DROIT DE LA CONCURRENCE

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DROIT DE LA CONCURRENCE
DROIT FISCAL
LE CHAMP D'APPLICATION DU NOUVEAU REGIME DE TAXATION
DES CESSIONS D'USUFRUIT TEMPORAIRE EST PRECISE
Mélissan JAUBERT
Septembre 2013
L’usufruit, vieille institution de droit romain, est une technique souvent utilisée lors
d’opérations d’optimisation fiscale dans la gestion et la transmission d’actifs. Selon l’article 578
du Code civil, l’usufruit se définit comme « le droit de jouir des choses dont un autre a la
propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ».
L’usufruitier dispose de deux attributs : d’une part, l’usus, c'est-à-dire le pouvoir de jouissance et
un droit d’usage du bien, à la charge d’en assurer la conservation, et, d’autre part, le fructus, à
savoir le bénéfice des produits perçus du fait de la jouissance du bien. Le nu-propriétaire quant à
lui conserve l’abusus, soit le droit de disposer du bien, mais il ne peut pas vendre seul la pleine
propriété du bien grevé d’usufruit. L’usufruit est par essence un droit temporaire (article 617 et
suivants du Code civil) qui cesse soit au décès de l’usufruitier personne physique, soit au plus
tard après trente ans si l’usufruitier est une personne morale, soit à l’expiration du temps pour
lequel il a été accordé.
Le recours au démembrement de propriété constitue ainsi l’une des stratégies classique
d’acquisition et de détention d’un bien immobilier, notamment en matière de locaux
professionnels. Si le recours à cette détention a semblé depuis quelques années se généraliser à
la faveur d’une clémence, réelle ou supposée, de son régime fiscal, le législateur est intervenu
récemment1 afin de durcir l’imposition des cessions à titre onéreux d'usufruits temporaires.
En effet, les cessions à titre onéreux d’usufruits temporaires relevaient jusqu’alors du régime fiscal
des plus-values, selon les règles de droit commun (plus-values des particuliers ou plus-values
professionnelles).
Par dérogation aux dispositions régissant les plus-values, le nouveau régime fiscal codifié à
l'article 13 paragraphe 5 du Code général des impôts (ci-après « CGI ») impose au barème
progressif de l'impôt sur le revenu le prix de vente de l'usufruit temporaire selon le régime
d'imposition des revenus susceptibles d'être procurés par le bien démembré.
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Loi de finances rectificatives 2012-1510 du 29 décembre 2012
LE CHAMP D'APPLICATION DU NOUVEAU REGIME DE TAXATION DES
CESSIONS D'USUFRUIT TEMPORAIRE EST PRECISE
La rédaction adoptée a cependant laissé perplexes de nombreux praticiens eu égard au champ
d’application exact de ces nouvelles dispositions.
Par une réponse ministérielle en date du 2 juillet 2013, le Ministre du Budget vient de préciser le
régime fiscal de la cession de l’usufruit temporaire en apportant également deux précisions sur le
champ d’application de ce nouveau régime. Ainsi, à compter du 14 novembre 2012, la cession
concomitante de l’usufruit temporaire et de la nue-propriété est imposable au barème progressif
de l’impôt sur le revenu (Ci-après « IR ») selon le régime d’imposition des revenus susceptibles
d’être procurés par le bien démembré ainsi qu’aux prélèvements sociaux. La taxation au titre de
l’IR est limitée à la première cession d’usufruit temporaire, à l’exclusion des cessions ultérieures
du même usufruit temporaire. La réponse ministérielle exclut toutefois les cessions d’usufruit
viager du champ du dispositif.
L’administration apporte en effet une double précision en qualifiant d’usufruit temporaire celui
constitué au profit d’une personne morale (1.1) et en indiquant que la cession en démembrement
à deux personnes différentes entraîne une double cession (l’une acquérant l'usufruit temporaire et
l'autre la nue-propriété) (1.2).
1.
LA QUALIFICATION D’USUFRUIT TEMPORAIRE
La réponse ministérielle indique ainsi que l'usufruit consenti à une société constitue par principe
un usufruit temporaire. La durée de cet usufruit ne peut toutefois excéder trente ans
conformément aux dispositions de l'article 619 du Code civil.
Selon, l’administration fiscale, qui commentera sa position dans une prochaine instruction, la
cession de l’usufruit à une personne morale constitue par principe un usufruit temporaire dans la
mesure où il ne peut pas dépasser trente ans conformément à l’article 619 du Code civil.
La solution retenue en cas d’usufruit consenti à une société ne serait toutefois pas limitée à la
cession ou à l’apport à une société qui opère le démembrement mais s’appliquerait également
lorsque l’usufruit viager préexistant est vendu ou apporté à une société.
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LE CHAMP D'APPLICATION DU NOUVEAU REGIME DE TAXATION DES
CESSIONS D'USUFRUIT TEMPORAIRE EST PRECISE
En d’autres termes, la durée de trente ans devrait ainsi être perçue comme un couperet
provoquant l’extinction systématique de tout usufruit constitué au profit d’une personne morale,
sans considération aucune pour les modalités de fixation de sa durée.
La précision apportée par la réponse ministérielle ne tient compte ni de la liberté contractuelle
qui permet de constituer un usufruit pour la durée de vie de personnes physiques, ni de la
pratique qui observe qu’un usufruit accordé à une personne physique est souvent apporté ou
cédé par cette dernière à une personne morale. En effet, parmi les schémas les plus classiques
de la gestion patrimoniale, on peut par exemple citer l’acquisition ou l’apport de l’usufruit à une
société pour la durée de vie d’une ou plusieurs personnes physiques afin par exemple de
transmettre des revenus à un enfant handicapé. La durée de vie des personnes physiques pour
laquelle a été constituée l’usufruit au profit de la société est bien susceptible d’excéder trente
ans !
2.
LA CESSION EN DEMEMBREMENT A DEUX PERSONNES DIFFERENTES
La réponse ministérielle apporte également une précision en cas de cession simultanée de la
pleine propriété d’un bien à deux acquéreurs distincts.
Ainsi, lorsqu’un propriétaire cède concomitamment l'usufruit temporaire du bien à un premier
cessionnaire et la nue-propriété à un second, la cession, qui porte sur un usufruit temporaire,
entre dans le champ d'application des dispositions fiscales issues de l'article 15 de la loi 20121510 du 29 décembre 2012.
En simplifiant la solution apportée par la réponse ministérielle, le régime fiscal du vendeur
dépend de l’acquéreur !! Pour la première fois, la fiscalité du vendeur va dépendre du choix des
acquéreurs.
Cette solution semble porter atteinte au respect de la volonté des parties. En effet, en matière
contractuelle, le principe repose sur le respect absolu de la volonté des parties.
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CESSIONS D'USUFRUIT TEMPORAIRE EST PRECISE
En l’espèce, l’objet de l’obligation du cédant est le transfert de propriété du bien, l’objet de
l’obligation des acquéreurs est le paiement du prix et non de deux prix. Si les acquéreurs se
répartissent usus, fructus et abusus, libre est leur choix. Toutefois, cet accord doit être considéré
comme contractuellement indifférent dans les rapports entre les acquéreurs et le cédant. Cette
solution va ainsi à l’encontre d’une volonté de transmission de biens et risque d’être contreproductive puisqu’elle peut paralyser certaines cessions.
D’autre part, si l’objectif de la réponse ministérielle est de lutter contre les stratégies
d’optimisation fiscale contournant l’esprit de la loi, il est surprenant que cette dernière ne soit ni
motivée juridiquement ni fiscalement. En effet, l’administration justifie sa position en indiquant
seulement que « la qualité du cessionnaire, la nature et l’affectation du bien sur lequel porte
l’usufruit temporaire cédé sont sans incidence sur l’application de ce nouveau régime ».
Cette réponse ministérielle est totalement antinomique puisqu’elle crée une différence de
traitement entre une personne qui cède la pleine propriété d’un bien à une seule personne et
celle qui cède simultanément l’usufruit et la nue-propriété à deux personnes distinctes. La position
de l’administration aboutit ainsi à une dichotomie dans le traitement fiscal du prix de cession ! En
effet en cas de cession d’un bien immobilier, le cédant de la pleine propriété sera imposé au titre
de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus fonciers pour la partie du prix
correspondant à l’usufruit tandis qu’il sera redevable de l’impôt dû au titre de la plus-value
immobilière pour celle représentative de la nue-propriété. Si le bien immobilier est détenu depuis
plus de trente ans, le cédant sera alors uniquement imposé sur le prix de l’usufruit puisque
l’abattement pour durée de détention lui permettra d’être exonéré sur la plus-value relative à la
vente de la nue-propriété.
Si cette position met fin aux incertitudes des professionnels, elle est critiquable et ne convainc pas
et semble de plus être contreproductive d’un point de vue économique. En effet, l’application de
l’article 13 paragraphe 5 du CGI à l’acquisition démembrée nous semble constituer une atteinte
au principe de l’égalité devant les charges publiques du fait du traitement fiscal qui différe selon
le process d’acquisition.
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Sommaire de la e-newsletter Soulier du mois de Septembre 2013
Droit des Sociétés :
Représentation obligatoire des salariés aux conseils d’administration ou de surveillance : vers une
cogestion à la française par Chems IDRISSI
Droit Economique :
Appréciation de la faute grave privant l’agent commercial de son droit à indemnité par Claire PEREZ
Droit Social :
CHSCT : récentes évolutions légales et jurisprudentielles par Véronique VINCENT
Droit Fiscal :
Le champ d'application du nouveau régime de taxation des cessions d'usufruit temporaire est précisé par
Mélissan JAUBERT
Perspective Internationale :
Litigation Process in Denmark contribution de Anne Buhl BJELKE et Jes Anker MIKKELSEN, Bech-Bruun
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