les aspirations nationales ne sont pas éteintes, certains souverains savent alors les mobiliser pour construire à leur profit des États-nations. personnages qui combattent sur la barricade sont essentiellement des étudiants ou bourgeois, reconnaissables à leur chapeau haut-de-forme. La révolution est faite par la bourgeoisie libérale et les intellectuels. Le drapeau qu’ils brandissent est celui de l’unité allemande, alors que l’on s’apprête à élire un Parlement national qui doit siéger à Francfort et préparer l’unification des États allemands. Ici, il faut surtout montrer que la barricade est la forme d’action la plus caractéristique du mouvement libéral et national. Ce mouvement est essentiellement urbain (bourgeois, étudiants et professeurs, parfois soutenus par les ouvriers) et les lieux de pouvoir se trouvent dans la ville. Faire la révolution, c’est soulever une ville et s’emparer des lieux stratégiques (l’hôtel de ville, éventuellement le palais du souverain ou le siège de l’assemblée, l’imprimerie officielle, etc.). La répression est assurée par l’armée, qui n’est pas formée à cette tâche de maintien de l’ordre, ce qui explique le caractère meurtrier de ces combats de rue. Panorama de l’Europe en août 1849 Cette caricature montre la situation politique et économique de l’Europe au milieu du xıxe siècle. Elle présente tout d’abord la réaction politique des souverains face aux désirs d’indépendance des peuples manifestés au cours du printemps des peuples de 1848. Ainsi, Louis Napoléon Bonaparte exile les opposants, tandis que l’empereur FrançoisJoseph Ier d’Autriche combat un révolutionnaire autrichien et un nationaliste hongrois. Au centre, le roi de Prusse Frédéric Guillaume IV balaie pour expulser les révolutionnaires allemands qui se réfugient en Suisse sous un bonnet phrygien symbole de liberté. Il tente également de réunir sous son égide les souverains de la petite Allemagne. Au nord, la reine Victoria observe le tout d’un air ironique ; son char est tiré par le génie du commerce. Les nations de l’Europe en 1850 10 L’Europe de 1850 est directement issue de celle de 1815 et des décisions prises au Congrès de Vienne. Les aspirations nationales n’ont abouti que dans deux cas : la Belgique s’est séparée de la Hollande, mais connaît déjà une opposition entre Flamands et Wallons ; la Grèce est devenue autonome de l’Empire ottoman. Par contre, les tentatives d’unification allemande et italienne ont échoué. Dans l’ensemble, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est encore peu respecté, le printemps des peuples de 1848 ayant été suivi d’une réaction violente de la part des souverains. De nombreuses nations, notamment en Europe centrale, restent dominées par l’empire d’Autriche, tandis que les Polonais se trouvent partagés entre l’Autriche, la Prusse et la Russie. L’Empire ottoman, très affaibli, connaît lui aussi des tensions de plus en plus virulentes de la part de peuples réclamant leur indépendance et encouragés par l’exemple de la Grèce. À elle seule, l’Autriche concentre une grande partie des revendications nationales, ayant sur son territoire de nombreuses nations soucieuses de leur indépendance. Dans son cas, le droit dynastique a prévalu sur le droit des nations, ce qui crée des tensions de plus en plus graves qui aboutiront notamment au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Les régimes politiques en Europe en 1850 Dans l’ensemble, malgré le « printemps des peuples » de 1848, les régimes autoritaires prévalent en Europe, notamment en Europe centrale et orientale. Ces régimes sont ceux qui négligent le plus le droit des peuples à disposer d’euxmêmes et qui se refusent à prendre en considération l’idée de nation. Il s’agit surtout de grands empires attachés aux valeurs d’Ancien Régime, où l’aristocratie terrienne est prépondérante. La démocratie libérale tend à progresser à l’ouest du continent, notamment sous l’impulsion de la bourgeoisie dont l’influence est renforcée par le mouvement d’industrialisation. Toutefois, cette tendance reste fragile : ainsi la France retrouve un régime autoritaire dès 1851. L’est du continent reste majoritairement soumis à des régimes politiques autoritaires, tandis qu’à l’ouest il s’agit surtout de monarchies constitutionnelles ou parlementaires ou même de républiques. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Les idées libérales et nationales sont transmises par la France à l’Europe : – par l’intermédiaire des armées révolutionnaires ; – par l’implantation de monarchies constitutionnelles imposées par Napoléon ; – par l’idée de résistance à l’occupation française qui est l’une des sources du nationalisme. Les vainqueurs de Napoléon rétablissent en 1815 un ordre européen fondé sur des principes d’Ancien Régime : – rétablissement des monarchies absolues ; – restauration de grands empires ou royaumes négligeant les aspirations nationales des peuples dominés. Les idées libérales et nationalistes resurgissent au cours des révolutions de 1830 et de 1848. Les peuples revendiquent : – des Constitutions établissant une meilleure représentativité de la nation souveraine, ainsi que le respect de libertés fondamentales ; – l’indépendance ou, au contraire, l’unification des nations se sentant unies par une langue et une histoire commune. L’échec de ces révolutions n’est que provisoire. Il annonce de grands bouleversements en Europe dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’Europe au milieu du XIXe siècle est une Europe en devenir. Elle a déjà connu deux bouleversements majeurs : sur le plan politique, avec les revendications nationales manifestées notamment au cours du printemps des peuples en 1848 ; sur le plan économique et social, avec la première révolution industrielle, l’essor de l’urbanisation et le développement des tensions sociales entre la bourgeoisie, de plus en plus influente, et la classe ouvrière très défavorisée. Cependant, il ne s’agit que de l’esquisse de mouvements qui vont devenir plus nets et plus brutaux dans la seconde moitié du siècle. Ainsi, en 1850, peu de régimes politiques tolèrent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou l’intervention des citoyens dans la gestion de l’État. De même, les phénomènes liés à l’industrialisation restent encore restreints à quelques pays – Grande-Bretagne en tête –, ou des régions. Ainsi, l’évolution politique et économique n’est pas aboutie. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 11 HC – Art, littérature et politique en Europe dans la première moitié du XIXème siècle Approche scientifique Approche didactique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude Insertion dans les programmes (avant, spatiale) : après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Michel Winock. Les voix de la liberté. Les écrivains engagés du XIXe siècle, Paris , Seuil – 2001, 636 p. Paul BENICHOU, Le Sacre de l'écrivain, 1750-1830, Essai sur l'avènement d'un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Librairie José Corti, 1973, rééd. Gallimard, 1996. Sartre, Jean-Paul, « Qu'est-ce que la littérature ? », Situations II, Gallimard, 1948. Dubois, Jacques, L'Institution de la littérature, Paris-Bruxelles, Nathan-Labor, 1978. Viala, Alain, Naissance de l'écrivain. Sociologie de la littérature à l'âge classique, Minuit, 1985. Bourdieu, Pierre, Les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1992. Bonnet, Jean-Claude, Naissance du Panthéon. Essai sur le culte des grands hommes, Fayard, 1998. Documentation Photographique et diapos : « Roman et société au XIXe siècle », La documentation photographique, n° 6039, La Documentation française, février 1979. Revues : MONTOUT Serge, Les écrivains engagés du XIXe siècle, Le Monde : Dossiers et documents littéraires, 1999, n° 023. Dossier sur l'engagement politique des écrivains du XIXe siècle : le naturalisme d'Émile Zola, l'utopisme de Charles Fourier, de Saint-Simon et de Proudhon, le socialisme d'Eugène Sue, le communisme de George Sand et les convictions de Lamartine, Léon Bloy, Jules Vallès, Léon Tolstoï. Panorama des événements historiques et des œuvres. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : " Stupide XIXe siècle ", ironisera Léon Daudet. Au cours de celui-ci, les hommes de lettres ont participé à tous les combats politiques. Quel que soit le régime, quelles que soient leurs tendances, ils paient de leur personne, de leurs deniers. Ils créent des journaux, des revues, s'engagent dans leurs articles, ans leurs oeuvres mêmes. Ils affrontent parfois la prison ou l'exil. Pour que triomphent leurs idées, ils se jettent dans la bataille électorale, deviennent députés, sénateurs, parfois ministres. Le public ne s'y trompe pas qui, à l'époque, connaît parfois mieux leurs engagements publics que leurs oeuvres quand les deux ne sont pas confondus dans un même combat. Leurs noms ? Chateaubriand, Constant, Guizot, Hugo, Stendhal, Balzac, Sand, Michelet, Lamartine, Quinet, Renan, Flaubert, Maupassant, Zola, Vallès, et tant d'autres qui ont su tisser le politique et la littérature. Un XIXe siècle qui annonce le XXe Le XIXe siècle vu par Michel Winock est celui des écrivains engagés, à la plume souvent vengeresse: ils s'efforcent de déchiffrer l'avenir, assistent aux bouleversements des progrès techniques, de l'industrialisation. Ils exposent les théories les plus audacieuses et aident à la montée du républicanisme qui va de pair avec le travail de sape du catholicisme. L’auteur fait commencer son siècle par la chute de Napoléon(1815) et le fait terminer par les funérailles grandioses de Victor Hugo (1885). Se succèdent de multiples révolutions ou changements (9 régimes en 80 ans),abdication ou retour de rois, dissolutions des Chambres suivies d'élections législatives à répétition, atteintes à la liberté de la presse, rétablissement de la censure faisant place à une libération sporadique de celle-ci, surtout vers la fin du siècle, après la proclamation de la République. Les écrivains-utopistes foisonnent de même que les ingénieurs du social, les inventeurs de mondes nouveaux, les doctrinaires, hommes de pensée et de polémique qui participent tous à cette religion de l'avenir qu’ils s’échinent à prophétiser: Auguste Comte, Saint Simon , Louis Blanc,Fourier, Proudhon ( en prison de juin 1849 à juin 1852), Michelet, Taine, Louise Michel, Marx qui dans une certaine mesure, va rafler toute la mise. Pendant tout ce siècle, la France deviendra un "immense chaudron de sorcières où bouillonnent toutes les révolutions européennes à venir." L’audace de ces précurseurs plaît diversement Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 2nde : « L'Europe en mutation dans la première moitié du XIXe siècle – Les transformations économiques et sociales – Les aspirations libérales et nationales jusqu'aux révolutions de 1848 – Un tableau de l'Europe au milieu du XIXe Ce dernier thème d'étude se conçoit à l'échelle européenne. Il invite à mettre en évidence les mutations durables qui s'amorcent durant la première moitié du XIXe siècle : – les transformations économiques et sociales induites par le démarrage de l'industrialisation (Révolution industrielle) qui se traduisent par l'affirmation de la bourgeoisie, l'émergence de classes sociales nouvelles (monde ouvrier) et le développement du paupérisme ; – le développement des aspirations nationales et libérales accéléré par les transformations économiques et sociales et les influences de la Révolution française (nationalisme et libéralisme). Sont ainsi mises en évidence la nouveauté du sentiment national et la variété des situations politiques en Europe, dans un contexte de conflit entre les idées libérales et une classe politique qui appartient encore à l'Ancien Régime (réaction et vagues révolutionnaires de 1830 et 1848) ; – des cartes fournissent un tableau des situations économique et politique de l'Europe au milieu du XIXe siècle, afin d'assurer la nécessaire transition avec le programme de la classe de première. » 12 selon les régimes en place : la prison de Sainte Pélagie, maison d’arrêt, les accueille généralement. Cette ancienne maison de correction pour filles de mauvaise vie est devenue le refuge obligé des prisonniers politiques, des appréhendés pour dettes ou délits de presse. (Sainte Pélagie sera démolie en 1895). Les conditions de détention y étaient beaucoup moins strictes que celles d'aujourd'hui, les nantis pouvaient y faire venir des victuailles, recevoir leurs amis, poursuivre une certaine forme d’action politique. Emprisonnés fréquemment, ils étaient souvent relâchés à la faveur de fréquentes amnisties. Tous les écrivains et penseurs ne préparent pas inconsciemment le Grand Soir ou l’avènement du communisme, sous la poussée des masses exploitées et misérables, mais ces écrivains exercent néanmoins une grande influence sur leur époque. Michel Winock, excellent historien qui ne dédaigne pas la petite histoire, si instructive, s'attarde à Chateaubriand, Benjamin Constant, Madame de Staël, Lamennais et Lamartine, Sainte Beuve, Michelet, Georges Sand, Tocqueville, Veuillot, Barbey d’Aurevilly Flaubert, Zola. Winock nous rafraîchit la mémoire en ce qui concerne Béranger et Renan, un peu oubliés aujourd’hui mais dont l’influence, le succès, furent énormes en leur temps. Chacun connaît l’extraordinaire longévité de Victor Hugo qui batailla pendant 20 ans contre Napoléon III, plaida efficacement et inlassablement pour l’amnistie en faveur des Communards et multiplia les messages prophétiques et humanitaires. Il est le premier à défendre l'abolition de la peine de mort. "L'illustre poète est devenu à la fin de sa vie la voix de la conscience républicaine, le héraut de la liberté, le prophète de l'humanité, le défenseur des opprimés, et lui aussi le champion des Etats-Unis d’Europe." Quant à Jules Vallès, l’insurgé, dont le style fut admiré plus tard par Barrés, qui le considérait comme un des maîtres de la prose française, il participa à la tragédie de la Commune de 1871 (la première dictature du prolétariat, écrivait Engels), s’échappa de la féroce répression des Versaillais en se faisant passer pour un ambulancier chargé de ramasser les cadavres et parvint ensuite à gagner la Belgique ( terre de transit) puis l’Angleterre. Il ne cessait de célébrer l'avenir socialiste, d'appeler à la République sociale et universelle. " Si les damnés du travail peuvent former une légion, s'organiser en armée au lieu de rester des victimes, ils deviendront les dirigeants de toute cette mécanique de fer qui est la mère de la production moderne. " Indifférent en matière de religion, Vallès pratiquait pourtant peu l'anticléricalisme. Il discernait dans le thème anticlérical un moyen commode pour les républicains conservateurs de se classer à gauche en s’épargnant le souci d'une politique sociale. Revenons à la presse. En amplifiant son audience, nous explique Michel Winock, cette presse libérée (juste avant la chute de Napoléon III), devient un vaste champ de bataille où écrivains de droite et écrivains de gauche, socialistes et libéraux, républicains et catholiques ferraillent les uns contre les autres “se sentant appartenir à une même communauté où la fulgurance des mots et la force des formules rendent les tranchées attrayantes." (...) Le public de plus en plus large aura tendance à préférer les sons de la grosse caisse à la musique douce."Instrument chéri des démagogues autant qu’arme de combat des penseurs, la presse est devenue un quatrième pouvoir, trop souvent acheté, vendu , corrompu. (affaire de Panama, etc.). Le XXe siècle verra les sirènes des utopies finir par prendre forme, communisme, socialisme, libéralisme, etc., se succéder ou s’entre-détruire avec les dérapages sanglants que l’on sait pour aboutir aujourd'hui à la victoire totale d'un capitalisme quasiment sauvage. Les Voix de la liberté est une épopée politique et littéraire retraçant les itinéraires, parfois entremêlés, de maints auteurs français ayant fourbi leurs plumes au nom de la croyance ou de la condamnation d’une idée forte : la liberté. Le XIXe siècle, « stupide » pour Léon Daudet, est aussi celui du « sacre de l’écrivain ». Le mot n’est pas trop fort si l’on réalise à quel point les hommes de lettres prirent fait et cause pour des idées. C’est la grande différence entre l’écrivain engagé du XIXe siècle et l’intellectuel du XXe : si celui-ci limite le plus souvent ses interventions aux écrits enflammés et aux pétitions, aux revues militantes et aux pamphlets bien sentis, celui-là incarne plus souvent son idéal aussi par l’action politique ou le geste d’envergure : Lamartine est chef de gouvernement, Hugo s’exile tant que gouverne « Napoléon le petit », Vallès participe à la Commune et de nombreux autres sont députés ou sénateurs, ministres ou ambassadeurs, à la force du poignet. 13 L’ouvrage n’est pas une histoire de la littérature au XIXe siècle mais celle d’écrivains dans leur rapport à la politique. La liste est longue : Chateaubriand, Hugo, Lamartine, Balzac, Stendhal, Zola pour les têtes d’affiche, Sand, Vallès, Musset, Tocqueville, Barbey d’Aurevilly, Flaubert, Michelet, Guizot, Quinet, Proudhon et bien d’autres encore dont certains moins notoires comme le chansonnier Béranger, sacré plus grand poète de son temps et méconnu du nôtre. Cette somme érudite mais d’une lecture fluide et agréable, a deux grands mérites. Le premier est d’insister sur le rapport étroit qu’entretiennent sous nos latitudes les lettres et la politique. La plume, dans l’Hexagone plus qu’ailleurs peut-être, est une arme. On comprend que, bien avant le « J’accuse » de Zola, qui ouvrira le XXe siècle, l’engagement de l’écrivain est déjà de mise, dans la lignée de combats plus anciens encore - pensons à Voltaire défendant Calas. Pour autant, Michel Winock ne réduit pas son étude aux strictes limites de la France ; des excursions sont proposés de l’autre côté de la Manche, des Alpes ou du Rhin. L’Allemagne est présente chez nous, fortement, au temps du Romantisme et du communisme naissant, avant que l’humiliation de 1870 ne remette quelques pendules à l’heure : le nom du très francophile Henri Heine croise celui de Marx. Garibaldi passe, de nombreux écrivains partent, s’exilent, à Londres, en Belgique ou en Suisse. Cette esquisse de réseaux intellectuels dépassant nos frontières fait souhaiter d’ailleurs une étude identique à l’échelle européenne. La présentation des écrivains dans leur chair, dans leur milieu, leur époque et soumis à leurs propres démons est l’autre grand atout du livre. Les sociabilités et les personnalités comptent dans un parcours intellectuel et politique, de manière peut-être plus fondamentale que le génie littéraire transparaissant à travers une œuvre. Michel Winock, sans tomber dans une sociologie sèche, insiste sur ce point comme il l’avait déjà fait dans son précédent opus. Porter attention aux ambitions, aux défauts et aux qualités, aux caractères et aux mesquineries de ces individus en interaction avec leur temps permet de comprendre les messages, leurs idées et les évolutions auxquelles ils obéissent alors logiquement. Ainsi du cheminement de Hugo depuis le légitimisme jusqu’à la République. Ainsi des apparentes contradictions dans la pensée proudhonienne, révolutionnaire mais aussi conservatrice. Les exemples sont nombreux de ces parcours non rectilignes suivis par des hommes qui, par-delà leurs ouvrages majeurs, vivent et corrigent leur vision du monde. Au XIXe siècle, l'écrivain était engagé ou n'était pas. C'est l'épopée de ces héros de la plume que Michel Winock retrace dans un essai. Retour sur une époque qui a beaucoup à nous apprendre. En ce temps-là, les intellectuels étaient des princes. Sous la Restauration, le vocable n'existait pas encore, mais les trois grandes figures politiques de l'époque se nommaient Chateaubriand, Benjamin Constant et François Guizot. Le poète, le romancier et l'historien n'appartenaient pas à cette catégorie sociologique, fabriquée ultérieurement, dans le flou des définitions, et baptisée d'un terme assez vague: «les intellectuels». Ceux dont l'historien Michel Winock retrace l'histoire dans les Voix de la liberté se définissaient à la fois par leurs oeuvres et par leur action politique. En ces temps d'apogée du papier imprimé, le verbe était roi. Il n'y avait que deux voies pour entrer en politique: la plume ou le sabre. On combinait parfois les deux, les généraux se faisaient mémorialistes et les écrivains guerroyaient volontiers dans un camp ou dans l'autre. Il était alors naturel qu'un écrivain s'engage et participe pleinement à l'activité politique. L'expression «écrivain engagé» était presque un pléonasme. Chateaubriand incarnait la droite, Benjamin Constant la gauche, et Guizot le centre, précise Michel Winock, en ouvrant sa formidable saga des écrivains engagés dans la France du XIXe siècle. Mais ces écrivains-là n'abdiquaient pas leur liberté, ils ne suivaient pas aveuglément un parti. Le mot engagement a retrouvé, un siècle plus tard, son origine militaire: au XXe siècle, des écrivains iront s'enrôler dans des partis caporalisés, quand leurs aînés du XIXe siècle imaginaient et pensaient la politique. De nos jours, comme dit Régis Debray, «chacun se bagarre pour soi-même, avec les droits de l'homme en alibi». La fête est finie, et le sens historique fait défaut. Quel chemin ! Le consul Henri Beyle, dit Stendhal, les députés Lamartine, Edgar Quinet ou Victor Hugo, les poètes révolutionnaires Charles Baudelaire et Arthur Rimbaud, les philosophes Saint-Simon, Fourrier, Proudhon et Auguste Comte, les historiens Michelet et Taine ne se situaient pas, eux, aux marges de la politique, 14 ils ne commentaient pas la presse, ils étaient au coeur de l'action. Et les politiques eux-mêmes étaient des «intellectuels». Ainsi de Tocqueville, qui ne fréquenta pas seulement les allées du pouvoir, de Guizot et de Thiers, qui, chacun à son tour, dirigèrent des gouvernements. Ou de Flora Tristan, qui fonda tout à la fois le féminisme et l'organisation ouvrière. La vie politique du XIXe siècle est, d'abord, le roman des romanciers. Et quel roman ! Celui de la jeune ouvrière Flora Tristan, fille d'un ami de Simon Bolivar, celui du fils d'un général d'Empire et d'une conspiratrice royaliste, Victor Hugo, qui deviendra l'emblème de la République. Il est difficile de trouver alors un écrivain qui échappe aux passions de l'histoire. Pas même Alexandre Dumas que Winock néglige ! Le Comte de Monte-Cristo résonne, en son temps, comme un pamphlet contre les pouvoirs bâtis sur le crime et la corruption. En aventurier romantique, Alexandre Dumas précède Malraux, en partant combattre avec Garibaldi. Tous les écrivains n'eurent pas les mêmes engagements, mais tous laissèrent, dans les romans, les mémoires et les poèmes, leur vision du temps. Marx lui-même reconnaissait qu'il avait «plus appris dans Balzac que dans tous les gros livres des économistes». Il est vrai que la Comédie humaine décrit le triomphe bourgeois avec plus de couleurs que le Capital. Il n'y avait pas, alors, cette étrange schizophrénie entre l'oeuvre et l'action: Eugène Sue et Victor Hugo ont donné aux miséreux des visages, des noms, des destins. Nous ne sommes pas encore dans cette «France byzantine» que Julien Benda devait dénoncer dans les années 20, dans un monde d'intellectuels coupés du peuple, et qui, de temps à autre, condescendent à quelques apparitions pétitionnaires sur l'agora. La politique, la littérature et la pensée vivent ensemble, au long d'un siècle qui s'ouvre sur les figures de Chateaubriand, de Constant ou de Guizot et qui s'achèvera sur celles de Zola et de Maurras et sur l'apothéose de Victor Hugo. La frontière entre les hommes politiques et les intellectuels sera tracée beaucoup plus tard. Force est de constater, en lisant les Voix de la liberté, que ce que Michel Winock avait appelé, dans un ouvrage précédent, le Siècle des intellectuels, le XXe siècle, fut en fait celui de leur marginalisation. Au fond, Sartre est un bien médiocre politique en regard de Victor Hugo. Malraux n'est que le barde du général de Gaulle, il ne pèse pas plus sur sa politique que Louis Aragon sur celle du Parti communiste. Tous se sont voulus, peu ou prou, compagnons de route, mais il n'y avait déjà plus de route. Trop tard. La génération suivante, la nôtre, n'a d'ailleurs fait que les mimer. Et maintenant, la politique s'est engluée dans une activité de gestion qui laisse peu de place aux idées. La marginalisation des intellectuels accompagne la dégradation du personnel politique. Au XIXe siècle, le politicien professionnel d'aujourd'hui n'existait pas. Il n'y avait pas encore de caste ni d'ENA pour condamner les électeurs à devoir choisir, à chaque échéance majeure, entre les élèves d'une même école, répartis en sensibilités politiques à peine différenciées. Lamartine en candidat contre Louis Napoléon Bonaparte, Victor Hugo en exil à Guernesey: les écrivains n'étaient pas les plantes vertes des tribunes de campagne et ils payaient, parfois, de leur personne. Autre temps, certes. Le XIXe siècle est né dans les fracas de l'épopée bonapartiste. Le siècle romantique est fait de combats grandioses, de révolutions et de contre-révolutions. Le verbe peut claquer aussi fort que la poudre: on se bat aussi pour Hernani, pour les Fleurs du Mal, pour Madame Bovary. La science et l'Eglise s'affrontent. Par Renan et Michelet, l'histoire s'impose contre la religion. Pourtant, la scène politique ne se résume pas à un tableau de Delacroix. Ces poètes et ces romanciers entrés en politique ne se contentent pas de discours lyriques. Ils pensent, débattent, conçoivent des réformes, construisent et abattent des régimes. Ils détiennent un pouvoir considérable, surtout en regard de l'impuissance des intellectuels d'aujourd'hui. Dans son exil à Guernesey, Victor Hugo est une menace pour Napoléon III. Sa popularité, le formidable écho des Misérables pèsent autrement sur la politique que toutes les pétitions et prestations médiatiques des intellectuels d'aujourd'hui. Quel écrivain serait-il, à l'heure qu'il est, sur son nom et sans campagne, triomphalement élu à Paris ? Les hommes politiques du XIXe siècle étaient historiens ou avocats, journalistes ou poètes, parfois mathématiciens, toujours orateurs. Flaubert avait d'ailleurs repéré le maître des temps à venir: le conseiller général de Yonville, Seine-Inférieure, a pris le pouvoir et il dispose d'une tribune permanente de comice agricole installée dans le salon des Bovary. La dégradation à venir hante l'oeuvre de ce quarantehuitard aigri qu'est Gustave Flaubert. Notre modernité se situe, hélas, entre les discours des sous-préfets de Seine-Inférieure et les affirmations péremptoires de 15 Bouvard et Pécuchet. Elle est aussi présente chez Zola moins par ce socialisme très involontaire évoqué par Winock et qui a transformé Germinal en bible des combats ouvriers, quand ce n'était qu'un avertissement aux classes possédantes, que par sa formidable description des moeurs politiques mises en place sous le Second Empire. La conquête de la circonscription de Plassans, la carrière de Son Excellence Eugène Rougon, les mécanismes de corruption et de spéculation immobilière dévoilés dans la Curée demeurent d'une bouleversante actualité. Le siècle s'achève: Zola, à son insu, dessine le nouveau statut de l'intellectuel. Journaliste, il assistait, impuissant, aux calamiteux débuts de la IIIe République. Romancier, il fut fort surpris d'alimenter une idéologie sans jamais y adhérer: l'auteur d'un livre, qui devait figurer pendant un siècle dans toutes les bibliothèques socialistes, ne redoutait rien tant que la révolution sociale. «Il est peut-être temps encore d'éviter les catastrophes finales», écrivait Zola, qui ne se trompait pas tout à fait en annonçant le péril: «Les nations s'engloutiront dans un des plus effroyables bouleversements de l'histoire.» Mais Zola sera surtout le dernier intellectuel à jouer un rôle majeur dans une affaire d'Etat, en déclenchant l'affrontement qui devait aboutir à la révision du procès Dreyfus. Ce faisant, il n'avait pas seulement fait surgir une polémique qui, une fois de plus, le dépassait, lui qui n'entendait pas défendre Dreyfus en tant que juif, mais parce que innocent. Mais il avait aussi dessiné le nouvel espace politique des intellectuels. Celui de la protestation, aux marges d'un système politique qui, inexorablement, ramenait les écrivains et les penseurs vers la place qui était assignée au théâtre dans la Cité antique, celle de l'imprécateur, qui conteste le système, en corrige parfois les fautes et les excès, mais ne peut accéder au pouvoir. Le livre de Winock se termine sur le triomphe final de Victor Hugo, sur le plus extraordinaire enterrement populaire que Paris ait jamais connu. Avec Victor Hugo, c'est d'ailleurs la forme la plus achevée de l'engagement des écrivains que l'on a enterrée. Désormais, les écrivains ne pénètrent plus dans les palais nationaux que pour y remettre des pétitions quand ce n'est pas pour se faire décerner quelque décoration, misérable breloque par laquelle les pouvoirs les remercient pour leur impuissance acceptée Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Une « présentation » au roi en 1787 Dans cet extrait des Mémoires d'outre-tombe, l'initiateur du romantisme en France (Atala, 1801 ; René, 1802) évoque son entrée à la cour de Louis XVI. Pardelà la description du cérémonial, François René de Chateaubriand (1768-1848) exprime ses sentiments contradictoires à propos de la monarchie d'Ancien Régime. Après 1830, il renonce à continuer sa carrière politique tout en développant ses idées dans sa monumentale autobiographie commencée en 1809 et poursuivie jusqu'à la fin de sa vie. Il y évoque successivement sa jeunesse alimentée de « désirs et de songes » (1768-1800), puis sa carrière littéraire (18001814) et politique (1814-1830) avant d'aborder la dernière partie de sa vie, « mélange des trois précédentes ». Malgré son propos initial : « J’écris principalement pour rendre compte de moi-même à moi-même », l'écrivain a choisi de soigner son « tombeau ». Il rappelle ses souvenirs pour méditer sur la fragilité humaine dans un livre conçu comme « l'épopée de son temps ». Sa carrière politique est déterminée à la fois par sa fidélité à la monarchie légitime et par sa conviction que la société moderne va inéluctablement vers la démocratie. Ce texte écrit après la Révolution permet à l'auteur d'exprimer un sentiment de nostalgie pour les fastes de la cour d'Ancien Régime (« on n'a rien vu quand on n'a pas vu la pompe de Versailles »), mêlé au sentiment de la vanité de la « destinée humaine » : « Ce souverain que je voyais pour la première fois, ce monarque si puissant était Louis XVI à six ans de son échafaud ! » Louis XVI apparaît ici comme un roi un peu gauche, plus embarrassé que le jeune vicomte de 19 ans ! Une définition de la liberté Benjamin Constant est, sous la Restauration, l’une des grandes figures du libéralisme, après une carrière politique assez tortueuse. Opposant à Napoléon, il a soutenu la Charte de 1814. Puis il s’est rallié à Napoléon lors des Cent Jours, en Activités, consignes et productions des élèves : Engagement et création littéraire dans la première moitié du XIXe siècle. Colloque international Le début du XIXe siècle est marqué par de nombreux bouleversements politiques (révolution, monarchie, république, empire), mais aussi par la naissance du Romantisme et du journalisme moderne. Ces événements, qui vont modifier l’univers et les modalités de la représentation, sont perçus, selon une lecture sociale et politique de l’histoire littéraire, comme étroitement liés. Sainte-Beuve, auteur, académicien et critique qui a vu naître la nouvelle ère culturelle et pris part à son évolution, parle d’une « brusque révolution » dans la mesure où le Romantisme vient perturber les normes académiques et qu’il est la conséquence de la grande Révolution. Traversé par l’Histoire, le texte littéraire tire sa force des histoires existentielles et des parcours individuels dans une dynamique très complexe d’échanges et d’interactions. Penser l’Histoire, s’y inscrire, tenter de la modifier et en même temps révéler les mystères de l’être et sonder l’inconnu sont les paradoxes auxquels se heurte l’écrivain et qui 16 préparant pour lui la constitution d’un Empire libéral (Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, 1815). Quand Louis XVIII revient sur le trône, Constant s’exile un an en Angleterre, où il écrit son roman Adolphe. De retour en France, Constant est élu député en 1819, 1824 et 1827. Il soutient le libéralisme par ses discours à la Chambre, aux côtés de La Fayette, et ses articles théoriques dans la presse d’opposition. Comme sa maîtresse Madame de Staël, c’est un admirateur du modèle anglais. Dans cet extrait d’un discours célèbre, Constant donne sa définition de la liberté, en évoquant explicitement les modèles anglais et américain. Ce qui est caractéristique de ce libéralisme du début du XIXe siècle, c’est que les libertés politiques et économiques sont intimement liées dans l’affirmation des droits de l’individu. Parmi les libertés politiques, Constant invoque d’abord les garanties judiciaires contre l’arbitraire (le modèle est clairement l’Habeas Corpus anglais), puis les libertés fondamentales d’opinion, de réunion et de culte. À la fin de l’extrait, il présente d’une manière plus floue « le droit, pour chacun, d’influer sur l’administration du gouvernement ». Cette évocation assez vague du régime représentatif ne prend pas position clairement sur le régime parlementaire ou sur la nature du suffrage (censitaire ? universel ?). Constant semble surtout songer aux modèles anglo-saxons, puisqu’il évoque le droit de pétition (Angleterre) et la possibilité d’élire les fonctionnaires (comme le sheriff, officier de police élu aux États-Unis). Constant insiste sur les libertés économiques, comme le droit « de choisir son industrie, et de l’exercer, de disposer de sa propriété, d’en abuser même ». L’initiative individuelle doit donc être totale : il n’y pas de limite aux droits de propriété et d’entreprise, l’État n’a pas à réguler une économie fondée sur le profit. Constant affirme aussi le droit d’aller et venir librement, qui va dans le sens du libre-échange. Ce texte montre bien que le libéralisme est avant tout un individualisme. La société est fondée sur la liberté individuelle (cf. la formule récurrente : « c’est pour chacun le droit… »), définie ici d’une manière presque libertaire (le droit à l’excès, le droit à la fantaisie). La défense des libertés : « Ne vous y frottez pas ». Caricature d’Honoré Daumier, 1834. Paris, BN. La caricature est en plein essor en France au début de la monarchie de Juillet, grâce à la liberté de la presse acquise en 1830. Jusqu’en 1835, les journaux satiriques (La Caricature, Le Charivari, etc.) et politiques se développent au point d’inquiéter le roi. En 1834, les journaux sont engagés dans un rapport de force avec le pouvoir. Celui-ci voit d’un mauvais oeil le développement de ces dessins satiriques, où dominent deux grands noms de la caricature de l’époque : Daumier (1808-1879) et Grandville (1803-1847). Dans cette époque de durs débats et d’affrontements politiques parfois très violents, la caricature est bel et bien un acte politique qui fait prendre des risques à ceux qui s’y engagent. Daumier fut du reste arrêté et mis en prison pour six mois en 1832 en raison d’un de ses dessins qui représentait le roi Louis-Philippe en Gargantua. En 1835, une série de lois rétablit la censure sur la presse. La période 1830-1835 constitue de ce fait un véritable âge d’or de la presse indépendante en France. Le personnage central, un ouvrier typographe aux poings serrés, incarne la liberté de la presse. Les personnages à droite qui « s’y sont déjà frottés» sont Charles X, à terre, entouré par deux monarques étrangers : ils symbolisent la réaction vaincue en 1830. Les personnages à gauche, à qui s’adresse l’avertissement, sont Persil (procureur général chargé des poursuites judiciaires contre la presse), Louis-Philippe (avec son costume de « roi-bourgeois »), et Odilon Barrot (avocat et homme politique). La position de ce dernier est intéressante, comme s’il cherchait à freiner Louis-Philippe et Persil. En effet, Barrot soutient l’orléanisme tout en étant favorable aux réformes, hostile à la répression. On voit mieux après cette description, que la presse, qui vient d’en découdre avec Charles X, est prête à faire de même avec Louis-Philippe s’il veut s’opposer à elle. Dans la caricature, le message est donc clair. Il est exprimé par un des représentants de la presse libre et indépendante (Daumier) à l’attention de Louis-Philippe. Si le roi décide de s’opposer à la liberté de la presse, l’ouvrier typographe saura quoi faire. La liberté de la presse se défendra en mettant à terre le nouveau roi, comme elle le fit de Charles X qui avait voulu revenir sur la libertéd’expression par les quatre ordonnances de juillet 1830. Cette image signifie donc que la liberté de la presse peut faire tomber les rois. Lamartine et le choix du drapeau national en février 1848 font du texte romantique un lieu de tensions. L’image hugolienne du poète guide ou porteparole du peuple en est l’illustration Le développement du journalisme littéraire (avec notamment le succès du roman feuilleton) rapproche l’écrivain des lecteurs, favorise l’engouement du public pour les histoires « ordinaires » et en même temps contribue à l’émergence du mythe du créateur démiurge, au « sacre de l’écrivain », selon la formule de Paul Bénichou. Le colloque portera sur l’implication concrète et active des romantiques de la première génération (Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Sand…) dans la vie politique et sociale de leur temps. Il y aura lieu de s’interroger, loin des clichés et des à-priori, sur la façon dont les écrivains ont perçu et assumé leur rôle. Leur choix d’être acteurs plutôt que spectateurs de « la marche des siècles » et la conviction que leur savoir est utile à la nation ne les empêchent pas de porter un regard critique sur le monde, ou d’avoir un rapport douloureux au réel. L’engagement de l’écrivain romantique va de pair avec une vigilance voire une distanciation qui lui permet de préserver son intégrité en évitant à la fois le repli sur le passé et les illusions de l’avenir, les rêveries nostalgiques et les sauts dans l’inconnu. La littérature est devenue une haute valeur culturelle depuis le milieu du XIXe siècle, entre 1830 et 1850. C'est la thèse de Paul Bénichou, qui, dans Le Sacre de l'écrivain, 1750-1830, fait l'histoire de la « dignification de la littérature profane » (p. 13), c'est-à-dire l'émancipation de la littérature par rapport à l'autorité de la religion, et même la substitution de l'autorité de la littérature à celle de la religion. Les écrivains devinrent les héros et les saints du xixe siècle. Sartre, dans Qu'est-ce que la littérature ?, situait le tournant autour de la Révolution de 1848, après une transformation du statut de l'écrivain qui remonte à 1789 : « Le commerce qu'il entretenait avec la caste sacrée des prêtres et des nobles le déclassait réellement [...]. Mais, après la Révolution, la classe bourgeoise prend elle-même le pouvoir. » L'écrivain refuse alors de « rentrer dans le sein de la bourgeoisie », qu'il méprise après deux cents ans de faveur royale : « parasite d'une classe parasite, il s'est habitué à se considérer comme un clerc ». L'écrivain se situe en dehors des classes. Belle âme, il refuse l'utilitarisme bourgeois et oeuvre pour le triomphe spirituel de la Contre-Révolution : ce sera le grief de Sartre contre Baudelaire et Flaubert, qui n'ont pas choisi le camp du progrès en 1848 et après. Bourdieu, lui, évoque l'« autonomie » croissante de la littérature à partir de 1850, c'est-à-dire l'identification de la valeur littéraire à une 17 À partir de février 1848, l'Europe entière connaît, dans un contexte de crise économique qui dure depuis 1846, une vague révolutionnaire qui mêle, en France comme en Allemagne, revendications sociales et aspirations politiques. Dans ces années 1840, Alphonse de Lamartine fait figure d'opposant résolu au régime de Louis-Philippe, tout en restant en marge des partis organisés. Écrivain célèbre dès 1820 et député depuis 1833, il vient de publier l'Histoire des Girondins dans laquelle s'affirme son idéal de républicain humaniste. Sa notoriété est telle qu'en février 1848, son nom s'impose au poste de ministre des Affaires étrangères, véritable chef du gouvernement dans les faits. C'est donc à la fois le personnage officiel et le poète de gauche qui s'expriment ici. Il choisit le drapeau tricolore de la Grande Nation unie sous les armes, victorieuse de l'Europe pendant la Révolution et l'Empire, et repousse le drapeau de la révolution sociale parce qu'il fut celui de la guerre civile. Faisant cela, il renouvelle, mais face à la gauche extrême, le choix effectué, contre les ultras de droite, le 29 août 1830 par LouisPhilippe qui avait remis le drapeau tricolore aux légions parisiennes de la garde nationale, en lieu et place du drapeau blanc. Il s'agit bien d'un choix exaltant le caractère avant tout national et non social de la révolution de 1848. Autrement dit, pour Lamartine, 1848 est une révolution politique d'installation de la République, la nature populaire de celle-ci étant encore à définir. Cette indétermination qui recouvre une très large gamme de conceptions, explique probablement que Lamartine disparaisse de la scène politique assez vite (7 900 voix seulement lors de l'élection à la présidence de la République le 10 décembre 1848). II. Les causes des romantiques La cause grecque est un bon exemple de l’engagement politique des intellectuels romantiques. Les artistes ou les écrivains utilisent leurs moyens d’expression propres pour manifester leur sympathie à l’égard des insurgés et sensibiliser l’opinion publique. Ici, c’est la brutalité des Turcs qui est mise en scène. Le soldat turc symbolise la barbarie, la répression féroce, de même que le cosaque russe (cf. la Pologne). Le peintre Eugène Delacroix (1798-1863) est au début de sa carrière quand il expose ce tableau en 1824. Il utilise toutes les ressources de son style romantique pour peindre une scène tragique. Le fond du tableau est occupé par des scènes d’incendie et de destruction. Au premier plan, le mouvement du cavalier turc contraste avec l’abattement des Grecs, qui attendent avec fatalisme le sort qui leur est réservé : l’esclavage. La présence de femmes, de vieillards et d’enfants accentue le pathétique. En 1828, Victor Hugo (1802-1885) est un jeune écrivain qui a déjà pris parti pour le romantisme. En 1829, dans Les Orientales, il cherche son inspiration dans l’exotisme de l’Orient, ici la Grèce en quête d’indépendance. Le poème de Victor Hugo a pour cadre l’île dévastée : dès les deux premiers vers, le poète évoque clairement « les Turcs » et « Chio ». Le style de Victor Hugo est ici typique du romantisme : goût de la virtuosité, recherche de l’effet. Le poète joue d’abord sur un contraste entre le présent (« tout est ruine… tout est désert ») et le passé (la douceur de vivre qui caractérisait Chio), pour souligner la barbarie des Turcs. Surtout, il choisit comme personnage central un enfant, qui devient le symbole de la cause grecque. Ce procédé est familier à Hugo, qui peint souvent des enfants héros ou martyrs (Gavroche dans Les Misérables, l’enfant assassiné en décembre 1851 dans le poème Souvenir de la nuit du 4). Le procédé se fonde aussi sur une certaine réalité historique : les contemporains avaient été étonnés par la détermination des enfants grecs. Certains participèrent aux grands combats, d’autres furent envoyés en France et « adoptés » par le Comité grec de Paris. Tout le poème est bien sûr construit sur le contraste entre la symbolique de l’innocence, couramment associée aux enfants, et la réponse lapidaire de l’enfant grec, qui crée un effet de surprise et révèle sa détermination : « Je veux de la poudre et des balles. » Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : littérature restreinte, une littérature de littérateurs et pour littérateurs, coupée de la vie sociale et de la « littérature industrielle », comme disait Sainte-Beuve. La date varie quelque peu, mais tous ces auteurs observent que les notions de littérature et d'écrivain prirent, entre 1750 et 1850, les sens qui nous sont familiers et comme naturels depuis lors. Nos notions modernes de littérature et d'écrivain sont toujours celles qui se sont instituées au début du XIXe siècle. Ces « populations saines » Lorsqu'il écrit ses lignes à son ami Busoni, le 11 août 1848, Alfred de Vigny s'éloigne d'un Paris marqué par la révolution de février et la reprise en main conservatrice des journées de juin. La tension sociale, avivée par les rancoeurs politiques, est très grande dans la capitale (c'est le sens de « nos malheurs »). Par comparaison, la campagne paraît à cet aristocrate qui vient d'échouer en politique un havre de paix. Aussi, son tableau des ruraux est idyllique, probablement peint avec les yeux du ressentiment envers les Parisiens. Le romantisme, la liberté dans l’art Le républicain convaincu Victor Hugo fait un parallèle entre le libéralisme politique et la liberté artistique. Il y voit une condition de progrès et d’avancée dans ces deux domaines. En 1830, en présentant son drame Hernani au Théâtre français à Paris, Victor Hugo déclenche une célèbre querelle entre classiques et romantiques, connue sous le nom de « bataille d’Hernani », d’où cette préface en forme de mise en garde. Au début du xıxe siècle, la plupart des revendications nationales sont soutenues par des opinions publiques soulevées et encouragées par les artistes et penseurs romantiques. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 18 HC – Les peintres dans la société européenne du XIXe siècle Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Anne Martin-Fugier, La Vie d'artiste au XIXe siècle, Editions Louis Audibert, 2007, Hachette Pluriel, 2008 Lorenz Eitner, La Peinture en Europe au XIXe siècle, Bibliothèque des Arts, Hazan, 2007 (Qu'il s'agisse des espagnols ou des anglo-saxons, de Goya ou de Blake, des romantiques comme Delacroix ou des paysagistes comme Turner, cet ouvrage propose une série d'études sur les 'phares' de la peinture en Europe, de l'époque des Lumières à l'impressionnisme. S'intéressant principalement à la France, à l'Angleterre et à l'Allemagne, il néglige le reste de l'Europe, et notamment l'Italie et la Scandinavie, ne tenant pas entièrement la promesse du titre) Alain Bonnet, Véronique Coarin, Hélène Jagot, Emmanuel Schwartz, Devenir peintre au XIXe siècle : Baudry, Bouguereau, Lenepveu, Editions Fage, 2007 Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : L’artiste du XIXe siècle jouit d’une notoriété aussi extraordinaire que singulière. Il est génial ou incompris… Entre deux mythes, l’artiste maudit et l’artiste nanti, il y a quantité de nuances. Les artistes sont à présent contraints « de se vendre » et dès lors d’être créatifs, de proposer de l’inédit et de se distinguer des autres. Le marché de l’art est né. Le premier musée consacré aux artistes vivants s’ouvre à Paris en 1818. La Ville Lumière fait alors la pluie et le beau temps. Pour appréhender cette révolution artistique, nous levons le voile sur les autoportraits, les vues d’atelier, les représentations de modèles, qui témoignent de la vie et des pratiques artistiques du temps. Les collections du Musée d’Orsay, particulièrement éloquentes à cet égard, alimentent cette analyse. Les ateliers ou les résidences d’artistes sont également révélateurs de l’époque ; qu’un peintre, sculpteur ou écrivain en vienne à désirer un musée à titre posthume est en soi significatif. Gustave Moreau ou Auguste Rodin livrent, à travers les institutions qui les célèbrent, nombre d’enseignements. La volonté des artistes de se mettre au vert et de se regrouper entre eux témoigne aussi d’un nouvel état d’esprit. C’est à Barbizon, au coeur de la forêt de Fontainebleau, là où Millet, Corot, Monet, Sisley et tant d’autres ont installé leur chevalet que nous évoquons cette mode que le XIXe siècle a cultivée. La Vie d'artiste au XIXe siècle, par Anne Martin-Fugier L'auteur met en scène tous les protagonistes du monde de l'art : les peintres et les sculpteurs connus et moins connus, les modèles, les critiques et les aventuriers qu'étaient parfois les marchands et les collectionneurs. Utilisant correspondances, mémoires, presse, catalogues d'expositions, romans, elle rend compte des pratiques des artistes et suit les étapes de leur carrière. Elle se penche sur les relations passionnelles et complexes qu'entretiennent les artistes avec les marchands et les collectionneurs. Elle analyse l'évolution des identités, celle de l'artiste et celle de l'amateur. Que devient au cours du siècle la figure de l'artiste victime de la société bourgeoise qui s'est constituée à l'époque romantique ? C'est en 1818 que fut créé à Paris le premier musée consacré aux artistes vivants. Au cours du XIXe siècle, la diffusion des oeuvres d'art change d'échelle, le marché de l'art remplace le système académique des Beaux-Arts et, dans la société en voie de démocratisation, se développent l'intérêt pour l'art et la consommation de productions artistiques. Des lieux multiples d'exposition, salons et galeries, succèdent au Salon annuel organisé par l'Etat et, dans les ventes aux enchères, il apparaît que l'art contemporain (on disait '' moderne '' à l'époque) peut Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 4è actuel : « L’âge industriel (7 à 8 heures) À partir des transformations des techniques de production de la fin du XVIIIe siècle à l’aube du XXe siècle, l’étude dégage les traits majeurs du phénomène industriel et de ses effets géographiques et sociaux. On décrit idées et mouvements qui analysent ce phénomène et en déduisent des conséquences sociales et politiques. Parallèlement sont tracés les grands traits de l’évolution culturelle et artistique. •Documents : Delacroix : La Liberté guidant le peuple ; Picasso : les Demoiselles d’Avignon.” Socle : Nouveau commentaire « Les principaux courants d’idées politiques, les grands mouvements sociaux, les grands traits de l’évolution culturelle et artistique sont mis en évidence à partir de quelques exemples significatifs. » Accompagnement 4è : « L’évolution culturelle et artistique est liée à l’évolution économique et sociale sans en être exclusivement dépendante. Ainsi, la généralisation de l’alphabétisation coïncide avec l’ouverture des terroirs mais elle correspond, aussi, à l’affirmation de l’État. De même la laïcisation des sociétés n’est pas un phénomène univoque. Le XIXe siècle voit, avec le développement des ordres religieux, des pèlerinages et des missions, une tentative des Églises pour s’adapter au monde moderne. De même, dans le domaine artistique, si la tour Eiffel, édifiée pour 19 valoir de l'argent. Les tableaux des artistes vivants deviennent objets d'investissement et de spéculation. , entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. La peinture européenne du XIXe siècle De David à Corot, de grands courants ont marqué la peinture française dans cette première moitié du XIXe siècle. Friedrich et Lessing témoignent du romantisme allemand tandis que les peintres belges, hollandais et autrichiens sont largement représentés. Constable, Dadd, Füssli permettent d'évoquer l'Angleterre du XIXe siècle. Pour les pays scandinaves, Balke, Eckersberg, Købke ou Dahl font découvrir un art d'une grande sensibilité qui fleurit au Danemark, en Norvège ou en Suède au XIXe siècle. Tour à tour sont envisagés les grands peintres néoclassiques et préromantiques français (David, Gros, Girodet, Gérard, Guérin, Prud'hon), espagnol (Goya), anglo-saxons (West, Barry, Flaxman, Blake). Les romantiques allemands (Runge, Friedrich), les paysagistes anglais (Constable, Turner). La grande époque romantique/réaliste française (Géricault, Delacroix, Corot, Rousseau, Daumier, Millet, Courbet) et l'impressionnisme, de Manet à Cézanne. Au XIXe siècle, les peintres de l'Europe entière viennent découvrir en Italie une nouvelle façon de peindre sur le vif, en extérieur, enfin sans le sujet historique ou mythologique : c'est le paysage lui-même qui intéresse les peintres. Dans ce nouvel espace, plus personne ne persiste à fabriquer de la peinture d'histoire. Dans une Europe échappant à toute signification, marquée par les identités nationales, il subsiste cependant des différences de styles et de techniques selon les nationalités de chacun : italiens, allemands, anglais, français, scandinaves, russes, les peintres apportent quelque chose de nouveau, un regard, une technique. Tous s'inspirent les uns des autres, et trouvent ensemble une sorte de « ton italien », caractérisé par des bruns et des verts sombres, éclairés par le bleu du ciel. C'est le début d'une conscience européenne. II. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : l’Exposition Universelle de 1889 est bien le symbole de l’âge du fer, les recherches artistiques, du romantisme au réalisme, de l’impressionnisme au cubisme, ont une évolution propre. Dans ce domaine comme dans d’autres, il faut éviter la nomenclature. Quelques exemples bien choisis pour leur forte charge symbolique (cf. les documents indiqués par le programme) suffisent pour initier les élèves à la couleur artistique du siècle. » Activités, consignes et productions des élèves : Devenir peintre au XIXe siècle : Baudry, Bouguereau, Lenepveu, par Alain Bonnet, Véronique Coarin, hélène Jagot, Emmanuel Schwartz L'histoire de la formation des artistes a longtemps été dédaignée par les historiens de l'art. La formation académique était tenue pour une entrave au libre développement du génie de l'artiste. Les conditions pratiques de l'enseignement, rejetées, sont tombées dans l'oubli pendant de longues décennies. Depuis quelques années, ces questions liées aux conditions de la formation des artistes reçoivent une attention plus marquée... Devenir peintre a pour objectif de faire le point sur les connaissances actuelles en présentant de façon attractive le parcours des aspirants artistes depuis les débuts dans l'atelier jusqu'aux envois de Rome lors de leur séjour à la Villa Médicis, en suivant plus particulièrement la formation de trois artistes académiques : Paul Baudry, William Bouguereau et Jules-Eugène Lenepveu. Par leurs parcours professionnels et leurs places respectives au sein de l'histoire de l'art du XIXe siècle, ils incarnent l'éclectisme de l'esthétique académique du milieu du XIXe siècle et reflètent la variété des stratégies de carrière envisageables pour un ancien Prix de Rome. Cet ouvrage permet d'approfondir l'idéologie et le déroulement du cursus studiorum académique à travers les parcours de ces trois artistes et de replacer cette formation dans les débats contemporains autour de la peinture d'histoire. Il se clôt sur une évocation de la mythologie romanesque du Prix de Rome. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 20 HC – Les expériences politiques en France 1815-1852 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : AGULHON M., 1848 ou l'apprentissage de la République, Paris, Seuil, coll. « Points histoire », 1973. M. Agulhon, P. Bonte, Marianne. Les visages de la République, Gallimard, coll. «Découvertes », Paris, 1992. CARON J.-Cl., la France de 1815 à 1848, Paris, Armand Colin, 2004. J.-P. Chaline, La Restauration 1814-1830, PUF, 6e éd., Paris, 1998. A. Jardin, A.-J. Tudesq, La France des notables (1815-1848) in Nouvelle histoire de la France contemporaine, vol. 6 et 7, Le Seuil, coll. « Points Histoire »,1973. A.-J. Tudesq, L’Élection présidentielle de Louis Napoléon Bonaparte, 10 décembre 1848, Armand Colin, coll. «Kiosque», 1965. P. Lévêque, Histoire des forces politiques en France, 1789-1880, Armand Colin, coll. « U », Paris, 1992. P. Rosanvallon, Le Sacre du citoyen, Gallimard, Paris, 1992. P. Rosanvallon, Le Moment Guizot, Gallimard, Paris, 1985. Id., La Monarchie impossible : les chartes de 1814 et de 1830, Fayard, Paris, 1994. MOLLIER J.-Y., REID M., YVON J.-Cl. (sous la dir.), Repenser la Restauration, Paris, Nouveau monde, 2005. J. Godechot, Les Constitutions de la France depuis 1789, Flammarion, Paris, 1979. J. Metellus, M. Dorigny, De l’esclavage aux abolitions, éditions du Cercle d’art, Paris, 1998. M. Morabito, D. Bourmaud, Histoire constitutionnelle et politique de la France (1789-1958), Montchrestien, Paris, 1996. M. Offerlé, Un Homme, une voix. Histoire du suffrage universel, Gallimard, coll. «Découvertes », Paris, 1993. M. Pastoureau, Les Emblèmes de la France, éditions Bonneton, Paris, 1998. S. Rials, Textes politiques français, PUF, coll. « Que sais-je ?», n° 2 171, Paris, 1987. 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Documentation Photographique et diapos : La France 1814-1851 - n°7032 (1995) / Francis Démier Revues : Cent cinquantenaire de l'Abolition de l'esclavage, Dossier H&G, 365 janvier février 1999 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Préparée par l’expansion des idées des Lumières au 18e siècle, la Révolution française ouvre la voie à diverses expériences politiques en France, de la monarchie constitutionnelle à la république en passant par l’Empire. Entraînés dans une révolution qui a du mal à s’achever, les Français découvrent et appliquent des principes politiques parfois opposés, la question du droit de vote et de la représentativité du peuple étant au coeur de bien des débats. La période 1815-1851 est une période fondamentale au cours de laquelle la France expérimente plusieurs formes de régime (royauté plus ou moins modernisée, république), hésite entre suffrage censitaire et suffrage universel, s’habitue progressivement au parlementarisme, etc. La question clé est bien celle de l’héritage révolutionnaire : quelle traduction concrète faut-il donner au principe de la souveraineté nationale ? Les études récentes insistent sur la monarchie de Juillet, au cours de laquelle la question sociale est posée de plus en plus clairement. Elles privilégient aussi une histoire des représentations, des symboles, des lieux de mémoire. Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851 – Ruptures avec l'Ancien Régime – Mise en oeuvre des principes révolutionnaires – Héritages conservés, héritages remis en cause Cette question est délibérément centrée sur la France avec un triple objectif : – faire percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période ; – évoquer les grands repères chronologiques, les moments forts et les acteurs de cette période ; – dégager un bilan des bouleversements provoqués, en particulier dans les domaines politiques et sociaux. 21 Socle : Nouveau commentaire « La succession des régimes au cours de cette période manifeste la difficulté de parvenir à une stabilité politique jusqu’à l’enracinement de la IIIe République malgré les crises violentes qui ont marqué ses origines. » BO 4e futur : « L’ÉVOLUTION POLITIQUE DE LA FRANCE, 1815-1914 La succession rapide de régimes politiques jusqu’en 1870 est engendrée par des ruptures : révolutions, coup d’État, guerre. Les régimes politiques sont simplement caractérisés ; le sens des révolutions de 1830 et de 1848 (établissement du suffrage universel et abolition de l’esclavage) est précisé. L’accent est mis sur l’adhésion à la République, son oeuvre législative, le rôle central du Parlement : l’exemple de l’action d’un homme politique peut servir de fil conducteur. Situer dans le temps - Les régimes politiques successifs de la France de 1815 à 1914 - L'abolition de l'esclavage et suffrage universel masculin en 1848 » Accompagnement 1ère : « Rappel : Les questions des années 1848-1851 : démocratie sociale, articulation entre représentation politique et suffrage universel, entre autorité et démocratie, entre exécutif et législatif et entre Paris et province constituent le point de départ ainsi que les enjeux durables. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. La monarchie constitutionnelle en France (1815-1830) Pourquoi la Restauration des Bourbons est-elle impossible après 1815 ? Une tentative de conciliation entre l’Ancien Régime et la Révolution Le 4 juin 1814 octroie une Constitution monarchique, qui prend le nom de « Charte », composée d’un préambule et de 76 articles. Le préambule marque la volonté de restauration monarchique, dans la continuation de l’Ancien Régime : la réaffirmation du droit divin (« la divine Providence »), l’affirmation de l’autorité royale (« bien que l’autorité tout entière résidât dans la personne du roi », « le libre exercice de notre autorité royale »). Malgré la condamnation de la Révolution et de l’Empire (« de funestes écarts », « nous voudrions qu’on pût les effacer de l’histoire »), Louis XVIII se rend compte qu’un retour à la monarchie absolue est impossible : la « Charte constitutionnelle » montre la prise en compte des changements ayant affecté le pays et la volonté des Français (« Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l’état actuel du royaume, nous l’avons promise et nous la publions », « nous avons accordé, fait concession et octroi à nos sujets de la Charte constitutionnelle qui suit ») En rétablissant la monarchie de droit divin (« divine Providence »), en rejetant le principe de souveraineté nationale (« octroi de la Charte »), et en définissant le peuple non pas comme des citoyens mais comme des « sujets », la Restauration renoue avec des principes de l’Ancien Régime. Les institutions de la monarchie constitutionnelle prévue par la Charte de 1814 Les pouvoirs ne sont pas séparés : le roi détient le pouvoir exécutif et une partie du pouvoir législatif (il a l’initiative des lois et c’est lui qui les promulgue). L’indépendance du pouvoir judiciaire n’est pas assurée, car les juges sont nommés par le roi. Le régime n’est pas parlementaire car les ministres ne sont responsables que devant le roi. Deux chambres, inspirées du modèle anglais, ont le pouvoir de voter les lois. L’une d’elles est élue au suffrage censitaire : ce régime n’est représentatif qu’en apparence. Les deux Assemblées détiennent cepepndant des compétences importantes : elles votent les lois et l’impôt. Certes, les élections de la Chambre des députés se font au suffrage censitaire, mais elles Les expériences politiques qui se suivent entre 1789 et 1851 ne doivent pas donner lieu à une étude exhaustive, mais il convient de définir les principaux régimes (monarchie constitutionnelle, république, empire) et d'amener les élèves à réfléchir sur la façon dont les principes fondamentaux de la Révolution ont été conservés ou remis en cause durant la première moitié du XIXe siècle. Une attention particulière est accordée à l'exclusion persistante des femmes de la vie politique et à la difficile abolition de l'esclavage. » BO 4e actuel : « La France de 1815 à 1914 (4 à 5 heures) L’accent est mis sur la recherche, à travers de nombreuses luttes politiques et sociales et de multiples expériences politiques, d’un régime stable, capable de satisfaire les aspirations d’une société française majoritairement attachée à l’héritage révolutionnaire. •Repères chronologiques : la monarchie constitutionnelle en France (1815-1848) ; les révolutions de 1830 ; les révolutions de 1848 ; la Seconde République (1848-1852) ; •Documents : Delacroix : La Liberté guidant le peuple ; Victor Hugo : extraits des Châtiments et des Misérables. » Activités, consignes et productions des élèves : « Renouer la chaîne des temps » Louis XVIII analyse l’histoire de France depuis 1789 d’une manière assez ambiguë, ou plutôt assez habile. À la première lecture, il présente la Révolution comme une fâcheuse parenthèse qu’il faut refermer au plus vite. Il semble vouloir littéralement gommer tout ce qui s’est passé depuis la mort de son frère Louis XVI en 1793 : « En cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue, nous avons effacé de notre souvenir, comme nous voudrions qu’on pût les effacer de l’histoire, tous les maux qui ont affligé la patrie durant notre absence ». En se plaçant sous l’égide de la « divine Providence », en affirmant « les droits et les prérogatives de notre couronne », Louis XVIII semble vouloir revenir au temps de l’Ancien Régime. Mais une lecture plus fine de ce texte montre que Louis XVIII sait prendre en compte les évolutions de la société française. Il le fait en se plaçant dans la continuité des « rois nos prédécesseurs », « depuis un demisiècle », ce qui revient à présenter Louis XV et Louis XVI comme des réformateurs. Même si cette présentation est contestable, l’important ici est la volonté affirmée de tenir compte des «effets des progrès toujours croissants des Lumières» et des « rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société ». Certes ces progrès ont entraîné 22 sont un premier pas vers un régime représentatif : la Chambre des députés représente la nation, et sa légitimité peut contrecarrer celle du roi. On ne peut pas parler de séparation des pouvoirs, parce que le roi détient le pouvoir exécutif et une part importante du pouvoir législatif. Le roi a en effet seul l’initiative des lois et il a aussi la possibilité de les suspendre. Du coup, les assemblées n’ont que le pouvoir de voter les lois qu’on leur propose, sans être assurées qu’elles ne seront pas suspendues. Par ailleurs, l’une des deux assemblées, la Chambre des pairs, est nommée par le roi. L’exécutif contrôle aussi le pouvoir judiciaire, mais l’organigramme ne permet pas d’aller plus loin (le fait que l’exécutif nomme les juges n’est pas forcément en contradiction avec l’indépendance de la justice). Ces institutions permettent cependant à la vie politique de s’organiser. On ne peut pas parler stricto sensu de régime parlementaire, puisque le gouvernement n’est pas explicitement responsable devant la Chambre des députés. Mais celle-ci dispose d’un droit d’adresse et, dans la pratique, on a pris l’habitude de changer de ministres quand ceux-ci ne disposaient plus d’une majorité parlementaire. Bien sûr, il faut rappeler que la Chambre des députés, élue au suffrage censitaire, ne représente qu’une infime minorité de la population. Les débuts du débat parlementaire Les propos du député libéral montrent une évolution vers un régime parlementaire : alors que la Charte stipule que « les ministres sont uniquement responsables devant le roi », la chambre des députés tend à renforcer son contrôle sur le ministère. Le vote du budget est l’une des prérogatives de la Chambre des députés. Le vote des dépenses se transforme souvent en une suite d’interpellations et permet d’exercer une surveillance sur les actes du gouvernement. Pour les libéraux, le refus du budget est légitime : ils y voient le seul remède contre l’obstination et l’arbitraire d’un gouvernement. Benjamin Constant écrit en 1819 : « le budget est l’arme du peuple contre tous les abus, politiques aussi bien que financiers ». Pour les ultras, le refus du budget constitue un déni de justice, un véritable coup d’État. La revanche de l’ancienne France, le « milliard des émigrés » Effacer les traces de la Révolution consiste d’abord à condamner les actes commis à l’encontre des propriétaires dont les biens ont été confisqués par la Révolution : c’est ce qu’il fait avec la loi d’indemnisation du 27 avril 1825. Cette caricature dénonce la loi du 27 avril 1825 qui prévoit de distribuer 30 millions (en rente sur 5 ans, soit 1 milliard en capital) aux propriétaires ayant été dépossédés pendant la Révolution. La cour, le clergé, la noblesse et l’armée se servent dans le coffre de la richesse nationale. Le caricaturiste dénonce un retour aux privilèges de l’Ancien Régime. On peut parler d’une victoire de la contre-révolution. Cette loi vise à indemniser ceux qui avaient été dépossédés par la Révolution : c’est une manière de restaurer l’ordre aristocratique de l’Ancien Régime. Parmi les plus importants bénéficiaires de cette loi, on trouve le duc d’Orléans et La Fayette. La tentation du pouvoir absolu, la préparation des ordonnances de 1830 De plus, l’attitude de Charles X en juillet 1830 s’explique en grande partie par le traumatisme subi lors de la Révolution. Ce qui explique la Révolution, selon Charles X, c’est le manque de fermeté et d’autorité de son frère Louis XVI (« la première concession de Louis XVI fut le signal de sa perte »). Charles X a une interprétation très restrictive de la Charte de 1814 : alors que celle-ci laisse la possibilité d’évoluer vers une monarchie parlementaire, l’utilisation abusive de l’article 14 montre la dérive vers une monarchie autoritaire. De plus, la suspension de la liberté de la presse et la nouvelle loi électorale sont décidées sans le vote des Assemblées, ce qui est contraire à la Charte de 1814. Au printemps 1830, les tensions entre le roi et la Chambre se concentrent sur la question de la responsabilité politique des ministres devant la Chambre. En mars 1830, 221 députés utilisent leur droit d’adresse pour indiquer que le ministère n’a pas la confiance des députés. Charles X considère qu’il s’agit d’une remise en cause de la monarchie elle-même : l’obliger à changer de ministres contre sa volonté est une violation de la Charte et des prérogatives royales. Il dissout alors l’Assemblée. Étant à nouveau désavoué aux élections de juillet 1830, qui aboutissent au renforcement de l’opposition, il s’engage dans un véritable bras de fer, se croyant en position de force après la prise d’Alger du 5 juillet 1830. La publication des ordonnances le 25 juillet déclenche les journées révolutionnaires de « graves altérations » (c’est-à-dire les violences révolutionnaires) mais ils contenaient un bon principe : la monarchie tempérée (cf. «Charte constitutionnelle» et « Constitution libre et monarchique »). Pour désigner les Français, Louis XVIII emploie trois expressions : « nos sujets », « le peuple auquel nous sommes fiers de commander» et «nos peuples». Ces expressions renvoient plutôt à la monarchie d’Ancien Régime et au principe de légitimité dynastique, par opposition à la souveraineté nationale. Mais, là encore, derrière la phraséologie traditionnelle, qui rassure les légitimistes, Louis XVIII annonce une monarchie modernisée. Un retour aux fastes de l’Ancien Régime ? Charles accède au trône en septembre 1824 et se fait sacrer à Reims le 29 mai 1825, reprenant la symbolique du droit divin. Cette cérémonie a choqué une partie de l’opinion française, parce qu’elle renouait d’une façon assez maladroite avec le rituel de l’ancienne monarchie. Par ce geste, Charles X semblait annuler toutes les concessions que Louis XVIII avait faites au monde «moderne». Lors de l’avènement de Louis XVI déjà, le sacre avait été remis en cause, et Turgot avait suggéré en vain au roi une cérémonie simplifiée à Paris. Quant à Louis XVIII, il avait fait annuler les préparatifs de son sacre à l’automne 1814, jugeant la cérémonie désuète et coûteuse. Charles X est représenté comme les monarques de l’Ancien Régime : on retrouve les mêmes symboles politiques (couronne, sceptre, fleur de lys), les mêmes symboles militaires (croix de l’ordre du Saint-Esprit autour du cou), les mêmes symboles religieux (la main de Justice, les gants qui en font l’équivalent d’un évêque). Le tableau d’Hippolyte Lecomte montre que plusieurs catégories de la population parisienne, équipées et armées d’une façon assez hétéroclite, participent à l’insurrection de 1830. On peut voir des bourgeois, reconnaissables à leur chapeau haut de forme et à leur redingote, et même une dame de la bonne société, au premier plan à droite. On repère aussi des ouvriers, vêtus de leur blouse (les deux personnages au premier plan à gauche). La « jeunesse des écoles » est incarnée par le personnage central qui lève son épée, un polytechnicien. Les uniformes sont soit ceux des nombreux soldats ayant déserté l’armée, soit ceux de la Garde nationale. Cette milice bourgeoise, supprimée par Charles X en 1827, se reconstitua en effet spontanément à Paris lors des «Trois Glorieuses ». Le « roi-citoyen » Louis-Philippe apparaît en uniforme de 23 qui mettent fin au régime. Les raisons de l’échec de la Restauration des Bourbons après 1815 sont tant sociales et culturelles que politiques : – les facteurs politiques sont liés à un refus de plus en plus marqué de l’héritage révolutionnaire : le rejet de la notion de « souveraineté nationale » dans la Charte de 1814, le refus de l’évolution vers une monarchie parlementaire ; – les facteurs sociaux et culturels sont liés d’abord à une conception de la société héritée de l’Ancien Régime, par ordres, mais qui ne prend pas en compte les aspirations des classes sociales, en particulier des classes moyennes chez lesquelles les legs des idéaux révolutionnaires sont ancrés. De même, la Restauration n’a pas pris en compte l’évolution des mentalités, en particulier le déclin du fait religieux. Cette coupure entre le régime et le pays explique pourquoi cette greffe de la dynastie des Bourbons n’a pas pris. II. Les révolutions de 1830 et la monarchie constitutionnelle en France (18301848) AUX ORIGINES DE LA CRISE Les 221 députés reprochent au gouvernement de ne pas prendre en compte l’opinion de la majorité parlementaire : « Une défiance injuste des sentiments et de la raison de la France est aujourd’hui la pensée fondamentale de l’administration ». Cette attitude est qualifiée à la fin de l’extrait de « despotisme ». Le gouvernement ultra du prince de Polignac est en effet en décalage complet avec la majorité libérale de la Chambre des députés. Les 221 s’adressent à Charles X en des termes extrêmement déférents («Sire», «Votre Majesté», «votre noble coeur »), en protestant de leur « loyauté » et de leur « dévouement » et en feignant de croire que le roi n’est pas en accord avec son gouvernement. Cette présentation mesurée des choses vise bien sûr à atténuer quelque peu la protestation, à lui donner un caractère non révolutionnaire, à rallier les modérés. Les 221 défendent le programme de la monarchie constitutionnelle et parlementaire, selon une interprétation libérale de la Charte de 1814. Pour eux, la Charte « consacre, comme un droit, l’intervention du pays dans la délibération des intérêts publics », essentiellement par le droit d’adresse accordé à la Chambre des députés. La base du système politique est selon eux le « concours permanent des vues politiques de votre gouvernement avec les voeux de votre peuple », c’est-à-dire une forme d’accord entre le ministère et le Parlement. C’est une façon de se réclamer d’un régime parlementaire. La majorité des députés (221 sur 402) estime ainsi parler pour la France, dans la logique du régime représentatif. On peut souligner qu’ils ne représentent pas l’ensemble du peuple, puisqu’ils ont été élus par une minorité fortunée, en raison du suffrage censitaire. On peut considérer les ordonnances du 25 juillet comme une politique illégale, un coup d’État, essentiellement parce que l’une d’entre elles suspend la liberté de la presse, garantie par l’article 8 de la Charte. Sinon, l’article 14 de la Charte donnait bien à Charles X le droit de légiférer par ordonnances et il disposait aussi du droit de dissolution. LES ACTEURS DE LA RÉVOLUTION 27-29 juillet 1830 : révolution des Trois Glorieuses La presse joue un rôle considérable dans ces événements. En l’absence de partis politiques modernes, les journaux sont alors les seuls guides de l’opinion et leurs comités de rédaction constituent de véritables états-majors politiques. Le signal de la révolte est donné par la « protestation des journalistes » le 27 juillet 1830 : considérant l’atteinte à la liberté de la presse comme un acte illégal, les journalistes décident d’entrer en résistance en faisant quand même paraître leurs journaux et ils appellent la population à les soutenir. L’intervention des forces de l’ordre contre ces journaux récalcitrants donne au « coup d’État » du gouvernement une dimension concrète, emblématique. Adolphe Thiers est en pointe dans cette révolution des journalistes. Il a lancé le 3 janvier 1830, avec Armand Carrel et Auguste Mignet, le quotidien Le National. Le programme de ce nouveau journal est l’opposition libérale à Charles X, programme ainsi résumé par Thiers : « Enfermer les Bourbons dans la Charte, de manière à les mettre dans la nécessité de sauter par la fenêtre» ! C’est dans les locaux du National que fut rédigée la protestation des journalistes. Malgré la saisie de son imprimerie, l’équipe du National diffuse la protestation des journalistes et des tracts appelant au soulèvement. Thiers joue ensuite un rôle décisif dans la fin de la Révolution, lieutenant-général, rappelant ainsi ses combats au sein des armées de la République en 1792. Posant sa main droite sur la Charte de 1830, il fait le serment de la respecter. Le régime de Louis-Philippe, en organisant le « retour des cendres» de Napoléon, espère canaliser à son profit la légende napoléonienne, redorer son blason par une politique d’affirmation nationale. Thiers, qui mène une politique étrangère cocardière, est à l’origine de ce projet (c’est lui, déjà, qui a inauguré en 1836 l’Arc de Triomphe à Paris). Après le retour en France de la frégate La Belle Poule, les restes de Napoléon furent conduits aux Invalides lors d’une grandiose cérémonie à laquelle participa le roi LouisPhilippe (décembre 1840). La révolte des canuts Cet épisode révèle d’une part l’émergence de la question sociale dans une France qui entre dans l’ère industrielle, d’autre part la montée du sentiment républicain dans certaines catégories de la population (Lyon apparaît sous la monarchie de Juillet comme l’un des principaux foyers républicains). La monarchie de Juillet réprime sévèrement les émeutes des canuts lyonnais, en faisant recours à l’armée pour les mater. La répression brutale face aux revendications sociales et politiques et le refus de toute réforme politique témoignent de l’évolution conservatrice de la monarchie de Juillet. L’esclavage est aboli le 27 avril 1848. C’est le député de la Martinique et de la Guyane, Victor Schoelcher, qui prépare le décret d’abolition de l’esclavage. Sur ce tableau, sur lequel on distingue de gauche à droite les républicains de métropole, les anciens esclaves et les colons, le peintre magnifie l’esprit de fraternité de la Seconde République : le représentant de la République (dont les idéaux d’égalité, de liberté et de fraternité sont rappelés par le drapeau tricolore) annonce l’abolition de l’esclavage tandis que les anciens esclaves se redressent et expriment leur reconnaissance à leurs anciennes maîtresses. Mais les relations entre les Noirs et les Blancs ne sont pas vraiment caractérisées par l’égalité. Les Blancs, vêtus de leurs habits européens, sont dans une position de supériorité par rapport aux Noirs, à moitié nus et formant une masse plutôt indistincte. Les planteurs sont clairement dans une position dominante, comme le montre l’attitude maternelle des deux femmes devant lesquelles une ancienne esclave s’agenouille ou l’air altier de l’homme qui se tient à droite du couple central d’esclaves libérés. La société coloniale est toujours en place, comme en témoigne aussi la présence des marins sur le tableau. De plus, ce tableau 24 en proposant la solution orléaniste. LA SOLUTION POLITIQUE Thiers refuse d’instaurer la république, parce qu’elle « nous exposerait à d’affreuses divisions » et qu’elle « nous brouillerait avec l’Europe ». Selon lui, le peuple français n’est pas prêt à accepter un régime républicain, trop lié aux souvenirs de la Terreur en 1793 et qui liguerait contre la France l’Europe monarchique. Thiers qualifie le duc d’Orléans de « roi citoyen », parce que celuici a prouvé son attachement au drapeau tricolore en combattant dans les armées révolutionnaires. Fils aîné de « Philippe Égalité» (le duc d’Orléans qui vota la mort de son cousin Louis XVI), Louis-Philippe a en effet servi sous les ordres du général Dumouriez à Valmy et Jemmapes. Il a suivi ensuite Dumouriez dans sa trahison, mais n’a pas rejoint les armées contre-révolutionnaires. Il est mal vu à la fois des républicains et des légitimistes et incarne une solution intermédiaire, la monarchie libérale. Partisan déclaré de la souveraineté nationale, le duc d’Orléans accepte la « Charte comme nous l’avons toujours entendue et voulue », c’est-àdire un vrai régime parlementaire. La tendance politique qui n’a pas obtenu ce qu’elle attendait de la révolution de 1830, c’est la tendance républicaine. Les sociétés secrètes républicaines, qui regroupaient, à Paris, bourgeois progressistes, étudiants et ouvriers, ont pourtant joué un grand rôle dans l’insurrection. La monarchie de Juillet rompt complètement avec les idéaux de l’Ancien Régime : c’est une monarchie parlementaire, qui repose sur les valeurs libérales (liberté de conscience, liberté d’opinion, liberté de la presse…) issues de la Révolution de 1789. Étant issu d’une insurrection populaire, le nouveau régime a amorcé des réformes politiques et sociales auxquelles les insurgés de 1830 aspirent. Octroyée en 1814 par Louis XVIII, puis modifiée en 1830 par Louis-Philippe, la Charte constitue le socle sur lequel ces deux monarques tentent d’établir une monarchie constitutionnelle. Le texte de 1830 comporte des avancées libérales : la religion catholique n’est plus la religion officielle (art. 6), la liberté de la presse et d’opinion est restaurée (art. 7, « la censure ne pourra jamais être rétablie »), le pouvoir des Chambres est renforcé (art. 13-14-15). Les modifications par rapport à la Charte de 1814 vont dans le sens de la démocratie pour plusieurs raisons : – Le suffrage censitaire est élargi ; – Le roi n’a plus le pouvoir de suspendre les lois (ce sont les ordonnances de Charles X qui ont provoqué la révolution des Trois Glorieuses) ; – Le pouvoir parlementaire est renforcé : les deux chambres partagent désormais avec le roi l’initiative des lois. On peut ajouter à ces progrès la suppression de l’hérédité de la pairie, qui avait un caractère archaïque, rappelant les privilèges de l’Ancien Régime. Des progrès restent à accomplir : – Le suffrage est toujours censitaire (environ 250 000 électeurs en 1848 pour 8 millions d’hommes âgés de 25 ans ou plus) ; – Le régime parlementaire n’est toujours pas établi clairement (principe de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement). Chef de gouvernement de 1840 à 1848, Guizot se montre un ardent défenseur du suffrage censitaire. Il se montre hostile à toute réforme démocratique, qui aboutirait selon lui à la remise en cause de l’ordre bourgeois et libéral sur lequel repose la monarchie de Juillet. Le principe de souveraineté populaire, issu de la Révolution, n’a pour lui aucune légitimité : le suffrage n’est pas un droit, mais une fonction qui repose sur une capacité, acquise par l’enrichissement et l’éducation. À l’inverse, François Arago (1786-1853), comme les autres républicains (LedruRollin…), critique le système électoral qui repose sur le suffrage censitaire, et se prononce en faveur de son élargissement. C’est pourquoi il participe au lancement du Journal de la réforme électorale. Arago retourne contre le régime ses principes fondateurs, avec un raisonnement quasiment scientifique. Il part de la souveraineté nationale (« Il faut revenir au principe de la souveraineté nationale : c’est le principe de notre gouvernement, il est inscrit dans la Charte »), pour montrer qu’elle est en fait bafouée par le suffrage censitaire (« Je soutiens, moi, que le principe de la souveraineté populaire n’est pas en action dans un pays où, sur quarante hommes, il n’y a qu’un électeur »). Pour lui, l’application du principe de souveraineté nationale implique nécessairement le suffrage universel. Il retourne aussi contre le régime l’idée selon laquelle il doit y avoir un lien entre occulte un certain nombre de réalités historiques : d’abord le mouvement abolitionniste est international et se traduit dès 1833 par l’abolition de l’esclavage en Angleterre (la Seconde République n’est donc pas pionnière en ce domaine) ; de plus, les multiples insurrections des esclaves montrent qu’ils ont joué un rôle actif dans le combat abolitionniste. Ce tableau donne aussi une image fausse des rapports entre maîtres et esclaves dans le contexte abolitionniste : les révoltes des esclaves se sont traduites par la montée des violences visant à les réprimer. C’est donc davantage dans un esprit de discorde que de fraternité que s’est déroulé cet événement. La première élection au suffrage universel Il s’agit de l’élection législative organisée en avril 1848. Tocqueville nous décrit cette élection dans son village (éponyme) du département de la Manche. L’importance de cette élection est signalée par la forte mobilisation des électeurs : « toute la population mâle au-dessus de vingt ans ». Ce texte montre néanmoins le rôle encore prépondérant des notables qui, à l’instar de Tocqueville, encadrent ces premières élections. Il faudra plusieurs décennies avant que le suffrage universel ne remette en cause cette influence. Le 23 avril 1848 : la « pieuse cérémonie » du suffrage universel Lamartine, aristocrate romantique passé du légitimisme à l’idée républicaine, incarne bien l’illusion lyrique des premières semaines de la IIe République. Cet extrait est typique de « l’esprit de 48 ». En évoquant la « pieuse cérémonie » du suffrage universel, qui eut lieu d’ailleurs le dimanche de Pâques (allusion à la sortie de la messe), il fait de la politique un acte quasi religieux. De nombreux termes du texte sont empruntés au vocabulaire religieux : « populations recueillies », « recueillement », «repentir», etc. La République et le patriotisme sont une « unanime inspiration du bien ». Une autre caractéristique de « l’esprit de 48 » est l’évocation d’un peuple unanime : dans les campagnes, les paysans se laissent guider par les notables ; dans les villes, riches et pauvres se rendent ensemble au bureau de vote. Le 24 février 1848, Lamartine déclare que le gouvernement provisoire est un «gouvernement qui suspend ce malentendu qui existe entre les différentes classes ». Le suffrage universel Sur cette lithographie, Sorrieu a représenté Ledru-Rollin (en exil depuis 1849), le père du suffrage universel, adossé à un arbre de la Liberté, en train de contempler l’allégorie de la République tenant dans la main gauche les 25 le droit de vote et la contribution fiscale. Il souligne en effet que c’est la masse des citoyens exclus du suffrage qui paie la plus grosse partie des impôts. Portée au pouvoir par la bourgeoisie libérale, la monarchie de Juillet a échoué pour des raisons tant politiques que socio-économiques : – la confrontation avec les républicains et leurs revendications démocratiques pousse le régime dans le conservatisme social qui ne lui permet pas d’avoir une assise populaire ; – le refus de prendre en compte la question sociale et l’alliance du roi avec la bourgeoisie sont deux éléments qui sont déterminants pour expliquer l’émergence de nouvelles idéologies et la remise en cause du régime en cas de crise économique. III. Les révolutions de 1848 et la Seconde République en France (1848-1851) 24-25 février 1848 : révolution de février ; causes : le refus des réformes par la monarchie de Juillet, la crise économique et sociale ; conséquence : instauration de la IIe République. Une République sociale ? On peut dire que le gouvernement reconnaît le droit au travail dans la mesure où, le 25 février 1848, «il s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail». Mais cette déclaration n’est pas vraiment suivie d’effets. L’extrême gauche républicaine réclame en vain la création d’un ministère du Travail (seulement fondé en 1906 par Clemenceau). Le gouvernement se contente de nommer une « commission du gouvernement pour les Travailleurs», qui siège au palais du Luxembourg sous la présidence de Louis Blanc et de l’ouvrier Albert. Le gouvernement provisoire ouvre des ateliers nationaux (6 mars 1848) pour donner du travail aux chômeurs, nombreux dans la capitale. Ces ateliers nationaux ne sont en fait que des grands chantiers de charité, et non l’organisation du travail réclamée par Louis Blanc, supervisés par le ministre Marie (représentant des républicains modérés fidèles au libéralisme). Tous les ouvriers sans travail y sont admis, avec un salaire de 2 francs par jour. Les ateliers sont organisés sur un modèle militaire (lieutenances, brigades, escouades), mais avec des chefs élus. Au moment de leur dissolution, les ateliers nationaux employaient 130000 ouvriers (pour un coût de plus de 7 millions de francs). C’est la décision de mettre un terme à cette expérience qui suscita l’insurrection parisienne de juin 1848. Les ateliers nationaux étaient considérés comme un foyer d’agitation et coûtaient cher à l’État, qui avait dû augmenter de 45 % les impôts directs (c’est « l’impôt des 45 centimes», sous-entendu par franc d’imposition, très impopulaire dans les campagnes). Rapidement, des oppositions se lèvent, mettant en avant leur coût exorbitant (« quarante-cinq millions par an », « une dilapidation quotidienne et flagrante »). Des arguments d’ordre moral (« l’oisiveté y est devenu une doctrine ») et politique (« foyer actif de fermentation menaçante ») sont également avancés. Le décret du 21 juin conduit à la dissolution des ateliers nationaux. Deux raisons expliquent l’évolution de la position des élites politiques : d’une part, le coût économique des mesures sociales prises au printemps 1848 (ateliers nationaux…) ; d’autre part, la peur sociale après les massacres de juin 1848. La Constitution du 4 novembre 1848 Cette constitution est ambiguë. Elle semble plutôt relever du régime présidentiel. En effet, le suffrage universel élit directement une Assemblée unique et un Président, qui ont donc une légitimité équivalente. Le Président ne dispose pas du droit de dissolution, qui est un élément constitutif du régime parlementaire. Les ministres sont nommés par le Président, mais la question de leur responsabilité n’est pas clairement réglée. «Le Président de la République, les ministres, les agents et dépositaires de l’autorité publique, sont responsables, chacun en ce qui les concerne, de tous les actes du gouvernement et de l’administration » (art. 68). On ne sait pas ici s’il s’agit d’une responsabilité pénale individuelle, ou d’une responsabilité politique collective. Dans un régime parlementaire, les ministres sont collectivement responsables devant le Parlement; dans un régime présidentiel, chaque ministre est responsable devant le Président. La pratique politique de la IIe République fut d’abord parlementaire (ministres choisis dans la majorité parlementaire), puis le Président Louis Napoléon Bonaparte décida en 1849 que les ministres étaient responsables devant lui seul. L’élection présidentielle du 10 décembre 1848 LE PRINCIPE DE L’ÉLECTION AU SUFFRAGE UNIVERSEL Droits de l’homme gravés dans le marbre et dans la main droite un flambeau éclairant la scène. Un ouvrier, symbolisant le peuple, tient à ses côtés l’urne : la corne d’abondance à ses pieds montre les bienfaits de la République. À gauche, les citoyens électeurs, toutes classes confondues, s’approchent de l’urne pour y déposer leur bulletin. À droite, ceux du parti de l’ordre, à la tête desquels se trouvent Montalembert et Thiers ainsi que des officiers et des membres de l’Église, viennent de restreindre le suffrage universel par la loi du 31 mai 1850. Les journées de juin 1848 Ernest Meissonier (1815-1891), qui peint cet épisode, n’est pas révolutionnaire : en 1848, il est capitaine d’artillerie de la Garde nationale. Pourtant, ce tableau montre bien la violence de la répression qui s’abat sur les insurgés. Au premier plan, derrière un tas de pavés amoncelés, toute une série de morts aux couleurs du drapeau tricolore sont tombés sous les balles. Derrière eux, la rue déserte et silencieuse s’étire vers le fond : un fossé s’est creusé entre la République et le peuple. LA VICTOIRE DE LOUIS NAPOLÉON BONAPARTE Ce journal satirique présente la candidature de Louis Napoléon Bonaparte comme une tentative pitoyable de restauration de l’Empire. Louis Napoléon, portant les oripeaux de son oncle Napoléon Ier (le bicorne, la redingote, ici en lambeaux), est figuré en mendiant, portant en laisse un aigle (symbole du Premier Empire). Il quémande : « un petit empire s’il vous plaît », demandant aux électeurs de voter pour lui. L’auteur ne semble pas prendre cela au sérieux, puisqu’il parle d’un « candidat pour rire ». L’ampleur de la victoire de Louis Napoléon Bonaparte est extraordinaire, puisqu’il a obtenu 74,5 % des suffrages exprimés, soit pratiquement les trois quarts des voix ! Cette victoire est bien expliquée (à l’avance) par Émile de Girardin : sur le nom de Louis Napoléon Bonaparte se sont rassemblées plusieurs tendances aux motivations différentes (« S’il est un candidat dont le nom se prête miraculeusement, il faut le dire, à cet accord de toutes les opinions, c’est le candidat qui s’appelle Louis Napoléon Bonaparte.») En fait, tous les opposants à la République bourgeoise ont voté pour lui : les ouvriers qui rejettent un régime qui a tiré sur eux en juin 1848; les paysans qui s’inquiètent de l’agitation parisienne et qui sont nostalgiques de la grandeur napoléonienne ; les notables royalistes du Parti de l’ordre qui veulent abattre la République, etc. Louis Napoléon est donc loin de représenter une tendance politique claire ! Le bonapartisme peut apparaître à la fois comme 26 Ce mode d’élection du Président implique tous les risques de l’immaturité du peuple et de la démagogie. Dans ce discours prononcé au cours des débats sur la Constitution, Lamartine indique clairement que l’élection du Président au suffrage universel est ce qui « semble le plus dangereux» à ses collègues. L’orateur envisage une erreur du peuple (« si le peuple se trompe »), en émettant l’hypothèse (prémonitoire) d’un vote bonapartiste (« s’il veut abdiquer sa liberté entre les mains d’une réminiscence d’empire ») et celle d’un vote royaliste («s’il dit : ramenez-moi aux carrières de la vieille monarchie»). L’autre mode de désignation possible du Président de la République est l’élection par le Parlement, comme cela fut pratiqué par la IIIe République. La caricature dénonce les manipulations possibles du suffrage universel, avec un dispositif graphique assez simple. L’élection présidentielle est un jeu de colinmaillard pour la République aux yeux bandés. Mais celle-ci est poussée dans les bras de Louis Napoléon Bonaparte par Thiers, chef du Parti de l’ordre. LES CANDIDATS EN PRÉSENCE Les principaux courants politiques représentés à cette élection sont : – Le Parti de l’ordre [droite], qui regroupe derrière la candidature de Bonaparte, tous ceux qui ont peur des « rouges », c’est-à-dire la droite royaliste (légitimistes et orléanistes) et une partie des républicains modérés. La candidature du général Changarnier n’est soutenue que par une poignée de légitimistes qui veulent exister en dehors du Parti de l’ordre. – Les républicains modérés [centre], qui soutiennent le général Cavaignac, l’homme qui a rétabli l’ordre en réprimant l’insurrection ouvrière de juin 1848 et qui incarne le courant libéral qui domine depuis février 1848. Lamartine appartient à la même mouvance politique, mais les événements de juin l’ont en fait « ringardisé» (les envolées lyriques de février 1848 sont passées de mode ; c’est l’ordre qui est désormais la priorité). – Les républicains de gauche [gauche], qu’on appelle «démocrates », « radicaux » ou « montagnards », qui souhaitent une politique sociale plus active et qui ont pour leader depuis toujours Ledru-Rollin. – Les socialistes [extrême gauche], qui soutiennent François Raspail. Ancien carbonaro, combattant des «Trois Glorieuses », dirigeant de la Société des Amis du Peuple, Raspail représente la frange la plus avancée du mouvement républicain. Autodidacte, il voulait mettre la science au service du peuple, en fondant une sorte de médecine pour tous. Le général Cavaignac a théoriquement de nombreux atouts dans cette élection, puisqu’il est le représentant de la tendance politique qui domine depuis février 1848 et qu’il apparaît comme le sauveur de la République. C’est un authentique républicain, et en même temps un homme d’ordre. Cela se traduit par l’abandon de l’idéal démocratique et social qui caractérise « l’esprit de 48 » : la fermeture des ateliers nationaux et la limitation du suffrage universel creusent un fossé entre la République et le monde ouvrier. Plusieurs facteurs expliquent l’échec de la IIe République : – c’est d’abord la question sociale qui la fragilise en provoquant une guerre civile et le retour d’un pouvoir autoritaire. La fermeture des ateliers nationaux, perçus comme des foyers d’agitation sociale, signifie la fin du consensus républicain ; – les journées sanglantes de juin 1848 et la limitation du suffrage universel finissent de discréditer la république auprès des classes populaires, et notamment du monde ouvrier. Lors du coup d’État du 2 décembre 1851, la mobilisation populaire et ouvrière est faible ; – l’apprentissage du suffrage universel est difficile, notamment dans les campagnes où le poids des notables oriente le vote paysan dans un sens conservateur. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : une tendance de droite (ordre, monarchie) et comme un mouvement de gauche (héritage de 1789, défense du peuple). Le coup d’État du 2 décembre 1851 Louis Napoléon Bonaparte profite de l’effet de surprise. Le coup d’État se déroule en quelques heures. Au petit matin, les affiches annonçant le coup d’État sont apposées sur les murs de la capitale : le texte de cette affiche a été porté à l’imprimerie nationale à deux heures du matin et imprimé en des milliers d’exemplaires en quelques heures. Pendant ce temps, une liste de soixante-dix huit personnes dont l’influence est importante (seize représentants du peuple, des généraux…) sont arrêtées et le palais de l’Assemblée est occupé. Dans la nuit, le duc de Morny (demi-frère de Louis Napoléon Bonaparte) remplace Thorigny au ministère de l’Intérieur. La limitation du suffrage universel Adolphe Thiers (1797-1877), qui a joué un rôle politique éminent sous la monarchie de Juillet, est l’un des chefs de file du parti de l’ordre sous la Seconde République. Symbole de la réaction conservatrice, la loi du 31 mai 1850 réserve le droit de vote aux contribuables inscrits depuis plus de trois ans dans leur commune, écartant ainsi des ouvriers contraints de se déplacer pour trouver du travail. Pour Thiers, cette « misérable multitude », que l’on trouve dans les basses couches des grandes villes, constitue une menace pour la stabilité politique du régime. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 27 HC – La révolution des transports au XIXe siècle Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : De la traction animale aux révolutions du rail et de l’automobile, les progrès techniques et les enjeux économiques des transports au XIXe siècle transforment en profondeur la nature des modes de communication et la société. La contraction du temps et la « réduction » des distances changent le visage de la France. Sources et muséographie : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Ouvrages généraux : F. Caron, Histoire des chemins de fer en France, 1740-1883, Fayard, Paris, 1997. J.-C. Toutain. Les Transports dans la France de 1830 à 1965, Paris, Presses universitaires de France, 1967. C. Studeny, L’invention de la vitesse, France XVIIIe-XXe siècle, Gallimard, Paris, 1995. E. Weber, La fin des terroirs, la modernisation de la France rurale, 1870-1914, Fayard, Paris, 1983. H. Le Bras et E. Todd, L’invention de la France, coll. « Pluriel », Hachette, Paris, 1981. Documentation Photographique et diapos : La première industrialisation (1750-1880) - n° 8061 (2007) / Nadège Sougy, Patrick Verley Revues : Caron François et al., « Les transports au XIXe siècle : la France transformée », Textes et documents pour la classe, n° 797, CNDP, juin 2000. R. Marconis, « Le territoire français, XIXe-XIXe siècles », in Historiens et Géographes, n° 383, juillet-août 2003. Carte murale : Enjeux didactiques (repères, notions et Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des méthodes) : savoirs, concepts, problématique) : BO 4è actuel : « L’EUROPE ET SON EXPANSION AU XIXe SIÈCLE (1815La période qui va du milieu du XIXe siècle à 1914 est une étape décisive dans 1914) (16 à 18 heures) l’unification nationale. Depuis le livre pionnier d’Eugen Weber, on sait qu’il est L’âge industriel (7 à 8 heures) difficile de parler d’une véritable conscience nationale, avant que le chemin de À partir des transformations des techniques fer et la route n’aient décloisonné les terroirs. de production de la fin du XVIIIe siècle à l’aube du XXe siècle, l’étude dégage les traits BO 4è futur : « L’ÂGE INDUSTRIEL majeurs du phénomène industriel et de ses L’industrialisation qui se développe au cours du XIXe siècle en Europe et en Amérique du Nord entraîne des bouleversements économiques, sociaux religieux effets géographiques et sociaux. • Cartes : l’Europe industrielle à la fin du et idéologiques. XIXe siècle. Une étude au choix parmi les suivantes : •Repères chronologiques : la machine de - Une ville industrielle au XIXe siècle. Watt (deuxième moitié du XVIIIe siècle) ; - Le chemin de fer au XIXe siècle. l’inauguration du canal de Suez (1869) ; - Un entrepreneur et son entreprise au XIXe siècle. exposition universelle à Paris (1900) ; la Ford - Ouvriers et ouvrières à la Belle Époque. modèle T (début du XXe siècle). Cette étude est replacée dans le cadre de l’ensemble des bouleversements •Documents : une locomotive à vapeur » économiques et sociaux. Elle débouche sur une découverte des grands courants de pensée religieux et idéologiques (libéralisme et socialisme). Socle : Nouveau commentaire Connaître et utiliser « On aborde l’âge industriel à partir de cas - Un repère chronologique en liaison avec l’étude choisie concrets : une entreprise par exemple - Le manifeste du Parti communiste 1848 (implantation, étapes de sa croissance et de sa - Encyclique Rerum Novarum 1891 diversification, mode d’organisation, modes Situer sur un planisphère les régions industrialisées à la fin du XIXe siècle de vie de ses ouvriers, de son personnel Décrire et expliquer un exemple de mutations liées à l’industrialisation d’encadrement et des patrons, rapports Caractériser les grandes idéologies (libéralisme et socialisme) » sociaux). On dégage ensuite les traits majeurs du BO 1ere : « La France du milieu du XIXe siècle à 1914. Le cadre territorial et phénomène industriel en s’appuyant sur des démographique cartes, une chronologie des inventions et un On présente l’évolution du territoire national et sa maîtrise progressive tableau de l’évolution de la population active. notamment grâce à l’achèvement du réseau routier et ferroviaire. » Les principaux courants d’idées politiques, Accompagnement 1ère : « L’unification se termine avec l’achèvement d’un double les grands mouvements sociaux, les grands traits de l’évolution culturelle et artistique réseau dense de voies de communication : routier (national, départemental et sont mis en évidence à partir de quelques vicinal, à ne pas négliger pour le désenclavement des campagnes) et ferroviaire. Commencé sous la Monarchie de Juillet, l’équipement du pays en chemins de fer exemples significatifs. » se poursuit sous le Second Empire et la Troisième République. Le plan Freycinet de 1879 comble les vides, en même temps qu’il favorise la construction de canaux. Au total, les voies ferrées passent de 3 500 km en 1850 à 45 000 km en 1914 ». 28 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Au XVIIIe siècle, le développement des échanges est considéré comme la source principale de la richesse des nations. L’administration des Ponts et Chaussées prévoit dès cette époque de créer un « système général de navigation de la France », fondé sur la jonction des canaux des grands bassins fluviaux et sur un réseau de routes nationales. À la veille de la Révolution, ce programme n’est qu’en partie réalisé. En revanche, 25 000 km de routes sont achevés, irriguant tout le territoire. LES TEMPS PRÉFERROVIAIRES À l’aube de la révolution ferroviaire, la France dispose donc du réseau routier le plus dense et le mieux entretenu d’Europe, complété durant tout le XIXe siècle par une multitude de « chemins vicinaux » qui désenclavent les campagnes, notamment les « isolats » de l’Ouest et les zones montagneuses. Une véritable science de la route se développe, qui travaille sur la conception des tracés, la technologie des ponts, l’empierrement, le revêtement des routes. Les « lacunes » routières sont presque toutes supprimées, les pentes rectifiées, les courbes élargies. Sur les routes nationales, les bacs sont remplacés par des ponts. Parallèlement, l’utilisation des ressorts améliore le confort des voitures, et les freins, rendus obligatoires en 1827, les rendent plus sûres. Les attelages, enfin, sont plus efficaces grâce à une sélection des races de chevaux de trait. Au milieu du siècle, la vitesse de la malle-poste, qui transporte courrier et voyageurs, varie de 12 à 20 km/h, vitesse réglée sur le galop du cheval. Mais le moyen de transport le plus utilisé est alors la diligence, mastodonte de trois compartiments pour 16 places ! Si elle est trois fois moins rapide que la malleposte, elle fait toutefois des progrès considérables : entre 1814 et 1847, sa vitesse horaire passe de 4,3 à 9,5, voire 12 km/h. De telle sorte qu’un Parisien qui met sept jours et demi pour rejoindre Bordeaux en 1800 n’en met plus que trois en 1840 ! L’organisation des voyages repose à l’époque sur la poste aux chevaux, un service d’État confié à des maîtres de poste, responsables des relais de la malleposte et des diligences. En ville, le cheval règne là encore, et pour tout le XIXe siècle. Les premiers omnibus à cheval, qui revêtent la forme des diligences, apparaissent à Nantes et Paris vers 1820, où ils sont immédiatement plébiscités. En 1847, une vingtaine de compagnies se disputent la clientèle parisienne. Elles sont bientôt toutes fondues par le préfet Haussmann dans la monopolistique Compagnie générale des omnibus (CGO). DE LA TRACTION ANIMALE À LA TRACTION VAPEUR Au cours du siècle, le transport de marchandises, ou roulage, concerne des chargements de plus en plus lourds, des distances de plus en plus longues. La différenciation entre le « roulage ordinaire » et le « roulage accéléré » souligne une amélioration des services fournis par une multitude d’entreprises assurant des liaisons toujours plus régulières. En effet, le roulage accéléré a la même allure que le roulage ordinaire, mais il est pratiqué également la nuit et utilise les relais. Aussi peut-il couvrir 80 km en 24 heures ! En 1843, on recense 75 entreprises de roulage accéléré à Paris. Si le roulage ordinaire, plutôt rural, procure encore des ressources à de nombreux agriculteurs, le grand roulage ne cesse de se professionnaliser. Parallèlement au roulage subsiste et se développe le transport sur l’eau. Dans la première moitié du siècle, le grand projet de réseau national de navigation est relancé. Près de 5 000 km de canaux sont ouverts, dont ceux de Bourgogne (1832) et du Rhône-Rhin (1833). Un vaste programme de canalisation des rivières est entrepris, facilité par l’invention de l’écluse, en 1834, de l’ingénieur Poirée : ce programme d’aménagement sera stoppé net dès que le chemin de fer prendra son essor. L’essentiel du trafic par la batellerie est assuré par des mariniers indépendants, propriétaires de bateaux, dont les formes diffèrent d’un bassin fluvial à l’autre : chalands sur les rivières moyennes, péniches dans le Nord, flûtes dans le Berry, gabares en Gironde, etc. Le halage – ou tirage – est majoritairement effectué « à col d’homme » ou par traction animale. Plus marginal, le touage à chaîne continu, mû par une machine à vapeur, permet la traversée de Paris en 1839, tandis que se développe, à partir de 1830, la navigation à vapeur sur la Seine et le Rhône. L’EXTENSION DE LA TOILE FERROVIAIRE Dans les années 1840, la pression accrue du trafic s’exerce sur l’ensemble des Accompagnement 4è : « Le programme, mais aussi la carte, les repères chronologiques et les documents orientent l’étude. L’industrie transforme l’Europe et les États-Unis, leurs paysages et leurs sociétés. Il n’est pas possible au collège d’entrer dans l’explication complète des origines des révolutions industrielles. Il suffit d’insister d’abord sur le charbon et le textile, le rôle de la machine à vapeur et ses multiples usages, la progressive naissance de l’usine et des concentrations ouvrières. Puis, l’énergie électrique et le premier essor de l’automobile introduisent aux transformations de la fin du siècle. La construction des chemins de fer et du Canal de Suez montrent l’ouverture des régions et l’expansion économique de l’Europe dans le monde. » Les ouvrages d’art ferroviaire Les ingénieurs chargés de construire les lignes de chemin de fer du XIXe siècle multiplient tunnels, ponts et viaducs, car, dès l’origine, l’administration impose des normes de tracé rigoureuses (faibles pentes, larges courbes) obligeant à compenser les caprices de la nature. Construits sous le second Empire, les tunnels du Fréjus et du Cenis, dont le percement est réalisé grâce à l’utilisation de l’air comprimé, sont des prouesses techniques. Cependant, la gloire de l’ingénieur s’accomplit principalement dans la construction de spectaculaires viaducs, dont les premiers sont ceux de Val-Fleury (sur la ligne de Paris à Versailles Rive gauche, 1844) et de Nîmes (sur la ligne de Nîmes à Tarascon, 1845). Avec l’extension du réseau ferroviaire, les architectes construisent des ouvrages toujours plus longs et plus élevés. Face à cette contrainte, ils arrivent à combiner monumentalité et élégance, comme avec les viaducs de Rocherolles (1854), Chaumont (1856) et Morlaix (1863). La technique du pont en fer, inaugurée par Eugène Flachat à Asnières, se développe grâce à la coopération des ingénieurs d’État et des constructeurs, tel Gustave Eiffel. Dès les années 1860, les nobles formes des viaducs métalliques apparaissent dans le Massif central. Le viaduc de Garabit (1884), conçu par Léon Boyer et construit par Eiffel, est l’une de ces très célèbres constructions : son tablier repose sur un arc métallique plutôt que sur des piles en maçonnerie ou métalliques. Le viaduc de Garabit est un ouvrage d’art français connu dans le monde entier pour son élégance. La poutre métallique centrale est supportée par sept piles de fer dont deux font 80 m de haut et un grand arc métallique de 165 m de corde. C’est ce qui permet à la ligne de chemin de fer de passer à 122 m au-dessus du talweg, un 29 voies de communication. L’entretien des routes et des canaux devient problématique. La construction du chemin de fer apporte alors une réponse à ces difficultés. Jusqu’en 1914, le règne du rail donne naissance à une France nouvelle, transformée par le développement des échanges. Les Français sont d’abord réticents à l’idée de construire des chemins de fer. Trop d’intérêts sont menacés : ceux des messagers, des maîtres de poste, des transporteurs routiers, des commerces d’entrepôt, des industries protégées par le coût exorbitant des transports. Certains craignent la disparition d’une société à dominante pastorale et d’un ordre que beaucoup considèrent comme immuable. Mais à cette méfiance succède assez vite un véritable délire ferroviaire, très inspiré par le saint-simonisme : l’idée dominante est que le chemin de fer doit, en intensifiant les échanges entre les hommes, assurer la prospérité générale, réaliser l’unité de la nation et garantir la paix universelle. Le chemin de fer des temps modernes naît en 1830, lorsque la ligne de SaintÉtienne à Lyon est concédée aux frères Seguin, puis en 1837, lorsqu’une première ligne destinée au transport des voyageurs relie Paris à Saint-Germainen-Laye, prélude à d’importantes constructions : Strasbourg-Bâle, Paris-Orléans, Paris-Rouen... Dès 1842, une loi fixe les grandes directions des « lignes principales » du réseau futur : elles doivent converger vers Paris selon une disposition en étoile. Celle-ci sera achevée en 1870, avec 16 400 km de lignes progressivement reliées entre elles par des auréoles concentriques. L’exploitation de ces lignes est confiée à six « grandes compagnies », dites du Nord, de l’Est, de l’Ouest, du Midi, du Paris-Orléans et du Paris-LyonMéditerranée (PLM). Elles exploitent chacune un réseau desservant une partie du territoire. Une part importante de leur capital est détenue par de grands banquiers qui en contrôlent l’exploitation. Le régime des grandes compagnies constitue l’aboutissement de longues hésitations et de débats passionnés, auxquels Napoléon III met fin en 1852, en obligeant alors les compagnies existantes, qui exploitent des lignes dispersées, à se regrouper en réseaux. Les compagnies ainsi formées jouissent dès lors d’un véritable monopole, puisque l’empereur leur accorde des concessions de 99 ans et s’engage, en cas de déficit, à couvrir par des avances remboursables les charges des emprunts émis pour construire les nouvelles lignes. GRANDES ET PETITES LIGNES Mais la « soif universelle de chemins de fer » n’est jamais assouvie. Sous tous les régimes, les hommes politiques s’évertuent, pour des raisons électorales, à étancher cette soif. Ainsi, de 1863 à 1883, une série de conventions obligent les grandes compagnies à accepter la concession de lignes nouvelles, de moins en moins rentables. Elles sont contraintes, après 1877, d’intégrer à leur réseau les lignes formées à partir de 1865 qui, pour la plupart, ont fait faillite. Enfin, en 1879, les lignes non encore réunies intègrent le « réseau d’État » qui est situé entre celui de l’Ouest et celui du Paris-Orléans. À son tour, le plan Freycinet, en 1879, prévoit la construction de 8 000 km de lignes d’intérêt général. Lors du débat, les députés portent ce chiffre à 17 000 km ! Au total, de 1871 à 1913, 600 km de lignes sont ouvertes chaque année. La prospérité des grandes compagnies est frappante. À leur apogée, vers 1900, les deux compagnies les plus florissantes, celle du Nord et le PLM, desservent de riches régions industrielles (vallée du Rhône, bassin minier du Nord). Elles assurent en outre sur leurs lignes principales des services de voyageurs pour une clientèle fortunée, notamment anglaise sur la ligne Paris-Calais. Pour sa part, la Compagnie de l’Est profite de l’essor de la sidérurgie lorraine. À ces profitables lignes d’intérêt général s’ajoutent, après 1850, une pléiade de lignes « d’intérêt local » et de tramways. Elles sont concédées dans un cadre départemental, construites et exploitées par des grands groupes financiers, tel celui du baron Empain. Leur vocation initiale est alors de désenclaver les campagnes et les petites villes – ce qui ne les empêche pas d’être l’enjeu de spéculations visant à concurrencer les grandes lignes par la constitution de réseaux parallèles. À la veille de 1914, la longueur totale du réseau ferroviaire est de 59 000 km, dont 40 783 d’intérêt général (soit 72 %). La densité du réseau ferré, en raison de la pléthore des lignes d’intérêt local, est alors la plus élevée d’Europe. L’IMPACT TECHNOLOGIQUE DU TRAIN Très tôt, les compagnies adoptent une organisation qui témoigne de la professionnalisation de l’univers du train et de la modernisation de la société en général. Parallèlement, les ingénieurs exploitent les réseaux sous une triple tracé direct qui évite de descendre par les vallées affluentes pour traverser la Truyère par un ouvrage plus modeste. Dès lors, deux conceptions s’opposent : la construction en fer la construction en maçonnerie, selon qu’elles sont promues par une compagnie ou une autre. Ville et chemin de fer Partout en France, l’implantation des gares et des voies ferrées rencontre des difficultés considérables et suscite d’âpres débats, en particulier parce que les militaires ne souhaitent pas la pénétration des locomotives dans les villes. Les gares implantées en centre-ville, comme à Rouen et à Nantes, sont très rares. Elles s’inscrivent plus souvent aux marges des agglomérations, constituant une porte ouverte sur la ville, dans une position largement déterminée par les voies de pénétration antérieures. Cela explique qu’à Paris les projets d’une gare centrale échouent. Enfin, l’implantation des gares, « insinuées au milieu des vides », est partout guidée par les structures urbaines préexistantes et la disponibilité de terrains vierges. Entre la gare et le centre-ville sont ouverts de grands axes de pénétration : les « avenues de la gare ». À Paris, pour faciliter l’accès aux gares, on trace de larges avenues qui les placent en perspective (boulevard de Strasbourg et rue de Rennes). Mais le programme reste inachevé. La circulation aux abords de Saint-Lazare est à jamais difficile, la rue de Rennes débouche sur une impasse et les gares d’Austerlitz et de Lyon conservent des positions marginales. Dans tous les cas, les terrains jouxtant la gare prennent de la valeur. Les commerçants y créent hôtels, entrepôts et magasins. Des habitations de style souvent uniforme sont édifiées le long des voies d’accès. Dans plusieurs grandes villes (Nancy, Lille, Lyon), une fusion s’opère progressivement entre ce nouveau quartier et le centre ancien. À terme, le nouveau quartier de la gare a donc tendance à déplacer le centre de gravité des villes vers la gare. La sécurité des voyageurs Le 8 mai 1842, sur la ligne Paris-Versailles Rive gauche, un accident fait 57 morts et plus de 100 blessés graves. Selon la formule d’Alfred de Vigny, ce drame suscite « l’horreur du chemin de fer ». Ce n’est que le premier d’une longue série d’accidents ! En réponse à la mauvaise réputation du train, les dirigeants des compagnies rétorquent qu’il est le plus sûr des moyens de transport. Selon une enquête parue en 1858, le train tue en effet 4 fois moins et blesse 14 fois moins par km parcouru que la diligence. Toutefois, de 1907 à 1913, 408 voyageurs sont tués en moyenne chaque année, dont 362 « morts par imprudence ». Le désir de réduire le nombre 30 contrainte : sécurité, pression du trafic, réduction des coûts. Pour y parvenir, ils font évoluer les technologies mises au service du train. Les locomotives à vapeur doivent en effet tracter des trains toujours plus lourds et plus rapides. Les premiers engins fabriqués en France imitent les modèles anglais. Mais très vite se développe une industrie française qui, en liaison avec les compagnies, crée une technologie originale. Parmi ses réalisations les plus remarquables figure la locomotive « compound » à grande vitesse, inventée dans les années 1880. Les compagnies avaient adopté un type de voitures courtes, à essieux et à compartiments, qui étaient très inconfortables. La situation s’améliore vers 1880 grâce à l’adoption des voitures à couloir, à l’usage du frein à air comprimé, à l’amélioration du confort intérieur. Les besoins ferroviaires entraînent une véritable révolution dans l’industrie sidérurgique. Rails, aiguillages, pièces de locomotives et de voitures sont soumis à des efforts exigeant l’utilisation de métaux plus résistants et plus durables que le fer. Seul l’acier, aux coûts de production réduits, répond à cette double exigence. Le rail stimule donc la production sidérurgique. Les gares deviennent des lieux d’innovation par excellence. En témoigne une grande nouveauté architecturale : les vastes halls métalliques et leur toiture en marquise. Les grandes gares parisiennes, celles de l’Est (1853), du Nord (1867), Saint-Lazare (1889, après sa reconstruction), Orsay (1899), Saint-Jean à Bordeaux (1889-1899), Tours (1896) sont les lieux privilégiés où s’expérimentent les technologies modernes : machine à vapeur fixe, télégraphe, gaz d’éclairage, électricité... LE MONDE DES CHEMINOTS Les contemporains de la révolution ferroviaire ont le sentiment qu’une société nouvelle, distincte de la société française, naît sous leurs yeux : celle des « cheminots », alors appelés « agents des chemins de fer ». En 1913, ils forment une population de 355 000 agents, soit 6 % de la population des ouvriers, hommes et femmes confondus ! Ils font vivre un monde constitué d’une mosaïque de sous-ensembles et milieux : atelier, gare, dépôt, bureau, qui tous intègrent plusieurs métiers, différenciés et hiérarchisés selon leur degré de qualification, de pénibilité, de responsabilité et de rémunération. Certains métiers sont anciens. Les autres naissent avec le train. Les statuts des conducteurs, gardes-freins, chefs de trains, mécaniciens et chauffeurs transposent ceux connus dans l’univers de la diligence. Le chef de gare rappelle le maître de poste. Les ateliers et les bureaux mobilisent des savoir-faire traditionnels. En revanche, les télégraphistes, lampistes, aiguilleurs, visiteurs et autres ouvriers des triages sont de purs produits de l’exploitation du train et de ses technologies. L’identité du milieu cheminot tient aussi à l’omniprésence du danger. Toutes les catégories n’y sont pas également exposées. Mais les mécaniciens, les visiteurs, les manœuvres dans les triages le sont particulièrement, tout autant que les mineurs. Ainsi compte-t-on un peu plus d’un tué et deux blessés par an pour mille cheminots entre 1907 et 1913 ! Le monde hétérogène des cheminots est solidarisé à travers l’expérience quotidienne de la gestion du trafic, qui mobilise les compétences de chacun. Il est également uni par un statut social original caractérisé par l’organisation d’un régime de retraite. Ce statut est néanmoins soumis à une hiérarchie rigoureuse et à une discipline stricte fondée sur un système de punitions et de récompenses. L’univers des cheminots a souvent et justement été décrit comme un monde endogène. Pourtant, si certains cheminots sont regroupés dans des cités, d’autres, dans les grandes villes, côtoient des ouvriers issus de corps de métier différents. En outre, si l’endogamie et l’appartenance à une compagnie transmise de père en fils sont fréquentes, des études récentes montrent que ces pratiques n’étaient ni systématiques ni généralisées. L’IMPACT STRUCTUREL DU TRAIN Les grandes pulsations de l’économie au XIXe siècle sont étroitement liées au développement des transports intérieurs, principalement du train. Les chiffres l’attestent : en 1913, le chemin de fer assure 70 % du trafic des marchandises et 95 % du trafic des voyageurs. Après avoir favorisé les transports en petite vitesse de marchandises lourdes, nécessaires à l’alimentation des villes et au développement de l’agriculture et de l’industrie, les compagnies privilégient, vers 1880, la promotion des voyages et des transports de marchandises à « grande vitesse » (denrées périssables, fruits, légumes). L’ouverture des marchés due à l’extension du réseau et à la baisse des tarifs offre donc aux producteurs de nouvelles opportunités. Bref, si la croissance de la et la gravité des accidents influence donc l’évolution des techniques. L’amélioration de la qualité des matériaux servant à la fabrication des rails, des essieux, des bandages vise à amoindrir le nombre de déraillements. Le problème du freinage, longtemps défectueux, n’est résolu, malgré une multitude d’inventions, qu’en 1876-1877, grâce au frein à vide direct et au frein à air comprimé automatique Westinghouse, dont l’adoption devient obligatoire sur les trains de voyageurs. D’autre part, la signalisation manuelle disparaît au profit de systèmes préfigurant l’ère des automatismes, grâce notamment au télégraphe, qui permet de relier les gares. En outre, dans les années 1870, l’intensification du trafic oblige à adopter le système du cantonnement des trains (bloc-système), qui impose des dispositifs permettant de coordonner l’action des signaux en pleine voie. La maîtrise de l’électricité autorise cette performance, de même que l’installation simultanée de postes d’enclenchement et de la signalisation afin de régler les aiguillages à distance et de rendre les collisions « impossibles ». Un homme nouveau Dès son invention, le chemin de fer suscite les plus grands espoirs de transformation de l’humanité. On juge que, concourant à l’intensification des échanges et accroissant la capacité de déplacement des citoyens, il peut favoriser la prospérité générale, renforcer l’unité de la nation, garantir la paix universelle. En 1849, Victor Hugo affirme que le train peut « créer un monde où tout est vivant, uni, accouplé et confondu [...], dont la France est le cerveau » et « les chemins de fer [...] les artères ». Le train contribue en effet à l’unification et à la prospérité nationales et fait naître un homme nouveau, dont les horizons sont élargis. Hommes d’affaires, hommes politiques, scientifiques et ingénieurs multiplient les rencontres et les congrès. Les mondains se rendent aux stations thermales et balnéaires dans des trains de luxe. Les ouvriers, le monde agricole, les classes moyennes, plus encore les représentants de commerce, hantent les wagons. Les familles dispersées se rejoignent plus aisément. De nouvelles formes de sociabilité se développent autour des pèlerinages, des fêtes, des concours musicaux, folkloriques et sportifs. La mer, la montagne, la ville, les sites lointains deviennent accessibles. La réduction du temps des trajets transforme la perception de l’espace : de local, il devient départemental, national, voire international. Libéré de la distance, l’homme est toutefois soumis aux contraintes d’un horaire impitoyable. Le temps du train, comme celui de l’usine, est minuté et nourrit le stress. Le train marque ainsi la première étape dans la formation de 31 production agricole résulte d’une intensification de la polyculture traditionnelle, elle dépend surtout du développement régional de cultures spécialisées destinées aux marchés urbains, qui sont de mieux en mieux desservis par le train. L’impact de la réduction des tarifs, de l’accélération des services et le soutien à la promotion commerciale des producteurs font du train un acteur central de l’économie nationale. Parallèlement, le chemin de fer favorise l’essor de la « grande » et de la « petite » industries grâce à l’élargissement des marchés. Il relance de nombreuses industries locales. Il en fait naître de nouvelles. Ainsi, l’intensification des transports de charbon permet notamment une utilisation accrue de la machine à vapeur. Au reste, le chemin de fer provoque aussi le déclin et la disparition d’industries, rurales surtout, ayant jusqu’alors prospéré à l’abri de la concurrence. À l’effet d’élargissement des marchés se superpose donc un effet sélectif concurrentiel et désindustrialisant. À l’inverse, la formation de vastes agglomérations industrielles, à commencer par la région parisienne, doit énormément au boom ferroviaire. REPRÉSENTATIONS ET USAGES DU TRAIN À l’origine, le voyage ferroviaire est vécu comme une aventure périlleuse. Les médecins redoutent notamment que l’exactitude des horaires et le stress du voyage aient des effets pernicieux sur la santé. Toute une pathologie ferroviaire se développe alors. Elle intègre le théâtre que constitue la gare, scène de toutes les émotions liées aux séparations et aux retrouvailles. Mais ces frayeurs s’estompent vite. En revanche, l’inconfort des voitures est légitimement mis en accusation, tout comme la gestion de l’espace très cloisonné des gares. Initialement, l’accès aux trains n’étant autorisé qu’à la dernière minute, les voyageurs s’entassent dans les salles d’attente, puis prennent les quais et le convoi d’assaut. Ce moment pénible disparaît dans les années 1860, les compagnies supprimant alors la pratique barbare du confinement des voyageurs. La contraction de l’espace et du temps liée à la vitesse des voyages impressionne également les contemporains. Là où il fallait plusieurs jours, en 1820-1830, pour parcourir les longs trajets interurbains, les meilleurs trains de 1870 mettent Lille à 4 heures de Paris, Lyon à moins de 9 heures, Bordeaux et Strasbourg à 10 et 12 heures. Autre point essentiel : la massification du volume de voyageurs. En 1882, 189 millions de voyageurs prennent le train. En 1913, ils sont 529 millions. Le fait qu’ils parcourent alors en moyenne 36,5 kilomètres par an met en exergue le rôle du train dans l’extension des banlieues. Le train devient un lieu de sociabilité – quoique la reconstitution du compartiment de l’ancienne diligence se heurte à une promiscuité rendant les voyages moins conviviaux. L’idéal de tout Français est d’ailleurs d’être seul dans son compartiment, afin de s’abandonner à une douce somnolence, à une rêverie hors du temps, dont nombre d’écrivains font l’éloge. Le chemin de fer fait également naître une vision nouvelle du paysage, marquée par le défilement des régions traversées à grande vitesse. Les peintres, dont les impressionnistes, s’emparent du sujet. Le train favorise enfin la croissance du tourisme. Grâce à la vente de billets à prix réduits, les « trains de plaisir » mènent vers les bains de mer, les cures thermales, les excursions, les pèlerinages, les foires, les fêtes, les expositions universelles... Le train n’est du reste pas aussi facile d’accès pour toutes les classes sociales. De surcroît, les compagnies luttent contre le « déclassement » des voyageurs : contrairement aux Anglais, les Français tendent à choisir les classes inférieures, même s’ils ont les moyens d’acheter un ticket plus cher. À l’origine, les compagnies cherchent donc à rendre la troisième classe la plus inconfortable possible et à limiter le confort de la deuxième classe. Cette stratégie dissuasive échoue cependant et, sous la pression de l’État et de l’opinion publique, les compagnies améliorent le confort de toutes les classes à partir des années 1870. C’est alors que sont lancés, sur les longs parcours, les trains de luxe, tel le célèbre Orient Express (1883), qui comprennent souvent des voitures de la Compagnie internationale des Wagons-Lits (1872). Toutefois, le confort offert au voyageur ordinaire laisse à désirer et, sur bien des parcours, il est franchement désastreux. 1900-1914 : LE TEMPS DE LA POLYVALENCE Si le chemin de fer emporte tout sur son passage, les routes ne sont pas pour autant sacrifiées. Jusqu’en 1914, les dépenses qui leur sont consacrées représentent entre un quart et un tiers de l’investissement alloué aux moyens et l’homme du XXe siècle : un homme détaché de la vie locale, ouvert sur le monde, subjugué par la vitesse, la mobilité, bref un homme ayant rompu avec les rythmes naturels. Peu développé encore en 1855, puisqu’il ne relie que les grandes villes, le réseau ferroviaire français est l’un des plus denses d’Europe à la veille de la Première Guerre mondiale. Le développement ferroviaire est dû à une politique volontariste de l’État allié à l’initiative privée. Les compagnies qui gèrent ce réseau sont des entreprises privées qui reçoivent une concession de l’État. Celuici garantit les dividendes versés aux actionnaires, à charge pour les compagnies de développer le réseau qu’elles exploitent. Ainsi, les petites villes peuvent être desservies, les régions sont décloisonnées, mais cela ne manque pas aussi d’accélérer l’exode rural. Grâce à ce réseau, les distances sont réduites, on voyage plus rapidement en France ; quelques heures suffisent là où il fallait plusieurs jours au XVIIIe siècle. Ce nouveau moyen de transport est rapide de par la puissance grandissante des machines utilisées, mais il peut parfois se révéler dangereux, la sécurité n’est pas totale. Enfin, si les voyageurs sont pris en charge au coeur même de leur ville, c’est au prix d’une emprise très importante dans le paysage urbain. En effet, les gares, notamment celles des grandes villes qui doivent assurer aussi les fonctions de triage ou de garage des machines et wagons, nécessitent des infrastructures importantes. Le rail exerce une fascination sur les contemporains comme l’atteste le texte de Zola. L’ÉTOILE La configuration du réseau de chemin de fer français est fixée, au départ, par un projet de loi de février 1838 (voté en 1842) établissant le plan des lignes principales. Ce premier canevas se fonde sur un principe majeur : le train est un instrument de centralisation administrative et de renforcement de l’unité nationale. Les lignes partent donc de la capitale vers les grandes villes de province, en suivant un tracé le plus direct possible, sans délaisser les centres de « population agglomérée situés à peu de distance ». On désigne ce plan sous le nom d’« Étoile Legrand » (du nom du directeur des Ponts et Chaussées auteur du projet). Autour des axes principaux de cette étoile se constituent, à partir de 1849 et par fusions successives, les grandes compagnies : Compagnie du Nord fondée autour de l’axe Paris-Lille-Belgique (1846), de l’Est organisée à partir de ParisStrasbourg (1853), PLM créée sur la base du Paris-Lyon-Marseille (1857), Paris-Orléans avec la connexion Paris-Bordeaux (1855), 32 aux lieux de communication. Ce budget permet de maintenir en état le réseau départemental et national, d’accroître le réseau vicinal (538 000 km en 1914 contre 330 000 en 1872) et d’achever le désenclavement des campagnes. Certes, les maîtres de poste et les messageries à longue distance ne peuvent résister à la concurrence du rail. Nonobstant, une fois franchies les portes de la gare, l’animal reprend ses droits. Il règne sur les routes et en ville. Si, dans un premier temps, le développement des omnibus urbains, en province, reste limité, à Paris, au contraire, la CGO devient une riche entreprise qui exploite 39 lignes, utilise 1 900 voitures et plus de 12 000 chevaux (en 1884). Dans les années 1870, toutes les grandes villes s’équipent, utilisant en majorité la traction animale. Néanmoins, le cheval, ne pouvant parcourir que 14 km par jour et coûtant cher en main-d’œuvre humaine, est peu rentable. Les candidats à son remplacement, tramways à air comprimé ou à vapeur, sont largement répandus sur le réseau des chemins de fer sur route, où ils complètent les réseaux d’intérêt local. Mais ils restent peu présents dans les villes. À la fin du XIXe siècle, l’électricité apporte une solution adaptée au trafic urbain. Sa technologie encore incertaine (alimentation par prise au sol, coûteuse et dangereuse, ou extérieure par fil jugée inesthétique) s’impose lentement, mais irrésistiblement. L’équipement des villes s’accélère : entre 1892 et 1902, le réseau des tramways électriques urbains s’étend de 37 à 2 000 km ; en 1913, 80 villes en sont équipées, parmi lesquelles Elbeuf, Épinal, Sète, Montauban, Saint-Chamond... Longtemps la ville a été de dimensions restreintes et l’essentiel des déplacements s’effectuait à pied. À partir de 1830, les omnibus apparaissent, suivis par les tramways hippomobiles. Le premier tramway électrique est inventé par la firme Siemens en 1879 et sera généralisé dès la fin du XIXe / début XXe siècle dans les grandes villes françaises. La révolution automobile débute en France à la fin des années 1880, 1 200 voitures y circulaient déjà en 1897 pour atteindre 17 000 en 1904. C’est à l’apogée du tramway, en 1898, qu’est lancé l’ambitieux projet du métropolitain parisien. Inauguré le 19 juillet 1900 entre la Porte Maillot et Vincennes, le réseau comprend 92 km de lignes en 1912. Il connaît aussitôt un grand succès. Le métro de New York L’histoire du métro de New York débute en 1898 avec la fondation du City of Greater New York (le « Grand New York ») réunissant New York, Brooklyn, le Queens et Staten Island. La nouvelle entité administrative décide de fonder le Subway, un réseau de métro souterrain. La première ligne fut inaugurée le 27 octobre 1904. Cependant, la première Elevated line (voie aérienne de chemin de fer métropolitain) avait été construite 35 ans auparavant, en 1868. Le métro en Europe Le premier métro est celui de Londres, construit en 1863 et tiré à l’origine par des locomotives à vapeur. Toutes les lignes sont électrifiées entre 1890 et 1900. Le premier métro continental européen est celui d’Istanbul en 1871, suivi de celui de Budapest en 1896. En France, plusieurs projets sont élaborés pour Paris entre 1856 et 1890 sans qu’aucun n’aboutisse, car s’opposent les propositions de réseau souterrain et de réseau aérien, à la manière des premiers métros américains. C’est la détérioration des conditions de circulation dans la ville de Paris, l’exemple des capitales étrangères et l’approche de l’exposition universelle de 1900 qui décident les autorités à lancer la construction du métro. Les travaux commencent en 1898 et la première ligne de métro souterrain à traction électrique est mise en service pour l’exposition universelle de 1900. Le métro invente véritablement le transport de masse urbain – que le trolleybus et l’autobus, apparus également en 1900, viennent conforter à Paris et en province. Mais la bicyclette devient elle aussi, presque instantanément, un produit de masse grâce au bon état du réseau routier. Ce dernier favorise enfin l’émergence, après 1895, de l’automobile, puis son essor rapide. Si les premiers clients de l’industrie automobile sont de riches amateurs soucieux de prestige et désireux de suivre la mode, ils sont vite imités par des médecins, des négociants, des instituteurs qui achètent une automobile pour des raisons professionnelles. Dans les villes où se sont développés les taxis, dans les campagnes où le besoin d’une liaison plus rapide avec les centres urbains est vivement ressenti, l’automobile complète le train, avant d’être sa concurrente. Son succès est marquant : de quelques centaines d’unités en 1894-1895, le parc passe à 107 500 en 1914, propulsant l’industrie automobile française au deuxième rang mondial derrière les ÉtatsUnis. Du côté de la modernisation du train, la traction électrique n’est utilisée, au Compagnie de l’Ouest qui rayonne à partir du Paris-Rouen (1855). Rejointes par la Compagnie de l’État en 1879 (augmentée en 1908 du réseau de l’Ouest), ces compagnies se partagent toujours la desserte du territoire en 1913. Seule la Compagnie du Midi (Bordeaux-Toulouse, 1852) échappe à cette centralisation. Une fois les lignes principales construites, le chantier repart. Il faut satisfaire la soif de train des Français ! Un réseau de lignes concentriques est alors développé autour de Paris, quelques transversales tracées, comme Bordeaux-Genève (via Clermont-Ferrand et Lyon), des lignes secondaires embranchées sur les lignes principales, comme ToursClermont-Ferrand, Clermont-Ferrand-Nîmes. Ces ajouts successifs donnent au réseau une configuration en « arête de poisson ». Quoique les lignes principales assurent les trafics les plus denses, la toile ferroviaire s’étend, se densifie jusqu’à recouvrir l’essentiel du territoire. LE TRIOMPHE DU RAIL Le chemin de fer conquiert donc peu à peu une position dominante dans l’univers des transports. Pour le trafic des voyageurs, les routes deviennent secondaires. Leur baisse de fréquentation de 1830 à 1894 en témoigne. Elles restent cependant très actives (certaines accueillent même les chemins de fer et les tramways) et leur bon état d’entretien contribue au succès de l’automobile à l’aube du XXe siècle. S’agissant du trafic des marchandises, le fret ferroviaire s’accroît considérablement entre 1850 et 1885. Dès lors, les parts de marché du train ne cessent d’augmenter, malgré un ralentissement après 1885. Le cabotage sur mer et le transport sur voies navigables souffrent particulièrement de la concurrence ferroviaire. En raison de la longueur des distances entre la plupart des ports, les transports maritimes n’ont pas les moyens de rivaliser avec le rail. Leurs parts de marché s’effondrent entre 1845 et 1865. Le transport fluvial et sur canaux voit ses parts de marché chuter durant la même période. Le redressement des années 1880-1890 est éphémère. Cette évolution est le résultat de la politique de l’État : les investissements reprennent dans les années 1860, mais ne se poursuivent guère au-delà des années 1880. Quant à l’abolition des droits de navigation en 1880, elle ne compense pas le fait que la France batelière est essentiellement concentrée au nord-est de la Seine. Un an après le premier tour de France automobile, profitant de la notoriété du fabricant de pneus de Clermont-Ferrand acquise dans les courses de vélo et de la dynamique créée par l’exposition universelle de 1900 à Paris, les frères Michelin, Édouard et Michel, lancent le fameux Guide Michelin. 33 début du XXe siècle, que pour des « usages spéciaux » que la locomotion à vapeur satisfait difficilement : souterrains urbains (ligne entre la gare d’Austerlitz et la gare d’Orsay ouverte en 1900), desserte de la banlieue (ligne VersaillesInvalides équipée en 1902), funiculaires et lignes à fortes pentes (lignes transpyrénéennes de la Compagnie du Midi en 1907-1912). Il faut enfin revenir aux voies navigables. À partir de 1860, leur relance vise à contrebalancer le monopole ferroviaire sur le transport. Cette tendance remporte quelques succès jusque dans les années 1870, avec notamment les grands chantiers sur la Seine et à la faveur de la suppression des droits de navigation. Le plan Freycinet permet un véritable renouveau de la batellerie dans les années 1880-1890. Le parc fluvial se transforme grâce à l’augmentation de la capacité des bateaux, au développement du remorquage à vapeur et à des techniques de halage améliorées. Toutefois, la navigation ne parvient pas à accroître durablement sa part de marché aux dépens du train. La révolution ferroviaire en France et ses conséquences sociales et culturelles : la rupture de l’isolement et le brassage social. Le chemin de fer, inventé en Angleterre, apparaît en France en 1827. Mais il se heurte aux réticences d’une nation encore très rurale et ce n’est qu’entre 1850 et 1900 que l’essentiel du réseau est mis en place. Dès les années 1830, les images d’Épinal illustrent très souvent la fascination qu’exerce le chemin de fer sur un public qui n’y est pas encore habitué. La lecture de l’image est riche d’enseignements sur la société française du moment et sur la place sociale et économique que commence à prendre le train. Les échanges s’intensifient comme le montrent les wagons de marchandises, les citoyens se déplacent plus facilement et renforcent l’unité de la nation proclamée par la Révolution française. Le chemin de fer fait naître un homme nouveau dont l’horizon s’est élargi et crée de nouvelles formes de sociabilité : les mondains se rendent aux stations thermales et balnéaires ; les ruraux quittent leur «pays» pour tenter leur chance ailleurs. C’est la première étape vers le monde moderne où l’homme se détache de la vie locale. Cependant, le voyage ferroviaire est souvent vécu comme une aventure périlleuse ainsi qu’en atteste la paysanne affolée par la traversée du tunnel. Libéré de la distance, l’homme est soumis au stress des horaires comme le montre l’une des vignettes. Les premiers trains reconstituent les compartiments de diligences avec les avantages et les inconvénients de cette promiscuité (cf. l’avant dernière vignette). On pourra aussi faire remarquer l’inconfort des voitures, notamment celles de troisième classe : banquettes en bois, pas de vitres. L’objectif des compagnies étant de pousser ceux qui en ont les moyens à acheter des billets de première classe, stratégie qui échoue, d’ailleurs. LA CONQUETE DU TERRITOIRE On vise à montrer comment la conquête du territoire entraîne une nouvelle perception de l’espace. Là où il fallait plusieurs jours, les meilleurs trains mettent la destination à quelques heures. L’évolution du réseau ferré et du trafic L’édification du réseau ferré français connaît trois grandes phases: – Entre 1837, date à laquelle s’ouvre la première ligne, Paris-Saint-Germain-enLaye, et 1850. La première ligne, longue de 19 km, connaît un succès prodigieux ; elle est bientôt beaucoup plus fréquentée que la route parallèle mais le roi ne l’inaugure pas car son entourage jugeait ce mode de transport trop dangereux. La loi Guizot de 1842 entraîne la construction de lignes importantes qui rayonnent autour de Paris mais la France est loin derrière le Royaume-Uni (10 500 km) et l’Allemagne (6 000 km). – Le Second Empire dote la France d’un véritable réseau ferré (17 430 km en 1870). Toutes les lignes qui rayonnent autour de Paris aujourd’hui sont achevées : ainsi les grandes villes françaises sont reliées à la capitale. Le réseau français est relié à celui des États voisins. – La IIIe République permet l’extension du réseau en resserrant le maillage : le plan Freycinet (du 17 juillet 1879) permet de combler les vides afin de desservir toutes les régions. À la veille de la Première Guerre mondiale, l’ensemble du réseau est constitué. À partir du Second Empire, le réseau joue un véritable rôle économique. De nouveaux métiers apparaissent comme celui de cheminot. Des secteurs entiers de la production industrielle, comme la sidérurgie, se trouvent poussés en avant. Les grands travaux publics se multiplient : ponts, viaducs, tunnels, constructions de Tiré à 35 000 exemplaires de 800 pages, cet ouvrage permet aux voyageurs de disposer d’informations plus précises. Hôtels, restaurants, mais aussi adresses de garages pour d’éventuelles réparations. Ce guide devient le compagnon de route de tout voyageur. Ainsi l’automobiliste est assisté dans sa nouvelle liberté. Coup de marketing génial, ce guide est gratuit jusqu’en 1920. En revanche les cartes qu’ils éditent à cette époque sont payantes. Elles deviennent indispensables aux automobilistes. Elles traduisent le développement de ce nouveau moyen de transport qu’est l’automobile et l’amélioration du réseau routier français. L’évolution du réseau routier Jusqu’au milieu du Second Empire, la route et la voie d’eau sont incontestablement prééminentes. Le réseau routier est hérité de l’Ancien Régime. Les relations transversales sont insuffisantes. La politique menée de 1850 à 1914 vise exclusivement à l’entretien et à l’achèvement du réseau local. Ainsi, le réseau national et départemental augmente peu. L’action des pouvoirs publics, et en particulier ceux de la IIIe République, porte sur le « désenclavement des campagnes » selon l’expression de F. Caron. Ce projet a pour objectif, d’une part, la constitution d’un marché national homogène, d’autre part, l’uniformisation de la nation et la diffusion des valeurs républicaines. Sous le Second Empire, les dépenses routières dépassent les 200 millions de francs et, sous la IIIe République, les 240 millions de francs. Cet effort montre la volonté des pouvoirs publics de maîtriser la totalité de l’espace national. Mais, jusqu’au triomphe de l’automobile, les capacités du transport sur route demeurent insuffisantes : une diligence transporte 16 voyageurs et les chariots de roulage, 15 à 20 tonnes. Il reste aussi très lent : en 1850, il faut deux jours pour aller de Paris à Lyon, en 1880 moins de deux jours. En revanche, l’aménagement des chemins vicinaux correspond à l’achèvement des lignes ferroviaires d’intérêt local. Toutefois, le bon état d’entretien du réseau routier contribue au XXe siècle au succès de l’automobile. Le réseau ferroviaire en 1855 et en 1913 On pourra comparer les deux cartes. Le premier canevas se fonde sur un principe majeur : le train sert la centralisation administrative. Les lignes joignent donc la capitale aux grandes villes de province. Ce plan est désigné sous le nom d’«étoile Legrand » du nom du directeur des Ponts et Chaussées auteur du projet. Une fois ces lignes principales construites, des transversales sont tracées comme BordeauxGenève via Clermont- Ferrand et Lyon puis 34 gares, d’entrepôts. De nouvelles industries apparaissent comme les constructions mécaniques (locomotives, wagons, ateliers de réparation…). Le coût des transports se trouve considérablement diminué : par exemple, le transport d’un hectolitre de blé de Marseille à Vesoul par la route et la voie d’eau est de 15 francs en 1847 alors qu’il n’est plus que de 3 francs en 1868 par chemin de fer. Enfin, les liaisons étant plus faciles, le chemin de fer stimule les échanges de marchandise mais aussi favorise l’exode rural. La diminution de l’espace français Ce document montre la contraction de l’espace et du temps due à la vitesse. Là où il fallait plusieurs jours dans des conditions très inconfortables pour parcourir les trajets interurbains dans les années 1830, il ne faut plus quelques heures : en 1870, Lille est à 4 heures de Paris, Lyon à moins de 9 heures, Bordeaux à 10 heures et Strasbourg à 12. La révolution ferroviaire accomplie, la perception de l’espace diffère totalement, le regard porté sur les paysages aussi comme l’atteste la peinture impressionniste. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : UNE FRANCE TRANSFORMÉE ? L’histoire des transports évolue donc au rythme des innovations techniques. L’univers ferroviaire, dominant, construit peu à peu un système cohérent capable d’assurer des trafics sans cesse accrus et moins coûteux. Ce miracle doit à l’effort de productivité permanent auxquels tous les moyens de transport ont participé. Cependant, en 1914, la gestion du trafic sur les chemins de fer et les canaux exige toujours un recours massif à l’énergie animale et humaine dans les gares, dans les dépôts, sur la voie. D’autre part, la France a été transformée d’inégale façon. Si certaines régions, telle la Bourgogne sidérurgique, subissent une désindustrialisation massive, d’autres, dans le Nord, en Lorraine et en région lyonnaise, profitent d’une forte concentration de leurs activités industrielles. L’autre grand apport de la révolution des transports est le renforcement de l’unité nationale. En 1837, le député libéral Armand Dufaure, futur ministre des Travaux publics, affirme que « les grandes lignes de fer, ces merveilleuses voies de communication, par la rapidité du voyage, engagent les populations à se mêler et à confondre les produits de leur territoire et de leur travail », traduisent en acte le vœu de « l’unité nationale ». En 1913, ce vœu est largement exaucé. des lignes secondaires rejoignent les lignes principales. Cela donne au réseau une allure en « arête de poisson ». Ce sont des compagnies privées concessionnaires qui sont chargées d’exploiter le réseau. Elles sont 33 en 1846 mais la crise ferroviaire de 1847-1848 met en évidence l’insuffisante capacité financière de la plupart des sociétés, ce qui conduit Napoléon III à redéfinir les modalités d’exploitation. C’est pourquoi elles se concentrent pour n’être plus que 6 en 1857, plus quelques petites compagnies locales, avec un cahier des charges beaucoup plus contraignant. La décision des pouvoirs publics vise à préserver un compromis entre service public et volonté de développer le réseau par l’apport de capitaux privés. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 35 HC – Villes et industrialisation au XIXe siècle Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Quelles sont les relations entre industrialisation et urbanisation ? Comment l’industrialisation transforme-t-elle les villes ? Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Bairoch P., De Jéricho à Mexico, villes et économies dans l’Histoire, Gallimard, 1985. Gaillard (J.-M.), Lespagnol (A.), Les Mutations économiques et sociales au XIXe siècle (1780-1880), 1984. G. Duby et E. Le Roy Ladurie (dir.), Histoire de la France urbaine, vol. 4 : La Ville de l’âge industriel, Seuil, Paris, 1980. J.-L. Pinol, Le Monde des villes au XIXe siècle, coll. «Carré», Hachette, Paris, 1991. J.-P. Pousou, La Croissance des villes au XIXe siècle, France, Royaume-Uni, États-Unis et Pays germaniques, SEDES, Paris, 1992. Documentation Photographique et diapos : Revues : Usines et ateliers au XIXe siècle, Les deux vecteurs de l’aventure industrielle, MORET-LESPINET Isabelle, TDC, N° 736, du 15 au 31 mai 1997 Les campagnes au XIXe siècle, TDC, N° 770, du 15 au 28 février 1999 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Entre 1800 et 1850, dans la lancée du XVIIIe siècle, l’Europe connaît une mutation décisive. Elle entre dans un âge au cours duquel se forgent les bases de sa domination de la planète jusqu’aux premières décennies du XXe siècle. Cette mue est à la fois économique, sociale et politique. Notre continent, du moins ses pays les plus avancés, passe à l’ère industrielle et nationale. Mais si le constat est indiscutable et rend la période essentielle, ses modalités sont objet de remises en cause historiographiques : dans le reflux actuel des thèses marxistes, le concept même de révolution pose problème, qu’elle soit bourgeoise et nationale ou industrielle et urbaine. La notion de « révolution industrielle » n’est plus contestée par les historiens aujourd’hui. Le terme de « révolution » peut paraître moins adéquat que celui d’« industrialisation » pour caractériser un processus lent et progressif, qui se poursuit tout au long du XIXe siècle, à un rythme inégal selon les pays et les différents secteurs économiques. Mais la notion de « révolution industrielle » conserve l’avantage de bien rendre compte de la rupture qualitative qui intervient dès la première moitié du XIXe siècle dans l’organisation de l’économie et de la société : avec la révolution industrielle, ce sont des entrepreneurs, et non plus des marchands, qui contrôlent la production ; l’industrialisation s’accompagne désormais d’un essor de l’urbanisation, même si une part de la production industrielle continue d’être assurée par la main-d’oeuvre des campagnes ; la révolution industrielle a créé « peu à peu un nouveau type de travail, régulier, et discipliné dans le cadre de l’usine» (Patrick Verley) ; elle modifie en profondeur l’organisation du système économique, désormais beaucoup plus sensible aux fluctuations d’un marché mondial (et non plus seulement aux calamités naturelles) : « à économie nouvelle, comme l’écrit Jean-Pierre Rioux, crises nouvelles ». La question des origines de la révolution industrielle continue en revanche de faire débat. Il n’est plus besoin, comme le faisait Marx, de faire l’hypothèse d’une accumulation primitive de capital, provoquée par l’exploitation coloniale et par l’expropriation des paysans parcellaires par le mouvement des enclosures : les premières entreprises industrielles ne nécessitèrent en effet que peu de capitaux et il faut attendre l’apparition des grandes entreprises de chemins de fer pour assister à un drainage massif de l’épargne vers l’industrie. Par ailleurs, les effets et la diffusion de la « révolution agricole » paraissent trop limités pour en faire le Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 4è actuel : « L’âge industriel (7 à 8 heures) À partir des transformations des techniques de production de la fin du XVIIIe siècle à l’aube du XXe siècle, l’étude dégage les traits majeurs du phénomène industriel et de ses effets géographiques et sociaux. On décrit idées et mouvements qui analysent ce phénomène et en déduisent des conséquences sociales et politiques. Parallèlement sont tracés les grands traits de l’évolution culturelle et artistique. • Cartes : l’Europe industrielle à la fin du XIXe siècle •Repères chronologiques : exposition universelle à Paris (1900). •Documents : une locomotive à vapeur. BO 4è futur : « L’ÂGE INDUSTRIEL L’industrialisation qui se développe au cours du XIXe siècle en Europe et en Amérique du Nord entraîne des bouleversements économiques, sociaux religieux et idéologiques. Une étude au choix parmi les suivantes : - Une ville industrielle au XIXe siècle. Cette étude est replacée dans le cadre de l’ensemble des bouleversements économiques et sociaux. » La révolution industrielle ? L’historiographie privilégie désormais le terme de première industrialisation (et les programmes celui d’âge industriel), car il permet de lier les interrogations sur le caractère et les rythmes d’un phénomène qui 36 moteur principal de l’industrialisation, comme a pu le suggérer l’historien Paul Bairoch (Révolution industrielle et sousdéveloppement, Paris, 1963). Le rôle de l’innovation technique, enfin, a été sans doute « nécessaire, mais non suffisant » (Jean-Pierre Rioux). Depuis Marx et Toynbee, la révolution industrielle a été théorisée, au temps du scientisme triomphant, comme une révolution technique. La machine à vapeur aurait entraîné, comme le suggère David Landes (L’Europe technicienne ou le Prométhée libéré, Gallimard, Paris, 1975), « une rupture avec le passé beaucoup plus radicale que toute autre depuis l’invention de la roue ». Cependant, les progrès du machinisme ont été lents et n’ont concerné que des secteurs limités de la production : la machine à vapeur ellemême ne se répand vraiment que dans la seconde moitié du XIXe siècle. À ses débuts, l’industrialisation s’opère pour une bonne part dans le cadre des anciennes formes d’organisation du travail, l’usine n’étant pas dominante, même en Angleterre. Plus récemment, Patrick Verley a mis en évidence les changements intervenus dans les conditions de la demande, et non plus seulement dans les conditions de l’offre. Au XVIIIe siècle, un « changement d’échelle » dans l’organisation des marchés accompagne la naissance d’une « société de consommateurs» : « si l’industriel se mit à produire en plus grande quantité et à imaginer des produits nouveaux, ce n’était peut-être pas uniquement parce qu’il disposait désormais des moyens de le faire. Peut-être était-ce plutôt parce qu’il avait des débouchés nouveaux qui lui permettaient de gagner plus d’argent en développant sa production, avec les techniques anciennes ou avec de nouvelles techniques, avec les formes d’organisation traditionnelles du travail ou dans de nouvelles formes ». Les interrogations actuelles incitent par conséquent à se démarquer des explications monocausales de la révolution industrielle. « Un consensus semble se dégager aujourd’hui, suggère Patrick Verley, autour de l’idée que l’explication du changement ne se réduit pas à l’effet d’une cause unique mais réside dans l’interférence entre les modifications des facteurs économiques principaux et l’environnement dans lequel ils étaient à l’oeuvre ». Un autre débat porte sur les modalités de la diffusion de la révolution industrielle sur le continent européen. Les historiens hésitent de plus en plus à évaluer les performances des différents pays européens en termes de retard plus ou moins prononcé par rapport au seul modèle de l’industrialisation en Angleterre, d’autant que les statistiques nationales faussent l’observation d’un phénomène qui a une dimension avant tout régionale. De ce point de vue, la théorie du take off naguère exposée par W. W. Rostow est aujourd’hui dépassée. Les sociétés européennes ont chacune expérimenté une voie d’industrialisation originale. Il en va ainsi de la France qui, jusqu’aux années 1860, a connu une « industrialisation sans révolution », du fait de l’emploi prolongé des énergies traditionnelles et du maintien des anciennes structures de production : « Cette industrialisation à l’économie, écrit Denis Woronoff, ne saurait être accusée d’archaïsme. Elle est, au contraire, rationnelle et bien adaptée » à l’environnement auquel les entreprises françaises étaient confrontées au XIXe siècle. Quoi qu’il en soit, la révolution industrielle reste un phénomène inachevé au milieu du XIXe siècle et les mutations sociales qu’elle entraîne restent d’ampleur limitée. L’urbanisation progresse, mais l’immense majorité de la population européenne vit encore dans les campagnes où les famines sont devenues plus rares mais n’ont pas disparu. En dépit de la promotion d’une bourgeoisie capitaliste au sein des sociétés européennes, les élites dirigeantes, qu’elles soient nobles ou bourgeoises, vivent bien plus souvent encore du produit de la rente que du profit. La révolution industrielle a certes favorisé la concentration des travailleurs dans des usines, mais, même en Angleterre, les ouvriers travaillent encore pour la plupart dans des ateliers. L’apparition d’un prolétariat d’usine – Gérard Noiriel l’a bien montré pour la France – a été un « phénomène limité, mais délibérément grossi » par les enquêtes sociales qui se multiplient à partir des années 1830. En effet, la détérioration des conditions de vie et de travail des ouvriers de manufactures a surtout contribué à changer le regard des contemporains sur la pauvreté, et plus généralement sur l’organisation de la société. Comme l’écrit André Gueslin, « ce n’est pas un hasard si, au mot “industrialisme” se greffe, dès 1823, le mot “paupérisme”, emprunté au vocabulaire d’outre-Manche. Par rapport à la misère du temps passé, la nouveauté du paupérisme est d’être un état permanent et durable, touchant des pans entiers de la société ». Il faudra attendre toutefois la seconde moitié du XIXe siècle pour reste un problème historique ouvert. Les derniers travaux insistent sur le rejet de l’idée de rupture comme des explications monocausales. Ils repoussent l’explication par une révolution préalable, soit des techniques, soit de l’agriculture, pour retenir plutôt le rôle moteur de la demande en biens de consommation, au sein de sociétés préindustrielles déjà en pleine évolution au XVIIIe siècle. Les rythmes différents entre les pays seraient moins liés à un retard par rapport au modèle anglais pionnier, qu’à l’adaptation des formes de la croissance aux différentes conditions naturelles, sociales et politique d’émergence des marchés. La révolution agricole, comme la révolution ferroviaire ou bancaire, apparaissent donc plutôt comme des conséquences de ce nouveau jeu de la croissance, qui a pu se faire très largement en s’appuyant sur des formes anciennes de production (exemple : le travail à domicile des artisans textiles en ville ou à la campagne). C’est ainsi que les sociétés européennes deviennent lentement industrielles, et que l’Europe conçoit désormais son expansion internationale comme une recherche d’élargissement des marchés. Patrick Verley (La Révolution industrielle, Gallimard, Paris, 1997, p. 121) résume ainsi ces acquis récents : « L’orientation qui semble aujourd’hui la plus prometteuse est de comprendre qu’un grand mouvement de croissance des activités manufacturières – on pourra les appeler déjà industrielles – s’affirma et se confirma dès la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle, avec des nuances chronologiques selon les pays, faisant apparaître toute l’Europe comme débordante d’“industrie”, d’activités très différenciées, riche d’innovation, saisie par un esprit nouveau de progrès, d’industrialisme et de consommation. Dans tous les pays, la production industrielle augmenta diversement, selon le caractère plus ou moins favorable des pouvoirs d’achat de leurs habitants et de leurs structures sociales, selon la disponibilité de débouchés extérieurs, qui dépendaient du jeu des relations internationales. Cette croissance, dont le moteur était le dynamisme de la demande des biens de consommation, prenait place dans des organisations du travail et avec des techniques traditionnelles. Elle eut pour effet de les modifier à long terme. On innova pour produire davantage, on fit des progrès de productivité. Durant un temps, cela permit d’élargir socialement la demande, mais la croissance ne pouvait que se heurter à la faiblesse des revenus populaires dans des sociétés encore très inégalitaires. Cela conduisit ensuite à essayer de développer un marché à la taille du monde, ce que rendait désormais possible le progrès des transports grâce aux acquis techniques de la première 37 que des réponses significatives soient apportées à la « question sociale », sous la pression d’un mouvement ouvrier mieux organisé dont les prémices ne s’observent guère qu’en Angleterre vers 1850. industrialisation. » Il faut répondre à la question de la rupture (Y a-t-il eu révolution industrielle ?) par la présentation du processus de « première industrialisation » (causes / caractéristiques originales / conséquences), qui reflète l’évolution actuelle de l’historiographie. Les causes ne sont pas uniques, mais se conjuguent, ainsi que les formes de production, où l’atelier côtoie encore l’usine, à peine naissante. Les effets économiques et géographiques de cette industrialisation, encore très largement mixte, sont donc contrastés, même si, en Angleterre, l’essor de la ville industrielle dessine l’avenir de l’Europe manufacturière. Jusqu’au XIXe siècle, c’est la société rurale qui domine le monde. Si le poids de ce monde rural demeure considérable jusqu’en 1945, il s’efface cependant lentement au profit de la société urbaine. Au lendemain de 1914, tous les grands pays industriels dépassent les 50 % de population urbaine. Espace de l’industrialisation, la ville est aussi le monde des deux classes qui en sont issues : la bourgeoisie et les ouvriers. À l’exception de la Grande-Bretagne, déjà largement engagée dans l’urbanisation, l’Europe du milieu du XIXe siècle est largement rurale. La seconde moitié du XIXe siècle est en revanche le temps de l’urbanisation triomphante mais le rythme n’est pas le même dans tous les pays. Cette urbanisation se traduit par le développement de grandes métropoles. Symbole des sociétés modernes, lieu privilégié de l’industrialisation, la ville est le creuset dans lequel les hiérarchies sociales se recomposent. La société industrielle investit un cadre de vie et de travail progressivement urbain. L’urbanisation est à mettre directement en relation avec l’industrialisation puisque les deux phénomènes se recouvrent et concernent les mêmes espaces. En 1800, à peine 3 % de la population mondiale vit dans un cadre urbain, contre 15 % en 1900. Cette croissance exponentielle, surtout au début du XXe siècle, s’explique par l’afflux de la main-d’oeuvre issue de l’exode rural à la recherche d’un emploi en ville. Le cadre et le mode de vie urbains sont profondément modifiés : l’architecture s’élève en hauteur, les transports se multiplient sous terre ou en surface, le confort et l’hygiène ou encore les loisirs deviennent accessibles pour un plus grand nombre. En 1800, à peine 3 % de la population mondiale vivait dans un cadre urbain, contre 15 % en 1900. Cette croissance exponentielle, surtout au début du XXe siècle, s’explique par l’afflux de la main-d’oeuvre issue de l’exode rural à la recherche d’un emploi en ville. À la campagne, la pression démographique et l’introduction des machines remplaçant la main-d’oeuvre saisonnière libère des hommes qui sont attirés par les emplois peu qualifiés en usines. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : I. Usines et ateliers, les deux vecteurs de l’aventure industrielle Avant de devenir des friches industrielles ou des écomusées, les ateliers et les usines ont été à la fois des lieux de production, de travail et de sociabilité. Ils ont animé la vie économique au XIXe siècle et ont engendré une culture particulière, tout en suscitant des rapports sociaux conflictuels. La géographie industrielle du XIXe siècle témoigne de cette dualité typiquement française : atelier et usine participent tous deux à l’industrialisation. Tous deux cohabitent et se développent dans la complémentarité, à la campagne comme à la ville, dans une France encore essentiellement agricole. Mais l’usine, bien que symbole de l’industrialisation, est encore un phénomène mineur en nombre d’actifs : un recensement effectué en 1851 révèle que, sur 1 000 actifs, 58 seulement sont employés dans la grande industrie, alors que 568 travaillent dans l’agriculture, 111 dans les professions libérales, 218 dans la petite industrie et que 21 sont domestiques. Et, dix ans plus tard, l’industrie est encore une affaire d’atelier : sur 4,7 millions d’emplois recensés dans ce secteur, on dénombre 1,6 million de patrons et 2,9 millions d’ouvriers. Accompagnement 4è : « Le programme, mais aussi la carte, les repères chronologiques et les documents orientent l’étude. L’industrie transforme l’Europe et les États-Unis, leurs paysages et leurs sociétés. Il n’est pas possible au collège d’entrer dans l’explication complète des origines des révolutions industrielles. Il suffit d’insister d’abord sur le charbon et le textile, le rôle de la machine à vapeur et ses multiples usages, la progressive naissance de l’usine et des concentrations ouvrières. Puis, l’énergie électrique et le premier essor de l’automobile introduisent aux transformations de la fin du siècle. La construction des chemins de fer et du Canal de Suez montrent l’ouverture des régions et 38 ATELIERS ET USINES COEXISTENT LONGTEMPS Une première vague d’industrialisation, correspondant à l’utilisation de nouvelles énergies – le charbon et la vapeur – touche la France, du début des années 1800 aux années 1840. Elle concerne essentiellement le textile, l’extraction minière, la métallurgie et la sidérurgie. Une seconde vague, marquée par une accentuation de la concentration des usines et correspondant à l’utilisation de l’électricité, s’amorce dans les années 1870-1880 et s’achève vers 1914. Les secteurs les plus représentatifs sont la chimie, le caoutchouc et l’automobile. Il faudra attendre 1900 pour qu’une certaine concentration se dessine, sans doute sous les effets conjugués de la seconde industrialisation et du redémarrage économique de la fin du siècle : en 1906, un recensement des entreprises industrielles et commerciales indique qu’un petit quart seulement des entreprises (22,4 %) emploie plus de 100 salariés, un cinquième (19,5 %) en emploie de 11 à 100, tandis que la majorité (57,9 %) en compte de 1 à 10. Et encore cette concentration n’empêchera-t-elle pas forcément les ateliers de perdurer, de se multiplier ou de naître. Un exemple : la confection à domicile sera relancée à la fin du siècle par une autre concentration, celle des grands magasins, qui préféreront avoir recours à une main-d’œuvre de proximité, travaillant à la demande, qu’il est facile de contrôler, dont les salaires sont très faibles, plutôt qu’à de grandes entreprises, bien moins souples. Atelier et usine vont donc de pair tout au long du siècle. L’archaïsme n’est pas le point faible de l’un, tandis que la modernité serait l’apanage de l’autre, tant du point de vue des moyens mis en œuvre, que dans le domaine social. En 1886, par exemple, dans les deux secteurs confondus, les femmes représentent 30 % de la main-d’œuvre, les enfants 15 % environ. Et dans les deux secteurs, la dangerosité n’intervient pas pour écarter femmes et enfants – dès l’âge de six ou sept ans pour ces derniers – de certains emplois... La mécanisation, avancée comme ligne de partage, n’interviendra en tant que telle que dans les années 1870-1880, et seulement dans certains secteurs. Auparavant, on trouve à l’origine d’un atelier ou d’une usine un ou plusieurs entrepreneurs – souvent d’anciens ouvriers – qui bénéficient de l’aide en capitaux de la famille ou d’amis. La mécanisation étant peu poussée, l’investissement est faible et les profits permettent de réinvestir facilement. C’est seulement lorsque le matériel se perfectionnera trop rapidement pour que les petits entrepreneurs puissent le renouveler, lorsque les capitaux de départ seront trop importants que se figera l’ascension sociale. S’il faut une frontière bien visible, elle est donc à chercher essentiellement du côté du mode de production qui différencie nettement l’usine de l’atelier. L’ATELIER, HERITAGE DE L’ANCIEN REGIME L’atelier du XIXe siècle est l’héritier direct de l’artisanat pré-industriel qui avait essaimé sur l’ensemble du territoire. Cette dissémination à travers le pays se poursuit à l’âge industriel. Toutefois, quelques poches de concentration se rencontrent dans de grandes villes telles que Paris, Lyon, Saint-Étienne, ou dans les bassins de main-d’œuvre que sont les Cévennes, les alentours de Troyes, le Cambrésis ou la Vendée. Ces petites entreprises, individuelles ou familiales, « en chambre », c’est-à-dire à domicile, ou non, dominent encore à la fin du siècle dans trois secteurs : les industries alimentaires, le travail des étoffes et du bois, activités peu mécanisées, pour lesquelles la concentration n’est pas source d’avantages en termes de rentabilité. La fabrication de la chaussure dans le Cher, du gant à Millau, de l’horlogerie dans le Jura..., se fait dans ce cadre. En ville, l’atelier est intégré au tissu urbain, il est souvent même situé au cœur de la cité. À la campagne, il vient en complément des activités agricoles : les paysans profitent des temps morts laissés par le rythme des saisons pour augmenter leurs revenus. Ainsi les bûcherons ou les paysans jurassiens travaillent-ils durant l’hiver dans des scieries, des menuiseries ou à domicile dans l’horlogerie. L’atelier n’a pas fondamentalement changé depuis l’Ancien Régime. Une arrièreboutique, un logement, un hangar suffisent à planter le décor. Nombre de descriptions de l’époque évoquent un espace confiné, sale et bruyant, tantôt surchauffé, tantôt humide, une surface réduite, où chacun s’active. L’inconfort et l’extrême dénuement s’imposent comme une réalité du premier XIXe siècle, notamment pour les travailleurs à domicile. Ainsi le docteur Villermé, visitant les ouvriers du textile à Lille, a laissé une description devenue classique des caves de la rue des Étaques : « Leur mobilier ordinaire se compose, avec les objets de leur profession, d’une sorte d’armoire ou d’une planche pour déposer les aliments, d’un poêle, d’un réchaud en terre cuite, de quelques poteries, d’une petite table, l’expansion économique de l’Europe dans le monde. » L’atelier Qu'il soit rural ou urbain, lyonnais comme celui des canuts, ou bourguignon, comme pour cette forge du Châtillonais, l'atelier domine le paysage du travail manufacturier dans la première moitié du XIXe siècle. Même en Angleterre, pourtant à la pointe de la modernité, les ouvriers d'ateliers représentent encore la majorité. Le monde de l'atelier présente, en effet, de nombreux avantages pour l'industrialisation naissante. Familial et domestique, il permet la soustraitance de la production pour les entrepreneurs, ce qui diminue les risques : en cas de crise, le chômage est ainsi diffusé hors de l'entreprise, et en période de forte production, on n'a pas à se préoccuper d'embauche. Il offre donc une grande souplesse de redéploiement jusqu'au fin fond des campagnes, une garantie d'adaptation aux besoins du marché, ainsi qu'une garantie de prix de production bas en raison de la concurrence entre tous les ateliers, depuis que les contraintes des règlements corporatifs ont été supprimées par la Révolution. Mais, s'il est particulièrement bien approprié pour l'industrie textile, tant qu'elle emploie le métier manuel, l'atelier est dépassé dans le cadre d'une industrialisation basée sur les gisements de matière première pondéreuse, ou lorsque la production se mécanise. Les nouvelles machines, en particulier à partir du moment où elles sont mues par la vapeur, imposent un site autour duquel la maind'oeuvre est regroupée. Certes, les protofabriques, comme celles d'indiennes avant la vapeur au XVIIIe siècle, avaient déjà regroupé les ouvriers, mais désormais cela devient indispensable lorsqu'il s'agit de filatures utilisant des mule jennies. La sidérurgie illustre idéalement cette voie d'avenir pour l'industrie. Les usines de Manchester, comme celles du Creusot, regroupant des centaines d'ouvriers autour de leurs hauts-fourneaux et de leurs marteauxpilons, n'ont plus grand-chose à voir avec les forges artisanales faisant vivre un maître-forgeron et son aide autour de leur marteau hydraulique. Les rois de l’acier La famille de Wendel, symbole de la sidérurgie lorraine durant deux siècles, est typique de la très grande entreprise française et de la participation des anciennes élites à l’industrialisation du pays. Le fondateur de la dynastie, Jean-Martin Wendel (anobli en 1719) achète une forge entourée de bois à Thionville, en 1704. Ses descendants agrandissent l’entreprise par des achats successifs de mines de fer et de 39 de deux ou trois mauvaises chaises, et d’un sale grabat dont les seules pièces sont une paillasse et des lambeaux de couverture. [...] Père, mère, vieillards, enfants, adultes s’y pressent, s’y entassent. » UN SAVOIR-FAIRE VALORISE Dans l’atelier, l’espace est indifférencié : la distinction entre vie familiale et travail est inexistante. Le patron, aidé par un ou deux ouvriers et par un apprenti, travaille souvent à leurs côtés et de la même façon qu’eux, dans la même pièce, partageant également les mauvaises conditions de travail et de vie. La journée est longue (voir Repères), mais les pauses se multiplient. En général, l’outillage et la mécanisation restent limités et le corps humain est mis à rude épreuve. À Thiers, vers 1870, la coutellerie est toujours produite dans des ateliers où « les moyens mécaniques n’ont pas encore une grande importance. [...] On comprend en effet que la variété infinie des modèles est un obstacle à l’emploi des machines. Le forgeage, la trempe, l’émoulage, l’aiguisage et le polissage n’ont rien de particulier. Ces opérations sont faites au marteau, à la lime et à la meule 2 ». Au fil du siècle, cependant, l’atelier se dote de machines nouvelles ; de machines à coudre, par exemple, y compris chez les travailleurs à domicile. Mais le travail est peu subdivisé, le même ouvrier étant responsable de plusieurs opérations successives. Dès lors, dans l’ensemble, le travail reste valorisant, car il est le fruit du savoir-faire de l’ouvrier, qui a connu un long apprentissage. Un savoir-faire et une compétence qui lui confèrent une certaine autonomie et qui le mettent à l’abri, au moins en partie, des pressions patronales. L’USINE, SYMBOLE DE L’INDUSTRIALISATION Si l’atelier est un des éléments de l’industrialisation, l’usine en est le symbole, l’espace spécifique de l’âge industriel. Son ancêtre, la manufacture – l’usine sans machines – avait opéré dès l’Ancien Régime la concentration de la production sur un même lieu, avec un grand nombre d’ouvriers. La manufacture de toiles de Jouy-en-Josas, fondée en 1759 par Oberkampf, et implantée à la campagne, en est un exemple significatif. Au XIXe siècle, l’usine se caractérise, comme la manufacture, par des effectifs importants, mais elle s’en distingue par une production massive en série et par le machinisme. Même si elle s’impose d’abord dans les secteurs où la mécanisation est facile et peu coûteuse, dans ceux où elle peut se développer progressivement à partir du petit atelier. Ainsi, dans le textile, elle touche le tissage avant de gagner la filature qui exige des machines plus performantes. Cependant, plus on avance dans le siècle, plus la société s’industrialise et plus les capitaux de départ deviennent importants. Aussi les fondateurs d’usines sont-ils souvent des héritiers de rentiers ou de maîtres de forges, comme la famille de Wendel qui domine la sidérurgie française durant deux cents ans (voir encadrés supra). Les principales zones d’implantation sont le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine et les Vosges, les régions lyonnaise et grenobloise, celles de Carmaux et d’Albi, la Normandie et la région parisienne. Elles coïncident avec un certain nombre de facteurs locaux particulièrement favorables : lieux d’extraction ou d’arrivée des matières premières, mais aussi réservoirs de main-d’œuvre et de savoir-faire. La concentration des unités de production qui s’accélère à la fin du siècle privilégiera une France du Nord, de l’Est, les régions lyonnaise et parisienne, au détriment d’une France méridionale et centrale : ainsi les sites industriels de Mazamet ou Decazeville, par exemple, périclitent à la fin du siècle. AU TEMPS DES CHATEAUX D’INDUSTRIE D’abord construites dans les bourgs ou dans les villes, les usines rejoignent bientôt les faubourgs puis la banlieue. Trois avantages à cela : les terrains y sont moins chers, et l’on cherche à écarter du centre de la ville d’une part des activités polluantes, d’autre part une population agitée. C’est ainsi que l’usine va peu à peu engendrer un espace spécifiquement industriel : lieux de production, entrepôts, gares et voies ferrées, routes et docks. Les caractéristiques propres aux usines, c’est bien sûr leur emplacement, mais aussi leur taille et leur architecture. Encore largement ouvertes sur l’extérieur durant les deux premiers tiers du siècle, elles sont ensuite bien souvent enfermées derrière de hauts murs ou de hautes grilles, un enfermement très mal perçu par les ouvriers. L’usage de matériaux spécifiques se généralise au fil du siècle, matériaux eux-mêmes largement issus de la révolution industrielle : fer, fonte, verre et brique. Une architecture particulière naît de ces besoins nouveaux. Lorsque l’industrialisation arrive à maturité, certains patrons et certains architectes recherchent une esthétique et une monumentalité qui singularisent et charbon et, à chaque étape de l’évolution des techniques, adoptent rapidement les nouveaux procédés de transformation de la fonte. Les usines de Wendel sont synonymes de gigantisme : leur production est passée de 6 000 tonnes de fonte en 1828, à 135 000 en 1850 ; en 1828, elles employaient 325 personnes, elles en comptent 7 000 en 1870 (dont 800 mineurs de fer et 1 400 mineurs de houille). Autour des usines lorraines de Hayange, Stiring, Moyeuvre, Jœuf, les de Wendel ont développé une politique paternaliste de type catholique : garantie, pour leurs ouvriers et employés, et de père en fils, d’un emploi dans les usines du groupe jusqu’à la crise des années 1930 ; construction de cités ouvrières, d’écoles (tenues par des religieux), de jardins publics, d’églises... Jusqu’à la Première Guerre mondiale, la soumission des ouvriers était de règle et la vie syndicale muselée. La longévité de la dynastie repose sur un savoirfaire technologique et commercial, sur une politique familiale vouée à l’entreprise (consolidation de la « maison » par l’apport des dots des belles-filles, par le choix de gendres ingénieurs des Mines...) ainsi que sur une aptitude certaine à faire face aux aléas politiques et nationaux (Révolution française, guerres napoléoniennes, annexion de la Lorraine par Bismarck, etc.). Une puissante famille du Nord La famille Motte est à l’origine de grandes usines textiles du Nord de la France qui ont employé des milliers d’ouvriers au XIXe siècle. Le fondateur de la dynastie, Motte-Brédard, est fils d’un marchand-peigneur de Tourcoing : les capitaux initiaux proviennent donc du négoce. Motte-Brédard se retirant assez vite des affaires, ce sont ses fils qui construiront un véritable empire. Louis Motte-Bossut (1817-1883), d’abord, qui fonde en 1843, avec ses capitaux, la dot de sa femme et les apports de son oncle et de son beau-frère, une filature de coton à Roubaix. Puis Étienne, son frère, après des études de droit, revient dans le Nord et implante une filature de laine à Tourcoing. Le troisième frère, Alfred Motte-Grimonprez (1827-1887) crée des usines de teinturerie pour le textile à Roubaix. La génération suivante, notamment en la personne de Louis Motte, poursuit la marche vers la modernité en construisant à Roubaix une usine de six étages, tout en fer et en brique, de style « féodal flamand ». La dynastie a perduré à travers le gigantisme des usines et grâce à une politique familiale de l’entreprise. Les capitaux réinvestis, le souci du travail et de l’économie personnelle, l’adoption des nouveaux brevets techniques, les mariages qui permettent d’étendre l’industrie, l’association avec de jeunes 40 agrémentent le bâtiment de l’usine. C’est ainsi que l’on voit se dresser de véritables « châteaux d’industrie ». Par exemple, la filature Motte-Bossu à Roubaix, qui comporte 300 fenêtres, des tours crénelées, des façades à pignons à redents, ou la chocolaterie Menier à Noisiel, qui atteste également de cette esthétique ostentatoire. Et les hautes cheminées en brique (108 mètres à Rive-deGier) qui marquent symboliquement le territoire de l’usine, s’imposant dans le paysage, et crachant à longueur de temps leur fumée, vont bientôt perdre leur caractère austère. On voit, en effet, se dresser çà et là des cheminées tulipées et baguées, décorées de faïences, comme à Anzin (1863). Toutefois, la majorité des usines n’a pas bénéficié d’une telle ornementation et l’usine demeure repérable, avant tout, par de vastes bâtiments en brique et par les matières premières entreposées autour. Au fil du XXe siècle, la concentration industrielle, amorcée après la Première Guerre mondiale, s’accélère et l’usine endosse l’identité industrielle, reléguant l’atelier à une image passéiste, usurpée en réalité. En effet, dans bien des régions, l’atelier perdure jusqu’à nos jours, même s’il est davantage cantonné au secteur artisanal ou à la sous-traitance. II. Villes La croissance et l’urbanisation de populations qui sont mieux nourries et mieux soignées. Le nombre des villes augmente. À partir des années 1880, la croissance urbaine profite surtout aux cités les plus importantes. Les lignes de chemin de fer, les tramways, les trolleybus, le métro, l’automobile favorisent l’extension de l’espace urbain et la naissance des banlieues. On construit énormément pour héberger ces populations venues des campagnes ou de pays plus lointains (immigration étrangère aux États-Unis et en France). Les rues et les avenues s’élargissent et sont bordées de nouveaux bâtiments qui offrent un niveau de confort bien supérieur à ce qui existait auparavant. Aux États-Unis, un paysage urbain nouveau surgit avec l’apparition des gratte-ciel pour lesquels se généralise l’emploi du béton, du verre et de l’acier. Le dynamisme des grandes agglomérations, dont New York devient le symbole, n’entraîne pas pour autant la disparition de la ville provinciale traditionnelle. Mais la ville industrielle inquiète, car elle concentre la brutalité des inégalités sociales qu’engendre la société capitaliste : les « beaux quartiers » font face aux faubourgs populaires, les centres-villes dégradés deviennent aux États-Unis des « ghettos » qui contrastent avec les lotissements cossus des banlieues résidentielles destinées aux classes moyennes. Le contrôle de la croissance urbaine et la question du logement populaire préoccupent de plus en plus les pouvoirs publics. Les plus grandes agglomérations, à quelques exceptions près (Rome, Los Angeles...), sont aussi de grands foyers industriels. Ces cités sont bien reliées aux grandes lignes ferroviaires, certaines sont des ports internationaux (New York, Hambourg). Elles constituent des marchés importants et des réservoirs de maind'oeuvre pour le secteur manufacturier. La taille de ces grandes agglomérations s'explique par une industrialisation qui, en attirant les travailleurs des campagnes, a favorisé leur essor démographique. En Europe, les capitales, sièges du pouvoir politique, qui concentrent les plus hauts revenus et qui sont des carrefours majeurs sur leur territoire, jouent un rôle essentiel. L’industrialisation de l’Europe occidentale entraîne une poussée de l’urbanisation, alimentée par l’exode rural et l’immigration. Dans les régions minières ou les vallées alpines, les villages se transforment en petites villes. Les petites villes grossissent pour devenir des pôles urbains et industriels. Enfin, de grandes villes structurent de vastes régions industrielles. Autour des grandes villes, les banlieues s’étalent, elles accueillent la main-d’oeuvre « déracinée » de l’industrialisation. Localisés à l’origine à proximité des gisements de charbon ou de fer et autour des grands foyers de main-d’oeuvre, les bassins industriels vont, au fil des années, opérer un glissement vers les littoraux. Cette nouvelle localisation traduit une internationalisation croissante des économies. De plus, le XXe siècle voit émerger de nouvelles régions industrielles, en particulier en Europe de l’Est. À partir de 1850, les chemins de fer vont se déployer sur toute l’Europe, permettant une mobilité croissante des hommes et des activités. talents, l’extension par des filiales jusqu’en Russie, l’implantation de comptoirs coloniaux sont les armes de cette dynastie. Les Motte tissent à travers le siècle et l’Europe un réseau dense d’amis et d’informateurs dans les sphères industrielles françaises ou étrangères. Les fondateurs oscillent entre la devise familiale « Aide-toi, le ciel t’aidera » et celle d’Alfred Motte, « Dieu et la République ». Catholiques pratiquants, les Motte mènent une politique paternaliste : bonnes œuvres florissantes et syndicats bâillonnés. La ville industrielle naît en Angleterre La Grande-Bretagne est le laboratoire de la nouvelle Europe industrielle et urbaine, aussi a-t-elle attiré tous les esprits critiques du temps qui cherchent à y forger ou à y confirmer leurs analyses. Il est donc tout à fait logique que ses villes industrielles aient suscité l'attention d'un essayiste social comme Eugène Buret, d'un penseur socialiste comme Engels (qui resta vingt mois à Manchester et en rapporta La Situation des classes laborieuses en Angleterre, véritable ouvrage de combat) et d'un libéral emblématique comme Tocqueville qui en nourrit son carnet de notes personnelles. Ils ne furent pas seuls et on pourrait aussi évoquer le cas de Flora Tristan et de ses Promenades dans Londres. Dans les années 1830-1840, les villes britanniques connaissent toutes les effets de l'industrialisation. Qu'elles soient d'anciennes cités de premier plan, comme la capitale, ou de modestes bourgs gallois comme Cardiff, elles s'accroissent dans des proportions inconnues jusqu'alors. Dès 1850, l'Angleterre compte plus d'urbains que de ruraux. L'essor de l'industrie est bien le moteur essentiel de cette croissance, ainsi que le vérifie l'augmentation plus rapide des agglomérations manufacturières. Or, cet effet de massification, qui fait exploser les villes, s'accompagne d'une toute nouvelle répartition de la population. À l'habituelle mixité sociale des villes, dans lesquelles les regroupements s'effectuent plutôt par métiers que par quartiers, succède une ségrégation sociale radicale. Elle a marqué les contemporains, libéraux ou socialistes, car on ne l'observe pas encore à Paris, où les classes se répartissent selon les étages dans un même immeuble. Les contrastes se lisent désormais dans l'espace urbain. Engels, Buret ou Tocqueville le constatent. Quittant leurs demeures prises dans le tissu urbain ancien, les élites se regroupent dans les beaux quartiers, souvent situés à l'ouest des villes en raison des vents dominants, ce qui les met à l'abri des fumées nauséabondes de l'industrie. Le West-End naît à Londres, joignant les attraits du confort et de la représentation sociale aux mérites des 41 L’Europe du Nord et de l’Ouest, plus industrialisée, est aussi celle où le maillage est le plus dense. L’aspect le plus essentiel de l’urbanisation de l’Europe entre 1850 et 1938 est la concentration croissante de la population dans les plus grandes villes. Ce sont le Royaume-Uni et l’Allemagne qui connaissent la plus forte urbanisation. Les villes allemandes et britanniques sont, de loin, les plus nombreuses d’Europe en 1913. L’analyse fait apparaître, loin derrière, la France et l’Italie, dont les grandes villes suivent une croissance presque exactement identique entre 1850 et 1913. Londres, Berlin et Paris sont d’ailleurs – avec Moscou – au sommet de la hiérarchie des villes d’Europe en 1938. La croissance des villes millionnaires est le phénomène majeur de la période. Très largement minoritaires en 1850, les villes de plus de 400 000 habitants se répandent dans pratiquement tout l’espace européen. Les villes de plus de 100 000 connaissent une croissance également spectaculaires : la population de ces villes représente un quart de la population européenne de 1913 alors qu’elle n’en représentait qu’un vingtième en 1850. Les régions les moins touchées par la croissance des grandes villes sont les parties de l’Europe les moins concernées par l’industrialisation du continent : un fort contraste apparaît en effet entre le nord-ouest et le sud et l’est de l’Europe, où seules les capitales apparaissent. Dominé par les villes d’Asie en 1800, le sommet de la hiérarchie urbaine mondiale est très clairement devenu européen et nordaméricain en 1900 : alors que 6 villes asiatiques – 3 chinoises et 3 japonaises – faisaient partie des dix plus grandes villes du monde en 1800, seule Tokyo se maintient dans ce groupe en 1900. À l’inverse, l’Europe, qui place à cette date 7 de ses villes dans les 10 premières du monde, n’en avait que 4 – dont Constantinople – en 1800. Les États-Unis quant à eux commencent seulement en 1900 à placer leurs villes millionnaires dans les premières du monde. Les deux modes de croissance des villes (horizontale et verticale) L’augmentation de la population provoque une double croissance des villes qui s’étendent dans l’espace en annexant les communes limitrophes et en étendant leur influence sur les banlieues. L’afflux de population résultant de l’exode rural entraîne la croissance des villes qui annexent les communes environnantes. Les villes se développent le plus souvent le long des grands axes de transports, fleuves et surtout voies de chemin de fer. Mais les villes grandissent aussi en hauteur puisque le centre doit accueillir une population sans cesse plus nombreuse. On peut penser aux immeubles haussmanniens et évidemment aux gratte-ciel. Ces derniers sont aussi une expression de la maîtrise technique et de la puissance. La mise au point de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux rend possible la construction des gratte-ciel. Aux Etats-Unis, les structures sont plus résistantes grâce à l’amélioration de l’acier et au ciment Portland. L’invention et le perfectionnement des ascenseurs (Westinghouse) rendent la circulation verticale aisée et confortable. L’Equitable Building est à l’origine de la Zoning Resolution, un code d’urbanisme par lequel la municipalité réglemente la hauteur des immeubles. Pour éviter d’obscurcir la rue, les architectes doivent désormais dessiner des buildings à gradins. La diversité des paysages urbains Le phénomène de ségrégation spatiale touche les grandes villes, tel qu’il a été analysé, par exemple, par les sociologues de l’École de Chicago (Robert E. Park). Pour ces derniers, la ville, qui accueille en permanence de nouveaux arrivants, n'est pas dominée, comme le village, par une communauté unie par sa culture. La ville est un puzzle composé de groupes structurellement et sociologiquement différents. Ces groupes se répartissent dans l’espace urbain selon un processus permanent de filtrage et de regroupement. La ville est donc un assemblage de zones et de quartiers, distincts et complémentaires. Cette coupe permet de mettre en évidence la ségrégation sociale qui existe à l’intérieur d’un immeuble puisque les premier et deuxième étages sont réservés à une population aisée, alors que les étages supérieurs, dont les combles, sont destinés aux classes populaires, aux domestiques voire aux indigents. Le rez-dechaussée est souvent à destination commerciale. La naissance de l’urbanisme nouveaux préceptes de l'hygiène. Mais c'est le développement anarchique des quartiers populaires, tel que ceux de l'East-End londonien, qui préoccupe les observateurs. Plus exactement, leur inquiétude provient de la paupérisation à laquelle ils assistent. La « misère » est le mot commun de ces descriptions, bien illustrées par le cliché de Glasgow, qu'elle soit « digne capitale » pour Burdet, soeur du « vice » pour Tocqueville, ou « la plus crasseuse » pour Engels. Encore convient-il de noter que, pour ce dernier, une telle urbanisation, loin d'être une conséquence involontaire de l'industrialisation, est le fruit d'« un souci méthodique » des catégories dominantes. Une des premières HBM C’est en 1889, au cours de l’Exposition universelle, qu’un Congrès des habitations ouvrières crée l’appellation « habitations à bon marché ». La loi Siegfried de 1894 encourage la création de sociétés HBM par des exemptions d’impôts et l’ouverture de crédits. Mais aucune obligation n’est imposée, aussi le développement est très lent (18 sociétés entre 1896 et 1906). En 1912, la loi Bonnevay offre la possibilité aux communes de créer des Offices publics d’HBM. Habitations à bon marché (HBM), Aubervilliers, 1935 À partir de la fin du XIXe siècle, la vie du petit bourg rural est bouleversée par l’industrialisation. Des Belges, des Lorrains, des Alsaciens, des Bretons, des Espagnols, des Italiens arrivent par vagues successives. La ville d’Aubervilliers connaît un important essor dans l’entre-deux-guerres car les ouvriers préfèrent habiter la banlieue, moins chère que la capitale. Elle bénéficie alors de deux grands programmes de construction d’habitations à bon marché. Dès 1929, un groupe d’habitations à bon marché (186 logements et 4 boutiques) est édifié avenue Jean Jaurès par la Société Anonyme d’HBM d’Aubervilliers. Puis, en 1931, commence la réalisation d’un groupe d’habitations à bon marché (110 logements) rue de la Goutte d’Or et rue Bordier par l’Office Public d’HBM d’Aubervilliers. CHICAGO, UNE VILLE-CHAMPIGNON Née de l’industrialisation, la grande ville américaine fascine ses contemporains. Elle est un laboratoire social pour les sociologues, un lieu d’expression privilégié pour les architectes et les urbanistes. Chicago est la ville américaine qui connaît la croissance la plus spectaculaire avec New York, puisque sa population est multipliée par 143 entre 1850 et 1930. Chicago est située au bord du lac Michigan dans un site de plaine qui n’oppose aucun 42 Le terme d’urbanisme, science de l’organisation spatiale des villes, apparaît dans la langue française en 1910. Sa constitution en tant que discipline autonome résulterait des réflexions et écrits de l’ingénieur et architecte espagnol Cerda : Téoria général de la urbanizacion (1867). Dans les années 1920, la ville est critiquée pour son organisation sociale et ses conséquences sur les modes de vie mais aussi pour ses tares esthétiques. Les destructions de la Première Guerre mondiale semblent rendre possible la construction de nouvelles villes. Ainsi, Le Corbusier, qui souhaite agir sur l’ensemble du processus urbain, se prononce pour la solution radicale de la table rase. Il propose des plans de villes élaborés selon un quadrillage strict et découpés en zones d'activités distinctes. Charles-Édouard Jeanneret (1887-1965), dit Le Corbusier, est un grand architecte, urbaniste, peintre et théoricien de l’art d’origine suisse. Il a renouvelé l’architecture en fonction de la vie sociale et utilisé des volumes simples (influence du cubisme) articulés avec une grande liberté (interpénétration des espaces). Il s’impose progressivement comme le maître de l’architecture contemporaine. Lotissement construit par Le Corbusier à Pessac (banlieue de Bordeaux) en 1925 Dans ce modeste lotissement de Pessac de 1925 apparaissent déjà les principes essentiels de Le Corbusier : – l’importance des lignes géométriques épurées ; – des façades libres aux couleurs vives (cf Mondrian et le purisme en peinture) ; – des fenêtres courant en bandeaux horizontaux sur toute la largeur du mur ; – des toits terrasses parfois agrémentés de jardins ; – l’utilisation d’éléments préfabriqués en béton armé. On pourra préciser que, pour répondre aux besoins nés des destructions de la Première Guerre mondiale, Le Corbusier met au point un procédé nommé « Dom-Ino », permettant la réalisation de projets les plus divers à partir d’éléments préfabriqués combinables. Tout au long de sa carrière, il utilise et améliore ce système. On peut en outre signaler que la construction de cette banlieue de Bordeaux en 1925 préfigure la Charte d’Athènes que l’architecte énonce en 1933 et qui préconise la nette séparation dans les métropoles des quartiers suivant leur fonction : – les zones résidentielles : immeubles-villas (le cas ici) ; – les zones d’activités économiques : gratte-ciel ; – les espaces verts et les voies de circulation principales. Le problème posé par l’urbanisation est celui de la très forte concentration humaine sur un espace réduit. Cette concentration pose de manière aiguë le problème de l’hygiène. En outre, la taille des villes, le lien qui existe avec les banlieues, posent la question de la circulation. Les villes ne sont plus désormais à l’échelle du piéton. La construction de grandes avenues bordées d’arbres et d’immeubles de plusieurs étages permet de répondre en partie à ces différents problèmes. Grâce à la largeur des avenues, l’air et la lumière circulent plus facilement. Les alignements d’arbres permettent de constituer un maillage végétal reliant les différents parcs et squares réalisés dans la capitale. Enfin, les grands immeubles permettent d’accueillir un plus grand nombre d’habitants. En revanche, les travaux d’Haussmann ne répondent pas du tout au problème de la ségrégation spatiale. Au contraire, ils lui donnent naissance puisque les ouvriers voient leurs quartiers détruits par les grands travaux et doivent migrer vers les espaces du Nord et de l’Est, chassés du centre par des loyers devenus trop élevés. Le Corbusier repense l’habitation. Adoptant un système constructif dit du casier à bouteille, il construit des appartements à l’intérieur d’une structure de fer et de béton armé. S’inspirant du modèle du couvent, il cherche, dans ses immeubles à établir un équilibre entre la vie privée et la vie collective. Il prévoit de grandes barres d’habitations, qui peuvent donc permettre d’accroître la densité. Ces grandes unités peuvent être dotées d’équipements collectifs : écoles, commerces, etc. Pouvant accueillir un grand nombre de citadins, ses grandes unités d’habitation permettent de réserver un espace important aux espaces verts et aux axes de circulation. Pour Le Corbusier, les espaces verts doivent être présents partout dans la ville afin que tous les citadins puissent en permanence disposer d’un espace de repos et de récréation. L’Exposition universelle de 1900 Organisée onze ans après l’exposition universelle qui a célébré le centenaire de la Révolution Française, l’exposition de 1900 célèbre tout à la fois l’entrée dans un nouveau siècle et la prospérité retrouvée de l’économie française. Marquée par de multiples événements – dont l’organisation des Jeux Olympiques – cette obstacle naturel à l’extension de la ville. Le seul risque majeur est une possible inondation, l’environnement marécageux des bords du lac complique aussi l’installation des égouts. On distingue trois étapes dans la croissance démographique de Chicago. De 1850 à 1880, la croissance est relativement lente puis, entre 1880 et 1930, elle s’accélère justifiant ainsi le qualificatif de ville-champignon. C’est pendant cette période que la cité dépasse le million d’habitants et devient la 2e ville des États-Unis. Après 1930, la population a tendance à stagner à un peu plus de 3 millions d’habitants. Chicago n’est en 1840 qu’une petite ville de 5 000 habitants. Elle connaît une croissance fulgurante grâce au développement d’infrastructures de transports. Les travaux du canal de l’Illinois lui font atteindre les 30000 habitants en 1850. Mais c’est l’arrivée du chemin de fer en 1852 qui fait exploser sa croissance (110000 habitants en 1860). Chicago est un des principaux carrefours ferroviaires des États-Unis. La ville est aussi un noeud majeur de communication pour la navigation. En effet, son port reçoit des navires de haute mer grâce aux canaux creusés entre les Grands Lacs et le fleuve Saint Laurent. Son port communique avec celui de New York, grâce au canal de l’Érié, et avec le fleuve Mississippi, ce qui rend faciles les liaisons fluviales avec le sud du territoire américain. Cette position de carrefour de Chicago lui permet d’être une place commerciale de premier ordre : premier marché de bois de l’Amérique du Nord, premier marché de grains et de viandes. Les industries agro-alimentaires sont donc très développées (immenses abattoirs, minoteries...) mais la ville a su diversifier ses activités manufacturières dans de nombreux domaines (raffineries, machines agricoles...). Le grand incendie de Chicago, qui détruit, en 1871, une grande partie du centre-ville et qui rend nécessaire sa reconstruction, fait émerger une nouvelle approche de la construction d’immeubles. Ce nouveau style devient un modèle de développement urbain pour toutes les villes américaines. Les gratteciel de plus de 100 mètres constituent la grande nouveauté de l’après-guerre. Un des plus célèbres, la Tribune Tower, a une architecture inspirée de la « tour de beurre » de la cathédrale de Rouen élevée entre le XVe et le XVIe siècle en style gothique flamboyant. La ville de Chicago est organisée comme la plupart des grandes villes américaines selon un plan en damier. Les rues principales se coupent en angle droit, délimitant des blocs d’immeubles. Le centre ville est caractérisé par la présence d’immeubles de grande taille appelés gratte-ciel. Ce choix urbanistique s’explique essentiellement par le 43 manifestation est aussi l’occasion de souligner le rayonnement international de la France. Le site de l’exposition, installé sur 112 hectares entre les Invalides et le Champ-de-Mars et dominé par une grande roue haute de 100 mètres, accueille plus de 50 millions de visiteurs entre avril et décembre 1900. Après l’exposition de 1889 qui laisse la tour Eiffel dans le paysage parisien, l’exposition de 1900 est marquée par de nombreuses réalisations, toutes marquées par le triomphe de l’architecture métallique, dont les plus remarquables sont le Grand et le Petit Palais, la gare d’Orsay et le pont Alexandre III, ainsi baptisé en l’honneur du Tsar d’une Russie devenue le principal allié de la France. Moins durable, l’exposition elle-même n’en est pas moins aussi spectaculaire : couvrant 135 hectares entre le Champ-de-Mars, les Invalides et le Trocadéro, elle se compose de pavillons nationaux et thématiques, donnant à voir l’ensemble des techniques et des réalisations de la Belle Époque. Les grands magasins, un nouvel art de vendre Au XIXe siècle, l’essor des villes et des transports, l’élévation du niveau de vie et le développement de la production en série conduisent à une révolution commerciale. À la date du texte, il existe de nombreux grands magasins à Paris : la Belle Jardinière (1824), les Trois Quartiers (1829), le Bon Marché d’Aristide Boucicaut (1852), les grands magasins du Louvre d'Auguste Chauchard et d'Alfred Hériot (1855), le Printemps (1865). D'autres apparaissent plus tard : les Galeries Lafayette (1895), le Bazar de l’Hôtel de Ville (1904), la Samaritaine (1904). L’originalité des grands magasins se définit par une formule de vente nouvelle. Elle comprend notamment le prix fixe et étiqueté des articles supprimant le marchandage, la recherche du meilleur rapport qualité-prix en réduisant la marge bénéficiaire (le profit est obtenu grâce à l’accroissement des ventes), l’usage de la « réclame » et la pratique du retour pour faciliter l’achat. Jean-Louis Félix Potin (1820-1871) a ouvert son premier magasin d’alimentation à Paris en 1844. Il y propose des produits de bonne qualité avec une marge réduite. Le succès rapide lui permet d’ouvrir de nouveaux magasins sur les grands boulevards. Celui du boulevard Sébastopol est la première grande surface d’épicerie. La photo des employés du magasin Félix Potin pointe la diversité des groupes et des fonctions : vendeurs, manutentionnaires, livreurs. Le responsable du magasin est présent (assis sur une chaise). manque de place et le prix élevé des terrains au coeur de la cité. Le plan en damier et les blocks bien distincts (avec des rues perpendiculaires à des avenues) sont deux caractéristiques de la grande ville nord-américaine. Cet aspect géométrique s’explique par l’absence de contrainte majeure lors de la construction et de l’extension de la ville : celle-ci est en effet édifiée ex-nihilo (ce n’est pas le cas en Europe ou au Japon) et elle peut s’étendre sur de vastes superficies. Robert Ezra Park donne aussi quelques caractéristiques d’ordre sociologique : la ville mêle les populations de migrants (nous sommes aux sources du mythe du melting-pot) ; les quartiers sont en outre spécialisés : quartier du vice, quartier du crime, quartier industriel ou quartier résidentiel. Chicago est cosmopolite car sa population est composée à 72 % d’étrangers ou de fils d’étrangers. Les migrants sont européens pour la plupart. Ils fuient la misère (Polonais, Italiens, Irlandais) ou la répression politique (Russes, Hongrois, Irlandais). Tous sont attirés par ce « pays neuf » et ses grandes métropoles car ils espèrent y faire fortune. La ville américaine de Chicago est, à cette époque, autant un symbole de modernité avec ses gratte-ciel qu’un lieu emblématique des problèmes urbains provoqués par une expansion accélérée (cf. La jungle d’Upton Sinclair, roman publié en 1906). Le contraste est saisissant entre la modernité des gratteciel avec leurs ascenseurs et le manque d’entretien d’une voirie défectueuse, le réseau d’égouts déficient, l’insuffisante présence policière pour régler la circulation. Ces problèmes révèlent un manque d’investissement dans les services publics. Art et fonctions urbaines Inauguré en 1900, le métro parisien est un moyen de transport né de l’industrialisation et des besoins liés à la croissance de la capitale. Afin de joindre l’utile à l’agréable, Hector Guimard fait des bouches de métro de véritables oeuvres d’art, mariage par exemple du fer et du verre. La colonne Morris est à la fois un support artistique – puisqu’elle a pour vocation première d’afficher les programmes de théâtre – et un mobilier urbain fonctionnel – elle abrite des urinoirs ou du matériel appartenant aux employés municipaux. Les villes tentaculaires Poète belge d’expression française, Émile Verhaeren (1855-1916) décrit avec enthousiasme la beauté poétique du monde moderne et la grandeur de l’effort humain. Rallié à un socialisme fraternel, il publie une série de recueils d’un lyrisme puissant, dont Les Villes tentaculaires en 1896. Il devient 44 ainsi le « poète de l’énergie, des nouveaux paysages industriels et des machines ». Les cabarets parisiens Ouvert en 1889, le Moulin rouge devient très vite l’un des plus célèbres cabarets parisiens. Ouvert dans le quartier à la mode de Montmartre, il est fréquenté par tous les publics. Son intérieur délirant, aux décors multiples, l’éléphant de plâtre qui se dresse dans son jardin attirent autant les visiteurs que la piste de danse gigantesque, sur laquelle se déroulent les spectacles de « french cancan » bientôt connus dans le monde entier et immortalisés, entre autres, par Toulouse Lautrec. À partir de 1902, le Moulin rouge devient un music-hall, où sont montées de nombreuses opérettes et où la chanteuse Mistinguett fait ses débuts en 1907, avant de devenir une salle de cinéma dans les années 1930. Une capitale des plaisirs Ouvert en 1869, sous le nom de « Folies Trévise », les Folies Bergère – du nom de la rue où le cabaret est installé – se rend rapidement célèbre par ses spectacles musicaux, en particulier ses opérettes, et par ses spectacles dansés. À partir des années 1880, le music-hall se lance dans une surenchère d’attractions de plus en plus spectaculaires et devient, à la Belle Époque, un lieu réputé pour ses « revues ». Les Folies Bergère, immortalisées par un tableau de Manet, deviennent alors l’un des endroits les plus renommés de Paris Une capitale de la mode Fondé en 1865, Le Printemps est avec La Belle Jardinière, le Bon Marché, la Samaritaine et les Galeries Lafayette l’un des « grands magasins » qui font la renommée de Paris à la Belle Époque. Fondés sur l’idée – minutieusement décrite par Zola dans Au Bonheur des Dames – d’offrir à leur clientèle le choix le plus large des produits les plus divers, ces premiers temples de la consommation se livrent à une concurrence acharnée pour attirer les clients les plus fortunés. L’affiche publicitaire du Printemps souligne l’ampleur de ces efforts. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 45 HC – Le Paris d’Haussmann Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : L’oeuvre de Émile Zola : La Curée (1871) sur le Paris Haussmannien Ouvrages généraux : Demier Francis, La France du XIXe siècle, 1814-1914, Le Seuil, 2000, coll. «Points Histoire», p. 163-322. Michel CARMONA, Haussmann, Paris, Fayard, 2000, 647 p. Georges Valance Haussmann le Grand, Flammarion - Grandes biographies 2000, 362 pages Documentation Photographique et diapos : Revues : Le Paris d’Haussmann, Au nom de la modernité, YVES CLERGET, TDC, N° 693, du 1er au 15 avril 1995 Carte murale : Enjeux didactiques (repères, notions et Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des méthodes) : savoirs, concepts, problématique) : Jamais Paris n’aura connu une telle transformation. Hygiène, économie et politique, tels sont les objectifs de Napoléon III. Pendant une vingtaine d’années, la ville sera complètement restructurée ; on démolit, on aménage, on reconstruit sans relâche. Sous la directive du baron Haussmann, voici que surgit une capitale nouvelle qui revendique sa modernité. La bourgeoisie d’affaires s’y installe. Mais, revers de la médaille : la ville « monumentalisée » qu’admirent les visiteurs étrangers va obliger les petites gens à s’exiler dans les faubourgs où se créent de misérables banlieues. Après l’échec de sa tentative de coup d’État en 1836, Louis-Napoléon Bonaparte s’exile momentanément à Londres. Il y découvre les résultats des premiers grands travaux d’aménagements urbains. En effet, dès le début du XIXe siècle, l’architecte John Nash a été chargé de rénover le West End. Regent Street est percée entre 1817 et 1823, les travaux de Trafalgar Square commencent en 1830. Devenu empereur, Napoléon III décide de moderniser Paris sur le modèle de Londres. Il confie la mise en oeuvre de ce projet au préfet de Paris G. Haussmann assisté des ingénieurs E. Belgrand et R. Alphand. Ils doivent rénover le tissu urbain, élaborer un service de distribution des eaux et aménager de nombreux espaces verts. Haussmann a pour mission d’agrandir la ville (annexion de communes en 1860) et de l’embellir (parcs, opéra, immeubles résidentiels bourgeois), tout en l’adaptant aux nécessités d’une grande ville moderne : la circulation est améliorée par les percées, les grandes places et le dégagement des gares ; l’assainissement est amélioré par le réseau des égouts ; halles, abattoirs, aqueduc, magasins prestigieux assurent l’approvisionnement des habitants de la capitale. En s'attachant particulièrement à trois aspects de l'histoire du Second Empire, l'organisation des institutions, la vie des élites et la politique extérieure, Michel Carmona retrace, avec beaucoup de clarté et de maîtrise, la biographie du grand préfet de Napoléon III. Refusant les polémiques qui ont entouré la carrière d'Haussmann, il suit pas à pas les trois volumes de Mémoires que ce dernier a publiés en 1890, nous proposant au total une biographie presque trop lisse de ce personnage controversé. Les débuts d'Haussmann sont typiques de ceux d'un préfet du premier XIXè siècle. Né dans une bonne famille, ayant fréquenté les grands lycées parisiens, cet "héritier" a d'abord dû faire montre d'ambition et d'opportunisme, se lançant dans la carrière préfectorale en 1830, dans l'enthousiasme des Trois Glorieuses. Mais il lui fallut surtout faire ses preuves sur le terrain et dans tous les domaines, au gré d'affectations fort diverses: travaux publics à Saint-Girons, contrôle de l'opposition à Toulon, préparation des élections à Auxerre… car à cette époque, le préfet est plus souvent chargé de représenter la majorité au pouvoir que l'"intérêt général". Ayant réussi à faire accepter le coup d'Etat de décembre 1851 aux Bordelais, Haussmann est, en 1853 -quand Napoléon III et son ministre de l'Intérieur, Persigny, durent choisir un préfet de la Seine capable de mettre en oeuvre leurs 46 projets grandioses pour la capitale- l'un des soutiens les plus fidèles du nouveau régime. La destinée de ce Protestant, athlète retors, finaud et… sans scrupules, épouse alors celle du Second Empire. Deux ou trois années de labeur acharné lui permettent de lancer de grands projets, avec l'appui des Pereire, qui ont flairé les bonnes affaires permises par la transformation de Paris. La décennie 1860 est moins favorable au préfet: les combinaisons juridiques auxquelles il recourt pour financer ses travaux sont attaquées, et la haute banque, Rothschild en tête, prend sa revanche. Le 5 janvier 1870, Haussmann est sacrifié sur l'autel de l'Empire libéral. Michel Carmona est plein de sympathie et de respect pour son personnage, dont il restitue la figure ronde et pleine… jusque dans ses maîtresses. Mais son portrait, parfois trop enlevé, manque par moments de nuances : les historiens de Paris, parmi lesquels Pierre Casselle, se sont récemment efforcés de replacer l'oeuvre d'Haussmann dans la continuité de celle de ses prédécesseurs, montrant comment l'ancien préfet, s'attribuant, pour la commodité de son récit, des choix parfois bien antérieurs, s'est efforcé, dans ses Mémoires, "d'apparaître pour la postérité comme l'interlocuteur indispensable et unique de Napoléon III, seul capable de mettre en oeuvre, voire d'influencer, la pensée du souverain". En faisant fi de ces développements historiographiques, Michel Carmona s'inscrit dans une tradition visant à magnifier l'oeuvre d'Haussmann, la plaçant dans la continuité de celle du Premier Empire (pourtant bien hypothétique, si l'on se réfère au Journal de Fontaine, l'architecte de Napoléon Ier) et sous-estimant celle de la IIIè République. Haussmann a certes organisé les services techniques parisiens, livrant la voie publique aux ingénieurs des grands corps, les immeubles aux Prix de Rome et autres architectes diplômés des beaux-arts, faisant partout triompher luxe et grandeur, ses maîtres mots (devenus un siècle plus tard synonymes du "Paris assassiné" de Louis Chevalier) et contribuant à créer un modèle d'unicité (et d'uniformité). Faut-il, pour autant, faire de ce redoutable adversaire de l'électricité le seul magicien de la "ville lumière" ? Cherchant l'homme derrière l'oeuvre, Georges Valance a rédigé un saisissant portrait psychologique du grand préfet de Napoléon III. L'auteur a souhaité éviter le ton convenu des hommages de circonstance : il précise qu'Haussmann fut d'abord un déclassé, tenté de racheter une carrière administrative calamiteuse sous la monarchie de Juillet par une dévotion aveugle et parfois bornée à Napoléon III, avant de devenir un boulet pour un Empire autoritaire à bout de souffle, lassé des trop fréquents échecs électoraux que lui valaient la politique maladroite du préfet. Servi par un sens consommé de la citation, Georges Valance réussit, avec un incontestable brio, à rédiger un ouvrage décapant sur un sujet qu'on aurait cru rebattu. L'auteur a saisi avec finesse les origines sociales d'Haussmann. Le grand-père du futur préfet ayant préféré renoncer à une confortable carrière industrielle pour rechercher de vaines gloires à la suite de Napoléon, sa famille se retrouva, sous la Restauration, dépourvue de tout dans un monde peuplé de chimères. Obligé de quémander l'appui de cousins devenus soudain prospères, son père, Nicolas, n'occupa jamais que des emplois secondaires. Ruminant avec aigreur la conscience de son déclassement, le jeune Georges-Eugène Haussmann, obtint à vingt-deux ans, grâce à de bonnes études et à l'appui insistant d'un de ses oncles, notable rallié à l'Orléanisme, un poste de secrétaire général de préfecture. Mais Haussmann fut presque toujours mal noté par ses supérieurs. Il lui fallut accepter du ministre de l'Intérieur, pendant vingt longues années, les affectations les plus reculées (jusqu'à Saint-Girons, dans les Hautes-Pyrénées !) au point que, malgré un mariage de raison dans une riche famille protestante qui ne l'accepta jamais, il songea à quitter la carrière administrative pour s'occuper des affaires de son beau-père. Il fallut, après la Révolution de 1848, l'élection à la présidence de la République du petit-neveu de Bonaparte, Louis-Napoléon, pour qu'Haussmann trouvât un chef -dont l'isolement était en quelque sorte semblable au sien- qui voulût bien l'accepter à ses côtés. Une réputation d'autoritarisme maladroit, jointe aux états de services de son grand-père, lui servirent de sauf-conduit dans l'entourage de celui qui, en 1852, un an après le coup d'Etat du 2 décembre 1851, allait rétablir l'Empire. L'auteur exploite avec justesse le dossier personnel du préfet -il est vrai particulièrement riche. Il rappelle les commentaires irrités ou gênés des préfets de 47 la monarchie de Juillet pour un jeune subordonné qui visiblement n'était pas des leurs. Puis, il montre comment Haussmann sut exploiter à son profit la confiance qu'avait placée en lui l'empereur, systématisant au besoin les indications que celui-ci lui donnait, quitte à mécontenter ceux qu'il appelait -en privé- les "masses grossières et stupides d'ouvriers à marteaux". Car Haussmann peut-être sympathique par son originalité, son courage ou sa capacité de travail, appartient à une race d'administrateurs imbus d'eux-mêmes, méprisants et totalement dépourvus de sens politique : se montrant prêt à sacrifier ses protecteurs à ses propres desseins, il abuse de toutes les facilités qu'il croit pouvoir espérer d'un régime parlementaire tronqué, ce qui lui valut de concentrer sur lui les attaques souvent justifiées des opposants à l'Empire… qui finirent par obtenir sa révocation ! Faut-il donc vraiment s'étonner que l'auteur prête au grand préfet, à l'image de l'ancien Premier ministre, Alain Juppé, la "tentation de Venise" ? Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Quand Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la République, le 10 décembre 1848, il prend les rênes d’un pays déchiré par la révolution. Les hommes politiques, les médecins, les prêtres (mais pas les architectes) dressent le tableau dramatique de l’état physique et moral de la nouvelle classe ouvrière qui croît fortement avec la révolution industrielle. En fait, les villes explosent de toutes parts sans aucune maîtrise ; plus grave encore, elles implosent du dedans. Comme aujourd’hui dans les pays en voie de développement, les grandes métropoles industrielles d’alors sont synonymes d’extrême surpopulation et de misère côtoyant la richesse. Alors que les campagnes se dépeuplent, les transports – et tout particulièrement le chemin de fer – font déferler sur les villes les paysans pauvres, devenus un sous-prolétariat déraciné et errant qui constituera « l’armée de réserve » de l’industrie. Louis-Napoléon, exilé à Londres, connaît bien ce phénomène. Adepte de SaintSimon, il croit que l’avenir réside dans des cités hygiéniques, technocratiques et hiérarchisées, où les ingénieurs font régner discipline et ordre. Il ne voit pas là seulement le moyen d’encadrer une classe ouvrière menaçante, mais surtout la nécessité de lutter contre un chaos urbain chaque jour plus scandaleux. Paris notamment offre l’exemple d’une ville où les espaces verts disparaissent au profit de constructions spéculatives, dont les loyers sont exorbitants et où s’entassent les misérables couches populaires. Parallèlement à ce délabrement des quartiers populaires, les « riches » investissent les nouveaux lotissements nantis du nordouest (Chaussée d’Antin, quartier de l’Europe, Nouvelle-Athènes...). Ce « décentrement » de Paris qui sera au cœur de l’analyse et des solutions proposées par Napoléon III s’explique aussi par l’abandon des quartiers où la mortalité due au choléra est à son comble : 1832 et 1848 sont deux dates sinistres communes à Londres et à Paris ; la maladie se répand ici et là comme une traînée de poudre. C’est dans ce contexte dramatique qu’il faut comprendre cet acharnement thérapeutique sur la ville ancienne que l’on veut rendre saine, baignée de lumière, ventilée, pleine de verdure, sans humidité, alimentée en eau pure et avec des égouts clos pour évacuer les souillures... La principale rivale de Paris. Londres, plus grande, est-elle mieux lotie ? Les descriptions d’Engels, de Marx, les témoignages et les gravures de Gustave Doré nous apprennent que non. Des masures s’étirent sans fin dans des conditions d’hygiène effrayantes. Pourtant, Louis-Napoléon qui y vécut pendant deux périodes en tirera quelques leçons pour l’avenir. Le chemin de fer a fait éclater l’ancienne cité. De beaux quartiers s’ordonnent autour de squares verdoyants ; la ville est parsemée de parcs magnifiques ; elle possède déjà son tout-à-l’égout, l’éclairage au gaz, l’alimentation en eau par des pompes à feu et des trottoirs « à l’anglaise », c’est-à-dire surélevés par rapport à la chaussée et qui séparent ainsi piétons et voitures. De tout cela Paris se souviendra, même s’il faudra retransformer le tout dans une conception de « grandeur », attachée à la tradition française. Une capitale pour la révolution industrielle Napoléon III sera à l’initiative du grand dessein qui bouleversera la capitale : « Paris est bien le cœur de la France ; mettons tous nos efforts à embellir cette grande cité, à améliorer le sort de ses habitants. Ouvrons de nouvelles rues, assainissons les quartiers populaires qui manquent d’air et de jour, et que la lumière bienfaisante du soleil pénètre partout dans nos murs », déclare-t-il en Activités, consignes et productions des élèves : À L’IMAGE DE ROME Napoléon III cherchera ses racines aux origines de la Rome impériale. Au-delà de l’image symbole, celle-ci va inspirer quelques grandes règles d’organisation et de composition urbaine. Déjà Tarquin l’Ancien (575 avant J.C.) avait fait creuser le grand égout de Rome. Haussmann présentera le grandiose collecteur des eaux usées de Paris comme l’œuvre majeure de son administration : c’est avec fierté qu’il reprend à son sujet le terme romain de cloaca maxima qui devient une des curiosités touristiques les plus visitées de la capitale. De même, les aqueducs de l’ingénieur Belgrand, qui vont chercher l’eau jusqu’à 150 km de Paris, rappellent ceux des Romains. Sous César et Néron, des quartiers entiers seront détruits pour une réorganisation rationnelle générale de la ville, axée sur les grands édifices publics d’une ville en expansion. Les villes romaines de construction coloniale se bâtiront à partir du plan du castrum (le camp militaire). Ainsi, deux axes majeurs se croiseront à angle droit au milieu de la ville. Auprès de cette croisée, s’organisent les bâtiments civils les plus importants : le Forum, les basiliques... La Lutèce antique avait connu un tel plan. Napoléon III cherchera aussi à réaliser une grande croisée de Paris en son centre, sur la rive droite. Au Châtelet, se croiseront, à angle droit, la rue de Rivoli – véritable decumanus moderne – menant à l’ouest aux Champs-Élysées et à l’est à la Nation, et l’axe nord-sud (boulevards de Sébastopol et Saint-Michel), nouveau cardo, remplaçant l’ancien (rues Saint-Martin et Saint-Jacques). Aujourd’hui nous pourrions dire que le croisement de RER Châtelet-les Halles constitue le dernier maillon de ce schéma centralisateur. D’ailleurs, si tous les chemins mènent à Rome, tous les chemins de fer mènent à Paris. Les gares-terminus deviennent les nouvelles portes de la ville métropole. 48 1850. Le programme est clair, d’autant qu’il décide lui-même du réseau général des voies à percer et en définit le système. Entre les nouvelles portes que sont les gares, il faut de larges voies circulatoires qui mettront ainsi la capitale en relation avec les différentes régions de France. Le cœur de Paris, replacé en son centre historique du Châtelet, devra être relié à ces gares et sera complètement restructuré par une grande croisée. Son plan se cantonne à l’intérieur de l’enceinte des Fermiers généraux (érigée entre 1784 et 1790) ; ce n’est qu’en 1860 que la ville s’étendra jusqu’aux fortifications, absorbant les banlieues d’alors. La priorité est évidemment donnée au centre, ainsi qu’à un rééquilibrage de la composition vers l’est avec la place du Trône (aujourd’hui, de la Nation), contre-point populaire de la place de l’Étoile. Si Napoléon III est bien à l’origine du vaste dessin des percées qu’il a tracées sur un plan de Paris, c’est le grand commis de l’État, Haussmann, qui passera à la postérité. Son nom est attaché au bouleversement le plus important qu’ait connu la capitale : « chirurgie urbaine » avec la percée de nouvelles voies de circulation bordées d’immeubles standardisés, création d’édifices publics et de monuments (Opéra, Halles, gares, églises, mairies...), alimentation généralisée en « eau et gaz à tous les étages », réseau d’égouts (voir encadré « La stratégie des égouts »), trottoirs à l’anglaise, pavage en « queue de paon » et macadam pour les chaussées, éclairage au gaz de la nouvelle « ville Lumière », omnibus sillonnant l’agglomération, parcs et jardins. Administrateur, gestionnaire, responsable de la mise en place des structures techniques municipales, articulées à un nouvel appareil de lois et de décrets, Haussmann est le type même de l’homme moderne qui naît en même temps que la vieille capitale de l’État-Nation devient métropole. Cette ville nouvelle servira un vaste dessein politique : d’abord, contrôler la ville par de larges voies circulatoires. Ensuite, assainir et faciliter les communications et les échanges. Enfin, enraciner ces transformations, effectuées au nom de la modernité, dans la grande tradition de la composition urbaine telle que nous l’enseignent les Romains (voir encadré ci-dessus), les « renaissants », les classiques. En accord avec le rationalisme des Lumières En fait, de 1600 à 1848, les grands travaux que réalisera Haussmann se trouvent déjà en gestation. Autour de la Seine, cette « nouvelle avenue triomphale », Henri IV avait souhaité créer un espace public unifié où s’articulaient harmonieusement places, ponts et quais. Ainsi le pont Neuf qu’il fait édifier est le premier à dégager des vues lointaines sur la ville. Louis XIV, quant à lui, changera l’échelle territoriale de la capitale en coordonnant Paris aux châteaux royaux qui l’entourent. C’est à cette époque que sont tracés – dans le prolongement de l’axe central du jardin des Tuileries – les Champs-Élysées, perspective sans bornes, qui mènent au château de SaintGermain-en-Laye. Débute le règne des avenues qui, partant de la ville, se transforment en allées cavalières jusqu’au plus profond des forêts domaniales. On les relie aux boulevards, lieux de plaisir et de promenade, plantés d’arbres et aménagés à l’emplacement des anciennes fortifications. Ce que les XVIIe et XVIIIe siècles réalisent à la périphérie, Haussmann aura à cœur de le poursuivre jusqu’au centre même de la ville. Le siècle des Lumières prônera l’aménagement rationnel d’un espace urbain que l’on veut hygiénique, ouvert, circulatoire, continu, au gabarit systématique. Pierre Patte, architecte de Louis XV, envisage l’ouverture de voies droites traversant les anciens quartiers, le déménagement des cimetières et des hôpitaux hors de la ville. S’insurgeant contre « l’espace chaotique et embrouillé, amas de maisons pêle-mêle où il semble que le hasard seul ait présidé », il ira jusqu’à proposer la destruction de l’île de la Cité. Mais ces ambitieux projets ne connaîtront que de maigres réalisations à l’échelle locale. Cependant, on voit déjà apparaître la spécialisation de certains quartiers et naître l’opposition entre un Est industrieux et un Ouest résidentiel. De même, on a coutume d’identifier Paris à l’immeuble « haussmannien » qui borde les boulevards. L’archétype date pourtant du XVIIIe siècle, avec l’alignement aux normes des immeubles sur les nouvelles rues, à l’emplacement d’anciens couvents ou d’hôtels particuliers. Même si l’on y trouve encore une certaine mixité sociale, ces appartements seront majoritairement occupés par une nouvelle classe moyenne enrichie qui cherche le « confort moderne ». L’immeuble de rapport, déjà, se monumentalise, s’ordonnance autour de rues pavées, numérotées et éclairées à l’huile. ALIMENTER EN EAU LA CAPITALE Haussmann revendique haut et fort la paternité de la mise en place du système. La qualité des eaux puisées, pompées dans la Seine ou dans le grand canal de l’Ourcq fait défaut. Aux carrefours, les anciennes fontaines constituent toujours ce lieu de sociabilité fréquenté par les 20 000 porteurs d’eau. Haussmann opte pour une alimentation en eau de source pour le réseau domestique. Belgrand sera chargé par Haussmann de repérer les sources propres pouvant être captées pour alimenter Paris. Elles doivent être abondantes, de capacité importante et régulière. Leur élévation doit permettre un écoulement par gravitation jusqu’aux grands réservoirs à construire sur les points hauts de la capitale. Il s’agit d’une sorte de drainage du territoire où la ville-capitale s’affirme en pleine campagne par des ouvrages d’art, des aqueducs qui se dirigent vers elle. Après des études statistiques en Bourgogne, en Champagne, dans les bassins de la Seine, de l’Aisne, de l’Aube, de l’Yonne, de la Marne et de l’Eure, plusieurs sites sont retenus. La prudence d’Haussmann consistera à les acquérir avant que la spéculation ne s’en mêle. Deux grands captages sont réalisés : la Dhuys et le Surmelin (affluents de la Marne) alimenteront le réservoir de Ménilmontant (28 000 m3 par jour, soit un quart de la consommation parisienne) ; tandis que la dérivation de la Vanne (dans l’Yonne), après 173 km de canalisations dont 16 sur arcades déversera 100 000 m3 par jour dans le réservoir de la rive gauche, au parc Montsouris. Mais, si l’eau pure monte à tous les étages par des canalisations nouvelles, en métal, reste à nettoyer la ville de ses souillures. Les eaux pompées dans la Seine, l’Ourcq et la Marne y pourvoiront. Se crée ainsi un second réseau, différencié du premier, avant que leurs eaux, souillées, ne se retrouvent à l’égout. LA STRATÉGIE DES ÉGOUTS En 1850, Paris possède déjà 100 km d’égouts, ils sont de faible gabarit, souvent engorgés et inopérants. En 1870, Haussmann et Belgrand en auront réalisé 560 km. Sous les nouvelles voies et avenues de surface, ils construisent un véritable labyrinthe souterrain. Le modèle, là aussi, est romain, grandiose. Mais, des égouts, pour quoi faire ? Recueillir les eaux de pluie et celles du nettoyage des rues ; drainer aussi les eaux souterraines. Pour les « eaux malsaines et incommodes », la réglementation changera petit à petit, jusqu’à accepter tardivement (en 1899) l’obligation du tout-à-l’égout. Sous Haussmann, on pourra jeter à l’égout les eaux ménagères, puis les eaux industrielles ; mais pas les matières excrémentielles, qui devaient être récupérées par les vidangeurs pour servir 49 En fait, si les idées ne manquent pas pendant cette période, l’incurie reste flagrante dès qu’il s’agit de gérer des problèmes techniques à l’échelle de la capitale : eaux de mauvaise qualité, égouts au milieu de la rue. Par ailleurs, c’est dans les vieux quartiers « des Goths » que le peuple s’insurgera en 1848. De cela, le baron Haussmann se souviendra : il cherchera à contenir stratégiquement la capitale et ses quartiers populaires par de larges avenues droites, reliées à des casernes. Sous la Restauration, la ville garde la maîtrise des règlements de voirie, mais l’urbanisation est l’œuvre d’investisseurs privés et de groupes financiers, associés à des entrepreneurs et à des architectes, qui réalisent de vastes lotissements à la périphérie. Ils acquièrent ainsi des terrains où ils effectuent des percées ; les rues sont ensuite rétrocédées à la ville, tandis que les lots – bâtis ou non – sont revendus : quartier de l’Europe, Nouvelle-Athènes, quartier Saint-Georges, quartier François Ier... Les plans sont géométrisés, centrés, en étoile ou en damier, formes « rationnelles » que l’on retrouvera chez Haussmann. Si on les additionne, ces opérations constituent une transformation de grande ampleur sans équivalent dans l’histoire : en effet, 37 rues sont ouvertes entre 1815 et 1830, et 112 entre 1833 et 1848. En outre, se met en place une importante armature monumentale d’équipements publics dont se servira Haussmann. Cette période voit aussi le développement, près des grands boulevards et de la Bourse, de voies piétonnes et couvertes (les passages), bordées de boutiques aux larges vitrines, ancêtres des grands magasins. Elles constituent une petite révolution sur le plan de la morphologie urbaine : en effet, elles se situent à l’intérieur d’îlots peu construits et privés, que des promoteurs ont rachetés à bon compte pour les livrer au commerce et à la foule. Plus tard, Haussmann reprendra cette idée pour tracer certains de ses boulevards, sciemment au travers des îlots, là où les terrains sont meilleur marché et sur lesquels sont construits appentis et bâtisses insalubres. La ville moderne retournera l’ancienne comme un gant, et ce qui était pauvre, triste et caché deviendra lieu de parade. Rambuteau, le précurseur Les changements vont prendre de l’ampleur sous Louis-Philippe, avec le préfet Rambuteau qui s’emploie d’abord à moderniser et à embellir la capitale. Son titre de gloire sera la réalisation des nouveaux Champs-Élysées, qui deviennent une superbe promenade : utilisation du nouveau revêtement de sol macadam venu de Grande-Bretagne (pierres concassées agglomérées avec un agrégat sableux), éclairage au gaz par des réverbères dessinés par Hittorff, construction de restaurants, de cafés, d’un cirque d’hiver, d’un panorama. Hittorff est aussi chargé de la réfection de la place de la Concorde : fontaines, colonnes rostrales (en forme de proue), érection de l’obélisque. Il poursuivra son œuvre sous Haussmann en édifiant la place de l’Étoile. En 1830, il borde les grands boulevards de trottoirs « à l’anglaise », sur lesquels viennent s’aligner de nouveaux arbres, tandis que, pour la première fois, la chaussée est asphaltée. Dans tous ces travaux de mise en valeur d’espaces publics majeurs, il utilise l’éclairage au gaz, multiplie les fontaines monumentales dessinées par Visconti. En 1842, une loi centralise sur Paris le réseau de chemins de fer, tandis que les gares terminus (appelées alors débarcadères) se construisent. « Le Paris des riches » s’est donc embelli, mais rien n’est réglé quant au fond. Néanmoins Rambuteau sera le premier à réaliser une percée dans un tissu urbain dense et insalubre : cette rue porte aujourd’hui son nom. Elle sera sa fierté et celle des habitants du quartier. Après une ordonnance d’utilité publique de 1838, il a exproprié, démoli, puis reconstruit une rue droite qui relie le Marais aux Halles et qui atteint treize mètres de large (ce qui est très important pour l’époque). Ainsi se réalisait, mais trop partiellement, le vœu de Louis-Philippe : « Donner aux Parisiens de l’eau, de l’air, de l’ombre ». Mais il était bien tard et le roi tombera en même temps que la bourgeoisie égoïste, devenue rétrograde, qui l’avait porté au pouvoir. C’est son successeur qui se chargera de mettre en œuvre, cette fois à l’échelle de toute l’agglomération, cette tâche immense. Une conception centralisatrice La personnalité pragmatique, efficace, décidée d’Haussmann lui permet de créer et de coordonner tous les moyens nécessaires à l’ambitieux projet général de transformation de la capitale, longuement médité par Napoléon III. Il sait qu’il doit affronter de nombreuses résistances, notamment celle du monde étriqué des rentiers. Il trouvera les hommes, les capitaux, tournera les conflits, infléchira ses projets en fonction des réalités et des obstacles et enclenchera la métamorphose de la ville selon une véritable logique d’ensemble. d’engrais. Le système combine navigabilité, déplacement par chemin de fer, éclairage, signaux lumineux. Les galeries souterraines servent de lieu de circulation pour tous les réseaux : alimentation en eau potable, canalisations de gaz, drainage des nappes phréatiques, télégraphie et pneumatiques. Le système est rationnellement hiérarchisé : depuis le grand collecteur d’Asnières (digne des Romains) jusqu’à l’égout secondaire, on compte quatorze types de galeries différentes, toutes suffisamment vastes pour le passage d’un homme. Et dans cette ville du dessous, on accroche des plaques de rues. Ce système absolument exceptionnel sert de vitrine prestigieuse à la capitale, et les chefs d’État reçus à Paris viennent le visiter. Cela explique aussi les réticences d’Haussmann à y jeter les matières fécales. De façon plus pragmatique, la IIIe République instaurera le tout-à-l’égout en pensant récupérer les produits sous forme d’engrais au champ d’épandage d’Asnières. Mais cette pratique se verra contredire par la phobie microbienne. La peur de la contamination du Comité d’hygiène publique suscite la proposition d’un tout-à-l’égout clos, sans contact avec la population... Percée : terme qui désigne la manière particulière qu’utilise Haussmann pour ouvrir de nouvelles voies dans la ville. Les deux premiers objectifs de la percée sont d’améliorer la circulation et de vaincre l’insalubrité en laissant place à l’air et à la lumière. Mais ces deux objectifs sont associés à d’autres préoccupations, plus esthétiques, telles que la mise en valeur des monuments existants qui se trouvent, par exemple, placés dans la perspective. La percée est aussi conçue comme système de croissance de la capitale. Elle est dessinée aussi bien extra-muros qu’au sein même de la ville existante où elle occasionne des destructions, puis des reconstructions. La percée répond donc à plusieurs objectifs : concevoir et tracer de nouvelles voies (plantées, dotées de mobilier urbain : bancs, éclairage...), relier les monuments entre eux et les mettre en valeur, contrôler socialement et militairement la ville. La grande croisée, élément majeur des travaux, se constitue comme la figure dominante des percées réalisées. Elle est formée par les nouveaux boulevards, SaintMichel, du Palais et de Sébastopol, et la rue de Rivoli, prolongés vers les points cardinaux. Paris en 1850 reste une ville peu adaptée à l’ère nouvelle et totalement impropre à répondre au défi que lui imposent l’industrialisation et un nombre sans cesse 50 Plutôt que de se satisfaire de la rénovation de quartiers ou de groupes urbains qui s’autonomisent (comme à Londres), Haussmann préfère l’idée centralisatrice d’un système bien lié et unifié autour du centre. Les maîtres mots en sont : accessibilité, circulation, plan général. Il faut rendre cohérent ce qui est pour l’heure éparpillé. Cette vision globale va d’emblée affronter la ville dans son ensemble : le problème des flux précédera les considérations de paysage et de relief. En fait, « hygiène » et « confort moderne » sont des notions qui vont lier l’espace privé et individuel à l’espace public et collectif. Ainsi, les réseaux, les canalisations monteront jusque dans les étages et les appartements. De plus, un souci d’homogénéisation va prévaloir et s’exprimer jusque dans les petits éléments du système, ceux qui répondent aux usages quotidiens ; par exemple, le banc, la grille d’un arbre (conçus par Alphand) sont les mêmes partout et signalent à chacun qu’il est sur un boulevard « parisien », planté à l’alignement. Chaque détail renvoie au tout. Pourtant, malgré cette volonté d’harmonisation, des dissymétries s’accentuent entre l’Ouest riche, aux opérations prestigieuses (les boulevards s’y multiplient sur la plaine Monceau, financés par les banquiers Pereire), et l’Est qui n’intéresse pas beaucoup les spéculateurs (beaucoup de percées, considérées de première urgence, seront abandonnées). La réalité, celle du corps social, des intérêts, des inégalités, infléchit le projet global. D’ailleurs, en 1870, le centre prévu au Châtelet par la grande croisée n’est pas le véritable cœur de la ville qui bat toujours autour de l’Opéra et de Saint-Lazare. Le théâtre national de l’Opéra constitue effectivement un point central de la capitale ; lieu de parade, il est devenu aussi le quartier d’affaires de la nouvelle bourgeoisie. En liaison directe avec la gare Saint-Lazare par la rue du Havre, il se trouve ainsi connecté à la banlieue, la province et l’étranger ; le cosmopolitisme des échanges s’exhibe par la réalisation des grands hôtels combinés aux gares. Le Grand Hôtel, les grands magasins, la Bourse, voilà les nouveaux appareils mis en place par et pour une bourgeoisie d’affaires dont l’importance et les possibilités d’investissement sont décuplées. Des lois qui confortent le pouvoir du préfet Pour réaliser son œuvre, Haussmann va s’appuyer sur un appareil juridique et financier qui lui permet de mener les opérations tambour battant. Une loi de 1841 autorisait déjà l’expropriation « pour cause d’utilité publique ». En 1848 et 1849, à l’occasion du prolongement de la rue de Rivoli, on rend possible l’expropriation de toutes les parcelles touchées par la future voirie. En 1850, une nouvelle loi est votée qui permet d’exproprier pour insalubrité notoire. Le 26 mars 1852 est franchie une nouvelle étape : désormais peuvent être concernées les parcelles adjacentes, situées hors des emprises publiques projetées, ce qui éviterait d’avoir des « immeubles placards », c’est-à-dire juste une enfilade d’immeubles en bordure des nouvelles voies. Ainsi espère-t-on faire entrer partout, et jusqu’au cœur du tissu urbain, la salubrité, l’air, la lumière. En 1852 aussi, les travaux d’utilité publique échappent aux parlementaires. Ils sont publiés sous forme de décrets impériaux, mais sous contrôle du Conseil d’État, qui se charge de défendre la propriété privée. En 1859, en outre, est promulguée une nouvelle loi réglementant les gabarits : corniches à 20 mètres de hauteur, maisons de 5 étages droits pour des voies de 20 mètres de large. Ce qui confirme a posteriori la pratique courante ; en effet, les règles de hauteur, de composition des façades et des combles, des corniches, des balcons, des pilastres, du retrait au dernier niveau, tous ces éléments correspondaient déjà à des usages et des habitudes en vigueur chez les architectes. Un solide système financier et administratif En janvier 1852, le ministre de l’Intérieur Persigny met au point une stratégie pour mobiliser capitaux privés et publics à long terme et les faire fructifier (théorie des dépenses productives). La première méthode est celle de la régie : la ville emprunte, exproprie, achète les terrains et revend les nouvelles parcelles constructibles aux entrepreneurs. Les bénéfices servent à rembourser les emprunts et les intérêts. C’est ainsi que seront réalisées les opérations de la « grande croisée » (boulevard Sébastopol, rue de Rivoli, boulevard Saint-Michel), d’autant que l’on tient absolument à des reconstructions rapides. La seconde méthode est celle de la concession, moins risquée : les entrepreneurs acquièrent les terrains expropriés, paient tous les travaux, revendent les parcelles et rétrocèdent la nouvelle voirie à la ville moyennant une forte subvention. Suivant plus important de citadins. Le centre est encore médiéval avec des rues étroites, sombres et insalubres. Paris, comme les autres grandes villes européennes, doit donc subir une transformation globale et de très grande envergure afin d’échapper à la paralysie et à l’étouffement qui la menace. S’il ne s’agit pas d’urbanisme à proprement ici car le travail s’effectue, contrairement à Barcelone par exemple, sur un espace et des structures existantes, on peut parler d’un urbanisme de régularisation. Les transformations sont décidées en 1853 par Napoléon III ; c’est d’ailleurs lui qui a tracé les premiers plans. Il désigne donc trois hommes, G. Haussmann, E. Belgrand et R. Alphand, chargés de mener à bien la rénovation de la capitale. C’est cependant le nom de Haussmann, préfet de la Seine, qui reste le plus attaché à la politique de grands travaux menée sous le Second Empire. Le plan pointe la différence de superficie entre Paris avant et après 1860. En 1841, on avait décidé d'entourer la ville d'une nouvelle enceinte bastionnée. Cette enceinte, dite de Thiers, dépassait largement les frontières de la ville et englobait des communes environnantes. En 1860, les communes ou parties de communes enfermées dans l’enceinte sont annexées à Paris. La ville est divisée en vingt arrondissements. Le plan fait apparaître les grands boulevards et avenues voulus par Haussmann. Le préfet a décidé de doter Paris d’axes plus larges et rectilignes bordés de grands immeubles en pierre de taille où doit loger la bourgeoisie. Il y a plusieurs raisons à ces aménagements. Tout d’abord Haussmann souhaite rendre la circulation plus fluide mais aussi désenclaver les différents quartiers de Paris. Ainsi le plan montre nettement l’élaboration d’un axe Ouest-Est allant de la Bastille au Louvre et un axe Nord-Sud partant de la gare de l’Est pour rejoindre la place d’Enfer. Mais ces grandes artères répondent aussi à une visée hygiéniste. Afin de lutter contre la maladie, il est indispensable de faire circuler l’air et entrer la lumière dans la ville, ce qui est rendu possible par les percées effectuées. Enfin, on estime souvent que les boulevards permettent un meilleur contrôle de la ville. Non seulement, il chasse les ouvriers du centre de la capitale, les repoussant vers les quartiers non transformés de la périphérie mais surtout du fait de leur largeur et de leur structure rectiligne, ils permettent de mieux contrôler les émeutes. La construction de barricades est beaucoup plus difficile et l’action des forces de l’ordre est rendue plus aisée. On peut noter la construction de bâtiments 51 la conjoncture, c’est le système de la régie ou celui de la concession qui sera utilisé. Mais le recours aux emprunts est nécessaire dans les deux cas. Ils se succéderont et s’amplifieront, créant une dette flottante. Pour que l’endettement (qui s’accroît au fur et à mesure de l’augmentation des opérations jugées de première urgence) soit reporté sur le long terme (jusqu’après 1920), on crée la Caisse des travaux. Celle-ci reçoit les subventions de l’État, le produit de la revente des terrains, et paie la totalité des travaux (par régie) ou la subvention seule (par concession). Haussmann va aussi s’entourer de services techniques compétents et efficaces qu’il intègre au système général de l’administration centrale. À chaque choix stratégique, il tranche et place l’un de ses hommes : le service des Eaux veut-il garder un système qui repose sur une consommation des eaux de la Seine alors que Haussmann préfère l’alimentation en eau de source conduite à Paris par simple gravité (aqueduc à la romaine) ? Belgrand, ingénieur des Ponts-etChaussées rencontré dans l’Yonne, prend alors la commande. L’ingénieur Varé se trompe-t-il dans les relevés planimétriques pour le lac du bois de Boulogne ? C’est Alphand, ingénieur des Ponts-et-Chaussées connu à la préfecture de Bordeaux, qui est nommé directeur du service des Promenades et plantations (aidé par l’architecte Davioud), puis directeur de la Voie publique et des promenades, poste clé qui l’amènera, sous la IIIe République, à devenir responsable de tous les travaux de Paris. L’architecte Deschamps est nommé au service du plan. Sa charge consiste non seulement à effectuer les relevés topographiques, mais surtout à définir le tracé des voies nouvelles et des alignements, tracé qui doit rester secret. En effet, les indiscrétions bouleverseraient tous les plans financiers et fonciers. Sa minutie le fera passer du plan d’ensemble à l’étude détaillée des parcelles. Il travaille également sur le type de propriétés à acquérir ainsi que leur valeur. Pour diriger les opérations, il faut, bien entendu, un plan de Paris, qui est dressé de façon précise au cinq-millième. Haussmann s’y réfère en permanence comme à un plan de bataille. Reste le service des Travaux d’architecture, des Beaux-Arts et des Fêtes, qui est confié à l’ami d’enfance : Baltard. Il construira les Halles centrales de Paris, utilisant des matériaux modernes : le métal et le verre. La grande croisée et l’île de la Cité Les premières décisions tournent autour du centre et des Halles dont la construction avait été déjà décidée sous Rambuteau. On complétera le système prévu par l’avenue Victoria et les quartiers du Louvre et de l’Hôtel-de-Ville. Progressivement, la grande croisée se met en place. Le premier axe est celui de la rue de Rivoli. « Que c’est beau, de Pantin on voit jusqu’à Grenelle ! Le vieux Paris n’est plus qu’une rue éternelle / Qui s’avance, élégante et droite comme l’i / En disant Rivoli, Rivoli, Rivoli », écrit Victor Hugo. Le second est formé par le boulevard de Sébastopol qui vient prolonger le boulevard de Strasbourg, en tranchant au beau milieu de l’ancien tissu urbain entre les deux rues historiques de Saint-Denis et de Saint-Martin. Ce boulevard arrive en chicane sur la place du Châtelet ; là, Deschamps et Davioud dégagent un espace symétrique, en déplaçant la fontaine centrale et en implantant de part et d’autre deux théâtres qui ouvrent la place à la Seine. Au-delà du pont au Double, le nouveau cardo, souhaité par Napoléon III, arrive place Saint-Michel et s’articule habilement, grâce à l’ingéniosité de Davioud, avec le boulevard par une fontaine monumentale. Ainsi, sous la seule loi de la circulation rectiligne, peut s’effectuer la grande traversée de Paris qui, de l’Arc de triomphe, mène au château de Vincennes : Étoile-Nation. Mais ces percées, qui structurent toute la ville, tranchent dans les quartiers anciens plus qu’elles ne cherchent à les relier. Ainsi cette manière de sectionner la cité obligera les habitants à se plonger au beau milieu du nouveau système circulatoire métropolitain, en rupture avec les habitudes locales. Paris vit encore ce dédoublement : être de tel quartier, mais aussi appartenir au grand tout. Quant à l’île de la Cité, plus dense et plus complexe (l’ancienne Lutèce), elle attendra 1865 pour connaître son sort à l’occasion de la reconstruction de l’HôtelDieu. Mais ce n’est pas en juxtaposant un Palais de justice, un grand hôpital, une caserne, un Tribunal de commerce, une cathédrale et une morgue que l’on crée le centre animé d’une grande métropole. Le lacis de rues anciennes le plus enchevêtré qui fût à Paris permettait une mixité des usages et des occupations. Sans négociation aucune avec ce patrimoine, la nouvelle cité érige des bâtiments officiels, monofonctionnels, préfigurant le zoning de l’urbanisme moderne, c’està-dire la répartition en quartiers spécialisés. administratifs, préfecture de police (qui est à l’origine prévue pour être une caserne de la garde municipale), palais de justice. Il s’agit de renforcer et moderniser des services administratifs dans une ville qui ne cesse de grandir. Les masses ouvrières qui ont effrayé en juin 1848 doivent être contrôlées, ce qui explique la construction de casernes (Château d’eau). Paris est aussi la capitale de la France, elle doit donc être dotée des services conséquents et l’on peut remarquer les travaux de la Bibliothèque nationale, du Palais de l’industrie ou de l’Opéra. La capitale doit être bien reliée au reste du pays et toutes les gares sont agrandies et modernisées : gare de l’Est (1854), gare de Lyon (1855), gare du Nord (1860), gare d’Austerlitz (1862). La ville accueille une population de plus en plus nombreuse qu’il faut nourrir. C’est pourquoi les Halles sont totalement reconstruites et équipées avec des pavillons de fer et de verres dessinés par l’architecte Baltard. Enfin on peut noter la construction de nouvelles églises qui doivent renforcer l’idée d’une capitale vitrine de la grandeur du Second Empire. Ainsi l’église de La Trinité devait être une église aussi moderne que la gare Saint-Lazare et aussi belle et grande que l’opéra de Paris. Les grands espaces verts parisiens ont été conçus par l’architecte Louis Alphand. Ces aménagements répondent encore une fois à une volonté affirmée de Napoléon III qui a été impressionné par les grands parcs londoniens. Ce désir de jardins s’explique par des raisons très diverses. Napoléon III souhaite que sa capitale puisse être comparée à celle de l’Empire britannique en terme de splendeur. Le jardin a ici une fonction esthétique. Ensuite, les jardins apportent aussi l’air et la lumière nécessaires dans la perspective hygiéniste. Le jardin a encore un rôle moral, il rétablit le contact avec la nature saine et apaisante. Le jardin régénère la ville. Enfin, le jardin répond aux désirs d’une bonne partie des classes aisées. Le jardin, c’est l’endroit où l’on peut voir et être vu, où l’on peut se rencontrer, se divertir et le jardin est donc un lieu de loisir et de sociabilité. C’est pourquoi Alphand dote Paris d’un maillage de grands parcs de dimensions variées reliés entre eux par des séries de squares et par des avenues bordées d’arbres. Paris est désormais une grande ville dont la superficie a été fortement accrue, preuve de la croissance très forte de sa population. L’urbanisme de régularisation mené par Haussmann a permis d’adapter la capitale à cet afflux d’hommes. On doit rappeler ici la construction des grands axes mais aussi la rénovation des immeubles qui l’accompagne. Paris avec ses grandes artères et ses 52 Créer un deuxième réseau La stratégie urbaine se complète par la construction d’un « deuxième réseau ». Tout d’abord, il s’agit de relier les gares entre elles (gare de l’Est, gare d’Austerlitz) par des avenues monumentales (Magenta, Bastille). Mais une question doit être résolue pour la création d’un système de voies concentriques : si la rive droite possède déjà des grands boulevards, la rive gauche en est dépourvue. On réalise donc de toutes pièces le « boulevard intérieur de la rive gauche » : ce sera le boulevard Saint-Germain. Pour fermer la rocade Étoile-Nation par le sud, le boulevard Montparnasse sera prolongé à l’est par les boulevards de Port-Royal, Saint-Marcel, de l’Hôpital, et, traversant la Seine, par le boulevard Diderot jusqu’à la place de la Nation. Tout cet ensemble sera repris par le tracé des lignes du métropolitain. Ainsi Paris s’est trouvé un nouvel axe de composition est-ouest, avec deux types de foyers : les plus près du centre (Concorde-Bastille) et les plus éloignés (Nation-Étoile). Entre ceux-ci se tendent des voies en forme d’arcs plus ou moins éloignées du centre, créant une sorte de fuseau. La Seine n’est plus l’axe de composition ; on a préféré la ligne droite, le « i » de Rivoli. Paris sera longtemps considéré comme le modèle cohérent et magistral de la métropole moderne. C’est la prolifération anarchique des banlieues qui viendra faire grincer les rouages d’une mécanique que l’on croyait presque parfaite. Les réalisations d’Haussmann serviront d’exemples tant en France qu’à l’étranger (Lyon, Marseille, Montpellier, Toulouse, Rouen, Avignon, mais aussi Bruxelles, Mexico, Rome et Florence), mais nulle part ailleurs qu’à Paris on n’arrivera à une telle maîtrise générale de la transformation. Après 1871, la capitale change d’échelle et il faut l’envisager comme une agglomération bouleversée par le développement des banlieues que la voie ferrée relie à Paris, et en totale inadéquation avec le découpage administratif et politique. Même pour l’Exposition de 1900, Paris, retiré dans ses murailles, construit son métro intra-muros. Les immeubles s’y embourgeoisent encore, laissant proliférer balcons ornés, bow-windows, saillies, tourelles d’angles que le nouveau règlement de 1902 autorise. Face à cela, deux questions restent pressantes et ne trouveront que des réponses partielles jusqu’à la Seconde Guerre mondiale : le logement des plus démunis et l’anarchie d’une banlieue incontrôlée. Ne faut-il pas voir là les deux limites de la démarche haussmannienne dont la région tout entière porte aujourd’hui encore les stigmates ? Une vision de la spéculation immobilière à Paris au moment des travaux d’Haussmann. La Curée est un roman à charge contre le Second Empire et son atmosphère qualifiée de « décadente » au début de la IIIe République. La violence de la charge explique la censure dont fut victime Zola à un moment où le régime, très conservateur, essaye de redresser le pays après la défaite de 1870. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Les travaux et aménagements voulus par le baron Haussmann répondent à plusieurs objectifs. L’embellissement de la ville est l’un d’eux, notamment par la construction d’édifices comme l’opéra Garnier, mais le préfet de la Seine souhaite aussi rendre la capitale plus salubre. Il répond aux préoccupations des hygiénistes de l’époque qui dénoncent l’insalubrité de Paris et les menaces d’épidémies (l’épidémie de choléra de 1832 est encore dans les esprits). Il faut aérer la ville, en perçant de grandes artères ou en aménageant de nouvelles rues dans les quartiers les plus denses pour éviter une mortelle promiscuité. C’est également un moyen de contrôler une ville toujours frondeuse. Les leçons des révolutions de 1830 ou 1848 sont tirées : il est facile de dresser des barricades et donc de rendre impossible une charge de cavalerie ou l’utilisation du canon dans des rues étroites et sinueuses. Avec ces grandes artères, les troupes peuvent plus facilement entrer dans Paris et mener des opérations de maintien de l’ordre. Haussmann veut stimuler l’économie de la capitale et donner de l’ouvrage aux ouvriers, notamment aux ruraux qui sont venus s’installer dans la capitale en quête d’un travail. L’économie est stimulée par la construction des grands magasins qui créent une activité nouvelle et deviennent des lieux de sociabilité très fréquentés. immeubles de plusieurs étages n’est plus une ville médiévale. Les rues étroites, les maisons en bois se font de plus en plus rares. Il faut aussi ajouter la construction de réseaux et notamment le réseau d’adduction d’eau et celui de l’évacuation des eaux usées (tout à l’égout). Paris est désormais une ville plus aérée, plus claire. Mais Paris est aussi une ville industrielle car la ségrégation sociale y apparaît. Les ouvriers ne peuvent plus loger dans les quartiers rénovés. Ils migrent vers l’Est et le Nord, abandonnant l’essentiel du centre à la bourgeoisie, même si certains quartiers comme le Marais demeurent très populaires. Cette ségrégation sociale se retrouvera lors de la Commune. Cette politique a un coût élevé et entraîne quelques opérations de crédits assez douteuses. C’est pourquoi, après la publication des comptes fantastiques d’Haussmann par J. Ferry, le baron est renvoyé en 1869 par le ministre E. Ollivier. En 17 ans il a eu néanmoins le temps de métamorphoser la capitale. Le texte de Jules-Édouard Horn (1867) apporte un jugement très critique sur les travaux de Haussmann. Les grands travaux et la spéculation foncière ont pour effet de perturber la composition sociale diversifiée des arrondissements du centre, de rejeter les pauvres vers de nouveaux quartiers populaires mal aménagés et d’accentuer les clivages sociaux et spatiaux entre arrondissements. Le centre et l’ouest bourgeois s’opposent à l’est et au nord populaires comme le montreront les affrontements de la Commune. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : Ces travaux ont des conséquences négatives comme la spéculation effrénée qui s’empare des propriétaires souhaitant tirer de gros profits des expropriations. Les travaux sonnent la fin de la mixité sociale, qui permettait à des classes sociales différentes de coexister et créait des solidarités qui disparaissent. Les ouvriers quittent les quartiers centraux pour la périphérie est de la capitale. La ségrégation sociale spatiale remplace la mixité et donne naissance à deux cités hostiles, celle des classes possédantes et celle des classes populaires. Cette nouvelle situation génère une méfiance et une hostilité réciproques des classes sociales. 53 HC – Croissance et industrialisation du milieu du XIXe siècle à 1939 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Quel est le phénomène économique majeur de l’âge industriel et quelles en sont ses manifestations ? Quels sont les facteurs fondamentaux expliquant la croissance économique de l’âge industriel ? Par quelles transformations des modes de production la croissance a-t-elle pu se développer ? Pourquoi les États interviennent-ils de plus en plus dans la vie économique et sociale durant l’âge industriel, et comment le font-ils ? Pourquoi et comment les structures de l’économie sont-elles transformées ? La croissance est-elle constante dans le temps et dans l’espace ? En quoi l’industrialisation a-t-elle bouleversé les structures de l’économie ? Quelles évolutions le monde du travail connaît-il ? Comment se manifestent les crises de l’économie industrielle ? Sources et muséographie : Les Schneider, Le Creusot. Une famille, une entreprise, une ville (1836-1960), catalogue de l’exposition du Musée d’Orsay, Paris, 1995. Ouvrages généraux : Verley Patrick, La Révolution industrielle, Gallimard, 1997, coll. «Folio Histoire», propose, p. 125 et suivantes, une série d’études brèves sur «Acteurs et facteurs». Verley (P.), Entreprises et entrepreneurs du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, Hachette Supérieur, 1994 P. VERLEY, L’Échelle du monde. Essai sur l’industrialisation de l’Occident, Gallimard, Paris, 1997. F. Caron, Les deux révolutions industrielles du XXe siècle, coll. « Agora », Pocket, 1999. Caron (F.), Histoire économique de la France, XIXe-XXe siècle, Armand Colin, 1981. Bairoch P., Mythes et paradoxes de l’histoire économique, La Découverte-Poche, 1999. Paul Bairoch, Victoires et déboires, histoire économique et sociale du monde, 3 t., Gallimard, Paris, 1997. Pierre Léon, Histoire économique et sociale du monde, tome IV, (1840-1914) et tome V, (1914-1947), A. Colin, Paris, 1978. Rioux Jean-Pierre, La Révolution industrielle (1780-1880), coll. « Points », Seuil, 1989. Crouzet François, Histoire de l’économie européenne, 1000-2000, Albin Michel, 2000, coll. «Bibliothèque de l’histoire», 440 p. Barjot Dominique (dir.), Industrialisation et Sociétés en Europe occidentale, du début des années 1880 à la fin des années 60, CNED/SEDES, 1997, 446 p. Marseille Jacques (dir.), L’Industrialisation de l’Europe occidentale, 1880-1970, ADHE, 1999, coll. «Histoire économique», 378 p. (notamment la contribution de Jean-Charles Asselain sur le processus d’industrialisation, p. 7-43). J. Marseille, Puissance et faiblesse de la France industrielle, Seuil, Paris 1997 Landes D. S., L’Europe technicienne : révolution technique et libre essor industriel en Europe occidentale de 1750 à nos jours, Gallimard NRF, 1975. Asselain J.-C., Histoire économique (de la révolution industrielle à la Première Guerre mondiale) et Histoire économique du XXe siècle (t. 1 : la montée de l’État – 1914 à 1939), Presses de la FNSP. Gilles P., Histoire des crises et cycles économiques : des crises industrielles du XIXe siècle aux crises financières du XXe siècle, coll. « U », Armand Colin, 2004. J. Brasseul, De la révolution industrielle à la Première Guerre mondiale, A. Colin, Paris, 2004. D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, Seuil, Paris, 1994. M. LÉVY-LEBOYER (éd.), Histoire de la France industrielle, Larousse, Paris, 1996. Angus Maddison, L’économie mondiale : statistiques historiques, OCDE, Paris, 2003. 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Gaillard, « Les racines de la mondialisation », L’Histoire, n° 270, novembre 2002. « Mille ans de croissance économique », L’Histoire, n° 239, janvier 2000. Barjot (D.), « Où va l’histoire économique ? », in Historiens et Géographes, n° 378, mai 2002 et n° 380, octobre 2002 Carte murale : 54 Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Tous les titres des pages des manuels scolaires conservent le terme croissance, pour centrer la démonstration sur cette notion centrale. La démarche proposée inverse ainsi ce qui est généralement traité en cours, et qui ne correspond plus aux inflexions de l’historiographie. Le sujet est traité sous l’angle majeur du phénomène de la croissance économique, mis en relation avec la transformation des échanges et des marchés et le processus d’industrialisation. Il ne s’agit donc pas de mettre l’accent avant tout sur les évolutions techniques et la notion, aujourd’hui remise en cause, de révolution industrielle. BO 1ere actuel : « Le phénomène majeur est la croissance économique. On présente le processus d’industrialisation et les transformations économiques et sociales qui lui sont liées. Il s’agit de saisir les évolutions et les ruptures majeures sur près d’un siècle et non d’examiner le détail de la conjoncture. En privilégiant le cas français, on étudie les courants qui tentent d’analyser la société industrielle pour l’organiser ou lui résister (libéralisme, socialisme, traditionalisme, syndicalisme). Le programme de seconde (2001) se termine par l'analyse de la première industrialisation à travers l'exemple de l'Europe entre 1800 et 1850. La différence avec le programme précédent porte sur les limites chronologiques puisque, désormais, les tout débuts de l’industrialisation sont abordés en classe de seconde (programme 2001). L’intérêt de la question concerne donc l’identité de la période 1850-1939, pour laquelle on ne doit plus considérer le phénomène depuis ses origines, mais dans sa maturité. Dès lors, les problèmes historiques ne sont plus ceux de la naissance ou du déclenchement de la révolution industrielle, mais ceux de la nature profonde, durable jusqu’à nos jours, de la croissance et de son extension. Le chapitre économique qui inaugure le programme de première veut montrer comment l'accélération des transformations du système productif conduit les pays qui s'industrialisent à entrer dans une ère de forte croissance entre 1850 et 1939. En effet, la diffusion du progrès industriel entraîne une expansion économique, dont la rapidité contraste avec les progrès plus lents et aléatoires de l’ère préindustrielle. C’est une rupture fondamentale par rapport aux blocages récurrents de l’économie d’Ancien Régime. Le signe le plus frappant est que les famines disparaissent avec la fin des crises de sous-production agricole (dernière famine: la crise de la pomme de terre en Irlande en 1847).Cependant, si elle est plus rapide et plus importante, cette croissance reste irrégulière et des crises profondes affectent le processus, sans pour autant remettre en question l'accroissement continu de la richesse des États qui s'industrialisent. Cette industrialisation s'accompagne d'une augmentation considérable des volumes produits, ainsi que de la diversification, de la standardisation et de la diffusion accrues des biens. La part de l’activité manufacturière dans le produit national et l’emploi s'affirme, une industrie aux traits plus modernes prend son essor et tous les secteurs d’activité finissent par adopter le modèle industriel. Entre 1850 et 1939, l’industrie est donc le moteur de la croissance, c'est pourquoi le programme parle d'« âge industriel ». La part du secteur manufacturier diminue, par la suite, avec l'essor des services dans l'économie des pays industrialisés. L’industrialisation est un thème très riche, qui combine histoire économique, histoire du travail, histoire sociale et histoire culturelle. On s’intéresse plus particulièrement aux thèmes du travail, des techniques et de la consommation. Les années 1880 marquent l’essor de la « deuxième révolution industrielle », qui repose sur l’électricité, la chimie et le pétrole. La science et les techniques, ainsi que la recherche et le développement, sont désormais étroitement liés à l’économie dont elles sont le moteur. La croissance n’est pas un processus ininterrompu ; elle est ponctuée par des crises et des périodes de dépression qui amènent les contemporains à s’interroger sur leur modèle de développement. Cette question comporte un aspect comparatif important. En effet, les différentes puissances ont connu des rythmes d’industrialisation propres (avance du Royaume-Uni, rattrapages américain et allemand, industrialisation française plus progressive, etc.), même si de vastes phénomènes dépassent les frontières, comme les dépressions ou les crises économiques (celle de 1929 en tête), ou encore la Première Guerre mondiale. La période 1850-1939 associe deux phases de l’industrialisation : la première – née de la vapeur, du charbon, du textile et de l’acier – connaît son pic à la fin du XIXe siècle. La seconde industrialisation est fondée sur l’essor de l’électricité et du pétrole, de l’automobile et de l’avion, de la mécanique et de la chimie. Selon Patrick Verley, le fait majeur réside dans le passage d’une croissance extensive à productivité constante, à une croissance de la productivité par intensification. Accompagnement 1ere : « Il s’agit de prendre la mesure de la croissance sur près d’un siècle et de la mettre en relation avec son origine : le processus d’industrialisation. L’approche des formes et des phases de ces mutations majeures et des décalages existant entre les espaces européens de ce point de vue doit partir du milieu du XIXe siècle, sans s’astreindre à remonter au démarrage. C’est dans ce cadre d’ensemble que les crises majeures qui ont marqué ces mutations (Grande Dépression du XIXe ou crise de 1929) sont étudiées : événements conjoncturels aux conséquences graves, qui infléchissent l’évolution sans en remettre en cause les données essentielles. » BO 1ère STG : « Capitalisme, société industrielle, culture européenne à la conquête du monde (milieu XIXe siècle milieu XXe siècle). On étudie la montée du capitalisme industriel qui invente de nouveaux modes de production (usine, entreprise) et dynamise l’Europe, puis les États-Unis et le Japon. Cette extension n’est pas linéaire, elle connaît des cycles et passe par des moments de crise. Elle entraîne la croissance des villes, transforme en profondeur les sociétés et suscite des mouvements de résistance. L’industrialisation se diffuse à l’échelle du monde de manière très inégale et selon des modalités différentes. » Accompagnement 1ère STG : « Capitalisme, société industrielle, culture européenne à la conquête du monde (milieu XIXe - milieu XXe siècle) On étudie cette partie du programme dans la longue durée. Il s’agit de montrer, dans la longue durée, comment est né le capitalisme industriel basé sur la propriété privée des moyens de production, sur la liberté des échanges et la recherche continue du progrès technique ainsi que la séparation des possesseurs des moyens de production et les salariés. On insiste sur ce que le nouveau mode de production 55 L’industrialisation se caractérise par d’importantes mutations technologiques et des nouveaux procédés qui exigent beaucoup de capitaux. Cependant, au-delà de ces constats se pose la question clé de la genèse du processus industriel : l’industrialisation n’est pas fille de la révolution technique comme l’historiographie l’a classiquement expliqué. Si la hausse de la productivité dépend de l’incorporation du progrès technique dans les procédés de fabrication, les travaux actuels montrent que c’est la marché qui commande : une innovation ne devient opérationnelle dans le champ de la fabrication que si elle compense une pénurie de main-d’oeuvre ou permet des gains de coût pour faire face à la concurrence. Autrement dit, l’ouverture des marchés implique des investissements et des innovations. Le débat historiographique s’est déplacé : longtemps centré sur les crises cycliques (Grande dépression, crise de 1929) analysées de manière marxiste, comme reflétant la crise générale inhérente au système capitaliste, il s’oriente plutôt sur le phénomène de longue durée que représente la croissance. Les crises sont alors vues, de manière libérale, non pas comme des ruptures voire des remises en cause, mais comme des moments, paradoxaux, de dépassement des blocages permettant par la suite une accélération de la croissance. De manière encore plus récente, c’est autour du concept de mondialisation (proprement économique au départ, le terme englobe aujourd’hui l’activité économique dans un ensemble bien plus vaste, culturel et politique qui désigne grossièrement la diffusion du libéralisme) et de ses racines que s’orientent les réflexions : après un « premier âge d’or » au XIXe siècle, la mondialisation connaît un « grand recul » dans l’entre-deux-guerres (cf. J.-M. Gaillard, in L’Histoire, n° 270, novembre 2002). Les notions de croissance et d’industrialisation, induisant longue durée et large diffusion, seront employées de préférence à celle de « révolution industrielle », qui devrait être réservée aux transformations rapides de la Grande-Bretagne à partir de la fin du XVIIIe siècle. On sait que le débat historiographique relatif aux notions de révolution(s) industrielle(s) et de croissance est présenté de façon lumineuse par Jean-Pierre Rioux. Le terme de « révolution industrielle » est à l'origine d'interminables débats et controverses entre historiens. Les uns l'utilisent parce qu'ils adhèrent aux interprétations traditionnelles, formulées au XIXe siècle par Adolphe Blanqui (1837), puis par Arnold Toynbee en 1884. À leurs yeux, il s'est produit un changement rapide et brutal, séparant deux modes de croissance économique. Ce bouleversement est expliqué par une révolution préalable soit des techniques, soit de l'agriculture (Paul Bairoch, 1963). Cependant, de nombreux chercheurs (encore récemment Nicholas F.R. Crafts), en s'appuyant sur des analyses statistiques, montrent la lenteur des progrès, ce qui remet en question la théorie du take-off ou décollage (Rostow, 1962). Cette approche gradualiste conduit à préférer le terme d' « industrialisation » afin de bannir l'idée de rupture avec l'ère économique précédente et de rejeter l'explication des mutations économiques par un simple effet de cause à conséquence. Selon les historiens gradualistes, il faut, au contraire, mettre en évidence la multiplicité des facteurs qui ont rendu possible la croissance industrielle, le poids relatif de ces facteurs pour chaque pays (faible rôle de l'État en Angleterre, important en France et en Allemagne) et l'interaction qui a existé entre divers phénomènes. Par exemple, l’augmentation de la productivité agricole accompagne l’augmentation de la population et la croissance démographique tire le progrès agricole. Toutefois, l'expression « révolution industrielle » n'est pas pour autant abandonnée. Elle apparaît sous la plume de Patrick Verley qui n'en voit qu'une et refuse de dépasser les années 1880. En revanche, François Caron utilise le concept pour rendre compte des profondes mutations techniques qui accompagnent le processus d'industrialisation du XVIIIe au XXe siècle. Il distingue ainsi trois révolutions industrielles successives, dont deux concernent la période 1850-1939. Étapes, taux et enchaînements de la croissance industrielle sont aujourd’hui bien connus. Plus discutée est la relation entre les fluctuations de cette croissance et l’histoire sociale et politique. Si la crise de 1929 a bien déstabilisé les sociétés des pays industriels, et y a favorisé des bouleversements politiques, comme la montée du nazisme en Allemagne, on se défie aujourd’hui des explications trop simples : les ruptures politiques n’ont pas que des causes économiques. Ce thème, sans capitaliste a de particulier: usine, entreprise, nouvelles formes d’énergie (vapeur puis électricité), modification des paysages urbains, villes nouvelles industrielles. La croissance connaît des cycles et passe par des moments de crise. La première crise de l’ère industrielle est celle de 1873-1896 (la Grande Dépression). Les crises à l’ère industrielle sont des crises de surproduction qui éclatent du fait d’un marché solvable trop étroit par rapport à une production de plus en plus massive. On n’entrera pas le détail des crises, mais on évoquera la crise de1929 et ses conséquences en terme de théorie économique (régulation du capitalisme par l’intervention de l’État : New Deal et les théories de Keynes). L’industrialisation s’accompagne de la transformation des villes qui voient leur population augmenter très rapidement. Il s’agit d’évoquer l’exode rural et en conséquence les transformations économiques dans les campagnes. L’industrialisation transforme considérablement les sociétés européenne, nord-américaine et japonaise. Elles connaissent d’importantes mutations sociales : apparition de nouvelles classes sociales (bourgeoisie capitaliste industrielle, prolétariat) et mutations des classes moyennes (artisans et commerçants constituent une classe moyenne indépendante qui se transforme mais l’industrialisation donne naissance à une nouvelle classe moyenne salariée d’employé(e)s et fonctionnaires). Il sera important de préciser la notion de classe sociale. Les transformations sociales s’accompagnent de résistances. Le libéralisme, idéologie triomphante de l’âge industriel est contesté sur sa droite par le traditionalisme (qui rêve d’un retour à l’âge pré-industriel) et le socialisme qui milite pour dépasser le capitalisme et instaurer une société égalitaire sur la base de la propriété collective des moyens de production. On montrera que la résistance ouvrière s’est exprimée à travers le mouvement syndical et au moyen de son arme principale : la grève. L’industrialisation transforme la production culturelle, l’accès à la culture et les modes d’expression traditionnelle. En France, les années, 1860-1930 correspondent à un premier âge de la culture de masse (on ne manquera pas d’évoquer les débuts du sportspectacle avec le Tour de France et les premières courses automobiles). Les puissances européennes les plus transformées par l’industrialisation animent un mouvement d’expansion et d’européanisation, indissociable d’un fort sentiment de supériorité d’une volonté civilisatrice et d’une suprématie scientifique et technologique. Ce mouvement, qui constitue un fondement durable du rapport de 56 trancher à lui seul ce problème, peut être l’occasion d’en prendre conscience. La Grande Transformation, oeuvre majeure de l’économiste Karl Polanyi, est redécouverte de nos jours, en particulier par tous les courants critiques du libéralisme et de la mondialisation. Cette oeuvre, publiée en 1944, a été longtemps éclipsée par les travaux de Keynes et le poids de la pensée marxiste dont pourtant Polanyi s’inspire. Dans cet ouvrage, l’auteur montre dans une analyse historique et anthropologique l’avènement de l’économie de marché et son arrachement progressif des sphères du social et du politique, puis l’émergence des tensions entre libre concurrence et concentration des entreprises, entre extension des marchés et protection des sociétés (lois sur le travail, droits de douane). Pour lui, le marché autorégulateur s’effondre en 1929, la crise produit la « Grande Transformation », soit la mort du libéralisme et l’accouchement du fascisme. Karl Polanyi décrit par exemple un des piliers de la civilisation qui s’effondre dans les années 1930 : le système d’équilibre des puissances. Les autres piliers sont l’étalon-or, l’État libéral et, donc, le marché autorégulateur. Le titre est « La paix de cent ans » : 1914 marque le terme d’une période ouverte en 1815 durant laquelle les grandes puissances ne se sont fait la guerre que 18 mois au total, la plus longue étant la guerre de 1870-1871. Karl Polanyi postule que derrière cet état de fait exceptionnel et le rôle majeur du Concert des Nations, existe une force bien supérieure et anonyme qu’il nomme la haute finance : cette institution a agi dans le dernier tiers du XIXe siècle et le premier tiers du XXe siècle, comme un microcosme permanent du système international, qui aurait ainsi assuré un effet régulateur sur les relations entre les États, avec pour mobile premier le gain. John Maynard Keynes soutient que pour casser la spirale de crise, l’État doit relancer la machine économique par la dépense publique. Pour Joseph Schumpeter (Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942), le capitalisme n’est pas condamné par le chômage et la paupérisation, mais par la bureaucratisation de l’économie, l’effacement des entrepreneurs au profit des administrateurs, et par les excès de la fiscalité ; la seule issue est le socialisme, qui doit conduire non à la servitude mais à une liberté contrôlée. Les faits ont démenti cette thèse. On en revient donc à la thèse de Karl Polanyi selon laquelle la crise des années 1930 traduit la mort du libéralisme économique tel qu’il s’est déployé jusqu’à cette période noire (cf J. Maucourant, Avez-vous lu Polanyi ?, La Dispute, 2005). l’Europe avec le monde, ne se confond pas avec le colonialisme : il se traduit par plusieurs autres manifestations d’impérialisme (exportations de capitaux) et d’influence. Mais le phénomène emblématique n’en demeure pas moins la constitution d’empires coloniaux grâce auxquels les métropoles étendent leur domination sur d’immenses territoires continentaux et maritimes. » Les orientations historiographiques les plus récentes relativisent aussi les difficultés britanniques de la fin du XIXe siècle. Si la prépondérance anglaise est remise en cause, ce déclin est relatif : la Grande-Bretagne demeure la grande puissance commerciale et financière et subit un rattrapage normal des autres pays. De plus, on nuance aussi aujourd'hui l'idée de modèles nationaux d'industrialisation. En effet, Jacques Brasseul rappelle que des processus régionaux peuvent transcender les frontières nationales. L’innovation est au coeur du processus d’industrialisation, comme l’a admirablement montré l’historien François Caron. Enfin, chaque pays évolue à son propre rythme dans le processus d’industrialisation. Cette dernière idée prévaut actuellement chez les historiens, elle remplace l’idée selon laquelle tous les pays seraient engagés dans un processus unique, fait de phases successives et de passages obligés. On reconnaît aujourd’hui qu’il y a une voie anglaise, tout comme il y a une voie française ou italienne d’industrialisation. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Le plan s’ouvre ce faisant sur le constat de la croissance sur la longue durée, sur ses différenciations spatiales et sur les crises qui infléchissent le rythme, sans le remettre en cause d’une manière durable. Ce n’est qu’après l’étude de l’ouverture des marchés que sont analysés les évolutions techniciennes de la production, des modes d’organisation du capitalisme et du rôle des États. On insiste sur l’examen de la croissance qui est, à partir du milieu du XIXe siècle, « le phénomène majeur » des économies en pleine industrialisation. Ceci permet d’envisager ensuite comment et pourquoi l'industrie, principal moteur de cette expansion, devient le secteur majeur de l'économie, pour enfin montrer que Ce chapitre porte sur la croissance et l’industrialisation qui vont de pair. Nous pouvons choisir de présenter le développement de l’industrie en plusieurs phases, selon le schéma classique des « révolutions industrielles », pour intégrer plus facilement la chronologie des alternances de croissance et de dépression et parce que cela permet de rendre plus visible le « temps 57 les succès de l'industrie bouleversent l'ensemble de l'économie, donnant naissance à ce qu'on appelle désormais le système capitaliste. I. La croissance, « phénomène majeur » des économies en pleine industrialisation La croissance économique des pays d’Europe et d’Amérique du Nord s’accélère à partir de 1850. Cette croissance plus rapide est irrégulière, deux périodes de forte expansion (1850-1873 et 1896-1913) alternent avec une période de dépression (1873-1896). Cette accumulation plus rapide des richesses est liée à l’essor spectaculaire de l’industrie. La première révolution industrielle atteint alors son apogée ; une deuxième révolution industrielle s’amorce à partir de 1880. Les cycles et les accidents de la croissance Bien que les alternances de hausse et de baisse de l'activité économique ne soient pas d'une périodicité régulière, elles sont désignées par le terme de « cycle ». Les cycles courts ont été les plus perceptibles par les contemporains, les cycles longs ont été repérés par les économistes qui distinguent quatre phases dans un cycle long : la phase ascendante, la crise économique, la phase descendante et la reprise. La phase ascendante (« phase A ») est caractérisée par une hausse de la production, une amélioration des salaires, de l'emploi et des bénéfices. Les entrepreneurs investissent pour accroître leurs capacités de production. Cependant, au fur et à mesure de l'expansion, les producteurs se heurtent à des obstacles qui freinent la croissance (hausse des coûts de production, des taux d’intérêt, des prix, et donc baisse de la consommation). Parce que les stocks s'accumulent, les prix baissent, les industriels réduisent leur production et licencient. Survient alors une crise économique qui marque le point de retournement du cycle. Les crises peuvent être de différentes natures : les crises de type ancien sont dues à une sous-production agricole et les crises de l'âge industriel à une surproduction. Durant la phase descendante ou « phase B », l'économie cherche comment sortir de la récession économique. Les innovations se multiplient et permettent le retour de la croissance. La reprise est alors le point de retournement entre la phase descendante et la phase ascendante. Le trend est une évolution économique sur une période encore plus longue. Celui de la production révèle un fort accroissement des richesses entre 1815 et 1939, il croise celui des prix car l'augmentation des biens produits a permis la baisse globale de leurs prix : c’est un des moteurs essentiels de la croissance. Un cycle comprend donc les deux phases (hausse et baisse), aussi bien quand il est court que quand il est long. Le document fait apparaître les deux « rythmes » : le rythme court, décennal, des cycles de Juglar (1862) et le rythme long des dépressions durables qui annonce les analyses de Kondratiev des années 1920 sur les cycles de 50 à 60 ans. Clément Juglar, économiste français, est l’un des premiers à s’être avisé de la régularité du retour des phénomènes de crise et d’avoir tenté d’en mesurer la périodicité. On lui doit la définition des cycles décennaux. Le texte de Juglar, quant à lui, présente les crises comme un mécanisme naturel et inévitable, expliqué par les deux phénomènes de saturation (« tous les canaux paraissent remplis ») et de spéculation (« dépréciation de toutes les valeurs, obligation de se liquider dans les plus mauvaises conditions »). Il invoque la « nature humaine », soulignant le rôle de la psychologie au-delà des règles purement rationnelles qui sont censées gouverner l’économie. Kondratiev (1892-1930) est un économiste russe qui décrit dans son ouvrage Les Grands Cycles de la conjoncture (1922) l’existence de cycles auxquels son nom demeure attaché. Le schéma met en évidence ces cycles, en les reliant aux évolutions techniques et à la conjoncture guerrière et révolutionnaire. Kondratiev ne situe pas le tournant en 1929, mais en 1920, ce qui relativise la prospérité des années 1920. La théorie des grappes d’innovations, expliquant les cycles Kondratiev, défendue par Joseph Schumpeter en 1939, n’est que la traduction de mouvements économiques de fond. La seule analyse mécaniste est revisitée dorénavant par une approche plus globale et systémique. Il y a décalage entre les vagues d’inventions et les pics d’innovations : les pics traduisent l’incorporation des inventions dans le champ de la fabrication et correspondent aux périodes de l’industrialisation entre 1850 et 1939. L’expression « grappe d’innovation » fait référence à l’économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950) : les entrepreneurs (souligner la connotation positive du terme, induisant le risque, l’initiative, le travail...) à la recherche de nouvelles occasions de profit, introduisent des « long » de l’économie : une innovation technique, qu’elle porte sur un produit ou sur l’organisation du travail (comme le taylorisme), ne se diffuse pas instantanément dans l’ensemble des pays industrialisés, soit en raison des réticences et résistances diverses (des patrons aux ouvriers), soit en raison des investissements nécessaires, qui ne sont pas faciles à rentabiliser. Nous devons aussi bien distinguer l’industrialisation de la croissance, dont le rythme est plus incertain encore et dont les effets sont inégalement partagés avant la Seconde Guerre mondiale. On peut faire observer aux élèves la concentration des inventions dans la période 1870-1910, qui correspond plutôt à une période de dépression économique. Ce chapitre doit permettre à l’élève d’aborder le processus d’industrialisation dans sa complexité, en effectuant un va-et-vient incessant entre histoire économique, histoire sociale, histoire des idéologies et des représentations. Le deuxième objectif est de maîtriser la chronologie, qu’elle soit fine (concernant par exemple les inventions liées à l’électricité) ou bien qu’elle serve à dégager les grandes périodes de l’industrialisation : périodes de croissance, de dépression ou de crise. Enfin, les documents sont variés : statistiques, textes, chansons, affiches, photographies, etc. L’élève ne doit pas perdre de vue que les matériaux de l’historien sont nécessairement multiples si l’on veut saisir la complexité d’une époque. Une photographie très célèbre de Margaret Bourke-White, prise en 1937 lors des inondations de l’Ohio à Louisville, permet une lecture au premier degré : le contraste entre la confiance manifestée par l’affiche et la situation de dénuement des victimes des inondations ; l’expression du « standard de vie » américain : un couple, deux enfants, un chien, une automobile (rappeler le slogan électoral de Hoover en 1928 : « un poulet dans chaque marmite et deux voitures dans chaque garage »). Mais elle peut aussi permettre un travail sur l’image et sa valeur symbolique : en opposant une famille blanche et une file de Noirs, la photographie se place d’emblée dans la dénonciation des inégalités sociales et de la ségrégation (nous sommes dans le Kentucky, ancien État sudiste) ; pourtant, les hommes et les femmes photographiés ne donnent pas l’impression d’être particulièrement pauvres (voir les vêtements, globalement de qualité) et le fait d’être victimes d’inondations n’est pas forcément lié à la ségrégation. Parce que les États-Unis sont le premier pays entré dans la civilisation de la consommation 58 déséquilibres créateurs » par leurs innovations : nouveaux produits, nouveaux procédés de fabrication, nouvelles méthodes de gestion. Schumpeter relève que les innovations sont fréquemment contemporaines et liées entre elles. Hector Denis oppose la crise, phénomène brutal, que l’on peut qualifier de « retournement de tendance », et la dépression, qui est une situation de faible croissance qui se prolonge. La différence essentielle entre les deux notions est donc la durée, la dépression finissant par être plus menaçante, bien que moins violente, parce qu’elle semble sans fin. Ainsi, on peut extrapoler en évoquant le risque d’une perte de confiance consécutive à la dépression – ce qui peut être illustré par la dépression des années 1930, consécutive à la crise de 1929. On pourrait définir une « dépression » comme une période de ralentissement prolongé de la croissance ou de décroissance, par opposition aux crises brutales, donc plus courtes. Il est évidemment impensable de retracer tous les cycles décennaux ; il faut donc se concentrer sur les cycles « longs » : de 1815 à 1850 apparaît une tendance à la dépression ; de 1850 à 1873, une phase d’expansion ; de 1873 (krach) à 1896, « dépression fin de siècle » ou « grande dépression » ; de 1896 à 1929, nouvelle phase d’expansion puis ultime chute après 1929. On fera observer que ces cycles sont mis en évidence par le mouvement des prix, g globalement orienté à la baisse, ce qui n’est pas forcément négatif même si cette baisse des prix témoigne en général de difficultés de vente, donc d’un marasme, et s’accompagne à cette période d’une baisse des salaires, pour restaurer les taux de profit. En revanche, la « tendance longue » de la production (le trend des économistes) est globalement orientée à la hausse (c’est ce qui permet de parler de « croissance » globale pour l’ensemble du siècle, indépendamment des fluctuations ponctuelles ou plus longues). Dans la crise de 1873-1896 les États se réfugient dans la solution protectionniste, dans celle des années 1930, ils interviennent surtout pour soutenir la consommation intérieure et encadrer plus fortement l’économie. Ces deux crises n’ont toutefois pas entamé la croissance sur le long terme. Les facteurs que l’on peut faire intervenir pour expliquer les fluctuations de la croissance sont de deux ordres. D’une part, les découvertes de mines d’or, qui provoquent un enrichissement réel et donnent la possibilité d’accroître les ressources monétaires en circulation, étant donné que les monnaies sont à cette époque définies par un poids de métal précieux, or ou argent, les deux étalons étant liés par un rapport fixe. L’accroissement de richesse permet de stimuler les échanges et la production et conduit aussi à une hausse des prix (plus de monnaie pour un stock de biens qui augmente moins vite). D’autre part, les inventions et l’apparition de nouveaux « secteurs moteurs ». On retrouvera ainsi, pour la phase d’expansion du début du XXe siècle, le rôle de la « deuxième industrialisation » autour du moteur, de l’électricité et de la chimie. Le texte de Paul Reynaud évoque les différentes composantes de la crise, y compris les signes « avant-coureurs ». On y retrouve bien sûr la forte spéculation boursière et la saturation des marchés les plus dynamiques (l’automobile) ; on peut ajouter comme élément explicatif l’accroissement de la part des ventes à crédit dans les secteurs « porteurs » (automobile, électroménager) et l’amorce d’une surproduction, perceptible « en amont » par la baisse des prix des produits de base (agriculture, matières premières). Le déclenchement de la crise par le krach est évidemment central ainsi que l’effet d’entraînement via l’agriculture et les faillites bancaires, qui sont ici plutôt rattachées aux défaillances des exploitants agricoles qu’aux pertes dues à la spéculation boursière (autre cause aggravante, mais qui ne s’applique pas forcément aux mêmes établissements bancaires ; penser aussi à évoquer les défaillances industrielles lorsque la crise s’étend et que le crédit n’est plus assez facile pour « porter » la consommation). Le mécanisme de transmission de la crise identifiable ici est lié à l’effondrement du commerce mondial. Le graphique dit « en toile d’araignée » est bien adapté aux phénomènes cycliques et notamment saisonniers. On voit clairement ici qu’à chaque mois la valeur du commerce mondial est inférieure à celle de l’année précédente et que cette « spirale » de baisse ne s’interrompt pas avant mars 1933 (dernier mois présenté). On prend ainsi conscience de la réaction protectionniste généralisée et durable qui aggrava les effets de la crise et la propagea à l’ensemble du monde. On notera toutefois que l’utilisation de la valeur des échanges accentue le phénomène du fait de la baisse des prix, mais l’évolution en volume (en dollars constants et non plus courants) irait dans le même sens. La dépression des années 1930 et les mécanismes de la dépression de masse, la crise des années 1930 a correspondu à un désarroi exceptionnel pour les classes populaires, surtout rurales, et à une prise de conscience fondamentale pour les artistes. Toute une génération intellectuelle a été marquée par cette prise de conscience, à l’instar de la photographe D. Lange, du chanteur Woodie Guthrie (ancêtre des compositeurs de protest songs, père spirituel de Bob Dylan et de Bruce Springsteen, il crée ses « Dustbowl ballads » en 1940), et, bien sûr de John Steinbeck. Parue en 1939, portée à l’écran par John Ford dès 1940, l’œuvre de Steinbeck raconte l'histoire d'une famille de paysans, qui, ruinée par des catastrophes naturelles et par la crise des années 1930, doit quitter l'Oklahoma et venir chercher du travail en Californie. Peu à peu, cette famille voit la terre promise californienne se transformer en un véritable enfer. Le titre Les Raisins de la colère (The Grapes of Wrath) fait référence à un passage de l'Apocalypse de Saint-Jean (« And the angel thrust in his sickle into the earth, and gathered the vine of the earth, and cast it into the great winepress of the wrath of God ») ainsi qu'à un chant patriotique américain The Battle Hymn of the Republic, écrit pendant la Guerre civile américaine. Cette chanson demandait la libération des esclaves du Sud. La destruction des stocks d'oranges est nécessaire pour que les prix remontent et qu’il soit à nouveau rentable d'en produire. Cette logique économique inhumaine est condamnée par Steinbeck car elle conduit à détruire de la nourriture alors qu'il y a « un million d'affamés » et que des enfants meurent à cause de la sous-nutrition. Les Temps modernes est le dernier film muet tourné à Hollywood (1936), il marque également la dernière apparition à l’écran du personnage de Charlot, créé en 1914. Pauvreté, chômage, grève, tyrannie des machines… les thèmes développés dans ce film reflètent les préoccupations de nombreux Américains dans les années 1930. KRUPP : UNE REUSSITE INDUSTRIELLE L’essor d’une grande entreprise On évoque la constitution progressive du Konzern qui devient une multinationale entre 1811 et 1918 en pratiquant à la fois la concentration horizontale et la concentration verticale. À chaque fois, il ne s'agit que d'exemples (datés et localisés) d'acquisitions d'entreprises symboliques de l'essor du Konzern. On montre la volonté d'Alfred Krupp de toujours se trouver à la pointe du progrès, notamment par le recours aux machines les plus modernes. On montre l'extension spatiale des usines Krupp à Essen en 1912. En 1811, il n'existait qu'un atelier 59 La bonne santé de l’économie américaine dans les années 1920 a entraîné une intense spéculation boursière. Entre 1925 et 1929, l’indice des valeurs cotées à Wall Street augmente deux fois plus vite que l’indice de la production industrielle. La spéculation atteint un niveau record en 1929, ce d’autant que de nombreux agents de change l’encouragent en négociant les actions à crédit. Aussi la publication de mauvais chiffres en octobre déclenche un mouvement de panique et, le 24 octobre, plus de 16 millions de titres sont jetés sur le marché, provoquant son effondrement. Le krach est dû à une spéculation, favorisée par un système d'achat d'actions à crédit. Nombre d'Américains aisés, séduits par la hausse spectaculaire des cours de la bourse, achètent alors des actions en s'endettant. Ils espèrent rembourser cet emprunt et obtenir un gain important par la revente de leurs titres quelque temps plus tard. Le krach réduit à néant ces espoirs et ruine de nombreux ménages qui ont jusqu'alors profité d'une hausse de leur pouvoir d'achat pour consommer des produits industriels. Après le krach boursier, les acteurs financiers deviennent réticents à investir. Aussi, l'économie sombre dans une crise grave, connue par les Américains comme la « grande dépression ». On utilise souvent la notion de « spirale »pour parler de la situation dans les années 1930. Le document met en évidence l’effondrement des cours de Bourse, l’impossibilité de rétablir durablement la confiance, ce qui contraste totalement avec la période antérieure caractérisée par quatre années de hausse ininterrompue. Au contraire, à quelques brefs moments près, la chute des cours est continue et plus brutale puisqu’en un an environ le marché « efface » trois années de hausse (on revient fin 1930 au niveau de 1926). Les cours ne commencent à se redresser qu’en 1932, mais pas de façon décisive et seulement après une division par 6 par rapport à 1929. De nombreux pays et toutes sortes de professions sont touchés par la crise, mais le graphique montre néanmoins que le rythme et l’intensité ne sont pas identiques : le recul de la production industrielle est moins élevé au Royaume-Uni qui connaît, comme les États-Unis, une rechute en 1937 ; en France, la crise s’apparente plutôt à une longue stagnation. Deux réponses théoriques à la dépression : plus d’impôts ou moins d’impôts ? Face à la crise, deux politiques sont tour à tour adoptées dans les années 1930 : la politique libérale déflationniste classique d’abord puis, devant son échec, la politique keynésienne. Pour les libéraux classiques, s’il y a crise, c’est qu’il y a déséquilibre entre les recettes et les dépenses de l’État ; en même temps, du fait du déficit budgétaire, la monnaie s’affaiblit (parce que du fait de ce déficit, elle inspire moins confiance), ce qui entraîne l’accroissement des dépenses de l’État (la monnaie ayant moins de valeur, il en faut davantage pour financer les mêmes achats) et aggrave donc le déficit. C’est pourquoi les libéraux souhaitent revenir à une monnaie forte en rétablissant l’équilibre budgétaire par réduction des dépenses de l’État. Mais un tel choix ralentit l’économie et aboutit à une baisse des recettes de l’État, ce qui impose de nouvelles baisses de dépenses : un cercle vicieux est ainsi engagé. C’est pour en sortir que Keynes accepte un déficit temporaire de l’État, donc un affaiblissement de la monnaie, pour relancer l’activité par des commandes qui favorisent le redémarrage des entreprises, puis la consommation de ceux qui y travaillent. Cela enclenche une dynamique de reprise, qui augmente les recettes fiscales, et donc permet le rétablissement de l’équilibre budgétaire. En 1932, le « New Deal », ou « Nouvelle donne », porte le démocrate Franklin D. Roosevelt à la présidence des États-Unis. Ce programme économique ambitieux entend sortir le pays de la dépression. Le président Roosevelt critique la logique du capitalisme et la trop grande place occupée par « les seuls profits mercantiles ». Le discours du président Roosevelt utilise l’analogie guerrière pour stimuler l’économie et résorber le chômage, après l’échec de la politique déflationniste d’Hoover. Plusieurs solutions sont envisagées pour sortir de la crise : – l’État va surveiller les transactions financières : « il devra y avoir une stricte surveillance de toutes les activités bancaires, financières et d’investissement ; il faudra mettre un terme aux agissements de ceux qui spéculent avec l’argent des autres. » – L’État va devenir employeur et s’impliquer davantage en économie : « un recrutement direct du gouvernement » ; « en planifiant et en surveillant, au niveau national, toutes les formes de transport, de communications et de services qui ont manifestement un caractère d’intérêt public. » – Les États-Unis vont mettre en place des barrières douanières fortes : « Nos accolé à la maison d'habitation de la famille Krupp. En 1912, c'est une véritable ville dans la ville. La visite d’un Suisse dans les usines Krupp à Essen en 1877 révèle la fascination exercée sur les contemporains par le récent développement des grands complexes sidérurgiques. L'auteur insiste sur tout ce qui est spectaculaire (prouesses techniques, immensité et organisation complexe de l'entreprise, mouvements, bruits...). L'essor de Krupp est lié à la fabrication d'armes de guerre (50% du chiffre d'affaires vers 1880). C'est en 1847 que l'entreprise fabrique son premier canon en acier et Alfred Krupp est vite surnommé le roi du canon (Kanonenkönig). En 1914 la fabrication de ces canons applique déjà les principes de l'organisation scientifique du travail. L'entreprise Krupp s'est fortement diversifiée et s'est implantée à l'étranger afin, surtout, de sécuriser son approvisionnement. Spécialisée d'abord dans la sidérurgie, elle a acquis des mines, des activités industrielles qui ont besoin d'acier et enfin une compagnie de transports maritimes. Krupp est donc devenu un Konzern en pratiquant la concentration horizontale et verticale. Le chemin de fer est essentiel aux usines d'Essen pour le transport des matières premières et des produits finis. L’entreprise possède ses propres wagons et un réseau ferroviaire qui relie entre eux les divers bâtiments. Par ailleurs, le développement des chemins de fer dans toute l'Europe a créé un besoin croissant d'acier qui a profité aux entreprises sidérurgiques telles que Krupp. La ville d'Essen et la Ruhr sont situées dans le nord-ouest de l'Allemagne. L'usine Krupp bénéficie de la proximité de gisements de charbon, source d'énergie et matière première essentielle à la production d'acier. Son essor est aussi favorisé par sa proximité avec le Rhin et la mer du Nord (port de Rotterdam) ainsi que par sa position dans la partie de l'Europe la plus industrialisée, la plus urbanisée et la mieux intégrée au réseau des principales voies ferrées. L'usine d'Essen est gigantesque, ses nombreux bâtiments ont des formes variées car ils sont spécialisés dans un type d'activité (forges, fabrication de canons...). Certaines bâtisses sont de grande taille et les cheminées sont immenses. Cette architecture de brique, très fonctionnelle, est typique des constructions industrielles de l'époque. Cet ensemble est traversé par de larges avenues et par un dense réseau de voies ferrées. La fumée et le bruit suggèrent une intense activité et révèlent la pollution engendrée par la métallurgie. L'espace ainsi créé est représentatif des paysages industriels qui naissent avec l'industrialisation. L'usine Krupp est une des usines les plus mécanisées d'Europe dès la fin du XIXe siècle. Reybaud remarque « qu'il 60 relations commerciales internationales, en dépit de leur extrême importance, ne sont, au regard de la situation actuelle et des impératifs qu’elle entraîne, que secondaires face à l’établissement d’une politique nationale saine. » – L’État va jouer sur la demande, assurer la relance par la consommation et l’investissement (c’est l’approche keynésienne) : « accroissant les prix des produits agricoles et, avec eux, le pouvoir d’achat des agriculteurs. » En définitive, le libéralisme qui avait triomphé jusque là est remis en cause : l’idée selon laquelle l’État ne doit pas intervenir en économie n’a pas résisté à l’épreuve des faits. La crise de 1929 accélère la mise en place de l’État-Providence, qui s’épanouit après la Seconde Guerre mondiale. Les liens entre J.-M. Keynes et F.-D. Roosevelt ne sont pas directs. L’Anglais Keynes ne fit jamais partie de l’équipe du président américain, il finit brillamment sa carrière à la banque d’Angleterre et fut fait pair. Toutefois l’influence de ses idées sur la politique de Roosevelt est patente. C’est globalement la même analyse des causes de la crise qui anime les deux points de vue : le chômage est lié au ralentissement de l’activité, lui-même explicable par le recul de la consommation. C’est donc sur la demande qu’il faut agir ! À partir de cette analyse convergente des raisons de la crise, les solutions proposées convergent elles aussi : elles repoussent le modèle socialiste, mais n’hésitent pas à faire intervenir l’État pour «réamorcer la pompe». Il est nécessaire de creuser le déficit, dans un premier temps, en se lançant dans des investissements de développement économique dont la TVA (Tennessee Valley Authority) est l’exemple le plus abouti. On en escompte la redynamisation de l’activité grâce aux salaires distribués qui accroîtront, mécaniquement, la consommation, et aussi, à terme, le budget. Politiquement, cela nécessite de donner à l’État des pouvoirs plus forts pour légiférer (cf. NIRA National Industrial Recovery Act et AAA Agricultural Adjustement Act voté en 1933 aussi), ce qui heurtait la pratique libérale en vigueur et entraîna une lutte constante de l’administration Roosevelt contre les juges de la Cour suprême. II. L'industrie, secteur majeur de l'économie La part de l’industrie dans la richesse nationale La tendance générale est la même pour chacune des quatre grandes puissances industrielles : la richesse nationale repose de plus en plus sur le secteur manufacturier. Cependant, seul le Royaume-Uni est, dans les années 1930, dans une situation où l’industrie fournit la moitié du PIB. Dans les autres pays, le secteur primaire reste important tandis que les services connaissent un essor remarquable, surtout aux États-Unis. On peut représenter l’entrée de différents pays dans l’ère industrielle, en se basant sur la chronologie du « take-off » de W. Rostow (démarrage et accélération de la croissance, suite à des taux d’investissements élevés dans l’industrie). On observe une extension du phénomène à partir de la Grande-Bretagne (avant 1800) vers l’Europe continentale : Belgique, France et États-Unis dans une première phase ; l’Allemagne et Suède ensuite ; à la fin du siècle : Russie, Italie et Canada. L’industrialisation du Japon, à partir de l’ère Meiji (1868) peut être éventuellement évoquée, avec ses spécificités nationales : un rôle décisif de l’État, une bourgeoisie industrielle liée aux élites traditionnelles, une stratégie commerciale mercantiliste. Elle aboutit à faire du Japon une puissance industrielle et militaire dès le début du XXe siècle, capable de triompher de la Chine (1895) et de l’Empire russe (1905) pour établir une domination régionale. À elle seule, l’Angleterre domine le monde avec près du quart de la production manufacturière mondiale (le tiers en 1870) et près de 60 % du commerce des produits manufacturés. La City concentre le pouvoir bancaire, la livre sterling en est son instrument. Cette hégémonie prend sa source dans les mutations économiques et démographiques que connaît l’Angleterre dès la fin du XVIIe siècle, tandis que la France prend alors du retard en raison de transferts de main d’œuvre vers l’industrie et les villes plus lents, la productivité agricole et la croissance de la population étant beaucoup plus faibles. En Allemagne, l’industrialisation démarre bien avant l’unification, elle s’accélère à partir des années 1870 grâce au soutien de l’État et aux commandes militaires. Vers 1913, avec 66 millions d’habitants l’Allemagne est devenue une puissance industrielle. L’essor des États-Unis doit beaucoup à l’immigration européenne et à sa propre dynamique démographique, ainsi qu’au développement de son réseau de chemin n'en est aucune qui ait poussé aussi loin le luxe des instruments de précision ». Elle possède le plus grand marteau pilon du monde. Krupp, qui dispose d'une nette avance technologique, peut fabriquer un acier spécial qui « permet de couler d'une seule pièce les plus gros canons ». Krupp fabrique ses canons en série de différents calibres. Leur production est donc standardisée. La rationalisation du travail conduit à spécialiser les ouvriers dans une tâche précise. Pour limiter leurs efforts, les canons sont placés à hauteur d'homme et transportés par un appareil mécanique de levage. Une dynastie d'industriels allemands Malgré la transformation de l'entreprise en société anonyme après la mort de FriedrichAlfred Krupp, l'aîné(e) de la famille (ou son conjoint) conserve le contrôle de l'entreprise. Le portrait de Gustav et Bertha Krupp von Bohlen und Halbach avec leurs enfants en 1931 orne encore aujourd'hui le grand hall de la villa Hügel. Elle montre que la famille est une des valeurs essentielles de la bourgeoisie. Cette peinture est un hymne à la famille. C'est le portrait d'une communauté heureuse regroupée autour de son chef. Gustav Krupp, l'air grave, en position dominante, pose une main protectrice sur l'épaule de sa femme qui tient tendrement la main de son plus jeune fils. Les sages coiffures, la sobriété des vêtements sont représentatifs d'un conformisme bourgeois rejetant l'extravagance. La place de la femme dans la bourgeoisie est ambivalente. D'un côté, l'homme lui doit le respect et la galanterie, ce qui commande qu'une dame dispose des sièges confortables d'une pièce (ici les fauteuils). De l'autre, elle est cantonnée dans le rôle de mère et de maîtresse du foyer. Bertha, principale propriétaire de la société car fille aînée de Friedrich-Alfred Krupp, doit céder la direction des usines à son mari. Dans la tradition familiale, les héritiers de sexe masculin ont toujours pris la tête de l'entreprise. La villa Hügel, résidence de la dynastie Krupp, illustre autant la richesse et le somptueux train de vie des Krupp que leur volonté d'impressionner les visiteurs. Le train de vie des Krupp est fastueux. La résidence familiale est un immense palais à la belle façade de pierre. La villa est précédée d'un vaste parc fleuri. La pièce représentée sur la peinture exprime le désir de paraître de ses propriétaires. Des tapisseries de valeur pendent au mur de la pièce, les meubles de style sont richement ornés... Ce mode de vie n'appartient qu'à la bourgeoisie la plus fortunée qui copie le modèle aristocratique. Les autres bourgeois ont une vie plus simple même s'ils tentent d'imiter la haute bourgeoisie avec les moyens dont ils disposent. Dans leurs appartements, le salon devient la pièce qui exprime avec force cet 61 de fer. Cette politique de construction et d’aménagement ferroviaires est également suivie par la Russie dans la seconde moitié du XIXe siècle, en même temps que le développement des exploitations minières et de l’industrie lourde, grâce à des capitaux extérieurs, notamment d’origine française. Enfin, le Japon se convertit au libre échange après 1853, et se lance dans un important programme de transferts de technologies occidentales ; l’État y joue, là encore, un rôle primordial en créant des pans entiers de l’industrie (textile, chantiers navals) et de la finance, avant de les céder au secteur privé. L’originalité de l’industrialisation en France de 1850 à 1939 L’industrialisation de la France s’est opérée à un rythme régulier, progressif, qui ne correspond guère au modèle britannique de la « révolution industrielle ». La France est pourtant clairement une puissance industrielle, puisque l’industrie représente plus de 40 % de son PIB en 1930 (pourcentage supérieur à celui de l’Allemagne ou des États-Unis). Plutôt que de parler de «retard» français, il faut donc souligner l’originalité de l’industrialisation « à la française », qui a su concilier différentes formes d’organisation du travail. Le travail à la chaîne suscite encore les résistances des ouvriers dans les usines modernes des années 1920-1930. Le travail rural à domicile a subsisté longtemps, dans une France où l’industrialisation ne signifiait pas nécessairement urbanisation. Le travail quasi artisanal des ouvriers qualifiés, héritiers du monde de l’atelier et du métier, conserve de l’importance, y compris dans des secteurs modernes comme la construction aéronautique (ou automobile). La répartition de la population active dans les grands pays industrialisés L’industrie voit sa main-d’oeuvre progresser nettement. Toutefois, les situations de départ des quatre puissances sont dissemblables. Au milieu du XIXe siècle, le Royaume- Uni emploie 43 % de sa population active dans l’industrie. En revanche, en Allemagne, aux États-Unis et en France, les employés du secteur manufacturier représentent entre 21 et 26 % de la population active. À la fin de la période, le Royaume-Uni est le seul pays dont près de la moitié des actifs travaille dans l’industrie. L’Allemagne et la France sont dans une situation proche (près de 40 %) alors que les Etats-Unis sont en retrait (32,5 %). L’autre secteur en progrès pour tous les pays est celui des services. Il est déjà assez développé au Royaume-Uni vers 1850, ce qui explique sa progression plus lente par la suite. Aux États-Unis, il devient le secteur majeur dès les années trente. Cette tertiarisation de l’économie correspond à de fortes créations d’emplois nouveaux dans les administrations et les entreprises. L’Allemagne et surtout la France connaissent un retard dans ce domaine qui s’explique, pour notre pays, par le poids de l’agriculture familiale. La production mondiale de charbon augmente très fortement entre 1850 et 1913 (1 340 %) surtout aux États-Unis (plus de 7 000 %) et en Allemagne (près de 4 000 %). C’est entre 1870 et 1913 que le rythme est le plus rapide. Pour la sidérurgie, l’augmentation de la production est aussi impressionnante. En Europe, c’est l’Allemagne qui connaît la progression la plus rapide (plus de 3 500 %). Les Etats-Unis surclassent tous les pays européens grâce à une croissance de plus de 12 000 %. Là encore, c’est de 1870 à 1913 que le rythme est le plus rapide. Cet essor s’explique par les progrès de l’industrialisation, fondée d’abord sur les techniques de la première révolution industrielle qui fait du charbon la première source d’énergie. Quant à la production sidérurgique, elle bénéficie de la demande en métal (machines, bâtiments…) et d’innovations telles que le procédé Bessemer. LE CREUSOT : UNE VILLE, UNE FAMILLE, UNE ENTREPRISE Le Creusot est le complexe industriel le plus exemplaire de l’hexagone concernant les liens qui se tissent entre la ville et ses habitants d’un côté, l’entreprise et ses patrons de l’autre (même si Michelin à Clermont-Ferrand est à bien des titres comparable). Rarement on ne retrouve une telle emprise de l’industrie sur la ville et un paternalisme aussi abouti qu’au Creusot, comme en témoigne la statue à la gloire de la famille Schneider, qui aujourd’hui encore se dresse sur la place centrale de la ville. Le peintre a simplifié l’organisation du Creusot et mis en valeur la partition fonctionnelle et sociale des activités. Au centre, l’ancienne Fonderie royale avec ses cheminées, et à gauche, une caserne de logements ouvriers nous rappellent art de vivre fondé sur le goût du décor chargé et le désir de paraître. Alfred Krupp est un patron célèbre pour sa politique paternaliste, il justifiait son attitude par ces mots : « nous ne voulons que des ouvriers fidèles qui nous aient au fond du coeur de la reconnaissance pour le pain que nous leur faisons gagner ». Alfred Krupp apparaît comme un libéral conservateur qui s'oppose autant à l'idéologie socialiste qu'à l'émancipation politique de ses employés. Alfred Krupp condamne le socialisme parce qu'il remet en cause la propriété privée et prône une révolution violente. Cette solution politique est inacceptable pour un capitaliste libéral tel que lui, qui défend un système permettant de s'enrichir « honnêtement » génération après génération par « le labeur et l'économie ». L'entreprise construit des logements, des écoles et des hôpitaux pour ses ouvriers. Elle a mis en place un système d'assurances sociales. Enfin, Alfred Krupp accorde des crédits à ses employés et les intéresse à la réussite de l'entreprise puisque « l'ouvrier a une prime sur les bénéfices de l'usine ». Alfred Krupp attend de ses employés fidélité et soumission en échange des bienfaits qu'il octroie. Pour lui, les ouvriers sont incapables de réflexion politique. Leur seul souci doit être de profiter de la générosité de leur patron pour s'occuper de leur foyer et de l'éducation de leurs enfants. L'attitude d'Alfred Krupp est un comportement d'autorité sous couvert de protection qui rappelle celui d'un père, d'un chef de famille. Les employés sont considérés comme des enfants qu'il faut aider, orienter mais aussi encadrer. Les œuvres sociales sont, en effet, autant un moyen de s'attacher l'ouvrier que de le contrôler pour éviter toute agitation sociale. Un monde nouveau : l’usine Tableau de 1873. Archives Krupp, Allemagne. Parce que le monde de l'usine n'est pas un sujet noble pour les peintres et que l'industrie sidérurgique de la Ruhr ne connaît son véritable essor que dans les années 1850, il est logique que les représentations de la première industrialisation de l'entreprise Krupp soient assez tardives. Celle-ci est d'autant plus exceptionnelle qu'elle décrit avec qualité les ouvriers, saisis au plus près de leurs gestes de travail. Le plus surprenant, peut-être, est la relative absence des machines. Dans son premier âge, l'industrie reste encore une affaire d'équipes humaines, toutefois considérablement multipliées par rapport au monde artisanal, comme le montre la densité impressionnante qui anime ce hangar. Emblématique de l’industrialisation allemande, relativement tardive et 62 que le Creusot est avant tout une ville laborieuse ; au fond, le château de la Verrerie et l’église Saint-Laurent sont les deux symboles du pouvoir qu’exercent sur la ville la religion et la famille Schneider ; à droite des habitations bourgeoises. Rappelons que le Creusot doit son nom à son site en creux de vallée ; on distingue à l’arrière-plan les montagnes dominant la plaine. Le peintre et Guy de Maupassant ne distinguent pas la ville de ses activités minières et industrielles. On peut même dire que la ville du Creusot incarne l’industrie. Comme le dit Monsieur Gertal à Julien dans Le Tour de France par deux enfants : « nous sommes en face du Creusot, la plus grande usine de France et peut-être d’Europe ». Guy de Maupassant mobilise tous ses sens afin de nous faire partager ses impressions. La vue : « un nuage s’élève, tout noir, opaque (…) qui obscurcit l’azur clair du jour ». Le toucher : «Une poussière de charbon voltige, pique les yeux, tache la peau, macule le linge. Les maisons sont noires comme frottées de suie ». L’odorat : «Une odeur de cheminée, de goudron, de houille flotte, contracte la gorge ». Le goût : « une âcre saveur de fer, de forge ». L’ouïe : «Un bruit sourd et continu fait trembler la terre ». L’imagination est enfin mobilisée : «Quelle féerie ! C’est le royaume du Fer, où règne sa Majesté le Feu ! ». C’est donc l’être tout entier qui perçoit et ressent Le Creusot. Le Creusot est devenu un centre sidérurgique dès le début du XIXe siècle grâce aux mines de charbon situées juste au nord et sous l’impulsion de la famille Schneider. Le marteau-pilon, destiné à former les pièces, est le symbole de cette activité. Celui représenté sur cette gravure sera remplacé dix ans plus tard par un appareil de 100 tonnes. Les hommes apparaissent tout entiers au service de la production ; la lumière est produite par la pièce qui sort de la forge, les hommes sont dans l’ombre et manoeuvrent péniblement le bloc d’acier. Ils transportent à l’aide d’un système de poulies et de volants la pièce chauffée et rendue malléable vers le marteau-pilon, où elle sera emboutie, aplatie. Adolphe et Eugène Schneider sont issus d’une famille de notaires et propriétaires terriens en Lorraine. Mais les deux frères sont bien connectés avec le banquier et manufacturier parisien Seillière. Adolphe a été son homme de confiance et Eugène a dirigé deux entreprises financées par la banque Seillière. C’est grâce à des capitaux apportés par cette banque qu’ils peuvent se porter acquéreurs des fonderies du Creusot en faillite en 1836. Quatre générations se succèdent à la tête de cette entreprise familiale, politique dynastique que les Schneider ont soigneusement mise en avant car elle implique pour eux la cohésion, la continuité, le respect des valeurs morales. Ils ont conquis leur pouvoir en s’affirmant comme des entrepreneurs très dynamiques mais aussi en menant une judicieuse politique d’alliances matrimoniales (mariage avec la nièce d’un banquier) et enfin en occupant des postes de décision politique. Deux axes principaux de politique matrimoniale apparaissent : la consolidation de l’entreprise (famille d’industriels et de banquiers : Neuflize) ; la prétention nobiliaire (de Brantes ; de Brissac). Une exception : Henri épouse successivement les deux filles de Madame Asselain, maîtresse officielle de son père... Sentiments ou fidélité familiale ? Henri Schneider (1840-1898) est membre de la dynastie des Maîtres de forges qui a fondé le complexe sidérurgique du Creusot. Avec les De Wendel en Lorraine, la famille Schneider appartient au puissant Comité des forges, créé en 1860 et dissout par le gouvernement de Vichy en 1940. Henri Schneider est représenté en 1890 sur un vitrail de l’église Saint-Henri du Creusot agenouillé devant SaintÉloi, patron des forgerons. Ce portrait symbolise l’inspiration religieuse du courant paternaliste, car l’utopie sociale n’a pas été portée uniquement par les courants visant la fin du capitalisme sauvage (Fourier, Proudhon, Marx) ; elle relève également d’un patronat soucieux d’éviter les conflits sociaux et d’apporter une amélioration de la condition matérielle et morale de leurs ouvriers. Considérant les ouvriers comme des enfants qu’il faut encadrer mais aussi protéger, de nombreux patrons comme les Schneider, les Thyssen ou les Dolfuss de Mulhouse, s’engagent dans une politique paternaliste en s’efforçant d’améliorer les conditions de vie et de travail des ouvriers. Cette politique, inspirée par les travaux de Le Play, permet aussi de fixer une main-d’œuvre souvent jugée trop instable et de contrôler les tensions sociales. La composition du tableau de Aimé Morot s’inspire des représentations de souverains désignant leur domaine sur une carte. Ici, Eugène II montre le plan de la ville du Creusot à son fils aîné, héritier désigné. Le plan du château de la Verrerie occupe le mur du fond. Plus qu’un chef d’entreprise qui mène une habile stratégie (voir la chronologie des productions), il est le maître du Creusot, remarquablement efficace, l’entreprise Thyssen permet de donner un exemple concret du processus de concentration des activités qui a fait l’efficacité du capitalisme industriel dans la Ruhr comme ailleurs. D’abord spécialisée dans la petite métallurgie (la tréfilerie du père emploie sept ouvriers dans les années 1840), l’entreprise Thyssen est avant tout liée à la fonderie. Puis, pour contrôler les prix de ses fournitures et pour s’assurer les meilleures marges de vente, le groupe en vient à se développer, se concentrer, à la fois horizontalement (rachat des fonderies concurrentes) et verticalement (en amont comme en aval). Il faut attendre l’entre-deux-guerres pour que le monde de l’usine fascine les artistes, ou plus exactement pour que la classe ouvrière soit un sujet pictural (Rivera, Léger). Auparavant, les peintres d’usines sont des spécialistes, souvent liés à cette activité par une commande (cf R. Picco-Rückert qui peint une fonderie métallurgique moderne). « DETROIT INDUSTRY », 1931-1933 Fresque peinte par Diego Rivera (1886-1957) pour et dans la cour du Detroit Institute of Arts à Détroit (Michigan) Que le muraliste mexicain marxiste, Diego Rivera, ami de Trotsky, mari de Frida Kahlo, peintre révolutionnaire, ait pu accepter cette commande des Ford à Detroit, bastion du capitalisme américain, montre bien la fascination commune pour l’industrie qui anime les hommes du premier XXe siècle. Alors que sur le mur nord figure la « production du moteur et de la boîte de vitesse de la Ford V8», le mur sud représente la « production de la carrosserie et l’assemblage final» d’une voiture Ford. Contrairement à ce qui se passa en mai 1933 à New York avec la famille Rockefeller (Rivera ayant inclus sur sa fresque L’Homme au croisement, du Rockefeller Center, un portrait de Lénine, non prévu sur l’esquisse préalable, son contrat fut résilié et sa fresque détruite), l’entente avec Edsel Ford fut excellente. Celui-ci défendit l’oeuvre de Rivera face aux accusations, issues en particulier du lobby religieux, de «pornographie, de communisme, d’antiaméricanisme, d’insulte à Detroit et de gadget publicitaire inventé par Edsel Ford», en employant l’argument esthétique d’un mécène milliardaire : s’il avait fait réaliser ces fresques, c’est qu’il les aimait ; la ville, et les autres, n’avaient qu’à s’occuper de leurs affaires ! Il est vrai qu’ici il n’y a point de Lénine et que la mécanisation tout au long de la chaîne de montage est peinte de façon précise (aucun détail n’est oublié, Rivera avait réalisé toute une série de croquis à l’usine Ford Rouge de 63 exerçant son patronage sur les ouvriers. Quatre générations sont associées sur le tableau : Eugène I en buste ; Henri sur un tableau de Morot, mur du fond, à gauche ; Eugène II assis au centre de la composition ; ses trois fils, aux prénoms traditionnels dans la famille : Jean, Henri, Charles. Imitation royale pour les deux derniers ? La fille est écartée du groupe, exclusivement masculin. Jules Huret est un célèbre journaliste de la fin du XIXe s. Dans un ouvrage paru en 1897, il publie une série d’interviews de grands patrons de l’époque, dont le banquier A. de Rothschild et l’industriel H. Schneider dont les déclarations constituent une véritable « profession de foi » du libéralisme. Henri Schneider est un patron libéral car il n’admet pas l’intervention de l’État dans l’économie, il la considère comme une « entrave ». Il refuse aussi bien la mise en place d’une législation sociale que l’intervention du préfet en cas de grève. Il est hostile à la journée de 8 heures et mobilise un argument économique : « les salaires diminueront ou le prix des produits augmentera » ; un autre d’ordre moral : « un ouvrier bien portant peut très bien faire ses dix heures par jour », ajoutant non sans ironie que lui-même travaille plus de huit heures, ce qui est une manière de relativiser la pénibilité du travail ouvrier. C’est le paternalisme qui est au coeur du système Schneider au Creusot. Une chanson, chantée par les ouvriers, est une louange au fondateur de la dynastie des Schneider. Dans de nombreuses entreprises, et au Creusot en particulier, le mythe du père fondateur est entretenu, afin d’encrer historiquement et symboliquement la domination du patronat sur les employés. H. Schneider s’est représenté en patron des ouvriers, affirmant ainsi que le pouvoir de la famille n’est pas uniquement économique et revêt une dimension religieuse. C’est une manière pour les Schneider de légitimer leur domination sur les ouvriers. Cette mainmise économique et symbolique des Schneider sur la ville est contestée par Léo Lagrange (député de la SFIO entre 1932 et 1940, soussecrétaire d’État aux Sports et Loisirs en 1936-1937, 1938), qui dénonce par ailleurs les manoeuvres politiques antidémocratiques de la famille. L’intervention de Léo Lagrange, député SFIO du Nord, devant la Chambre des députés a pour but de demander l’invalidation de l’élection législative du canton du Creusot (« C’est pourquoi je demande à la Chambre [...] »). Ce texte montre le poids social du grand patronat (le deuxième paragraphe montre qu’on est Schneider de la naissance – la maternité est Schneider – à la mort, – les pompes funèbres aussi sont Schneider.) Il permet de constater aussi que leur poids politique (on est au moins maire et député de père en fils et on fait élire des hommes de paille tel V. Bataille) s’appuie sur leur domination économique et sociale (syndicalistes et socialistes licenciés après une élection municipale). Pour Jean-Baptiste Dumay, militant ouvrier originaire du Creusot, le pouvoir local des Schneider, « féodalité financière et industrielle », ne peut être renversé par le suffrage universel. L’élection d’une municipalité ouvrière affaiblirait certes l’« omnipotence » des Schneider, mais seule la révolution socialiste pourrait l’anéantir véritablement. L’influence marxiste est manifeste : la lutte des classes exacerbée doit nécessairement déboucher sur la révolution sociale. Mais l’influence de Proudhon est également perceptible dans le style et la véhémence d’un discours de grande qualité, révélant le niveau de formation atteint par Dumay, grâce à l’école primaire relayée par le militantisme ouvrier. Véhiculé par les partis politiques et les syndicats de gauche ou d’extrême gauche, le thème des « 200 familles » est très populaire durant l’entre-deux-guerres. L’expression désigne les patrons qui pèsent véritablement dans la vie économique, sociale et politique de la nation (le chiffre 200 vient du fait que la Banque de France comprenait un conseil d’administration de 200 membres, représentants d’une élite issue de la haute bourgeoise). Les Schneider figurent en bonne place dans ces 200 familles, ils sont la cible de nombreuses attaques. L’auteur de cette affiche les accuse d’appartenir à une « Internationale du canon », c’est-à-dire une association de grands patrons qui s’enrichissent en vendant des armes, et donc encouragent les peuples à s’entre-tuer. Derrière cette accusation, c’est aussi le caractère présumé apatride des Schneider qui est critiqué : établie en Alsace, la famille fut divisée en deux branches, l’une allemande et l’autre française, à partir de l’annexion de 1871. La légende noire des Schneider veut que ces grands patrons aient vendus des armes permettant aux Allemands de faire couler le sang des Français. Au Creusot, les Schneider ont créé de toutes pièces la ville, avec écoles, dispensaires, hôpital et logements, au point que les employés – malgré d’inévitables grèves – se cotisèrent pour ériger des statues à la gloire de leurs Detroit) et lyrique (ballet des pièces, couleur chaude des ouvriers qui s’oppose à la froideur, très relative, des machines) à la fois, sous le regard des clients à l’arrière-plan. Bien sûr il faut remarquer la figure peu amène du contrôleur à gauche qui incarne l’impératif des cadences. Mais le seul élément politique de la scène est fort dissimulé : sur le calot en papier d’un ouvrier qui martèle une carrosserie au centre gauche figure l’inscription «We want ». De l’autre côté, masqué, était écrit « beer » : « Nous voulons de la bière » était une des revendications ouvrières durant la crise qui touche alors l’usine Rouge (en tout cas d’après Patrick Marnham, Diego Rivera, Le rêveur éveillé, Seuil, 2000). La Mécanisation, autre fresque, fait apparaître à la fois l’asservissement des travailleuses à la machine – elles sont muettes et courbées sur leur tâche – ainsi que le rôle croissant des personnels d’encadrement, représentés ici en blouses blanches. Autant qu’une allégorie, cette oeuvre est une dénonciation puissante de l’application des méthodes tayloristes. LA FABRICATION INDUSTRIELLE DES AMPOULES EDISON L’épopée du self made man Thomas Edison est une des success stories du mythe industriel américain. Mais elle n’est pas que cela, elle renseigne sur les ressorts du capitalisme pionnier des Américains. Le talent d’Edison est autant celui d’un inventeur génial que celui d’un homme d’affaires qui joue gros et ramasse gros parce qu’il a confiance dans l’industrie. Son pari, qui sera le même pour Henry Ford, son employé d’alors, repose sur la certitude que le progrès de la mécanisation industrielle va permettre d’abaisser considérablement les prix de revient. Dès lors, l’important est d’anticiper les prix de vente qui permettront de forts profits parce qu’ils sont adaptés au marché, ce qui force à inventer les techniques pour y parvenir: en un an, il rattrape et dépasse trois ans de pertes ! ANDRE CITROËN L'entreprise de construction automobile, créée en 1919 par André Citroën (18781935), devient en 1934 une société anonyme par actions. Dès 1928, elle emploie 30 000 ouvriers, a une capacité de production de 1 000 voitures par jour, possède 14 succursales en France (usines Citroën du quai de Javel à Paris) et en Afrique du Nord, 10 sociétés et 4 usines à l’étranger. Les ventes hors du territoire représentent 45 % des exportations automobiles françaises. Citroën est réputée pour avoir, à plusieurs reprises, révolutionné l’automobile. La société crée ainsi la Traction 64 patrons. Érigée au coeur de la ville, la statue à la gloire d’Eugène Schneider montre une femme et son enfant reconnaissants envers le fondateur de la dynastie, envers celui qui a apporté non seulement du travail aux familles mais qui a également mis en place des mesures afin de les protéger des aléas de l’existence. Ces politiques, qui ont aussi pour avantage de mieux encadrer, surveiller, voire punir les populations ouvrières, comblent les carences de l’État qui, à la notable exception de l’Allemagne bismarckienne, ne s’implique pas dans le domaine de la protection sociale, au moins jusqu’en 1914. Qu’elles soient spontanées ou préméditées, les infractions collectives peuvent être le prélude à des mouvements de contestation entraînant parfois des violences, des détériorations de l’outil de travail, du sabotage, voire des grèves et occupations d’usines. Dans le règlement des usines du Creusot vers 1900, sont interdits : – les absences injustifiées, les retards, les abandons de poste ; – le manque de respect et la désobéissance au chef, les inscriptions injurieuses ou obscènes – le refus d’exécuter un travail ou la négligence dans l’exécution ; – les atteintes à la sécurité des travailleurs ; – les vols ou fabrication d’objets personnels. La communication d’un secret de fabrication, l’introduction d’étrangers dans l’usine, l’entrée dans l’usine par effraction sont des infractions se rapportant à la protection des secrets de fabrication. Les insultes ou menaces entre ouvriers souvent dues à un état d’ivresse, les propos injurieux, les vols au préjudice d’un ouvrier, l’infraction aux lois et règlements touchant la sécurité des travailleurs concernent les relations entre les ouvriers. La révolution du chemin de fer Les lignes de chemin de fer transcontinentales ont été construites aux États-Unis après la guerre de Sécession. (la première ligne est-ouest est achevée en 1868). Les compagnies de chemin de fer ont d’abord cherché à rassurer la clientèle (le train faisait peur à ses débuts, en raison des accidents ou de risques supposés pour la santé) puis ont développé des publicités à caractère touristique. Cette affiche d’une compagnie dont le réseau est orienté nord-sud le long du Mississippi, est plutôt de la première catégorie. Le chemin de fer est associé à l’image de vitesse (ligne télégraphique, contraste avec le transport fluvial par la vignette à droite), à la sécurité et au confort (contraste avec une diligence sur le point de se renverser en haut à droite, présence de familles avec de jeunes enfants pour embarquer dans le train). L’ouverture du réseau sur l’ensemble des États-Unis, donc sur l’accès à des régions jusque-là enclavées, est aussi un des avantages figuré par la carte en arrière-plan. L’électricité, une innovation au cœur de l’industrialisation L’électricité est sans doute l’innovation la plus spectaculaire de notre période, puisqu’elle intéresse aussi bien les particuliers que les industriels, séduit et étonne par la multitude de ses usages. Son essor au tournant du siècle, qui répond à un besoin social profond, change la face du monde. Déjà force motrice dans l’industrie, elle se « domestique » depuis les inventions d’Edison. Reste à accomplir son transport, en suivant les travaux de Deprez, premier à réussir à élever suffisamment la tension pour cela. De nombreux domaines sont concernés : l’éclairage (éclairage urbain ou chez les particuliers, éclairage sur le lieu de travail – au fond des mines par exemple), les transports (train, métro, automobile, ascenseur, et même la navigation – le phare), les communications (TSF), l’industrie enfin (apparition des appareils électriques, particulièrement utiles en chimie – ici l’électrolyse de l’aluminium). L’affiche montre les multiples applications dans le domaine de ce que l’on nommera plus tard l’électroménager : fer à repasser, grille-pain, aspirateur, mais aussi ballon d’eau chaude ou ventilateur, etc. Cette innovation va changer la perception du temps qui passe, accélérer le rythme des activités humaines. L’électricité a en effet profondément modifié le rapport des sociétés au temps, en permettant d’allonger la journée de travail, en accélérant le rythme et la fréquence des transports et des communications. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le nombre d’appareils électriques reste très faible en France. Ce n’est que dans les années 1950 que l’électricité, désormais bien installée, permettra de développer le nombre d’appareils électriques des ménages au pouvoir d’achat plus fort. En revanche, en Suisse et aux États-Unis, cette innovation s’est répandue de manière plus précoce, ce qui révèle dans les Avant en 1934 mais elle connaît néanmoins des difficultés financières. En 1935, Michelin prend le contrôle de Citroën qui se rétablit grâce au succès de la Traction Avant. André Citroën applique les mêmes principes que Ford, il entend « lutter contre le gaspillage de temps et de matière » et « supprimer les emplois improductifs ». Selon André Citroën, la nouvelle organisation du travail doit permettre de baisser le prix de revient, ce qui aura pour conséquence de baisser le prix de vente des automobiles, désormais accessibles à toutes les bourses. Populariser l’automobile permettra en retour de dynamiser l’industrie automobile. C’est donc un cercle vertueux de la croissance (très keynésien) qui est ici proposé. L’action de Citroën permet de bien voir les deux parties de ce type de document. L’action proprement dite en partie haute (l’action est « au porteur » et non nominative, ce qui veut dire que sa possession est indispensable pour bénéficier de revenus) ; il s’agit d’une part du capital de cette société dite « anonyme » (aucune personne n’est propriétaire exclusive, même si l’entreprise porte le nom du fondateur), ce qui signifie que le porteur de l’action est propriétaire d’une partie de l’entreprise, proportionnelle à nombre d’actions qu’il détient et lui ouvrant droit au partage des bénéfices distribués. Cette part de bénéfice est remise au porteur de l’action en échange d’un coupon détaché chaque année parmi ceux qui figurent dans la partie basse. Afin de susciter la demande auprès des consommateurs, les producteurs, notamment ceux du secteur automobile, développent fortement la publicité durant l’entre-deuxguerres. Particulièrement dans les années 1930, le contexte de crise économique oblige à redoubler d’imagination afin de capter une clientèle plus rare. Dans ce domaine, André Citroën fait figure de précurseur, lui qui en 1925 déjà illumina la tour Eiffel pour l’Exposition des Arts décoratifs. Son entreprise participe au développement de l’automobile en transformant « l’opinion publique » grâce aux procédés nouveaux que représentent la publicité et le marketing. André Citroën évoque les « efforts constants de publicité et de propagande, d’expositions ininterrompues, de toute une campagne d’instruction et de préparation du public. » Il insiste sur l’importance des médias et du cinéma également. L’originalité de l’aventure industrielle des automobiles Citroën est celle d’un échec pionnier. Le rôle d’avant-garde de la modernité industrielle est frappant et le succès de la marque aux chevrons est particulièrement rapide. Reconverties en 1918, les anciennes usines d’armement produisent dix ans plus tard 40 % de l’ensemble des voitures françaises. Cela est 65 deux cas un niveau de vie supérieur, et pour les États-Unis une industrialisation plus avancée. De nouveaux secteurs d’activité Le Furan est la rivière qui coule à Saint-Étienne. Cette ville du Massif Central, spécialisée depuis longtemps dans la fabrication des armes (la Révolution la rebaptise même « Armeville ») et la passementerie, connaît un très gros essor avec l’exploitation du bassin charbonnier et le développement des industries métallurgiques et mécaniques. À côté de la très importante « Manufacture des armes et cycles » (future Manufrance), qui développe sa clientèle par l’un des premiers catalogues par correspondance, de multiples entreprises plus modestes se lancent aussi dans la fabrication des cycles. III. La naissance du système capitaliste Les bourses de valeurs La Bourse de Paris est installée dans un bâtiment baptisé le palais Brongniart du nom de l’architecte qui en commença la réalisation en 1808. On en voit ici l’intérieur, qui reflète bien le style néo-classique de l’édifice, véritable « temple de l’argent », caractérisé par son dépouillement et sa symétrie après les extravagances plus ou moins scandaleuses de la fin de la monarchie et du Directoire. On voit clairement un triple espace sur ce dessin : au centre, la partie appelée la « corbeille » ; autour, une foule compacte se presse derrière des barrières (en bois, semble-t-il) avec des petits groupes disséminés dans l’espace intermédiaire; enfin les galeries, à l’étage. Les espaces du bas sont ceux où l’on travaille, où l’on fait fructifier l’argent. On n’y voit que des hommes : des agents de change autour de la « corbeille », en train de donner leurs ordres ; probablement des banquiers et hommes d’affaires derrière les barrières. Les groupes en discussion se concertent pour décider leur stratégie à venir. L’artiste a disposé trois femmes au premier plan du niveau galerie pour mieux souligner leur absence dans le monde des financiers « en bas » : l’étage est réservé au public qui observe sans forcément comprendre. La naissance des grandes entreprises Le terme de trust désigne généralement une forme de concentration horizontale d’entreprises visant à obtenir une situation de monopole ou, au moins, d’oligopole. La holding est une entreprise financière qui détient des participations dans le capital de plusieurs entreprises ; certaines participations sont majoritaires, ce qui donne le contrôle de l’entreprise au holding, d’autres sont minoritaires, ce qui permet seulement de profiter des bénéfices éventuels. La holding ne produit rien par elle-même mais peut peser fortement sur certains secteurs. Il y a deux modes de croissance des entreprises : la croissance interne et la croissance externe. Dans le premier cas, les succès de l’entreprise et la logique de concentration verticale (vers l’amont et l’aval) expliquent la croissance et la diversification des activités du groupe, qui part d’un métier purement industriel pour aboutir à un ensemble comportant aussi des activités tertiaires (transports, banques). Le second cas est un exemple de diversification et d’une logique de conglomérat, puisque cette banque contrôle près de 2 500 entreprises dans des secteurs sans rapport productif les uns avec les autres, tout en ayant aussi développé une concentration horizontale dans l’acier. dû à une série de paris industriels qui vont tous dans le même sens, celui de la modernité, d’abord à l’imitation de Ford, puis plus audacieux ensuite que les Américains. Malencontreusement, cette course à la modernité s’accélère à contre-conjoncture : c’est en pleine crise des années 1930 qu’est lancé le modèle le plus novateur de tout l’entre-deux-guerres, la «Traction avant », dont même les Américains souhaitent acheter le brevet. Mis en faillite en 1934, André Citroën voit toutefois sa marque lui survivre grâce à une autre des originalités qu’il avait impulsées : la construction d’une image moderne appuyée sur un usage pionnier de la publicité. Louis Renault (1877-1944) est le fondateur avec son frère Marcel en 1899 de l’usine Renault frères à Billancourt. D’abord spécialisée dans la construction de voitures de course, de moteurs d’avion et de tanks pendant la Première Guerre mondiale, l’entreprise prend progressivement la première place dans le marché français de l’automobile. Avant la Première Guerre mondiale, les usines Renault étaient situées à Boulogne-Billancourt. Leur fondateur, Louis Renault acheta l’Île Seguin durant les années 1920 et rasa les guinguettes qui s'y trouvaient pour les remplacer par l'immense construction en acier et en béton qui perdura jusqu'à sa destruction récente. Inaugurée en novembre 1929, la nouvelle usine fut considérée comme la plus moderne et la plus grande d'Europe : elle comptait alors 30 000 ouvriers. Construite en hauteur pour éviter d’être endommagée par d’éventuelles crues, elle mesurait un kilomètre de long. Elle était dotée de sa propre centrale thermique et d’une piste d’essais en sous-sol. Mais Louis Renault, ayant travaillé pour la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale est inculpé pour fait de collaboration et meurt en prison en 1944. Son entreprise est nationalisée. L’organisation scientifique du travail La fin du XIXe siècle est marquée par l’aboutissement de réflexions sur l’organisation du travail, entreprises dès le XVIIe siècle, mais surtout au XVIIIe avec Perronet, qui « invente » la division du travail, Coulomb ou même Lavoisier. C’est Taylor qui va le plus loin dans la voie de la réflexion sur une organisation optimale du travail, visant à la fois à supprimer la perte de temps, à diminuer la fatigue inutile et à aligner tous les ouvriers sur un « standard » de productivité (the one best way : la meilleure combinaison de gestes productifs) établi grâce à l’observation et au chronométrage des meilleurs ouvriers. Ses principales oeuvres : Shop Management (1903) et Principles of Scientific Management (1911). F. W. Taylor travaille d’abord dans la sidérurgie ; il gravit tous les échelons, depuis manoeuvre, puis chef d’atelier, pour finalement devenir, en 1884, ingénieur en chef. Enfin, il entame une carrière d’ingénieur-conseil 66 indépendant donnant de nombreuses conférences pour propager ses idées sur ce qui l’appelle l’organisation scientifique du travail. Il écrit de nombreux ouvrages dont celui d’où provient cet extrait puis il expose l’ensemble de ses conclusions dans un livre intitulé The Principles of Scientific Management (1911). Sa méthode est largement empirique car elle repose sur l’observation de faits (les gestes d’un ouvrier maniant une pelle), qu’il cherche ensuite à simplifier (pour obtenir le minimum d’efforts et le maximum de résultats). Les principes du fordisme et le travail à la chaîne Henry Ford est un authentique révolutionnaire du capitalisme. Après deux tentatives ratées, il crée en 1903 la Ford Motor Company et l’oriente vers une fabrication de grande série, standardisée et bon marché: c’est le principe de la Ford T, un modèle aussi simple à fabriquer qu’à conduire. Sous sa direction, Ford sera une entreprise perpétuellement innovante : première chaîne de montage, participation des salariés aux bénéfices, salaires de 5 $ par semaine en 1914, invention du crédit automobile… Ford cherche d'abord à appliquer les principes de Taylor. Cette volonté le conduit à installer des chaînes de montage mobiles en 1913. Ensuite, dès 1914, il augmente fortement le salaire horaire de ses ouvriers afin de lutter contre une rotation trop rapide du personnel. C'est seulement plus tard qu'il présente cette politique comme un moyen d'accroître ses débouchés. Cette idée est novatrice car elle considère l'ouvrier non seulement comme un facteur du processus de production, mais également comme un consommateur du produit fini. Elle repose ainsi sur la redistribution partielle des gains de productivité aux travailleurs par des augmentations de salaires. Le fordisme associe donc la production en série, le travail à la chaîne et la consommation de masse. On a pu dire de Ford qu’il était celui qui avait le mieux compris Marx et qui avait évité au capitalisme la saturation fatale en inaugurant la société de consommation de masse. Dans le fordisme, c’est le prix de vente qui conditionne le prix de revient et non l’inverse. Ford veut vendre le plus de voitures possible et fixe donc les prix les plus bas possible ; il s’arrange ensuite pour obtenir les gains de productivité nécessaires, grâce à l’application du système de Taylor, à l’invention du travail à la chaîne, introduit en 1913, à la standardisation des pièces détachées et des modèles, imaginée dès 1908 avec la Ford T. Après la Première Guerre mondiale, Ford fabrique un modèle T toutes les dix secondes, dans les différentes usines de la firme, dont les principales sont à Detroit (usine Ford de Highland Park). Henry Ford adopte la taylorisation pour fabriquer à bas prix la Ford T en 1908, vendue à 18 millions d’exemplaires jusqu’en 1927. Pour atteindre ce résultat il améliore la productivité grâce à la standardisation des produits comme il la fait pour les tâches, principe contenu dans cette formule célèbre : « Vous pouvez choisir la couleur que vous voulez, à condition qu’elle soit noire ». Keynésien avant l’heure il paye bien ses 100 000 salariés, afin qu’ils puisent consommer et acheter les véhicules qu’ils fabriquent eux-mêmes. Le fordisme révolutionne l'organisation de la production ; il permet de produire en masse en abaissant les coûts de production, le prix de l'objet fini et il permet donc de multiplier les ventes. La politique de salaires élevés est un progrès incontestable pour le niveau de vie des ouvriers qui deviennent de véritables consommateurs. Mais cette amélioration se fait au prix de dures conditions de travail qui conduisent à l'abrutissement d'un travailleur déshumanisé. Les ouvriers spécialisés, déqualifiés composent désormais la majorité de la main-d'oeuvre des usines qui adoptent le fordisme. Pour une approche transversale avec l’enseignement de Lettres, l’épisode de Bardamu, ouvrier chez Ford, est un grand classique très riche pour les historiens : L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 67 HC – Contestations et mouvements ouvriers de 1850 à 1914 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Il s’agit de montrer les deux temps de l’évolution des combats sociaux avec l’émergence de différentes idéologies critiquant le capitalisme libéral triomphant, surtout dans les années 1860-1880, puis la légalisation progressive des combats donnant lieu à des réformes sociales. On devra mettre en évidence : – les revendications ouvrières (diminution de la journée de travail sans diminution des salaires), les formes d’action (grèves et manifestations parfois violentes) et les modalités d’organisation du mouvement ouvrier en France (syndicats, parti). – les débats, les divergences et les divisions du mouvement ouvrier (syndicalistes révolutionnaires/socialistes, socialistes/communistes). – les obstacles à l’action des ouvriers Sources et muséographie : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Ouvrages généraux : KAEBLE Harmut, Vers une société européenne 1880-1980, Belin, 1990. Jean-Pierre Daviet, La Société industrielle en France, 1814-1914, coll. « Points Histoire », Le Seuil, Paris, 1997. Noiriel G., Les Ouvriers dans la société française, XIXe-XXe siècles, coll. « Point » Seuil, (1986) 2002. Lequin Y., Ouvriers, villes et société, Nouveau Monde, 2005. C. WILLARD, La France ouvrière, tome 1 : Des origines à 1920, éditions de l’Atelier, 1994. Christophe Charle, Histoire sociale de la France au XIXe siècle, coll. « Points Histoire », Seuil, 1991. Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle, coll. « Pluriel », Hachette, Paris, 1984. J. Droz (dir.), Histoire générale du socialisme, PUF, Paris, 1979. C. WILLARD, Le socialisme de la Renaissance à nos jours, coll. « SUP », PUF, 1971. P. Ory, Nouvelle Histoire des idées politiques, coll. « Pluriel », Hachette, 2002. M. Winock , Le Socialisme en France et en Europe, XIXe-XXe siècles, coll. « Points-Histoire », Seuil, Paris, 1992. E. J.Hobsbawm, L’ère du capital, éditions Pluriel, 1978. A. NATAF, La Vie quotidienne des anarchistes en France, 1880-1910, Hachette, 1986. A. Dewerpe, Le Monde du travail en France 1800-1950, Armand Colin, coll. « Cursus », Paris, 1989. A. Gueslin, L’État, l’économie et la société française XIXe-XXe siècle, Hachette, coll. « Carré Histoire», Paris, 1992. M. Lévy-Leboyer, dir., Histoire de la France industrielle, Larousse, Paris, 1996. G. Procacci, Gouverner la misère. La question sociale en France (1789-1848), Seuil, Paris, 1993. D.Woronoff, Histoire de l’industrie en France du XVIe siècle à nos jours, Seuil, Paris, 1994. F. Bedarida, La Société anglaise du milieu du XIXe siècle à nos jours, Seuil, coll. « Points Histoire», Paris, 1990. M. Charlot et R. Marx, La Société victorienne, Armand Colin, coll. «U», Paris, 1978. F. Crouzet, L’Économie de la Grande-Bretagne victorienne, CDU-SEDES, Paris, 1978. Documentation Photographique et diapos : Demier Francis, « La société européenne au XIXe siècle : hiérarchies et mobilités sociales», La Documentation photographique, n° 8024, La Documentation française, décembre 1991 (2001). Rebérioux Madeleine, Georgel Chantal, Moret Frédéric, «Socialisme et utopie», La Documentation photographique, n° 8016, La Documentation française, août 2000. N° 8010, août 1999 : La Mine, une histoire européenne. D. Borne, « La Société française », in La Documentation photographique n° 7035, juin 1996. N° 6079, octobre 1985 : Les Ouvriers au XIXe s., émergence d’une classe 1840-1914. Revues : Collectif, « Le temps de la lutte des classes, patrons et ouvriers dans l’aventure industrielle », L’Histoire, n° 195, 1996. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Comment les ouvriers s’organisent-ils pour améliorer leurs conditions de vie et de travail ? Cette problématique est classique. Depuis la Révolution française, les ouvriers, notamment en France, ont perdu des droits fondamentaux comme le droit de réunion avec la loi Le Chapelier. Dans ce monde libéral, l’ouvrier est seul, c’est un individu seul face à son patron. Cela pour respecter l’égalité entre les êtres humains. Dans la réalité, il y a des distorsions de force et de pouvoir. Les 1ère STG : « Le mouvement ouvrier Le mouvement ouvrier est appréhendé à travers son évolution et la diversité de ses manifestations dans l’espace. Il est conseillé de prendre pour sujet d’étude, un pays (la France, le Royaume-Uni ou les États-Unis). Par mouvement ouvrier, il faut 68 ouvriers, dans tous les pays d’Europe, lutteront souvent durement et parfois au péril de leur vie pour obtenir certains droits et une amélioration de leurs conditions de vie. Il convient de réflechir aussi sur la diversité des mondes ouvriers : des domestiques, aux paysans-ouvriers à façon, aux ouvriers qualifiés des anciens métiers, jusqu’aux ouvriers à la pièce des usines. Si les ouvriers de la première moitié du XIXe siècle ont été surnommés la « génération sacrifiée », ceux qui leur succèdent parviennent à s’organiser et à améliorer leurs conditions de vie et de travail. Ces progrès restent relatifs. Beaucoup d’ouvriers demeurent soumis à la précarité. Dans les villes, ils se concentrent dans les quartiers périphériques, loin des espaces modernisés et bien équipés où demeure la bourgeoisie. Le prolétaire, c’est d’abord l’ouvrier, un ouvrier qui rompt très progressivement avec ses attaches rurales parce que l’essor de la grande usine urbaine est tardive et que des formes de production protoindustrielles se perpétuent longtemps comme le domestic system. Même si l’usine conduit à une déqualification du travail ouvrier, à une augmentation des cadences, qu’elle s’apparente souvent à une caserne (règlements stricts, discipline sévère, hiérarchies contraignantes...) et qu’elle rend donc les rapports sociaux plus tendus, elle permet une augmentation du pouvoir d’achat, notamment par des gains de productivité et par la salarisation croissante de la population active ouvrière. Dès les années 1890, on constate ainsi une nette amélioration des conditions de vie des ouvriers, favorisée, en Europe, par les premières lois sociales. Les conditions de vie des ouvriers parisiens sont très précaires au début de la période, notamment à cause de la faiblesse des salaires et de la dureté des conditions de travail. Elles s’améliorent progressivement grâce à une hausse du pouvoir d’achat, sous l’effet de l’action des prolétaires eux-mêmes (grèves, essor des syndicats) mais aussi grâce à une prise de conscience des élites et des autorités publiques. Cependant, tous les ouvriers ne bénéficient pas de ces progrès réels et de nombreux prolétaires vivent toujours dans la misère à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Quelle voie doit permettre de changer le capitalisme mondial ? Cette problématique est plus difficile car elle demande de maîtriser les critères du capitalisme, de savoir à quelle période on se place. Le débat n’est pas le même en 1850, en 1900 ou en 1930. Les conjonctures économiques interfèrent sur lui. La question de l’acceptation, de la négociation ou du rejet total du capitalisme est récurrente dans notre période. Il divise les syndicats, les partis et hommes politiques, les gouvernements. L’exemple soviétique sert à la fois d’espoir et d’épouvantail selon les points de vue. Accompagnement 1ere : « L’industrialisation transforme considérablement les sociétés européennes et nord-américaines. L’importante mobilité spatiale à différentes échelles, les reclassements sociaux, le jeu d’acteurs collectifs déterminants – bourgeoisie dynamique et prolétariat – ou l’apparition des classes moyennes, symbole d’une ascension sociale et catalyseur des inquiétudes politiques au moment des crises, constituent des entrées possibles pour analyser ces transformations. Ils invitent à ne pas réduire la société de l’âge industriel à un antagonisme simpliste et mettent à jour la complexité des réalités sociales. La pluralité des courants qui analysent le capitalisme et la société pour les théoriser, les adapter ou les combattre est un autre trait de cette complexité. Le libéralisme est le courant triomphant de l’âge industriel. Il est contesté à la fois par le socialisme, l’action et la réflexion syndicales et le traditionalisme (qui condamne le salariat industriel de masse et la pauvreté des catégories défavorisées, en même temps qu’il exprime sa nostalgie d’un monde rural – trait durable de la culture française, porté au paroxysme en 1940-1944 – et d’une société hiérarchisée). Le cas français étant privilégié, on peut illustrer la diversité du socialisme au travers de quelques grandes figures (Proudhon, Guesde, Jaurès) ou aborder des temps forts du mouvement syndical tels que la constitution de la CGT ou la Charte d’Amiens. À un moment jugé opportun, une étude plus développée de tel facteur, acteur individuel, entreprise, forme d’organisation de la production ou situation localisée permettrait d’incarner et de mieux comprendre les mutations étudiées. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : entendre l’ensemble des organisations issues de la classe ouvrière (syndicats, partis ouvriers) qui ont lutté pour l’amélioration de la condition ouvrière, certaines voulant réformer le capitalisme et d’autres voulant le renverser pour établir une société socialiste. » BO 1ere actuel : « Le phénomène majeur est la croissance économique. On présente le processus d’industrialisation et les transformations économiques et sociales qui lui sont liées. Il s’agit de saisir les évolutions et les ruptures majeures sur près d’un siècle et non d’examiner le détail de la conjoncture. En privilégiant le cas français, on étudie les courants qui tentent d’analyser la société industrielle pour l’organiser ou lui résister (libéralisme, socialisme, traditionalisme, syndicalisme). BO 4è futur : « L’ÂGE INDUSTRIEL L’industrialisation qui se développe au cours du XIXe siècle en Europe et en Amérique du Nord entraîne des bouleversements économiques, sociaux religieux et idéologiques. Une étude au choix parmi les suivantes : - Ouvriers et ouvrières à la Belle Époque. Cette étude est replacée dans le cadre de l’ensemble des bouleversements économiques et sociaux. Elle débouche sur une découverte des grands courants de pensée religieux et idéologiques (libéralisme et socialisme). Connaître et utiliser - Un repère chronologique en liaison avec l’étude choisie - Le manifeste du Parti communiste 1848 Décrire et expliquer un exemple de mutations liées à l’industrialisation Caractériser les grandes idéologies (libéralisme et socialisme) » Activités, consignes et productions des élèves : 69 I. LES CONDITIONS DE VIE LA NAISSANCE DU PROLETARIAT Comme l’atelier, l’usine est bruyante, malodorante, surchauffée dans les verreries, humide dans les filatures. Et, à quelques exceptions près (l’usine Berliet à Lyon, que l’on décrit comme un lieu clair, aéré, net), l’espace intérieur n’est pas encore très organisé ; il ne le sera qu’après la Première Guerre mondiale, en relation avec la rationalisation du travail. Toutefois, l’utilisation de grandes vitres, qui permettent un éclairage naturel gratuit une partie de la journée, donne des espaces plus lumineux que dans les ateliers. L’intérieur s’organise autour de la machine à vapeur – qui fournit l’énergie aux autres machines et nécessite la construction de grandes halles –, autour des fours, des presses mécaniques ou des mule-jennys, qui servent à filer le coton. Avec la transformation de l’outil de production, c’est la machine, ou le feu, qui donnent la cadence aux ouvriers, durant de très longues heures. L’ouvrier approvisionne ou seconde les machines ou bien exécute les tâches qui ne peuvent être mécanisées : il raccorde des fils sur les bobines, présente la pièce de ferraille au marteau, tourne le verre, assemble deux pièces de cuir... Le travail est divisé et le produit fini est le résultat de l’intervention de plusieurs ouvriers, qui se cantonnent chacun dans une opération, et ne contrôlent plus l’ensemble de la fabrication. Conséquence sociologique fondamentale de cette segmentation du travail, de cet asservissement à la machine : elle donne naissance au prolétariat. En effet, davantage que par son savoir-faire, c’est désormais par sa force de travail que se définit l’ouvrier. D’où l’emploi d’une main-d’œuvre moins qualifiée, donc moins payée, et surtout interchangeable. Ainsi, la période d’apprentissage étant désormais extrêmement courte, lorsque le travail est très pénible ou que la maind’œuvre est insuffisante, les usines font appel à des travailleurs étrangers, essentiellement polonais, belges, italiens ou espagnols : à Roubaix, 30 % des tisseurs et 50 % des peigneurs sont des Belges ; au Creusot, les Italiens sont un millier à la fin du siècle et subissent l’hostilité des ouvriers du cru. L’EXPLOITATION DES ENFANTS ET DES FEMMES Prolétariat du prolétariat, les femmes et les enfants sont rudement soumis aux contraintes maximales du travail dans la phase la plus brutale du développement de l’industrie. La première industrialisation se caractérise, en effet, par une absence de législation sociale et une recherche d'exploitation des capacités de travail sans frein qui frappent les contemporains et motivent enquêtes et témoignages scandalisés. Les hommes ne sont pas épargnés, mais leur plus grande qualification en moyenne et leur plus grande habitude du monde du travail les rendent à la fois plus indispensables et moins dociles. Il faut craindre leurs révoltes comme celle des canuts à Lyon en 1831 et 1834. D'autre part, l'industrie nouvelle a grand faim d'emplois sous-qualifiés. On le constate en particulier, très précocement, dans la filature de laine et dans toute la filière textile. Femmes et enfants constituent ainsi 57 % des ouvriers du coton en Angleterre. Mais la mine connaît le même phénomène. Quelle que soit la branche d'activité, pour ces catégories surexploitées, les rythmes et les conditions de travail sont à la limite de l'esclavagisme si l'on en croît les témoignages concordants des enquêtes parlementaires. Les tâches les moins qualifiées, les plus prolétarisées incombent donc avant tout aux femmes et aux enfants dont les salaires pâtissent de cette position subordonnée. Ils sont moins élevés que ceux des hommes. Mais ici se place une première différence notable entre les deux catégories, les femmes sont payées deux fois moins que les hommes, les enfants quatre fois moins. L'exploitation de leur travail, alors que leur corps, pas encore formé, subit plus rudement encore la discipline industrielle, est donc plus grande et plus inique encore. LA QUESTION DU LOGEMENT OUVRIER L’afflux de main-d’œuvre, provenant d’autres régions ou d’au-delà des frontières, n’a pas pour autant entraîné une politique concertée du logement et de l’urbanisme : les constructions anarchiques se multiplient, le surpeuplement et des conditions de vie précaires sont souvent la règle, comme à Saint-Étienne, dans le quartier du Soleil-Noir. Ou encore à Ivry, en banlieue parisienne, qui comptait 7 000 habitants en 1861 et qui, vingt ans plus tard, en compte 18 000, des usines chimiques et mécaniques étant venues s’y installer. Plus tard dans le processus d’industrialisation, et notamment dans les régions minières, métallurgiques ou textiles, l’habitat ouvrier sera programmé et greffé aux usines. L’initiative en reviendra parfois aux patrons eux-mêmes qui, par un Accompagnement 4è : « Les transformations sociales sont analysées sans schématisme car le monde paysan est très inégalement bouleversé, et la croissance du monde ouvrier ne fait pas disparaître l’artisanat traditionnel. Il faut aussi se défier d’un excessif misérabilisme : certes, les ouvriers subissent la précarité et des conditions de vie très difficiles ; le salariat est encore vécu, dans une société qui considère que la propriété est un signe de notabilité, comme une malédiction ; la très grande inégalité de la répartition des richesses perdure. Cependant, la croissance économique permet un mieuxêtre général et les luttes sociales contribuent à améliorer la condition ouvrière. Les résultats des recherches de Louis Pasteur sont un bon indice de la progressive transformation des conditions de vie. Nombreux sont ceux qui dénoncent les conséquences de l’industrialisation. Les textes de Marx, mais aussi la pensée de Jean Jaurès témoignent des aspirations à une égalité qui ne serait pas seulement juridique (principes de 1789), mais aussi sociale. Leur analyse permet d’évoquer la diffusion du socialisme, la naissance et le rôle des organisations syndicales. » Budget d’une famille ouvrière de Lille en 1848 Les conditions de vie des ouvriers nous sont, bien connues grâce à la multiplication des enquêtes sociales dans les années 1830-1850, au plus fort de la phase anarchique de développement du prolétariat. Pour les historiens actuels (Noiriel, Les Ouvriers), ces enquêtes ont parfois des résultats délibérément grossis à des fins politiques, par les catholiques sociaux par exemple. Elles sont cependant une mine d'informations précises et sont à l'origine de la prise de conscience qui aboutit aux lois sociales en France. Le libéral Jérome Adolphe Blanqui retranscrit ici un budget particulièrement tendu. Les recettes équilibrent avec difficulté les dépenses. Le chômage créerait un problème grave (dans le cas de l'épouse), ou serait un drame (dans le cas du mari). Le pain représente de très loin le premier poste du budget, presque la moitié des dépenses. On est donc, pour cette famille d'ouvriers du textile, dans une situation très proche de la misère durant une année de crise économique comme celle de 1848. Les sociétés mutuelles de secours sont une des premières formes d’organisation ouvrière. Elles sont encouragées par l’État qui délivre ici un diplôme d’honneur à un mutualiste méritant. La société de secours mutuels, antérieure aux syndicats instaure une forme de solidarité entre les ouvriers qui mutualisent une partie de leurs revenus pour bénéficier d’une assistance multiforme. Le 70 intérêt bien compris, doublé d’une philanthropie souvent chrétienne, se lanceront dans une politique sociale ambitieuse et à grande échelle : ils dessineront, près des usines, un urbanisme répétitif de petits pavillons indépendants ou mitoyens comme dans les corons du Nord, accompagné d’équipements collectifs – cantines, crèches, clubs sportifs, économat, parfois une église... Cette volonté paternaliste visait à améliorer l’état sanitaire et moral de la population ouvrière et à la sédentariser : devenu locataire ou même propriétaire de sa petite maison, l’ouvrier s’attachera à l’entreprise, préférera le statu quo à la revendication, et peut-être délaissera-t-il le cabaret pour cultiver son jardin... Elle visait aussi à forger un sentiment d’appartenance à l’entreprise et à son environnement qui a marqué des générations d’ouvriers pris en main du berceau à la tombe. Si les conditions de vie de la population ouvrière s’en trouvent améliorées, le pouvoir patronal en sort renforcé, mais sa contestation aussi... DES CONDITIONS DE VIE DIFFICILES POUR TOUS En tête des revendications, figurent l’amélioration des conditions de travail, les augmentations de salaire ainsi que la diminution du temps de travail. Les journées sont longues, à l’atelier comme à l’usine, et dans tous les secteurs de l’activité industrielle – en moyenne, entre 12 et 15 heures par jour (voir Repères). Le salaire quant à lui n’est pas assez élevé pour mettre le monde ouvrier à l’abri en cas de chômage ou d’accident. En général, une femme gagne deux fois moins qu’un homme, un enfant trois fois moins. Les immigrés, souvent moins qualifiés, acceptent des salaires moindres. Comme les femmes, ils se voient accusés de casser le marché du travail par leur salaire de misère. Dans de nombreux métiers, notamment dans les ateliers des bronziers, des doreurs, des horlogers, l’ouvrier doit déduire certaines dépenses de son salaire. « Les travailleurs de Reims avaient à leur charge tous les frais d’éclairage, de chauffage ainsi que l’huile pour le graissage des laines », témoigne Norbert Truquin, ouvrier-tisserand. Les patrons prétendaient que si ces frais généraux étaient à leur charge, les ouvriers gaspilleraient l’éclairage ou les fournitures... Près de 60 % des ouvriers sont payés à l’heure ou à la journée. 30 % environ sont payés au rendement ou « aux pièces ». Une troisième forme de rémunération, le travail « à la tâche » ou « à l’entreprise », qui a entraîné la pratique du marchandage (c’est-à-dire la concurrence entre les tâcherons), a été dénoncée par les syndicats comme l’une des causes essentielles des accidents, notamment dans le bâtiment. D’une manière générale, les conditions sanitaires sont déplorables et les maladies professionnelles se développent : silicose dans les mines, saturnisme chez les peintres, cancers dans les usines chimiques, tandis que les accidents du travail se multiplient dans les ateliers aussi bien que dans les mines et dans les usines, et notamment à cause des machines : 15 par an en moyenne à Montceau-les-Mines en 1860. Outre les dures conditions de travail et l’entrée précoce dans la vie active, la mauvaise nourriture et le logement insalubre font de l’ouvrier d’atelier ou d’usine un être chétif à l’espérance de vie réduite. Les conseils de révision s’alarment de voir de plus en plus de jeunes ouvriers réformés pour rachitisme, malformation ou « débilité » (61 % de réformés dans le Nord en 1841). L’espérance de vie d’un ouvrier, durant le premier XIXe siècle, ne dépasse pas les 35-40 ans. La mortalité infantile est extrêmement forte, témoignant de la précarité de la vie de la famille et des conditions de travail de la mère. Sous la pression des ouvriers et des réformateurs sociaux, une législation du travail se met en place. Elle est tardive et ne touche souvent que les grands établissements industriels (voir Repères). Les petites et moyennes entreprises y échappent, comme elles échappent davantage que les grandes aux contrôles de l’Inspection du travail. On assiste ainsi, à la fin du siècle, à une amélioration des conditions de travail à l’usine tandis qu’elles se dégradent dans les ateliers. Les conditions de vie En 1906, les familles ouvrières consacrent l’essentiel de leur budget à la nourriture et au logement, à des besoins vitaux donc, et ne disposent que d’une somme infime pour les autres postes de dépense. La petitesse du budget consacré à la santé et l’absence de budget consacré aux loisirs témoignent de la dureté de l’existence de familles vivant au bord de la misère. Entre 1906 et 1937, la part du budget consacrée à la nourriture et au logement recule, ce qui est le signe d’un progrès du niveau de vie et du pouvoir d’achat. Les postes vêtement et santé progressent fortement, les loisirs font même leur apparition. Ces évolutions nous conduisent à relativiser notre vision misérabiliste du monde ouvrier : si les ouvriers sont les perdants de l’industrialisation, il n’en demeure pas moins vrai que leur pourvoir d’achat et leurs conditions de vie progressent. diplôme témoigne d’un soutien aux personnes âgées, d’une assistance médicale, d’une aide à l’instruction et à la garde d’enfants. Ce soutien permet à l’État de limiter son engagement dans le domaine social. En 1870 on compte près de 6 000 sociétés de secours et 800 000 sociétaires. C’est la loi du 1er avril 1898 qui donne à la mutualité un véritable statut ouvrant tous les champs d’activité de la protection sociale : assurance vie, assurance invalidité, retraite, oeuvres sanitaires et sociales (dispensaires et pharmacies), allocations chômage. En 19001901, 15 000 sociétés de secours mutuel protègent 2,6 millions d’adhérents. Avec les lois de 1928-1930, les mutualistes vont jouer un rôle de premier plan dans leur gestion. L’ordonnance du 19 octobre 1945 abroge la charte de 1898 et définit de nouvelles orientations aux « sociétés mutualistes », en complémentarité avec la Sécurité sociale. Les huit heures pour demain ? Tout au long du XIXe siècle, les ouvriers placent la réduction du temps de travail parmi leurs revendications essentielles. La lutte pour la réduction du temps de travail à 8 heures est devenu un objectif essentiel de la lutte ouvrière. Définie aux États-Unis puis repris par la IIe Internationale lors de sa fondation en 1889, la journée de 8 heures a fait l’objet d’une longue quête pour les syndicats ouvriers. Cette lutte a été à plusieurs fois marquée par des épisodes tragiques : grève de Chicago en 1886, fusillade de Fourmies en 1891. Ce chiffre de 8 heures permettait de diviser la journée en 3 parts égales, le travail, le loisir, le repos. Des journées plus longues grâce au gaz Limitée au siècle précédent par la durée du jour, la journée de travail s’allonge au cours du XIXe siècle – au moins jusqu’en 1860 –, notamment à la faveur du développement de l’éclairage au gaz : en moyenne, elle s’établit entre 12 et 15 heures dans toutes les branches d’activité industrielle. Vers 1880, telle usine de moulinage de la soie en Ardèche ou telle filature lilloise imposent encore respectivement 15 heures et demie et 16 heures par jour à leurs employées. Dans les années 1890, la journée est moins longue dans les grandes usines que dans les petites et dans les ateliers ; et les ouvriers parisiens travaillent en moyenne une ou deux heures de moins que leurs collègues de province. Variations saisonnières Mais, plus que la durée du travail, c’est sa régularité et son intensité qui caractérisent l’industrialisation. Le travail humain doit s’adapter aux cadences des machines, ce qui densifie le temps et le rend plus pénible. Les fluctuations selon les lieux, les branches d’activité et les moments de l’année sont également représentatives du mode de 71 II. L’EMERGENCE DE DIFFERENTES IDEOLOGIES CRITIQUANT LE CAPITALISME LIBERAL TRIOMPHANT (ANNEES 1860-1880) Il convient de ne pas oublier les premiers mouvements ouvriers du XIXe siècle, qui ne sont pas des mouvements pour l’amélioration des conditions de vie mais des mouvements contre les nouvelles machines, contre le progrès, contre la peur du chômage et de la concurrence de la part d’une main-d’oeuvre prolétaire, non formée. C’est le cas de la révolte de 1831 des canuts lyonnais contre les nouveaux métiers à tisser, le luddisme. On peut relier cela aux mouvements populaires du XIXe siècle, notamment les émeutes de 1848 qui amènent les gouvernements à prendre des mesures sociales, à créer des ateliers. La loi Le Chapelier, la pratique du livret ouvrier mettent le travail sous la dépendance du patron. Les dates de naissance des premiers syndicats (des unions) sont significatives des difficultés pour le monde ouvrier de s’organiser. L’objectif du réformisme politique est d’obtenir des gouvernements en place, par des pressions comme la grève, mais sans aller jusqu’à des destructions de machines, sans violence, des mesures législatives en faveur des travailleurs. Il donne lieu à de grandes lois sociales. MAITRISER L’AGITATION OUVRIERE Canaliser l’instabilité et l’agitation des ouvriers a été une préoccupation constante au XIXe siècle. Leur instabilité, qu’ils travaillent en atelier ou en usine, c’est une mobilité et un comportement empreints d’un certain esprit libertaire, du moins tant que l’embauche est importante : ils pratiquent occasionnellement l’absentéisme, lorsque les travaux des champs voisins le nécessitent, ou lors du « saint lundi », journée qu’ils s’octroient de temps à autre pour se divertir ; ils quittent leur place assez souvent pour tenter de trouver mieux ailleurs. À l’époque napoléonienne, les autorités politiques ont donc cherché à les « assagir » avec le livret ouvrier où sont consignés leurs dates d’arrivée dans l’entreprise et de départ, ainsi que les manquements au règlement ou attitudes de rébellion. Très décrié, ce livret ne sera aboli qu’en 1893. L’agitation des ouvriers, c’est leur riposte à la discipline qui leur est imposée. Bien que les responsables syndicaux et les socialistes actifs soient souvent issus du monde de l’atelier, les revendications, les conflits et les grèves éclatent davantage dans les usines que dans les ateliers. Car, afin d’obtenir un meilleur rendement et une production plus fiable, les patrons d’usines multiplient les moyens de contrôle et d’intimidation. Les règlements d’usines fleurissent ; ils énoncent de nombreuses interdictions (manger, fumer, cracher, sortir, chanter), des obligations (nettoyer sa machine) et des sanctions (les amendes sur salaires pour malfaçon, les renvois). Selon l’Office du travail, dans les années 1890, 22 % des établissements parisiens et 6 % des établissements provinciaux pratiquent systématiquement les amendes. De nombreux conflits naissent de la contestation de cet ordre patronal, de cette mise au pas de l’ouvrier par la machine. Le luddisme (bris de machines) en est la première et archaïque manifestation, la grève démarrant à cause d’amendes injustes ou d’un contremaître jugé tyrannique. DE NOUVEAUX RAPPORTS DE FORCE Face à ces revendications d’une réforme du salariat par une législation du travail, les patrons d’ateliers et d’usines ont déployé beaucoup de résistance. La volonté de conserver un régime libéral s’explique par la notion du patron maître chez lui. Pour les patrons, toute intervention de l’État ou toute collaboration des ouvriers sont considérées comme des ingérences intolérables, une violation du droit de la propriété privée. Pour eux, la recherche de la paix sociale à l’intérieur de l’atelier et de l’usine passe essentiellement par le paternalisme. Au sein de l’atelier, la démarche est presque naturelle, il suffit de garder ou de retrouver un aspect familial : les repas pris en commun, les conditions de vie et de travail partagées et même les aspirations politiques qui, du petit patron à l’ouvrier d’atelier, ne sont pas très différentes. On les retrouve d’ailleurs côte à côte lors des barricades de 1830 ou 1848. Ainsi cohabitent, le plus souvent sans heurts, maître et compagnons, proches socialement et idéologiquement. Lorsque conflit il y a, il oppose généralement le monde de l’atelier uni à un ennemi extérieur. Les révoltes des canuts lyonnais, au début des années 1830, le montrent : ouvriers et patrons canuts, tisseurs de soie à Lyon, combattent unis pour imposer un tarif, c’est-à-dire un prix fixe, aux fabricants qui leur fournissent la matière première et ont le production industriel. Ainsi, dans les ateliers de confection, particulièrement sensibles aux variations saisonnières, les ouvrières peuvent travailler seize heures durant lorsque les commandes pressent, notamment lors des changements de saison : les ateliers renouent alors avec la coutume de la veillée des sociétés pré-industrielles. En revanche, lors de la morte saison, le chômage peut durer deux ou trois mois. Les usines, elles non plus, ne sont pas à l’abri de ces fluctuations. Ainsi, aux usines Renault, la durée hebdomadaire du travail est de 72 heures en 1898, elle tombe à 60 heures en 1904 et remonte à 72 heures en 1914. Rythmées par la cloche puis par la sonnerie, entrées, sorties et rares pauses encadrent étroitement la journée de travail dans les usines. Celle-ci commence tôt le matin, à six heures, et se termine vers vingt heures, parfois vingt et une heures. Une pause sur place pour le déjeuner, parfois une autre dans la matinée. Si, dans les ateliers, la journée est souvent plus longue, la presse est moindre et les pauses un peu plus fréquentes. Elles peuvent se prendre sur place, mais il n’est pas rare que l’on se retrouve au cabaret voisin. Quand la loi n’a pas force de loi La durée du travail est fixée essentiellement par le marché du travail, par l’exigence patronale et éventuellement par le mouvement revendicatif ouvrier. Le cadre législatif est inexistant aux débuts de l’industrialisation et peu contraignant ensuite. La législation en la matière est longue à s’imposer, elle ne touche au départ que certaines catégories de travailleurs et elle n’est pas véritablement respectée avant la fin du siècle. 1841 Au départ, les législateurs ont eu tendance à protéger les femmes et les enfants, dans une optique morale, familiale et eugénique. Les réticences à légiférer pour les hommes sont à replacer dans le contexte du libéralisme. La loi de 1841 fixe l’âge minimum des travailleurs à 8 ans. Elle interdit de dépasser 8 heures de travail quotidien pour les enfants de 8 à 12 ans et 12 heures pour les enfants de 12 à 16 ans. Cette loi ne s’applique qu’aux entreprises de plus de 20 ouvriers ; encore n’est-elle pas appliquée. 1848 La IIe République, en 1848, fixe par décret la journée de travail en usine à 12 heures en province et à 10 heures à Paris. Ce décret ne fait qu’entériner un état de fait antérieur. Le principe qui dicte cette mesure est énoncé par Louis Blanc : « L’intention du gouvernement provisoire [...] a été de ménager les forces du travailleur et de faire une part de temps à son intelligence. » Mais, dès juillet 1848, le revirement politique et la résistance patronale permettent l’abrogation de ce texte. La loi du 9 septembre 1848 fixe à 12 heures 72 monopole de la commercialisation. Ceux-ci refusent, au nom du libéralisme, tout prix imposé et général, recevant le soutien des pouvoirs publics. Le conflit oppose donc deux mondes, celui de la production et celui de la commercialisation. Le travail en usine, en revanche, engendre une lutte des classes plus systématique, par l’opposition très visible entre le capital et le salariat. De ce fait, se développent une culture ouvrière spécifique et une forme de sociabilité prolétarienne originale, marque de cette appartenance de classe. Elle se manifeste par un patriotisme d’atelier, par la fréquentation commune du cabaret, plus tard du stade de football. De leur côté, les ouvriers ont cherché à contrôler l’espace de l’atelier et de l’usine en fondant des coopératives de production. Les travailleurs sont associés pour le capital, la production et la vente ; l’atelier ou l’usine sont autogérés, comme la Verrerie ouvrière de Carmaux ou les Charpentiers de Paris. D’une certaine manière, la revendication du droit d’exercer l’activité syndicale au sein de l’entreprise correspond aussi à une autre forme de contrôle de l’entreprise. Lieux de production, mais aussi d’exploitation, l’atelier et l’usine deviennent les principaux foyers de la contestation syndicale, voire politique. III. LA LEGALISATION PROGRESSIVE DES COMBATS DONNANT LIEU A DES REFORMES SOCIALES. INDUSTRIALISATION ET NOUVELLES LOIS SOCIALES Entre 1880 et 1939, de nombreuses lois viennent protéger les travailleurs, qu’ils soient actifs, chômeurs ou retraités. Ces lois sont-elles le fruit du combat acharné des syndicats et des partis représentant les ouvriers, ou bien ne sont-elles redevables qu’au patronat (philanthrope et soucieux d’éviter le fort turn-over des ouvriers) et aux gouvernements désirant assurer la paix sociale (à l’image d’un Bismarck par exemple) ? Certainement faut-il voir dans ces lois le fruit d’un compromis nécessaire, autant de réponses à la « question sociale » qui ébranle les sociétés industrielles. La législation sociale s’applique dans de très nombreux domaines : droit de grève, constitutions de syndicats, limitation du travail pour les femmes et les enfants, temps de travail, accidents du travail, repos des ouvriers, retraites, congés payés, chômage, assurances maladie. Autant de thème se rapportant à la protection sociale dont on a ici les prémices (en attendant les années 1940). Les patrons membres de l’UIMM ont développé les oeuvres sociales. Les raisons invoquées par l’auteur relèvent de la philanthropie : il s’agit de sortir le monde ouvrier de la misère sociale et psychologique qui le caractérise, « toute une oeuvre de relèvement moral et matériel à entreprendre ». Mais l’on sait que les grands patrons obéissent également à d’autres motifs : fidéliser la main-d’oeuvre, éviter le fort turn-over des ouvriers, assurer la paix sociale dans les ateliers (voir la définition du paternalisme). Comme beaucoup de grands patrons (Henry Ford ou André Citroën, Henri Schneider), c’est un regard plein de dégoût, mêlé de mépris et de compassion, un regard très moralisateur en somme que Robert Pinot porte sur le monde ouvrier (« la dégénérescence physique et morale », etc.). La grève et le drapeau rouge Au XIXe s., la grève est devenue une des armes les plus fortes de la classe ouvrière. Bien qu’interdites par la loi Le Chapelier (1791) et par le code Napoléon, les grèves se multiplient au XIXe s. et la répression se montre de plus en plus inefficace ; elles sont alors autorisées par la loi d’avril 1864, à condition qu’elles ne provoquent « ni violences ni voies de fait, ni menaces ». Ces limites permettent de réprimer les grèves en invoquant l’atteinte à la liberté du travail. Pour les anarchistes, la grève devient le moyen de donner au mouvement un caractère révolutionnaire. La question de la grève divise dès lors les dirigeants socialistes. Contre Jules Guesde et les marxistes orthodoxes, les anarchosyndicalistes, dont Georges Sorel est le théoricien, défendent le principe de la grève générale comme « mythe » social entretenant l’antagonisme entre les classes ouvrières et bourgeoises. Cette tendance influence la charte d’Amiens et domine le syndicalisme français jusqu’à la Première Guerre mondiale… Depuis 1946, le droit de grève est inscrit dans la Constitution française. maximum la durée journalière pour les établissements industriels et les chantiers utilisant un outillage mécanique et employant uniquement des adultes, en nombre supérieur à vingt. Le texte permet des allongements de cette journée : « La journée de l’ouvrier dans les manufactures et les usines ne pourra excéder 12 heures de travail effectif. » Autrement dit, rien n’empêche que l’entretien du matériel soit effectué au-delà des douze heures... 1874 La IIIe République statue à plusieurs reprises sur cet aspect du travail qui semble essentiel aux ouvriers, comme aux réformateurs sociaux ou aux philanthropes. Tous veulent remédier aux longues journées exténuantes, considérées comme un fléau social, moral et familial. La loi de 1874 fixe à 12 heures maximum la journée des femmes et des enfants. Pour la première fois, un système répressif accompagne la loi : des inspecteurs départementaux, cependant trop peu nombreux, sont chargés de vérifier l’application de cette loi. 1892 La loi du 2 novembre 1892 revient sur le sujet et abaisse la durée – toujours pour les femmes et les enfants – à dix heures. Face aux nombreux conflits qui éclatent sur cette inégalité entre les travailleurs, Millerand, le ministre du Commerce et de l’Industrie, fait voter en 1900 la loi des dix heures pour tous les ouvriers des établissements industriels employant des femmes et des enfants. L’obligation, décrétée par Viviani (ministre du tout nouveau ministère du Travail en 1906), d’afficher les horaires de travail est une étape non négligeable dans le processus de légalisation du temps de travail. 1906 Aucune législation n’encadre la durée du travail dans les ateliers et les chantiers n’utilisant pas de moteur mécanique et occupant exclusivement des ouvriers adultes en nombre inférieur à vingt. Seule la loi sur le repos hebdomadaire (« six jours bien employés ») s’applique à tous ; toutefois, les dérogations sont nombreuses. Le repos du dimanche était pratiqué largement avant 1906, s’étant généralisé dans la deuxième partie du XIXe siècle. Auparavant, le dimanche matin était souvent consacré au nettoyage et à l’entretien des machines ; l’après-midi était un moment de repos pour presque tous les ouvriers. 1919 Ces revendications en matière de temps de travail se focalisent sur les huit heures, à partir de 1889 et jusqu’à leur obtention en 1919. Cette lutte connaît son temps fort lors des premiers mai, jours de manifestation et de chômage volontaire. L’objectif visé est la préservation de la santé des travailleurs et leur accès à la culture, aux loisirs, à la vie 73 Les lois sociales des grands pays industrialisés Le libéralisme classique n’admet pas l’intervention de l’État dans l’économie. Pour les premiers libéraux, la lutte contre la misère et la prise en charge des besoins des ouvriers doivent demeurer un choix individuel, celui des philanthropes ou des patrons paternalistes. Cette position ne peut être tenue. Ainsi, en Allemagne, les réflexions de « l’École historique » poussent Bismarck à initier des réformes sociales. La montée en puissance du mouvement ouvrier prolonge ce mouvement dans les autres États européens. Les lois sociales ne sont pas uniquement un résultat de l’action ouvrière puisqu’elles étaient désirées par certains hommes politiques et économistes. De même, la mise en place du suffrage universel a obligé les dirigeants politiques à être plus attentifs aux voeux du monde ouvrier. Il est cependant incontestable que la pression de syndicats de plus en plus puissants et l’organisation de grèves longues et parfois dures (grève des dockers en 1889) ont accéléré le mouvement de réforme. On peut cependant remarquer que le rythme n’est pas le même dans tous les pays. Si le Royaume-Uni a été le premier à réduire la durée du travail pour les femmes, il tarde à poursuivre le mouvement et c’est dans l’Allemagne des années 1880 que l’on assiste à une nouvelle impulsion. L’Allemagne semble en avance puisque la plupart des lois évoquées y ont été votées entre 1880 et 1891. Pour la France et le Royaume-Uni, il faut souvent attendre le XXe siècle. On peut cependant noter que la France est la première à interdire le travail des enfants en 1874. Mais les dispositions de la loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants ne sont manifestement pas appliquées dans des établissements inspectés dix ans après. Cela permet de relativiser l’efficacité de la législation sociale, malgré les contrôles institués. Les idées politiques des ouvriers Le socialisme, tout en reconnaissant l’héritage des Lumières, veut supprimer les inégalités sociales en mettant fin à la propriété privée. Il prend véritablement son essor à la fin du XIXe siècle. Cependant, ce courant est extrêmement divisé. En France, avant la Grande Guerre, le socialisme de parti, marqué par le marxisme rigoureux de Jules Guesde et les aspirations réformistes de Jean Jaurès, peine à faire son unité avant 1905. Il se heurte à la puissance du syndicalisme révolutionnaire inspiré par l’anarchisme, lequel refuse toute compromission avec les organisations politiques. Aux lendemains du premier conflit mondial, socialisme et syndicalisme se déchirent à nouveau au sujet de la révolution bolchevique et le socialisme se trouve durablement affaibli jusqu’en 1934. Pour Marx et Engels, deux classes sociales s’opposent depuis le début de l’histoire humaine : une classe possédante, les bourgeois, et une classe laborieuse, les prolétaires. Ils identifient au cours de l'histoire trois modes de production : l'esclavagisme, le féodalisme et le capitalisme. La bourgeoisie a renversé le régime féodal et a engendré le prolétariat. Les bourgeois détiennent les moyens de production, dominent, exploitent et oppriment les prolétaires. Marx et Engels préconisent la révolution du prolétariat qui doit aboutir à une nouvelle forme de société, le communisme, sans classe et sans État, mettant fin à l’exploitation. La transition vers le communisme doit se faire en deux étapes, l'une courte de dictature du prolétariat pour garantir le triomphe de la révolution, et l'autre longue phase d'élaboration du socialisme avec la collectivisation des moyens de production et d'échanges. Mais tout d’abord, le prolétariat doit s'organiser sur les plans politique et syndical en défendant l’internationalisme ouvrier, qui devient la réponse à l’internationalisation des structures d’échanges, de production et d’oppression du capitalisme. L’anarchisme a pour but de créer une société dans laquelle les hommes coopèrent librement sans avoir recours à une hiérarchie que ce soient la famille, l’État ou la religion, ou une quelconque institution incarnant l’autorité. Il en existe plusieurs tendances : socialiste, individualiste ou écologiste. La tendance libertaire ou socialiste revendique l'abolition de la propriété et l'appropriation collective des moyens de production. Instaurée initialement par Proudhon puis Bakounine, c’était le courant majoritaire au sein de la Ière Internationale, jusqu'à leur exclusion menée par Marx. Leurs moyens d’action sont divers : de la propagande par la parole et par l'écrit à création d’un mouvement anarcho-syndicaliste en France. Puis fin XIXe, la « propagande par le fait » consiste au passage à l’action directe, c’est-à-dire, la résistance ou contestation y compris à l’usage du poignard et de la dynamite. familiale et associative. Le slogan « huit heures de travail, huit heures de repos et huit heures de loisirs » résume bien ces aspirations nouvelles. Un membre de l'élite ouvrière Agricol Perdiguier, dit Avignonnais la Vertu, symbolise le parcours de ces ouvriers d’ateliers urbains très qualifiés du premier XIXe siècle dont les conditions de vie et de travail ne sont pas fondamentalement modifiées par l’industrialisation. Il est né en 1805 dans les faubourgs d’Avignon, d’un père menuisier et d’une mère couturière. Il débute dans l’atelier de son père qui lui apprend les rudiments du métier ; puis il poursuit son apprentissage en ville. À 19 ans, il s’affilie aux Compagnons du Devoir de liberté : il s’agissait d’une association fraternelle assurant la formation et le placement des ouvriers, par une circulation de ville en ville – le tour de France –, organisée le plus souvent par métier. La stricte observance des rites, des règles et de la hiérarchie s’ajoute à une organisation efficace d’accueil et de placement des ouvriers grâce au « rouleur », à la « mère » qui les loge et les nourrit. Dans ses Mémoires d’un compagnon, Agricol Perdiguier évoque « tout un monde, un monde distinct, ayant des mœurs, des habitudes, des costumes, des fêtes, des cérémonies qui ne pouvaient se rencontrer nulle part ailleurs ». Aux côtés d’un autre compagnon, il va travailler durant quatre années à Marseille, Nîmes, Montpellier, Béziers, Bordeaux, Nantes, Chartres, Paris, Chalon-sur-Saône et Lyon. À l’issue de ce tour de France, il s’installe à son compte à Paris, complète sa culture d’autodidacte et enseigne le dessin, tout en tenant avec sa femme un hôtel pour ouvriers. En 1848, il entame une carrière politique dont les temps forts sont la IIe République et la Commune. Il meurt en 1875. Parcours d'un dirigeant syndical Alphonse Merrheim est né dans le Nord en 1871 dans une famille d’ouvriers et, comme la plupart des enfants d’ouvriers, il quitte l’école à 10 ans. Il entre d’abord dans une savonnerie puis, à douze ans, il commence son apprentissage dans une chaudronnerie de Roubaix. De dures conditions de travail et une mauvaise santé l’obligent à quitter momentanément le métier. Il rejoint alors une usine de tissage et, deux ans plus tard, il la quitte pour travailler à nouveau dans la chaudronnerie. Il s’engage dans l’action syndicale et crée un syndicat professionnel de la chaudronnerie dont il est le secrétaire de 1893 à 1904. Puis, travaillant à l’unification et à la concentration syndicale, il crée la Fédération des métaux. Il est à la tête de nombreux mouvements 74 Le syndicalisme ouvrier Avec des taux de syndicalisation avoisinant 10 % en 1930, les travailleurs allemands ou britanniques sont davantage syndiqués que leurs homologues américains, japonais ou français. Partout, c’est durant la période 1900-1913 que le syndicalisme progresse le plus. C’est une période qui voit aussi foisonner les courants politiques de gauche et d’extrême gauche (socialisme, communisme ou anarchisme). La CGT est née en 1895 de la fusion de la Fédération des syndicats (d’inspiration guesdiste) et de la Fédération des bourses (bureau de placement puis lieu de réunion des syndicats) qui est de tendance anarchiste. La CGT est idéologiquement proche des socialistes, des communistes et des anarchistes. La lutte doit être quotidienne, coordonnée par les syndicats, qui revendiquent des améliorations immédiates (« diminution des heures de travail, augmentation des salaires, etc. »). Mais pour la CGT, c’est la grève générale qui reste le moyen le plus efficace afin de mener à bien cette lutte. La constitution de la SFIO, qui unit les différents courants socialistes en 1905, fait craindre à certains syndicalistes la mainmise des socialistes sur la CGT. Aussi au Congrès d’Amiens de 1906 est adoptée une charte qui est une déclaration d’indépendance syndicale rejetant toutes les affiliations. La Charte d’Amiens est un texte à valeur patrimoniale, resté célèbre car il consacre l’indépendance du syndicat vis-à-vis des partis politiques. Cette séparation est à bien des égards une spécificité nationale : en Allemagne ou au Royaume-Uni par exemple, syndicats et partis sont plus proches les uns des autres. La Charte d’Amiens illustre les hésitations du syndicalisme français entre le syndicalisme réformiste et le syndicalisme révolutionnaire. Les objectifs « réformistes » sont l’augmentation des salaires et la diminution des horaires. Mais la CGT affirme aussi sa reconnaissance de la lutte des classes et se donne donc comme objectif l’émancipation de l’ouvrier qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste par le moyen de la grève générale. L’objectif final de la CGT est de créer une société sans classes (assurer « la disparition du salariat et du patronat »). Pour cela, il faut émanciper les ouvriers et exproprier les capitalistes. Le champ lexical de ce discours emprunte les principaux thèmes du marxisme : « lutte des classes », « exploitation et oppression », « émancipation » des travailleurs, « expropriation capitaliste ». Sur l’affiche, l’objectif de la CGT est ici de convaincre tout un chacun de la nécessité d’adopter la journée de 8 heures. Il faut noter la construction dialectique et pédagogique de l’affiche de la CGT : sans les 8 heures, les ouvriers, qui travaillent trop, sont mal payés ou au chômage ; leur quotidien est fait de misère, de maladie et de débauche. La famille, présentée ici dans la rue, est malheureuse, et ce père alcoolique et indigne se détourne de sa fillette. Inversement, les 8 heures apportent joie et prospérité à la famille, dont on nous donne ici une vision idéalisée : le travailleur syndiqué (voir le journal dans sa poche) s’empresse de rentrer dans un foyer aisé (voir mobilier, vêtements, jouet), où l’attendent sa femme (aux fourneaux) et son mignon bambin. Il s’agit donc d’une argumentation d’ordre moral, très répandue durant cette période. Le temps des grandes grèves ouvrières La Belle Époque n’est pas une période paisible pour la société française. Brisé par la féroce répression de la Commune et longtemps bridé par une législation très défavorable, le mouvement ouvrier renaît dans les années 1890, suite à la loi de 1884 qui autorise les syndicats. Influencée par les thèses anarchistes, la CGT, qui est le principal syndicat français, adopte un programme révolutionnaire – la Charte d’Amiens – où chaque grève est conçue comme une étape vers le renversement du capitalisme. Patrons et pouvoirs publics, surtout sous la direction de Clemenceau de 1906 à 1909, n’hésitent pas à adopter des positions très dures vis-à-vis de ces mouvements qui sont brutalement réprimés. Lors du 1er mai 1906, les tensions sociales et les inquiétudes sont fortes dans un contexte de campagne électorale. La CGT a décidé cette année-là d’organiser une manifestation d’une très grande ampleur et de focaliser l’effort syndical sur la seule revendication de la journée de huit heures. Alors qu’il est ministre de l’Intérieur (dans le cabinet Sarrien), Clemenceau fait occuper les rues de Paris par l’armée et fait arrêter des militants syndicalistes à titre préventif (de la même façon qu’en avril 1906, après la catastrophe de Courrières qui causa 1 100 morts, il avait fait occuper le bassin minier par 20 000 soldats). En provoquant les incidents, Clemenceau veut accréditer la thèse d’un complot antirépublicain de l’extrême gauche alliée à l’extrême droite. revendicatifs symbolisant le syndicalisme d’action directe, notamment à Longwy en 1905 ou à Hennebont (Morbihan) en 1906 dans la longue grève pour les huit heures. Il participe également à la grande grève des mineurs de 1907 et, à Denain, il protège Clemenceau, en difficulté devant l’émeute. Mais, la même année, il est poursuivi par ce même gouvernement pour une affiche virulente « Gouvernement d’assassins ». Hostile à la collaboration de la CGT avec le Parti socialiste, il prône le syndicalisme comme unique moyen de défense du monde ouvrier. Durant les années 1905-1914, Merrheim se lance dans des enquêtes sur le travail. Il tente aussi d’alerter les milieux ouvriers face à une guerre qui lui semble inévitable. Lorsqu’elle éclate, Merrheim est nommé secrétaire intérimaire de la CGT. Il est hostile à la politique d’Union sacrée qui a rassemblé tous les partis politiques et toutes les composantes sociales dans un même gouvernement. Son pacifisme durant la guerre l’isole de la majorité syndicale. Il meurt en 1925. Le 1er mai Au cours du IVe Congrès des « Trade Unions » à Chicago en 1884, l’American Federation of Labor se fixe comme objectif d’imposer en deux ans une limitation de la journée de travail à 8 heures. L’action commence le 1er mai, jour où nombre d’entreprises américaines entament l’année comptable. Un meeting d’ouvriers pour la journée de 8 heures de travail est brutalement réprimé par les forces de l’ordre à Chicago en 1886. En 1889, lors du Congrès international socialiste à Paris, la IIe Internationale fixe à son tour les 8 heures comme un objectif impératif et décide d’organiser une grande manifestation internationale à date fixe afin de faire pression sur les pouvoirs publics. Elle choisit le 1er mai qui est devenu une date symbolique. En 1890 l’idée d’une « fête du travail » fut associée à cette revendication. La fusillade de Fourmies (Nord), le 1er mai 1891, qui fait 9 morts, est un événement emblématique de la revendication ouvrière en France, qui enracine le 1er mai dans la culture ouvrière. Le 1er mai, journée internationale de revendication depuis 1889, n’étant pas encore chômé, est un de ces grands jours de grève, souvent brutalement réprimée. Après la fusillade de Fourmies en 1891, les affrontements de 1906 provoquent de nombreuses arrestations et la mort de deux manifestants. L’Internationale En juin 1871, durant l’incarcération que lui a valu sa participation à la Commune de Paris, Eugène Pottier, convaincu que les classes populaires peuvent croire à un avenir 75 Les années 1906-1910, qui voient la rencontre d’un mouvement syndical tout juste doté de son programme révolutionnaire et d’un gouvernement Clemenceau qui affirme sa volonté de s’y opposer, sont incontestablement celles qui connaissent les grèves les plus importantes : elles sont à la fois les plus nombreuses, celles qui regroupent le plus de grévistes et celles qui entraînent les plus grandes pertes de journées de travail. Mais cela ne veut pas dire que les autres années de la Belle Époque ignorent les grèves. Il suffit de regarder les chiffres de 1904 ou de 1913 pour s’en rendre compte. Quelles critiques l’extrême gauche adresse-t-elle à la République ? Les républicains modérés s’accommodent du capitalisme libéral. Les radicaux, également attachés à la propriété privée envisagent des réformes, notamment fiscales, permettant d’aller vers une plus grande égalité sociale. Mais l’extrême gauche dénonce leur politique sociale, qu’elle juge trop favorable au capitalisme. Les socialistes appellent à la république sociale, prolongement de la démocratie politique mise en place progressivement depuis 1879. Les anarchistes prônent l’action directe et la grève générale pour réaliser la révolution sociale. Le parti radical et radical-socialiste, créé en 1901, a souvent été accusé de ne pas avoir de programme social. C’est sans doute là une accusation infondée. En effet, depuis la fin du XIXe siècle, la nébuleuse radicale a fait sien le solidarisme théorisé par Léon Bourgeois (1851-1925). Ancien préfet, puis préfet de police en 1887, Bourgeois fut élu député de la Marne en 1888, avant d’accéder à des fonctions gouvernementales dans le cabinet Floquet en 1889. Sa théorie du solidarisme, définie dans un livre au titre éponyme en 1896, inspirée du rationalisme kantien, est une tentative de théorisation d’une politique réformiste et égalitaire. Elle repose sur l’idée d’un contrat entre la société et les individus ; pour chacun d’eux, l’existence sociale se définit par un certain nombre d’avantages reçus de la société et par une dette contractée à son égard. Mais l’inégale répartition des avantages, révélatrice d’injustice, en désaccord avec les exigences du droit et de la Raison, rend nécessaire une législation qui permettra à chacun de s’acquitter de sa dette envers la société. L’État, représentant de l’intérêt général en est le garant, mais une fois la dette soldée, il doit laisser l’homme totalement libre de ses initiatives. Le solidarisme demeure donc un libéralisme, dans lequel l’État n’intervient que pour corriger des excès. Il rejette le projet socialiste qui, selon Léon Bourgeois, serait synonyme de privation de liberté individuelle, mais également le libéralisme pur et « les conceptions égoïstes du laisser-faire », qui serait générateur d’inégalités jamais corrigées. Il se veut le modèle d’un réformisme progressiste qui évitera tout à la fois l’affrontement de classes et l’inégalité brutale. Développé par tous les caciques du parti radical, notamment Ferdinand Buisson (La politique radicale, 1908), il inspira les réformes sociales mises en oeuvre entre 1906 et 1914 : instauration du repos hebdomadaire obligatoire en 1906, retraites ouvrières par la loi du 5 avril 1910 (contre la C.G.T. et une partie de la S.F.I.O., dont Guesde et ses amis, qui y voyaient un détournement du revenu ouvrier et craignaient que la majorité des ouvriers ne puisse bénéficier d’une retraite fixée à 65 ans), vote de l’impôt sur le revenu à l’initiative de Joseph Caillaux en 1914. Si l’on ajoute la volonté, mal concrétisée, de mettre en place un système d’assurance-maladie, il n’est sans doute pas absurde de considérer que les radicaux eurent leur part dans l’élaboration des premiers linéaments d’un État-providence, dès la fin du XIXe siècle. Le patronat français contre la loi des 8 heures en 1921. Il s’agit d’une motion émanant de la CGPF, la première organisation historique du patronat français. Le nom du rédacteur de la motion n’est pas indiqué. Elle est destinée en priorité aux parlementaires et demande la suspension et le réexamen de la loi des 8 heures votée en avril 1919 en France. Des réductions de la durée du travail analogues sont mises en place dans les principaux pays industrialisés. En 1921, le contexte politique et social n’est pas favorable au mouvement ouvrier. Les avancées sociales de 1919 (augmentations salariales, loi des 8 heures) sont suivies d’une réaction patronale en 1920 et 1921. Le mouvement ouvrier est de plus affaibli par les divisions politiques et syndicales liées à la scission entre socialistes et communistes. La critique de la loi qui aurait affaibli l’industrie française se fonde sur trois arguments. La réduction de la durée du travail est appliquée de façon rigoureuse en France, avec souplesse dans les autres pays... Elle est à l’origine d’une chute de la production. Il en résulte la glorieux, écrit L'Internationale, publiée en 1887 dans un recueil intitulé Chants Révolutionnaires. L’année suivante, la section lilloise du parti ouvrier français demande à Pierre Degeyter de la mettre en musique. Dans le Nord, les chansons étaient très prisées par les militants socialistes. L’arme de la grève Robert Koehler (1850-1917) est un peintre né en Allemagne mais qui a fait l’essentiel de sa carrière aux États-Unis. Il est cependant revenu en Allemagne en 1873 afin d’étudier les beaux-arts à l’Académie royale. C’est durant cette période qu’il peint ce tableau illustrant une violente discussion entre un patron et ses ouvriers qui est, par la suite, réintitulé Grève dans la région de Charleroi. Le tableau illustre bien la difficulté qu’il y a à représenter une grève qui est, par définition, une absence de travail et donc d’action. Il faut donc représenter un à-côté de la grève ou l’une de ses conséquences. Le peintre montre une discussion violente entre un patron et ses ouvriers sur le point de dégénérer : l’ouvrier qui ramasse une pierre. Cependant l’attroupement qui se crée peut suggérer la possibilité d’une grève. Programme du Parti ouvrier français (1890) La Commune de Paris a porté un rude coup au socialisme français, qui ne réapparaît que vers 1879. Le journaliste Jules Guesde (18451922) va être un des principaux artisans de cette renaissance : après avoir créé à Marseille, en 1879, la FPTSF (Fédération du parti des travailleurs socialistes en France), il part en mai 1880 à Londres avec Paul Lafargue pour élaborer, avec l’aide de Marx, un « Programme électoral des travailleurs socialistes ». Mais ce programme est mal accueilli au sein de la FPTSF : la marxisation (conversion au socialisme scientifique) souhaitée par Guesde révèle les aspirations très diverses d’un mouvement ouvrier encore très divisé. Guesde doit quitter la FPTSF : le programme qu’il a élaboré sert finalement de base, en 1882, à la création, à Roanne, du Parti ouvrier (qui devient le POF en 1893) dont il prend la tête. Confirmé en 1883, ce programme se fixe pour objectif la collectivisation des moyens de production par l’action révolutionnaire. Le guesdisme affirme le primat de la révolution, mais la masse prolétaire paupérisée doit s’organiser en parti et recourir à tous les moyens dont elle dispose (grève, propagande, révolution, vote) pour remporter sa lutte. Si Guesde préconise l’action révolutionnaire, il envisage toutefois l’usage d’autres moyens, y compris du suffrage universel, pour obtenir la collectivisation des moyens de 76 cherté des prix à l’intérieur et à l’exportation. Les industriels étrangers auraient pu émettre les mêmes critiques contre la loi, l’argument d’une application plus rigoureuse en France qu’ailleurs étant sans doute contestable. Au lendemain de la guerre, le France subit des problèmes liés à l’héritage de la guerre : pertes humaines, manque de main-d’oeuvre, régions dévastées, dépenses publiques fortes, inflation forte et tendance à la dépréciation du franc. Les industriels se focalisent sur la réduction de la durée du travail d’une façon partiale. Les industriels, manifestement partisans de l’abrogation de la loi, ne demandent qu’une suspension suivie d’un réexamen et d’aménagements ultérieurs. Cette position modérée évite de heurter le Parlement qui vient de voter la loi et les syndicats. Le texte met en présence le patronat et l’État, avec en toile de fond le mouvement ouvrier qui a milité pour la réduction du temps de travail. Ce conflit illustre la divergence d’intérêts entre patronat et mouvement ouvrier, arbitrée par l’État qui met en place une législation sociale. Le débat sur la réduction de la durée du travail est récurrent en France : il resurgit notamment avec la loi des 40 heures en 1936 et avec les lois Aubry mettant en place les 35 heures, remises en cause depuis 2002. production. Cet « électoralisme » pousse, dès 1881, les militants anarchistes à s’opposer à Guesde, tandis que la nature « révolutionnaire » du programme provoque le refus de la partie modérée des militants. Fondé en 1880 par Jules Guesde et Paul Lafargue (gendre de K. Marx), c’est le premier parti marxiste français. Son but est d’abolir le capitalisme par la révolution, pour fonder une société communiste. Surtout implanté dans le Nord, le Pas-de-Calais, la Loire et l’Allier, il fusionne en 1902 avec le Parti socialiste révolutionnaire et l’Alliance communiste révolutionnaire pour former le Parti socialiste de France, qui fusionne à son tour en 1905 avec le Parti socialiste français (Jean Jaurès) pour former la SFIO. La Terre promise du socialisme Allégorie publiée par le journal social-démocrate viennois Glühlichter, en 1891, et reproduite avec les textes en français dans le Figaro-Graphic, en mai 1892). Tel Moïse montrant la Terre promise aux Hébreux, Karl Marx (reconnaissable à sa barbe blanche et au Capital qu’il tient sous son bras) désigne dans le lointain, à son peuple de prolétaires, une île ensoleillée vers laquelle il veut les faire embarquer (présence de navires prêts à appareiller). Il s’agit là d’une image allégorique montrant le peuple, guidé par le socialisme scientifique, en route vers un monde idéal où la devise de la République française, « liberté, égalité, fraternité », deviendrait une réalité. Les inscriptions sur les voiles font référence aux grandes revendications ouvrières de la fin du XIXe s. (journée de huit heures, lois de protection sociale) et aux conquêtes politiques (suffrage universel, référendum). Cette image de propagande rappelle certaines utopies des premiers socialistes, notamment la référence à une île imaginaire où, depuis Thomas More, on place volontiers les utopies. Ce document est une allégorie du socialisme. La doctrine marxiste est ici symbolisée par Karl Marx, guidant le prolétariat vers «la terre promise du socialisme», comme l’indique le titre de l’image. Cette allégorie mêle des éléments réalistes (les personnages vêtus comme des prolétaires par exemple) et des éléments symboliques. Karl Marx lui-même est représenté d’une manière réaliste : on reconnaît ses traits et il porte sous le bras son principal ouvrage, Le Capital. Mais il est aussi identifié à Moïse, le prophète qui a fait sortir le peuple hébreu de l’Égypte et l’a guidé vers la Terre promise. Marx est ici représenté à la manière de Moïse, comme un patriarche barbu, montrant, d’un geste prophétique, la voie de l’avenir. Cet avenir que Marx prophétise sera radieux. Il montre du doigt la Terre promise, qui ressemble à une sorte d’île des bienheureux, de paradis luxuriant et ensoleillé, par contraste avec le monde sombre que les ouvriers veulent quitter. Cette Terre promise c’est le socialisme enfin réalisé, un monde sans classes où régnera l’égalité. Pour y parvenir, les ouvriers s’apprêtent à embarquer sur des navires qui doivent les conduire dans l’île. Dans le système de l’allégorie, ces bateaux, qui portent sur leurs voiles des sortes de slogans, représentent donc les moyens d’accéder au socialisme. Leur drapeau représente une poignée de mains autour d’un marteau, ce qui semble symboliser l’union des travailleurs du monde entier. Le dessinateur a ici associé l’héritage de la Révolution française aux luttes du mouvement ouvrier du XIXe siècle. La Révolution française apparaît à travers la devise de la République française (Liberté, Égalité, Fraternité), figurée deux fois sur l’image (au-dessus de la Terre promise et sur un drapeau tenu par un ouvrier). Les luttes plus récentes apparaissent avec : – le suffrage universel, acquis en France depuis 1848, mais qui n’est pas encore instauré partout (le marxisme prône le combat parlementaire, avec un parti ouvrier) ; – les lois protectrices du travail, c’est-à-dire la législation sur les accidents du travail ou sur les assurances maladie (qui n’existe vraiment qu’en Allemagne à cette date) ; – la journée de travail de 8 heures, qui est le grand objectif de l’époque, notamment lors de la journée d’action du 1er mai (c’est un jour de grèves et de Le tableau de Jules Adler (1899) évoque un épisode de la grève de septembre 1899 au Creusot. Il s’agit de l’une des représentations les plus célèbre de la grève. Le peintre veut symboliquement faire ressortir l’unité du « peuple » en marche : hommes, femmes, enfants en rangs serrés et mains unies. Le rouge du drapeau tricolore est en évidence. Noter le paysage morne de la ville-usine à l’arrière-plan, l’atmosphère lourde et dramatique évoquant les luttes sociales. Les ouvriers défilent dans un paysage triste et gris (la ville et les usines du Creusot). Vêtus de couleurs sombres, ils ont l’air fatigués, déprimés presque, usés en tout cas par leur dur labeur. Le défilé donne l’impression d’une bonne organisation puisque les ouvriers sont rangés en file (à l’exception du jeune homme au premier plan), ils arborent des drapeaux tricolores et semblent chanter ou crier des slogans syndicaux. Jules Adler peint la condition ouvrière comme un modèle de fraternité et comme une promesse de libération : la femme portant le drapeau au premier plan peut être comparée à la « liberté guidant le peuple » immortalisée par Eugène Delacroix. La condition ouvrière Haut fonctionnaire du ministère des Travaux publics – il fut aussi chargé de dresser le bilan de l’exposition universelle de 1900 – Alfred Picard dresse dans les six volumes du Bilan d’un siècle, un tableau complet de la société française de la Belle Époque. Son étude très documentée des revenus et des niveaux de vie ouvriers fait apparaître de nettes améliorations, mais aussi le maintien d’une pauvreté insupportable. Une telle attention portée aux conditions de vie des ouvriers est exactement contemporaine de la création du ministère du Travail. La condition ouvrière s’améliore autant grâce à la hausse de salaires – que Picard ne chiffre pas dans cet extrait – que par la diminution de la durée quotidienne de travail, qui est passée en moins d’un siècle de 13 à 10 heures en 77 manifestations en France depuis le 1er mai 1890). Il n’est pas aisé de déterminer exactement le regard porté par le dessinateur. À première vue, il ne semble pas être partisan du marxisme orthodoxe. En effet, l’image de la Révolution prolétarienne est totalement absente de cette illustration. En revanche, il a placé des allusions au référendum universel, laissant entendre que le prolétariat doit participer au système démocratique mis en place par le système libéral. Il est aussi partisan des réformes (loi sur les 8 heures, lois sociales, etc.). En fait, ce dessin illustre probablement la doctrine du SPD telle qu’elle ressort du programme d’Erfurt de 1891. En effet, si le SPD y entérine le triomphe du langage marxiste, il maintient des revendications concrètes et notamment la journée de huit heures et la nécessité de la lutte électorale. C’est ce qui explique qu’en 1899, les thèses de Bernstein rencontreront un écho certain au sein du SPD. Jules Grandjouan (1875-1968) fut un artiste engagé, utilisant son art pour mettre en avant ses convictions de militant anarchiste et de défenseur du syndicalisme d'action directe. Il fut l’un des caricaturistes les plus prolifiques des années 19001930. De 1901 à 1911, il réalise plus de mille dessins pour l'Assiette au Beurre et collabore à des publications comme la Voix du peuple, le Libertaire et la Guerre sociale. Il travaille beaucoup avec les organisations syndicales de la CGT, se révélant plusieurs années durant comme leur affichiste quasi exclusif. On le présente parfois comme un inventeur de l’affiche sociale. Très marqué à l’extrême gauche, proche des milieux libertaires et anarcho-syndicalistes, il diffuse des dessins violemment anticoloniaux, antimilitaristes, anticléricaux et antiparlementaires. Ennemi des capitalistes, militaires, magistrats et curés, il les représenta sous les traits d’animaux : pieuvres, vautours, corbeaux et par le biais de journaux illustrés populaires, il affirma ses convictions politiques. La veille du 1er mai 1906, le dessinateur anarchiste Grandjouan publie à la « Une » de L’Assiette au beurre cette illustration qui semble célébrer la victoire du mouvement ouvrier. Trois jeunes femmes nues, têtes tournées vers le ciel, allégories du « printemps révolutionnaire », guident le peuple. La révolution semble faite : la lutte sociale a été remportée et un pêcher en fleurs annonce une « nouvelle ère » pour le prolétariat. Les « 8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de sommeil », selon le slogan inventé par le socialiste réformateur gallois Robert Owen (1771-1858), ressemblent aux « oeufs » prêts à éclore d’un mouvement ouvrier triomphant. Le contexte, en 1906, paraît en effet favorable au succès des revendications ouvrières : progrès de la SFIO, émotion provoquée par la catastrophe de Courrières (mars). Le mouvement ouvrier veut faire du 1er mai une démonstration de force : la mobilisation du prolétariat sera certes importante, mais le ministre de l’Intérieur, Clemenceau, répond par la fermeté à l’agitation qui se développe et les revendications ouvrières ne sont pas entendues. Le gouvernement instaure cependant en 1906 le repos dominical qui interdit d’employer un salarié plus de 6 jours par semaine, mais refuse d’accorder la journée de 8 heures. Sur cette affiche on retrouve une foule en grève derrière deux drapeaux aux couleurs noire, pour l’anarchisme et rouge pour le socialisme. Pour lui, en effet, la République telle qu’elle fonctionne depuis les années 1880, avec les opportunistes, puis les radicaux, n’est qu’une parodie de République, oublieuse de ses origines et traîtresse à ses principes. Elle ne serait plus qu’un régime bourgeois, gangrené par le capitalisme et ses miasmes, notamment la corruption, serait passée dans le camp des défenseurs de l’ordre et de l’argent roi. Elle est assimilée à une pieuvre dont les tentacules emprisonnent et étouffent le peuple laborieux. Même si elle se pare du visage de la patrie, elle ne peut tromper les masses sur sa réalité bourgeoisie, capitaliste et répressive. On est aux lendemains de la répression par le gouvernement Clemenceau des mouvements sociaux du Nord et de la région parisienne en 1906-1907, et la C.G.T. mobilise ses adhérents à l’occasion de la fête du Travail pour mener l’assaut contre le « premier flic de France », en brandissant les drapeaux rouges. Le Parlement serait le symbole de ces trahisons successives, quels que soient les partis qui le composent, de droite ou de gauche, républicain opportuniste, radical-socialiste ou socialiste indépendant. Face à cela, une seule solution, la révolte populaire contre les nouveaux privilégiés : l’on voit donc sur le dessin une foule en colère monter à l’assaut d’un groupe de députés tenant en mains le prix de leur trahison ; puisque le vote n’est qu’une illusion, manipulée par la bourgeoisie, seule la Révolution produira le coup de balai salvateur et permettra de retrouver la République moyenne. Mais ces progrès incontestables ne peuvent pas occulter la faiblesse des revenus d’une immense majorité d’ouvrier : à cause d’un grand nombre de jours chômés – de 70 à 190 selon les années –, nombre d’ouvriers ne disposent que de 100 F par mois et nombre d’ouvrières ont des salaires mensuels de 50 à 75 F. Émile Pouget (1860-1931) appartient aux milieux libertaires de la fin du XIXe siècle. Auteur de chansons, responsable d’un journal anarchiste, Le Père Peinard, entre 1889 et 1894, puis de L’Almanach du Père Peinard de 1895 à 1896, il fut également le rédacteur de La Voix du Peuple, organe de la C.G.T. créé en 1900, dans lequel il développe une thématique anticapitaliste et antiparlementaire. Dans l’extrait proposé ici, cet antiparlementarisme est particulièrement évident : rejet de la politique et des politiciens, portrait à charge du député hypocrite, sournois, corrompu. Émile Pouget dénonce la tromperie que constituerait la république parlementaire. Le vote ne serait qu’une illusion, une apparence de souveraineté destinée à calmer les citoyens et leur faire oublier leur misère sociale. Dans la réalité, la souveraineté appartiendrait aux « capitalos », détenteurs du pouvoir économique. Pouget esquisse ainsi une distinction entre démocratie formelle et démocratie réelle, appelée à une longue postérité. Face à une telle tromperie, une seule solution : refuser de voter (« ne plus être votard », « cracher au visage du candidat »), désobéir en refusant l’impôt, cesser de produire, c’est-à-dire organiser la grève générale qui précédera l’appropriation des moyens de production par le prolétariat. Il s’agit donc d’un appel à l’action directe, chère aux anarchistes de la fin du XIXe siècle. La naissance de la classe ouvrière Pellizza a peint plusieurs tableaux sur le thème de la « marche des travailleurs ». L’idée de ce tableau est venue à ce lecteur de Marx, Engels, Bebel, en 1891 alors qu’il réalise l’esquisse d’une scène devant s’intituler Les ambassadeurs de la faim. Il commence à peindre en 1898 Le chemin des travailleurs dont le titre définitif, Le quatrième état est trouvé en 1902 après une relecture de L’histoire socialiste de la Révolution française de Jaurès. Le flot humain semble se mettre en chemin, quitter peut-être la campagne pour se diriger vers la ville. La construction de l’oeuvre, les attitudes, les vêtements renvoient à l’idée d’homogénéité et de solidarité de ce groupe à la force tranquille. Le pas est décidé, la démarche lucide comme le laissent supposer les échanges entre les marcheurs. Cette métaphore de l’humanité en marche, 78 sociale. Cet appel à la révolution populaire, au renversement par la force d’un parlement corrompu, dessine les contours d’un antiparlementarisme de gauche, peu différent dans ses slogans de l’antiparlementarisme de droite, et pose les bases d’un mouvement populiste qui refuse le réformisme et le légalisme des radicaux (dont on notera sur l’affiche l’aspect particulièrement caricatural). témoigne de l’émergence des masses dans les consciences. Elle nous donne un point de vue sur les profondes mutations socioéconomiques et politiques de l’époque. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : La limitation à 8 heures de la journée de travail est votée le 23 avril 1919 : le retour des soldats fait alors craindre la montée du chômage, tandis que l’arrivée des bolcheviques au pouvoir en Russie pousse le gouvernement Clemenceau à faire des concessions aux ouvriers. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 79 HC – Etre bourgeois (1850-1914) Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Comment la bourgeoisie domine-t-elle la société industrielle ? Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Daumard A., Les Bourgeois et la bourgeoisie en France depuis 1915, Aubier, 1992. M. Flamant, Histoire du libéralisme, coll. « Que sais-je ? », PUF, Paris, 1992. Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : L’industrialisation s’accompagne du triomphe de la bourgeoisie. L’étude de cette catégorie à l’échelle de l’Europe et de l’Amérique du Nord est très difficile car le terme bourgeoisie n’existe qu’en France et recouvre une réalité complexe. Cette notion inclut, en effet, une hiérarchie sociale allant d’une élite qui s’investit dans les affaires et qui cumule un important capital économique, social et culturel aux classes moyennes moins dotées, fascinées par le mode de vie et le système de valeurs des grands bourgeois. Nouvelle classe dominante, la bourgeoisie n’est cependant pas uniforme, du fait de l’inégalité des responsabilités et des fortunes. Les différents groupes qui la composent sont pourtant unis par des aspirations, des valeurs et un mode de vie communs. Des études sur la grande bourgeoisie allemande constatent une recherche de titres et de distinctions nobiliaires de la part des grands entrepreneurs entraînant une féodalisation de la bourgeoisie d’affaires. Il est difficile de définir exactement ce que sont les classes moyennes, groupe hétéroclite aux contours indéterminés, sans véritable conscience collective et traversé par de multiples contradictions. C’est une classe intermédiaire entre la classe ouvrière et la haute bourgeoisie. C’est une catégorie plutôt urbaine. Les classes moyennes n’exercent pas un métier manuel. Elles ne disposent pas du pouvoir financier ou politique de la haute bourgeoisie. Les classes moyennes rassemblent une série de couches sociales ou professionnelles dont le point commun est de vivre d’autre chose que du travail de leur bras. Au coeur de ces classes, les cols blancs sont un groupe en expansion rapide notamment dans le privé du fait de la bureaucratisation d’une économie qui devient de plus en plus concentrée et donc difficile à gérer. Convaincus de leur supériorité sur le prolétariat, souvent plus du fait de l’instruction que du niveau de salaire, les cols blancs refusent toute attache ou communauté d’idée avec lui. L’embourgeoisement de la société Il n'est pas un contemporain de ces temps nouveaux qui ne place la bourgeoisie au centre de la société industrielle. Incontestablement, en France comme en Angleterre, l'évolution de la vie politique vient confirmer cette ascension bourgeoise. La figure de M. Bertin l’illustre fort bien pour la période de la monarchie de Juillet, quitte à reléguer les légitimistes comme Chateaubriand dans l'outre-tombe de l’Histoire. Fort peu s'en soucient à la vérité parmi tous ceux qui préfèrent s'attacher à définir la nouvelle catégorie dominante par sa puissance économique. En 1832, dans le Journal des Débats, fondé par M. Bertin pour servir d'organe aux bourgeois d’affaires, le conservateur Saint-Marc Girardin la qualifie de « classe qui possède » par opposition avec « la classe qui ne possède pas ». Nul doute que Marx, Dickens ou Flora Tristan souscrivent à cette formule d'affrontement qui fait du bourgeois la figure cardinale de l'industrialisation face au prolétaire. 80 Mais là s'arrêtent les points communs, tant l'affrontement ne revêt pas le même sens pour les libéraux ou les socialistes. L'assurance prêtée par Dickens à Podsnap, que semble refléter le regard de M. Bertin ou la démarche du « bon bourgeois » de Daumier, recouvre bien un sentiment de supériorité mais il cache aussi un sentiment croissant d'inquiétude devant des « classes laborieuses » en train de devenir des « classes dangereuses ». La perspective est logiquement inversée chez les écrivains sociaux ou les penseurs socialistes : la bourgeoisie tient le rôle révolutionnaire de la classe exploiteuse. On peut s'indigner comme Flora Tristan au sujet de l'exemple concret d'un parvenu avignonnais, monstre de travail pour lui et pour les autres. On peut aussi, à la manière de Marx et d'Engels, théoriser en une synthèse riche d'avenir la part essentielle de la bourgeoisie dans la lutte des classes : au total, la condamnation morale rejoint la certitude historique. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : I. Tenir les leviers du pouvoir a. Les leviers de direction économique Ce qui caractérise les bourgeois américains, c’est la capacité à innover et l’esprit d’entreprise. Les selfmade men savent se saisir d’une idée, la développer en une application pratique et l’exploiter. Louis Motte-Bossut appartient à une riche dynastie de négociants et fabricants de laine dans la région de Roubaix.Vers 1860 il possède, dispersés dans de nombreuses usines, quelque 100 000 broches (bobines de métier à tisser), ce qui fait de lui l’un des géants de l’industrie textile. Sa correspondance avec sa femme, Adèle Bossut, fille du maire de Roubaix, est un témoignage précieux sur la mentalité de la haute bourgeoisie. Comme pour la plupart des bourgeois de l’époque, morale et religion sont, pour les Motte, indispensables à la bonne marche des affaires et à la préservation de l’ordre social. D’après l’auteur du texte, les vertus bourgeoises peuvent se résumer par les mots « travail » (travaux scolaires et domestiques), « économie » (refus des mondanités, frugalité des repas) et par l’acceptation d’une vie simple au service de sa famille. L’éducation des aristocrates de l’Ancien Régime se faisait généralement par l’intermédiaire de précepteurs. C’était une éducation davantage tournée vers ces mondanités et événements culturels où l’on doit « paraître », que réprouve Louis MotteBossut : spectacles, ballets, concerts, voyages, etc. b. Les leviers de direction politique Enfin, la bourgeoisie s’engage dans la gestion des affaires politiques. Leur élection était rendue facile puisque les électeurs étaient en grande partie ouvriers des établissements de la ville. Le libéralisme, courant triomphant de l’âge industriel, est porté par la bourgeoisie car, selon elle, il rend possible l’ascension sociale et le progrès. Le traditionalisme condamne le salariat industriel de masse, la pauvreté des catégories défavorisées et l’individualisme libéral. Mais, à la différence du socialisme, il rejette le monde moderne et exprime sa nostalgie des communautés rurales et des hiérarchies dites naturelles incarnées par le père, le patron et le clergé, et il place la religion au coeur de ses préoccupations. Ce courant inspire le catholicisme social, certains partis politiques européens comme le Zentrum en Allemagne et, dans sa forme extrême, laquelle rejette la démocratie libérale, les courants nationalistes qui triomphent en France avec le régime de Vichy. Louis-Philippe Ier en bourgeois. Détail d’une lithographie, XIXe siècle. B.N.F., Paris. Dans une attitude curieusement napoléonienne, le roi Louis-Philippe pose ici en bourgeois. La lithographie complète le montre avec sa famille, sans décorum royal. On est loin de l'image de prince en uniforme que nous renvoient les gravures de 1830 lorsqu'il prend le pouvoir. Sa volonté de paraître en bourgeois correspond en effet au souhait de stabilisation du régime. Elle est prolongée par son souci d'envoyer ses fils au collège ou de se promener à pied, parapluie sous le bras. Réalité d'adhésion aux valeurs bourgeoises ou nécessité de se concilier le tribunal de l'opinion ? Quoi qu'il en soit, le roi donne l'exemple d'une époque qui se pense et se veut bourgeoise, c'est un changement radical avec les normes aristocratiques traditionnelles de la monarchie... qui ne suffira pas à la préserver. II. Assurer la progression de la famille a. Une supériorité fondée sur une morale de l’effort Si le niveau de vie peut être très différent entre bourgeois, il existe cependant de fortes proximités. Il y a la volonté de progresser, de réussir. Il faut savoir provoquer le succès. Il peut aussi y avoir une certaine proximité dans les revenus. En effet, les grands avocats et les grands médecins ne sont pas très éloignés de la grande bourgeoisie avec laquelle ils entretiennent souvent des relations. Enfin, on peut noter la similitude de comportement notamment dans la stratégie matrimoniale. Le regard sur la femme est aussi le même. La femme ne doit pas travailler, sa place est au foyer. Ce n’est que dans les familles pauvres que l’épouse doit chercher un emploi afin de compléter le salaire du mari. La moyenne bourgeoisie ne travaille pas de ses mains. La moyenne bourgeoisie peut posséder son outil de travail et elle dispose d’un patrimoine. Elle a donc quelque chose à transmettre. Elle se distingue aussi par son instruction et son Le salon, qui est la pièce où l’on reçoit, doit, par sa décoration et son ameublement, manifester le degré de réussite sociale du ménage. Ce salon est un modèle de conformisme bourgeois : les meubles sont « de style », deux vaisseliers exposent aux yeux de tous les plus belles pièces de vaisselle et d’argenterie de la famille, le sol est fait d’un beau parquet recouvert d’un tapis, la table est revêtue d’une nappe très ouvragée... Cette photo permet de découvrir un salon véranda bourgeois : pièce haute et spacieuse, claire et aérée, aux murs ornés de peintures et de stucs, magnificence du lustre, verrière à l’armature métallique, plantes recréant un espace de nature en intérieur. 81 éducation. Il faut être cultivé pour tenir sa place dans la société. Enfin, elle cherche clairement à prendre ses distances avec les classes populaires. Les bourgeois sont présentés comme une classe sociale se reconnaissant par des codes vestimentaires et comportementaux. On voit dans le texte de Proust les efforts d'un homme de classe moyenne pour copier les bourgeois dans leur comportement. Les bourgeois sont les seuls à pouvoir accéder à des loisirs et à l’oisiveté, comme les vacances au bord de mer au début de la période étudiée. La petite bourgeoisie conquérante Féroce avec les conformismes bourgeois, Balzac peint ici le portrait d'une famille petite bourgeoise, alliance entre le fonctionnaire et la marchande. Leurs valeurs de référence sont typiques et conjuguent le paraître (collège, bals, dot de la fille, opéra, Légion d'honneur...) et l'économie, ici à la limite de la lésine (une seule cuisinière, un salon étriqué, des quinquets). Leur carrière se voit couronnée de succès au bout d'une vie. C'est donc une peinture un rien outrée qu'effectue Balzac dont le modèle de référence est l'aristocratie dépensière et prodigue. L’immeuble bourgeois. Gravure de L’Illustration, 1850. En plein développement depuis la monarchie de Juillet, le public de la presse d'illustration affectionne les coupes sociales qu'elle lui propose : celle de l'immeuble parisien est un grand classique. Elle reflète la réalité d'une ville dont les quartiers sont encore mixtes, où la ségrégation sociale se fait par l'étage. La spécialisation des espaces urbains par l'industrie viendra modifier cela par la suite. Pour d'évidentes raisons de pénibilité d'ascension et de séparation avec la promiscuité de la rue, réservée aux cuisines et aux concierges, le premier étage est l'étage noble, fastueusement occupé par la grande bourgeoisie visiblement oisive ici. Ensuite, plus on monte, plus le standing décroît jusqu'à l'artiste qui danse (pour se réchauffer ?) et l'ouvrier alcoolique qui fait le désespoir de sa famille trop abondante, alors que l'harmonie règne autour de la chambre petite bourgeoise du second étage. Ne seraient-ce pas ses valeurs, les idéaux des classes moyennes, qui se trouvent ici valorisées par le dessinateur de L'illustration ? « Ce qu’on appelle le dîner bourgeois » à Paris Composé de trois volets (entrée/plat de résistance/dessert), le « dîner bourgeois » se diffuse à toute la société urbaine. Dechastellus a raison de noter qu'à cette époque l'alimentation urbaine s'oppose à l'alimentation rurale par sa plus grande richesse en viande. Le Parisien moyen en consomme le double du villageois provincial. Mais pour y parvenir, il faut adopter la valeur bourgeoise d'épargne si l'on veut prétendre à celle d'« ostentation ». b. La fusion des élites Des alliances sont passées avec les anciennes classes dirigeantes. Il y a volonté d’imiter le style de vie de la noblesse. Le bourgeois veut être gentilhomme. La transformation de l’habitat, la construction d’une demeure de type seigneurial est un symbole fort de ce désir de noblesse. Une autre pratique reprise par la bourgeoisie est celle de la commande de grands tableaux représentant la famille dans toute sa force. C’est en Allemagne que la fusion des élites a été la plus poussée. c. Les stratégies matrimoniales permettent la création de réseaux On constate une stratégie de mariages soigneusement pensée. Dans une famille bourgeoise, l’individu doit se sacrifier pour le groupe afin d’en assurer la pérennité et la progression. Il n’y a donc que peu de mariages d’amour. L’union doit permettre de progresser dans la hiérarchie sociale. Les mariages permettent donc de créer et de consolider un réseau de relations utiles. III. Une bourgeoisie en proie au doute a. La bourgeoisie frappée par les crises b. Une bourgeoisie séduite par les systèmes fascistes. Cette thèse, énoncée dès 1939 et admise par l’historiographie postérieurement, consiste à dire que les classes moyennes ont apporté leur soutien aux régimes totalitaires durant l’entre-deux-guerres. Mécontentes de voir leur pouvoir d’achat baisser ou pensant que l’ascenseur social ne fonctionnait plus, les classes moyennes ont porté au pouvoir Hitler ou Mussolini. En France, les ligues d’extrême droite recrutent aussi dans leurs rangs durant la même période. L’Allemagne de la république de Weimar doit affronter de nombreuses crises tant politiques qu’économiques. Les classes moyennes en souffrent particulièrement. Portraits de la bourgeoisie Bourgeois et bourgeoisie sont au coeur des portraits d'une époque qui se définit avant tout, même s'il s'agit de le déplorer, comme bourgeoise. Hormis celui, si fameusement classique, de M. Bertin par Ingres (1832), les documents sont plutôt à charge. En effet, en dehors de cette oeuvre de commande réalisée par un artiste lié à l'élite de la monarchie de Juillet (il est le protégé de la famille d'Orléans), ce sont des regards critiques qui se croisent, mais leur ton est bien différent, et leur fond plus ou moins virulent. Daumier comme Dickens ont choisi la légèreté parfois acidulée de la caricature. Les « bons bourgeois » du peintre français, que la monarchie de Juillet fit emprisonner pour son impertinence politique, sont empesés comme il convient. M. Podsnap est le type même du bourgeois anglais de la civilisation du profit que Dickens attaque en 1864 dans Notre ami commun. Militants convaincus de la cause socialiste, Marx, Engels et Flora Tristan n'usent pas d'humour. Révoltée par la situation faite aux ouvriers, Flora Tristan, qui effectue la tournée de promotion de son ouvrage L'Union ouvrière, note sur son carnet personnel le dégoût que lui inspire l'exploiteur M. Thomas. Dépassant le cadre du simple témoignage, amusé ou accusateur, Marx et Engels, qui collaborent depuis 1844, posent en 1848 les bases théoriques de l'action socialiste « scientifique » : la bourgeoisie est au coeur de la lutte des classes moderne. La bourgeoisie au centre de la lutte des classes C'est en raison du primat de l'économique sur le social, de la part décisive des rapports de production dans la théorie du matérialisme historique, que l'industrie est placée en position motrice. La bourgeoisie ne peut être que son « agent sans volonté et sans conscience », de même que le patriciat romain dans le mode de production esclavagiste. La seule différence mise en exergue par Marx et Engels est la simplification contemporaine des rapports de classe qui en découlent. « L'époque de la bourgeoisie » étant la dernière étape avant la révolution socialiste, les oppositions de classe se sont clarifiées : le prolétariat face à la bourgeoisie. « Les bons bourgeois ». Caricature de Daumier parue dans le journal Le Charivari du 16 septembre 1846. B.N.F., Paris. Pour montrer qu'il s'agit de « bons bourgeois », Daumier insiste sur le souci de la bonne éducation du fils, habillé en collégien, ainsi que sur l’unité familiale autour du père de famille, mis sobrement et marchant dans la certitude de son importance, comme le recommande le Code civil depuis Napoléon et comme l'attitude soumise de sa femme le 82 Les petits commerçants dont le nombre ne cesse d’augmenter (+21% entre 1907 et 1925) souffrent de la concurrence des grands magasins. On estime qu’en 1925 près de la moitié ont des revenus proches de ceux des ouvriers. La crise de 1929 frappe aussi violemment les employés qui souffrent alors d’un sentiment de déclassement. Chez les ouvriers et paysans, le pourcentage d’électeurs du parti nazi est inférieur au pourcentage atteint par les classes moyennes dans l’ensemble de la société. Pour les employés et les indépendants, il est en revanche nettement supérieur, près du double dans le cas des indépendants. Les classes moyennes, déboussolées, ont souvent rendu les régimes en place responsables de leurs difficultés et de leur déchéance et ont donc été très sensibles à la propagande menée par les partis fascistes. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : souligne. Monsieur Podsnap, bourgeois anglais La répétition drôlatique de la séquence du « lever » de M. Podsnap, mettant l'accent sur l'étendue particulièrement étriquée de son horizon, souligne le caractère ironique de ce passage. Au demeurant, il s'agit pour Dickens de nouer l'enrichissement et l'esprit borné, tous deux également « prodigieux », de ce bourgeois d'affaires londonien. Mais c'est bien entendu sur le second point qu'il peut faire porter le mieux l'ironie afin d'entraîner la condamnation de la recherche, ici remarquablement imbécile, du profit. Un bourgeois d’Avignon en 1844 Issu du monde ouvrier, M. Thomas s'est payé un hôtel aristocratique, comble du parvenu en ce début de XIXe siècle. Il recherche donc l'ostentation la plus spectaculaire, en même temps qu'il produit le travail le plus acharné, poussant ainsi jusqu'à la caricature les deux valeurs centrales de la bourgeoisie. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 83 HC – Essor d’une culture de masse des années 1850 aux années 1930 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Dir. J.-Y. Mollier, J .F. Sirinelli, F. Vallotton : Culture de masse et culture médiatique en Europe et dans les Amériques, 18601940, PUF, 2006. Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, La culture de masse en France, Fayard, Paris, 2002. Rioux Jean-Pierre, Sirinelli Jean-François (dir.), Histoire culturelle de la France, tome 4, «Le temps des masses : le XXe siècle», Le Seuil, 1998, p. 9-201. Michel Fragonard, La Culture du XXe siècle, Bordas, 1995. Dominique Kalifa, La Culture de masse en France, 1860-1930 (vol. 1), coll. « Repères », La Découverte, Paris, 2001. B. Gauthier, Histoire du cinéma américain, Hachette supérieur, Paris, 2007. 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Documentation Photographique et diapos : Revues : TDC : n° 696 15 Mai 1995 : La naissance du cinéma, l’invention d’un art populaire Carte murale : Enjeux didactiques (repères, notions et Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des méthodes) : savoirs, concepts, problématique) : Accompagnement 1ere : « L’industrialisation En quoi la civilisation industrielle a-t-elle modifié les pratiques culturelles ? transforme la production culturelle, l’accès à Les progrès technologiques liés à l’avènement de l’âge industriel (développement la culture et les modes d’expression des transports, radiodiffusion, industrie du livre et de la presse) contribuent à traditionnels ; en France, les années 1860démocratiser et à généraliser l’accès aux pratiques culturelles. Combinés à la 1930 correspondent à un premier âge de la diffusion de l’instruction et au développement des loisirs, ils permettent, au culture de masse. Mais les données nouvelles tournant du siècle, l’émergence d’une culture de masse qui s’impose et les bouleversements qu’elles induisent progressivement dans tous les domaines. trouvent aussi leurs répercussions dans une réflexion originale des penseurs, des Il s’agit de construire une définition de la notion de culture de masse. On évite ici écrivains, des artistes qui traduisent, chacun à trois écueils. Le premier c’est d’associer la culture de masse à la notion de « leur manière, à la fois le désarroi devant les démocratisation culturelle ». La culture de masse permet d’accéder à différentes changements et la recherche d’expressions capables de dire le monde nouveau. S’il formes culturelles ; mais elle procure aussi aux États totalitaires des moyens d’endoctrinement efficaces. En second lieu, on simplifie : une « proto-culture » s’agit donc d’inscrire culture et arts dans de masse s’est mise en place bien avant 1851: mais on suivra Jean-Yves Mollier l’évolution des sociétés, on ne peut le faire de (« L’émergence de la culture de masse dans le monde » in Culture de masse et manière exhaustive : le principal danger est ici celui de l’énumération sans ligne culture médiatique… pages 65 à 80) pour constater que c’est seulement la seconde moitié du XIXe siècle qui réunit toutes les conditions nécessaires à son directrice. On s’attache donc aux lignes de forces, en sélectionnant quelques oeuvres réel avènement. Enfin, en troisième lieu, on ne méconnaît pas comme le fait Daniel Halévy la dimension authentiquement culturelle de la culture de masse. significatives (voire types d’oeuvres – le Redonnons la définition qu’Edgar Morin donne de la culture de masse : La roman feuilleton, la peinture reflet et culture de masse est une culture : elle constitue un corps de symboles, mythes et interprétation de l’âge industriel, etc. – ou images concernant la vie pratique et la vie imaginaire, un système de projections situations), qu’on analyse avec précision pour et d’identifications spécifiques. Elle se surajoute à la culture nationale, à la en faire des points de repère favorables à la culture humaniste, à la culture religieuse et entre en concurrence avec ces construction du savoir et de la culture différentes formes de cultures. (Edgar Morin, L’esprit du temps, Grasset, 1974, personnelle des élèves. » page 14, 1ère édition1962). L’écrit se transforme, s’allège et s’illustre. L’image et le son envahissent l’espace culturel. 84 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Il faut analyser le complet renouvellement et la massification des pratiques culturelles qui donnent de nouveaux contenus à la culture du plus grand nombre, et font apparaître de nouveaux loisirs et un sport devenu un spectacle. À partir du XIXe siècle, le contenu de la presse se diversifie considérablement : le pionnier de cette presse moderne est Émile de Girardin, qui fonde La Presse en 1836. Réduisant le coût de son journal au minimum grâce au recours à la publicité, il élargit aussi le champ des sujets traités dans ses articles, introduit les feuilletons littéraires et des distractions, mesures qui lui permettent de séduire un public très vaste : le succès est rapide et les concurrents de Girardin suivent bientôt son exemple, engageant la presse dans une logique industrielle. Combinés aux progrès techniques qui permettent une impression plus rapide, la diversification des sujets traités par les journaux et la baisse des coûts aboutissent à la fin du XIXe siècle à l’essor d’une presse de masse. I. Les industries de la culture de masse Cette « révolution culturelle » est étroitement liée aux transformations économiques de la seconde moitié du XIXe et de la première moitié du XXe siècle : la naissance de la radio et du cinéma tout comme l’essor du livre à bon marché s’appuient sur de nombreuses innovations rendues possibles par la seconde industrialisation et, plus particulièrement, par le développement des industries électriques. Mais ce sont plus généralement les transformations sociales qui accompagnent l’industrialisation qui favorisent le plus le développement des industries de la culture de masse. Jusque-là majoritairement orale et rurale, la culture du plus grand nombre devient urbaine et doit être écrite ou enregistrée pour être diffusée. Ce changement essentiel des pratiques culturelles suscite sans cesse de nouveaux besoins et favorise de nouvelles demandes que viennent satisfaire les industriels de la culture. L’écrit accessible à tous À la fin du XIXe siècle, le nombre de titres et les tirages de la presse augmentent considérablement pour atteindre 9,5 millions en 1914 (pour une population totale de 40 millions de Français) : c’est l’âge d’or de la presse, qui prend une place essentielle dans la vie des Français et dans le débat public. Pendant cette période, quatre journaux populaires à grand tirage représentent à eux seuls près de 40 % du marché : Le Petit Journal (qui atteint 1 million d’exemplaires en 1890), Le Petit Parisien, Le Matin et Le Journal. Au tournant du siècle, la presse périodique française est la seconde du monde derrière la presse américaine. À partir de 1900, on observe un reflux du nombre de titres, lié à un phénomène de concentration que ne compense que partiellement la poursuite de l’augmentation des tirages. Paris tient une place centrale dans la presse française : les titres parisiens représentent 74 % des tirages en 1874 ; 57,8 % des tirages en 1914. La fin du XIXe siècle apparaît toutefois marquée par la vivacité de la presse provinciale, qui, avec des titres comme La Petite Gironde, La Dépêche de Toulouse ou Le Progrès de Lyon, réussit à « gagner du terrain » sur la presse parisienne, très lue dans les grandes villes de province. La fin du XIXe siècle est l’âge d’or de la presse écrite. La généralisation de l’alphabétisation explique cet essor. En 1914, les lecteurs parisiens ont cinq fois plus de choix qu’aujourd’hui : 57 titres leur sont proposés et 299 quotidiens en province. En 1863, Le Petit Journal lancé à 5 centimes fait date. Le prix du quotidien permet de toucher la masse populaire et engendre un énorme accroissement des tirages de tous les journaux. Le tirage moyen est de 25 000 exemplaires mais ces journaux à grande diffusion tirent entre 2 et 3 millions d’exemplaires. Les quatre grands (Le Petit Parisien, Le Journal, Le Petit Journal et Le Matin) représentent alors 40 % de la presse quotidienne française. Cette presse à bon marché publie de nombreux romans sous forme de feuilletons. Le Petit Parisien avait 75 rédacteurs à Paris, 400 correspondants en provinces, 400 employés et 370 ouvriers. Il avait 20 000 points de vente et disposait de sa propre imprimerie. C’était un journal d’information non directement politique alimenté en nouvelles par l’agence Havas mais qui avait une influence politique et idéologique immense en répandant le colonialisme, le nationalisme, la morale bourgeoise. Parallèlement à l’alphabétisation, ce sont les progrès techniques qui permettent de produire davantage de journaux et de répondre à cette demande nouvelle des populations. Les presses rotatives sont mises au point en 1870. Les formes imprimantes d’une rotative sont cylindriques. Animées d’un mouvement rotatif (d’où leur nom), elles permettent une grande vitesse d’impression sur du papier qui se présente sous forme de rouleaux. Les rotatives peuvent atteindre 600 à 900 tours par minute. Il faut aussi ajouter les progrès économiques qui donnent à la presse écrite un rôle publicitaire qui contribue de façon importante à son financement. De même qu’il est le pionnier de la presse bon marché, c’est Le La loi sur la liberté de la presse, qui reprend la proposition faite en 1876 par Alfred Naquet, est discutée puis ratifiée par le Parlement entre janvier et juillet 1881 et promulguée le 29 juillet 1881. Ses 70 articles garantissent d’abord la totale liberté d’expression et d’opinion. La loi supprime les démarches administratives préalables (autorisation de publication, cautionnement, censure) qui entravaient la parution des journaux : une simple déclaration suffit désormais pour la distribution sur la voie publique. Elle simplifie aussi les démarches pour fonder un organe de presse, libère le droit d’imprimerie, d’affichage, de diffusion. La création de nouveaux journaux est ainsi facilitée et la parution quotidienne accélérée. Libérée de ces entraves, la presse joue désormais un rôle central dans le débat républicain. Des limites sont fixées : l’incitation aux crimes et à la désobéissance militaire, les outrages aux bonnes moeurs, la diffamation (institution du « droit de réponse »), la publication de fausses nouvelles, le non respect du secret de l’instruction ou l’outrage aux présidents de la République sont passibles du tribunal d’assises. Cette loi, qui est la plus libérale au monde à l’époque, ne sera remise en cause qu’en 1893-1894, suite à la vague d’attentats anarchistes qui secoue la France : le gouvernement adopte alors les « lois scélérates » qui, censées museler la propagande et la presse anarchistes, limitent la liberté de l’ensemble de la presse pour une brève période. Ressuscité en 1854 par Hippolyte de Villemesant, Le Figaro, d’abord bihebdomadaire, devient quotidien en 1866 : de tendance monarchiste jusqu’en 1875, il adopte ensuite des positions 85 Petit Journal, dirigé par l’imprimeur Marinoni, qui adopte le premier les presses rotatives. L’image de plus en plus présente Créé en 1932, de sensibilité communiste, Regards est l’un des premiers journaux d’information à avoir donné une place prédominante aux reportages photographiques, bien avant Life (1936) ou Paris-Match (1949). Robert Capa et Henri Cartier-Bresson sont les photographes attitrés de cette revue hebdomadaire. Le Moulin de la Galette est un authentique moulin installé depuis 1622 sur la Butte Montmartre. Transformé en salle de bal puis en cabaret à partir de 1830, il est immortalisé par les tableaux d’Auguste Renoir, Vincent van Gogh et Henri de Toulouse-Lautrec. Ses propriétaires multiplient les attractions pour rivaliser avec les autres cabarets de Montmartre, dont le Moulin rouge. Ses affiches, réalisées par les plus grands illustrateurs, comptent parmi les plus célèbres de la « Belle Époque ». Image d’Épinal. L’expression est généralement utilisée pour désigner toute image populaire de couleurs vives, grossièrement gravée sur bois et coloriée au pochoir. Les centres producteurs de telles images ont été nombreux en France sous l’Ancien Régime mais c’est celui d’Épinal, attesté dès le XVIIe siècle, qui devient rapidement le plus important et prend une position de quasi monopole dès le XIXe siècle. C’est d’abord la maison Pellerin qui domine la production d’Épinal et contribue à propager la légende napoléonienne. Puis en 1860, Pinot installa une maison concurrente. À la fin du siècle, les thèmes deviennent plus républicains, Épinal fournit des planches d’histoire naturelle, des leçons de chose, d’hygiène pour les écoles. Mais le recul de l’analphabétisme au début du XXe siècle élimine les raisons d’être de l’imagerie d’Épinal. Les débuts de la bande dessinée Si les origines de la bande dessinée moderne sont disputées et provoquent encore la polémique, le succès du genre participe à l’émergence d’une culture de masse. Les Katzenjammer Kids (en français, Pim Pam Poum) sont sans doute les plus anciens héros de bande dessinée. Mais c’est Yellow Kid d’Outcault, paru à partir de 1895 dans le New York World de Joseph Pulitzer, qui remporte, le premier, un succès considérable. Les techniques graphiques s’améliorent progressivement. Dans cette planche de 1907, les vignettes sont individualisées et le dessinateur varie les plans, du plus serré au plus large, afin de dynamiser son récit. Chaque vignette est accompagnée d’une légende. En effet, le phylactère, déjà utilisé ponctuellement par Outcault dans les strips de Yellow kid, ne se généralise qu’à partir de 1908. C’est avec les Pieds nickelés de Louis Forton que les bulles font leur apparition, pour souligner telle ou telle réplique d’un personnage. On notera combien l’Amérique fascine déjà la jeunesse européenne. L’auteur belge choisit un pseudonyme à consonance américaine et raconte une histoire exotique de cowboys et d’indiens, pour une publication dans un illustré français. Le son retransmis et reproduit Le rapide succès de l’invention commune de Marconi et de Branly peut paraître surprenant quand on pense qu’en 1898 – deux ans après l’émission des premiers signaux – la TSF en est encore à ses balbutiements, émettant seulement entre la tour Eiffel et le Panthéon. Les premiers postes de TSF sont d’une très grande complexité, supposant, aussi bien pour leur installation que pour leur utilisation, des connaissances et un savoir faire très peu communs. Fonctionnant initialement grâce aux propriétés conductrices de la galène, un minerai de plomb qui permet de recevoir les ondes radio, les premiers postes sont ensuite équipés de lampes extérieures qui améliorent la qualité de la réception, mais qui nécessitent aussi un appareillage électrique complexe. Ces engins de très grand format sont remplacés au cours des années 1920 par des postes plus compacts, avec des lampes placées à l’intérieur, et d’un maniement plus aisé. Il faut attendre 1914 pour que soit transmise la première émission de radio et les années 1920 pour voir naître les premières stations de radio : c’est en 1922 que le poste de radio de la Tour Eiffel commence à émettre régulièrement. À partir de ces dates, la progression est fulgurante, la TSF envahissant progressivement les foyers et s’imposant comme un divertissement autant que comme un moyen d’information. républicaines modérées. Il s’impose rapidement comme un des titres de référence de la presse politique, et ses tirages atteignent régulièrement plus de 80 000 exemplaires. Le journal propose un large éventail de rubriques et est le premier à publier de vrais reportages. Les articles traitent de sport, de politique et de culture. Le Figaro propose aussi à ses lecteurs de la distraction avec les caricatures de Caran d’Ache et de Forain (qui paraissent le lundi et le dimanche) et des partitions de musique. Petites annonces et publicités aident à financer le journal. Fondé en 1872, le journal la Petite Gironde, qui est l’ancêtre du grand quotidien SudOuest, fournit un exemple frappant de croissance de la presse à la fin du XIXe siècle. Propriété de la famille Gounouilhou et imprimé à Bordeaux, ce journal est doté dès 1879 de presses rotatives qui autorisent des tirages de plus de 100 000 exemplaires et des coûts de fabrication réduits. En 1884, le journal installe un bureau d’information à Paris relié par télégraphe à la rédaction de Bordeaux. Il est, à la fin du XIXe siècle, l’un des premiers tirages de la presse provinciale. Le Petit Journal est le premier quotidien à grand tirage créé en France, en 1863, par Polydore Millaud. Ce journal devient le symbole du second âge d’or que connaît la presse entre 1880 et 1914. Ce renouveau est rendu possible par la loi libérale du 29 juillet 1881 qui permet la publication des journaux sur tout le territoire. Imprimé sur les rotatives les plus modernes de l’époque, Le Petit Journal est le premier journal populaire qui propose une presse informative et amusante ainsi que les meilleurs feuilletons de l’époque, comme Rocambole de Ponson du Terrail. Le goût pour les faits divers spectaculaires permet de tirer à plus de 450 000 exemplaires. Même après l’apparition du reportage photographique, le journal reste fidèle à la gravure pour illustrer ses Unes. Ce souci d’esthétisme, plus que de réalisme, contribue à la mise en scène des faits divers et à la dramatisation du propos. Le sensationnalisme est né et trouve dans l’incendie du Bazar de la Charité un exemple utent les intérêts des grandes puissances. L’Autriche-Hongrie, qui a renoncé à posséder un empire colonial, considère les Balkans comme son prolongement naturel et entend non seulement ne rien abastrophe fait plus de 120 morts, presque toutes des femmes. L’épisode permet à la presse populaire de souligner l’héroïsme de sauveteurs d’origine modeste et de critiquer l’attitude égoïste des aristocrates qui, pour s’échapper, n’ont pas hésité à piétiner les femmes qui leur faisaient obstacle. Vers 1900, Le Petit Journal est de 86 À la croisée de l’image et du son : le cinéma Au moment de sa naissance, le cinéma n’est encore qu’une attraction de foire. Le tout premier film des frères Lumière, La sortie des usines Lumière à Lyon, ne dure que quelques secondes et fut présenté pour la première fois en 1895 avec une dizaine d’autres très courts métrages du même genre. Mais si ce tout premier cinéma repose sur la diffusion de l’actualité, il n’ignore pas la fiction. C’est grâce à la projection, le 6 janvier 1896, de L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat, que l’invention des frères Lumière a commencé à conquérir un large public. Selon la tradition, ces premières images animées auraient terrifié les spectateurs, persuadés que le train allait réellement leur foncer dessus. Mais la première histoire du cinéma est aussi celle de la naissance d’une industrie, qui se développe d’abord en multipliant les films d’actualité puis en créant les premiers films de fiction. L’affiche d’Auzolle sur l’invention des frères Lumière montre un public sérieux, surpris ou amusé qui réagit avec enthousiasme au spectacle de l’Arroseur arrosé (premier film à introduire quelques éléments de fiction). Le cinématographe y est présenté comme une nouvelle distraction susceptible de séduire toute la famille et inscrit le cinématographe dans l’industrie du divertissement. C’est le 28 décembre 1895 que débute l’exploitation commerciale de l’invention des frères Auguste et Louis Lumière, dont le brevet a été déposé quelques mois auparavant. Le Salon indien du Grand Café, situé boulevard des Capucines, accueille pour 1 franc les 33 premiers spectateurs du cinématographe. Le succès de l’entreprise semble incertain, mais rapidement, le bouche-à-oreille et des articles dans la presse contribuent au succès du nouveau spectacle : chaque séance de 20 minutes comporte 8 à 10 films dont les qualités plastiques et le réalisme suscitent l’enthousiasme de spectateurs stupéfaits devant ce nouveau procédé. Le spectacle s’installe durablement au Grand Café, où l’on fait désormais la queue pendant plus d’une heure et les frères Lumière croulent sous les offres d’achat, mais Louis Lumière refuse : « Mon invention n’est pas à vendre (…). Elle peut être exploitée quelque temps comme une curiosité scientifique : en dehors de cela, elle n’a aucun avenir commercial. » Hollywood, naissance d’une industrie Le cinéma hollywoodien prend rapidement les caractéristiques d’une industrie : standardisation des genres, concentration des moyens de production sur des projets de plus en plus pharaoniques, organisation scientifique du travail dans les studios. Les recettes du cinéma hollywoodien lui permettent de rencontrer un très large succès. C’est un produit de consommation de masse qui exerce une véritable fascination dans toutes les couches de la société. En raison de son audience, l’industrie cinématographique doit se protéger et contrôler ses contenus afin d’éviter scandales et procès, ce qui contribue, en partie, à son uniformisation. À leurs débuts, les studios hollywoodiens privilégient les formats courts, constitués généralement d’une seule bobine de film. Les drames de l’Ouest, ancêtres du Western, et les slapsticks (comédies burlesques) constituent l’essentiel de la production. Les formats courts et burlesques offrent, dès 1914, à Charlie Chaplin l’occasion de composer son personnage populaire d’immigré vagabond qui fera sa célébrité pendant presque trente ans. Dès 1913, la production cinématographique privilégie les formats plus longs et les films de cinq ou six bobines deviennent la norme. La complexification des récits, permise par l’allongement des films, séduit le public. Dans l’entre-deux-guerres, les principaux genres cinématographiques se fixent à la faveur des succès d’audience. Les drames historiques, puisant généralement dans les guerres récentes, rencontrent un vif succès. L’apparition du son synchrone et du cinéma parlant encourage le développement de la comédie musicale dont Le chanteur de Jazz est le prototype. Le code Hays d’autocensure favorise également ce genre léger et primesautier. En 1928, Walt Disney invente une petite souris nommée Mickey, promise à une longue carrière. En 1937, Blanche neige et les sept nains est le premier long métrage d’animation de l’histoire du cinéma. Le film a nécessité trois ans de travail et prouve qu’un dessin animé de plus d’une heure peut être un grand succès de cinéma. Les années 1900-1930, désignées comme l’âge d’or du cinéma, sont marquées par la croissance démesurée du coût des films. Très vite sorti de l’artisanat des premières années, le cinéma devient une industrie d’abord dominée par les compagnies françaises, Pathé et Gaumont, puis par les compagnies américaines. plus en plus concurrencé par Le Petit Parisien qui systématise sa recette et lui ravit la vedette. Émile Zola (1840-1902) a commencé sa carrière en tant que journaliste, activité qui est restée importante pour lui tout au long de sa vie. Il livre ici ses réflexions sur ce métier et ses effets sociaux et culturels. Il souligne d’une part les effets positifs du journalisme, qui « renseigne rapidement », « développe la curiosité publique » et « décuple la vie ». Surtout, il estime que la large diffusion de la presse contribue à la démocratisation de la littérature, en faisant pénétrer le livre « partout où il y a trace de créature humaine ». Plusieurs de ses oeuvres ont d’ailleurs été publiées sous forme de feuilletons dans la presse (Germinal, Thérèse Raquin, La Terre). Toutefois, il dénonce « le reportage à outrance », qui conduit à privilégier l’accumulation de faits sur l’analyse et la réflexion, et qui conduit à une « appréciation hâtive des choses et des hommes ». Zola a été lui-même la victime de ces « appréciations hâtives », la presse parisienne l’ayant à plusieurs reprises attaqué violemment. Conscient de l’impact de la presse, il saura en user avec efficacité, notamment lors de l’Affaire Dreyfus. Fondé par Pierre Laffite, L’Excelsior, « journal illustré quotidien », est lancé à Paris le 16 novembre 1910, précédé par une grande campagne d’affichage : c’est un événement car il s’agit du premier quotidien illustré de photographies. Sur 12 pages de papier glacé, trois sont entièrement consacrées à des photographies : chaque numéro devait être préparé deux jours à l’avance pour permettre la parution de ces images. La création de L’Excelsior marque l’entrée de la photographie dans la presse, qui fait suite à une série d’autres innovations qui ont permis la diffusion à une plus grande échelle de la presse. Les nouveaux procédés d’impression ont joué un rôle majeur : les rotatives mises au point par Hippolyte Marinoni en 1856, qui tirent 4 pages à la fois remplacent les premières presses mécaniques (1814) et sont rapidement perfectionnées par Derriey à la fin du XIXe siècle, permettant le tirage simultané de 10 pages. La mise au point de la linotype (de l’anglais « line of type ») puis de la monotype dans les années 1880 permet de mécaniser également l’étape de la composition des textes et de réduire encore les délais d’impression d’un texte, tout en limitant le nombre d’ouvriers nécessaires dans les ateliers. Les progrès enregistrés en matière de papeterie, avec l’invention de la machine à rouleau continu et celle du papier à la cellulose, complètent les innovations d’un siècle qui consacre l’industrialisation de 87 Ce sont ces dernières qui se lancent dans une course effrénée aux superproductions : initialement destinées à empêcher les films français et italiens de concurrencer le cinéma américain, les superproductions – la première est Naissance d’une nation, réalisée par David Griffith en 1915 – permettent bientôt aux compagnies d’Hollywood d’asseoir leur domination sur le cinéma mondial. The Birth of a Nation utilise un format très long et mobilise des dizaines de milliers de figurants. C’est alors le plus important budget alloué à un film. Le souffle de l’épopée fait son apparition dans le récit cinématographique. En 1936, Blaise Cendrars se rend à Los Angeles pour y réaliser un reportage littéraire sur les studios hollywoodiens. Dans cet extrait, apparaît sa fascination pour ce lieu mythique qu’il pare de qualificatifs religieux, mais Cendrars n’est pas pour autant dupe des formes de la production cinématographique. Conscient que le cinéma est à la croisée des chemins entre l’art et l’industrie, il met en évidence le taylorisme des studios. La parcellisation des taches et le respect des cadences sont la norme et entraînent l’absence de compréhension de l’oeuvre en train de se construire. On retrouve ici, appliquées au cinéma, les constatations faites par les critiques du taylorisme dans le domaine industriel. Le succès du cinéma hollywoodien s’explique par le calibrage très précis des films produits. La mise en place d’un code de bonne conduite introduit un cadrage normatif qui contribue à baliser un cinéma qui s’offre à tous les publics. Trois ou quatre genres cinématographiques assurent l’essentiel des succès du box-office. Le vedettariat se développe dès le cinéma muet (Mary Pickford, Douglas Fairbanks, Charlie Chaplin). La part de rêve qu’offrent ces vedettes « plus qu’humaines » permet de pérenniser la magie du cinématographe jusqu’en dehors des salles obscures, et accessoirement d’assurer pour les producteurs les succès futurs de leurs films. II. Quelles transformations les pratiques culturelles subissent-elles entre 1850 et 1939 ? La radio : un nouveau média, une nouvelle culture ? Média entièrement nouveau, la radio engendre de nombreux discours craintifs sur le dépérissement de la « vraie culture » que remplaceraient d’indigents succédanés. L’article de Jean Guéhenno démontre évidemment le contraire en montrant que, comme le livre imprimé avant elle ou comme le cinéma, la radio démultiplie les occasions d’apprendre et de découvrir. Sa démonstration dénonce aussi un a priori, défendu par de nombreux intellectuels de l’époque, selon lequel la « vraie culture » ne peut être que celle d’une étroite élite. Guéhenno montre au contraire que la culture la plus authentique est celle qui est la plus largement partagée. Pour défendre la culture de masse, Jean Guéhenno emploie un argument de bon sens : la multiplication des vecteurs de diffusion de la culture ne peut pas être nuisible à la culture. Pour lui, la radio et le cinéma sont des progrès qui s’inscrivent dans la continuité des découvertes comme l’imprimerie, permettant à un nombre toujours plus grand d’individus de s’émanciper par l’accès à la culture. D’origine modeste, modèle de la méritocratie républicaine, Jean Guéhenno est aussi l’un des artisans intellectuels du Front populaire dont il défend ici les acquis culturels, contre les nombreux détracteurs de la culture de masse qu’on peut trouver parmi les intellectuels de gauche comme de droite. De nouvelles idoles : les stars d’Hollywood Les premières scènes filmées ont pour protagonistes des passants ou des proches des réalisateurs, à l’image des personnages qui peuplent les films des frères Lumière. Puis, le cinéma fait appel à des comédiens déjà célèbres : le « Film d’Art » (1908), en France, met en scène des grandes pièces du répertoire interprétées par des acteurs de la Comédie-Française. Les studios d’Hollywood répugnent, dans un premier temps, à lever l’anonymat des acteurs de leurs films et à recourir aux mêmes vedettes trop régulièrement : ils craignent de voir les exigences salariales de ces artistes augmenter rapidement et, jusqu’en 1910, le public ignore le nom des vedettes de l’écran. Cependant, dès les années 1920, la concurrence entre les studios les conduit à attribuer aux acteurs populaires un rôle croissant : c’est la naissance du « star system ». Mary Pickford et Rudolf Valentino sont parmi les premiers à déchaîner l’hystérie parmi le public. Les années 1930 marquent l’apogée du « star system » : les studios s’enorgueillissent de leurs catalogues de vedettes. Marlène Dietrich et Gary Cooper, que l’on voit la presse. Ces progrès engendrent baisse des coûts et réduction des délais : ils contribuent donc à l’expansion de la presse. « Toute l’Allemagne écoute le Führer », Affiche publicitaire, 1938. Cette affiche est un nouvel exemple de la convergence de buts, à travers la publicité, entre grandes firmes industrielles et régimes fascistes. En 1933, il y a déjà 4 millions de foyers qui disposent d’un récepteur radio. Un des objectifs majeurs du régime, et plus particulièrement du ministre de la Propagande et de l’Information du Reich, Joseph Goebbels, consiste alors à favoriser la diffusion du nouveau mass medium. La promotion du Volksempfänger, le « récepteur du peuple», VE 301, vanté ici, permet de doubler le nombre d’auditeurs en 5 ans. La production en série d’un appareil encore moins cher porte le nombre de foyers équipés à 16 millions en 1941 auxquels s’ajoutent des milliers de haut-parleurs installés en plein air, dans les ateliers ou dans les bureaux. Goebbels a vite compris que la radio « sera un jour la grande instruction des peuples », ajoutant cyniquement qu’elle « n’est pas un instrument de transmission objectif ». Goebbels définit une habile stratégie des programmes : promotion systématique de la musique classique allemande, divertissements populaires, feuilletons et, en soirée, des programmes d’information. Réalisateur majeur de l’histoire du cinéma et un des pères du langage cinématographique moderne, Abel Gance (1889-1981) se distingue de la production de son temps par un style empreint de lyrisme, qui fait de ses films muets (J’accuse, La Roue, Napoléon) des étapes majeures de l’histoire du cinéma. Il souligne dans cette conférence « l’omnipotence dans l’Espace et dans le Temps » du cinéma. Ce dernier permet en effet de diffuser des images partout sur la planète au même moment mais aussi de rediffuser ces mêmes images à l’envi dans le futur, permettant leur accès aux générations futures. Il pointe ainsi l’universalité et la pérennité du « nouvel art », qui lui confèrent une puissance qu’aucun autre art n’a eu avant lui. À la date où il s’exprime, l’essor du cinéma hollywoodien et la multiplication du nombre de salles dans les pays industrialisés font déjà du cinématographe un loisir de masse. Réalisé d’après le roman homonyme de Margaret Mitchell, le film Autant en emporte le vent est l’un des exemples les plus parlants des premières « superproductions » hollywoodiennes. Réalisé juste avant la Seconde Guerre mondiale – sa première projection eut lieu aux Etats-Unis le 15 décembre 1939 ; il ne 88 dans le film Desire de Frank Borzage (1936) qui met en scène une voleuse de bijoux séduisant un jeune ingénieur américain, font partie de ces jeunes stars adulées, dont l’image est remodelée par les studios. Née en 1901 à Berlin, l’actrice Marlène Dietrich commence, comme beaucoup de stars des années 1920 et 1930, sa carrière au théâtre. Mais c’est le cinéma qui lui permet de devenir une actrice célèbre dans le monde entier. En 1930, elle triomphe dans l’Ange bleu de Joseph von Sternberg, le premier film parlant du cinéma allemand puis est engagée par la compagnie américaine Paramount, qui veut concurrencer la mythique Greta Garbo, sous contrat avec la Metro Goldwin Mayer. Installée aux États-Unis, elle devient citoyenne américaine en 1937 et représente pendant longtemps la perfection de la beauté féminine. Créations exclusives du cinéma, les stars se démarquent des divas du théâtre et de l’opéra par leur apparence hors norme. Une star comme Marlène Dietrich a évidemment besoin d’avoir du talent, mais il lui est encore plus nécessaire, à une époque où la gestuelle des acteurs est beaucoup plus importante que les dialogues, d’avoir une « présence » à l’écran à la fois irréelle et indiscutable. C’est le mélange d’une beauté intemporelle et intangible et d’un personnage hors du commun qui fait des stars des êtres d’exception et c’est en renouvelant constamment cette alchimie que l’industrie cinématographique américaine peut multiplier les stars. Les années 1920 et 1930 voient ainsi naître aussi bien Marlène Dietrich et Mary Pickford que Greta Garbo, Louise Brooks ou Katarine Hepburn. sortit en France qu’en 1950 –, il est, à l’époque, le troisième film le plus cher de l’histoire du cinéma avec un budget de 3,9 millions de $. Il remporta 9 trophées à la cérémonie des Oscars de 1940 et est toujours considéré comme l’un des plus gros succès de l’histoire du cinéma mondial. Un héros de roman et de cinéma Dans la culture de masse qui émerge au tournant du siècle en Europe, Fantômas tient une place particulière. D’abord personnage emblématique de « l’âge du papier », ses aventures connaissent ensuite un remarquable succès au cinéma dans les moyens-métrages (d’une durée d’environ une heure) du languedocien Louis Feuillade. Pilier de la maison Gaumont, Louis Feuillade réalise cinq Fantômas. De nouveaux héros Si les années 1900 voient émerger une culture de masse, c’est bien sûr à cause des nouveaux médias que sont la radio et le cinéma, mais c’est, plus encore, à cause de l’âge d’or du livre que rendent possible aussi bien l’alphabétisation de masse que l’édition à bon marché. Le triomphe de journaux comme l’Épatant s’explique autant par le succès des aventures des Pieds Nickelés que par le prix, très modique, de ces publications. Il en est de même des romans policiers, que la Belle Époque n’invente pas, mais qui sont lus par des publics toujours plus nombreux. Les aventures d’Arsène Lupin, de Bécassine ou de Rouletabille connaissent ainsi un succès phénoménal. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 89 HC – Le sport et autres pratiques sociales en Europe (seconde moitié du XIXè siècle) Approche scientifique Approche didactique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude Insertion dans les programmes (avant, spatiale) : après) : On voit apparaître un sport de masse, dont la principale caractéristique est d’être regardé plus que pratiqué. Pourquoi et comment le sport participe-t-il aux évolutions de la culture de masse ? Sources et muséographie : Ouvrages généraux : CALLÈDE Jean-Paul, Les Politiques sportives en France : éléments de sociologie historique, Paris : Économica, 2000. A. CORBIN, L’Avènement des loisirs, Aubier, 1995. Françoise Hache, Jeux Olympiques. La flamme de l’exploit, coll. « Découvertes », n° 133, Gallimard, Paris, 1992. S. Laget, La Saga du Tour de France, coll. « Découvertes », Gallimard, Paris, 2003. B. Dumons, G. Pollet, M. Berjat, Naissance du sport moderne, Les Olympiques, La manufacture, Lyon, 1987. G. Vigarello « Le tour de France », in Les lieux de mémoire, dir. P. Nora, volume 2, Gallimard, 1992. G. Vigarello, Du jeu ancien au show sportif, naissance d’un mythe, Seuil, 2002. Du guidon au manche à balai, Affiches du Musée National du Sport de France, Lausanne, Musée Olympique, 2001. Il était une fois le sport…, Lausanne, Musée Olympique, 1997. Documentation Photographique et diapos : Documentation Photograhique : n° 7029 : Une histoire du sport (XIXe-XXe) 1995. Revues : TDC : n° 713 : 1er Avril 1996 Sports et olympisme : l’esprit d’excellence Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Par la littérature qu’il nourrit (le reportage d’Albert Londres), par les artistes qu’il inspire (Robert Delaunay ou Robert Capa), par les spectacles qu’il suscite, par les aménagements et les ensembles architecturaux qu’il nécessite, par les comportements qu’il uniformise, par les enjeux idéologiques qui accompagnent sa diffusion, le sport est partie prenante de la culture de masse de cette période. Entre 1870 et 1920, le sport s’introduit dans la société comme spectacle mais sa pratique reste encore restreinte. À partir de 1920, le sport s’intègre dans le corps social. Le sport devient un élément essentiel de la culture de masse entre 1900 et 1939. Pour ses défenseurs, le sport est l’activité de loisir la plus saine, notamment pour les jeunes et pour les travailleurs. Mais le sport n’est pas seulement une pratique, c’est de plus en plus un spectacle, exploité par les nouvelles industries du divertissement. Enfin, loin de rassembler les peuples dans une compétition pacifique, le sport peut exacerber le nationalisme, s’il est utilisé par la propagande politique, comme lors des Jeux olympiques de Berlin en 1936. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Des loisirs de classes ? Les loisirs ouvriers sont tout à fait spécifiques et participent pleinement à la constitution d’une culture ouvrière propre. Jardinage et bricolage sont deux loisirs non ludiques, leur pratique est une manière détournée de travailler. Ainsi, même durant leurs loisirs, les ouvriers travaillent ; le travail est une valeur au coeur de leur culture. Les jardins ouvriers se multiplient autour des villes, ils permettent aux familles ouvrières de diversifier leur alimentation, de faire des économies en limitant les dépenses en nourriture ou en revendant une partie des récoltes. Signalons par ailleurs que lorsqu’ils pratiquent un sport, les ouvriers préfèrent le football ou le cyclisme au rugby ou au tennis qui sont alors l’apanage des classes supérieures de la société. Activités, consignes et productions des élèves : L’ÉQUIPE DE CARDIFF Ce tableau a été réalisé entre 1912 et 1913 par Robert Delaunay, un des peintres les plus marqués par le mouvement cubiste. Le tableau, intitulé L’Équipe de Cardiff, a comme motif central une scène de match de rugby qui a été inspirée à Delaunay par une photographie, publiée dans la presse, d’un match opposant le Stade toulousain au Sporting Club universitaire de France. Le titre de L’Équipe de Cardiff ne semble pas avoir de rapport direct avec cette image. Le tableau est construit comme un collage, 90 Permanences et ruptures dans le premier âge du sport. La danse, puis plus tard les sports d’hiver, demeurent réservés à une élite économique et culturelle. La danse en 1874 n’est pas vue comme un sport mais comme un art d’agrément au même titre que la broderie ou l’aquarelle. Au moment où certaines autorités médicales préconisent la pratique de la gymnastique et des agrès pour régénérer la race et préparer des « mères solides », la pratique de la danse fige les rôles et fixe un éternel féminin. Le décor du cours de danse est convenu : un salon, des gravures programmatiques : après le temps de la danse viendra le temps des promenades ou de la chasse à cour… La mixité du cours fait néanmoins figure de révolution. Séparés partout ailleurs (école, catéchisme etc.), filles et garçons y apprennent à se connaître. Les jeunes gens qui fréquentent la station de Saint- Gervais sont eux aussi des privilégiés, à la pointe de la mode : la montagne n’était fréquentée que l’été et les sports d’hiver n’accèdent au statut olympique qu’en 1924. Pourtant la modernité est bien du côté de ces pratiques sportives nouvelles, rendues possibles par la desserte ferroviaire des stations. Les sports d’hiver sont des sports de plein air. La mixité est la règle et la tenue androgyne faite de fuseaux et de pull-overs aux motifs jacquards ne distingue pas plus garçons et filles que la longueur des cheveux portés « à la garçonne ». Le sport est complet : il combine ascension en montagne, port des skis et virtuosité dans la descente. Le développement du tourisme balnéaire L’essor du tourisme de masse, pratique venue d’Angleterre et longtemps réservée à une étroite aristocratie, remonte au début du XXe siècle. Y contribuent aussi bien l’élévation générale du niveau de vie que l’achèvement des réseaux de chemin de fer et que la diminution du temps de travail. Les classes moyennes – les principales bénéficiaires de ces évolutions – envahissent les stations thermales et balnéaires : pour ne rendre des exemples qu’en France, des villes comme Cambo-les-bains, La Baule ou Juan-les-Pins connaissent alors un essor spectaculaire. Cette carte postale des années 1930 montre nettement que le tourisme balnéaire est désormais accessible presque à tous. II. Le sport, spectacle de masse Jusqu’au XIXe siècle, la pratique du sport est aussi bien l’apanage de l’aristocratie – qui chasse, joue au tennis monte à cheval et invente le rugby et le football – qu’une distraction pour les catégories sociales les moins favorisées. La grande nouveauté de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle est l’apparition, et, très vite, la généralisation, du sport que l’on regarde au lieu de le pratiquer. Comparées aux tournois du Moyen Âge, les grandes compétitions sportives sont organisées pour désigner un vainqueur, mais, plus encore, pour être vues par le plus grand nombre possible de spectateurs. Les Jeux Olympiques, le Tour de France, les championnats nationaux ou la Coupe du monde de football deviennent des événements, non seulement parce qu’ils suscitent des performances, mais aussi parce qu’ils donnent ces dernières à voir au plus grand nombre, directement (dans les stades) ou indirectement (par le biais des médias qui relaient ces événements). Ces grandes compétitions peuvent être des entreprises privées qui, comme le tour de France, permettent de réaliser de substantiels bénéfices en multipliant les contrats publicitaires. Mais elles sont aussi, et de plus en plus, prises en charge par les États qui voient en elles un fabuleux support de propagande : les Jeux Olympiques de 1936 deviennent la vitrine de l’Allemagne nazie, tout comme la Coupe du monde de football de 1934 a été le triomphe de l’Italie fasciste. Mais, même s’ils ne sont pas totalitaires, tous les États ont intérêt à encourager le développement de telles compétitions. Le nombre de sociétés et licenciés affiliés à la Fédération française de football est multiplié par presque 9 entre 1919 et 1940. Pour la natation, le nombre de sociétés est multiplié par 12, celui des licenciés par 17. Comment expliquer ce succès mais aussi l’écart d’échelle entre les 2 sports retenus ? L’équipement et les aménagements modiques liés à la pratique du football (un ballon, un terrain) sont peu coûteux. La mise en place et l’entretien d’une piscine coûtent autrement plus cher, même si dans les années 1920-1930, il est encore possible de pratiquer la natation à moindre coût dans les rivières et fleuves français. On constatera aussi que ces sports demeurent essentiellement masculins. Les patronages, laïcs ou qui lui permet de juxtaposer les éléments du match de rugby, des affiches, une tour Eiffel, une grande roue et un aéroplane. C’est évidemment au cubisme que Delaunay emprunte la technique du collage, déjà abondamment pratiquée par Picasso. Les inscriptions du second plan sont des publicités, réelles – comme celle de la marque Astra – ou imaginaires – comme celle de la marque Delaunay –, qui voisinent avec la scène du match de rugby probablement en hommage à la nouvelle culture que la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle contribuent à faire naître. La tour Eiffel, la grande roue et l’aéroplane sont autant d’éléments de la Belle Époque, aussi bien marquée par les grandes expositions universelles organisées à Paris en 1889 et en 1900 que par la première traversée de la Manche par Blériot en 1909. Leur voisinage avec les inscriptions du second plan permet à Delaunay de saluer l’émergence d’une nouvelle civilisation des loisirs. En soulignant l’émergence de nouvelles tendances artistiques – le cubisme –, de nouvelles pratiques culturelles – le sport spectacle, le triomphe de la publicité – ou de nouvelles évolutions sociales – l’émergence des loisirs – Delaunay dresse un panorama assez complet des nouveautés culturelles et artistiques produites par la société industrielle. Delaunay représente, dans son tableau, les emblèmes de la modernité. La silhouette aérienne de la Tour Eiffel côtoie un biplan tout aussi aérien. La partie supérieure du tableau est un hymne à la légèreté et à la modernité au travers de ses réalisations architecturales et technologiques. On peut noter qu’un joueur, par son saut, atteint cet espace supérieur dessiné par le peintre. Les joueurs de rugby sont les symboles tectoniques d’une humanité capable de s’arracher aux pesanteurs de son destin et de se hisser vers la sphère idéale du progrès et de la modernité. Delaunay accorde ici une place primordiale à la publicité. Un débat d’idées agite alors les poètes de la modernité autour des citations de Blaise Cendrars : « La publicité est la fleur de la vie contemporaine » et d’Apollinaire : « Dans une ville moderne, l’inscription, l’enseigne, la publicité joue un rôle artistique très important ». Dès lors, Delaunay fait le choix d’intégrer les taches chromatiques de l’affiche publicitaire urbaine dans son tableau. Delaunay présente un match de rugby. Au début du XXe siècle, quelques sports deviennent populaires et participent à l’apparition du sport de masse. Parmi ces disciplines sportives, le football, le rugby, la boxe et le cyclisme dessinent les contours de cette nouvelle modernité sportive. Les publicités reproduites évoquent New York et Paris. Le rugby est un sport 91 confessionnels, les entrepreneurs paternalistes, les partis politiques de gauche s’affrontent et se concurrencent pour proposer au monde ouvrier, ou à ses rejetons, des activités qui favorisent la discipline, le respect de la hiérarchie (cf. Jean-Pierre Peugeot et la fondation du Football -Club de Sochaux en 1928) ou au contraire un nouveau droit au loisir et au divertissement. Le sport promu entre 1920 et 1940 est donc porteur d’idéologies qui culminent dans les régimes totalitaires. Le vélo et le Tour L’exemple du vélo met en évidence l’émergence, au tournant des XIXe et XXe siècles, de la culture de masse. « Fantaisie », loisir, puis moyen de transport, le vélocipède se démocratise au fil des années grâce aux progrès techniques, mais surtout grâce à l’organisation de compétitions qui popularisent son usage. C’est en 1817 que le baron badois Drais von Sauerbronn, professeur de mécanique, met au point le vélocipède, ou draisienne. Son engin, qui consiste en une poutre posée sur deux roues et dont le but est de « faire marcher une personne avec une grande vitesse », ne connaît qu’un succès éphémère mais représente le point de départ d’une longue histoire. Vers 1861, le serrurier Pierre Michaux, en y ajoutant un pédalier et en allégeant sa structure, donne un élan décisif au vélocipède : la haute société et la bourgeoisie s’emparent rapidement de ce nouveau loisir et l’organisation des premières courses (1867-1869) confirme l’intérêt de ce nouveau système de transport qui peut enfin rivaliser avec le cheval. La première machine brevetée sous le nom de « bicyclette » en 1869 fut inventée en Grande-Bretagne lorsque furent mis au point des pneus en caoutchouc montés sur des jantes en acier. Le bicycle anglais, avec sa roue avant motrice au large diamètre, confirme les performances de l’engin et fait passer le vélocipède du rang de « fantaisie » à celui de moyen de transport. Ce « grand bi », haut d’environ 1,30 m, est toutefois d’une utilisation délicate, ce qui en limite la diffusion. Dans les années 1880, ce sont les Anglais Lawson et Starley qui créent les premiers modèles aux roues plus basses et de tailles presque égales. La selle est reculée, le pédalier relié à la roue arrière : la bicyclette est née. Les engins furent au point vers 1880, les pédales reliées à un pignon via un plateau denté et une chaîne et, en 1891, le français Édouard Michelin inventa les pneus démontables. Ce modèle s’impose grâce à ses performances dans les deux grandes courses utilisées en 1891 (Paris-Bordeaux, Paris-Brest) : organisées pour prouver la fiabilité de l’engin et le démocratiser, ces compétitions suscitent un enthousiasme exceptionnel. Elles contribuent à imposer l’usage du vélo : en 1893, on compte près d’un million d’usagers en France. À cette date, il faut encore près de 625 heures de travail à un ouvrier pour espérer acquérir une bicyclette, ce qui limite encore la diffusion de l’engin. Empruntant l’appellation de Tour de France au circuit d’apprentissage des compagnons, Henri Desgranges, le directeur du journal l’Auto, crée cette épreuve devenue mythique pour distancer son principal concurrent, le journal le Vélo, qui organisait déjà des courses comme Paris-Bordeaux. Prévue pour durer un mois, l’épreuve doit relier les principales villes françaises : Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux et Nantes, par des étapes longues de plusieurs centaines de kilomètres. Le 1er juillet 1903, les concurrents du premier Tour de France prennent le départ de Villeneuve-Saint-Georges : les six étapes prévues les conduisent à couvrir 2 500 km en 18 jours. Le passage des coureurs dans de nombreux villages où l’on ignore encore ce qu’est la bicyclette contribue à un nouvel essor de sa pratique, que le Tour contribue à démocratiser. Véritable fête populaire, ce dernier engendre un incroyable engouement. Lors du Tour de France de 1938, la popularité de l’épreuve atteint ses sommets. La semaine de 40 heures et l’instauration des congés payés, ainsi que la baisse du coût des vélos (il ne faut plus désormais qu’une soixantaine d’heures de travail à un ouvrier pour l’acquérir), renforcent le parc cycliste français, qui atteint près de 8,8 millions de machines, et l’intérêt pour la compétition s’en trouve renforcé. L’Italien Gino Bartali (1914-2000) remporte alors son premier Tour. L’ancien vainqueur, Speicher, ayant été disqualifié pour s’être fait tracter par une voiture dans les Pyrénées. Le grand reporter Albert Londres assure la couverture du Tour de France pour Le Petit Parisien (tirage 1,5 million d’exemplaires) en 1924. Avec d’autres, il invente un genre nouveau, celui de la chronique sportive qui transforme le Tour de France en épopée. L’acculturation n’est pas totale et si le Tour fait l’objet d’une anglo-saxon. La firme Astra est une société d’aviation française. Robert Delaunay a voulu montrer le cosmopolitisme de la société moderne. La trépidation de la vie moderne est rendue par l’impression d’instantanéité que procure cette toile, qui fixe le mouvement des joueurs et, en particulier, fige le saut du joueur au ballon. La structure de l’oeuvre juxtapose trois plans. Les joueurs du premier plan proviennent d’une coupure de presse. Les publicités proviennent d’une vue de l’intérieur du Parc des Princes. L’arrière-plan est tiré d’une carte postale. L’articulation des plans et des motifs est rendue possible par l’entrelacement autour d’un axe de symétrie animé d’une courbe sinusoïdale qui traverse la toile, renforçant le caractère « tourbillonnant » de la composition. Delaunay se trouve à la charnière des deux principaux courants picturaux du début du siècle. S’il emprunte la décomposition de l’espace au cubisme, la richesse de sa palette chromatique doit beaucoup à l’influence du fauvisme. Par un clin d’oeil, l’artiste place son nom dans une affiche publicitaire. Par ce procédé, il distingue la publicité au rang de l’expression artistique, mais joue aussi ironiquement avec le statut de l’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Ce document est une oeuvre d’art figurative qui associe peinture à l’huile et collage sur toile. Le peintre a voulu représenter une course cycliste qui se déroule dans un vélodrome. Le cycliste apparaît en plein effort : il est courbé sur son vélo, il semble pédaler à toute vitesse, les traits de son visage montrent une grande concentration. Cet intérêt du peintre pour les compétitions sportives reflète, en fait, la place nouvelle qu’occupe le sport, devenu à la fois un loisir de masse et un spectacle grand public. Le cyclisme, mais aussi la boxe et le football passionnent des foules de plus en plus nombreuses. À l’arrière-plan, l’artiste a représenté des gradins qui sont noirs de monde. Le cyclisme est une des disciplines les populaires en France, notamment grâce aux compétitions comme celle-ci ou encore comme le Tour de France créé en 1903. La presse (grands quotidiens ou revues spécialisées), en publiant des comptes-rendus de compétition, la radio et le cinéma, en les retransmettant, ont fortement contribué à cette popularité du sport. La paroi qui borde la piste cycliste porte des affiches publicitaires (l’une pour la course cycliste Paris-Rouen, l’autre pour des pneus). C’est, en effet, à cette époque, avec l’industrialisation et l’essor de la consommation, que se développe la publicité. Elle se rencontre sous forme d’affiches très colorées et elle est très présente dans la presse. Le peintre a travaillé sur la forme en 92 couverture médiatique impressionnante (T.S.F., presse et actualités cinématographiques rendent compte de l’événement), si ses héros sont identifiés et connus, les comportements sont encore ensauvagés. Lorsqu’il est publié en 1935, l’article de Pierre Bost montre que le Tour s’est non seulement imposé comme un événement sportif majeur, mais qu’il est aussi devenu une entreprise très lucrative, grâce à la publicité qui envahit déjà le sport devenu un spectacle. En juillet 1939, à Pleyben en Bretagne, le photo-reporter Robert Capa en 2 instantanés, permis par son petit Leica, montre les permanences et la civilisation des comportements : le Tour est un spectacle gratuit, qui mobilise les municipalités, donne des applications concrètes au cours de géographie et séduit un public populaire et bon enfant. La réclame (voir casquettes et journaux), l’extraction populaire et régionale des coureurs auxquels tous peuvent s’identifier, promeuvent et généralisent l’usage de la bicyclette comme moyen de locomotion (boutique de cycles à l’arrière-plan). Le sport-spectacle Ce sont les Britanniques qui, après avoir inventé le football, construisent des stades permettant d’accueillir des spectateurs toujours plus nombreux. Calquées sur les stades de cricket, ces enceintes peuvent aussi accueillir des compétitions d’athlétisme ou, comme en France, des courses cyclistes. Dès les années 1890, les stades peuvent accueillir plusieurs milliers de spectateurs, souvent debout. Le développement des grandes compétitions nationales et internationales entraîne un accroissement spectaculaire de la capacité des stades : la finale de la Coupe du monde de 1934 est jouée devant 45 000 spectateurs, mais c’est devant plus de 90 000 spectateurs qu’est disputée la finale de la coupe d’Angleterre en 1938. Le sport, substitut de la guerre La première moitié du XXe siècle voit se multiplier les événements sportifs planétaires qui sont autant d’occasions de confrontations pacifiques entre les nations. Strictement réservée aux amateurs, la pratique du sport de haut niveau doit, dans l’esprit de Pierre de Coubertin, maintenir dans les sociétés modernes le goût aristocratique de l’exploit désintéressé et la passion du « beau geste ». Le baron Pierre de Coubertin (1863-1937) est à l’origine de la résurrection des Jeux olympiques à Athènes en 1896. Issu de l’aristocratie catholique, Coubertin se passionna pour le sport après un voyage en Angleterre en 1883. Il milita ensuite sans relâche pour le développement du sport. Selon Coubertin, le sport est « l’incarnation de la démocratie », parce qu’il est fondé sur deux valeurs qui seraient les piliers de la société démocratique : l’entraide et la concurrence. La solidarité est en effet une valeur démocratique, qui est cultivée par les sports d’équipe. La compétition est au coeur des épreuves sportives et elle peut aussi être considérée comme une valeur démocratique, si on l’entend dans le sens de la méritocratie (une société privilégiant la compétence par rapport à la naissance ou à la fortune). Mais dans le même texte, Coubertin emploie d’autres arguments en faveur du sport qui semblent moins favorables à la démocratie. Il présente en effet le sport, dans une perspective hygiéniste et nationaliste, comme un moyen de régénérer la jeunesse, de fortifier la patrie, d’encourager l’expansion coloniale. Si rien dans ces propos n’est explicitement antidémocratique, on peut néanmoins comprendre à travers cet argumentaire comment un régime autoritaire pourrait tirer profit du sport. Coubertin lui-même avait une conception plutôt élitiste du sport. Il voyait les sportifs comme une sorte de chevalerie moderne, donnant l’exemple au peuple. Peu avant de mourir, Coubertin fut sensible aux tentatives de récupération déployées à son égard par Hitler et il soutint sans réserve les Jeux olympiques de Berlin en 1936. Dans les faits, le sport spectacle devient un enjeu politique majeur pour toutes les nations : le football permet, comme le montre Giraudoux, d’affirmer la supériorité et le dynamisme d’un pays. L’analyse de Jean Giraudoux montre bien que le sport est devenu, dans les années 1930, un moyen strictement comparable à la guerre de démontrer la force et l’énergie d’un pays. Giraudoux présente le sport et la guerre comme les deux seules formes d’activités internationales, dans un monde où les nations se sont repliées sur elles-mêmes, se protégeant par des « tarifs» (douaniers) ou des « haines» (le nationalisme, tel qu’il a été cultivé notamment par les fascistes). Il explique aussi que ces deux activités s’adressent à la même catégorie, la jeunesse. Le sport est devenu, au même titre que la force militaire, une forme d’expression de la « santé physique » d’une nation. Il évoque, à titre d’exemple, la vitalité des pays sud-américains révélée par leurs décomposant son personnage du premier plan, devenu un assemblage de figures géométriques. Cette technique est emblématique du cubisme, courant pictural inventé par Pablo Picasso et Georges Braque en 1907. Le « combat du siècle » La rencontre qui oppose les deux boxeurs Jack Dempsey et Georges Carpentier, le 2 juillet 1921, illustre à merveille les principaux aspects de la culture de masse. Le match nécessite la construction d’une tribune spéciale pour accueillir les 100 000 spectateurs payants prévus. Le combat est suivi à la radio par des millions d’Américains et, de ce côté de l’Atlantique, par une foule compacte amassée sur les Grands Boulevards et la place de la Concorde pour suivre les écrans défilants. Grâce aux câbles sousmarins, les Français n’apprennent la défaite de leur champion au quatrième round qu’avec deux minutes de décalage sur les États-Unis. Les enjeux économiques de ce sport de masse sont considérables et le vedettariat commence à toucher les grands sportifs. Dans un discours, Léo Lagrange entend défendre le « vrai » sport de masse contre le sport-spectacle. Il dénonce en effet celui-ci, présenté comme une dérive, parce qu’il réserve la pratique sportive à un petit nombre de « privilégiés » dont les exploits sont mis en scène. Il semble dénoncer aussi, dans les deux dernières lignes de cet extrait, l’exploitation nationaliste du sport, conçu comme une préparation à la guerre par certains régimes. Dans cette optique, Léo Lagrange refusa le projet d’un stade de 100 000 places et prôna l’aménagement de petits terrains de jeux exclusivement destinés à la pratique sportive. Léo Lagrange incarne, par son destin tragique, l’idéal inabouti de l’expérience du Front populaire. Ce socialiste français, soussecrétaire d’État aux Sports et à l’organisation des loisirs sous le Front populaire, s’emploie à développer les loisirs sportifs, touristiques et culturels. Il est à l’origine de la création du billet populaire de congés annuels qui accorde 40 % de réduction sur les transports ferroviaires. Il crée aussi les auberges de jeunesse. Il soutient la tenue des Olympiades populaires à Barcelone, organisées en contrepoint aux JO de Berlin, instrumentalisés par le nazisme. La conception du sport de Léo Lagrange refuse le sport-spectacle promu par la culture de masse, et dénonce l’instrumentalisation du sport et la dénaturation de ses objectifs par les régimes totalitaires. 93 succès sportifs (la finale de la coupe du monde de football en 1930 a été gagnée 4 à 2 par l’Uruguay aux dépens de l’Argentine). D’où l’espoir que le sport devienne un substitut à la guerre, une sorte de transposition des conflits entre nations sur un mode pacifique. Les « forces de jeu » neutraliseraient les « forces de combat », « l’homme nu » (l’athlète) l’emporterait sur le soldat. Si Giraudoux a bien vu l’importance prise par le phénomène sportif, il semble ici quelque peu optimiste, négligeant le risque d’une dérive nationaliste. Son raisonnement peut presque être inversé : loin de se substituer à la force militaire, le sport pourrait préparer la guerre. L’exploitation du sport par les régimes totalitaires a été patente lors de la Coupe du monde de football en 1934 (remportée à Rome par l’Italie aux dépens de la Tchécoslovaquie) et, bien sûr, lors des Jeux olympiques de 1936 à Berlin. Les Jeux Olympiques peuvent, comme le montre l’exemple de ceux de Berlin, fournir un support de propagande aux États totalitaires. La photo du podium de l’épreuve de saut en longueur de 1936 résume à elle seule ces dérives, en montrant trois représentants des futurs protagonistes de la Seconde Guerre mondiale saluant leurs drapeaux respectifs au milieu d’une foule faisant le salut nazi. Les Jeux olympiques de Berlin ont été utilisés par les nazis comme une gigantesque opération de propagande. Les appels au boycott des Jeux lancés par tous ceux (notamment aux États-Unis) qui dénonçaient la législation raciste adoptée par l’Allemagne en 1935 eurent un écho assez faible. Il s’agissait d’abord de prouver les capacités d’organisation de l’Allemagne et de séduire les journalistes étrangers. Les aspects les plus brutaux de l’antisémitisme furent mis en sourdine le temps des jeux et certains opposants furent arrêtés préventivement. Il s’agissait aussi de prouver la force de la nation allemande à travers les exploits de ses athlètes. L’Allemagne remporta effectivement les jeux (33 médailles d’or, 26 d’argent, 30 de bronze), devant les États-Unis, l’Italie et la France. Mais l’athlète noir américain Jesse Owens gagna quatre médailles d’or (100 mètres, 200 mètres, saut en longueur et relais 4 x 100 mètres) et Hitler refusa de lui serrer la main. La propagande exploita systématiquement ces manifestations sportives. Les bannières nazies étaient plus visibles que les drapeaux olympiques. La confusion fut entretenue entre le salut olympique et le salut hitlérien. L’idéal sportif fut mis au service de l’esthétique nazie, qui glorifie la race pure. C’est particulièrement net dans le film de propagande de Leni Riefenstahl, Olympia, les Dieux du Stade. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 94 HC – Les mouvements artistiques européens de 1850 à 1939 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Quelles transformations la production artistique connaît-elle entre 1850 et 1900 ? Quelle place tient l’avant-garde artistique ? Sources et muséographie : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Ouvrages généraux : Nicole Tuffelli, L’Art au XIXe siècle, 1848-1905, Larousse, Paris, 1999. I. F. Walther (dir.), L’Art au XXe siècle, Taschen, Cologne, 2000. Nadeije Laneyrie-Dagen, Lire la peinture, volume I : Dans l’intimité des oeuvres, volume 2 : Dans le secret des ateliers, collection Comprendre et reconnaître, Larousse, 2004 et 2006. Très pratique et très complet Sébastien Clerbois et Catherine Verleysen, Dictionnaire culturel de l’expressionnisme, Hazan, 2002. Gilles Genty, L’ABCdaire du Symbolisme et de l’Art Nouveau, Flammarion, Paris, 1997. Laurence Madeline et Dominique Lobstein, L’ABCdaire de l’Impressionnisme, Flammarion, Paris, 1995. Eric de Chassey et alii, L’ABCdaire des années 1930, Flammarion/Paris Musées, 1997. Michel Hoog, Cézanne puissant et solitaire, Découvertes Gallimard, Paris, 2006. Arnauld Pierre, Fernand Léger, peindre la vie moderne, Découvertes Gallimard, Paris, 1997. Pierre Georgel, Courbet : Le Poème de la nature, Découvertes Gallimard, Paris, 1995. Xavier Girard, Matisse, « une splendeur inouïe », Découvertes Gallimard, Paris, 1993. Dir. D. Ottinger, Marcel Duchamp dans les collections du centre Georges Pompidou, Musée d’Art Moderne, Editions du centre Pompidou, 2001. Dans la coll. « L’art et les grandes civilisations », Citadelles/Mazenod : M. BUTOR, (dir.) L’Art des États-Unis, 1992. F. CACHIN (dir.), L’Art du XIXe siècle 1850-1905, 1990. J.-P. BOUILLON (dir.), L’Art du XXe siècle 1900-1939, 1996. Documentation Photographique et diapos : René Duranton, La révolution Cézanne, DVD Palettes, Éditions Montparnasse, 2006. Alain Jaubert, Les grands modernes, DVD Palettes, Éditions Montparnasse, 2001. Alain Jaubert, La Naissance de l’impressionnisme, DVD Palettes, Éditions Montparnasse, 2001. Alain Jaubert, Du romantisme au réalisme, DVD Palettes, Éditions Montparnasse, 2002. Revues : TDC : n° 732 15 Mars 1997 : La sculpture dans la ville au XIXe siècle, n° 767 : 1er Janvier 1999 : L’art et l’objet au XXe siècle : un dialogue fécond etc. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Il faut, sans sombrer dans l’inventaire fastidieux, construire la chronologie des principales tendances artistiques de l’époque : l’identification des principales ruptures permet de comprendre l’émergence des avant-gardes artistiques successives. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : I. REALISME ET IMPRESSIONNISME Accompagnement 1ère : « L’industrialisation transforme la production culturelle, l’accès à la culture et les modes d’expression traditionnels ; en France, les années 18601930 correspondent à un premier âge de la culture de masse. Mais les données nouvelles et les bouleversements qu’elles induisent trouvent aussi leurs répercussions dans une réflexion originale des penseurs, des écrivains, des artistes qui traduisent, chacun à leur manière, à la fois le désarroi devant les changements et la recherche d’expressions capables de dire le monde nouveau. S’il L’académisme Jean-Léon Gérôme illustre les principaux traits de la peinture académique. La « Grande peinture » l’est d’abord par son format et par la solennité de ses sujets. Dans L’Âge d’Auguste, la naissance de Christ (huile sur toile, vers 1852, musée des Beaux-Arts d’Amiens), pour lequel son auteur a reçu la légion d’honneur, l’artiste embrasse le thème antique et la scène religieuse avec une virtuosité de composition qui le dispute à la précision photographique du dessin. On y devine déjà l’attrait pour les sujets orientaux qui marquera la peinture de l’artiste dans les années suivantes. En 1864, Jean-Léon Gérôme devient professeur de peinture à l’École nationale supérieure des beaux-arts. Il y use de son influence contre les sujets de sa détestation, Édouard Manet et les impressionnistes. Durement 95 critiqué par Émile Zola, Gérôme perd une grande partie de sa popularité à la fin de sa vie et sera l’objet des moqueries des avant-gardes ; toutefois, il retrouve les faveurs de la critique depuis quelques décennies. Alexandre Cabanel, né à Montpellier en 1823, devient le peintre officiel du Second Empire et de la IIIe République après avoir suivi les cours des BeauxArts où il exercera comme enseignant. Spécialiste de la peinture d’histoire, peintre de genre et portraitiste, il acquiert très vite une grande réputation. Il est un des artistes français les plus décorés et les plus médaillés de son temps et reçoit des commandes de Napoléon III qui est un de ses grands admirateurs. Attaché à la tradition classique, il privilégie les harmonies délicates, la finesse du dessin et des colorations. La Bible, la mythologie, l’histoire ancienne, mais aussi Dante et Shakespeare servent d’inspiration à une peinture académique, prolifique en figures de pécheresses et de divinités alanguies. Même s’il n’a pas laissé une trace immense dans l’histoire de l’art, William Bouguereau (1825-1905) domine toute la peinture de la deuxième moitié du XIXe siècle. Sa carrière, marquée par de nombreuses récompenses, par une élection à l’académie des Beaux-Arts et par un succès continu en particulier aux États-Unis, suffit à définir ce qu’est l’académisme. Son tableau La Naissance de Vénus, contemporain de nombreuses oeuvres impressionnistes, montre le goût dominant à l’époque pour les nudités irréprochablement reproduites en atelier, pour les sujets mythologiques et pour l’absence complète de recherche formelle. La rupture du réalisme Le réalisme constitue une rupture sur plusieurs plans. Rupture esthétique, le réalisme s’affranchit des canons du Beau académique. Rupture politique également, dans le choix des sujets. Les humbles investissent le champ artistique. La révolution réaliste accompagne le mouvement de démocratisation des sociétés occidentales. Le parcours personnel de Gustave Courbet est ici emblématique. Rupture, enfin, des artistes avec leurs contemporains. Au milieu du siècle, les oeuvres de Courbet et Manet sont violemment rejetées. Il faut attendre le dernier tiers du siècle pour que le mouvement réaliste et naturaliste soit vraiment accepté. Figure emblématique du réalisme, Gustave Courbet provoque de nombreux scandales en exposant des peintures comme Un Enterrement à Ornans (1850) ou l’Origine du monde (1866). Anticonformiste en art comme en politique – son républicanisme intransigeant le conduit à prendre part à la Commune, pendant laquelle il propose l’enlèvement de la colonne Vendôme, symbole des victoires napoléoniennes –, Courbet s’oppose violemment aux normes de l’académisme : ses peintures montrent la réalité telle qu’elle est et non telle qu’elle doit être idéalisée. Ses positions rejoignent celles d’écrivains comme Champfleury qui cherchent à la même époque à imposer le réalisme dans la littérature. Le réalisme qui occupe une large partie de la production picturale à partir de 1850 veut rendre compte des choses et des êtres tels qu’ils sont, et non tels que les normes des académies des Beaux-Arts veulent qu’elles soient. D’où le choix, chez Courbet en particulier, de représenter non des scènes d’atelier, mais des scènes de la vie ordinaire, non des scènes héroïques, historiques ou mythologiques, mais des scènes quotidiennes et familières. Le réalisme ne rompt avec l’idéal de la beauté défendu par les peintres académiques, mais il va le chercher dans des sujets jusque-là peu représentés par les artistes. La peinture réaliste choisit ses sujets dans la réalité de la vie et non dans le répertoire inépuisable de la mythologie et des pages héroïques ou édifiantes de l’Histoire. Ainsi, pour Un Enterrement à Ornans, Courbet fait poser les habitants d’Ornans un à un dans son atelier. La procession des 47 personnages constitue un ensemble sociologique complet, représentatif de la variété du village natal du peintre : le prêtre, les paysans ou le bourgeois sont des personnages que Courbet connaissait personnellement. Des membres de sa famille sont représentés également dans une toile au format jusque-là réservé aux oeuvres académiques. La peinture réaliste renonce aussi à l’idéalisation de la peinture académique. Un Enterrement à Ornans sera l’objet de violentes attaques lors de sa présentation au Salon de 1850-1851. Son auteur sera accusé de peindre « le laid », « le trivial » et « l’ignoble ». De la même façon, Manet, avec Olympia, dépeint une jeune fille réelle et non idéalisée. La silhouette est éloignée des canons de la beauté académique et ce nu qui scrute sans pudeur le spectateur du tableau choque les convenances de l’époque. D’autant que Manet s’ingénie, à l’évidence, à rechercher le scandale. Il détourne les codes de la peinture de la Renaissance et de l’académisme. Il tourne en dérision la peinture française traditionnelle, où sont s’agit donc d’inscrire culture et arts dans l’évolution des sociétés, on ne peut le faire de manière exhaustive : le principal danger est ici celui de l’énumération sans ligne directrice. On s’attache donc aux lignes de forces, en sélectionnant quelques oeuvres significatives (voire types d’oeuvres – le roman feuilleton, la peinture reflet et interprétation de l’âge industriel, etc. – ou situations), qu’on analyse avec précision pour en faire des points de repère favorables à la construction du savoir et de la culture personnelle des élèves. » Accompagnement 4è : « L’évolution culturelle et artistique est liée à l’évolution économique et sociale sans en être exclusivement dépendante. Ainsi, la généralisation de l’alphabétisation coïncide avec l’ouverture des terroirs mais elle correspond, aussi, à l’affirmation de l’État. De même la laïcisation des sociétés n’est pas un phénomène univoque. Le XIXe siècle voit, avec le développement des ordres religieux, des pèlerinages et des missions, une tentative des Églises pour s’adapter au monde moderne. De même, dans le domaine artistique, si la tour Eiffel, édifiée pour l’Exposition Universelle de 1889 est bien le symbole de l’âge du fer, les recherches artistiques, du romantisme au réalisme, de l’impressionnisme au cubisme, ont une évolution propre. Dans ce domaine comme dans d’autres, il faut éviter la nomenclature. Quelques exemples bien choisis pour leur forte charge symbolique (cf. les documents indiqués par le programme) suffisent pour initier les élèves à la couleur artistique du siècle. » Réalisé en 1876, Le Bal du Moulin de la Galette donne une idée précise des techniques employées par les impressionnistes. Réalisé en plein air, le tableau représente une scène de la vie ordinaire avec des personnages qui, au premier plan, ne sont que des amis ou des connaissances d’Auguste Renoir. Le tableau n’oppose pas un premier plan net à un second plan plus flou, la profondeur vient de la taille et de la disposition des personnages. Ce sont enfin les différents jeux de lumière qui permettent d’identifier les différentes parties du tableau. Les origines de l’expressionnisme Très tôt marqué par les influences de la peinture réaliste puis impressionniste, le peintre norvégien Edvard Munch n’en est pas moins également considéré, avec Vincent Van Gogh, comme l’un des pionniers de la peinture expressionniste. Le Cri, son tableau le plus connu, a été, comme beaucoup d’autres de ses oeuvres, peint en plusieurs versions permettant d’exprimer 96 souvent représentées des femmes nues, faisant partie d’un harem, et entourées de serviteurs noirs. La peinture réaliste se distingue donc de la peinture académique par ses sujets, par ses méthodes, mais aussi par ce goût de la provocation et de l’impertinence qu’on chercherait en vain dans les oeuvres académiques. Ces libertés prises avec l’art officiel scandalisent les tenants du « bon goût », qui restent majoritaires jusqu’à la fin du siècle. On reproche à Courbet d’être un peintre vulgaire, qui ne choisit que des sujets laids et dénués de toute grâce et qui ne peint que pour représenter ce qui existe déjà. Le fait que ce peintre soit aussi engagé en politique qu’en art n’arrange rien : il sera condamné à payer de ses propres deniers la restauration de la Colonne Vendôme. Ce qui choque le public, c’est d’abord la trivialité des sujets peints. Peindre des personnages de basse extraction n’est pas du goût d’un public lettré et cultivé, plus habitué à décoder les références bibliques ou antiques des oeuvres académiques qu’à se pencher sur les réalités sociales que donnent à voir les peintres réalistes. De même, le traitement du sujet, qui refuse toute idéalisation, choque les sensibilités du temps. On accuse alors souvent les réalistes de peindre le laid. L’Olympia de Manet est qualifiée d’« odalisque au ventre jaune », tandis que les trognes paysannes de Un enterrement à Ornans font l’effroi des critiques. Le réalisme en littérature ne s’impose qu’après 1850. Il est né en réaction à l’idéalisme romantique et à son introspection individualiste. Il s’épanouit dans le roman. Les écrivains réalistes s’appuient sur un lourd travail de préparation à l’écriture, par la prise de notes et le recours à une documentation pléthorique. Ces écrivains tentent de saisir à la fois une réalité psychologique, incarnée par les personnages de leurs romans, et une réalité sociale et historique. La littérature ne doit pas se cantonner aux sentiers balisés de l’écriture bienséante, mais elle doit tout montrer : bourgeois et ouvriers, provinciaux dévorés d’ambition, prostituées et femmes déçues par le mariage. Le roman de Flaubert, Madame Bovary, est d’ailleurs condamné l’année même de sa publication, en 1857, pour son « réalisme grossier et offensant pour la pudeur ». Zola et les Goncourt pousseront le réalisme jusqu’à son absolu en créant l’école naturaliste, qui s’applique à décrire scientifiquement les comportements sociaux et à mettre à jour les lois scientifiques des destinées sociales. La littérature réaliste, comme la peinture, constitue bien une rupture avec les règles de l’art jusque-là dominant. Le réalisme comme courant esthétique apparaît au moment même où les masses font irruption dans le champ politique avec la Révolution de 1848 et la Deuxième République. Le souci de Courbet de représenter le plus exactement possible les anonymes de son village natal résonne comme une métaphore de l’introduction du suffrage universel. On a pu dire que l’enterrement dont il s’agit est celui de la démocratie après le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte. La personnalité engagée de Courbet incline à prendre en considération cette interprétation. De même, les réalistes veulent s’adresser à ce qu’ils croient être les aspirations esthétiques du peuple et non au goût policé des élites sociales. En littérature, le roman naturaliste choisit souvent ses sujets parmi les milieux les plus populaires des bas-fonds parisiens. La révolution impressionniste Le travail des peintres réalistes est poursuivi et amplifié par la génération impressionniste. La révolution impressionniste achève la démarche réaliste de diversification des sujets de peinture. Paysages industriels ou non constituent une part non négligeable de la peinture impressionniste. Les sujets populaires sont également nombreux, même s’ils ne sont pas dominants. L’essentiel de la révolution impressionniste réside dans le traitement de la lumière. Les impressionnistes, influencés par les théories scientifiques de la décomposition de la lumière, cherchent à rendre la réalité des impressions lumineuses. Si leur démarche diffère des réalistes, leurs objectifs sont similaires. Groupés autour d’Édouard Manet, dont les oeuvres comme Le Déjeuner sur l’herbe font scandale au Salon de 1863, Monet, Renoir ou Pissarro quittent leurs ateliers et vont chercher en plein air leurs thèmes d’inspiration. Ils peignent en assemblant de touches de couleur qui restituent le jeu de la lumière. Mais comme le montre l’extrait de l’analyse de Zola qui fut l’un de leurs plus chauds partisans, les impressionnistes se démarquent du réalisme par leur refus du détail. Leurs peintures heurtent à ce point le goût dominant pour l’académisme qu’après avoir provoqué de nombreux scandales dans les années 1870, elles ne trouvent que très peu d’acheteurs jusqu’à la fin du siècle. L’impressionnisme, qui s’impose à partir des années 1870, introduit une nouvelle toutes les facettes des impressions de l’artiste. La déformation des contours du paysage, le ciel rougeoyant, l’immobilité de la partie gauche du tableau, tout concourt à rendre présente l’angoisse du personnage central. Munch pourrait avoir peint ce tableau à la suite de l’éruption du volcan Krakatoa, en Indonésie, en 1883. Témoin et acteur de la Première Guerre mondiale et de l’échec de la révolution spartakiste, spectateur impuissant de la montée du nazisme, Georg Grosz offre l’exemple d’une avant-garde engagée dans les débats de son temps. Favorable à la révolution bolchevique et converti au communisme, il considère son art comme un moyen d’action politique. Il ne cesse de dénoncer ce qu’il perçoit comme les hypocrisies fondamentales de l’ordre établi, en dépeignant avec cruauté des bourgeois ventripotents et des militaristes hargneux. D’abord influencé par le mouvement futuriste, il rejoint le groupe dada berlinois dès la fin de la Première Guerre mondiale. Dans Metropolis (huile sur toile, 1916-1917, musée Thyssen-Bornemisza, Madrid), Grosz s’empare d’un sujet pictural devenu classique à l’ère industrielle, la grande ville. Il traite cependant son sujet avec un sens de la dissonance et de la rupture qui inscrit son oeuvre dans la tradition angoissante de l’expressionnisme et annonce les prémisses de la Neue Sachlichkeit. Le réverbère central, à connotation christique, sépare les lignes de fuite d’une ville tentaculaire à la modernité oppressante, parcourue et animée de personnages cadavériques grisés par la vitesse. Dans Metropolis, les lignes s’enchevêtrent, les figures dessinées au trait se superposent avec des effets de transparence, suggérant la simultanéité des différents événements représentés. Dans le chaos urbain, qui semble vouloir déborder de la toile, s’entrechoquent vols, assassinats, membres sectionnés, accidents… L’espace exigu de la ville paraît cristalliser toute la folie individuelle et collective des hommes. Les figures verdâtres et effrayantes des hommes qui s’agitent frénétiquement sur la toile reflètent le « dégoût absolu des hommes » et le mépris pour la « masse » que ressent l’artiste. Véritable « apocalypse », la ville avec ses lumières, ses réclames, ses tramways, se transforme en nouveau champ de bataille, écho désespérant du conflit international qui se joue alors. L’artiste emprunte à l’expressionnisme ses lignes obliques, ses angles tranchants et aigus, ses déséquilibres. Combinés à des couleurs dissonantes et sanglantes, ils révèlent le désespoir de l’artiste face à son temps et sa terrible angoisse existentielle. Au futurisme, G. Grosz emprunte l’esthétique du mouvement, la superposition 97 rupture en allant chercher, en plein air, des sujets permettant de restituer le jeu de la lumière et des couleurs dans toute sa complexité. Les impressionnistes tournent ainsi le dos à l’académisme en revendiquant une complète liberté de l’artiste, dans le choix de ses thèmes et dans la manière dont il les traite. La peinture impressionniste délaisse les sujets historiques ou mythologiques et renouvelle profondément les thèmes de la peinture pour rendre compte du monde contemporain. La peinture impressionniste se veut une peinture réaliste et, pour cela, les sujets de la vie quotidienne lui sont naturels. Les impressionnistes affectionnent autant les paysages de la modernité urbaine que les paysages immuables d’une campagne qui est déjà devenue pour eux un espace récréatif. Pour autant, ils ne renoncent pas au portrait et peignent les lieux de la vie, que ce soit les espaces de divertissement ou les espaces de travail. L’alternance du labeur et du loisir, les paysages de la nouvelle modernité industrielle forment les sujets prépondérants de la peinture impressionniste. Peindre en plein air est une nécessité vitale pour les impressionnistes. Le nouveau réalisme des impressionnistes cherche à capturer l’instant d’une réalité environnante. Les impressionnistes travaillent au chevalet, sur motif, et fondent leur travail sur la rapidité de l’exécution. Les tableaux sont proches de l’esquisse, afin de saisir l’impression fugitive que les conditions naturelles mettent en place. La peinture en plein air est aussi indispensable dans la mesure où le peintre cherche à transcrire l’impression que la scène lui procure. Cette peinture des sensations nécessite une mise en contact avec le sujet. Les impressionnistes mettent en oeuvre de nouveaux procédés picturaux : ils utilisent les tons clairs, en particulier pour les ombrages et la division des tons (un orange est représenté par la juxtaposition de deux couleurs pures, le rouge et le jaune). Ils abandonnent le dessin-contour et mettent en place les volumes et les formes par des touches de pinceaux et de couleur, ce que Laforgue appelle les « vibrations colorées ». La composition des tableaux est aussi plus photographique. Les impressionnistes renoncent à la composition classique des tableaux définie depuis la Renaissance et semblent capturer l’instant des scènes peintes. C’est en 1874 que de jeunes peintres indépendants, refusés dans les Salons officiels, décident de se constituer en société anonyme et d’organiser une exposition dans les ateliers du photographe Nadar. La manifestation provoque un scandale retentissant et donne tout loisir aux critiques de manifester leur mépris. L’impressionnisme a d’abord choqué par son refus du dessin, qui est alors la clé de voûte de la peinture académique et même réaliste. Émile Cardon résume la pensée des critiques en affirmant qu’il s’agit « de la négation des règles les plus élémentaires du dessin et de la peinture ». On reproche ainsi aux impressionnistes de vouloir exprimer leurs impressions picturalement. Malgré la persistance des attaques malveillantes, sept autres expositions sont organisées sous cette étiquette, dont la dernière a lieu en 1886. Dès les années 1860, le terme « impression » est au coeur de toutes les conversations des jeunes peintres, qui se retrouvent autour d’Édouard Manet. La vision en plein air, continuellement transformée par le jeu de la lumière, l’impression fugitive deviennent pour eux le véritable sujet à peindre. Mais le terme « impressionnisme » a d’abord été un quolibet de la critique. La première exposition de la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs s’ouvre le 15 avril 1874 dans l’ancien studio du photographe Nadar, boulevard des Capucines. Elle regroupe les oeuvres de Degas, Guillaumin, Monet, Berthe Morisot, Pissarro, Boudin, Sisley et Renoir. C’est lors de cette exposition que Monet présente pour la première fois cette vue de l’ancien avant-port du Havre, sa ville natale. Sous la pression du frère de Renoir, Edmond, qui lui demandait de donner un titre à ce tableau pour le catalogue, Monet aurait répondu : « Mettez : Impression ». Ce titre va donner son nom au mouvement impressionniste dont les peintres de l’exposition de 1874 sont les principaux représentants : voulant ironiser sur le travail des peintres qui y exposent, le critique Louis Leroy publie dans Le Charivari un article intitulé « L’Exposition des Impressionnistes », donnant ainsi son nom au courant qui va révolutionner la vie artistique de son époque. Les réactions des visiteurs et des critiques d’art, d’une grande violence, sont à la hauteur de la rupture artistique majeure qu’ont incarnée ces peintres. Les impressionnistes cherchent à travers leurs oeuvres à restituer la perception dans l’instant même où elle se produit. Le groupe de peintres indépendants gravitant autour de Monet s’est ensuite ironiquement attribué ce qualificatif, qui définissait si bien l’état d’esprit de cette nouvelle peinture et de ces hérauts. Les impressionnistes doivent subir des reproches : ils ne savent pas peindre, des formes géométriques et les effets de transparence, qui confèrent à son tableau toute la violence et la force d’une invraisemblable et terrifiante bousculade. LES DEMOISELLES D’AVIGNON Le tableau a été peint par Picasso entre 1906 et 1907. Il est l’un des manifestes du mouvement cubiste. Dans ce tableau représentant l’intérieur d’un bordel, on distingue nettement deux ensembles : la partie gauche, comprenant le groupe des trois femmes debout, exposant leur corps sans la moindre pudeur ; la partie droite, comprenant les deux autres femmes, matérialisée par un rideau bleu à l’arrière-plan. L’ensemble de l’oeuvre semble progresser de la gauche vers la droite. La partie gauche montre des femmes aux contours faiblement géométrisés. Seuls les visages subissent des déformations ; la partie droite présente au contraire des femmes presque abstraites, dont les visages n’ont presque plus rien de réel : on sait que Picasso est, à cette époque, fortement inspiré par les masques africains. L’arrière-plan semble suivre les mêmes déformations : presque neutre dans la partie gauche, il est violemment travaillé dans la partie droite. Toute la progression du tableau proclame l’ambition du mouvement cubiste de représenter un objet ou un personnage sous plusieurs angles à la fois. Les figures et le décor de la partie droite de l’oeuvre montrent un abandon de toute perspective et une désorganisation systématique de l’espace, alors que la partie gauche reste encore proche d’une représentation schématisée de la réalité. Les innovations de cette oeuvre furent mal reçues non seulement par les critiques et les spectateurs les plus conservateurs, mais aussi par les propres amis de Picasso, effrayés par tant d’audace. Il faudra de longues années pour les voir acceptées. Cette huile sur toile de grand format (245,7 x 233,7 cm), conservée au Museum of Modern Art de New York, est une oeuvre majeure de l’histoire de l’art moderne. Elle marque en effet la naissance d’un nouveau mouvement artistique dont l’impact va s’avérer considérable : le cubisme. Pablo Picasso (1881-1973), d’origine espagnole, se consacre entre 1901 et 1905 à des toiles aux marges de l’expressionnisme : les oeuvres de ses périodes bleue et rose, qui révèlent une certaine angoisse existentielle, contiennent une critique sous-jacente des valeurs bourgeoises et de l’ordre établi. Installé à Paris au Bateau-Lavoir à partir de 1904, le peintre découvre dans cette période l’art nègre et l’art archaïque de la Méditerranée, qui vont le conduire à s’engager dans une démarche de rupture avec ses précédentes oeuvres et avec toutes les normes esthétiques traditionnelles de l’art. En 98 confondent les couleurs entre elles, leurs tableaux ne sont que des barbouillages enfantins. Ces accusations, banales lorsque les impressionnistes commencent à exposer leurs toiles dans les années 1870, ne se raréfient pas vraiment à la fin du siècle. La plupart des artistes impressionnistes terminent leur vie dans la misère, faute d’avoir pu vendre correctement leurs tableaux. Même s’ils sont en en butte aux mêmes critiques, réalistes et impressionnistes présentent aussi de profondes divergences : Courbet ou Caillebotte prétendent restituer la vie quotidienne dans ses moindres détails, quand les impressionnistes rejettent cette minutie pour pouvoir représenter leurs sujets dans leur ensemble ; les réalistes veulent aussi retrouver la beauté dans la réalité la plus triviale, quand les impressionnistes abandonnent cette prétention au profit d’une recherche plus formelle. Enfin, les réalistes ont une prédilection pour les portraits, quand les impressionnistes s’attachent surtout aux paysages. II. APRES L’IMPRESSIONNISME ET CONTRE L’IMPRESSIONNISME Après l’impressionnisme : la couleur de Van Gogh… Peintre hollandais initialement inspiré par l’impressionnisme, Van Gogh vient s’installer en Provence en 1888. Sa découverte de la lumière méditerranéenne bouleverse sa conception de la peinture, désormais fondée sur la quête de la couleur la plus vive et la plus pure. Ce tournant décisif sépare Van Gogh de l’impressionnisme, puisqu’il le conduit à abandonner progressivement toute prétention réaliste pour ne peindre que les effets de lumière et de couleur. Le suicide de l’artiste met un terme à l’oeuvre de Van Gogh en 1890. … les formes géométriques de Cézanne Le début de l’oeuvre de Cézanne est, comme celui de l’oeuvre de Van Gogh, marqué par les impressionnistes (Pissarro, surtout) avec qui il expose des toiles en 1874. Lié à Émile Zola depuis l’enfance, il défend avec lui les principes artistiques de l’impressionnisme avant de s’en séparer dans les années 1880. Il s’installe dans la région d’Aix-en-Provence et y peint les 80 tableaux de la montagne Sainte-Victoire : sa peinture, de plus en plus dépouillée, cherche à atteindre la forme des choses et se débarrasse donc, elle aussi, de toute prétention réaliste. Il meurt en 1906 après avoir influencé plusieurs générations d’artistes. Nul autre que Cézanne ne peut prétendre mieux incarner cette charnière entre l’art du XIXe siècle et celui du XXe siècle. Après une période impressionniste, marqué par une œuvre majeure, La maison du pendu, où s’exprime déjà l’originalité du peintre à l’égard de ses condisciples, Cézanne renonce assez vite à traduire les impressions de ses observations et s’attache davantage à exprimer ses sentiments. Cézanne dépasse l’impressionnisme sans jamais en renier certains enseignements. Il cherche à rompre avec la perspective traditionnelle et choisit de peindre selon une pluralité de points de vue, qui tranche avec les pratiques de l’époque. En rupture avec des conventions respectées depuis la Renaissance, Cézanne s’attache à construire et déconstruire les volumes de ses paysages. La série La Montagne Sainte-Victoire regroupe plus de 80 tableaux. Après 1900, Cézanne en donne une nouvelle image. La difficulté à analyser l’une des dernières versions (conservée au musée de Zurich) tient à notre connaissance des « montagnes » antérieures, de factures plus lisibles. Or, ici, point de paysage réellement identifiable. La montagne est seule reconnaissable. Tout juste peut-on identifier le volume d’une maison tandis que la végétation est reproduite par des aplats définissant des volumes colorés. Dans le ciel, des taches vertes marquent une volonté de coloration arbitraire. L’art visionnaire de Cézanne annonce déjà le cubisme et même l’abstraction. Cézanne et Van Gogh sont avant tout des héritiers de l’impressionnisme, dont ils retiennent le choix des sujets, le traitement de la couleur et de la lumière, la même aversion pour les codes académiques et le « bon goût » officiel. Mais ils se détachent aussi de cette école, par la priorité donnée à la couleur par l’un et à la forme par l’autre. À partir de son séjour en Provence, la peinture de Van Gogh, littéralement ébloui par la lumière provençale, devient une quête éperdue des couleurs les plus pures et des contrastes les plus violents, ce qui l’amène à davantage représenter les couleurs que la réalité elle-même. À partir du même point de départ, Cézanne emprunte une voie différente : son éloignement progressif de l’impressionnisme se matérialise par une géométrisation croissante de sa peinture, la représentation de la réalité s’effaçant de plus en plus derrière la recherche de la forme la plus parfaite. 1906, il réalise un portrait de Gertrude Stein qui semble déjà marquer l’amorce vers le cubisme. Mais c’est en juillet 1907 avec Les Demoiselles d’Avignon qu’il révolutionne la composition et la perspective classiques et qu’il crée sa propre démarche plastique. L’oeuvre représente cinq prostituées nues dans une maison close et devait avoir originellement pour titre Le Bordel d’Avignon ou Le Bordel philosophique (elle ne prendra son titre actuel qu’en 1916, sous l’impulsion d’André Salmon). Le terme « d’Avignon » fait ici allusion à la carrer d’Avinyo, rue chaude de Barcelone dont Picasso gardait le souvenir. Picasso s’inspire, pour composer ce tableau, de la partie gauche du Jugement de Pâris de Raphaël (fresque qui avait déjà inspiré à Manet son Déjeuner sur l’herbe) : à l’origine, deux hommes, clients des prostituées, devaient aussi figurer dans l’oeuvre, mais, après une série d’études, l’artiste choisit de les écarter de la toile, rejetant l’aspect narratif classique pour ne se concentrer que sur les innovations formelles de son oeuvre. S’appuyant sur l’art primitif africain et ibérique, mais aussi sur les oeuvres de Cézanne, Picasso trouve, à travers cette toile, une nouvelle forme de liberté artistique en réduisant ses figures à de simples épures géométriques et en remettant en cause les normes traditionnelles de la perspective. Il inaugure ainsi une nouvelle esthétique plastique appelée à révolutionner l’art moderne. La tenture qu’écarte la figure féminine de droite marque une diagonale qui semble diviser le tableau en deux parties. La partie gauche représente trois femmes dont l’aspect reste encore partiellement réaliste (deux en position frontale, une de profil) sur un fond sans profondeur. Cette zone du tableau, dans les teints bistres, est la plus lumineuse et la plus sereine. Elle s’oppose à la partie droite, plus sombre et plus inquiétante, où les visages et les corps des femmes sont totalement déformés et le décor fragmenté en « tessons brisés » qui remettent en cause la perspective. Entre les deux parties trône une nature morte avec une pastèque aux airs de faux, qui semble à la fois suggérer la menace de la mort et la rupture entre les deux parties de l’oeuvre. Les visages des femmes sont déformés : au lieu de volumes arrondis, ils sont composés de plans plats, d’angles aigus et fragmentés. Leurs yeux sont déformés et asymétriques. Des parties de leurs figures sont représentées de façon frontale, d’autres de profil. Les têtes des deux personnages de droite sont transformées en masques africains. Les corps sont schématisés sous forme de volumes géométriques sommairement taillés. L’espace, où toute profondeur est abolie, est divisé par de larges aplats de couleurs en 99 Contre l’impressionnisme, le symbolisme et l’Art nouveau Comme Van Gogh et comme Cézanne, Gauguin est profondément marqué par la révolution impressionniste : il expose d’ailleurs ses premières toiles en compagnie de celles de Pissarro et de Renoir. Il se détache progressivement de cette première influence : installé en Bretagne à partir de 1886, il devient le chef de file de l’École de Pont-Aven, recherchant à faire apparaître le sens caché des choses au-delà de leur apparence. Cette quête symbolique s’amplifie, après un bref séjour aux côtés de Van Gogh dans le sud de la France, lorsque Gauguin part s’installer à Tahiti puis aux îles Marquises. Profondément influencé par ce nouvel environnement, Gauguin produit des chefs-d'oeuvre comme D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Paul Gauguin mena une vie de contrastes, passant du métier de marin à celui d’agent de change et ne découvrit que tardivement la peinture. Principale personnalité d’un groupe de peintres expérimentaux connus comme l’école de Pont-Aven, inspirateur des nabis, il cherche son inspiration dans l’art indigène et les estampes japonaises. Une amitié tumultueuse le lie quelque temps à Vincent Van Gogh, mais l’essentiel de sa carrière de peintre se déroule à Tahiti et aux Îles Marquises qu’il rejoint pour fuir la civilisation européenne. Sa peinture se caractérise par l’utilisation de grandes surfaces de couleurs vives dont l’expressivité est particulièrement travaillée. La plupart des éléments du tableau sont peints en une seule teinte, en particulier le chien rouge au premier plan, et les détails sont effacés au profit d’un travail par aplats : la couleur emplit des surfaces aisément délimitables qui s’encastrent comme les pièces d’un puzzle, héritage de sa période dite du « cloisonnisme » où le peintre s’inspire des vitraux médiévaux. La peinture de Gauguin se démarque de celles de Cézanne et de Van Gogh par un abandon relatif de la quête de la lumière et de la forme que poursuivent ses contemporains. Gauguin, lui, reste fidèle à la recherche de la signification qui oriente presque toute son oeuvre. D’où un retour à la netteté des formes et des jeux sur les couleurs qui s’opposent aux orientations prises par les peintures de Cézanne et de Van Gogh. Même si elle se forme au contact des impressionnistes, la peinture de Gauguin se démarque du style de ces derniers. La netteté du trait est un premier aspect de cette rupture: en revenant à des contours de plus en plus marqués, Gauguin rompt avec l’orientation majeure de la peinture impressionniste qui cherche au contraire à reproduire les vibrations de la lumière. Le choix des couleurs en est un autre, Gauguin revendiquant la même liberté du choix des couleurs que Van Gogh, avec qui il vient travailler en Arles. Le choix des sujets en est un dernier : à la différence des impressionnistes qui choisissent leurs sujets en fonction de leur capacité à rendre le plus grand nombre de jeux de lumière, Gauguin choisit les siens pour leur capacité à donner à réfléchir, pour les significations cachées qu’ils peuvent permettre de dévoiler. Peintre autrichien initialement proche de l’académisme, Gustav Klimt se démarque brutalement de ce dernier en fondant, avec d’autres artistes, le mouvement de la Sécession. Ses oeuvres majeures – Le Baiser, Judith ou les fresques de la Beethoven Frise – sont dénoncées par la critique mais sont autant de manifestes du symbolisme et de l’Art nouveau qui triomphent en Europe autour de 1900. Le tableau du Baiser représente un couple enlacé dans un parterre fleuri et entouré d’un vêtement doré. Les mains et les visages suffisent à faire apparaître l’intensité de la passion amoureuse qui unit les deux personnages et à en donner une image parfaitement idéalisée. III. LES INNOVATIONS ARTISTIQUES DANS LA PREMIERE MOITIE DU XXE SIECLE La notion d’art moderne réunit une multiplicité de courants ou d’écoles artistiques fort divers. Les années 1900-1914 sont d’abord marquées par une « révolution de la couleur », marquée par l’apparition du fauvisme et de l’expressionnisme. Les mêmes années voient également se mettre en place une « révolution de la forme » exprimée par le mouvement cubiste puis par l’art abstrait. Les années qui suivent la Première Guerre mondiale voient apparaître des mouvements qui, comme le surréalisme, ramènent les artistes vers l’engagement politique. On peut parler d’une véritable « révolution artistique » entre 1900 et 1914, car les années de l’avant-guerre voient apparaître, avec le fauvisme, l’expressionnisme et le cubisme, les premières manifestations de « l’art moderne ». Jusque-là, seuls fragments anguleux. Les visages des figures de droite ont l’apparence de masques africains effrayants, tandis que la figure féminine située à gauche du tableau semble prolonger les travaux de Picasso sur l’art ibérique préroman. Dans les années qui ont précédé la réalisation de cette toile, Picasso a visité l’exposition de sculptures ibériques préromanes d’Osuna et de Cerro de los Santos au Louvre (1906) : cette découverte influence considérablement son oeuvre. Fasciné par l’art primitif ibérique, Picasso l’est aussi par l’art nègre, comme nombre d’autres artistes de son époque. En 1907, il découvre les collections d’art africain du musée du Trocadéro et il réalise lui-même plusieurs sculptures inspirées de cet art. Suite à cette visite, il remanie sérieusement les esquisses qu’il avait faites pour Les Demoiselles d’Avignon et radicalise la déformation des visages et des corps qu’il avait entreprise. L’utilisation de cette esthétique africaine prend valeur d’exorcisme, dans l’esprit de Picasso : ces masques avaient pour fonction une protection magique contre les mauvais esprits, et Picasso semble ici faire allusion à la menace des terribles maladies sexuelles qui planait sur les populations de l’époque. Il associe ainsi plaisir sexuel et mort. Il trouve également une nouvelle façon de représenter la figure et utilise la valeur expressive des masques africains pour suggérer l’essence violente et instinctive de ses personnages. Picasso remet ici en cause les règles de perspective et le principe d’unité du style classique. La perspective linéaire est abolie, les points de vue multipliés et les plans décomposés : il pose ainsi les bases du cubisme. Mais il remet aussi en cause les bases de la « belle peinture » et du réalisme : il fait surgir une forme de sauvagerie primitive qui instille une vision dramatique et inquiétante, donnant à la peinture une nouvelle dimension. Les couleurs, violentes, et l’usage des masques africains, prolongent d’une autre manière sa démarche aux marges de l’expressionnisme. Le rapport entre le public et l’oeuvre se trouve aussi bouleversé par la démarche cubiste de Picasso. Quand Matisse, Apollinaire, Derain et Braque, ses contemporains, découvrent l’oeuvre du jeune Picasso, ils y perçoivent un véritable « terrorisme » : « c’est comme si tu voulais nous donner à boire du pétrole pour cracher du feu », aurait dit Braque. L’oeuvre n’est présentée qu’aux proches de l’artiste et restera dans son atelier jusqu’en 1939, où elle sera pour la première fois exposée en public. L’art abstrait Artiste hollandais actif jusqu’à sa mort en 1944, Mondrian pousse jusqu’à ses plus 100 quelques artistes étaient parvenus à s’abstraire de la contrainte la plus importante imposée à l’art « classique », c’est-à-dire la nécessité d’imiter ou de représenter la réalité. Même lorsqu’ils peignent des allégories, des scènes religieuses ou mythologiques, les artistes classiques ont toujours une vision concrète de ce qu’ils représentent. Les artistes modernes s’affranchissent de cette contrainte en peignant, comme le dit Matisse, non plus avec de la couleur, mais la couleur ellemême, ou comme le montre Picasso, en rompant complètement avec la réalité. La libre utilisation des couleurs, un autre agencement des formes permet à l’artiste de montrer ce que la réalité ne permet pas d’apercevoir. Les mouvements artistiques des années 1900-1914 sont très proches les uns des autres par l’extraordinaire liberté qu’ils donnent aux artistes, désormais affranchis de la nécessité de suivre les contours ou les couleurs fournies par la réalité. Ces mouvements artistiques se rejoignent aussi par l’abandon des règles de la composition classique : les oeuvres de Matisse, de Kirchner ou de Picasso, sont marquées par un abandon complet de la perspective qui organise la peinture occidentale depuis le XVe siècle. Le fauvisme comme l’expressionnisme et le cubisme donnent par là la plus grande importance aux impressions et aux sentiments de l’artiste qui y trouve la matière même de ses oeuvres. Le terme même d’ « expressionnisme » découle de cette nouvelle priorité. Le fauvisme en France En 1905 et en 1906, à la demande du marchand d’art Ambroise Vollard, André Derain (1880-1954) entreprend deux voyages à Londres, où il est bientôt rejoint par son ami de Vlaminck. Les deux artistes reviennent alors d’un long séjour à Collioure, en 1905, séjour qui leur a inspiré un tournant pictural radical : ils inaugurent là-bas l’usage de couleurs pures, dont ils font un nouveau langage. Leurs toiles vives et lumineuses, exposées au Salon d’automne de 1905 parmi les oeuvres de Matisse, Van Dongen, Manguin, Valtat, font scandale et donnent naissance à un nouveau courant artistique : le fauvisme. C’est le critique Louis Vauxcelles qui, en comparant ironiquement le Salon de 1905 à une « Cage aux fauves », donne son nom à la nouvelle tendance picturale alors inaugurée. Initialement « peintre du dimanche », Henri Matisse ne commence sa carrière artistique qu’autour de trente ans, dans les années 1890. Cela ne l’empêche pas de réaliser une oeuvre colossale, dont la production ne s’arrête que dans les années 1950. L’apport essentiel de Matisse à l’art du début du XXe siècle est évidemment l’affirmation du fauvisme, marqué par de larges aplats de couleurs vives, cernés par d’épais traits noirs. Pour les besoins de son oeuvre, Matisse réside dans des lieux offrant une grande luminosité, dont la petite station catalane de Collioure. Le fauvisme est une tendance de la peinture moderne, apparue en réaction à la douceur de la peinture impressionniste. Ces peintres désirent séparer la couleur de sa référence à l’objet et libèrent sa force expressive. Plusieurs procédés sont utilisés, comme la simplification et l’accentuation des formes, l’autonomisation relative de la couleur, et l’agressivité perceptible. Ils réagissent de manière provocatrice contre les sensations visuelles de l’impressionnisme et répondent avec audace au défi de la reproduction photographique. La représentation simplifiée et aplatie de sujets divers, paysages ou portraits, les relie encore à la tradition figurative. Henri Matisse est considéré comme le chef de file de ce mouvement qui débute en 1905 et dure moins de dix ans. Le fauvisme a inauguré une révolution de la couleur portée par Matisse : « Le fauvisme est venu du fait que nous nous placions tout à fait loin des couleurs d’imitation et qu’avec les couleurs pures nous obtenions des réactions plus fortes ». L’expressionnisme en Allemagne Le fauvisme a eu une profonde influence sur les mouvements allemands Die Brücke et Der Blaue Reiter qui marquent la naissance de l’expressionnisme allemand. Rue à Dresde est la première toile expressionniste de Kirchner qui, jusqu’alors, privilégiait les nus de facture plus classique. Les couleurs vives sont ici utilisées pour leur pouvoir expressif. Le sol du trottoir est rose tandis que, sur la masse des personnages, sont utilisées des couleurs plus sombres. Un visage de jeune bourgeoise est même intégralement vert. La frontalité panoramique des personnages évoque aussi l’influence du peintre norvégien Edward Munch et ses figures fantomatiques. Si Kirchner s’inspire pour ses couleurs et l’ondulation de ses personnages du fauvisme, il s’en distingue par le choix volontairement moderniste du sujet, la grande ville et son foisonnement. L’expressionnisme n’est extrêmes limites les principes du cubisme. Rejetant toute idée d’inspiration émotionnelle, il construit ses peintures avec la plus grande rigueur géométrique en multipliant des formes rectangulaires remplies de couleurs primaires. Proche de Kandinsky et de Malevitch, Mondrian est l’un des fondateurs de l’art abstrait L’engagement des artistes Guernica, la peinture la plus célèbre de Picasso, est la « description » du massacre de la population de cette petite ville basque par l’aviation allemande. Combattant aux côtés des troupes nationalistes du général Franco, les aviateurs de la Légion Condor bombardent le 26 avril 1937, un jour de marché, la ville de Guernica dans le seul but d’expérimenter l’efficacité de leurs bombes au phosphore. Ce bombardement, qui aurait fait près de 1000 morts, provoque une indignation générale. Picasso, déjà favorable au gouvernement du Frente Popular, exprime immédiatement son horreur en réalisant en noir et blanc cette vaste fresque de 8 mètres de long et 3,5 mètres de haut montrant les corps déchiquetés des habitants de la ville. CONFRONTER DES DOCUMENTS : A. LA TABLE SERVIE B. LA DESSERTE ROUGE Les deux tableaux ont été réalisés par le même artiste, Henri Matisse, l’un en 1897, l’autre en 1908. Leur confrontation permet d’isoler l’un des moments clés de la naissance de l’art moderne. Ces deux tableaux ont également le même sujet : une femme – manifestement une domestique – s’affairant autour d’une table de salle à manger. De nombreux éléments apparaissent à l’identique sur ce tableau : le tablier blanc de la femme, les carafes, les fleurs, les fruits, mais aussi la fenêtre de la salle à manger. Le premier des deux tableaux semble beaucoup plus précis que l’autre puisqu’on y trouve les couverts d’un repas qui ne figurent pas dans le deuxième tableau. Le premier tableau comporte également un arrière-plan avec des chaises et un tableau qui ne figurent pas dans le deuxième tableau qui montre, en revanche, un motif floral sur le mur absent du premier tableau. Dans le premier des deux tableaux, la scène de La Table servie est représentée de manière assez réaliste. C’est aussi bien en utilisant a perspective qu’en multipliant les détails précisément reproduits que Matisse donne une impression de réalité. Celle-ci est totalement absente du tableau de La Desserte rouge, où la perspective a pratiquement disparu et d’où de nombreux détails ont été éliminés. Le premier des deux tableaux peut s’apparenter au postimpressionnisme, dans la mesure où le travail de Matisse porte davantage sur les couleurs 101 pas né de la Première Guerre mondiale comme l’affirme une idée reçue solidement ancrée en France. Il veut être la projection d’une subjectivité qui déforme la réalité pour inspirer au spectateur une réaction émotionnelle. Ce mouvement est une réaction à l’impressionnisme français. Alors que l’impressionnisme veut décrire la réalité physique, l’expressionnisme la soumet aux états d’âme de l’artiste. Les artistes qui appartiennent à ce mouvement veulent surtout rompre avec l’impressionnisme encore dominant dans leur pays. Ils utilisent les mêmes techniques que les fauves français, mais subissent aussi d’autres influences, les plus importantes étant celles de Van Gogh ou de Edvard Munch. Ce courant multiplie les portraits chargés de violents contrastes de couleurs. Les principaux centres de l’expressionnisme allemand se trouvent à Dresde et à Munich. La révolution de la forme : le cubisme Pour traduire l’impression subjective du peintre, la révolution cubiste s’engage sur d’autres voies que les fauves ou les expressionnistes. Le Viaduc à l’Estaque de Georges Braque doit être rapporté aux préceptes de Paul Cézanne – « traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône » –, auxquels Braque rend ici un subtil hommage. Les cubistes cherchent à s’approprier le réel et à le représenter en combinant sur une toile une multiplicité de points de vue. Le travail du peintre malmène la perspective et cherche à atteindre la réalité de l’objet au-delà de sa visibilité immédiate. L’artiste ne cherche plus à copier la nature, mais à la décomposer en masses pour la recomposer sous un regard englobant. Les cubistes restent aux limites du figuratif sans franchir le pas de l’abstraction. Artiste prolifique et inclassable, Pablo Picasso traverse pratiquement toute la peinture du XXe siècle. Il arrive d’Espagne à Paris en 1904 et y réalise nombre de tableaux déjà importants, classés en « période bleue » de 1901 à 1903 puis en « période rose » de 1904 à 1907. Mais sa première contribution à la naissance de l’art moderne est la naissance du cubisme à l’occasion de la réalisation des Demoiselles d’Avignon. Il sera ensuite, successivement ou simultanément, surréaliste, pacifiste et proche du parti communiste. Son oeuvre Violon et raisins est particulièrement représentative du cubisme. Le nom de ce mouvement est, comme ceux de l’impressionnisme et du cubisme, dû à un détracteur du mouvement qui accusait Georges Braque de vouloir réduire toute la réalité à des « petits cubes ». Pourtant la géométrisation de la peinture n’est pas une création des cubistes qui ont été, sur ce terrain, devancés par Cézanne. La véritable originalité des œuvres produites par le mouvement est, bien davantage, de pouvoir montrer, simultanément, plusieurs facettes d’un même objet. Le tableau de Picasso montre ainsi un violon systématiquement, et presque scientifiquement, décomposé. Si les oeuvres fauves, expressionnistes et cubistes se rejoignent sur la nécessité de donner à voir ce que la réalité ne permet pas de voir, elles s’écartent les unes des autres sur les moyens de parvenir à cet objectif commun. Fauves et expressionnistes se démarquent par un recours beaucoup plus systématique au paysage, pour les uns, et aux portraits pour les autres. Les uns et les autres, unis par un usage similaire d’aplats de couleurs très vives soulignés par de larges traits noirs, se démarquent du cubisme par une apparence de composition classique. C’est cette dernière que Picasso ou Georges Braque font, au sens propre du terme, voler en éclats en utilisant toute la surface du tableau pour représenter le plus grand nombre possible d’aspects d’un même objet. L’art moderne s’est progressivement affranchi de la figuration en suivant deux cheminements artistiques. Paul Cézanne a ouvert la voie de la recherche sur les volumes et les formes. Sa série de La Montagne Sainte-Victoire s’est progressivement libérée de la recherche de représentation du réel et a préfiguré les travaux des cubistes, qui déstructurent la perception des volumes en multipliant les points de vue. L’art moderne a aussi exploré la voie de la couleur. Les artistes ne déterminent plus leur palette en fonction du réalisme des couleurs mais de leur subjectivité. Commencée par Gauguin et Matisse, la révolution de la couleur va conduire, conjointement à celle de la forme, à une rupture radicale avec l’évocation figurative et va mener à l’art abstrait. Dadaïsme et surréalisme doivent être remis dans leurs contextes respectifs historique (Première Guerre mondiale) ou scientifique (travaux de Freud). que sur les formes, dont la plupart des contours ne sont qu’esquissés. Le second des tableaux porte évidemment la marque du mouvement fauviste, dont Matisse fut un des initiateurs : ce sont des aplats de couleurs aux contours puissamment soulignés qui organisent l’ensemble de la composition. À l’époque où il réalise ces tableaux, Matisse est contemporain des mouvements symbolistes et cubistes. Né en 1904 (et mort en 1989), Salvador Dali vient à Paris en 1926 et y rencontre Pablo Picasso, puis se lie avec les surréalistes à partir de 1929. Bientôt exclu du mouvement surréaliste par André Breton, Dali fait de sa vie elle-même sa principale oeuvre d’art et tente d’imposer sa méthode d’analyse « paranoïa critique ». La Persistance de la mémoire est l’une de ses oeuvres les plus célèbres : peinte en 1931, les montres molles étalées dans un paysage désolé rappelant la côte catalane peuvent passer aussi bien pour un gag que pour une application assez libre de la théorie de la relativité d’Einstein, soulignant l’élasticité de l’espace et du temps. Sur cette toile de Dalí (1904-1989), Gala, la muse du peintre, contemple, assise et alanguie, un marché aux esclaves situé au centre de la toile. Surchargé visuellement, cette partie de l’oeuvre s’oppose au reste du tableau, où règne la tranquillité et les espaces vides. Deux personnages vêtus de costumes noirs et blancs du XVIIe siècle, encadrés par une arche, se tiennent au milieu d’esclaves loqueteux. Ces personnages peuvent en fait être lus d’une façon différente : ils forment, par une habile illusion d’optique, la tête de Voltaire, telle que représentée par le sculpteur Houdon. Leurs têtes figurent les orbites et les yeux de l’écrivain, leurs bustes son nez et le bas de son visage. À droite du tableau, Dalí joue cette fois d’une confusion visuelle en mêlant les fruits d’un compotier au premier plan à celle d’une jeune fille enlaçant son compagnon à l’arrière-plan. Dali commence à s’intéresser à la fin des années 1920 au phénomène visuel de la double image, ou « image-dans-l’image », qui va désormais prendre une place importante dans son oeuvre picturale. Cet effet, connu depuis des siècles et utilisé par des peintres comme Arcimboldo ou Bracelli, aboutit, au premier coup d’oeil ou après avoir fixé attentivement une image, à la découverte d’une deuxième image cachée dans la première. Pour l’artiste surréaliste qu’est Dalí, il ne s’agit pas ici d’un simple jeu de l’esprit, d’une fantaisie : il considère que la deuxième image hallucinatoire suggérée par un objet donné a des chances d’être la réalité elle-même. Il préconise donc l’usage de la méthode « paranoïaque-critique » qui permet à l’esprit de lire dans la réalité des significations 102 La naissance de l’art abstrait L’art abstrait abandonne l’objectif de représenter le monde tel qu’il est perçu par les sens ou la combinaison des sens et de l’état d’âme. Kandinsky pourrait être considéré comme l’initiateur de l’art abstrait. Il annonce clairement avoir abandonné les apparences extérieures dans l’espoir de pouvoir communiquer plus directement ses sentiments au spectateur. Kandinsky considère que les couleurs et les formes peuvent communiquer des vérités spirituelles. Artiste russe installé en Allemagne puis en France, Vassily Kandinsky commence sa carrière par des peintures figuratives, peignant avec une grande minutie les paysages de la campagne russe. Cette première étape fait rapidement place, à partir de 1903, à une autre, marquée par une utilisation beaucoup plus libre des couleurs, en particulier dans Le Cavalier bleu, puis La Montagne bleue. Mais c’est à partir de 1913, avec la réalisation du tableau Composition VII qu’il s’engage dans la voie de l’art abstrait, auquel il contribue à donner naissance. L’art abstrait se définit par opposition à l’art concret qui prétend représenter la réalité. L’art abstrait ne se définit pas seulement par une très grande liberté dans l’usage des couleurs et des formes. Kandinsky montre bien qu’il s’agit d’un art qui fait naître l’émotion d’un autre agencement des formes et des couleurs que celui que propose la réalité. Sa parabole du tableau retourné contre le mur est, de ce point de vue, très éclairante : la valeur de l’œuvre ne vient pas de sa capacité à reproduire le réel, mais seulement de l’impression que suscite l’agencement des couleurs. La Première aquarelle abstraite de Wassily Kandisky (1910) est considérée comme l’acte de naissance de l’art abstrait. Bien que cette antériorité ait été contestée par Kupka ou Larionov, le peintre russe Kandinsky (1866-1943) apparaît bien comme le réel précurseur de l’abstraction. Il est en effet le premier à avoir fait de l’expression abstraite un acte volontaire fondé sur une recherche et une conviction inébranlables. La rupture définitive avec la figuration du réel qu’il inaugure est le résultat de longues années de recherches picturales. Kandinsky a raconté comment le nouveau regard porté sur une de ses oeuvres accrochée à l’envers, et dont le contenu lui paraissait incompréhensible, l’a conduit à l’abstraction : « je sus alors expressément que les objets nuisaient à ma peinture », raconte-t-il (Regards sur le passé, 1913). Il s’attache alors à substituer aux objets la puissance de l’émotion qu’il entend communiquer au spectateur directement, sans l’intermédiaire du réel. Sa Première aquarelle abstraite (qu’on soupçonne aujourd’hui d’avoir été une étude pour la Composition VII qu’il réalisera en 1913) présente ainsi un agencement complexe et varié de formes et de couleurs flottant sur un fond laiteux. Un mouvement pluridirectionnel semble animer ces taches vibrantes qui forment une sorte de symphonie picturale. Le bleu céleste s’oppose au rouge et vert terrestre : la spiritualité se heurte à la passion, l’émotion à la rationalité. Kandinsky use de ces taches de couleurs comme un compositeur userait de notes de musique. Comme la musique, qui lui sert de référence, il cherche à provoquer l’émotion pure et immédiate. On retrouve dans sa première oeuvre abstraite, pour laquelle il choisit la technique qui offre le plus de liberté, l’aquarelle, des réminiscences du symbolisme (usage du bleu pâle, également utilisé par le Blaue Reiter), du Modern style (formes végétales) et du fauvisme (couleurs pures). Si Kandinsky entend rompre avec toute forme de figuration, son oeuvre reste empreinte de souvenirs naturalistes car ses formes colorées évoquent un monde floral : le peintre ne rompra vraiment avec cette tendance qu’en 1913, date à laquelle il franchira définitivement le cap de l’abstraction pure. L’abstraction n’est pas un mouvement artistique, ni une école de peinture, mais un phénomène de rupture dans l’histoire de l’art. Elle semble l’étape ultime de l’« appropriation » de l’art par l’artiste : désormais, c’est l’artiste qui construit une réalité nouvelle ; le réel ne limite plus son champ d’action. Acte de puissance, le passage à l’abstraction représente la transgression artistique ultime : le peintre n’a plus besoin du réel, il revendique le droit de s’en détacher totalement pour créer son propre univers et ouvrir à ses spectateurs de nouvelles dimensions, de nouvelles émotions issues de sa seule subjectivité. recouvertes par d’autres significations, à l’aide d’un enchaînement d’associations irrationnelles. On pourrait penser que la présence de Voltaire évoque ici le triomphe de la raison, et que le marché d’esclaves symboliserait donc la soumission irrépressible de l’art au rationalisme, contre laquelle s’élevaient les artistes surréalistes. Toutefois, essayer de donner à la double image de Dalí un sens symbolique rationnel serait aller à l’encontre de la démarche surréaliste, qui juge inutile et vain de disséquer le contenu d’une oeuvre dans la mesure où la compréhension d’une image – comme sa conception – se fait à un niveau subconscient et subrationnel. L’image-dansl’image est introduite par Dalí pour susciter chez le spectateur l’interrogation : n’y a-t-il pas une troisième, une quatrième image… cachées dans la toile ? Il incite ainsi à la pratique de la méthode paranoïaque qu’il prônait au nom du surréalisme. Le peintre russe Kasimir Malevitch (1878-1935) présente en décembre 1915 lors de l’exposition « 0.10 », sous-titrée « Dernière exposition futuriste », 39 peintures « non objectives » qui figurent des formes planes et géométriques, ou alogismes (croix, triangles, carrés). Parmi ces oeuvres figure le Quadrilatère, qui sera plus 103 tard rebaptisé Carré noir par le critique Alexandre Benois. Malevitch proclame, à travers ces toiles, la naissance du Suprématisme qu’il voit comme le triomphe d’une nouvelle forme de pensée traduite dans la peinture par des formes libérées de toute référence à l’objet et de tout sens symbolique. Le Carré noir est l’expression la plus achevée de cette démarche. Une forme géométrique simple, proche du carré, mais qui pointe légèrement vers le haut et dont les contours ne sont pas parfaits, flotte sur un fond blanc. La matière du carré laisse apparaître l’intervention du peintre, qui l’a modelé par accumulation de touches et même à main nue. L’artiste fait table rase de toutes les significations anciennes, de toute référence matérielle et libère l’objet de tout sens. Il opère une « remise à zéro » dans la représentation du monde. Son but est d’ouvrir la voie à une multitude infinie de significations et de rompre avec la surdétermination symboliste de l’image. Il entend inaugurer le triomphe des formes pures et de la couleur pure, offrant ainsi une nouvelle liberté à l’art. Nouvelle icône de l’art moderne, la figure nue du Carré rompt avec le passé de l’art et constitue la rupture ultime de la peinture avec la représentation. En 1918, le Carré blanc sur fond blanc marquera une nouvelle étape de la recherche de Malevitch, en quête cette fois de l’infini dans une démarche imprégnée désormais de mysticisme. Le dadaïsme Entre 1913 et 1915, Marcel Duchamp (1887-1968) s’éloigne progressivement de la peinture et élabore ses premiers « ready-made ». Choisissant des objets industriels « tout-faits », il les élève au rang d’oeuvre d’art par sa seule volonté et par la magie de sa signature. En 1917, il décide de mettre à l’épreuve la communauté artistique new-yorkaise lors de l’exposition de la Société des indépendants (qui se veut ouverte à tous) en y présentant un « ready-made » devenu depuis le plus célèbre d’entre tous. Il choisit dans une succursale de la société J. L. Mott Iron Works un urinoir de faïence blanche, le pose à plat sur un socle et y appose une signature mystérieuse, « R. Mutt ». Cette dernière fait référence à la fois à l’entreprise d’où provient l’urinoir (Mott), mais aussi à une bande dessinée de l’époque, Mutt and Jeff et au sens argotique du mot, qui peut signifier « imbécile » ou « bâtard ». Il présente l’oeuvre, dont la paternité est donc attribuée à un certain R. Mutt, sous le titre de Fountain au comité d’organisation de l’exposition de la Société des indépendants, déclenchant un épique débat parmi ses membres. L’oeuvre est finalement refusée (alors que les organisateurs de l’exposition avaient décrété ne vouloir opérer aucune censure), ce qui donne à Duchamp l’occasion de marquer sa solidarité avec l’artiste R. Mutt, qui n’est autre que lui-même : « Que Mr Mutt ait fabriqué la fontaine de ses propres mains ou non est sans importance. Il l’a CHOISIE. Il a pris un objet ordinaire de la vie, l’a placé de telle façon que sa signification utilitaire disparaisse derrière le nouveau titre et le nouveau point de vue – il a créé une nouvelle pensée à propos de cet objet… Les seules oeuvres d’art que l’Amérique a données sont sa plomberie et ses ponts. » À travers sa supercherie, Duchamp remet en cause radicalement les normes traditionnelles de l’art et pose la question de la nature de l’art. L’oeuvre qui a déchaîné les passions, surnommée La Madone de la salle de bains, comparée par Apollinaire à un Bouddha assis, a disparu mystérieusement : des répliques en ont été éditées à l’usage des musées, mais l’original a été perdu. Le surréalisme et l’engagement politique Le surréalisme est un mouvement artistique né en France immédiatement après la Première Guerre mondiale, à l’initiative des écrivains André Breton, Philippe Soupault, Paul Éluard ou Louis Aragon. Il se caractérise par un recours systématique aux ressources de l’inconscient – l’étude des rêves, l’écriture automatique – qui permet d’accéder à une « réalité supérieure », toujours cachée par la réalité banale que dévoile la simple perception. Initialement littéraire, le surréalisme s’applique aussi à la photographie (Man Ray) à la peinture, surtout marquée par les tableaux de Chirico, Dali et Magritte. L’oeuvre de ce dernier, Au seuil de la liberté, confirme le contenu de la déclaration de 1925, à savoir que l’engagement artistique est, chez les surréalistes, indissociable de l’engagement politique. L’art abstrait, né immédiatement avant la Première Guerre mondiale, et le surréalisme, apparu immédiatement après, poursuivent l’élan donné par les révolutions artistiques de la « Belle Époque ». Les deux mouvements se 104 rejoignent en adoptant des attitudes très radicales vis-à-vis du réel : alors que l’art abstrait tourne, définitivement, le dos à toute idée de s’appuyer d’une manière ou d’une autre sur la réalité – Kandinsky affirme que « l’objet nuit à ses tableaux » – , le surréalisme ambitionne de faire enfin apparaître une « surréalité » occultée par la perception sensible du réel. Les deux mouvements, qui s’appuient sur la remise en cause de l’idéologie rationaliste qui a dominé le XIXe siècle jusqu’aux années 1890, ouvrent des perspectives entièrement nouvelles à l’art du XXe siècle. Ces perspectives sont très différentes pour l’art abstrait et pour le surréalisme. Les artistes abstraits prolongent l’oeuvre des cubistes en expérimentant la production d’émotions nouvelles provoquées par d’inédites juxtapositions de formes et de couleurs hors de toute perspective autre qu’artistique. Les surréalistes voient au contraire dans la production artistique une étape de leur engagement politique. La révolution que le groupe surréaliste appelle de ses voeux en 1925 est certes « désintéressée », mais elle doit néanmoins contribuer à une dénonciation des a priori de la pensée rationnelle. Ce nouvel engagement des artistes est une des conséquences les plus nettes de la Première Guerre mondiale. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 105 HC – Sciences, techniques et sociétés en Europe durant l’âge industriel (1850-1939) Approche scientifique Approche didactique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude Insertion dans les programmes (avant, spatiale) : après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Caron François, Les Deux Révolutions industrielles du XXe siècle, Albin Michel, 1994. Pestre Dominique, Sciences, argent et politique : un essai d’interprétation, INRA éditions, 2003. Serres Michel (dir.), Éléments d’Histoire des sciences, coll. « In extenso », Larousse, 1997 (chapitres 20 et 21). Verley Patrick, La Révolution industrielle, coll. « Folio histoire », Gallimard, 1997. Ressources Beltran Alain, La Fée électricité, coll. « Découvertes », Gallimard, 1991. Bussière Éric, Griset Pascal, Bouneau Christophe, Williot Jean-Pierre, Industrialisation et sociétés en Europe occidentale 18701970, coll. « U », Armand Colin, 1998 (nombreux documents). Céline Louis-Ferdinand, Voyage au bout de la nuit, coll. « Folio », Gallimard, 1932. Céline Louis-Ferdinand et Tardi Jacques, Voyage au bout de la nuit, Futuropolis, 2006. Dos Passos John, La Grosse Galette, 1936 (la rationalisation aux États-Unis). Huxley Aldous, Le Meilleur des mondes, 1931 (cet ouvrage montre l’aspect utopique d’une société monde profondément anesthésiée par le progrès scientifique et technique de l’an 700 après Ford). Lewis Sinclair, Babbitt, 1922 (le confort ménager et la vie moderne). Zola Émile, La Bête humaine, 1889 (montre le machinisme aveugle), et Le Travail, 1901 (montre une vision plus optimiste de l’évolution technologique). Sur Ford : www.emse.fr/AVSE/sf.htm Sur Sir Henry Bessemer : www.emse.fr/AVSE/sf.htm Documentation Photographique et diapos : Pour introduire : Jacomy Bruno et Letté Michel, « Des techniques et des hommes », La Documentation photographique, La Documentation française, n° 8046, 2005. Balibar Françoise, Pestre Dominique, Jacquart Albert, « La science au coeur de l’histoire contemporaine », La Documentation photographique, La Documentation française, n° 6081, 1986. Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Quelles sont les interrogations nouvelles soulevées par les découvertes de la science ? Entre 1850 et 1890, les découvertes de la science tendent à remettre en cause les fondements traditionnels des sociétés : elles ébranlent les préceptes de la foi chrétienne (Darwin) et semblent proposer aux hommes l’espoir d’un progrès infini (progrès de la médecine, découvertes géographiques). La science s’érige en religion et l’optimisme domine une époque marquée par la confiance face au progrès : c’est le « temps des certitudes ». À partir de 1890, s’ouvre le « temps du doute » : les travaux d’Einstein, de Freud et des surréalistes remettent en cause le rationalisme qui triomphait alors. L’inquiétude gagne les esprits face à la mise en évidence de la capacité destructrice de la science (Première Guerre mondiale) et à la puissance des forces de l’inconscient, entraînant un certain « retour au religieux » au sein des sociétés européennes. 1ère STG : « Les mutations d’une filière économique soit du secteur industriel, soit du secteur des services. Les transformations techniques sont mises en relation avec leurs conséquences sociales et culturelles. Par filière, il faut entendre les différentes phases de production d’un bien ou d’un service. À titre d’exemple, on peut envisager l’évolution de la filière de la production de textile, de la construction automobile ou du secrétariat. L’industrialisation provoque les mutations en termes de production technique : passage d’un travail de type artisanal à un travail industriel, travail à la chaîne, etc. Elle influe aussi sur le type de qualification et tend à accroître la part des ouvriers et ouvrières non qualifiés). On pourra étudier la dimension spatiale d’une filière et faire ainsi un lien avec les facteurs de localisation en géographie. » Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 1ere ST2S : « Science, innovation technique, société. Années 1870-1950. Un moment d’innovation : la deuxième révolution industrielle. On étudie l’émergence d’un nouveau monde industriel fondé sur l’électricité, le moteur à explosion et la chimie organique. Son essor est intimement lié aux progrès des savoirs scientifiques et à la multiplication des innovations techniques qui s’enchaînent, transformant à la fois les produits et les procédés de production : on concrétise ce processus par la présentation d’un choix limité d’innovations emblématiques. On dégage quelques-unes des caractéristiques des innovations étudiées : elles sont progressivement l’oeuvre d’entreprises collectives – les laboratoires – plutôt que d’inventeurs isolés ; elles sont à l’interaction du travail et de stratégies d’un grand nombre d’acteurs ; elles peuvent être acclamées, mais aussi accueillies avec réticence, voire refusées ; elles sont de plus en plus encadrées (brevets, acceptation par la communauté scientifique). » 106 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement 1ère ST2S : « La période qui va du milieu du XIXe siècle aux années 1950-1960, constitue un moment d’innovation particulièrement foisonnant. La dynamique de cette phase de l’âge industriel s’explique par la cohabitation de trois générations de technologies. La première est un héritage du XVIIIe siècle. Elle a fait naître un système technique fondé sur le charbon, la vapeur, le fer et la chimie minérale. La seconde génération s’appuie sur l’électricité, le pétrole et la chimie organique. Elle s’affirme progressivement au cours de la période comme le support d’une nouvelle croissance économique. La dernière, qui débute avec le siècle, est centrée sur la maîtrise de l’électron et ouvre la voie aux technologies nucléaires. Le passage d’un système technique à l’autre ne se fait pas par effet de rupture mais par glissements successifs ; il n’y pas remplacement mais insertion progressive des nouvelles technologies dans le système antérieur. L’innovation se fait dans un processus cumulatif. La seconde révolution industrielle a bénéficié des nombreux apports du système technique de la première. Elle comprend ainsi deux phases distinctes par la relation qu’y entretiennent la science et la technique : la première relève surtout du génie des ingénieurs. La seconde impose le détour par les sciences fondamentales pour développer des technologies de plus en plus complexes. La recherche des mécanismes qui permettent l’émergence d’un nouveau système technique donne lieu à différentes hypothèses. Sans revenir sur des controverses aujourd’hui dépassées, il est utile de faire état des perspectives actuelles de la recherche qui conduisent à considérer l’innovation technologique comme une construction sociale. Pour l’historien Patrick Verley, l’apparition d’innovations est à mettre en lien avec l’accroissement de la consommation. L’apparition de nouveaux besoins et d’une forte demande a selon lui un effet déstabilisant qui oblige le système technique à se transformer de façon radicale et conduit à innover. C’est l’extension des marchés intérieur et extérieur qui suscite donc l’émergence de nouvelles innovations. Pour François Caron, les innovations sont le résultat des impasses technologiques rencontrées par la société. C’est le mécanisme des goulots d’étranglement dont la grande ville fut le lieu par excellence, qu’il faut privilégier. Ainsi, à la fin, du XIXe siècle, les conditions de vie en ville sont marquées par des phénomènes de pollution dont l’un des effets a été, au début des années 1880, le développement à Paris d’odeurs pestilentielles en été. Cette situation est à l’origine d’une réflexion qui devait sur le long terme aboutir à la mise en place du tout-à-l’égout. Il conviendra de prendre en compte cette double approche dans la mise en oeuvre en classe. L’étude de ce thème doit aussi considérer les rôles respectifs des techniques et de la science. Les premières ne sont pas, en effet, de simples applications de la seconde. L’intitulé proposé, « Science, innovation technique et société », n’implique pas une subordination de la technique à la science : on sait qu’historiquement, il n’en a rien été. Dès la seconde révolution industrielle, sciences et techniques se fécondent mutuellement. Leurs liens se développent avec l’apparition de l’électricité industrielle et du pétrole, la mise au point d’alliages et de matériaux composites. Pour autant, il faut attendre la Seconde Guerre mondiale pour qu’elles soient en symbiose. Auparavant, elles constituaient des domaines relativement indépendants, poursuivant chacun leurs propres objectifs, tout en échangeant en permanence. C’est au cours du premier XXe siècle que s’installent les conditions de leur interpénétration, aujourd’hui très forte au point qu’elles se confondent en formant le champ des technosciences. La question invite ainsi à réfléchir à la mise en place d’un nouveau régime de production des sciences en société. Les innovations sont le fruit des efforts d’acteurs très divers. On peut reprendre la typologie établie par François Caron. Il distingue : les détenteurs du savoir (savants, universitaires ingénieurs, hommes de métiers, techniciens et ouvriers) et les entrepreneurs auxquels on peut ajouter l’État. Tous, peu ou prou, peuvent contribuer à l’apparition de nouveautés technologiques. Pour autant, l’innovation, qu’elle soit individuelle ou collective, ne peut être comprise sans prendre en compte la communauté à laquelle chaque acteur appartient. Le rôle des réseaux sociaux est, en effet, fondamental. L’entrepreneur s’appuie sur un réseau de connaissances, de solidarités qui assurent la mobilisation des capitaux mais aussi sur un réseau politique qui lui garantit les appuis nécessaires. Une entreprise qui Le procédé Bessemer Il permet la fabrication, à partir de la fonte (alliage impur de fer et de carbone, c’est un métal lourd et cassant), d’un acier de qualité, résistant, produit en grandes quantités et donc moins cher qu’avant. Avant le procédé Bessemer, l’acier était obtenu par une opération longue et coûteuse, le puddlage, qui ne donnait que de petites quantités d’acier : la fonte du haut-fourneau était maintenue à l’état de fusion et brassée pour en brûler les impuretés. L’innovation de Bessemer bouleverse les conditions de production de l’acier : transformation de la fonte en acier à moindre coût et moindre temps (40 tonnes de fonte à l’heure) par insufflation d’air chaud sous pression (oxygène) dans la fonte liquide pour brûler le carbone. À partir des années 1860, l’acier devient d’utilisation courante dans les industries mécaniques. On relèvera la massivité des équipements de production. Henry Bessemer (1813-1898) est un inventeur autodidacte anglais. Les principales qualités de l’acier Bessemer sont son homogénéité, sa dureté et sa résistance par rapport au fer ; il est aussi facile à travailler, notamment à souder, par le feu. Cette méthode de production est d’une grande simplicité, elle permet d’augmenter de beaucoup la production d’acier et donc d’en réduire le coût. Cette invention est le point de départ de la production industrielle massive d’acier. L’industrialisation se caractérise par d’importantes mutations technologiques, comme le convertisseur Bessemer qui révolutionne en 1858 la production d’acier et donne à l’Angleterre une avance considérable, avant que les procédés ThomasGilchrist, en 1877, permettent à la France, à l’Allemagne, à la Belgique et au Luxembourg de tirer profit de leur minerai de fer phosphoreux. Ce groupe rattrape l’Angleterre : en 1880 celle-ci produit 1 310 tonnes d’acier liquide, contre 1 220 pour l’ensemble des quatre pays ; en 1914 ce dernier produit 27 400 tonnes, l’Angleterre seulement 7 780. Ces nouveaux procédés exigent beaucoup de capitaux ; ils favorisent la concentration des entreprises. L’indigo L’étude permet de montrer l’enjeu industriel d’une innovation : importance des investissements, renouvellement et restructuration du secteur, effets de la concurrence. L’indigo est un produit naturel difficile à produire et dont le volume de production, insuffisant, est remplacé par un produit de synthèse plus facile d’usage, moins cher et qui peut être produit en plus grande quantité. 107 ne compte pas au moins un scientifique, un ingénieur, un commercial, un gestionnaire, un juriste enfin, a peu de chances de vivre longtemps. Ainsi, les innovations ne sont pas restées longtemps l’oeuvre d’inventeurs isolés disposant de moyens sommaires ainsi que le montrent le parcours des Curie ou les conditions de la découverte de la pénicilline. À partir de 1880, l’entreprise (grande ou petite) tend à s’imposer comme le lieu par excellence de l’innovation avec ses bureaux d’études, ses services de gestion, ses laboratoires de recherche. Les laboratoires Bell, plus connus sous l’appellation « Bell labs » créés en 1925 dans l’état du New Jersey constituent un bon exemple de fonctionnement du laboratoire de recherche en milieu industriel qui caractérise la seconde révolution industrielle. L’innovation devient alors le fruit d’un travail collectif. L’État joue aussi un rôle. Il intervient en investissant (construction des routes, des chemins de fer), en finançant la recherche fondamentale, mais aussi en élaborant une réglementation (brevets, propriété intellectuelle). Une étude des acteurs de l’innovation ne doit pas oublier les consommateurs et leurs besoins : une entreprise qui réussit est celle qui sait se mettre à l’écoute de sa clientèle. Très vite, le comportement des consommateurs a fait l’objet d’étude de marché. Les innovations font apparaître des pratiques nouvelles dans le domaine de la production, de la consommation mais aussi de la vie collective. Elles participent à l’émergence de la société de masse. Pour Bertrand Gille, les principales implications sociales de la seconde révolution industrielle sont l’essor du secteur tertiaire (multiplication des tâches administratives, gestion plus complexe du développement industriel) et les mutations du travail dues à une rationalisation croissante : fractionnement des tâches, baisse de la qualification, monotonie, absence d’initiative (taylorisme et fordisme). C’est à la fin du XIXe siècle, dans le contexte d’une concurrence accrue avec les débuts de la Grande Dépression, que se développe une réflexion sur la façon de rendre l’organisation du travail plus scientifique. Vulgarisée par les ouvrages de l’ingénieur américain Taylor, l’organisation scientifique du travail ou taylorisme a pour objectif d’accroître la productivité en rationalisant le travail des ouvriers. Pour parvenir à une efficacité maximale, elle dissocie les tâches de conception et d’organisation confiées aux cadres et les tâches d’exécution attribuées à des ouvriers chronométrés pour chacune d’entre elles. Le taylorisme est souvent improprement associé au travail à la chaîne : Taylor n’a pas inventé ce dernier, qui existait au Royaume-Uni dès les années 1840 dans des entreprises fabriquant des voitures hippomobiles. Cette production standardisée exige la définition de normes de plus en plus précises qui nécessitent la mise au point d’instruments de mesure de plus en plus complexes. Le développement de la métrologie impose le recours aux laboratoires de recherche. À cette recherche d’une plus grande efficacité du travail qui diminue le coût et permet de parvenir à une production de masse, l’Américain Henri Ford dans ses usines automobiles de Détroit ajoute l’idée de développer le marché de consommation. Pour se faire, il combine la standardisation, le travail à la chaîne et une politique de salaires élevés. La rationalisation des tâches engendre des gains de productivité qui sont en partie redistribués aux ouvriers par une hausse des salaires. L’ouvrier mieux rémunéré a la possibilité d’acheter la voiture qu’il fabrique. Il n’est plus considéré seulement comme facteur de production mais comme consommateur potentiel du produit fini. Initialement, l’augmentation salariale est pour Ford une façon d’éviter une rotation trop élevée des ouvriers dans son entreprise. Ce n’est que plus tard qu’il envisage cette politique comme un moyen d’élargir sa clientèle. L’organisation scientifique du travail et les débats qu’elle a engendrés ont donné lieu à une littérature abondante (notamment chez les sociologues, à la suite de G. Friedmann, Le Travail en miettes, 1956). On doit pourtant insister sur le fait que le travail à la chaîne est resté minoritaire. En France il concerne surtout l’automobile ; Berliet fut le premier à l’adopter en 1919, avec d’ailleurs des résultats décevants, puis Citroën dans les années 1920, puis Renault. Les modèles tayloriste et fordiste trouvent rapidement leurs limites et sont remis en cause dès la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis, au profit d’autres formes d’organisation (travail d’équipe, multivalence et rotation des postes…). Les textes de Céline (les usines Ford dans Voyage au bout de la nuit, 1932) ou de Georges Navel (Travaux, 1945, pour la description des usines Berliet), un plan d’usine (l’usine Citroën du quai de Javel) constituent des supports d’étude possibles. La réussite d’une innovation peut s’expliquer par l’intérêt que les consommateurs lui portent. L’automobile en fournit un bon exemple. Née autour de 1890, son Ce produit sert de levier à la constitution d’une industrie nationale allemande puissante qui bouscule les avantages acquis du commerce colonial britannique. L’indigo artificiel possède deux avantages sur l’indigo naturel : une composition constante et de qualité, un affranchissement par rapport aux aléas climatiques (la baisse des coûts de production permet aussi la possibilité de diffuser le produit à une plus large échelle). Les acteurs qui interviennent dans la mise au point de l’indigo artificiel sont d’abord des chercheurs en chimie et les grandes entreprises du secteur. Cette évolution est caractéristique de la deuxième révolution industrielle : les innovations sont d’abord le fait de savants (ici, le chimiste allemand von Bayer), puis elles sont améliorées par les laboratoires de recherche des grandes entreprises (BASF, par exemple) dans le but de fabriquer les produits nouveaux à l’échelle industrielle. L’industrie chimique allemande, quasi-inexistante au début du XIXe siècle, est la plus puissante du monde à l’orée du XXe siècle et jusqu’à 1945. Elle le doit à sa grande capacité d’innovation et d’exploitation technique des innovations. Elle produit des engrais, des pesticides, des colorants, des médicaments, etc. Pendant les deux conflits mondiaux, cette industrie permet à l’Allemagne de compenser en partie la disparition des produits importés par la création de produits de synthèse de remplacement (les « ersatz »). C’est en partie la puissance et la disponibilité de cette industrie qui explique le choix de la chambre à gaz pour le génocide juif à partir de 1942. Ainsi, le « Zyklon B » (« cyclone B ») était un pesticide employé dès avant la guerre par l’agriculture allemande. L’aluminium La fin du XIXe siècle voit l’essor de l’aluminium, métal quasi inconnu des contemporains. Ses qualités intrinsèques (souplesse) et en association (il bonifie l’acier) en font un métal prometteur. L’aluminium est connu depuis la publication des travaux de chimistes allemands en 1827. Le premier industriel à en produire, dès le milieu du XIXe siècle, est Sainte-Clair Deville, dont la société a pris par la suite le nom de Pechiney. Hall aux États-Unis et Héroult en France, qui ne se connaissaient pas, ont découvert en même temps, en 1886, la facilité d’usage de l’électrolyse pour séparer l’aluminium de son milieu métallique d’origine. C’est cette découverte qui a véritablement rendu la production d’aluminium bon marché et le développement de ses applications industrielles. Après 1910, pour les usages de pièces moulées sans charge importante à supporter, c’est le duralumin (un alliage à base d’aluminium) qui est utilisé dans l’automobile, les 108 développement commercial commence à partir de 1898. Au départ, la clientèle est essentiellement une élite fortunée désireuse de se distinguer en faisant preuve d’originalité et de modernité. L’effet de mode est immédiat au point que la demande dépasse très largement l’offre, sans que ce désir des consommateurs ait été suscité par aucune promotion. Peu de constructeurs ont anticipé le phénomène et ils doivent s’adapter à une demande croissante tout en construisant des modèles de plus en plus maniables. L’industrie automobile française démontre à cette occasion sa capacité innovatrice. Cependant, elle ne peut relever le défi posé par la production de masse. C’est le constructeur Ford qui, aux États-Unis, réussit à faire du marché de l’automobile un marché de masse avec la Ford T. En Europe, l’automobile devient un produit de consommation plus courante après la Seconde Guerre mondiale ; la Volkswagen en Allemagne ou la 2CV (1948) en incarnent les versions populaires. Une innovation peut profondément transformer certains aspects de la vie collective. Ainsi, l’exposition universelle d’électricité de Paris (1881) consacre la réussite de cette nouvelle forme d’énergie auprès du public. Edison, un inventeur américain, y joue un rôle majeur en présentant un projet complet d’éclairage électrique, avec réseau de distribution et centrale de production. Il rend possible la diffusion de l’électricité en ville (Edison à Manhattan, 1882). Mais la diffusion des innovations liées à la lumière n’aurait pas été aussi rapide si elle n’avait pas rencontré une forte demande sociale. Ces innovations contribuent à renforcer la sécurité des rues, à prévenir les risques d’incendie mais aussi à combattre l’immoralité (notamment la prostitution, qu’on accusait l’obscurité de favoriser). Des sinistres catastrophiques tels que celui de l’Ambassade d’Autriche au début du XXe siècle lors d’une réception à la bougie ou celui de l’Opéra comique en 1887, qui ont eu un impact considérable sur les esprits, ont également joué en faveur de la diffusion de l’électricité. Ce besoin d’une lumière abondante et moins dangereuse, est comblé avec l’apparition de la lumière électrique dans les habitations et l’éclairage des rues la nuit. » Le brevet de Pasteur Utiliser le brevet de Pasteur pour y relever les informations qui constituent le brevet : date, lieu de dépôt, désignation de l’invention, durée de validité du brevet. S’interroger sur la signification de la mention de l’heure avec la date. S’interroger sur celle de la non-garantie par le Gouvernement de la réalité ou de la qualité de l’invention. S’interroger sur les portées juridiques de ces précisions. S’interroger sur les avantages économiques que donne le dépôt d’un brevet. À l’époque du dépôt de ce brevet, Pasteur (1822-1895) est déjà un biologiste réputé. Il a notamment travaillé sur la fermentation du vin et les maladies de la vigne. Ce brevet est déposé à Lyon car la partie nord de la France est occupée par l’armée prussienne. Les travaux de Pasteur ont fondé la microbiologie. À partir de l’étude des processus de fermentation, Pasteur met en évidence l’existence de microorganismes dont certains n’ont pas besoin d’oxygène pour se développer. La science de l’époque n’avait jamais envisagé l’existence de réaction chimique provoquée par des organismes vivants, pas plus que d’organismes vivants anaérobies. En découvrant des procédés pour atténuer la virulence des microorganismes, Pasteur invente le principe du vaccin préventif, dont la première application, en 1881, sur un berger mordu par un chien enragé, lui valut une gloire mondiale. Bell et le téléphone La première démonstration publique de la téléphonie de Bell a lieu à l’exposition universelle de Philadelphie en 1876. Écossais installé aux États-Unis, Graham Bell travaille sur la communication avec les sourds et les méthodes de diction et d’élocution. C‘est dans ce cadre qu’il en vient à s’intéresser à la reproduction mécanique et électrique des sons, puis à la transmission de ces derniers. Il se présente comme l’inventeur de la téléphonie, bien qu’à ses débuts une controverse l’ait opposé à Antonio Meucci qui avait mis au point, dès 1860, un procédé de « télégraphe parlant », mais qui n’avait pu le protéger par le dépôt d’un brevet, faute de moyens. Il semble aujourd’hui établi que Bell utilisa à la Western Union des prototypes et des plans que Meucci avait laissés en démonstration pour finaliser son invention. Bell s’appuie sur un géant de la télégraphie pour se constituer en géant de la ustensiles de cuisine et autres applications. Pétrole et plastique Avant la guerre, les États-Unis sont les premiers producteurs et (déjà) les premiers consommateurs de pétrole. Le pétrole californien est utilisé dans les transports, mais également pour la production électrique. Depuis l’Antiquité, le pétrole est utilisé pour l’éclairage domestique dans les régions où il suinte en surface. Son extraction, sa transformation (raffinage) et son transport ne datent cependant que du XIXe siècle. En 1859 est creusé le premier puits de pétrole au Tennessee. Le pétrole sert alors de produit de combustion dans les centrales électriques, puis, sous forme raffinée, dans les moteurs à explosion qui équipent les voitures, les avions et bientôt les navires. Dès le début du XXe siècle, l’industrie chimique s’intéresse au pétrole dans le domaine du raffinage, puis comme matière première en vue de trouver des produits de synthèse : c’est la famille des plastiques. Dès 1914-1918, le pétrole est un enjeu majeur pour des armées de plus en plus motorisées. Le pétrole roumain, puis le pétrole caucasien sont des buts de guerre d’une Allemagne privée de pétrole. Avant 1945, le pétrole du Moyen-Orient, connu mais peu prospecté et encore moins exploité, est quantité marginale : la production est dominée par les États-Unis, l’URSS et le Venezuela (respectivement premier, deuxième et troisième producteurs). L’aviation Lindbergh pose devant son avion (« Spirit of Saint-Louis ») à Saint-Louis (Missouri) avant son envol. Il décolle de New York le 20 mai 1927 et se pose à Paris le lendemain, où il reçoit un accueil triomphal. L’aviation est devenue possible quand les innovateurs ont cessé d’essayer d’imiter le vol des oiseaux (le battement d’ailes). Le premier vol des frères Wright a lieu en 1903 sur à peine 200 ou 300 mètres. Dès 1909, Blériot traverse la Manche. La Première Guerre mondiale voit l’aviation se transformer en industrie, lorsque les « bricoleurs » des premières années reçoivent des commandes pour des milliers d’appareils. C’est également ce conflit et la crainte de l’invasion allemande qui expliquent l’installation de l’industrie aéronautique française autour de Toulouse dès cette époque. Jusqu’à 1945, l’aviation est toutefois quasiment réservée à l’usage étatique (postes, armée). Les compagnies commerciales sont peu nombreuses, les avions de taille modeste et de peu de rayon d’action. C’est l’aprèsguerre qui voit se développer les avions longcourriers (avec la Caravelle), puis les avions de ligne avec des moteurs à réaction qui permettent d’assurer un service plus intéressant et (presque) abordable. 109 téléphonie. Il utilise la justice (procès en contrefaçon) et l’argent (achat des inventions) pour maintenir sa domination sur le secteur. Ce texte illustre les stratégies industrielles possibles à partir d’une invention préalable bien exploitée. La logique n’est pas encore à l’intégration de la recherche-développement dans des structures internes à l’entreprise, mais le rachat systématique des inventions à tous les bricoleurs de génie qui travaillent à titre privé, le plus souvent à leurs heures perdues. Edison et l’ampoule électrique Inventée en1879, la lampe à incandescence devient en quelques années le symbole des villes modernes et riches : New York et Londres sont les premières à s’en équiper pour l’éclairage domestique. Ce texte est extrait d’une biographie « autorisée » (c’est-à-dire complaisante) publiée du vivant d’Edison avec des documents fournis par l’inventeur et des témoignages ayant son aval. Thomas Edison (1847-1931), surnommé « Le magicien de Menlo Park », est certainement l’inventeur américain le plus connu de son époque. Il a déposé plus de mille brevets dans tous les domaines, parmi lesquels l'électricité, le téléphone, le cinéma et l'enregistrement du son. Il peut être considéré comme le « père de l’électricité » car ses inventions participent de la plupart des applications domestiques de cette énergie. En même temps qu’il se consacrait à la recherche, il a fondé General Electric, un des premiers empires industriels mondiaux, et sans doute la première entreprise à intégrer un important service de recherche employant des centaines de chercheurs. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : La vie quotidienne bouleversée L’abolition de l’obscurité nocturne et le refoulement des peurs traditionnelles qui y sont liées est un des aspects nouveaux de la ville moderne. Recherche sur le calcul du temps : rôle de l’horloge du clocher et des temps de prière ; définition de la seconde ; heure locale et heure nationale (rendue nécessaire par la circulation ferroviaire) ; concurrence des méridiens (Greenwich et Paris) ; diffusion de la montre (objet de luxe en 1870, objet standard en 1950). Il est à noter que les premières mesures de vaccination de masse sont prises par les armées, car les épidémies (du fait de la promiscuité des camps), bien plus que les combats, sont cause de décès. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 110 HC – Les Curie, une dynastie scientifique Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Cf primaire Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Reid Robert, De Palomera Marie-France, Marie Curie, derrière la légende, coll. « Points Sciences », Seuil, 1983. Pinault Michel, Frédéric Joliot-Curie, Odile Jacob, 2000. Ressources Curie Ève, Madame Curie, coll. « Folio », Gallimard, 1938 (rééd. 1981). Balibar Françoise, Marie Curie, femme savante ou sainte vierge de la science ?, coll. « Découvertes », Gallimard, 2006 (nombreux documents). Dussart Rémi, Marie Curie, Hatier, 2001 (nombreux documents ; les deux livres cités constituent aussi une « ouverture » qui est facile de lecture). Radvanyi Pierre, Les Curie, pionniers de l’atome, coll. « Pour la science », Belin, 2005. Dréville J., La Bataille de l’eau lourde, 1947 (film où Joliot-Curie, Dautry et Kowarski jouent leurs propres rôles). http://mariecurie.science.gouv.fr On peut, à partir de quelques photographies, montrer le côté « artisanal » de la recherche en France au début du XXe siècle, mais aussi le début de la médiatisation du savant. Ouverture Giroud Françoise, Une femme honorable, Le Livre de Poche, 1981 (rééd. 2003). Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Il s’agit de rendre compte de la carrière des Curie et de leur contribution à la science fondamentale, mais aussi de rappeler leur implication dans les grandes questions de leur époque. Enfin, on présentera ce qui, dans leurs recherches, sert encore aujourd’hui dans les applications techniques. Problématiques – En quoi les travaux des Curie présentent-ils des avancées majeures dans le domaine de la recherche fondamentale ? Les Curie sont les « découvreurs » de la radioactivité. Cette propriété physique inconnue jusqu’alors est intéressante en tant que telle et par ce qu’elle révèle de la constitution de la matière. La radioactivité est d’abord étudiée dans ses mécanismes et son étendue (Quelles matières ? Dans quelles conditions ? Quelle durée ? Quelle énergie ?), puis dans ses potentialités dynamiques (« réaction en chaîne »). La première application de la réaction en chaîne est la bombe atomique, suivie, quelques années plus tard, par la centrale nucléaire productrice d’électricité. Pour ce qui regarde la constitution de la matière, la découverte de la radioactivité permet de repérer « l’isotopie », à savoir les différentes formes stables et instables d’un élément en fonction de la constitution de son noyau. La radioactivité est la marque de l’instabilité et de la recherche de la stabilité. – Pourquoi peut-on dire que les Curie sont des scientifiques engagés ? Il s’agit de restituer la place marginale des Curie dans l’Université française : partant d’un petit laboratoire, ils créent autour de leurs recherches un « Institut du radium » qui reste longtemps un des centres mondiaux dans son domaine. Marie Curie, en tant que femme et Polonaise d’origine, fait face au mépris de son milieu et de la presse nationaliste. Sa fille et son gendre, proches des milieux pacifistes d’avant-guerre et proches du PCF après-guerre, se voient retirer leurs fonctions au Centre pour l’énergie atomique (CEA) qu’ils ont créé en 1945. – Comment les découvertes des Curie influent-elles encore notre époque ? Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 1ère ST2S : « L’aventure scientifique marque la vie personnelle, professionnelle et publique des hommes et des femmes qui s’y engagent. L’étude de la famille Curie sur deux générations permet de le montrer. » 111 La connaissance de la radioactivité et de ses propriétés a très rapidement trouvé des applications dans le domaine médical : diagnostics et traitements des cancers existent depuis des décennies. Les effets secondaires des radiations sur la santé ont été découverts progressivement et sont aujourd’hui pris en compte dans les utilisations médicales de la radioactivité. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Accompagnement 1ère ST2S : « La famille Curie incarne une science conquérante grâce à laquelle la figure du chercheur (scientifique professionnel travaillant en équipe) supplante celle du savant (« scientifique amateur » et individualiste), accède au plus haut rang de la société et, avec Pierre et Marie Curie, entre au Panthéon (1995). Il s’agit de retracer l’aventure scientifique d’une famille trois fois couronnée par le prix Nobel (1903, 1911, 1935) pour des travaux qui ont révolutionné la science contemporaine à partir de la découverte de la radioactivité, et qui a payé à la recherche un lourd tribut. Les Curie, ce sont deux générations de chercheurs exceptionnels, deux couples, deux femmes dans un monde scientifique presque exclusivement masculin. Les Curie ont été aussi des animateurs d’équipe, des enseignants et des « formateurs de savants » (par exemple G. Charpak, lui aussi d’origine polonaise et prix Nobel de physique en 1992), à l’Institut du radium (rue d’Ulm, à Paris), à la Sorbonne (Marie Curie fut la première femme à y enseigner), au Collège de France, au CNRS, que Frédéric Joliot dirigea, et au Commissariat à l’énergie atomique. Les Curie ont tous eu, chacun à leur manière, le sens de l’engagement : Marie Curie, double prix Nobel, « femme savante » mais aussi patriote, a créé un service de radiologie ambulant pendant la Première Guerre mondiale, et aidé à développer la recherche dans son pays natal, la Pologne. Elle a été membre de la commission pour la coopération intellectuelle de la Société des Nations. Irène Joliot-Curie s’est engagée contre le fascisme et pour les droits des femmes. En 1936, sous-secrétaire d’État à la Recherche scientifique du Front populaire, elle est l’une des premières ministres, dans un pays où les femmes ne votent pas encore : sans réel intérêt pour la politique, elle accepte ce poste pour défendre la science et la cause des femmes, notamment leur droit à exercer les mêmes responsabilités que les hommes dès lors qu’elles en ont les compétences. Frédéric Joliot-Curie, lui aussi intellectuel antifasciste et résistant pendant la guerre, défend l’idée d’un programme nucléaire français. Le général de Gaulle le charge de créer le Commissariat à l’énergie atomique et il représente la France à la commission de l’énergie atomique de l’ONU : il y affirme son opposition aux armes atomiques. Engagé envers son pays, il l’est en effet tout autant pour la paix ; cette position et son appartenance au PCF, en pleine guerre froide, sont à l’origine de sa révocation du CEA, puis de celle d’Irène Joliot-Curie. En 1950, il lance l’appel de Stockholm pour l’interdiction absolue de l’arme atomique et l’établissement d’un contrôle international rigoureux. Pour lui, le savant, « acteur rationnel », a non seulement un droit d’intervention dans la sphère politique, mais, parce que responsable de l’usage que l’on fait de ses découvertes, il en a aussi le devoir. Son exemple (appel de Stockholm) montre ainsi la richesse et les inévitables limites de l’engagement du savant. On pourra montrer aux lycéens que le caractère familial des Curie s’incarne aussi dans une série de livres : Marie à propos de Pierre (1923, réédité chez Odile Jacob en 1996), Ève sur Marie (voir ci-dessous), Irène (Les Inventeurs célèbres, Citadelles & Mazenod, 1950). » – 1re génération (Pierre et Marie Curie) : découverte des deux premières substances radioactives, le polonium et le radium. Le terme de « radioactivité » est alors inventé par Marie Curie. 2e génération (leur fille, Irène Curie et son mari Frédéric Joliot): poursuite des recherches sur les rayonnements dans leur laboratoire de l’Institut du radium ; découverte de la radioactivité artificielle en 1934. Frédéric Joliot-Curie est à l’origine de la première pile atomique française, en 1948. – 1903, les époux Curie reçoivent le prix Nobel de Physique en récompense de leur découverte de la radioactivité et, en 1911, Marie Curie reçoit le prix Nobel de Chimie pour ses recherches sur le polonium et le radium. 1935 : Irène et Frédéric Joliot-Curie reçoivent à leur tour le prix Nobel de chimie pour leur découverte de la radioactivité artificielle. Marie, Irène et Frédéric participent aux grands congrès scientifiques internationaux. Les travaux de Pierre et Marie Curie Activités, consignes et productions des élèves : Les travaux des Curie ont permis de défricher un domaine inconnu de la science fondamentale, celui de la physique nucléaire. À partir de leurs observations et de leur description d’un rayonnement inconnu, qu’ils nomment « radioactivité », un certain nombre de caractères de la matière à l’échelle atomique sont découverts ou confirmés. Leur approche empirique et leur travail de laboratoire confirme et complète les constructions théoriques de leur époque, à commencer par celles dites de la « relativité » élaborées par Einstein à partir de 1905. Une génération plus tard, les Joliot-Curie produisent la radioactivité artificielle, premier pas vers des utilisations humaines (civiles et militaires) de la radioactivité. Pierre, et surtout Marie Curie, puis Irène, et surtout Frédéric Joliot-Curie, ne sont pas restés enfermés dans leurs laboratoires. Ils n’ont jamais hésité à prendre parti dans les grandes questions de leur temps et ont cherché à promouvoir l’égalité hommes/femmes dans un milieu scientifique particulièrement fermé et misogyne, comme dans l’ensemble de la société. Pierre et Marie ont été des dreyfusards notoires ; Marie s’est engagée pendant la guerre de 1914-1918 ; Irène a participé au premier gouvernement de Front populaire ; Frédéric, proche du mouvement communiste par pacifisme, a pris parti avant et après 1939-1945, au détriment de sa carrière. La découverte de la radioactivité a débouché sur de nombreuses applications pratiques. Certaines sont très connues, comme l’arme nucléaire ou les centrales nucléaires civiles. À des échelles bien moindres, la mesure de minuscules doses radioactives permet d’établir des mesures de temps pour les sciences des temps reculés (géologie, archéologie, paléontologie, préhistoire). D’un point de vue pratique, les populations des pays développées utilisent la radioactivité dans les actes médicaux de diagnostic et de traitement du cancer. La science et l’innovation Il n’est pas inutile de rappeler que le célèbre photographe Robert Doisneau (1912-1994) a commencé sa carrière comme photographe industriel aux usines Renault de BoulogneBillancourt. En photographiant ainsi ce gigantesque générateur d’impulsion dans le laboratoire de Frédéric et Irène Joliot-Curie, 112 ouvrent la voie à des retombées médicales dès les premières années du XXe siècle. Les travaux des Joliot-Curie ouvrent des perspectives à la recherche dans le domaine nucléaire militaire (arme atomique) et civil. – Investissement de Marie Curie et de sa fille dans des équipes médicales présentes sur le front pendant la Première guerre mondiale ; implication des époux Joliot-Curie dans la lutte antifasciste et pacifiste dans l’entre-deux-guerres. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Frédéric Joliot-Curie s’engage activement dans la Résistance et après la guerre, en accord avec ses opinions pacifistes, il participe au mouvement international pour la paix et pour l’élimination des armes atomiques. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : il nous livre son témoignage sur le progrès technologique. Il rend, tout d’abord, hommage à l’innovation, fruit de la recherche et de l’investissement financier. Puis, il met en valeur la place présente et future de l’électricité qui conditionne le développement industriel comme l’équipement ménager. Enfin, la prise de vue en plongée renvoie à la fois aux prouesses de l’oeuvre humaine, mais aussi au risque potentiel de déshumanisation. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 113 HC – Darwin Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : 1859 L’ORIGINE DES ESPECES DE CHARLES DARWIN Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Patrick TORT, Darwin et le darwinisme, Paris, PUF, 2007, coll. : « Que sais-je ? ». P. TORT (éd.), Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, Paris, Presses Universitaires de France, 1996. P. TORT, Darwin et la science de l’évolution, Paris, Gallimard, 2000, coll. : « Découvertes Gallimard ». P. TORT, L’effet Darwin : sélection naturelle et naissance de la civilisation, Paris, Seuil, 2008. P. BOWLER, Darwin, Paris, Flammarion, 1985. J. GAYON, Darwin et l’après Darwin : une histoire de l’hypothèse de la sélection naturelle, Paris, Kimé, 1991. Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : L'Origine des espèces, de Charles Darwin (1809-1882) 1859 Charles Robert Darwin est né dans le Shropshire (Angleterre) le 12 février 1809 et mort le 19 avril 1882 dans sa maison de Downe. Son père, Robert Darwin, était lui-même le fils d’Erasmus Darwin, médecin, naturaliste et homme de lettres souvent cité pour avoir soutenu dès 1796 que les espèces vivantes se transforment et dérivent les unes des autres. Après deux ans d’études de médecine à Édimbourg, Darwin renonce, ne supportant pas la vue du sang. Son père l’envoie alors à Cambridge en vue de devenir pasteur. Ce sont cependant les plantes et les animaux qui intéressent le jeune homme. En 1831, il s’embarque sur le Beagle, navire d’exploration sur lequel il voyagera pendant cinq ans, en qualité non de naturaliste officiel du Beagle, mais de gentleman de compagnie de Fitz Roy, propriétaire et capitaine du bateau. Les observations géologiques et biologiques du jeune Darwin le rendront cependant vite célèbre, d’un point de vue scientifique aussi bien que littéraire : le journal de voyage du Beagle (1845) est vite devenu un classique. De retour en Angleterre, Darwin griffonne les fameux carnets de notes qui, de 1836 à 1844, esquissent la majorité des sujets qui feront sa célébrité. On y observe en particulier la genèse de l’hypothèse de sélection naturelle. En 1842 et 1844, la théorie de la modification des espèces par sélection naturelle est assez élaborée pour donner lieu à deux essais de respectivement 35 et 240 pages. Darwin attendra cependant 1859 pour rendre publique sa théorie dans L’Origine des espèces. Le succès du livre sera immédiat : les 1 250 exemplaires de la première édition furent vendus le jour même de la sortie de l’ouvrage. Le mérite de ce texte réside dans l’ampleur de l’argumentation qui y est déployée. Darwin examine d’abord les faits qui militent en faveur de l’existence de la sélection naturelle (variation des espèces à l’état domestique et sauvage, analogie avec la sélection artificielle, hérédité), puis il montre que cette hypothèse explique mieux que toute autre des classes de faits indépendantes : adaptations morphologiques et instinctuelles, distribution géographique des espèces, allure de la documentation fossile, divergence et extinction des espèces, caractères rudimentaires, classification, etc. La sélection naturelle est ainsi une hypothèse dont la valeur est d’unifier et expliquer, à la manière dont l’hypothèse de gravitation universelle de Newton unifiait et expliquait de vastes ensembles de faits physiques. Darwin n’a jamais caché son ambition d’être le Newton de la biologie. Et c’est bien ainsi que L’Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie paraît en 1859. Dans les dix années qui suivent, cet ouvrage, traduit en seize langues, connaît un retentissement international qui popularise le naturaliste anglais Charles Darwin (1809-1882) et ses thèses évolutionnistes. La théorie de l’évolution démontre que tous les êtres vivants sont susceptibles de variations individuelles accidentelles liées aux conditions extérieures dans lesquelles ils sont placés. Certains individus présentent des variations qui les avantagent et qu’ils vont transmettre à leur descendance. C’est la sélection naturelle. Bien que Darwin ne mentionne pas directement l’origine de l’espèce humaine dans son oeuvre, le débat a rapidement porté sur cet aspect après la publication de son livre. Darwin est ainsi l’un des premiers scientifiques à faire l’objet de caricatures et de satires sur les supports les plus variés. Détracteurs et partisans de la théorie de l’évolution représentent Darwin sous les traits d’un primate, en particulier un orang-outan, et ce d’autant plus aisément que l’apparence du grand savant se prête à cet exercice. Cette caricature, représente Charles Darwin (1809-1882) sous les traits d’un singe accroché à « l’arbre de la science », ironisant ainsi sur les théories évolutionnistes du célèbre biologiste, qui affirmaient que 114 l’Angleterre lui rendit hommage à sa mort. Il est enterré à Westminster Abbey aux côtés de Newton. Si l’évolution par sélection naturelle est le premier titre de gloire de Darwin, l’inventivité de ce savant fut prodigieuse. Des récifs coralliens aux cirripèdes, aux orchidées, aux plantes grimpantes, aux plantes insectivores et aux vers de terre, il a été à l’origine de nombreux secteurs de l’histoire naturelle moderne. On lui doit aussi des contributions capitales au sujet de l’homme : le livre La Filiation de l’homme (1871) a constitué la première grande tentative pour expliquer la genèse des facultés intellectuelles et morales sur la base de la sélection naturelle. L’ouvrage sur L’Expression des émotions chez les animaux et chez l’homme, quoiqu’il ait beaucoup vieilli, a été une référence pour l’éthologie moderne. Enfin le court article « A biographical sketch of an infant » (1877), étude réalisée par Darwin sur l’un de ses dix enfants, est traditionnellement vu comme le point de départ de la psychologie du développement. Bien que Darwin ait mené une vie recluse après 1836, il ne fut point un savant isolé. Sa vision de l’évolution n’est pas sortie de rien. Elle a été longuement préparée par de nombreux savants depuis la fin du XVIIIe siècle (notamment Lamarck). L’apport propre de Darwin a été de transformer en paradigme de travail une multitude d’intuitions et d’observations. Par ailleurs, bien qu’il fût assez fortuné pour ne pas avoir à travailler, Darwin a mobilisé tout au long de sa vie une quantité prodigieuse de correspondants qui lui ont apporté une masse d’observations, et avec lesquels il n’a cessé de dialoguer, comme en témoigne une correspondance d’environ 14 000 lettres (cette correspondance fait d’ailleurs de Darwin le savant dont la biographie est sans doute la mieux connue). Darwin est sans doute avec Shakespeare et Newton le personnage le plus admiré des Anglais. Quant à sa popularité dans le monde, elle tient à ce que le genre de science qu’il a pratiquée a eu des effets considérables sur la philosophie et sur la religion. En conclusion, on ne manquera pas de souligner une remarquable coïncidence chronologique : 2009 est le bicentenaire de la naissance de Darwin, mais aussi le bicentenaire de la publication de la Philosophie zoologique de Lamarck, et le cent cinquantième anniversaire de L’Origine des espèces. l’homme « descendait du singe ». Cette illustration paraît dans le journal satirique populaire La Petite Lune (fondé en 1878 par André Gil) alors que l’ouvrage-phare de Darwin L’origine des espèces par la sélection naturelle, qui a provoqué une levée de boucliers lors de sa parution, est paru depuis déjà une vingtaine d’années (1859) et que le biologiste consacre alors la fin de sa vie à de tout autres travaux. Elle souligne donc l’impact considérable des théories darwiniennes sur la société de la fin du XIXe siècle et leur remise en cause persistante, alors même que les travaux du biologiste bénéficient à l’époque de la reconnaissance scientifique de ses pairs. Si le savant britannique n’a pas été le premier à évoquer l’évolution des espèces, il a décrit avec précision et rigueur son mécanisme biologique, la sélection naturelle, donnant ainsi un support scientifique plus solide à cette thèse. Il s’attire alors les foudres de l’Église et des tenants de la version biblique de la création du monde qui y voient une remise en cause des préceptes du dogme chrétien. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : Punch, journal satirique fondé à Londres en juillet 1841, illustre ici les controverses suscitées par la publication de L’Origine des espèces (1859). Darwin y développe la première théorie cohérente sur l’évolution s’effectuant par la sélection naturelle d’individus. La thèse de Darwin fait l’objet d’un profond rejet notamment dans les milieux religieux. En 1872, le théologien Charles Hodge accuse Darwin de nier l’existence de Dieu en définissant l’homme comme le résultat d’un processus naturel et non d’une création. 115 HC – Les grandes innovations scientifiques et technologiques Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Chast François, Histoire contemporaine des médicaments, coll. « Poche », La Découverte, 2002 (chap. 5). Ressources http://nobelprize.org (documentation sur Fleming, Chain et Florey). www.snv.jussieu.fr/vie/dossiers/penicilline/penicilline.htm Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 3e futur : « Des évolutions scientifiques et technologiques majeures depuis 1914. L’étude est conduite à partir de l’exemple de la médecine pour faire apparaître l’accélération des transformations scientifiques et technologiques. Décrire l’évolution d’un aspect de la médecine et expliquer son impact sur les sociétés » l s’agit de montrer le rôle de la mobilisation en temps de guerre dans l’accélération de la recherche fondamentale et dans l’exploitation des résultats de cette recherche par une industrie qui s’appuie sur cette dernière pour prendre une dimension mondiale. Problématiques – Comment la pénicilline a-t-elle été « découverte » et en quoi est-elle une nouveauté ? Il s’agit de réfléchir à la notion de découverte : Fleming, qui « tombe » sur la pénicilline par hasard, mérite-il davantage de reconnaissance publique que « l’équipe d’Oxford » qui met patiemment au point l’exploitation thérapeutique de la molécule ? – Comment la Seconde Guerre mondiale a-t-elle mis en avant le médicament ? Les investissements colossaux nécessaires à la production de pénicilline ne sont possibles que grâce à la collaboration entre l’État et l’industrie ; ce rapprochement est le produit de la situation de guerre. – Comment la pénicilline a-t-elle transformé le rapport des sociétés développées à la santé ? La pénicilline, suivie de tous les autres antibiotiques, rend anodines la plupart des infections bactériennes qui rendaient précaire la vie de l’espèce humaine. Vivre longtemps n’est plus une anomalie ; mourir jeune devient un scandale. Rechercher les biographies de Chain et Florey, les deux responsables de « l’équipe d’Oxford ». Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Accompagnement 1ère ST2S : « La mise au point de la pénicilline a bouleversé la science médicale, mais il a fallu attendre plus de soixante-dix ans entre les premières découvertes et la mise sur le marché d’un médicament efficace. Cet exemple permet de comprendre la complexité des synergies qui entrent en jeu dans le passage de l’invention à l’innovation. « Contrairement aux sulfamides, dont l’avènement fut une réalité scientifiquement construite à partir de l’action de certains colorants sur certaines bactéries, la pénicilline fut, certes, entrevue par les deux générations médicales qui la précédèrent, mais son avènement semble bien avoir été le fruit d’un heureux hasard » (F. Chast). L’antagonisme entre moisissures et bactéries est en effet observé à plusieurs reprises : dans les années 1870 en Angleterre, en 1897 à Lyon par Duchesne du service de santé des armées, en Italie par Gosio… puis par Fleming, La pénicilline est découverte par hasard, du fait de l’infection par une moisissure d’une culture bactérienne de laboratoire destinée à d’autres travaux. Il s’agit d’une substance produite par une famille de moisissures pour se protéger des bactéries. Isolée en culture, elle permet de mettre au point un traitement interne contre les bactéries (dans le corps du patient), alors que jusqu’à présent les seuls traitements étaient externes (asepsie du milieu). Fleming passera à la postérité, alors que des travaux précédents existaient et qu’une autre équipe développa le médicament BO 1ère ST2S : « La pénicilline : du laboratoire à la société, naissance d’un médicament L’étude de la découverte de ce médicament célèbre depuis les premières observations scientifiques en 1870 jusqu’à son application thérapeutique au cours de la Seconde Guerre mondiale permet de montrer le fonctionnement de la recherche pharmaceutique : travail en laboratoire, mobilité des scientifiques, rôle de l’état et des industriels. » 116 bactériologiste au St Mary’s Hospital de Londres, qui découvre la pénicilline en 1928, mais n’en mesure pas toute la portée et abandonne ses recherches en 1932. F. Chast y voit la preuve a contrario de la nécessité d’une recherche pluridisciplinaire et de la complémentarité des équipes, alors moins avancée au Royaume-Uni qu’en Allemagne ou en France (Institut Pasteur). Quelques années plus tard une équipe d’Oxford, formée autour d’Ernest Chain, biochimiste chassé d’Allemagne par le nazisme, d’Howard Florey, pathologiste né en Australie, de Norman Heatley entre autres, réussit à isoler la pénicilline, dont Florey a compris l’importance thérapeutique, et à fabriquer ainsi le premier antibiotique en 1940. La découverte est donc britannique. Mais l’innovation fut américaine. Restait, en effet, le délicat problème de la production industrielle ; Florey et Chain ne réussissent pas à intéresser l’industrie pharmaceutique britannique et tentent leur chance aux États-Unis. En 1944, Pfizer, Merck, Squibb commencent à produire des médicaments en grande quantité, avec le soutien de l’État et de l’armée pour lesquels la pénicilline est une priorité stratégique. Fleming, Chain et Florey, qui ne constituent pas une « équipe » et n’ont jamais travaillé ensemble, reçoivent le Prix Nobel de médecine et de physiologie en 1945. Rapidement mise sur le marché, la pénicilline fait reculer les maladies infectieuses et progresser d’autant l’espérance de vie. Les firmes détentrices des brevets s’imposent dans le secteur des biotechnologies. » – La recherche médicale en laboratoire joue un rôle central. Les effets antibactériens de la moisissure du Penicillium sont connus dès la deuxième moitié du XIXe siècle grâce aux travaux de divers médecins européens, bien que la découverte de la pénicilline soit généralement attribuée à Alexander Fleming, en 1928. Les travaux sur le médicament sont poursuivis par Ernst Chain et Howard Florey, qui prouvent définitivement l’efficacité thérapeutique de la pénicilline, mais ne parviennent pas à produire des quantités suffisamment importantes du produit. – Florey tente en 1941 de convaincre le gouvernement américain de l’utilité de ce nouveau médicament, afin d’encourager les industries à le fabriquer en grandes quantités. Cependant, c’est un événement extérieur qui va attirer l’attention des entreprises pharmaceutiques sur le produit (traitement efficace des brûlés d’un night-club à Boston en 1942). Dès lors, elles commencent à se lancer dans une production industrielle du médicament. – Cette dernière est encouragée par le contexte de la Seconde Guerre mondiale dans laquelle les États-Unis sont entrés le 7 décembre 1941. L’usage de la pénicilline est d’abord réservé aux soldats américains blessés sur le front du Pacifique puis en Europe. Elle passe alors auprès du grand public pour un « médicament miracle », qui sauve la vie de nombreux soldats. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : en tant que tel. Fleming ne peut surmonter les difficultés techniques apparues pour isoler la pénicilline de sa moisissure productrice. « L’équipe d’Oxford » met au point ces procédés, mais elle n’a pas les moyens financiers pour lancer une production à grande échelle. Finalement, les besoins sanitaires de l’armée américaine ont convaincu le gouvernement des ÉtatsUnis de commander aux industriels des quantités suffisantes pour amortir les investissements. Distribuée dès 1943 et massivement utilisée à partir de 1944, la pénicilline permet de sauver des dizaines de milliers de vies de soldats américains et devient dans l’opinion le « médicament miracle ». La pénicilline et les antibiotiques qui ont suivi ont rendu bénignes des infections souvent mortelles il y a seulement deux ou trois générations. Les sociétés des pays riches ont oublié la proximité de la mort et ont développé le culte du corps, un corps sain et jeune longtemps et pour tous. Puissante, innovatrice et en forte croissance, l’industrie du médicament occupe une place importante dans l’activité économique et dans l’orientation des choix sanitaires. Ce n’est que dernièrement que l’omniprésence de la médication a entraîné une prise de conscience des coûts et un regard critique sur le mode de vie généré. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 117 HC – La colonisation et le système colonial (1850-1939) Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Pervillé Guy, De l’Empire français à la décolonisation, Hachette Éducation, 1991, coll. «Carré histoire», 256 p. Histoire de la France coloniale, 3 tomes, A. Colin, 1991. Existe aussi en poche, coll. « Agora-Pocket ». Une très bonne synthèse, signée Jean Meyer, Jacques Thobie, Catherine Coquery-Vidrovitch et Charles-R. Ageron. Hugon (A.), L’Afrique des explorateurs, coll. « Découvertes » Gallimard, 1991 D. Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2006. F. 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Dès 1946, un des plus prestigieux acteurs de la colonisation, Jawaharlal Nehru s'attachait dans La Découverte de l'Inde (édition en langue française, Ph. Picquier, ed Arles, 2002) à décrire l'histoire de son pays, son passé culturel, social et politique; il dénonçait « l'histoire presque toujours écrite par les vainqueurs et les conquérants dont elle expose les points de vue. » La monumentale histoire de l'Afrique publiée par l'UNESCO, malgré bien des points controversés, a elle aussi le mérite de donner la parole aux historiens africains et de montrer qu'existaient avant la colonisation des États, des cultures, des sociétés qui ne se réduisent pas au folklore de peuples immatures. Les ouvrages d'H. Brunschwig, de C. CoqueryVidovitch et d'E. M'Bokolo ont eux aussi contribué à porter un regard d'historien sur ce continent longtemps abandonné aux explorateurs et aux anthropologues. Par ailleurs, la description de l'héroïque mission civilisatrice ou la dénonciation des égoïstes appétits européens ont cédé la place à une vision plus complexe et plus nuancée. H. Brunschwig puis Jacques Marseille ont montré que les analyses marxistes dans la lignée de « l'impérialisme, stade suprême du capitalisme » de Lénine, concluant à un enrichissement sans mesure des métropoles par l'exploitation coloniale devaient être remises en cause. Déjà en 1945, H. Brunschwig écrivait « dans son ensemble, sur le plan financier, la colonisation ne fut pas payante. Beaucoup moins sans doute que les investissements capitalistes dans les pays colonisés ». Dans le sillage de Raymond Aron, on a aussi montré que l'impulsion proprement politique semble plus forte que les motivations économiques » et que le mouvement colonial s'inscrit dans ce que René Girault appelle le « nationalisme de puissance ». Des ouvrages récents comme celui de Jacques Fremeaux (Maisonneuve et Larose, Paris, 2002) tentent quant à eux d'inscrire « les empires coloniaux dans le processus de mondialisation. » D'une manière générale, comme le souligne Pierre Guillaume, on a dépassé le stade de l'hagiographie mais aussi celui de l'imprécation ou du mea culpa. Accompagnement 1ere : « La constitution d’empires coloniaux permet aux métropoles d’étendre leur domination sur d’immenses territoires continentaux et maritimes. C’est par exemple un des éléments-clés de la puissance et de l’influence britanniques. Cette ère coloniale s’ouvre au XIXe siècle par une période de gestation, durant laquelle la conquête politique d’État n’est pas à l’ordre du jour, si l’on excepte l’Algérie. À partir des années 1870, commence le temps des occupations et des partages – qui s’achèvent en 1919 –, où le facteur géopolitique et l’affrontement des nationalismes jouent un rôle important. La pénétration européenne engendre des résistances armées de la part des populations, de chefs d’État, comme Samory Touré dans l’Ouest africain, ou des deux unis (guerres zouloues ou opposition annamite à la conquête des années 1880). Malgré une pacification d’ensemble acquise avant 1914, cette résistance ne cesse jamais, comme le montre la guerre du Rif. La période gestionnaire des empires, désormais stabilisés, s’ouvre après la première guerre mondiale. La diversité des modes d’administration, de mise en valeur et d’exploitation économique est grande ; seule une démarche typologique permet d’en rendre compte. Durant les années 1930, le nationalisme se manifeste dans plusieurs 119 Il s’agit d’analyser et de comparer les méthodes de conquête, d’administration et de mise en valeur des territoires, les pratiques des colons, des missionnaires et des médecins, les réactions indigènes à la domination coloniale, la nature des relations avec la métropole, etc. Il s’agit aussi de comprendre à la fois les ressorts de cette expansion, l’idéologie qui l’accompagne et la légitime et les résistances qu’elle a suscitées. Le temps des plaidoyers est révolu, comme celui des imprécations qui l’a relayé dans les années de la décolonisation. Les recherches actuelles sont le fait d’historiens, de géographes, de sociologues ou d’anthropologues et portent à la fois sur les transformations des sociétés comme sur la culture coloniale. Les premières émanent le plus souvent de chercheurs formés dans les jeunes nations émancipées, même si, autour de Catherine Coquery-Vidrovitch s’est formée une école de jeunes historiens, comme Odile Goerg, sensibles aux dynamiques des sociétés, au rôle des nouveaux acteurs sociaux (femmes, citadins…), aux multiples formes de métissage, etc. Ces travaux qui refusent l’européocentrisme traditionnel, portent souvent un regard très critique sur l’héritage de l’anthropologie coloniale, oeuvres d’administrateurs se proclamant « africanistes », ou sur les travaux des spécialistes de la géographie dite « tropicale » ou « d’outre-mer ». D’autres études privilégient l’imaginaire colonial, sondant les profondeurs de l’imprégnation populaire qui, entre vanité de la nation conquérante et fascination exotique, fait de la culture coloniale une des manifestations de la conscience collective des « sociétés impériales », selon la formule de Christophe Charle. On retiendra en particulier les travaux de l’équipe dirigée par Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire portant sur les multiples facettes de la célébration de l’oeuvre coloniale, que relaient l’école, mais aussi les exhibitions ethnologiques (les « zoos humains » redécouverts à la suite d’un colloque récent), le discours « scientifique », la chanson, la littérature, le cinéma ou la publicité. La domination du monde s’exprime aussi à travers cette colonisation de l’imaginaire dont les traces sont encore visibles aujourd’hui dans notre mémoire collective. Enfin, il paraît impossible d’aborder cette question sans prendre en considération les débats récents autour du devoir de mémoire, du droit d’inventaire et de la « repentance ». Ce sont des questions délicates qui doivent être traitées avec le sens des nuances. La colonisation a été une page ambiguë de notre histoire, processus incontestablement destructeur dans les sociétés du Sud, mais qui a aussi donné naissance, dans les ex-métropoles, à des sociétés métisses où la pluralité sera d’autant mieux acceptée qu’on fera retour à l’histoire… Nous n’avons pas insisté sur le lien entre rivalités coloniales et Première Guerre mondiale, parce qu’il apparaît nettement secondaire ; en revanche, la relation réciproque, entre Première Guerre mondiale et contestation de la colonisation, est beaucoup plus avérée. Un bâtiment : le CNHI Le «Musée permanent des colonies » avec son aquarium tropical fut construit en 1931, sur les plans des architectes Léon Jaussely et Albert Laprade, dans le cadre de l’Exposition coloniale internationale. En 1960, il devint, sur décision d’André Malraux, le musée des Arts africains et océaniens (musée de la porte Dorée). L’édifice bénéficia des créations des meilleurs représentants de l’Art Déco. La Salle des Fêtes est ornée de fresques monumentales du peintre Pierre Ducos de La Haille. Sur les murs, une immense fresque développe sur plus de 600 m2 l’apologie des vertus morales et politiques de la colonisation française. Dans un ensemble où la propagande le dispute à la naïveté, la France apporte la lumière au monde, proclame la liberté et l’égalité, libère en 1848 les Noirs des chaînes de l’esclavage et reçoit en retour ses richesses… Le musée permanent des Colonies a été construit en 1931 dans le cadre de l’exposition coloniale internationale, le seul bâtiment conçu pour survivre à l’exposition. Il a été édifié par l’architecte Albert Laprade dans le but de propager l’oeuvre coloniale auprès du grand public, grâce à son architecture et à son programme iconographique et muséologique. Le sculpteur Alfred Janniot a habillé la façade d’un bas-relief de 1 100 m2 représentant les colonies apportant leurs richesses à la métropole. La salle centrale (salle des fêtes) du musée est conçue par Laprade pour recevoir les fastes des réceptions qui ponctuent l’exposition coloniale. Elle constitue le coeur autour duquel sont distribuées les galeries d’exposition. C’est là que sur plus de 600 m2, Georges Ducos de la Haille et ses élèves de l’École des Beaux-arts ont peint une grande fresque, colonies (des campagnes de désobéissance civile impulsées par Gandhi à l’action de partis politiques, tel celui de Soekarno en Indonésie), sans que les métropoles lui apportent des réponses crédibles. Si une mise en cause des empires coloniaux est donc perceptible avant la deuxième guerre mondiale, elle ne sera massive qu’après le conflit et n’est donc pas au centre de cette étude. L’impact du monde dominé sur les cultures européennes est partie intégrante de cette étude. Il est multiple et évolutif, comme le montre l’exemple de la France. L’opinion publique n’a pas la fibre coloniale jusqu’à l’entre-deux-guerres, sans être indifférente aux spectacles «exotiques», aux retombées économiques potentielles, à la gloire militaire ou à la mission civilisatrice de la France ; durant les années 1930, l’«oeuvre coloniale» est au contraire intégrée, ce que symbolise l’apogée de l’exposition de 1931. Face à l’action du lobby colonial, des oppositions existent tout au long, depuis ceux qui contestent l’intérêt de la colonisation jusqu’aux minoritaires qui dénoncent l’exploitation des indigènes. L’image de l’autre évolue : ainsi, des artistes et des écrivains sont-ils fascinés par l’art africain au début du XXe siècle, favorisant la reconnaissance de la pluralité des civilisations. » BO 4è actuel : « Le partage du monde (2 à 3 heures) La comparaison de cartes du monde en 1815 et en 1914 permet de mettre en évidence le phénomène colonial, sans entrer dans les détails chronologiques mais en évoquant les multiples raisons qui rendent compte de l’expansion mondiale des puissances industrielles, les formes diverses de cette expansion et les tensions internationales qu’elle suscite. • Cartes : les empires coloniaux en 1914. » BO 4e futur : « LES COLONIES Les conquêtes coloniales assoient la domination européenne. Les colonies constituent, dès lors, un monde dominé confronté à la modernité européenne. Étude : - d’un exemple au choix de conquête coloniale, et − d’un exemple au choix de société coloniale. Connaître et utiliser le repère suivant : les principales colonies britanniques et françaises en 1914 Décrire et expliquer quelques unes des modifications introduites par l’arrivée des Européens dans un territoire colonisé ». 120 parfait produit de l’idéologie coloniale d’alors. Les représentations se répondent de façon symétrique et produisent un discours allégorique qui présente la France comme une nation coloniale dispensatrice de bienfaits. Le bas-relief de la façade consacré aux apports matériels des colonies à la France a pour pendant, sur la fresque, les apports moraux et politiques de la métropole à son Empire ainsi que les grandes découvertes européennes : la paix, le travail, la justice, la liberté, l’art, la science, le commerce, l’industrie. Sur le mur du fond figure l’hommage de la France aux cinq continents. On aperçoit au centre la France pacificatrice, une colombe dans la main gauche, vêtue de blanc et drapée d’un manteau rouge doublé d’hermine. Elle donne la main à la figure de l’Europe. Les quatre autres continents sont symbolisés par des femmes, pourvues d’attributs permettant de les identifier. L’Afrique apparaît sous les traits d’une femme de peau noire, coiffée de plumes blanches, entourée de femmes portant sur leur tête un tas de victuailles et l’éventant à l’aide de grandes feuilles de palme. Elle regarde vers l ‘Asie incarnée par une danseuse indianisante, à plusieurs bras, chargée de références religieuses. Comme l’Afrique, elle est assise sur un éléphant. Autour de l’Asie, des porteurs d’offrandes forment un cortège majestueux. L’Océanie, incarnée par une vahiné drapée d’un simple paréo brodé, est allongée sur un cheval marin blanc, dans une posture lascive. Elle fait pendant à l’Amérique, présentée sous les traits d’une femme d’allure moderne aux cheveux courts qui désigne les États-Unis, tenant la maquette d’un gratte-ciel entre ses mains. Ces six figures féminines sont reliées par un décor végétal riche, un peu traité à la manière d’une tapisserie. En son centre, à l’arrière-plan, la trouée bleue est en partie occupée par les bateaux européens dont on aperçoit les voiles blanches. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 121 HC – Femmes et colonisations Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Pourquoi peut-on dire que les femmes en situation coloniale (et post coloniale) ont été doublement négligées : comme sujets de l’histoire par les colonisateurs puis comme sujets d’étude par les historiens ? Quel impact a la colonisation sur le système de genre, défini à la fois comme un ensemble de rôles sociaux sexués et un système de représentations définissant culturellement le masculin et le féminin ? A-t-elle fait bouger les identités de genre ? Sources et muséographie : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Ouvrages généraux : Histoire des femmes en situation coloniale. Afrique et Asie, XXe siècle, sous la direction d’Anne Hugon, éditions Karthala, 2004. Femmes d’Afrique dans une société en mutation, sous la direction de Philippe Denis et Caroline Sappia, collection « espace Afrique », Academia Bruylant, 2004. Des hommes et des femmes en guerre d’Algérie, sous la direction de Jean-Charles Jauffret, éditions autrement, 2003. Yvonne Knibiehler et Régine Goutalier, La femme au temps des colonies, 1985 A. Ruscio, Amours coloniales. Aventures et fantasmes exotiques de Claire de Duras à Georges Simenon, recueil de textes, Complexe, Bruxelles 199 C. Coquery-Vidrovitch, Les Africaines. Histoire des femmes d’Afrique noire du XIXe au XXe siècle, Desjonquières, 1994. Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Pendant longtemps la recherche francophone a fait preuve d’une totale cécité à l’égard de l’histoire des femmes et du genre pendant la période coloniale et post coloniale. Le fait colonial étant une affaire d’hommes, on en a oublié qu’il ne s’exerçait pas que sur des hommes, et que, dans leur entreprise, les Européens avaient aussi souvent entraîné des femmes et colonisé des hommes et des femmes. L’histoire des femmes en période coloniale n’en est qu’à ses débuts. Cependant depuis une vingtaine d’années, un certain nombre de travaux a privilégié une approche genrée du phénomène : En 1985, pionnières en la matière, Yvonne Knibiehler et Régine Goutalier proposaient « La femme au temps des colonies. » Dans les années qui ont suivi, des travaux de recherche ont été publiés sur les femmes cette fois, dans et autour de la guerre d’Algérie, rendant ainsi visibles, dans leur diversité, leur vie quotidienne. Ces recherches se sont intéressées aussi bien aux Européennes qu’aux femmes algériennes. Comme le feront quelques années plus tard Christelle Taraud ou Raphaëlle Branche à propos de la prostitution ou de la torture. Ces travaux cependant ne font pas une histoire genrée du passé colonial… La première synthèse en français, soulignant les effets néfastes de la colonisation sur les femmes, se trouve dans l’ouvrage collectif dirigé par Marc Ferro « Le livre noir du colonialisme ». En 1997 un numéro spécial de la revue Clio fait date « Femmes d’Afrique » suivi deux ans plus tard par « Femmes du Maghreb » Des travaux nombreux mais plus anglophones que francophones (un passé qui ne passe pas ?). Des travaux récents mais s’intéressant surtout à la période coloniale (problème d’accès aux sources ?) et plus particulièrement à la seconde colonisation. Donc un bilan historiographique en demi-teinte, avec des domaines entiers encore pratiquement vierges comme la participation des femmes aux processus d’indépendance, les effets des indépendances sur les femmes… Arlette Gautier cite l’exemple de l’aventure d’Anna Leonowen, gouvernante du roi du Siam vers 1860 et porté à l’écran à trois reprises : 1946, 1956 et 1999. Elle remarque qu’entre les trois versions, les représentations des acteurs masculins ont changé (en mieux puisqu’ils ne sont plus présentés comme des « primitifs ») alors que celles des personnages féminins (européenne ou siamoises) sont restées proches des clichés (gouvernante très « british » et siamoises asservies). Arlette Gautier voit un parallèle entre les évolutions cinématographiques et celles de l’historiographie : si la colonisation est un phénomène bien étudié, on ne peut pas en dire autant de celui des femmes colonisées. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Il est difficile de traiter de façon exhaustive la question, du fait de la multiplicité Comment rendre réelle cette histoire pour nos 122 dans le temps et dans l’espace des styles de colonisation et des sociétés colonisées. Aussi faisons nous le choix de nous intéresser plus particulièrement aux thèmes pouvant trouver un écho dans nos classes, du cycle 3 à la terminale c’est-à-dire : I. L’impact de la colonisation sur les femmes colonisées II. Les images des femmes colonisées véhiculées par les affiches I. Quel impact a eu la colonisation sur les femmes ? La problématique du progrès était-elle censée s’adresser aussi aux femmes ? La colonisation a-t-elle été pour elles civilisatrice voire émancipatrice ou au contraire conservatrice, régressive, déstabilisante ? Premier facteur potentiel de changement : l’éducation L’éducation, mission souvent avancée pour légitimer le fait colonial, ne semble avoir guère touché les filles et a même creusé les écarts entre filles et garçons. D’après l’UNESCO, en 1950 le pourcentage d’enfants scolarisés dans le primaire est de 10% dans les colonies françaises. En Algérie sur ces 10% seulement 1/3 sont des filles. En AOF, en 1908, on compte une fille pour 11 garçons scolarisés, en 1938 une fille pour 9 garçons, en 1954 une fille pour 5 garçons. Ces différences sont, en grande partie, du fait de l’administration coloniale qui a des réticences à ouvrir l’enseignement aux filles. Un décret français de 1887 prévoit pourtant l’ouverture des écoles aux musulmanes mais sans obligation. La scolarisation aggrave également les écarts sociaux puisqu’elle pénètre en premier chez les notables. De plus, elle pose paradoxalement le problème de l’avenir des filles éduquées. Quel mari pour ces filles trop savantes ? Par ailleurs quel modèle de féminité est proposé à travers les programmes de ces enseignements ? Cet enseignement est avant tout idéologique et dispense les valeurs de la bourgeoisie européenne en proposant des cours de morale, de couture, de cuisine et de santé. Son objectif est de transformer les Africaines en mères compétentes et épouses vertueuses. Le cas de l’école des fiancées du Cameroun est à ce titre intéressant. On y prépare alors dans ses murs de futures épouses sachant fabriquer des vêtements décents cachant leur nudité et sachant tenir leur foyer. Un enseignement essentiellement domestique donc ! On ne peut évoquer l’enseignement dans les colonies sans parler du rôle essentiel qu’ont joué très tôt les missionnaires dans ce domaine. Rebecca Rogers n’hésite pas à parler à leur propos « d’échec de la mission civilisatrice » car, dit-elle, si le discours se veut émancipateur en se proposant d’améliorer le statut des femmes grâce à l’instruction et au mariage monogame, il renforce en fait la domestication et la dépendance économiques des femmes (on retrouve fréquemment des anciennes élèves domestiques chez des Européennes !). Parfois, d’ailleurs, certaines familles s’opposent à ces programmes ainsi que le note le missionnaire responsable de l’institution St Agnès à Johannesburg : « Les indigènes ont du mal à accepter le travail industriel pour leurs filles. Leur seule vision de l’éducation est un savoir livresque, et beaucoup de filles sont parties parce qu’elles n’aimaient pas faire le lavage, le ménage, etc. en plus du travail scolaire. Avec le temps, j’imagine qu’ils comprendront que, pour les femmes, d’autres formes d’éducation sont tout aussi importantes, sinon plus importantes que le savoir scolaire ! ». Yvonne Knibiehler et Régine Goutalier s’interrogeaient sur l’émergence de nouvelles élites par les effets de cette scolarisation. La réponse est encore aujourd’hui difficile à apporter. Ainsi, éduquer les filles s’est inscrit dans une préoccupation très européenne d’opérer des transformations sociales à travers la formation de bonnes épouses et mères de famille. Il y a donc eu contradiction totale entre les objectifs affichés et les pratiques. Autre facteur de changement : le salariat La pénétration de l’économie moderne a transformé la répartition sexuelle des tâches et introduit de nouveaux rapports entre les genres. L’exemple de l’Afrique noire, cité par Arlette Gautier, est explicite. Avant la colonisation, les femmes travaillaient la terre et avaient ainsi une certaine autonomie financière en gardant les bénéfices. Cependant cela ne convenait pas aux colonisateurs. Ainsi un administrateur britannique note : « Les hommes et les femmes ne sont pas encore suffisamment différenciés en Birmanie. C’est la marque d’une jeune race, comme l’ont montré les anthropologues (…). Les femmes doivent perdre leur liberté dans élèves ? Les sources sont nombreuses puisque les femmes colonisées ont été un sujet de préoccupation pour les missionnaires, les administrateurs, les médecins, les juristes fournissant documents, enquêtes, analyses sur les femmes blanches colonisatrices ou les femmes indigènes. Mais difficilement accessibles au professeur d’histoire qui aurait la volonté de tenir compte des avancées de la recherche dans ses cours. Si l’on jette un rapide coup d’œil sur la documentation qu’un enseignant a à sa disposition, on ne peut être que perplexe. Dans le TDC n° 840 de septembre 2002 « la France face à la décolonisation », on trouve deux photos de femmes voilées (pages 3 et 21) mais le commentaire ne s’intéresse aucunement à elles. Dans le TDC n° 710 de février 1996 « l’Empire colonial à son apogée », on a des affiches (pages 10 et 12) mais le commentaire ignore l’avancée de la recherche sur le genre en présentant Joséphine Baker comme symbole de la Vénus noire ou en parlant de LA femme noire, asiatique… Le titre de l’article de Roger-Henri Guerrand « Les mirages de l’exotisme » dans le numéro spécial de L’Histoire d’avril 2001 pouvait laisser supposer une réflexion sur le discours colonial et le genre. Or il n’en est rien. Dans la même revue, sur les 22 pages du n° 292 de novembre 2004 affirmant « La guerre d’Algérie, ce qu’on savait vraiment », 4 lignes font allusion au témoignage de Louisette Ighilahriz, militante FLN torturée pendant la bataille d’Alger. Dans L’Histoire de décembre 2004, un article, cette fois, est consacré à une femme, Isabelle Eberhardt. Héroïne au destin exceptionnel, on ne peut que regretter que l’on ne s’intéresse pas plus à ses écrits sur les femmes arabes. Quant à la Documentation Photographique n°7042 sur la colonisation européenne, il faut visionner les diapositives pour enfin apercevoir une religieuse dans une classe. Comment dès lors s’étonner de l’absence des femmes dans les manuels scolaires traitant de cette question ? On se trouve donc devant un véritable chantier. Peut-on avec les programmes tels qu’ils existent reconstruire le passé colonial et post-colonial en intégrant des femmes afin d’enseigner une histoire mixte de cette période? Étude de cas sur le fait colonial en Algérie en classe de Première ES et L : Problématique : « Quels sont les rôles joués par la métropole, par les hommes et les femmes (colons et colonisés) dans la colonie ? ». Documents « rajoutés » : photographie d’un 123 l’intérêt de tous. ». C’est ce que Barbara Rogers appelle la « domestication des femmes ». On observe ainsi petit à petit une séparation nette des tâches entre l’homme et la femme, ce qui est pour les colonisateurs, influencés par le darwinisme social, signe de progrès social. Cependant le paysage est contrasté et, au fil du temps, le salariat s’est peu à peu féminisé tout en cantonnant les femmes dans les secteurs où elles ne concurrencent pas les hommes, les confinant dans des professions aux rôles sexuels, requérant des compétences que l’on juge naturelles chez elles : métiers de la santé et de l’enseignement. Dans ce nouveau partage, les hommes colonisés et en particulier les lettrés ont, semble-t-il, laissé faire scellant ainsi avec les colonisateurs une alliance pour le contrôle des femmes. Quel a été alors le discours des féministes ? Les féministes ont-elles été sensibles à la question coloniale et dans l’affirmative ont-elles réussi à développer une réflexion originale et des revendications spécifiques pour les femmes africaines ? C’est la question que se sont posé dans « Femmes d’Afrique », Catherine Jacques et Valérie Piette , en étudiant les féministes belges et la colonisation au Congo. Elles montrent que dès 1920 des liens étroits sont établis entre les féministes et les femmes coloniales afin de cerner les nouveaux débouchés qui s’offrent au travail féminin en particulier pour les universitaires et les médecins. Cependant, concernant l’émancipation des femmes indigènes, les féministes belges leur appliquent le modèle d’émancipation européen. Elles poursuivent dans l’entre-deux-guerres trois objectifs : montrer que l’Africaine est un être humain digne d’intérêt, que l’on doit la civiliser par l’éducation et la moraliser par le travail. Elles ne prennent alors aucune distance par rapport aux référents de la culture occidentale de l’époque et malgré elles font que leurs efforts confortent les visées des autorités coloniales. Ainsi, toutes et tous, administrateurs, missionnaires, féministes ont réalisé des efforts louables mais peu libérateurs pour les femmes colonisées. II. Images des femmes colonisées Force est de constater que le discours sur et autour des colonies est un discours profondément sexualisé. Depuis Marco Polo, cartes postales, romans, affiches participent à la construction d’un imaginaire colonial masculin dans lequel les femmes sont disponibles pour toutes les voluptés. Dans des métropoles très puritaines, seuls les corps colonisés peuvent s’exhiber pratiquement nus. Nicolas Bancel y voit un exutoire à la libido occidentale et Alloula Malek parle de l’invention d’un « harem colonial ». L’incarnation de ce fantasme est très certainement Joséphine Baker, transformée pour son public en bombe érotique africaine, n’hésitant pas à sortir de scène à quatre pattes comme une bonne sauvage !! (rappelons qu’elle était américaine). Une lecture psychanalytique du phénomène s’éloignerait trop de notre sujet, mais on ne peut s’empêcher de remarquer que les occidentaux projettent alors sur les colonisées l’image de ce qui les effraie et les fascine à la fois chez les femmes. Ainsi va-t-on dans les représentations, certes vêtir l’Africaine, mais dénuder la mauresque… À travers les affiches, les femmes sont envisagées comme porteuses de la représentation de la mission que veulent mettre en œuvre les colonisateurs. Jusqu’en 1920, la plupart des photographies montrent l’Africaine pratiquement dénudée. Par la suite, le passage à une tenue vestimentaire « plus décente » est pensé comme une véritable exigence de « civilisation ». À partir de ce momentlà, on peut la photographier avec des enfants. La domestication est alors achevée. L’exposition coloniale internationale de 1931, dont le commissaire général est le maréchal Lyautey, est à ce titre un moment clé de l’imagerie coloniale française. Outils de vulgarisation ethnographique, la plupart des affiches réalisées pour l’occasion donnent l’image d’un empire multi racial. Quelques-unes, voulant louer la beauté de l’empire, utilisent des femmes. Sur celle intitulée « La plus grande France », trois jeunes femmes symbolisent les trois espaces de la domination française (Afrique noire, Maghreb et Asie). L’Afrique domine l’allégorie, tenant dans sa main une sculpture. Au premier plan, assise sur le sol une jeune indochinoise. Au milieu, une jeune femme censée symboliser l’Afrique du Nord. Les degrés de civilisation sont symbolisés par la nudité ou la pudeur de chaque personnage stylisé. L’Africaine est pratiquement nue. Elle rappelle Joséphine Baker, sorte de « Vénus noire ». Ces personnages sont profondément instituteur faisant la classe pendant la période coloniale devant un public exclusivement masculin, affiche « Algérie pays de qualité » sur laquelle figure une femme musulmane. Thèmes proposés « rajouté » : « la place des femmes dans le système colonial » Etude d’une affiche coloniale en classe de Première L/ES ou de Terminale S Affiche « La plus grande France », couverture du dépliant de l’exposition coloniale de 1931 1. Identifiez et caractérisez l’origine du document 2. En quoi consiste une exposition coloniale ? Quel est son but ? 3. Qui sont ces trois femmes ? Comment sont-elles représentées ? 4. Quelle conception de l’humanité et des femmes véhicule ce document ? Le « bal nègre » de la rue Blomet L’exotisme est inséparable de l’érotisme. Au coeur de Paris, on vient retrouver un peu de l’atmosphère sensuelle des nuits tropicales. Si cette association est ancienne (Mille et une Nuits…), ce succès en dit sans doute long sur les frustrations occidentales… Ces peuples qu’on dit proches de la nature, sont sans tabous, ce qui, à l’heure des années folles, ne peut que séduire tous ceux qui veulent se libérer des pesanteurs morales victoriennes… On notera qu’alors que la congaï indochinoise conjugue la douceur juvénile et l’insouciance, l’Africain exerce une fascination différente : peu d’érotisme subtil mais un instinct puissant (« ça sentait la sueur ») que révèle la danse, suivie d’abandon, voire, l’alcool et le tabac aidant, de transes et d’orgies. La guerre d’Éthiopie en chanson La conquête de l’Éthiopie en 1936 venge l’humiliation d’Adoua (1896) et suscite une profusion de chansons patriotiques en Italie, comme cette Faccetta Nera qui exalte la libération d’une Éthiopie esclave, identifiée à une Belle Abyssinienne qui attend de pouvoir se draper dans la bannière italienne et d’être caressée par le soleil romain pour trouver le bonheur. Le paternalisme aux accents discrètement incestueux illustre parfaitement un imaginaire colonial qui n’est pas très différent de celui de La Petite Tonkinoise (1906) que popularise en 1930 Joséphine Baker… 124 distincts mais en même temps imbriqués les uns dans les autres pour symboliser l’Empire : ainsi le message est clair. Ces images ont contribué à la construction d’un imaginaire. L’a-t-on complètement décolonisé ? Certaines publicités jettent le doute (cf. « black is beautiful » ou l’affiche nostalgique du film « Indochine »). La petite Tonkinoise (1906) La petite Tonkinoise, immortalisée par Joséphine Baker qui triomphe avec cette chanson en 1930 sur les planches du Casino de Paris, appartient au répertoire des chansons à influence colonialiste (lire et écouter sur ce sujet le livre et le CD d’Alain Ruscio, Que la France était belle au temps des colonies, Maisonneuve, 2002). Elle séduit au début du siècle le comique troupier Polin qui l’entend dans l’un des cabanons de la banlieue marseillaise où se produisait alors Vincent Scotto. La femme indigène est d’abord une enfant docile. La récurrence du terme petit ou petite est d’ailleurs frappante dans la chanson coloniale (Ourika, ou la petite Marocaine, la Petite Mousmé, la Chère petite Thi Hai…), ce qui traduit une fascination pour les amours interdites – mais largement tolérées loin de la métropole ! – comme la force du paternalisme colonial. La comparaison animale peut paraître flatteuse (« charmante comme un z’oiseau »), elle n’en relève pas moins du cliché, au même titre que, dans d’innombrables cas, le prognathisme ou la longueur des bras évoquant le singe. Ces stéréotypes se retrouvent dans la littérature : Paul Bonnetain (1886) décrit de jeunes femmes annamites aux «nez épatés pareils à des croupions de volailles », Crayssac, poète « indochinois », appelle sa dame de compagnie, Schmâm’ah, « joli singe aux yeux caressants » (1913)… L’indigène est toujours une femme facile et peu farouche, et la relation qu’elle entretient avec son amant européen se réduit à l’amour physique (« tes caresses »). Quant au couple colonisé-indigène, il est sans avenir. Le concubinage est plus ou moins toléré, comme une modalité de la « soumission naturelle » de l’indigène, et la frontière est souvent ténue entre la fonction de domestique et celle de maîtresse. Jamais le colon ne ramène sa congaï, sa vahiné, sa mouquère ou sa mousso en métropole. L’homme blanc qui s’engage vraiment avec une indigène est décrit comme en rupture de civilisation : il se «décivilise», se «bougnoulise», s’«encougaille», s’«encanaque» ; il est perdu pour son pays, a une vie contre-nature. Les coloniaux – c’est-à-dire les agents de l’autorité métropolitaine – qui se laissent tenter par un concubinage déclaré suscitent la réprobation et un mariage inter-ethnique conduit souvent à la révocation. Il s’agit donc d’amours malheureuses ou provisoires ; de toute façon, la femme indigène est réputée inaccessible à la noblesse du sentiment amoureux ! Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : En croisant les recherches sur la colonisation et celles sur le genre, on est amené à nuancer ce que l’on croyait savoir : hommes et femmes n’ont pas été affectés de la même manière par ces processus historiques. Au regard de la recherche actuelle, on peut dire que c’est la construction même des genres, c’est-à-dire à la fois ce qui était attendu en fonction du sexe et les rapports entre les sexes qui a été bouleversé par le fait colonial. Toutefois l’histoire des femmes en situation coloniale et post coloniale est contrastée. Loin de l’image erronée et idyllique fournies par les cartes postales et les affiches, elle nous renvoie plus souvent soumission, exploitation et violences. Ce serait cependant une erreur de perspective de ne retenir que le passif. Il convient aussi d’y chercher les signes prémonitoires d’une mutation. Longtemps, les femmes en période coloniale ont été définies davantage par le bien (la mission civilisatrice), le mal (les violences) qu’on leur apportait que par leur trait propre. Aussi peut-on dire avec Henri Moniot que les femmes en période coloniale ont été constamment pensées sur le mode de la « déréalisation ». Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 125 HC – Immigration et immigrants (1850-1939) Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Noiriel, G., Population, immigration et identité nationale en France, XIXe-XXe siècle, coll. Carré Histoire, Hachette, Paris, 1992 NOIRIEL Gérard, Le Creuset français, Histoire de l’immigration, XIXe-XXe siècles, Seuil, 1988. Dupaquier Jacques (dir.), Histoire de la population française, tome 3, « De 1789 à 1914», PUF, 2000, coll. «Quadrige», 560 p. Bancel Nicolas, Blanchard Pascal, De l’indigène à l’immigré, Gallimard, 1998, coll. «Découvertes Histoire», p. 1-54 et 98-109. N. Green, L’Odyssée des émigrants, coll. « Découvertes », Gallimard, Paris 1994. A. Armengaud, La Population en France au XIXe siècle, coll. « Que sais-je ? », PUF, Paris, 1965. J.-C. Gégot, La population française aux XIXe-XXe siècles, Ophrys, 2002. H. Le Bras et E. Todd, L’invention de la France, coll. « Pluriel », Hachette, Paris, 1981. P. Milza, Voyage en Italie, Plon, Paris, 1993. Dewitte, Ph. (dir.), Immigration et intégration, coll. L’état des savoirs, La Découverte, Paris, 1999 Schor, R., Histoire de l’immigration en France de la fin du XIXe à nos jours, Armand Colin, Paris, 1997 Deroo, É., L’illusion coloniale, édition Taillandier, Paris, 2005 Documentation Photographique et diapos : Blanc-Chaléard Marie-Claude, « Les immigrés et la France. XIXe-XXe siècles », La Documentation photographique, 2004, n° 8035. J.-J. Becker, «L’Europe et le monde à la veille de 1914 », La documentation photographique, n° 6053, La Documentation française, 1981. « L’aventure démographique en France au XIXe siècle », La documentation photographique, n° 6026, Paris. Revues : L'immigration en France, TDC, N° 936, du 15 au 31 mai 2007 L’Histoire n° 193, novembre 1995, «La France et ses immigrés, 1789-1995» dont Milza Pierre, « Les mécanismes de l’intégration, la France et ses immigrés » J.-P. Bardet, « Un vieux pays ouvert aux étrangers », in L’Histoire, n° 229, février 1999. « L’immigration en France au XXe siècle », Dossier Historiens&Géographes, n° 383, juillet-août 2003 et 384 octobre-nov. 2003 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des Enjeux didactiques (repères, notions et savoirs, concepts, problématique) : méthodes) : Quelles conséquences ces départs auront-ils pour la culture européenne ? L’importance numérique de ces départs et leur extension dans le temps permet à la culture européenne de se répandre plus aisément dans le monde. En cumulant avec les effets de la colonisation, on voit ainsi s’amplifier l’européanisation de l’ensemble des continents (modes de vie, calendrier, etc.) Le phénomène migratoire est-il réductible à une relation entre l’Europe et les États-Unis ? Ce phénomène particulièrement important entre l’Europe et les États-Unis touche également l’ensemble des continents. Sur le continent américain, le Brésil ou l’Argentine sont aussi des pays d’accueil. De l’indigène à l’immigré : république et particularisme Il s’agit de montrer l’intérêt d’une bonne connaissance de l’Histoire et surtout du passé colonial de la France. L’immigré, descendant de l’indigène, est souvent victime du racisme, il hérite du regard européen porté sur l’indigène, regard toujours teinté de mépris, de clichés, de préjugés. Quand le mythe de l’indigène se fixe dans la conscience française, tout l’imaginaire sur l’immigration non désirée est lié aux populations coloniales. Comment les combattre ? De même que l’indigène était « différent », l’immigré possède sa culture, sa religion, ses particularités. Comment éviter qu’elles ne contredisent le principe de la laïcité ? Alors que le reste du continent, en pleine transition démographique, connaît une forte augmentation de sa population, la France est affectée par une baisse de sa natalité et doit recourir à l’immigration. Le solde migratoire devient positif dès 1872. D’après Jean-Paul Bardet, cet afflux est propre à la France et donne lieu à 1ère STG : « Immigration et immigrants Avant 1914, un vaste mouvement d’émigration conduit à l’installation d’Européens dans l’ensemble du monde ; progressivement le mouvement s’inverse. L’étude associe la description des flux migratoires, la présentation des immigrants et celle de leurs représentations, notamment littéraires et cinématographiques. L’industrialisation a déclenché le plus grand mouvement migratoire de l’histoire. Avant 1914, l’Europe est une terre de départ. Des millions d’Européens fuient la misère et s’en vont peupler le Nouveau Monde (Amérique du Nord et du Sud, Australie et NouvelleZélande). La France constitue une exception : ayant réalisé sa transition démographique, elle manque de main d’oeuvre et fait appel à l’immigration surtout frontalière (Belges, Italiens). On pourra choisir d’étudier plus particulièrement l’immigration étrangère en France ou aux États-Unis. » BO futur 3e : « L’histoire de l’immigration en France au XXe siècle » 126 des crises xénophobes. Hantées par la menace que fait peser le déclin démographique, les élites françaises, longtemps adeptes du malthusianisme, se convertissent au « natalisme ». Un groupe de pression « populationniste », qui associe la population nombreuse et féconde à la puissance de la nation, se forme pour lutter contre la « dénatalité » et la « dépopulation » de la France. Leur action est cependant peu efficace avant 1914. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. L’émigration européenne C’est la forme la plus fondamentale de l’expansion des civilisations européennes et c’est ce qui explique dans une large mesure leur « universalisation ». La plupart des régions d’Europe participent à ce vaste transfert, mais en particulier des habitants des îles britanniques, puis, à partir de la fin du XIXe, de l’Europe centrale et méridionale. La France, dont la croissance démographique est faible, participe très peu (noter quand même l’originalité des « barcelonnettes », toujours présents au Mexique). De façon écrasante, ce sont les États-Unis qui reçoivent le plus d’émigrants en provenance d’Europe, mais on peut souligner aussi que l’ensemble du continent américain est la destination privilégiée (56 millions de migrants), loin devant les autres. La colonisation de la Sibérie fait quand même de la Russie le troisième pays pour les mouvements de population. Remarque : de tous ces migrants, certains revinrent à leur point de départ, mais on ne sait pas vraiment combien. Les raisons du départ Les raisons du départ des migrants européens au XIXe-milieu XXe siècle, au-delà du rêve, sont des raisons avant tout économiques. On part rechercher un travail, une terre, ce qui signifie du travail. S’y ajoutent, au XXe siècle, des raisons politiques ou religieuses, à partir de la mise en place des régimes autoritaires soviétique, italien et allemand. Il est à noter que les Européens ne sont pas les seuls à partir. Les Japonais sont nombreux à partir en Amérique latine. Ce que l’on fuit : la misère économique, la crise rurale, les persécutions religieuses. Ce que l’on cherche : la fortune, le travail, la liberté de pensée. Les terres d’accueil Le tableau montre un premier maximum d’immigrants entre 1881-1890, suivi d’une baisse, un paroxysme entre 1901-1910, suivi d’une baisse qui revient aux chiffres des années 1880, et surtout un effondrement à partir de 1931. Les principaux flux se font vers les États-Unis, le Canada, la Russie, l’Argentine et le Brésil. L’immigrant doit : – appartenir à une catégorie de métiers ; – avoir moins de 60 ans ; – faire la preuve de sa « moralité » (ne pas avoir été condamné, par exemple) ; – arriver d’un autre continent (« sur un navire d’immigrants »). Plusieurs facteurs entrent en jeu, qui se joignent ou s’opposent : – les lois gouvernementales sur les migrations. Ainsi, la loi américaine est plus ou moins restrictive selon les périodes, selon l’origine des migrants. Ce pays n’aurait pas dû voir diminuer le nombre d’entrées car c’est en réalité une loi qui choisit les immigrants désirés. Dès 1925 en Italie, dès 1933 en Allemagne, il devient très difficile de partir pour l’étranger ; – la situation économique en Europe ou aux États-Unis. Ainsi, la période de la Grande Dépression en Europe entraîne des départs massifs dans les pays du Nord et du Nord-Ouest de l’Europe déjà industrialisés ; ces régions sont les plus touchées par cette dépression. Par contre, la crise de 1929 aux États-Unis ferme le mouvement de départ vers ce pays ; – les conditions de transport. Le nombre de navires s’accroît, les compagnies de navigation se multiplient à la fin du XIXe siècle ; elles recherchent des passagers pour rentabiliser les voyages, le prix du passage diminue ; – il faut noter aussi l’installation de vraies filières entre les pays d’origine et les compatriotes vivant aux États-Unis, comme par exemple les gens de Accompagnement 1ère : « Le cadre territorial et démographique Alors que le reste de l’Europe entre à peine dans la transition démographique et connaît un essor de sa population, en France, la baisse de la natalité est continue, tant en milieu rural qu’urbain. La France vieillit et doit faire appel à la main-d’œuvre étrangère (1,2 % de la population en 1851 et 3 % en 1911, soit 1,2 million d’habitants). » Activités, consignes et productions des élèves : Les immigrés polonais en France Après la Première Guerre mondiale, le nombre d’immigrés déjà important continue à augmenter pour compenser les pertes humaines du conflit. Durant les années 1920, environ 700 000 Polonais, qui ne peuvent plus se rendre aux États-Unis du fait de l’instauration des quotas, émigrent vers la France, recrutés par des bureaux de la Société générale d’immigration, installés en Pologne. Les ouvriers nationaux se plaignant de la concurrence de ces immigrés, la législation devient plus restrictive. Dès 1926, un étranger ne peut plus, dans l’année suivant son installation, être employé pour un autre métier que celui pour lequel il a été introduit en France. Avec la crise des années 1930, l’Assemblée discute d’un quota de main-d’oeuvre étrangère par entreprise, la loi est votée en janvier 1932. En 1935, alors que ces mesures de protection du « travail national » ne suffisent plus, l’État procède à des expulsions collectives. Arrivée d’émigrants européens à Ellis Island (baie de New York) au début du XXe siècle Entre 1892 et les années 1920, 12 millions d’Européens (en majorité des passagers de 3e classe) passent à Ellis Island, où ils subissent un questionnaire d’identité et un examen médical sommaire. Malades et infirmes sont mis en quarantaine ou refoulés. Les formalités sont très allégées pour les passagers de 1re et de 2e classe. Le centre d’accueil, fermé en 1954, est aujourd’hui un musée. Immigrants italiens à la gare Saint-Lazare. Illustration parue dans Le Petit Journal, 1896. Ces immigrants viennent souvent avec femmes et enfants. Leur tenue vestimentaire permet de déterminer leur origine sociale. Certains sont couchés à même le sol. La « cuisine diabolique » des Italiens en Lorraine On trouve ici tous les stéréotypes concernant les immigrations passées et à venir : envahissement, menace contre l’hygiène et la santé publique, etc. Les émeutes anti-italiennes à Aigues-Mortes 127 Barcelonnette ou les Basques en Californie. L’émigration hors d’Europe entre 1851 et 1910 Il s’agit ici d’un tableau statistique de type évolutif et comparatif permettant d’appréhender l’évolution de l’émigration hors d’Europe entre 1851 et 1910 (en milliers de personnes par décennie) par pays d’origine, tiré du Précis d’histoire européenne, publié par P. et S. Guillaume chez Armand Colin en 1993. Décrire la tendance globale de l’émigration qui est à la hausse, puis distinguer deux grandes phases avec une accélération certaine de l’émigration qui intervient dans la décennie 1881-1890 en relation avec la grande dépression mais aussi à cause de l’attrait que constituent les nouveaux mondes et leurs perspective de développement. L’émigration européenne n’est pas homogène : à l’émigration anglo-saxonne et germanique qui a caractérisé la première phase se substitue progressivement une émigration scandinave, slave et italienne. II. LA FRANCE, TERRE D’IMMIGRATION Si au cours du XIXe siècle, la révolution des transports et l’accroissement démographique donnent une ampleur jamais vue à l’émigration européenne, en France, en revanche, la décélération plus précoce de l’accroissement naturel, tendant vers la stagnation de la population freina l’émigration (voir le ralentissement visible à partir de la décennie 1891-1900). Globalement le nombre d’émigrés est toujours resté largement inférieur à celui des autres pays. La France fait même figure de pays d’immigration en Europe. Au moment où la France, pour des raisons démographiques, devient terre d’immigration, on peut s’interroger sur les conditions qui sont faites aux immigrés qui s’y installent. L’immigration est d’abord le fait des pays voisins, frontaliers. Les Belges puis les Italiens sont les plus nombreux. Ce sont des gens du peuple, souvent des ruraux déracinés, sans qualification qui arrivent dans des conditions difficiles. Cette population rencontre des problèmes au contact des Français des départements d’accueil : elle se heurte souvent à des réactions d’intolérance, de rejet liées aux différences culturelles mais surtout à la concurrence de cette main-d’oeuvre peu exigeante sur les salaires et les conditions d’existence. Des émeutes xénophobes se produisent dont la plus grave à Aigues-Mortes en 1893 où des Italiens sont assassinés. Cependant, l’assimilation commence par des mariages mixtes et des naturalisations favorisées par la loi de 1889. Cette assimilation vise à compenser la baisse démographique de la France et à fournir des soldats à l’armée française dans une période où l’on sent approcher le prochain conflit. Un document donne les statistiques du nombre des immigrés en France lors des trois recensements de 1851, 1901, 1931 ainsi que leur origine. L’importance des Italiens se dégage. Ils apparaissent comme la première communauté étrangère en France au début du XXe siècle. Des documents montrent leurs conditions d’arrivée et la façon dont ils sont parfois objet de rejet. Un document, extrait d’un discours à la Chambre des députés, traite du statut juridique des étrangers en France et du code de la nationalité. On peut regretter l’absence de documents sur les raisons du départ ou sur l’acquisition de la nationalité française. en août 1893 À la fin du XIXe siècle, les Salins du midi exploitaient des marais salants dans la région d’Aigues-Mortes. Elle y employait une maind’oeuvre composée d’une majorité d’Italiens, saisonniers sans qualification pour effectuer un travail pénible mais relativement bien payé (12 francs par jour alors qu’un terrassier gagnait environ 5 francs). La compagnie jouait sur la concurrence entre la main-d’oeuvre française et italienne pour comprimer les salaires, ce qui créait des frictions. Les premiers incidents éclatèrent dans ce climat de tension dans une période de basse conjoncture sur le marché du travail. Des manches de pelles et des pierres furent utilisés comme on peut le voir sur la gravure mais aussi des couteaux. Au départ, les Français, inférieur en nombre, durent céder le terrain et se réfugier dans la ville d’Aigues-Mortes mais, par la suite, les bruits les plus divers se répandent et toute la population mâle de la ville s’en prend aux Italiens, surnommés «Christos ». S’en suit une véritable chasse à l’homme. À la fin de ce déchaînement xénophobe, on dénombra officiellement sept morts et de nombreux blessés graves. Comme le montre le rapport du procureur de police, la police intervient, mais la foule s’en prend aux Transalpins que les forces de l’ordre escortent hors de la ville. Les jours suivants, des Français ratissent encore les environs à la recherche d’Italiens ayant échappé au massacre. Le bilan officiel est de huit morts et de cinquante blessés ; mais pour certains journaux étrangers dont le Times, il y aurait eu cinquante morts et cent cinquante blessés. De plus, les Salins donnent raison aux ouvriers français en licenciant massivement les Italiens. Ce n’est pas la seule violence xénophobe de l’époque : en juin 1881, des Italiens ont été pourchassés à Marseille. Les étrangers en France (1861-1901) Au cours de la deuxième moitié de XIXe siècle, alors que les autres pays européens exportent leur trop plein de population vers les terres nouvelles, la France devient terre d’immigration. À partir de 1872, le solde migratoire devient positif. L’immigration débute tôt en France. À partir de 1851, on procède au relevé des étrangers. Il faut y ajouter la catégorie particulière non comptabilisée des Alsaciens-Lorrains (environ 100000) ayant opté pour la France entre 1871 et le 30 septembre 1872 conformément à l’article 2 du traité de Francfort. Le nombre d’étrangers en France augmente régulièrement jusqu’en 1891. Ceux-ci viennent compenser le déficit démographique français. Puis le nombre d’étrangers diminue non pas en raison de départs mais parce que la loi votée en 1891 leur permet d’acquérir la nationalité française. Les étrangers en France Jusqu’en 1914, les travailleurs étrangers sont essentiellement originaires des États limitrophes. Les premiers sont d’ailleurs souvent venus de façon saisonnière et se 128 sont ensuite installés dans les départements frontaliers. La première immigration de masse a lieu dans les années 1870-1880. Belges et Italiens constituent les deux tiers des travailleurs étrangers recensés sur le territoire français. L’exception française On passe d’une immigration régionale, de voisinage en 1851, à une migration qui s’ouvre au XXe siècle à l’Europe centrale, avec notamment l’accueil de nombreux Israélites. Contrairement aux clichés entendus, ces minorités d’Europe centrale, même quand elles ont la même religion que la majorité des autochtones (cas des Polonais), ont connu de grandes difficultés d’intégration, voire de refus d’assimilation ; elles vivent à part, en ghettos. On peut parler de xénophobie. La singularité du cas français au XIXe et surtout au XXe siècle est d’être une terre d’accueil quand tous les autres pays d’Europe sont touchés par des phénomènes d’émigration. L’inégalité entre les Français et les immigrés À la fin du siècle, alors que l’immigration devient un phénomène de société, naît la réglementation des étrangers. La tradition française du droit du sol est ancienne. Un arrêté du Parlement de Paris datant du 23 février 1515 aurait introduit le jus soli dans le droit français. Après une interruption, notamment avec le Code Civil de 1804, la loi de 1851 rétablit en partie ce principe. En 1889, le droit du sol est élargi, sous la pression d’élus du Nord dont la région compte de nombreux étrangers nés en France qui refusent la nationalité française pour éviter le service militaire. Le premier code de la nationalité est adopté en 1889. Il introduit la notion du double jus soli : l’enfant né en France de parents euxmêmes nés en France est français sans possibilité de décliner la nationalité. Parallèlement, le décret de 1888 impose aux étrangers des papiers d’identité, ancêtre de l’actuelle carte de séjour. Il est intéressant de noter que la nationalité française est ici imposée aux enfants d’immigrés dans l’intérêt même des Français. L’argument du droit du sol est à l’époque à la fois démographique et militaire. On retrouve aussi ici l’accusation de concurrence déloyale faite aux étrangers qui occupent les emplois des Français contraints d’effectuer leur service militaire. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 129 HC – Femmes et transformations économiques (1850-1939) Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Guilbert Madeleine, La fonction des femmes dans l’industrie. Les femmes et le syndicalisme avant 1914, CNRS, 1967. Omnès Catherine, Ouvrières parisiennes. Marchés du travail et trajectoires professionnelles au XXe siècle, EHESS, 1997. Catherine Omnès, « La seconde industrialisation et le travail féminin » dans Le Bulletin de la SHMC, « Industrialisation et sociétés en Europe occidentale, 1880-1970 », 1998, n° 1 et 2, 160 pages. La contribution quantitative des femmes à l’emploi, leur position sur le marché du travail et les cycles de travail féminin y sont tour à tour abordés. Documentation Photographique et diapos : Revues : « Les ouvrières dans la société française », Textes et Documents pour la classe, CNDP, 1991. Michelle Perrot, Femmes à l’usine, l’Histoire, n°195, janvier 1996, pages 31 à 33. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : un travail féminin plus visible. Les femmes ont toujours travaillé : le XIXe siècle n'a pas inventé la « femme au travail ». Depuis longtemps existaient outre les paysannes, des fileuses, couturières, dentellières, femmes de chambre, commerçantes : les femmes ont, toujours, à une petite minorité près, apporté une lourde contribution à la vie sociale... Leur travail fait réagir au XIXe siècle car il devient plus visible. La visibilité du travail des femmes introduit une rupture car il entre en contradiction avec la conception dominante de la féminité et des archétypes féminins qui en résultent. On peut même observer une volonté d’occulter le travail féminin. Entre 1856 et 1962, un glissement s’opère dans la répartition du travail des femmes : le secteur primaire, largement privilégié en 1856, est progressivement délaissé au profit du secteur tertiaire. Le secteur secondaire connaît une baisse régulière mais mesurée entre 1856 et 1946, avant de gonfler à nouveau après 1945. Ce sont les années 1945-1962 qui voient les plus grands changements : effondrement de la part des actives dans le secteur primaire, explosion du tertiaire. Contrairement à une idée reçue, c’est donc la Seconde Guerre mondiale, plus que la première, qui bouleverse le marché du travail féminin en France. L’histoire du travail des femmes permet de revisiter les grandes questions historiques sur l’industrialisation : l’idée du retard français avancé par David Landes en 1969 et l’histoire de la proto-industrialisation par Mendels en 1972. Les historiennes des femmes, comme Patrick Fridenson, ont souligné que pour la France, il s’agit en fait d’une voie différente d’accès à l’industrialisation avec une part importante prise par les petites entreprises et les fabriques artisanales où le rôle de chaque membre de la famille, des femmes et des filles en particulier, est primordial. Dès 1975, Louise Tilly et Joan Scott avaient démontré, à partir d’exemples dans le Nord français, les continuités de l’industrialisation française au XIXe avec l’ancienne économie familiale, le cycle de vie et de travail des femmes étant lié au cycle familial en particulier avec l’intervalle des naissances et l’âge des enfants. L’appréciation d’un changement brutal provoqué parce qu’on appelait encore la révolution industrielle est ainsi remis en cause. La flexibilité de la main d’œuvre féminine, adaptée à des tâches différentes permet d’effectuer tous les changements dans l’ordre productif. C’est le cas par exemple de la passementerie stéphanoise. L’essentiel de la définition des rôles respectifs des hommes et des femmes dans le métier a tourné autour de la place qui revenait à chacun et chacune assorti d’un discours sur la technique. Ces discours deviennent particulièrement nombreux après l’électrification des métiers (vers 1890) qui supprime la nécessité d’utiliser la force physique. Les différenciations sexuées 130 des tâches sont ainsi replacées dans une perspective diachronique de l’histoire de l’industrialisation : des formes héritées de la proto-industrialisation survivent et se réactivent provisoirement grâce à l’innovation technologique que représente l’introduction de l’électricité. L’histoire des représentations sociales sexuées qui est aussi une histoire culturelle est ainsi liée à une histoire économique et industrielle générale qu’elle contribue à modifier. Par ailleurs la réflexion sur le sexe du travail a permis de ne pas dissocier production et reproduction, c a d l’association du travail salarié, du travail familial et du travail domestique. Il fait souligner enfin que le travail à domicile a été revivifié à la fin du XIXe siècle avec la diffusion des machines à coudre. Les directions de recherche les plus récentes revisitent des terrains déjà explorés mais sous un autre angle. C’est ainsi que l’histoire du travail, domestique et salarié est revivifiée par une approche sur le genre des techniques. Delphine Gardey analyse, par exemple, la mécanisation des emplois de bureau dans l’entre- deux-guerres parallèlement à leur féminisation. Catherine Omnès, avec le cas des ouvrières parisiennes de la métallurgie, montre comment leur emploi massif dans l’entre-deux-guerres est lié à la rationalisation et à la taylorisation de la production. Mais ces ouvrières là, pour 40% d’entre elles, n’ont pas d’enfant. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : On fera apparaître : 1. l’importance de la place des femmes dans la vie économique et sociale de l’âge industriel malgré leur exclusion de la vie politique ; 2. le développement des emplois féminins dans le secteur des services en forte croissance ; 3. la perception du travail féminin comme une regrettable nécessité et son maintien dans certaines fonctions (servir, soigner, éduquer). ou 1. Les femmes participent activement à l’industrialisation des sociétés. – Elles sont présentes dans tous les secteurs d’activité, s’orientant peu à peu vers les professions tertiaires, souvent synonymes d’indépendance financière. – Elles occupent toutes sortes de professions, souvent peu ou pas qualifiées. 2. Le travail féminin est dévalorisé dans les sociétés. – La femme a pour vocation de rester au foyer, l’école véhicule ce message. – Les salaires des femmes sont inférieurs à ceux des hommes, car ils sont considérés comme des salaires d’appoint. – Les syndicats sont souvent hostiles au travail féminin pour des raisons économiques ou morales. Dans le contexte de l’industrialisation, l’un des faits majeurs est le rôle de la main d’œuvre féminine, largement puisée dans des campagnes surpeuplées. Les femmes passent pour être « naturellement » plus faibles que les hommes. Pourtant, les entrepreneurs n’hésitent pas à les embaucher, même dans les mines, d’abord au fond puis, à la fin du XIXe siècle, en surface. Dans l’industrie textile, toujours au nom de qualités « naturellement » féminines, elles sont massivement présentes. Les « tissus » sont estimés féminins, le bois et le métal, masculins. Jugées endurantes, appliquées et adroites, elles sont surtout moins payées et acceptent des conditions de travail souvent déplorables. Pourtant, même ainsi, le travail féminin est regardé avec suspicion et le salaire féminin conçu globalement comme un salaire d’appoint. Versé suivant un cycle de travail spécifique, parce que marqué par les maternités, ce dernier est accordé, aux yeux de certains, à des « travailleurs imparfaits ». Tandis que Flora Tristan s’en indigne, Michelet, Proudhon et bien d’autres s’inquiètent de voir le salariat arracher les mères à leurs foyers. La rationalisation du travail est un phénomène caractéristique de l’industrialisation du premier tiers du XXe siècle et de l’extension des industries de la seconde révolution industrielle. Embauchées sans qualification, les femmes « sont parquées dans un travail tout à fait machinal, où on ne demande que de la rapidité » (Simone Weil). Pourtant, le travail à l’usine offre aussi quelques avantages : il permet de sortir du foyer, encourage la participation à une vie collective plus intense et permet de bénéficier de vacances notamment après 1936. Activités, consignes et productions des élèves : Jeanne Bouvier est une jeune ouvrière, autodidacte formée par le syndicalisme. Elle a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire des femmes au travail (Histoire des dames employées dans les Postes Télégraphes et Téléphones en 1930) avant de publier ses Mémoires en 1936. La réticence de la République française à accorder le droit de vote aux femmes est parfois expliquée par l’anticléricalisme. Se fondant sur l’idée que la femme est plus sensible à l’influence du clergé, moins touchée par la déchristianisation, nombre d’élus républicains pensent qu’accorder le droit de vote aux femmes reviendrait à renforcer la puissance du parti clérical. L’ouvrière, mot impie, sordide… Dans ce texte, l’historien Jules Michelet (1798-1874) qui est, alors, une autorité morale pour les opposants républicains au Second Empire, donne une représentation très négative du travail des femmes dans les manufactures. Il dénonce, certes, la misère des ouvrières, mais n’envisage aucune amélioration de leurs conditions d’existence par des mesures sociales, car il se situe sur le terrain de la dénonciation morale (« coupables », «barbarie », «mot impie»). Le travail des femmes est, selon Michelet, contre nature et détruit « l’espoir des générations à venir ». C’est par une approche naturaliste de « la femme » (on soulignera l’emploi du singulier, qui fait du sexe féminin une sorte d’espèce naturelle) qu’il dénonce le travail industriel comme destructeur de la femme, de la famille et de la « race ». Selon Michelet, la femme est « par nature », une épouse et une mère: «Barbarie de notre Occident, la femme n’a plus été comptée 131 L’autre transformation de l’activité féminine réside dans le secteur tertiaire. Les femmes y étaient présentes sous les figures professionnelles de la sage-femme ou de l’institutrice ; métiers par ailleurs conformes aux représentations de rôles sexuels perçus comme naturels. La multiplication des activités de services se traduit par une féminisation accrue dans certains secteurs. La perspective d’un emploi de secrétaire ou d’employée dans la banque, les assurances ou les PTT offre désormais une alternative aux jeunes femmes issues des classes moyennes, généralement mieux éduquées que leurs aînées, mais privées de dot. Pourtant, elles sont souvent embauchées sur des emplois peu qualifiés ; la plupart des employées de bureau ne peuvent espérer faire carrière. De plus, quand la crise s’installe, ce sont prioritairement les femmes qui en font les frais. Il s’agit d’un aspect décisif de la situation des femmes au travail dans l’entre-deux-guerres ; tandis que les hommes peuvent raisonnablement escompter une amélioration de leur condition dans l’industrie ou le tertiaire, la promotion des femmes à des postes de responsabilité reste tout à fait exceptionnelle ; et ceci à un moment où les progrès de l’instruction aiguisent les ambitions et donnent plus de visibilité à quelques réussites spectaculaires. Les socialismes utopiques avaient généralement pris en compte les problèmes féminins. Pourtant, l’attitude du mouvement ouvrier témoigne de la force des représentations négatives à l’égard du travail féminin : c’est à l’homme qu’il revient d’assurer la meilleure part d’un salaire « familial ». L’influence de Proudhon, qui ne réserve d’autre alternative à la femme que d’être « Courtisane ou ménagère », y contribue fortement. La position du socialisme marxiste, représentée par exemple par Jules Guesde, est plus nuancée. Alexandra Kollontaï va plus loin qui conditionne l’émancipation féminine à l’exercice d’un travail. Malgré cela, la méfiance des syndicats reste tenace qui renâclent au point quelques fois de leur fermer leurs portes comme en témoigne l’attitude du syndicat du Livre dans « l’affaire Emma Couriau » en 1913. Ainsi loin d’en prendre le contre-pied le monde syndical conforte, par ses prises de position, la traditionnelle sexuation des rôles établie à la faveur de l’industrialisation. Une vision traditionaliste du travail des femmes Gravure du début du XIXe s. À la fin du XIXe s., la société française reste en grande partie rurale et la plupart des femmes travaillent dans l’agriculture ; c’est tellement vrai que la paysanne qui se trouve en bas de l’échelle sociale à droite se retrouve une seconde fois au centre de la gravure, car, par son travail, elle contribue à l’essentiel, nourrir les populations (« croyez en Dieu, qui, par ma main, à tous vous donnera du pain », inscription en bas à droite). Mais, depuis la révolution industrielle, beaucoup de femmes ont quitté leur village et sont devenues ouvrières, profession illustrée par le métier à tisser. Les autres professions féminines de la gravure relèvent des activités tertiaires. Les servantes restent nombreuses pour accomplir les travaux ménagers et signifier le rang de l’ancienne aristocratie ou la réussite de la nouvelle bourgeoisie. Les institutrices représentent une profession nouvelle pour les femmes, particulièrement depuis les lois de J. Ferry. Le clergé encore nombreux et les sages-femmes présentes dans chaque village jouent un rôle social très important. Enfin, d’après cette gravure, la réussite féminine s’incarne dans la commerçante qui possède un savoir-faire apprécié, une vie sociale et peut-être une aisance financière marquées. L’inégalité de l’homme et de la femme au travail Ce texte est un extrait d’une enquête menée par un fonctionnaire de l’office du travail parue en 1900. C’est un document bien informé qui présente différents aspects du travail féminin en Europe avec des comparaisons chiffrées. Une grève de femmes en 1913 Ce document est extrait d’un article publié dans l’hebdomadaire socialiste La Guerre sociale à l’occasion d’une grève de 400 ouvrières de la raffinerie de sucre Lebaudy de Paris. Le travail de ces ouvrières consiste à préparer le sucre en pains ou en morceaux, d’emballer et de stocker le produit fini. Elles sont payées à la tâche ou à l’heure pour un travail très pénible : station debout, nombreuses brûlures (on découpe le sucre à la température de 60° C), cas de diabète… le mouvement de grève est spontané (aucune des ouvrières n’est syndiquée) mais il est soutenu par la CGT (collectes, soupes communautaires). Ces ouvrières pour l’amour, pour le bonheur de l’homme, encore moins comme maternité et comme puissance de race ». Le rôle de la femme est donc celui d’une femme au foyer. Le travail des femmes des catégories sociales moins favorisées a souvent été sous-évalué. Dans l’agriculture, dans le commerce, dans l’artisanat, l’épouse a toujours fortement contribué à l’activité de son mari. Dans la société industrielle, travailler est, pour de nombreuses femmes de prolétaires, une nécessité pour assurer la survie du ménage étant donné la faiblesse des salaires. Toutefois, la nature du travail féminin a changé. La plupart des travailleuses doivent quitter le foyer familial pour être embauchées à l’extérieur, souvent dans une usine, ce qui éloigne la femme de son mari et de ses enfants et ce qui choque une élite attachée à l’idéal bourgeois de l’épouse mère de famille confinée à l’entretien du foyer. Cette évolution rend plus visible et mesurable le travail féminin (en France, le taux d’activité des femmes est ainsi supérieur ou égal à 39 % entre 1850 et 1939). La guerre est un moment particulier puisque les femmes, surtout cantonnées jusque là dans des métiers qui leur sont traditionnellement dévolus, remplacent les hommes partis au front et se montrent même capables d’assumer des tâches demandant un effort physique important. Pendant toute la période 1851-1941, le taux d’activité des femmes en France est toujours supérieur ou égal à 39 %. Ce taux connaît une phase de croissance des années 1850 aux années 1910, puis une phase de déclin pendant l’entre-deux-guerres. Après la Seconde Guerre mondiale, ce taux repart nettement à la hausse ; dans les années 1960, plus de la moitié des femmes d’âge adulte travaillent. Entre les années 1850 et 1910, la part des actives dans l’industrie augmente de près de 7 points. Elle diminue ensuite jusqu’en 1941 pour retrouver son niveau des années 1850. C’est dans le secteur des services que le travail féminin progresse le plus (20 % des femmes travaillent dans ce domaine en 1851 contre 40 % en 1941). Les emplois dans la domesticité, la santé (infirmières et sages-femmes), dans l’enseignement (institutrices), dans le commerce, appartiennent aux services les plus fortement féminisés. L’éducation et la destinée d’une jeune fille de la bourgeoisie Pour le père de Simone de Beauvoir qui appartient à une riche famille de banquiers, la femme de la bourgeoisie doit être une « dame », c’est-à-dire une épouse et une « femme au foyer » entretenue par son mari. Sa tâche principale est de veiller à la bonne 132 obtiennent finalement satisfaction sur toutes leurs revendications après deux semaines de grève, du 8 au 21 juin 1913. Le travail à la chaîne en 1934 Le texte de Simone Weil est un témoignage portant sur une expérience vécue. Née en 1909 à Paris dans une famille israélite, Simone Weil devient professeur agrégée de philosophie et milite d’emblée dans le mouvement anarchiste. Elle décide en 1934 et 1935 de travailler en usine comme manœuvre sur machine dans l’entreprise Alsthom, puis chez Renault afin de se mettre au même niveau que le prolétariat. Dans son journal, elle entreprend alors un examen de la condition ouvrière et de l’aliénation qu’elle engendre. Elle rédige, à partir de ces notes prises au jour le jour, de nombreux articles sur la question sociale. Ces textes sont rassemblés après sa mort et publiés dans des recueils posthumes dont La Condition ouvrière (1951), Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale (1955). Simone Weil occupe ici un poste d’ouvrière spécialisée sur une chaîne de montage. Son travail est très répétitif et les cadences sont rapides. Simone Weil est vite gagnée par la lassitude et l’ennui, voire le « dégoût », causés par la « monotonie de la tâche » qui vient de la répétition incessante des mêmes gestes. Elle peine à respecter les cadences de production imposées. Sa vie fut marquée par une ardente recherche de la justice sociale et sa rencontre avec le mysticisme chrétien. Elle rejoint la France libre à Londres durant la Seconde Guerre mondiale et demande à participer au combat de la Résistance sur le sol national, mais, de santé fragile, elle meurt en Angleterre en 1943. éducation des enfants et d’animer la vie mondaine du couple. Dans cet esprit, l’enseignement secondaire féminin, jusqu’aux lendemains de la Première Guerre mondiale, est surtout conçu pour transmettre une culture littéraire et artistique aux jeunes filles, afin qu’elles puissent tenir « avec éclat » leur place dans les salons au cours des réceptions. Après la Première Guerre mondiale, la faillite de la Banque de la Meuse, dirigée par le grand-père paternel de Simone de Beauvoir, prive la famille de ses principales ressources financières. La jeune fille doit donc travailler pour gagner sa vie et renoncer à tout « beau mariage » car elle n’a plus de dot. Elle devient professeur de philosophie et acquiert ainsi une indépendance financière qui permet son émancipation. Simone de Beauvoir, après avoir enseigné la philosophie jusqu’en 1943, se consacre à l’écriture. Les Mémoires d’une jeune fille rangée ouvrent une série de récits autobiographiques dans laquelle elle a comme « projet d’englober le monde dans l’expérience de [sa] vie ». L’école des années 1880-1890 Les écoles ne sont pas mixtes, il existe des classes composées uniquement de garçons et d’autres de filles. La plus grande part du programme est commune, mais certaines matières ne sont pas enseignées aux deux sexes. Aux filles, l’école apprend les tâches ménagères (travaux d’aiguille) pour en faire des épouses et des mères capables de s’occuper de leur foyer, aux garçons sont réservés les exercices militaires, comme le tir. Cet enseignement différencié reproduit le modèle social de la répartition des tâches selon les sexes, il est empreint d’un grand conservatisme. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : On constate la persistance de la division sexuelle du travail malgré d’incontestables évolutions. 133 HC – Femmes, politique et création artistique au XIXe s. Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Le XIXe siècle inclut de grandes contradictions. La révolution industrielle et la mise en place de la démocratie portent en elles des ferments d’émancipation, de reconnaissance des individus féminins comme des individus masculins. La rupture politique et la mutation économique ouvrent en effet la voie à l’individu libre et autonome (citoyen et travailleur). A partir du principe d’universalité des droits, la question de la liberté et de la citoyenneté de tous et toutes ne pouvait qu’être posée. Des voix individuelles continuent à s’exprimer sur l’égalité des sexes, plus nombreuses qu’aux siècles précédents ; les femmes sont déjà apparues comme groupe social sur la scène politique : le féminisme est en germe. Mais l’infériorité supposée ou produite écarte à peu près complètement les femmes de la production artistique. La créatrice, ce monstre menaçant pour la famille, est à peu près neutralisée. Sources et muséographie : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Ouvrages généraux : Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 4e actuel : « L’EUROPE ET SON EXPANSION AU XIXe SIÈCLE (18151914) 1. L’âge industriel (7 à 8 heures) À partir des transformations des techniques de production de la fin du XVIIIe siècle à l’aube du XXe siècle, l’étude dégage les traits majeurs du phénomène industriel et de ses effets géographiques et sociaux. On décrit idées et mouvements qui analysent ce phénomène et en déduisent des conséquences sociales et politiques. Parallèlement sont tracés les grands traits de l’évolution culturelle et artistique. • Documents : Delacroix : La Liberté guidant le peuple ; Victor Hugo : extraits des Châtiments et des Misérables ; Picasso : les Demoiselles d’Avignon ». Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : I. La politique En France, en 1848, la gauche ne comprend pas mieux que la droite le féminisme. La société française est encore dominée par une forte sexuation des rôles, reléguant la femme dans ses fonctions de mère au foyer. Les féministes ont accueilli avec espoir la révolution de février 1848, qui proclame le suffrage universel et rétablit la liberté de la presse. Eugénie Niboyet crée le 20 mars 1848 le journal La Voix des Femmes, qui réclame le droit de vote des femmes. Le gouvernement provisoire tergiverse (il renvoie la question à l’Assemblée constituante), tandis que les clubs féministes se multiplient (les hommes y L’engagement politique des femmes en 1848. Dessin humoristique de 1848. Paris, BN. Le caricaturiste Daumier donne ici une image très négative des femmes et des revendications féministes. Comme de nombreux dessins satiriques, Daumier joue ici sur l’inversion des rôles. La femme s’est emparée de la fonction politique : elle se rend à un club. L’homme reste à la maison ; 134 participent parfois), revendiquant le droit de vote, le rétablissement du divorce, la révision du Code civil. Les féministes demandent aussi le droit au travail. Elles obtiennent l’ouverture des ateliers nationaux aux femmes, mais sont rapidement déçues (salaires inférieurs à ceux des hommes). Une réaction anti-féministe se développe rapidement, surtout après les événements de juin. Le 26 juillet 1848 un décret interdit même aux femmes (et aux enfants) toute activité politique en public, comme la participation à un club. En 1848, alors que les classes sociales semblent se réconcilier, les féministes demandent l’égalité des sexes. Mais le suffrage universel reste masculin, parce que dans leur très grande majorité, les hommes, quelle que soit leur tendance idéologique, sont convaincus que la «nature» des femmes leur interdit de faire de la politique. Toute intrusion des femmes dans la politique est considérée comme un acte contre-nature, quasiment monstrueux. C’est pourquoi un féminisme moins radical, plus réaliste, s’emploie à changer les mentalités et à conquérir l’égalité civile, avant d’exiger les droits politiques. Extrait de l’un des principaux journaux féministes fondés au début de la Seconde République, dans le contexte euphorique de « l’esprit de 48 ». À quelques jours des élections législatives du 23 avril 1848, Eugénie Niboyet réclame un vrai suffrage universel, qui ne soit pas seulement masculin. L’instauration du suffrage universel masculin dénoncée Ce texte a été écrit par Eugénie Niboyet, paru dans La Voix des femmes le 21 avril 1848. Elle y explique que c’est au nom de l’Égalité que les femmes revendiquent un suffrage qui soit réellement universel en leur accordant le droit de vote. Selon l’auteur, ceux qui ont décidé du suffrage universel masculin ne sont pas des républicains, mais des aristocrates ! La société étant composée d’hommes et de femmes, l’égalité voudrait que les deux fussent électeurs. Lettre de George Sand Femme de lettres célèbre, proche des républicains (elle joue un peu le rôle d’égérie de Ledru-Rollin). En réponse à Eugénie Niboyet, qui lui avait demandé de se présenter aux élections, George Sand critique le féminisme radical et propose un programme plus modéré, consistant à obtenir l’égalité civile avant le droit de vote. Ce féminisme réaliste s’est renforcé en France sous la IIIe République. Dessin satirique qui reflète assez bien l’opinion de la grande majorité misogyne de l’époque : la femme qui fait de la politique ne fait que se déguiser en homme (épée, éperons et cigarette), d’une manière ridicule. Lettre de Proudhon Elle montre que ce théoricien socialiste croit dans une nature féminine qui prédispose la femme à s’occuper de la famille et non de la politique. Ouvrage de Maxime du Camp (1822-1894), écrivain et ami de Flaubert Il montre la peur qu’ont inspirée à la bourgeoisie parisienne les femmes de la Commune. Tout le texte décrit les Communardes comme des femmes frappées par une sorte de maladie qui les a transformées en hommes : elles « se déguisèrent en soldats », devinrent des « viragos » et sont insidieusement accusées de tous les vices (tabagisme, alcoolisme, sexualité débridée, excitation guerrière, etc.). L’illustration confirme cette vision apeurée. Les filles à l’école de la République L’enseignement féminin doit permettre aux jeunes filles de tenir efficacement leur rôle d’épouse et de mère. Il n’est pas question d’en faire des citoyennes susceptibles de faire des choix raisonnés, ni de les amener à des professions scientifiques et juridiques, encore moins de leur permettre de jouer un rôle politique. Depuis les lois Ferry, toutes les filles suivent les cours de l’école primaire, avec les mêmes programmes que les garçons. Moins nombreuses sont celles qui accèdent au lycée : la première femme bachelière obtient son diplôme en 1861. Puis, les femmes accèdent aux études pour devenir avocates (la première, à Paris, en 1895), médecins, chercheurs (Marie Curie obtient deux prix Nobel en 1903 et en 1911). Les femmes journalistes sont nombreuses ; Séverine est la première malgré sa barbe, il se transforme en femme (cf. tablier en forme de jupe et le prénom ambigu qu’est Camille) et il doit « donner à téter » au bébé. La gauche (dont fait partie Daumier) ne comprend pas mieux que la droite le féminisme. La société française est encore dominée par une forte division des rôles entre les sexes, reléguant la femme dans ses fonctions de mère au foyer. Les féministes ont accueilli avec espoir la révolution de février 1848, qui proclame le suffrage universel et rétablit la liberté de la presse. Eugénie Niboyet crée le 20 mars 1848 le journal La Voix des femmes, qui réclame le droit de vote des femmes. Le gouvernement provisoire tergiverse (il renvoie la question à l’Assemblée constituante), tandis que les clubs féministes se multiplient (les hommes y participent parfois), et revendiquent le droit de vote, le rétablissement du divorce, la révision du Code civil. Les féministes demandent aussi le droit au travail. Elles obtiennent l’ouverture des ateliers nationaux aux femmes, mais sont rapidement déçues (salaires inférieurs à ceux des hommes). Une réaction antiféministe se développe rapidement, surtout après les événements de juin. Le 26 juillet 1848, un décret interdit même aux femmes (et aux enfants) toute activité politique en public, comme la participation à un club. Dans les Misérables, Fantine dénonce le sort injuste réservé aux femmes : abandonnée par l’étudiant dont elle est enceinte, elle sera contrainte de se prostituer. Pour ce personnage, Hugo s’est inspiré d’une prostituée dont il avait pris la défense. L’un des combats de Hugo, et non l’un des moindres, a été contre l’inégalité entre l’homme et la femme : il a plaidé la cause des femmes pendant quarante ans et s’est associé, en 1872 et 1875, aux actions menées en leur faveur. L’engagement politique des femmes Le caricaturiste donne ici une image très négative des femmes et des revendications féministes. Il joue sur l’inversion des rôles. La femme s’est emparée de la fonction politique : elle se rend à un club. L’homme reste à la maison : malgré sa barbe, il se transforme en femme (voir le tablier en forme de jupe et le prénom ambigu qu’est Camille) et il doit « donner à têter » au bébé… Pour le droit de vote des femmes L’argumentation d’Hubertine Auclair porte sur l’égalité. Les ouvriers auxquels elle s’adresse réclament davantage d’égalité sociale. Selon l’auteur, celle-ci ne se réalisera que si les femmes ont les mêmes droits que 135 femme journaliste à vivre de ses chroniques. Elle fait partie du groupe fondateur de la Ligue des droits de l’homme. Marguerite Durand fonde en 1897 le premier journal exclusivement rédigé pour les femmes : La Fronde. Mais la grande majorité des hommes considère que la femme est faite pour la famille et le domestique. II. Un domaine symbolique quasi interdit, la création Égéries, muses, inspiratrices ou collaboratrices dévouées, les femmes sont souvent nécessaires au créateur qui a besoin d’être compris et aidé… Mais elles n’ont pas le «génie» qui seul permet de créer. Il inclut l’imagination, l’énergie, une volonté de fer. Tout cela ne peut être que l’apanage du sexe masculin, tandis que le sexe féminin est lié à la passivité, l’imitation, la reproduction. On accepte d’elles qu’elles soient des interprètes ou qu’elles aient une pratique domestique des arts «d’agréments» pour meubler quelques loisirs… Comme rares sont les métiers qui n’obligent pas des femmes pauvres à déchoir, elles peuvent gagner leur vie avec des arts mineurs, peinture sur porcelaine, miniatures, émaux… La référence esthétique convient alors à la féminité. Une femme qui veut se consacrer à une carrière artistique ne peut que négliger ses tâches domestiques et maternelles. On trouverait surprenant qu’elle veuille s’emparer d’un lieu (« Une chambre à soi » dira plus tard Virginia. Woolf) et de temps pour elle. Donner, de plus, une publicité à ses productions, attirer ainsi l’attention sur elle, est contraire aux convenances… Même Stendhal en est convaincu qui pense aussi qu’alors le bonheur de cette femme est en jeu. « Vous voulez faire d’une femme un auteur ? […]. Je dirai qu’une femme ne doit jamais écrire […] que des œuvres posthumes à publier après sa mort. Je ne vois qu’une exception, c’est une femme qui fait des livres pour nourrir et élever sa famille […]. Hors de là une femme doit imprimer comme le baron d’Holbach ou Mme de La Fayette ; leurs meilleurs amis l’ignoraient. Publier un livre ne peut être sans inconvénient que pour une fille… ». Certaines assument des trajectoires marginalisées, d’autres choisissent l’ombre. Mme de Staël vit difficilement l’isolement de la femme auteur en butte aux critiques. Amour et gloire ne sont pas compatibles : elle ne manque pas de décrire la souffrance qui en résulte. George Sand, seule, indépendante, provocatrice sous son pseudonyme et ses vêtements masculins impose, sans souci de la mauvaise réputation, sa volonté de liberté, sa vie pleine d’hommes et de ruptures bruyantes, ses solides amitiés masculines, sa passion politique. Sa gloire n’est pas, comme pour Germaine de Staël, le deuil éclatant du bonheur. Sa révolte est personnelle, elle-même est exceptionnelle, la plus exceptionnelle intellectuelle de son siècle, joignant une œuvre immense à un engagement politique profond et actif. Elle se vit comme telle mais ne veut pas faire exemple : elle suggère néanmoins l’idée de la « femme libre ». Clara Schuman choisit de créer dans l’ombre de son mari servi et reconnu comme le maître incontesté ; Fanny Mendelssohn accepte les conseils d’effacement de son frère. Laure de Surville, sœur de Balzac, renonce à l’écriture… Etres faibles et assujettis, les femmes des classes dirigeantes sont toutefois héritières des rites de l’amour courtois et de la galanterie. « La femme mariée est un esclave qu’il faut savoir mettre sur un piédestal » (Balzac). Elles sont censées être au centre du jeu amoureux et du jeu social, objets d’hommages et de courtoisie, garantes du polissage des mœurs, détenant ainsi un pouvoir illusoire qui enrobe leur subordination. La singularité française des relations de salon entre les sexes est une compensation pour certaines. Même si la mixité s’est beaucoup affaiblie depuis la Révolution. « Tout d’un coup, chose inouïe, dans tous les salons de Paris, les hommes passèrent d’un côté et les femmes de l’autre : et ainsi, les unes vêtues de blanc comme des fiancées, les autres vêtus de noir comme des orphelins, ils commencèrent à se mesurer des yeux » (Alfred de Musset, Les confessions d’un enfant du siècle, 1836) Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : les hommes. H. Auclair (ou Auclert) a fondé une association, « Le Droit des Femmes », en 1876 et un journal, La Citoyenne, en 1880. Elle est l’une des premières militantes féministes de la IIIe République. Mais le combat des femmes est plus ancien : déjà, Olympe de Gouges, pendant la Grande Révolution, réclamait pour les femmes des droits politiques : « La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit également avoir le droit de monter à la tribune. » Des femmes ont joué un rôle dans les révolutions du XIXe siècle (cf. George Sand en 1848, Louise Michel pendant la Commune de 1871). La revendication de l’égalité est au centre du mouvement féministe français : - égalité civile : le divorce a été rétabli en 1884, puis des mesures ponctuelles ont été prises, mais les femmes demeurent sous le régime du Code civil de 1804 ; - égalité des salaires : les salaires féminins représentent, sur toute la période, en moyenne 50 % des salaires masculins. Pour la liberté des jeunes filles Ce livre a choqué beaucoup de contemporains, parce que Léon Blum y prône très explicitement la liberté sexuelle pour les jeunes filles comme pour les jeunes gens. La société française de la Belle Époque reste encore très marquée, en effet, par l’inégalité entre les sexes. Autant la liberté sexuelle est tolérée pour les hommes, autant elle est considérée pour les femmes comme un dangereux dérèglement. En envisageant ici que les jeunes filles vivent exactement comme leurs homologues masculins, en s’installant hors du domicile parental, Léon Blum brise donc un tabou. Ce texte, malgré son ton apparemment posé, a une dimension subversive, provocatrice. Le jeune intellectuel d’avant-garde qu’est Blum participe au mouvement d’émancipation des femmes qui s’esquisse au début du XXe siècle. L’un des facteurs essentiels de cette émancipation, selon Blum, est l’éducation et le travail : « le nombre de jeunes filles occupées par une étude ou par un métier augmentant sans cesse ». Les filles de la bourgeoisie accèdent de plus en plus nombreuses à l’enseignement supérieur, tandis que les filles des classes moyennes peuvent occuper des emplois de plus en plus diversifiés (enseignement, administration, grands magasins, etc.). La femme qui travaille et peut ainsi subvenir à ses besoins gagne en indépendance. L’année même où Blum publie son livre, en 1907, une loi autorise les femmes mariées à disposer librement de leur salaire. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 136 HC – L'armée en France 1850-1939 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Jean-François Chanet : Vers l’armée nouvelle. République conservatrice et réforme militaire, 1871-1879, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006. O. Roynette, « Bons pour le service ». L’expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle, Paris, Belin, 2000, 458 p. Documentation Photographique et diapos : CREPIN Annie, BOULANGER Philippe, « Le Soldat-citoyen, une histoire de la conscription », La documentation photographique, n° 8019, La Documentation française, février 2001. Revues : « Enseigner la défense », Historiens et Géographes, revue de l’Association des Professeurs d’Histoire-Géographie (A.P.H.G.) n° 390, avril 2005. « La défense, une histoire de citoyenneté », Textes et Documents pour la classe, n° 796, mai 2000. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Accompagnement 1ère STG : « Pour les Républicains, le service militaire a été un des vecteurs essentiels, avec l’école, de construction du modèle français de citoyenneté et d’intégration. Pour toute démocratie, les choix en matière de défense sont essentiels et ce sujet doit permettre notamment de faire réfléchir les élèves sur le passage de la conscription à l’armée de métier, qui marque un changement fondamental dans les rapports de la nation et de sa défense. Cette question ne peut se limiter à un champ chronologique étroit et son étude se prolongera jusqu’à nos jours, en intégrant la dimension européenne. » De nombreuses affiches sont publiées à l’occasion de la célébration du 14 juillet en 1880. Elles entendent célébrer la concorde nationale autour de la République : un soldat, un civil et un garde national se donnent l’accolade sous le buste de Marianne. La forte présence de militaires évoque évidemment le contexte encore très présent de la défaite de 1870 et la nécessité de se préparer à l’éventualité d’une nouvelle confrontation avec la Prusse. Contrairement à une idée reçue, l’armée est donc associée à la République. S’il ne fait guère de doutes qu’une partie de la hiérarchie militaire, dominée par des réflexes réactionnaires, est encore très réticente à son égard, il est non moins vrai que les échelons les plus modestes de l’armée ont été « républicanisés » bien plus précocement qu’on ne l’a dit. On peut à ce sujet se référer au livre récent de Jean-François Chanet : Vers l’armée nouvelle. République conservatrice et réforme militaire, 1871-1879, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006. L’association RépubliqueArmée en 1880 n’est donc pas une incongruité ! Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 1ère STG : « La défense nationale. Le sujet traite des grands débats et des orientations stratégiques de la défense de la France dans ses dimensions militaires, économiques et civiles. L'étude est prolongée jusqu'à nos jours et introduit la dimension européenne. » Accompagnement 1ère : « Le cadre territorial et démographique Alors que le reste de l’Europe entre à peine dans la transition démographique et connaît un essor de sa population, en France, la baisse de la natalité est continue, tant en milieu rural qu’urbain. La croissance démographique après 1880 y est de 0,29 % – et plusieurs années sont déficitaires – quand elle est de 1,3 % en Italie et de 1,37 % en Allemagne. On comprend les craintes qui poussent au vote de la loi militaire de trois ans en 1913. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : ARMÉE D’ACTIVE OU DE RÉSERVE Après que la puissance de la levée en masse a sauvé la Révolution, le premier Empire privilégie la conscription. La supériorité numérique en découle est un atout durant les guerres napoléoniennes. On comprend que, dans le souvenir de la « nation armée » symbolisant la Révolution et de la conscription généralisée napoléonienne, la Charte de 1814 « octroyée » par Louis XVIII abolisse la conscription, puis que les conservateurs qui dominent les régimes politiques jusqu’en 1870 préfèrent une armée professionnelle. En revanche, libéraux et républicains soutiennent l’idée d’une armée populaire. En 1818, la loi GouvionSaint-Cyr organise une armée fondée sur le service volontaire – le service obligé par appel, d’une durée de six ans, pour tout le monde et par tirage au sort, étant réservé aux situations graves. Mais le système du « remplacement » limite Armée, République et patriotisme Dans le dernier tiers du XIXe siècle, le patriotisme est l’une des composantes essentielles de la culture républicaine. Cette exaltation de la patrie puise ses racines dans l’héritage de 1792-1793 et le souvenir des guerres révolutionnaires : propagation par les armées révolutionnaires des valeurs émancipatrices, mais également défense du territoire de la République envahi par les troupes des États monarchiques (Prusse et Autriche). Le geste des soldats de l’an II 137 l’enrôlement aux plus pauvres et donne lieu, des décennies durant, à un véritable marché humain. Très souvent coupés de leurs familles et de leurs terroirs, les « remplaçants » restent dans un service caractérisé par de strictes relations hiérarchiques. Dans Lucien Leuwen, Stendhal dépeint la vie de garnison sous la monarchie de Juillet, et montre une armée dominée par le formalisme hiérarchique, vivant à l’écart de la population et prête à jouer un rôle de répression intérieure. Ainsi, l’armée qui réprime l’insurrection de juin 1848 et accomplit le coup d’État de 1851 est, pour l’essentiel, une troupe de soldats devenus vieux et de remplaçants attirés par l’indemnité. La IIe République n’ayant pas eu le temps de mener à bien une réforme militaire, c’est après les succès de la guerre de Crimée (1855) que le second Empire – l’État – organise la pratique du remplacement. Le militaire devient un professionnel et l’obligation joue le rôle d’un impôt, cependant que les inégalités sociales et géographiques, entre régions riches et régions pauvres, exportatrices de remplaçants, sont officialisées. L’année 1866 constitue un cap : le retentissement européen de la victoire prussienne sur l’Autriche à Sadowa consacre la montée en puissance de la Prusse et de son armée. Inquiété par les ambitions bismarckiennes, Napoléon III organise un vaste système de réserves à côté de l’armée d’active. Toutefois, il se heurte à toutes les catégories sociales, la bourgeoisie surtout, et le projet échoue. Le rôle du peuple dans la défense reste donc sujet à controverse : la bourgeoisie prônant l’ordre social, elle préfère un service militaire sélectif et long. Quant à l’opposition républicaine, elle critique les institutions militaires et, à l’exemple de Gambetta plaidant pour « la suppression des armées permanentes » (campagne électorale de 1869), elle défend un service court, fondé sur d’importantes réserves. LE TOURNANT RÉPUBLICAIN De la défaite de Sedan à la Grande Guerre, la construction progressive du modèle républicain sur la base de l’intégration citoyenne par l’école et les obligations militaires fait évoluer la conception de l’armée. La guerre de 1870 est un tournant majeur : la rapidité de la défaite précipite une crise de la conscience nationale qui favorise le rapprochement des conservateurs et des républicains autour d’une même idée : l’armée est l’expression du patriotisme et l’outil de la « revanche ». Dans cette évolution justifiant l’idée d’une conscription plus large, l’existence, en Prusse, d’un service militaire universel pèse lourd. Il faut néanmoins considérer d’autres éléments. D’abord l’industrialisation : sa croissance aspire la main d’œuvre rurale disponible et tarit les sources du volontariat. Par ailleurs, la loi du nombre domine les champs de bataille : la recherche d’une puissance de feu décisive (grâce aux nouveaux fusils, dont le fameux Lebel) exige le renforcement numéraire de l’infanterie. Enfin, les ressources financières accrues des États leur permettent d’entretenir de grandes armées. Le principe d’un service plus court, fondé sur la rotation des conscrits, présente alors l’avantage de préparer des centaines de milliers d’hommes à combattre et de constituer d’importantes réserves. Le 27 juillet 1872, malgré les réticences d’Adolphe Thiers, alors aux affaires, et d’une partie des conservateurs, une première loi établit un service militaire personnel de cinq ans et supprime le remplacement. Le tirage au sort perdure : les « mauvais » numéros effectuent la durée du service, les « bons » une année seulement. Inspirée du modèle prussien, la loi institue d’importantes réserves. Élaborée par une majorité conservatrice, elle prévoit un volontariat d’un an pour les jeunes gens pouvant s’équiper à leurs frais. Mais il faut attendre la « République des républicains » pour que le service militaire devienne réellement universel. Connu comme la loi des « Curés sac au dos », le texte du 15 juillet 1889 fixe un service de trois ans pour tous. Les clercs sont assujettis à une année de service et les étudiants à dix mois. Les soutiens de famille peuvent être dispensés. Mais la loi la plus égalitaire est votée en 1905, donnant enfin corps à la notion de « service universel ». En 1891, le maréchal Hubert Lyautey, officier de cavalerie ayant déjà séjourné dans le Sud algérien, ami de E. M. de Vogüe, accepte sur le conseil de celui-ci de publier dans la Revue des deux Mondes une étude sur le rôle social de l’officier dans le service militaire universel. Dans ce texte, il donne tout d’abord le but du service obligatoire : rassembler « toute la Nation » et il le répète plusieurs fois : « nul n’y échappe », « il ne s’agit plus de tel ou tel groupe», «tous…». C’est donc à demeure, pour les Républicains l’un des grands moments de l’histoire de la grande Nation. Mais, de façon plus contemporaine, c’est le souvenir du gouvernement de la Défense nationale en 1870 qui conduit Gambetta à associer République et patrie. Si les républicains ont en juillet 1870 refusé l’engagement militaire contre la Prusse, ils ont du, après le 4 septembre, mettre en oeuvre les mesures susceptibles d’éviter la défaite et l’invasion : réorganisation militaire, délégation gouvernementale transférée à Tours sous l’autorité de Gambetta. Même si l’échec de cette politique a conduit à l’arrêt des combats en janvier 1871, l’assimilation entre patrie et République demeure. Elle va conduire les républicains, non seulement à agir afin d’éliminer les séquelles du conflit (paiement de l’indemnité de guerre par anticipation en 1873), mais également à développer une conception de l’armée fondée sur le rôle du citoyen-soldat (service militaire obligatoire) et à mobiliser les esprits dans la perspective d’une hypothétique reprise des provinces perdues (création des bataillons scolaires). La patrie est donc alors une valeur républicaine même si plusieurs conceptions de ce patriotisme se feront jour par la suite : patriotisme continental de défense du sol (Clemenceau) ou bien patriotisme de compensation par la conquête coloniale (Jules Ferry). La République donne une place de choix à son action dans le domaine militaire : établissement de la conscription, revalorisation des retraites des militaires, attachement quasi sentimental à l’armée, modernisation de ses matériels. Les républicains mettent en avant le caractère défensif de cette armée pour ne pas effrayer un électorat traumatisé par la défaite de 1870, mais, en fait, c’est aussi la revanche qui se prépare. Jean-François Chanet Vers l'armée nouvelle : République conservatrice et réforme militaire, 1871-1879 29 juin 1871. Sur l'hippodrome de Longchamp, la revue des troupes, vaincues par la Prusse mais victorieuses de la Commune, semble promettre à la France humiliée une rapide convalescence. 30 janvier 1879. Le maréchal de Mac Mahon donne sa démission de président de la République parce qu'il refuse de signer le décret remplaçant neuf des dix-huit généraux commandants de corps d'armée. Au cours de ces huit années, la Troisième République, conservatrice encore, suivant le voeu de M. Thiers, a dessiné les premiers traits d'une armée nationale par le principe de son recrutement et par les liens nouveaux qui l'unissent à la société civile. Longtemps, on a 138 l’armée que la République donne ce rôle de rassembleur à la fois pour la défense de la patrie mais aussi dans un but de promotion ou de justice sociale : « le plus vaste champ d’action sociale ». Au sein de l’armée, l’officier devra jouer ce rôle de rassembleur et de justicier : il devra « enflammer ces jeunes hommes » afin de les souder dans la nation, « connaître parfaitement les hommes dont il a la charge », être attentif au « bien-être de la troupe » et être juste envers tous (« être un arbitre entre soldats et sous-officiers »). Il ne s’agit donc pas pour Lyautey de bouleverser la société mais de la rendre plus harmonieuse et plus juste, afin d’éviter les tensions et de renforcer la trame sociale autour d’une République nouvelle. La conscription systématique, mise en place en 1798, est définie dans ses grandes lignes sous l’Empire : le principe du tirage au sort, qui rend possible le remplacement du conscrit désigné, ainsi que de nombreuses possibilités de dispenses, permettent à une grande partie de la population masculine d’échapper au service militaire, particulièrement dans les campagnes où le besoin de maind’oeuvre est fort. La IIIe République, dès janvier 1873, adopte une loi qui abolit la substitution, fixe à 5 ans la durée du service militaire et instaure de nouvelles possibilités de dispenses pour les classes les plus éduquées (étudiants, enseignants, prêtres) et les plus aisées. À partir de 1889, tous les Français physiquement aptes sont soumis à un service militaire de 3 ans. Les anciens bénéficiaires d’exemptions sont désormais contraints d’accomplir un service d’un an. En 1905, la durée du service militaire est fixée à deux ans pour tous, avant d’être ramenée à 3 ans en 1913. Dès les années 1890, les effets du service militaire « universel » commencent à se faire sentir au sein de la société française, et particulièrement dans le monde rural : il diffuse la langue française, instruit les recrues les moins éduquées et sert de relais à la propagande patriotique. Il propose également aux jeunes recrues l’expérience d’un mode de vie totalement différent et leur impose un voyage hors de leur région d’origine, mettant ainsi fin à l’isolement des campagnes. La mixité sociale contribue aussi à la construction du sentiment national et à la diffusion des valeurs égalitaires de la République. CIVISME ET SOCIALISATION Les républicains font donc du service une institution emblématique du nouveau régime ayant une triple fonction : incarner le devoir patriotique, symboliser l’égalité des citoyens devant la loi, contribuer à assurer l’unité du pays. La conjoncture des années 1870-1880 pèse ainsi lourd dans l’importance institutionnelle et symbolique du service militaire. L’école et l’armée joignent leurs efforts pour exalter le patriotisme. « La patrie, déclare Jules Ferry en 1881, est une religion qui n’a pas de dissidents ». Certes, les décennies suivantes soulignent les limites de cette conviction. Toutefois, les débuts de la IIIe République créent vraiment une nouvelle situation : avant 1870, l’armée était étrangère à la majorité des Français ; par la suite, et surtout après 1905, le service devient une expérience commune à la plupart des jeunes hommes. L’armée entre dans le paysage familier. Par-delà leurs divergences, les gouvernements de la Belle Époque magnifient tous la conscription. La réalité est plus triviale : routinière et tracassière, la vie des casernes prête vite le flanc à la critique. Plusieurs livres des années 1880 (Le Cavalier Miserey d’Abel Hermant, Sous-offs de Lucien Descaves, Les gaietés de l’escadron de Georges Courteline), le théâtre et les chansons exploitent une satire militaire réassortie des années durant, ceci en dépit des évolutions notables de l’armée. Pourquoi cette polarisation ? Parce que, pour plusieurs générations, le service représente un fait social majeur. Jusqu’aux années 1950, ce rite initiatique dans la vie des hommes (surtout pour la paysannerie et, dans une moindre mesure, pour les ouvriers) est en effet un facteur d’intégration (linguistique, par exemple, à la fin du XIXe siècle), de socialisation et de brassage social, permettant entre autres de sortir du milieu familial et de travail. Parallèlement, le service a aussi sa culture propre (fêtes des conscrits jusqu’au déclin de la fin du XIXe siècle, passage devant le Conseil de révision jusqu’aux années 1960) et instaure des habitudes, bonnes ou mauvaises – santé, comportement en groupe – qui nourrissent un débat social récurrent et contradictoire. Le débat existe aussi quant au rôle civique du service. Les républicains ne doutent pas de sa fonction formatrice ou d’intégration, de sensibilisation communautaire. Dès 1887, Jean Jaurès écrit : « En même temps qu’il est une grande école patriotique, le régiment vu dans cette armée un obstacle ou un frein à la consolidation des institutions démocratiques. Ce livre s'attache à montrer qu'il faut réviser cette idée reçue. S'il n'est pas douteux que ses principaux chefs étaient alors monarchistes ou bonapartistes, l'urgence des réformes et la difficulté de les financer leur commandaient à la fois le légalisme et la transaction. Entre l'armée, l'administration et les élus locaux, souvent républicains déjà dans les plus grandes villes, des besoins et des intérêts réciproques ouvraient la voie du compromis qui devait habituer les uns aux règles démocratiques et les autres à l'utilité d'avoir la force avec soi. Tel est le sens, telles sont aussi les limites de l'apparente unanimité patriotique née dans Paris incendiée comme dans la province éprise d'ordre et de paix. Première célébration du 14 juillet en tant que fête nationale Le 14 juillet est choisi comme fête nationale par la loi du 6 juillet 1880. Cette première célébration est l’occasion de remettre aux 267 régiments de l’armée française leurs nouveaux drapeaux, brodés de l’inscription « République française » à l’avers, et portant au maximum quatre noms de victoires au revers. Les précédents drapeaux étaient, soit perdus ou détruits lors de la guerre de 1870-1871, soit des drapeaux provisoires, sans inscriptions, remplaçant ceux du Second Empire. La cérémonie souligne ainsi la fondation de l’armée républicaine (toujours le souvenir de la défaite de 1870-1871). Le 14 juillet affirme dès lors sa double caractéristique : une fête militaire et une fête civique de ralliement à la République. Image célébrant le 14 juillet 1890 C’est l’aspect militaire de la fête qui est ici représenté, avec un soldat de la Ire République à gauche (sabot, pantalon rayé, bicorne à cocarde et plumet, fusil) qui renvoie aux guerres de la Révolution (17921802) et un soldat de 1890 à droite (pantalon garance, veste bleue, sac et shako). Les deux soldats se tiennent par l’épaule devant un buste de Marianne, symbolisant ainsi l’union entre la Ire et la IIIe République. Français souscrivant à l’emprunt de 5 milliards de francs-or La scène représente surtout des paysans (les sabots) apportant leur contribution qui permettra de payer l’indemnité de guerre exigée par le traité de Francfort. Les deux emprunts levés sont des succès (le second est couvert treize fois). La France est libérée de l’occupation allemande avec un an d’avance (septembre 1873). Le rôle du service militaire Les conscrits sont les jeunes gens d’une même classe d’âge devant effectuer leur 139 est une grande école républicaine. » Pourtant, durant leur service, sans droit de vote ni droit d’expression et d’association, les soldats ne sont pas considérés comme des citoyens. L’armée doit être un instrument ou, selon l’expression consacrée : la « grande muette ». De toute la IIIe République, cette contradiction n’est pas levée. Elle est même accentuée, dans les milieux populaires, par le recours à une armée répressive lors des conflits sociaux, à l’exemple du drame de Fourmies, en 1891. L’Affaire Dreyfus provoque une vive crise de confiance dans une partie des élites françaises. Au tournant du siècle, cette situation nourrit un courant antimilitariste, plus ou moins teinté de pacifisme, surtout chez les syndicalistes CGT et chez certains SFIO, autour de Gustave Hervé. Cette flambée antimilitariste n’entame cependant pas l’attachement à la France. Dans ce contexte et à l’instar des propos de Jaurès dans L’Armée nouvelle (1911), la gauche parlementaire (socialiste et radicale) tente en vain de promouvoir une autre conception, fondée sur l’idée d’une stratégie défensive et d’une organisation de milices populaires entraînées et armées. À l’aube des années 1910, les menaces de guerre réactivent le débat sur la nature de l’armée et du service. Vivement combattue par les socialistes et certains radicaux, la loi du 7 août 1913, qui rétablit la durée du service à trois ans, devient un enjeu politique fort lors des élections législatives de 1914, remportées par la gauche. Au début de la IIIe République, en 1889, une première loi établit le service à trois ans. En 1905, une deuxième loi le ramène à deux ans. Le 19 juillet 1913 à la Chambre, le 7 août au Sénat, est votée la « loi des trois ans » en réponse à l’aggravation de la tension internationale, aux incessantes nouvelles menaces de guerre et à la demande de l’état-major français affirmant qu’en cas de guerre l’armée active devrait être plus nombreuse puisque les Allemands sont plus nombreux. Jaurès est opposé à cette loi : «Nous sommes convaincus, mes amis et moi que la direction de l’avenir, c’est une limitation progressive du temps mort de la caserne et un développement correspondant de l’éducation à la fois militaire et civique de la masse des Français ». Un projet de loi ramenant la durée du service à deux ans va être déposé à la Chambre des députés lorsqu’éclate la guerre. Dans L’Armée nouvelle, ouvrage publié en 1910, Jaurès fait part de ses propositions quant à l’armée française mais aussi à l’éducation civique et militaire des Français. Dans cet extrait, l’auteur oppose d’un côté les fauteurs de guerre (« maquignons », « castes du militarisme », « bandes de la finance ») aux « défenseurs de la démocratie et de la paix », c’est-à-dire le «prolétariat ». Il mêle la volonté de l’universalité (représentée par « l’Internationale », citée quatre fois) et la défense de la patrie (« servir l’Internationale (…), c’est servir la patrie ellemême »), « l’indépendance des nations » et « l’Internationale ». D’après lui, les prolétaires peuvent empêcher la guerre, au nom de valeurs (indépendance des nations, défense de la démocratie et de la paix) et en s’unissant (l’Internationale). C’est dans cet esprit que les pacifistes, les socialistes et syndicalistes brandissent la menace d’une grève générale pour défendre la paix en cas de conflit, mais la IIe Internationale échoue dans la préparation de cette action en décembre 1912. En juillet 1914, des manifestations antimilitaristes ont lieu dans l’Europe tout entière mais sans organisation et sans représenter un réel danger pour les nationalistes. Le 30 juillet au soir, les dirigeants de la SFIO et de la CGT décident d’organiser un grand rassemblement prolétarien le 9 août pour l’ouverture à Paris du Congrès de l’Internationale. L’assassinat de Jaurès jette le désarroi chez les militants et fait se ranger les socialistes européens derrière leurs gouvernements respectifs : c’est l’«Union sacrée ». LE TRAUMATISME DE LA GUERRE Cette armée nationale connaît une épreuve de vérité en 1914-1918. Sont mobilisés douze millions d’hommes d’une nation à dominante paysanne, que des sous-lieutenants, souvent instituteurs, mènent au feu. Sous la bannière de l’Union sacrée, la résolution à défendre la patrie ne fléchit pas durant ces années terribles, et s’il y a les mutineries de 1917, on s’étonne finalement qu’elles aient été aussi peu nombreuses. Ce consentement de la population aux sacrifices imposés par les combats découle des décennies de préparation institutionnelle des esprits et de la prise de conscience patriotique de la nation agressée. La victoire semble consacrer l’organisation de l’armée et l’utilité d’une troupe nombreuse de conscription, de la mobilisation citoyenne mêlant toutes les service militaire. Dès la loi du 27 juillet 1872, le principe du service militaire obligatoire pour tous est voté, c’est-à-dire l’obligation du service personnel et non plus seulement de la conscription avec ses « bons » et «mauvais » numéros. Cependant le tirage au sort est maintenu : les «mauvais numéros » feront cinq ans, les bons six mois à un an. Le système du remplacement à été aboli à l’unanimité moins une voix. Les titulaires d’un baccalauréat, c’est-à-dire les enfants de la bourgeoisie, peuvent verser 1 500 francs à l’État et s’engager pour un an, ce qui leur évite les cinq ans éventuels du tirage au sort. Cette loi est un compromis entre les monarchistes, alors majoritaires à l’Assemblée, qui souhaitent une armée de métier et les républicains qui veulent un service de trois ans. Elle constitue cependant un pas vers plus d’égalité face au devoir de défense. Pour les républicains, après les défaites de 1870-1871, le service doit être une école de civisme, ce qui n’est pas toujours la réalité des faits comme le dénoncent de nombreux auteurs. D’autre part, le brassage sous les drapeaux doit conduire à la constitution de l’unité nationale et notamment à l’uniformisation linguistique et culturelle. On perçoit bien sûr la caricature, en observant les différentes tenues, la diversité des origines sociales et régionales et donc le brassage opéré par le service. Les républicains ont rendu possible la « fin des terroirs » par l’école, le chemin de fer et le service militaire. L’antimilitarisme est très présent en France avant 1914 chez les militants socialistes, anarchistes et syndicalistes révolutionnaires. Gaston Mardochée Brunschwig, dit Montéhus, est un auteur français dont les chansons, entre 1897 et 1914, sont marquées par l’idéologie socialiste et l’antimilitarisme. Son premier succès en 1907 est Gloire au 17e, un régiment de soldats qui a refusé de tirer sur une manifestation de vignerons. Néanmoins, pendant la Première Guerre mondiale, il crée des chansons militaristes, ce qui lui vaut la Croix de guerre en 1918. Il revient à ses convictions antimilitaristes en 1919 en composant ce qui est considéré comme son chef d’oeuvre, La Butte Rouge. Dans les années 1930, il adhère à la SFIO et soutient le Front populaire avec le titre Vas-y Léon. Dans l’ouvrage L’Argent, Péguy présente le livre de son ami E. Psichari, L’Appel aux armes. Nous sommes en 1913, c’est-à-dire en période d’accentuation des tensions nationalistes en Europe. Ici, l’exaltation s’applique au soldat français qui a pour mission de défendre le territoire français. 140 catégories sociales. Au reste, cette victoire en trompe l’œil masque les tueries inutiles et le manque d’imagination des états-majors, de même qu’elle minore le poids de la supériorité technique due notamment à l’entrée en guerre des ÉtatsUnis. Surtout, le coût de la victoire traumatise le pays en profondeur et détermine la vague pacifiste des années 1920-1930. Tout concourt donc à ce que, par la suite, une vision défensive l’emporte dans les choix stratégiques français. La durée du service a beau fluctuer (18 mois en 1923, 1 an en 1928, 18 mois en 1935 et 2 ans en 1936), l’organisation et la réalité des casernes restent celles d’avant 1914. Certes, en 1934, le colonel de Gaulle publie Vers l’Armée de métier : à la masse des conscrits et des réserves (il ne remet pas en cause le service), il veut ajouter un « instrument de manœuvre capable d’agir sans délai » ; mais ce discours sur la professionnalisation se heurte à un veto politique transcendant les clivages politiques et le débat avorte. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Dans ces treize lignes, Péguy prononce neuf fois le mot «Français », sept fois le mot « soldat » et il fait cinq fois allusion au « soldat français ». Dès le début de l’extrait, il oppose les intellectuels (« la Sorbonne ») au peuple (« la terre » ; « la quantité de terre ») afin de revenir aux sources mêmes de la France toujours rurale. Le « soldat français », que ce soit celui des milices de l’Ancien Régime ou celui de la conscription, a construit le territoire et Péguy fait reposer cette construction sur deux fondations : la langue et les frontières. Il cite les lieux où l’on parle français tout en faisant allusion à la colonisation africaine (Dakar et Bizerte) et à des frontières quelque peu élargies (Liège est en Belgique, Colmar et Mulhouse en Allemagne). Le patriotisme de Péguy prend ici des formes très nationalistes. Si la caserne est un lieu de brassage social, si l’armée contribue à l’enracinement du patriotisme républicain, les critiques restent nombreuses, en particulier par le biais de la caricature et de la chanson populaire : le « comique troupier » est un genre répandu. Plus important, un courant antimilitariste et pacifiste se développe dans les milieux socialistes et syndicalistes. Enfin, l’armée est traversée par de graves tensions, comme en témoigne l’affaire Dreyfus : tensions entre officiers formés dans les grandes écoles et officiers sortis du rang, entre officiers monarchistes et officiers républicains. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 141 HC – Être catholique en France de 1850 à 1939 Approche scientifique Approche didactique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude Insertion dans les programmes (avant, spatiale) : après) : Comment l’Église s’adapte-t-elle à la société industrielle ? Faut-il parler de déchristianisation, de laïcisation ou de sécularisation des sociétés ? Sources et muséographie : L’observation des documents pose aussi la question de l’appréciation quantitative du processus alors en marche. Le catholicisme offre des instruments de mesure variés du fait de ses nombreuses pratiques sacramentaires obligatoires (faire ses Pâques, se confesser…). Ouvrages généraux : Denis Pelletier, Etienne Pouilloux, Nathalie Viet Depaule, Les catholiques dans la République (1905-2005) (L'Atelier, 2005) Denis Pelletier, Les catholiques en France depuis 1815 (La Découverte, 1997) Histoire de la France religieuse, tome 3, « Du roi très chrétien à la laïcité républicaine : XVIIIe-XIXe siècle» (dir. Joutard Philippe) et tome 4, «Société sécularisée et renouveaux religieux : XXe siècle » (dir. Rémond René), Le Seuil, 2001 et 1992, 540 p. et 476 p. Patrick Cabanel et Michel Cassan, Les catholiques français du XVIe au XXe siècle, coll. « 128 », Nathan Université, Paris, 2006. G. Cholvy, La Religion en France de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Hachette, Paris, 1998. G. Cholvy, Christianisme et société en France (1790-1914), coll. « Points Histoire », Le Seuil, Paris, 2001. R. Ladous, A. Quagliarini, Religion et culture en France, Allemagne, Italie et Royaume-Uni au XIXe siècle, Ellipses, Paris, 2001. Rémond René, Religion et Société en Europe, la sécularisation aux XIXe et XXe siècles, 1789-2000, Le Seuil, 2001, coll. «Points Histoire», 304 p. Baubérot Jean, Mathieu Séverine, Religion, modernité et culture au Royaume-Uni et en France, 1800-1914, Le Seuil, 2002, coll. «Points Histoire», 314 p. Gerbod P., Europe culturelle et religieuse, PUF, 1989. Boudon, Caron et Yon, Religion et culture en Europe au XIXe siècle, coll. « U », Armand Colin, Paris, 2001. Jean-Marie Mayeur (dir.), Histoire du christianisme, tome 11 : Libéralisme, industrialisation, expansion européenne (1830-1914), tome 12 : Guerres mondiales et totalitarismes, 1914-1958, Desclée/Fayard, Paris, 1995 et 1999. Isabelle Poutrin (dir.), Le XIXe siècle. Science, politique et tradition, Berger-Levrault, 1995. Brigitte Waché, Religion et culture en Europe occidentale au XIXe siècle, coll. « Sup », Belin, Paris, 2002. Documentation Photographique et diapos : J.-O. Bourdon, J.-M. Mayeur, « Les catholiques en France (XIXe-XXe s.) », La Documentation photographique, Paris, 1994. Revues : Les catholiques sont-ils les ennemis du monde moderne ? L’Histoire n° 135, juillet-août 1990. M. Winock, « La République des catholiques », L’Histoire n°199, mai 1996. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Sur le plan religieux, les Églises rencontrent des difficultés pour s’adapter au monde moderne car elles sont confrontées à un profond processus de déchristianisation éloignant d’elles tant la bourgeoisie que les masses populaires. Elles doivent en outre affronter des États qui souhaitent parvenir à laïciser la société. Enfin, les Églises souffrent de la concurrence d’une science perçue comme toute-puissante, parvenant à reculer sans cesse les limites de la connaissance et allant, avec le scientisme, jusqu’à prétendre pouvoir tout expliquer. On se gardera de confondre sécularisation des sociétés et « déclin » inéluctable des religions dans une approche mécaniste et scientiste qui n’est plus guère défendue aujourd’hui. Les religions se transforment et s’adaptent, comme en témoignent les succès des pèlerinages et des organisations de masse catholiques ou protestantes. De même, il faudra se prémunir de généraliser le cas français d’une laïcité radicale, celle-ci s’étant construite en opposition à la politisation souvent antirépublicaine des catholiques français. Il faut se placer dans « le temps long » : les travaux pionniers de Michel Vovelle sur la Provence ont montré que l’affaiblissement de la pratique religieuse en France est repérable et mesurable dès le XVIIIe siècle. Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « BO 4è futur : « L’ÂGE INDUSTRIEL L’industrialisation qui se développe au cours du XIXe siècle en Europe et en Amérique du Nord entraîne des bouleversements économiques, sociaux religieux et idéologiques. Connaître et utiliser - Encyclique Rerum Novarum 1891 Décrire et expliquer un exemple de mutations liées à l’industrialisation » Comment les Églises réagissent-elles aux avancées de la société industrielle ? 142 Les progrès de la science et les courants intellectuels qui lui sont liés (positivisme, scientisme, rationalisme) remettent en cause les certitudes de la foi et, par extension, la domination de l’Église. La sécularisation des sociétés et la tendance de plus en plus marquée à la déchristianisation contribuent à la crispation idéologique de l’Église catholique (Syllabus de 1864, crise moderniste de 1900). Celle-ci entame toutefois dans un second temps une démarche d’adaptation au monde moderne (De Rerum novarum, 1891) en s’appropriant la question sociale et en mettant en place des structures associatives pour reconquérir les populations ouvrières et urbaines. Les Catholiques dans la République Quelle a été la place des catholiques dans la République depuis la séparation des Eglises et de l'Etat en 1905 ? L'expression de leurs croyances a-t-elle été réduite à la sphère privée ? Se sont-ils retranchés dans une opposition frontale à l'Etat ? Ont-ils investi la société pour façonner, au travers de conflits multiples avec les courants laïques, socialistes ou libéraux, le visage de la République française ? Quelle part ont-ils prise à la modernisation de notre modèle démocratique ? Pour la première fois, un ouvrage dresse le tableau d'ensemble de l'engagement catholique dans la France du XXe siècle. Des paysans aux intellectuels, de l'usine à l'hôpital, de l'intimité familiale à l'espace politique, ce livre donne au débat sur religion et politique l'épaisseur d'un siècle d'histoire. Inédite par son ampleur, rigoureuse par sa méthode et novatrice dans ses interprétations, cette synthèse historique rend compte d'un paradoxe : comment les catholiques ont-ils pu participer à la construction d'une République dont ils étaient supposés, au début du siècle, combattre les valeurs et les principes ? Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : UNE ÉGLISE ENCORE TRADITIONNELLE Dans ses pratiques. Tableau peint par J.-F. Millet en 1858. Musée du Louvre, Paris. L'Angélus est devenu le reflet idéal de la sérénité paysanne, de la France qui se vit comme un village à la force tranquille. Pourtant, lorsque Millet le peint en 1858, on lui reproche sa tristesse apprêtée au service du socialisme, une forme de défaitisme anti-campagnard. Dans une lettre écrite à Siméon Luce en 1865 à propos de l’Angélus, Millet écrit « je ne puis vous dire autre chose de l’Angélus sinon que je l’ai fait en pensant comment, en travaillant dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas, en entendant la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l’angélus pour ses pauvres morts, bien pieusement et le chapeau à la main ». L’Angélus représente le lieu-dit « Les Roches » dans la plaine de Chailly à Barbizon. Au dernier plan, on aperçoit l’église de Chailly. Accompagnement 4è : « L’évolution culturelle et artistique est liée à l’évolution économique et sociale sans en être exclusivement dépendante. Ainsi, la généralisation de l’alphabétisation coïncide avec l’ouverture des terroirs mais elle correspond, aussi, à l’affirmation de l’État. De même la laïcisation des sociétés n’est pas un phénomène univoque. Le XIXe siècle voit, avec le développement des ordres religieux, des pèlerinages et des missions, une tentative des Églises pour s’adapter au monde moderne. » Dans sa doctrine : le Syllabus de Pie IX Pourtant précédé d’une réputation d’ouverture, Pie IX réagit au contexte positiviste de l’époque, qui semble mettre en péril la domination de l’Église : la traduction en français des théories de Darwin en 1862 ou encore la publication de La Vie de Jésus de Renan semblent remettre en cause les fondements même de la foi catholique. La papauté se sent par ailleurs menacée par la politique laïque du royaume du Piémont. L’existence des États pontificaux et la souveraineté temporelle du pape sont alors en danger. Un syllabus est un recueil de questions tranchées par l’autorité papale. Ce syllabus accompagne l’encyclique Quanta Cura du 8 décembre 1864. Il énumère 80 propositions condamnées par Pie IX. Elles étaient extraites des « allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques de Pie IX ». L’ensemble semble impliquer, de la part de Pie IX, une volonté de rupture totale avec le monde moderne. Pie IX s’oppose à la société libérale puisqu’il nie les grandes libertés notamment en matière de religion « article 15 et 16 », de même que le droit de se révolter contre le prince tyrannique « article 58 ». De manière générale, il s’oppose à toutes les « innovations » tendant à remettre en cause la prééminence de l’Église catholique dans les sociétés européennes. Le Syllabus montre que Pie IX rejette totalement les évolutions apportées par les Lumières ou par la diffusion des principes de la Révolution française. Il reste nostalgique d’un Accompagnement 1ere « L’âge industriel et sa civilisation » : « La structure, les problèmes et les débats de la société industrielle posent aux religions – confessions chrétiennes et judaïsme – des questions neuves. Elles hésitent entre la condamnation du monde nouveau et leur adaptation à celui-ci (christianisme social et catholicisme libéral, par exemple). Leur recherche de réponses infléchit leur regard sur le monde et les expressions de la foi. Elles élaborent des pratiques religieuses qui répondent aux formes neuves de la sensibilité et contribuent à les construire. Il en va ainsi, pour le catholicisme, de la dévotion au SacréCoeur, ou encore du renouveau des pèlerinages de masse à partir des années 1870, qui constitue un exemple à la jointure de ces aspects et de la modernité technologique. » 143 système politique caractérisé par l’alliance du trône et de l’autel (article 55) et dominé par un souverain de droit divin (article 58). Ainsi l’affirmation de l’impossibilité de toute révolte contre le prince, l’obligation d’obéissance, a peu de chance d’obtenir un écho favorable dans les milieux ouvriers. Il ne peut au contraire que renforcer la désaffection manifestée par les masses ouvrières qui s’éloignent d’une Église jugée trop favorable aux puissants. De même, le refus du divorce ne peut que renforcer l’incompréhension car les ouvriers vivent alors souvent en union libre, ne ressentant pas le besoin de faire confirmer leur union par l’Église (ou la mairie d’ailleurs). La doctrine définie par le pape est rigide, impose l’idée d’une Église incapable d’évoluer, rejetant totalement le monde moderne. Sur ce point, l’article 80 est un parfait résumé de la position pontificale par le refus parfaitement exprimé du progrès et de la civilisation moderne. Le Syllabus est un rappel des condamnations déjà portées antérieurement par le pape Pie IX contre les « erreurs du temps présent ». Composé de quatre-vingts extraits d’allocutions papales, le texte est placé en annexe de l’encyclique Quanta Cura et va bénéficier d’un retentissement considérable en Europe et particulièrement en France. Divisé en dix chapitres, le Syllabus condamne en particulier les erreurs modernes dans trois domaines différents. Le texte s’applique d’abord à rejeter le rationalisme, qu’il soit absolu et prenne la forme du scientisme, ou modéré. Le Syllabus condamne également les erreurs concernant la place de l’Église et ses droits temporels. Toute idée de séparation de l’Église et de l’État est vivement rejetée et la laïcisation des sociétés et des gouvernements est considérée comme une faute. Enfin, le texte condamne aussi les erreurs de morale et de conception religieuse. L’indifférentisme et la liberté de culte sont décriés. Le dernier article du Syllabus résume à lui seul la position pontificale de Pie IX. Il condamne explicitement des valeurs considérées alors comme intrinsèquement positives : le progrès et le libéralisme politique. Cette attitude a inspiré un catholicisme réactionnaire qui, en France, a combattu la République. L’ultramontanisme triomphe ; cette attitude sera confirmée par la promulgation de l’infaillibilité du pape en 1870. Cette partie d’échecs illustre le combat que mène Bismarck depuis 1870 et qu’on appelle KulturKampf (combat pour la civilisation) contre l’Église catholique. Il a pour but de faire de l’Église catholique une Église nationale dépendant étroitement de l’État. Ce combat a plusieurs causes : les progrès du catholicisme en Prusse ; la proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale par le concile du Vatican, refusé par certains catholiques allemands qui se constituent en Église indépendante et prennent l’appellation de « vieux catholiques ». Cette politique a plusieurs objectifs : permettre le rapprochement entre l’Empire allemand et le royaume d’Italie en délicatesse avec le Saint-Siège depuis la prise de Rome ; détruire le Centre catholique (parti politique qui a des sympathies pour l’Autriche ainsi que des velléités sociales et des tendances régionalistes). Elle se concrétise par la suppression en 1875 des articles de la Constitution de 1850 garantissant la liberté de l’Église. Toutes ces mesures provoquent la résistance du clergé et des fidèles soutenus par le pape. Le centre catholique avec, à sa tête, Mgr Ketteler et le député Windthorst, s’oppose vigoureusement à Bismarck et met en échec sa politique anti-catholique, À partir de 1878 une détente s’amorce pour deux raisons : l’avènement en 1878 d’un pape plus conciliateur, Léon XIII et la nécessité pour Bismarck s’appuyer sur le Centre catholique pour faire voter ses lois militaires. La déchristianisation et la sécularisation des sociétés Le détachement religieux des villes remonte à la Révolution. Durant tout le XIXe siècle, la réalité religieuse de la ville se caractérise par un important affaiblissement de l’emprise ecclésiale sur les élites et sur le peuple. Malgré une prise de conscience de l’épiscopat dès les années 1830, les remèdes proposés demeurent longtemps trop traditionnels et imprécis aboutissant à une perte de contact croissante. Les zones industrielles sont à leur tour touchées. La pratique devient coutumière, se limitant de plus en plus aux grandes fêtes. L’évolution des pratiques religieuses à Paris de 1865 à 1910 Ce graphique met en évidence la diminution des pratiques religieuses par le biais de statistiques concernant trois des principaux sacrements catholiques. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, la vie des Parisiens est de moins en moins rythmée par l’Église catholique. L’Église prend rapidement en compte ce phénomène et tente d’évangéliser la banlieue et de garder son influence dans les Un dimanche à la messe Cette image est tirée d’une publication catholique à vocation pédagogique : il s’agit de convaincre les ouvriers de la nécessité d’assister à la messe. La Bonne Presse est le nom du groupe de presse organisé dans les années 1870 par les Pères assomptionnistes et qui comprend notamment La Croix et Le Pèlerin. L’image met en scène un village où coexistent activités industrielles et agricoles. Un prêtre en soutane guide des fidèles vers l’église située au sommet d’un chemin qui monte de l’ombre vers la lumière, de la damnation vers la Rédemption. L’auteur du dessin oppose les couleurs sombres du bas de l’image où sont représentés le café et la forge, aux couleurs lumineuses du haut de l’image dominé par l’église. Le chemin ascendant sur lequel le prêtre mène les fidèles va vers la lumière qui éclaire l’église, le château et le monde rural traditionnel. À la noirceur de la cheminée s’oppose la blancheur du calvaire. La manufacture avec sa noirceur et ses flammes évoque l’enfer. Le pardon en Bretagne Sous la IIIe République, l’Ouest demeure l’un des bastions du catholicisme contrerévolutionnaire. Le pardon est l'une des principales manifestations de la foi en Bretagne. En costume de fête, portant bannières et statues, les fidèles se rendent au sanctuaire. Ce déplacement, comme la procession qui suit, traduit le désir de se mettre en marche et d’offrir au saint fêté les fatigues du voyage afin qu'il intercède pour les pèlerins. Ici ces derniers reviennent, en traversant la baie de Concarneau, du grand pardon de Sainte-Anne de Fouesnant, patronne des marins. La Bénédiction des blés en Artois, de Jules Breton, met en évidence la vivacité des pratiques religieuses populaires dans les campagnes françaises durant la même période. Le tableau met en scène une longue procession de clercs et de jeunes laïcs à travers les champs : il s’agit ici d’un rite agraire destiné à s’assurer la bienveillance de Dieu pour l’obtention de bonnes récoltes. Les membres du clergé, vêtus de noir, défilent derrière les premières communiantes, en aubes blanches, sous le regard des villageois en position de prière. On distingue les effigies d’un saint (ou de la Vierge) portées par les communiantes, des ostensoirs, des cierges et un dais rouge. L’importance de la procession, son faste, et le recueillement des populations, tendent à nuancer l’idée de déchristianisation massive des populations françaises au XIXe siècle. Le vicomte Albert de Mun est l’un des plus connus de ces catholiques engagés. Animé 144 classes populaires urbaines. De nouvelles pratiques religieuses Le pèlerinage de Lourdes a pour origine les apparitions de la Vierge Marie à Bernadette Soubirous dans la grotte de Massabielle en 1858. Elles interviennent alors que la figure de Marie s’impose dans la croyance des fidèles en France. L’apparition de Lourdes fait suite à celle de La Salette (1846) et précède celle de Pontmain (1871). Tous les « voyants » sont des enfants issus des milieux populaires. Reconnu par l’Église en 1862, le pèlerinage, favorisé par le train, devient le premier de France et de l’Europe catholique. Du 11 février au 25 mars 1858, Bernadette Soubirous croit voir apparaître une jeune fille dans un halo de lumière dans la grotte de Lourdes. Cette apparition lui parle d’abord en patois puis confie à la jeune Bernadette être l’Immaculée Conception. C’est le pape Pie IX qui avait défini le dogme de l’Immaculée Conception de la Vierge en 1854. En 1862, une enquête épiscopale valide l’apparition et les premières guérisons miraculeuses. À partir de 1874, on organise les premiers trains de malades. Lourdes devient rapidement un lieu de pèlerinage très fréquenté. La facilité des transports aidant, le cap du million de pèlerins est franchi en 1908. Cette image pieuse montre l’importance prise par le pèlerinage de Lourdes. Des trains convergent vers Lourdes tandis que la Vierge Marie fait reculer le démon. Les béquilles, dans la partie supérieure de l’image, suggèrent les capacités de guérison miraculeuse que les croyants accordent à ce lieu de pèlerinage. Le pèlerinage de Lourdes permet de souligner la montée du culte marial dans la France du second XIXe siècle. Jusqu’en 1830, l’Église française continue de présenter aux fidèles l’image d’un Dieu terrible, sans pitié pour les pécheurs sans cesse menacés des feux de l’Enfer. Cette image terrifiante a pu contribuer à éloigner les masses populaires de l’Église. À partir des années 1830, l’Église catholique française développe une approche plus compréhensive. Dieu devient une figure d’amour et de pardon. La figure de la Vierge s’inscrit bien dans cette nouvelle pratique car Marie est une figure douce et maternelle, pleine d’amour pour ses enfants. Les organisations catholiques de masse Née en Belgique, en 1924, sous l’impulsion de l’abbé Cardijn, avec le soutien résolu de Pie XI, la Jeunesse ouvrière chrétienne se propose de « faire des ouvriers les apôtres des ouvriers » et a pour ambition de transformer toute la classe ouvrière et de la ramener au Christ. Elle s’implante en France en 1927 avec l’abbé Guérin et quelques ouvriers d’une paroisse de Clichy, en banlieue parisienne. Son rapide développement va susciter l’émergence d’autres mouvements de ce que l’on appellera désormais l’Action catholique spécialisée (c’est-à-dire par milieux sociaux), comme la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) en 1929, la JEC (Jeunesse étudiante chrétienne) en 1930, ou encore la JMC (Jeunesse maritime chrétienne) en 1931. Les jocistes souhaitent rechristianiser la société et la rendre plus humaine et plus fraternelle. Beaucoup d’entre eux n’hésitent pas, en 1936, à prendre part aux grandes grèves du Front populaire pour défendre les intérêts des travailleurs mais aussi le pluralisme au sein du mouvement ouvrier : ils suscitent alors la méfiance de beaucoup de catholiques, qui leur reprochent de favoriser la lutte des classes. Ces reproches sont rapidement oubliés quand, lors du 10e anniversaire de la JOC, célébré au Parc des Princes sous l’égide de l’abbé Rhodain (futur fondateur du Secours catholique), la JOC parvient à réunir 100 000 personnes. Cette première organisation de masse catholique mêle habilement les symboles chrétiens et les scénographies profanes qu’utilisent alors les autres organisations de masse de l’époque. L’organisation du rassemblement dans un stade, la mise en scène de la fête et les tenues des participants témoignent de la modernité d’un mouvement qui entend incarner le renouveau chrétien et séduire un public nouveau. Les uniformes, les drapeaux et oriflammes célèbrent la puissance et la vitalité de l’organisation. Cette illustration rappelle aussi les valeurs ouvrières de la JOC et son ancrage populaire dans les angles de l’image. En bas à droite, on note la présence de prélats et cardinaux à la tribune. La doctrine sociale de l’Église La publication de l’encyclique Rerum novarum s’inscrit dans le contexte des années 1890, marquées par une série d’attentats anarchistes et par des grèves par l’esprit évangélique d’amour du prochain mais aussi par la prudence du conservateur, il lance ce vibrant appel quelques années après la révolte sanglante de la Commune de Paris qui l’a péniblement impressionné. Cette première initiative de l’Action catholique se déploie après le premier conflit mondial tant la déchristianisation du monde ouvrier paraît acquise (cf. la phrase célèbre du pape Pie XI : L’Église a perdu la classe ouvrière). Une présence des prêtres et des militants catholiques, les Jocistes ou jeunesse ouvrière chrétienne, fut durablement affirmée dans les banlieues. De 1905 à 1912, 49 nouveaux lieux de culte avaient été ouverts dans le diocèse de Paris ; à partir de 1932, l’oeuvre des Chantiers du cardinal lancée par le cardinal Verdier s’efforce de satisfaire les besoins d’un Grand Paris dont le territoire s’étend toujours. Les femmes sont aussi un objet d’attention : leur rôle est valorisé et élargi bien au-delà de leur mission traditionnelle de transmission de la foi à l’intérieur de la cellule familiale. Leur formation intellectuelle est prise en main par des Ecoles Normales confessionnelles. Rejetées par le Code civil dans un statut de subordination familiale, privées du droit de vote, ces Françaises trouvent pour beaucoup dans la loi de Séparation de 1905 l’occasion d’affirmer leur militantisme de combat au service d’une religion qu’elles estiment persécutée. C’est alors dans le domaine paramédical et dans celui de la presse confessionnelle qu’elles trouvent à s’employer, constituant ainsi dans l’entredeux-guerres des relais précieux auprès des masses populaires. Né dans les années 1880, un courant spiritualiste nouveau touche les élites intellectuelles et s’amplifie après l’épreuve de la Grande guerre, de telle sorte que Y.-M. Hilaire peut qualifier les années 1930 « d’âge d’or de la pensée et des lettres chrétiennes ». Le monde des arts n’est pas en reste : une entreprise de renouvellement de l’art religieux est lancée par deux artistes reconnus issus du symbolisme, amis de longue date, Maurice Denis et Georges Desvallières. Pour ces peintres, l’art nouveau doit être l’expression de la foi de l’artiste et contribuer au redressement moral de la France après la saignée humaine de 14-18. C’est dans ce but qu’ils fondent en 1919 un Atelier d’art sacré, à la fois centre de vie catholique et lieu d’apprentissage– compagnonnage consacré aussi bien à la peinture qu’à la sculpture et aux arts décoratifs. Enfin, l’expansion européenne outre-mer offre l’occasion aux Églises chrétiennes 145 sanglantes. La radicalisation du monde ouvrier, qui s’éloigne de plus en plus de l’Église, inquiète la papauté, qui craint de perdre définitivement toute influence sur le prolétariat au profit du socialisme. On sait Léon XIII attaché à l’indépendance et au pouvoir de la papauté et très ferme sur les questions de foi. On le sait aussi désireux de tenir compte des réalités du temps (il s’apprête à inciter les catholiques français à se rallier à la République) et très informé des réflexions de La Tour du Pin et de l’Union de Fribourg qui, dans le cadre du catholicisme social, veulent au nom de l’Évangile combattre la misère du prolétariat. La prise de position de l’Église sur la question ouvrière, question centrale pour la société industrielle, est attendue. En 1891, Léon XIII condamne la brutalité de l’exploitation capitaliste, tout en rejetant la lutte des classes. En publiant Rerum Novarum, Léon XIII répond aux attentes des chrétiens sociaux qui face à la paupérisation des masses ouvrières sont passés d’une conception chrétienne de la résignation à un désir de justice sociale. Léon XIII rejette clairement l’analyse marxiste : les deux classes ne sont pas ennemies. Elles sont au contraire complémentaires, indispensables l’une à l’autre: Le capital ne peut rien sans le travail et le travail a besoin du capital. Le pape demande donc à chacun de respecter l’autre. Léon XIII développe l’idée de la complémentarité nécessaire des classes et non de leur affrontement, tenu pour stérile. L’inégalité sociale est, pour lui, une donnée aussi naturelle que le sont les inégalités biologiques. Il conçoit cette inégalité de manière positive. Chacun est à sa place et participe harmonieusement au fonctionnement de la société. Droits et devoirs contraignent ouvriers et patrons. Léon XIII accorde même à l’État un rôle de protection des plus faibles, critiquant ici explicitement le libéralisme de l’époque. L’objectif est de faire disparaître les tensions et les risques de violence. Avec Rerum Novarum, Léon XIII assure un fondement à la doctrine sociale de l’Église. Le catholicisme social se développe rapidement en Allemagne sous l’égide de l’abbé Kolping et de Monseigneur Ketteler. Durant leur captivité en Allemagne, Albert de Mun et René de la Tour du Pin le découvrent. Ils l’adaptent en France pour réconcilier le peuple et l’Église. Des syndicats chrétiens se constituent qui donnent naissance, en France, à la CFTC. Réclamé par Léon XIII en 1891 dans l’encyclique Rerum novarum, le repos dominical ne sera reconnu en France qu’en 1906 par une loi qui, d’ailleurs, ne l’accorde pas aux domestiques ni aux salariés agricoles. Paradoxalement, ce sont les ouvriers qui, les premiers, ont conquis ce droit au repos dominical dans les usines et les ateliers, dès la fin du XIXe siècle. D’abord spontanées et portées par des personnalités émues par la misère urbaine et, en particulier, par la détresse ouvrière, les initiatives sociales catholiques deviennent la doctrine officielle de l’Église après la promulgation par Léon XIII de l’encyclique Rerum novarum. Soupes populaires et aides au logement s’accompagnent d’un effort d’évangélisation constant, particulièrement visible dans l’oeuvre du père Lhande et du cardinal Verdier qui travaillèrent à l’amélioration de la couverture apostolique de la banlieue parisienne. Il faut aussi évoquer les projets urbanistiques ou les jardins ouvriers qui participent aussi d’un effort et d’une préoccupation sociale. LA LAÏCISATION La période de l’ordre moral qui succède à la chute de la Commune et l’alliance du cléricalisme et du parti monarchiste provoque une réaction anticléricale chez les républicains. Parvenus au pouvoir, ils sont convaincus que la consolidation de la République exige la prise de mesures prévenant toute résurgence des cléricaux. Apparaît donc une laïcité de combat qui perçoit l’école publique et laïque comme la condition indispensable à la formation de citoyens éclairés, puisque l’école est par excellence le lieu d’apprentissage de la démocratie. L’affaire Dreyfus (la grâce présidentielle a été accordée en décembre 1899) a eu d’importantes répercussions sur les rapports entre l’Église et l’État et sur l’écho rencontré par les thèses anticléricales. Alors qu’en 1890 Léon XIII avait recommandé le ralliement à la République, l’affaire marque l’échec de ce ralliement car une partie importante de la hiérarchie et des notabilités catholiques intègre le camp des anti-dreyfusards. C’est l’alliance du sabre et du goupillon. Les anticléricaux imputent aussi à l’Église catholique la résurgence de l’antisémitisme. Les conséquences politiques sont dévastatrices pour l’Église. Les radicaux au pouvoir dissolvent les ordres religieux (1903), rompent les relations avec Rome (1904) et décident la séparation de l’Église et de l’État (1905). d’accroître le nombre de leurs fidèles. Constitutive du message évangélique (Allez et enseignez à toutes les nations…) l’oeuvre de mission extérieure connaît dès le début du XIXe siècle une impulsion nouvelle fondée sur la redécouverte de la vocation universelle du message chrétien et sur une spiritualité du sacrifice, voire du martyre, privilégiant l’aventure personnelle (cf. tableau de Charles Coubertin). Le territoire de ces missions est, dans un premier temps, indépendant de la colonisation : d’abord l’Extrême-Orient, le Levant et l’Océanie. Puis à compter des années 1880, l’entreprise de conquête de l’Afrique menée par la jeune IIIe république, place la France à la pointe de l’action missionnaire. Vers 1900, environ 69 % des missionnaires catholiques dans le monde sont français, et cette estimation ne tient pas compte des frères enseignants et des religieuses. Leurs liens avec la conquête deviennent étroits. Cependant, après la guerre, ces hommes et ces femmes sont encouragés par la papauté à prendre en compte dans leur action la spécificité indigène (encycliques de 1919 et 1926). La citation du cardinal Lavigerie, évêque d’Alger et fondateur des pères blancs missionnaires de l’Afrique, est d’autant plus remarquable dans sa précoce expression de respect de la personne de l’Autre et de sa culture, cette citation datant d’avant 1892. Elle indique qu’au coeur de la hiérarchie ecclésiastique française, du moins à l’échelle individuelle, a pu s’introduire une part de modernité. Le père Pierre Lhande, né en 1877, entré chez les jésuites en 1900, est ordonné prêtre en 1910. En 1925, il publie dans la revue Études un premier article sur « le bon Dieu chez les chiffonniers » et il se met à sillonner la banlieue dans la voiture que lui a prêtée la veuve d’un industriel parisien. Les articles qu’il publie dans Études puis son livre intitulé Le Christ dans la banlieue, Enquête sur la vie religieuse dans les milieux ouvriers de la banlieue de Paris (1927), suscitent un vif intérêt (le livre tire à 80 000 exemplaires, ce qui est beaucoup pour l’époque) et un grand élan de générosité, en France et à l’étranger. Lhande a été par ailleurs le premier prédicateur radiophonique (1927, sur Radio-Paris). Au cours de l’hiver 1928-1929, Lhande lance un appel à l’envoi de dons en nature pour secourir « les habitants des cases de planches et des gourbis presque complètement démunis de vêtements, de charbon et de bois ». Cet appel annonce à un quart de siècle de distance celui de l’abbé Pierre durant l’hiver 1954. Lhande inspire aussi un vaste mouvement de construction d’églises dans la banlieue parisienne, organisé dans les années 1930 par le cardinal Verdier (l’OEuvre des 146 Le Char de l’enterrement de l’Église illustre une des grandes confrontations entre l’Église et l’État en France. Cette caricature parue dans le journal catholique Le Pèlerin en 1907 montre un enterrement, celui de l’Église, comme il est précisé sur une des couronnes mortuaires. Les radicaux, victorieux aux élections de 1899 et de 1902, sont convaincus du danger que représente l’alliance « du sabre et du goupillon ». Ils affirment un anticléricalisme virulent qui trouve un fort écho dans une partie de la population. Cet anticléricalisme est relayé par une presse anticléricale qui connaît un grand succès (L’Assiette au beurre, La Lanterne). Cette politique aboutit au vote de la loi de séparation des Églises et de l’État en France en 1905.Trois partisans et acteurs de cette politique sont présents sur cette illustration. Le « char » est conduit par Aristide Briand, ministre de l’intérieur en 1905 et rapporteur de la loi. À la date du document, il est le ministre en charge du culte ; cette loi a été voulue avec acharnement par son prédécesseur Émile Combes, sénateur radical et président du conseil de 1902 à 1905, qui accompagne à ce titre le convoi funéraire. La loi est condamnée par le pape, et les inventaires qui doivent permettent d’évaluer les biens des Églises provoquent des troubles violents. Georges Clemenceau, président du Conseil en 1907, prend une mesure d’apaisement en faisant voter une loi qui rend l’exercice du culte possible en l’assimilant à une réunion publique. En 1907, on enterre donc définitivement le concordat napoléonien. L’antique union de l’Église de France et du pouvoir temporel s’achève. Les trois acteurs du document sont désignés comme les fossoyeurs de l’Église. Celle-ci suit le cortège sous les traits d’un évêque, la foule peu nombreuse sur le passage du convoi est en pleurs. nouvelles paroisses de la région parisienne, communément appelée les Chantiers du cardinal). L’Église face aux totalitarismes L’Église catholique rejette l’anarchisme, le socialisme et le communisme. Le pape Léon XIII, dans son encyclique Quod Apostolici Muneris du 28 décembre 1878, définit le communisme comme « Une peste mortelle qui s’attaque à la moelle de la société humaine » mais il faut attendre l’encyclique Divini Redemptoris (1937) du pape Pie XI pour une condamnation totale et longuement argumentée du communisme. Confrontées au national-socialisme, les Églises tentent d’éviter un conflit entre la foi religieuse et la fidélité nationale. Le Concordat signé avec l’Église catholique le 20 juillet 1933 permet à Hitler de s’assurer de la neutralité de la hiérarchie catholique. Ainsi, dans le cadre des négociations, le Vatican prend l’engagement de ne pas se mêler des affaires politiques intérieures de l'Allemagne. Pourtant les persécutions démarrent rapidement. Pie XI décide donc de publier une encyclique transmise secrètement en Allemagne afin de ne pas être interceptée par la Gestapo. Alors que les encycliques sont toujours écrites en latin, Mit Brennender Sorge est rédigée en allemand afin d’être lue aux fidèles. Pie XI déplore les violations du concordat de 1933 et condamne la doctrine nazie jugée antichrétienne. Le national-socialisme est condamné car il divinise la notion de race et lui rend un culte idolâtrique, terme qui sert à marquer les « fausses » religions. Le nazisme renverse l’ordre des choses créé par Dieu. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : En dépit des efforts et des réalisations chrétiennes en matière sociale, les pratiques religieuses n’augmentent guère. La mission évangélisatrice rencontre des résistances dans la société alors que la dimension sociale est estimée de tous, hormis de quelques radicaux. Les chrétiens ont su apporter leurs réponses aux souffrances sociales engendrées par l’industrialisation mais n’ont que partiellement réussi à lier question sociale et évangélisation de masse. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 147