TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NANTES N°1501911

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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NANTES N°1501911
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE NANTES
N°1501911
___________
"Collectif des élus qui Doutent de la pertinence de
l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes" (CéDpa),
M. Christophe S, M. Yannick V et Mme Geneviève D
___________
Mme Le Barbier-Le Bris
Rapporteur
___________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Nantes
(2ème chambre)
Mme Rosemberg
Rapporteur public
___________
Audience du 3 juin 2015
Lecture du 1er juillet 2015
_________
14-05-04
15-05-06-02
C+
Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 387753 du 27 février 2015, statuant sur l’ordonnance de
transmission de la présidente du tribunal administratif de Paris en date du 5 février 2015, le
président de la section du contentieux du Conseil d’Etat a ordonné la transmission au tribunal de
céans de la requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 23 octobre 2014
sous le n° 1424128/2-1.
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 octobre 2014 et le 8 mai 2015, le
"Collectif des élus qui Doutent de la pertinence de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes"
(CéDpa), M. Christophe S, M. Yannick V et Mme Geneviève D, représentés par Me Coïc,
demandent au tribunal :
1°) à titre principal :
- d’annuler la décision par laquelle le ministre des finances a implicitement refusé de
procéder à la récupération de l’aide versée à la société Aéroport du grand ouest (AGO) ;
- d’enjoindre au ministre des finances de procéder à la récupération de l’aide versée et
au recouvrement des intérêts y afférents dans un délai d’un mois à compter de la notification du
jugement à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
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2°) à titre subsidiaire :
- d’annuler la décision par laquelle le ministre des finances a implicitement refusé de
procéder à la récupération de l’aide versée à la société Aéroport du grand ouest (AGO) ;
- d’enjoindre au ministre des finances de procéder au recouvrement des seuls intérêts
afférents à l’aide versée dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement à
intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- la décision n’est pas motivée ;
- la décision procède d’une erreur manifeste d’appréciation et méconnaît les dispositions
de droit de l’Union européenne relatives aux aides d’Etat.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 avril 2015, le ministre de l'écologie, du
développement durable et de l'énergie conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable.
- les moyens soulevés par le CéDpa, M. S, M. V et Mme D ne sont pas fondés.
Le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a produit un
nouveau mémoire, enregistré le 15 mai 2015.
Par ordonnance du 30 avril 2015 la clôture d'instruction a été fixée au 19 mai 2015.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
- le règlement (CE) 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en
œuvre du règlement (CE) 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d’application
de l’article 93 CE ;
- la décision de la Commission européenne du 20 novembre 2013 relative à l’opération
de financement de la construction de l’aéroport du grand ouest (Notre-Dames-des-Landes) ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à
l'amélioration des relations entre l'administration et le public, modifiée ;
-le décret n° 2010-1699 du 29 décembre 2010 approuvant la convention passée entre
l’Etat et la société concessionnaire Aéroport du grand ouest pour la concession des Aérodromes
de Notre-Dame-des-Landes, Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire-Montoir et le cahier des charges
annexé à cette convention ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
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Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Le Barbier-Le Bris,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteur public,
- et les observations de Me Dubreuil, représentant le "Collectif des élus qui Doutent de
la pertinence de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes" (CéDpa), M. Christophe S, Yannick V et
Mme Geneviève D, requérants.
1. Considérant que, dans le cadre du projet d'aéroport du grand ouest localisé à NotreDame-des-Landes (44), l'Etat a passé avec la société Aéroport du grand ouest (AGO) une
convention portant concession des Aérodromes de Notre-Dame-des-Landes, Nantes-Atlantique
et Saint-Nazaire-Montoir, convention approuvée par décret du 29 décembre 2010 susvisé ; que le
III de l’article 67 de cette convention de concession prévoit notamment le versement au
concessionnaire de subventions allouées en vue de la construction de l'aérodrome de NotreDame-des-Landes ou pour l'exercice des missions qui lui incombent, conformément aux
stipulations de l’article 4.M b) du cahier des charges relatif à la concession, relatif à la
subvention d’investissement ; que, par ailleurs, les modalités de la participation financière de
l'Etat et des collectivités territoriales à la construction de l'aéroport ont été déterminées par une
convention de co-financement Etat-collectivités en date du 3 décembre 2010, annexée audit
décret, conclue entre l’Etat, d’une part, et les collectivités territoriales partenaires, à savoir la
région des Pays-de-la-Loire, la région Bretagne, le département de la Loire-Atlantique, NantesMétropole – Communauté urbaine, la Communauté d’agglomération de la région nazairienne et
de l’estuaire (CARENE) et la Communauté d'agglomération de la Presqu'île de GuérandeAtlantique (CAP ATLANTIQUE), d’autre part ; que l’article 3 de cette convention de cofinancement fixe le montant de la contribution publique à la construction de l’aéroport de NotreDame-des-Landes à 165 millions d’euros, à raison de 131 millions d’euros pour la concession
aéroportuaire et 34 millions d’euros pour les équipements de navigation aérienne, financés à
hauteur respective de 90 millions d’euros par l’Etat et 75 millions d’euros par les collectivités
territoriales et établissement public de coopération intercommunale (EPCI) partenaires,
moyennant un échelonnement des versements sur 7 ans ; que, pour assurer le financement des
charges relevant de leur contribution à la réalisation de l’aéroport du grand ouest à Notre-Damedes-Landes, les collectivités territoriales partenaires ont institué un syndicat mixte ouvert, le
Syndicat mixte aéroportuaire (SMA), régi par les dispositions des articles L. 5721-1 et suivants
du code général des collectivités territoriales, dont la création a été approuvée par un arrêté du
préfet de la Loire-Atlantique en date du 24 juin 2011 ; que le SMA s’est notamment vu confier,
au titre de sa « compétence spécifique », la participation au financement du projet d’aéroport du
grand ouest ; que, le 29 juillet 2011, l’Etat, le SMA et la société AGO ont conclu une
« convention tripartite de financement relative à la concession des aérodromes de Notre-Damedes-Landes, Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire Montoir », définissant les modalités de
versement de la subvention d’investissement octroyée à la société AGO ; que les versements
effectués par le SMA au profit de la société AGO ont débuté le 22 novembre 2011 ;
2. Considérant qu’il est constant que l’Etat français n’a notifié cette subvention à la
Commission européenne, conformément à l’article 108 §3 du traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne (TFUE), que le 23 juillet 2013 ; que, par une décision en date du
20 novembre 2013, la Commission européenne a considéré, d’une part, s’agissant de la somme
de 34 millions d’euros destinée au financement de la tour de contrôle, que celle-ci concernait des
activités régaliennes et devait partant être exclue du calcul de la subvention nette versée par les
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pouvoirs publics et, d’autre part, s’agissant de la somme de 131 millions d’euros, que cette
subvention, qui avait la nature d’une aide d’Etat au sens de l’article 107 §1 du TFUE, dont les
premiers versements avaient d’ores et déjà eu lieu, était illégale au sens de l’article 108 §3 du
TFUE nonobstant son éventuelle compatibilité avec le marché intérieur ; que, par la même
décision, la Commission a conclu à la compatibilité de ladite aide avec le marché intérieur ;
3. Considérant que, par un courrier en date du 4 juillet 2014, les requérants ont demandé
au ministre des finances, de procéder à la récupération de l’aide versée à la société AGO ainsi
qu’au recouvrement des intérêts y afférents ayant couru de mai 2011 à novembre 2013 ; que le
silence gardé par l’administration pendant plus de deux mois a fait naître une décision implicite
de rejet de ces demandes ; que, par leur requête, les requérants demandent au Tribunal, à titre
principal, d’annuler la décision par laquelle le ministre des finances a implicitement refusé de
procéder à la récupération de l’aide versée à la société AGO et au recouvrement des intérêts y
afférents et d’enjoindre ministre des finances de procéder à la récupération de l’aide versée et au
recouvrement des intérêts y afférents et, à titre subsidiaire, d’annuler la décision par laquelle le
ministre des finances a implicitement refusé de procéder à la récupération de l’aide versée à la
société AGO et d’enjoindre au ministre des finances de procéder au recouvrement des seuls
intérêts y afférents ; que les requérants doivent ainsi être regardés comme ayant entendu
demander au Tribunal, à titre principal, d’annuler la décision attaquée en tant qu’elle porte refus
implicite de procéder à la récupération de l’aide versée et au recouvrement des intérêts y
afférents et, à titre subsidiaire, d’annuler la décision attaquée en tant qu’elle porte seulement
refus implicite de procéder au recouvrement des intérêts afférents à l’aide versée ;
Sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l’écologie, du développement
durable et de l’énergie :
4. Considérant, en premier lieu, que le ministre de l’écologie, du développement durable
et de l’énergie, qui assure la représentation de l’Etat dans le cadre de la présente instance, fait
valoir qu’alors qu’il ressort de la requête que le CéDpa est représenté par ses deux co-présidents,
Mme Verchère et M. Naud, d’une part, la qualité de co-présidente de Mme Verchère n’est pas
établie et, d’autre part, M. Naud n’a pas été mandaté par le conseil d’administration pour
défendre les intérêts du CéDpa ; qu’il ressort toutefois des pièces du dossier que le conseil
d’administration du CéDpa a confié à Mme Verchère, par une délibération en date du 10 octobre
2014 prise en application de l’article 10 des statuts du CéDpa, un mandat pour ester en justice
dans le cadre du présent litige et mandaté le cabinet Antélis Avocats pour déposer un recours en
son nom ; que, dans ces conditions, la première fin de non-recevoir opposée par le ministre de
l’écologie, du développement durable et de l’énergie, tirée de l’irrecevabilité de la requête en
tant qu’elle est présentée par le CéDpa, ne peut qu’être écartée ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que le ministre de l’écologie, du développement
durable et de l’énergie conteste par ailleurs que M. S, Mme D et M. V aient un intérêt à agir dans
le cadre de la présente instance ; que, d’une part, contrairement à ce qu’ils soutiennent, M. S et
Mme D ne tirent pas ni de leur qualité d’élu du conseil régional des Pays de la Loire membre du
conseil syndical du MSA, ni de leur qualité de contribuable de collectivités participant au
financement du projet en litige par l’intermédiaire du SMA, un intérêt suffisamment direct à
l’annulation de la décision contestée ; que, d’autre part, contrairement à ce que soutient M. V qui
fait valoir qu’en tant que député européen il est « directement intéressé au respect du droit de
l’Union européenne, en particulier de la réglementation relative aux aides d’Etat », et nonobstant
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la circonstance qu’il aurait soutenu la pétition déposée par le CéDpa devant la commission des
pétitions du Parlement européen, il ne tire pas de sa qualité de député européen un intérêt à agir
contre la décision contestée ; que dès lors, la requête doit être rejetée comme irrecevable en tant
qu’elle est présentée par M. S, Mme D et M. V ;
6. Considérant, en dernier lieu, que le ministre de l’écologie, du développement durable
et de l’énergie fait valoir qu’alors que Me Coïc représente exclusivement les intérêts du CéDpa,
la requête n’a pas été signée par M. S, Mme D et M. V ; qu’il ressort toutefois des pièces du
dossier, et notamment du mémoire produit en réplique par les requérants, que Me Coïc a été
mandaté pour représenter également les intérêts de M. S, de Mme D et de M. V ; que, dans ces
conditions, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l’écologie, du développement
durable et de l’énergie, tirée du défaut de signature de la requête par M. S, Mme D et M. V, ne
peut qu’être écartée ;
Sur les conclusions à fin d’annulation :
7. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment de la « convention
tripartite de financement relative à la concession des aérodromes de Notre-Dame-des-Landes,
Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire Montoir » conclue le 29 juillet 2011, que l’Etat et le SMA se
sont engagés à verser à la société AGO la somme de 150 213 491 euros, dont une subvention
nette d’un montant de 131 millions d’euros pour la concession aéroportuaire, intégrant un
remboursement ultérieur de 9 millions d’euros pour l’enterrement d’une ligne à haute tension et
des aménagements fonciers et déduction faite de la redevance domaniale de 28 millions d’euros
acquittée par la société AGO au titre de la mise à disposition des deux aéroports existants de
Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire-Montoir ; que si, aux termes de la convention de cofinancement Etat-collectivités en date du 3 décembre 2010, annexée au décret susvisé du 20
décembre 2010, l’Etat s’est engagé à verser à la société AGO une subvention de 34 millions
d’euros destinée au financement de la tour de contrôle, il n’est pas contesté que les sommes en
litige concernent exclusivement des versements effectués au titre de la subvention de
150 213 491 euros notifiée à la Commission européenne par l’Etat en application du §3 de
l’article 108 du TFUE ;
8. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 1er de la loi susvisée du 11
juillet 1979 : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des
motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet,
doivent être motivées les décisions qui : / -restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de
manière générale, constituent une mesure de police ; / -infligent une sanction ; / -subordonnent
l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; / -retirent ou
abrogent une décision créatrice de droits ; / -opposent une prescription, une forclusion ou une
déchéance ; / -refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui
remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; / -refusent une autorisation, sauf lorsque la
communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts
protégés par les dispositions des deuxième à cinquième alinéas de l'article 6 de la loi n° 78-753
du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et
le public ; / -rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement
à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. » ; que
la décision attaquée n’est pas au nombre de celles qui doivent être motivées en application des
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dispositions précitées de la loi du 11 juillet 1979 ; que, dès lors, le moyen tiré du défaut de
motivation doit être écarté comme inopérant ;
9. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 107 du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne : « 1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont
incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre
États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque
forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines
entreprises ou certaines productions. (…) » ; qu’aux termes de l’article 108 du même traité : « 1.
La Commission procède avec les États membres à l'examen permanent des régimes d'aides
existant dans ces États. (…) / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses
observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet
n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai
la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à
exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale.
(…) » ; que les requérants soutiennent que, faute de notification de la subvention litigieuse à la
Commission européenne, l’aide versée par le SMA à la société AGO est illégale, et que la
décision attaquée, qui porte refus de procéder à la récupération de cette aide et au recouvrement
des intérêts y afférents, méconnaît ainsi les dispositions précitées du droit de l’Union européenne
relatives aux aides d’Etat et procède d’une erreur manifeste d'appréciation au regard desdites
dispositions ;
10. Considérant que l’article 108 §3 du traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne fait peser sur les États membres une obligation de notification des projets tendant à
instituer ou à modifier des aides ; qu’ainsi, l'État membre qui envisage d'accorder une aide ne
peut mettre à exécution les mesures projetées avant que la procédure prévue par lesdites
dispositions ait abouti à une décision finale de la Commission européenne ; qu’il en résulte que
la décision de procéder au versement partiel d’une subvention, prise en méconnaissance de
l’obligation de notification préalable à la Commission européenne prévue à l’article 108 du traité
sur le fonctionnement de l’Union européenne est entachée d’une illégalité ;
11. Considérant, d’une part, qu’il est constant que la subvention en litige, dont le
premier versement partiel a été effectué par l’Etat au bénéfice de la société AGO dès le 4 août
2011, n’a été notifiée à la Commission européenne que le 23 juillet 2013 ; que, par une décision
en date du 20 novembre 2013 devenue définitive, la Commission européenne a considéré que
cette subvention constitue une aide d’Etat au sens de l’article 107 du traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne, qui aurait dû lui être notifiée par l’Etat français avant d’être octroyée à la
société AGO, conformément à l’article 108 §3 du traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne ; que, par la même décision du 20 novembre 2013, la Commission a toutefois décidé
de considérer l’aide comme étant compatible avec le marché intérieur, autorisant ainsi son
versement ; qu’aux termes de l'article 288 alinéa 4 du traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne : « La décision est obligatoire dans tous ses éléments. Lorsqu'elle désigne des
destinataires, elle n'est obligatoire que pour ceux-ci. » ; que, s’agissant des décisions adressées
aux États membres et en vertu de la primauté du droit de l’Union européenne, il résulte de ces
dispositions que ce caractère obligatoire s'impose à tous les organes de l'État destinataire, y
compris à ses juridictions ;
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12. Considérant, d’autre part, qu’en application de l’article 108 du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne telles qu’interprété par la Cour de justice de l’Union
européenne, et notamment par les arrêts CELF, du 12 décembre 2008 et Wienstrom GmbH du 18
décembre 2008, dans l’hypothèse d’une mise à exécution illégale d’une aide suivie d’une
décision positive de la Commission, le droit de l’Union européenne ne s’oppose pas à ce que le
bénéficiaire puisse conserver la disposition de l’aide octroyée antérieurement à la décision
positive, sans préjudice des conséquences à tirer de l’illégalité de l’aide versée prématurément ;
qu’ainsi, lorsque la Commission européenne a adopté une décision finale constatant la
compatibilité d’une aide avec le marché intérieur au sens de l'article 107 du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne, les autorités nationales ne sont pas tenues de procéder à
la récupération de l’aide mise à exécution en méconnaissance de cette disposition, mais doivent
réclamer au bénéficiaire de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité, durant
laquelle l’aide a été prématurément mise à exécution en méconnaissance de l’article 108 §3 du
traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, faute de notification à la Commission
européenne ; que, contrairement à ce fait valoir le ministre de l’écologie, du développement
durable et de l’énergie, les circonstances que l'aide porte sur une subvention d'investissement et
non d'exploitation, que le versement de la subvention était prévu dans l'appel d'offre et, à la
supposer établie, que la société AGO n'en aurait pas vu sa position concurrentielle face aux
opérateurs du marché améliorée dès lors qu'elle se situait de fait hors marché, sont sans incidence
sur l’obligation qu’avait l’Etat de réclamer à la société AGO le paiement d'intérêts, qui résulte
exclusivement du caractère illégal de l’aide, versée en méconnaissance du §3 de l’article 108 du
TFUE durant toute la période où la société AGO en a bénéficié alors même que, s’agissant d’une
aide d’Etat et faute de notification par l’Etat français, la Commission n’avait pas encore statué
sur sa compatibilité avec le marché intérieur ; qu’il résulte de ce qui précède que les requérants
ne sont pas fondés à soutenir qu’en refusant de procéder à la récupération de l’aide versée à la
société AGO, le ministre des finances aurait méconnu le traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne ou entaché sa décision d’une erreur manifeste d'appréciation ; qu’en revanche, l’Etat
était tenu de réclamer à la société AGO le paiement d’intérêts sur les versements partiels
effectués à compter du 4 août 2011, date du premier versement, et jusqu’au 20 novembre 2013,
date de la décision de la Commission européenne constatant la compatibilité de l’aide en cause
avec le marché intérieur ;
13. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement
fondés à demander l’annulation de la décision attaquée en tant qu’elle refuse de procéder au
recouvrement d’intérêts sur les versements partiels effectués à compter du 4 août 2011 et
jusqu’au 20 novembre 2013 ;
Sur les conclusions à fin d’injonction sous astreinte :
14. Considérant que le présent jugement, eu égard au motif d’annulation retenu,
n’implique pas nécessairement que l’Etat procède à la récupération des sommes versées à la
société AGO ; qu’en revanche, ce jugement implique que l’Etat réclame à la société AGO le
paiement des intérêts afférents aux sommes versées durant la période d’illégalité de l’aide non
notifiée en méconnaissance de l’article 108 §3 du traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne ; que, dès lors, il y a lieu d’enjoindre au ministre de l’écologie, du développement
durable et de l’énergie de procéder, dans un délai de trois mois à compter de la notification du
présent jugement, à la mise en recouvrement des intérêts afférents aux sommes successivement
versées à la société AGO au titre de la subvention litigieuse, en application de la convention
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tripartite de financement en date du 29 juillet 2011, à partir du 4 août 2011, date du premier
versement, et jusqu’au 20 novembre 2013 ; que ces intérêts seront calculés conformément au
règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 susvisé ; qu’il n’y a pas lieu
d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l'article L. 761-1 du code
de justice administrative :
15. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il n’apparaît pas inéquitable de
laisser au CéDpa, à M. Christophe S, à Mme Geneviève D et à M. V la charge des frais exposés
par eux et non compris dans les dépens ;
DECIDE:
Article 1er : La requête est rejetée en tant qu’elle est présentée par M. S, Mme D et
M. V.
Article 2 : La décision par laquelle le ministre de l'économie et des finances a
implicitement refusé de procéder à la récupération de l’aide versée à la société Aéroport du grand
ouest (AGO) et au recouvrement des intérêts y afférents est annulée en tant qu'elle refuse de
procéder au recouvrement d'intérêts.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l’écologie, du développement durable et de
l’énergie de procéder à la mise en recouvrement des intérêts afférents aux sommes
successivement versées à la société AGO entre le 4 août 2011 et le 20 novembre 2013, intérêts
calculés conformément au règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004, dans
un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
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Article 5 : Le présent jugement sera notifié au "Collectif des élus qui Doutent de la
pertinence de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes" (CéDpa), à M. Christophe S, à M. Yannick
V, à Mme Geneviève D, au ministre de l'écologie, du développement durable et de l’énergie et à
la société Aéroport du grand ouest.
Délibéré après l'audience du 3 juin 2015, à laquelle siégeaient :
M. Dussuet, président,
Mme Le Barbier-Le Bris, premier conseiller,
M. Simon, conseiller,
Lu en audience publique le 1er juillet 2015.
Le rapporteur,
Le président,
M. LE BARBIER-LE BRIS
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. SIRE
La République mande et ordonne
au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce
requis en ce qui concerne les voies de droit commun
contre les parties privées, de pourvoir
à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,