cinquième partie - Gustave Flaubert

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cinquième partie - Gustave Flaubert
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CINQUIEME PARTIE
ECRITURE INTIME ET SOCIETE
Que devenez-vous, chère Maître, vous et les vôtres ?
Moi, je suis écoeuré, navré par la bêtise de mes
compatriotes. L’irrémédiable barbarie de l’Humanité
m’emplit d’une tristesse noire. Cet enthousiasme, qui n’a
pour mobile aucune idée, me donne envie de crever
pour ne plus le voir. (1 - S., 22 juillet 1870, Corr. IV, p. 211)
L’activité épistolaire est prolifique au dix-neuvième siècle. Peu d’écrivains dont la
Correspondance est disponible et exploitable échappent au siècle suivant à la publication de leurs
épîtres. Selon J.-L. Diaz, la richesse de ce patrimoine est liée au « développement quantitatif sans
précédent des échanges postaux, qui multiplia le flux global des lettres » et à « l’accélération
industrielle de la production de Secrétaires épistolaires »1. La lettre est un document à la croisée des
genres et des disciplines. « ... le XIXe siècle est le siècle de l’historisation généralisée des
phénomènes et des énoncés, la lettre, - y compris le billet qu’on écrit le matin même -, est comme
dédoublée : émouvante notation de l’instant éphémère, elle est d’emblée aussi « lieu de mémoire » »2
précise le critique.
Flaubert exprime à Sand son devoir d’indignation : « Ah ! vous croyez, parce que je passe
ma vie à tâcher de faire des phrases harmonieuses en évitant les assonances, que je n’ai pas, moi
aussi, mes petits jugements sur les choses de ce monde ? - Hélas oui ! et même je crèverai enragé de
ne pas les dire »3. La lettre à l’amante et à l’amie est un document historique protéiforme. Elle
représente l’écrivain, son oeuvre, son siècle. Elle met en jeu l’individuel et le collectif, le privé et le
public, le subjectif et l’objectif. L’Histoire y est assujettie à une grille de lecture. Elle répond à des
paramètres critiques, une sensibilité, une idéologie, un projet intellectuel. Flaubert est un homme de
1
(186 - DIAZ, J.-L., « Le XIXe siècle devant les Correspondances ». Romantisme - Revue du dix-neuvième siècle, quatrième
trimestre, n°90. Paris : SEDES, 1995. - 136 p. - p. 9)
2
(Ibid., p. 10)
3
(1 - S., 29 septembre 1866, Corr. III, p. 537)
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convictions. Sa chronique épistolaire sur la société nourrit ses réflexions romanesques. La lettre fait le
lien entre esthétique littéraire et questionnement historique, fiction et réalité. « Le sens historique est
tout nouveau dans ce monde. On va se mettre à étudier les idées comme les faits, et à disséquer les
croyances comme des organismes »4 annonce-t-il à Leroyer de Chantepie. Si Flaubert envisage et
pratique une écriture à la charnière de l’Histoire, c’est qu’il se plaît à contempler la barbarie
instinctive et intemporelle des hommes, à retracer la chronologie de leurs mesquineries et la
fréquence de leurs idioties. Animant sa correspondance, ces motifs sont mis en scène dans ses livres.
Idéaliste, il désengage l’Histoire et le roman du moralisme. Il veut exposer le fait sans parti pris ni
émotion : en toute impartialité. Sa réflexion historique corrobore sa vision tragique de la vie : vains
combats, peines perdues, souffrances et humiliations. Grandeurs et décadences du monde antique
l’éloignent du temps honni du Second Empire. A travers elles, il ouvre son imaginaire sur l’épopée.
Cette sympathie pour un âge de vertu et de beauté est à l’origine de La Tentation de Saint
Antoine, Salammbô et Hérodias. Fantasme de l’inconnu oriental, frisson des affrontements
héroïques, elle relève du rêve d’une autre humanité. Ce regard sur le passé interagit avec sa
conception de l’existence. La relation de l’écrivain à l’Histoire repose sur les mêmes motivations que
son rapport à la femme : désir de s’abstraire de sa personnalité, attrait de l’étrangeté, goût des
rapports de force. Lanoux corrobore cette idée :
... la vision de Flaubert sur la femme, qui est la vision de Maupassant, qui est la vision de son
époque, s’intègre à la vision plus générale du monde et de la société. Il ne voit pas la
Révolution de 1848, qui sert de toile de fond à L’Education sentimentale, autrement que
les femmes de L’Education sentimentale. Il ne verra pas la Commune ou l’invasion
allemande différemment non plus. Ce sera toujours lui, Flaubert, enfermé dans sa
personnalité. Il n’atteindra pas l’universel. Cela est aggravé - le mot aggravé ayant un côté
péjoratif -, cela est alourdi, peut-être, par la technique de Flaubert, qui est avant la lettre un
behaviourisme, l’auteur regardant, décrivant ce que font les personnages, et se refusant, dans
la presque totalité des cas, à entrer en eux, en opposition avec tout le reste du roman de
l’époque 5.
La Correspondance met en jeu des représentations de la société française. De la crise
économique (1846-1847) à la naissance de la Troisième République (1871 - 1879), en passant par
la chute de la monarchie de juillet, le départ de Louis-Philippe et l’échec de la démocratie (1848), le
parti de l’ordre au pouvoir (1849 - 1850) et le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte (18511852), l’Empire autoritaire, ses méthodes et ses lois répressives (1852 - 1860), l’Empire libéral
4
(1 - L.d.C, 19 février 1859, Corr. III, pp. 16-17)
(«Débat » In 144 - UNIVERSITE DE PARIS X - INSTITUT DE FRANCAIS, Flaubert, la femme, la ville. Journée d’études
organisée par l’Institut de Français de l’Université de Paris X, (26 novembre 1980). Paris : PUF, 1983. - 173 p. - p. 36)
5
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(1860 - 1870) et la Commune (1871), l’écrivain développe une critique sociale, une analyse
politique et une satire de la religion.
1. La critique sociale
Supposons un homme doué de la faculté d’être affecté à
la manière de la femme, il deviendrait hystérique et
conséquemment impropre à remplir le rôle auquel il est
destiné, celui de la protection et de la force. Un homme,
c’est le renversement des lois constitutives de la société.
(227 - BRIQUET, P., Traité clinique de l’hystérie, Paris : J.-B. Baillière,
1859. - t. 1, p.101)
La société française est le champ d’analyse privilégié de Flaubert. « La Société n’est-elle pas
l’infini tissu de toutes ces petitesses, de ces finasseries, de ces hypocrisies, de ces misères ? »6
interroge-t-il Colet; « Maudit l’homme, maudite la femme, maudit l’enfant »7 conclut-il dans La
tentation de Saint-Antoine (1856). Dans l’épistolaire comme dans l’intertexte littéraire, ces
perspectives sur le corps social problématisent la faillite et la déchéance intemporelles de l’homme.
L’épistolier met souvent en débat cette question avec Sand. Tout comme elle, il ne sait quels
pourraient être les principes à instaurer pour engager la société dans une réforme salutaire. Défaitiste,
il lui confie en décembre 1875 :
Les mots Religion ou Catholicisme d’une part, Progrès; Fraternité, Démocratie de l’autre, ne
répondent plus aux exigences spirituelles du moment. Le dogme tout nouveau de l’Egalité
que prône le Radicalisme, est démenti expérimentalement par la Physiologie et par l’Histoire.
Je ne vois pas le moyen d’établir, aujourd’hui, un Principe nouveau, pas plus que de
respecter les anciens 8.
En haine d’une humanité ne connaissant de progrès que dans le pire, d’un siècle sclérosé dont il ne
peut infléchir la dégradation - et qui, à toute époque de sa vie, condamne son âme et son Oeuvre au
6
(1 - C., 25 juin 1853, Corr. II, p. 363)
(3 - FLAUBERT, G., Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. - Edition augmentée de variantes, de notes d’après les manuscrits,
versions et scénarios de l’auteur et de reproductions en fac-similé de pages d’ébauche et définitives de ses oeuvres. Paris : Louis
Conard, 1910. - 18 vol. -- t. 4, p. 534)
8
(1 - S., Fin décembre 1875, Corr. IV, p. 1001)
7
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chemin de croix - Flaubert dresse dans ses lettres le procès-verbal des vanités et des outrages de
ses contemporains.
La Correspondance convoque l’ensemble de ses antipathies. L’indignité de ses concitoyens,
leur manque d’ambition, leur mépris de l’esthétique lui font constater son inadéquation avec les
aspirations de son époque. Son ennui et son pessimisme nourrissent un sentiment de misère et de
bêtise généralisées. Folie et décrépitude, lâchetés et hypocrisies, intérêts particuliers et corruptions le
détachent du commun. Réseau d’influence religieux et moralisme impérial, ordre de la pensée et
censure des arts paralysent sa socialisation. Individualiste fervent, il envisage la morale comme la
tragédie du dix-neuvième siècle : l’héritage maudit de la Révolution et du jacobinisme. Il assimile la
popularisation de la société à une prostitution, le désengagement de la masse et le refus de l’égalité
sociale à une philosophie. Face à une médiocrité si pandémique qu’elle n’épargne aucune classe
sociale, Flaubert préserve coûte que coûte son intégrité morale. Il attribue à la bourgeoisie les tares
de la mesquinerie et de la calomnie, qu’il s’agisse de la bourgeoisie provinciale - cercle social réduit
se nourrissant de lâcheté - ou parisienne - univers d’idiotie et de prétention diffuses. Ce creuset
social de bassesse naît de la collusion de l’idéalisme bourgeois et des aspirations prolétaires. Aussi
Flaubert rassemble-t-il l’humanité dans son entier sous le terme de Bourgeois. Dans Bouvard et
Pécuchet, il dresse ce bilan : « Bouvard et Pécuchet furent dégoûtés du petit nombre comme du
grand. La plèbe, en somme, valait l’aristocratie »9. La caricature épistolaire et romanesque de la
bêtise du système bourgeois se révèle être la première de ses armes stylistiques et idéologiques.
La bêtise est un gouffre dans lequel l’écrivain se plonge par esprit de vengeance. L’assurance
et la solidité des idées reçues de ses semblables, la confusion de leurs valeurs, le désordre engendré
par leurs principes d’ordre social le convainquent du caractère universel et grandiose du non-sens.
Sa critique épistolaire remet en cause la personnalité même de ses intimes. Il reproche à Colet son
assimilation erronée de la création et de la vie, de l’imagination et de la passion. Le nivellement par le
bas de l’Art, de la science et de la philosophie le laisse amer. Les effets de mode et la chimère de
l’estime public, le mercantilisme intellectuel et la course des plumitifs aux décorations académiques10
le dégoûtent. Il les considère comme de dangereuses idolâtries sociales. Triomphe des croyances et
rabaissement glorifié de la pensée, goût des formules verbeuses et couronnement des salonnards
expliquent le refus public des belles oeuvres : l’ignorance par la masse des splendeurs de MichelAnge, Shakespeare ou Goethe. Flaubert associe le lectorat féminin à ces faux-semblants
9
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues). Paris : Garnier-Flammarion, 1966. - 378 p. - p. 188)
(à l’image de Colet et Du Camp, Béranger et Delavigne, Augier et Lamartine, Dumas et Musset)
10
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intellectuels. Il assure à sa maîtresse : « Pour la pose tout sert, soi, les autres, le soleil, les tombeaux,
etc., on fait du sentiment sur tout, et les pauvres femmes les trois quarts du temps y sont prises »11. Il
voit dans la «journalisation » de la société un des éléments moteurs de cette mystification. Sa
Correspondance et son oeuvre durant, il n’a de mots assez cinglants pour dénoncer l’abêtissement
sournois de la population.
En réaction au «pot-au-feu » populaire, au « bouilli » bourgeois et à la débilité de ses
semblables, le Saint-Polycarpe de Croisset fait de l’épistolaire un instrument de critique sociale de
premier ordre. « BASES de la société. - Id est la propriété, la famille, la religion, le respect des
autorités. En parler avec colère si on les attaque »12 ironise-t-il dans le Dictionnaire des idées
reçues. Temporalité, procédés de caricature et images du Progrès modalisent dans les lettrespamphlets de Flaubert une représentation particulière de l’Histoire, de l’écrivain et de la littérature
sous le Second Empire.
1.1 - Temporalité et analyse
Quant à moi, je jure devant toi que j’aime, que j’aime
encore tout ce que j’ai aimé, et que, quand j’en aimerai
une autre, je t’aimerai toujours. Le coeur dans ses
affections, comme l’humanité dans ses idées, s’étend
sans cesse en cercles plus élargis. - (...) quand je
regarde mes années disparues, j’y retrouve tout. Je n’ai
rien arraché, rien perdu. On m’a quitté, je n’ai rien
délaissé. Successivement j’ai eu des amitiés vivaces qui
se sont dénouées les unes après les autres. - Ils ne (se)
souviennent plus de moi, je me souviens toujours. C’est
la complexion de mon esprit dont l’écorce est dure. J’ai
les nerfs enthousiastes avec le coeur lent; mais peu à peu
la vibration descend et elle reste au fond. (1 - C., 20 mars
1852, Corr. II, p. 58)
Le dialogue historique du passé et du présent nourrit l’écriture de la lettre à l’amante et à
l’amie. Flaubert développe l’idée du retour cyclique des grandes erreurs de l’humanité. A travers
elle, il réfléchit sur les problèmes récurrents de son époque.
L’écrivain explique les dysfonctionnements de la société par les plus vils traits de la nature
humaine. Et tout particulièrement ceux du bourgeois. Il confie à Leroyer de Chantepie :
11
(1 - C., 3 juillet 1852, Corr. II, p. 123)
410
La barbarie du Moyen Âge nous étreint encore par mille préjugés, mille coutumes. La
meilleure société de Paris en est encore à « remuer le sac » qui s’appelle maintenant les
tables tournantes. Parlez du progrès, après cela ! Et ajoutez à nos misères morales les
massacres de la Pologne, la guerre d’Amérique, etc. 13.
Histoire collective ou individuelle, Flaubert projette des sentiments variés sur les paramètres
temporels et intemporels de sa critique sociale. Ses lettres intéressent les motifs de la mélancolie de
ce qui a été, de la stigmatisation de l’actualité et des affres de l’avenir.
Q
L’écrivain porte une attention pré-proustienne à la recherche du temps perdu. Il contemple avec
amertume le décalage entre hier et aujourd’hui.
Ce que vous me dîtes (dans votre dernière lettre) de vos chères petites m’a remué jusqu’au
fond de l’âme ! Pourquoi n’ai-je pas cela ? J’étais né avec toutes les tendresses ! pourtant.
Mais on ne fait pas sa destinée. On la subit ! J’ai été lâche dans ma jeunesse. J’ai eu peur de
la Vie ! Tout se paye14.
écrit-il à Sand. Amour ou amitié, littérature et société, politique et héritages, il réfléchit sur la
disparition des grands enthousiasmes et des périodes fastes.
Dès les prémices de sa relation amoureuse, il manifeste sur le mode lyrique sa contemplation
du passé. Il lui oppose des perspectives de travail et d’isolement. Cette dichotomie induit des choix
stylistiques spécifiques. Le 28 septembre 1846, dans une lettre à Colet, la prolepse de la particule
« voilà » suivie d’une indication temporelle - «l’hiver » - et d’une périphrase verbale exprimant le
futur - « vont venir » - contrastent avec le mouvement de clôture du passé initié par la mise en relief
initiale de la locution adverbiale « adieu ». L’habileté rhétorique consiste à glisser insensiblement de
l’écriture d’un tournant temporel et météorologique à une prise de congé relationnelle. Le travail du
roman est habilement placé comme écran futur de la relation. Le temps de l’amour est
progressivement révolu :
Voilà l’hiver, la pluie tombe, mon feu brûle, voilà la saison des longues heures renfermées.
Vont venir les soirées silencieuses passées à la lueur de la lampe à regarder le bois brûler et à
entendre le vent souffler. Adieu les larges clairs de lune sur les gazons verts et les nuits bleues
toutes mouchetées d’étoiles. Adieu, ma toute chérie, je t’embrasse de toute mon âme 15.
Flaubert porte un regard morbide et amusé sur sa jeunesse et le destin tragique de ses amis. Le 3
novembre 1851, les deux temps de cette observation sont constitués d’une narration rétrospective 12
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues), op. cit., p. 337)
(1 - L.d.C., 23 octobre 1863, Corr. III, p. 353)
14
(1 - S., 28 février 1874, Corr. IV, p. 773)
13
411
« Nous étions, il y a quelques années » - et d’un constat - « C’était beau » qui se voient accentués
par une antithèse - « folie », « suicide », « tués », « morts », « étranglé », « crever » VS «beau ».
Nous étions, il y a quelques années, en province, une pléiade de jeunes drôles qui vivions
dans un étrange monde, je vous assure. Nous tournions entre la folie et le suicide. Il y en a
qui se sont tués; d’autres qui sont morts dans leur lit, un qui s’est étranglé avec sa cravate,
plusieurs qui se sont fait crever de débauche pour chasser l’ennui. - C’était beau16.
écrit-il à la Muse. L’histoire intellectuelle de l’écrivain joue un rôle déterminant dans la
Correspondance. En amont et en aval de l’Oeuvre, elle permet de reconstituer les étapes
formatrices de sa sensibilité, de son écriture et de son référentiel littéraire. La lettre à l’amante
convoque ce passé riche d’images et de rêveries. Dans la lanterne magique de son souvenir, Flaubert
déclare à Colet :
Je viens de relire pour mon roman plusieurs livres d’enfant. Je suis à moitié fou, ce soir, de
tout ce qui a passé aujourd’hui devant mes yeux, depuis de vieux keepsakes jusqu’à des
récits de naufrages et de flibustiers. J’ai retrouvé des vieilles gravures que j’avais coloriées à
sept ou huit ans et que je n’avais (pas) revues depuis. J’ai reéprouvé devant quelques-unes
(un hibernage dans les glaces entre autres) des terreurs que j’avais eues étant petit. Je
voudrais je ne sais quoi pour me distraire; j’ai presque peur de me coucher. Il y a une
histoire de matelots hollandais dans la mer glaciale, avec des ours qui les assaillent dans leur
cabane (cette image m’empêchait de dormir autrefois), et des pirates chinois qui pillent un
temple à idoles d’or. Mes voyages, mes souvenirs d’enfant, tout se colore l’un l’autre, se met
bout à bout, danse avec de prodigieux flamboiements et monte en spirale 17.
Du passé biographique à celui de l’humanité, l’épistolier tisse un lien en interpénétrant les données de
la personnalité, de l’idéologie et du patrimoine intellectuel. Grande est l’influence des auteurs de
l’antiquité gréco-latine sur sa pensée féministe18. Cette nostalgie du passé fondateur de la pensée
occidentale est partie prenante de son désaveu du Second Empire. Il réprouve les préoccupations
vulgaires de ses contemporains - et soumet à la Muse cette question oratoire : « N’était-on pas plus
libre et plus intelligent du temps de Périclès que du temps de Napoléon III ? »19. Cette bipolarité des
jugements sur l’antiquité et la modernité structure la Correspondance. Au coeur de la guerre francoprussienne, Flaubert prédit la mort de la civilisation. « Ah ! comme je suis triste ! Je sens que le
monde latin agonise. Tout ce qui fut nous s’en va »20 explique-t-il à Sand.
15
(1 - C., 28 septembre 1846, Corr. I, p. 367)
(1 - C., 3 novembre 1851, Corr. II, p. 15)
17
(1 - C., 3 mars 1852, Corr. IV, p. 55)
18
(1 - C., 27 mars 1853, Corr. II, pp. 284-285)
19
(1 - C., 22 avril 1854, Corr. II, p. 557)
20
(1 - S., 11 octobre 1870, Corr. IV, p. 246)
16
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De l’introspection à l’« extraspection », de la critique personnelle à la critique sociale,
Flaubert exploite toutes les variables d’une réflexion sur l’Histoire universelle. Il nourrit son analyse
épistolaire de coordonnées temporelles et subjectives afin de lui conférer légitimité et profondeur.
Ainsi la lettre interroge-t-elle son rapport problématique à l’actualité.
Q
Le présent flaubertien est synonyme de désaveux et de réactions hostiles. L’écrivain exprime
par le verbe son insatisfaction de lui-même et de la vie. De la critique de détail à celle d’ensemble,
sa colère n’épargne rien ni personne. Ce portrait-charge prend de multiples visages : contingences
quotidiennes et guerre de 1870, paralysie créative et corruption de l’homme, rejet de la femme et
bêtise bourgeoise.
L’épistolier maudit le caractère répétitif des tâches quotidiennes. Ses préoccupations
esthétiques sont au-dessus du commun. Il qualifie d’« imbécile » le facteur dés lors que l’attente
d’une lettre de Colet lui met les nerfs à vif : « J’ai attendu ce matin le facteur une grande heure sur le
quai. Il était aujourd’hui en retard. Que cet imbécile-là, avec son collet rouge, a sans le savoir fait
battre de coeurs ! Merci de ta bonne lettre »21. Au dix-neuvième siècle, la distribution postale était
d’une grande rapidité. Entre Paris et la Normandie, l’ouverture de la ligne de chemin de fer ParisRouen avait dynamisé les échanges épistolaires. 36 heures à peine séparaient le plus souvent le
départ d’un courrier de sa réception - et vice-versa. Ce qui explique les vifs échanges de l’écrivain
avec sa maîtresse - et ses mouvements d’humeur quand un retard diffère le contact. La caricature
d’un réel ne répondant pas à ses attentes transfigure ces moments vécus en événements dramatiques.
A l’autre extrémité temporelle de la Correspondance, l’expérience de la guerre transforme
l’épistolaire en espace de désenchantement et de rejet. Entre la déclaration de guerre en juillet et la
bataille de Sedan en septembre, l’été de 1870 est celui de toutes les négations. Le 17 août, le
présent de la déception - « ce qui me désole » - ouvre l’imaginaire de Flaubert sur un désir de mort :
« Ce qui me désole dans cette guerre, c’est que les Prussiens ont raison ! à leur tour ! puis à celui
des Russes ! Ah ! que je voudrais être crevé pour ne plus penser à tout cela ! »22.
L’épreuve de la barbarie contemporaine ne favorise pas la créativité. Au « Chère Maître »,
l’épistolier déclare : « Il m’est impossible de lire n’importe quoi, à plus forte raison d’écrire. Je passe
mon temps comme tout le monde à attendre des nouvelles »23. Il souligne combien le dégoût du
21
(1 - C., 8-9 août 1846, Corr. I, p. 280)
(1 - S., 17 août 1870, Corr. IV, p. 222)
23
(Ibid.)
22
413
présent porte préjudice au futur de l’oeuvre. Le bouleversement franco-prussien confirme son
sentiment de la corruption irrémédiable de l’homme. Son admiration de l’antiquité creuse l’abîme de
l’actualité. « Il faut s’habituer à ce qui est l’état naturel de l’homme, c’est-à-dire au mal. Les Grecs
du temps de Périclès faisaient de l’art sans savoir s’ils avaient de quoi manger le lendemain. Soyons Grecs ! »24 préconise-t-il à Sand. Et les atteintes de ce présent délabré ne sont pas sans
menacer son équilibre physique et mental.
L’épistolaire traduit les limites de l’écrivain par la réunion syntaxique de tournures négatives,
d’expressions idiomatiques de crainte avec « avoir » , en combinaison avec les champs lexicaux de
l’aliénation et de l’impuissance. Flaubert rapporte à Sand son désir de mettre fin à la vie de sa mère responsable de son existence, de ses maux et de son rapport présent à la guerre25. En 1875, accablé
par sa ruine, il ne vit plus que d’activités triviales. Le 3 octobre, le degré zéro de son intérêt pour le
présent est atteint dans le mouvement ternaire de l’alimentation, de l’écoute et de la critique des «
bourgeois du pays »26.
Les théories relationnelles de Buber entrent en résonance avec les particularités de cette
sociabilité épistolaire. Chez le philosophe comme chez l’écrivain, le regard sur soi se construit dans le
rapport critique à l’autre, et le temps privilégié de cette analyse intersubjective est le présent :
Le présent, non pas l’instant ponctuel qui ne désigne jamais que le terme mis par la pensée
au « temps écoulé », l’apparence d’un arrêt dans cet écoulement, mais l’instant véritablement
et pleinement présent, n’existe que s’il y a présence, rencontre, relation. La présence naît
seulement du fait que le Tu devient présent27.
Ce présent de l’amour et de l’amitié fonde la prise de conscience historique et existentielle de
Flaubert. Aussi l’avenir le terrifie-t-il.
Q
En regard de ses problèmes personnels et des bouleversements de la société, les craintes se
bousculent dans l’esprit de l’écrivain. Elles motivent ses projections dans un avenir improbable intéressant les motifs de la génération, de l’idéologie, de l’avènement d’un monde nouveau, de la
guerre et de la misère.
24
(1 - S., 7 septembre 1870, Corr. IV, p. 231)
(1 - S., 10 septembre 1870, Corr. IV, p. 234)
26
(1 - S., 3 octobre 1875, Corr. IV, p. 971)
27
(307 - BUBER, M., Je et Tu. Traduction française de Jean LOEWENSON-LAVI. Paris : Aubier, 1962. - p. 26)
25
414
Son interrogation sur l’idée de génération répond d’un premier constat : le refus de se
réaliser au futur à travers un enfant. Le 13 septembre 1846, la situation menstruelle de Colet le laisse
dans l’expectative :
Avant de t’exposer à ce voyage il faut savoir à quoi s’en tenir, n’est-ce pas ? et si tu ne
tentes pas ce que je te conseille (un remède pour faire venir les Anglais) comment seras-tu
jamais certaine de la cause de leur absence ? Il arrive assez souvent qu’une cause morale
suffit à les retenir, une émotion, n’importe quoi 28.
« Faire venir les Anglais » consiste à retrouver l’apaisement de sa vie monadique. L’hostilité à la
paternité est liée à sa haine de l’être humain. Il exprime à la Muse son désintérêt pour son époque :
« Je suis fâché de ne pas savoir ce qui se passera dans deux cents ans. Mais je ne voudrais pas
naître maintenant et être élevé dans une si fétide époque »29. L’horreur du présent se révèle partie
prenante d’une crainte mêlée de curiosité à l’égard du futur.
La fétidité de l’avenir est une ligne de force de la prospective épistolaire de Flaubert. Ce
négativisme actif entache le devenir de Madame Bovary. « Nul lyrisme, pas de réflexions,
personnalité de l’auteur absente. Ce sera triste à lire; il y aura des choses atroces de misères et de
fétidité »30 fait remarquer l’écrivain à Colet. Des réflexions morales sur le fanatisme entérinent cette
représentation catastrophiste du futur. Flaubert relate à Leroyer de Chantepie combien « tout
doucement, la lutte va venir en Europe. Dans cent ans d’ici, elle ne contiendra plus que deux
peuples, les catholiques d’un côté et les philosophes de l’autre »31. De sa croyance dans la
corruption inévitable des idéologies, il tire la conclusion qu’un nouvel âge social va s’instaurer.
« Quoi qu’il advienne, un autre monde va commencer. Or je me sens bien vieux pour me plier à des
moeurs nouvelles »32 rapporte-t-il à Sand. Ce pressentiment de la construction d’une société
nouvelle prend sa source dans une analyse des avatars de la guerre et de la misère.
Flaubert est ravagé par l’actualité dramatique du conflit de 1870. Ses lettres au «Chère
Maître » en gardent l’empreinte. Il se perd fréquemment en conjectures en recourant à la tournure
verbale Aller + verbe d’action. Il s’interroge sur l’action des Prussiens dans la capitale : « pour
forcer Paris à céder, on va : 1° l’effrayer par l’apparition des canons, et 2° ravager les provinces
environnantes ? »33. La temporalité de ces hypothèses guerrières se voit accentuée par la sériation
numérale - « 1°... 2° ». Ce procédé est récurrent dans les dernières années de la Correspondance;
28
(1 - C. , 13 septembre 1846, Corr. I, p. 337)
(1 - C., 1er-2 octobre 1852, Corr. II, p. 170)
30
(1 - C., 31 janvier 1852, Corr. II, p. 40)
31
(1 - L.d.C, 4 septembre 1858, Corr. II, p. 832)
32
(1 - S., 7 septembre 1870, Corr. IV, p. 232)
29
415
- un peu comme si l’écrivain, écrasé par le nombre des événements tragiques bouleversant sa vie,
ressentait le besoin de s’en affranchir sous forme de liste le temps d’une lettre à l’âme soeur. La
répétition des jours insupportables ouvre l’épistolaire sur l’angoisse permanente du lendemain. C’est
dans cette linéarité de l’abomination (présent Ö futur) que se déploie la dynamique temporelle de la
critique sociale. « J’ai eu aujourd’hui à ma porte 271 pauvres, et on leur a donné à tous ! Que serace cet hiver ? ( ...) Paris finira par être affamé; et on ne lui porte aucun secours ! »34 déclare-t-il.
Après la défaite du siège de Paris, à l’heure du pain noir et de la petite vérole, les victimes de la
misère sont nombreuses. Flaubert déplore la paupérisation grandissante du peuple. Il auréole l’avenir
politique d’un cercle sanguinaire :
Si nous prenons notre revanche, elle sera ultra-féroce, et notez qu’on ne va penser qu’à cela,
à se venger de l’Allemagne ! Le gouvernement, quel qu’il soit, ne pourra se maintenir qu’en
spéculant sur cette passion. Le meurtre en grand va être le but de tous nos efforts, l’idéal de
la France !35
« Je suis persuadé que nous semblerons à la postérité extrêmement bêtes. Les mots République et
Monarchie la feront rire »36 poursuit-il.
D’un difficile rapport à la mère à la perception dégradée de ses contemporains et des générations
futures, l’écrivain exprime dans l’épistolaire sa peur viscérale de la vie. Il abat les idéologies, les
limites de la pensée et des réalisations humaines.
Mise en relation d’admirations passéistes, de réalités souffrantes et de projections
angoissées, les lettres à Colet, Leroyer de Chantepie et Sand témoignent de l’interpénétration du
passé, du présent et du futur dans l’analyse d’une histoire personnelle ou collective. Les affections de
l’écrivain se nourrissent de la perception singulière de ces données temporelles. Son accusation de
l’être humain se teinte des nuances lexicales de la nostalgie, du dégoût et de la crainte.
33
(1 - S., 10 septembre 1870, Corr. IV, p. 233)
(1 - S., 11 octobre 1870, Corr. IV, p. 246)
35
(1 - S., 11 mars 1871, Corr. IV, p. 288)
36
(1 - S., 8 septembre 1871, Corr. IV, p. 376)
34
416
1.2 - Caricature et polémique
J’ai passé hier une grande heure à regarder se baigner
les dames. Quel tableau ! Quel hideux tableau ! Jadis,
on se baignait ici sans distinction de sexes. Mais
maintenant il y a des séparations, des poteaux, des filets
pour empêcher, un inspecteur en livrée (quelle atroce
chose que le grotesque !). (...) Il faut que le genre
humain soit devenu complètement imbécile pour perdre
jusqu’à ce point toute notion d’élégance. Rien n’est plus
pitoyable que ces sacs où les femmes se fourrent le
corps, que ces serre-tête en toile cirée ! Quelles mines !
quelles démarches ! Et les pieds ! rouges, maigres, avec
des oignons, des durillons, déformés par la bottine, longs
comme des navettes ou larges comme des battoirs. Et
417
au milieu de tout cela des moutards à humeurs froides,
pleurant, criant. Plus loin, des grand-mamans tricotant et
des môsieurs à lunette d’or, lisant le journal et de temps
à autre, entre deux lignes, savourant l’immensité avec un
air d’approbation. Cela m’a donné envie tout le soir de
m’enfuir de l’Europe et d’aller vivre aux îles Sandwich
ou dans les forêts du Brésil. Là, du moins, les plages ne
sont pas souillées par des pieds si mal faits, par des
individualités aussi fétides. (1 - C., 14 août 1853, Corr. II, p. 391)
Le grossissement des traits descriptifs est à la base de la caricature de l’homme
contemporain mise en oeuvre par Flaubert. Cette disposition d’esprit et ce procédé stylistique
interrogent la totalité des domaines et des sujets du corps social. Hyperbolique, le lexique épistolaire
est mûrement réfléchi. Discrètes marques de mépris ou éclatantes connotations péjoratives, termes
disqualifiants ou animalisations, les lettres à l’amante et à l’amie dressent un procès-verbal de
l’humanité.
Par ses désaveux, Flaubert met en accusation les dogmes idéologiques de son siècle :
peuple, mariage, paternité, filiation, fraternité, monothéisme, femme, prolétariat, industrie. Il s’inscrit
en faux contre ces idéaux publics et demeure attaché à l’idée d’une élite
intellectuelle et
gouvernante. A Leroyer de Chantepie, il assure : « Ce qu’il y a de considérable dans l’histoire, c’est
un petit troupeau d’hommes (trois ou quatre cents par siècle, peut-être) et qui depuis Platon jusqu’à
nos jours n’a pas varié; ce sont ceux-là qui ont tout fait et qui sont la conscience du monde »37.
L’emploi du substantif «troupeau » jalonne la Correspondance. Il désigne l’humanité dans son
entier, tantôt l’élite, tantôt la plèbe. A travers lui, l’épistolier formule à Sand son regret d’une
aristocratie de l’esprit :
L’humanité n’offre rien de nouveau. Son irrémédiable misère m’a empli d’amertume, dès ma
jeunesse. Aussi, maintenant, n’ai-je aucune désillusion. Je crois que la foule, le nombre, le
troupeau sera toujours haïssable. Tant qu’on ne s’inclinera pas devant les Mandarins, tant
que l’Académie des sciences ne sera pas le remplaçant du pape, la Politique tout entière, et
la Société jusque dans ses racines, ne sera qu’un ramassis de blagues écoeurantes38.
Il s’insurge contre l’égalité sociale. Historiquement, le peuple lui apparaît comme une entrave au
progrès de l’esprit. « ... quant à l’humanité, on n’a qu’à lire l’histoire pour voir assez clairement
qu’elle ne marche pas toujours comme elle le désirerait »39 écrit-il à Colet.
37
(1 - L.d.C., 16 janvier 1866, Corr. III, p. 479)
(1 - S., 8 septembre 1871, Corr. IV, p. 376)
39
(1 - C., 18 septembre 1846, Corr. I,, p. 349)
38
418
L’image du « troupeau » entre en résonance avec l’animalité des actions humaines. L’épistolier est
dépité par les basses aspirations de ses contemporains. Aussi les dépeint-il comme des fauves ou
des moutons. Il mobilise à cette fin les occurrences verbales « dévore » et « bée » :
Je trouve que l’homme, maintenant est plus fanatique que jamais. Mais de lui. Il ne chante
autre chose, et dans cette pensée qui saute par-delà les soleils, dévore l’espace et bée après
l’infini, comme dirait Montaigne, il ne trouve rien de plus grand que cette misère même de la
vie, dont elle tâche sans cesse de se dégager40.
L’écrivain a le sentiment d’être assiégé par la médiocrité. Egaré dans un monde dont les motivations
lui échappent, il transforme l’épistolaire en métaphore de sa détresse sociale. « Mais où se réfugier,
mon Dieu ! où trouver un homme ? Fierté de soi, conviction de son oeuvre, admiration du beau, tout
est donc perdu ? La fange universelle où l’on nage jusqu’à la bouche, emplit donc toutes les poitrines
? »41 s’interroge-t-il. Le terme de «fange » stigmatise la bassesse et l’abjection humaines. Cette
image de la boue participe d’un répertoire fécal et sadique-anal souvent mobilisé à des fins
descriptives. Le 27 février 1853, l’antithèse entre idéal et bêtise est anatomiquement liée à
l’opposition entre « tête » et « cul » :
Le génie, comme un fort cheval, traîne à son cul l’humanité sur les routes de l’idée. Elle a
beau tirer les rênes, et par sa bêtise, lui faire saigner les dents, en hocquesonnant tant qu’elle
peut, le mors dans sa bouche, l’autre, qui a les jarrets robustes, continue toujours au grand
galop, par les précipices et les vertiges42.
Cette animalisation de l’humanité est une caractéristique dominante de la stylistique satirique de
l’épistolier. Elle est cooccurrente à une image d’ingestion ou d’excrétion exprimant les atteintes des
contingences sociales. « Je suis gorgé de l’humanité en général, et des gens de lettres en particulier,
comme si j’avais avalé cent livres de suif »43 confie-t-il à sa maîtresse. Cette humanité « autolâtre » et
« stupide »44 glisse parfois du registre des ruminants à celui des parasites. Son activité fébrile est
comparée au grouillement d’une « sale poignées de morpions sur une vaste motte »45. Marquant un
degré supplémentaire dans la transfiguration, Flaubert achève en 1875 sa caricature sociale par une
phrase de Littré où l’être humain est extrêmement infériorisé. « Ah ! mon ami, l’Homme est un
composé instable, et la terre une planète bien inférieure » »46 écrit-il à Sand.
40
(1 - C., 15-16 mai 1852, Corr. II, p. 90)
(1 - C., 29 mai 1852, Corr. II, p. 94)
42
(1 - C., 27 février 1853, Corr. II, p. 252)
43
(1 - C., 30 avril 1853, Corr. II, p. 320)
44
(1 - C., 26 mai 1853, Corr. II, p. 333)
45
(1 - C., 25 juin 1853, Corr. II, p. 363)
46
(1 - S., Fin décembre 1875, Corr. IV, p. 1001)
41
419
Le rapport à ce corps social dégradé et animal nourrit les désirs de fuite de l’écrivain. Autrui
n’est jamais envisagé que comme une bête nuisible. Flaubert porte au coeur la grandeur des races et
des noblesses disparues. Il a en horreur les paysans, le peuple - rempli de « haine sourde (...) quoi
qu’on fasse pour eux » précise-t-il à Sand 47
-
et le bourgeois. Aussi décrit-il avec virulence les
moeurs de ces masses inertes, manipulées par le pouvoir - mondes de jalousies, de mépris, de «
venette »48. L’écrivain reste attaché à l’idée qu’il se fait de l’humanité, non à la réalité sociale du
Second Empire. Dans leur Journal, les Goncourt réfléchissent sur ce goût de la contradiction se
manifestant jusque dans ses relations féminines :
Sur l’amour, dont il cause souvent, il a toutes sortes de thèses alambiquées, raffinées, des
thèses de parade et de pose. Au fond de l’homme, il y a beaucoup du rhéteur et du sophiste.
Il est à la fois grossier et précieux dans l’obscénité. Sur l’excitation que lui donnent les
femmes, il établira mille subdivisions, disant de celle-ci qu’elle lui donne seulement envie de
lui embrasser les sourcils; de celle-là, de lui baiser la main; d’une autre, lui lisser ses
bandeaux; mettant du compliqué et du recherché, de la mise en scène et de l’arrangement
d’homme fort dans ces choses si simples - par exemple en nous contant sa baisade avec
Colet, ébauchée dans une reconduite en fiacre, se peignant comme jouant avec elle un rôle
de dégoûté de la vie, de ténébreux, de nostalgique du suicide, qui l’amusait tant à jouer et le
déridait tant au fond qu’il mettait le nez à la portière, de temps en temps, pour rire à son
aise49.
Elégance de la marginalité, culture de la singularité, esthétique de l’outrance, ces « mille
subdivisions » d’autrui, ce « rôle de dégoûté de la vie » justifient une caricature du corps social. Ainsi
Flaubert a-t-il recours pour représenter l’humanité à des désignations dépréciatives et à un
vocabulaire du non-sens.
V
L’encre est un bain d’acide dans lequel l’écrivain trempe la société. Son écriture est
corrosive. La dégradation de l’homme moderne est un de ses principaux sujets de réjouissance. «
Quelle admirable invention du Diable que les rapports sociaux ! »50 remarque-t-il dans une lettre à
Colet. Autour de cette exclamation préfigurant la formule sartienne - « L’enfer, c’est les autres »,
Flaubert a recours à la figure de « Pignouf » et à ses dérivés pour faire le grotesque portrait de
l’humanité.
47
(8 - FLAUBERT, G., Oeuvres complètes. - Edition nouvelle établie d’après les manuscrits inédits de Flaubert par la Société des
Etudes littéraires françaises contenant les scénarios et plans des divers romans, la collection complète des Carnets, les notes et
documents de Flaubert avec des notices historiques et critiques, et illustrée d’images contemporaines). Paris : Club de l’Honnête
Homme, 1971-1975. - 16 vol. - 615 pp. Lettre à Sand, 18 février 1876. - t.15, p. 437)
48
(Ibid., Lettre à Sand, 10 mars 1876. - t.15, p. 444)
49
(1 - Appendice II, Extraits du Journal des Goncourt, 6 décembre 1862, Corr. III, p. 881)
50
(1 - C., 22 juillet 1852, Corr. II, p. 138)
420
« Pignouf » est à la satire épistolaire ce que les déclamations amicales du « Garçon » sont
aux dîners Magny. Magnifiant l’ensemble des ridicules du genre humain, le « Pignouf » et le
« garçon » préfigurent l’Ubu de Jarry : une bêtise outrancière, personnifiée par vengeance. Dès son
plus jeune âge, l’écrivain affectionne les représentations dérisoires du pouvoir. Agé de 14 ans, il écrit
dans Chevrin et le roi de Prusse ou l’on prend souvent la tête d’un roi pour celle d’un âne :
Le roi (...) trépignait d’indignation, était rouge de colère et enfin, n’en pouvant plus, il se jette
sur le portrait, le regarde et dit ensuite : - Je prenais mon portrait pour celui d’un âne. Or on
convient qu’il n’y a pas grande différence entre la tête d’un roi et celle d’un âne, puisque le
possesseur s’y méprend 51.
« Pignouf » s’impose comme la synthèse d’une idiotie et d’une vulgarité dont Flaubert a très tôt pris
conscience. Figure de la Correspondance, « Pignouf » a une histoire et des enjeux.
« Pignouf » voit sa présence affirmée dans les années inquiètes précédant et suivant les
événements de 1870. Il matérialise la déception de l’épistolier en regard d’acteurs sociaux dont il ne
comprend pas les agissements. « Le czar de Russie m’a profondément déplu. Je l’ai trouvé
pignouf »52 stipule-t-il à Sand. Flaubert fait part à sa vieille amie de sa perception aiguë du comique
de la vie. Il transforme « Pignouf » en polichinelle épistolaire et en souffre-douleur d’une critique
sociale exacerbée. « ... il y a tant de Pignoufs ! (...) C’est un produit du XIXe siècle que « pignouf »,
nous arrivons même à Pignouflard, qui est son fils, et à Pignouflarde, qui est sa bru »53 précise-t-il.
De « Pignouf » à sa descendance, la caricature de Flaubert a en commun avec celle de Daumier
l’horreur d’une époque et d’un peuple. Entre la déclaration de guerre en juillet et la bataille de Sedan
en septembre, l’été de 1870 est pour l’écrivain celui de toutes les indignations.
Ses déconvenues sont immenses à la lumière des dérives du Suffrage universel. Il prédit le triomphe
de « Pignouf » dans les plus hautes sphères de la politique française : « Voilà où nous a conduits le
Suffrage universel, Dieu nouveau que je trouve aussi bête que l’ancien ! N’importe ! Vous croyez
qu’il en sera démonté, le bon Suffrage universel ? pas du tout ! Après Isidore nous aurons Pignouf
1er ! »54. Il n’est de domaine de la vie sociale qui ne soit placé sous cette férule. Terrible et
menaçante, l’ombre de ce pantin se projette jusque sur le monde littéraire. Les lectures de l’écrivain
drainent un nombre infini de dénominations péjoratives. Expression ultime, « Pignouf » est adjectivé
pour rendre compte de l’outrageante idiotie de certains plumitifs : « J’ai lu, cette semaine, L’illustre
51
(19 - FLAUBERT, G., Premières oeuvres (Journal d’écolier - Opuscules historiques - Oeuvres diverses). Paris : Eugène Fasquelle,
1925. - 2 vol., 413 p. - p. 18)
52
(1 - S., 12 juin 1867, Corr. III, p. 653)
53
(1 - S., 14 janvier 1869, Corr. IV, p. 9)
54
(1 - S., 17 août 1870, Corr. IV, p. 222)
421
Docteur Mathéus d’Erckmann-Chatrian. Est-ce assez pignouf ! » . Flaubert élève cette figure de
55
l’absurde au rang d’une idéologie de masse. « Pignouf » est père et médium des plus pitoyables
convenances sociales. Substantivé, l’épistolier lui adjoint le suffixe scientifique « - isme » pour
dénoncer à Sand le parrainage d’un enfant : « Il
a fallu en passer par là, sous peine de
pignouflisme »56. Discipline sociale, le « pignouflisme » se situe au centre de son idéologie littéraire.
Planifiant un discours de Pécuchet, Flaubert esquisse la fin effroyable de l’humanité : « Pignouflisme
universel. Tout ne sera plus qu’une vaste ribote d’ouvriers »57. Le 27 novembre 1870, le
« pignouflisme » sévit à nouveau dans une lettre à Sand.
Mais si nous étions vainqueurs ? me direz-vous. Cette hypothèse-là est contraire à tous les
précédents de l’histoire. Où avez-vous vu le Midi battre le Nord, et les catholiques dominer
les protestants ? La race latine agonise. La France va suivre l’Espagne et l’Italie. - Et le
pignouflisme commence !58
s’exclame l’écrivain.
« Pignouf » est un nom propre imposé à la société à la manière des noms dépréciatifs parfois
attribués aux animaux - un nom réifiant et infériorisant représentant la raison (et la dé-raison) sociale
des commerces humains. Substantivé ou adjectif, il désigne une qualité nulle, un caractère et une
allure de fantoche. Tout l’art de la caricature de Flaubert est de réussir à disqualifier chaque strate
sociologique, chaque secteur de l’humanité, en qualifiant leurs absences au moyen d’une figure vide,
et d’un concept ouvert sur les arcanes du rien. Ce trait stylistique et sémantique explique la
prédominance épistolaire d’un lexique de l’absurdité.
Q
L’esprit critique de l’écrivain est indissociable de son sens du comique. « Le grotesque triste
a pour moi un charme inouï. Il correspond aux besoins intimes de ma nature bouffonnement amère. Il
ne me fait pas rire mais rêver longuement »59 confie-t-il à la Muse. Ce regard sur l’existence est à
l’origine d’une écriture de la bêtise.
Flaubert démasque la vanité individuelle et collective. Ce grotesque est une variable intérieure
du rire. A distance de l’observation amusée, il véhicule un constat alarmant sur le caractère
pathétique de la vie. Renversant les idées reçues et les expressions convenues, les sentiments et les
croyances, l’épistolier fait de l’ironie le premier de ses instruments critiques. Il n’est de faits ou de
55
(1 - S., 4 décembre 1872, Corr. IV, p. 620)
(1 - S., 7 février 1873, Corr. IV, p. 767)
57
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues). Paris : Garnier-Flammarion, 1966. - 378 p. - p. 330)
58
(1 - S, 27 novembre 1870, Corr. IV, p. 264)
56
422
personnes qui ne soient ses cibles. Flaubert ne voit dans le corps qu’animalité, pourriture progressive
et promesse d’engrais. Il aime le rire pour ce qu’il représente de compréhension supérieure de la vie
et de hauteur de vue par rapport au vulgaire. Ce rire, c’est l’autre visage des pleurs. Bouvard et
Pécuchet en sont les deux figures emblématiques.
Cette gaieté mélancolique est à géométrie variable. Elle crible dans un même élan prétentions
idéologiques - théories sociales ou philosophie positive - et ambitions matérialistes, aberrations de la
Commune et mensonges politiques, illusions amoureuses et scientifiques, bons mots de Homais et
lamenti de Colet. D’une conception de l’ineptie universelle à la caricature de la bourgeoisie, ce
champ thématique interroge la personnalité de l’écrivain, autrui et le monde. La Correspondance est
un bassin sémantique communiquant avec celui de l’Oeuvre. L’écriture épistolaire de la bêtise est
intimement liée à l’écriture littéraire des insanités sociales. L’idée même de la préface du
Dictionnaire des idées reçues s’enracine selon Y. Leclerc dans les lettres à l’amante :
La relation renouée avec Colet, contemporaine du travail sur Madame Bovary, donne au
projet de préface un tour à la fois personnel et passionnel. Flaubert se sent des «prurits
atroces d’engueuler les humains », la préface l’« excite fort », le « tourmente », « la main (le)
démange d’écrire cette préface des Idées reçues ». Telle qu’il en parle pour la première fois
à Louise dans la fameuse longue lettre de décembre 1852, la préface conserve son
indétermination : apologie de la bêtise, de la démocratie, exaltation du bas, etc.60.
Ce prodrome du Dictionnaire contient des indices éclairants sur la nature de la caricature
flaubertienne. L’épistolier précise à sa maîtresse :
J’ai quelquefois des prurits atroces d’engueuler les humains et je le ferai à quelque jour, dans
dix ans d’ici, dans quelque long roman à large cadre; en attendant, une vieille idée m’est
revenue, à savoir celle de mon Dictionnaire des idées reçues (Sais-tu ce que c’est ?). La
préface surtout m’excite fort, et de la manière dont je la conçois (ce serait tout un livre),
aucune loi ne pourrait me mordre quoique j’y attaquerais tout. Ce serait la glorification
historique de tout ce qu’on approuve. J’y démontrerais que les majorités ont toujours eu
raison, les minorités toujours tort. J’immolerais les grands hommes à tous les imbéciles, les
martyrs à tous les bourreaux, et cela dans un style poussé à outrance, à fusées. Ainsi, pour la
littérature, j’établirais, ce qui serait facile, que le médiocre, étant à la portée de tous, est le
seul légitime et qu’il faut donc honnir toute espèce d’originalité comme dangereuse, sotte,
etc. Cette apologie de la canaillerie humaine sur toutes ses faces, ironique et hurlante d’un
bout à l’autre, pleine de citations, de preuves (qui prouveraient le contraire) et de textes
effrayants (ce serait facile), est dans le but, dirais-je, d’en finir une fois pour toutes avec les
excentricités, quelles qu’elles soient. Je rentrerais par là dans l’idée démocratique moderne
d’égalité, dans le mot de Fourier que les grands hommes deviendront inutiles; et c’est dans
ce but, dirais-je, que ce livre est fait 61.
59
(1 - C., 21-22 août 1846, Corr. I, p. 307)
(125 - LECLERC, Y., La Spirale et le Monument - Essai sur BOUVARD ET PECUCHET de G. Flaubert, Paris : SEDES, 1988. 189 p. - p. 13)
61
(1 - C., 16 décembre 1852, Corr. II, p. 208)
60
423
Critique exacerbée de l’être humain, sarcasme vengeur, stigmatisation des principes directeurs de la
société, les lettres à Colet, Leroyer de Chantepie et Sand sont tout cela en amont et en aval des
satires littéraires. Métaphore de la boue, imagerie universaliste, avatars de la bêtise sont quelquesuns des procédés stylistiques présidant à l’expression de ce désaveu.
La fange est une substance organique, salissante et sombre. Figurative, elle dénote l’impureté
et la bassesse. Mystique, elle renseigne le caractère misérable de la notion ou de l’objet auxquels elle
se rapporte. Flaubert lui attribue ces acceptions lorsqu’il la rapproche à des fins expressives de la
situation historique de la France. En regard des dérives de l’autoritarisme impérial, il écrit à Colet :
« Dans quelle fange morale ! dans quel abîme de bêtise l’époque patauge ! »62. Cette désillusion
s’accroît avec le temps. Son point de vue sur les embarras de la Troisième République souligne une
réalité bourbeuse. Il exprime à Sand ses déconvenues dans la capitale : « Il faut être ici, à Paris,
pour avoir une idée de l’abaissement universel, de la sottise, du gâtisme où nous pataugeons »63.
L’image de ce marécage social est filée ici et là. Elle inventorie tous les ridicules politiques. Le 29
septembre 1866, l’écrivain interroge Sand et, ce faisant, exprime ses convictions :
Ne trouvez-vous pas, au fond, que, depuis 89, on bat la breloque ? Au lieu de continuer par
la grande route, qui était large et belle comme une voie triomphale, on s’est enfui par les
petits chemins, et on patauge dans les fondrières, il serait peut-être sage de revenir
momentanément à d’Holbach ? Avant d’admirer Proudhon, si on connaissait Turgot ? mais
le CHIC, cette religion moderne, que deviendrait-elle ? Opinions chic (ou chiques) : être
pour le catholicisme (sans en croire un mot), être pour l’esclavage, être pour la maison
d’Autriche, porter le deuil de la reine Amélie, admirer Orphée aux Enfers, s’occuper de
comices agricoles, parler sport, se montrer froid, être idiot jusqu’à regretter les traités de
1815. Cela est tout ce qu’il y a de plus neuf64.
Du terrain instable de l’idéologie moderne au jeu de mots dévalorisant - et toujours lié au motif de la
métaphorisation parasitaire (la chique étant le nom vulgaire de la puce pénétrante), la caricature
sociale de Flaubert glisse souvent vers la caractérisation universaliste de la bêtise. La comparaison
multi-ethnique permet d’ouvrir l’absurdité humaine sur l’infini. L’épistolier annonce à la Muse : «Il
me semble que l’idiotisme de l’humanité arrive à son paroxysme. Le genre humain, comme un tériaki
saoul d’opium, hoche la tête en ricanant, et se frappe le ventre, les yeux fixés par terre »65. Dans les
lettres à Sand, Flaubert a toujours recours à ce procédé satirique digne du Micromégas de Voltaire
et des Lettres Persanes de Montesquieu. Il s’ingénie à comparer l’idiotie supérieure de la Droite de
62
(1 - C., 20 avril 1853, Corr. II, p. 310)
(1 - S., 2 décembre 1874, Corr. IV, p. 894)
64
(1 - S., 29 septembre 1866, Corr. III, p. 537)
63
424
l’Assemblée nationale à la barbarie anthropophage des Botocudos - tribu indienne du Brésil . Cette
66
convocation d’un imaginaire exotique contribue à faire de lui un ethnologue curieux des singularités
de ses « dissemblables ».
« « Histoire de l’esprit humain, histoire de la sottise humaine », comme dit M. de
Voltaire » »67 remarque l’écrivain. Par cette filiation littéraire, Flaubert inaugure le déchaînement
satirique caractérisant les dernières années de sa correspondance avec Sand. Il attribue à ses
contemporains - Napoléon III y compris - des termes extrêmement péjoratifs. « bêtise », « lâcheté »,
« ignorance », « présomption »68 sont convoqués; « bêtise » et « âne »69
sont soulignés
adverbialement. Il déprécie l’époque dans son entier : « faux réalisme », « fausse armée », « faux
crédit », « fausses catins »70. Rongée de querelles intestines, la population n’échappe pas à cette
représentation de l’« immense bêtise », du « fou à lier » et de la « folie générale » - tous constats qui
font « désespérer » l’écrivain71. Flaubert désavoue tous les protagonistes de la société en leur
« antéposant » des adjectifs qualificatifs dysphoriques. Il s’agit de l’« ignoble ouvrier » et de
l’« inepte bourgeois », du « stupide paysan » et de l’« odieux ecclésiastique »72. Dans sa
classification, les « bêtes brutes » sont placées au-dessus du « bon bourgeois » - dont l’abstention
électorale corrobore la bêtise. Au moyen de l’intensif, il dénonce combien cette figure détestée se
révèle être « de plus en plus stupide »73.
Au premier rang de sa caricature, le monde littéraire est souvent convié. De multiples occurrences de
« bêtise » y qualifient les plumitifs contemporains - tel Villemain. L’image de l’« âne » se voit relayée
par des structures superlatives - « plus usée », « plus vulgaire » - afin de dénoncer une pratique
éhontée de la littérature :
« Que je sois jamais de l’Académie (comme dit Marcillac, l’artiste romantique de Gerfaut),
si j’arrive au diapason de pareils ânes ! » - C’est bien beau, l’idée qui a frappé l’Académie
dans le n° 26 : « Le poète sur les ruines d’Athènes ! et évoquant le passé, le faisant revivre
! » Est-ce Volney ! et rococo ! Comment un homme peut-il rapporter de semblables bêtises,
sans en rire le premier ? Comment ne pas sentir que c’était là la manière la plus vulgaire, la
plus usée (et la moins vraie) de prendre le sujet ? Si mon pharmacien avait concouru pour
L’Acropole, il est certain que c’eût été là son plan74.
65
(1 - C., 20 avril 1853, Corr. II, p. 310)
(1 - S., 25 novembre 1872, Corr. IV, p. 612)
67
(1 - S., 31 octobre 1868, Corr. III, p. 820)
68
(1 - S., 17 août 1870, Corr. IV, p. 222)
69
(1 - S., 14 novembre 1871, Corr. IV, p. 411)
70
(1 - S., 30 avril 1871, Corr. IV, p. 315)
71
(1 - S., 11 juin 1871, Corr. IV, p. 331)
72
(1 - S., 6 septembre 1871, Corr. IV, p. 372)
73
(1 - S., 14 novembre 1871, Corr. IV, p. 411)
74
(1 - C., 30 avril 1853, Corr. II, pp. 318-319)
66
425
Le recours au substantif dépréciatif et à l’image sont deux procédés complémentaires de cette satire.
Désavouant les écrivains arrivistes, Flaubert les assimile à une « peau d’âne » tendue sur du vide :
Mais ce qu’il y a de dur, c’est l’aplomb de ces braves gens-là, leur sécurité dans la bêtise !
Ils sont bruissants à la manière des grosses caisses dont ils se servent; leur sonorité vient de
leur viduité. La surface est une peau d’âne et le fond, néant ! Tout cela tendu par beaucoup
de ficelles. Voilà un calembour !75
Critique théâtral, Flaubert condamne la bêtise des auteurs comme celle des oeuvres. Il met à mal Le
Roi Carotte de Victorien Sardou en adressant à Sand un jugement - composé de substantifs
attributifs des plus négatifs et d’une construction superlative qui ne l’est pas moins :
J’ai assisté avec Dumas à la Première du Roi Carotte. On n’imagine pas une infection
pareille ! C’est plus bête et plus vide que la plus mauvaise des féeries de Clairville. Le public
a été absolument de mon avis. Pour faire une oeuvre pareille, il faut être un vrai coquin76.
Fange, universalité du non-sens, bêtise multiforme et plurilatérale, le vocabulaire critique se diapre
des infinies nuances de l’inintelligence. L’écrivain résume ironiquement à Sand : « nous crevons par la
Blague, par l’ignorance, par l’outrecuidance, par le mépris de la grandeur, par l’amour de la banalité
et le bavardage imbécile »77. Cette bêtise est la trame de son écriture. Elle constitue l’étoffe de son
style épistolaire et romanesque.
Au sujet de Bouvard et Pécuchet, Maupassant observe : « Dans Bouvard et Pécuchet, les
véritables personnages sont des systèmes et non plus des hommes. Les acteurs servent uniquement
de porte-voix aux idées qui, comme des êtres, se meuvent, se joignent, se combattent et se
détruisent »78. Ce système de la bêtise rassemble dans un même creuset d’incapacité et d’idiotie les
hommes et les femmes, le monde et la vie, les mots et les choses. En contrepoint d’une sacralisation
de la grandeur de l’Art, il vilipende la sottise de l’élite et de la masse, la stupidité des gouvernants et
la niaiserie des gouvernés, les aberrations de la guerre et les divagations de la politique, l’absurdité
de l’existence et l’ineptie de la mort, les insuffisances du corps et les incohérences de l’esprit, les
incompétences de l’écrivain et les infirmités de ses proches, l’imbécillité de la presse et de la critique,
l’inconséquence de la littérature romantique et l’extravagance de l’entreprise « réaliste ».
La bêtise flaubertienne accentue les contrastes entre une réalité et son contraire. Ainsi, au
début de sa relation avec Colet, l’écrivain éprouve des sentiments contradictoires. Il réclame autant
75
(1 - C., 21 mai 1853, Corr. II, p. 329)
(1 - S., 21 janvier 1872, Corr. IV, p. 464)
77
(1 - S., 26 septembre 1874, Corr. IV, p. 868)
78
(11 - FLAUBERT, G., Lettres de Gustave Flaubert à George Sand. - Précédées d’une étude par Guy de MAUPASSANT. Paris : G.
Charpentier, 1889. - 289 p.- p. XXVI)
76
426
l’amour qu’il cherche à s’en détacher. Prenant la juste mesure de ce paradoxe, il condamne sa
propension à s’enfermer dans des situations impossibles à force de cultiver des objectifs duels. E. de
Goncourt réprouve ce trait de caractère dans son Journal : « je crois qu’avec un tiers de
gasconnade, un tiers de logomachie, un tiers de congestion, mon ami Flaubert arrive à se griser
presque sincèrement des contrevérités qu’il débite »79. En dépit de ses inconséquences personnelles,
l’épistolier est horrifié par les mascarades littéraires de Lamartine dans Graziella. « Ah mensonge !
mensonge ! que tu es bête ! »80 déclare-t-il à Colet. L’écriture de la bêtise n’acquiert à ses yeux de
valeur littéraire que lorsqu’elle est subordonnée à un projet esthétique. Dans la même lettre, il met en
avant le génie voltairien. Admiratif, il considère combien la « conclusion tranquille » de Candide est
« bête comme la vie »81. A l’échelle de son oeuvre, l’écrivain réfléchit souvent sur les moyens à
adopter pour rendre compte de cette bêtise universelle - sans pour autant s’associer à elle. Il dévoile
à Sand sa croyance dans les pouvoirs de l’analyse :
Quelle forme faut-il prendre pour exprimer parfois son opinion sur les choses de ce monde,
sans risquer de passer, plus tard, pour un imbécile ? Cela est un rude problème. Il me semble
que le mieux est de les peindre, tout bonnement, ces choses qui vous exaspèrent. Disséquer est une vengeance82.
Epistolaire ou romanesque, cette dissection intéresse trois domaines : la bêtise individuelle,
collective et historique.
Dans les lettres à Colet, Flaubert s’intéresse à des figures familières. Le 30 avril 1853, il
interroge les propos détachés de sa cuisinière. Dépourvue de réflexion et par conséquent de
souffrance, il fait de cette femme un modèle :
J’ai eu aujourd’hui un grand enseignement donné par ma cuisinière. Cette fille, qui a 25 ans et
est Française ne savait pas que Louis-Philippe n’était plus roi de France, qu’il y avait eu
une république, etc. Tout cela ne l’intéresse pas (textuel). Et je me regarde comme un
homme intelligent ! mais je ne suis qu’un triple imbécile. C’est comme cette femme qu’il faut
être83.
Le regard porté par l’écrivain sur la bêtise collective est moins indulgent. « Je suis si harassé par la
bêtise de la multitude que je trouve justes tous les coups qui tombent sur elles »84 confie-t-il à la
Muse. Allégorique, il s’exclame : « Ô bêtise humaine, te connais-je donc ? Il y a en effet si longtemps
79
(260 - GONCOURT, E. de, J. de, Journal : mémoires de la vie littéraire. Avant-propos de l’Académie Goncourt, texte intégral
établi et annoté par Robert RICATTE. Paris : Fasquelle et Flammarion, 1959. - 4 vol. 24 avril 1873, t. 1, p. 817)
80
(1 - C., 24 avril 1852, Corr. II, p. 76)
81
(Ibid., p. 78)
82
(1 - S., 18 décembre 1867, Corr. III, p. 711)
83
(1 - C., 30 avril 1853, Corr. II, p. 321)
84
(1 - C., 17 mai 1853, Corr. II, p. 328)
427
que je te contemple ! » . La bêtise « historique » est tout autant mise à mal. Elle est particulièrement
85
présente dans les lettres à Sand. L’ensemble des inanités de l’humanité est convoqué dans une
réflexion diachronique ou synchronique sur l’intemporalité du non-sens. L’épistolier exprime son
dégoût de ses contemporains : « toutes les bêtises que j’entends dire ! (...) On est idiot de peur :
peur de la Prusse, peur des grèves, peur de l’exposition qui « ne marche pas », peur de tout. Il faut
remonter jusqu’en 1849 pour trouver un pareil degré de crétinisme »86.
Folie et ridicules, déraison et insanité, illogisme et faiblesse d’esprit, incompréhension et
naïveté, hébétude et abrutissement sont au coeur des amers correspondances de l’écrivain. A
l’image de la bourgeoisie, ces dominantes ont des résonances significatives dans son Oeuvre
romanesque.
Q
Mutations politiques post-révolutionnaires et bouleversements industriels modifient
considérablement la structure sociale de la France. Les campagnes napoléoniennes et
l’administration impériale font naître des perspectives professionnelles inédites. Le profit devient
lettre d’or. Le droit absolu de la propriété est affirmé. Tout semble favorable à la divinisation de
l’enrichissement par l’épargne et le travail. Les capitaux en liquide circulent. Les valeurs bourgeoises
sont consacrées. Le règne du parvenu s’établit en marge d’une aristocratie d’Ancien Régime - caste
conservant les rênes des pouvoirs politiques et intellectuels comme son autorité dans la banque et les
salons. Ce climat de réussite sociale influence l’écriture épistolaire de Flaubert. Ses lettres à l’amante
et à l’amie dénoncent cet embourgeoisement massif. L’épistolier en inventorie les facteurs de réussite
dans un élan nihiliste : l’ampleur du train de vie et du luxe, l’importance du paraître, la vie parisienne,
l’anatomie de l’ambitieux bourgeois, les personnalités protectrices - tel Cousin vis-à-vis de Colet, la
faveur des carrières - à l’image du journalisme, devenu voie d’accès à la politique et à la renommée.
La satire de la bourgeoisie est une des disciplines préférées de l’écrivain. Elle repose sur
différentes modalités. La figure du Garçon en est une. R. Dumesnil rapporte son histoire :
Ce fut avec Le Poittevin qu’il ( Flaubert ) imagina le mythe du Garçon. Car il s’agit bien dans
cette invention singulière d’une création mythique. Les faits et gestes du Garçon ne
constituent pas une légende, mais comme l’histoire d’Hercule dans l’antiquité, une suite de
mythes, dont chacun a pour objet de présenter, sous la figure de l’allégorie, quelque trait
caractéristique du «Bourgeois » - bête noire du petit groupe de jeunes gens assemblés
autour de Flaubert. Le Garçon est une sorte d’Hercule de la sottise et de l’ignominie; il y a
du Rabelais dans ce personnage qui serait aussi bien descendant de Panurge que de
85
(1 - C., 20 juin 1853, Corr. II, p. 358)
(1 - S., 13 avril 1867, Corr. III, p. 630)
86
428
Gargantua. Mais on trouverait tout autant dans sa généalogie des personnages de Voltaire,
de Crébillon et même de Sade. Tout ce qui est vil, bas, monstrueux provoque le « rire du
Garçon » (...), rire de triomphe ou rire de dédain, selon que le Garçon se réjouit de quelque
sottise monumentale ou rabaisse, comme fait le bourgeois, ce qu’il ne peut et ne pourra
jamais comprendre87.
Dans leur Journal, les Goncourt définissent ce personnage iconoclaste :
Flaubert, qui part à Croisset (sic) marier sa nièce, vient me faire ses adieux. Il nous entretient
d’une création qui a fort occupé sa jeunesse, aussi bien que quelques-uns de ses amis (...).
Donc, ils avaient inventé un personnage imaginaire, dans la peau et les manches duquel ils
passaient, tour à tour, et les bras et leur esprit de blague. Ce personnage assez difficile,
s’appelait de ce nom collectif et générique : le Garçon. Il représentait la démolition bête du
romantisme, du matérialisme, et de tout au monde. On lui avait attribué une personnalité
complète, avec toutes les manies d’un caractère réel, compliqué de toutes sortes de bêtises
bourgeoises. Ça avait été la fabrication d’une plaisanterie lourde, entêtée, patiente, continue,
ainsi qu’une plaisanterie de petite ville ou une plaisanterie d’Allemand.
Le Garçon avait des gestes particuliers qui étaient des gestes d’automate, un rire saccadé et
strident à la façon d’un rire de personnage fantastique, une force corporelle énorme. Rien ne
donnera mieux l’idée de cette création étrange qui possédait véritablement les amis de
Flaubert, les affolait même, que la charge consacrée, chaque fois qu’on passait devant la
cathédrale de Rouen.
L’un disant : « C’est beau, cette architecture gothique, ça élève l’âme ! ». Et aussitôt celui qui
faisait le Garçon s’écriait tout haut au milieu des passants : « Oui, c’est beau et la SaintBarthélémy aussi, et les Dragonnades et l’Edit de Nantes, c’est beau aussi !... ».
L’éloquence du Garçon éclatait surtout dans une parodie des causes célèbres qui avait lieu
dans le grand billard du père Flaubert, à l’Hôtel-Dieu, à Rouen. On y prononçait les plus
cocasses défenses d’accusés, des oraisons funèbres de personnes vivantes, des plaidoiries
grasses qui duraient trois heures.
Le Garçon avait toute une histoire, à laquelle chacun apportait sa page. Il fabriquait des
poésies, etc., et finissait par tenir un Hôtel de la Farce, où il y avait la fête de la Vidange...
Homais me semble la figure réduite, pour les besoins du roman, du Garçon88.
Le rire du Garçon retentit souvent dans la Correspondance. Flaubert attaque grâce à lui les vanités
bourgeoises. A sa maîtresse, il adresse cette comparaison dégradante :
Il y a quantité de bourgeois qui me représentent le bouilli, beaucoup de fumée, nul jus, pas de
saveur. Ca bourre tout de suite et ça nourrit les rustres. Il y a aussi beaucoup de viandes
blanches, de poissons de rivière, d’anguilles déliées vivant dans la vase des fleuves, d’huîtres
plus ou moins salées, de têtes de veau et de bouillies sucrées89.
Cette image d’une bourgeoisie alimentaire est filée de lettre en lettre. Elle illustre tantôt le manque de
goût de la société tantôt celui de personnalités méprisables. Flaubert formule à Colet ce jugement sur
Béranger : « Le bouilli est désagréable surtout parce que c’est la base des petits ménages, Béranger
87
(112 - DUMESNIL, R., La vocation de G. Flaubert. Paris : Gallimard, 1961. - 267 p. - pp. 45-46. - (Collection Vocations))
(260 - GONCOURT, E. de, J. de, Journal : mémoires de la vie littéraire, op. cit., 10 avril 1860, t. 1, p. 624)
89
(1 - C. , janvier 1847, Corr. I, p. 427)
88
429
est le bouilli de la poésie moderne, tout le monde peut en manger et trouve ça bon » . Le bouilli est
90
synonyme d’une immondice dont le Bourgeois est le ferment. Cette matière molle glisse fréquemment
dans le registre étroniforme. L’écrivain spécifie à la Muse son écoeurement idéologique :
Je comprends depuis un an cette vieille croyance en la fin du monde que l’on avait au moyen
âge, lors des époques sombres. Où se tourner pour trouver quelque chose de propre ? De
quelque côté qu’on pose les pieds on marche sur la merde. Nous allons encore descendre
longtemps dans cette latrine. On deviendra si bête d’ici à quelques années que, dans vingt
ans, je suppose, les bourgeois du temps de Louis-Philippe sembleront élégants et talons
rouges. On vantera la liberté, l’art et les manières de cette époque, car ils réhabiliteront
l’immonde à force de le dépasser91.
Cette représentation de la Bourgeoisie repose sur un lexique de l’ignominie et de la répugnance. Le
19 septembre 1868, dans une lettre à Sand, Flaubert emploie les noms « abominations » et
« turpitude » : « J’écris maintenant trois pages sur les abominations de la garde nationale en juin 48,
qui me feront très bien voir des bourgeois. Je leur écrase le nez dans leur turpitude, tant que je peux
»92.
La bourgeoisie flaubertienne est un état d’esprit, un idéal de vie sordide plus qu’une
appartenance précise à une classe sociale. L’écrivain met à mal les engouements conventionnels du
peuple : sa méconnaissance des vraies valeurs. « Le bourgeois (c’est-à-dire l’humanité entière
maintenant, y compris le peuple) se conduit envers les classiques comme envers la religion. Il sait
qu’ils sont, serait fâché qu’ils ne fussent pas, comprend qu’ils ont une certaine utilité très éloignée,
mais il n’en use nullement et ça l’embête beaucoup, voilà »93 écrit-il à la poétesse. Le caractère
universel de la bourgeoisie draine des sentences d’une ironie cinglante Axiome : la haine du Bourgeois est le commencement de la vertu. Moi, je comprends dans
ce mot de « bourgeois » les bourgeois en blouse comme les bourgeois en redingote. C’est
nous, et nous seuls, c’est-à-dire les lettrés, qui sommes le Peuple, ou pour parler mieux, la
tradition de l’Humanité94
- mais aussi des exclamations assassines : « Ô les bourgeois ! Je voudrais avec la peau du dernier
des bourgeois ... »95, « « Ah ! Dieu merci, les Prussiens sont là ! » est le cri universel des bourgeois.
Je mets dans le même sac Messieurs les ouvriers, et qu’on foute le tout ensemble dans la rivière
! »96.
90
(1 - C., Fin décembre 1847, Corr. I, p. 492)
(1 - C., 29 janvier 1853, Corr. II, p. 244)
92
(1 - S., 19 septembre 1868, Corr. III, p. 805)
93
(1 - C., 22 novembre 1852, Corr. II, p. 179)
94
(1 - S., 17 mai 1867, Corr. III, p. 642)
95
(1 - C., 29 novembre 1853, Corr. II, p. 472)
96
(1 - S., 30 avril 1871, Corr. IV, p. 314)
91
430
Si Flaubert affectionne le milieu de la bourgeoisie, c’est qu’il avoue y trouver des trésors
d’inspiration97. En matière de contradictions, la stupidité bourgeoise représente une mine pour
l’investigation littéraire. L’écrivain confie à Sand : « Si l’on consultait maintenant la bourgeoisie, elle
ferait le père Thiers roi de France. Thiers ôté, elle se jetterait dans les bras de Gambetta. - Et j’ai
peur qu’elle ne s’y jette bientôt ? »98.
Flaubert critique sans complaisance aucune une classe sociale aussi fascinante que
dévorante. « Le peuple (...), il veut bouffer que du bourgeois, du bourgeois qu’il connaît bien, son
idéal, son modèle, son patron direct, qu’est du même chef-lieu de canton, du même bled, du même
village, son frère français qu’a réussi, il est fratrophage le Français »99 poursuivra Céline dans Les
beaux draps. L’épistolaire prépare et accompagne, anticipe et poursuit l’exploitation romanesque
du motif de la bourgeoisie. Dénominations péjoratives et champ lexical de l’idiotie, sacralisation de la
figure de « Pignouf » et images dépréciatives dialoguent en bonne intelligence dans une
Correspondance où affleure la déception de l’écrivain de vivre une époque en rupture avec ses
idéaux. Ces jugements sans appel sur l’humanité témoignent d’une vision extraordinairement
pessimiste des changements ayant marqué et marquant la société.
1.3 - Progrès et illusion
... l’image constitue l’horizon de la lettre, son point de
fuite ou de résorption. Il y aurait ainsi dans la passion
épistolaire un désir secret d’effacer la lettre, d’investir un
espace où plus aucune lettre ne serait nécessaire, où
pensées et images se transmettraient comme par
enchantement, silencieusement, et immédiatement, aussi
rapidement, par exemple, que la lumière captée par un
regard ou un objectif photographique. (40 - KAUFMANN, V.,
L’équivoque épistolaire. Paris : Editions de Minuit, 1990. - 200 p. - p.
121)
Le progrès est une notion ambivalente pour l’épistolier. En regard de la marche déviante du
Second Empire, il matérialise plus de faux pas que d’avancées favorables. Le développement des
sciences humaines apparaît seul garant d’un possible salut de l’humanité. A Leroyer de Chantepie,
Flaubert assure : « L’histoire, l’histoire et l ’histoire naturelle ! Voilà les deux muses de l’âge
97
(1 - S., 14 novembre 1871, Corr. IV, p. 411)
(1 - S., 4 décembre 1872, Corr. IV, p. 620)
99
(268- CELINE, L.-F., Les beaux draps. Paris : Nouvelles éditions françaises, 1941. In-16. - 223 p. - p.138)
98
431
moderne. C’est avec elles que l’on entrera dans des mondes nouveaux » . Ce rêve idéologique
100
achoppe contre la réalité des faits. « Hein, le Progrès, quelle blague ! » Il ajouta : Et la politique, une
belle saleté ! »101 constate Bouvard dans le roman éponyme. Epistolaire ou littéraire, l’histoire
flaubertienne repose sur certains présupposés théoriques.
Le regard porté par l’écrivain sur la société pré et post-bonapartiste n’est que désolations et
reproches. Sa conscience s’abîme dans les valeurs antiques comme en un âge d’or de la politique.
Le recours à ce mètre-étalon ne fait qu’accuser sa représentation dégradée de la France
contemporaine.
De toute la politique il n’y a qu’une chose que je comprenne, c’est l’émeute. Fataliste
comme un Turc je crois que tout ce que nous pouvons faire pour le progrès de l’humanité ou
rien, c’est absolument la même chose. Quant à ce progrès, j’ai l’entendement obtus pour les
idées peu claires. Tout ce qui appartient à ce langage m’assomme démesurément. Je déteste
assez la tyrannie moderne parce qu’elle me paraît bête, faible et timide d’elle-même, mais j’ai
un culte profond pour la tyrannie antique que je regarde comme la plus belle manifestation
de l’homme qui ait été102
soutient-il à Colet.
De la crise économique à l’échec de la démocratie, de l’autoritarisme au libéralisme impériaux, de
la Commune à la Troisième République, les chaos historiques traversés par l’épistolier confirment en
lui le sentiment de la faillite de l’idéal scientifique. Il dénonce à Sand :
Peut-on croire au progrès et à la civilisation, devant tout ce qui se passe ? A quoi donc sert
la Science, puisque ce peuple, plein de savants, commet des abominations dignes des Huns !
et pires que les leurs, car elles sont systématiques, froides, voulues, et n’ont pour excuse ni la
passion ni la Faim103.
Face à cette débâcle généralisée, l’écriture de Flaubert cultive un mépris affiché du réel.
V
Se venger des affronts de l’humanité est une des premières motivations de l’écrivain dans sa
satire d’un progrès inepte. Dans une lettre à Sand, il récrimine :
... je maintiens qu’une oeuvre d’art (digne de ce nom et faite avec conscience) est
inappréciable, n’a pas de valeur commerciale, ne peut pas se payer. Conclusion : si l’artiste
n’a pas de rentes, il doit crever de faim ! ce qui est charmant. Et on parle de
l’indépendance des lettres ! On trouve que l’Ecrivain, parce qu’il ne reçoit plus de pension
100
(1 - L.d.C., 23 octobre 1863, Corr. III, p. 353)
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues). Paris : Garnier-Flammarion, 1966. - 378 p. - p.
202)
102
(1 - C., 4-5 août 1846, Corr. I, p. 278)
103
(1 - S, 27 novembre 1870, Corr. IV, p. 264)
101
432
des Grands, est bien plus libre, bien plus noble. Toute sa noblesse sociale maintenant
consiste à être l’égal d’un Epicier. Quel progrès !104
Vocabulaire hyperbolique et analogies inattendues, Flaubert fait appel à des médiums variés afin
d’épancher ses frustrations et ses haines. Sa vision de la femme est partie prenante de cette
démarche. Elle intervient à trois niveaux : la dégradation de la société par la féminisation, la relation
féminine comme réparation sociale, la vendetta littéraire par la représentation subversive de la
femme.
L’épistolier déploie fréquemment l’écheveau de son imaginaire métaphorique autour du motif
de la femme corrompue. La libertine ou la prostituée lui offrent un vaste répertoire de
correspondances infamantes et vexatoires. Il assimile pour Colet la conscience humaine à une putain
ivre :
... épuisée de tant de fatigues, elle (la conscience humaine) paraît prête à s’endormir dans un
hébétement sensuel, comme une putain sortant du bal masqué, qui sommeille à demi dans un
fiacre, trouve les coussins doux tant elle est saoule, et se rassure en voyant dans la rue les
gendarmes avec leurs sabres qui la protègent des gamins dont les huées l’insulteraient105.
Ce rabaissement est une façon de punir la société. Les tares du corps social sont attribuées à celui
de la femme - et réciproquement. L’écrivain s’affranchit plus ou moins inconsciemment de son
inadéquation avec l’un en victimisant l’autre. Il confie à la Muse :
... l’humanité est pour vous un pantin à grelots que l’on fait sonner au bout de sa phrase
comme un bateleur au bout de son pied (Je me suis souvent ainsi bien vengé de l’existence).
Je me suis repassé un tas de douceurs avec ma plume. Je me suis donné des femmes, de
l’argent, des voyages106.
Littéraire, cette instrumentalisation permet de crever l’abcès de l’humanité et de cautériser la plaie
des relations sociales.
En donnant vie à Emma Bovary, Flaubert fait le procès du « Progrès ». Il écrit à sa maîtresse
:
Ce matin, j’ai été à un comice agricole, dont j’en suis revenu mort de fatigue et d’ennui.
J’avais besoin de voir une de ces ineptes cérémonies rustiques pour ma Bovary, dans la
deuxième partie. C’est pourtant là ce qu’on appelle le Progrès et où converge la société
moderne. J’en suis physiquement malade107.
La femme est un objet de vengeance multiforme. Réelle, épistolaire ou littéraire, l’écrivain la manipule
avec brio. Il lui fait assumer les fonctions de bouc émissaire, d’emblème ou de repoussoir social.
104
(1 - S., 12 décembre 1872, Corr. IV, p. 624)
(1 - C., 15-16 mai 1852, Corr. II, p. 90)
106
(1 - C., 15-16 mai 1852, Corr. II, p. 91)
105
433
Image modèle de la corruption de l’être humain, corps christique rachetant par ses souffrances les
fautes d’une humanité pécheresse, actant emblématique des déviances de la société, la femme
flaubertienne est très proche de l’Eve biblique dans sa personnalité et son destin. Et ce n’est pas sans
raison si l’homme de lettres s’interroge sa vie et son Oeuvre durant sur la figure de la femme fatale108.
Mais l’analogie entre sociabilité dégradée et représentation dépréciative de la société ne résume pas
l’intégralité de ses motivations critiques. Les lettres à l’amante et à l’amie signent un désaveu du
suffrage universel, une opposition à l’instruction publique et obligatoire et une croyance dans
l’évolution polymorphe des peuples.
Q
Les insurrections cessent en France avec la nomination en 1840 de Guizot au poste de
ministre. Le politicien agit à sa guise sans recevoir d’avis contraire de la part des conservateurs
composant la majorité des chambres. Pourtant, l’opposition libérale et républicaine manifeste
certaines revendications. Aux yeux des libéraux, seule doit voter une classe électorale instruite,
qu’elle soit riche ou non. Les républicains - pour qui les acquis de la Révolution française ne peuvent
être réservés à une minorité - réclament quant à eux le suffrage universel. Le gouvernement fait la
sourde oreille à ces propositions. La Révolution advient. Le 24 février 1848, la République est
proclamée. Le gouvernement provisoire - composé entre autres de Lamartine, Arago et Louis Blanc
- ordonne l’élection des députés au suffrage universel. Flaubert accuse le choc. Son point de vue sur
ce mode de scrutin rejoint en partie celui de Sand : l’adoption du suffrage universel ne règle pas la
question des rapports du travail et du capital. L’évolution industrielle de la société demande des
choix d’une autre nature. La vindicte épistolaire de l’écrivain évalue les limites de la consultation
populaire. Cette réserve idéologique est constitutive d’un parti-pris élitiste.
Flaubert voit dans le suffrage universel un processus bancal assurant le triomphe de la
quantité sur la qualité. Incapable d’effectuer une sélection efficace des gouvernants, ce dispositif est
vécu sur le mode de la fatalité. Entériné par l’Assemblée constituante, il régit dès 1849 le pouvoir
législatif et exécutif. Après la longue parenthèse de son voyage en Orient (29 octobre 1849 - juin
1851), l’écrivain est soucieux de s’évader de son carcan historique et d’expurger ses dégoûts
politiques. Pour ce faire, il s’investit dans la rédaction de La Tentation de Saint-Antoine et
réengage le motif du suffrage universel dans son bêtisier épistolaire. Il le caricature en l’assimilant à
107
(1 - C., 18 juillet 1852, Corr. II, p. 134)
(Le double mythe de la femme ange et démon et le désaccord entre les sexes sont dans l’ «air du temps » littéraire. En 1864,
Vigny exploite ces motifs dans Les destinées.)
108
434
une religion future et une erreur historique. Lui opposant la sélection par l’argent, la race et
l’intelligence, il assure à Colet :
... la France, depuis 1830, délire d’un réalisme idiot. L’infaillibilité du suffrage universel est
prête à devenir un dogme qui va succéder à celui de l’infaillibilité du pape. - La force du
bras, le droit du nombre, le respect de la foule a succédé à l’autorité du nom, au droit divin,
à la suprématie de l’Esprit109.
Cette conviction n’est pas sans orienter politiquement l’Oeuvre de l’écrivain. Comme le remarque A.
Compagnon :
Contre la démocratie, la masse, le peuple, le nombre, l’égalité, Flaubert à trente ans se
montrait déjà le partisan d’une aristocratie naturelle et spirituelle (...). Depuis leurs toutes
premières amorces, Le Dictionnaire des idées reçues, et Bouvard qui s’en dégagera, sont
antidémocratiques, antiégalitaires110.
Flaubert est iconoclaste à l’égard du nouvel ordre social tendant à s’instaurer depuis la chute de la
monarchie de juillet. Il s’attaque aux lieux communs de l’imaginaire populaire.
On s’est moqué du droit divin, et on l’a abattu. Puis on a exalté le peuple, le suffrage
universel, et enfin ç’a été l’ordre. Il faut qu’on ait la conviction que tout cela est aussi est
bête, usé, vide que le panache blanc d’Henri IV, et le chêne de Saint-Louis. - Mort aux
mythes !111
précise-t-il à sa maîtresse. A quelques années de distance, dans les lettres à Sand, son rapport à
l’Empire libéral n’est pas moins riche en déstabilisations du suffrage universel - « La grande moralité
de ce règne-ci sera de prouver que le suffrage universel est aussi bête que le droit divin, quoiqu’un
peu moins odieux ? »112. Le 18 juillet 1870, l’infaillibilité du Pape est proclamée. Flaubert réagit
contre le suffrage par une analogie peu dévote à l’encontre de l’autorité catholique. Il la fait suivre
d’une réflexion dévalorisant les pouvoirs populaires et les conséquences d’une absence de formation
des élites sur la conduite politique du pays. Le 3 août, il propose :
Le respect, le fétichisme qu’on a pour le suffrage universel, me révolte plus que l’infaillibilité
du Pape (lequel vient de rater joliment son effet, par parenthèse. Pauvre vieux !) Croyezvous que si la France, au lieu d’être gouvernée, en somme, par la foule, était au pouvoir des
Mandarins, nous en serions là ? Si, au lieu d’avoir voulu éclairer les basses classes, on se fût
occupé d’instruire les hautes, vous n’auriez pas vu M. de Kératry proposer le pillage du
duché de Baden, mesure que le public trouve très juste113.
109
(1 - C., 15-16 mai 1852, Corr. II, p. 90)
(106 - COMPAGNON, A., La Troisième république des lettres - De Flaubert à Proust. Paris : Seuil, 1983. - 381 p. - p. 265)
111
(1 - C., 1er-2 octobre 1852, Corr. II, pp. 169-170)
112
(1 - S., 24 juin 1869, Corr. IV, p. 64)
113
(1 - S., 3 août 1870, Corr. IV, p. 218)
110
435
En 1871, l’écrivain critique l’élection de l’Assemblée Nationale au suffrage universel. Il confie au
« vieux troubadour » combien il se réjouit des déconvenues attendant les démocrates114. S’il se
révèle favorable à la liberté de la masse, il réfute pourtant son accession au pouvoir. « Le premier
remède serait d’en finir avec le suffrage universel, la honte de l’esprit humain. Tel qu’il est constitué,
un seul élément prévaut au détriment de tous les autres; le Nombre domine l’esprit, l’instruction, la
race, et même l’argent, qui vaut mieux que le Nombre »115 estime-t-il. « ... le suffrage universel tel
qu’il existe est plus stupide que le droit divin. Vous en verrez de belles si on le laisse vivre ! La
masse, le nombre, est toujours idiot. Je n’ai pas beaucoup de convictions. Mais j’ai celle-là,
fortement »116 poursuit-il. Les procédés de mise en relief du prédicat par le comparatif « vaut mieux
que », le superlatif - « plus stupide », « toujours idiot » - et l’adverbe « fortement » en position finale
dominent dans ces énoncés. Tous les individus ont le droit de s’exprimer mais ils ne sont pas égaux
entre eux répète Flaubert. La qualité, l’origine sociale et le patrimoine sont des variables importantes
pour accorder ou non un crédit supplémentaire à une opinion :
Dans une entreprise industrielle (société anonyme), chaque actionnaire vote en raison de son
apport. Il en devrait être ainsi dans le gouvernement d’une nation. Je vaux bien 20 électeurs
de Croisset ! L’argent, l’esprit, et la race même doivent être comptés, bref, toutes les
forces117.
L’épistolier s’insurge contre la loi du nombre par l’esquisse d’une loi de la qualité. L’issue politique
de la France est liée dans la Correspondance à cette problématisation du suffrage universel. « A
propos de César, je ne puis croire, quoi qu’on dise, à son retour prochain ! Malgré mon pessimisme
nous n’en sommes pas là ! Cependant si l’on consultait le dieu appelé Suffrage universel, qui sait ?...
Ah ! nous sommes bien bas, bien bas ! »118 s’exclame Flaubert. Il envisage le suffrage comme une
perversion politique par laquelle les différences (et les compétences) individuelles sont niées - une
atteinte à la démocratie dans le sens où le peuple ne peut exprimer ses singularités et doit s’assimiler
au système bourgeois. Il adresse ce bilan au « Chère Maître » : « Etablir que le critérium de la
certitude est dans le sens commun, autrement dit dans la Mode et la Coutume, n’était-ce pas
préparer la voie au Suffrage universel qui est selon moi la Honte de l’esprit humain ! »119. Le partage
des biens propres est envisagé comme la première dérive de ce choix politique.
114
(1 - S., 30 avril 1871, Corr. IV, p. 314)
(1 - S., 8 septembre 1871, Corr. IV, p. 376)
116
(1 - S., 7 octobre 1871, Corr. IV, p. 384)
117
(1 - S., 12 octobre 1871, Corr. IV, p. 394)
118
(1 - S., 26 février 1872, Corr. IV, p. 487)
119
(1 - S., 31 décembre 1873, Corr. IV, p. 758)
115
436
La dénonciation du suffrage dialogue avec le désir de redéfinir le vrai sens du Progrès.
L’écrivain a l’ambition de situer l’esprit, l’intelligence et l’extraction sociale au dessus de la dictature
de la masse. Idéologiquement, il préfère l’affirmation individuelle à la dissolution collective. Son
attachement relève d’un élitisme déçu : le suffrage universel traduisant la déficience des élites et
conduisant fatalement au socialisme. C’est pourquoi il rejette lettre après lettre l’instruction publique
et obligatoire.
Q
Dès 1833, l’éducation nationale fait un grand pas. La loi sur l’enseignement primaire attribue
un instituteur aux communes - et instaure dans chaque département une école normale. Flaubert n’est
encore qu’un enfant lorsque cette démocratisation du savoir est engagée. Mais peut-être cette
démarche politique préfigure-t-elle sa condamnation future de l’instruction populaire. Sous Napoléon
III, Victor Duruy, ministre de l’instruction publique, réforme le milieu scolaire. Des écoles primaires
de filles, des cours d’adultes et des bibliothèques populaires sont créées. Cela ne répond pas du tout
aux attentes de l’écrivain qui n’est pas très éloigné de la « Terreur du bourgeois dans les émeutes
quand il apprend que l’Ecole Polytechnique sympathise avec les ouvriers »120 si l’on se réfère au
Dictionnaire des idées reçues. Elitiste, il croit avant tout dans la formation et le pouvoir d’une
« aristocratie légitime »121.
Son point de vue sur l’instruction publique et obligatoire est des plus critiques. Il éclaire
combien - en dépit de sa charge littéraire contre la bourgeoisie - Flaubert demeure un homme de sa
classe sociale, rempli de préjugés anti-populistes.
Il y a un fond de bêtise dans l’humanité qui est aussi éternel que l’humanité elle-même.
L’instruction du peuple et la moralité des classes sont, je crois, des choses de l’avenir. Mais
quant à l’intelligence des masses, voilà ce que je nie, quoi qu’il puisse advenir, parce qu’elles
seront toujours des masses122
déclare-t-il à Leroyer de Chantepie. L’instruction publique et obligatoire est assimilée à un fauxsemblant de Progrès, une manipulation idéologique, une illusion démocratique. « Quant au bon
Peuple, l’instruction « gratuite et obligatoire » l’achèvera. - Quand tout le monde pourra lire Le Petit
Journal et Le Figaro, on ne lira pas autre chose »123 stipule l’épistolier à Sand. «L’instruction
120
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues), op. cit., p. 348)
(1 - S., 30 avril 1871, Corr. IV, p. 314)
122
(1 - L.d.C., 16 janvier 1866, Corr. III, p. 479)
123
(1 - S., 8 septembre 1871, Corr. IV, p. 376)
121
124
gratuite et obligatoire n’y fera rien - qu’augmenter le nombre des imbéciles »
437
certifie-t-il. Cette
hostilité est plus qu’épidermique. Elle motive une analyse historique des dérives de la société :
Les trois degrés de ’linstruction ont donné leurs preuves depuis un an. 1° l’instruction
supérieure a fait vaincre la Prusse; 2° l’instruction secondaire, bourgeoise, a produit les
hommes du 4 septembre; 3° l’instruction primaire était le grand Vallès, qui se vantait de
mépriser Homère125.
La désapprobation de l’instruction publique et obligatoire exprime une position idéologique
conservatrice : la crainte instinctive du Progrès social engagé par l’Empire libéral et concrétisé par la
naissance de la Troisième République. Historiquement, elle porte atteinte au choix politique effectué
sous Napoléon III en faveur des humanités. L’épistolier déplore la supériorité scientifique des
Prussiens par rapport à la France. L’effacement des sciences exactes dans le système éducatif
napoléonien explique cette situation. Du temps de la Monarchie, l’instruction reposait déjà sur ces
bases. Cette orientation éducative n’a plus lieu d’être du fait des progrès scientifiques et techniques.
La distance de Flaubert quant à l’instruction publique et obligatoire participe d’un credo
évolutionniste.
Q
Pourfendeur des illusions sociales, l’écrivain fait de la laideur injurieuse le premier attribut de
son époque. « Paganisme, christianisme, Muflisme : voilà les trois grandes évolutions de l’humanité. Il
est triste de se trouver au début de la troisième »126 constate-t-il. Attaché aux valeurs de l’émeute, il
a confiance en l’autodétermination des progrès de l’humanité : « C’est parce que je crois à
l’évolution perpétuelle de l’humanité et à ses formes incessantes, que je hais tous les cadres où on
veut la fourrer de vive force, toutes les formalités dont on la définit, tous les plans que l’on rêve pour
elle »127.
Tout comme Sand, Flaubert a une perception aiguë des problèmes suscités par la lutte des
classes. Les questions de la solidarité entre les partenaires sociaux, des conventions collectives et
des conférences de travail surgissent dans leur correspondance. Les deux écrivains croient dans la
révolution comme vecteur de changement de la société. Ils l’envisagent d’une manière progressive et
non-violente : l’obtention de nouveaux acquis sociaux naissant de cette prise en charge populaire
d’un destin collectif. Par sa croyance dans l’évolution polymorphe des peuples, l’épistolier ne fait pas
124
(1 - S., 7 octobre 1871, Corr. IV, p. 384)
(Ibid.,p. 385)
126
(1 - S., 11 mars 1871, Corr. IV, pp. 287-288)
127
(1 - L.d.C, 18 mai 1857, Corr. II, p. 716)
125
438
figure de doctrinaire. Il cherche avant tout à comprendre le monde dans lequel il évolue. La lettre lui
permet de préciser ses attentes, ses déceptions, ses griefs.
Fondamentalement étranger au Second Empire, il demeure déchiré entre son idéal de société
et une réalité historique des plus sombres. Sa critique sociale se fonde sur cet écart idéologique. La
nostalgie du passé, le dégoût du présent, la crainte du futur constituent les paramètres temporels de
son mal-être. Son écriture croise ici celle de Hugo. Dans Les Châtiments, l’épopée passée met en
relief l’horreur du présent. Dans la Correspondance, la caricature de l’humanité est un travail de
sape lexicale. Répressifs ou libéraux, les principes d’une société inconséquente sont maltraités.
Homme blessé par l’outrageante bêtise de ses semblables, l’épistolier aime « à voir l’humanité (et
tout ce qu’il respecte) ravalé, bafoué, honni, sifflé »128. Sa causticité est mise à l’épreuve de ce qu’il
considère être les principales dérives des pouvoirs impériaux, socialistes et républicains : le suffrage
universel - « Dernier terme de la science politique » selon le Dictionnaire des idées reçues129 l’instruction publique et obligatoire, l’autoritarisme.
128
(1 - C., 2 mars 1854, Corr. II, p. 529)
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues), op. cit.,p. 376)
129
437
2. La lettre ouverte sur la politique
Pour que la France se relève il faut qu’elle passe de
l’inspiration à la Science. - Qu’elle abandonne toute
métaphysique, qu’elle entre dans la Critique, c’est-àdire dans l’examen des choses. (1 - S., 8 septembre 1871, Corr.
IV, p. 376)
Témoignage historique, la lettre flaubertienne met en question la vie politique du Second
Empire. Et comme le remarque C. Gothot-Mersch, l’étude de la Correspondance comme «
document sur une époque »1 reste à faire.
Aussi particulière soit-elle, la pensée politique de l’écrivain entretient des parentés certaines
avec celle de ses amis. A. Compagnon précise combien :
... les idées de Flaubert rencontrent celles de quelques auteurs qui appartiennent à la même
génération intellectuelle et qui furent ébranlés par les mêmes événements : notamment Taine
et Renan, avec qui Flaubert se lia pendant les années 1860 aux dîners du restaurant Magny,
auxquels il faudrait associer Littré. C’est l’accumulation de 1848 et de 1870, c’est la
Commune comme retour de 1793 et de la Terreur, après que 1848, selon Tocqueville, eût
déjà reproduit 1789, c’est cette série de répétitions dégradées comme un cercle vicieux qui
suscitent chez eux une réaction antidémocratique et élitiste, voire un antirépublicanisme de
plus en plus farouche. 1871 représente l’aboutissement fatal, l’échec parfait de la France
dont l’histoire radote, tourne en rond depuis quatre-vingts ans 2.
Pour l’écrivain comme pour Taine et Renan, le pouvoir politique le plus intéressant est celui dont le
règne s’achève - car il fait place à un ordre nouveau. En haine de l’esclavage et par amour de la
liberté, l’épistolier met en accusation les hiérarchies et les règles, les castes et les masses. Attaché à
des valeurs aristocratiques et scientifiques, il exprime ses principes sans faire preuve d’activisme
politique. « ... la politique m’assomme »3 confie-t-il à Colet en 1846, en pleine crise économique. Sa
correspondance et son Oeuvre durant, il manifeste son égarement idéologique au vu des
bouleversements incessants de la société et du caractère cyclique des tragédies historiques. Aux
prémices de la Troisième République, il exprime à Sand son dépit : « On ne parle que de Politique,
et de quelle façon ! Où y a-t-il une apparence d’idée ? à quoi se raccrocher ? pour quelle cause se
1
(63 - GOTHOT-MERSCH, C., « Sur le renouvellement des études de Correspondances littéraires : l’exemple de Flaubert ».
Romantisme, 1991, n° 72. - p. 9)
2
(106 - COMPAGNON, A., La Troisième république des lettres - De Flaubert à Proust. Paris : Seuil, 1983. - 381 p..- p. 272)
3
(1 - C., 26 août 1846, Corr. I, p. 313)
438
passionner ? » . En 1873, cette distance et ce désintérêt sont intacts. Flaubert rapporte à son amie le
4
plaisir qu’il prend à occulter la politique de ses conversations : « J’ai vu le Prince Napoléon. - Qui
m’a paru maigri et bruni. Il m’a demandé de vos nouvelles. Nous avons peu causé de politique, Dieu
merci »5. En 1875, la réflexion politique n’est plus pour lui qu’une opportunité de désavouer la
stupidité et la vanité de ses contemporains : « Les élections sénatoriales sont un sujet de
divertissement pour le public - dont je fais partie. Il a dû se passer dans les couloirs de l’Assemblée
des dialogues inouïs, de grotesque et de bassesse »6. Entre 1846 et 1876, une curiosité mêlée de
nausée l’anime dans son analyse de l’actualité. Stigmatisation des autorités, examen de la vie
économique sous le Second Empire, logique personnelle de l’Histoire, la lettre est l’agora
idéologique où l’écrivain extériorise son malaise social.
2.1 - Le rejet des pouvoirs
... un soir à dîner, il nous tint ce propos : « Je suis un
sapeur de tout gouvernement quelqu’il soit, je voudrais
tout détruire ! (14 - FLAUBERT, G. - BONAPARTE, Mathilde
(Princesse), Lettres inédites à la Princesse Mathilde. Préface de M. Le
comte Joseph PRIMOLI, étude de Mme la princesse Mathilde. Paris :
Conard, 1927. - 239 p. - p. XXIII)
Hostile au phénomène de masse et au nivellement démocratique de la société, Flaubert croit
dans la notion d’élite gouvernante. Il désapprouve les appétits matérialistes et l’égalitarisme
sentimental, les illusions romantiques, le dogmatisme et l’autoritarisme des socialistes et des
républicains. Moraliste et indépendant, il se proclame libéral et apôtre des libertés. En opposition aux
systèmes et aux sectarismes sclérosants, il inscrit la médiocrité et l’affairisme au centre des ambitions
et des luttes de pouvoir. A ces valeurs de puissance et d’enrichissement, il oppose celles de l’art conservatoire de la beauté. Echec de la démocratie, impuissance du conservatisme, remise en cause
de la politique impériale, Flaubert rejette tous les pouvoirs. Analyste de la vie économique sous le
Second Empire, il dévoile dans ses lettres sa vision du capitalisme, de l’industrialisation, des
développements technologiques et vestimentaires. Faillite des révolutions, triomphe de la
bourgeoisie, dangers du socialisme, il développe une logique particulière de l’Histoire. La relation à
l’autorité politique représente pour lui l’expérience du pire. Elle est liée à l’idée de droit de regard et
4
(1 - S., 28 octobre 1872, Corr. IV, p. 599)
(1 - S., 28 février 1873, Corr. IV, p. 773)
5
439
de contrôle. Aussi la question des libertés individuelles se pose-t-elle. Dénonçant l’assujettissement
de l’Art à la politique, il honnit les institutions culturelles de l’Etat. Les lettres à l’amante et à l’amie
sont riches de ses imprécations contre cette structure transformant les plumitifs en références
intellectuelles. Il fait remarquer à sa maîtresse :
As-tu jamais remarqué comme tout ce qui est pouvoir est stupide en fait d’art ? Ces
excellents gouvernements (rois ou républiques) s’imaginent qu’il n’y a qu’à commander la
besogne et qu’on va la leur fournir. Ils instituent des prix, des encouragements, des
académies, et ils n’oublient qu’une seule chose, une toute petite chose sans laquelle rien ne
vit : l’atmosphère7.
Cette collusion le blesse. Elle lui fait comprendre le caractère anachronique de son esthétisme pur et
désengagé de la société. Dans un élan de stigmatisation, il rapproche le vide intellectuel du critique de
celui de l’homme politique :
Quelle sacrée canaille ! J’écume ! Tous ces gens forts (voilà encore un mot : homme fort),
ces farceurs à idées donnent bien leur mesure lorsqu’ils se trouvent en face de quelque chose
de sain, de robuste, de net, d’humain. Ils battent la campagne et ne trouvent rien à dire. Ah !
ce sont bien là les hommes de la poésie de Lamartine en littérature et du gouvernement
provisoire en politique : phraseurs, poseurs, avaleurs de clair de lune, aussi incapables de
saisir l’action par les cornes que le sentiment par la plastique. Ce ne sont ni des
mathématiciens, ni des poètes, ni des observateurs, ni des faiseurs, ni même des exposeurs,
des analysateurs. Leur activité cérébrale, sans but ni direction fixe, se porte, avec un égal
tempérament, sur l’économie politique, les belles-lettres, l’agriculture, la loi sur les boissons,
l’industrie linière, la philosophie, la Chine, l’Algérie, etc., et tout cela au même niveau
d’intérêt8.
Le poids de l’existence grève les aléas de l’histoire. Pire / Empire, la correspondance est
malheureuse mais agissante dans la vie de l’écrivain. Cette souffrance citoyenne essaime des
représentations tragiques du pouvoir dans son Oeuvre. Ainsi en est-il de l’ermite de La Tentation
de Saint-Antoine croyant reconnaître Ammonaria en une femme suppliciée :
Comme je (Antoine) m’en retournais, un flot de monde m’arrêta devant le temple de
Sérapis. C’était, me dit-on, un dernier exemple que le gouvernement voulait faire. Au milieu
du portique, en plein soleil, une femme nue était attachée contre une colonne, deux soldats la
fouettant avec des lanières, à chacun des coups son corps entier se tordait 9.
Epistolier, Flaubert entretient des rapports conflictuels avec le milieu impérial, la débâcle démocrate
et l’inefficacité conservatrice.
6
(1 - S., 16 décembre 1875, Corr. IV, p. 997)
(1 - C., 28 septembre 1853, Corr. II, p. 492)
8
(1 - C., 2 juillet 1853, Corr. II, p. 371)
9
(30 - FLAUBERT, G., La tentation de Saint-Antoine (1874). Introduction, notes et variantes par Edouard MAYNIAL. Paris :
Classiques Garnier, 1954. - 313 p. - pp. 5-6)
7
440
V
1851 est l’année du coup d’état de Bonaparte, du remplacement de la République par le
régime impérial, et de l’avènement du Second Empire. L’écrivain trouve dans le triomphe de
Napoléon III la confirmation de l’infinie bêtise de ses semblables. Laisser un non-républicain prendre
le pouvoir, c’est une façon de bénir sa chaîne observe-t-il. Entre attirance et répulsion, en amont et
en aval de la Commune, il jalonne ses lettres à l’amante et à l’amie de points de vue contrastés sur
l’Empire.
Flaubert est admiratif du tour de force politique réalisé par l’empereur. Napoléon III lui
apparaît comme le symbole de l’aliénation triomphante de la société. Après le tournant libéral, il
prend note de l’intérêt du souverain pour les classes ouvrières et la loi sur le droit de grève - ce qui
est loin de le réjouir. Il déplore la mise à bas de l’empereur après la capitulation de Sedan. Du
mauvais choix populaire initial (1851) à la faute tactique finale, les citoyens du Second Empire ne
manquent pas de le décevoir. Il établit un parallèle entre défaite impériale et paix catastrophique :
Il faut que la Révolution française cesse d’être un dogme et qu’elle rentre dans la Science,
comme le reste des choses humaines. Si on eût été plus savant, on n’aurait pas cru qu’une
formule mystique est capable de faire des armées, et qu’il suffit du mot République pour
vaincre un million d’hommes bien disciplinés. On aurait laissé Badinguet sur le trône, exprès
pour faire la paix, quitte à le mettre au bagne ensuite10.
L’écrivain signifie à sa républicaine amie qu’il n’eût peut-être pas fallu proclamer la République avant
la paix. Son idéologie part à la rencontre de celle de sa correspondante. Il inscrit en creux de son
énoncé combien dans le pire, ce qu’il y a de mieux, c’est encore l’Empire.
Après la Commune, la principale valeur attribuée au régime impérial est celle de repoussoir
d’une République égalitariste et démagogique dont il assiste aux premiers pas politiques. Les
dernières années de sa Correspondance sont marquées par une nostalgie plus ou moins affichée du
règne. Il y a une certaine pose dans ce retournement idéologique. Flaubert est un réactionnaire et un
passéiste dans son rapport à l’histoire. Conspuer l’actualité consiste pour lui à faire montre de
marginalité. Il brandit comme une valeur-refuge ce qu’il mettait jadis en accusation. Il a le sentiment
du caractère décrédibilisant de cet entre-deux idéologique, de ces revirements qui ne sont jamais que
la manifestation politique de sa sensibilité antithétique. A la lumière de ces paradoxes, il confie à
Sand sa détresse : « Quant à moi, je me regarde comme un homme fini. - Ma cervelle ne se rétablira
pas. - On ne peut plus écrire, quand on ne s’estime plus. - Je ne demande qu’une chose, c’est à
10
(1 - S., 31 mars 1871, Corr. IV, p. 300)
11
crever, pour être tranquille »
.
441
Se considère-t-il compromis par le pouvoir impérial depuis qu’il a
reçu en 1866 (grâce à la Princesse Mathilde, cousine de Napoléon III) la légion d’honneur, celle-là
même dont il raillait l’attribution à Du Camp en 1852 ? Malgré son mépris affiché, l’épistolier ne
dédaigne pas les hommages publics. « ACADEMIE FRANCAISE. - La dénigrer, mais tâcher d’en
faire partie si on peut »12, « DECORATION DE LA LEGION D’HONNEUR. - La blaguer mais la
convoiter. Quand on l’obtient, toujours dire qu’on ne l’a pas demandée »13 remarque-t-il dans le
Dictionnaire des idées reçues. Le renversement politique causé par la Commune implique un
changement de valeurs. Flaubert craint-il d’être perçu comme un écrivain d’arrière-garde entaché
par sa collusion avec l’Empire ? La chute de Napoléon III précipite à sa façon la sienne.
Crevant d’ennui sous le coup d’une bêtise généralisée14, l’écrivain entretient une relation
complexe avec l’Empire. Vilipendé puis reconnu par le pouvoir, il formule les jugements les plus
antinomiques à l’égard de Napoléon III. Son écriture épistolaire oscille entre charge légère et violent
pamphlet. Elle connaît la même polarité que les lettres à Colet. Est-ce à dire qu’il entretient une
forme de rapport amoureux avec la politique impériale ? Mélange d’enthousiasme et de dégoût,
obsession de la dégradation et de la critique sont les dénominateurs communs de sa vision de la
femme et du Second Empire. Enjeu politique, la démocratie est un objet de rejet idéologique majeur
dans sa correspondance. Comment accepter en effet l’autorité du peuple si l’on conteste déjà celle
de la femme ?
Q
En 1848, l’existence de Flaubert connaît une crise profonde avec la chute de la Monarchie
de juillet et le départ de Louis-Philippe. L’épistolier a l’impression d’assister à l’effondrement de la
société dans ce renversement des valeurs établies. L’élan réformateur des insurgés le laisse interdit.
L’expérience du Second Empire ne fait que développer en lui ce sentiment d’hostilité. « Il m’est
impossible de retrouver cette bande de journal où il y avait, je crois, un discours de Ribeyrolles. (...)
Ô démocratie, où serais-tu allée ? Ce papier était, probablement, tombé de mon lit sur le tapis, et il
(le domestique) l’aura chassé avec les ordures. Curieux symbolisme ! »15 écrit-il à la Muse.
L’épistolier envisage le Second Empire comme un facteur de désagrégation politique de la France de
11
(1 - S., 10 septembre 1870, Corr. IV, p. 234)
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues). Paris : Garnier-Flammarion, 1966. - 378 p. - p.
333)
13
(Ibid., p. 344)
14
(1 - S., 29 avril 1870, Corr. IV, p. 184)
15
(1 - C., 25 mars 1854, Corr. II, p. 541)
12
442
son enfance. « L’individu a été tellement nié par la Démocratie qu’il s’abaissera jusqu’à un
affaissement complet, comme sous les grands despotismes théocratiques »16 précise-t-il à Sand.
L’avènement de la Troisième République et la pérennisation du suffrage universel entérinent ce
désaveu. Flaubert assimile cet épisode historique aux avatars de l’aplatissement démocratique. Ses
jugements opposent le populisme à l’élitisme.
En 1871, il observe les bénéfices de la Commune. Cet épisode marque à ses yeux le recul
d’une démocratie dans laquelle il ne voit que démolition des équilibres hiérarchiques du corps social.
L’absence de principe et de métaphysique du gouvernement Thiers lui offre une parenthèse de
satisfaction. Mais la réjouissance est de courte durée. La satire de la souveraineté du peuple ne tarde
pas à refaire surface dans ses lettres. Flaubert enracine l’échec de la démocratie dans sa
fréquentation d’une morale religieuse jugée immorale, opposée à la justice et au droit, en somme
hostile à la société dans son entier. A la dictature du « nombre », il oppose sa croyance dans les
pouvoirs d’une « aristocratie légitime ». Il exprime à Sand combien
Le peuple est un éternel mineur, et il sera toujours (dans la hiérarchie des éléments sociaux)
au dernier rang, puisqu’il est le nombre, la masse, l’illimité. Peu importe que beaucoup de
paysans sachent lire et n’écoutent plus leur curé, mais il importe infiniment que beaucoup
d’hommes, comme Renan ou Littré, puissent vivre, et soient écoutés. Notre salut n’est,
maintenant, que dans une aristocratie légitime, j’entends par là une majorité qui se
composera d’autres choses que de chiffres17.
Cette bipolarité critique anime la Correspondance. L’écrivain confie au « Chère Maître » - « Tout le
rêve de la démocratie est d’élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois »18 - avant
de
contrecarrer en une phrase les vertus de l’égalitarisme politique - « La grâce, l’humanitarisme, le
sentiment, l’idéal » - par les idéaux « du Droit et de la Science ».
Au coeur de cette réflexion sur l’influence politique des masses, il associe la démocratie au
christianisme et au socialisme et voit dans l’essor de la science la possibilité d’anéantir le dogmatisme
populiste. Parallèlement à ces analyses contradictoires (stigmatisation VS idéalisme), il accuse le
conservatisme.
Q
Les forces politiques d’opposition n’ont pas la faveur de l’épistolier dans ses lettres à Sand.
« Le parti conservateur n’a pas même l’instinct de la Brute (car la brute, au moins, sait combattre
16
(1 - S., 12 juin 1867, Corr. III, p. 653)
(1 - S., 30 avril 1871, Corr. IV, p. 314)
18
(1 - S., 7 octobre 1871, Corr. IV, p. 384)
17
19
pour sa tanière et ses vivres »
443
écrit-il. Son idée des prises de position conservatrices peut se
résumer par le titre d’une pièce de Shakespeare : Much a do about nothing. Beaucoup de bruit
pour rien, c’est précisément ce que l’écrivain reproche aux gesticulations des opposants au
renouvellement social. Déclarations cinglantes et ironie mordante mettent à mal leur idiotie, leur
indécision et leur malveillance. Cette verve épistolaire concerne aussi bien les répercussions du
conservatisme sur la société que sur son Oeuvre.
En 1871, les derniers soubresauts de la Commune ont achevé de démoraliser Flaubert.
« Quarante » Prussiens occupent Croisset et le contraignent à l’exil. Le 31 mars, il décide de
regagner sa résidence suite au récent départ des envahisseurs. Il épanche dans l’épistolaire son
malaise politique. « Beaucoup de conservateurs qui, par amour de l’ordre, voulaient conserver la
République, vont regretter Badinguet ! Et appellent dans leur coeur les Prussiens »20 s’exclame-t-il.
Cet énoncé met en oeuvre des effets de sens sarcastiques par le mariage des sèmes dysphoriques
/ordre/ et /Prussiens/ avec les sèmes euphoriques /amour/ et /coeur/ mais aussi par la désignation
pseudonymique de Napoléon III. Cette alliance subtile entre dénonciation violente et rire sardonique
structure la correspondance à Sand postérieure à la capitulation française. Elle participe de
l’exploitation stylistique de la modalité exclamative - matérialisant dans la phrase l’expression d’un
courroux - et d’un lexique imagé se jouant à des fins expressives de tous les niveaux de langue.
L’épistolier souligne la bêtise généralisée de la société en associant rapport au féminin et
abstentionnisme électoral des conservateurs :
Triste ! Triste ! Pauvre France ! Et on m’a accusé d’être sceptique ! Que dites-vous de Mlle
Papavoine, une pétroleuse, qui a subi au milieu d’une barricade les assauts de 18 citoyens !
(...) mais ce qui dépasse tout maintenant, c’est le parti conservateur, qui ne va même plus
voter ! et qui ne cesse de trembler ! Vous n’imaginez pas la venette des Parisiens. « Dans six
mois, monsieur, la Commune sera établie partout » est la réponse ou plutôt le gémissement
universel21.
Plus près de son Oeuvre, Flaubert prend ses distances quant à l’orientation idéologique que les
partis en présence souhaiteraient observer dans ses oeuvres. Goûtant modérément l’asservissement
politique de l’Art, il a conscience des risques de la liberté et de l’affirmation de soi. Au sujet de sa
pièce Le Candidat - jouée pour la première fois le 11 mars 1874 - il fait remarquer à son amie :
« Les conservateurs ont été fâchés de ce que je n’attaquais pas les républicains. De même les
19
(1 - S., 8 septembre 1871, Corr. IV, p. 376)
(1 - S., 31 mars 1871, Corr. IV, p. 300)
21
(1 - S., 6 septembre 1871, Corr. IV, p. 372)
20
444
communards eussent souhaité quelques injures aux légitimistes » . La structure duelle des énoncés 22
« conservateurs » VS « républicains », « communards » VS « légitimistes » - éclaire la difficulté
qu’il éprouve à inscrire son Oeuvre dans l’état d’esprit contemporain. Vains, peureux et venimeux,
les conservateurs n’ont pas bonne presse à l’heure de l’après-Commune. Ils représentent un visage
de la décomposition politique. Dans ses lettres à Sand, l’écrivain leur donne l’apparence d’un
contre-pouvoir privé d’idée, de vision, d’énergie contestataire.
Rapport dégradé à l’Empire, dénonciation du naufrage de la démocratisation, bilan alarmant
sur les déficiences du conservatisme transforment l’espace épistolaire en lieu de remise en question
de la société. Des signes annonciateurs de 1848 aux premiers pas de la Troisième République,
Flaubert décrit le champ de ruines politique du Second Empire. Il manifeste son rejet des pouvoirs
de la classe dirigeante et du peuple. Aussi cette représentation négative des deux extrêmes du corps
social entre-t-elle en résonance avec un examen sans concession de la vie économique.
2.2 - L’examen de la vie économique
L’avarice, vieille femme en haillons recousus, agite
continuellement dans l’air sa main droite qui a dix doigts,
et de la gauche elle retient des pièces d’argent dans ses
poches trop pleines. (29 - FLAUBERT, G., Oeuvres complètes (La
tentation de Saint-Antoine (1856), La tentation de Saint-Antoine,
(1874). Paris : Conard, 1910. - t. 4, p. 514)
Avant d’être un sujet de réflexion général, la question financière touche l’épistolier dans son
intimité. Son histoire personnelle interagit constamment avec celle de son siècle. Appartenant à une
classe sociale favorisée, l’argent est pour lui une préoccupation majeure. Il inscrit cette donnée dans
le paradigme qu’il affectionne tant : Haine VS Passion, Reconnaissance VS Désaveu. Entre
aspirations paradoxales et examen critique, son rapport à l’argent est sujet à différentes inflexions
thématiques et stylistiques dans la Correspondance.
L’argent est une blessure et une contrainte. Ecrivain épris d’absolu, Flaubert refuse de se
compromettre dans une quelconque activité professionnelle. Et il proscrit toute aide extérieure, par
fierté peut-être, par savoir-vivre certainement. Il assure à sa maîtresse :
Merci de tes offres, merci de ton dévouement. Mais je n’ai besoin maintenant de rien. Dans
un avenir qui est peu éloigné peut-être je serai sans doute sans le liard, ce dont je me moque
22
(1 - S., 12 mars 1874, Corr. IV, p. 779)
445
complètement. Quand j’en serai là, si j’y viens, je ne souffrirai plus sans doute de beaucoup
de choses qui me feraient souffrir maintenant. Mais quant à gagner de l’argent, non, non,
et à en gagner avec ma plume, jamais ! jamais !23
L’épistolier est cycliquement exaspéré par ses problèmes d’argent. En octobre 1847, il se voit dans
l’incapacité de se rendre à Paris pour travailler à la bibliothèque Sainte-Geneviève et applaudir un
drame de Colet. Il a recours à cette métaphore mythique pour représenter à son amante le caractère
monstrueux de l’élément financier :
Il est triste de n’être pas libre, de ne pouvoir aller où l’on veut et que la fortune toujours nous
lie les pieds. L’hippogriffe, c’est l’argent ! - A mesure que je vais pourtant, je me fais à l’idée
de la misère et par anticipation je m’y habitue. Autrefois j’avais là-dessus des désirs fort
beaux, féconds, et d’où sortaient parfois de grandes choses comme il en jaillit de toute
aspiration démesurée. Je vois que je me modère, j’en arrive à souhaiter presque le
confortable, cent mille livres de rente comme tout le monde, de quoi vivre enfin ! C’est bien
canaille ! Ne ris pas de cette confidence et ne me méprise pas pour te l’avoir faite. Elle
touche à des choses de mon intérieur très profondes24.
Cette opposition entre le rêve et la réalité anime les images de l’argent. Elle traduit l’écart existant
entre les desiderata de l’écrivain et sa situation matérielle. Le 4 septembre 1852, Flaubert se plaint à
Colet de la venue d’une parente à Croisset et des dérangements occasionnés. Il en profite pour lui
définir son idéal d’ascèse bourgeoise :
Que ne peut-on vivre dans une tour d’ivoire ! Et dire que le fond de tout cela, c’est ce
malheureux argent, Ce bienheureux métal, argent, maître du monde ! Si j’en avais un peu
plus, je m’allégerais de bien des choses. Mais, d’année en année, mon boursicot diminue et
l’avenir, sous ce rapport, n’est pas gai. - J’aurai toujours de quoi vivre, mais pas comme je
l’entends. Si mon brave homme de père avait placé autrement sa fortune, je pourrais être
sinon riche, du moins dans l’aisance. - Et quant à en changer la nature, ce serait peut-être
une ruine nette. - Quoi qu’il en soit, je n’avais aucun besoin des 200 fr(ancs) que tu m’as
renvoyés. Les re-veux-tu ?25
Ainsi l’épistolaire s’infléchit-il d’un discours pessimiste sur l’argent en un juste examen critique des
moyens financiers de l’écrivain.
En dépit de ces lamenti, Flaubert reste extrêmement conscient du privilège de sa condition. Il
constate pour Colet dans un mouvement d’autocritique :
La tour d’ivoire, la tour d’ivoire ! et le nez vers les étoiles ! Cela m’est bien facile à dire,
n’est-ce pas ? Ainsi, dans toutes ces questions-là, j’ose à peine parler. On peut me
répondre : Ah ! vous, vous avez vos petits revenus, mon gros bonhomme, et n’avez besoin
23
(1 - C., 16 août 1847, Corr. I, p. 467)
(1 - C., octobre 1847, Corr. I, p. 477)
25
(1 - C., 4 septembre 1852, Corr. II, p. 149)
24
446
de personne. Je le sais, et j’admire ceux qui valent autant que moi et mieux que moi, et qui
souffrent et sur qui on piétine26.
Cette clairvoyance essaime des analyses où la distinction entre Je et autrui répond à celle opérée
entre richesse et pauvreté. Le 26 septembre 1853, il s’agit dans une lettre à la Muse d’une bipolarité
entre des éléments euphoriques - « bourgeois », « chauffer », « feu », « soie », « ne pas m’inquiéter »
- et dysphoriques - « tirer le diable par la queue » et « pauvres mains » :
En ces matières (d’argent), du reste, j’ai toujours l’air d’un plat bourgeois et d’une canaille.
Je suis tranquillement à me chauffer les pieds à un grand feu, dans une robe de soie et en ce
que l’on peut appeler (à la rigueur) un château, tandis que tant de braves gens qui me valent
et plus, sont à tirer le diable par la queue, avec leur pauvres mains d’anges ! J’ai enfin de
quoi ne pas m’inquiéter de mon dîner27.
Cette prédilection pour le confort bourgeois est liée à un goût du superflu. Celui-là même qui le fait
se réjouir de la réception de précieux accessoires vestimentaires. «On m’a annoncé aujourd’hui que
d’ici à 15 jours je recevrai de Smyrne des ceintures de soie. Ca m’a fait plaisir. J’avoue cette
faiblesse. Il y a ainsi pour moi un tas de niaiseries qui sont sérieuses »28 écrit-il à Colet. Mais peutêtre est-ce dans les lettres à Leroyer de Chantepie que l’écrivain parvient le mieux à analyser son
rapport à l’argent. Il ne cache rien à son amie des fastueuses dérives de son imaginaire :
Quant à l’argent, j’en ai ce qu’il faut pour vivre à peu près, car j’ai de grands goûts de
dépenses, dit-on, bien que j’aie une conduite fort régulière. Beaucoup de gens me trouvent
riche, mais je me trouve gêné continuellement, ayant par-devers moi les désirs les plus
extravagants que je ne satisfais pas, bien entendu. Je rêve, quand le travail va mal, des palais
de Venise et des kiosques sur le Bosphore, et caetera. - Et puis je ne sais nullement
compter, je n’entends goutte aux affaires d’intérêt. J’ai horreur des dettes et je ne me fais
pas payer des sommes qu’on me doit. Quand je suis en train d’écrire, tout cela n’existe plus
pour moi. Je n’ai aucune envie. Mais quand je tombe dans mes découragements, l’homme
se réveille avec tous ses appétits et tous ses vices. On a tant besoin de se détendre l’âme !29
Cette inadéquation à l’argent s’accentue avec les années. Exaspéré par de nouveaux démêlés avec
son éditeur Lévy au sujet d’une souscription pour le recueil posthume des Dernières Chansons de
Bouilhet, l’écrivain s’exclame à l’attention de Sand : « Mon incapacité sous ce rapport se développe
dans des proportions effrayantes. Pourquoi la vue d’un compte me met-elle en fureur ? Cela touche
à la démence. Je parle très sérieusement »30. La permanence de ce désaveu financier est manifeste
entre l’Empire et la Troisième République. Elle est exprimée par des énoncés corrélatifs négatifs avec
26
(1 - C., 20 juin 1853, Corr. II, p. 357)
(1 - C., 26 septembre 1853, Corr. II, p. 439)
28
(1 - C., 14 septembre 1846, Corr. I, p. 342)
29
(1 - L.d.C, 23 août 1857, Corr. II, pp. 761-762)
30
(1 - S., 31 mars 1872, Corr. IV, p. 504)
27
447
Leroyer de Chantepie - « je n’entends goutte aux affaires d’intérêt (...) je ne me fais pas payer des
sommes qu’on me doit » - et par le substantif privatif «incapacité » avec Sand. Cette paralysie
financière est synonyme d’impuissance relationnelle dans la correspondance tardive de Flaubert. Le
motif de l’argent y prend des allures d’alibi. Un peu comme si l’écrivain cherchait à se justifier du
caractère désertique de sa vie privée en arguant de ses difficultés matérielles. « Je n’ai pas assez de
rentes pour prendre une femme à moi, ni même pour vivre à Paris pendant six mois de l’année. Il
m’est donc impossible de changer d’existence »31 se justifie-t-il à Sand. Au moment de sa « ruine »,
cette sombre conviction est « filée » de lettre en lettre. Ses plaintes deviennent dramatiques après
avoir tenté de sauver l’entreprise de son neveu par une mise à disposition de fonds :
Mon neveu a mangé la moitié de ma petite fortune. Pour l’empêcher de faire faillite j’ai
compromis tout le reste. Et je ne sais pas maintenant comment je vais vivre ? on ne peut rien
me demander de plus. Quant à faire le fier, après cela, et à me consoler avec les mots
« dévouement », « devoir », « sacrifice », non ! non ! J’ai été habitué à une grande
indépendance d’esprit, à une insouciance complète de la vie matérielle. - Or à mon âge on ne
refait pas sa vie. On ne change pas d’habitudes. J’ai le coeur broyé et l’imagination aplatie.
Voilà mon bilan32.
Moralement mortifié par l’idée de vendre Croisset, le manque d’argent l’incite à s’investir davantage
dans sa relation avec le « Chère Maître ». « Quand nous verrons-nous ? Moi, je ne peux pas aller à
Nohant ! mais, vous, avez-vous donc abandonné Paris pour toujours ? » s’inquiète-t-il avant de
conclure par un vibrant « votre vieux troubadour qui vous aime »33.
Dans le Dictionnaire des idées reçues - synthèse des convoitises et des bêtises de la vie
sociale - Flaubert apporte une définition essentielle de ce qui - entre attirance et dégoût, constat et
critique - ne cesse de le hanter, l’ARGENT :
- Cause de tout le mal. Auri sacra fames. Le dieu du jour (ne pas confondre avec
Apollon). Les ministres le nomment traitement, les notaires émoluments, les médecins
honoraires, les employés appointements, les ouvriers salaires, les domestiques gages.
L’argent ne fait pas le bonheur34.
A la lumière de cette problématique, il développe une réflexion sur la vie économique et le Progrès.
Q
La France connaît sous le Second Empire un essor technologique considérable. La
mécanique et la télégraphie électrique, les inventions de la bougie et du phare, l’avènement de la
31
(1 - S., 25 novembre 1872, Corr. IV, p. 611)
(1 - S., 3 octobre 1875, Corr. IV, p. 971)
33
(1 - S., 16 décembre 1875, Corr. II, p. 997)
34
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues), op. cit., p. 335)
32
448
photographie, les progrès de l’urbanisme, de la sidérurgie et des transports constituent les lignes de
force de cette modernisation de la société. Le 24 juin 1869, l’épistolier précise à Sand : « Il ne s’agit
plus de rêver la meilleure forme de gouvernement, puisque toutes se valent, mais de faire prévaloir
la Science. Voilà le plus pressé. Le reste s’ensuivra fatalement »35. L’enrichissement du pays est le
fruit de cette évolution saluée mais aussi critiquée.
« SCIENCE. - Un peu de science écarte de la religion et beaucoup y ramène »36 ironise
l’écrivain dans le Dictionnaire des idées reçues. Voie d’accès au réalisme concret, la science est un
repoussoir contre l’imprécision et l’obscurantisme. Flaubert la distingue de la volonté de prouver caractéristique du matérialisme et du spiritualisme - et des dérives humanitaristes, idéalistes et
sentimentalistes des littératures inspirées. Ce qui lui fait prêter à Vaucorbeil ces propos ironiques
dans Bouvard et Pécuchet : « l’art devait avoir un but : viser à l’amélioration des masses ! »37. Le
romancier fait de l’objectivité le vecteur principal des progrès de la pensée. Grâce à l’outil
scientifique, il naturalise l’homme et identifie les causes et les conséquences de son existence. La
Science est examen pur et non jugement moral. Par l’adoption de rigoureuses méthodes de
composition, l’écrivain place l’Art au carrefour de l’investigation archéologique et de l’analyse
historique, de la rigueur mathématique et de l’expressivité musicale. Mais la théorisation de cet idéal
artistique achoppe contre le caractère trivial des objectifs scientifiques de la société.
La pensée antithétique de Flaubert ordonne dans l’épistolaire toute une série de
caractérisations négatives. Ces oppositions de valeurs se déploient sur le fil d’une écriture à double
tranchant. L’épistolier associe étroitement le progrès technique au délabrement moral. Il demeure
sceptique quant à l’avenir de l’homme face au « progrès » économique. « A mesure que l’humanité
se perfectionne, l’homme se dégrade; quand tout ne sera plus qu’une combinaison économique
d’intérêts bien contrebalancés, à quoi servira la vertu ? »38 interroge-t-il Colet. Les échos littéraires
traduisant ce clivage - développement technique VS régression intellectuelle - abondent dans son
Oeuvre. Dans le Dictionnaire des idées reçues, l’art est ironiquement désavoué par la promotion
moderne du culte mécaniste : « ART. - Ça mène à l’hôpital. A quoi ça sert, puisqu’on le remplace
par la mécanique qui fait mieux et plus vite »39.
35
(1 - S., 24 juin 1869, Corr. IV, p. 65)
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues), op. cit., p. 376)
37
(Ibid., p. 174)
38
(1 - C., 1er-2 octobre 1852, Corr. II, p. 168)
39
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues), op. cit., p. 336.)
36
449
En marge de cette observation des avatars de la science - oscillant entre idéalisation et
critique de la modernité - l’écrivain porte un regard sans indulgence sur l’industrie, les transports et
l’habillement.
Q
Empereur, Napoléon III a très vite le sentiment du pouvoir financier du milieu catholique. Il
entend conquérir ses faveurs afin de dynamiser l’industrialisation. Aussi le laisse-t-il régenter la
sphère culturelle. Les points de vue plus ou moins négatifs de Flaubert sur l’industrie s’inscrivent
dans la perspective de cette entente entre économie et vie intellectuelle. « Nous allons devenir un
grand pays plat et industriel comme la Belgique »40 redoute-t-il le 30 avril 1871 dans une lettre à
Sand.
L’épistolier a le sentiment que le positivisme scientifique, son esprit d’examen, son sens de la
méthode, auraient pu être appliqués par l’Empire à la politique; mais qu’à défaut de cela, les
querelles intestines et les réactions épidermiques ont empêché tout débat productif quant à
l’évolution économique de la France. Dans la correspondance avec Colet, l’industrialisation est un
fait de société problématique. La situation de l’artiste durant cette période y est assimilée à une
mécanique complexe et souffrante : « Je crois que les souffrances de l’artiste moderne sont, à celles
de l’artiste des autres temps, ce que l’industrie est à la mécanique manuelle. Elles se compliquent
maintenant de vapeurs condensées, de fer, de rouages »41. Cette idée de l’asservissement de
l’homme à la machine n’est pas seulement déclinée sur le mode figuratif. Flaubert lui confère
fréquemment une orientation sociologique. Il prend parti contre la bêtise de l’idéologie industrialiste :
Quel boucan l’industrie cause dans le monde ! Comme la machine est une chose tapageuse !
A propos de l’industrie, as-tu réfléchi quelquefois à la quantité de professions bêtes qu’elle
engendre et à la masse de stupidité qui, à la longue, doit en provenir ? Ce serait une
effrayante statistique à faire ! Qu’attendre d’une population comme celle de Manchester, qui
passe sa vie à faire des épingles ? Et la confection d’une épingle exige cinq à six spécialités
différentes ! Le travail se subdivisant, il se fait donc, à côté des machines, quantité
d’hommes-machines. Quelle fonction que celle de placeur à un chemin de fer ! de metteur en
bande dans une imprimerie ! etc., etc.42.
Dans sa pensée, l’industrialisation répond davantage à des visées financières qu’à des objectifs
humanistes. Le souci d’enrichissement explique ce nivellement professionnel par le bas. L’industrie
sous le Second Empire, c’est la grandeur de l’idée scientifique prostituée sur l’autel du bénéfice.
40
(1 - S., 30 avril 1871, Corr. IV, p. 314)
(1 - C., 20 juin 1853, Corr. II, p. 358)
42
(1 - C., 14 août 1853, Corr. II, p. 393)
41
450
« L’industrialisme a développé le Laid dans des proportions gigantesques ! (...) Que l’on réfléchisse
seulement quelle effroyable propagation de mauvais dessin ne doit pas faire la Lithographie ! »43
clame l’épistolier. En regard des développements des moyens de communication, il n’est pas moins
véhément.
Q
En 1836, la création de routes et de chemins vicinaux est engagée. Dès 1842, la construction
des premières lignes de chemins de fer permet aux marchandises, aux hommes et aux lettres de
circuler plus rapidement. L’adolescence de l’écrivain est marquée par cet essor. Le commerce et
l’industrie connaissent des facilités de diffusion sans précédents. Mais les transports n’ont pas que
des avantages. Ils favorisent un brassage des classes sociales qui n’est pas du goût de Flaubert.
Dans l’épistolaire, il exprime sa méfiance en ayant recours à des représentations hautes en couleurs.
La première ligne de chemin de fer française est inaugurée en 1837 entre Paris et SaintGermain. En 1842, les Chambres votent l’établissement d’un réseau ferré se déployant depuis Paris
vers les métropoles régionales. L’écrivain inscrit cette innovation dans le large mouvement de
démocratisation scientifique caractérisant le règne de Napoléon III. Le 22 septembre 1853, il
exprime à Colet son refus de cette idéologie :
Nous sommes tous enfoncés au même niveau dans une médiocrité commune. L’égalité
sociale a passé dans l’Esprit. On fait des livres pour tout le monde, de la science pour tout le
monde, comme on construit des chemins de fers et des chauffoirs publics. L’humanité a la
rage de l’abaissement moral. - Et je lui en veux de ce que je fais partie d’elle44.
Les transports annihilent la hiérarchie de la société. L’épistolier se prononce en faveur du progrès mais pas pour tous. La bourgeoisie s’est entachée de populisme du jour où elle a consenti à se noyer
dans les déplacements de masse.
... il ne s’agit pas de déclamer contre le bourgeois (lequel bourgeois n’est même plus
bourgeois, car depuis l’invention des omnibus la bourgeoisie est morte ! oui, elle s’est assise
là, sur la banquette populaire, et elle y reste, toute pareille maintenant à la canaille, d’âme,
d’aspect et même d’habit !45
soutient-il à la Muse. L’omnibus acquiert une dimension politique : il a bouleversé la verticalité des
relations établies entre les classes sociales en instaurant un rapport horizontal et analogique.
« OMNIBUS. - On n’y trouve jamais de place. Ont été inventés par Louis XIV. « Moi, monsieur,
43
(1 - C., 29 janvier 1854, Corr. II, p. 518)
(1 - C., 22 septembre 1853, Corr. II, p. 437)
45
(1 - C., 29 janvier 1854, Corr. II, p. 518)
44
451
j’ai connu les tricycles qui n’avaient que trois roues ! » » plaisante l’écrivain dans le Dictionnaire
46
des idées reçues. Ce constat cynique sur les dérives de la science appliquée à des fins humanitaristes
creuse dans la Correspondance un sillon de prophéties cinétiques. Flaubert explique à Leroyer de
Chantepie combien l’essor des moyens de communication permettra d’apaiser une génération
meurtrie par les violences de l’Histoire :
Dans quelques années, l’humanité (par le développement nouveau de locomotion) va revenir
à son état nomade. On voyagera d’un bout du monde à l’autre, comme on faisait autrefois,
de la prairie à la montagne : cela remettra du calme dans les esprits et de l’air dans les
poumons47.
Ce retentissement populaire de la technique lui fait craindre un recul de la curiosité artistique. A
l’heure de la parution de La légende des siècles, il confie à son amie angevine :
Je suis sûr que le public va rester indifférent à cette collection de chefs-d’oeuvre ! Son niveau
moral est tellement bas, maintenant ! On pense au caoutchouc durci, aux chemins de fer, aux
expositions, etc., à toutes les choses du pot-au-feu et du bien-être; mais la poésie, l’idéal,
l’Art, les grands élans et les nobles discours, allons donc !48
Les transports modernes ne sont guère à l’honneur dans les lettres à l’amante et à l’amie.
L’écrivain y voit une dangereuse compromission de la bourgeoisie avec le peuple, la dérive
technicienne d’une politique de démocratisation, et l’opium d’une plèbe plus avide de confort que
d’instruction. Exception faite de son invitation adressée à Sand au moment de l’occupation
prussienne, « Quand on pourra re-circuler sur les chemins de fer, venez donc me voir un peu. Il y a
longtemps que votre vieux troubadour vous attend ! »49, le train apparaissant ici comme l’agent
réparateur d’une amitié endommagée par la guerre. La révolution industrielle n’est en fait valorisée
que lorsqu’elle sert ses intérêts. Mais qu’en est-il dès lors de son rapport au vêtement, autre visage
sensible du Progrès sous le Second Empire ?
Q
L’évolution vestimentaire est placée au carrefour de toutes les symboliques. Objet érotique,
attribut hiérarchique, parure artistique, le vêtement véhicule les modes de paraître du corps social.
Nul n’est épargné par l’ire esthétique dont l’épistolier fait preuve à son encontre.
Egarements vestimentaires et dégradation de la femme entretiennent certaines parentés dans
sa pensée. Peu adepte du jupon, il assimile le triomphe de la crinoline à une prostitution. « La
46
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues), op. cit., p. 370)
(1 - L.d.C, 11 juillet 1858, Corr. II, p. 821)
48
(1 - L.d.C, 8 octobre 1859, Corr. III, p. 46)
49
(1 - S., 30 avril 1871, Corr. IV, p. 313)
47
452
crinoline a dévoré les fesses, notre siècle est un siècle de putains, et ce qu’il y a de moins prostitué,
jusqu’à présent, ce sont les prostituées »50 précise-t-il à Colet. Cette dénonciation de la mode
féminine ne repose pas que sur des prises de position théoriques - elle a aussi une assise empirique.
L’écrivain conteste l’impossible manipulation des accessoires de lingerie en vogue sous l’Empire. A
la plus intrigante de ses amies, il stipule : « Il faut faire passer la mode des corsets, lesquels sont une
chose hideuse, d’une lubricité révoltante, et d’une incommodité excessive, en de certains
moments. J’en aurais quelquefois bien souffert !!! »51.
Le vêtement masculin est aussi sévèrement caricaturé. A travers lui, l’homme devient le
pendant grotesque de la femme dégradée. Un peu comme si l’humanité se résumait pour Flaubert au
couple formé par l’imbécile et la putain. Ironique, l’épistolier met en cause la « financiarisation »
forcenée de la société dans la disparition de la bande de cuir ou d’étoffe empêchant de remonter
guêtre et pantalon. Il notifie à la Muse :
Quant au sous-pied, il est chassé de France, maintenant, par suite de l’extension et de la
rapidité des affaires commerciales. Remarquez que ce sont les Boursiers qui ont les premiers
porté la guêtre et le soulier. - Le sous-pied les gênait pour monter en courant les marches de
la Bourse, etc., etc.52.
Ces réactions épidermiques intéressent en outre le monde du spectacle. Affectionnant l’expression
gestuelle au théâtre, l’écrivain proscrit les accessoires susceptibles de lui porter atteinte. Ainsi en estil du gant blanc. « Et la vue des acteurs, qui ont quand même (même en jouant Guillaume Tell) des
gants Jouvin, suffit à me faire détester l’Opéra ! - Quels imbéciles ! Et l’expression de la main, que
devient-elle avec un gant ? imaginez donc une statue gantée ! »53 explique-t-il à Colet. Femme,
homme, société sont habillés de sarcasmes dans la correspondance d’un esthète pour qui, en haine
de l’existence, tout devient prétexte à de brillantes variations sur les ridicules de l’humanité. Cette
écriture au vitriol anticipe la rédaction de Bouvard et Pécuchet - immense dossier de la bêtise par
lequel il voulait auréoler son Oeuvre.
« COMMERCE. - Discuter pour savoir lequel est le plus noble du commerce ou de
l’industrie »54 suggère Flaubert dans le Dictionnaire des idées reçues. Cette entrée éclaire l’analyse
de la vie économique à laquelle il se livre dans ses lettres à l’amante et à l’amie. La dualité de son
50
(1 - C., 29 janvier 1854, Corr. II, p. 518)
(Ibid., p. 520)
52
(Ibid., p. 519)
53
(Ibid., p. 520)
54
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues), op. cit., p. 342)
51
453
discours épistolaire - exposé sur la mercantilisation et dénonciation des limites de l’industrialisation est fondatrice d’un jugement sans concessions sur l’Histoire.
2.3 - La philosophie de l’Histoire
Nous ne savons pas, dit Bouvard, ce qui se passe dans
notre ménage, et nous prétendons découvrir quels
étaient les cheveux et les amours du duc
d’Angoulême ! ». Pécuchet ajouta : « Combien de
questions autrement considérables et encore plus
difficiles ! ». D’où ils conclurent que les faits extérieurs
ne sont pas tout. Il faut les compléter par la
psychologie. Sans l’imagination, l’histoire est
défectueuse. - « Faisons venir quelques romans
historiques ! ». (33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet
(Dictionnaire des idées reçues). Paris : Garnier-Flammarion, 1966. - 378
p. - p. 154)
.
Les lettres à Colet, Leroyer de Chantepie et Sand placent la Correspondance au coeur
d’une conceptualisation du fait historique. Qu’elle soit personnelle - époque faste de l’amour pour
Elisa Schlésinger VS relation souffrante avec la Muse - ou collective - âge d’or de l’antiquité VS
désastre du Second Empire, l’histoire flaubertienne est un axe temporel et événementiel gradué du
positif au négatif.
Le destin tragique de l’écrivain est l’interface du sort fatal de la société. Epistolier de la
fracture entre un passé glorieux et un présent honni, il soutient à la Muse : « le vrai n’est jamais dans
le présent. Si l’on s’y attache, on y périt »55. Cette opposition structure son point de vue sur l’écueil
révolutionnaire et le péril socialiste.
V
1848 renverse la donne politique française. Quelques années plus tard, le coup d’état de
Bonaparte accentue cette instabilité sociale. La guerre franco-allemande et la Commune laissent la
France à feu et à sang. Le désarroi des contemporains de ces événements est à son comble. Doit-on
rétablir la royauté ? Quel roi désigner ? s’interroge la majorité de l’Assemblée, divisée entre les
légitimistes - favorables au comte de Chambord - et les orléanistes - soutenant le comte de Paris. Le
prince impérial est au coeur du projet des nostalgiques de Napoléon III de rétablir l’Empire. Thiers
55
(1 - C., 26 avril 1853, Corr. II, p. 316)
454
voit dans le rétablissement de la royauté un dangereux ferment de discorde. Flaubert envisage au
contraire cet événement comme un élan positiviste de premier ordre. En mai 1873, Thiers
démissionne sous la pression de l’Assemblée qui lui désigne Mac-Mahon pour successeur. La
royauté n’est pas rétablie pour autant et, en 1875, une nouvelle constitution républicaine est votée.
En 1876, après les élections, le Sénat est à majorité royaliste tandis que la Chambre est à dominante
républicaine. Cette division politique trouve une issue après la dissolution de la Chambre par le Sénat
en mai 1877 et la victoire du républicain Gambetta aux élections présidentielles. Les lettres à Colet,
Leroyer de Chantepie et Sand posent le problème de cette période trouble par un désaveu des
changements violents de politique et de gouvernement. Cette prise de distance interroge un concept
de circularité historique.
L’Histoire de France, depuis la Révolution de 1789 jusqu’à la Commune, est décrite comme
un cycle consternant de destruction sociale. L’épistolier retrace les errances de la société du Second
Empire. Il décrit à la Muse ce travail de sape en articulant des propositions temporellement
circonscrites - « 89 ... 48 ... 51 » - autour du verbe « démoli ». L’effet de sens de cette construction
et de ce vocabulaire est des plus nihilistes. Il est couronné par l’emploi de « rien » - pronom indéfini
prenant la mesure d’une nullité - en association avec la métaphore de la fange : « 89 a démoli la
royauté et la noblesse, 48 la bourgeoisie et 51 le peuple. Il n’y a plus rien, qu’une tourbe canaille et
imbécile »56. Cette manifestation stylistique de la circularité des renversements sociaux est récurrente.
Accusant le XIXe siècle de ne pas avoir « découvert le soleil » - autrement dit de ne pas être
parvenu à désembrumer l’horizon social - Flaubert souligne le caractère répétitif de l’Histoire. Aussi
n’économise-t-il pas les redondances lexicales et les indicateurs de succession. « On dit par exemple
que la Réforme a été la préparation de la Révolution française. Cela serait vrai si tout devait en rester
là, mais cette Révolution est elle-même la préparation d’un autre état. Et ainsi de suite, ainsi de
suite »57 écrit-il à Leroyer de Chantepie. L’écrivain explique cette dérive par le travail du temps et de
l’oubli. En marge des aléas de la mémoire collective, il réfléchit sur sa péremption personnelle. Bien
que reconnu de l’opinion publique, il se sait ancré dans un processus historique où l’écart des valeurs
passées et présentes s’accentue sans cesse. Au sujet d’un roman de Du Camp, il déclare à Sand: «
C’est un livre (Les Forces perdues) (...) qui donne une idée juste des hommes de notre génération,
devenus de vrais fossiles pour les jeunes gens d’aujourd’hui. La réaction de 48 a creusé un abîme
56
(1 - C., 22 septembre 1853, Corr. II, p. 437)
(1 - L.d.C, 18 mai 1857, Corr. II, p. 718)
57
58
entre les deux France »
.
455
Ce mode de pensée rétrospectif est caractéristique de son écriture
épistolaire.
L’analepse souffrante et l’antithèse articulent tout particulièrement ses lettres au « Chère Maître ». En
guise de synthèse idéologique, il lui précise :
Ce qui m’avait effrayé dans l’histoire de 48 a ses origines toutes naturelles dans la
Révolution, qui ne s’est pas dégagée du Moyen Âge, quoi qu’on dise. J’ai retrouvé dans
Marat des fragments entiers de Proudhon (sic) et je parie qu’on les retrouverait dans les
prédicateurs de la Ligue59.
En 1871, Flaubert s’inquiète de l’enlisement politique de la France : « Nous pataugeons dans
l’arrière-faix de la Révolution, qui a été un avortement, une chose ratée, un four « quoi qu’on dise »,
et cela parce qu’elle procédait du Moyen Âge et du christianisme, religion anti-sociale »60. Fin 1873,
Mac Mahon succède à Thiers. L’écrivain nostalgique est écoeuré par le revirement de ses
concitoyens. Il emploie pour ce faire des verbes traduisant la versatilité intellectuelle. Ainsi en est-il
de « reverrions » et de « sont passés » : « Je ne serais pas étonné quand nous reverrions le petit père
Thiers ? D’autre part, beaucoup de Rouges, par peur de la réaction cléricale, sont passés au
Bonapartisme. Il faut avoir une belle dose de naïveté pour garder une foi politique quelconque »61.
L’opposition du conditionnel et du passé indéfini ouvre l’imaginaire épistolaire sur la prévision d’un
changement gouvernemental. La temporalité révolutionnaire est à nouveau bouclée.
L’éternel recommencement des erreurs humaines rythme les lettres à l’amante et à l’amie.
Cette écriture de la répétition scande la bêtise par la multiplication des preuves historiques apportées
aux correspondantes. Le regard porté par l’épistolier sur le conflit prussien est riche de cette
problématique.
Q
La guerre est un des principaux motifs de préoccupations de Flaubert. En 1853, une
confrontation russo-turque entraîne l’Angleterre et la France dans le conflit armé. Cet épisode est
marqué par la victoire des Alliés au siège de Sébastopol. Il s’achève le 30 mars 1856 par la
signature du traité de Paris. Ouvert sur l’actualité internationale, l’écrivain s’inquiète de l’issue des
« affaires d’Orient »62. Il voit en elles un témoignage supplémentaire de la violence grandissante des
58
(1 - S., 15 décembre 1866, Corr. III, p. 579)
(1 - S., 31 octobre 1868, Corr. III, p. 820)
60
(1 - S., 8 septembre 1871, Corr. IV, p. 376)
61
(1 - S., 5 septembre 1873, Corr. IV, p. 711)
62
(1 - C., 21 septembre 1853, Corr. II, p. 435)
59
456
modes de contestation politique. Ce constat sévère n’est pas sans influer sur son écriture. Sa relation
épistolaire avec Sand éclaire son rapport à la guerre de 1870.
L’écrivain est révolté par l’Empire autoritaire des années 1852-1860 - celui-là même
portant Madame Bovary devant les tribunaux. Après le tournant libéral du régime, sa colère
s’assagit un peu. Le pouvoir a eu l’heureuse initiative de décorer et de reconnaître son Oeuvre.
Flaubert reconnaît la puissance du pouvoir impérial et n’envisage pas qu’il puisse y avoir de conflit
armé. Les deuils de Bouilhet et de Jules de Goncourt contribuent sans doute à le couper de
l’actualité sociale. Le 19 juillet, une déclaration de guerre est signée avec la Prusse : sa déconvenue
est immense. Il explique cette guerre par la peur française d’une hégémonie de l’Allemagne.
Bismarck cherche en effet à renforcer dans une lutte nationale l’unité du pays avec les Etats du sud
de l’Allemagne. L’été de 1870 représente pour l’épistolier une période de profonde remise en
question. Trois jours après le début des hostilités, les dénonciations pleuvent. Il envisage la lutte
armée comme un prétexte trouvé par l’homme pour assouvir sa xénophobie instinctive. « Le bon
Français veut se battre : 1° parce qu’il est jaloux de la Prusse; 2° parce que l’état naturel de
l’homme est la sauvagerie; 3° parce que la guerre contient en soi un élément mystique, qui transporte
les foules »63 écrit-il. L’homme le dégoûte, la guerre aussi. L’écrivain « anthropomorphise » le conflit
afin de fondre ces deux réalités abjectes en un seul et même objet de haine. En regard des intentions
expansionnistes de l’Allemagne, il médite :
Peut-être, aussi, que la Prusse va se recevoir une forte raclée, qui entrait dans les desseins de
la Providence, pour rétablir l’équilibre européen ? Ce pays-là tendait à s’hypertrophier,
comme la France l’a fait sous Louis XIV et Napoléon. Les autres organes s’en trouvent
gênés. De là un trouble universel - Des saignées formidables seraient-elles utiles ?64
Après avoir rêvé un temps de la mort de la France pour avoir vu en elle la confirmation d’une idiotie
galopante, l’analyste informe son amie de sa détermination à aller combattre. Le 17 août, il précise
son engagement : « Si l’on fait le siège de Paris, j’irais faire le coup de feu. - Mon fusil est tout prêt. mais d’ici là je reste à Croisset où je dois rester. Je vous dirai pourquoi »65. Le 7 septembre66, il a
une envie animale de combattre. Lieutenant d’une compagnie de Croisset, il prend des « leçons d’art
militaire »67. Occultant un instant son pessimisme foncier, soudainement investi d’un élan patriotique
prononcé, l’épistolier entretient un léger espoir de victoire à la fin de l’année 1870. Le 27 novembre,
63
(1 - S., 22 juillet 1870, Corr. IV, p. 211)
(1 - S., 3 août 1870, Corr. IV, p. 218)
65
(1 - S., 17 août 1870, Corr. IV, p. 222)
66
(1 - S., 7 septembre 1870, Corr. IV, p. 232)
67
(1 - S., 10 septembre 1870, Corr. IV, p. 233)
64
457
il dévoile : « Si nous avons un succès sur la Loire, leur apparition sera retardée. Mais l’aurons-nous
? Quand il me vient de l’espoir, je tâche de le repousser, et cependant, au fond de moi-même, en
dépit de tout, je ne peux me défendre d’en garder un peu, un tout petit peu ! »68. L’Histoire contredit
Flaubert. Commandant l’armée de la Loire, le général Chanzy est contraint de se retirer vers l’Ouest.
La ville du Mans assiste à sa défaite en janvier 1871. Dans la Correspondance, le sentiment
d’envahissement des troupes ennemies est rendu présent par un champ lexical de l’attente appuyé
par des indicateurs de durée, de chronologie et des verbes de perception.
Voilà six semaines que nous attendons, de jour en jour, la visite de MM. les Prussiens. - On
tend l’oreille, croyant entendre au loin le bruit du canon. Ils entourent la Seine-Inférieure dans
un rayon de 15 à 20 lieues. Ils sont même plus près, puisqu’ils occupent le Vexin, qu’ils ont
complètement dévasté. Quelles horreurs ! C’est à rougir d’être homme 69.
clame l’écrivain.
En 1872, Flaubert manque d’amis avec qui discuter. Il constate combien « La Guerre a
creusé des abîmes »70. Expérience du conflit racial, clôture et destruction simultanées de la
Révolution française sont pour lui les conséquences du conflit franco-prussien. L’idiotie est la ligne
de force de ce processus barbare bouleversant sa vie au moment même où il est fragilisé par la perte
de ses intimes. Elle creuse le vide et accroît l’absence. Ce désaccord avec la Commune répond
d’une tragique correspondance entre mort collective et deuil personnel. Il éclaire la faillite des
révolutions et de leurs dérives armées.
Q
La guerre franco-allemande achevée, la France entame une guerre civile. Les défaites
répétées ont exaspéré les divisions entre républicains - se défiant d’une Assemblée nationale prête à
rétablir la royauté - et révolutionnaires - désirant instaurer un ordre nouveau. En mars 1871, un
gouvernement révolutionnaire est nommé à Paris : la Commune. En mai, la capitale est assiégée une
seconde fois. L’armée française mène les opérations. Fusillades et dévastations achèvent le
démantèlement engagé par les Allemands. Cette autodestruction de la France est vécue
dramatiquement par l’écrivain. La Commune est la « dernière manifestation du Moyen Âge »71, une
survivance du 4 septembre, un bis repetita des événements de juin estime-t-il dans les lettres à Sand.
68
(1 - S, 27 novembre 1870, Corr. IV, p. 264)
(Ibid.)
70
(1 - S., 3 février 1873, Corr. IV, p. 642)
71
(1 - S., 30 avril 1871, Corr. IV, p. 314)
69
458
1848 et 1871 reposent sur les mêmes processus : « républicanisation » forcée de la société
et soulèvement populaire. Les années 1870-1871 constituent l’acmé du désespoir de Flaubert.
L’épistolaire se fait déchirure et lamenti dans la Commune et l’après-Commune. Sand est à l’unisson
de cette affliction. L’échec guette à ses yeux les communards dont elle admire l’héroïsme mais
stigmatise la méthode. Elle craint l’enlisement de la France dans une guerre civile inutile. L’emploi de
la modalité exclamative et la convocation d’expressions imagées sont les alliés stylistiques de
l’épistolier dans ce rejet d’une politique populiste. La Commune ayant autorisé les locataires à laisser
impayés les termes d’octobre 1870 à avril 1871, il dénonce cette action inique :
... toujours les rengaines ! toujours la blague ! Voilà maintenant la Commune de Paris qui en
revient au pur Moyen Âge ! C’est carré ! La question des loyers, particulièrement, est
splendide. Le gouvernement se mêle maintenant de Droit naturel et intervient dans les
contrats entre particuliers. Elle affirme qu’on ne doit pas ce qu’on doit, et qu’un service ne se
paie pas par un autre service. - C’est énorme d’ineptie et d’injustice72.
Flaubert désavoue les pillages organisés et les exactions meurtrières73. Multipliant les métaphores, il
assimile les communards à des galériens et à des chiens :
Je trouve qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune, et forcer ces sanglants
imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats. Mais cela aurait
blessé l’humanité; on est tendre pour les chiens enragés. Et point pour ceux qu’ils ont
mordus74.
La mort de ses intimes est marquée du sceau de cette imagerie négative. Après avoir perdu
Théophile Gautier le 23 octobre 1872, l’écrivain met en cause ces événements. Il explique cette
disparition par l’avènement d’une nouvelle société, la proclamation de la république le 4 septembre
1870 et la constitution d’un gouvernement de défense nationale. « ... il est mort du dégoût de la
« charognerie moderne ». C’était son mot. Et il me l’a répété cet hiver plusieurs fois. « Je crève de la
Commune ! », etc. Le 4 septembre a inauguré un ordre de choses où les gens comme lui n’ont plus
rien à faire dans le monde »75 précise-t-il.
Epistolarisée, la Commune est représentée comme l’aboutissement d’un mouvement
révolutionnaire engagé en 1789 et poursuivi en 1848. La logique historique de l’épistolier est
d’essence concaténative : l’actualité est expliquée par le passé en une série d’analyses politiques à
visée analogique. La faillite initiale d’une révolution entraîne de façon inéluctable celle des
renversements sociaux lui succédant. Les tares du Second Empire nourrissent la débilité de la
72
(1 - S., 31 mars 1871, Corr. IV, p. 300)
(1 - S., 30 avril 1871, Corr. IV, p. 314)
74
(1 - S., 12 octobre 1871, Corr. IV, p. 393)
75
(1 - S., 28 octobre 1872, Corr. IV, p. 598)
73
459
Troisième République - et signent consécutivement le désespoir de Flaubert. Cette hostilité envers
les mouvements de masse interagit avec un désaveu global du pouvoir politique populaire.
V
Dès l’opposition à Louis-Philippe, le socialisme s’intensifie dans la vie politique. Les idées de
réforme et de lutte contre la paupérisation de la société connaissent une faveur grandissante dans les
années 1830. Issu d’une famille de notables, Flaubert grandit idéologiquement en marge de ce
discours de collectivisation des biens et des moyens de production.
La montée en puissance de la crise économique consolide la popularité des principes
socialistes. L’écrivain s’en offusque dans ses lettres à Colet : il ne goûte pas cet idéalisme bon
marché berçant les foules d’illusions. « Il est facile, avec un jargon convenu, avec deux ou trois idées
qui sont de cours, de se faire passer pour un écrivain socialiste, humanitaire, rénovateur et précurseur
de cet avenir évangélique rêvé par les pauvres et par les fous »76 remarque-t-il. Les patrons et les
propriétaires s’inquiètent de cette menace planant sur leur capital. En 1848, la misère grandit suite à
la fermeture de certains magasins et usines. Des ateliers nationaux sont instaurés afin de venir en aide
aux nécessiteux. Mais l’ampleur de la dépense engagée entraîne rapidement leur suppression. En
juin, les ouvriers s’insurgent. Ils établissent des barricades. Des troupes sont dépêchées par le
gouvernement. Une bataille de quatre jours s’ensuit. Elle occasionne des milliers de morts et une
vague de déportation dans les colonies. Flaubert s’enferme dans l’écriture. Le 24 mai, il a commencé
la première version de La Tentation de Saint Antoine. Sa relation avec Colet étant dans l’impasse,
il lui adresse le 25 août un dernier billet des plus laconiques. Il la remercie en quelques mots du
présent des cheveux de Chateaubriand 77. L’écrivain se coupe de l’histoire de son temps et de la
femme pour se projeter dans les fastes de l’imaginaire. En octobre 1849, son départ en Orient
achève cette distanciation.
Dès 1851, les réalités sociales lui posent à nouveau des problèmes : son esprit de caste demeure
inchangé. Aussi transforme-t-il l’épistolaire en creuset contestataire des dérives pseudo-progressistes
de l’idéologie de masse. Les 15-16 mai 1852, ayant renoué sa correspondance avec la Muse, il lui
écrit :
L’idéal de l’Etat, selon les socialistes, n’est-il pas une espèce de vaste monstre, absorbant en
lui toute action individuelle, toute personnalité, toute pensée, et qui dirigera tout, fera tout ?
76
(1 - C., 17 septembre 1846 , Corr. I, p. 351)
(1 - C., 25 août 1848, Corr. I, p. 502)
77
460
Une tyrannie sacerdotale est au fond de ces coeurs étroits : « Il faut tout régler, tout refaire,
reconstituer sur d’autres bases », etc.78.
Lyrique, hugolien dans ses indignations hyperboliques, il s’exprime sur les méfaits du socialisme. Son
opprobre politique croise sa mystique personnelle. C’est pourquoi il sollicite tant le champ lexical de
la religion. Le 4 septembre, ce constat est riche des emplois de « prédication », « Douleur »,
« blasphémé » et « christ » : « Voilà ce que tous les socialistes du monde n’ont pas voulu voir, avec
leur éternelle prédication matérialiste. Ils ont nié la Douleur, ils ont blasphémé les trois quarts de la
poésie moderne, le sang du christ qui se remue en nous »79. De la métaphore christique à la
« pathologisation » du socialisme, un glissement est opéré afin de matérialiser par l’hybris les
dysfonctionnements du culte de l’humanité :
O socialistes ! C’est là votre ulcère : l’idéal vous manque. Et cette matière même, que vous
poursuivez, vous échappe des mains comme une onde. L’adoration de l’humanité pour ellemême et par elle-même (ce qui conduit à la doctrine de l’utile dans l’art, aux théories de salut
public et de raison d’Etat, à toutes les injustices et à tous les rétrécissements, à l’immolation
du droit, au nivellement du Beau), ce culte du ventre, dis-je, engendre du vent (passez-moi le
calembour)80
Flaubert explique son désaveu du socialisme par son attachement à la liberté civile et politique et aux
intérêts majeurs de la société. Cette déception le retranche dans une écriture pessimiste.
Le rêve du socialisme, n’est-ce pas de pouvoir faire asseoir l’humanité, monstrueuse
d’obésité, dans une niche toute peinte en jaune, comme les gares de chemin de fer, et qu’elle
soit là à se dandiner sur ses couilles, ivre, béate, les yeux clos, digérant son déjeuner,
attendant le dîner, et faisant sous elle ? Ah ! je ne crèverai pas sans lui avoir craché à la figure
de toute la force de mon gosier81.
déplore-t-il. La crainte de l’oppression lui fait augurer la disparition des valeurs auxquelles il rattache
sa vie. Il confie à Leroyer de Chantepie : « J’ai en haine tout despotisme. Je suis un libéral enragé.
C’est pourquoi le socialisme me semble une horreur pédantesque qui sera la mort de tout art et de
toute moralité »82. L’écrivain désapprouve la collusion entre religion et politique. « Le néocatholicisme d’une part et le Socialisme de l’autre ont abêti la France. Tout se meut entre
l’Immaculée Conception et les gamelles ouvrières »83 indique-t-il à Sand. Cette image du récipient
vulgaire de l’idéologie populiste trouve des résonances dans l’Oeuvre romanesque. Dans
L’Education sentimentale, Flaubert caractérise les connaissances socialistes de Sénécal par le
78
(1 - C., 15-16 mai 1852, Corr. II, p. 90)
(1 - C., 4 septembre 1852, Corr. II, p. 151)
80
(1 - C., 26 mai 1853, Corr. II, p. 334)
81
(1 - C., 2 mars 1854, Corr. II, p. 529)
82
(1 - L.d.C, 30 mars 1857, Corr. II, p. 698)
79
461
recours figuratif au terme injurieux de « charretée ». En 1871, critique forcené des utopies socialistes,
il envisage cette doctrine comme une réactualisation dégradée de l’autoritarisme impérial déchu. Il
trouve une confirmation du bien-fondé de ce désaveu dans les excès de ses contemporains : « Que
dire des Socialistes qui imitent les procédés de Badinguet et de Guillaume : réquisitions, suppressions
de journaux, exécutions capitales sans jugement, etc. ? Ah ! quelle immorale bête que la foule ! »84.
L’écrivain dissèque avec précision les mensonges populistes des gouvernants et les illusions
progressistes de la masse. Sa condamnation des acquis sociaux brandis au peuple dès 1848 par la
bourgeoisie républicaine, puis par l’Empire et la Troisième République fait montre de sa profonde
lucidité politique. Comme le remarque Sartre, « Il est clair que Flaubert, sans se masquer les tares du
Second Empire, s’est identifié à cette société au point d’être pendant près de dix ans (61-70) aussi
heureux qu’il pouvait être. Sous la Troisième République, Gustave n’est plus qu’un « fossile » qu’on
adule mais qui n’existe plus vraiment »85. C’est pourquoi l’épistolier essaie tant bien que mal de
survivre en écrivant. Il met l’histoire à l’épreuve de l’art en projetant toujours sur elle une douleur
infinie. « Ainsi, en vérité, l’Art pour l’Art, objectivement, apparaît comme une féodalité noire dont le
principe, le Beau, est caché mais dont les Artistes sont, imaginairement, les chevaliers du Néant. Le
rapport de Flaubert au réel (bourgeois) est la destruction imaginaire »86 estime l’auteur de L’idiot
de la famille.
L’homme de lettres s’avère dépassé par les chaos historiques connus par la France entre
1789 et 1870. Il ne comprend pas ce pays qui - en haine du despotisme - met à bas un roi en 1789
pour se donner un empereur en 1804. Il est ébahi par ce siècle qui proclame la première république
puis cède à l’autoritarisme napoléonien, restaure une monarchie et lui substitue consécutivement la
seconde République, retourne à ses amours impériales avant de proclamer la Troisième République.
Citoyen et épistolier, l’écrivain est pris dans le tourbillon d’une société qui se cherche sans se trouver
et se laisse gouverner dans l’incapacité d’exercer une autorité. Le rejet des pouvoirs et des contrepouvoirs, l’analyse caustique de la vie économique et des mutations sous le Second Empire, la
philosophie de l’Histoire se déployant dans la Correspondance se nourrissent de cette stupeur face
aux manifestations outrageantes d’une bêtise généralisée et d’un enchaînement d’erreurs meurtrières.
Flaubert considère le règne de Napoléon III comme une tromperie pour laquelle les hommes de
1870 paient le tribut de la guerre et de la désolation. Il doute de la volonté de ses contemporains de
83
(1 - S., 19 septembre 1868, Corr. III, p. 805)
(1 - S., 31 mars 1871, Corr. IV, p. 300)
85
(140 - SARTRE, J.-P., L’idiot de la famille. Paris : Gallimard, 1988. - 3 v. - 2165 p. - t. 3, p. 656)
86
(Ibid., - p. 658)
84
462
réfléchir sur leurs errements. Il statue sur leur inaptitude à rebâtir la société sur de nouvelles bases. Il
incrimine l’envahissement du dogmatisme spirituel dans le champ social.
437
3. La satire de la religion
Quant à vivre avec une femme, à me marier
comme vous me le conseillez, c’est un horizon
que je trouve fantastique. - Pourquoi ? je n’en
sais rien. mais c’est comme ça. Expliquez le
problème. L’être féminin n’a jamais été emboîté
dans mon existence. Et puis, je ne suis pas assez
riche. Et puis, et puis... je suis trop vieux. - Et
puis trop propre, pour infliger à perpétuité ma
personne à une autre. Il y a en moi un fond
d’ecclésiastique qu’on ne connaît pas. ( 1 - S . , 2 8
o c t o b r e 1 8 7 2 , Corr. I V , p . 5 9 9 )
Sous Napoléon III, l’Eglise contrôle les arts et les lettres. Ainsi Flaubert
dénonce-t-il l’ambition impériale de mettre en place un nouvel ordre moral. Il y voit
une menace portée sur son esthétisme pur et la pratique de l’art pour l’art. Son oeuvre
épistolaire et romanesque - de la Correspondance jusqu’à Madame Bovary et
L’Education sentimentale - s’articule autour de la satire de la religion. Usant tantôt
de mise en cause implicite, tantôt de destruction revendiquée des principes
catholiques, l’écriture flaubertienne fait d’elle un motif de parodie et de dérision,
d’aliénation et de lèpre idéologique. Mais l’écrivain n’est pas pour autant un athée
cynique. Il a une certaine idée de Dieu. « Dieu (s’il y a un Dieu) lit dans ma
conscience (si j’ai une conscience) »1 assure-t-il à Colet. Mystique de l’art ou regard
sur les monothéismes, la lettre à l’amante et à l’amie dévoile les inflexions majeures de
ce rapport antithétique à la religion.
L’épistolier cultive un absolu de l’être et de la création qui jalonne sa
correspondance à Colet. « La vie, et c’est là la vie : aimer, aimer, jouir; ou bien
quelque chose qui en a l’apparence et qui en est la négation, c’est-à-dire l’Idée, la
contemplation de l’immuable, et pour tout dire par un mot, la Religion dans sa plus
large extension »2 lui confie-t-il à l’orée de leur liaison. Flaubert estime qu’une vie
1
(1 - C., 14 septembre 1846, Corr. I, p. 340)
(Ibid., pp. 341-342)
2
438
sans idéaux ne vaut pas la peine d’être vécue. « On ne vit pas sans religion »3
médite-t-il . Cet idéal a une essence artistique et inaugure une mystique de l’Oeuvre.
Epistolaire, il se traduit par des formes d’énonciation pragmatique. A la Muse,
l’écrivain adresse cet impératif : « Soyons religieux.(...) A force d’appeler la Grâce,
elle vient. - Dieu a pitié des simples »4. Par cet appel, il l’invite implicitement à
affranchir leur relation de l’élément physique - et a fortiori passionnel - en
s’investissant dans une réflexion théologico-artistique. Ce « mysticisme esthétique »
est à la fois une arme contre la médiocrité et un moyen de se désengager d’une
relation féminine menaçante. Il lui permet aussi de mener l’Oeuvre sur les chemins de
la perfection. L’écrivain remercie souvent le Créateur une fois ses impulsions créatives
assouvies avec succès 5. Cette notion d’idéal individuel est rattachée ici et là au divin et
à un intertexte évangélique :
Nous ne valons quelque chose que parce que Dieu souffle en nous. - C’est là
ce qui fait même les médiocres forts, ce qui rend les peuples si beaux aux jours
de fièvre, ce qui embellit les laids, ce qui purifie les infâmes : la foi, l’Amour.
« Si vous aviez la foi, vous remueriez les montagnes. » Celui qui a dit cela a
changé le monde, parce qu’il n’a pas douté 6.
Flaubert précise à Leroyer de Chantepie la nature de cet élan métaphysique : « ce qui
m’attire par-dessus tout, c’est la religion. Je veux dire toutes les religions, pas plus
l’une que l’autre. Chaque dogme en particulier m’est répulsif, mais je considère le
sentiment qui les a inventés comme le plus naturel et le plus poétique de l’humanité »7.
Tout comme dans sa relation amoureuse où l’idée de la femme le séduit davantage que
la femme elle-même, il affectionne le concept de religion et non ses dérivés
doctrinaires. Personnelle, intime, introspective, sa mystique est particulièrement
développée dans les lettres à Colet. Elle prend sa source dans l’esthétique - au sens
étymologique de sensation du Beau. « (...) c’est le fanatisme de l’Art qui est le
sentiment artistique. La poésie n’est qu’une manière de percevoir les objets extérieurs,
un organe spécial qui tamise la matière et qui, sans la changer, la transfigure »8
remarque-t-il. Cette spiritualité est d’essence allégorique. Et ce n’est pas sans raison
3
(1 - C., 26 juin 1852, Corr. II, p. 116)
(1 - C., 4 septembre 1852, Corr. II, p. 151)
5
(1 - C., 23 décembre 1853, Corr. II, p. 484)
6
(1 - C., 27 février 1853, Corr. II, p. 250)
7
(1 - L.d.C, 30 mars 1857, Corr. II, p. 698)
8
(1 - C., 31 mars 1853, Corr. II, p. 292)
4
439
si La Tentation de Saint-Antoine l’obsède sa vie durant. L’ascète cultive des
inclinations monacales très prononcées.
L’année dernière, lorsque je vous parlais de l’idée de rentrer dans un couvent,
c’était mon vieux levain qui me remontait.) Il arrive un moment où l’on a besoin
de se faire souffrir, de haïr sa chair, de lui jeter de la boue au visage, tant elle
vous semble hideuse. Sans l’amour de la forme, j’eusse été peut-être un grand
mystique 9
soutient-il à la Muse. Sa mystique personnelle explique ses considérations satiriques
sur les religions « collectives ».
L’écrivain a une compréhension aiguë des implications religieuses de la société.
Il aime décrire l’économie de la croyance populaire et des stratégies du pouvoir. Il
confie à Colet combien « La superstition est le fond de la religion, la seule vraie, celle
qui survit sous tou(te)s les autres. Le dogme est une affaire d’invention humaine. Mais
la superstition est un sentiment éternel de l’âme dont on ne se débarrasse pas »10.
Cette critique de la vénération publique est un leitmotiv épistolaire. Pourfendeur de la
crainte et de l’ignorance, des idées reçues et des chimères sociales, Flaubert est
convaincu que l’humanité - devenue superstitieuse par paresse - a trahi le message
premier de la religion. Excédé par ses semblables, l’écrivain invoque ironiquement
l’autorité divine pour châtier les médiocres. « Oh Jésus ! Jésus ! redescends donc
pour chasser les vendeurs du temple ! »11 s’exclame-t-il, « Oh ! mon Dieu ! mon Dieu
! quel ennui que de vivre dans un pareil temps ! (...) Que vous faites bien de vivre
loin de Paris ! »12 reprend-il comme en écho dans une lettre à Sand. Esprit d’élite, il
stigmatise la petitesse des aspirations intellectuelles du commun. Son constat est
désespéré : la bêtise est omniprésente. « Quant aux parties basses du corps social,
vous ne les élèverez jamais. Quand le peuple ne croira plus à l’Immaculée Conception,
il croira aux tables tournantes »13 indique-t-il à
Leroyer de Chantepie . Ce violent
procès-verbal de la médiocrité ambiante anime toutes ses correspondances. Il trahit
l’envie d’en finir avec un monde dominé par les présupposés. « J’ai été pris, au PèreLachaise, d’un dégoût de l’humanité, profond et douloureux. Le vrai Parisien est plus
9
(1 - C., 27 décembre 1852, Corr. II, p. 218)
(1 - C., 13 juin 1852, Corr. II, p. 104)
11
(1 - C., 26 septembre 1853, Corr. II, p. 441)
12
(1 - S., 24 avril 1873, Corr. IV, p. 657)
13
(1 - L.d.C., 16 janvier 1866, Corr. III, p. 479)
10
440
idolâtre qu’un nègre ! Ça m’a donné envie de me coucher dans une de ces fosses »14
rapporte l’écrivain au « Chère Maître ». Sans assise conceptuelle, la religion n’a pas
de légitimité.
Soeur du fanatisme, la crédulité religieuse est raillée. Seule l’observation d’un
modèle idéologique lui semble en mesure de rassembler les spiritualités égarées des
hommes du Second Empire. Il fait observer à Sand :
Si la société continue comme elle va, nous reverrons, je crois, des mystiques,
comme il y en a eu à toutes les époques sombres. Ne pouvant s’épancher,
l’âme se concentrera. Le temps n’est pas loin où vont revenir les langueurs
universelles, les croyances à la fin du monde, l’attente d’un Messie ? Mais la
base théologique manquant, où sera le point d’appui de cet enthousiasme qui
s’ignore ? Les uns le chercheront dans la chair, d’autres dans les vieilles
religions, d’autres dans l’art, et l’humanité, comme la tribu juive dans le désert,
va adorer toutes sortes d’idoles 15.
Ce souci de donner un fondement théorique à la religion participe d’un désir de
conférer une précision scientifique à tout ce qui concerne l’homme. L’imprécision des
grandes doctrines morales - la religion et la philosophie - lui semble à l’origine de
leurs opacités.
Nous manquons de science, avant tout; nous pataugeons dans une barbarie de
sauvages : la philosophie telle qu’on la fait et la religion telle qu’elle subsiste
sont des verres de couleur qui empêchent de voir clair parce que : 1° on a
d’avance un parti pris; 2° parce qu’on s’inquiète du pourquoi avant de
connaître le comment; et 3° parce que l’homme rapporte tout à soi. « Le soleil
est fait pour éclairer la terre ». On en est encore là 16
précise-t-il à Leroyer de Chantepie. L’écrivain désapprouve l’aura sociale des
auxiliaires de la foi. Il rapproche ces derniers de l’intelligentsia étatisée. En marge de
ses corrections de L’Acropole d’Athènes, il fait part à Colet des précautions à
prendre quant à l’évocation des ecclésiastiques :
Pour faire complètement bien ce morceau, il eût fallu ne pas ménager deux
classes de citoyens auxquels il nous est interdit de toucher : 1° les prêtres, 2°
les académiciens eux-mêmes. Ce sont ces deux genres d’animaux féroces qui,
quant à l’idée du Beau (l’idée antique), ont fait plus de mal que les Attila, et les
Alaric 17.
14
(1 - S., 2 février 1869, Corr. IV, p. 16)
(1 - C., 4 septembre 1852, Corr. II, p. 151)
16
(1 - L.d.C, 12 décembre 1857, Corr. II, p. 786)
17
(1 - C., 9 mars 1853, Corr. II, p. 258)
15
441
Il désavoue également les rituels catholiques. L’horreur des conventions est pour
beaucoup dans cette prise de distance. « Aujourd’hui, j’ai passé mon après-midi à
l’enterrement d’Amédée Achard. Funérailles protestantes aussi bêtes que si elles
eussent été catholiques »18 fait remarquer Flaubert à Sand.
Historiquement, il sanctionne le catholicisme à l’échelle du siècle. Il lui reproche son
absolutisme idéologique, sa promesse du bonheur terrestre, sa persuasion du paradis.
Cette satire s’accompagne de sombres considérations sur l’actualité contemporaine. A
l’époque du procès du maréchal Bazaine, l’épistolier développe pour Sand son point
de vue sur le catholicisme :
Quoiqu’il advienne, le catholicisme en recevra un terrible coup. Et si j’étais
dévot je passerais mon temps à répéter devant un crucifix : « Gardez-nous la
République, ô mon Dieu ! » mais on a peur de la monarchie, à cause d’ellemême, et à cause de la réaction qui s’ensuivrait. L’opinion publique est
absolument contre elle. Les rapports de MM. les préfets sont inquiétants,
l’armée est divisée en bonapartistes et en républicains, et le haut commerce de
Paris s’est prononcé contre Henri V. Voilà les renseignements que je rapporte
de Paris où j’ai passé dix jours. Bref, chère Maître, je crois, maintenant, qu’ils
seront enfoncés. Amen ! 19
Du désordre politique à la débandade religieuse, une même veine critique parcourt les
lettres à Colet, Leroyer de Chantepie et Sand. La conviction nietzschéenne de la mort
de Dieu rejoint celle de l’écrivain. « Le XIXe siècle est destiné à voir périr toutes les
religions. Amen ! Je n’en pleure aucune »20 résume-t-il.
Mystique de la forme et amoureux de l’esthétique, Flaubert voit dans
l’avènement du modèle scientifique la possibilité d’atteindre à une hauteur d’analyse
absolue - et par conséquent à l’impartialité. Une bonne religion (comme un bon
gouvernement du reste) est une religion agonisant et annonçant un nouvel état spirituel.
Dans l’homme, l’essentiel reste l’Idée et la pratique individuelle de la foi.
On ne fait rien de grand sans le fanatisme. Le fanatisme est la religion; et les
philosophes du XVIIIe siècle, en criant après l’un, renversaient l’autre. Le
fanatisme est la foi, la foi même, la foi ardente, celle qui fait des oeuvres et agit.
La religion est une conception variable, une affaire d’invention humaine, une
idée enfin; l’autre un sentiment 21
fait-il remarquer à Colet.
18
(Ibid.)
(1 - S., 30 octobre 1873, Corr. IV, p. 729)
20
(1 - S., 16 décembre 1875, Corr. IV, p. 997)
19
442
L’écrivain oppose entre eux des modes de connaissance - la philosophie et la religion,
le scepticisme et la croyance aveugle - et pose le problème de ce clivage :
Qui est-ce qui a prouvé que la religion est une philosophie devenue art, et que
la cervelle qui bat dedans, à savoir la superstition, le sentiment religieux en soi,
est de même matière partout, malgré ses différences extérieures, correspond
aux mêmes besoins, répond aux mêmes fibres, meurt par les mêmes accidents,
etc. ? 22
Flaubert est un rigoriste se tenant à distance des religions révélées, un homme habité
d’une énergie spirituelle sans profonde attache théologique, un métaphysicien creusant
les possibles de son écriture et non ceux de la Bible. La lettre à l’amante et à l’amie
éclaire son mysticisme artistique, sa solitude ecclésiastique, un idéal ascétique et une
ambition panthéiste qui font de lui un amant absent, un ami distant - un écrivain en
quête de Vrai. Il y développe une réflexion moraliste et sociologique sur les aléas de
la vie et de la création au temps du puritanisme impérial.
3.1 - Moralisme et moralité
Ah mon Dieu. As-tu réfléchi quelquefois à toute
l’importance qu’a le Vi dans l’existence
parisienne ? Quel commerce de billets, de
rendez-vous, de fiacres stationnant au coin des
rues, stores baissés ! Le
Phallus est la
pierre
d’aimant qui dirige toutes ces
navigations. ( 1 - C . , 2 9 n o v e m b r e 1 8 5 3 , Corr. I I , p . 4 7 1 )
La Correspondance est ponctuée de considérations sur les valeurs-phares de
la société sous le Second Empire. La religion est à l’épicentre du discours critique de
l’écrivain sur les aveuglements spirituels du peuple. « Adorons sans comprendre, dit le
curé »23 à Bouvard, cherchant à comprendre la Trinité. La satire épistolaire nourrit
cette exploitation romanesque de la bêtise catholique.
Flaubert ironise et tourne en dérision la première religion française. Il voit en
elle un vecteur d’illusion et un ferment de contingences. « CATHOLICISME. - A eu
21
(1 - C., 31 mars 1853, Corr. II, p. 292)
(1 - C., 7 juillet 1853, Corr. II, p. 378)
23
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues). Paris : Garnier-Flammarion, 1966. - 378 p. - p. 274)
22
443
une influence très favorable sur les arts » ironise-t-il dans le Dictionnaire des idées
24
reçues . Cette réprobation oscille dans ses lettres entre observation sarcastique et
représentation dérisoire. L’ironie amère et dépréciative de l’écrivain influence sa
perception historique du catholicisme. Ses recommandations de lectures à Leroyer de
Chantepie
portent l’empreinte d’un détachement complet quant aux principes
chrétiens :
Avez-vous l’Examen des dogmes de la religion chrétienne, par P. Larroque ?
Cela rentre dans vos lectures favorites. L’auteur est remonté aux sources,
chose rare ! et je ne vois pas une objection sérieuse qu’on puisse lui poser.
C’est une réfutation complète du dogme catholique; livre d’un esprit vieux du
reste et conçu étroitement . C’est peut-être ce qu’il faut pour une oeuvre
militante ?25
Le caractère dogmatique du christianisme est constamment souligné. Cette idée est
partagée avec Sand. « Il ne me semble pas que la société chrétienne, si vous ne voulez
pas que je dise le dogme chrétien, ait assez consacré cette égalité que vous nous
accordez devant Dieu »26 écrivait la femme de lettres à Lamennais. Chez Flaubert, les
accusations épistolaires trouvent leur origine tantôt dans l’écriture - « En relisant mes
notes sur 48, je m’étonne de l’immense place et de la grande action qu’y ont eues
messieurs les ecclésiastiques ! et je (ne) m’étonne plus du dénouement »27 indique-t-il
- tantôt dans des expériences personnelles - « J’ai été dimanche à l’enterrement civil
de François-Victor Hugo. Quelle foule ! et pas un cri, pas le plus petit désordre ! Des
journées comme celle-là sont mauvaises pour le catholicisme »28.
L’épistolier met à bas les ridicules de cette croyance institutionnalisée. Il
emploie pour ce faire un réseau d’images et un lexique péjoratifs. Le 12 avril 1854,
l’adjectif « rococo » qualifie ce dictat spirituel. Et la présence en co-texte du terme
anti-sentimentaliste « adoration des larmes » caractérise la vénération populaire de
Marie. « Avec le culte de la Vierge, l’adoration des larmes est arrivée dans le monde.
Voilà dix-huit siècles que l’humanité poursuit un idéal rococo »29 assure l’écrivain à la
Muse. Iconoclaste, Flaubert porte atteinte aux principes fondateurs du catholicisme.
24
(Ibid., p. 339.)
(1 - L.d.C, 15 janvier 1861, Corr. III, p. 137)
26
(244 - SAND, G., Correspondance. Textes établis, présentés et annotés par G. LUBIN. Paris : Garnier, 1964-1983. - 16 vol.
Lettre à Lamennais, 11 juin 1841. - t. V, p. 218)
27
(1 - S., 8 octobre 1867, Corr. III, p. 693)
28
(1 - S., 31 décembre 1873, Corr. IV, p. 758)
29
(1 - C., 12 avril 1854, Corr. II, p. 549)
25
444
La question de l’Immaculée-Conception est dans sa ligne de mire critique. Il assimile
cette doctrine « féminisante » à une stratégie politique.
... le dogme de l’Immaculée-Conception me semble un coup de génie politique
de la part de l’Eglise. Elle a formulé et annulé à son profit toutes les aspirations
féminines du Temps. Il n’est pas un écrivain qui n’ait exalté la mère, l’épouse
ou l’amante. - La génération, endolorie, larmoie sur les genoux des femmes,
comme un enfant malade. On n’a pas l’idée de la lâcheté des hommes envers
elles !30
stipule-t-il à Leroyer de Chantepie. Cette satire dialogue dans l’intertexte avec celle
de Sand. Dans Histoire de ma vie, le « Chère Maître » décrit sa première expérience
de la messe : « La première fois que j’en revins, ma grand’mère me demandant ce que
j’avais vu : « J’ai vu, lui dis-je, le curé qui déjeunait tout debout devant une grande
table et qui de temps en temps se retournait pour nous dire des sottises »31. Dans les
lettres de Flaubert à son amie, le thème de la relation entre homme et femme est
souvent lié au catholicisme. L’épistolier désapprouve la moralisation du
sexe sous
l’Empire :
Le catholicisme qui n’a songé qu’à empêcher la gaudriole, c’est-à-dire à
restreindre la nature, nous a trop habitués à faire cas de la chasteté. Nous
donnons à ces choses-là une importance grotesque ! Il ne faut plus être ni
spiritualiste, ni matérialiste, mais naturaliste. Isis me paraît au-dessus de la
Vierge, comme de Vénus 32.
Tour à tour critique et humoriste, il allie la finesse de son analyse sociologique à sa
spiritualité personnelle. Il remet en cause le système catholique et sa capacité à
structurer efficacement la société. Il soutient au « vieux troubadour » qu’« une Société
Catholique (qui a toujours besoin d’un bon Dieu, d’un Sauveur) n’est peut-être pas
capable de se défendre ? »33. Dans ce réexamen de la religion, l’épistolier établit de
nombreuses corrélations entre moralisme chrétien et censure artistique.
3.2 - De la censure au pamphlet
30
( 1 - L.d.C, 18 décembre 1859, Corr. III, p. 65)
(245 - SAND, G., Oeuvres autobiographiques (Histoire de ma vie - Isidora - Journal d’un militaire à Paris). Textes établis,
présentés et annotés par G. LUBIN. Paris, Gallimard, 1971. - 2 vol. -- t. 1, p. 696. - (Bibliothèque de la Pléiade))
32
(1 - S, 17 novembre 1866, Corr. III, p. 559)
33
(1 - S., 8 septembre 1871, Corr. IV, p. 376)
31
445
Avec la théorie des tendances, on peut faire
guillotiner un mouton, pour avoir rêvé de la
viande. Il faudrait s’entendre définitivement sur
cette question de la moralité dans l’Etat. Ce qui
est Beau est moral, voilà tout, et rien de plus.
La poésie, comme le soleil, met l’or sur le
fumier. Tant pis pour ceux qui ne le voient pas.
(3 - FLAUBERT, G., Oeuvres complètes de Gustave
Flaubert. - Edition augmentée de variantes, de notes d’après
les manuscrits, versions et scénarios de l’auteur et de
reproductions en fac-similé de pages d’ébauche et définitives
de ses oeuvres. Paris : Louis Conard, MDCCCCXXX. - 18
vol. Huitième série, (1877-1880). - 407 pp. - t. 9, p. 397)
Flaubert a neuf ans lorsque paraît la seconde ordonnance par laquelle Charles
X interdit aux journaux de faire paraître des articles n’ayant pas été approuvés par
des fonctionnaires de police. Le totalitarisme intellectuel scelle l’éveil de sa sensibilité
littéraire. Ce sentiment de la menace du pouvoir sur la figure de l’artiste
l’accompagnera sa vie durant. Ses pressentiments quant à l’emprise de la religion dans
la France napoléonienne se trouvent confirmés par les manifestations de la censure. La
presse est muselée dès 1852. Seuls paraissent les journaux ayant reçu l’aval du
gouvernement. Ceux qui sont discourtois à l’égard du pouvoir sont interdits de
publication. Du procès des Goncourt à celui de Baudelaire, en passant par l’affaire
Bovary en 1857, les exactions absolutistes de l’empereur touchent Flaubert de plein
fouet. L’épistolaire en porte la trace. La censure y est appréhendée dans l’histoire de
l’humanité comme dans celle de l’écrivain.
La société flaubertienne est une entité répressive. Par la censure, la bonne
conscience de l’Etat commet des actes attentatoires contre l’intelligence et la
novation. Cette volonté d’apprivoiser la pensée traverse les siècles :
le fil de
l’intolérance parcourt l’Histoire depuis les origines du christianisme jusqu’au dixneuvième siècle. L’écrivain dénonce cet état de fait :
La censure, quelle qu’elle soit, me paraît une monstruosité, une chose pire que
l’homicide. L’attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. La mort de
Socrate pèse encore sur la conscience du genre humain, et la malédiction des
Juifs n’a peut-être pas d’autre signification : ils ont crucifié l’homme-Parole,
voulu tuer Dieu. Les républicains, là-dessus, m’ont toujours révolté. Pendant
dix-huit ans, sous L(ouis)-P(hilippe), de quelles déclamations vertueuses n’a-ton pas (été) étourdi ! Qu’est-ce qui a jeté les plus lourds sarcasmes à toute
l’école romantique, qui ne réclamait en définitive, comme on dirait maintenant,
que le libre-échange ! Ce qu’il y a de comique ensuite, ce sont les grands mots
446
: « Mais que deviendrait la société ? » et les comparaisons : « Laissez-vous
jouer les enfants avec des armes à feu ? 34
Ce paradigme critique structure les lettres à l’amante et à l’amie. Depuis la censura
romaine jusqu’à la menace napoléonienne, il ordonne un questionnement sur la
circularité historique des aliénations créatives. Ironique, Flaubert confie à Sand :
« Quelle belle chose que la Censure ! Rassurons-nous : elle existera toujours ! parce
qu’elle a toujours existé »35 ? « CENSURE. - Utile, on a beau dire »36 poursuit-il dans
le Dictionnaire des idées reçues. Au delà des généralités et des boutades, ces
constats s’accompagnent dans la Correspondance de révélations déterminantes sur
les aléas de l’Oeuvre.
En 1853, l’écrivain écrit un article sur un poème de Bouilhet. Cette chronique
est menacée d’être arrêtée à La Presse. Il est révolté par cette atteinte. « La vue d’un
journal maintenant, et de celui-là entre autres me cause presque un dégoût
physique »37 confie-t-il à Colet. Dans les lettres à Sand, le motif de la censure est tout
aussi présent. Il éclaire les difficultés connues par Flaubert quant à l’accueil réservé à
ses oeuvres de maturité. Le 7 février 1873, Le Candidat motive son interrogation sur
l’orientation idéologique de son art. Aussi précise-t-il à son amie :
Une chose m’embête. La Censure a abîmé un rôle de petit gandin légitimiste,
de sorte que la pièce, conçue dans un esprit d’impartialité stricte, doit
maintenant flatter les Réactionnaires : effet qui me désole; car je ne veux
complaire aux passions politiques de qui que ce soit, ayant comme (vous) savez
la haine essentielle de tout dogmatisme, de tout parti38.
Le thème de la répression conforte de lettre en lettre son assise. Son horizon s’ouvre
sur la diffusion et la réception internationales des oeuvres. L’épistolier décrit les
heurts politiques rencontrés par La Tentation de Saint-Antoine :
S. M. l’empereur de toutes les Russies n’aime point les Muses. La Censure de
l’« autocrate du Nord » a formellement défendu la traduction de Saint Antoine
et les épreuves m’en sont revenues de Saint-Pétersbourg, dimanche dernier.
L’édition française sera, mêmement, interdite. C’est pour moi une perte
d’argent assez grave. Il s’en est fallu de très peu que la Censure française
34
(1 - C., 9 décembre 1852, Corr. II, pp. 202-203)
(1 - S., 4 décembre 1872, Corr. IV, p. 620)
36
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues), op. cit., p. 339)
37
(1 - C., 7 septembre 1853, Corr. II, p. 427)
38
(1 - S., 7 février 1873, Corr. IV, p. 766)
35
447
n’empêchât ma pièce. (...) Cruchard déplaît au Temporel. Est-ce drôle cette
haine naïve de l’Autorité, de tout gouvernement, quel qu’il soit, contre l’Art !39
Cette remise en question des procédures de contrôle culturel concerne le Second
Empire et son sillage. Ayant pris connaissance d’un récent veto politique, Flaubert
s’inquiète d’un possible discrédit du Sexe faible :
Vous ne savez pas, sans doute, qu’on a formellement interdit la pièce de
Coëtlogon parce qu’elle critiquait l’Empire. C’est la réponse de la Censure.
Comme j’ai dans Le Sexe faible un vieux général un peu ridicule, je ne suis pas
sans crainte à l’endroit de ces imbéciles. Quelle belle chose que la Censure ! 40
Manifestation dogmatique et peine disciplinaire, sentiment de l’ordre et de la
contrevenance, critique correctrice ou répressive, la censure représente tout cela dans
les lettres à Colet, Leroyer de Chantepie et Sand. De Madame Bovary aux oeuvres
ultimes, des origines de l’humanité à la Troisième République, l’écrivain retrace
l’histoire individuelle et collective de la coercition artistique. Dans Bouvard et
Pécuchet , il porte ce regard rétrospectif sur la situation politique en 1848 : « Le
cautionnement des journaux fut élevé, la censure rétablie. On en voulait aux romansfeuilletons. La philosophie classique était réputée dangereuse. Les bourgeois
prêchaient le dogme des intérêts matériels et le Peuple semblait content »41. Ainsi les
relations établies par l’homme de lettres entre ses représentations féminines et la
morale puritaniste du Second Empire sont-elles riches de ces enjeux.
Q
Flaubert attribue à l’affaire Bovary une origine politico-religieuse. « Je déplais
aux Jésuites de robe courte, comme aux Jésuites de robes longues. Mes métaphores
irritent les premiers, ma franchise scandalise les seconds »42 fait-il remarquer à Alfred
Blanche. Il interprète son passage devant le juge d’instruction et sa comparution en
police correctionnelle comme un prétexte. C’est pourquoi il a un moment l’intention mais Du Camp lui déconseille - de se défendre en réalisant l’impression spéciale du
roman agrémenté d’un intertexte « classique » légitimant ses audaces.
... je fourrerai sur les marges, en regard des pages incriminées, des citations
embêtantes, tirées des classiques, afin de démontrer par ce simple
39
(1 - S., 28 février 1873, Corr. IV, p. 773)
(1 - S., 5 septembre 1873, Corr. IV, p. 710)
41
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues), op. cit., p. 193)
42
(1 - Lettre à Alfred Blanche, 23 janvier 1857, Corr. II, p. 673)
40
448
rapprochement que, depuis trois siècles, il n’est pas une ligne de la littérature
française qui ne soit aussi attentatoire aux Bonnes Moeurs et à la Religion43
annonce-t-il à son frère Achille. Accusé de s’être rendu coupable des délits d’outrage
à la morale publique et religieuse et aux bonnes moeurs, Flaubert consolide par
l’épistolaire la défense de son histoire des adultères d’une femme de province. Il
invite pour ce faire Michel Lévy à lui procurer des lettres de Hugo et Lamartine,
Sainte-Beuve et Villemain, ou encore Auguste Villemot - journaliste belge soutenant
son roman. « J’aurai de lui (Lamartine), pour la présenter au tribunal, une lettre
élogieuse » s’enorgueillit-il auprès de son frère. A ce dernier, il demande qui plus est
de solliciter le soutien écrit de quelques hauts fonctionnaires normands. Ses amitiés
féminines participent à cette défense. A l’image de la princesse de Beauvau
intervenant auprès de l’Impératrice. Acquitté le 7 février 1857, Flaubert n’en demeure
pas moins meurtri par l’incompréhension d’une société si sclérosée de préjugés qu’elle
n’a perçu ni l’objectif esthétique de son roman ni la psychologie bisexuée et
iconoclaste de son héroïne.
La double identité d’Emma Bovary achoppe contre la morale puritaine de la
société impériale. L’écrivain précise à sa maîtresse : « Bovary (dans une certaine
mesure, dans la mesure bourgeoise, autant que je l’ai pu, afin que ce fût plus général
et humain) sera la somme de ma science psychologique »44. Le psychisme de l’héroïne
est complexe. Emma est féminine dans son apparence, masculine en amour. Flaubert
entend inventer une « héroïne plus humaine, une femme comme on en voit
davantage »45 déclare-t-il à Leroyer de Chantepie. Il prête par conséquent à Emma
nombre d’attributs scandaleux.
Emma se passionne et éprouve du plaisir comme un homme. Rodolphe est le
mètre-étalon de son désir d’échapper à l’embrigadement. Elle manifeste par ses
décisions et ses actes - à commencer par son désir d’enfanter un fils - une aspiration
démesurée à la Liberté. Depuis l’utilisation des effets personnels de son amant
(peigne, pipe, miroir à barbe) jusqu’à ses vêtements (chapeau, gilet), Emma
s’approprie les attributs de la masculinité pour vivre « en dehors des conditions de la
femme » et trouver refuge dans l’« imagination poétique » précise Flaubert à Leroyer
43
(1 - Lettre à son frère Achille, 20 janvier 1857, Corr. II, p. 670)
(1 - C., 3 juillet 1852, Corr. II, p. 124)
44
de Chantepie
46
.
449
Son goût de l’argent et de la possession matérielle (recouvrement
des factures de soins, autorité notariale), son esprit d’initiative (ses visites à Rouen
chez Léon, ses directives à l’égard de son amant et de son mari), sa pratique héroïque
de l’adultère témoignent de son refus de la norme. C’est pourquoi elle aime féminiser
ses hommes dans l’exercice conquis d’une autorité masculine.
L’appartenance à un sexe biologique - féminin - et à une origine sociogéographique - la bourgeoisie de province - sont les données premières de cette
remise en cause de l’ordre établi. Elles sont aussi celles d’un scandale littéraire. Ce
désaveu d’un modèle de société, cette inversion de la distribution sociale des pouvoirs
- Masculin actif / féminin passif - est partie prenante de la mise en accusation de
Madame Bovary par le pouvoir politique et la morale religieuse. Aussi les lettres de
Flaubert à l’amante et à l’amie posent-elles la question de l’aliénation féminine.
3.3 - L’aliénation de la femme
Tu me dis que je t’ai envoyé des réflexions
curieuses sur les femmes, et qu’elles sont peu
libres d’elles (les femmes). Cela est vrai. On
leur apprend tant à mentir, on leur conte tant de
mensonges ! Personne ne se trouve jamais à
même de leur dire la vérité. - Et quand on a le
malheur d’être sincère, elles s’exaspèrent contre
cette étrangeté ! ( 1 - C . , 2 4 a v r i l 1 8 5 2 , Corr. I I , p . 8 0 )
Une
réflexion
constante
sur
la
femme
et
la
féminité
traverse
la
Correspondance. Flaubert souligne en de nombreuses lettres combien son rôle a été
de tout temps desservi par une croyance collective dans ses particularismes
constitutifs. Il demeure partagé entre plusieurs positions. Tantôt favorable tantôt
opposé à ce déterminisme, il est à mi-chemin entre misogynie et féminisme.
Aristotélicien dans le sens où il caractérise négativement la femme (il l’identifie à
travers des spécificités), évolutionniste par son rejet des préjugés discriminatoires (il
s’insurge contre l’idée d’une sous-espèce féminine). A une époque où les théories
45
(1 - L.d.C., 30 mars 1857, Corr. II, p. 697)
(Ibid.)
46
450
proudhoniennes sont en vogue, l’écrivain a des prises de position hésitantes. Dans le
chapitre V d’Amour et mariage, significativement intitulé « sur l’infériorité
intellectuelle de la femme », Proudhon médite :
Des idées décousues, des raisonnements à contre-sens, des chimères prises
pour des réalités, de vaines analogies érigées en principes, une direction de
l’esprit fatalement inclinée vers l’anéantissement : voilà l’intelligence de la
femme, telle que la révèle la théorie imaginée par elle-même contre la
suprématie de l’homme 47.
Homme de son temps aimant à dégrader la femme afin de conforter son pouvoir,
Flaubert ne déroge guère à ces a priori quand il s’exprime sur les traits de caractère et
de pensée de sa maîtresse. « Il serait peu courtois à un philosophe de s’en rapporter
au jugement de la femme sur elle-même : elle ne se connaît pas, elle est incapable de
se connaître. C’est à nous, qui la voyons et qui l’aimons, d’en faire l’autopsie »48
poursuit Proudhon. Dans ses relations, l’épistolier se targue précisément de disséquer
l’âme féminine et d’en dévoiler les mystères. Afin d’apaiser les angoisses mystiques de
Leroyer de Chantepie, il lui déclare :
Vous pêchez par excès d’humilité, ce qui est une grande vertu. Indigne !
pourquoi ? pourquoi pauvre chère âme endolorie que vous êtes ? Rassurezvous. Votre Dieu est bon et vous avez assez souffert pour qu’il vous aime. Mais
si vous avez des doutes sur le fond même de la religion (ce que je crois, quoi
que vous en disiez), pourquoi vous affliger de manquer à des devoirs, qui dès
lors ne sont plus des devoirs ? 49
« Par sa nature, la femme est dans un état de démoralisation constante »50 envisage
Proudhon. Cette idée est là encore au coeur de la Correspondance. Flaubert
s’indigne des effets d’une éducation aliénante sur la femme.
Pourquoi donc vous désespérer de ne pouvoir ni vous confesser, ni communier,
puisque vous ne le pouvez pas ? (...) L’admiration que vous me témoignez pour
Jean Reynaud me prouve que vous êtes en plein dans le courant de la critique
contemporaine et cependant vous tenez par l’éducation, par l’habitude et par
votre nature personnelle aux croyances du passé 51
annonce-t-il à sa correspondante angevine. L’écrivain met en débat le moralisme de
son époque - ces préceptes sur les actions humaines où l’idéologie, la recherche
47
(264 - PROUDHON, P.-J., Amour et mariage. Paris : A. Lacroix et Ce, 1876. - 251 p. - p. 137)
(Ibid.)
49
(1 - L.d.C., 6 juin 1857, Corr. II, p. 730)
50
(264 - PROUDHON, P.-J., Amour et mariage, op. cit., p. 151)
51
(1 - L.d.C., 6 juin 1857, Corr. II, p. 730)
48
451
technique et l’idée de nature ne laissent aucune place à la prise en considération des
différences sexuelles. Il en identifie clairement les limites. Le cloisonnement et la
répartition discriminante des tâches sont des solutions politiques de facilité. Priver la
femme de perspectives sociales porte atteinte à l’évolution de l’humanité. Ces points
de vue démentent dès lors ceux de Proudhon pour qui la femme ne peut assumer un
rôle qu’en matière de vulgarisation littéraire :
A toutes les époques, les femmes se sont fait une place dans la littérature; c’est
leur droit et c’est notre bien, je suis loin de le méconnaître. Leur mission peut
se définir : Vulgarisation de la science et de l’art par le sentiment, progrès de la
Justice par le juste amour, qui est le mariage. Qu’elles restent fidèles à ce
programme; de brillants succès les attendent, et la reconnaissance des hommes
ne leur manquera pas 52.
S’il stigmatise le sentimentalisme de l’écriture féminine, l’épistolier ne le cantonne pas
pour autant dans l’indigence. « La femme accomplie commet de la littérature comme
elle commet un péché véniel : à titre d’expérience, en passant, en se retournant pour
voir si on la remarque »53 envisage Nietzsche dans Le crépuscule des idoles. Flaubert
n’aurait sans doute pas cautionné cette opinion du détracteur de Sand.
Autour de cet écheveau de postulats misogynes dominant un siècle, sa culture et
ses régimes politiques, l’écrivain s’interroge sur l’éducation et le conditionnement
idéologique, la démythification du mariage et le rapport aux filles.
Q
Flaubert invite ses correspondantes à se débarrasser des « chloroses gothiques
»54 de l’héritage rousseauiste. L’anti-rousseauisme de Sand - axé précisément sur la
réfutation de l’infériorité féminine - est à l’unisson de ce désaveu. Réflexion sur les
idéologies contemporaines ou l’économie sociale des discriminations sexuelles, la
Correspondance est un espace d’analyse de l’aliénation féminine.
Les doctrines inégalitaires des Lumières sont en vogue au dix-neuvième siècle.
Elles véhiculent des représentations infériorisantes de la femme. Dans le Journal d’un
militaire à Paris, Sand dénonce cet état de fait :
Il n’a pas compris les femmes ce sublime Rousseau... Il n’a pas su, malgré sa
bonne volonté, en faire autre chose que des êtres secondaires dans la société. Il
52
(264 - PROUDHON, P.-J., Amour et mariage, op. cit., p. 200)
(318 - NIETZSCHE, F., Le Crépuscule des idoles. Traduction H. ALBERT . Paris : Mercure de France, 1952.- p. 142)
54
(1 - C., 15 janvier 1854, Corr. II, pp. 508-509)
53
452
leur a laissé l’ancienne religion dont il affranchissait les hommes; il n’a pas
prévu qu’elles auraient besoin de la même foi et de la même morale que leurs
pères, leurs époux et leurs fils, et qu’elles se sentiraient avilies d’avoir un autre
temple et une autre doctrine. Il a fait des nourrices, croyant faire des mères. Il
a pris le sein maternel pour l’âme génératrice. Le plus spiritualiste des
philosophes du siècle dernier a été matérialiste sur la question des femmes55.
La femme de lettres accuse la faveur scandaleuse des idées de Rousseau et de
Fénelon dans la pensée contemporaine - cette idéologie pour laquelle la femme n’est
que matrice, auxiliaire domestique, être « naturel » dont la fonction biologique supplée
à la déficience intellectuelle. Au dix-neuvième siècle, la maternité ne valorise même
pas la femme. Charge de l’homme, la femme produit elle-même des individus à
charge 56 estime Proudhon. Sur l’enfant - son produit dégénéré - le père exerce un
pouvoir absolu jusqu’à sa majorité. Il peut l’autoriser à quitter le domicile parental, le
faire emprisonner en cas de mécontentement, consentir sans restriction aucune à son
mariage. La mère n’a pas voix au chapitre. J.-F. Tetu observe le schéma familial
carcéral dans lequel elle est enfermée :
La situation initiale de la femme dans le code paraît être dépendante d’une
représentation de la famille, et sous un double aspect :
- La famille déterminée par l’unité du sang, ce qui explique d’une part
l’importance donnée aux ascendants (ce qui explique d’autre part la sanction
des incertitudes de la filiation dont la femme porte le poids essentiel : délai de
viduité, sanction de l’adultère pour assurer la sûreté et la sécurité de la
descendance);
- La famille comme lieu original de la propriété57.
De la Convention à la seconde république en passant par Louis-Philippe, le code civil
a entériné l’infériorisation de la femme. Proudhon théorise cette hiérarchie. Il souligne
le caractère vain d’un sexe fictivement rebelle à l’autorité masculine :
Dans ses rapports quotidiens avec l’homme, c’est beaucoup moins à l’égaler
qu’à le dominer qu’elle aspire, se plaignant, pleurant et criant au moindre heurt
de la volonté masculine, comme si la résistance à ses caprices était un abus de
la force; puis, par une dernière contradiction, se faisant la servante de celui
qu’elle ne peut vaincre, embrassant ses genoux, baisant ses pieds, se livrant,
s’abandonnant, quitte à recommencer le lendemain 58.
55
(245 - SAND, G., Oeuvres autobiographiques (Histoire de ma vie - Isidora - Journal d’un militaire à Paris), op. cit., t. 2, p. 40)
(264 - PROUDHON, P.-J., Amour et mariage, op. cit., p. 23)
57
(TETU, J.-F., « Remarque sur le statut juridique de la femme au XIXe siècle » In 207 - TETU, J.-F., CZYBA, L., COURT, A.,
SCHAPIRA, M.-C., recueil collectif sous la direction de BELLET, R., La femme au XIXe siècle - Littérature et idéologie. Lyon :
Presses universitaires de Lyon, 1978. - 200 p. - p. 6.)
58
(264 - PROUDHON, P.-J., Amour et mariage, op. cit., p. 152)
56
453
Dans la mesure où elle est susceptible de mettre en péril l’emploi masculin, la femme
se voit privée de perspectives professionnelles. Sur le plan juridique, la législation lui
interdit d’être témoin en tant qu’épouse d’une exécution testamentaire ou de
comparaître dans une affaire publique. Cette camisole sociale fait d’elle une aliénée.
En marge ou en accord avec l’intertexte sandien, la Correspondance multiplie les
développements théoriques autour de cette question.
Au fil de sa réflexion sur l’inégalité sociale entre les sexes, Sand rapproche la
servitude de la femme de celle du prolétaire. En 1834, elle médite dans Isidora :
Il y a de mystérieuses et profondes affinités entre ces deux êtres, le pauvre et la
femme. La femme est pauvre sous le régime d’une communauté dont son mari
est chef; le pauvre est femme puisque l’enseignement, le développement est
refusé à son intelligence, et que le coeur seul vit en lui. Examinons ces rapports
profonds et délicats qui me frappent et qui peuvent me conduire à une solution.
(...) La solution, il faut la trouver dans l’éducation, la lente ascension des
déchus vers la connaissance qui leur permettra de se gouverner librement, sans
se livrer à des violences pour dominer de plus faibles, car la femme, comme le
pauvre, continuera à être guidée par son coeur 59.
Epistolière, le « Chère Maître » réprouve comme son ami la discrimination. Elle fait la
promotion d’une seule et même unité de genre et de pensée :
... il n’y a qu’un sexe. Un homme et une femme, c’est si bien la même chose
que l’on ne comprend guère les tas de distinctions et de raisonnements subtils
dont se sont nourries les sociétés sur ce chapitre-là. J’ai observé l’enfance et le
développement de mon fils et de ma fille. Mon fils était moi, par conséquent
femme bien plus que ma fille qui était un homme pas réussi60.
Sous la plume de Flaubert, la femme est toujours placée sur l’autel du sacrifice. Dès
les oeuvres de jeunesse, respectable, mariée et mère de famille, elle est victimisée par
des hommes sans scrupules. Dans Passion et vertu, le destin de Mazza (et
consécutivement celui de son mari et de ses enfants) est tragiquement lié à la
manipulation d’Ernest. Agé de seize ans, l’écrivain identifie avec une rare précision
la perversité relationnelle de l’homme contemporain :
... un homme s’avance vers une femme, il la lorgne, il la trouve bien, il en fait le
pari avec ses amis; est-elle mariée, la farce n’en sera que meilleure. Alors il
s’introduit chez elle, il lui prête des romans, la mène au spectacle, il a surtout
soin de faire quelque chose d’étonnant, de ridicule, enfin d’étrange; et puis, de
59
(245 - SAND, G., Oeuvres autobiographiques (Histoire de ma vie - Isidora - Journal d’un militaire à Paris), op. cit., t. 2, p. 94)
(1 - Lettre de Sand à Gustave Flaubert, 15 janvier 1867, Corr. III, p. 594)
60
454
jour en jour, il va chez elle avec plus de liberté, il se fait l’ami de la maison, du
mari, des enfants, des domestiques; enfin la pauvre femme s’aperçoit du piège,
elle veut le chasser comme un laquais, mais celui-ci s’indigne à son tour, il la
menace de publier quelque lettre bien courte, mais qu’il interprétera d’une
façon infâme, n’importe à qui fut-elle adressée; il répétera lui-même à son
époux quelque mot arraché peut-être dans un moment de vanité, de coquetterie
ou de désir; c’est une cruauté d’anatomiste, mais on a fait des progrès dans les
sciences et il y a des gens qui dissèquent un coeur comme un cadavre. Alors
cette pauvre femme, éperdue, pleure et supplie; point de pardon pour elle,
point de pardon pour ses enfants, son mari, sa mère. Inflexible, car c’est un
homme, il peut user de force, de violence, il peut dire partout qu’elle est sa
maîtresse, le publier dans les journaux, l’écrire tout au long dans un mémoire, et
le prouver même au besoin. Elle se livre donc à lui, à demi-morte; il peut même
alors la faire passer devant ses laquais qui, tout bas, sous leurs livrées, ricanent
en la voyant venir si matin chez leur maître, et puis quand il l’a rendue brisée et
abattue, seule avec ses regrets, ses pensées sur le passé, ses déceptions
d’amour, il la quitte, la reconnaît à peine, l’abandonne à son infortune; il la hait
même quelquefois, mais enfin il a gagné son pari; et c’est un homme à bonnes
fortunes61.
Dans les oeuvres tardives, les figures de femme sont toujours assujetties au désir
masculin. Féerie écrite en 1863, Le Château des coeurs présente le sacrifice
amoureux de Jeanne qui sauve l’humanité en permettant aux hommes de retrouver
leurs coeurs.
A l’échelle épistolaire, nul ne sait si l’abnégation de la Muse a permis à
l’écrivain de retrouver son âme. Mais elle n’a pas pour le moins réussi à convaincre le
pourfendeur de l’éducation, du conditionnement idéologique et social de la femme de
partager sa vie avec le sexe « faible ».
Q
Flaubert n’a jamais souhaité se marier. A l’exception de cette boutade romaine
rapportée dans ses notes de voyages :
En tournant la tête à gauche, j’ai vu venir lentement une femme en corsage
rouge, elle donnait le bras à une vieille femme qui l’aidait à marcher (...) Une
rage subite m’est descendue, comme la foudre, dans le ventre, j’ai eu envie de
me ruer dessus comme un tigre, j’étais ébloui !...Elle s’était arrêtée et assise
sur un banc, contre le grand carré d’échafaudage; je l’ai regardée et j’ai... de
suite, à la douceur envahissante qui m’est survenue. (...) En sortant de l’église,
je l’ai revue au loin, assise sur des pierres, à côté des maçons qui travaillaient.
61
(19 - FLAUBERT, G., Premières oeuvres (Journal d’écolier - Opuscules historiques - Oeuvres diverses). Paris : Eugène Fasquelle,
1925. - 2 vol., 413 p. - p. 254)
455
Je ne la reverrai plus ! J’avais eu dans l’église envie de me jeter à ses pieds, de
baiser le bas de sa robe; j’ai eu envie, tout de suite, de la demander en mariage
à son père (?) ! 62.
Dans les faits, l’écrivain vit le mariage de ses proches - Achille Flaubert, Alfred Le
Poittevin, Ernest Chevalier ... - comme d’insupportables compromissions avec l’ordre
établi. Aussi le représente-t-il négativement dans sa Correspondance.
A dix-huit ans, l’épistolier manifeste déjà son horreur du mariage. Sa réaction
quant
à
l’union de son frère - le premier juin 1839 - est des plus violentes. Il
explique sa dégradation par son enfermement matrimonial. Métaphorique, il prédit à
Ernest Chevalier : « Achille est à Paris, il passe sa thèse et se meuble. Il va devenir un
homme rangé, dès lors il ressemblera à ces polypes fixés sur les rochers. Chaque jour
il recevra le soleil du con rouge de sa bien aimée et le bonheur resplendira sur lui
comme le soleil sur de la merde »63. Espace d’aliénation, le mariage est mis à mal dans
ses récits. Tandis qu’il est en visite en Corse, à Ghisoni, l’écrivain remarque :
Nous avons trouvé le maître et sa femme qui ne nous attendaient que le
lendemain. Ils se sont donc beaucoup excusés sur ce qu’ils avaient déjà dîné, et
se sont mis tout de suite à préparer notre repas. La maîtresse était une grande
femme maigre, vêtue d’une robe bleue faite sans doute d’après une gravure de
mode du temps de l’Empire, c’est là, du reste, tout ce que je puis dire d’elle,
car elle ne nous a pas adressé un mot et nous a servis silencieusement et
respectueusement comme une servante. C’est, du reste, une chose à remarquer
en Corse que le rôle insignifiant qu’y joue la femme; si son mari tient à la garder
pure, ce n’est ni par amour ni par respect pour elle, c’est par orgueil pour luimême, c’est par vénération pour le nom qu’il lui a donné. D’ailleurs, il n’y a
entre eux deux aucune communication d’idées et de sentiments; le fils, même
enfant, est plus respecté et plus maître que sa mère 64.
Mari menacé et femme subordonnée sont des motifs de prédilection. Grâce à eux,
Flaubert malmène l’institution matrimoniale de Passion et Vertu (1837) jusqu’à
L’Education sentimentale de 1845. Emilie comme Mazza sont des héroïnes déçues.
Aussi s’évadent-elles d’un monde de banalités en cultivant imaginaire et vie
romanesques. Elles annoncent le destin d’Emma.
Epistolaires ou non, ces désaveux du mariage manifestent une antipathie naturelle
envers une forme de contrainte ecclésiastique et civile. « L’union légitime, qui est
62
(21 - FLAUBERT, G., Voyages. Texte établi et présenté par René DUMESNIL. Paris : Société Les Belles Lettres, 1948. - 2 vol.
- t. 2, pp. 510-512)
63
(1 - Lettre à Ernest Chevalier, 15 avril 1839. - t. 1, p. 42)
456
l’anti-légitime, celle qui est hors nature et contre le coeur, suffit par sa légitimité même
pour chasser l’amour »65 clame l’écrivain à sa maîtresse. En théorie ou en pratique,
Flaubert n’épargne rien ni personne lorsqu’il ridiculise le mariage. Il souligne l’égoïsme
fondamental dissimulé derrière l’apparente beauté du lien. Du mariage de Cloquet, il
apporte à la Muse cette interprétation :
J’ai appris hier le mariage de mon ami Cloquet. Il épouse une jeune Anglaise
qui a plusieurs H à son nom. - J’en ai eu pitié de cette pauvre fille, quoique je
ne la connaisse pas. Il y avait autrefois en médecine un remède que l’on
employait pour les rois en décrépitude, ils prenaient des bains de sang d’enfant.
Beaucoup d’hommes encore pour se rajeunir s’immolent quelque coeur vierge
afin de recréer leur vieillesse et de réchauffer leurs membres froids, et on
appelle ces gens-là des âmes tendres qui ne peuvent pas se passer d’affection66.
Preuve de lucidité ou manifestation d’aigreur, cette caricature est placée au carrefour
de toutes les interprétations. L’épistolier explique l’éloignement de ses amis par la
régularisation civile de leurs liaisons. Aussi vit-il cette situation dans la détresse et
l’hostilité. « Demain nous allons à La Neuville voir cet ami intime à moi dont je t’ai
parlé et qui est revenu d’Italie. C’est encore une amitié qui me quitte, il est marié et,
partant, absent de moi quoi qu’il en dise »67 confie-t-il à Colet.
Impératif de filiation et établissement familial sont pour lui des lignes de vie imposées,
et par conséquent à rejeter. Il ne cache rien à la Muse de son dégoût du mariage et de
ses présupposés :
Je regarde un homme qui n’a pas cent mille livres de rente et qui se marie,
comme un misérable, comme un gredin à bâtonner. Le fils du Hottentot n’a rien
à demander à son père que son père ne lui puisse donner. Mais ici, chaque fils
de portier peut vouloir un palais, et il a raison ! C’est le mariage qui a tort, et
la misère ! ou plutôt la Vie elle-même, donc il ne fallait pas vivre, et c’est là ce
qu’il fallait démontrer, comme on dit en géométrie 68.
Au dix-neuvième siècle, le mariage est synonyme d’arrangements financiers à
l’avantage de l’homme. Un fallacieux régime de communauté permet au mari de
disposer librement des biens de sa femme et de les dilapider comme bon lui semble.
« Qu’il me suffise de dire, quant à présent, qu’en raison de sa faiblesse toutes les
législations lui assignent un rang inférieur. Et que, de quelque part que lui vienne sa
64
(21 - FLAUBERT, G., Voyages, op. cit., t. 1, p. 80)
(1 - C., 28 septembre 1846, Corr. I, p. 367)
66
(Ibid., p. 368)
67
(1 - C., 5 décembre 1846, Corr. I, p. 412)
68
(1 - C., 12 avril 1854, Corr. II, p. 550)
65
69
dot, de son père ou de son mari, elles la mettent à la charge de l’homme »
457
précise
Proudhon.
Le 11 octobre 1875, Flaubert est ruiné. Par une explication du statut matrimonial de
sa nièce, il dévoile à Sand pourquoi il demeure dans l’incapacité de vendre Croisset :
« Ma nièce qui est mariée sous le régime dotal ne peut vendre aucune terre, sans la
remplacer immédiatement par un autre bien foncier, ou meuble. - Ainsi, dans le cas
échéant elle ne peut me donner Croisset »70. En amont et en aval de ce drame, il
accentue sa critique du mariage. Il s’en explique souvent à son « vieux troubadour » :
opposé comme lui au mariage arrangé, mais non au mariage d’amour. En fait, ce
que Sand réprouve dans le mariage, c’est avant tout la subordination au pouvoir
masculin. « Toutes les unions seront intolérables, tant qu’il y aura dans la coutume une
indulgence illimitée pour les erreurs d’un sexe, tandis que l’austère et salutaire rigueur
du passé subsistera uniquement pour réprimer et condamner celles de l’autre »71 écritelle dans sa Correspondance. Pour parer à l’aliénation de la femme mariée, Flaubert
se prononce en faveur de l’adultère. Le viol de la foi conjugale est une revanche sur
l’oppression. Sur ce point, l’écrivain rejoint à nouveau Sand. Dès 1848, la femme de
lettres sanctionne la répression de l’adultère dans cette lettre au Comité Central :
Punir l’adultère ... est une loi sauvage et faite pour perpétuer et multiplier
l’adultère. L’adultère porte en lui-même son châtiment, son remords et ses
ineffaçables regrets. Il faut qu’il soit une cause suffisante de divorce ou de
séparation pour le mari qui ne peut en supporter l’outrage. Mais cette loi qui
permet à l’homme de reprendre sa femme déshonorée et mise par lui en prison,
cette loi qui force la femme à revenir savourer goutte à goutte le martyre de sa
dépravation et à la subir à toute heure en présence de ses enfants, c’est là une
loi infâme, odieuse et qui déshonore encore plus l’homme qui l’invoque que la
femme qu’elle frappe. C’est une loi de haine et de vengeance personnelle. Le
résultat de son application, c’est le scandale, la honte de la famille, une tache
indélébile sur les enfants. Mieux vaut celle qui permet d’assassiner sa femme
surprise en flagrant délit, mieux vaut celle des orientaux qui peuvent jeter leurs
femmes cousues dans un sac à la mer ou dans un puits. La mort n’est rien au
prix de l’existence d’une esclave condamnée à subir les embrassements du
maître qui la foule aux pieds72.
69
(264 - PROUDHON, P.-J., Amour et mariage, op. cit., p. 23)
(1 - S., 11 octobre 1875, Corr. IV, p. 978)
71
(244 - SAND, G., Correspondance, op. cit., Douzième lettre d’un voyageur. - t. 2, p. 939)
72
(Ibid., Lettre au Comité Central, avril 1848, t. VIII, p. 405)
70
458
Seule la séparation judiciaire est en vigueur sous le Second Empire. Erreur sur la
personne, clandestinité, crime, castration, mort sont les seuls cas de nullité et de
dissolution de mariage posés par la loi civile et religieuse. Sand et Flaubert envisagent
le divorce comme un possible échappatoire à ce carcan. Dans Histoire de ma vie,
Sand considère cette procédure comme le seul garant de la sauvegarde du mariage
d’amour :
Le lien conjugal est rompu dès qu’il est devenu odieux à l’un des époux. Il
faudrait qu’un conseil de famille et de magistrature fût appelé à connaître, je ne
dis pas des motifs de plainte, mais de la réalité, de la force et de la persistance
du mécontentement. Que des épreuves de temps fussent imposées, qu’une sage
lenteur se tint en garde contre les caprices coupables ou les dépits passagers;
certes, on ne saurait mettre trop de prudence à prononcer sur les destinées
d’une famille, mais il faudrait que la sentence ne fût motivée que sur des
incompatibilités certaines dans l’esprit des juges, vague dans la formule
judiciaire, inconnue au public. On ne plaiderait plus pour la haine et pour la
vengeance, et on plaiderait beaucoup moins. Plus on aplanira les voies de la
délivrance, plus les naufragés du mariage feront d’efforts pour sauver le navire
avant de l’abandonner. Si c’est une arche sainte, comme l’esprit de la loi le
proclame, faites qu’elle ne sombre pas dans les tempêtes, faites que ses
porteurs fatigués ne la laissent point tomber dans la boue, faites que deux
époux forcés par un devoir de dignité bien entendu à se séparer puissent
respecter le lien qu’ils brisent et enseignent à leurs enfants à les respecter l’un
et l’autre 73.
Des prises de position de l’épistolier sur les injustices de la condition féminine
jusqu’au féminisme de Sand en passant par des échos aux théories misogynes
contemporaines, la Correspondance se révèle à la croisée d’un questionnement pluriel
sur le fait matrimonial. La satire épistolaire de cette institution interagit étroitement
avec ses représentations romanesques. Le mariage est stigmatisé dans L’Education
sentimentale comme dans Madame Bovary. Moule sociétal, il annihile les possibles
existentiels de la femme en l’enfermant dans la fatalité d’une infériorité illusoire. La
sexualité libre et conquise de l’épouse devient un motif « sacrilège » visant à renverser
l’ordre inique des valeurs établies. Pour les Goncourt, cette démythification perverse
du mariage témoigne de l’influence de Sade sur la pensée de Flaubert. Critiques, ils
rapportent dans leur Journal :
Il y a vraiment chez Flaubert une obsession de de Sade. Il en fait l’incarnation
de l’Antiphysis et va jusqu’à dire, dans ses plus beaux paradoxes, qu’il est le
73
(Ibid., t. 2, p. 381)
459
dernier mot du catholicisme, la haine du corps.(...) Il nous raconte cette
horrible tentation dont une femme est sortie victorieuse. Une femme honnête,
mariée, mère de famille, qui pendant vingt ans, atteinte d’hystérie à son foyer,
auprès de son mari et de ses enfants, voyait des phallus partout, dans les
flambeaux, dans les pieds des meubles, dans tout ce qui l’entourait, et enivrée,
suffoquant, accablée de ces images, se disait en regardant la pendule : « Dans
un quart d’heure, dans dix minutes, je vais descendre dans la rue pour me
prostituer »74.
Cette corrélation est récurrente dans l’Oeuvre de l’écrivain. Elle participe d’une vision
du mariage comme prostitution institutionnalisée. Depuis Cancale, Flaubert ironise
dans Par les champs et par les grèves :
Cinquième tableau, Le Lever de la Mariée. « Le mystère de Vénus est
accompli, le sein de l’épouse a reçu le germe créateur qui dans neuf mois doit
combler les époux d’un bonheur nouveau. »; le lit est défait; sur le marbre de la
table de nuit on voit les restes d’un pâté et une bouteille de vin entamée; endessous, dans l’intérieur, on aperçoit le pot de chambre, et une bonne jette de
linge sale dans une armoire75.
La prostitution est une vengeance, un renversement des valeurs établies, un talion
transgressif. Sous le Second Empire, certaines pensionnaires des maisons de plaisir se
voient d’ailleurs habillées en mariées ou en nonnes afin d’attiser le désir du client
assoiffé d’iconoclasme sexuel. Cette fusion du stéréotype de la femme honnête avec
celui de la femme dégradée est symbolique d’une aliénation sociale mise à mal par la
promotion épistolaire et romanesque de la femme adultère.
Q
Pour l’écrivain comme pour Sand, le mariage est une corruption légale.
Les femmes sont confrontées à un absurde modèle de société. Elles ne peuvent briser
ce joug que par « le mensonge, la trahison, les crimes lâches et inutiles »76 estime
l’auteur de Gabriel. Epistolier, Flaubert se fait souvent le parangon du progressisme
en se prononçant en faveur de l’adultère féminin à une époque où - comme le souligne
M.-C. Grassi - « La déchéance, la folie et la mort sont les épilogues obligés de toute
curiosité sexuelle, de toute vie amoureuse de la femme hors de l’état du mariage »77.
74
(1 - Appendice II, Extraits du Journal des Goncourt, 21 avril 1861, Corr. III, p. 876)
(21 - FLAUBERT, G., Voyages, op. cit., t. 1, p. 384)
76
(246 - SAND, G., Gabriel. Paris : Félix Bonnaire, 1840.- p. 18)
77
(GRASSI, M.-C., « Le savoir - vivre au féminin » In 202 - MONTANDON, A., Du goût, de la conversation et des femmes.
Centre de recherches sur les littératures modernes et contemporaines. Association des publications de la faculté des Lettres et
Sciences Humaines de Clermont-Ferrand : 1994. - 232 p. - p. 232. - (Collection Littératures).)
75
460
Aussi l’écrivain se réjouit-il souvent des mésaventures conjugales de ses proches.
« Qu’elle s’amuse avec son bon Enault, cette pauvre petite mère Roger, qu’elle
jouisse, triple jouisse, et fasse monter au gars Roger des cornes grandes comme des
cèdres, tant mieux ! »78 écrit-il à Colet . Epistolier ou romancier, Flaubert développe
une idéologie et une esthétique de l’adultère.
L’écrivain est hostile à l’institution du mariage. Il désavoue ce système où les
libertés sexuelles de l’homme sont valorisées - « ordre des choses (...) voltige (...)
source obligée »79 selon Proudhon - et celles de la femme proscrites. Flaubert fait de
l’adultère le moyen pour elle de se réapproprier un destin, de bousculer les
arrangements sociaux, de contester ses pseudo-attributs de passivité, soumission et
fatalisme. A son emprisonnement familial, juridique et civique, il oppose la notion de
libération sexuelle et d’autonomie. En marge des lettres à l’amante et à l’amie, depuis
Alexandrie, il offre à Bouilhet ce jubilatoire récit d’un adultère égyptien :
Que dis-tu de l’histoire suivante qui s’est passée au Caire pendant que nous y
étions et dont je te garantis l’authenticité. Une femme jeune et belle (je l’ai
vue), mariée à un vieux, ne pouvait à sa guise coïter avec son amant. Depuis
trois ans qu’ils se connaissaient, à peine s’ils avaient pu se baiser trois ou
quatre fois, tant la pauvre fillette était surveillée. Le mari, vieux, jaloux, malade,
hargneux, la serrait sur la dépense, l’embêtait de toutes façons et sur le moindre
soupçon la déshéritait, puis refaisait un testament, et toujours ainsi, croyant la
tenir en laisse par l’espoir de l’héritage. Cependant ma canaille tombe malade :
alternatives, soins dévoués de Madame, on la cite. Puis quand tout a été fini,
quand le malade a été désespéré, qu’il ne pouvait plus ni remuer ni parler, et
qu’il commençait à mourir, mais conservant toujours sa connaissance, alors elle
a introduit son amant dans la chambre et s’est fait baiser par lui, exprès sous
les yeux du moribond. Rêve le tableau. A-t-elle dû jouir ! a-t-il dû rager, le
pauvre bougre ! - Quel coup ! voilà une vengeance 80.
Flaubert fait aussi de l’adultère une activité ludique à même de « décrédibiliser » les
rapports humains et de les représenter comme un jeu de dupes. Intermédiaire dans la
liaison clandestine de Bouilhet, il s’amuse des ébats de son ami.
Ce matin j’ai donné à Bouilhet le billet de cette infortunée mère Roger. Je
trouve cela franc d’intention. Elle veut , la malheureuse ! Comme les femmes se
précipitent naïvement dans la gueule du loup ! Comme elles se compromettent à
plaisir ! Elle viendra bientôt à Rouen et l’affaire se fera, tu verras cela. Une
78
(1 - C., 15 avril 1852, Corr. II, p. 72.)
(264 - PROUDHON, P.-J., Amour et mariage, op. cit., p. 22)
80
(1 - Lettre à Louis Bouilhet, 5 juillet 1850, t. 1, p. 647)
79
461
pitié me prend toujours au début de ces histoires, quand je les contemple. Le
premier baiser ouvre la porte des larmes 81
écrit-il à Colet. Ses appréciations sur les activités périmaritales d’Edma Roger des
Genettes sont nombreuses. Ironique, il rassemble en cette femme tous les attributs de
la modernité sexuelle :
Cette Sylphide est une grande femme ! Je l’estime. Je la trouve très forte,
pleine d’un bon petit chic, tout à fait Pompadour, talon rouge, Fort-l’Evêque,
etc. Je suis effrayé quand je pense à la quantité de coups illégitimes qu’elle a dû
tirer ! Si à chaque amant nouveau il pousse un andouiller aux cornes du mari, ce
brave homme doit être non un cerf de dix cors, mais un cerf cent cors ! Pendant
qu’il lui pousse des andouillers, sa femme se repasse des andouilles ! - Farce,
calembour ! Ne faut-il pas avoir le petit mot pour rire ? 82
Ces considérations sur des partitions de couple à quatre mains ouvrent l’épistolaire
sur une théorisation des motivations adultérines.
J’ai appris que mon ami J. Cloquet était décidément cocu, très fort. Cela me
fait beaucoup rire et ne m’étonne guère. Sa petite moitié a l’oeil double.
Pourquoi donc ce mauvais sentiment qui nous porte toujours à nous réjouir
des infortunes conjugales d’autrui ? Y-a-t-il là une jalousie déguisée ? Je crois,
en effet, que chaque homme voudrait avoir à lui toutes les femmes, même celles
qu’il ne désire pas 83
.
confie l’écrivain à la Muse.
Romancier, Flaubert exploite avec enthousiasme le motif de l’extra-conjugalité.
Sa fusion avec Madame Bovary se matérialise dans la Correspondance par l’usage
du pronom indéfini « On ». L’épistolier s’exalte à la perspective d’écrire l’adultère de
son héroïne : « Il me faut encore quarante à cinquante pages avant d’être en plein
adultère. Alors on s’en donnera, et elle s’en donnera, ma petite femme ! »84. Empêtré
dans un dialogue avec un curé, il se languit du moment où il écrira la liaison d’Emma et
de Rodolphe. Exalté, il s’associe à l’action transgressive de ses protagonistes. « Il me
restera ensuite une dizaine de pages (deux grands
mouvements) et j’aurai fini le
premier ensemble de ma seconde partie. L’adultère est mûr, on va s’y livrer et moi
aussi, j’espère »85 déclare-t-il à la Muse. En 1862, aux dires des Goncourt, son
ambition est
81
encore de « faire deux ou trois petits romans, non incidentés, tout
(1 - C., 13 septembre 1852, Corr. II, p. 156)
(1 - C., 2 mars 1854, Corr. II, p. 530)
83
(1 - C., 31 mars 1853, Corr. II, p. 293)
84
(1 - C., 1er-2 octobre 1852, Corr. II, p. 173)
85
(1 - C., 10 avril 1853, Corr. II, p. 304)
82
86
simples, qui seraient le mari, la femme, l’amant »
462
- ce qui n’est pas sans faire
référence au projet de L’Education sentimentale.
A cette faveur de l’adultère dans l’imaginaire de Flaubert répond comme en écho la
poésie sombre de la femme baudelairienne. Un même lyrisme de la corruption unit
l’écrivain et le poète dans leurs représentations du rapport entre homme et femme.
L’épistolier associe l’arrière-monde métaphorique du vin à celui de la liaison
amoureuse :
- Est-ce qu’on pense, en humant le Sauternes, à toutes les sales gueules qui se
sont mises là un quart d’heure avant, et qui vont s’y remettre un quart d’heure
après ? Où y-a-t-il d’ailleurs une virginité quelconque ? quelle est la femme,
l’idée, le pays, l’océan que l’on puisse posséder à soi, pour soi, tout seul ? Il y
a toujours quelqu’un qui a passé avant vous sur cette surface ou dans cette
profondeur dont vous vous croyez le maître. Si ce n’a été le corps, ç’a été
l’ombre, l’image. Mille adultères rêvés s’entrecroisent sous le baiser qui vous
fait jouir 87.
Le dix-neuvième siècle est l’époque voyant naître les héroïnes infidèles. D’Emma
Bovary à Anna Karénine, l’adultère représente un tournant dans la façon de penser la
condition féminine. Chez Flaubert, il s’inscrit en creux de chaque énoncé. Aussi la
réflexion de L. Bopp sur Madame Bovary peut-elle être appliquée aux lettres à
l’amante dans le sens où,
L’art du romancier consiste souvent à faire dire à des phrases autre chose que
ce qu’elles veulent dire grammaticalement, cet art consiste souvent à offrir au
lecteur un langage à déchiffrer, en d’autres termes des sortes d’énigmes ou des
problèmes ou des inconnues semblables à celles ou ceux que nous offrent les
êtres, les personnes que l’on côtoie dans la vie de chaque jour, oui, l’art du
romancier consiste souvent à substituer à des formules univoques et finies, des
suggestions équivoques, infinies, et ses héros nous semblent d’autant plus réels
qu’ils nous apparaissent à la fois plus visibles, plus perceptibles, plus
diversement « interprétables » ou déchiffrables du dehors, et moins
uniformément explicités, du dedans, par l’auteur 88.
Données historiques ou implicites sexuels des discours de l’écrivain, les structures et
les effets de sens d’une écriture de la prostitution animent la Correspondance.
Q
86
(1 - Appendice II, Extraits du Journal des Goncourt, 29 mars 1862, Corr. III, p. 879)
(1 - C., 13 mars 1854, Corr. II, p. 532)
88
(97 - BOPP, L., Commentaire sur Madame Bovary. Neuchâtel : A la Baconnière, 1951. - 550 p. - p. 221)
87
463
La fascination et la répulsion de la dégradation traversent le siècle de Flaubert
dans son entier. Ces motifs interrogent la figure de la femme, être infériorisé et
culpabilisé par la société. « Pourquoi l’homme d’esprit aime les filles plus que les
femmes du monde, malgré qu’elles soient également bêtes ? »89 questionne Baudelaire
dans Les Paradis artificiels. Epistolier, Flaubert pose dès l’adolescence la question
d’un rapport corrupteur à la femme.
Mais que vais-je faire au sortir du collège ? Aller à Paris, tout seul, faire du
droit, perdu avec des crocheteurs et des filles de joie et tu m’offriras sans
doute pour me divertir un café aux Colonnades dorées, ou quelque sale putain
de la Chaumière. Merci. Le vice m’ennuie tout autant que la vertu90
affirme-t-il à Ernest Chevalier. L’avilissement sexuel est en filigrane de nombre des
récits épistolaires de l’amoureux déçu d’Elisa Schlésinger. Il met en jeu une antithèse
marquée entre haut et bas, sublime et sordide. Alors qu’il porte le regard sur sa
jeunesse abolie, l’écrivain relate à Colet : « Mais j’ai donné dans tout cela aussi moi !
à 18 ans ! j’ai cru également que l’alcool et le bordel inspiraient »91. Depuis les
célébrations populaires ponctuées de chants scatologiques jusqu’au traitement
littéraire de la maladie par la génération romantique, le malsain et le corrompu
s’inscrivent en lettres d’or dans les consciences contemporaines. Ferment de la libido
masculine, la prostituée porte en elle ces tares fantasmatiques. A Louqsor, Flaubert
résiste volontairement au désir d’une Fille afin de cultiver son imaginaire érotique.
Nous retournons dans la rue des almées, je m’y promène exprès; elles
m’appellent : « Cawadja, cawadja, batchis ! batchis, cawadja ! ». Je donne à
l’une, à l’autre, des piastres; quelques-unes me prennent à bras le corps pour
m’entraîner, je m’interdis de les b..... pour que la mélancolie de ce souvenir me
reste mieux, et je m’en vais 92.
écrit-il dans ses notes de voyage . Les lettres à l’amante et à l’amie illustrent ce
phantasme de la femme infâme. Evocation circonstanciée de la prostitution ou réflexion
sur sa fonction symbolique, l’écrivain entretient dans la Correspondance un complexe
rapport aux Filles.
La fréquentation des prostituées participe d’un élan antithétique envers les
déjections physiques ou morales : attirance dégoûtée, excitation coupable. La putain
89
(255 - BAUDELAIRE, C., Les Paradis artificiels. Lausanne : La Guilde du livre, 1950. - n° 97. - p. 279)
(1 - Lettre à Ernest Chevalier, 19 novembre 1839, Corr. I, p. 56)
91
(1 - C., 3 juillet 1852, Corr. II, p. 123)
92
(21 - FLAUBERT, G., Voyages, op. cit., t. 1, p. 84)
90
464
incarne une féminité extrême. Elle confirme et transgresse les préjugés discriminants de
la société envers la femme « honnête ». La Fille est placée sur la dernière marche de
l’abjection d’un sexe jugé bibliquement fautif et socialement incapable. De névrosée,
la femme devient hystérique lorsqu’elle se prostitue, considère la psychiatrie
contemporaine de Briquet. Le binôme femme / putain trouve ici un pendant
pathologique. Sous le Consulat, l’institutionnalisation du bordel ordonne le rapport des
citoyens avec ce mal nécessaire. Pour autant, les ravages de la syphilis - maladie
considérée héréditaire à l’époque - achèvent de pourrir les attributs de la prostituée :
vecteur de destruction de la génération bourgeoise. Aussi Flaubert consacre-t-il ce
préjugé dans la définition qu’il apporte au terme de « Courtisane » dans le
Dictionnaire des idées reçues :
- Est un mal nécessaire. Sauvegarde de nos filles et de nos soeurs tant qu’il y
aura des célibataires. Devraient être chassées impitoyablement. On ne peut plus
sortir avec sa femme à cause de leur présence sur le boulevard. Sont toujours
des filles du peuple débauchées par des bourgeois riches 93.
La
prostituée
mine
toutes
les
coordonnées
sociologiques,
économiques
et
géographiques auxquelles elle se rapporte. La putain met en danger le capital, la
transmission du patrimoine, la renommée : ces valeurs-phares autour desquelles
s’articule l’ordre social.
Cet intérêt de l’écrivain pour la prostitution a une origine littéraire - Novembre
- ainsi rapportée dans le Journal des Goncourt : « Le sujet est la perte du pucelage
d’un jeune homme avec une putain idéale »94. Il repose du reste sur des motivations
sexuelles et relationnelles : le goût de l’actrice - femme dégradée selon Flaubert - et la
volonté de se désengager de tout attachement durable. Sur ce point, les Goncourt
apportent cette anecdote éclairante :
... on passe en revue les femmes de théâtre, les bizarreries de ces singulières
créatures. Flaubert donne sa recette pour les avoir : il faut être sentimental, les
prendre au sérieux. (...) et comme de femmes de théâtre, la conversation monte
à la femme : « J’ai trouvé un moyen bien simple de m’en passer, dit Flaubert,
je me couche sur le coeur, et dans la nuit... c’est infaillible 95.
93
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues), op. cit., p. 343)
(1 - Appendice II, Extraits du Journal des Goncourt , 1er novembre 1863, Corr. III, p. 883)
95
(1 - Appendice II, Extraits du Journal des Goncourt, Jeudi 12 janvier 1860, Corr. III, p. 869)
94
465
Ce goût des Filles est lié en outre aux pratiques en vigueur dans les moeurs fixistes de
la société bourgeoise. Il oppose deux types de relations : le rapport sublimé à la
mère 96, à la soeur, à l’épouse et à la fille, et le rapport dépravé à la femme
voluptueuse. Sexuellement, les hommes du Second Empire conservent une étroite
marge de manoeuvre : la relation matrimoniale ou la fréquentation des prostituées.
Aussi s’accommodent-ils souvent de ce choix cornélien en partageant leur vie entre
l’une et l’autre. Les tentations sexuelles ont du reste proliféré depuis Louis-Philippe et
la croissance économique de l’après-Révolution de juillet. Les bordels envahissent les
villes à mesure que les provinciales désargentées, cédant à l’ambition de réussir dans
la capitale et y échouant, n’ont plus d’autres ressources que de faire commerce de
leurs corps. Mais la prédilection de l’écrivain pour ces relations libres a aussi une
explication biologique. N. Bischof remarque combien :
... chez beaucoup d’animaux, le penchant à former un lien marital stable et/ou
exclusif est plus faible du côté mâle. Cela, de nouveau, prend tout son sens
avec l’hypothèse d’une sélectivité différente entre les sexes : un individu non
sélectif a intérêt à choisir plusieurs partenaires afin de compenser le risque
d’erreurs qui provient de son incurable indifférence. D’un autre côté, un
organisme construit de façon à investir plus de temps et d’énergie cognitive
dans l’examen méticuleux de son partenaire doit être moins enclin une fois qu’il
l’a trouvé, à abandonner un partenaire, et donc à recommencer tout ce travail
compliqué d’évaluation. La prépondérance disproportionnée de la polygamie,
par rapport à la polyandrie, aussi bien dans le règne animal que dans une étude
comparée des cultures humaines, est un autre aspect de ce même problème 97.
Le rapport aux filles représente la négation du mariage et le désaveu des dogmes
religieux et sociaux. Idéologiquement et esthétiquement, il est à la pensée de
l’épistolier - comme à celle de la génération romantique - ce que la « victimisation »
de la femme et la sodomie sont à l’écriture de Sade. Dans Novembre de Flaubert, La
Fille aux yeux d’or de Balzac et Les Mystères de Paris de Sue, la relation à la
putain est une affirmation de la liberté individuelle et un rejet de la morale. L. Czyba
attribue une origine familiale à cette faveur. Selon elle, l’écrivain porte en lui :
... une image de la mère dégradée par suite du traumatisme de la « scène
primitive ». La Tentation de 1849 confirme cette interprétation. Dès les
premières pages, le texte propose en effet au lecteur un signe patent de
96
(Motif privilégié chez les contemporains de Flaubert, l’image obsédante de la mère est développée en 1859 dans La légende des
siècles de Hugo et dans La femme de Michelet.)
97
(BISCHOF, N., « De la signification biologique du bisexualisme» In 206 - SULLEROT, E., (recueil collectif sous la direction
de), Le fait féminin. Paris : Fayard, 1978. - 520 p. - p. 42)
466
l’ambivalence constitutive dont l’inconscient flaubertien dote la figure
maternelle. La Vierge Marie, contemplée par Antoine, s’anime et devient
Vénus, l’image pieuse se transforme en image érotique : « ...la mère tient
quelque chose de la putain - Nous comprenons maintenant pourquoi Flaubert a
laissé tomber cette scène, quelles importantes inhibitions internes s’opposaient
à une prise de conscience... » commente Theodor Reik. Le délire d’Antoine
révèle de façon manifeste ce que la création romanesque ultérieure déguisera
sous le masque de la psychologie des personnages 98.
Contradictoire, Flaubert a la triste conviction de la division de l’humanité féminine
entre un modèle sublimé et un stéréotype dégradé. Il nourrit dans l’épistolaire un
sentiment de déception envers un sexe dont la fréquentation confine soit au respect la mère, l’épouse - soit à l’outrage - la Fille. « ... apprenez une bonne fois pour toutes
qu’il ne faut pas demander des oranges aux pommiers, du soleil à la France, de
l’amour à la femme, du bonheur à la vie. (...) Comment se plaindre de la vie quand il
existe encore un bordel où se consoler de l’amour »99 confie-t-il à Ernest Chevalier.
Son inadaptation à ces variables est fondatrice de sa philosophie relationnelle : « On
peut adorer une femme et aller coucher chaque soir chez les filles, ou avoir une autre
maîtresse, que l’on aime même ! »100. Ce principe ne le prédispose pas à une liaison
pacifique avec Colet. Les contestations et les récriminations féminines contreviennent
à son manichéisme. En vain. « Pourquoi, pauvre amie, t’obstines-tu à te comparer
quant à l’effet que tu me produis, à une fille ? Tu tiens beaucoup au parallèle. Quelle
sottise »101 lui répond-il. Les prostituées - « ces pauvres créatures »102 - sont le fer de
lance du différend séparant les amants. L’écrivain précise pourtant à longueur de
lettres l’économie symbolique de son rapport aux filles :
Je voudrais voir un esprit aussi élevé que le tien, chère Louise, dégagé de ce
préjugé que tu partages. - Vous ne vous pardonnez jamais, vous autres, les
filles, et toutes tant que vous êtes, depuis les prudes jusqu’aux coquettes, vous
vous heurtez toujours à cet angle-là avec une obstination fougueuse. - Vous ne
comprenez rien à la Prostitution, à ses poésies amères, ni à l’immense oubli qui
en résulte. Quand vous avez couché avec un homme, il vous reste quelque
chose au coeur, mais à nous rien. Cela passe, et un homme de quarante ans,
98
(107 - CZYBA, L., Mythe et idéologie de la femme dans les romans de Flaubert. Lyon : Presses universitaires de Lyon, 1983. 412 p. - p. 124)
99
(1 - Lettre à Ernest Chevalier, 15 mars 1842, Corr. I, p. 97)
100
(1 - C., 4-5 septembre 1846, Corr. I, p. 328)
101
(1 - C., Fin décembre 1846, Corr. I, p. 422)
102
(1 - C., 30 janvier 1847, Corr. I, p. 432)
467
pourri de vérole, peut arriver à sa maîtresse plus vierge qu’une jeune femme à
son premier amant. (...) Etre jalouse des filles, c’est l’être d’un meuble 103.
Les idées reçues de Colet sont difficiles à combattre. C’est pourquoi les discours
argumentatifs de l’épistolier connaissent souvent des développements pandémiques. A
sa maîtresse, Flaubert adresse ce vibrant plaidoyer :
Il y a encore une chose qui m’a semblé légèrement bourgeoise dans ce même
individu (Leconte de Lisle) : « Je n’ai jamais pu voir une fille. » Eh bien, je
déclare que j’ai souvent pu, moi ! (...) Il y a de ces choses qui me font juger les
hommes à première vue : (...) l’antipathie du bordel. Que j’en ai connu, de ces
bons jeunes gens, nourrissant une sainte horreur des maisons publiques, et qui
vous attrapaient, avec leurs soi-disants maîtresses, les plus belles chaudespisses du monde ! (...) C’est peut-être un goût pervers, mais j’aime la
prostitution, et pour elle-même, indépendamment de ce qu’il y a en dessous. Je
n’ai jamais pu voir passer aux feux du gaz une de ces femmes décolletées, sous
la pluie, sans un battement de coeur, de même que les robes des moines avec
leur cordelière à noeuds me chatouillent l’âme en je ne sais quels coins
ascétiques et profonds. Il se trouve, en cette idée de la prostitution, un point
d’intersection si complexe, luxure, amertume, néant des rapports humains,
frénésie du muscle et sonnement d’or, qu’en y regardant au fond le vertige
vient, et on apprend là tant de choses ! Et on est si triste ! Et on rêve si bien
d’amour ! (...) Oui, il manque quelque chose à celui qui ne s’est jamais réveillé
dans un lit sans nom, qui n’a pas vu dormir sur son oreiller une tête qu’il ne
reverra plus (...). Je ne fais qu’un reproche à la prostitution, c’est que c’est un
mythe. La femme entretenue a envahi la débauche, comme le journaliste la
poésie; nous nous noyons dans les demi-teintes. La courtisane n’existe pas plus
que le saint; il y a des soupeuses et des lorettes, ce qui même est encore plus
fétide que la grisette104.
L’écrivain dénonce par ailleurs l’exploitation littéraire de la prostitution par les
romantiques - écrivains du vague et de l’« édulcoration » stylistiques. Lamartine est la
première de ses cibles. Graziella est sévèrement critiquée :
Mais c’est que Naples n’est pas ennuyeux du tout. - Il y a de charmantes
femelles, et pas cher. Le sieur de Lamartine tout le premier en profitait, et
celles-là sont aussi poétiques dans la rue de Tolède, que sur la Margellina.
Mais non, il faut faire du convenu, du faux. (...) Ah ! mensonge ! mensonge !
que tu es bête ! 105
103
(1 - C., 1er-2 octobre 1852, Corr. II, pp. 168-169)
(1 - C., 1er juin 1853, Corr. II, p. 339)
105
(1 - C., 24 avril 1852, Corr. II, p. 78)
104
468
La figure de la Fille affleure dans la plupart des oeuvres de Flaubert. Ainsi en est-il du
fantasme de la prostitution à la déesse des « vierges de Babylone » dans La Tentation
de Saint-Antoine 106.
Dans la Correspondance, le rapport aux Filles est fréquemment modalisé par le
voyage et la rencontre de nouvelles moeurs. La fréquentation des prostituées
orientales constitue le point de départ de cette réflexion destinée à Bouilhet :
Il faut que tu saches, mon cher monsieur, que j’ai gobé à Beyrouth (je m’en suis
aperçu à Rhodes, patrie du Dragon) VII chancres, lesquels ont fini par se réunir
en deux, puis en un. - J’ai fait avec ça la route de Marmorisse à Smyrne à
cheval. Chaque soir et matin je pansais mon malheureux vi. Enfin cela s’est
guerry. Dans deux ou trois jours la cicatrice sera fermée. Je me soigne à
outrance. Je soupçonne une Maronite de m’avoir fait ce cadeau, mais c’est
peut-être une petite Turque. Est-ce la Turque ou la Chrétienne, qui des deux ?
problème ? pensée !!! voilà un des côtés de la question d’Orient que ne
soupçonne pas La Revue des Deux-Mondes. - Nous avons découvert ce matin
que le young Sassetti a la chaude-pisse (de Smyrne), et hier au soir Maxime
s’est découvert, quoiqu’il y ait six semaines qu’il n’(a) pas baisé, une
excoriation double qui m’a tout l’air d’un chancre bicéphale. Si c’en est un, ça
fait la troisième vérole qu’il attrape depuis que nous sommes en route. Rien
n’est bon pour la santé comme les voyages 107.
Cette valorisation du tourisme sexuel s’accompagne de méditations sensibles sur la
prostitution. Le lyrisme de la transgression permet à l’écrivain de développer une
esthétique de la dégradation féminine. A son amante, Flaubert assure combien :
Il y a chez toutes les prostituées d’Italie une madone qui jour et nuit brille aux
bougies au-dessus de leur lit. (...) Et combien de coeurs sont comme ces
maisons-là avec leur candélabre béni qui brûle au-dessus des adultères et des
immondicités, leur prêtant sa flamme et les éclairant de sa lueur pure108.
L’écrivain a une véritable intelligence de la prostitution, et une conscience aiguë de ses
compromissions intellectuelles. Il lie métaphoriquement la corruption charnelle aux
périls de l’Idée. « Ma muse (quelque déhanchée qu’elle puisse être) ne s’est point
encore prostituée, et j’ai bien envie de la laisser crever vierge, à voir toutes ces
véroles qui courent le monde »109 déclare-t-il à Colet . Flaubert voit dans le rapport aux
Filles une atteinte possible à la créativité littéraire - « ce n’est pas en fréquentant les
106
(30 - FLAUBERT, G., La tentation de Saint-Antoine (1874). Introduction, notes et variantes par Edouard MAYNIAL. Paris :
Classiques Garnier, 1954. - 313 p. - p. 181)
107
(1 - Lettre à Louis Bouilhet , 14 novembre 1850, Corr. I. p. 707)
108
(1 - C., 5 septembre 1846, Corr. I., p. 33)
109
(1 - C., 29 mai 1852, Corr. II, p. 95)
469
filles et en buvant des petits verres que l’on se développe l’intelligence » . Après
110
avoir relu Novembre, il mesure son évolution entre l’adolescence et l’âge adulte. Il
fait remarquer
à
la Muse : « J’étais bien le même particulier il y a onze ans
qu’aujourd’hui ! (à peu de chose près du moins; ainsi j’en excepte, d’abord, une
grande admiration pour les putains, que je n’ai plus que théorique et qui jadis était
pratique) »111. Cette distance plus ou moins feinte s’explique par le fait que Flaubert
est dégoûté par le corps et la psychologie de l’adulte. Ainsi met-il en accusation les
stratégies sexuelles de ses contemporains :
Les hommes de son âge ( au père Babinet ) et de son époque ne sont point
délicats, et s’ils recherchent autre chose que les filles, c’est parce que les filles
sont peu complaisantes pour les vieux. Mets-toi bien cela dans l’esprit. Les
sentimentalités des vieux (Villemain, etc.) n’ont d’autre cause que la mine
rechignée de la putain, à leur aspect 112.
Putain, grisette, lorette et domestique, la femme du peuple attire le bourgeois par sa
simplicité d’allure et de discours. A travers la prostitution, Flaubert accède à une
forme de sociabilité où la comédie relationnelle n’a pas lieu d’être. Aller voir les filles
consiste pour lui à fréquenter un sexe exclu volontairement de son quotidien - mais
aussi à retrouver le contact physique qu’il avait, enfant, avec une domesticité féminine
d’origine populaire. Depuis sa réflexion sur l’éducation et le conditionnement
idéologique jusqu’à son esthétique de la prostitution, en passant par sa prise de
position sur l’arbitraire matrimonial et la nécessité de l’adultère, il manifeste sa
compréhension des problèmes de ses correspondantes et des complexités du rapport
entre homme et femme.
Cette conceptualisation de l’aliénation explore la sexualisation sociale de la
femme. J.-P. Aron précise l’économie historique de ce phénomène :
Il semble qu’au XIXe siècle, en France seulement, on ait publié environ quatre
cents livres sur l’hystérie, sans compter les pages consacrées à l’hystérie dans
d’autres gros ouvrages. Charcot, Bernheim, Freud vont s’y intéresser, mais
jusque-là l’hystérie considérée comme névrose propre aux femmes était
marquée d’un sceau d’infamie. La femme est bonne tant qu’elle reste dans sa
sphère. Mais l’hystérie est interprétée de manière très somatique : c’est la
malignité dans le corps de la femme. A l’époque même de Claude Bernard, ce
XIXe siècle si positiviste fait entrer la malice, les démons, les mythes dans le
110
(1 - C., 22 février 1852, Corr. II, p. 47)
(1 - C., 28 octobre 1853, Corr. II., p. 459)
112
(Ibid., p. 461)
111
470
corps, un corps sexué. Autre rôle du corps féminin dangereux, c’est la femme
vecteur de la vérole. La femme est bonne tant qu’elle n’a pas affaire avec le
sexe 113. Ça
Dans la Correspondance, les attributs symboliques de la femme moderne - hystérique
et prostituée - rencontrent ceux de Flaubert : névrosé et amateur de Filles. Partir à la
découverte de la prostituée, c’est pour lui interroger en pure perte une face cachée
de son identité. Aussi fait-il remarquer à sa maîtresse : « Ainsi, vous me reprochez
mon amour pour « les premières venues ». C’est une erreur historique. Ça m’ennuie
tout comme autre chose. Ça m’assomme même. La prostituée est un mythe perdu. J’ai
cessé de la fréquenter par désespoir de la trouver »114. Cet ennui envers l’Autre
féminin, marginal, stigmatisé et incompris est une des formes de sa poésie amère de
la corruption et de la vénalité. A Colet, il définit son état d’esprit : « ces pauvres
créatures, dont tu parles toujours avec un mépris un peu bourgeois, exhalent pour moi
un tel parfum d’ennui que j’aurais beau me forcer maintenant, les sens s’y
refusent »115. Entre passion et dégoût, sexualité triviale et élan métaphysique, son
rapport à la prostitution se révèle riche de paradoxes. Dans leur Journal, les
Goncourt retracent l’étendue de ces contradictions :
Chez Magny (...) Flaubert, la face enflammée, la voie beuglante, remuant ses
gros yeux, part et dit que la beauté n’est pas érotique, que les belles femmes ne
sont pas faites pour être baisées, qu’elles sont bonnes pour dicter des statues,
que l’amour est fait de cet inconnu que produit l’excitation et que très rarement
produit la beauté. Il développe son idéal, qui se trouve être l’idéal de la
rouchie ignoble. On le plaisante. Alors, il dit qu’il n’a jamais baisé vraiment
une femme, qu’il est vierge, que toutes les femmes qu’il a eues, il en a fait le
matelas d’une autre femme rêvé. (...) Flaubert (...) affirme que le coït n’est pas
du tout nécessaire à la santé de l’organisme, que c’est un besoin que notre
imagination crée. (...) Flaubert de répondre (à Taine) qu’il se trompe, que
l’homme n’a pas besoin d’une émission séminale, mais d’une émission nerveuse
et que, comme lui, Taine, baise au bordel, il ne doit éprouver aucun
soulagement, qu’il faut de l’amour, qu’il faut l’émotion, le tremblement de
presser une main116.
Avocat
du
diable
et
pourfendeur
de
préjugés,
l’épistolier
bouleverse
les
représentations et les fonctions sociales de la femme. Il conteste jusqu’aux valeurs
113
(ARON, J.-P., « A propos du destin de la femme du XVIe au XXe siècle » In 206 - SULLEROT, E., (recueil collectif sous la
direction de), Le fait féminin. Paris : Fayard, 1978. - 520 p. - p. 443)
114
(1 - C., Fin décembre 1846, Corr. I, p. 422)
115
(1 - C., 21 août 1853, Corr. II, p. 402)
116
(1 - Appendice II, Extraits du Journal des Goncourt, 21 décembre 1863, Corr. III, p. 884)
471
convenues de l’Italienne dans l’imaginaire collectif, « laquelle idée d’Italiennes
s’associe à celle de volcan; on voit toujours le Vésuve sous leur jupon. Erreur !
l’Italienne se rapproche de l’Orientale et est molle à la fesse, « Folle à la messe »,
comme eût dit ce vieux Rabelais; mais n’importe, c’est une idée reçue »117. Historien
des idées, Flaubert est sceptique et critique, spectateur et contempteur des mutations
illusoires de l’humanité.
Les lettres à l’amante et à l’amie développent une écriture close sur une
perception subjective de l’histoire individuelle et collective. Elles forment un texte au
carrefour des idéologies les plus antagonistes, une somme d’images révélant les
errances d’une époque révolutionnaire. Sociologue, moraliste et analyste politique,
Flaubert structure l’épistolaire en fonction
économiques
et
religieuses
du
Second
des
coordonnées
historiques,
Empire. « L’homme n’est pas content
d’avoir le présent et l’avenir, il veut le passé, le passé des autres, et détruit même
jusqu’aux ruines. S’il pouvait, il vivrait à la fois dans trois siècles et se regarderait
dans douze miroirs »118 dénonce-t-il dans ses notes de voyage. Relations féminines ou
regard sur l’Histoire, l’écrivain est veuf d’un passé qui - aussi insatisfaisant qu’il ait
été dans la réalité des faits - est transfiguré par sa mémoire en une époque glorieuse.
Ce rapport à l’aboli s’établit en un vaste faisceau de conjectures posant la question de
la vérité. Dans la présence du souvenir, le recours à l’image a valeur de reconnaissance et de re-viviscence du passé. Une communauté d’événements et de
personnages relie cette commémoration intime aux fictions narratives. De l’opposition
temporelle entre l’Empire et la Troisième République jusqu’à celle de sa passion
envers Elisa et son amour pour Colet, une même ligne de force parcourt la
Correspondance : la culture de la faillite et de l’insatisfaction comme moteur d’une
critique sociale et relationnelle.
117
(1 - C., 3 juillet 1852, Corr. II, p. 123)
(21 - FLAUBERT, G., Voyages. Texte établi et présenté par René DUMESNIL. Paris : Société Les Belles Lettres, 1948. - 2 vol.
- t. 1, p. 25.)
118
472
CONCLUSION
La nature a fait l’homme bi-sexuel, masculum et
feminam creavit eos (...) Pourquoi la nature
n’a-t-elle pas plutôt fait l’homme hermaphrodite
? Pourquoi cette division de l’appareil
générateur entre deux individus complémentaires
l’un de l’autre, le mâle et la femelle. Est-ce
encore une nécessité que la physiologie impose
à la société, ou une condition que la société
impose à la physiologie ? Plus simplement : la
distinction des sexes a-t-elle sa raison à la fois
dans la société et dans l’organisme ? Quelle est
cette raison ? ( 2 6 4 - P R O U D H O N , P . - J . , A m o u r e t
mariage. Paris : A. Lacroix et Ce, 1876. - 251 p. - p. 8)
Energique et fragile, masculin et féminin, Flaubert est un homme épicène à plus
d’un titre. Son idéal relationnel confine à l’effacement des différences sexuelles.
Chevaucheur d’écriture 119 plus qu’amant véhément, il transforme les attributs de la
femme au gré de ses désirs. Son point de vue sur cet alter ego rêvé est inféodé à une
idéologie misogyne. C’est bien davantage dans l’opposition entre la figure virile de
l’artiste - propre à la poursuite du « réalisme » - et celle du poète - caractéristique du
romantisme - qu’il se distingue de ses contemporains. Entre art et être, objectivité et
beauté, moralité et style, mystique et vocation, ce clivage façonne son écriture intime
et ses romans. Des 279 lettres à Colet aux 218 épîtres à Sand en passant par les 46
missives à Leroyer de Chantepie, la correspondance à l’amante et à l’amie expose
119
(1 - C., 12 octobre 1853, Corr. II, p. 448)
473
sa vie et son Oeuvre. « GENRE EPISTOLAIRE. - Genre de style exclusivement
réservé aux femmes »120 ironise-t-il dans le Dictionnaire des idées reçues. La lettre
flaubertienne se définit précisément comme un espace de la marge : un texte et un
intertexte iconoclastes. Entre distance et proximité, l’épistolier y interroge l’art, le
langage et l’humanité dans son rapport à l’âme soeur. Amateur de scénari, il structure
son entretien en fonction de finalités spécifiques à la personnalité de sa
correspondante et à l’orientation de sa relation. Au carrefour de l’investigation et de
la théorisation des ressorts fondamentaux de la sociabilité et de la création, il y
développe ses problématiques les plus obsédantes en se jouant de registres
stylistiques et pragmatiques, symboliques et psychanalytiques. Démiurge avant d’être
homme, il articule l’épistolaire autour de son moi romanesque. Son écriture intime
prépare celle de son Oeuvre. Elle l’accompagne et instruit ses aléas dans une optique
historique, sociale, politique et religieuse. La confrontation à la femme réelle, rêvée et
romanesque draine son analyse de la société du dix-neuvième siècle.
« Le caractère
fondamental
de
la
pensée
esthétique
de Flaubert est le
disparate des idées qu’il exprime »121 estime P.- M. Wetherill.
Telle semble être la poétique par laquelle le texte flaubertien finit par gagner le
pari de son inachèvement paradoxal : construire une histoire problématique et
non-conclusive dont la forme soit capable d’échapper systématiquement à
l’hégémonie d’un sens totalisable 122.
considère P.-M. de Biasi. Force est de reconnaître combien l’écrivain est contrasté et
illimité tant dans son écriture que dans ses relations. Enfant, sa conceptualisation
naissante du rapport au féminin et ses séquences visuelles internes sont liées au
sentiment de la temporalité et de la distance. Cette conviction de l’éphémère et du
fugitif est épanchée dès l’âge de 13 ans dans son Journal de lycéen :
UNE PENSEE
Des fous bondissent, s’élancent et se redressent, fiers et aigus, c’est la
valse, c’est le galop. Et parmi toutes ces fleurs, une s’est élevée plus grande,
plus belle et plus odoriférante. Parmi toutes ces robes, qui m’ont froissé en me
faisant tressaillir d’envie, une m’a fait plus tressaillir que les autres. Parmi
120
(33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues), op. cit., p. 355)
(145 - WETHERILL, P.-M., Flaubert et la création littéraire. Paris : Nizet, 1964. - p. 54)
122
(BIASI, P.-M. de, « Flaubert et la poétique du non - finito » In 120 - HAY, L., NEEFS, J., BIASI, P.-M. de, NEUMANN, G.,
LEVAILLANT, J., LEBRAVE, J.-L., Le manuscrit inachevé - Ecriture, création, communication. Paris : Editions du C.N.R.S,
1986. - 165 p. - p.73)
121
474
toutes ces tailles qui tourbillonnent, ces seins qui se gonflent, ces beaux yeux
bleus qui regardent, une a tourbillonné près de moi, un sein a palpité pour moi,
des yeux bleus m’ont regardé. Je l’invite, elle danse; je presse sa taille, je lui
souris à elle, elle, et encore à elle. Se penchant sur moi comme fatiguée, ses
lèvres brûlantes me disent un soupir... et je comprends ce soupir. Je la regarde,
elle est heureuse, et j’oublie la valse et le monde et toutes ces femmes qui
tourbillonnent et ces glaces qui reluisent et ces lumières qui flamboient. mais le
matin arrive, adieu ! mais la pensée s’est envolée comme la rose qui se flétrit.
Une pensée d’amour, c’est une rose de printemps 123.
Adulte, il cultive ces présupposés relationnels. Subordonnant la réalité au fantasme,
l’épiphanie à la disparition, le plaisir à la douleur, il console par l’antithèse l’amante
meurtrie. Aux griefs et lamenti, il oppose ses remontrances viriles, un arsenal de
prescriptions, des solutions partiales. Flaubert va de ce fait à rebours des attentes
féminines de consultation et de libre arbitre. Mais pour quelle raison ? Serait-ce parce
qu’il a été élevé par sa mère dans l’ordre du désir assouvi, et par conséquent de
l’égocentrisme ? L. Irigaray précise les répercussions de ce schéma éducatif sur la
sociabilité masculine :
Fin da piccole, le donne sembrano più disposte alla vita di relazione. Proiettano
il meglio di loro stesse nel dialogo con un Tu, che è anzitutto una figura
maschile. Il ragazzo, invece, fa girare il suo mondo intorno all’Io. Lui ha più
bisogno di oggetti, troppa vicinanza lo impaurisce, l’affetto di una Lei, se è
troppo assoluto, lo fa scappare. Quando si chiede a un ragazzino di rivolgersi a
una ragazza attraverso un biglietto (...) lui si trova in difficoltà e perfino si
oppone alla richiesta, oppure trova il modo di farlo con aggressività 124.
La réaction de l’épistolier à l’amour féminin s’inscrit dans la continuité de cet
embarras pour « entrer en relation » avec l’autre sexe. La lettre est le théâtre de ces
déchirements interpersonnels. « La rencontre n’est pas un donné mais un travail car
l’autre n’est jamais indemne de l’adverse. Le différend dit à la fois la différence et ce
qui s’y retient inexorablement de conflit »125 observe F. Collin.
Colet revendique la similarité affective et l’accord intellectuel. Elle assimile
l’attitude de son amant à une négation de sa sensibilité. Incomprise et désespérée, elle
123
(19 - FLAUBERT, G., Premières oeuvres (Journal d’écolier - Opuscules historiques - Oeuvres diverses). Paris : Eugène
Fasquelle, 1925. - 2 vol., 413 p. - t. 1, p. 4)
124
(Depuis toutes petites, les filles semblent plus disposées à la vie relationnelle. Elles projettent le meilleur d’elle-même dans le
dialogue avec un Tu, qui est avant tout une figure masculine. Le garçon, au contraire, articule son monde autour du Je. Il a
davantage besoin des objets, trop de proximité lui fait peur, l’affection féminine, si elle est trop absolue, le pousse à s’enfuir. Quand
on demande à un petit garçon d’entrer en relation avec une petite fille par l’intermédiaire de l’écrit (...) il se trouve en difficulté et
finit par s’opposer à cette demande, ou bien il y répond de façon agressive. » (225 - IRIGARAY, L., Anna, agosto 1999, n° 33. p. 34)
475
le critique. Rétif et apeuré, il s’insurge contre cet abus de pouvoir. Amour d’égoïsme
et non d’échange, les écrivains enferment leur relation dans un cercle de résistances.
« Amare veut dire aimer et signifie aussi amer : amare, amare, qui peut encore les
distinguer ? »126 médite T. Haecker. Flaubert est un être partagé entre le désir de
préserver son intimité et la nécessité de s’ouvrir sur la société. Cette solitude et cette
sociabilité contraintes handicapent souvent sa vie amoureuse. S’il éprouve des
difficultés, il préfère les interroger dans l’intimité de son for intérieur plutôt que d’en
faire part à sa maîtresse. Colet met au contraire un point d’honneur à se confier. Elle
interprète ce comportement comme une manifestation de défiance. Ce faisant, elle
commet des fautes relationnelles : incapacité d’accepter l’autre tel qu’il est, ambition
de le voir et de l’aimer tel qu’elle voudrait qu’il soit; entreprise de « désindividuation »
par la réforme de ses attributs les plus « différentiels », lancinant exposé de reproches
confinant à la stigmatisation, soulignement systématique de ce qui n’est pas et non de
ce qui est. Flaubert et Louise Colet, c’est l’histoire d’une incapacité réciproque à
comprendre et à aimer l’autre dans ses différences, une tragique
illustration de
l’échec intemporel et universel guettant tout un chacun dans l’épreuve du couple.
Théorisées par le Dr Willy, les motivations de la relation passionnelle expliquent ce
dilemme :
Contrairement à l’amourette passagère, qui se nourrit d’illusions et qui est
dépourvue de sens critique, l’amour fait apparaître, dès le début, les
antagonismes qui existent et doivent exister entre deux êtres. L’amour n’est pas
aveugle, il n’accepte point l’objet aimé sans critique. L’individu cherche, dans
le partenaire, l’incarnation d’un idéal; il cherche pour ainsi dire à influencer
l’autre de manière à le rapprocher de cet idéal127.
En effet, pour l’écrivain comme pour la poétesse, l’expérience amoureuse se révèle
destructrice. Elle réduit l’autre à la subjectivité d’un désir de ressemblance. Mais le
génie littéraire ne peut devenir une femme de coeur. Et l’inverse n’est pas moins vrai.
L’amour - fondé sur l’acceptation de l’altérité - s’efface devant l’entreprise de
conquête et l’entre-dévoration. Flaubert a le sentiment d’être menacé par l’amante.
125
(223 - COLLIN, Fr., « Praxis de la différence ». Les Cahiers du Grif, printemps 1992, n° 46. - p. 136)
(200 - HAECKER, T., Satire und polemik - Der geist des menschen und die wahreit. München : Kösel-Verlag, 1962. In-16. 499 p. - p. 60)
127
(232 - JAMONT, C., WILLY, Dr, La sexualité. Verviers : Gérard et C°, 1964. - 2 Vol. Livre I. - pp. 94-95. - (Collection
Marabout Université))
126
Mais
ne
476
l’est-il pas déjà par lui-même dans son incapacité à s’affranchir de sa
monade ?
Tout se passe comme si - avant Merleau-Ponty - il voyait davantage dans la femme
une « idée historique » qu’une « espèce naturelle »128. Sa conception du sexe « faible »
s’enracine dans le postulat millénaire de la subordination. Elle participe aussi d’une
idéologie favorable à l’anthropologie naturaliste et à la différenciation qualitative des
sexes. Grâce à son absolu de neutralisation sexuelle, Flaubert renverse pourtant l’idée
commune selon laquelle la femme est liée davantage au désir de l’amour pur que ne
l’est l’homme. Son penchant pour Colet est significatif à cet égard. La Muse est une
intrigante rompue à toutes les compromissions, faisant de son corps une opportunité
de réussite dans le champ littéraire parisien et un mode d’accès à la postérité. Dans
leur Journal, les Goncourt remarquent : « Il y a une grossièreté de nature dans
Flaubert qui se plaît à ces femmes terribles de sens et d’emportement d’âme, qui
éreintent l’amour à force de transports, de colères, d’ivresses brutales ou
spirituelles »129.
La femme flaubertienne est une perfection ontologique qui se cherche sans se
trouver mais toujours interroge. Si l’espèce humaine est désignée par le nom masculin
d’« Homme », l’idée contenue dans ce terme générique rassemble les attributs des
deux sexes. L’écrivain renvoie implicitement à cette notion dans son rapport au
féminin. Il rêve d’unicité dans le double, de complémentarité dans la différence. Sand
est le prototype de cette féminité synthétique - un être ayant trouvé la part masculine
refoulée de sa bisexualité innée. Ce cas limite de la féminité tranche sur la masculinité
menacée de l’épistolier, toujours tenté par une régression à l’état originel de fusion
avec sa mère, cette source de désidentification de son « être-homme ». L’ambition de
Flaubert d’une symbiose des genres par l’androgynie prend sa source dans cette
réalité. Elle est partie prenante de ce postulat génétique résumé par E. Sullerot : « 1°
chez les mammifères, espèce humaine comprise, génétiquement le sexe féminin est le
sexe premier à partir duquel s’ébauche le sexe masculin; 2° cette constatation
n’implique strictement aucune idée de supériorité ou d’infériorité »130. Pourtant, s’il se
128
(317 - MERLEAU-PONTY, M., Phénoménologie de la Perception. Paris : Gallimard, 1945. - p. 199)
(1 - Appendice II, Extraits du Journal des Goncourt , 21 février 1862, Corr. III, p. 877)
130
(SULLEROT, E., « Notes pour une réflexion sociologique » In 206 - SULLEROT, E., (recueil collectif sous la direction de), Le
fait féminin. Paris : Fayard, 1978. - 520 p. - p. 70)
129
477
plaît à comparer la femme à l’homme, l’écrivain se garde bien de les assimiler
totalement. Cette réserve s’explique par une certaine faveur de la misogynie dans son
esprit. Tantôt dénonce-t-il cette discrimination : il témoigne alors d’une véritable
intelligence de la féminité lorsqu’il perçoit dans la passivité et l’activité (attributs
féminins et masculins traditionnels) des concepts produits par une doxa androcentrée
plus que de réelles différences de nature. Tantôt plébiscite-t-il cette distinction : il
sépare le bon grain de l’ivraie en opposant les attributs de la femme (faiblesse et
sentiment, liquidité et facilité d’écriture) à ceux de l’homme (force et impersonnalité,
dureté et rigueur). Il a recours pour ce faire à trois modalités : le discours égocentré,
altérocentré ou littéraire. Ces dispositifs narratifs organisent ses lettres à l’amante et à
l’amie. Ils modalisent différentes périodes de sa vie : la venue à l’écriture et
l’avènement d’une vocation avec Colet (1846-1855), l’après- Madame Bovary avec
Leroyer de Chantepie (1857-1876), l’âge de raison et le succès avec Sand (18631876).
Comme le remarque J. Chessex, « Dans Flaubert, il faut toujours tout rapporter
à la Correspondance, et tout part d’elle »131. « ... difficile, voire impossible, de
structurer un essai » sur l’écrivain, poursuit le critique contraint de procéder par
« morcellement de zones, par démembrement de parts, désassemblage, décollage
(décollements ?) de strates, décodage de signes, de lieux du système »132 pour tenter
de retrouver l’homme, sa pensée, son Oeuvre. Flaubert cultive une esthétique du
discontinu tant au niveau du lexique que de la syntaxe et de la rhétorique épistolaires.
La lettre à Colet (érotisée, justificative, esthétisante), ne repose pas sur les mêmes
mécanismes que celle à Leroyer de Chantepie (prescriptive et moralisante) ou à Sand
(dialogique et intellectualisée). A la Muse, le styliste résume ses intentions : « Le
lecteur ne s’apercevra pas (je l’espère) de tout le travail psychologique caché sous la
Forme, mais il en ressentira l’effet »133. Interrogeant de prime abord la composition de
Madame Bovary, cette réflexion traduit implicitement son ambition épistolaire : la
mise en scène théâtrale de la parole - mêlant le comique de mots et de situation au
tragique de caractère - par la représentation et le retraitement de l’oral et du littéraire.
L’ironie fédère ces antagonismes, leurs procédés et effets de sens. Elle permet
131
(104 - CHESSEX, J., Flaubert ou le désert en abîme. Paris : Grasset, 1991. - 279 p. - p. 75)
(Ibid. - p. 206)
132
478
d’exprimer le dédain, l’humour et l’humeur. « L’ironie, comme Eros, est une créature
démonique. Ironie amoureuse, ironie sérieuse, toujours moyenne entre la tragédie et
la légèreté ! »134 précise Jankélévitch. L’épistolier caricature le fait discursif par la
charge affective et la caractérisation outrancière. Ainsi vit-il les retards de
menstruation de Colet comme une tragédie grecque.
La lettre constitue pour lui une expérience-limite du rapport à l’Autre, une issue de
secours psychique permettant de se détourner de la pente dangereuse de la déraison.
Entre Brigues et Martigny, lors d’une échappée helvétique, il constate avec inquiétude
ses singulières affinités envers les aliénées :
Les trois idiotes, pantomime quand je leur ai donné de l’argent. - Expression. Une figure carrée, nez camus, goitre. - Elles me faisaient des signes d’amitié,
passaient leur main sur leur visage. - J’estime les fous et les animaux; est-ce
parce qu’ils sentent que je les comprends et que j’entre dans leur monde ? 135
L’entretien à distance le guérit de son étrangeté et de son hostilité à lui-même, à l’être
humain et à la société. Les styles et les motifs de ses correspondances sont
conditionnés par des impératifs de médiation et de remédiation. Les deux points de
cette chaîne épistolaire (destinateur / destinataire : Flaubert / Colet, Leroyer de
Chantepie et Sand) - s’attirent et se repoussent, interagissent et s’influencent pour le
meilleur de la recherche et de la définition d’une esthétique relationnelle. Entre Eros et
Thanatos, Philia et Agapé, la Correspondance est féconde en perspectives
psychanalytiques sur l’altérité. L’imagerie négative de l’homme et de la femme, de
l’enfant et de la famille souligne les difficultés de l’écrivain à se penser, à penser
autrui, et par conséquent à aimer. S. de Beauvoir remarque sur cette question : « il est
possible d’échapper aux tentations du sadisme et du masochisme lorsque les deux
partenaires se reconnaissent mutuellement comme des semblables; dès qu’il y a chez
l’homme et chez la femme un peu de modestie et quelque générosité, les idées de
victoire et de défaite s’abolissent »136. La relation des amants échoue précisément du
fait de sa dissymétrie et du tempérament dominateur de ses acteurs.
133
(1 - C., 2 janvier 1854, Corr. II, p. 497)
(308 - JANKÉLÉVITCH, V., L’ironie ou la bonne conscience. Paris : PUF, 1950. - 171 p. - p. 170. - (Bibliothèque de
Philosophie contemporaine))
135
(21 - FLAUBERT, G., Voyages, op. cit., t. 1, p. 282)
136
(211 - BEAUVOIR, S. de, Le Deuxième sexe. Paris : Gallimard, 1949. - 2 vol., 577 p. - p. 172)
134
479
L’esthétique relationnelle de l’épistolier repose sur des concepts impliquant des codes
comportementaux et des registres d’écriture spécifiques : l’aliénation avec Colet, la
compassion avec Leroyer de Chantepie, l’empathie avec Sand. Ces régimes affectifs
précèdent et accompagnent une réflexion sur les mobiles et les objectifs de la
littérature.
Questionnement
fictionnel,
objectivisme
ou
théorisation
stylistique,
l’écriture intime de Flaubert correspond avec son écriture romanesque dans l’incessant
dialogue des mythes et des représentations. La proximité psychologique avec la
correspondante prédispose à la création des héroïnes.
Depuis la mise en scène de son ego jusqu’aux principes, dynamismes et hémiplégies de
son processus créatif, il projette dans la lettre son travail de la prose. Cette
expérience inscrit ses discours dans une temporalité et une chronologie : celle du
saisissement de ce qui n’est plus ou de ce qui sera. L’histoire flaubertienne est à la
croisée du personnel - elle renseigne sur l’homme, l’esthète, l’amant et l’ami - et du
collectif : elle sonde l’humanité, ses origines, son actualité sous le Second Empire,
son devenir. Conjuguée à tous les temps du dégoût et de la crainte, elle éclaire sa
sociabilité, sa prise de conscience citoyenne, sa spiritualité.
La Correspondance est la préparation, le constat, et le commentaire d’une
démarche esthétique. L’épistolaire y est une écriture-frontière entre la fiction et la
réalité : fiction de l’oeuvre romanesque et réalité d’un imaginaire d’écrivain en
souffrance, fiction de Flaubert et de ses correspondantes et réalité de leur relation.
Plus qu’un échange privé, c’est un système de communication, de théorisation et de
critique. En regard de cette réflexion de l’épistolier pour qui « La méthode est tout ce
qu’il y a de plus haut dans la critique, puisqu’elle donne le moyen de créer »137, l’étude
des lettres à Colet, Leroyer de Chantepie et Sand révèle les fils plus ou moins visibles
reliant l’amour et l’amitié à la création. « Le professeur lui proposa un commerce
épistolaire, où il le tiendrait au courant de la littérature »138 écrit Flaubert dans
Bouvard et Pécuchet . Indirectement, cette phrase explore son rapport à l’écriture
intime. Homme de l’introspection douloureuse, il prêta sans doute à ses personnages
quelques-unes de ses réactions. Dans La première éducation sentimentale, cet état
d’âme du héros résonne singulièrement de celui qui fut si souvent le sien après la
137
(1 - S., 28 janvier 1872, Corr. IV, p. 472)
(32 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet. Edition de René DUMESNIL. Paris : Les Belles Lettres, 1945. - 2 vol. - p. 16)
138
480
lecture d’une lettre de sa maîtresse : « Après quoi il replia la lettre dans ses mêmes
plis, la mit sur sa table de nuit, et continua, couché sur le dos et les yeux levés au
plafond, à réfléchir sur ses illusions propres et ses misères personnelles »139. Mais
quelle que soit la catégorie d’écriture sollicitée, la tonalité souffrante reste la même.
La vie correspond pour l’écrivain à une réalité déliquescente. Flaubert est comme
Antoine. Il aime à voir grandir en lui un sentiment nihiliste, se persuade chaque jour
davantage de son isolement moral, contemple les vanités humaines, et philosophe sur
la fin annoncée de l’humanité. Son écriture épistolaire est une force auxiliaire de
négation nourrissant ses dénonciations romanesques.
Car écrire une lettre à une femme consiste à exposer et mettre en débat une
représentation du monde, creuser le récit d’une émotion et d’une idée, l’évider de sa
substance factuelle, affirmer dans sa présence la singularité d’une perception, signifier
l’écart entre l’être et le langage, se repaître des faux-semblants d’une rencontre
virtuelle, transfigurer le réel afin de ne pas être soi et vivre dans l’image de l’autre afin
d’occulter sa réalité, la Correspondance de Flaubert ne cesse de questionner et
d’inviter à l’analyse des enjeux de l’écriture intime à l’amante et à l’amie.
139
(23 - FLAUBERT, G., La première éducation sentimentale (1845). Edition de F.R BASTIDE. Paris : édition du Seuil, 1963. - p.
23)
481
BIBLIOGRAPHIE
(arrêtée au deux septembre 2001)
1. TEXTES DE FLAUBERT
1.1 - Localisation des lettres autographes à Louise Colet, Marie-Sophie Leroyer de
Chantepie et George Sand
- Lettres à Louise Colet
- Fonds Louise Colet, Bibliothèque du musée Calvet, Avignon, Mss 6403-6423.
- Bibliothèque nationale, N.A.F 23825, ffos 1-44.
- Lettres à Marie-Sophie Leroyer de Chantepie
- Autographes non retrouvés, édition Conard.
- Collection Lovenjoul, Bibliothèque Spoelberch de Lovenjoul, Chantilly.
- Copies R. DESCHARMES, Bibliothèque nationale.
- Lettres à George Sand
- Collection Lovenjoul, Bibliothèque Spoelberch de Lovenjoul, Chantilly.
1.2 - Editions des Lettres de Flaubert
- Edition de référence
1 - FLAUBERT, G., Correspondance. - Edition établie, présentée et annotée par Jean
BRUNEAU. Paris : Gallimard, 1973-1998. - 4 vol., T.1 : janvier 1830 - juin 1851, 1183 p., 1973,
avec une bibliographie, T.2 : juillet 1851 - décembre 1858, 1542 p., 1980, T.3 : janvier 1859 décembre 1868, 1991, T.4 : janvier 1869 - décembre 1875, 1484 p., 1998, T.5 : à paraître. (« Bibliothèque de la Pléiade »).
(Pour les lettres actuellement hors Pléiade - Lettre à Leroyer de Chantepie du 17 juin 1876, Lettres
à Sand des 6 et 18 février 1876, 8 et 10 mars 1876, 3 et 15 avril 1876, l’édition de référence est
celle du Club de l’Honnête Homme, 1971-1975)
- Edition de la Correspondance dans les Oeuvres Complètes
482
2 - FLAUBERT, G., Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. - Edition définitive d’après les
manuscrits originaux. Paris : A. Quantin, 1885. - 8 vol.
3 - FLAUBERT, G., Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. - Edition augmentée de variantes,
de notes d’après les manuscrits, versions et scénarios de l’auteur et de reproductions en fac-similé
de pages d’ébauche et définitives de ses oeuvres. Paris : Louis Conard, 1910. - 18 vol. - (Cote
B.N.F : 8-Z-24126 (8)).
4 - FLAUBERT, G., Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. Correspondance. - Texte révisé
et classé par René DESCHARMES, portraits gravés sur bois par Achille OUVRÉ. Paris : édition du
Centenaire, F. SANT’ANDREA et L. MACEROU, Librairie de France, 1921-1925. - 12 vol.
5 - FLAUBERT, G., Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. - Nouvelle édition augmentée.
Paris : Louis Conard, 1926-1933. - 25 vol.
6 - FLAUBERT, G., Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. - Correspondance recueillie,
classée et annotée par MM., René DUMESNIL, Jean POMMIER et Claude DIGEON,
supplément. Paris : Louis Conard, Jacques Lambert, 1954. - 4 vol.
7 - FLAUBERT, G., Oeuvres complètes. - Edition établie par Maurice NADEAU. Lausanne :
éditions Rencontre, 1964-1965. - 18 vol.
8 - FLAUBERT, G., Oeuvres complètes. - Edition nouvelle établie d’après les manuscrits inédits
de Flaubert par la Société des Etudes littéraires françaises contenant les scénarios et plans des divers
romans, la collection complète des Carnets, les notes et documents de Flaubert avec des notices
historiques et critiques, et illustrée d’images contemporaines. Paris : Club de l’Honnête Homme,
1971-1975. - 16 vol.
- Editions séparées de la Correspondance
9 - FLAUBERT, G., Correspondance. Paris : G. Charpentier et Cie, 1887-1893. - 4 vol.
(Voir édition de référence) - FLAUBERT, G., Correspondance. - Edition établie, présentée et
annotée par Jean BRUNEAU. Paris : Gallimard, 1973-1998. - 4 vol., T.1 : janvier 1830 - juin
1851, 1183 p., 1973, avec une bibliographie, T.2 : juillet 1851 - décembre 1858, 1542 p., 1980,
T.3 : janvier 1859 - décembre 1868, 1991, T.4 : janvier 1869 - décembre 1875, 1484 p., 1998,
T.5 : à paraître. - (« Bibliothèque de la Pléiade »).
10 - FLAUBERT, G., Correspondance. Choix et présentation de MASSON B.. Texte établi par
BRUNEAU J.. Paris : Gallimard, 1998. - 850 p. N°3126. - (Collection Folio Classique).
- Editions par destinataires
11 - FLAUBERT, G., Lettres de Gustave Flaubert à George Sand. - Précédées d’une étude par
Guy de MAUPASSANT. Paris : G. Charpentier, 1889. - 289 p.
483
12 - FLAUBERT, G., Lettres choisies de G. Flaubert. - Recueillies et préfacées par René
DUMESNIL. Paris : J. Et R. Wittmann, 1947. - 155 p.
13 - FLAUBERT, G., Correspondances - Gustave Flaubert - Alfred le Poittevin - Gustave
Flaubert - Maxime du Camp. Texte établi, préfacé et annoté par Y. LECLERC. Paris :
Flammarion, 2000. - 480 p.
14 - FLAUBERT, G. - BONAPARTE, Mathilde (Princesse), Lettres inédites à la Princesse
Mathilde. Préface de M. Le comte Joseph PRIMOLI, étude de Mme la princesse Mathilde. Paris :
Conard, 1927. - 239 p.
15 - FLAUBERT, G. - LES GONCOURT, Correspondance. Texte établi, préfacé et annoté par
DUFIEF, P.-J.. Paris : Flammarion, 1998. - 349 p.
16 - FLAUBERT, G. - MAUPASSANT, Guy de, Correspondance. Edition établie par Y.
LECLERC. Paris : Flammarion, 1993. - 513 p.
- Traductions
17 - FLAUBERT, G., Selected Letters. Translated and with an introduction by G. WALL. London
: Penguin books, 1997. - 430 p. - (Penguin classics).
1.3 - Intertexte
- Textes de Flaubert
18 - FLAUBERT, G., Oeuvres de jeunesse inédites. Paris : Conard, 1910. - 2 vol.
19 - FLAUBERT, G., Premières oeuvres (Journal d’écolier - Opuscules historiques - Oeuvres
diverses). Paris : Eugène Fasquelle, 1925. - 2 vol., 413 p.
20 - FLAUBERT, G., Mémoires d’un fou, Novembre, et autres textes de jeunesse. Edition
critique établie par LECLERC, Y.. Paris : Flammarion, 1991. - 538 p. - (Collection Garnier
Flammarion n°181).
21 - FLAUBERT, G., Voyages. Texte établi et présenté par René DUMESNIL. Paris : Société Les
Belles Lettres, 1948. - 2 vol.
22 - FLAUBERT, G., Voyages. Voyage aux Pyrénées et en Corse. Voyage en famille. Par les
champs et par les grèves. Voyage à Carthage. Edition présentée par BARBERIS, D.. Paris :
Arléa, 1998. - 702 p.
23 - FLAUBERT, G., La première éducation sentimentale (1845). Edition de F.R BASTIDE.
Paris : édition du Seuil, 1963.
24 - FLAUBERT, G., Madame Bovary. Edition de René DUMESNIL. Paris : Les Belles Lettres,
1945. - 2 vol.
484
25 - FLAUBERT, G., Madame Bovary. Edition de Claudine GOTHOT-MERSCH. Paris :
Garnier, 1971.
26 - FLAUBERT, G., Madame Bovary. Moeurs de provinces. Paris : Gallimard, 1998. - 588 p. (Collection Folio Plus).
27 - FLAUBERT, G., Plans et scénarios de « Madame Bovary ». Présentation, transcription et
notes par Yvan LECLERC. Paris, CNRS Editions / ZULMA, 1995. - (Collection Manuscrits).
28 - FLAUBERT, G., Salammbô. Paris : Les Belles Lettres, 1944. Edition de René DUMESNIL.
- 2 vol.
29 - FLAUBERT, G., Oeuvres complètes (La tentation de Saint-Antoine (1856), La tentation
de Saint-Antoine, (1874). Paris : Conard, 1910. - T. 4.
30 - FLAUBERT, G., La tentation de Saint-Antoine (1874). Introduction, notes et variantes par
Edouard MAYNIAL. Paris : Classiques Garnier, 1954. - 313 p.
31 - FLAUBERT, G., L’Education sentimentale (1869 ). Edition de René DUMESNIL. Paris :
Les Belles Lettres, 1942. - 2 vol.
32 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet. Edition de René DUMESNIL. Paris : Les Belles
Lettres, 1945. - 2 vol.
33 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet (Dictionnaire des idées reçues). Paris : GarnierFlammarion, 1966. - 378 p.
34 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet. Préface et commentaire de Pierre-Louis REY. Paris :
Pocket, 1999. - 424 p. - (Collection Pocket Classiques).
35 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet suivi du Dictionnaire des idées reçues. Edition de
Stéphane DORD-CROUSLE. Paris : Garnier-Flammarion, 1999. N°1063.
36 - FLAUBERT, G., Un coeur simple. Edition par G. GENGEMBRE. Paris : GarnierFlammarion, 1997. - 105 p. - (Collection Garnier-Flammarion Classiques).
37 - FLAUBERT, G., Le Candidat. Edition présentée par LECLERC, Y.. Pantin : Le Castor
Astral, 1998. - 101 p. - (Collection Les inattendus).
2. ETUDES CRITIQUES SUR FLAUBERT
2.1 - Ouvrages sur la Correspondance
38 - CARLUT, C., La Correspondance de Flaubert. Etude et répertoire critique. Columbus,
Ohio State University Press, Paris : Nizet, 1968. - 826 p.
485
39 - DEBRAY-GENETTE, R., NEEFS, J., L’oeuvre de l’oeuvre : études sur la
Correspondance de Flaubert. Saint-Denis : Presses universitaires de Vincennes, 1993. - 188 p. (Collection Essais et Savoirs).
40 - KAUFMANN, V., L’équivoque épistolaire. Paris : Editions de Minuit, 1990. - 200 p.
41 - POYET, T., Pour une esthétique de Flaubert d’après sa Correspondance. Paris : Eurédit
éditeur, 2000.
2.2 - Articles sur la correspondance à Louise Colet, Marie-Sophie Leroyer de Chantepie et
George Sand
42 - ANONYME, « George Sand und Gustave Flaubert ». Nuova Antologia, 1883, p. 137.
43 - ANONYME, « Flaubert’s Correspondence with Mme Sand ». Nation, 1884, XXXVIII, pp.
292-294.
44 - ANONYME, « George Sand and Flaubert ». Nation, 1884, XXXIX, pp. 337-338.
45 - ANONYME, « Flaubert e Giorgio Sand ». Fanfulla della Domenica, 9 marzo 1884.
46 - ANONYME, « Realism and Decadence in French Fiction ». Quarterly Review, july-october
1890, CCLXXI.
47 - ASSOCIATION DES AMIS DE FLAUBERT ET DE MAUPASSANT, « Autour du t. IV de
la Correspondance de Flaubert, Bibliothèque de la Pléiade ». Revue Flaubert 1 : Association des
Amis de Flaubert et de Maupassant, 2001.
48 - BEM, J., « Le statut littéraire de la lettre (Flaubert et George Sand) » In : Les
Correspondances inédites. Paris : Economica, 1984, pp. 113-116.
49 - BIASI, P.-M. de, « Correspondance de Gustave Flaubert. Edition établie, présentée et
annotée par Jean BRUNEAU. Paris : Gallimard, 1998. T.4 : janvier 1869 - décembre 1875. - 1484
p. - (« Bibliothèque de la Pléiade »). », Magazine littéraire, n° 363, Mars 1998, p. 89.
50 - BOURGET, P., « Les lettres de Flaubert à George Sand ». Débats, 10 février 1884.
51 - BRIZEMUR, D., « Une correspondante de Flaubert : Mlle Leroyer de Chantepie ». Revue
hebdomadaire, 18 octobre 1918, T. X, pp. 305-338.
52 - BRUNEAU, J., « Autour du style épistolaire de Flaubert ». RHLF, juillet-octobre 1981, n°4-5.
53 - BRUNETIERE, F., «La Correspondance de Gustave Flaubert avec George Sand ». Revue
des Deux Mondes, 1er février 1884, pp. 695-706.
54 - CACCIANIGA, A., « Tra Croisset e Nohant. Flaubert e la Sand ». L’illustrazione italiana,
18 dicembre 1887, n°53, pp. 430-454.
486
55 - CZYBA, L., « La caricature du féminisme de 1848 : de Daumier à Flaubert » In Ecrire au
XIXe siècle. Recueil d’articles offert par ses amis collègues et disciples. Préface de DEBREUILLE,
J.-Y.. Paris : Les Belles Lettres, 1998. - pp. 141-153. Annales littéraires de l’Université de
Besançon, 646, Série « Littéraires », 9.
56 - DALY, P., CHAMPAGNE, R., « The semiotic correspondence between Sand and Flaubert ».
George Sand Studies, 1984-1985, VII, 1 et 2, pp. 84-94.
57 - DAVID, H.-C.-E., « Flaubert and George Sand in their Correspondence ». Chicago : Chicago
Literary Club, 1924, 31 p.
58 - DEUTELBAUM, W., « Desolation and Consolation : the correspondence of Gustave Flaubert
and George Sand ». Genre Norman N.Y / Genre U.S.A, 1982, vol. 15, n°3, pp. 281-302.
59 - DOUMIC, R., « George Sand. La Correspondance avec Flaubert ». Revue hebdomadaire,
10 avril 1909.
60 - GARCIN, J., « Flaubert-Sand, deux coeurs simples ». Les Nouvelles littéraires, 31 novembre
1981, p. 46.
61 - GAUCHER, M., « Causerie littéraire : lettres de Gustave Flaubert à Georges Sand ». Revue
Bleue, 7 février 1884, pp. 186-187.
62 - GILLOT, H., « Correspondance entre G. Sand et G. Flaubert ». Zeitschrift für
Neufranzösische Sprache und Literatur, 1907, t. XXI, pp. 175-190.
63 - GOTHOT-MERSCH, C., « Sur le renouvellement des études de Correspondances littéraires :
l’exemple de Flaubert ». Romantisme, 1991, n° 72, p. 6.
64 - GOYTISOLO, J., « Flaubert o la adiccion literaria : a proposito de la correspondencia
Flaubert-George Sand ». Quimera, revista de literatura, 11, Barcelona, 1984, pp. 10-17. 66 GROSS, F., « Flaubert und George Sand ». Gegenwart, 1884, pp. 164-166.
65 - HENRY, M., « Lettres de G. Sand à Flaubert ». Le Temps, 14 avril 1883, p. 3.
66 - JACKSON, J.-F., « Flaubert’s Correspondence with Louise Colet. Chronology and notes ».
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67 - JACOBS, A., « Flaubert et George Sand. Reclassement de leur Correspondance ». Bulletin
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69 - KENNARD, N.-H., « Gustave Flaubert and George Sand ». The Nineteenth Century, julydecember 1886, vol. XX, pp. 693-708.
70 - KYRIA, P., « Grandes voix postales. L’un des sommets de l’art épistolaire, quand George
Sand et Flaubert s’écrivent ». Magazine littéraire, septembre 1982, n°187, pp. 68-69.
71 - LAVIS, G., « Un fragment d’une lettre de Flaubert à Louise Colet ». Cahiers d’analyse
textuelle, 1967, IX, pp. 54-64.
72 - LE CALVEZ, E., « Flaubert auto-censeur - Génétique de la « baisade » de Mme Dambreuse
dans L’Education sentimentale », In Langues du XIXe siècle. Textes réunis par FALCONER, G.,
OLIVER, A., SPEIRS, D.. - Université de Toronto, Centre d’étude romantique J. Sablé, 1998, pp.
201-213. - (Collection A la recherche du XIXe siècle).
73 - LECLERC, Y., « Ponctuation de Flaubert » In : Flaubert, l’Autre - pour Jean Bruneau,
textes réunis par F. Lecercle et S. Messina, Lyon : Presses universitaires de Lyon, 1989. - 186 p.
74 - LED, E., « Flaubert directeur de conscience (Flaubert et Mlle Leroyer de Chantepie) ».
L’éclair, 21 octobre 1896, p. 1.
75 - LEVAILLANT, M., VARENNE, M., « La dernière lettre de Flaubert à Louise Colet ». Revue
des deux mondes, 1er juillet 1954, pp. 139-145.
76 - LUBIN, G., « Quelques billets inédits de Flaubert à la famille Sand ». Les amis de Flaubert,
décembre 1963, n°23, pp. 18-20.
77 - LUBIN, G., « Flaubert et le monument de G. Sand (avec des lettres inédites) », Les amis de
Flaubert, 1970, n°37, pp. 39-41.
78 - LUBIN, G., « Un billet inédit de G. Sand à Flaubert à propos de L’Education sentimentale ».
Les amis de Flaubert, n°38, mai 1971, p. 45.
79 - McKENZIE, A.-L., SHERMAN, St. P., The George Sand-Gustave Flaubert Letters.
Chicago : Acad. Chicago, 1979.
80 - MANN, H., Eine Freundschaft, Gustave Flaubert und George Sand. Munich, Bonsels,
1905, 52 p.
81 - MARDER, E., « Trauma, addiction and temporal bulimia in Madame Bovary ». Diacritics,
27, n°3, fall 1997, pp. 49-64.
82 - MASSON, B., « Avant-propos ». - p. 7-31. In FLAUBERT, G., Correspondance. Choix et
présentation de MASSON B.. Texte établi par BRUNEAU J.. Paris : Gallimard, 1998. - 850 p.
N°3126. - (Collection Folio Classique).
83 - MAURIAC, F., « Flaubert le mystique ». Figaro Littéraire, 11 Mai 1957.
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84 - MICHEL, H., « Lettres de George Sand à Flaubert ». Le Temps, 14 avril 1883.
85 - MODUM, E., « Les idées littéraires et politiques de George Sand et Flaubert d’après leur
correspondance ». Bulletin de l’Association des Amis de George Sand, 1978, n°52, pp. 30-34.
86 - OBERLE, C., « Flaubert : une lettre à George Sand, un traité avec Lemerre et autres lettres
inédites ». Bulletin Flaubert-Maupassant, n° 6, 1998, p. 93-121.
87 - PLAZOLLES, R.-L., « La Correspondance de G. Sand et de Flaubert ». L’Ecole, 54e année,
22 juin 1963, n°18, pp. 831-832.
88 - REID, M., « Flaubert et Sand en correspondance ». Poétique, février 1991, n°85, pp. 53-67.
89 - SABATIER, A., « Lettres de George Sand à Flaubert ». Journal de Genève, 29 avril 1883.
90 - SCHULZE, H., « Flauberts Briefe an George Sand ». Nationalzeitung, 12 august 1919.
91 - SHÖNE, M., « Langue écrite et langue parlée, A propos de la Correspondance de
Flaubert ». Le Français Moderne, Paris, 1943-1944, t. XI, pp. 87-108, 175-191, 263-276 et t.
XII, pp. 25-42. - (Cote Microfilm B.N.F : M. 547, T. XI).
92 - SOUDAY, P. (P.S.), « Une correspondance de Flaubert (avec Mlle Leroyer de Chantepie) »,
Le Temps, 20 octobre 1919.
93 - TONDEUR, C.-L., « Flaubert et Sand; une admiration piégée ». Revue de l’Université
d’Ottawa, janvier-mars 1984, vol. 54, n°1, pp. 5-14.
2.3 - Etudes générales
94 - BAKHTINE, M., Esthétique et théorie du roman. Paris : Gallimard, 1978.
95 - BIASI, P.-M. de, Flaubert - Les secrets de l’«homme-plume ». Paris : Hachette, 1995. 122 p.
96 - BOLLEME, G., La leçon de Flaubert. Paris : Julliard, 1964.
97 - BOPP, L., Commentaire sur Madame Bovary. Neuchâtel : A la Baconnière, 1951. - 550 p.
98 - BOURDIEU, P., Les règles de l’art - Genèse et structure du champ littéraire. Paris : Seuil,
1992. - 480 p.
99 - BOURGET, P., Etudes et portraits - Portraits d’écrivains. Notes d’esthétique. Paris : A.
Lemerre, 1894. - 2 Vol.
100 - BROMBERT, V., Flaubert . Paris : Seuil, 1971. - (Collection « Ecrivains de toujours »).
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101 - BUISINE, A., Emma Bovary. Paris : Edition Autrement, 1997. - 154 p. - (Collection
Figures Mythiques).
102 - BUTOR, M., Improvisations sur Flaubert. Paris : éditions de la différence, 1984. - 225 p.
103 - CENTRE CULTUREL INTERNATIONAL (Cerisy-la-Salle, Manche), La production du
sens chez Flaubert. Direction, GOTHOT-MERSCH, C.; Communications, BEM, J.,
BROMBERT, V., DEBRAY-GENETTE, R., DUCHET, C. (...). Paris : Union Générale d’éditions,
1975. - 439 p.
104 - CHESSEX, J., Flaubert ou le désert en abîme. Paris : Grasset, 1991. - 279 p.
105 - COLLING, A., G. Flaubert. Paris : Fayard, 1941. - 380 p.
106 - COMPAGNON, A., La Troisième république des lettres - De Flaubert à Proust. Paris :
Seuil, 1983. - 381 p.
107 - CZYBA, L., Mythe et idéologie de la femme dans les romans de Flaubert. Lyon : Presses
universitaires de Lyon, 1983. - 412 p.
108 - DANGER, P., Sensations et objets dans le roman de Flaubert. Paris : Armand Colin,
1973.
109 - DAUNAIS, I., Flaubert et la scénographie romanesque. Paris : Nizet, 1993.
110 - DESCHARMES, R., DUMESNIL, R., Autour de Flaubert. Paris : Mercure de France,
1912.
111 - DUFOUR, P., Flaubert et le Pignouf. Paris : Presses Universitaires de Vincennes, 1993.
112 - DUMESNIL, R., La vocation de G. Flaubert. Paris : Gallimard, 1961. - 267 p. (Collection Vocations).
113 - ENRIGHT, D.-J., A mania for sentences. London : Chatto and Windus, 1983.
114 - GAULTIER, J. de, Le bovarysme. Paris : Mercure de France, 1921.
115 - GERARD-GAILLY, E., Flaubert et « Les fantômes de Trouville ». Paris : La Renaissance
du Livre, 1930.
116 - GERARD-GAILLY, E., L’unique passion de Flaubert : « Madame Arnoux ». Paris : Le
Divan, 1932.
117 - GERARD-GAILLY, E., Le Grand amour de Flaubert. Paris : Aubier, 1944.
118 - GIRARD, M., La passion de Charles Bovary. Paris : Imago, 1995.
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119 - GOTHOT-MERSCH, C., La genèse de Madame Bovary. Paris : José Corti, 1966. - 302 p.
120 - HAY, L., NEEFS, J., BIASI, P.-M. de, NEUMANN, G., LEVAILLANT, J., LEBRAVE,
J.-L., Le manuscrit inachevé - Ecriture, création, communication. Paris : Editions du C.N.R.S,
1986. - 165 p.
121 - HERMINE, M., Destins de femmes Désir d’absolu - Essai sur Madame Bovary et
Thérèse de Lisieux. Paris : Beauchesne, 1997. - 292 p. - (Collection Cultures et Christianisme).
122 - LATTRE, A. de, La bêtise d’Emma Bovary. Paris : José Corti, 1980.
123 - LECERCLE, F. - MESSINA, S., Flaubert, l’Autre - pour Jean Bruneau. Textes réunis par
F. LECERCLE et S. MESSINA. Lyon : Presses universitaires de Lyon, 1989. - 186 p.
124 - LECLERC, Y., L’Education sentimentale. Paris : Presses Universitaires de France, 1997. (Collection Etudes littéraires). - 127 p.
125 - LECLERC, Y., La Spirale et le Monument - Essai sur BOUVARD ET PECUCHET de G.
Flaubert. Paris : SEDES, 1988. - 189 p.
126 - FLAUBERT, G., Salammbô. Histoire, fiction, textes réunis par FAUVEL, D., et LECLERC,
Y.. Paris : Honoré Champion, 1999. - 242 p. - (Collection Romantisme et Modernités).
127 - LLOSA, M.-V., L’orgie perpétuelle (Flaubert et Madame Bovary). Traduit de l’espagnol
par Albert BENSOUSSAN. Paris : Gallimard, 1985. - 235 p. - (NRF).
128 - LOTTMAN, R., Gustave Flaubert. Paris : Hachette, 1990. - 578 p. - (Collection Pluriel).
129 - MARAINI, D., Cercando Emma. Gustave Flaubert e la signora Bovary : indagini
attorno a un romanzo. Milano : Rizzoli, 1993.
130 - NADEAU, M., Gustave Flaubert, écrivain, Essai. Paris : Les Lettres Nouvelles / Maurice
NADEAU, 1980.
131 - NEEFS, J., MOUCHARD, C., Flaubert. Paris : Balland, 1986. - 422 p. - (Collection
Phares).
132 - ORR, M., Flaubert’s writing the masculine. Oxford : Oxford University Press, 2000. - 239
p.
133 - PAILLET-GUTH, A.-M., Ironie et paradoxe. Le discours amoureux romanesque. Paris :
Honoré Champion, 1998. - 531 p. Version remaniée d’une thèse de stylistique soutenue en 1993 à
l’Université de Paris IV-Sorbonne.
134 - PROUST, M., Contre Sainte-Beuve. Paris : Gallimard, 1971. 1022 p. - (Bibliothèque de la
Pléiade).
491
135 - PROUST, M., Chroniques. Paris : Gallimard, 1927.
136 - PRIVAT, J.-M., Bovary Charivari. Paris : CNRS Editions, 1994.
137 - REDMAN, H. Jr, Le côté homosexuel de Flaubert. Paris : A l’écart, 1991. - 65 p.
138 - RICHARD, J.-P., Stendhal et Flaubert. Littérature et sensation. Paris : Seuil, 1970. (Collection Points).
139 - ROBERT, M., Roman des origines et origines du roman. Paris : Gallimard, 1976. (Collection Tel).
140 - SARTRE, J.-P., L’idiot de la famille. Paris : Gallimard, 1988. - 3 v. - 2165 p.
141 - SEGINGER, G., Flaubert - Une poétique de l’histoire. Paris : Presses Universitaires de
Strasbourg, 2000.
142 - THIBAUDET, A., Gustave Flaubert. Paris : Gallimard, 1982. - (Collection Tel).
143 - THOREL-CAILLETEAU, S., La Tentation du livre sur rien. Paris : Editions Inter
Universitaires, 1999.
144 - UNIVERSITE DE PARIS X - INSTITUT DE FRANCAIS, Flaubert, la femme, la ville.
Journée d’études organisée par l’Institut de Français de l’Université de Paris X, (26 novembre
1980). Paris : PUF, 1983. - 173 p.
145 - WETHERILL, P.-M., Flaubert et la création littéraire. Paris : Nizet, 1964.
146 - ZENKINE, S., Madame Bovary et l’oppression réaliste. Clermont-Ferrand, Association
des Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Clermont-Ferrand, 1996. - 144
p. - ( Collection Littératures).
2.4 - Articles généraux
147 - BARTHES, R., « L’effet de réel » In Oeuvres complètes 2. Paris : Seuil, 1994.
148 - CROUZET, M., « Ecce Homais ». Revue d’histoire littéraire de la France, 1989, n°6, p.
1108.
149 - CROUZET, M., « Le style épique dans Madame Bovary ». Europe, 1969, n° 485-487.
150 - DUCHET, C., « Romans et objets », In Travail de Flaubert. Paris, Seuil, 1983. (Collection Points).
151 - DUCHET, C., « Signifiance et in-signifiance : le discours italique dans « Madame Bovary », In
La production du sens chez Flaubert. Paris : Union générale d’édition, 1975.
492
152 - GOTHOT-MERSCH, C., « Le dialogue dans l’oeuvre de Flaubert ». Europe, 1969, n° 485487.
153 - LECLERC, Y., « Le libertinage au XIXe siècle : les enfants de Sade ». Magazines
littéraires, n° 371, « Les libertins », décembre 1998, pp. 44-47.
154 - NEILAND, M., « The three daughters of lust : from allegory to ambiguity in Flaubert’s La
Tentation de Saint-Antoine. » Romance Studies, n° 31, spring 1998, pp. 58-68.
155 - ORR, M., « Capes and copes : revealing the veiled man in Flaubert’s Salammbô ».
Perversions, the international journal of gay and lesbian studies, n° issue 6, winter 1995-1996,
pp. 121-139.
156 - ORR, M., « The cloaks of power, custom and costume in Flaubert’s Salammbô ».
Nottingham French Studies, 36, n°2, 1997, pp. 24-33.
157 - ORR, M., « Flaubert’s Egypt : crucible and crux for textual identity ». Travellers in Egypt.
Edited by STARKLEY, P., J.. London : New York, I.B Tauris Publishers, 1998, pp. 189-200.
158 - RIFFATERRE, M., « Flaubert’s Presuppositions » In Flaubert and post-modernisme.
University of Nebraska Press, 1984.
159 - SARRAUTE, N., « Flaubert le précurseur ». Preuves, 1965, n° 168.
160 - SCHOR, N., « Pour une thématique restreinte : Ecriture, parole et différence dans Madame
Bovary ». Littérature, 1976, n° 22.
2.5 - Recherches universitaires
- Maîtrises
161 - WAN, M., La conception de l’art et de l’amour chez Flaubert. D’après la
correspondance avec les femmes. Mémoire en vue de l’obtention du diplôme de Maîtrise en
Littérature Française. Sous la direction de NEEFS, J., 1998, 105 p.
- Thèses soutenues
162 - HERBETH, G., Le vêtement masculin et féminin dans l’oeuvre de Flaubert. Th. :
Littérature Française - Littérature du 19e siècle : Paris 4 : 1994; n°94PA040121.
163 - LECLERC, Y., Le même et l’autre : identité, différence et répétition dans « Bouvard et
Pécuchet » de Gustave Flaubert. Th. : Lett. : Paris 4 : 1981. Lille : A.N.R.T, 1984, 8 microfiches,
Lille-thèses. M-Fiche : M-30587.
164 - LEROUX, C., Images de la femme infernale dans la littérature romantique de Balzac à
Flaubert. Th. : Littérature Française - Littérature du 19e siècle : Paris 3 : 1990; n°90PA030086.
493
165 - MARTINEZ, M., Flaubert critique littéraire d’après sa correspondance. Th. : Littérature
Française - Littérature du 19e siècle : Toulouse 2 : 1987; n°87TOU20118.
166 - SCHWEIGER, A., Les lettres de Flaubert ou la littérature en question. Th. : Littérature
Française - Littérature du 19e siècle : Paris 8 : 1988; n° 88PA080264.
167 - WIRION, C., Le pessimisme dans l’Education sentimentale de Gustave Flaubert. Th. :
Littérature Française - Littérature du 19e siècle : Paris 4 : 1994; n°94PA040114.
- Thèses en cours
168 - ASTABLE, M., La lettre, le rêve et l’écriture dans l’oeuvre de Flaubert, Th. : Littérature
Française - Littérature du 19e siècle : Paris 8; n°8601939IW.
169 - DOMINE, C., L’image de la femme dans l’Education sentimentale de Flaubert, Th. :
Littérature Française - Littérature du 19e siècle : Lyon 3; n° 0002832D.
170 - GORECKA, B., Mythe et idéologie de la femme dans les romans de Balzac et de
Flaubert, Th. : Littérature Française - Littérature du 19e siècle : Paris 4; n°9214418X.
171 - LEGOUHY, J., Flaubert lecteur d’après sa Correspondance, Th. : Littérature Française Littérature du 19e siècle : Dijon, n°8805106S.
172 - PLISKIN, F., Union et transparence des coeurs chez Flaubert, Th. : Littérature Française
- Littérature du 19e siècle : Amiens; n°8800602X.
173 - QUICHAUD, A., La Correspondance de Flaubert, l’autre texte, Th. : Littérature
Française - Littérature du 19e siècle, Lille 3; n°8709617A.
174 - RAUZY, E., Le temps du courrier, Th. : Littérature Française - Littérature du 19e siècle,
Paris 8; n°9907854G.
175 - WALTZ, A., Présence et effacement de la femme dans l’oeuvre de Gustave Flaubert,
Th. : Littérature Française - Littérature du 19e siècle : Paris IV; n°8900904W.
3. SUR L’EPISTOLAIRE
3.1 - Critique
- Etudes
176 - ALTMAN, J.-G., Epistolarity : approaches to a form. Columbus : Ohio state university
press, 1982. - 235 p.
177 - BELLET, R., (recueil collectif sous la direction de), Femmes de lettres au XIXe siècle :
autour de Louise Colet. Lyon : Presses Universitaires de Lyon, 1982. - 320 p.
494
178 - BOSSIS, M., L’épistolarité à travers les siècles - geste de communication et/ou
d’écriture. Centre culturel international de Cerisy-la-Salle. Stuttgart, Franz Steiner Verlag (Edition),
1990.
179 - CARREL, S.- L., Le soliloque de la passion féminine ou le dialogue illusoire : étude
d’une forme monophonique de la littérature épistolaire. Paris : Edition Jean-Michel Place, 1982.
- 135 p.
180 - CHARTIER, R., (recueil collectif sous la direction de), La Correspondance. Les usages de
la lettre au XIXe siècle. Paris : Fayard, 1991.
181 - CORNILLE, J.-L., L’amour des lettres ou le contrat déchiré. Manheim : édition Mana
1985. - 304 p.
182 - GRASSI, M.-C., Lire l’épistolaire. Paris : Dunod, 1998. 194 p.
183 - GRASSI, M.-C., L’art de la lettre au temps de « La nouvelle Héloïse » et du
romantisme. Préface de Michel LAUNAY. Genève - Paris : Slatkine, 1994. 366 p. - (31) p. de
pl..
184 - UNIVERSITE DE PROVENCE, La Correspondance (Edition, Fonctions, Signification)
Actes du colloque franco-italien - Aix-en-provence, 5-6 octobre 1983. Aix-en-Provence,
Université de Provence, 1984. - 233 p.
- Articles
185 - CENTRE D’ÉTUDES DES CORRESPONDANCES DES XIXE ET XXE SIÈCLES UPR 422 DU C.N.R.S, « La convocation de l’image dans la correspondance » In : Autour de
George Sand, mélanges offerts à George LUBIN. Faculté des lettres et sciences sociales,
Université de Brest : novembre 1992. - 248 p.
186 - DIAZ, J.-L., « Le XIXe siècle devant les Correspondances ». Romantisme - Revue du dixneuvième siècle, quatrième trimestre, n°90. Paris : SEDES, 1995. - 136 p.
187 - GRASSI, M.-C., « L’art épistolaire français, XVIIIe et XIXe siècles ». Pour une histoire
des traités de savoir-vivre en Europe, Association des Publications de CLERMONT II, 1994.
188 - KAPP, V., « Deux problèmes de l’art épistolaire au XIXe siècle : besoin de communication et
exigence stylistique ». Cahiers de l’Association Internationale des Etudes françaises, 1987,
n°39, pp. 175-190.
189 - MAUPASSANT, G. de, « Le style épistolaire », chronique publiée dans Le Gaulois, 11 juin
1888, In : Choses et autres - Choix de chroniques littéraires et mondaines (1876-1890). Editée
par Jean BALSAMO. Paris : Le Livre de poche classique, 1993.
190 - ROSSET, C., « L’écriture épistolaire ». NRF, Juin 1980, 329.
495
3.2 - Manuels
191 - ANONYME, Eléments de style épistolaire et de composition, à l’usage des écoles
primaires des deux sexes. E. Leboeuf : Chatillon-sur-Seine, 1851. In-18. - p. 8. - (Cote B.N.F :
Z-47652).
4. SUR LA FEMME ET LE RAPPORT AU FEMININ
4.1 - Critique
- Etudes
192 - BLANCHOT, M., L’amitié. Paris : Gallimard, 1971. - 330 p. - (N.R.F).
193 - HOFFMANN, P., La femme dans la pensée des Lumières. Préface de George
GUSDORF. Genève : Slatkine Reprints, 1995. - 621 p.
- Articles
194 - BELLET, R., « La femme dans l’idéologie du Grand Dictionnaire universel de Pierre
Larousse » In : La femme au XIXe siècle, Littérature et idéologie, recueil collectif sous la
direction de R. BELLET, Paris : P.U.L, 1978.
195 - NEEFS, J., « L’espace d’Emma », In Women in French Literature. Stanford French and
Italian Studies : 1981.
196 - PICARD, M., « La prodigalité d’Emma Bovary ». Littérature, n°10, 1973.
197 - TETU, J.-F., « Remarques sur le statut juridique de la femme au XIXe siècle » In La femme
au XIXe siècle, Littérature et idéologie, recueil collectif sous la direction de R. BELLET, Paris :
P.U.L, 1978.
4.2 - Histoire
- Etudes
198 - BADINTER, E., L’Amour en plus, histoire de l’amour maternel - XVIIe - XXe siècle.
Paris : Flammarion, 1980.
199 - FOUCAULT, M., Histoire de la sexualité, 1, La volonté de savoir, 2, L’usage des
plaisirs, 3, Le souci de soi. Paris : Gallimard, 1976. - 3 vol.
200 - HAECKER, T., Satire und polemik - Der geist des menschen und die wahreit. München :
Kösel-Verlag, 1962. In-16. - 499 p.
201 - HECQUET, M., L’éducation des filles au temps de G. Sand. M. Artois : Presses
Universitaires, 1998. - 269 p.
496
202 - MONTANDON, A., Du goût, de la conversation et des femmes. Centre de recherches sur
les littératures modernes et contemporaines. Association des publications de la faculté des Lettres et
Sciences Humaines de Clermont-Ferrand : 1994. - 232 p. - (Collection Littératures).
203 - OZOUF, M., Les mots des femmes - Essai sur la singularité française. - 397 p. Paris :
Fayard, 1995. - ( Collection L’esprit de la cité).
204 - ROUGEMONT, D. de , Les mythes de l’amour. Paris : Albin Michel, 1961. - 285 p.
205 - SULLEROT, E., Histoire et mythologie de l’amour. Paris : Hachette, 1974.
206 - SULLEROT, E., (recueil collectif sous la direction de), Le fait féminin. Paris : Fayard, 1978.
- 520 p.
207 - TETU, J.-F., CZYBA, L., COURT, A., SCHAPIRA, M.-C., (recueil collectif sous la
direction de BELLET, R.), La femme au XIXe siècle - Littérature et idéologie. Lyon : Presses
universitaires de Lyon, 1978. - 200 p.
208 - TULARD, J., Dictionnaire du Second Empire. Paris : Fayard, 1995. - 1347 p.
- Articles
209 - CLEMENT, C., « Michelet et Freud : de la sorcière à l’hystérique ». Europe, novembredécembre 1973, n° spécial Michelet.
210 - KNIBIEHLER, Y., « La nature féminine au temps du code civil ». Annales, n° 4.
4.3 - Philosophie
211 - BEAUVOIR, S. de, Le Deuxième sexe. Paris : Gallimard, 1949. - 2 vol., 577 p.
212 - DERRIDA, J., L’écriture et la différence. Paris : Seuil, 1967. - (Collection Points). N°100.
213 - ELIADE, M., Méphistophélès et l’androgyne. Paris : Gallimard, 1962. - 268 p. - (NRF).
214 - FINKIELKRAUT, A., La sagesse de l’amour. Paris : Gallimard, 1984.
215 - LYOTARD, J.-F., Le différend. Paris : Edition de Minuit, 1983. - 279 p. - (Collection
Critique).
4.4 - Psychanalyse
- Etudes
216 - BUYTENDIJK, F.-J.-J., La femme, ses modes d’être, de paraître, d’exister. Paris :
Desclée de Brouwer, 1956.
497
217 - FERRIERES-PESTUREAU, S., La métaphore en psychanalyse. Paris : L’Harmattan,
1994. - 207 p.
218 - FREUD, S., La vie sexuelle. Paris : PUF, 1969. - 159 p.
219 - FREUD, S., Trois essais sur la théorie de la sexualité. Paris : Gallimard, 1942. - 180 p.
220 - STOLLER, R.-J., L’excitation sexuelle. Paris : Payot, 1984. - 342 p.
221 - STOLLER, R.-J., L’imagination érotique telle qu’on l’observe. Paris : PUF, 1989. - 284
p. - (Collection Le Fil Rouge ).
222 - STOLLER, R.-J., Masculin ou féminin ?. Traduction de l’américain par Yvonne NOIZET
et Colette CHILAND. Paris : Presses universitaires de France, 1989. - 362 p.
- Articles
223 - COLLIN, Fr., « Praxis de la différence ». Les Cahiers du Grif, printemps 1992, n°46.
224 - GREENSON, P.-W., Journal of psychoanalysis, 1968, n° 49, pp. 370-374.
225 - IRIGARAY, L., Anna, agosto 1999, n°33, p 34.
226 - STOLLER, R.-J., « Bisexualité et différence des sexes ». Nouvelle revue de psychanalyse,
printemps 1973, p 150.
4.5 - Psychiatrie
227 - BRIQUET, P., Traité clinique de l’hystérie, Paris : J.-B. Baillière, 1859.
228 - CHARCOT, Dr, L’Hystérie (Leçon I). Paris : Privat, 1971.
229 - CHARCOT, Dr, Leçons sur l’Hystérie virile. Paris : S.F.I.E.D, 1984. - 316 p.
230 - PINEL, P., Nosographie philosophique ou la méthode de l’analyse appliquée à la
médecine. Troisième édition. Paris : J. A Brosson, 1807. In-8°. - 3 vol.. - (Cote B.N.F : 8-TD 12
-15 (B)).
231 - VEITH, I., Histoire de l’hystérie. Paris : Seghers, 1972.
4.6 - Psychologie
232 - JAMONT, C., WILLY, Dr, La sexualité. Verviers : Gérard et C°, 1964. - 2 Vol.. (Collection Marabout Université).
498
233 - ROCHEBLAVE-SPENLÉ, A.-M., Les rôles masculins et féminins. Paris : PUF, 1964. 346 p.
4.7 - Sociologie
234 - FALCONNET, G., LEFAUCHEUR, N., La fabrication des mâles. Paris : Seuil, 1975. 186 p. - (Collection Actuels).
5 - SUR LES CORRESPONDANTES DE FLAUBERT
5.1 - Autour de Louise Colet
- Oeuvres
235 - COLET, L., Ce qui est dans le coeur des femmes, volume de poésies annoncé dans la
Bibliographie de la France le 28 août 1852.
236 - COLET, L., Le poème de la femme, premier récit : La Paysanne. Paris : Perrotin, 1853. 32 p.
- Etudes
237 - BOOD, M. - GRAND, S., L’indomptable Louise Colet. Paris : Pierre Horay, 1986. - 235
p.
238 - CLEBERT, J.-P., Louise Colet ou la Muse. Paris : Presses de la Renaissance, 1986. - 365
p.
239 - FREJLICH, H., Les amants de Mantes. Paris : S.F.E.L.T, 1936.
240 - MIRECOURT, E. de, Louise Colet. Paris : Havard, 1857. - 88 p. - (Collection Les
Contemporains).
241 - PLESSIS GRAY, F. du, « Mon cher volcan » ou la vie passionnée de Louise Colet. Paris :
J.-C. Lattès, 1995. - 387 p.
- Articles
242 - CZYBA, L., « Ecriture, corps et sexualité chez Flaubert » In : Corps Création, entre Lettres
et psychanalyse, recueil collectif sous la direction de Jean GUILLAUMIN, Paris : P.U.L, 1980.
243 - CZYBA, L., « Flaubert et « la Muse » ou la confrontation de deux mythologies
incompatibles » In : Femmes de Lettres, Autour de Louise Colet, Paris : P.U.L, 1982.
5.2 - Autour de George Sand
- Oeuvres
499
244 - SAND, G., Correspondance. Textes établis, présentés et annotés par G. LUBIN. Paris :
Garnier, 1964-1983. - 16 vol.
245 - SAND, G., Oeuvres autobiographiques (Histoire de ma vie - Isidora - Journal d’un
militaire à Paris). Textes établis, présentés et annotés par G. LUBIN. Paris, Gallimard, 1971. - 2
vol. - (Bibliothèque de la Pléiade).
246 - SAND, G., Gabriel. Paris : Félix Bonnaire, 1840.
247 - SAND, G., Indiana. Paris : Edition d’Aujourd’hui, 1976.
248 - SAND, G., Souvenirs de 1848. Paris : Edition d’Aujourd’hui, 1977.
249 - SAND, G., Jean de la Roche. Paris : Edition d’Aujourd’hui, 1977.
- Etudes
250 - NEEFS, J., George Sand. Textes de COURIER, Jean, DIDIER, Béatrice, HERSCHBERPIERROT, Anne... Etudes réunies par DIDIER, Béatrice et NEEFS, Jacques In Ecritures du
romantisme 2. Saint-Denis : Presses Universitaires de Vincennes, 1990. - 159 p.
251 - POYET, T., Mon amie G. Sand - Un portrait selon Gustave Flaubert. Tours : les éditions
Nouvelle République, 1998. - 78 p.
- Articles
252 - CHONEZ, C., « George Sand et le féminisme ». Europe, mars 1978, n° 77.
253 - SCHOR, N., « Le féminisme et George Sand : Lettres à Marcie ». Revue des sciences
humaines, avril - juin 1992, n° 226.
6. TEXTES ET OEUVRES
6.1 - XIXe siècle
254 - BALZAC, H. de, Séraphîta. Paris : Gallimard, 1950. - (« Ancienne Pléiade »).
255 - BAUDELAIRE, C., Les Paradis artificiels. Lausanne : La Guilde du livre, 1950. - (n°97).
256 - BAUDELAIRE, C., L’Art Romantique. Lausanne : La Guilde du livre, 1950.
257 - FOURIER, C., Hiérarchie du cocuage. Edition définitive corrigée sur le manuscrit original
par René MAUBLANC. Paris : éd. du siècle / éditions d’Aujourd’hui, 1975.
258 - FOURIER, C., Le Nouveau monde amoureux, Oeuvres complètes. Paris : Ed. Anthropos,
1967.
500
259 - GOETHE, J.-W von, Les affinités électives. Paris : Gallimard, 1954. - (Bibliothèque de la
Pléiade).
260 - GONCOURT, E. de, J. de, Journal : mémoires de la vie littéraire. Avant-propos de
l’Académie Goncourt, texte intégral établi et annoté par Robert RICATTE. Paris : Fasquelle et
Flammarion, 1959. - 4 vol.
261 - HUYSMANS, G.-C. dit J.-K., A Rebours. Paris : Union Générale d’éditions, 1975. (collection 10/18).
262 - MICHELET, J., L’Amour. 3e édition. Paris : Hachette, 1859.
263 - MICHELET, J., La Sorcière. Paris : Garnier-Flammarion, 1966.
264 - PROUDHON, P.-J., Amour et mariage. Paris : A. Lacroix et Ce, 1876. - 251 p. - (Cote
B.N.F : 8-R-94).
265 - PROUDHON, P.-J., Oeuvres complètes. Nouvelle édition publiée avec des notes et des
documents inédits, sous la direction de C. BOUGLE et de H. MOYSSET. Paris : M. Rivière, 1923.
- Articles
266 - DURANTY, L.-E.-E., Réalisme. N° 1, 10 juillet 1856. Paris : DURANTY, L.-E.-E. - (Cote
B.N.F : RES G-Z-309).
267 - DURANTY, L.-E.-E., Réalisme. Nos 2-6, 1856-avril-mai 1857. Paris : DURANTY, L.-E.E. - (Cote B.N.F : V-3744).
6.2 - XXe siècle
268 - CELINE, L.-F., Les beaux draps. Paris : Nouvelles éditions françaises, 1941. In-16. - 223
p. - (Cote B.N.F : Microfiche M-11497).
269 - JACOB, M., Art poétique. Paris : Emile Paul, 1922.
- Articles
270 - KAFKA, F., Troisième convoi, 1945, n° 1.
7. OUVRAGES GRAMMATICAUX
7.1 - Etudes
271 - ANSCOMBRE, J.-C. - DUCROT, O., L’argumentation dans la langue. Bruxelles :
Mardaga, 1988. - 184 p. - (Collection philosophie et langage).
501
272 - COIRIER, P., GAONACH, D., PASSERAULT, J.-M., Psycho-linguistique textuelle Approche cognitive de la compréhension et de la production des textes. Paris : Armand Colin,
1996. - 297 p.
273 - CULIOLI, A., Opérations et représentations. Gap : Ophrys, 1991. - 225 p. - (Collection
L’homme dans la langue).
274 - CULIOLI, A., Pour une linguistique de l’énonciation. Gap : Ophrys, 1991. - (Collection
L’homme dans la langue).
275 - DUCROT, O., Dire et ne pas dire : principes de sémantique linguistique. Troisième
édition corrigée et augmentée. Paris : Hermann, 1991. - 326 p. - (Collection savoir : sciences).
276 - GREIMAS, A.-J., Sémantique structurale. Paris : Larousse, 1966.
277 - GRIMBERG, H., La phase métonymique de l’énonciation. Saint-Mandé : H. Grimberg,
1998. - 61 p.
278 - JAKOBSON, R., Essais de linguistique générale. Traduit par N. RUWET. Paris : édition
de Minuit, 1963.
279 - KLEIBER, G., Problèmes de référence : descriptions définies et noms propres. Paris :
Klincksieck, 1981. - 538 p.
280 - KLEIBER, G., SCHNEDECKER, C., TYVAERT, J.-E., La continuité référentielle. Paris :
Klincksieck, 1997. - 228 p.
281 - MAINGUENEAU, D., Approche de l’énonciation en linguistique française :
embrayeurs, temps, discours rapporté. Paris : Hachette, 1981. - 127 p.
282 - MAINGUENEAU, D., Les termes clés de l’analyse du discours. Paris : Seuil, 1996. - 93
p.
283 - TAMBA-MECZ, I., Le sens figuré : vers une théorie de l’énonciation figurative. Paris :
Presses universitaires de France, 1981. - 199 p.
- Articles
284 - BENVENISTE, E., « L’appareil formel de l’énonciation ». Langages, mars 1970, n° 17.
- Manuels
285 - DENIS, D., SANCIER-CHATEAU, A., Grammaire du Français. Paris : Librairie Générale
Française, 1994. - 545 p.
286 - WAGNER, R.-L., PINCHON, J., Grammaire du français classique et moderne. Paris :
Hachette supérieur, 1993. - 687 p.
502
- Dictionnaires
287 - DUBOS, R., Dictionnaire du patois normand - Le petit Roger. Condé-sur-Noireau :
Charles Corlet éditions, 1994. - 215 p.
288 - DUCROT, O. - TODOROV, T., Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage.
Paris : Seuil, 1972. - 470 p.
289 - DUPRIEZ, B., Gradus - Les procédés littéraires. Paris : Union générale d’Editions, 1984. 540 p. - (Collection 10/18).
290 - EDELESTAND, DUMERIL, MM., Dictionnaire du patois normand. Caen : B. Mancel,
1849. - 222 p. - (Cote B.N.F : X - 14632).
291 - REY, A., (sous la direction de), Le Robert - Dictionnaire historique de la langue
française. Paris : édition Dictionnaires Le Robert, 1995. - 2 Vol., 1156 p. (t. 1), 2383 p. (t.2).
292 - ROBIN, LE PREVOST, PASSY, DEBLOSSEVILLE, MM., Dictionnaire du patois
normand en usage dans le département de l’Eure. Evreux : Charles HERISSEY, 1879. - 457 p.
+ supplément de 24 p. - (Cote B.N.F : 8-X-2252 (1)).
8. OUVRAGES CRITIQUES
293 - BIASI, P.-M. de, BODY, J., HINCKER, F., L’histoire. Paris : Belin, 1989. - 255 p.
294 - BLANCHOT, M., L’espace littéraire. Paris : Gallimard, 1955. - 379 p. - (Collection Idées).
295 - GENETTE, G., Figures I, Figures II, Figures III. Paris : Seuil, 1966-1969-1972. - 3 Vol..
- 268 p., 300 p., 286 p.
296 - GERAUD, V., La lettre et l’esprit de Crébillon Fils. Paris : SEDES, 1995. - 250 p. (Collection « Les livres et les hommes »).
297 - MANGUEL, A., Une histoire de la lecture. Paris : Le Grand Livre du Mois, 1998.
298 - MAURON, C., Des métaphores obsédantes au mythe personnel - Introduction à la
psychocritique. Paris, José Corti, 1988. - 380 p.
299 - PERRIN, L., L’ironie mise en trope. Paris : Kimé, 1996. - 224 p.
300 - POULET, G., Etudes sur le temps humain. Paris : Plon, 1949.
301 - POULET, G., Les Métamorphoses du cercle. Paris : Plon, 1961.
302 - ROBERT, M., En haine du roman. Paris : Balland, 1982. - 122 p.
503
303 - ROUSSET, J., Forme et signification. Paris : José Corti, 1986.
304 - SAINTE-BEUVE, C.-A., Causeries du Lundi. Paris : Garnier Frères, 1858. - (tome 13).
305 - TROUBAT, J., Les Oeuvres et les Hommes (Les critiques ou les juges jugés). Paris :
Maison Quantin, 1887.
9. OUVRAGES PHILOSOPHIQUES
306 - BUBER, M., La Vie en dialogue. Paris : Aubier, 1959.
307 - BUBER, M., Je et Tu. Traduction française de Jean LOEWENSON-LAVI. Paris : Aubier,
1962.
308 - JANKÉLÉVITCH, V., L’ironie ou la bonne conscience. Paris : PUF, 1950. - 171 p. (Bibliothèque de Philosophie contemporaine).
309 - JANKELEVITCH, V., Les vertus et l’amour (Traité des vertus II). Paris : Flammarion,
1986. - 402 p.
310 - LEVINAS, E., Totalité et infini - Essai sur l’extériorité. Paris : Librairie Générale
Française, 1971. - 343 p. - (Collection Biblio Essais, Le Livre de poche).
311 - LEVINAS, E., Du sacré au saint. Cinq nouvelles lectures talmudiques. Paris : édition de
Minuit, 1988.
312 - LEVINAS, E., Entre-nous - Essais sur le penser à l’autre. Paris : Grasset, 1991. - 269 p.
- (Collection Figures).
313 - LEVINAS, E., Humanisme de l’autre homme. Montpellier : Fata Morgana, 1973.
314 - LEVINAS, E., Difficile liberté - Essais sur le judaïsme. Paris : Albin Michel, 1984.
315 - LEVINAS, E., Le temps et l’autre. Paris : Presses universitaires de France, 1985.
316 - LEVINAS, E., Altérité et transcendance. Paris : Fata Morgana, 1995. - 183 p.
317 - MERLEAU-PONTY, M., Phénoménologie de la Perception. Paris : Gallimard, 1945.
318 - NIETZSCHE, F., Le Crépuscule des idoles. Traduction H. ALBERT. Paris : Mercure de
France, 1952.
319 - PLATON, Le Banquet. Traduction de E. CHAMBRY. Paris : Garnier-Flammarion, 1968.
- Dictionnaires
504
320 - CHEVALIER, J., GHEERBRANT, A., Dictionnaire des symboles. Paris : Robert Laffont,
1982. - 1060 p.
10. SITES INTERNET DE REFERENCE SUR FLAUBERT
321 - http : //www.univ-rouen.fr/flaubert
322 - http : //www.item.ens.fr
323 - http : //www.sudoc.abes.fr
Q
___________________________________________________________________________
RESUME (fr.)
505
LA RELATION ÉPISTOLAIRE DE FLAUBERT AVEC LOUISE COLET, MARIE-SOPHIE
LEROYER DE CHANTEPIE ET GEORGE SAND ECLAIRE LES DESSEINS HEURISTIQUES
DE L’ÉCRIVAIN ET L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE DE SON OEUVRE. ESPACE DE DÉFINITION
DE L’ETRE ET DU LANGAGE, DE L’ART ET DE LA SOCIÉTÉ, LA LETTRE AU FÉMININ EST
LE POINT DE CONNEXION ENTRE L’EXISTENCE ET LE FAIT LITTERAIRE, LE RÉEL ET LA
FICTION. L’ESTHÉTIQUE DU ROMANCIER PREND CORPS ET SENS DANS CE LIEN À
L’AMANTE ET A L’AMIE TRAMÉ DE PROXIMITÉ ET DE DISTANCE, D’ALTRUISME ET
D’EGOISME. LE RAPPORT DE FLAUBERT A LA FEMME MENACANTE, AU SEXE FAIBLE
ET A L’ANDROGYNE EST HISTOIRE ET ANALYSE DE LA SOCIABILITE
PROBLEMATIQUE D’UN STYLISTE.
___________________________________________________________________________
TITRE (angl.)
FEMININE RELATIONSHIP AND EPISTOLARY SPACE IN GUSTAVE
FLAUBERT’S CORRESPONDENCE
___________________________________________________________________________
RESUME (angl.)
EPISTOLARY RELATIONSHIP BETWEEN FLAUBERT AND LOUISE COLET, MARIESOPHIE LEROYER DE CHANTEPIE, GEORGE SAND THROW LIGHT ON WRITER’S
HEURISTICS INTENTIONS AND HIS WORK’S ORGANIZATION. DEFINING SPACE OF
PERSON AND LANGUAGE, ART AND SOCIETY, FEMININE LETTER IS A LINK BETWEEN
EXISTENCE AND LITERATURE, REALITY AND FICTION. THIS AMOROUS AND
FRIENDLY BOND - RICH OF PROXIMITY AND DISTANCE, ALTRUISM AND
SELFISHNESS - GIVE SUBSTANCE TO THE NOVELIST’S AESTHETICS. FLAUBERT’S
CONFRONTATION WITH THREATENING WOMAN, WEAKER SEX AND ANDROGYNE
UNVEIL SOCIABILITY’S HISTORY AND ANALYSIS OF A STYLIST.
___________________________________________________________________________
DISCIPLINE - SPECIALITE DOCTORALE
LITTERATURE FRANCAISE - LITTERATURE DU DIX-NEUVIEME SIECLE
___________________________________________________________________________
MOTS-CLES
RAPPORT AU FEMININ / EPISTOLAIRE / COLET, LOUISE / LEROYER DE
CHANTEPIE,
MARIE-SOPHIE / SAND, GEORGE / FLAUBERT, GUSTAVE
___________________________________________________________________________
INTITULE ET ADRESSE DE L’U.F.R
U.F.R DE LETTRES, ARTS ET SCIENCES HUMAINES - UNIVERSITE DE NICE - SOPHIA
ANTIPOLIS - 98 BD EDOUARD HERRIOT - 06200 NICE
___________________________________________________________________________
506

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