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Bienvenue dans Clio en Afrique n°10 été 2003 / Sommaire
Numéro 10
été 2003
Sommaire
Jacky Bouju : " La culture dogon : de l'ethnologie coloniale à l'anthropologie réciproque
contemporaine "
Introduction
1 - La culture, la tradition et l'identité
1.1 - L'ethnocentrisme ou l'expression de la clôture culturelle
1.2 - Une culture emblématique : les dogons du mali
2 - Culture et pouvoir
3- L'invention de la culture dogon par l'Ecole Griaule
3.1 - "Dieu d'eau" et le "Renard Pâle" : deux fictions au service d'une conception
mystagogique de la culture
3.1.1 - Une épistémologie douteuse pour des résultats discutables
4 - Comment échapper à la fiction ethnographique et construire les bases d'une anthropologie
réciproque ?
4.1 - Les règles de la méthode ethnographique
4.1.1 - Une intention de connaissance, empirique et objectivante
4.1.2 - Cohérence conceptuelle du chercheur ; utilité pragmatique, véridicité et
plausibilité des données
4.2 - L'anthropologie comme entreprise de traduction culturelle
4.2.1 - Points de vue croisés : l'Un (-étique) de l'Autre (-émique)
4.2.2 - La question de la traduction culturelle...
4.2.3 - ...Dégager des significations en interface culturelle
5 - La solution transculturelle : formuler les savoirs communs à l'aide d'un métalangage cosmopolite
comme le jargon anthropologique
Bibliographie
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Bienvenue dans Clio en Afrique n°10 été 2003 / Sommaire
Colette Dubois : " Emergence de Djibouti-Ville au regard des sources iconographiques
(1897-1917)"
Introduction
1 - Des sources iconographiques rares
1.1 - Le panorama de 1897
1.2 - Le panorama urbain de1917
2 - Djibouti en 1897, ébauche d'une ville neuve
2.1 - Une ville monocéphale : le plateau de Djibouti
2.2 - Une capitale économique
2.3 - Une capitale administrative
2.4 -Une ville cosmopolite
3 - Djibouti-ville en 1917 : une ville tricéphale
3.1 - Le nouveau poumon économique : le plateau de Marabout
3.2 - Le plateau de Djibouti : permanence des activités
3.3 - Un axe directeur : le boulevard de la République
Conclusion
François-Xavier Fauvelle-Aymar : " Histoire d'un point d'eau : Pella (XVIIIe-XXe
siècle). Reconfigurations spatiales et identitaires dans l’ouest de l’Afrique du Sud "
1 - Histoire d'une frontière XVIIIe - XXe siècle
2 - La topographie chrétienne de la frontière
3 - Le temps des nomades
4 - Le temps du village chrétien
Conclusion
Bibliographie
Archives citées
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Jacky Bouju
La culture dogon. De l’ethnologie coloniale à l’anthropologie
réciproque contemporaine
Jacky BOUJU1
I.
I.1.
I.2.
La culture, la tradition et l!identité...................................................................... 3
L!ethnocentrisme ou l!expression de la clôture culturelle .............................................. 4
Une culture emblématique : les Dogon du Mali............................................................. 4
II. Culture & pouvoir ............................................................................................. 5
III. L!invention de la culture dogon par l!Ecole Griaule.......................................... 7
III.1. « Dieu d!eau » et « Le Renard Pâle » : deux fictions au service d!une conception
mystagogique de la culture .................................................................................................... 7
III.2. Une épistémologie douteuse pour des résultats discutables ...................................... 9
IV. Comment échapper à la fiction ethnographique et construire les bases d!une
anthropologie réciproque ? ................................................................................... 11
IV.1. Les règles de la méthode ethnographique ................................................................11
IV.1.1 Une intention de connaissance, empirique et objectivante ....................................11
IV.1.2 Cohérence conceptuelle, utilité pragmatique, véridicité et plausibilité des données
12
IV.2. L!anthropologie comme entreprise de traduction culturelle........................................13
IV.2.1 Points de vue croisés : l!Un (-étique) de l!Autre (-émique) .....................................13
IV.2.2 La question de la traduction culturelle… ................................................................13
IV.2.3 …Dégager des significations en interface culturelle...............................................14
V. La solution transculturelle : formuler les savoirs communs à l!aide d!un
métalangage cosmopolite comme le jargon anthropologique............................... 15
VI. Bibliographie.................................................................................................. 16
Anthropologue Directeur-adjoint du Centre d’Étude des Mondes Africains UMR 8171 M.M.S.H.- Université de
Provence.
1
1
La culture dogon. De l’ethnologie coloniale à l’anthropologie réciproque contemporaine
Introduction
Selon Marie-Jeanne Borel, à qui l’on doit cette belle définition de l’anthropologie, la
discipline a pour objet d’étude “ (…) les hommes dans leurs actions signifiantes, leurs travaux
et leurs jours, leurs heurs et malheurs, leurs discours. L’homme, “ cendre d’étoile ” du point de
vue physico-chimique, est du point de vue anthropologique un être de culture. Il s’agit là de
la donnée que l’anthropologie prend pour objet. ” (Borel, 1990 : 11). Pourtant, et ce n’est pas
là un moindre paradoxe, l’anthropologie est apparue alors même que l’Europe s’était
engagée dans la conquête du monde.
Au cours du processus colonial, la modernité 2 inventée par la culture européenne s’est
imposée par la force à toutes les sociétés du monde.
Ce processus historique a mis en
évidence la violence symbolique de la méta-culture européenne (Dumont, 1991 :19) qui n’a
pas trouvé de borne dans les interdits que les cultures dominées s’étaient donnés à ellesmêmes dans l'exercice de leurs propres principes. Des ethnologues, inconscient de leur
ethnocentrisme conforté par la domination politique et culturelle de leur pays d’origine, se
sont crus en mesure d’inventer de manière unilatérale une Afrique caractérisée par des
coutumes immuables, une tradition ancestrale, des ethnies aux traits caractéristiques et
dotée d’une faible capacité de développement (Terence Ranger, 1983).
Ces limites et ces interdits locaux ont été d’autant mieux ignorés que chaque culture
dominée les exprimait dans une langue locale que le dominant ne prenait jamais la peine de
comprendre ni d’apprendre. En effet, si les frontières symboliques de l'Autre n'ont pas de
sens parce qu’elles sont incompréhensibles linguistiquement, ou éthiquement inacceptables,
alors les interdits de l'Autre et ses limites apparaissent comme un obstacle, une clôture
arbitraire, qui gêne parce qu'elle ne fait pas sens. Il devient alors facile au dominant de
considérer cet obstacle comme non obligatoire et négligeable et de justifier ainsi la
colonisation culturelle. La “ mondialisation ” actuelle, souvent inacceptable dans les formes
qu’elle prend et les marques de soumission qu’elle exige, semble, en effet, perpétuer cet
inégal et permanent rapport de force. Mais, par-delà l’apparente uniformisation culturelle,
on constate aussi que les métissages de toutes sortes instaurent un pluralisme complexe et
une diversité foisonnante qui conduisent à penser que l’homme est peut-être en train
d’inventer son universalité. L’anthropologie actuelle, dont la mission scientifique est de
“ rendre accessible et compréhensible la diversité des expériences par lesquelles les hommes
façonnent ou informent leurs rapports sociaux et leurs configurations culturelles, les
interprètent et les utilisent. ” (Balandier, 1994), résiste de toutes ses forces contre ce processus
2 Qu’on peut caractériser par la généralisation de la division du travail social et de l’échange marchand accompagnant
l’autonomisation des différents champs politiques, religieux, économiques et sociaux.
2
Jacky Bouju
d’uniformisation culturelle. Et la résistance consiste, entre autres, à réfléchir aux conditions de
possibilité d’une anthropologie réciproque.
Cette réflexion conduit à s’interroger sur la “ transculturalité ”. La transculturalité, au sens que
lui a donné Marc Augé (1994) peut être entendue comme la volonté de dépasser l’inégal
croisement des regards3 en instaurant un dialogue entre observateur et observé qui s’inscrive
dans un univers où tous deux se reconnaissent. Il est clair que cette reconnaissance
réciproque d’un univers de significations partagées dans le cadre d’un dialogue
anthropologique repose entièrement sur la possibilité de la traduction culturelle. Or, il se
trouve que depuis quelques années, l’ethno-graphie 4, “ l’écriture de la culture ”, est devenue
un problème qui fait l’objet d’une réflexion critique, sémiologique et épistémologique sur le
langage de l'anthropologie, sur son objet et sur ses méthodes ; C’est-à-dire sur son objectivité
et sur sa scientificité. Ce sont les acquis de ces réflexions sur lesquels je voudrais insister ici car
je suis convaincu qu’ils fournissent les conditions de possibilité d’une anthropologie
réciproque s’appuyant sur une véritable approche transculturelle. Pour illustrer mon propos,
j’engage le lecteur à suivre le fil rouge d’une approche réflexive que nous suggère
l’anthropologie culturelle des Dogon du Mali.
I.
La culture, la tradition et l!identité
Il n’y a pas si longtemps, la sélection des données de terrain par l’ethnographe, presque
toujours originaire d’une culture du “ Nord ”, privilégiait souvent celles qui donnaient
cohérence et continuité à “ la ” culture de “ l’Autre ”, presque toujours originaire du “ Sud ”.
Héritage direct du regard porté par l’Europe conquérante sur les sociétés dites “ primitives ”,
la conception occidentale des sociétés traditionnelles et exotiques, inventait “ sa ”
différence en associant directement et simplement la culture, conçue comme une totalité
homogène, cohérente et ordonnée dans toutes ses dimensions, à une ethnie supposée tout
aussi homogène, autonome et durable.
Cependant, petit à petit, la recherche anthropologique a montré que toutes les cultures du
monde étaient des constructions sociales et historiques en constant ajustement ; que les
traditions n’en étaient pas vraiment ; que les différences culturelles s’effondraient ici pour se
reconstruirent ailleurs et autrement ; enfin et surtout, elle a montré l’ancienneté et
l’universalité des mélanges entre les populations. Bref, la conception unitaire et substantive
des cultures exotiques s’est heurtée à la réalité tangible de sociétés qui, comme toutes les
3 Que suscite le rapport touristique, par exemple.
4 L’ethnographie, ici entendue comme ce moment très particulier de la recherche anthropologique qui correspond à
la phase d’enquête sur le terrain.
3
La culture dogon. De l’ethnologie coloniale à l’anthropologie réciproque contemporaine
autres, sont des agrégats historiques, syncrétiques et contingents, travaillés par d’anciennes
et durables coupures idéologiques, sociales et même économiques (Clifford, 1988 : 235 ;
Bouju, 1994 : 224).
I.1.
L!ethnocentrisme ou l!expression de la clôture culturelle
Aujourd’hui, on peut définir la culture, de manière minimale, comme un répertoire de
significations conventionnelles et de conceptions partagées transmises dans une langue ou
un langage commun à une collectivité sociale. L’identité culturelle qui en découle fonde
une socialité consensuelle 5 basée sur une éthique (les valeurs sur le vrai et le bien) et une
esthétique communes (consensus sur le sentiment du beau et du bon).
Mais, ce plaisir d’être ensemble, de sentir, voir et apprécier les choses de la même manière
fonde aussi, immanquablement, l’ethnocentrisme universellement partagé qui s’exprime à
travers des jugements de valeur péremptoires sur le goût ou la bienséance. Car toute culture
engage certaines visions du monde qui ont tendance à surévaluer les différences culturelles.
Or, les visions du monde sont aussi des “ divisions du monde ” (Bourdieu, 1980) qui tracent
dans l’espace social des lignes de démarcation entre les pratiques valorisées positivement
des uns et les pratiques dévalorisées qui sont, par définition, celles des “ Autres ”. Elles
participent pleinement à la construction et à la garde des frontières symboliques de toute
collectivité sociale particulière 6 : les cultures servent à poser des limites entre les groupes
(Barth : 1982 ; Bouju : 1995a ; Cuche : 1996).
Pour cette raison, au Nord comme au Sud, la conception substantive de la culture reste
portée par le sens commun qui continue de la concevoir comme un ensemble de modes de
pensée et de comportements hérités qui confèrent son identité à un groupe humain et à ses
membres (Cuche, 1997 :21).
I.2.
Une culture emblématique : les Dogon du Mali
La culture des Dogon du Mali est aujourd’hui présentée et représentée comme un archétype
de “ la culture traditionnelle africaine ”. Pourtant, la traditionalité de la culture dogon n’est
pas sans poser problème. En effet, en tous temps, les Dogon furent en situation d’interaction
De cum sensualis au sens propre le sentiment partagé, vécu en commun.
L’identité ethnique ne peut être ainsi défini qu’à partir des éléments culturels sélectionnés par les membres d’un
groupe pour affirmer et maintenir sa différence avec les Autres.
5
6
4
Jacky Bouju
avec des cultures voisines et, de ce fait nécessairement confrontés, le plus souvent sur un
mode dominant-dominé, aux traditions dont la culture des “Autres” était porteuse. Cette
confrontation commence dès la période pré-coloniale, où les Dogons, dominés par les
empires musulmans esclavagistes, ont dû faire le choix entre leur tradition et l’islam et
construire leur ethnicité. Ensuite, la colonisation française s’impose et invente les coutumes
dogons qu’elle codifie. Enfin, la construction d’une ontologie culturelle par l’Ecole Griaule
(Cf. infra) a entraîné la réification de la culture dogon.
Pour affronter cette adversité, la culture dogon a inventé la notion de tradition et s’est
réfugiée dans le traditionalisme 7. Les Dogons conçoivent leur culture, dogó tembu comme un
héritage, une tradition reçue : ya atembi so-go8 “ le dit d’autrefois que l’on a trouvé (en
naissant) ” Cet héritage a été transmis selon la coutume dogó ojù la “ voie dogon ”, dont on
ne peut s’écarter car elle est entièrement constitutive de l’identité collective. Dans ce
système
de
représentations,
la
culture,
conçue
comme
un
patrimoine
transmis
héréditairement de génération en génération, est au fondement de l’identité collective
(Bouju,1995a).
II.
Culture & pouvoir
Dans un travail antérieur sur la tradition dogon (Bouju, 1995b), j’ai présenté une tradition
dogon dans le contexte de sa proclamation locale. En me situant dans le contexte d’un
conseil du clan, j’ai montré que “ la ” tradition reposait sur des symboles de l’identité
collective dogon, configurés par une mise en situation rituelle “ traditionante ”, elle-même
contrôlée par les autorités “ traditionnelles ”. Pour les vieillards responsables, cela consistait à
placer préalablement la proclamation sous tutelle divine et ancestrale.
Dans un tel contexte rituel, la proclamation était légitimée par le “ lien spécial ”9 que le
responsable entretenait avec le domaine sacré visé par l’énoncé.
Il ressortait que les
éléments de l’identité dogon qui avaient été ainsi “ traditionnés ” par les gardiens de la
tradition, se trouvaient, par là-même, institués comme symboles de la continuité de leur
Une société traditionnelle, telle qu’elle est communément caractérisée, ne saurait être traditionaliste.” (Lenclud,
1994 : 38)
8 “ Cette expression montre que le dialecte dogon donno distingue entre deux connotations : la tradition comme
“ héritage ” atembi et la tradition comme “ message ” so-go. En effet, ya atembi — littéralement “ ce que l’on a trouvé
du passé ” — désigne “ la tradition ” dans tous les dialectes dogons. “ Ce que l’on a trouvé ” c’est ce qui se disait et
se faisait et qu’on a pu entendre et voir : la tradition est un savoir appris en écoutant les anciens parler et en les
regardant faire. […] Il est important, je crois, de souligner le fait que la notion dogon de tradition connote cette
conception, fort répandue, de la tradition comme héritage culturel. ” (Bouju, 1995b).
9 (cf Boyer, 1986 a). Une communauté culturelle peut toujours être divisée entre ceux qui produisent la signification
culturelle et ceux qui la comprennent et la partagent.
7
5
La culture dogon. De l’ethnologie coloniale à l’anthropologie réciproque contemporaine
conception de l’ordre social et de l’authenticité culturelle et comme signes de leur pouvoir
dans cet ordre 10.
Le rôle des gardiens de la tradition consiste à maintenir l’ordre symbolique en menant la lutte
pour imposer les valeurs culturellement légitimes. Ces instances qui détiennent le pouvoir
culturel de donner la définition “ politiquement correcte ” du monde cherchent toujours à le
conserver. Mais, fort heureusement, le consensus n’est jamais unanime ni définitif : il n’est que
majoritaire ! Les querelles de mots manifestent cette opposition entre des représentations
divergentes ou contradictoires de la réalité et l’on observe généralement que l’une
l’emporte plus ou moins largement sur les autres. Ceci montre bien à quel point les rapports
de pouvoir réels sont indissociables de l’activité symbolique de légitimation qui consiste à
décrire culturellement et à nommer la réalité. Pour cette raison, l’autorité traditionaliste ne
permet pas que soit mise en question son interprétation des valeurs et des normes
“ traditionnelles ” et elle interdit toute mise en question de la validité de la tradition. Mais ce
faisant, elle empêche aussi que la société fasse l’expérience de la relativité de ses valeurs et
de l’aspect conventionnel de sa tradition. Tout discours sur l’authenticité culturelle renvoie
finalement à la question de la définition légitime de la réalité. Et cette question est de
première importance pour toute société, toute classe, tout groupe ou tout acteur social, car
son enjeu c’est le changement ou le maintien de l’ordre existant.
Dès lors, il subsiste une différence irréductible entre la conception “ traditionaliste ” de la
culture qui conçoit celle-ci comme la préservation d’une substance enclose dans un système
d’interdits et la conception “ moderniste ”, inventée par les philosophes et développée par
l’anthropologie et l’histoire, qui exige, au contraire, l’interposition du jugement critique entre
l’héritage culturel et sa réception. Mais on doit se souvenir que cette conception moderniste
de la culture a pu prospérer en Europe et se généraliser parce qu’elle était apparue dans
une société où, pour l’essentiel, le traditionalisme n’était plus le principal instrument de
légitimation du pouvoir politique, de l’affiliation religieuse et de l’appartenance collective.
C’est-à-dire quand, socialement, la culture traditionnelle n’était plus légitime a priori (Bouju,
1995b).
Par contre, dans une société comme la société malienne, où le traditionalisme représente
encore un principe important de légitimation du pouvoir, le fait pour un intellectuel
d’adopter ouvertement une position de distance critique vis-à-vis des principes de la culture
traditionnelle demeure un exercice difficile qui peut avoir de graves conséquences sociales
Ce mode traditionnel de légitimation de l’identité collective s’inscrit dans une dialectique de l’en-groupe et du horsgroupe qui passe par la confrontation des ordres politiques et religieux endogènes avec ceux conçus et vécus comme
imposés de, et par, l’extérieur.
10
6
Jacky Bouju
pour lui et les siens. Car les cultures ne sont pas indépendantes des rapports sociaux qui sont
presque toujours des rapports inégalitaires. Les cultures des différents groupes qui constituent
la société se trouvent plus ou moins en position de force ou de faiblesse les unes par rapport
aux autres : elles n’ont pas le même degré de reconnaissance sociale 11 (Cuche, 1997). Pour
cette raison, la culture, qu’elle soit “ traditionnelle ” ou non, constitue toujours une ressource
stratégique ou un enjeu pour les acteurs sociaux engagés dans les luttes sociales et
politiques.
III.
L!invention de la culture dogon par l!Ecole Griaule
Comme on vient de le montrer plus haut, les Dogon s’expriment sur leur culture, mais ils le font
dans un des dialectes propres à leur langue. Si l’on veut savoir ce que les Dogon disent de
leur culture l’exigence de réciprocité propre à une véritable démarche transculturelle
demande de faire l’effort ethnographique d’apprendre la langue locale.
Or, Marcel Griaule et Germaine Dieterlen n’ont jamais pris cette peine. Ne connaissant pas la
langue, ils ont été dépendants de leurs jeunes interprètes qui les ont dirigés, “ en aveugle ”
vers des informateurs privilégiés. Selon Walter Van Beek, ce parti pris méthodologique a
conduit à la “ création collective d’une culture dogon mystagogique ” (Van Beek, 1991: 155)
; c’est-à-dire une culture gouvernée par les mythes et dont les “ vrais secrets ” n’étaient
connus que de quelques-uns. Ils ont ainsi prétendu avoir découvert “ un ensemble logique de
symboles exprimant un système de pensée qui révèle à l’étude une cohérence interne, une
sagesse secrète, et une appréhension des réalités ultimes égales à celles que nous,
européens estimons avoir atteint. ” (Griaule et Dieterlen, 1954 : 83)
III.1.
« Dieu d!eau » et « Le Renard Pâle » : deux fictions12 au service d!une
conception mystagogique de la culture
L’intention de Marcel Griaule et Germaine Dieterlen, qui ne s’est jamais démentie par la
suite, n’était pas vraiment de décrire ethnographiquement ou analyser sociologiquement13 la
Une réaction de défense bien connue au sein des cultures minoritaires ou dominées consiste à se réfugier dans une
forme de relativisme ontologique qui considère que “ les cultures sont des réalités incomparables entre elles,
incommensurables les unes par rapport aux autres. ” [Cuche, 1997 : 22].
12 Les données des travaux ethnographiques antérieurs appartiennent à la “ phase documentaire ” de l’Ecole Griaule
(1931-1941) sont parfaitement reconnaissables aujourd’hui et je suis entièrement d’accord avec Walter Van Beek
pour dire qu’ils “ fournissent une introduction valable à la culture dogon ”.
13 “ His (Griaule) primary goal was never just to understand dogon behavior but to prove a point about african
thought ; claiming to write ethnography he offered anthropology a glimpse into the highly intriguing territory
11
7
La culture dogon. De l’ethnologie coloniale à l’anthropologie réciproque contemporaine
société dogon, elle était surtout de révéler au monde la profondeur de la cosmogonie
dogon. Ce projet, intéressant dans le contexte colonial de l’époque, commença avec la
révélation initiatique faite à Marcel Griaule par le vieux chasseur aveugle Ogotemmeli, d’une
connaissance essentielle, secrète, connue seulement de quelques initiés et consistant en une
série de dévoilements cosmologiques que Marcel Griaule mit en texte dans Dieu D’Eau
(Griaule, 1948). Ce texte présente une vision du monde, une cosmologie et un système
philosophiques d’une cohérence et d’une complexité qui restent inégalées dans toute
l’ethnologie africaniste. L’initiation de Marcel Griaule par le vieillard aveugle lui a permis de
réaliser son idéal ethnographique, celui d’apparaître comme le seul véritable initié 14 à
“ l’ontologie dogon ” qu’il s’attacha par la suite à construire comme le symbole de “ la
culture africaine ” et comme signe de son pouvoir d’en décrypter les mythes.
Pour servir ce projet de mise en forme de la culture dogon, il y eut ensuite Le Renard Pâle
(Griaule et Dieterlen, 1965, T.1) qui présente un mythe de création complètement différent
de celui présenté dans Dieu D’Eau. Cet ouvrage, difficile à lire, offre une représentation
encore plus abstraite et compliquée de la pensée dogon “ in which the warp of daily life is
interwoven with the woof of mythical creation into a marvelous tapestry of cosmic
proportions. ” (Van Beek, 1991 : 140). Quand on essaye d’y regarder de plus près, on
s’aperçoit
que
Le
Renard
Pâle
consiste
en
une
succession
de
commentaires
ethnographiques sur des signes, des symboles et des dessins, entrecoupés de quelques
remarques isolées empruntées à des informateurs et de phrases décontextualisées qui sont
des bribes de contes.
Pour être valable, une théorie doit résister à l’épreuve des faits empiriques : il faut donc
soumettre l’interprétation ethnologique à l’épreuve de la vérification empirique pour la
valider. Or, le dit des Dogon est totalement absent et les données de l’enquête empirique ne
sont pas livrées. De plus, il est impossible de distinguer entre ce qui procède des opérations
cognitives réalisées par Marcel Griaule et Germaine Dieterlen (le discours -étique) et ce qui
provient des discours dogons (le discours -émique). Le Renard Pâle apparaît véritablement
comme une “ invention spécifique ”15, c’est-à-dire une description sans véritable objet
empirique, ou dont l’objet est tellement secret qu’il n’existe effectivement que comme
“ construction textuelle ”.
between fact and fiction, the realm of created cultures, European as well as African. At the rim of science of man, he
embarked upon a veritable journey into the realm of intercultural fiction. ” (Van Beek, 1991 :158).
14 En anthropologie ce ne sont pas les aventures du savant qui intéressent l’enquête mais les hommes qu’il a
rencontrés.
15 L’expression est de Clifford (1983 : 60).
8
Jacky Bouju
On retrouve ici un trait caractéristique d’une posture hyper-culturaliste : la volonté de
construire une altérité culturelle, exotique, en postulant l’homogénéité, la cohérence et la
permanence 16, la “ pureté 17 ” de la culture dogon. Pour en arriver là, il a fallu inventer une
“ sagesse secrète ”, présentée comme originale, authentique et complexe, mais qui, chose
étrange, n’était pas susceptible d’être expliquée par l’histoire ou l’anthropologie. Toute
l’œuvre subséquente de Germaine Dieterlen témoigne de cette conception selon laquelle le
mythe suffit à expliquer la société, ses institutions tout autant que sa culture matérielle. Á
l’instar de l’ethnologie ou de la sociologie, le mythe dogon serait un moyen de
compréhension de la société dogon tout entière.
III.2.
Une épistémologie douteuse pour des résultats discutables
Comprendre le monde c’est lui appliquer des règles d’intelligibilité. Ainsi, la question d’une
culture fondée sur un mythe secret pose de sérieux problèmes épistémologiques. Sur le
terrain on a pu constater que les mythes d’origine et de création dogons sont des histoires
racontées à une audience et en public 18. Ces narrations ne sont pas secrètes et les traditions
sont connues de tous les Dogons qui ont l’âge de les comprendre et l’envie de les
connaître 19. On peut donc en déduire que les mythes de création secrets présentés dans
Dieu d’Eau et Le Renard Pâle ne sont pas des mythes !
Par ailleurs, et c’est là une caractéristique essentielle de toute culture, le partage des
conceptions fondamentales et des significations usuelles, est commun à l’ensemble des
membres qui s’en réclament. On doit donc en déduire, comme le propose Walter van Beek,
qu’un secret non partagé ne peut, en aucun cas, être l’élément central d’une culture, tandis
qu’un secret partagé par un très petit nombre n’est par définition qu’un savoir marginal (Van
Beek, 1991 : 143). À cet égard, les fragments hétéroclites rassemblés dans Dieu D’eau ne
peuvent prétendre présenter le mythe fondateur de la culture dogon car ils ne sont, au
mieux, que le produit d’un dialogue initiatique qui ne s’est jamais reproduit20. On peut donc
considérer que Dieu D’Eau et Le Renard Pâle ne représentent pas la culture dogon, pas
“ (…) c’est très ethnologique — qu’on ne voit pas chez soi ce qu’on ne peut pas ne pas voir chez l’autre, et,
inversement, qu’on s’attribue ce qu’on lui dénie : les traditions étant la plupart du temps (…) implicites, on voit celles
des autres, on ignore les siennes, et, corrélativement, on est sensible chez soi au changement qu’on valorise, chez
l’autre à l’immobilisme qui le fait reconnaître. ” Pouillon (1977 : 205).
17 A cet égard, Germaine Dieterlen a toujours considéré que la progression de l’islam dans la société dogon altérait la
“ pureté originelle ” de “ la culture dogon authentique ”.
18 Sans doute l’énonciation est réservée aux vieillards, chefs de grandes familles ou à des spécialistes, mais leur
connaissance du corpus va rarement au-delà du savoir commun. (Van Beek, 1991 :150).
19 Bien sûr, un mythe n’est pas raconté à n’importe qui, par n’importe qui, et en n’importe quel lieu.
20 L’annonce, il y a longtemps, d’un second tome du Renard Pâle a fait long feu.
16
9
La culture dogon. De l’ethnologie coloniale à l’anthropologie réciproque contemporaine
même celle des Dogons de Sanga, et en tout état de cause, ils ne peuvent pas être
considérés comme emblématiques de la culture dogon dans son ensemble 21.
Il n’en demeure pas moins que la fiction culturelle dogon, telle qu’inventée par l’Ecole
Griaule, a connu un succès mondial. Pour beaucoup, et plus particulièrement pour les
historiens de l’Art22 qui n’ont jamais mis les pieds en Afrique, les Dogon ont dès lors représenté
la quintessence de “ la tradition ” Ouest Africaine qui s’est trouvée mieux protégée là qu’en
d’autres lieux grâce à l’abri naturel que constituait la falaise de Bandiagara. Ce faisant
Marcel Griaule et Germaine Dieterlen ont constitué “ les Dogon ” en archétype d’une culture
traditionnelle Ouest Africaine bonne à penser pour la culture européenne.
Pourtant, cette invention de la culture de l’Autre sur le mode de l’essai ethno-philosophique
a quand même fait l’objet de sérieuses critiques scientifiques23. Toutes ont constaté le fait que
la pseudo tradition révélée dans les deux textes sus mentionnés ne ressemble à aucune autre
en Afrique et ces critiques considèrent que ces œuvres sont une invention idéologique, une
“ création interculturelle ” qui entretient peu de rapport avec les réalités de la société dogon.
La description de la culture dogon par l’Ecole Griaule apparaît aujourd’hui comme une
fiction holiste qui renvoie à une vision ethnocentrique de l’africain, à une métaphysique de
l’Autre et de la différence et à une conception monologique 24, symboliste et hyper
culturaliste de la société africaine. Conception a priori aussi, car L’expérience de l’altérité
dogon par Marcel Griaule et Germaine Dieterlen n’a jamais subverti ni leur mode de pensée
culturaliste, ni leur rapport au monde africain si fortement imprégné d’évolutionnisme
paternaliste.
Dans la perspective d’une approche transculturelle de l’interaction ethnographique on peut considérer que
“ Griaule’s very language remains one of a priori mystification. ” [Apter, 1992 :94].
22 Cf. Jean-Louis Paudrat, 1994, “ Le pays et la culture dogon ”, “ Résonnances mythiques dans la statuaire du pays
dogon ” in Falgayrette-Leveau C., Dogon, Editions Dapper.
23
Parmi lesquelles on peut citer : Lettens, D., 1971, Mystagogie et mystification : Evaluation de l’œuvre de Marcel Griaule.
Bujumbura : presses Lavigerie ; Clifford J.,1988 ; Saccone J., 1984. Dogon del Mali e le ricerchi del Marcel Griaule.
Bologna ; Mudimbe V.Y., 1988. The Invention of Africa. Philosophy, Gnosis and the order of knowledge, Bloomington,
Indiana : Indiana University Press ; et enfin Walter Van Beek, 1991.
24 Selon cette conception, l’ethnie apparaît comme une unité séparée des autres par des frontières culturelles aisément
identifiables.
21
10
Jacky Bouju
IV.
Comment échapper à la fiction25 ethnographique et construire les
bases d!une anthropologie réciproque ?
IV.1. Les règles de la méthode ethnographique
IV.1.1 Une intention de connaissance, empirique et objectivante
La description ethnographique est de toute évidence une construction intellectuelle dans la
mesure où elle configure ce qu’elle donne à connaître de la réalité culturelle des Autres. En
ce sens elle produit bien une fiction26. Pourtant, s’il y a bien fiction, à savoir “ construction27 ”,
il n’y a pas pour autant “ invention ”. Car cette construction, contrairement à d’autres, est au
service d’une intention de connaissance empirique28 : elle passe par une activité réglée de
description d’éléments de la culture des Autres. Or, toute intention de connaissance 29 exige
que l’on sache distinguer entre une fiction et une réalité pensée, entre un artefact et un
fait social (Borel, 1990 : 23). L’intention de connaissance se distingue d’autres entreprises
similaires, mais essentiellement différentes (comme l’essai philosophique, la relation de
voyage ou le roman ethnologique) par le souci d’objectivité 30 qui caractérise l’ethnographie.
Faute de satisfaire à cette intention, ce que raconte l’ethnologue est effectivement une
fiction, au sens le plus commun du terme.
En premier lieu, la portée référentielle de la description ethnographique implique d’une part,
que quelque chose de la réalité culturelle de l’Autre apparaisse au regard de l’ethnographe
Dans tout ce passage, je m’appuie sur l’épistémologie de Marie-Jeanne Borel (1990). Ceux qui connaissent son
œuvre reconnaîtront tout ce que je lui dois.
26 En affirmant que la nature de l’anthropologie était la production de fictions narratives et le travail de
l’anthropologue une simple opération d’écriture, le courant post-moderne a eu pour effet salutaire de contraindre les
ethnographes à s’interroger sérieusement sur la nature de leur discipline. L’ethnographe continue de penser que la
culture des Autres existe avant qu’il en parle, il y a quelque chose de la réalité de l’Autre qu’il peut comprendre et
interpréter et qu’il doit rapporter au public d’ici.
27 En objectivant leur réalité ou celle des Autres, les hommes en société identifient les faits sociaux et les interprètent
pour agir. Interpréter pour essayer de comprendre est un processus constant et banal. L’invention de la culture de
l’Un par l’Autre ou par lui-même renvoie à la notion de “ schématisation ” . Cette notion empruntée à la pragmatique
décrit une régulation de l’interaction entre les agents de la communication, entre les représentations qu’ils se font les
uns des autres et de leurs buts, entre les représentations qu’ils ont des choses dont l’autre parle, entre les
connaissances qu’ils partagent, celles qu’ils pratiquent et celles qu’ils veulent faire accepter par l’Autre.
28 On peut et on doit décrire les cultures car les hommes en société ont parlé et agi avant que l’ethnographe décide de
faire un rapport sur leurs paroles et leurs actions.
29 Toute construction sociale du réel produit des modèles de la réalité. Mais l’intention de connaissance (la volonté
ethnographique de décrire la manière dont les Dogon se représentent leur culture) implique d’établir une
correspondance sémantique entre les formulations de l’anthropologue et les formulations dogons.
30 L’objectivité ethnographique consiste à montrer non pas les faits tels quels, mais les faits dans la figure qu’ils
prennent pour l’ethnographe. La description des faits se donne néanmoins pour “ vraie ” puisqu’elle est construite de
sorte que ses termes signifient de façon référentielle : elle signifie l’expérience de terrain qu’elle représente (Borel,
1990).
25
11
La culture dogon. De l’ethnologie coloniale à l’anthropologie réciproque contemporaine
(car toute connaissance empirique postule la réalité du monde qu’elle saisit) et d’autre part, que
le mode d’action de ce regard soit commun à tout anthropologue “ car tout savoir exige un
contrôle collectif, donc explicite, de son mode de saisie. ” (Borel, 1990).
En second lieu, la description ethnographique doit prétendre à une correspondance entre
ses formulations et les faits culturels observés, mais cette correspondance est complexe. En
effet, d’un côté l’énoncé anthropologique renvoie à l’énoncé des Dogon qui a été recueilli
sur le terrain. De l’autre, l’énoncé des Dogon renvoie à leur propre expérience du monde.
Pour finir il n’y a que l’expérience des Dogon qui renvoie au monde. L’objectivité est donc
une affaire de degré. Le même problème peut être traité à différents niveaux et sous
différents angles. Les faits qui sont donnés dans l’expérience du terrain, les phénomènes qui
s’y montrent sont perçus par l’ethnographe dans le cadre de son activité en cours. En
objectivant le perçu de son expérience pour comprendre ce qui se passe, il interprète les
faits: toute description est donc nécessairement interprétative, car il n’y a pas d’“ objet ” sans
“ sujet ”.
IV.1.2 Cohérence conceptuelle, utilité pragmatique, véridicité et plausibilité des données
Marcel Griaule et Germaine Dieterlen ne se sont jamais interrogés sur leurs présupposés
théoriques et ils n’ont pas soumis à la critique collective les conditions de leur savoir sur le
savoir des Dogon. Aujourd’hui, du point de vue ethnographique, leur approche de la culture
dogon est invalide car l’exigence de cohérence conceptuelle et d’utilité pragmatique
demande que l’ethnographe rende explicite le rapport de son savoir aux modes rationnels
de compréhension et d’expression définis par sa discipline.
Cela nécessite, entre autres, de soumettre à la critique interne le rapport des données
empiriques aux constructions théoriques. L’exigence de véridicité et de plausibilité demande
que la description ethnographique soit aussi proche que possible de la réalité sociale des
Autres. C’est-à-dire qu’elle doit être non réfutable 31 par les données empiriques recueillies par
d’autres ethnographes. En procédant à la vérification de ses données et à la validation de
ses résultats, l’ethnographe témoigne ainsi de la volonté d’établir une correspondance entre
ses formulations et la réalité culturelle exprimée par les Dogon. La boucle réflexive qui le
reconduit de la culture dogon qu’il étudie, au savoir anthropologique qu’il produit sur celleci, ne peut donc pas être esquivée.
31
Cohérence avec la théorie de la falsifiabilité : tant qu’il n’y a pas de contre-exemple, la théorie est valide.
12
Jacky Bouju
IV.2. L!anthropologie comme entreprise de traduction culturelle
IV.2.1 Points de vue croisés : l!Un (-étique) de l!Autre (-émique)
L’ethnographie a pour mission scientifique de rapporter les faits dans les termes de la culture
locale. Mais les “ faits ” caractéristiques du domaine de l’anthropologie sont des “ faits de
signification ”. Les hommes, dont l’ethnographe étudie la culture, donnent un sens à ce qu’il
font et disent et ils lui en parlent. Or les significations ne se voient pas, aussi convient-il de les
extraire par un processus d’abstraction à partir des données recueillies.
La description
ethnographique de la culture consiste donc en une traduction associée à une interprétation
qui “ se présente comme une synthèse entre la perspective systématique, positive, inductive
et comparative dont l’ethnologue est porteur (l’-étique) et la perspective singulière,
historique et culturelle dont le groupe est porteur (l’-émique).
L’opposition –émique/-étique proposée par Pike (1954), développée par Harris (1979) et
récemment discutée par Olivier de Sardan (1998) est d’un usage essentiel dans l’approche
transculturelle de l’anthropologie réciproque. Elle permet, en effet, de distinguer entre les
interprétations spécifiques à toute culture 32 et celles qui sont transculturellement valides à
savoir, les catégories scientifiques, les analyses du chercheur et les discours savants (Olivier de
Sardan, 1998 : 152).
IV.2.2 La question de la traduction culturelle…
Dans une perspective d’anthropologie réciproque, la traduction culturelle occupe une
place centrale. En effet, si l’ethnographie consiste à “ décrire ” intra-culturellement les faits
culturels dogons33, l’anthropologie a pour devoir de “ rapporter ” interculturellement : elle doit
donc être en mesure de les reformuler en un langage spécialisé 34.
En concevant la traduction culturelle comme une procédure de reformulation entre ce qui
“ vaut ” pour deux cultures, celle du sujet objet de l’enquête et celle de l’enquêteur, on
décrit des “significations en interface culturelle. L’essentiel du travail d’ethnographe consiste
Au contraire de l’approche –étique, l’approche –émique n’est, dans son essence, valide que pour une seule culture
à la fois…C’est une tentative de découvrir et de décrire le “ modèle ” (pattern) de cette culture particulière (Pike,
1954 : 11).
3333 Le point de vue ethnographique est résolument emic. La description se rapporte ainsi une traduction associée à
une interprétation qui “ se présente comme une synthèse entre la perspective systématique, positive, inductive et
comparative dont l’ethnologue est porteur (point de vue étic) et la perspective singulière, historique et culturelle dont
le groupe est porteur (point de vue émic) (Olivier de Sardan, 1989).
34 La traduction culturelle implique de traduire une conception de l’ordonnancement du monde par un autre. La
réalité n’existe que par un langage, ce qui veut dire que la vérité d’un observateur n’est pas séparable de l’énoncé qui
l’évoque.
3232
13
La culture dogon. De l’ethnologie coloniale à l’anthropologie réciproque contemporaine
ainsi à traduire et reformuler les données recueillies en fonction des objectifs de
communication assignés à la discipline. Ces savoirs dogons que j’ai pu rapporter sont des
“ faits de signification ” qu’il a fallu traduire 35 et interpréter.
Le processus de traduction culturelle commence ainsi dès la prise de données, avant les
mots, il continue quand les données sont rapportées et formulées sous diverses formes aux
différents niveaux et il se poursuit jusqu’au niveau de l’analyse théorique. Comme n’importe
quel discours, la traduction s’organise dans la distance symbolique, à la fois pragmatique et
sémantique, que lui permet le langage et de ce point de vue, la traduction n’est qu’une
variété de l’interprétation. Le seul moyen de “ régler le langage descriptif ” est donc
d’accroître les contrôles intersubjectifs36 sur ce qu’il peut exprimer et comment il peut le faire.
Traduire c’est reformuler37. Mais la reformulation anthropologique n’est pas seulement un
problème de langage. Certes, elle ne peut pas conserver pas les formules originales, mais
elle doit en conserver le discours et ses significations propres. L’important, finalement, ce n’est
pas la langue en soi, mais l’idéologie culturelle et les représentations qu’elle supporte. En
effet, d’une part, les mots ont toujours un sens avant qu’on les utilise et “ (…) chaque usage
entraîne avec lui toute une mémoire collective de contenus culturels pré-construits et de
formes sédimentées par l’histoire. ” (Borel, 1990 : 58-59). D’autre part, ce sont les gens, et non
la langue, qui se rapportent effectivement ou non à certaines choses en parlant : ce ne sont
donc pas les énoncés qui sont en rapport avec le monde mais ceux qui les utilisent38.
IV.2.3 …Dégager des significations en interface culturelle
L’entreprise de traduction culturelle des termes de la langue dogon dans le méta-langage
anthropologique n’est possible qu’à travers une procédure longue et fastidieuse de
recherche en commun de catégories suffisamment adéquates pour exprimer le sens de
cette culture particulière dans des termes universels qui la transcendent.
Ainsi, pour décider du sens à assigner aux termes de la langue dogon donno so, j’ai opté
pour une méthode de saturation progressive de la signification qui consiste à déterminer en
commun toutes les valeurs pragmatiques des variables sémantiques repérées dans l’enquête
Même si, du point de vue empirique, on sait bien qu’une traduction parfaite de la culture des “ Uns ” dans le
langage des “ Autres ” est impossible, il y a des traductions qui sont meilleures que d’autres, c’est-à-dire plus
nuancées culturellement et moins chargées idéologiquement.
36 Entre autres, l’observation sur le terrain doit pouvoir être ramenée à des procédures témoignant qu’elles portent
sur des faits qui existent indépendamment de l’observateur. Deux observateurs placés dans des conditions analogues
devraient pouvoir être témoins des mêmes faits. Un fait (une description vraie) s’impose comme tel du moment
qu’on cesse d’en discuter : il constitue alors une donnée.
37 Je me réfère explicitement au modèle épistémologique constructiviste développé par Marie-Jeanne Borel (1990)
38 La signification d’un fait social est toujours celle qui est visée par un acteur.
35
14
Jacky Bouju
et dépendantes du contexte d’énonciation. Ainsi, la valeur que l’ethnographe et ses
informateurs-interprètes assignent à cette variable est le produit d’un travail commun de
reformulation entre des significations qui valent pour les deux cultures en interaction. Le
résultat de cette reformulation est une “ signification en interface 39 ” qui vaut simultanément
pour la culture de l’ethnographe et pour celle des informateurs. Ce faisant, on se soumet à
une épistémologie constructiviste qui offre la possibilité, au moins relative, de la traduction et
celle d’une portée référentielle des formulations anthropologiques
V.
La solution transculturelle : formuler les savoirs communs à l!aide
d!un métalangage cosmopolite comme le jargon anthropologique
Ainsi qu’on vient de le voir plus haut, l’opposition –émique/-étique distingue simultanément
entre deux langues (dans notre exemple, le dogon donno so et le français), mais elle
distingue aussi entre deux niveaux de langage : celui du “ sens commun ” propre au langage
naturel local (ici le parler donno so) et celui du “ sens savant ” propre au métalangage
anthropologique qui, lui, est cosmopolite (Olivier de Sardan, 1998 : 161).
Pour les
raisons
que j’évoquais en introduction, le
métalangage anthropologique
cosmopolite trouve son origine dans une langue naturelle marquée historiquement (la
langue française ou anglaise selon les colonisations) et culturellement (la culture
européenne). Il n’en reste pas moins que ce métalangage ne peut être produit comme tel
qu’à partir du moment où la communauté anthropologique mondiale le dégage des valeurs
culturelles
provenant
de
sa
langue
naturelle
d’origine.
Évidemment,
ce
travail
d’émancipation culturelle, toujours susceptible d’être mis en question, n’est jamais achevé 40.
Cependant, le métalangage anthropologique cosmopolite a le mérite d‘exister et d’être
mondial (surtout dans sa version anglaise qui est partagée entre tous les anthropologues du
monde) même s’il n’est pas universel (car tous les scientifiques ne sont pas anthropologues).
bien sûr, il est hors de question d’établir une hiérarchie de valeurs entre le sens commun
propre au langues naturelles et le sens savant propre au métalangage anthropologique. Sur
ce point, Jean-Pierre Olivier de Sardan (1998 : 162) souligne bien que c’est leur “ statut
cognitif ” qui différencie les interprétations propres aux cultures locales et les interprétations
propres à la culture anthropologique mondiale. Pour le reste, elles ont le même
“ statut moral ”. Elles relèvent d’univers de sens différents, mais elles ne sont pas en rapport
Cf Borel, 1990 : 37.
L’écriture savante rencontre ici ses limites dans le fait qu’elle est dans l’impossibilité d’exclure le langage ordinaire
dont l’un des effets est de conférer un style au texte produit “ à la manière de ”.
39
40
15
La culture dogon. De l’ethnologie coloniale à l’anthropologie réciproque contemporaine
hiérarchique :
“ Considérer
les
interprétations
indigènes
comme
inférieures
aux
représentations savantes, c’est adopter un point de vue ethnocentriste ou scientiste, les
considérer comme supérieures, c’est adopter un point de vue populiste. ” (Olivier de Sardan,
1998, note 12 : 162). Plus loin, il ajoute que “ Le discours de l’informateur vaut bien celui du
chercheur, mais le discours de l’informateur n’est pas celui du chercheur la différence est
normale et inévitable : les objectifs, les ressources et les contraintes de l’un et de l’autre sont
inéluctablement différentes ” (Olivier de Sardan, 1998 : 163).
Ces considérations nous ramènent à l’intention de connaissance qui fait toute la différence
entre le point de vue anthropologique et tous les autres. Seule cette intention de
connaissance empirique et objectivante peut fonder une anthropologie réciproque 41
s’appuyant sur la production en commun de significations en interface culturelle seules à
même de garantir une approche transculturelle de la culture des Uns et des Autres.
L’anthropologie réciproque apparaît de la sorte comme une “ réinvention ” de la discipline
qui ne se contente pas seulement de “ parler de l’Autre ” mais qui tente aussi de “ parler
avec l’Autre”.
VI.
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L’anthropologie réciproque est ainsi attentive aux divers contextes de négociation du savoir qui apparaît à la fois
comme le produit d’une “ vérité ” négociée avec les acteurs locaux et comme une construction explicitement
adressée à un public lointain pour lequel on essaye de reconstruire les différents contextes de cette négociation
(Kilani, 1992).
41
16
Jacky Bouju
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18
Bienvenue dans Clio en Afrique n°10 été 2003 / notes BOUJU
Notes
1 Qu’on peut caractériser par la généralisation de la division du travail social et de
l’échange marchand accompagnant l’autonomisation des différents champs politiques,
religieux, économiques et sociaux.
2 Que suscite le rapport touristique, par exemple.
3 L’ethnographie, ici entendue comme ce moment très particulier de la recherche
anthropologique qui correspond à la phase d’enquête sur le terrain.
4 De cum sensualis au sens propre le sentiment partagé, vécu en commun.
5 L’identité ethnique ne peut être ainsi défini qu’à partir des éléments culturels
sélectionnés par les membres d’un groupe pour affirmer et maintenir sa différence
avec les Autres.
6 Une société traditionnelle, telle qu’elle est communément caractérisée, ne saurait
être traditionaliste.” (Lenclud, 1994 : 38)
7 “ Cette expression montre que le dialecte dogon donno distingue entre deux
connotations : la tradition comme “ héritage ” atembi et la tradition comme “ message ”
so-go. En effet, ya atembi — littéralement “ ce que l’on a trouvé du passé ” — désigne “
la tradition ” dans tous les dialectes dogons. “ Ce que l’on a trouvé ” c’est ce qui se
disait et se faisait et qu’on a pu entendre et voir : la tradition est un savoir appris en
écoutant les anciens parler et en les regardant faire. […] Il est important, je crois, de
souligner le fait que la notion dogon de tradition connote cette conception, fort
répandue, de la tradition comme héritage culturel. ” (Bouju, 1995b).
8 (cf Boyer, 1986 a). Une communauté culturelle peut toujours être divisée entre ceux
qui produisent la signification culturelle et ceux qui la comprennent et la partagent.
9 Ce mode traditionnel de légitimation de l’identité collective s’inscrit dans une
dialectique de l’en-groupe et du hors-groupe qui passe par la confrontation des ordres
politiques et religieux endogènes avec ceux conçus et vécus comme imposés de, et par,
l’extérieur.
10 Une réaction de défense bien connue au sein des cultures minoritaires ou dominées
consiste à se réfugier dans une forme de relativisme ontologique qui considère que “ les
cultures sont des réalités incomparables entre elles, incommensurables les unes par
rapport aux autres. ” [Cuche, 1997 : 22].
file:///Users/jackybouju/Documents/Recherche:CEMAf/site%20IEA/Web/Clio/numero/10/notesculturedogon.html (1 sur 5)01/07/08 16:39
Bienvenue dans Clio en Afrique n°10 été 2003 / notes BOUJU
11 Les données des travaux ethnographiques antérieurs appartiennent à la “ phase
documentaire ” de l’Ecole Griaule (1931-1941) sont parfaitement reconnaissables
aujourd’hui et je suis entièrement d’accord avec Walter Van Beek pour dire qu’ils “
fournissent une introduction valable à la culture dogon ”.
12 “ His (Griaule) primary goal was never just to understand dogon behavior but to
prove a point about african thought ; claiming to write ethnography he offered
anthropology a glimpse into the highly intriguing territory between fact and fiction,
the realm of created cultures, European as well as African. At the rim of science of
man, he embarked upon a veritable journey into the realm of intercultural fiction.
” (Van Beek, 1991 :158).
13 En anthropologie ce ne sont pas les aventures du savant qui intéressent l’enquête
mais les hommes qu’il a rencontrés.
14 L’expression est de Clifford (1983 : 60).
15 “ (…) c’est très ethnologique - qu’on ne voit pas chez soi ce qu’on ne peut pas ne pas
voir chez l’autre, et, inversement, qu’on s’attribue ce qu’on lui dénie : les traditions
étant la plupart du temps (…) implicites, on voit celles des autres, on ignore les siennes,
et, corrélativement, on est sensible chez soi au changement qu’on valorise, chez l’autre
à l’immobilisme qui le fait reconnaître. ” Pouillon (1977 : 205).
16 A cet égard, Germaine Dieterlen a toujours considéré que la progression de l’islam
dans la société dogon altérait la “ pureté originelle ” de “ la culture dogon authentique ”.
17 Sans doute l’énonciation est réservée aux vieillards, chefs de grandes familles ou à
des spécialistes, mais leur connaissance du corpus va rarement au-delà du savoir
commun. (Van Beek, 1991 :150).
18 Bien sûr, un mythe n’est pas raconté à n’importe qui, par n’importe qui, et en
n’importe quel lieu.
19 L’annonce, il y a longtemps, d’un second tome du Renard Pâle a fait long feu.
20 Dans la perspective d’une approche transculturelle de l’interaction ethnographique
on peut considérer que “ Griaule’s very language remains one of a priori mystification.
” [Apter, 1992 :94].
21 Cf. Jean-Louis Paudrat, 1994, “ Le pays et la culture dogon ”, “ Résonnances
mythiques dans la statuaire du pays dogon ” in Falgayrette-Leveau C., Dogon, Editions
Dapper.
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22 Parmi lesquelles on peut citer : Lettens, D., 1971, Mystagogie et mystification :
Evaluation de l’œuvre de Marcel Griaule. Bujumbura : presses Lavigerie ; Clifford
J.,1988 ; Saccone J., 1984. Dogon del Mali e le ricerchi del Marcel Griaule. Bologna ;
Mudimbe V.Y., 1988. The Invention of Africa. Philosophy, Gnosis and the order of
knowledge, Bloomington, Indiana : Indiana University Press ; et enfin Walter Van Beek,
1991.
23 Selon cette conception, l’ethnie apparaît comme une unité séparée des autres par
des frontières culturelles aisément identifiables.
24 Dans tout ce passage, je m’appuie sur l’épistémologie de Marie-Jeanne Borel (1990).
Ceux qui connaissent son œuvre reconnaîtront tout ce que je lui dois.
25 En affirmant que la nature de l’anthropologie était la production de fictions
narratives et le travail de l’anthropologue une simple opération d’écriture, le courant
post-moderne a eu pour effet salutaire de contraindre les ethnographes à s’interroger
sérieusement sur la nature de leur discipline. L’ethnographe continue de penser que la
culture des Autres existe avant qu’il en parle, il y a quelque chose de la réalité de
l’Autre qu’il peut comprendre et interpréter et qu’il doit rapporter au public d’ici.
26 En objectivant leur réalité ou celle des Autres, les hommes en société identifient
les faits sociaux et les interprètent pour agir. Interpréter pour essayer de
comprendre est un processus constant et banal. L’invention de la culture de l’Un par
l’Autre ou par lui-même renvoie à la notion de “ schématisation ” . Cette notion
empruntée à la pragmatique décrit une régulation de l’interaction entre les agents de la
communication, entre les représentations qu’ils se font les uns des autres et de leurs
buts, entre les représentations qu’ils ont des choses dont l’autre parle, entre les
connaissances qu’ils partagent, celles qu’ils pratiquent et celles qu’ils veulent faire
accepter par l’Autre.
27 On peut et on doit décrire les cultures car les hommes en société ont parlé et agi
avant que l’ethnographe décide de faire un rapport sur leurs paroles et leurs actions.
28 Toute construction sociale du réel produit des modèles de la réalité. Mais l’intention
de connaissance (la volonté ethnographique de décrire la manière dont les Dogon se
représentent leur culture) implique d’établir une correspondance sémantique entre les
formulations de l’anthropologue et les formulations dogons.
29 L’objectivité ethnographique consiste à montrer non pas les faits tels quels, mais les
faits dans la figure qu’ils prennent pour l’ethnographe. La description des faits se
donne néanmoins pour “ vraie ” puisqu’elle est construite de sorte que ses termes
signifient de façon référentielle : elle signifie l’expérience de terrain qu’elle
représente (Borel, 1990).
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30 Cohérence avec la théorie de la falsifiabilité : tant qu’il n’y a pas de contre-exemple,
la théorie est valide.
31 Au contraire de l’approche –étique, l’approche –émique n’est, dans son essence, valide
que pour une seule culture à la fois…C’est une tentative de découvrir et de décrire le “
modèle ” (pattern) de cette culture particulière (Pike, 1954 : 11).
32 Le point de vue ethnographique est résolument emic. La description se rapporte
ainsi une traduction associée à une interprétation qui “ se présente comme une
synthèse entre la perspective systématique, positive, inductive et comparative dont
l’ethnologue est porteur (point de vue étic) et la perspective singulière, historique et
culturelle dont le groupe est porteur (point de vue émic) (Olivier de Sardan, 1989).
33 La traduction culturelle implique de traduire une conception de l’ordonnancement du
monde par un autre. La réalité n’existe que par un langage, ce qui veut dire que la vérité
d’un observateur n’est pas séparable de l’énoncé qui l’évoque.
34 Même si, du point de vue empirique, on sait bien qu’une traduction parfaite de la
culture des “ Uns ” dans le langage des “ Autres ” est impossible, il y a des traductions
qui sont meilleures que d’autres, c’est-à-dire plus nuancées culturellement et moins
chargées idéologiquement.
35 Entre autres, l’observation sur le terrain doit pouvoir être ramenée à des
procédures témoignant qu’elles portent sur des faits qui existent indépendamment de
l’observateur. Deux observateurs placés dans des conditions analogues devraient
pouvoir être témoins des mêmes faits. Un fait (une description vraie) s’impose comme
tel du moment qu’on cesse d’en discuter : il constitue alors une donnée.
36 Je me réfère explicitement au modèle épistémologique constructiviste développé
par Marie-Jeanne Borel (1990)
37 La signification d’un fait social est toujours celle qui est visée par un acteur.
38 Cf Borel, 1990 : 37.
39 L’écriture savante rencontre ici ses limites dans le fait qu’elle est dans
l’impossibilité d’exclure le langage ordinaire dont l’un des effets est de conférer un
style au texte produit “ à la manière de ”.
40 L’anthropologie réciproque est ainsi attentive aux divers contextes de négociation
du savoir qui apparaît à la fois comme le produit d’une “ vérité ” négociée avec les
acteurs locaux et comme une construction explicitement adressée à un public lointain
pour lequel on essaye de reconstruire les différents contextes de cette négociation
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(Kilani, 1992).
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Emergence de Djibouti-ville au regard des sources
iconographiques (1897-1917)
Colette DUBOIS
Historienne
Institut d’Etudes Africaines
UMR 6124 M.M.S.H.- Aix-en-Provence
Avant que la colonisation européenne n’affecte la Corne de l’Afrique, plus particulièrement la région du Bab elMandeb, détroit qui relie la mer Rouge à l’océan Indien, et n’y bouleverse les sociétés et l’organisation de l’espace,
quelques cités portuaires s’étaient développées (1). Ainsi, Tadjourah cumulait plusieurs fonctions. C’était d’abord la
capitale politique du sultanat de Tadjourah où résidaient le sultan et son vizir, puis un port de commerce qui
réceptionnait les produits indiens, américains ou européens destinés aux marchés éthiopiens atteints par les caravaniers
qui sillonnaient les pistes intérieures, port qui drainait également une partie des exportations de l’Ethiopie méridionale,
y compris les esclaves ; enfin, c’était une célèbre cité musulmane, fière de ses sept mosquées. Une fois franchi le
détroit, sur le golfe d’Aden, on abordait Zeïlah qui relevait administrativement des sultans ottomans (2). Zeilah était
concurrencée par Berberah, éphémère cité portuaire dont la population pouvait atteindre 10.000 habitants durant
quelques mois de l’année, au moment où les caravaniers descendaient de l’Ethiopie, principalement du Harar, pour
atteindre la côte dans l’attente des boutres poussaient par les vents de la mousson ; lorsque s’inversaient les vents, les
voiliers quittaient la côte et Berberah se vidait de ses habitants. Toutefois, les Egyptiens, maîtres de la région entre 1874
et 1885, y relancèrent le fait urbain. De pérenne, la cité s’enracinait dans le paysage ; des cases rondes édifiées selon les
traditions des nomades somalis coexistaient avec des bâtiments administratifs et résidentiels construits en pierres
madréporiques et des aménagements économiques durables (jetée en pierres, adduction d’eau, etc.). La colonisation
britannique renforça cette mutation, et Berberah qui exportait les vivres et les animaux réclamés par Aden, colonie
britannique fort déshéritée par la nature, connut un regain d’activités.
Ainsi, la colonisation européenne des années 1880 relance l’urbanisation de la région. Le golfe de Tadjourah
n’échappait pas aux bouleversements induits par la colonisation, française en l’occurrence. Les Français après avoir cru
au devenir de leur établissement d’Obock déchantèrent, le site révélant en moins de dix ans ses inconvénients (3).
Obock qui, à leur arrivée en 1884, n’était qu’un village temporaire de pasteurs afars et une aiguade connue les marins,
devint, sous l’impulsion du gouverneur Léonce Lagarde, un poste colonial, ainsi qu’un port stratégique où les navires à
vapeur pouvaient s’approvisionner en charbon et en eau. Cependant, Obock n’était pas le point de départ d’une piste
caravanière et les riches marchés du Choa échappèrent aux commerçants européens ; ce n’était pas, non plus, l’escale
technique et stratégique que réclamait la flotte française pour concurrencer le port d’Aden dans la mesure où l’eau, rare
et trop salée, érodait les chaudières et que la rade restait d’accès difficile ; par ailleurs, les températures caniculaires et
l’inexistence d’agriculture handicapèrent la croissance du premier établissement urbain. Ainsi, dès 1888, Léonce
Lagarde rechercha un site plus propice pour y déplacer les services administratifs et économiques. Son choix ratifié par
les officiers de marine, se porta sur la presqu’île de Djibouti qui s’ouvre largement sur le golfe d’Aden. Ce site est
temporairement fréquentée par les marins qui viennent y chercher de l’eau et par les pasteurs issas qui y conduisent
leurs troupeaux.
L’étymologie du nom « Djibouti » pose encore problèmes ; la communauté scientifique n’est pas parvenue à départager
les positions antagonistes. D’origine afar, il signifierait vannerie de forme arrondie, sur laquelle on dépose les galettes
de doura (céréales). D’origine issa-somali, il signifierait terre stérile. Plus anecdotique, les marins bretons qui jetèrent
l’ancre dans cette contrée bien inhospitalière par le climat torride, se seraient écriés « il bout ici », d’où Djibouti. Pour
l’historien, il est plus intéressant de relever que sur ce site vierge de toute implantation, le colonisateur français jette les
fondations d’un établissement urbain qui détrône rapidement la traditionnelle cité afar de Tadjourah et l’éphémère poste
d’Obock (4). En quelques années, Djibouti-ville, chef lieu de la colonie baptisée Côte française des Somalis, accapare
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toutes les investissements économiques et centralise toutes les fonctions, créant un profond déséquilibre entre quatre
hectares « utiles » et 23.000 km2 abandonnés aux pasteurs et aux caravaniers.
Autant les conditions de la naissance de Djibouti sont connues, autant le paysage urbain qui prend forme, l’est moins.
Certes, nous disposons de récits de voyageurs ou des descriptions de la ville par les administrateurs coloniaux. En
revanche, les sources iconographiques n’ont pas fait l’objet d’une analyse systématique pour saisir sur le vif
l’émergence de cette ville créée ex nihilo. Notamment, deux sources iconographiques, des panoramas en l’occurrence,
nous font découvrir l’émergence d’un espace urbain qui se déploie sous nos yeux ; l’un est dessiné en 1897, l’autre
peint en 1917. Avant de les décrire et d’en retirer les informations, présentons ces sources, particulièrement rares et
précieuses pour connaître l’Afrique d’hier (5).
Carte de la Corne de l’Afrique en 1917
1. Des sources iconographiques rares
Le panorama se présente comme une grande fresque où le peintre représente un paysage tel qu’il se révèle à lui. Ce sont
les dessinateurs militaires qui, à la période moderne, ont donné vie à ce genre pictural. Depuis la deuxième moitié du
XIXe siècle, sont apparues les photographies, permettant de saisir sur le vif, une scène de vie ou des paysages.
Toutefois, les premiers appareils photographiques ne permettent pas d’avoir « un grand angle », d’où la permanence des
planches dessinées qui, une fois rassemblées, livrent une vue panoramique, une scène qui se déploie sous nos yeux.
1.1. Le panorama de 1897
Ce premier panorama figurait dans l’ouvrage de Jacques Trampont, Djibouti, hier, Paris, Hatier, 1990, recueil de
sources iconographiques publié lors de la commémoration du centenaire de Djibouti-ville. Une seule information
accompagnait ces planches : « Maurice Potter dessine le panorama de Djibouti en janvier 1897 ». Je me suis adressée à
l’auteur, J. Trampont, enseignant et érudit local qui a longuement résidé à Djibouti, pour avoir un complément
d’informations sur l’origine du document. Il m’a répondu succinctement : « ce dessin figure dans ma collection
personnelle.» Ainsi, ne pouvant vérifier l’origine de cette source, je ne l’avais jamais exploitée.
En 1998, amenée à exploiter l’ancien fonds de la Société de géographie de Paris déposé aux Archives nationales (rue
Richelieu), je découvre le fonds de photographies de Charles Michel-Côte qui, de 1919 à 1952, fut président de la
puissante Compagnie ferroviaire du franco-éthiopien. Ce fonds introduit par une notice biographique du dépositaire
Charles Michel, évoque également sa mission d’exploration de 1897, avec « Maurice Potter, peintre orientaliste,
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membre de la mission du marquis de Bonchamps ». Je disposais enfin des éléments pour connaître l’auteur du premier
panorama de Djibouti.
Evoquons le contexte historique pour préciser dans quelles conditions cette source iconographique a été élaborée. A la
fin de l’année 1896, le ministre des Affaires étrangères, Gabriel Hanotaux, prend la décision d’envoyer, par l’Ethiopie,
une mission devant aller à la rencontre du capitaine Marchand, responsable de la mission Congo-Nil (6). Le ministre
demande au gouverneur Léonce Lagarde de mettre sur pied cette expédition conduite par le capitaine Clochette qui
partirait de Djibouti, pour atteindre le Nil Blanc en traversant l’Ethiopie, d’où la nécessité d’avoir le soutien de
l’empereur Ménélik II.
Par ailleurs, le gouvernement français qui désire le succès de l’opération Congo-Nil, décide d’envoyer une mission
scientifique, confiée à l’explorateur Bonvalot, qui épaulerait discrètement la mission officielle de Clochette. Cette
équipe scientifique comprend le marquis de Bonchamps, tout juste rentré de Côte d’Ivoire, et un jeune ingénieur des
travaux publics Charles Michel, retenu pour seconder Bonvalot. Des spécialistes renforcent cette équipe, à savoir
l’ingénieur des mines Paul Bartholin et le peintre Maurice Potter.
Charles Michel a laissé un récit de leur épopée à travers l’Ethiopie et la région du Nil blanc, aventure moins bien
connue que celle très médiatisée du capitaine Marchand. Cette source narrative intitulée Mission de Bonchamps. Vers
Fachoda à la rencontre de la mission Marchand à travers l’Ethiopie, éditée par Plon en 1900, qu’illustrent les
photographies prises par Charles Michel et les dessins de Maurice Potter, artiste peintre, nous informe que cette mission
d’exploration gagne à la mi-février 1897, Djibouti, la récente capitale de la Côte française des Somalis.
Sous la plume de Michel Côte, apparaît une succincte description de la ville tout juste sortie du désert : « Le camp
s’installe le 21 février 1897 sur le sommet d’une colline qui domine Djibouti [c’est l’actuel quartier de Arrhiba, au-delà
de l’oued Ambouli]. Potter croque le paysage… Du sable sous un ciel bleu. Une terre chauve comme au lendemain
d’un incendie jusqu’à l’horizon barré d’une colline aride. Toutes blanches et nues sur la plage, quelques maisonnettes.
Pas même ici, les habituelles théories de palmiers, classique paysage que la photographie exporte de toutes les villes
coloniales pour la tentation de ceux que travaille le désir d’émigrer. C’est Djibouti qui compte 150 européens et 4 500
indigènes. C’est le départ d’une piste caravanière depuis que le commerçant français Bremond l’a lancée vers 1891.
Cette route bien pourvue d’eau traverse la sphère somali, ce qui rend aisé le recrutement des chameaux de charge et
l’organisation des caravanes. En quelques mois, Grecs, Français, Arméniens, Hindous et indigènes s’y sont installés.
C’est le chef lieu de la colonie depuis mars 1896… (7) »
« En 1896, a débuté la construction d’une résidence d’été pour le gouverneur. On a installé une voie Décauville qui va
chercher de l’eau douce à 2.500 mètres de là pour le personnel de l’administration (pas une simple goutte pour les
mortels) ; entretien d’un jardin potager à Ambouli réservé aux fonctionnaires, établissement d’un embryon de jetée en
face de la résidence du gouverneur… (8) » . Et de conclure (9) : « De nombreux travaux restent à faire… Les 2500
mètres de voies et les quelques citernes ont coûté cent fois plus cher qu’une adduction d’eau qui aurait amené l’eau à
tous et aurait évité le terrible choléra de 1893. Le 28 février 1897, nous quittons Djibouti… ».
Par ailleurs, Charles Côte, au fil de sa narration, livre de brèves indications sur le peintre Maurice Potter, décrivant sa
mort brutale : « Le 14 avril 1898, la mission entre chez les Guirimas. La marche monotone continuait sur le sentier,
entre deux hautes murailles d’herbe. Maurice Potter et le colonel Artamanoff qui s’étaient attardés, suivaient au milieu
des soldats. Potter se laissait emmener par sa monture, fumant et rêvant. Tout à coup, il écarta les bras et se renversa.
Ses boys se précipitèrent pour le relever : une longue lance lui traversait le flanc. Il râlait. Personne n’avait rien vu, rien
entendu. Un indigène avait jeté sa lance derrière l’écran de hautes herbes. Le colonel Artamanoff essaya de tamponner
l’horrible plaie. Mais le foie, les intestins étaient perforés. Dix minutes plus tard, sans reprendre connaissance, notre
ami rendait le dernier soupir. Le mort à qui l’on fit les funérailles repose dans une tombe très profonde, à l’ombre d’un
arbre touffu à 100 mètres de Loffé… Un mois plus tard, l’expédition du Nil était achevée, glorieusement et tristement.
(10) »
Charles Côte rend hommage à son compagnon de route, tragiquement disparu, une des victimes de la mission BonvalotBonchamps : « Léonce Benedite conservateur du musée du Luxembourg vient de louer publiquement l’œuvre artistique
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des deux années d’exploration. Les dessins de Maurice Potter sont de vrais chefs d’œuvre. Il n’y faut point y voir
seulement de précis documents ethnologiques, bien qu’à ce point de vue, leur sincérité et leur exactitude en fassent des
pièces d’une extrême importance. Ce sont aussi des morceaux rares pour la sûreté et la délicatesse de leur vision, la
tenue, et la délicatesse de leur écriture nerveuse, vive et résolue. Nous avons admiré les œuvres de l’artiste reproduites
dans ce volume. Nous devons dire quel compagnon, quel collaborateur, quel ami fut ce peintre genevois qui se
conduisit en bon Français. (11) »
L’artiste Maurice Potter d’origine suisse, laisse une œuvre inachevée, notamment sept feuillets de croquis urbains,
première série iconographique consacrée à Djibouti-ville, tout juste naissante. Il s’agit de sept dessins au crayon de
papier non rassemblés, dont l’ensemble, mis bout à bout, donne une vue d’ensemble de la ville. Maurice Potter, pendant
son bref séjour djiboutien effectué durant la deuxième quinzaine du mois de février 1897, s’est installé sur le toit d’une
maison du centre de la ville européenne qui s’est édifiée au plateau de Djibouti. La perspective nous amène à préciser
que cette habitation faisait face à l’hôtel des Arcades.
Ces sept planches de dessin sont des ébauches, des croquis saisis sur le vif. On peut penser que l’artiste aurait parachevé
son œuvre, à son retour en Europe, faisant les raccords entre les sept planches pour livrer une fresque continue. L’œuvre
telle qu’elle nous est parvenue, se déploie sur une bande de 143 centimètres de longueur et de 14 centimètres de largeur.
La place des référents iconographiques est prépondérante. Toutefois, l’artiste a jugé utile de porter quelques précisions
écrites. Outre l’indication des points cardinaux, fort précieuses pour localiser dans l’espace bâti, des références
manuscrites permettent de différencier les principaux édifice, de distinguer des places aux fonctions différentes et de
connaître nominativement des navires qui ont jeté l’ancre dans la rade de Djibouti. Cette source iconographique peut
être confrontée à une source identique, peinte en 1917.
1.2. Le panorama urbain de 1917
Si le dessin est moins sûr, l’œuvre est achevée. C’est une aquarelle polychrome. La ville de Djibouti, telle qu’elle se
perçoit aux hommes de 1917, se déploie sur un bande de 138 centimètres de longueur et de 18 centimètres de large.
Cette source iconographique, totalement inédite, a été exhumée au printemps 2000, par notre collègue Pierre Soumille,
avec qui nous collaborons pour l’ouvrage intitulé « Un îlot chrétien en terre d’Islam : Djibouti (XIXe-XXe siècles( ».
Au cours d’une campagne d’archives qui l’a conduit à Nantes, Pierre Soumille a pris contact avec le conservateur des
archives de l’Institut des frères de Saint-Gabriel ; cette congrégation vendéenne, spécialisée dans l’enseignement, avait
fait du vicariat apostolique des Gallas (12), une de ses terres d’apostolat, et avait ouvert en janvier 1901 un
établissement scolaire à Djibouti, puis en Ethiopie, plus tard. Parmi les riches fonds missionnaires, le conservateur nous
a signalé l’existence de quelques sources iconographiques, dont trois panoramas de paysages de la CFS. L’un est un
paysage qui présente l’environnement naturel du golfe de Tadjourah. Les deux autres sont des panoramas urbains, l’un
de Djibouti, l’autre d’Obock. La reproduction de ces documents nous a été accordée, et nous en remercions le
conservateur.
L’auteur de ces panoramas est connu. C’est le frère Robert d’Uzès, dans le civil Robert Maurel. Les archives, tant
missionnaires que civiles, nous apprennent que ce frère de Saint-Gabriel a débarqué à Djibouti en décembre 1900, il
avait tout juste 19 ans. Il fait partie du premier groupe de frères de saint Gabriel, sollicités par Monseigneur André
Jarosseau pour fonder une école de garçons dans le nouveau centre missionnaire qu’est Djibouti. Le frère Robert
d’Uzès, enseignant qui à le mérite de parler la langue arabe, ouvre la première classe fréquentée par les garçons
originaires de la CFS, tandis que son collègue enseigne aux enfants européens. Victime des mesures visant à séculariser
les écoles missionnaires, frère Robert d’Uzès est contraint d’abandonner Djibouti, en janvier 1906. Cependant, à la
demande du gouverneur Pascal – le budget de la CFS ne peut prendre en charge des instituteurs laïcs –, et de
Monseigneur Jarosseau, les frères de l’institut Saint Gabriel réouvrent leur établissement de Djibouti en octobre 1909.
En août 1914, au moment où la guerre éclate, frère Robert d’Uzès qui séjournait dans sa famille, dans le sud de la
France, est mobilisé. Il part sur le front des Vosges et participe à la guerre des tranchées. Blessé pendant les combats,
plusieurs fois décoré pour ses actes de bravoure, il est nommé sous-lieutenant.
En janvier 1917, à sa grande surprise, cet officier est affecté à la garnison de Djibouti, retrouvant une colonie qu’il
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connaît bien. Sa maîtrise de la langue arabe lui permet d’y accélérer le recrutement de « tirailleurs » du bataillon somali.
Par ailleurs, la CFS est menacée par les ambitions des Empires centraux, qui entendent étendre le conflit à la Corne de
l’Afrique, en s’appuyant sur un allié, l’empereur éthiopien Lidj Yassou. Ce dernier abandonne l’Eglise éthiopienne pour
l’islam, trouvant des partisans parmi les populations islamisées du Harar. Débute une grave crise politico-religieuse qui
ébranle l’Empire éthiopien et qui affecte, par ricochets, la CFS ; des espions « allemands » tentent de soulever la
population musulmane de la CFS et de l’Ethiopie ; en septembre 1917, on arrête aux portes de Djibouti, l’espion
allemand Holtz, qui devait soulever les Issas du territoire. Dans ce contexte, les autorités françaises de la CFS qui
jusqu’alors s’étaient contentés d’administrer la seule capitale, prennent la décision de mieux connaître l’intérieur des
terres. On confie au sous-lieutenant Maurel une mission de reconnaissance qui le conduit de Djibouti à Obock, après
avoir traversé le golfe de Tadjourah. De mars à juin 1917, cet officier sillonne donc le territoire afar, dresse des rapports
de mission, plante le drapeau français sur le lac Assal (13). Il livre également une série de dessins qui représentent des
paysages, urbains ou ruraux, découverts. C’est dans cette série que figure le panorama de Djibouti-ville, que nous nous
proposons d’étudier.
Le peintre occasionnel, contrairement à l’artiste-peintre Potter, n’est pas un professionnel, d’où un dessin moins précis
et moins raffiné, aux perspectives parfois maladroites. Cependant, cette source iconographique permet de découvrir un
habitat urbain qui depuis 1897 a gagné de nouveaux espaces. Emerge une cité polynucléaire ; entre les différents
noyaux qui apparaissent sous notre regard, existent des espaces vierges en voie d’être colonisés.
2. Djibouti en 1897, ébauche d’une ville neuve
2.1.Une ville monocéphale : le plateau de Djibouti
Maurice Potter nous révèle un noyau urbain, fort homogène. Cette ville, fille de la colonisation française, a tout juste
dix ans d’âge. En 1888, ce n’était qu’une presqu’île madréporique et marécageuse, vierge de toutes habitations. Les
commerçants européens, suivis par les autorités politiques, bâtissent les premiers édifices sur le plateau, dit de Djibouti,
qui s’étend en face d’une belle rade qui s’ouvre largement sur le golfe d’Aden et le golfe de Tadjourah. Le dessin révèle
les principaux moteurs de l’extension urbaine. Djibouti est avant tout une capitale économique.
2.2. Une capitale économique
Djibouti-ville est une cité portuaire dont le succès repose sur deux atouts : les infrastructures économiques et les
activités d’import-export, dynamisant le trafic caravanier et les échanges transocéaniques.
Extrait du panorama de Maurice Potter : le quai du Gouvernement et le palais du gouverneur
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La ville a bénéficié d’un équipement portuaire sommaire, c’est la jetée du Gouvernement faite de blocs madréporiques,
construite au pied de la résidence du gouverneur commanditée par Léonce Lagarde. Les navires à vapeur restent en
rade, car le faible tirant d’eau du port, sommairement créé avec peu de moyens financiers et techniques, ne leur permet
pas de toucher la terre ferme. Ainsi, seuls y accostent les boutres et les chalands à vapeur sur lesquels sont transbordées
les cargaisons des navires qui font escale dans la rade de Djibouti. Dans ce tout jeune port « colonial », se côtoient
voiliers traditionnels et navires à vapeur. Cet « aperçu instantané » de 1897 révèle la co-existence de deux types de
bâtiments : l’intrusion de la flotte moderne ne chasse pas les boutres, qui sillonnent la mer Rouge et l’océan Indien,
reliant Aden, le grand port de « redistribution » de la sous-région et les autres ports régionaux : Djeddah, Hodeidah,
Berberah, Zeilah, Massouah, Assab, etc. Le cabotage stimule les activités d’import-export de Djibouti.
feuillet 7 du panorama de Potter : vue sur la rade de Djibouti
Port de commerce, Djibouti est également un port stratégique pour la puissance française. Y mouille un navire «
stationnaire » chargé de la surveillance des eaux françaises. Comme aucune indication nominative n’est donnée, on peut
suggérer que c’est le Pingouin, bâtiment à vapeur mis à la disposition du gouverneur Léonce Lagarde pour lui permettre
de se déplacer entre Obock et Djibouti, et où dans l’attente de l’achèvement des travaux de sa résidence djiboutienne, il
logeait. Autre hypothèse : ce bâtiment peut être l’aviso Diane, chargé de la surveillance de la mer pour arraisonner les
boutres des trafiquants d’esclaves afin d’enrayer la traite négrière. Cependant comme les chaudières devaient être mises
en route une journée avant le départ, les contrebandiers, dûment informés par la fumée qui montait de la cheminée,
différaient la traversée du golfe de Tadjourah pour ne pas être arraisonnés.
L’ information écrite par le peintre croiseur Descartes en escale de charbon identifie le bâtiment à vapeur. En effet,
Djibouti qui a détrôné Obock, est devenu une escale technique incontournable : les bateaux français, notamment ceux
des Messageries maritimes qui assurent les liaisons régulières entre Marseille et les ports coloniaux de l’océan Indien et
du Pacifique, s’y approvisionnent en charbon, en eau, en glace et en vivres frais. Ce port stratégiquement bien situé au
débouché de la mer Rouge, sur une des grandes routes maritimes, doit concurrencer les installations d’Aden et
d’atténuer la dépendance vis-à-vis de la puissance coloniale rivale.
En arrière de ce noyau portuaire, s’est élevée la ville commerçante. Le cœur en est la place du marché (feuille 3),
également appelée la place des chameaux.
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Feuillet 3 du panorama de Potter : Place du marché (vue Sud-sud-ouest de Djibouti)
C’est la place centrale d’où partent et où arrivent les caravanes de dromadaires qui, par une piste récemment ouverte,
gagnent Harar, le dynamique emporium de l’Ethiopie méridionale. Le renseignement « route de Harar » y figure. Le
commerce caravanier a connu au tournant des années 1890, une mutation de premier importance. En effet, sous
l’impulsion des négociants européens attirés par les possibilités de commerce avec l’Ethiopie méridionale, Djibouti est
devenue le point de départ d’une pénétrante terrestre, ouverte depuis peu : la piste caravanière qui relie Djibouti à
Addis-Abeba, via Harar, concurrence les anciennes voies terrestres qui partent de Zeïlah ou de Berberah, ports passés
sous souveraineté britannique depuis que le Somaliland est devenu en 1885 protectorat. Les Français établis sur le golfe
de Tadjourah depuis 1884, qui ont découvert les limites de la piste caravanière partant de Tadjourah, contrôlent enfin
une nouvelle voie de commerce qui leur permet d’atteindre la jeune capitale de l’empire éthiopien.
Cette source iconographique pour riche soit-elle pour les renseignements livrés, a ses limites et ne montre pas des
transformations en cours, dans la mesure où les réalisations n’affectent pas encore le paysage urbain. Au moment où
Maurice Potter découvre les quartiers commerçants et les infrastructures économiques de Djibouti qu’il représente
fidèlement, des pourparlers engagés depuis 1894 par deux associés européens (le Français Léon Chefneux et le Suisse
Ferdinand Ilg) et l’empereur Ménélik II, débouchent en novembre 1896, sur la création d’une société privée, la
Compagnie impériale des chemins de fer éthiopiens, chargée de construire la voie ferrée reliant Djibouti au Nil Blanc,
via la ville de Harar. Conjointement aux conventions à caractère privé contractées, le gouvernement français mandate le
diplomate Léonce Lagarde pour obtenir de l’empereur Ménélik II un traité d’amitié : en 1897, Djibouti est
officiellement reconnu comme le port de transit de l’Ethiopie (avec des avantages financiers pour les deux partenaires)
et le futur chemin de fer éthiopien est autorisé à traverser le territoire de la CFS. Les derniers obstacles diplomatiques et
financiers levés, le chantier ferroviaire débute durant l’année 1898.
La gare en 1900 (carte postale)
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Toutefois, – et les croquis de Potter en témoignent – le succès de Djibouti n’est pas uniquement tributaire du chantier
ferroviaire, comme les écrits le soulignent trop souvent. La cité émergente a sa propre synergie qui repose sur le trafic
caravanier et les échanges maritimes ; contrôler le transit de l’Ethiopie, c’est générer des activités commerciales qui
stimulent l’import-export, ce qui encourage l’essor urbain.
Djibouti-ville est également une capitale administrative, chef-lieu de la colonie française des Somalis.
2.3 Une capitale administrative
Deux pôles se détachent du panorama. D’une part, la place autour de laquelle s’élèvent les bureaux du gouvernement
sur lesquels flotte le pavillon tricolore, symbole de la souveraineté française. Sur cette place, évolue des tirailleurs dits
sénégalais, dont on devine les fugaces silhouettes (14).
Feuillet 2 du panorama de Potter : la place du gouvernement (vue sud de Djibouti)
D’autre part, s’individualise la résidence du gouverneur, élevée près du port, balayée par la brise marine qui apporte
une relative fraîcheur. Ce palais, visible par tous les voyageurs qui découvrent la ville, est un édifice monumental qui
doit rivaliser la demeure du diwan Bourhane Aboubaker, représentant de la puissante famille Aboubaker, établie tant à
Tadjourah qu’à Zeilah qui a fait don à de la presqu’île de Djibouti au gouvernement français. L’esquisse faite par
Maurice Potter nous fait découvrir une grande maison de trois étages, le second à galerie, le dernier surmonté de
tourelles. La résidence reste ainsi jusqu’en 1930, date à laquelle le gouverneur Chapon-Baissac lui donne un air plus
oriental, les tours disparaissant au profit d’un toit en terrasse, délimité par un rebord crénelé.
De ce palais gouvernemental, est né le mythe du palmier en zinc. En effet, pour égayer sa résidence, avant que ne
poussent des palmiers naturels, le gouverneur Lagarde aurait donné ordre de placer dans des jardinières des arbres de
métal aux ramures artificielles régulièrement peintes en vert ! En fait, les palmiers naturels bien arrosés et bien soignés
par des jardiniers, engagés au Yémen, se sont bien acclimatés à Djibouti. En quelques années, des jardins entourent le
palais, mais la légende demeure vivace (15).
2.4. Une ville cosmopolite
La noyau urbain émergent attire une population hétérogène. On distingue, plusieurs quartiers. Le quartier somali rejeté
à la périphérie de la ville européenne. En arrière fond, sur la rive du golfe d’Aden, se détache le village de Boulaos.
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Feuillet 1 du panorama de Potter. Vue sud-est de Djibouti, village de Boulaos
Dès la naissance de cette ville coloniale, prévaut la ségrégation spatiale. Les échanges commerciaux qui réclament des
centaines de chameliers, les besoins des citadins en bois de chauffe, en viande et en lait, encouragent la sédentarisation
des Issa-Somali. C’est là une profonde mutation pour les pasteurs nomades. Dans le domaine architectural, cette
première génération de sédentarisés conservent leurs savoir faire ancestraux. Ainsi, coexistent des cases rondes – sur
des structures en bois légers, aisément transportable, sont jetées des nattes en vannerie, l’ensemble étant aisément
démontable et transportable, c’est l’habitat traditionnel des Somali –, ainsi que des maisons rectangulaires en torchis,
recouvertes de roseaux.
La ville européenne édifiée sur le plateau de Djibouti est un greffon de la modernité. La plupart des maisons,
construites en pierres madréporiques prélevées dans le golfe d’Aden, ont un seul étage au toit plat ; quelques-unes, plus
cossues, s’élèvent sur deux étages, s’entourant d’une véranda à claustra, les moucharabiehs, pour que les habitants
puissent être ventilés sans être vus. Cette architecture s’inspire des modèles des villes yéménites. Par ailleurs, ces
résidences urbaines s’alignent le long de rues et de places, selon un rigoureux plan en damier, l’administration coloniale
ayant mis en place un cadastre. C’est donc un espace urbain rationnel, tout juste sorti de terre, que découvre Maurice
Potter en février 1897.
Feuillet 5 du panorama de Potter : vue ouest du centre ville
Certains bâtiments privés s’individualisent tant par leur morphologie que par des notations écrites. Ce sont tout d’abord,
les hôtels de France et des Arcades. En effet, avec l’arrivée croissante des européens, la pénurie de logements s’est faite
ressentie. Les nouveaux citadins, essentiellement des hommes célibataires, résident pour une période plus au moins
longue à l’hôtel. Un commerçant hellénique, Rhigas, diversifie ses activités en ouvrant un nouvel établissement, la
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place qui le borde devenant la place du Grec, avant de devenir la place Lagarde.
Se détache parmi les toits à terrasse une maison crénelée « la maison des pères ». Les Capucins de la province de
Toulouse, sollicités par Monseigneur Taurin de Cahagne, préfet apostolique des Gallas, avaient ouvert la mission
pionnière d’Obock dès juillet 1886. Mais, lorsque Djibouti détrôna Obock, ils fermèrent leur établissement pour faire de
Djibouti le nouveau centre missionnaire pour ancrer – pensait-on alors –, la religion catholique en terre d’Islam. Arrivés
depuis septembre 1896, les Capucins français se contentent de louer une maison d’habitation, également lieu de culte
pour accueillir les rares fidèles catholiques. Les sœurs franciscaines de Calais ont également suivi leur exemple, mais
notre peintre-témoin n’en fait pas état.
Cet embryon urbain, créé de toutes pièces sur la rive du golfe de Tadjourah par les colonisateurs français au tournant du
siècle, ne connaît pas le tragique sort d’Obock qui, victime de choix politique, a périclité. Vingt ans après sa naissance,
alors que la Grande Guerre sévit, Djibouti-ville accueille 15 000 habitants, 4 000 européens, indiens et arabes, et 11 000
autochtones. Comment le tissu urbain a-t-il évolué ? Le panorama de 1917 peint par Robert Maurel enregistre les
principales transformations qui affecte le paysage urbain.
3. Djibouti-ville en 1917 : une ville tricéphale
Robert Maurel, en religion frère Robert d’Uzès, représente la vue qu’il découvre à partir de la maison louée par les
frères de Saint Gabriel. Cette résidence, d’après les sources missionnaires dépouillées (voir le plan donné par R.
Maurel) , se trouve au plateau du Serpent, zone investie depuis peu par les résidents européens qui recherchent les
bienfaits de la brise marine. Ce plateau est encore peu occupé en 1917. Le regard de l’observateur peut se porter au loin,
jusqu’à quatre à six kilomètres de la mission ; aucune obstacle ne se dresse sur cette plane surface, encore bien
désertique.
Adopter cet angle, c’est révéler l’extension de la ville en direction de la presqu’île du Marabout et du plateau du
Serpent. La ville est maintenant tricéphale. Faisant face au noyau originel élevé sur le plateau de Djibouti, bien
présentée par Maurice Potter, s’étendent deux nouveaux quartiers. L’un s’accroche au plateau du Marabout, l’autre,
plus résidentiel, au plateau du Serpent. Une route qui apparaît au premier plan, relie ces entités éclatés : c’est l’actuel
boulevard de la République, véritable cordon ombilical qui oriente l’extension urbaine de Djibouti-ville à partir de trois
pôles complémentaires. Les travaux routiers ont débuté en 1898, au moment où s’ouvrait le chantier ferroviaire. La
route suit un terre plein, spécialement élevé, car la zone qui s’étalait entre le plateau de Djibouti et le Marabout, était
inondable aux grandes marées, interdisant l’accès au plateau du Marabout. Ce dernier est devenu avec la mise en
service de la gare et du chemin de fer qui relie Djibouti à l’Ethiopie, le nouveau poumon économique de la capitale.
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Plan de Djibouti-Ville en 1917
3.1. Le nouveau poumon économique : le plateau du Marabout
Deux greffons de l’Europe technicienne – le port et le rail–, stimulent les activités commerciales de Djibouti. Le dessin,
quoique naïf de Robert Maurel, en témoigne.
Les installations portuaires du Marabout d’après le panorama de Maurel
Les nouvelles infrastructures portuaires se dressent, en face de la première jetée, le quai du Gouvernement, toujours
réservée aux boutres et au déchargement de leurs cargaisons. En revanche, l’extension portuaire s’est réalisé en
direction du plateau du Marabout, plus apte à recevoir des équipements modernes. On aperçoit à l’extrémité de la
presqu’île du Marabout, un important dépôt de charbon. En arrière, plusieurs édifices se dressent. Les sources
administratives et commerciales nous apprennent que l’administration coloniale y a fait construire le service des
douanes. Les sociétés privées de commerce et d’acconage ont également investi cet espace portuaire. On y trouve les
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Messageries maritimes, à qui appartient le dépôt de charbon. Cette compagnie de navigation, moyennant des
subventions de l’Etat français, dessert régulièrement les ports coloniaux de l’océan Indien et du Pacifique. Aux escales,
les navires à vapeur s’approvisionnent en combustible. Cette compagnie française a également investi des capitaux dans
une société d’acconage : la Compagnie maritime de l’Afrique orientale. En effet, les infrastructures portuaires de 1917
ne permettent toujours pas l’accostage des vapeurs, amenés comme vingt ans plus tôt à rester en rade, d’où la nécessité
de transborder les marchandises et les passagers. La CMAO, créée en 1901, détient le monopole de ces activités
d’acconage et ses chalands animent les quais de la Douane. La CMAO a également pris en charge la construction de
grands hangars pour y entreposer les marchandises destinées à être expédiées par mer ou ré-exportées en Ethiopie,
grâce à la voie ferrée.
Les installations ferroviaires du plateau du Marabout d’après Maurel
Cette mutation des transports s’aperçoit nettement dans le panorama. En arrière des installations portuaires, au cœur du
plateau du Marabout, se dressent de nombreux bâtiments et un hangar, d’où jaillit une locomotive noire : c’est la gare
inaugurée en 1900. Ce pôle économique est directement relié à la zone portuaire récemment équipée, par un réseau de
lignes ferrées. Les activités ferroviaires, étroitement associées aux activités portuaires, ont ainsi trouvé un espace apte à
recevoir les modernes infrastructures économiques, ce que n’offrait pas les installations pionnières du plateau de
Djibouti. Ainsi, le plateau du Marabout concentre les activités d’import-export.
Bien que la source iconographique ne soit pas en mesure de le signaler, cette extension répond à de nouvelles attentes :
en 1908, la Compagnie du franco-éthiopien qui a repris l’exploitation du tronçon Djibouti-Diré-Daoua, décide de
prolonger la ligne pour atteindre en 1917, la capitale éthiopienne. La ligne longue de 783 kilomètres draine les
exportations de l’Ethiopie, notamment le café, et redistribue les marchandises européennes qui ne font que transiter par
les infrastructures de la CFS.
Comment se présente l’ancien noyau urbain ?
3.2 Le plateau de Djibouti : permanence des activités
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La ville édifiée sur le plateau de Djibouti d’après le panorama de Maurel
Le dessin de Maurel est moins précis que celui de l’artiste Maurice Potter. On reconnaît toujours la résidence du
gouverneur et la place du gouvernement, rebaptisée place Ménélik en 1912, au lendemain de la disparition de
l’empereur éthiopien, où flotte le drapeau tricolore, référent de la nation souveraine. Le plateau de Djibouti n’a pas subi
de changements majeurs dans ses fonctions, ni dans sa morphologie urbaine. Toutefois, on peut constater deux
nouveautés. D’une part, les tâches de verdure sont plus nombreuses. Grâce à l’irrigation – la source d’Ambouli alimente
la ville en eau douce –, l’acacia dit du Yémen s’est bien acclimaté, donnant vie à des espaces verts. L’impression
première d’aridité s’est atténuée, l’espace s’est humanisé en vingt ans.
D’autre part, les immeubles à deux étages sont plus nombreux et l’architecture « yéménite » s’est imposé. Ce métissage
architectural s’explique par le recrutement de maçons originaires du Yémen, ainsi que par des réussites commerciales
de riches Yéménites. Ces derniers font construire dans la ville commerçante leurs propres résidences à plusieurs étages ;
le rez-de-chaussée qui s’ouvre sur des galeries couvertes, devient des magasins et des entrepôts.
Bâtiment administratif : le secrétariat général (carte postale, 1910)
On déplore l’inexistence de minaret alors que celui de la mosquée Hamoudi construite sur la place du marché, était
visible de la maison des frères de Saint-Gabriel. En revanche, ce référent iconographique est présent dans les timbresposte de la CFS (16). Cet oubli montre que la source iconographique doit, comme les autres sources, être soumise à la
critique historique. Le peintre, membre de l’Eglise catholique, refuse de voir, et par là de reconnaître, l’Islam, religion
dominante du territoire.
L’aquarelle révèle que la presqu’île de Djibouti est peu à peu occupée. On perçoit sur la rive du golfe d’Aden, un
groupe de cases : c’est le village de Boulaos.
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3.3. Un axe directeur : le boulevard de la République
Les premiers édifices bordant le boulevard de la République d’après le panorama de Maurel
La route (c’est le boulevard de la République) qui relie le plateau de Djibouti au plateau du Marabout, sert de trait
d’union entre les trois noyaux de la ville. Cet axe majeur n’a pas encore suscité un engouement immobilier. En 1917,
c’est une zone vierge d’occupation. Toutefois, se dégagent d’un petit écrin de verdure, quelques maisons et bâtiments,
dont certains sont surmontés de croix : ce sont des églises chrétiennes. Pour les distinguer, il faut faire appel aux
sources écrites, missionnaires ou administratives.
Djibouti, ville cosmopolite, a attiré de nouveaux citadins. La présence d’une importante communauté hellénique,
implantée dès la naissance de la capitale, a encouragé la communauté grecque à célébrer, dès 1901, un culte orthodoxe,
accueillant temporairement, à l’occasion des grandes fêtes annuelles, un père venu du patriarcat d’Alexandrie. Puis, en
1908, lorsque l’église Saint Constantin et Hélène fut construite le long du boulevard de la République par la
communauté grecque présidée par Andréas Kalos, – c’est le premier édifice chrétien de Djibouti –, elle est desservie en
permanence par un père grec. Cette Eglise était placée sous l’autorité religieuse du métropolite d’Axoum qui dépendait
du patriarcat d’Alexandrie.
Eglise Saint Constantin et Hélène (cliché C. Dubois, 2003)
C’est également le long de cet axe routier que s’édifie, lentement, la première église catholique : l’église Jeanne d’Arc .
Le chantier ouvert en 1913 reste en souffrance de longues années. La préfecture des Somalis n’a guère de ressources
financières pour hâter l’achèvement des travaux. L’église Jeanne d’Arc (17) n’est achevée qu’en 1922. Le dessinateur
occasionnel, Joseph Maurel, membre de la congrégation de Saint-Gabriel, devance sa réalisation, en la faisant figurer
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quasiment achevée.
D’autres absences sont à souligner. Certes, l’arrière plan de la ville est masqué par le bâti urbain du plateau de Djibouti,
ce qui masque le quartier où se sédentarisent les autochtones, le Bender Gedid, qui s’étend au-delà du palais du
gouverneur et du quartier commerçant. Egalement, n’apparaissent pas les marais salants de Galmahen qui ont gagné les
basses terres entre le Bender Gedid et le lit de l’oued Ambouli. Le géométrique paysage des marais salants n’est pas
figuré, or depuis 1911, la Société des salines de Djibouti a relancé l’exploitation industrielle qui fournit l’unique
richesse exportable en direction des marchés éthiopien et ultramarins.
CONCLUSION
Cette monographie urbaine à partir de sources iconographiques inédites m’amène à faire plusieurs remarques. Exploiter
de sources iconographiques, c’est multiplier les difficultés. Tout d’abord, la constitution d’un corpus reste une
entreprise longue et aléatoire. L’historien de l’Afrique dispose rarement de corpus homogènes. Par ailleurs, les
panoramas, les timbres-postes, les cartes-postales, les photographies et les images de publicité sont produites par des
européens pour des européens. La vision de l’autre en est déformée (18).
Les sources iconographiques à elles seules, restent insuffisantes pour interpréter le phénomène urbain. Les informations
livrées doivent être enrichies par les apports d’autres sources : témoignages, sources d’archives, plans, sources
narratives, etc. Cependant, elles ont le mérite de restituer de manière concrète des paysages urbains d’un autre temps,
et, nous permettent de saisir de visu l’enfance d’une ville coloniale.
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Bienvenue dans Clio en Afrique n°10 été 2003 / notes DUBOIS
Notes
1 C. DUBOIS, “The Red Sea Ports during the Revolution in Transportation 1800-1914”,
in Leila Tarazi Fawaz and C.A. Bayly Editors, European Modernity and Cultural from the
Mediterranean to the Indian Ocean, Columbia University Press, New York, 2002, pp.
58-74.
2 La douane fut prise en fermage par Shermake, puis par Aboubakar pacha, marchand
originaire de Tadjourah, protégé français depuis 1862. Lire Roger Joint Daguenet, Aux
origines de l’implantation française en mer Rouge, Paris, L’Harmattan, 1992.
3 Cet aspect a été analysé dans notre article : “Illusions entretenues, illusions
perdues : Obock 1880-1890”, in Sciences et Environnement , publication de l'ISERST,
Djibouti , 2000, pp. 42-53.
4 Cette question a fait l’objet d’une publication. Se référer à C. DUBOIS, Djibouti
1888-1967, Héritage ou frustration ?, Paris, L'Harmattan, 436 pages, 1997.
5 Constituer un corpus de gravures ou de photographies reste une entreprise malaisée
et laborieuse. Le chercheur doit les rechercher soit dans des fonds spécifiques, pas
toujours bien répertoriés, soit dans de nombreux ouvrages ou publications de l’époque.
Pour notre étude, nous avons consulté les ouvrages relatifs à l’Ethiopie et aux
établissements français du golfe de Tadjourah. Au début du XXe siècle, les cartes
postales , notamment celles du photographe arménien Vorpérian, enrichissent le corpus.
A titre d’exemple, on relève dans le récit de voyage de Jean-Gaston Vanderheym « Une
expédition avec le négous Ménélik. Vingt mois en Abyssinie », paru dans Le Tour du
monde, n° 9, 29 février 1896, p. 97-108 plusieurs gravures, d’après des photographies
de l’auteur : neuf concernent Djibouti et Obock, cinq-neuf l’Ethiopie. Ces vues illustrent
également ce même récit édité par l’imprimeur Hachette, en 1896.
6 Sur ce sujet, se reporter à Marc Michel, La mission Marchand., Paris, Mouton, 1972.
7 Michel Côte, Mission de Bonchamps. Vers Fachoda à la rencontre de la mission
Marchand à travers l’Ethiopie, Paris, Plon, 1900, p.16.
8 Ibidem, p. 28.
9 Ibidem, p. 34.
10 Ibidem, p. 458 à 460.
11 Ibidem, P. 461.
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Bienvenue dans Clio en Afrique n°10 été 2003 / notes DUBOIS
12 Le vicariat apostolique des Gallas dont le titulaire était, à l’aube du XXe siècle,
Monseigneur André Jarosseau, a été confiée aux capucins français de la province de
Toulouse.
13 Le lac Assal est une vaste saline naturelle exploitée par les populations Afars qui y
prélevaient du sel . Cette question a fait l’objet de développement dans notre dernier
ouvrage : C. DUBOIS, L'or blanc de Djibouti. Salines et sauniers du golfe de Tadjourah
(XIXe-XXe siècles), Paris, Karthala, 2003, 287 pages.
14 Jean-Gaston Vanderheym dans l’ouvrage Une expédition avec le négous Ménélik.
Vingt mois en Abyssinie, Paris, Hachette, 1896, livre une photographie du bataillon
sénégalais saisi lors de la présentation des couleurs.
15 C. Dubois, “Djibouti-ville et le Palmier en Zinc”, in Histoire d'Afrique. Les enjeux de
mémoire, sous la direction de Jean-Pierre Chrétien et Jean-Louis Triaud, Paris,
Karthala, 1999, pp. 405-420.
16 C. DUBOIS, Djibouti au regard de ses timbres-poste (1893-1977). Images
d'altérité, images de propagande, Paris, Conférences et documents. ARESAE n°XII,
1998, 50 pages.
17 C. DUBOIS et Pierre SOUMILLE, Djibouti, un îlot chrétien en terre d’Islam (XIXeXXe siècles), Paris, Karthala, 317 pages (sous presse).
18 Cependant, nous avons quelques cas où les images ont été produites par les
Africains. Citons la remarquable série de portraits du photographe malien Seydou Keïta
du studio Bamko-Coura (plusieurs milliers de négatifs qui courent de 1948 à 1962)
permet de saisir le « Tout Bamako » des années cinquante. Le numéro « Anthologie de
la photographie africaine et de l’océan Indien » de la Revue noire, en 1998, tire de
l’oubli la photographie africaine et consacre au portraitiste Seydou Keïta, la « part du
lion ». Ce malien qui a commencé la photographie en 1935, dans son quartier de Bamako,
est décédé à Paris le 22 novembre 2001, à l’âge de quatre-vingts ans. Son travail est
exemplaire d’une tradition africaine et sociale du portrait posé. En 1997, André
Magnien et Youssouf Tata Cissé lui consacrent une monographie Seydou Keïta, édition
Scalo.
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Histoire d'un point d'eau PELLA :
(XVIIIe-XXe SIÈCLE).
Reconfigurations spatiales et identitaires
dans l’ouest de l’Afrique du Sud
François-Xavier FAUVELLE-AYMAR
Historien
Institut d’Etudes Africaines
UMR 6124 M.M.S.H.- Aix-en-Provence
La critique historiographique récente, dans le domaine de l'africanisme, a montré que les catégories
ethniques, sous l’apparence d’une classification objective du divers humain en entités immuables,
étaient souvent le résultat de lentes et complexes constructions faisant fi du caractère multiple de
l’identité, de la fluidité des relations sociales, de la polysémie des termes et des stratégies des
individus ou des groupes (1). Le travail de mise en évidence de l’historicité des ethnies et de
l’ethnicité, commencé, du côté français, par J.-L. Amselle et E. M'Bokolo (2), et prolongée par J.-P.
Chrétien et G. Prunier (3), a accompagné un travail similaire effectué par les chercheurs anglo-saxons
(4). En ce qui concerne l’Afrique australe, le problème était aggravé par l’existence d’un programme
conscient et systématique d’ingénierie sociale mis en place avec l’apartheid . Dans cette région du
monde, et en Afrique du Sud à proprement parler, ce sont surtout les anthropologues sociaux (social
anthropology) qui ont pris en charge la critique des catégories héritées de l'apartheid (5),
certainement par souci d’apurement d’une collusion longtemps nourrie entre l’appareil d’État et la
discipline anthropologique (6),- collusion qui a fait naître « une forme de domination basée sur un
discours scientifique social » (7). Les études les plus récentes sur ce sujet tendent à mettre les
nouvelles manifestations de l’ethnicité en relation avec la nouvelle donne de l’ère post-apartheid.
Au milieu des années 1990, deux anthropologues, J. Sharp et E. Boonzaïer, travaillant parmi des
populations naguère désignées comme Nama, puis qui ont été (et se sont) appelées « hottentotes »
puis « coloured » (évolution sémantique qui révèlent des changements sociaux et culturels plus
profonds), ont mis en évidence un processus en cours d'« ethnogenèse » (ethnogenesis), par lequel les
intéressés tendaient à (ré-)affirmer leur nama-ité (namaness) (8). Selon les deux auteurs, ce
mouvement, qui s’exprimait notamment par un certain nombre de manifestations collectives, était
surtout de l'ordre de la représentation (performance), au sens théâtral du terme, les acteurs ayant
pleinement conscience de jouer une carte qui leur permettait de faire valoir leurs droits réputés «
ancestraux » sur la terre. Sharp et Boonzaier insistaient en outre sur le caractère « ouvert » de l'ethnie
naissante, ainsi que sur le caractère contrôlé, collectif et réflexif de cette ethnogenèse, l'opposant à un
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mouvement zulu jugé intégriste, discriminatoire et piloté par des intérêts personnels. La comparaison
entre « bonnes » et « mauvaises » ethnies, c’est-à-dire entre ethnies maîtrisant leur ethnogenèse et
ethnies sollicitant des penchants irrationnels, semble surtout révéler certaines des appréhensions qui
traversent la société sud-africaine au tournant des années 1990 : par opposition à une ethnicité zulu
perçue comme manipulatrice et dangereuse, en raison de la situation de guerre civile larvée
entretenue à cette époque par le parti Inkhata et par ses dirigeants (9), les mutations identitaires
survenant au sein des groupes dits « indigènes » ou « coloureds » ont pu aisément acquérir les traits
d’une ethnicité bénigne et folklorique. Cette vision des choses reproduit le schéma d’opposition
dichotomique entre « Hottentots » et « Caffres », c’est-à-dire entre populations khoisanophones et
bantouphones, schéma qui correspond à son tour à la division du pays entre l’ouest (la colonie du Cap
du XVIIIe siècle, déjà de vieille implantation) et l’Est (les régions colonisées au XIXe siècle) ; elle
contribue également à éluder la spécificité de l’inscription historique et géographique des processus
qui ont concouru à la formation d’identités multiples et mouvantes, à la grande plasticité, dans l’ouest
de l’Afrique du Sud. Le présent article a précisément pour objectif de livrer une description plus
épaisse des processus identitaires dans cette région, non pas seulement basée sur le désir de déjouer
les arrière-pensées (bénignes ou malignes) des acteurs, mais en les mettant en relation avec le statut
social et légal, la condition sociale, le rapport au territoire des groupes et des individus.
1 - Histoire d'une frontière XVIIIe - XXe siècle
Le cadre géographique de ces recherches est celui d’une vieille région de « frontière » (au sens
pionnier du terme) : celle qui borde au sud le fleuve Orange, le long de son cours inférieur, c’est-àdire là où le fleuve dessine aujourd’hui la frontière avec la Namibie. Cette zone, qui prolonge au nord
le grand plateau du Karoo, est aujourd’hui comprise dans la province du Northern Cape, issue de
l’ancienne colonie (puis province) du Cap découpée en trois entités en 1994. C’est une région aride,
qui confine aux déserts du Namib et du Kalahari ; une région très peu peuplée, avec des densités
généralement inférieures à 1 habitant au km2, partout inférieures à 5 habitants au km2, et uniquement
propre à l’élevage extensif ou à un pastoralisme semi-nomade (10); c’est une région presque
exclusivement locutrice de l’afrikaans et de religion chrétienne, quels que soient l’origine, l’étiquette
raciale ou ethnique, ou l’identité des habitants. La zone présente enfin un paysage remarquablement
homogène, à la végétation rase, d’apparence peu affecté par la présence humaine, quoique barré de
clôtures de barbelé qui ceignent le territoire des grandes fermes possédées par les Blancs. Au milieu
de ces dernières, en position d’enclaves, on compte six anciennes « réserves » coloureds (l’équivalent
dans cette partie du pays des « bantoustans » ou « homelands » réservés au Noirs), reconverties en
terres communales depuis la fin de l’apartheid. Là, dans un espace équivalant à la superficie de
plusieurs fermes familiales, vivent plusieurs milliers de personnes constituant des réservoirs de main
d’œuvre pour les activités minières de la région. Ces « réserves » sont celles du Richtersveld, de
Steinkopf, Concordia, Komaggas, Leliefontein et, plus à l’est, dans la partie la plus aride de la région,
Pella (11).
Mais en dépit de son unité géographique et culturelle, cette région est marquée par de profondes
césures spatiales et identitaires qui trouvent leur origine dans un contexte historique spécifique. Les
réflexions qui suivent ont pour but d’isoler, au cours des deux derniers siècles, un certain nombre de
« temps forts » qui sont autant de moments où se structure le paysage identitaire de la région, dans un
processus qui est à la fois de sédimentation successive des groupes entrants, de métissages et de
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polarisation géographique et identitaire. Dans un tel processus, les lieux, qu’ils soient lieux
remémorés (points de départ d’une migration, itinéraires empruntés…), lieux investis de réalités
économiques ou religieuses, lieux projetés, ont une importance cruciale. Ils dessinent des géographies
conflictuelles où il est possible de définir, de revendiquer ou d’assigner des territoires, de désigner
des autochtones et des étrangers, de hiérarchiser les identités.
Avant la colonisation, cette région était parcourue par des populations de langue khoisan,
communautés d’éleveurs installant de façon saisonnière leurs campements dans les pâturages le long
du fleuve ou à proximité de points d’eau. Ces communautés semi-nomades, ou du moins certaines
d’entre elles, étaient connues de leurs voisins, au sud, sous le nom de Namaqua ou Nama. C’est en
tout cas ce nom qui est transmis aux autorités de la colonie du Cap et que l’on retrouve dans les
archives coloniales et, de là, dans la cartographie des voyageurs de passage (12), avant même la
première expédition officielle des autorités européennes dans cette région (13). D’après les données
postérieures de l’ethnographie, on pense que ces populations se désignaient collectivement sous le
nom de ≠Kham-Naman, ou Petits-Namaqua, subdivision du grand ensemble nama qui couvre
également la moitié sud de la Namibie. Les ≠Kham-Naman comptaient un certain nombre de
communautés socio-économiques regroupées autour d’un lignage principal, liées entre elles par des
relations de vassalité ou d’alliance (14). Avec la colonisation, le nom nama de ces lignages acquit un
doublon néerlandais, les campements furent désignés comme kraals et les chefs comme kapteins.
Outre ces éleveurs, regroupés avec les Khoikhoi du Cap et les Korana sous le terme de « Hottentots »
dans le jargon colonial, la région comptait également un certain nombre de groupes d’individus
vivant exclusivement de chasse, de cueillette ou de raids contre les communautés d’éleveurs, et
désignés comme « Bosjesmans » (hommes des bois), ou « Bushmen » dans la terminologie anglosaxonne (15). Ces groupes, sans doute pour la plupart linguistiquement distincts des communautés
voisines d’éleveurs, et dont on retrouve des traces archéologiques nombreuses dans la région (16),
étaient désignés par les Namaqua sous le nom de « San » (voleurs ou bandits), terme dont la valeur
oscillait entre une désignation ethnique (qui a été conservée dans la littérature anthropologique
actuelle) et une désignation sociale s’appliquant aussi bien à des éleveurs prolétarisés ou exclus des
lignages qu’à des Blancs ou des Noirs considérés comme prédateurs (17). Si, dans l’ouest de notre
région, ces Bushmen se trouvaient en conflit avec les Petits-Namaqua pour l’exploitation des
meilleurs pâturages ou terrains de chasse, Nigel Penn a pu déterminer que la zone située à l’est, plus
aride, devait être presque exclusivement habitée par des Bushmen, ceux-ci délimitant un espacetampon entre les Petits-Namaqua et une autre population d’éleveurs khoisan située sur le cours
moyen du fleuve, les Einiqua (18). Cette polarisation ethnique et socio-économique, certainement
perçue par les premiers aventuriers et colons, s’est sédimentée dans l’onomastique des espaces, les
deux districts de la région étant justement ceux du Namaqualand et du Bushmanland. Pella se trouve
précisément à la limite de ces deux « terroirs ».
Cette structure de l’espace, que nous considérons ici comme première (faute de pouvoir remonter
plus loin dans le temps), reposait sur l’opposition entre des conceptions concurrentielles du territoire
et de l’exploitation de ses ressources, les mêmes points d’eau et les mêmes pâturages saisonniers
étant l’objet de conflits entre pasteurs et chasseurs. Elle conditionna aussi grandement l’identité et la
perception des groupes vivant dans ces zones respectives : il est ainsi très probable que nombre
d’individus marginalisés contraints de vivre dans l’espace aride et reculé du Bushmanland aient été
absorbés par des groupes de Bushmen, ou du moins que leur « bushmanisation » sociale les ait fait
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passer pour tels.
Les premières pénétrations étrangères dans ces régions d’abord situées à l’extérieur de la frontière
nominale de la colonie furent sans doute autant le fait de fermiers blancs que de fermiers métis issues
de concubines khoisan (appelés Bastaards, puis Basters dans la terminologie coloniale (19)) ; ces
derniers, chrétiens, néerlandophones et portant des noms afrikaners, ne pouvaient cependant
prétendre à la succession des fermes de leurs géniteurs blancs, et se trouvaient ainsi contraints de
s’installer toujours plus au nord (20). Certaines familles de fermiers bastaards, installées parfois
depuis le milieu du XVIIIe siècle, purent ainsi bénéficier de droits de propriété jusqu’à la fin du XIXe
siècle. Un autre mode de pénétration de ces régions fut les « commandos ». Il s’agissait au départ
(début XVIIIe siècle) d’une institution coloniale destinée à mener des raids punitifs ou préventifs
contre les exactions des Khoisan (21). Ces milices, composées d’officiers de la colonie, de colons et
de dépendants métis ou khoisan, firent des milliers de victimes tout au long du XVIIIe siècle et
permirent de libérer des terres pour l’expansion des fermiers tout en fournissant à ces derniers une
main-d’œuvre quasiment servile issue des captures et de la décomposition des sociétés khoisan . Le
même processus prévalut au cours des décennies suivantes et permit aux autorités coloniales de
constater l’expansion de facto de la colonie, transformée par étapes successives (22) en extension de
jure. Ainsi, vers 1850, les régions confinant à l’Orange avaient été partout intégrées officiellement à
la colonie du Cap. Ce système du commando devint un mode de vie ou de survie, et même un mode
d’organisation sociale, pour un certain nombre de groupes vivant dans ces zones frontalières ouvertes
et violentes. Ces groupes composites vivant de chasse, de commerce et de rapines, que l’on voit
apparaître à la fin du XVIIIe siècle, étaient conduits par des chefs charismatiques et peu scrupuleux,
Blancs en rupture de ban, déserteurs, Bastaards, chefs khoisan ou esclaves émancipés, dont le pouvoir
dépendait de leur faculté à assurer à leurs groupes respectifs, par divers canaux, la fourniture de
chevaux, d’armes et de munitions nécessaires à leur protection (23). Une autre composante de cette
société frontalière était les Oorlams, terme à l’étymologie controversée mais qui désigne des
Namaqua vivant, comme clients ou dépendants, au contact des fermiers blancs, et donc frottés de
culture afrikaner (24). À l’aube du XIXe siècle, on voit ces Oorlams se constituer en catégorie sociale
puis en groupes autonomes, sans doute partiellement recomposés (mais namaphones autant que
néerlandophones) et ayant absorbé un certain nombre d’individus extérieurs. C’est là le deuxième «
temps fort » de l’histoire de cette région, marqué par un chaos social, une dilution identitaire et une
relative fusion culturelle, processus qui prennent place loin des centres de pouvoirs qui édictent les
normes morales et sociales.
Dans les premières décennies du XIXe siècle, la région du Namaqualand commença à perdre
progressivement son caractère de zone de frontière, devant la colonisation rampante des terres par les
fermiers et l’imposition consécutive de l’ordre colonial. Il s’ensuivit deux types de réponses de la part
des bandes itinérantes, - réponses que l’on peut interpréter comme visant à préserver le statut que
certaines communautés avaient acquis en se plaçant délibérément en dehors de l’ordre colonial.
Dans un premier cas, des communautés bastaards, organisées soit en commando soit en colonnes de
trekkers fuyant le statut et la condition précaires que leur offrait la vie dans la colonie, avaient pénétré
ces zones ouvertes. Avec la pacification progressive de la zone, certaines s’installèrent alors en
communautés villageoises centrées autour d’un établissement missionnaire. À l’écart des zones
directement ou exclusivement contrôlées par les Blancs, le terme de « Bastaard » prit une connotation
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positive et acquit même un statut d’ethnonyme. Mais, on l’a dit, les territoires de ces communautés se
retrouvèrent, au milieu du siècle, englobés à l’intérieur des frontières de la colonie. Sous l’impulsion
de leurs kapteins et de leurs pasteurs, certaines de ces communautés, comptant quelques centaines
d’individus, s’érigèrent alors en Républiques dotées de constitutions et qui se voulaient parties
intégrantes de l’empire britannique ; c’est le cas pour Kommagas (1857), Steinkopf (1870) et
Concordia (1888 (25)) (26) . Ce processus en deux temps (sortie de la colonie, formation d’une entité
politique autonome dans la colonie élargie) apparaît comme une double stratégie visant à préserver
un statut qui, loin des centres de pouvoirs, s’était transformé et avait acquis une valeur positive. Dans
ce nouvel environnement, ces communautés purent d’ailleurs s’instituer elles-mêmes en nouveaux
centres de pouvoirs énonciateurs d’une norme, clientéliser divers éléments khoisan ou métis et ainsi
créer une polarisation interne qui les structure encore aujourd’hui.
Dans un second cas, la réponse à l’imposition de l’ordre colonial dans cette ancienne zone de
frontière fut un nouveau trek. Ce fut la stratégie adoptée par certains groupes ou commandos qui
assurèrent leur survie économique en remontant ou en franchissant l’Orange, s’éloignant ainsi des
zones de pouvoir mais se plaçant de nouveau en position « frontalière » (27). Les sources permettent
ainsi d’observer, dans les années 1800-1830, l’émergence d’un État bastaard, celui des Griqua, en
Transorangie centrale, dans la boucle du fleuve (28). À l’instigation des missionnaires appelés par les
Bastaards, cet État se dota lui aussi d’une constitution (1813) ; il se maintint jusqu’en 1861, date où
prit place un nouveau trek vers l’Est. De la même façon, divers groupes nama (tel celui des //Aixa //
Ain dans les années 1820, dirigé par une lignée de chefs du nom d’Afrikaner), aussi bien que des
groupes oorlams, opérèrent quelque temps le long des rives sud de l’Orange avant de passer dans
l’actuelle Namibie, où leur culture coloniale leur assura une hégémonie durant la majeure partie du
XIXe siècle (29). Certaines communautés namibiennes se réclament d’ailleurs aujourd’hui encore
d’une identité spécifiquement oorlam, distincte de l’identité nama (30). Certaines communautés
villageoises, enfin, se virent également contraintes de plier bagage et d’entamer un trek vers le nord.
C’est le cas des Bastaards de De Tuin dans le Bushmanland, qui quittèrent les lieux en 1868 (31),
s’installèrent brièvement à Pella puis sortirent de la colonie en franchissant l’Orange, séjournèrent
pendant quelque temps dans la mission nama de Warmbad, où ils se dotèrent à leur tour d’une
constitution républicaine (32), avant de reprendre leur trek jusqu’à Rehoboth (1870), en Namibie
centrale. Incorporé dans la colonie allemande (1893 (33)), puis britannique (1915) et enfin sudafricaine du Sud-Ouest Africain, le vaste territoire des Rehobothers bénéficia longtemps d’une
certaine autonomie politique. Une autre communauté baster est aussi à mentionner, qui franchit
l’Orange en 1864, s’installa en 1865 à Rietfontein dans le désert du Kalahari et se transforma en
République à la fin des années 1880 (34). Nous avons là une situation de résistance plus ou moins
longue et plus ou moins efficace à la ré-instauration de l’ordre colonial. Ce troisième « temps fort »
est celui d’une transformation de statuts sociaux en sentiments d’appartenance communautaire (qui
voient par exemple des ensembles d’individus « bâtards » se transformer en communautés de «
Bastaards ») ; transformation dans laquelle on peut observer les prémisses d’un processus
d’ethnicisation des identités frontalières.
Intégrées aux terres de la Couronne (Crown land) au milieu du XIXe siècle, les missions en charge
des communautés installées sur place se virent concédées des « certificats d’occupation » (tickets of
occupation) équivalant aux titres de propriété accordés aux particuliers. Ces certificats avaient
initialement pour but de donner à ces communautés une existence juridique et à leurs possessions
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territoriales une assise légale, face aux éventuelles prétentions des fermiers voisins. Mais par suite de
l’existence de ce statut, les titres individuels de propriété furent de plus en plus souvent refusés aux
non-Blancs, sous le prétexte que ceux-ci pouvaient s’installer dans les communautés villageoises.
Cette mesure eut aussi une autre conséquence. Car en dépit de la persistance dans la région, jusqu’au
début du XXe siècle, d’une certaine fluidité spatiale et sociale, l’existence de deux statuts distincts
eut pour effet « d’introduire une forme institutionnalisée de classification raciale » (35), en séparant
spatialement et socialement les Blancs d’une part, et d’autre part les « indigènes » et les « Bastaards
d’ascendance indigène ». Les lois de la période de la ségrégation et de l’apartheid renforcèrent encore
cette tendance, en interdisant aux Blancs de s’installer dans les missions, rebaptisées « réserves
communales » (36), en réservant l’usage des terres encore vacantes de la Couronne, pour le pâturage
occasionnel, aux seuls Blancs (37), et enfin en interdisant définitivement aux non-Blancs de prétendre
à l’achat de fermes (38).
Ce train de mesures ségrégationnistes eut pour effet - quatrième temps - de parachever la fixation des
catégories raciales autour de deux termes, celui de « Blancs » et « Coloureds », cette dernière
catégorie (39) étant la seule disponible au niveau du pouvoir central pour englober les multiples
communautés nées dans le contexte de la société de frontière décrit plus haut. Mais il faut
comprendre ce que l’application de cette politique raciale eut de spécifique dans cette région. Car si
l’idéologie de la ségrégation et de l’apartheid avait pour ambition de préserver la pureté de la race
blanche en prévenant toute pollution ultérieure des groupes ethniques entre eux, sa mise en pratique
dans la vieille région de frontière du nord-ouest de l’Afrique du Sud eut pour résultat d’opérer un «
dé-métissage » au moins apparent, en contraignant la géographie humaine de la région à se conformer
aux catégories raciales en vigueur dans le reste du pays. Ainsi, tous ceux qui avaient réussi à acquérir
et à préserver le statut économique de fermier, furent, par définition, des Blancs, tandis que tous les
individus vivant dans des réserves dites coloureds furent, par définition, des Coloureds. Ce fut le cas
pour nombre de « petits Blancs », qui avaient pu trouver dans les établissements missionnaires une
planche de salut. Le cas de ces « Poor Whites » menacés, en dépit des lois ségrégationnistes,
d’absorption par l’élément indigène, devint au tournant des années 1930 un important point de
focalisation du gouvernement, et les commissions appointées pour les tirer de cette situation firent
largement appel, semble-t-il, à des critères d’ordre davantage sociologique que racial. Une illustration
en est donnée par un témoignage recueilli dans les années 1930 par un ethnologue auprès de l’un des
membres de la Carnegie Poor White Commission, qui lui avoua qu’il était « difficile de distinguer
entre certains des Bastaards appauvris et des Blancs pauvres. La difficulté fut résolue par le fait que
les Bastaards s’adressaient toujours à eux en les appelant “Baas” [maître] » (40).
Par ailleurs, la fermeture progressive de l’espace des réserves et le confinement de leurs habitants eut
pour effet de valoriser, à l’intérieur de ces espaces, le statut de Bastaard, au prix de bricolages
généalogiques et d’alliances matrimoniales préférentielles. Dès 1913, l’anthropologue Winifred
Hoernlé, qui parcourt le Namaqualand, affiche ainsi son dépit de ne rencontrer pratiquement que des
gens se disant Bastaards, alors qu’elle cherchait de « vrais » Hottentots (41). Mais cette
homogénéisation terminologique n’abolit cependant pas, comme on le verra plus loin, les différences
identitaires.
L’histoire de ces communautés au XXe siècle est celle d’enclaves ceinturées par des fermes «
blanches » et des concessions minières, et dont l’espace est progressivement grignoté par l’attribution
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de parcelles à des Blancs. Entre les années 1960 et les années 1980, le gouvernement tenta à plusieurs
reprises de transformer ces réserves, dans lesquelles la jouissance du sol était collective, en fermes
qui auraient été allouées aux membres les plus riches des communautés. Mis à part dans quelques
cas, cette politique échoua, en raison de la forte mobilisation qu’elle suscita (42). Les six réserves du
Namaqualand, devenues des communes avec la fin du régime d’apartheid, comptaient environ 27 000
habitants en 1996. Mais la libéralisation du régime, en provoquant l’abandon, au moins au niveau
légal, du système de gradation raciale en place depuis la période coloniale, a quelque peu modifié les
enjeux identitaires. Depuis le début des années 1990, en effet, certains groupes, ou certains segments
de groupes, mettent en valeur, dans leur généalogie, moins leurs origines blanches que leurs origines
africaines. L’identité baster ou plus généralement coloured, hier valorisée mais devenue inutile
politiquement et socialement, cède le pas à une identité indigène, devenue opératoire dans la
perspective de jouer, au niveau touristique par exemple, la carte de l’authenticité, ou d’afficher des
revendications territoriales (43). Cette observation peut être généralisée à l’ensemble des groupes sudafricains pouvant prétendre plus ou moins légitimement à une ascendance khoisan, qu’il s’agisse de
Griqua, de Khoikhoi (Nama par exemple) ou de Bushmen (44). Ce cinquième et dernier temps se
caractérise ainsi par la réapparition - ou faut-il dire l’invention ? - d’une identité indigène fondée
tacitement sur la notion d’autochtonie.
2. La topographie chrétienne de la frontière
On n’a jusqu’ici fait qu’entrapercevoir le rôle des missions et des missionnaires dans l’histoire de
cette région ; rôle qu’on serait tenté de rapprocher de celui des missionnaires dans le processus
d’assujettissement colonial des populations noires du reste de l’Afrique du Sud. On n’entrera pas ici
dans une discussion sur la distribution des statuts de colonisateur et de colonisé dans le contexte
d’une frontière en perpétuel mouvement, de recompositions permanentes des groupes et des identités.
Mais au-delà des relations déséquilibrées qu’entretiennent ces différentes entités sociales entre elles,
on soulignera les points de convergences qui se font jour entre d’une part les multiples communautés
coloureds et/ou « indigènes » développant des sentiments ethniques plus ou moins prononcés au sein
de territoires localisés, et d’autre part un groupe pionnier spécifique qui affiche un fier nationalisme
pan-sud-africain. La technique des commandos, la pratique du trek, la présence de véritables
dynasties de chefs charismatiques à la tête des groupes, la forme républicaine d’organisation des
communautés, trouvent sans nul doute leur origine dans un contexte de vie de frontière fortement
structurée par la violence, le patriarcat, la farouche volonté de résistance face à un ordre colonial
perçu comme émanation de la monarchie britannique. Du reste, la volonté d’échapper à la mainmise
coloniale en sortant juridiquement et/ou géographiquement de la colonie trouve son parallèle dans le
Grand Trek afrikaner des années 1830, justement motivé par le rejet de la domination anglaise, et qui
devait aboutir à la formation de plusieurs Républiques boers, dont les plus célèbres furent celles de
Natalia, de l’État Libre d’Orange et du Transvaal. Ainsi, le cas afrikaner, même s’il excède le cadre
géographique de la frontière nord de la Colonie, gagne a être appréhendé dans le même contexte
historique. Les Bastaards, après tout, ne se percevaient d’ailleurs pas autrement que comme des «
Hollandais bruns » ou des bruinvoortrekkers (« voortrekkers bruns », par opposition aux Afrikaners,
les voortrekkers blancs).
Un autre point de convergence réside dans l’émergence, dans le contexte décrit plus haut, d’identités
fortes, confinant parfois à des sentiments quasi nationaux (comme dans le cas des Afrikaners ou des
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Rehobothers), – sentiments reposant sur des idéologies politiques qui, pour être républicaines, n’en
sont pas moins à bases raciales. Dans pratiquement tous les cas mentionnés plus haut, l’identité des
communautés naît d’une situation quasi obsidionale, dans un environnement social chaotique. Très
tôt, elle s’exprime par toute une série de comportements individuels ou collectifs visant à la
sauvegarde ou, si possible, à l’accroissement d’un statut chèrement acquis : défiance vis-à-vis de
l’absorption de groupes ou d’individus de sang moins pur, stratégies d’alliance avec des personnes à
peau plus claire (45), etc. Autant de comportements qui révèlent la prégnance d’une gradation raciale
qui, acquise alors que les groupes vivaient encore à l’intérieur de la colonie, s’est durablement
encryptée dans les comportements des « sortants ». Dans tous les groupes mentionnés, un système de
polarisation sociale oppose d’après des critères de pedigree, selon les cas de figure, les citoyens
(burghers) et les non-citoyens (bywoners, co-résidents, ou bediendes, serviteurs), les Inkommers («
entrants ») et les Boorlinge (« autochtones ») (46) , les Oorlams et les Nama, les Basters et les autres,
voire (à l’intérieur même d’une communauté donnée) telles familles et telles autres (47). À cet égard,
l’action des missionnaires en Transorangie centrale, au début du XIXe siècle, visant à abolir la
distinction entre Basters, Oorlam ou Korana afin de forger une nouvelle identité Griqua (48), apparaît
comme une tentative isolée autant que révélatrice du contexte général. La formidable sensibilité qui
subsiste aujourd’hui dans les communautés du Petit et du Grand Namaqualand sur les questions de
l’ancienneté du métissage, de l’antériorité du lignage, de l’origine du nom de famille, de la couleur de
peau ou de la texture du cheveu (49), a engendré tout une « casuistique de la bâtardise » qui est
comme l'ombre portée de la supposée pureté afrikaner. Casuistique qui permet de raffiner à l’infini la
hiérarchie raciale entre les groupes comme à l’intérieur des groupes, et qui, au final, explique sans
doute l’absence d’un nationalisme oorlam ou baster, et d’ailleurs même d’une véritable identité
oorlam ou baster, au profit de multiples identités locales, attachées à des lieux précis. On n’est pas
Oorlam tout court, mais Oorlam de Vaalgras ou d’ailleurs ; on n’est pas Baster, mais Rehobother (de
Rehoboth), Griqua (du Griqualand) ou Pellanaar (de Pella). Il y a là le symptôme d’une genèse
identitaire qui trouve son origine dans une fixation territoriale certes partiellement subie, mais que les
intéressés réinterprètent en termes d’autochtonie.
Ce puissant ancrage dans le sol n’est que l’une des modalités d’un rapport au paysage qui s’est formé
dans le même contexte de la société de frontière et du trek. Ce rapport au paysage est, en Afrique du
Sud, fortement structuré par la religion. Là encore, il est possible de faire un rapprochement avec
l’idéologie afrikaner et ses bases théologiques, qui ont fait l’objet de nombreuses études (50), même
si le caractère extrémiste de cette idéologie a trop souvent semblé autoriser des analyses par trop
radicales et parfois hâtives. André Du Toit a fait justice, dans un excellent article (51), du mythe de
l’origine calviniste du nationalisme afrikaner. Mythe commode mais qui ne résiste par à l’analyse, Du
Toit ayant montré que rien de ce qui caractérisait l’idéologie afrikaner ne se rapportait
spécifiquement au calvinisme. Mieux, le « paradigme calviniste » n’est autre que le fruit d’une
relecture de l’histoire à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, en particulier chez des auteurs tels
que David Livingstone, qui visait à fournir une légitimation théologique à l’expansion des Européens
et du christianisme. C’est à partir de cette interprétation tardive, et de surcroît extérieure au milieu
afrikaner, que l’idée d’un « mandat divin » se diffuse dans la littérature de la fin du XIXe siècle, et se
trouve réappropriée par les Afrikaners à l’aube du XXe siècle. Ainsi le « paradigme calviniste » est-il
moins une clé de lecture de l’histoire qu’un fait idéologique dont on peut faire l’histoire et dont on
peut suivre les ré-élaborations dans les discours contemporains, jusque dans la fresque du monument
érigé à la mémoire des Voortrekkers à Pretoria (52), qui retrace l’épopée du Grand Trek, ou encore
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dans la topographie du petit réduit afrikaner d’Orania, qui aspire a recréer une République boer
autonome au cœur de la nouvelle Afrique du Sud (53).
Cette lecture critique du « paradigme calviniste » éclaire le rôle des missionnaires, dans la seconde
moitié du XIXe siècle, comme producteurs et médiateurs d’un discours de légitimation. Mais, comme
plus généralement, me semble-t-il, tout le débat sur les fondations théologiques de l’idéologie
afrikaner, elle laisse de côté le rôle de précurseurs que purent avoir dans ce domaine les autres
communautés frontalières, qui disposaient depuis plusieurs décennies de « leurs » missionnaires, tout
autant spécialistes du texte biblique. Installés parmi des populations chrétiennes non blanches qui
pouvaient avoir à cœur de se démarquer idéologiquement, davantage que ne le faisaient les Blancs,
des indigènes païens, ces leaders religieux ont pu être enclins à chercher dans les Écritures, en même
temps que des modèles de comportements, des références topographiques donnant un sens aux
errances répétées et aux treks maintes fois recommencés. Une étude des toponymes créés par les
missionnaires dans les zones frontalières indiquerait certainement quels épisodes bibliques ont été les
plus utilisés, et de quelle façon ils contribuèrent à rendre lisible l’espace chaotique de la frontière.
Parmi ces lieux qui, à travers toute l’Afrique du Sud, inscrivent la présence des chrétiens dans le
paysage, on compte, parmi beaucoup d’autres exemples, Béréa (Actes 17, 10-11), Berseba (Genèse
21, 31), Béthanie (Marc 11, 1), Bethlehem, Béthulie (Judith 4, 6-7) ou encore Rehoboth (54) (Genèse
26, 22) (55).
Un autre exemple, celui de Pella, est tout à fait significatif de la valeur mémorielle des toponymes à
valeur religieuse. En 1805, des missionnaires de la London Missionary Society (56) s’installèrent à
Warmbad, dans le sud de l’actuelle Namibie (57). La mission fut détruite en 1811 sous les coups du
kaptein oorlam (//Aixa //Ain) Jager Afrikaner, et certains habitants se réfugièrent, avec leur pasteur
(58), autour d’un point d’eau situé au sud du fleuve Orange, qui fut baptisé Pella. Ce toponyme n’est
pas exactement de source biblique, comme l’affirment plusieurs études, mais provient d’une ancienne
tradition chrétienne dont on retrouve la trace dans l’Histoire ecclésiastique (3, 5, 3) d’Eusèbe de
Césarée. Le passage relate comment les chrétiens de Jérusalem, avertis par une révélation (sans doute
celle de Matthieu 24, 1-25 ; Marc 13, 1-23) annonçant la destruction de Jérusalem, fuirent la ville et
se réunirent à Pella (59), à l’Est du Jourdain, d’où ils assistèrent à la prise de Jérusalem en 70 par les
troupes de Titus. La répétition, par quelques familles de Nama accompagnées de leur pasteur, de la
translation des chrétiens primitifs se mettant à l’abri en franchissant un fleuve, est bien faite pour
inscrire l’œuvre des missionnaire dans un espace et un temps de fondation.
Cet espace et ce temps de fondation sont les mêmes pour tous les groupes qui vécurent dans
l’environnement pionnier situé à l’extérieur ou aux marges de la colonie, et qui avaient en partage le
sentiment d’évoluer dans un monde sans centre, sans tracés, sans limites. Le processus de formation
et de recomposition des identités recouvre ainsi un processus davantage souterrain d’invention du
territoire, de projection, sous les pas de chaque communauté, de référents lointains qui convertissent
un espace chaotique en espace ordonné et familier. Une familiarité qui naît de l’inscription dans la
mémoire de chaque groupe d’itinéraires, de points d’ancrage et de frontières précises, et qui définit
une territorialité propre. C’est dans cette territorialité, forcément conflictuelle, en tout cas bousculée
et renégociée lorsqu’elle se superpose à celles d’autres groupes, que chaque communauté donne un
sens à son errance et à son existence, produisant par là même le sentiment d’une destinée commune.
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Les communautés de Blancs néerlandophones quittant la colonie britannique au début du XIXe siècle
n’échappèrent pas à ce processus et ne présentent en cela aucun caractère de primauté ou
d’exceptionalité. Si cas particulier il y a, c’est celui de communautés pionnières qui, dans un contexte
politique spécifique (à l’aube du XXe siècle), sont parvenues à fédérer leurs territorialités multiples et
à faire naître pour elles-mêmes un sentiment de commune appartenance à une identité « afrikaner » et
à imposer les cadres d’une société nouvelle dans laquelle il était justement possible d’affirmer sa
primauté et son caractère d’exception. Les « minorités » actuelles d’Afrique du Sud ne sont donc pas
des « objets éternels » ni les fruits d’une de ces fatalités historiques qui se plaisent à semer la discorde
au sein des sociétés les plus homogènes. Elles sont au contraire le produit d’une ingénierie historique.
Elles naissent, en négatif, du démarquage opéré par certaines autres « minorités » frontalières (selon
qu’elles se nommaient « Afrikaners blancs », « boers », etc.) qui, en se fédérant et en excluant d’un
même mouvement des communautés ayant connu la même expérience et partageant la même culture,
on su et pu imposer un discours dominant sur une histoire dont la « nation » afrikaner sort « majeure
» et « majoritaire ».
Certes, ce discours est aujourd’hui officiellement périmé, les Afrikaners étant à leur tour rentrés dans
le rang des « minorités », face à la nouvelle « majorité » noire ; mais il continue d’informer la
distinction entre « minorité » blanche et « minorité » coloureds, lesquelles occupent des places
contiguës sur l’arc-en ciel idéal de la nouvelle Afrique du Sud. Contiguës et distinctes : on ne passe
pas insensiblement de l’une à l’autre ; on saute une frontière, qui pour être moins physique que
symbolique n’en est pas moins construite.
3. Le temps des nomades
Le site de Pella, qui a déjà été mentionné à plusieurs reprises, fut été l’un des foyers missionnaires de
la frontière et l’un de ces lieux de regroupement de diverses communautés que nous avons évoqués
dans les pages qui précèdent. Ce qui fait son intérêt tout particulier pour notre propos est d’une part
sa situation entre le Namaqualand et le Bushmanland, d’autre part sa localisation à quelques
kilomètres du fleuve Orange, à proximité d’un gué naturel. Cette configuration géographique n’a pas
manqué d’en faire, par le passé, un point de convergence pour de multiples groupes attirés, dans ce
paysage particulièrement aride, par la présence d’eau et de pâturages occasionnels, et un point de
passage entre la colonie ou sa périphérie (l’actuelle Afrique du Sud) et les espaces ouverts du Grand
Namaqualand (actuelle Namibie). Mais si cet avantage prévalait au temps du nomadisme et des treks
à travers le veld, la commune (naguère « réserve » coloured) se retrouve aujourd’hui totalement
enclavée au milieu des fermes blanches et reste à l’écart des voies de communication. Y vivent
environ 4 500 habitants appartenant à plusieurs groupes identitaires (tous classés comme « coloureds
» au temps de l’apartheid) formant autant de zones d’habitat informel répartis autour de la palmeraie
et de la concession de l’Église catholique.
La plus ancienne mention du site dans les sources écrites est à mettre au crédit de Robert Jacob
Gordon, militaire néerlandais affecté dans la colonie du Cap en 1777, et qui réalisa jusqu’en 1795
(date de son suicide, qui correspond à la première occupation de la colonie par les Britanniques), de
nombreuses expéditions dans l’intérieur du pays. En tournée de repérage, au cours de l’année 1779, le
long de l’Orange, dont il remonte le cours depuis son embouchure, Gordon quitte la zone habitée par
les Petits-Namaqua, pénètre une zone peuplée de Bushmen avant de rencontrer d’autres éleveurs, les
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Einiqua (60). Le point d’eau de Sandfontein (la future Pella) indiqué par Gordon comme se trouvant
au cœur de cette zone, n’aurait donc été fréquenté, à cette époque, que par des groupes de chasseurscueilleurs. Mais Gordon indique aussi que ces Bushmen, belliqueux envers les Petits-Namaqua situés
à l’ouest de leur territoire, avaient parfois aussi maille à partir avec les !Gami-≠nûn (ou
Bondelswarts), lignage de Grands-Namaqua vivant de l’autre côté du fleuve. Est-ce à dire que les
chasseurs et les éleveurs étaient en concurrence pour l’exploitation des ressources procurées par le
fleuve et les points d’eau avoisinants (propices au pâturage comme à la chasse) ? Par ailleurs, le nom
de Sandfontein (« source sableuse ») indiqué par Gordon, s’il n’est pas une traduction effectuée par
lui ou son assistant d’un toponyme khoisan, indique peut-être que d’autres groupes, néerlandophones,
fréquentaient les lieux : fermiers isolés, commandos, déserteurs, Khoikhoi du Cap, Bastaards ou
Oorlam. Reste que l’on comprendrait mal l’animosité entre les Bushmen et les Namaqua si la zone
n’avait été fréquentée par ces derniers que de façon épisodique. Il est en effet plus probable que
l’endroit ait été occupé par des éleveurs nama venus de l’ouest, sinon de façon continue, du moins de
façon saisonnière. Cette hypothèse semble en tout cas confirmée par une tradition orale recueillie par
Gerald Klinghardt auprès d’habitants de Pella. Selon cette tradition, le point d’eau de Kamas (non
vernaculaire du lieu) aurait d’abord été habité par le clan //Khauan des Nama, placé sous l’autorité
d’un chef du nom de ≠Huiseb. Par la suite, un groupe de Oorlam, sous la conduite d’un chef nommé
Gamab /Hobesen (Witbooi) (61), obtint du chef nama l’autorisation de s’installer sur les lieux.
Réputé riche et puissant, le chef oorlam parvint à réunir autour de lui un groupe d’alliés et de
dépendants aussi important numériquement que la communauté nama. À la mort de ≠Huiseb, Gamab /
Hobesen épousa sa veuve, et les deux conseils « tribaux » s’accordèrent pour réunir les deux
communautés en une seule, sous l’autorité de l’enfant à naître. Celui-ci, Kido Witbooi, serait né à
Kamas vers 1780. Héritier, par sa mère, de la chefferie du clan nama le plus puissant du
Namaqualand et du Bushmanland, il reçut l’autorité, à sa majorité, sur de vastes territoires (62). Une
telle tradition nous renseigne sur les transformations sociales produites par l’irruption de groupes
oorlam dans les territoires nama. La puissance économique conférée aux Oorlam par leur rôle dans
l’économie de la frontière permit en effet, en premier lieu, l’absorption de clients issus de groupes
spatialement ou socialement périphériques, qui conduisit ici à l’accroissement rapide du groupe
oorlam. Que des éléments bushmen, auparavant incontrôlés, aient également pu être clientélisés voire
assimilés, ou que l’irruption massive des armes à feu ait tout simplement causé leur perte, le résultat
fut sans doute, au moins durant un certain laps de temps, la relative pacification de la région. Enfin,
on aura remarqué le rôle des stratégies matrimoniales, qui permettent ici à un chef de réunir sous son
autorité deux communautés, quoique peut-être pas selon le mode de la parité qu’exprime la tradition
(63). Même si, dans la réalité, de multiples modes d’assimilation prirent place, il est probable que
l’association devait ménager aux Nama les moins intégrés un statut inférieur.
Ces mutations n’eurent cependant pas pour effet de sédentariser ces communautés, même si la
pacification de la zone eut certainement pour résultat de renforcer l’attrait du point d’eau de Kamas et
de rendre sa fréquentation plus importante et plus régulière. Ces deux aspects (pacification de la
région et importante fréquentation du point d’eau) n’étaient sans doute pas passé inaperçus aux yeux
du missionnaire de la LMS qui, en 1812, trouva refuge au sud de l’Orange avec quelques familles, et
rebaptisa Kamas du nom de Pella. En tournée d’inspection des missions de la Société en Afrique du
Sud, John Campbell passe par Pella en 1814 (64). La région est alors calme, mais subit quelques
contrecoups de l’état de guerre semé par les Oorlam du lignage Afrikaner dans l’extrême sud
namibien. Ainsi, venant de l’Est, Campbell traverse le Bushmanland, non sans être attaqué par des
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Bushmen qui sont peut-être clients ou alliés du lignage Afrikaner (65). À Pella, il dresse l’état des
lieux de la mission, qui compte quelque six cents âmes, dont 19 chrétiens ; l’école accueille 150
élèves. Il tente aussi, comme il l’avait fait peu de temps auparavant chez les Griqua de Transorangie,
de donner à la communauté des lois d’auto-gouvernement et de les inciter au commerce. Mais ici les
tendances centrifuges semblent être les plus fortes, peut-être en partie parce que la contrainte du seminomadisme (nécessaire afin d’éviter le surpâturage) sépare périodiquement les groupes les uns des
autres. Réunis par Campbell, les chefs des communautés présentes à Pella affichent davantage leur
volonté de se séparer que de coopérer dans la perspective d’une fusion politique. Les Namaqua
Bondelswart, venus de Warmbad deux ans plus tôt, aspirent à s’y réinstaller ; les Namaqua du lieu
(sans doute tout ou partie de la communauté unifiée Witbooi évoquée par la tradition (66)) veulent
aussi s’éloigner ; enfin les Bastaards (installés entre-temps ?) envisagent de se retirer vers l’Est.
Autant de déclarations d’intention dans lesquelles il faut voir des affichages identitaires clairs, chacun
disant ce qu’il est en disant où il veut aller : le Grand Namaqualand (au nord), terre de GrandsNamaqua ; le Petit Namaqualand (à l’ouest), terre des Petits-Namaqua ; le moyen-Orange (à l’est),
patrie des Bastaards ; le sud (avec la colonie à l’horizon) étant bien sûr à exclure. Mais en attendant,
tous restent là où ils sont, groupés autour de la mission, Campbell ayant fait observer que « la seule
objection importante à leur séparation est qu’elle diviserait leur force et, par conséquent, inciterait
probablement les pillards [oorlam] Afrikaners à les attaquer ». À défaut d’avoir pu jeter les bases
d’une nouvelle nation, le missionnaire obtient un résultat minimal : tenir les communautés
rassemblées face à la crainte d’un ennemi commun.
Dix ans plus tard, un autre voyageur fait halte à Pella, venant lui aussi de l’Est. Dans sa traversée du
Bushmanland, George Thompson n’a rencontré que quelques Bushmen, discrets, et des bandes de
Korana (67)misérables, vivant de la chasse et de la cueillette de racines (68). Il écrit que ceux-ci, au
cours des dernières années, « ont très gravement souffert des déprédations commises par le voleur
Afrikaner et par d’autres bandits, qui ont maintenant essaimé le long des berges du Gariep (69)».
L’extension des raids oorlam vers le sud-est a eu en effet d’importantes conséquences sociales, en
particulier celle de faire de ces Korana des éleveurs sans bétail, des individus « plus démunis que les
Bushmen eux-mêmes ». Nouveaux Bushmen, ceux-là n’ont d’autre choix que de vivre en Bushmen,
de s’enrôler auprès d’un kaptein ou de rejoindre un établissement missionnaire. Pella semble encore
épargnée, même si le voyageur trouve la station, désormais agrémentée d’arbres prélevés près du
fleuve, totalement déserte, sans même une habitation hormis la maison du missionnaire et le bâtiment
servant d’église et d’école. La saison étant sèche, toute la population s’est éparpillée par petits
groupes transportant avec eux leurs huttes de nattes (matjieshuis). Thompson rencontre le pasteur à
20 miles de là, près d’un autre point d’eau, au milieu de 30 à 40 Namaqua qui attendent la prochaine
pluie sur Pella. Au complet, la mission compterait 400 habitants (70).
C’est peu. Cela représente la perte d’un tiers de la population depuis 1814, ce qui est probablement à
mettre en partie sur le compte du départ des Bondelswart en 1818 (avec la réouverture de la mission
de Warmbad). À quoi s’ajoute certainement le faible nombre de convertis, et l’incapacité des
missionnaires à sédentariser la population, qui signale mieux que tout l’échec du processus de
civilisation affichés par les missionnaires. La LMS en tirera les conclusions, en fermant la mission de
Pella en 1825. Le site sera repris par la Rhenish MissionGesellschaft en 1841 (71) puis abandonné de
nouveau en 1868, avant d’être repris par l’Église catholique en 1873. En dépit des lacunes de notre
documentation durant cette période de près d’un demi-siècle, on peut apercevoir quelques
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changements profonds qui affectent la situation sociale et la configuration identitaire du lieu.
Le premier facteur à prendre ici en compte est la pénétration progressive de Bastaards et de Blancs
dans cette zone : éleveurs nomadisant ou s’installant sur les terres avoisinant la mission, marchands
itinérants faisant du commerce avec le Grand Namaqualand, etc. Ce mouvement, qui revêt un
caractère général dans toute la région riveraine de l’Orange, conduit en 1848 les autorités coloniales à
repousser la frontière jusqu’au fleuve. Désormais rattrapés par la colonie, les habitants de Pella
subisse une dévalorisation de leur statut (qui s’établit désormais selon les critères coloniaux), en
même temps que leurs possibilités de nomadiser se trouvent progressivement remises en question par
la concession de certains points d’eau à des particuliers, voire leur enclosure dans les fermes. On
comprend dès lors que les Witbooi aient quitté les lieux en 1851, pour s’installer en Namibie (72).
Mais le départ des Bondelswart d’abord, des Witbooi ensuite, laissa certainement sur place des
individus de moindre statut : Petits-Namaqua, Korana, anciens clients ou encore personnes
économiquement déclassées, ayant pour point commun de n’avoir pas été absorbés dans les lignages
qui avaient quitté les lieux. Ce reliquat composite forme le pendant des Bastaards qui s’installent de
plus en plus nombreux à Pella, et qui comptent déjà une quarantaine de familles au milieu du XIXe
siècle (73). Ainsi la structure sociale se polarise-t-elle autour de deux groupes principaux : les «
entrants », ou Bastaards, dotés d’une certaine puissance économique (au moins relative), et qui se
façonnent une identité collective en maintenant l’écart de statut avec la population locale, jugée
indigène, des « Hottentots ». Désormais, c’est sur la partie bastaard de la communauté, chrétienne et
sédentaire (parce que bénéficiant d’une main-d’œuvre « indigène » pour le pâturage semi-nomade),
que s’appuient les missionnaires, ceux-ci tentant d’obtenir des autorités britanniques, dans le nouveau
cadre colonial, la validation juridique de l’occupation du territoire de Pella (74). Cette validation, seul
moyen légal de se prémunir contre les empiètements des fermiers sédentaires, ne pouvait s’obtenir
qu’en apportant la preuve d’une occupation continue du site, condition remplie par les seuls
Bastaards. Cette politique, qui fut au plan légal un échec, permit tout de même d’asseoir l’hégémonie
bastaard sur le site. Mais pour quelques années seulement. Car un autre aspect à prendre en compte
est l’état de guerre larvée qui affecte les régions proches du Bushmanland au nord et à l’est tout au
long du XIXe siècle, et qui crée autour de Pella un climat d’insécurité dû en particulier aux incursions
de bandes armées et aux brigandages perpétrés par des groupes d’individus désocialisés. Cette
situation culmine dans les années 1860-1870, alors que toute la région subit la pression grandissante
des colons. Attaquée et détruite lors de la première guerre korana en 1868, la mission de Pella est
d’ailleurs contrainte de fermer ses portes (75). Au-delà de la reprise du nomadisme par les familles
restées dans le territoire de Pella, ces événements n’ont pas manqué de produire un renouvellement
au moins partiel de la population, certains habitants quittant définitivement les lieux (76), d’autres
profitant de la place libre pour s’y installer de façon saisonnière.
L’intrusion des Blancs dans le voisinage de Pella contribua également à la fixation durable d’un
nouvel ordre social, les communautés locales plus ou moins itinérantes se voyant coiffées par un
groupe, lui aussi nomade, d’éleveurs blancs, revendiquant leur supériorité raciale. Cet aspect fut
encore renforcé lorsque, en 1873-1874, l’évêque du Cap, soutenu par quelques fermiers catholiques
de la zone, demanda et obtint la concession de Pella, dans la perspective d’y reprendre les activités
missionnaires et de bénéficier d’un poste avancé pour l’évangélisation du Grand Namaqualand. La
concession, réduite à la taille d’une parcelle, fut ensuite agrandie, grâce à nouveau à la coopération de
fermiers catholiques qui cédèrent les leurs au profit de la mission, non sans avoir obtenu un droit de
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priorité sur les pâturages (77). Ces différentes opérations, effectuées au nom de l’Église catholique (et
non pas au nom des habitants de Pella ou des occupants de la concession), qui obtint un « certificat
d’occupation » dès 1874, eurent pour effet d’assurer la réimplantation de l’ordre colonial à l’intérieur
de la mission en attribuant aux Blancs (fermiers et missionnaires) un rôle de fondateurs.
4. Le temps du village chrétien
Cette orientation initiale donna à Pella, tout au moins à l’origine, moins la fonction d’une mission que
celle d’une paroisse destinée à préserver la foi catholique des quelques familles blanches de la région,
et qui furent dès lors les premiers des fidèles, en termes chronologiques comme en termes de rang
social. Le travail de conversion des autres communautés du village ne pouvait prendre place que
secondairement, et en quelque sorte par diffusion d’une parole déjà solidement implantée. Mais
l’œuvre missionnaire ne se limite évidemment pas à la seule dimension pastorale. Des prêtres qui se
succèdent à Pella (78), on peut dire ce qu’écrit un chroniqueur catholique à propos du père Simon en
1902 : « Le Père Simon, sous la protection si libérale du gouvernement anglais, succédait, prêtre
catholique, à tous les droits concédés autrefois au ministre protestant. Chef temporel en même temps
que pasteur spirituel de la population de Pella, tandis qu’il répondait aux espérances du Saint-Siège
en initiant les âmes aux pratiques de la vie chrétienne, il justifiait la confiance du gouvernement en
assurant à son petit peuple les moyens d’existence, en le maintenant dans la paix et la concorde, en le
formant par son exemple, plus encore que par ses paroles, à des habitudes de travail et d’industrie
» (79) . C’est assez dire la collusion des programmes de conversion et de civilisation, pour le bien de
la Chrétienté et de l’Empire britannique. Les autorités britanniques ne s’y trompèrent d’ailleurs pas,
si l’on en croit l’avis de J.S. Marais : « Le travail de la mission de Pella a reçu de grandes louanges de
la part de plus d’un officiel du gouvernement. Les missionnaires catholiques romains, avec leur
grande tradition d’œuvre civilisatrice parmi les peuples arriérés, découvrirent bientôt, s’ils ne
l’avaient pas apporté avec eux, le secret qui permettait de mettre les Bastaards au travail » (80).
De secret, il n’y avait point. Si les missionnaires parvinrent à sédentariser la population et à lui faire
changer, dans une certaine mesure, son mode de vie, c’est d’abord parce que la réinscription de la
mission, au terme d’un processus de longue durée, dans un territoire de plus en plus enclavé au milieu
des fermes et progressivement coupé du réseau de points d’eau permettant une nomadisation à grande
échelle, eut pour effet de contraindre les habitants non-blancs à s’adapter à ces nouvelles conditions
socio-économiques. La « clôture » de la mission de Pella, achevée au cours des années 1900 avec
l’imposition de la pax britannica au sud de l’Orange et de la pax germanica au nord (81), immobilisa
ses habitants. Les évolutions sociales et identitaires s’effectuent désormais, et jusqu’à la fin du XXe
siècle, en système fermé.
Il convient donc ici d’avoir un regard pour les composantes de la population de Pella à partir du
dernier quart du XIXe siècle. Les missionnaires qui arrivent à Pella à la toute fin de l’année 1873
découvre une station déserte, où subsistent seulement les ruines laissées cinq ans plus tôt par la
mission luthérienne. Compte tenu de la période de l’année (le début de l’été austral), les occupants
habituels ou occasionnels du site se sont sans doute éparpillés, et ne reviendront que vers avril ou mai
(82). Qui sont-ils ? Des « Hottentots » sans doute ; mais aussi des Bastaards, que les missionnaires en
route pour Pella croisent à quelques étapes de là, de même que des « Boschimans amis » rencontrés le
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long de la route (les « Boschimans sauvages » étant encore, paraît-il, une cinquantaine à vivre dans
les montagnes autour du point d'eau) (83). Ces catégories sont bien sûr celles des informateurs blancs,
citadins des localités minières de l’ouest du Namaqualand où les missionnaires commencent leur
périple en chariots à bœufs. Occultant les multiples recompositions sociales et identitaires survenues
depuis au moins un siècle, elles ne recouvrent rien d’autre qu’une vague réalité à la fois raciale et
économique : les « Hottentots » sont, parmi les races « indigènes », les éleveurs ; les Boschimans
sont les chasseurs et les vagabonds. Certains ont fréquenté Pella ou y étaient même installés au temps
de la mission luthérienne, beaucoup en tout cas seront contraints de résider autour de l’église
catholique, y compris des Bushmen redescendus des montagnes (84). À ces groupes s’ajoutent les
Damara, déjà mentionnés sur les lieux dans les années 1860 (85). Au sens ethnographique actuel, ce
terme désigne une population noire de langue nama du centre-ouest de la Namibie, longtemps
dominée socialement par les Namaqua. Nos archives mentionnent parfois ces Damara namaphones
(86), qui sont sans doute installés à Pella depuis plusieurs décennies en position de clients ou de
dépendants. Parfois, le terme semble épouser le sens qu’il a chez les Bushmen et les Tswana,
s’appliquant aux Herero, population namibienne de langue bantu (87). Mais ces occurrences
apparaissent plus tardives, peut-être en rapport avec l’arrivée de réfugiés herero au sud du fleuve dans
les premières années du XXe siècle. Ce qui fait sens en tout cas dans ce terme polysémique, c’est
qu’il sert à désigner tous les groupes à la peau noire, sans égard pour les différences de statut et
d’identité (88). Peu sensibles à l’hétérogénéité de cette catégorie, les missionnaires voient dans les
Damara l’archétype du vrai Noir (89), que certains rêvent d’aller évangéliser sur son territoire
d’origine, en poussant la mission plus loin vers l’intérieur de l’Afrique (90). Des Blancs, enfin, se
rapprochent eux aussi du point d’eau : quelques familles d’immigrants plus ou moins récents,
Irlandais ou Allemands catholiques, des Afrikaners aussi, installés de fraîche date dans le
Bushmanland, et qui ne peuvent être comparés aux Boers nomades, qui vivent dans des huttes de
branchages et sont aux yeux des missionnaires les véritables sauvages de la contrée (91).
C’est cette population composite qui rejoint progressivement la mission. Le caractère permanent ou
saisonnier de l’installation dépend d’un certain nombre de facteurs : réunis autour du même point
d’eau, les éleveurs les plus riches (Blancs ou Bastaards) ont la possibilité de confier aux autres les
activités d’élevage, se constituant ainsi une clientèle qui assure leur domination sociale au sein de la
communauté ; ils peuvent aussi d’autant mieux répondre aux sollicitations des missionnaires visant à
développer le jardinage et l’agriculture. En se renforçant, la différentiation économique permet ainsi
le maintien de l’écart entre les statuts sociaux et le maintien du statu quo dans la gradation raciale
entre les groupes. En outre, les familles ou les groupes les plus centraux (les plus sédentaires, les plus
riches) sont aussi les plus susceptibles de se conformer aux règles sociales édictées par des pères qui
sont les chefs temporels autant que spirituel de l’établissement. L’envoi des enfants à l’école (92),
l’assistance régulière aux offices, les confessions, la participation à la communion, le parrainage de
nouveaux baptisés, la prise d’habit d’un fils ou d’une fille (93), sont ainsi autant de témoignages
d’une participation de l’élite au pouvoir symbolique des prêtres, et autant de gages de réussite de
l’œuvre de foi, que les missionnaires font valoir auprès de leur hiérarchie.
Cette structuration spatiale et sociale, qui organise progressivement la communauté des Pellanaars
(94) autour de la relation centre-périphérie, s’effectue, avec des résultats d’abord modestes (95), au
cours des cinq ou six premières décennies d’existence de la mission. À cette tendance longue se
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superposent des systoles et des diastoles de plus courte durée qui, épisodiquement, perturbent ou
accélèrent le mouvement de sédentarisation et modifient la structure démographique de la population.
Qu’il s’agisse des sécheresses (1878 (96), 1882-1884 (97), 1896-1899 (98), 1932 (99) ) ou des
épizooties (peste bovine de 1897 (100)), qui provoquent la mort du bétail et suscitent un afflux de
déshérités vers la mission ou au contraire des départs vers les mines du Namaqualand ; qu’il s’agisse
des guerres dans la colonie, de la répression dans le Sud-Ouest africain (1904-1907), qui provoque
l’arrivée de Herero, ou encore du déclenchement de la guerre en 1914, qui fait craindre une invasion
allemande et provoque une désertion du village (101), tous ces événements ne font que fragiliser
davantage la situation économique des groupes périphériques, et perpétuent par là même un ordre
social basé sur la gradation coloniale entre Bushmen, Noirs, Hottentots, Bastaards et Blancs.
Il est cependant intéressant d’observer les ajustements que connaît cette catégorisation au cours du
temps, sous l’influence de facteurs externes, notamment juridiques et socio-économiques. Dans les
lettres, les souvenirs et autres récits émanant du personnel missionnaire, le premier degré de
catégorisation est celui de la dichotomie Blancs-Noirs, ce dernier terme s’appliquant indistinctement
à toutes les « tribus indigènes », y compris les Bastaards (102). Les subdivisions ethniques
n’apparaissent dans les textes qu’à un second niveau de catégorisation, et encore sont-elles sujettes à
une certaine fluidité. Cette grille se fait plus rigide, et sans doute plus normative, au tournant des
années 1910, alors que le gouvernement de la colonie britannique, puis celui de l’Union sudafricaine, invite les missionnaires à mentionner la race des individus sur les formulaires administratifs
(1909) (103)et à matérialiser, notamment à l’école, la séparation entre les Blancs et les autres (1911).
À Pella, la seconde mesure fut immédiatement appliquée (104). La première, qui visait à rendre
imperméables les catégories ethniques, eut également pour conséquence de faire apparaître, dès 1909,
la mention de la race dans le registre de mariage de la paroisse (105). Ce registre, qui compte
pourtant beaucoup moins d’entrées que les registres de baptême et de décès, avait en effet l’avantage
d’offrir la meilleure « traçabilité raciale » de la communauté, en permettant notamment de surveiller
les stratégies sociales du choix du partenaire et de connaître à l’avance la catégorie raciale des futurs
enfants. Or, l’étude de ce registre de mariage permet d’observer d’intéressantes évolutions (106). À
partir de 1909, date où apparaissant les premières mentions, les jeunes mariés se voient dotés, selon
les cas, des catégories de « Bastaard », « Hottentot », « Européen » ou encore « Damara ». En 1920,
une nouvelle catégorie, celle de « Coloured », fait son apparition, appliquée à des familles auparavant
classées comme « bastaard » ; elle se généralise en 1923. Mis à part les « Européens » (ou parfois «
Blancs »), ne subsistent alors que quelques « Damara » et « Hottentots ». Mais pour les deux
décennies 1931-1951, la partition « Coloured »-« Européen » ne fait aucune exception, la catégorie
de « Coloured » ayant absorbé tous les non-blancs, dont émergent à nouveau, à partir des années
1950, quelques « Natives ».
Ces évolutions sont bien sûr à replacer dans le contexte de la mise en place, au niveau de l’Union,
d’une législation ségrégationniste visant en premier lieu à démarquer les Blancs du reste de la
population, en second lieu à regrouper les non-Blancs dans des groupes raciaux voulus comme
homogènes, dont le reliquat forme la catégorie de « Coloured » forgée pour réunir toutes les
populations plus ou moins mélangées de l’ancienne colonie du Cap. Mais ces évolutions de
catégories raciales, qui ne sont pas sans incidences sur le statut officiel des individus, ne doivent
évidemment pas masquer les différences identitaires qui se manifestent à l’intérieur des catégories, et
qui, loin d’être figées, sont elles-mêmes en constante renégociation. Ainsi la communauté des Basters
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(107) de Pella est-elle dominée par un groupe de quelques familles qui revendiquent leur autochtonie
et affirment mettre en pratique une politique très stricte d’alliance matrimoniale, même vis-à-vis des
autres Basters (108). En outre, un autre clivage est apparu, dans les années 1990, avec l’abolition des
réserves et la libre circulation des personnes, entre d’une part les Basters, forts d’une ascendance
européenne et d’un rôle actif dans l’histoire de la colonisation, et d’autre part les « vrais » Coloureds,
vus par les premiers comme des descendants d’esclaves mais bien conscients de ne pouvoir jamais
mériter l’insulte de « Hotnot » (« Hottentot ») lancée par les Blancs (109).
Un autre processus a aussi modifié la position relative du statut des Damara et des Namaqua. Les
premiers, on l’a vu, souffraient sans doute, au milieu du XIXe siècle, d’une situation sociale
d’infériorité par rapport aux Namaqua, auxquels une certaine partie d’entre eux étaient
vraisemblablement attachés comme serviteurs. Avec la dégradation de la situation économique et du
statut social des Namaqua, il est probable qu’un certain nombre de Damara aient été contraints de
rechercher du travail dans les mines du Namaqualand. Cette indépendance économique, alliée à la
fusion au moins partielle avec les immigrants herero du début du XXe siècle, a pu entraîner une
modification de la perception de leur position sociale au sein de la communauté. Les Damara, écrit un
missionnaire, « se mêlent peu aux autres races, ils méprisent le Hottentot et ne fréquentent guère le
Blanc » (110). Le déplacement de la majeure partie des Namaqua vers une autre mission du
Namaqualand en 1906 (111), qui ne laissa à Pella que les plus déshérités, acheva cette mutation, qui
avait été sanctionnée depuis quelques années par les premiers succès missionnaires auprès de ce
groupe. Le départ progressif des Blancs avec les premières lois d’apartheid, leur départ définitif en
1974, a achevé, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, la réorganisation de la structure sociale
de la mission autour des deux pôles Damara / Basters, initiant une compétition entre les deux groupes
qui, depuis les années 1990, épouse une ligne de fracture politique. Les Damara, c’est-à-dire la
population noire de Pella, étaient en effet perçus par les Basters, il y a quelques années, comme les «
hommes de Mandela », les Basters ayant quant à eux voté massivement, en 1994, en faveur du Parti
National (112). Ce phénomène ne fait que renforcer l’idée qu’il convient, dans toute analyse des
positionnements identitaires, de prendre en compte les relations qu’entretiennent les identités avec
appartenances politiques comme avec les statuts sociaux et les catégories ethniques ou raciales.
Conclusion
Il serait souhaitable, dans des recherches futures, d’essayer de mettre au jour, au moins pour la
période sur laquelle nous possédons les registres missionnaires, les stratégies individuelles et
collectives d’alliance entre familles, ainsi que les tentatives de subversion à long terme des statuts
sociaux et raciaux grâce aux alliances matrimoniales. Cette approche est compliquée par deux
choses : d’abord le fait qu’il s’agit là de processus largement invisibles, qui laissent peu de traces
dans la patronymie. Ainsi, les mariages entre catégories raciales, peu nombreux au demeurant dans la
première moitié du XXe siècle (113), concernent la plupart du temps un homme de statut racial
inférieur à celui de la femme qu’il épouse. Des tels phénomènes, qui demandent bien sûr à être
vérifiés dans une durée plus longue, témoignent sans doute de stratégies d’ascension sociale au sein
de certains groupes ou familles, mais qui ne viennent pas perturber les stratégies de protection du
patronyme des familles dominantes. Le second point, bien connu, est que les patronymes de
pratiquement toutes les familles, quelles que soient leur catégorie raciale, sont des patronymes
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d’origine européenne, qui témoignent de processus plus anciens, survenus entre le XVIIIe siècle et le
début du XIXe siècle, avant la « clôture » de la frontière et l’imposition d’un nouvel ordre social
(c’est-à-dire à une époque pour laquelle nous disposons de peu de sources) : aux métissages et
concubinages nombreux s’ajoutent alors d’autres phénomènes tels que la transmission de surnoms
(pratique venue de la période de l’esclavage) et l’adoption par les membres d’un groupe du
patronyme européen du lignage principal. Parce que les missionnaires, au-delà de leur rôle
d’instituteur de l’ordre moral et social, véhiculent dans la vie de la frontière un « ordre patronymique
» basé sur le respect de la notion de légitimité et sur la patrilinéarité de la transmission du nom, ils
peuvent être perçus comme les introducteurs d’un sentiment identitaire fondé sur le nom et les
garants d’un cadre permettant la défense de cette identité. Par là même, apparaît leur rôle dans la
fixation du paysage identitaire fluide qui caractérise la frontière jusqu’au XIXe siècle.
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Mission Pella » et le faux titre « Histoire de la mission de Pella » ; pages non numérotées [265 p],
mss. Le texte est le journal des sœurs (OSFS) de la mission, sur la période 1883-1939. Mais il
semblerait que la rédaction de ce cahier n’ait commencé que vers 1898, car c’est véritablement à cette
date que le texte prend l’allure d’un journal tenu plus ou moins régulièrement. Pour la période 18831897, le récit paraît plutôt constitué de souvenirs auxquels a été donnée l’apparence d’un journal.
- Papiers divers (bureau du P. Simon), non classés.
- Jean-Marie SIMON, « Souvenirs ». Cahier mss, 549 p, daté du 28.07.1909. La deuxième partie des
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souvenirs du P. Simon existe aussi sous plusieurs formes (mss et tapuscrit). Cette première partie a
fait l’objet d’une édition en anglais, condensée et très expurgée :
- J.-M. SIMON, Bishop for the Hottentots. African Memories, 1882-1909, New York, Benziger
Brothers, 1959.
- Original Marriage Register, plusieurs volumes.
- Liber Matrimoniurum.
• Koelenof (Afrique du Sud), mission catholique
[Anonyme], « Quelques souvenirs sur Monseigneur Simon, 1922-1932 », mss, 21 p.
• Rome, Société des Missions Africaines, Archives Générales
- Lettre de Pasquereau à Bernard, 29.09.1873. Cote 2-E-63.
- lettre de Gaudeul à Planque, 23.08.1873, Annales de la Propagation de la Foi, t. 46, n° 272, 1874,
d’après un original non retrouvé.
- lettre de Gaudeul à Planque, 10.05.1878. Cote 11/054 (23381).
- Lettre du Fr. Georges à Planque, 15.06.1879. Cote 11/054 (23406).
- lettre de Gaudeul à Planque, 08.02.1881. Cote 11/054 (23437).
- lettre de Gaudeul à Planque, 22.03.1882. Cote 11/054 (23461).
- lettre de Gaudeul à Planque, 13.09.1882. Cote 11/054 (23464).
- compte rendu de Gaudeul à Planque, s.d. [1882]. Cote 11/054 (23470).
- lettre de Gaudeul à Planque, 19.03.1883. Cote 11/054 (32204).
• Paris, Société des Missions Africaines, Province de Lyon
- [Gaudeul], « De Springbock à Pella », Missions Catholiques, 1874, en deux parties, d’après une
lettre de Gaudeul, non retrouvée.
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Bienvenue dans Clio en Afrique n°10 été 2003 / notes FAUVELLE
Notes
1 Cet essai est une version provisoire, dont un premier état ne présentant pas les recherches menées
sur Pella a été présenté au colloque international « Espaces, territoires et identité en Afrique du Sud et
en Inde » (29-30 novembre 2001, université de Paris X-Nanterre), organisé par Philippe GervaisLambony, Frédéric Landy et Sophie Oldfield.
2 J.-L. AMSELLE et E. M'BOKOLO éds. (1985).
3 J.-P. CHRETIEN et G. PRUNIER éds. (1989).
4 Par exemple A.W. SOUTHALL (1970).
5 Voir par exemple L. VAIL éd. (1989) ; C. MEILLASSOUX & C. MESSIANT éds. (1991)
6 A. KUPER (1996)
7 R.J. GORDON & A.D. SPIEGEL (1993 : 87)
8 J. SHARP & E. BOONZAÏER (1994).
9 La présentation du cas de l’ethnicité zulu a souvent pour corollaire la mise en accusation de
l’instrumentalisation de l’histoire par Mangosuthu Buthelezi, ancien premier ministre du bantoustan
du KwaZulu et président de l’Inkatha. Voir P. COQUEREL (1989), G. MARE (1992), P. FORSYTH
(1992 ; 1993).
10 P. GERVAIS-LAMBONY (1997 : 68). Dans les fermes des Blancs (c’est-à-dire dans des
conditions normales d’exploitation des terres, sans surpâturage), on compte généralement, dans cette
région du nord du Bushmanland (entre Pella et Aggeneys), sept hectares pour un mouton, 36 pour
une vache. Informations recueillies auprès des fermiers.
11 Pour une histoire de ces réserves, voir F.-X. FAUVELLE (1998).
12 Sur les informations contenues dans les archives coloniales, voir F.-X. FAUVELLE (1999 : chap.
5). Pour une carte, on peut se référer par exemple à celle publiée par le père Guy TACHARD (1686 :
94), membre de l’expédition de Siam.
13 Expédition conduite par le gouverneur (1679-1699) Simon Van der Stel en 1685-1686 ; voir G.
WATERHOUSE (1932).
14 A. BARNARD (1992 : 179-183).
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15 Sur l’origine des termes « Hottentot » et « Bushman », voir F.-X. FAUVELLE (1999 : chap. 4-5,
passim).
16 Par exemple L. WEEBLEY 1992 ; observations personnelles menées avec François Bon.
17 A. BARNARD (1992 : 8)
18 N. PENN (1995 : 25-27).
19 Respectivement en néerlandais et en afrikaans. J’utiliserai désormais le terme néerlandais, qui est
celui que l’on trouve dans les sources, avant la codification de l’afrikaans au début du XXe siècle.
20 J.S. MARAIS (1957 : 12) ; M. LEGASSICK (1989 : 363).
21 R. ELPHICK & V.C. MALHERBE (1989 : 25-28).
22 En 1798, la frontière nord est portée jusqu’au fleuve Buffels ; elle est portée en 1848 (décret de
décembre 1847) jusqu’au fleuve Orange.
23 M. LEGASSICK 1989 : 368-372).
24 L’étymologie la plus généralement citée fait venir le mot oorlam du malais « orang lama », «
homme d’expérience », désignant les esclaves et les Namaqua « dégrossis » au service des
Européens. Voir I. DIENER (2000 : 51) ; C. SAUNDERS & N. SOUTHEY (2001 : 126).
25 Date de l’« indépendance » de la communauté de Concordia vis-à-vis de Steinkopf.
26 P. CARSTEN (1983 : 144-150).
27 M. LEGASSICK (1989 : 373).
28 M. LEGASSICK (1989 : 376-395) ; K. SCHOEMAN (1996).
29 M. LEGASSICK (1989 : 375).
30 D’après des traditions orales recueillies en 1997 auprès d’habitants de l’ancien homeland de
Vaalgras en Namibie, non loin de Keetmanshoop, les Oorlam de cette région auraient été, à l’origine,
des Herero [population de langue bantu de la Namibie centrale]. À cause d’une guerre contre les
Nama [le soulèvement de Maharero contre l’hégémonie nama, en 1861 ?], ces Herero auraient migré
vers le sud et se seraient installés au sud de l’Orange, dans le Namaqualand. Certaines familles se
seraient alors dispersées (on les retrouverait aujourd’hui à Upington ou Kakamas), mais d’autres
auraient, après un certain temps, repassé l’Orange dans les années 1870-1880 et se seraient installées
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auprès de Willem Christian [† 1901], kaptein des Nama Bondelswarts (ou !Gami-≠nûn), à Warmbad.
Certaines familles se seraient alors de nouveau dispersées (notamment vers Berseba). Les familles
restées auprès des Bondelswarts se seraient engagées auprès des Allemands, et auraient été chargées
du commerce entre Lüderitz et Swakopmund. Puis, de Warmbad, elles auraient entamé un trek vers le
nord, via Karasburg, Kalkfontein [?] et Aroab, et se seraient vues attribuer par les Allemands le
territoire de Vaalgras. Les récits ne disent jamais à quel moment la communauté est devenue
namaphone (certains informateurs indiquant que leurs grands-parents parlaient encore le herero).
Mais le contexte historique auquel ils renvoient (la zone à cheval sur la colonie du Cap et le sud-ouest
africain à la fin du XIXe siècle) rend crédible l’absorption de Herero par des communautés oorlam
locutrices du nama et de l’afrikaans, tant au sud que (plus probablement) au nord de l’Orange. Les
maigres informations généalogiques recueillies insistent sur les alliances matrimoniales contractées à
Warmad avec les familles des missionnaires et les familles nama dominantes. Les Oorlam de
Vaalgras mettent volontiers en avant leur supériorité vis-à-vis des « vrais » Nama.
31 La communauté avait auparavant dépêché à Cape Town une délégation demandant que lui soit
légalement concédé, contre versement d’un loyer annuel, le territoire qu’elle occupait jusqu’alors de
facto (J.S. MARAIS 1957 : 88). C’est face au refus du gouvernement que ces Bastards, accompagnés
de leur missionnaire, entamèrent leur trek vers le nord.
32 P. CARSTENS (1983 : 138-144).
33 Date du début de la véritable colonisation du Sud-Ouest Africain par l’Allemagne, celle-ci
revendiquant la souveraineté sur le territoire depuis 1884 ; cf. I. DIENER (2000 : 85).
34 P. CARSTENS (1984 : 19-22).
35 J. SHARP & M. WEST (1984 : 3).
36 Mission Stations and Communal Reserves Act, 1909.
37 Land Settlement Act, 1912.
38 Group Areas Act, 1950.
39 Le terme de « Coloured » est défini par le Pensions Act de 1928 : un Coloured n’est ni un Blanc,
ni un Asiatique, ni « un membre d’une race ou tribu aborigène d’Afrique », ni un Hottentot, ni un
Bushman ou un Koranna… Pour une histoire de l’identité coloured, voir I. GOLDIN (1989).
40 J.S. MARAIS (1957 : 96, note 3). L’anecdote est relatée au style indirect libre.
41 W. HOERNLE (1985).
42 Sur la gestion du sol dans le Namaqualand et la volonté du gouvernement de transformer les
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réserves en « unités économiques », voir H. KRÖHNE et L. STEYN (1990).
43 Un cas, étudié par J. SHARP (1994), illustre particulièrement bien l’étroite imbrication des enjeux
identitaires et territoriaux. La réserve de Komaggas, créée par un « certificat d'occupation » de 1843,
couvre une superficie d'environ 69 000 hectares. Elle est, depuis le début du XXe siècle, ceinturée de
terres privées appartenant à des fermiers blancs ou à des compagnies minières. Les habitants de
Komaggas n’ont cependant jamais cessé de revendiquer un territoire beaucoup plus vaste que celui de
la réserve actuelle, affirmant soit que le certificat initial leur avait alloué un territoire de 369 000
hectares (le 3 ayant ensuite été oublié), soit qu’il avait été précédé d'un autre don de terres,
personnellement ratifié par la reine Victoria. Dans les deux cas, ils fondaient leurs revendications sur
un acte juridique passé entre les autorités coloniales et les Bastaards qui occupaient le site. Au début
des années 1990, l’évolution du contexte local incita les habitants de Komaggas à faire valoir à
nouveau, mais vainement, leurs revendications. Certains commencèrent alors à percevoir le caractère
infondé de leur argumentaire et à considérer que le « certificat d'occupation » (seul acte juridique
existant) avait été en réalité l'instrument de leur dépossession. Cette reformulation impliquait une
véritable ré-interprétation de l'histoire de la communauté. Jusqu’alors en effet, celle-ci se percevait
comme descendante d'un colon bastaard, Jasper Cloete, qui s’était installé à Komaggas au début du
XIXe siècle, et dont plus de la moitié de la population porte aujourd'hui le nom. Depuis quelques
années, une autre lecture s’est répandue, qui insiste sur le fait que la femme de Cloete était une
Namaqua appartenant à la communauté qui vivait sur le site avant son arrivée. Non moins légitime
que la précédente, mais hier occultée parce qu'elle diminuait l’ascendance « blanche » de la
communauté, cette lecture présente aujourd’hui l’avantage d’asseoir les revendications territoriales de
la communauté non plus sur un acte juridique liant la colonie et les colons (Cloete et ses descendants
« bastaards »), mais sur le droit du premier occupant (la femme de Cloete et sa descendance « nama
»).
44 S. ROBINS (2000).
45 Sur la pratique consciente ou inconsciente du vorentoetrouery (« up-marriage ») avec des
personnes plus claires de peau, voir par exemple E. BOONZAIER et al. (1996 : 139)
46 Sur le caractère socialement opératoire de cette distinction, voir F.-X. FAUVELLE (1998 : 97-99).
47 Comme dans le cas des Rehobothers ; J.S. MARAIS (1957 : 103-104).
48 M. LEGASSICK (1989 : 382).
49 Enquête à Pella, juin 1997 : les cheveux longs et lisses seraient ceux des « Coloureds »,
d’ascendance servile, alors que les cheveux ras et clairsemés seraient ceux des Bastaards (F.-X.
FAUVELLE 1998 : 92).
50 Par exemple L. THOMPSON (1985).
51 A. DU TOIT (1983).
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52 Lieu de mémoire des Afrikaners, le monument aux Voortrekkers fut commencé en 1938 et
inauguré en 1949 (le 16 décembre, jour anniversaire de la bataille de Bloedrivier). Le bâtiment,
imposant (un cube de 40 m de côté), est inscrit dans un cercle de 54 chars à bœufs, représentant la
tactique du laer (camp ou cercle défensif). Il est orné, à l’intérieur, d’une frise en marbre de 92 m de
longueur pour 2,3 m de hauteur, représentant les principaux épisodes (selon la mémoire afrikaner) du
Grand Trek. La symbolique architecturale (coupoles, arcs et arcs-boutants, cénotaphe de Piet Retief,
frise scandant les stations du peuple afrikaner) inscrit clairement le monument dans une esthétique
religieuse, sans doute inspirée, dans certains cas, du cinéma hollywoodien : ainsi de ce doigt de
lumière qui pénètre par la coupole une fois par an, le 16 décembre à midi, et vient éclairer tout au
fond de la crypte le cénotaphe et l’inscription « Ons vir jou, Suid-Afrika », renouvelant ainsi
l’alliance entre Dieu et son peuple ; ainsi également des figures de la fresque, qui mêlent le
hiératisme de l’iconographie américaine des « Founding fathers », celle du Far-West et celle du
péplum religieux. La séquence des épisodes de la fresque témoigne en elle-même de la volonté (très
contemporaine) d’inscrire l’épopée dans un cadre façonné par la Bible : les Voortrekkers quittent la
colonie du Cap (la sortie d’Égypte et la marche au désert) ; les colons anglais offrent une Bible au
chef des Voortrekkers (la promesse de l’Alliance) ; batailles contre les Ndébélé et les Zulu (guerre
contre les Madianites) ; le découragement après les épreuves (l’apostasie d’Israël) ; le serment,
l’intervention divine lors de la bataille de Bloedrivier et la construction de l’église du serment
(renouvellement de l’Alliance, intervention divine et construction du sanctuaire) ; les Voortrekkers
quittent le Natal (la remise en marche derrière la nuée) ; la Terre Promise (le Transvaal).
53 La petite localité d’Orania est située à l’extrême Est de l’actuelle province du Northern Cape, le
long de la rive gauche de l’Orange, qui forme à cet endroit la frontière administrative avec la
province du Free State. L’endroit, qui compte quelques dizaines d’habitations tout au plus, a
l’apparence d’un lotissement privatif (et grillagé) dont tous les lopins n’ont pas trouvé preneur. Dans
sa partie résidentielle, la localité compte douze rues, portant les noms suivants (observations du 24
juillet 2001) : jaspis, saffier, agaat, smarag, sardoniks, beril, topaas, ametis, oniks, robyn, diamant,
pêrels. On retrouve là, à quelques modifications près, la liste des douze pierres précieuses qui ornent
les fondations de la nouvelle Jérusalem dans l’Apocalypse de Jean (21, 19-21) : jaspe (opaal dans la
traduction en afrikaans, mais jasper en anglais), saphir (saffier), calcédoine (agaat en afrikaans),
émeraude (smarag), sardoine (sardoniks), cornaline (karneool), chrysolite (chrisoliet), béryl (beril),
topaze (topaas), chrysoprase (chrisopraas), hyacinthe (hiasint) et améthyste (ametis). Cornaline,
chrysolite, chrysoprase et hyacinte sont absentes à Orania, mais sont remplacées par des noms de
pierres précieuses plus immédiatement évocatrices (onyx, rubis et diamant). Les perles (pêrels)
complètent la liste ; Jean (Apocalypse 21, 21) indiquent qu’elles ornent les douze portes de la ville.
Comment mieux dire le destin rêvé du peuple afrikaner ?
54 Nom donné en 1844 par le missionnaire H. Kleinschmidt au lieu où il s’installa parmi les Nama //
Khau-/gôan ou Swartbooi.
55 Exemples et références tirés de P.E. RAPER (1989 : passim).
56 Sur l’activité de la LMS au cours de ses deux premières décennies d’existence, et en particulier
sur la fondation de la mission d’Afrique du Sud, voir R. TURTAS (1971).
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57 Sur la mission de Warmbad de 1805 à 1811, voir E. STRASSBERGER (1969 : 66-67).
58 Christian Albrecht.
59 Ville fondée à la fin du IVe siècle avant J.-C. par des vétérans de l’armée d’Alexandre, et qui fut
baptisée ainsi d’après le nom de la capitale macédonienne de Philippe.
60 N. PENN (1995 : 25-27).
61 Lire /Khobesin, nom d’un lignage nama de Petit-Namaqualand passé plus tard au nord du fleuve,
et aussi désigné comme Oorlam en Namibie. À cette époque, les /Khobesin avaient déjà acquis les
caractéristiques d’un groupe oorlam (absorption d’éléments composites, pratique du néerlandais,
culture frontalière, éléments de christianisme…).
62 G. KLINGHARDT (1982 : 26-27). Kido ou Kupido Witbooi, de ses prénoms de baptême David
Moses (c. 1780-1875). D’autres traditions se rapportent à Kupido Witbooi, établi à Pella. Elles
indiquent qu’il avait en effet la souveraineté sur le Petit-Namaqualand et (comme dans la tradition
recueillie par G. Klinghardt) qu’il délégua ses pouvoirs à des sous-kapteins au moment de quitter
Pella. Voir E. STRASSBERGER (1969 : 64-65). Kido David Moses Witbooi est le père de Moses
Witbooi (1808 ?-1888), lui-même père du grand Hendrik Witbooi (1834-1905).
63 On voit bien de quelle façon le récit cherche à équilibrer les rôles respectifs des communautés,
afin de fournir une version consensuelle de l’histoire, acceptable par tous, quelles que soient les
hiérarchies sociales. Il y a là l’un des effets inévitables de la ré-interprétation du passé à la lumière
d’enjeux plus récents.
64 J. CAMPBELL (1815 : 409-424).
65 Jager Afrikaner est décrit comme « un chef pillard qui est la terreur de cette partie de l’Afrique » ;
J. CAMPBELL (1815 : 409).
66 Le chef de ces Nama est présenté par Campbell sous le nom de « Fleurmuis, ou Bat ». Il est tout à
fait évident que Bat est ici donné comme traduction anglaise du terme afrikaans Vlermuis (« chauvesouris »). Il ne s’agit donc que d’un surnom, pouvant éventuellement indiquer un jeu de mots. En
effet, la graphie adopté par Campbell pour écrire Vlermuis renvoie au mot fleur (afrikaans emprunté
au français, même sens), que l’on retrouve dans la patronymie Griqua de la fin du XIXe siècle.
67 R. ROSS (1975) a défendu l’idée que les Korana, qui n’apparaissent dans les sources du XIXe
siècle qu’à l’occasion de guerres, de raids ou de rapines, n’auraient pas été des individus appartenant
à des sociétés organisées d’éleveurs optant occasionnellement ou en temps de crise pour le
brigandage, mais des groupes d’individus de toute origine vivant exclusivement de la prédation
exercée à l’encontre des autres communautés. Leur territoire était les îles du fleuve, à l’époque
couvertes d’une végétation dense, entre l’actuelle Upington et les chutes d’Aughrabies. Cette analyse
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a l’avantage de rendre compte du rapprochement, très souvent présent dans les sources, entre Korana
et Bushmen. On pourrait cependant se demander si, à l’instar de certains groupes réputés Bushmen ou
Oorlam, les Korana n’apparaissent pas à l’aube du XIXe siècle dans un contexte de fortes pressions
économiques et sociales exercées sur les populations d’éleveurs einiqua, qui d’ailleurs disparaissent
des sources à la même époque.
68 G. THOMPSON (1827, t. II : 37-50).
69 Nom nama de l’Orange.
70 G. THOMPSON (1827, t. II : 50-59).
71 Date à laquelle s’installe un missionnaire, le Rév. Schröder. Mais dès l’année précédente, la
station avait été visitée et des efforts entrepris pour sédentariser la population ; G. KLINGHARDT
(1982 : 30). La LMS avait, en 1840, transféré tous ces établissements de la côte ouest à la RMS ; E.
STRASSBERGER (1969 : 63, 68).
72 Dès 1835, Kupido Witbooi et d’autres avaient prospecté le Griqualand à la recherche d’un endroit
où s’établir. Ils optèrent ensuite pour le Grand Namaqualand. Ayant repris des contacts avec les
missionnaires de la RMS, ils s’installèrent en 1863 autour de la station de Gibeon.
73 G. KLINGHARDT (1982 : 29, 35).
74 G. KLINGHARDT (1982 : 32-40).
75 J.S. Marais (1957 : 84) attribue aux Korana cette attaque et le meurtre de certains missionnaires.
D’autres rendent les Bushmen responsables de ces forfaits. L’un des missionnaires catholiques
arrivés en 1873 met en cause, sur la foi de témoignages locaux, « les Boschimans, renforcés par bon
nombre d’autres sauvages d’au-delà de l’Orange » (SMA, AG, lettre de Pasquereau à Bernard,
29.09.1873, p. 336). L’autre prêtre met en cause, quant à lui, des « bandes de Hottentots »
habituellement au service des Blancs mais qui furent renvoyés à cause de la sécheresse de 1867-1868
et s’organisèrent en « bandes de pillards » (lettre de Gaudeul à Planque, 23.08.1873, Annales de la
Propagation de la Foi, t. 46, n° 272, 1874, pp. 51-67). Ces hésitations terminologiques reflètent peutêtre autant la fluidité des catégories que le caractère composite des groupes en question.
76 En 1868, certains habitants de Pella suivirent leurs missionnaires à Steinkopf et Concordia (E.
STRASSBERGER 1969 : 71). On sait également que les Bastaards de De Tuin, installés depuis peu à
Pella, reprirent, à cette même date, leur trek vers le nord, jusqu’à Warmbad et Rehoboth.
77 G. KLINGHARDT (1982 : 40-48, 58)
78 Pella fut d’abord confiée à la Société des Missions Africaines (de 1873 à 1882, père Gaudeul) puis
aux Oblats de Saint-François de Sales (à partir de 1882, père Simon). Sur la mission des OSFS et ses
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multiples extensions de part et d’autre de l’Orange, voir F. WEHRL (1994).
79 J.-B. PIOLET (1902, V : 314).
80 J.S. MARAIS (1957 : 84).
81 La guerre anglo-boer, dont le Namaqualand et le Bushmanland furent l’un des derniers théâtres
d’opération, s’achève en 1902 ; le soulèvement nama et herero est définitivement maté par les
Allemands en 1907.
82 Sur le schéma de migration saisonnière, voir SMA, AG, 2-E-63, lettre de Pasquereau à Bernard,
29.09.1873, p. 328.
83 [Gaudeul], « De Springbock à Pella », Missions Catholiques, 1874, passim ; SMA, AG, lettre de
Pasquereau à Bernard, 29.09.1873, passim.
84 En 1906, la mission accueille Bamboz, un « Noir centenaire [qui] avait fait partie des Bushmen
qui dévastèrent les environs de Pella [en 1868] et qui chassèrent les ministres protestants de la place
même » (Pella, Mission catholique, « Histoire de la mission de Pella », entrée du 25.05.1906).
85 Des Damara sont mentionnés en 1863, lorsqu’un Commissaire civil est envoyé à Pella pour
étudier les requêtes des habitants. Le droit d’occupation du sol est reconnu pour les Bastaards, qui
mènent une vie sédentaire, mais pas pour les Hottentots, les Bushmen et les Damara, en raison de leur
caractère nomade (G. KLINGHARDT 1982 : 35).
86 Un frère, chargé de la classe, évoque « de petits Hottentots ou Damaras, qui ne comprennent
absolument rien à l’anglais et presque rien au hollandais, ils parlent seulement leur langue hottentote
que nous ne comprenons point encore et qu’il est à peu près inutile d’apprendre » (SMA, AG, lettre
du Fr. Georges à Planque, 15.06.1879).
87 A. BARNARD (1992 : 201). Dans ses souvenirs, le père Simon évoque la langue des Damara («
Les Damaras ont une langue propre qui ne semble être composée que de diphtongues ») en des
termes différents de la langue nama ; sa description s’applique mieux à la langue herero. Voir J.-M.
SIMON, Bishop for the Hottentots (1959 : 45) ; le mss français (dont l’édition anglaise est une
version condensée et expurgée) est conforme sur ce point : J.-M. SIMON, « Souvenirs », p. 129.
88 Sur la catégorie de Damara à Pella et les groupes identitaires qui la composent, voir G.
KLINGHARDT (1982 : 68-71). John CAMPBELL (1815 : chap. 35) avait obtenu des informations
sur les Damara en enquêtant sur les régions situées au nord du Grand Namaqualand. Selon Campbell,
il existe un groupe de Damara pauvres, qui sont souvent en guerre avec les Namaqua qui en font leurs
serviteurs, et un groupe de Damara riches. Cette distinction recouvre l’opposition entre Damara et
Herero. Les ethnographes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle désignaient les Damara sous le
nom de Berg-Damara, et les Herero sous le nom de Damara. Les missionnaires avaient bien sûr lu ces
écrits ethnographiques, ce qui peut expliquer pour partie la confusion des termes. Le P. Simon cite
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l’anthropologue G.W. Stow : J.-M. SIMON, « Souvenirs », p. 135.
89 J.-M. SIMON, Bishop for the Hottentots (1959 : 45).
90 SMA, AG, lettre de Gaudeul à Planque, 1878 ; lettre de Gaudeul à Planque, 08.02.1881 ; lettre de
Gaudeul à Planque, 22.03.1882 ; etc. En tout état de cause, Gaudeul ne veut se charger ni du Grand
Namaqualand, ni de « ce ramassis d’aventuriers de toutes espèces et de toutes nations qu’on appelle
Griqualand West, autrement dit "Diamond Fields" », ibid. Le premier diamant dans cette région fut
découvert en 1866.
91 J.-M. SIMON, « Souvenirs », p. 119-126. Ce passage, au ton extrêmement virulent, a été supprimé
de la version éditée.
92 « Si des parents négligeaient d’envoyer leurs enfants en classe régulièrement, Monseigneur leur
envoyait plusieurs avertissements. Et s’ils ne s’amendaient pas, ils étaient chassés impitoyablement
de Pella, dont Monseigneur était maître au nom du gouvernement » ; Koelenhof, Mission catholique,
« Quelques souvenirs… », pp. 13-14.
93 La « première prétendante indigène » à l’entrée en communauté au service de la mission est ainsi
Johanna Hayes, de famille irlandaise catholique ; Pella, Mission catholique, « Histoire de la mission
de Pella », entrée du 06.01.1886. Une autre famille fournit à l’Église un fils, ordonné prêtre en 1922,
et qui deviendra évêque en 1940.
94 Dans les archives missionnaires, le terme de « Pellanaar » est toujours appliqué à l’ensemble de la
population, e.g. Pella, Mission catholique, « Histoire de la mission de Pella », entrées du 21.01.1908
et du 22.06.1911. Pour les conflits sous-jacents à l’utilisation du terme, voir G. KLINGHARDT
(1982 : 62-63).
95 Au moment du remplacement des missionnaires SMA par des missionnaires OSFS, Pella est un
petit village de 200 habitants : un tiers sont européens [immigrants récents] ou descendants
d’Européens [Afrikaners], deux tiers forment la « population noire » (Hottentots, Damara et métis).
L’école accueille 48 enfants, et une soixantaine de personnes assistent régulièrement à la messe
dominicale, mais on compte un nombre insignifiant de « catholiques indigènes ». Dans son compte
rendu de fin d’activité, le missionnaire partant attribue l’échec relatif de sa mission au coût élevé des
visites pastorales à l’extérieur de Pella et à l’impossibilité financière de créer des pensionnats et des
orphelinats, véritables pépinières de chrétiens ; SMA, AG, lettre de Gaudeul à Planque, 13.09.1882 ;
compte rendu de Gaudeul à Planque, s.d. [1882] ; lettre de Gaudeul à Planque, 19.03.1883. Ses
successeurs, avec davantage de moyens, appliquèrent effectivement cette politique.
96 SMA, AG, 2-E-63, lettre du Fr. Georges à Planque, 15.06.1879.
97 J.-B. Piolet (1902 : 315).
98 J.-B. Piolet (1902 : 315) ; Pella, Mission catholique, « Histoire de la mission de Pella », entrée de
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1896.
99 Koelenhof, Mission catholique, « Quelques souvenirs… », pp. 15-16.
100 Pella, Mission catholique, « Histoire de la mission de Pella », entrée de 1897.
101 Pella, Mission catholique, « Histoire de la mission de Pella », entrée des 01 et 05.10.1914.
102 Le journal des sœurs fourmille d’exemples où le terme de « Noir » est appliqué à tous les
groupes non blancs ; Pella, Mission catholique, « Histoire de la mission de Pella », entrées de 1901,
04.06.1902, 09.11.1909, 15.08.1922 (ordination du P. Thünemann, qui est l’occasion d’un « banquet
[…] qui réunit tout Pella, Blancs et Noirs […] »), etc.
103 Pella, Mission catholique, papiers divers (bureau du P. Simon), formulaire de 1909.
104 Je n’ai pas retrouvé le formulaire officiel, mais le journal des sœurs indique : « nous avons la
rentrée de la classe, cette fois avec une petite variante ; un rideau divise la classe et sépare les Blancs
des Noirs ; cette mesure a été exigée par le gouvernement de qui notre école est reconnue et qui a, par
conséquent, droit sur elle » ; Pella, Mission catholique, « Histoire de la mission de Pella », entrée de
juillet 1911. Une inspection a lieu dès le 18 octobre de la même année ; ibid. Le 16 août 1938 a lieu
l’inspection de la classe des Noirs, le lendemain celle de la classe des Blancs ; ibid, entrée des 16 et
17.08.1938.
105 Pella, Mission catholique, Original Marriage Register. Le registre de report (Liber
Matrimoniurum), où sont reprises les informations essentielles, ne comporte pas la mention de la race.
106 Observations effectuées sur la période 1909-1958, soit sur plus de 300 mariages.
107 Cette forme orthographique est celle généralement acceptée pour les communautés
contemporaines. Elle est conforme à la graphie afrikaans et signale en outre un abandon du sens
strictement étymologique du terme au profit de l’expression ethnonymique.
108 G. KLINGHARDT (1982 : 65-67).
109 Entretien avec un élu de Pella, 1997.
110 J.-M. Simon, « Souvenirs », p. 129.
111 « Le Père Truten revient [de Springbok], il rapporte un ordre pour les Hottentots, ils doivent se
rendre à Matyeskloof où le gouvernement anglais les aidera à vivre » ; Pella, Mission catholique, «
Histoire de la mission de Pella », entrée du 26.08.1906. Le départ, brutal, a lieu quatre jours plus
tard ; ibid., entrée du 30.08.1906.
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112 Entretien de 1997 auprès d’un membre du conseil municipal.
113 J’en compte une douzaine seulement pour la période 1909-1958. Ce chiffre ne concerne que les
mariages entre catégories raciales indiquées dans les registres ; il ne reflète évidemment pas les
stratégies à l’œuvre à l’intérieur même de ces catégories, entre groupes identitaires.
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