Dossier pédagogique: « L`Islam en Belgique et sur

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Dossier pédagogique: « L`Islam en Belgique et sur
Dossier pédagogique:
« L’Islam en Belgique et sur les bancs de l’école »
Désamorcer la radicalisation religieuse par l’éducation et la formation.
Proposition de formations et de supports pédagogiques à des fins préventives à l’adresse des
directeurs, enseignants, médiateurs et équipes mobiles Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour le Ministère
de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance.
Sommaire
• Islam belge : dynamiques et questionnements
4
• Être musulman belge:
entre élaboration identitaire et devenir 23
• Je suis Charlie, un peu, beaucoup …. ou pas ?
31
• Les origines de l’humain et sa problématique actuelle dans l’enseignement 36
•
Bibliographie sélective sur l’islam en Belgique48
•
Brève chronologie de l’islam55
• La campagne pro-djihad : Un dispositif de propagande moderne et sophistiqué
57
• La lutte contre la radicalisation religieuse en Europe : un bref aperçu des moyens de prévention
58
•
A propos d’emridNetwork59
Islam belge :
dynamiques et questionnements
Ce dossier aborde des aspects liés aux dimensions religieuses, de croyances, des populations
musulmanes en Belgique.
Pour saisir comment les musulmans en Belgique ont vécu et, surtout, vivent aujourd’hui
leurs rapports à la société belge, il importe de considérer leurs vécus subjectifs. Ceux-ci sont
modelés par des attentes et des besoins, mais aussi des offres religieuses différenciées, sachant que
le tout est aussi influencé par l’évolution de nombreuses données contextuelles, à la fois historiques,
socio-économiques, politiques et démographiques. Toutefois, pour comprendre au mieux les
transformations de ces modes de présence en Belgique, évolutives, et les enjeux y afférents, qui
s’imposent progressivement, deux autres champs du social doivent être aussi présentés
simultanément, en lien à leurs interactions réciproques. Nous pensons ici à l’élaboration de savoirs –
très inégaux - sur cette présence et, parallèlement, voire en tension avec celui-ci, à la construction
et au marquage des imaginaires.
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4
§ Musulmans de Belgique : une brève histoire du temps présent
La présence des musulmans en Belgique commence avant les années soixante. Ces
dernières sont habituellement reconnues comme décennie la plus significative, en lien à l’arrivée
importante de musulmans. On note pourtant que, dès 1928, un rapport statistique du consul turc
établi à Anvers recense un peu moins de six milles individus provenant du monde musulman : ils
représentent moins d’un pourcent de la population totale du pays, alors estimée à moins de huit
millions de personnes1. Au-delà de son caractère anecdotique, ce comptage pose des jalons
tangibles pour une genèse de l’islam belge sachant qu’une présence musulmane est ensuite
conjoncturellement signifiée lors de la guerre de 1940, liée au passage de troupes françaises issues
des infanteries de colonies africaines. Cet investissement militaire fut totalement ignoré, voire oublié
jusqu’il y a peu. Mais une œuvre de mémoire s’opère désormais, surtout depuis ces cinq dernières
années, entre autres à partir du travail de certains acteurs associatifs, d’artistes, mais aussi par la
volonté de personnalités politiques originairement issues des contextes maghrébo-africains. Outre
le pèlerinage mémoriel, les commémorations de la Bataille de Gembloux constituent désormais
aussi l’occasion de revendiquer un droit à la pension pour les rescapés de ces troupes française
d’Outre-Mer et d’illustrer une facette identitaire afro-musulmane pétrie de liberté et de lutte contre
le nazisme.
Ce moment reste encore peu connu en dehors des communautés arabo-musulmanes.
Cette démarche significative est d’autant plus importante, au niveau symbolique, que les mémoires
des relations entre musulmans et non musulmans se raccrochent sinon uniquement à des
évènements certes marquants, mais très lointains, à l’instar des croisades franques, entre le 11ème et
le 13ème siècle2 - où les papes chrétiens ont appelés à la guerre sainte contre les musulmans - ou
encore, surtout du côté musulman, aux expériences douloureuses de la colonisation et des luttes
pour les indépendances.3 Ces évènements constituent autant de signes de fragilisation et de
dépeçage du monde musulman ces deux derniers siècles ; la Belgique y est plus ou moins
indirectement associée en tant que puissance occidentale, par certains, bien qu’elle n’ait pas
directement participé à de telles entreprises dans le monde musulman. 4
Au-delà de cette période peu connue du début du siècle, une présence plus significative de
personnes originaires de pays musulmans, en Belgique, commence aux lendemains de la seconde
guerre mondiale. Elle se développe surtout à partir des années soixante. Ces personnes viennent
1
Traduction par Y. Michot, « Les Musulmans de Belgique en 1928 » in Le Conseil, n. 5, janv. 1996, p. 33.
La statue de Godefroid de Bouillon qui trône au centre de Bruxelles, sur la Place Royale, vient d’ailleurs rappeler, à tort,
combien ce dernier fut nommé roi du Royaume de Jérusalem, au terme de la première croisade.
3
Pour un bref exposé sur l’historique des imaginaires entre musulmans et non musulmans, voir (El Asri, 2008).
4
A partir de l’expérience coloniale au Congo, une représentation négative des Arabes a toutefois été entretenue, en lien
à des tensions (uniquement économiques ?) qui ont existé entre des officiels belges et des élites arabes qui faisaient du
commerce d’esclaves dans l’Est du Congo où se trouvaient d’importantes mines. Si cette image a aujourd’hui été oubliée
(ce qui montre aussi comment les imaginaires se font et se défont), l’argument de libérer les congolais de l’emprise de
ème
ces commerçants fut notamment utilisé à la fin du 19 siècle pour justifier la colonisation. Pour une analyse des
discours qui circulaient dans les livres d’école dans la première moitié du vingtième siècle, voir A. De Baets (1991)
“Gedaantewisseling van een heldendicht: Congo in de Geschiedenisboeken” in J.P. Jacquemin (ed.) Racisme, donker
continent: clichés, stereotiepen en fantasiebeelden over zwarten in het Koninkrijk België [Le racisme, un continent
sombre: clichés, stéréotypes et fantasmes sur les noirs dans le royaume de Belgique], Bruxelles: NCOS, pp. 45-56, cité
par : (Manço & Fadil in Nielsen et al, 2010).
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alors essentiellement par le canal des trajectoires migratoires de travail, qui sont établies à partir de
la signature d’accords bilatéraux passés, de 1964 à 1970, entre la Belgique et les pays du Maghreb,
mais également avec la Turquie. Cette première phase de présence est qualifiée de « présence
silencieuse » par le Prof. F. Dassetto, même si elle est ensuite colorée par l’apparition et la visibilité
progressive de tenues et d’enseignes, jugées exotiques, rappelant la provenance des pays d’origine.
Cette période, marquée par les migrations essentiellement masculines et organisées de travail,
s’étale jusqu’à l’année 1974. Elle se caractérise surtout par l’importance accordée, par ces travailleurs
migrants - célibataires ou non -, au labeur à accomplir souvent à la chaîne (notamment dans les
mines, les chaines de montages automobiles, la sidérurgie ou encore dans les grands chantiers
d’infrastructures publiques), à la région et/ou nation d’origine et aux perspectives d’un retour
ultérieur au pays où sont parfois restées leurs familles. A cette époque, le référentiel aux cultures
ethno-linguistiques d’origine reste important alors que le religieux semble se limiter à l’observance
de pratiques rituelles. Ce dernier commence toutefois à être approprié par la dispense
d’enseignements traditionnels au sein de salles de prières pionnières. Reste que c’est avant tout la
discrétion et l’invisibilité de l’islam qui caractérisent les premiers moments de cette présence,
notamment car les personnes ne pensaient initialement pas s’installer de manière définitive : l’islam
est alors vécu dans un esprit de départ certain, un islam « laissé dans les valises », et il n’existe pas de
revendication religieuse spécifique laissant entrevoir des signes d’ancrages structurels,
d’établissements définitifs. Une première salle de prière constituée en ASBL de mosquée est tout au
plus enregistrée, dénommée « Communauté Islamique et Culturelle de Schaerbeek » (A.K. Cami) et
si le Pavillon oriental du Parc du Cinquantenaire est offert lors de la visite du Roi Faysal d’Arabie
Saoudite par le Roi Baudouin en 1967, il faut noter que cette initiative relève avant tout d’une
démarche unilatérale de type diplomatique. De son côté, l’Arabie Saoudite inaugurait, cinq ans plus
tôt, une organisation panislamique avec l’objectif de prêcher le message religieux de l’islam, la Ligue
Islamique Mondiale. 5 Quoi qu’il en soit de ces initiatives politico-diplomatiques qui sont assez
éloignées des préoccupations courantes des Belges, les personnes originaires de pays musulmans
présentes en Belgique sont mentionnées en tant que « travailleurs étrangers » ; ils représentent une
sorte de minorité externe temporaire venue contribuer à la reconstruction du pays, principalement
dans le secteur primaire. Mais une ambiguïté demeure car si ces migrations résultent avant tout de
préoccupations économiques, notifiées par le patronat, elles rencontrent aussi des préoccupations
politiques d’ordre démographique. Parallèlement au rapport Sauvy qui, en 1962, promeut
d’encourager des politiques démographiques de regroupements familiaux variés afin de conjurer le
déclin de la Wallonie (Manço, n.d.), les travailleurs sont effet invités à venir s’installer de préférence
avec leur famille (Attar, 1992 cité par Manço, non daté). C’est ainsi que l’historienne A. Morelli estime
ainsi que la moitié des 100.000 Maghrébins qui viendront s’établir en Belgique entre 1961 et 1977 sont
des femmes (Morelli, 1992 cité par Manço, non daté).
Dans le courant de ces années 1950 et 1960, l’intérêt académique pour les dimensions
religieuses de ces travailleurs apparaît inexistant. La construction des savoirs sur l’islam (et non pas
tant sur les musulmans eux-mêmes) relève avant tout de disciplines telles que l’orientalisme et
l’islamologie, qui se focalisent avant tout sur l’Orient, géographiquement éloigné, notamment à partir
de l’étude de la langue, de l’histoire et de textes anciens. Le vécu des travailleurs immigrés peu
qualifiés en Europe ne suscite alors guère d’intérêt et, à fortiori non plus les dimensions religieuses
5
En mai 1968, un Arrêté Royal accorde la personnalité civile au Centre Islamique et Culturel de Belgique qui s’installe
dans le Pavillon oriental. L’islam accède ainsi légitimement à un édifice symbolique important, au cœur du quartier
européen.
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de ce vécu, d’autant plus que celles-ci sont vues comme conjoncturelles et ne sont même pas
rendues médiatiquement visibles.
Dans le courant des années 1970, la présence des musulmans en Belgique reste peu
explorée mais elle émerge comme une réalité qui est amenée à s’ancrer dans le paysage : non
seulement ces travailleurs migrants sont intégrés économiquement mais la religion musulmane et
les musulmans sont peu à peu reconnus à plein titre dans le paysage institutionnel belge. L’islam
devient une des religions officiellement reconnues par l’État Belge en 1974 et un Arrêté Royal est
promulgué en 1978 en vue de modifier les lois du Pacte scolaire pour introduire les cours de religion
islamique dans l’enseignement officiel.
Les perceptions du monde musulman vont toutefois progressivement se complexifier et se
transformer. Si les travailleurs issus de pays musulmans commencent sérieusement à prolonger
leurs séjours en Belgique, ils n’en restent pas moins connectés aux réalités du monde musulman,
qu’ils suivent au travers des ondes radiophoniques locales ou internationales. Or, dans la foulée de la
mort de Nasser en 1971 et de la guerre israélo-arabe du Kippour, en 1973, où des États arabes
échouent à envahir militairement Israël, les reconfigurations politiques et les identités nationales et
collectives se placent progressivement au cœur des débats en lien à des transformations sociopolitiques, voire géostratégiques, et politico-religieuses. D’une part, en réaction au soutien des EtatsUnis vis-à-vis d’Israël, les pays arabes décident d’un embargo sur le pétrole à destination des États
occidentaux. Cette politique mène au choc pétrolier de 1973 et à une prise de conscience de
l’Occident de sa dépendance directe des ressources pétrolières. En conséquence de la crise
économique qui va alors sévir en Europe, l’immigration est arrêtée en 1974 et le regroupement
familial reste un des seuls canaux de drainage pour l’immigration. Le chômage croît de manière
spectaculaire (plus de 100.000 personnes en Belgique) et amorce une transformation des discours
politiques et médiatiques. Une pétition du bourgmestre Roger Nols prône, par exemple, une
réduction du nombre d’immigrés dans la commune de Schaerbeek. Au milieu des années 1970, le
climat se transforme à un point tel que la couverture du magazine Pourquoi Pas s’intitule « Marre
des Étrangers ? » (Dassetto, 1996). D’autre part, des changements sont perceptibles sur le plan de la
pensée au sein du monde musulman : à la suite des échecs du panarabisme, la pensée réformiste,
religieuse islamiste et politiquement engagée, s’y affirme fièrement, et de manière accrue. Face aux
religiosités traditionnelles, elle tente d’échafauder des modèles révolutionnaires et des
concrétisations d’expériences contemporaines d’État islamique. Cette pensée réformiste, articulée
de façon concrète à la chose politique, connaît un certain écho auprès de musulmans d’Europe
d’autant plus que des militants islamistes, réfugiés politiques entre autres, y affluent : en vertu de
leurs capacités intellectuelles, organisationnelles, motivationnelles, ceux-ci vont progressivement
façonner des cadres de référence pour les communautés musulmanes (Maréchal, 2009). Les
tensions qui en résultent s’importent dans les débats locaux ; elles partagent les opinions
musulmanes locales entre la nostalgie des grands souverains arabes, voire les nationalisations, et
leurs enthousiasmes révolutionnaires. Notons toutefois que c’est le devenir des jeunes enfants nés
en Belgique ainsi que la transmission des identités culturelles et religieuses qui demeureront
longtemps une préoccupation centrale des milieux associatifs musulmans.
Dans ce contexte, la curiosité et l’intérêt scientifique pour les musulmans locaux restent
finalement peu importants au milieu des années 1970, en dépit des avancées théologiques et
institutionnelles qui se sont notamment produites dans le monde catholique dans la suite du Concile
Vatican II où le magistère romain, pour la première fois de son histoire, a officiellement émis un
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jugement positif sur les religions du monde, dont l’islam, et appelé à la compréhension mutuelle.6 Du
point de vue académique, une première recherche est menée par un étudiant, F. Hitchinson qui, en
1978, rédige un mémoire sous la direction du sociologue Karel Dobbelaere à la Katholieke
Universiteit Leuven. L’étudiant se consacre aux aspects institutionnels et de l’organisation de l’islam
en Belgique ; il recense notamment les premiers lieux de culte musulman dans le pays.
Dans les années 1980, sur fond de crise économique et de chômage croissant (300.000
chômeurs en 1980), les musulmans s’organisent sur les plans social et cultuel. Ils se structurent au
niveau local notamment au travers d’un tissu associatif dense, qui reste marqué par des clivages
linguistiques (berbérophones, turcophones, arabophones, albanophones, etc.) des pays d’origine
voire aux différences ethniques-régionales. Mais, à l’instar des développements observés par le
politologue Gilles Kepel en France, qui écrit Les banlieues de l’islam – Naissance d’une religion en
France, en 1987, les musulmans de Belgique, où n’existent pas de banlieues à proprement parler,
s’investissent aussi dans la construction d’un islam en Belgique, sur base d’un enthousiasme
généreux et d’une vigueur religieuse inédite pour ce contexte migratoire. Le dynamisme est stimulé
par un leadership constitué d’individualités actives dans le champ idéologique religieux,
éventuellement reliées à des réseaux transnationaux. Les musulmans s’organisent au niveau intracommunautaire, où tout est à faire, à penser, à élaborer sur le plan de la pratique culturelle et
culturelle, de l’assise socioéconomique et du discours religieux. La priorité n’est donc pas celle de
communiquer pour répondre aux interpellations politiques et médiatiques de la société
environnante ; cette focalisation sur les priorités communautaires peut être aussi reliée à divers
facteurs qui doivent être pensé séparément, mais aussi conjointement. Nous pouvons notamment
mentionner le souci pour les musulmans de sauvegarder les ancrages des origines aux nouvelles
générations scolarisées dans un contexte nouveau, notamment la langue (El Asri, 2011) et la religion.
Les parents veillent avant tout à assurer une bonne éducation à leurs enfants tout en réussissant à
transmettre les héritages culturels dans un contexte quelque fois perçu comme étranger voire
hostile à l’identité des origines. Même la normalisation juridico-politique de la présence qui se
poursuit, notamment grâce à la Loi Gol de 1985 qui facilite l’acquisition de la nationalité belge, est
parfois lue comme un défi identitaire et un risque d’accélération de la perte des traditions du pays
d’origine. Notons aussi que parallèlement à ces articulations et ancrages progressifs, une initiative
symbolique telle que l’inauguration d’une mosquée dans l’enceinte de l’aéroport de Bruxellesnational, en 1986, témoigne également d’une prise en compte à la fois banalisée et accrue de
préoccupations de musulmans d’alors afin que ceux-ci puissent observer leurs pratiques religieuses.
Quelques évènements se déroulent toutefois à l’échelle de la scène internationale, coup sur
coup, dès la fin des années 1970, qui modifient assez rapidement les regards. Le Pakistan, soutenu
par l’Arabie Saoudite, met sur pied un régime islamique en 1977. En 1979, l’Ayatollah Khomeiny
rentre à Téhéran et débute la révolution iranienne. En 1980, un coup d’État en Turquie va entraîner
6
Voir notamment le texte Nostra Aetate sur « les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes du 28 octobre
1965. La sociologue A. S. Lamine affirme qu’en France, dans les milieux catholiques, une forme de paternalisme
compatissant de certains croyants vis-à-vis des « immigrés » s’est affirmée dès le milieu des années 1970, mais elle
estime aussi que cette attitude sociale a progressivement disparu au profit de la mise sur pieds d’un dialogue
interreligieux plus ou moins institutionnalisé dans le courant des années 1980, lorsque les communautés musulmanes
sont apparues plus importantes d’un point de vue quantitatifs, et ont progressivement été perçues comme une offre
concurrente qu’il ne s’agissait plus d’ignorer naïvement (Lamine, 2004).
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l’exil de nombreux militants islamistes tandis qu’une action armée est menée en Afghanistan,
soutenue par des réseaux islamistes, en vue de résister à l’invasion de l’ancien régime soviétique. Le
président égyptien Anouar Sadate est assassiné en plein défilé militaire et en présence des caméras
par un commando islamiste en 1981. Quant à la guerre Iran-Irak, si elle embrase la région et les
attentions entre 1980 et 1988, elle semble opposer les idéaux d’expansion d’une révolution religieuse
islamique à ceux d’un régime potentiellement laïc. Ces évènements renforcent le sentiment d’une
montée en puissance du monde musulman sur la scène mondiale au travers de nombreux
bouleversements. Le fait islamique pénètre les foyers européens par le prisme de l’écran de
télévision, d’autant plus que, dans la foulée des enthousiasmes de la révolution iranienne, l’islam
autrefois discret en Europe se rend plus visible au travers des activités religieuses, des personnes et
des organisations. Les imaginaires des personnes musulmanes et non musulmanes commencent à
être traversés de façon significative par la dimension religieuse islamique. En conséquence, malgré
un processus continu d’imprégnation sociale des populations musulmanes, en lien notamment aux
enfants qui naissent et se scolarisent, malgré une acclimatation de la présence des musulmans en
Belgique, les crispations progressives autour de la figure de « l’Étranger » se déplacent partiellement
autour de la figure de l’immigré, sachant que ces perceptions sont régulièrement teintées de
racisme : F. Dassetto rappelle à cet égard que le Pourquoi Pas titrait précisément en 1980
« Comment peut-on être raciste ? » (Dassetto, 1996). Si, dans ce sillage, une loi anti racisme contre le
« délit de faciès », dite Loi Moureaux, est votée en 1981, il n’empêche que les immigrés originaires des
pays musulmans interpellent, en lien à la succession d’évènements politiques spectaculaires, voire
leur mise en spectacle, qui développe un rapport spécifique de la société aux communautés
musulmanes locales, empreint de considérations sécuritaires. Si ces interférences globales relayées
par les médias, presque systématiquement, ne peuvent être qualifiées d’islamophobes, elles n’en
sont pas moins l’expression d’une vraie incompréhension pour la chose islamique.
Tandis que les spécificités religieuses, ainsi que leurs transformations, sont méconnues dans
les traitements médiatiques de l’information, des recherches académiques sur les populations
musulmanes sont entamées, initialement à partir de la sociologie de la migration, en plein essor, dès
le début des années mille neuf cent quatre-vingt: les travaux pionniers de Felice Dassetto et d’Albert
Bastenier abondent rapidement comme des apports significatifs. Ils font état de la présence
associative musulmane en Belgique dans les années 1980 ainsi que des aspects organisationnels de
l’islam, largement couverts. Une attention particulière est attribuée aux salles de prières, au statut de
la religion musulmane en Belgique et aux modalités de son insertion (Dassetto & Bastenier, 1984).
Quant à la publication, par les mêmes auteurs, du titre : « Organisations musulmanes de Belgique et
insertion sociale des populations immigrées », en 1985, elle s’inscrit dans le même sens d’une
sociographie aussi objective que possible des dynamiques sociales en cours (Bastenier & Dassetto,
1985 ; 1990). Plus tard, au-delà des préoccupations liées à l’intégration d’enfants issus de migrations
économiques (Evrard, 1982), c’est tout le débat de l’islam à l’école qui se pose (Bastenier & Dassetto,
1987 ; Blaise & De Coorebyter, 1990 ; Bouras, 1991). Des publications insistent également sur l’islam
des vécus, celui des rituels du quotidien, du bon voisin et des pratiques sereines (Tribune immigrée,
1986 ; Reynaerts, 1986 ; Jenard & Claeys Bouuaert, 1988) ; elles témoignent d’une prise en compte
croissante et assez sereine de l’ancrage de cette présence musulmane en Belgique. Le regard des
chercheurs s’affine et finit aussi par se porter sur les courants islamiques, désormais plutôt à partir
de l’angle d’une socio-anthropologie de la religion à proprement parler : les courants intraislamiques sont ainsi progressivement distingués les uns des autres, et une analyse de mouvements
religieux en exercice est entamée, à l’instar du mouvement missionnaire Tablîgh (Dassetto, 1988). Ce
travail est significatif des choix opérés par les chercheurs mais celui-ci dépend, avant tout, des
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dynamiques associatives changeantes qui s’affirment sur le terrain. Le mouvement Tablîgh, qui
représente un courant traditionniste visant à revitaliser la pratique quotidienne de l’islam auprès des
musulmans à partir d’une emphase très forte portée sur l’exemplarité du Prophète, promeut une
orthopraxie sise au plus près des comportements et enseignements de ce dernier. La promotion
d’un ethos musulman très ritualisé y est vécu comme un canal important pour la ré-initiation et
l’appropriation d’une pratique religieuse autonome. Ce courant a alors le vent en poupe en Belgique
car il bénéficie du grand activisme de ses membres, qui organisent des rencontres de
coreligionnaires, où qu’ils se trouvent, et accordent beaucoup d’attention à des accompagnements
socioreligieux autant que cultuel des musulmans : parmi les acteurs pionniers de l’islam en Belgique,
beaucoup ont redécouvert leur pratique de l’islam par ce canal missionnaire. Pour toute cette
période, au cœur des recherches, c’est surtout le concept d’« islam transplanté » (Dassetto &
Bastenier, 1984) qui permet de cerner et d’objectiver un processus d’intégration inédit dans l’Europe
de l’après-guerre, à partir de dynamiques initialement venues de l’extérieur. Il y est alors question
d’affirmer combien l’islam transplanté en Europe constitue une « réalité autonome qui ne se laisse
organiser ni par les ambassades des pays musulmans, ni par le gouvernement belge ».
Au milieu des années mille neuf cent quatre-vingt, les relations entre musulmans et non
musulmans sont de nouveau affectées au gré de l’actualité événementielle : non seulement l’islam
occupe le devant de la scène au gré de couvertures médiatiques ponctuelles, mais celui-ci apparaît
désormais lié à des regroupements militants islamo-nationalistes divers, géographiquement
proches, qui œuvrent pour des objectifs surtout reliés à la situation de pays majoritairement
musulmans. L’activisme islamique se situe en Europe, et en Belgique même, ce dont témoigne cette
interpellation forte du Pourquoi Pas du 2 mars 1983, qui titre sa couverture « Guerre sainte en
Belgique ? », mais aussi notamment les attentats qui s’échelonneront entre décembre 1985 et
septembre 1986 en France associés au groupe pro-iranien Fouad Ali Saleh. Le 20 avril 1986, une
véritable secousse se produit dans l’opinion publique belge à l’occasion d’une manifestation de
soutien au régime de Mouammar Kadhafi au cœur de Bruxelles. Des bombardements américains
sur des villes libyennes ont suscité une vive émotion parmi les populations issues de l’immigration,
qui entendent manifester leur mécontentement. L’islam apparaît désormais ouvertement dans la
rue, de manière très vindicative et cette nouvelle visibilité d’une présence musulmane interpelle la
population belge de souche ; le gouvernement obtient les pouvoir spéciaux (Bastenier, Dassetto,
1987bis)
En 1989, un cran de tensions supplémentaires est encore franchi : sur fonds des
soulèvements palestiniens (Intifada) bientôt suivis par des attentats-suicide, une fatwa de mise à
mort est délivrée par l’Ayatollah Khomeiny à l’encontre de Salman Rushdie, l’auteur de l’ouvrage Les
versets sataniques. Cet avis religieux émanant d’un leader musulman frappe les esprits d’autant plus
que ce livre, jugé blasphématoire à l’égard de la personnalité du Prophète, est brûlé dans le monde
musulman, mais aussi en Grande-Bretagne. Le trouble, voire le malaise, des Occidentaux face à ces
autodafés est important, d’autant plus qu’ils constituent aussi une remise en question de l’un de
leurs principes fondateurs, voire sacré, la liberté d’expression. L’affaire constituera une première
étape d’une opposition ensuite très médiatisée entre blasphème et liberté d’expression. L’impact
émotionnel se renforce encore lorsque Abdallah al-Ahdal, le directeur du Centre culturel et
islamique du Cinquantenaire est assassiné le 29 mars 1989 à l’âge de 35 ans avec Salem al-Buhairi,
son bibliothécaire, en plein cœur du quartier européen de Bruxelles, vraisemblablement en lien avec
les positions modérées adoptées à l’égard de S. Rushdie. Des revendications relatives à ce double
homicide sont émises deux jours plus tard à partir du Liban, par un groupuscule dit « Jund al7
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Haqq », (litt. Les soldats de la vérité)7. Le cadre du strict ancrage local de l’islam belge est dépassé ;
ce dernier apparaît désormais connecté de façon complexe et diverse aux réalités de l’islam global,
qui l’affectent directement (Dassetto, 2006, pp. 3-18).
Les crispations autour de la scolarité de jeunes filles musulmanes en France et leur
médiatisation sont une autre forme de répercussions du global sur le local. Le débat sur la
polémique du foulard dans une école de Creil, en France, se répercute en Belgique francophone en
1989 et suscite des croisements intéressants de littératures, diversifiées, qui seront ultérieurement
amenées à croître en volume et en intensité. A cette époque, par exemple, l’enseignant de religion
islamique Hassan Amdouni publie un bref volume 8 qui se présente comme un argumentaire moral
et juridique en faveur de la pratique du port du foulard. Ce livre, religieusement engagé, croise un
article acerbe du juriste Foulek Ringelheim.9 A côté de l’école et de la pratique religieuse, c’est tout le
débat sur la femme qui se trouve engagé et rapidement biaisé par des postulats idéologiques au sein
de controverses de plus en plus nombreuses.10
De manière générale, les évènements polémiques ou dramatiques susmentionnés
fonctionnent comme autant de marqueurs qui renforcent la suspicion, la méfiance et la crainte à
l’égard des musulmans. Cela se produit d’autant plus aisément que la société belge, par-delà ses
clivages, se pense de plus en plus comme étant sécularisée, sortie de l’emprise sociale des
institutions religieuses, alors que se développent surtout des attitudes d’indifférence, de dédain voire
d’hostilité vis-à-vis du religieux en général. Dans ce contexte tendu, lourd, vis-à-vis de l’islam, la
méconnaissance cède de plus en plus de place à l’incompréhension réciproque, et dope les succès
croissants de l’extrême-droite. Le Vlaams Blok a en effet constitué une charte politique antiimmigrée et il remporte 17 % des voix aux élections communales d’Anvers en 1988. Les
transformations dans les attitudes sont probablement à rattacher aussi, entre autres, aux
changements de rapports de force en termes démographiques dans les grandes villes, où la
présence musulmane est non seulement plus importante, mais aussi plus visible, ce qui suscite chez
de nombreux « belges de souche » ou dits « allochtones » (en Flandre), l’impression de ne plus « être
chez eux » et donc d’être progressivement fragilisé ; une situation auxquelles les émeutes urbaines
de Bruxelles en 1991 ne sont probablement pas étrangères même si elles ne se rapportent pas à des
dynamiques religieuses mais bien plutôt à des processus d’exclusion sociale (Réa, 2001). Dans le
contexte de montée grimpante de l’extrême-droite, de nombreuses questions se posent, qui
concernent les relations entre État et islam, la laïcité (Anciaux, 1987) mais aussi, plus globalement,
les rapports entre islam et Occident, où se confrontent les imaginaires et les histoires respectives
(Bastenier & Dassetto, 1988).
Dans la décennie suivante, celle des années 1990, l’implantation de l’islam en Belgique
s’organise davantage: plus de deux cents salles de prières sont dénombrées, en lien à une
7
Cf. http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/403689/le-double-assassinat-de-la-mosquee-ducinquantenaire.html & http://archives.lesoir.be/l-assassinat-de-l-imam-de-la-mosquee_t-19890331-Z01HKG.html
Consultation le 13 mars 2009.
8
Hassan Amdouni, Le Hijab de la femme musulmane, Bruxelles, al-Imen, 1989, 63 p. 2001 (maintes fois réédité chez
l’éditeur Ennour-Al Imen mais aussi, en 2004, chez Le Savoir Editions).
9
er
Foulek Ringelheim, « Les voiles de l’intolérance », in Journal des Procès, n°161, 1 déc. 1989, pp. 9-10.
10
Pour une approche analytique qui synthétise les discours ayant surgit à la suite de la polémique belge concernant le
foulard : (Blaise & De Coorebyter, 1990). Plus de dix ans après, un ouvrage collectif offre une autre tentative de
distanciation en faisant notamment le point sur les diverses significations et fonctions du port du foulard, ainsi que sur
les dispositifs qui contribuent à marginaliser et discriminer celles qui le portent (Brion, 2004).
8
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importante vitalité du leadership associatif musulman, sachant que des questionnements multiples
de la part d’une partie importante de la jeunesse de ces communautés émergent, qui est en
recherche de sens relativement à son installation en Belgique. Des attitudes contrastées tentent de
cohabiter dans le paysage. Nous pensons au prolongement de traditions religieuses qualifiées de
soufisme (qui, indépendamment de ses formes organisationnelles, place l’emphase sur la relation
personnelle du croyant au divin) et aux apports d’imams, plus ou moins bien formés, issus des
contextes ethno-religieux particuliers. Il y a aussi l’arrivée des promotions de jeunes diplômés ou
initiés des universités saoudiennes, notamment celle de l’Université de Médine, qui apparaissent
rapidement très actifs. Enfin, de nouveaux discours, désormais énoncés en français, sont distillés
dans un format de conférences publiques ou enregistrées, vont peu à peu interpeller une frange
importante de la jeunesse, notamment ceux de Hassan Iquioussen, Ahmed Mahfoud, Yacob Mahi,
Hani Ramadan et surtout Tariq Ramadan. Ce dernier dépasse entre autres la promotion des idées de
droits et devoirs des musulmans en Europe pour celle de citoyenneté européenne11 – mais aussi
d’autres, notamment ceux de leaders salafistes qui, dès le milieux des années 1990, se distancient de
la société belge et promeuvent des formes de loyauté à l’égard de la seule grande communauté
mondiale des musulmans notamment à travers la diffusion gratuite d’ouvrages et l’utilisation de
sites internet sans cesse plus nombreux.
Dans le contexte belge des années 1990, l’islam est aussi désormais une affaire d’État. Un
processus d’intégration politique des musulmans commence en 1994, à partir duquel des élus
d’origine étrangère siègent dans de nombreux conseils communaux. Et les étapes pour
l’établissement d’une représentation politico-religieuse des musulmans dans le paysage
institutionnel belge sont également entamées sous l’égide de quelques convertis notoires : le
gouvernement désigne un Conseil Provisoire des Sages en juin 1990, un Conseil Supérieur des
musulmans de Belgique est ensuite élu en 1991 puis en 1999. Les prémisses de l’Exécutif (provisoire)
des Musulmans de Belgique sont mises sur pieds (Dassetto in Bastenier & Dassetto, 1990 ; Sägesser
& Torrekens, 2008).
Beaucoup d’événements conflictuels à l’échelle internationale s’accélèrent toutefois, où
l’islam est toujours, de près ou de loin, posé dans le décor : l’Irak avec la guerre du Golfe et la guerre
civile en Yougoslavie, en 1991, sachant que les musulmans éprouveront le sentiment d’une pratique
politique de deux poids deux mesures face à un massacre qui se déroule pourtant en Bosnie, sur le
sol européen. Il y a aussi les combats armés en Afghanistan, en Tchétchénie, en Libye ou encore en
Algérie où les élections annulées à la suite de la victoire du Front Islamique du Salut en 1992, vont
également mener à une guerre civile, à un vécu traumatisant face aux dérives radicale des maquis
et notamment aussi à l’assassinat des moines de Tibéhirine.
Dans le champ du savoir, si la méconnaissance des spécificités religieuses continue à
prédominer auprès du plus large public - alors même que la religion est devenue un facteur
explicatif « évident », majeur, qui s’impose dans la prise en compte des dynamiques sociales, ainsi
essentialisées -, de nouveaux travaux académiques imposent de modifier et diversifier les regards.
La diversité voire les changements dans les vécus sont enfin pris en considération de manière plus
systématique et distanciée, notamment dans les comportements au travail, à la sexualité (nuptialité,
contraception et avortement) ainsi que les différences émanant de la diversité culturelle qui
distingue les populations musulmanes (voir notamment Ayari, 1992 ; Leman, 1992 ; Guyaux, 1992 ;
Lesthaeghe, 1997 ; Lesthaeghe, 2000). Un autre exemple peut être tiré du domaine juridique où l’on
11
Voir notamment Tariq Ramadan, Être musulman européen. Etude des sources islamiques à la lumière du contexte
européen, Paris, Ed. Tawhid, 1999.
9
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envisage initialement la spécificité des situations vécues par les musulmans en matière juridique et
la prise en compte de la spécificité du statut personnel des musulmans (Carlier & Verwilghen, 1992).
C’est aussi l’évolution du droit belge lui-même qui est envisagée à partir de la prise en compte de
mesures particulières dérivant du droit international privé touchant notamment des pratiques
familiales telles que le mariage ou le divorce (Verwilghen, 1992 ; Foblerts, 1994 ; Foblets, 1996 ;
Foblets 1998). Et, de manière générale, la prise en compte du champ du droit en tant qu’instrument
de cadrage et de régulation des pratiques sociales au niveau de l’État, constitue une part très
importante de la littérature (De Coorebyter, 1992 ; Blaise & De Coorebyter, 1993 ; Panafit, 1999). A
partir d’une démarche (avant tout) socio-anthropologique, deux volumes de synthèse ressortent
particulièrement de cette décennie, à l’initiative de Felice Dassetto. D’une part, c’est son ouvrage
intitulé La construction de l’islam européen – une approche socio-anthropologique (Dassetto, 1996),
qui incarne une toute première tentative de théoriser l’étude d’une implantation de l’islam et des
musulmans en tant que processus de construction sociale, à partir de catégories d’analyse telles que
les identités et appartenances, les organisations, le leadership et les sources du pouvoir, l’ancrage
territorial, la « muslimité et l’espace public ». Cet ouvrage constituera une référence de base pour
toute une génération de chercheurs au niveau européen. D’autre part, c’est le volume collectif
Facettes de l’islam belge (Dassetto, 1997) qui constitue la première véritable tentative d’offrir un
panorama variés des divers aspects du vécu musulman en Belgique : entre autres sur les
appartenances et discours - dont la question de la conscience ethnique et celle des conversions -,
sur les organisations et pratiques - dont les organisations turques et celles qui sont radicales -, sur
l’islam dans son rapport aux institutions, notamment à partir de deux articles sur les relations entre
le droit et l’islam à partir de cas de répudiation et de conflits relatifs au port du foulard. Mais, pour le
chercheur, l’analyse des réalités musulmanes belges, en mouvement, impose donc aussi bientôt de
penser une variable des échelles. Au-delà des allers et retours traditionnels de vacanciers aux pays
d’origine, ou plus exceptionnellement lors du pèlerinage annuel à La Mecque, il y a désormais de plus
en plus de connections qui sont établies par rapport à l’islam dans l’intimité quotidienne des foyers,
grâce aux chaînes paraboliques et aux sites internet proposant des avis religieux ou des options
matrimoniales, mais aussi au cœur des mosquées, notamment avec l’arrivée de prédicateurs pour le
Ramadan qui font circuler les savoirs.
Depuis le milieu des années 1990 et jusqu’en 2012, les impacts, à la fois locaux et
internationaux de crises locales et/ou globales affectent de plus en plus les perceptions, et surtout
les imaginaires des uns et des autres, musulmans et non-musulmans, puis intensifient leurs
éventuelles réactions, voire leurs réactions réciproques, dans un monde désormais « glocalisé »,
pour reprendre le concept du sociologue Roland Robertson (Robertson, 1995). Les faits conflictuels
apparaissent s’accélérer et l’importante couverture médiatique de ceux-ci renforce l’impression
d’une récurrence de problèmes liés à la présence de l’islam, qui poussent certains politiques à
évoquer, notamment, le thème de « l’échec de l’intégration ». En effet, par-delà une certaine
routinisation des faits médiatiques dramatiques liés à l’islam sur la scène internationale depuis la fin
des années 1970, un nouveau seuil de sensibilisation est franchi dans les sociétés européennes en
1995, avec la (re)découverte d’islamistes prônant le combat armé au sein de réseaux en transit en
Europe, qui œuvrent pour affecter des dynamiques nationales au sein de pays musulmans puis,
ultérieurement, après le 11 septembre 2001, qui défendent aussi ouvertement des objectifs plus
globaux, situés à l’échelle d’un rapport de forces au niveau mondial, où les cibles sont parfois
directement situées en Europe, de manière plus ou moins indifférenciée. Rappelons, la découverte,
en Belgique, de cellules de soutien au Groupe Islamique Armé (GIA), algérien, au début des années
10
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1990, puis leur démantèlement en 1995 (réseau Ahmed Zaoui) ainsi que le démantèlement du
réseau djihadiste de Farid Mellouk en 1998, qui semble avoir constitué le creuset d’un mouvement
en gestation, le Groupe islamique combattant marocain (GICM). Rappelons que si de nombreux
évènements dramatiques continuent ensuite de jalonner la décennie des années 2000, le caractère
multinational des acteurs impliqués et/ou de la cause de leur lutte semble s’accroître : des guerres
en Irak et en Afghanistan, depuis 2001, en passant par les attentats meurtriers de Casablanca, en
2003, et de Madrid, en 2004, entre autres, des personnes de nationalité belge ou ayant transité par
la Belgique se trouvent parfois activement impliquées. En effet, l’ancien footballeur tunisien Nizar
Trabelsi, qui a été arrêté en Belgique en 2001 pour sa préparation d’un attentat ainsi empêché, sur
une base aérienne de l’OTAN, était relié à al-Qaïda. Les deux pseudo-journalistes qui se sont fait
exploser pour assassiner Ahmad Shah Massoud, le commandant Tadjik de l’Alliance du Nord antitalibanne, deux jours avant le 11 septembre 2001, en Afghanistan, étaient d’origine tunisienne en
séjour illégal en Belgique tout en circulant avec des passeports belges. Quant à la veuve de l’un
d’entre eux, la belge Malika al Aroud, d’origine marocaine, qui se présente comme veuve de martyr,
elle a fini par être arrêtée en Belgique en 2008 pour son travail dans le recrutement de personnes
en vue du djihad et a été jugée en mai 2010 ; elle joui(ssai)t d’une grande réputation dans certains
milieux salafistes, notamment à partir de la diffusion de son témoignage empreint de ferveur
religieuse, d’idéaux et d’engagements concrets. Entretemps, en 2005, l’actualité a encore suscité de
l’incompréhension et de la stupeur car une convertie à l’islam, la première femme kamikaze
occidentale, Muriel Degauque, s’était fait exploser en Iraq, de même que son époux.12 Ces
évènements marquants et leurs suivis médiatiques ont jalonné une grande partie de l’actualité au
sein des foyers belges, tout en occultant bien d’autres dynamiques bien moins spectaculaires mais
peut-être tout aussi importantes, voire davantage, notamment celles qui, à la suite de l’emphase
placée sur les notions de menace djihadiste et de sécurité dans les discours politiques, ont finis par
altérer l’identité de l’État, les conceptions de la citoyenneté ou encore la gestion politique des
dossiers liés à l’islam (Zemni, 2006).
Ces affaires ont d’autant plus marqué les esprits que, sur le plan de la pensée, deux
publications géopolitiques majeures sont éditées, qui analysent la nature des nouvelles relations
internationales et confèrent un cadre de compréhension très englobant. En effet, elles développent
des visions particulières sur les relations entre civilisations, où les rapports conflictuels entre
civilisations occidentale et islamique semblent être particulièrement mis en exergue,
essentiellement à partir d’une grille culturaliste (Zemni, 2011). Ces ouvrages connaîtront un
retentissement mondial et seront interprétés, entre autres par de nombreux politiques et
journalistes, comme des témoins de l’avènement d’une ère nouvelle, davantage polarisée et
conflictuelle que par le passé.13
12
Sur son parcours : Chris De Stoop, Vrede zij met u, zuster. Het verhaal van een westerse zelfmoordterroriste [La paix
soit avec toi, ma sœur. Le récit d’une kamikaze occidentale], Amsterdam De Bezige Bij, 2010.
13
Voir l’article de Samuel Huntington « The Clash of civilizations » in Foreign Affairs, vol. 72, no. 3, été 1993, pp. 22-49 et
son ouvrage The clash of civilizations and the remaking of world order, New-York, Simon and Schuster, 1996, au sein
desquels les clivages majeurs ne passent désormais plus par les idéologies ou les États mais par les civilisations, celles-ci
étant comprises comme le niveau le plus élevé de regroupement humain fondé sur la culture. Nous pensons aussi à
l’ouvrage de Benjamin Barber, Djihad versus McWorld, New York, Times Book, 1995 (traduit en français pour les éditions
Desclée de Brouwer en 1996 sous le titre Djihad versus McWorld – Mondialisation et intégrisme contre la démocratie,
alors que ce livre met davantage l’accent sur les formes de replis culturels au sens le plus large, en réaction aux
dynamiques de globalisation). Notons que le Prof. F. Dassetto a ultérieurement tenté de repenser globalement, et de
manière constructive, la complexité des relations entre Occidents et Islams : pour lui, si certes S. Huntington développe
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En conséquence de cela, dans la société belge, un rapport mitigé au musulman local se
construit, à partir de deux dynamiques antinomiques. D’une part, il y a une prise en compte
progressive des communautés musulmanes, au-delà du prisme de l’immigration. Une prise de
conscience de l’implantation de long terme des populations en Belgique s’opère, qui apparaît
désormais irréversible. Et cela gêne certains pans de la société puisque le Vlaams Blok s’est
effectivement constitué en tant que parti anti musulman depuis 1993 (qui diffuse des idées telles
que celle de la religion islamique envisagée comme une doctrine qui prêche la guerre sainte,
l’extermination des infidèles, les conversions forcées, l’oppression des femmes etc.)14. Mais d’autre
part, il y a aussi, parallèlement, presque sans transition, un passage des perceptions du musulman
en tant qu’immigré à celles de l’intégriste local, cette fois susceptible de toucher au cœur de
l’Europe. Et ces conceptions se diffusent d’autant plus aisément que les faits divers ne manquent
pas, que les médias sont friands de ce type d’informations et que vont aussi apparaître des analystes
auto-proclamés, mais médiatisés, de l’islamisme, notamment des politiques et des essayistes ; le
succès populaire de leurs contributions va brouiller la compréhension des phénomènes en cours, et
notamment les frontières entre les champs du savoir et celui des imaginaires, puisque les positions
qui y sont adoptées ne témoignent pas d’une tentative d’objectivation aussi neutre que possible.
Ainsi, par-delà une coexistence assez indifférente voire flegmatique entre musulmans et
non musulmans en Belgique, une sorte d’embarras et de malaise diffus, réciproques, voire des
attitudes de rejet s’installent au cœur des relations. Les ressentis réciproques entre musulmans et
non musulmans évoluent en effet, en rapport à des sentiments d’être discriminé et/ou jugé par
l’autre, à la présence (de la peur) d’une certaine islamophobie 15, du racisme dans les deux sens et,
plus généralement, de part et d’autre, à une crainte d’une dérive extrémiste des deux côtés : soit liée
aux soupçons d’une emprise générale croissante du religieux chez les musulmans soit liée à la
consolidation du soutien populaire auprès des partis d’extrême-droite. 16 Certes la découverte du
corps sans vie de la petite Loubna Benaïssa en 1997 va propulser sa sœur Nabela, voilée et très
digne, sur le devant de la scène médiatique, et contribuer à offrir une image positive de l’islam ainsi
qu’une sorte de compassion de la société belge vis-à-vis de préoccupations musulmanes à l’instar
de celles relatives à la consolidation de parcelles musulmanes dans les cimetières. Mais cette image
est ensuite oubliée, sous le poids d’autres évènements très émotivement chargés car le grand public
est choqué par les événements du World Trade Center à New-York et du Pentagone à Washington,
en 2001. Ceux-ci attisent rapidement les rejets et polarisent les opinions (Saroglou & Galad, 2004),
d’autant plus qu’ils sont ultérieurement ressassés à la lumière de nouveaux faits divers dramatiques,
parfois géographiquement très proches, que constituent les assassinats racistes des parents de la
famille Isnasni à Schaerbeek, de l’enseignant anversois Mohamed Achrak à Anvers (qui va
notamment entraîner des émeutes dans la banlieue anversoise à l’instigation de la Ligue arabe
européenne) ainsi que du politique populiste Pim Fortuyn aux Pays-Bas, en 2002 et du cinéaste
une attitude frileuse, de repli, en enjoignant l’Occident de renoncer à l’universalisme et de consolider sa propre
civilisation, il développe une vision plus complexe que celle d’une simple opposition dichotomique entre Islam et
Occident (Dassetto, 2004, pp. 49ss). In fine, le contenu de ces deux ouvrages a souvent été ramené à des idées beaucoup
plus manichéennes que ce qu’il n’y est réellement développé par leurs auteurs.
14
Du côté francophone, le Front National surfe aussi sur la vague de la lutte contre l’immigration et contre l’islam. Son
succès électoral est toutefois beaucoup plus réduit et plus tardif, surtout entre 2004-2006.
15
En Grande-Bretagne, la publication du rapport Islamophobia Report par le Runnymede Trust en 1997 va contribuer à
populariser cette idée - il n’empêche que la pertinence d’utiliser ce qualificatif ne va pas de soi.
16
Pour un état des lieux des nœuds qui se situent au cœur des relations entre musulmans et non musulmans, ainsi que
les arguments qui les sous-tendent, à partir d’une méthodologie de forums réflexifs menés dans plusieurs grandes villes
du pays : (De Changy, Dassetto, Maréchal, 2007).
12
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15
Théo Van Gogh en 2004, suite à la réalisation de son film Submission, critique vis-à-vis de l’islam.
Dès 2002, la situation est suffisamment tendue pour inciter un collectif d’intellectuels
belges, originaires du Maghreb, à s’unir pour rédiger un ouvrage intitulé Rompre le silence qui vise à
faire entendre diverses voix, alternatives aux discours extrémistes, mais aussi interpeller la société la
plus large, en réveillant les consciences sur la dégradation du vivre ensemble face à laquelle il leur
importe de réagir (Bousetta, 2002). Soucieuse de consolider la cohésion sociale, la Fondation Roi
Baudouin lance aussi une initiative novatrice avec la création, en septembre 2003 du « Comité
d’accompagnement de l’islam en Belgique ». A partir de rencontres assez régulières de chercheurs
et de personnes de terrain, ce groupe avait vocation à animer une réflexion sur l’islam et les
musulmans en Belgique et en Europe, à stimuler des débats en organisant des évènements mais
aussi à relayer des constatations dont ceux de lacunes éventuelles en matière de recherche,
éventuellement à commanditer. Ce groupe, qui a sensiblement évolué au cours du temps, s’est
réunis jusqu’en 2009, et a interpellé le plus grand public ainsi que le monde politique à de multiples
reprises.17
En dépit du caractère symbolique voire pratique de ces deux initiatives qui promeuvent un
élargissement et une complexification des regards à destination du plus grand public, la portée de
celles-ci s’est toutefois trouvée limitée, non seulement par l’importance des impacts psycho-sociaux
liés aux actions radicales violentes susmentionnées, surtout localisées au niveau international, mais
aussi par les expressions locales et internationales de multiples débats et/ou tensions, continus, qui
se situent à de multiples niveaux et impliquent de nombreux acteurs très différents. Ceux-ci
témoignent de questionnements voire de crispations de part et d’autre, entre musulmans et non
musulmans en Europe et en Belgique, qui affectent les imaginaires au point que ceux-ci deviennent
clairement le prisme essentiel à partir duquel sont appréhendés l’islam et les musulmans, au point
que les discours académiques peinent à être entendu. Rappelons tout d’abord les affaires
récurrentes de foulards, notamment à l’école, puis de burqa, où sont mobilisés des arguments aussi
divers que ceux de l’autonomie et de la liberté de la personne ou encore ceux du prosélytisme et de
la sécurité (parfois les mêmes par les personnes des deux camps), sachant que le dernier épisode
qui illustre le plus virulemment cette tension relèvent d’une initiative de l’ex Vlaams Blok, rebaptisé
Vlaams Belang à la suite d’une condamnation en justice pour racisme en 2004, qui lance une
campagne d’affichage en février 2012 où An-Sofie Dewinter parade en bikini tout en ayant sa tête
recouverte d’un niqab : pour elle, le public doit choisir entre deux référentiels qu’elle juge
incompatibles : la liberté ou l’islam. Il y a aussi eu les tensions politico-diplomatiques et économiques
liées à la diffusion par un journal danois des caricatures du Prophète de l’islam - jugées
blasphématoires par des musulmans - en 2005, mais encore l’attentat contre le siège du journal
satirique Charlie Hebdo, en novembre 2011, alors qu’il s’apprêtait à faire une nouvelle sortie sur le
Prophète. Notons encore les déclarations virulentes du pape Benoît XVI à Regensburg, en septembre
2006, qui attribuent un caractère intrinsèquement irrationnel et violent à la religion musulmane, le
débat maladroit souhaité par le gouvernement de Nicolas Sarkozy sur l’identité nationale en France
qui a suscité une réaction acerbe de Guy Verhofstadt, président du groupe libéral au Parlement
européen en février 2010, les tensions liées aux interpellations critiques croissantes sur le
darwinisme et les théories de l’évolution, qui suscitent de sérieux malaises dans les écoles et
constituent autant d’occasion de conflits de loyautés (El Asri, 2009), l’interdiction des minarets en
Suisse en 2009 à la suite d’un référendum populaire, etc.
17
Pour un aperçu des activités de ce comité ainsi qu’un accès aux divers rapports, voir http://www.kbsfrb.be/otheractivity.aspx?id=193872&LangType=2060
13
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16
Outre l’existence de véritables questions de fonds mais aussi de certaines provocations de
nature politiques-politiciennes auxquelles doivent se confronter nos sociétés démocratiques et
pluralistes, ces tensions sont notamment liées à la consolidation de nouvelles générations
définitivement ancrées dans les espaces nationaux européens et soucieuses d’affirmer leur identité
multiple tout en exigeant que celle-ci soit explicitement reconnue dans sa dimension religieuse
musulmane (notamment dans le prolongement de la diffusion de discours liés aux courants de
l’islam politique ou du salafisme dans les décennies précédentes). Ces attitudes vindicatives et/ou
de contestation sont assumées par des individus à titre personnel. Mais elles relèvent aussi de
l’initiative de regroupements particuliers, sachant que certains d’entre eux sont, beaucoup plus
rapidement que d’autres, tombés sous les feux de la rampe, de par le caractère volontairement
provoquant de leurs revendications. D’une part, au début de la décennie 2000, il y eu par exemple
eu la Ligue arabe européenne, un groupe nationaliste arabe et islamiste désormais dissous, fondé en
2000 par un étudiant d’origine libanaise, Dyab Abou Jahjah, qui a œuvré pour la cause palestinienne,
la défense du port du foulard et la reconnaissance de la langue arabe comme 4ème langue officielle
en Belgique, entre autres, mais qui a notamment été particulièrement épinglée pour sa création de
milices ayant vocation à patrouiller dans certains quartiers anversois perçus comme dangereux ou
encore pour sa demande de retrait d’affiches au parti écologiste Agalev pour offense à l’islam
sachant que celles-ci affichaient un couple homosexuel en habits traditionnels musulmans. Plus
tard, dans la deuxième moitié des années 2000, il y a notamment le groupuscule radical
Sharia4Belgium, idéologiquement proche du mouvement Hizb al-Tahrir (Parti de la Libération),
présent en Grande-Bretagne. Ses membres diffusent régulièrement sur Internet de courtes vidéos
de conférences ou de mises en scène dont le caractère ouvertement provocant suscite au minimum
malaises et désapprobations dans l’opinion publique et les médias : par exemple, ils critiquent le
caractère dit vicié des régimes démocratiques, affirment la supériorité de l’islam, en appellent à la
création de tribunaux islamiques pour gérer des dossiers de droit familial et prônent l’établissement
d’un Etat islamique en Belgique en vue d’éradiquer les injustices. 18
A côté de ces acteurs et des faits qu’ils contribuent à créer, il faut aussi noter l’impact,
souvent dévastateur sur les imaginaires, des pratiques sociales populaires liées à l’Internet :
notamment des blogs ou des sections « commentaires », entre autres sur les sites d’actualité, qui,
parfois malgré eux, contribuent à diffuser rapidement et de manière large des propos abrupts,
surtout émotifs, dépourvus de contextualisation ou, surtout, d’argumentaires éclairés. Nous pointons
également ces nombreux mails de méfiance et/ou de haine, récurrents, diffusés en chaîne plus ou
moins fermées, qui circulent via des listes de mailing bien rôdées et qui martèlent, sous couvert
d’arguments d’autorité très douteux, des opinions sous couverts de faits prétendument avérés. En
l’absence d’éducation approprié en matière de critique de discours, il devient de plus en plus difficile
pour le citoyen lambda de parvenir à se faire une opinion circonstanciée sur ces prétendues
informations d’actualité.
18
Dans une vidéo qui circule depuis le mois de novembre 2011, aux tons un peu surréaliste, le leader du mouvement
Sharia4Belgium condamne les pratiques dites polythéistes et idolâtres à l’instar des visites touristiques à l’Atomium,
érigé pour l’Exposition Universelle de 1958 et qui incarne désormais Bruxelles. Sans que l’on puisse dire si cette structure
architecturale, hautement symbolique, est remise en question en tant que témoignage d’un engouement voire d’une foi
dans les progrès scientifiques et techniques, ce sont avant tout les visites populaires sur ce site, surplombé par le
drapeau belge, qui sont contestées comme autant de pratiques jugées concurrentes aux authentiques pratiques
religieuses qui honorent le seul Dieu unique.
14
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17
Face à ces très nombreuses interpellations qui affectent considérablement le vivre
ensemble et la cohésion sociale, le rapport final des Assises de l’Interculturalité19 propose des jalons
intéressants, comme autant de perspectives de compromis sur un certain nombre de questions
concrètes. Mais il apparaît insuffisant, ne serait-ce que parce qu’il évite d’assumer frontalement le
caractère spécifique de certaines revendications musulmanes tout en préconisant des adaptations
favorisant, de manière générale, la prise en compte de revendications collectives particulières. Or,
face au malaise civilisationnel européen, il faut désormais oser aller beaucoup plus loin dans les
débats entre les musulmans et les non musulmans. Comme l’affirme le sociologue Felice Dassetto, il
importe aussi de sortir des radicalismes civilisationnels, notamment en parvenant à produire des
contre-théorisations efficaces. 20
§ La dynamique musulmane en Belgique
Depuis les années 2000, l’islam apparaît en tant que seconde religion d’Europe 21 et l’on parle
d’environ 500.000 personnes musulmanes et/ou originaires de pays musulmans en Belgique bien
qu’en soit ces chiffres ne signifient pas grand-chose en soi puisqu’ils recouvrent des réalités très
différentes en termes de référentiels culturels et de rapports au religieux (dans ses dimensions de
foi, de pratique cultuelle, d’appartenance de groupe, de construction identitaire etc.). En quinze ans,
la présence significative de musulmans en Belgique, qui remonte désormais à plus de quarante ans,
s’est accrue et densifiée, spécialement dans les espaces urbains : les personnes de confession
musulmane et/ou originaires d’un pays musulman représentent actuellement cinq-six pourcents
de la population totale 22 et pas moins de dix-sept pourcents des habitants d’une ville telle que
Bruxelles.
La visibilité de l’islam dans la sphère publique s’est également renforcée, voire normalisée,
sous plusieurs aspects.
D’un point de vue politique, tout d’abord, il est considéré que, parmi les personnes originaires
d’un pays musulman ou leurs descendants, deux tiers sont @de nationalité belge et jouissent donc
de tous les droits civiques et politiques associés à ce statut. Les conséquences en termes d’élection
mais aussi d’éligibilité sont importantes et ne sont désormais plus ignorées par les partis politiques,
même si ceux-ci témoignent d’un certain malaise quant à la prise en compte des sensibilités
diverses liées aux votes communautaires.23 Certes, il y a eu la création de quelques partis de
sensibilité musulmane, à l’instar du Parti Jeunes musulmans (PJM) et du Moslim Democratische
Partij (MDF – Parti Démocratique Musulman, issu de la Ligue Arabe Européenne, susmentionnée),
qui ont notamment participé aux élections régionales de 2004. Mais, alors que leurs projets
19
Assises de l’interculturalité – rapport final, Wavre, Les éditions Mardaga, novembre 2010, 126 p.
Felice Dassetto, « Sortir des radicalismes civilisationnels » in Le Monde, 12 août 2011 (disponible sur le site
www.Lemonde.fr ).
21
Shireen T. Hunter, Islam, Europe’s second religion. The new social, cultural and political landscape, Westport,
Greenwood Publishing, 2002, 295 p. ; voir aussi B. Maréchal, S. Allievi, F. Dassetto, J. Nielsen (eds), Muslims in the
enlarged Europe – Religion and society, Leiden, Brill, 2003, 602 p.
22
Pour des chiffres relatifs à la démographie mais aussi des données factuelles, annuellement amendées, sur des
aspects tels que l’organisation de l’enseignement islamique, sur la participation politique des musulmans, sur la question
du dialogue interreligieux, sur les polémiques publiques etc. voir : (Fadil, Manço, Kanmaz, 2011).
23
Pour un suivi très attentif de la vie politique belge (entre autres), voir le blog de Pierre-Yves Lambert, www.suffrageuniversel.be
20
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consistaient, notamment pour les premiers, à lutter contre les discriminations vécues par les
musulmans (dans les domaines de l’enseignement, de l’emploi et du logement), ils sont restés très
minoritaires ; les citoyens belges de confession musulmane ont davantage témoigné d’une volonté
de s’intégrer dans le jeu politique des partis politiques majoritaires.
Ensuite, par-delà les déboires d’un organe chef de culte des musulmans - l’Exécutif des
Musulmans de Belgique –, empêtré dans ses dysfonctionnements voire débordé par des instances
essentiellement reliées aux pays d’origine, il n’empêche que de nombreuses dynamiques ont été
enclenchées et suivent leur cours. Le processus de reconnaissance des mosquées, désormais
régionalisé depuis 2001, avance : il permet désormais de soutenir financièrement certains bâtiments
de culte mais aussi les officiers du culte qui y sont reconnus. Surtout, les cours de religion islamique
qui sont dispensés par plus de six cent professeurs dans les écoles primaires et secondaires au profit
de plus de 30.0000 jeunes par année font désormais l’objet d’un plus grand encadrement : la
Communauté Flamande et la Communauté Française de Belgique ont effectivement désigné des
inspecteurs de la religion islamique au milieu des années 2000. La création d’écoles islamiques,
pourtant constitutionnellement possible, reste limitée ; ce qui semble attester du fait que l’offre
existante paraît globalement satisfaisante pour les musulmans de Belgique même si cette question
est notamment posée à l’aune des interdictions posées quant au port du foulard islamique dans les
écoles.
Et en ce qui concerne les initiatives de dialogue interreligieux, si celles-ci semblent parfois
mises à mal en lien à un désintérêt des jeunes pour ce types de relations, ce que semble notamment
attester une organisation à l’instar de El-Kalima, à Bruxelles, de nouvelles dynamiques se mettent en
place, notamment à partir de la création du conseil des leaders religieux en Belgique, inaugurée au
Parlement Belge en 2007.
Depuis quinze ans, la présence de l’islam et sa visibilité se sont aussi diversifiées, au gré des
sensibilités, personnelles et collectives, culturelles-religieuses. Entre autres, si l’on parle toujours
d’environ trois cent lieux de culte, qui restent surtout organisés au gré de clivages ethno-nationaux
d’origine, quelques mosquées émergent désormais clairement et, pourrait-on dire, fièrement, dans
les paysages urbains mais aussi ruraux, en tant que lieux de culte musulman (Dassetto & Ralet,
2010 ; Kanmaz et al, 2011). Le centre islamique et culturel du cinquantenaire, à Bruxelles, est
désormais progressivement concurrencé, d’un point de vue symbolique, par des bâtisses telles que
l’imposant centre al-Amal, à Anderlecht.
De nouvelles tendances associatives voient aussi le jour, où certains courants idéologiques
intra-musulmans émergent et/ou s’imposent. Nous pensons avant tout à ceux qui sont plus
regroupés sous le vocable « salafiste », qui semblent désormais occuper, de manière prédominante,
le terrain assocatif religieux auprès des jeunes (Dassetto, 2011) : avec des affiches très léchées et des
discours qui se concentrent sur des questions de morale et de préceptes normatifs, ceux-ci
diffusent un message qui promeut surtout un retour à l’exemplarité prophétique. La tendance des
Frères musulmans, qui place davantage l’accent sur l’importance de contextualiser ce message
islamique, semble s’être éclipsée de la scène au profit des salafistes, tout en leur ayant, peut-être
malgré eux, créé un terrain favorable. Nous constatons également qu’il existe une plus grande
volonté des groupements soufis d’assumer une plus grande visibilité médiatique à l’instar de ceux de
la Boutchichiyya ou des Alawiyya (sachant que le soufisme, en général, reste très critiqué par les
salafistes).
Enfin, du côté des communautés turques, à côté de l’islam traditionnaliste et nationaliste
prôné par la Diyanet (qui s’impose auprès d’environ 2/3 des mosquées turques ; Manço, 2010) et des
16
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19
courants anciennement rattachés à une organisation plus politique, celle des Milli Gorüs, nous
observons aussi la visibilité croissante d’un courant missionnaire réformiste et rationnalisant, le
courant Gülen, qui prône notamment l’importance de l’exemplarité. Ce mouvement a notamment
fait un coup médiatique très important, en décembre 2010, en parvenant à ouvrir une Chaire, à son
nom, au sein de la Katholieke Universiteit Leuven, en vue de promouvoir les relations
interculturelles. Grâce aux financements obtenus, qui permettent d’inviter des universitaires au
niveau européen, un cycle de formation y est organisé en vue d’appréhender, la scène islamique en
relation aux questions de cohésion sociale.24
Ces changements sont partiellement croisés par d’autres, en lien notamment à l’émergence
et à l’affirmation de jeunes générations, deuxième mais aussi désormais troisième, voire même
quatrième : selon des manières très différentes, ils sont amenés à (re)construire (sans cesse) leurs
rapports, mais aussi sur leurs apports, au contexte environnant ainsi qu’à leur tradition religieuse en
fonction des évolutions économiques et sociales, politiques et culturelles en cours. Il suffit de
mentionner l’émergence de quelques faits et tendances, parfois contradictoires, pour illustrer
combien les dynamiques en cours sont vivaces et complexes. Citons par exemple l’affirmation
publique, même minoritaire, d’homosexuels musulmans au sein de l’association Merhaba
(Bienvenue) depuis 2002, ou encore celle de musulmanes prônant une réappropriation de leur voix
par la promotion du concept de « féminisme islamique ». Ce dernier leur permet de s’affirmer
comme des sujets réclamant des droits tout en questionnant les traditions religieuses-culturelles
intra-islamiques et les perceptions des non-musulmans vis-à-vis des femmes musulmanes
(voilées), souvent présentées comme autant d’emblèmes d’une domination patriarcale
traditionnelle (Haddou, 2007 ; Djelloul, 2012 ; El Bachiri, 2011) tandis que subsistent, parallèlement,
des discours conservateurs sur l’homosexualité, les femmes (El Hamdi in Dassetto, 2010) et la
séparation des genres. Un autre exemple se rapporte à la création d’une association belge de jeunes
professionnels musulmans (ABPM), qui promeuvent des initiatives concrètes en vue de stimuler la
réussite spirituelle et matérielle, scolaire et professionnelle chez les jeunes tout en affirmant le
caractère positif de leur appartenance plurielle25 tandis que d’autres mouvements très visibles, à
l’instar du groupuscule radical Sharia4Belgium, susmentionné, se situe aux antipodes du modèle
d’engagement citoyen de l’ABPM, mais aussi du think tank Vigilance Musulmane (qui. assure une
veille de l’actualité socio-politique en vue d’éventuelles réactions publiques notamment quand ses
membres estiment devoir réaffirmer certains principes dans le domaine des relations entre l’Etat et
les religions autour du principe de la neutralité)26.
Pour continuer à illustrer, sous un autre angle, la complexité des processus en cours, citons
encore l’intérêt de plus en plus prononcé pour la finance islamique, comme en atteste notamment
la création d’une filière d’enseignement spécifique sur la finance islamique par l’Institut Cooremans,
à Bruxelles, ouverte depuis le mois d’octobre 2011. Le pilotage du projet est assuré par Mohamed
Boulif, un ancien président de l’Exécutif des musulmans de Belgique, spécialiste en économie et en
finance islamique, qui est un des pionniers de la recherche sur la finance islamique en Europe et le
promoteur central de son enracinement comme objet de connaissance et comme pratique
économique pour les Musulmans Belges, même si celle-ci ne s’impose pas encore au cœur des
institutions financières reconnues en Belgique (Sor in Dassetto, 2011).
24
Voir notamment leur site www.immrc.be
Voir notamment le site de l’ABPM, l’Association Belge des Professionnels Musulmans, créée en 2007 : www.abpm.be.
26
Voir leur site www.vigilancemusulmane.be
25
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Notons aussi les évolutions rapides et diversifiées dans le monde de l’entreprise, où des
politiques de la diversité sont mises en œuvre et négociées à l’instar du cas de la Société de
Transports Intercommunaux de Bruxelles (Lamghari, 2012), mais aussi en matière de production et
de consommation de biens licites d’un point de vue islamique. Il semble loin le temps où lorsqu’on
parlait de nourriture halal, on envisageait avant tout les boucheries islamiques, sachant que la
présence de celles-ci n’est plus guère l’objet d’attentions.
Désormais de nouveaux marchés de niche, spécifiques, émergent, à l’instar des filières
d’achats communs à la fois bio et halal notamment 27 ou des espaces de bien-être personnel
soucieux de rencontrer les exigences religieuses des publics-cibles, tout en restant ouverts aux
publics les plus larges.28 L’évolution de ces tendances et pratiques économiques témoigne d’un
changement significatif d’éthos ou plutôt d’une manière d’apparaître voire de communiquer, de
signaler son islamité par de nouveau canaux en voguant sur la vague « tendance ».
Les nouveaux marchés qui se structurent suscitent bien des réticences mais aussi des
convoitises car leurs produits dépassent désormais souvent les marchés strictement
communautaires musulmans. Pensons notamment aux grandes foires islamiques – en Belgique, la
première d’entre-elle est organisée durant l’automne 2012 à Tour et taxis à Bruxelles - et aux modes
de prêt-à-porter islamique radicalement contemporaines comme HNA collection, qui parie sur
l’élégance et la pudeur, mais aussi la ligne de vêtement Azira, qui produit un « design éthique à la fois
pour le corps et l’esprit » et dont le magasin se situe sur la rue très branchée de la mode bruxelloise,
la rue Dansaert. Il existe aussi des espaces féminins consacrés aux défilés de robes de soirées ou aux
T-Shirt liant slogans religieux et culture urbaine. Et si le marché belge des productions culturellesreligieuses islamiques, notamment littéraires et musicales, voire humoristiques, témoigne de
beaucoup de dynamisme, il reste relativement peu visible et viable par rapport aux marchés français
ou britannique : son succès dépend des marchés d’exportation, plus vastes, éventuellement à partir
de d’Internet, sous peine de rester confiné à des milieux peu visibilisés à l’instar des salles de fêtes
ou des soirées caritatives (El Asri, 2012) .
En ce qui concerne les canaux d’informations et de communications médiatiques de l’islam
belge, ils restent encore assez marginaux : ils s’instaurent essentiellement à partir de canaux
alternatifs, plus ou moins informels, notamment en lien aux difficultés récurrentes de l’organe chef
de culte, l’Exécutif des musulmans de Belgique, à actionner des ressources étatiques disponibles en
la matière. En effet, sous l’effet d’initiatives privées, dynamiques, de nouveaux médias se créent à
côté des traditionnelles radios dites arabes : des sites, à l’instar de islamic-event.be, mediane.tv ainsi
que des radios sur le web, qui ont toutefois parfois du mal à survivre financièrement, à l’instar de de
la chaîne Islamina 29. Celles-ci ne se contentent pas seulement de transmettre de l’instruction
religieuse, mais aussi de diffuser des annonces événementielles sans parvenir à constituer de
véritables plateformes de dialogues et de débats entre les musulmans de Belgique.
27
Sur cette dimension, voir notamment le reportage « Green halal » diffusé sur le site de Mediane TV, qui évoque la
de
préoccupations
sanitaires
et
éthiques
pour
promouvoir
le
bio
halal
convergence
http://www.mediane.tv/fr/page/green-halal-bio-alimentation-Gerlando-coprosain-Duvuvier-Baligant-Najjari.php
28
Voir notamment le site http://www.goform.be/ (vraisemblablement ex : www.oumma-gym.be) ; les notions de
« respect » et de « pudeur », y sont clairement mentionnées, notamment à destination d’un public féminin musulman
soucieux de ces questions.
29
Voir www.islamina.net
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21
Ces exemples non exhaustifs témoignent d’une vigueur intra-islamique d’autant plus
méconnue que ce sont les frasques de quelques-uns qui occupent le plus souvent l’avant-scène
médiatique, à l’instar des déconvenues internes à l’Exécutif des musulmans de Belgique30. Au-delà
de l’actualité événementielle, il importe pourtant de se pencher sur les dynamiques de fonds. D’une
part, la recrudescence récente des interventions des pays d’origines dans la fabrication de l’islam
local, sachant que leurs initiatives illustrent combien leur influence n’appartient pas au passé et que
leurs pratiques, pourtant dépassées, sont désormais réactivées tout en étant notifiées à partir de
modalités nouvelles. D’autre part, il importe de sortir de l’ombre le dossier fondamental, mais jusqu’à
présent délaissé voire malmené, de la formation des cadres de l’islam : professeurs de religion
islamique, imams ou autres cadres musulmans à l’instar des aumôniers entre autres. Les médias y
reviennent quelques fois, mais encore insuffisamment semble-t-il tant les besoins d’organisations
structurelles sont importants : en effet, au-delà de la solution autrefois préconisée, qui visait à
choisir l’option de l’importation des savoirs et des personnes, considérées alors comme la plus
pragmatique sur le plan de la forme, il importe désormais de se donner vraiment les moyens
d’articuler la pensée musulmane contemporaine à son contexte et de démocratiser l’accès aux
savoirs islamiques sur le local, au-delà d’initiatives particularistes et communautaristes. Des
personnalités politiques, flamandes et francophones, semblent vouloir adopter un profil proactif
dans ce domaine mais il reste à espérer que leurs voix puissent être entendues.
30
Celui-ci est cette fois bloqué suite à la plainte de justice déposée par l’Alternative Démocratique des Musulmans de
Belgique (ADMB) à son encontre car trois membres de cette plateforme - qui souhaite l’émergence d’un organe
représentatif démocratique et indépendant -, ont été (illégalement ?) évincés de leur statut de membres de l’Assemblée
de l’Exécutif, à la suite d’un vote de défiance exprimé à leurs égards par les proches des fédérations marocaines et
turques, le 13 janvier 2012. Pour un bilan critique relatif à ces trente dernières années sur l’Exécutif des musulmans de
Belgique : (Dassetto, 2012).
19
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22
larevuenouvelle, n° 9 / septembre 2007
dossier
Être musulman belge :
entre élaboration identitaire et devenir
L’image monolithique de l’islam masque la diversité de la réalité vécue par les musulmans.
Ils réélaborent sans cesse leurs identités dans leur engagement social, leurs pratiques
religieuses, leur rapport aux normes, leurs modes d’expression culturelle. Cette
reconfiguration est sous-tendue par des manières différentes de se référer aux textes
religieux. Ceux-ci peuvent être interprétés différemment selon que l’on privilégie une lecture
traditionaliste vouée à être transitoire, la distanciation des mystiques et des rationalistes ou
une approche réformiste qui tente de synthétiser les différents courants.
Farid El Asri
Farid El Asri est chargé de recherches en anthropologie au Centre interdisciplinaire d’études de l’islam dans le monde
contemporain (Cismoc-UCL).
La compréhension des populations musulmanes suscite des difficultés. Les enjeux
politiques, la prépondérance des lectures
idéologiques associées à l’islam, les violences internationales, les crispations autour
d’interminables débats comme ceux du
foulard, des caricatures, font écran à l’analyse du quotidien. Parfois même, le regard
sur le quotidien et le vécu de nombreux
musulmans confondent des adhésions, des
pratiques, des modes de vie issus de traditions et de coutumes, en provenance de
zones rurales marocaines ou turques avec
des pratiques « musulmanes », entendues
au sens religieux.
Or les transformations du vécu sont, à plus
d’un titre, devenues manifestes. De plus
en plus on s’interroge sur ce que signifie
« être musulman belge », vécu comme
réalité subjective, comme reformulation,
comme choix personnel qui a une autonomie relative par rapport à l’héritage culturel et familial. Les musulmans belges et
européens opèrent des reconfigurations
créatives de leurs appartenances. Être musulman belge est un état réactualisable en
permanence, et cela concerne particulièrement les jeunes générations.
32
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23
dossier Être musulman belge : entre élaboration identitaire et devenir Farid El Asri
Il étAIt « unE FoI »…
L’islam d’aujourd’hui hérite de l’histoire
d’une présence qui, depuis quarante ans,
cherche sa voie au sein de cette nouvelle
complexité, qui se superpose à celle de la
société belge. Des personnes de première,
seconde et troisième générations, sans
oublier les convertis, sont passées par le
tamis de mutations sociales, se sont investies dans des organisations, ont entamé
des travaux de réflexion visant une recontextualisation des sources religieuses, ont
tenté d’établir des ponts transculturels,
ont reformulé leurs identités.
Du point de vue belge, dans les années
septante, les musulmans sont discrets,
voire invisibles. Ensuite, vêtements et
enseignes de commerce, qui rappellent
d’autres pays, introduisent dans l’espace public une note « exotique ». Le
grand tournant du monde musulman de
la deuxième moitié des années septante
ainsi que la révolution de Khomeyni posent la question de l’islam politisé. Dans
les années quatre-vingt, les images des
révolutions en Iran prédominent dans
les médias, entrainant l’assimilation
de l’islam à l’intégrisme. Cette période
constituera une charnière pour un certain
nombre de parents, qui reviennent à une
pratique plus explicite de l’islam.
La décennie allant de la fin des années
quatre-vingt à la deuxième moitié des
années nonante constitue une parenthèse.
Les médias se font moins acerbes, à la suite
de la victoire du Vlaams Blok en 1989 et
de la vitalité organisationnelle d’un leadeurship musulman émergeant au sein de
la communauté. L’institutionnalisation de
l’islam mettant en place un organe chef
de culte contribuera à activer des clivages nouveaux. Suit alors une période
de surinvestissement sur la question de
l’islam, tant dans les médias que dans les
associations et les recherches académiques. Les frappes du WTC exacerberont le
débat en rattachant l’islam local à l’islam
mondial…
Pendant cette période, les questions qui
ont émergé, comme problèmes publics,
pour les non-musulmans certainement
et, en partie, pour les musulmans, comportaient deux aspects majeurs. D’une
part, l’islam politique et l’inquiétude face
aux extrémismes se traduisent par des
préoccupations sécuritaires ; d’autre part,
l’organisation et l’institutionnalisation de
l’islam. Les deux questions ont d’ailleurs
été en partie liées : un islam institué
d’après la loi de financement des cultes
constituerait un rempart contre les dérives politiques.
Cette attention parfois obsessionnelle des
uns et des autres n’a pas permis de voir la
profondeur du travail qui a tenté de reformuler les identités et transformé le vécu
intime de l’être musulman.
DE proFonDEs trAnsFormAtIons
Ces transformations se sont effectuées
par le biais d’un rapport privilégié aux
textes de références de l’islam qu’on
essaie d’expliciter et de relire. Dans ce
travail, quelques intellectuels emblématiques, comme le cheikh Sadik Mohamed
Charaf, ont joué un rôle essentiel. Cet
Azharite égyptien a vécu au Togo avant
d’arriver en Belgique en 1973 où il a ré33
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larevuenouvelle, n° 9 / septembre 2007
sidé jusqu’à son décès en 1993. Les vingt
années de son implication en Belgique,
dans le Benelux et dans toute l’Europe,
ont eu des répercussions profondes dans
le devenir des musulmans. Quinze ans
plus tard, il demeure une figure importante pour les musulmans, même si son
héritage n’a pas encore fait l’objet de publications. Cette méconnaissance est un
signe de l’écart entre la vie de la communauté musulmane et l’image qui en est
donnée. Le cheikh marocain Hassan Ben
Siddiq, membre d’une famille à la renommée internationale, fait également office
d’autorité religieuse incontestable. Ses
prêches et enseignement à la Mosquée et
à l’Institut du Cinquantenaire ainsi que
sa présidence du Conseil des théologiens
constituent son apport le plus visible.
Des figures locales telles que des imams
charismatiques, des personnalités actives
ou des acteurs associatifs ont également
apporté des contributions significatives.
Ainsi, la position de réseaux ou de structures européennes tels que le Conseil
européen de la fatwa et de la recherche
autorisant le recours à l’emprunt pour
l’achat d’une maison, interdit en principe
par l’islam, est significative de la réflexion.
D’autres intellectuels européens prennent
aussi position sur diverses questions et
des leadeurs émergent parmi les générations montantes. Par ailleurs, un travail
autonome, de l’ordre du bricolage individuel ou en groupe, s’opère. Universitaires,
militants associatifs ou conférenciers réfléchissent, parfois en autodidactes, sur
les textes fondateurs et le rapport qu’ils
entretiennent avec eux ainsi que sur le
devenir de l’islam en Belgique.
Si on résume, la réélaboration identitaire
des musulmans et, plus particulièrement,
des jeunes, s’appuie, en plus de l’engagement social, sur trois dimensions.
lA prAtIquE DE lA rElIgIon
Tout d’abord, la pratique de la religion traduit en comportement ce qui relève de
la foi. Elle s’exprime à des degrés variables, et des pratiques semblent être plus
suivies que d’autres. Le nombre de mosquées a doublé en vingt ans, mais il reste
malgré tout insuffisant. La place ainsi que
l’implication des femmes au sein des mosquées sont importantes, notamment l’alphabétisation de « mamans » de première
génération. La pratique peut être qualifiée
d’irrégulière et la prière quotidienne est,
par exemple, beaucoup moins suivie que
le jeûne du Ramadan. En effet, le rythme
des cinq prières par jour complique la vie
active. La prière ressortit davantage à une
motivation individuelle.
Toutefois, il semble que l’on assiste à
un éveil de la spiritualité, de la pratique
et du sentiment d’appartenance à une
communauté spirituelle plus vaste. Les
démarches collectives et occasionnelles
attirent davantage. Les puissants catalyseurs que sont les fêtes du Sacrifice et de
fin de Ramadan, la prière du vendredi, le
jeûne du Ramadan ainsi que les pèlerinages annuels à La Mecque montrent, d’une
part, la vitalité des pratiques et, d’autre
part, leur reconstruction dans le contexte
belge.
Pour ce qui est des fêtes, tant les enfants
que les parents les voient comme un jour
spécial à aménager dans l’agenda. Hier,
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dossier Être musulman belge : entre élaboration identitaire et devenir Farid El Asri
les musulmans vivaient leur religion sans
se poser de questions, discrètement et
très souvent, dans l’indifférence de leurs
concitoyens. Aujourd’hui, les choses ont
changé : certaines pratiques soulèvent des
interrogations parfois perturbantes. Ainsi
lors de la fête du Sacrifice, dite « Kurban
Bayram » en turc ou « Aïd Al Adha » en
arabe, la question de l’abattage du mouton monopolise l’attention, suscite des
polémiques au point d’occulter la fête
elle-même.
On peut souligner des comportements
divers : l’important taux de suivi des
émissions religieuses sur les chaines
paraboliques, la grande vitalité des mosquées et des librairies qui enregistrent
une grande affluence, le grand nombre
de conférences, l’organisation de plus
en plus structurée pour la protection des
pèlerins, l’investissement dans les causes
humanitaires, l’engagement plus intense
dans la pratique, etc.
lA normE
La deuxième dimension de la reconstitution identitaire concerne la norme. Les
référentiels islamiques sont mobilisés
comme ressource de sens et comme mode
d’expression de celui-ci. Ces discours
cherchent à identifier les référents identitaires qui font la spécificité musulmane
et la possible latitude qu’ils laissent pour
se situer dans l’espace culturel et civilisationnel contemporain. L’intériorisation
de la norme juridique par les musulmans
crée des intersections entre les sphères
traditionnelles héritées, le monde environnant et la référence à l’islam.
Des interrogations se posent quant au fait
de savoir quelles sont les pratiques licites et celles qui ne le sont pas aux yeux
d’une interprétation religieuse. La présence musulmane dans un espace où elle
est démographiquement minoritaire pose
des questions nouvelles qui touchent le
quotidien, la culture, la vie familiale.
À cet égard, des notions d’un autre âge,
qui ne relèvent pas de la norme, avaient
classé le monde en deux catégories : le
monde de l’islam et celui du non-islam.
Où classer l’espace européen ? Si l’espace
européen est celui du non-islam, alors
le rapport à ses institutions pose problème. La participation à la vie sociale s’en
trouverait réfutée, ce qui encouragerait
le repli. Les lectures les plus tranchées
pencheraient vers l’illégitimité de la présence et de l’implication musulmanes
et les pousseraient au départ. Dans les
années précédentes, ces conceptions obsolètes, dont il subsiste des survivances,
ont troublé le devenir d’une présence sereine en Europe. Aujourd’hui, il y a un
consensus parmi les musulmans sur la
légitimité de leur présence en Europe et
sur la Constitution comme référence qui
permet et garantit de vivre et de pratiquer
librement leur religion. Mais à l’intérieur
de ce cadre, les musulmans s’interrogent
sur leur manière d’être musulman au
quotidien.
Les questions sont nombreuses. Elles vont
de l’implication politique à la sexualité en
passant par la finance, la gestion du troisième âge et la nourriture. Ainsi voit-on
se multiplier les initiatives commerciales
d’offre de produits Halal, qui souffrent
35
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toutes de la question de déterminer l’instance légitime qui peut garantir si un produit est propre à la consommation. Des
associations apparaissent et se fédèrent,
mais la tâche est aussi épineuse qu’ardue et le paramètre opportuniste de la
conquête de nouveaux marchés n’est pas
à ignorer.
1
Voir El Asri Farid,
« Au croisement des
mondialisations :
le cas du chanteur
Sami Yusuf »,
dans Recherches
sociologiques et
anthropologiques,
Louvain-la-Neuve,
volume XXXVII, n° 2,
novembre 2006,
p. 79-91
Depuis quelques années, dans les codes
vestimentaires, notamment féminins, se
dessinent des modèles de tenues mariant
un style qui plait aux yeux et à Dieu. Mais
l’équilibre entre l’esthétique et l’éthique
n’est pas toujours trouvé. On oscillera
ainsi entre le proche-du-corps et l’extralarge. Aussi, vu le peu de concurrence, le
risque existe d’uniformiser l’apparence
des musulmanes qui s’habillent aux
mêmes enseignes. Beaucoup se construisent donc leur propre style et promeuvent
une créativité individualisée.
Les questions concernent également des
choses aussi courantes que la musique :
on s’interroge sur son caractère licite puisque des théologiens imposent, depuis des
siècles, des interdits ou des restrictions
en raison de leur lecture des références
coraniques et prophétiques. D’autres défendront la position inverse sur la base
d’arguments puisés aux mêmes sources.
Une troisième voie mettra des conditions
très précises. À l’heure des confluences
culturelles, des Belges musulmans se
penchent sur des genres nouveaux. On
entendra, par exemple, des musiques
traditionnelles réactualisées ou des recodifications puisant dans les répertoires
esthétiques contemporains.
l’ExprEssIon culturEllE
La troisième dimension passe par l’expression des musulmans. On entend par
là, l’émergence, cette dernière décennie
surtout, d’une intense visibilité de produits culturels : films, chants, livres pour
enfants, musique, théâtre, expositions…
Il s’agit notamment de produits divertissants, artistiques ou didactiques qui
ont été sélectionnés pour leur conformité
à une éthique de la consommation musulmane (pudeur langagière des paroles
de chansons, films avec un sens ou une
moralité, absence d’images ou de scènes
jugées obscènes…). De plus en plus, des
créations musulmanes sont produites
pour les consommateurs de ce nouveau
marché1. Bon nombre de ces produits sont
désormais de création et de distribution
locales et l’éclosion en Europe, ces cinq
dernières années, de maisons de production au répertoire islamique aide à traduire la demande du consommateur. Des
artistes musulmans font également appel
à un répertoire qui ne fait pas nécessairement écho aux références musulmanes :
ils mettent, par exemple, en avant des
valeurs communes comme la paix ou la
justice. Par cette omniprésence du sens
dans la culture se construit sans doute un
processus d’identification inédit au cœur
de la réalité européenne.
DIvErsIté DEs lEcturEs
La recherche de référents identitaires est
prégnante, mais elle suscite aussi des réticences de la part de certains courants.
Car, comme dans toute religion, se pose
la question de la justification des choix
en fonction de la lecture qui est faite des
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dossier Être musulman belge : entre élaboration identitaire et devenir Farid El Asri
textes fondateurs d’où découlent des attitudes et des positions à l’égard du monde
environnant. Les réponses se font diverses en fonction de la méthode d’approche
du texte.
Dans le rapport aux textes et au monde,
trois grandes clés de lecture se juxtaposent, voire cohabitent en Belgique et en
Europe. On pourrait les qualifier de transition, de distanciation et de synthèse. Ces
approches sont en connexion avec les
traditions culturelles musulmanes et avec
des dimensions issues du contexte européen non musulman.
Notons que les schémas présentés ci-dessous synthétisent une tendance dominante, mais chaque lecture comporte ses
variantes et les adhérents peuvent partager
une vision sans la vivre concrètement.
lA trAnsItIon
Dans des organisations traditionalistes
telles Jamaa’at at-Tabliqh, étudiée en
Belgique dès la fin des années quatrevingt, l’islam est pragmatique et simple. En font partie des personnes qui
reviennent à la pratique religieuse en
quête d’une prise en charge de la pratique cultuelle autant que d’une culture
du partage communautaire. Elles passent
d’abord par le groupe pour découvrir un
moment prophétique artificiellement reconstitué dans la simplicité de la pratique
et de la vie. Ensuite, l’immersion intensive dans la collectivité, avec parfois des
retraites de plusieurs mois, qualifiées de
« sortie dans la voie de Dieu », fait place
à un retour à la vie de tous les jours. Une
fois l’individu culturellement autonome,
il rompt avec la dynamique forte du
groupe. Les fidèles quittent parfois définitivement ce prêt-à-prier issu d’un islam
qui entend outiller le quotidien. Cela
s’explique par l’atrophie de l’implication dans les champs politiques, sociaux,
citoyens, et l’exacerbation du rituel. Au
fond, désengagés des défis de la société,
ils restent pieds joints dans la lecture traditionnelle d’école. Ces dernières années
le mouvement parait s’être quelque peu
essoufflé, à Bruxelles notamment.
Une autre approche, qui pourrait être
considérée comme transitoire, est celle des
courants « salafis », littéralement les suiveurs des salaf, c’est-à-dire les compagnons
du Prophète ainsi que les musulmans des
trois premières générations de l’islam.
L’approche des salafis est littéraliste et ils
s’opposent méthodologiquement à toute
réflexion sur le sens ou l’objectif du texte
qu’ils considèrent comme des « dérives »
d’interprétation. Il s’agit d’un rapport de
premier degré au texte, d’un prêt-à-penser
qui refuse toute implication dans la société. La rupture avec les défis de la société place ces adhérents dans une relative
volatilité. Le salafisme est donc une lecture de transit, car elle n’est confortable
que pour des célibataires ou des familles
en retrait. Les choses se corsent avec la
constitution d’une famille au moment où
la société contredit l’illusion d’une cité
idéale bâtie dans le repli.
Elle est aussi transitoire parce qu’elle est
un tremplin qui répond de manière claire
aux attentes des jeunes qui acceptent temporairement une remise en ordre par une
prise en charge globale. Mais la nécessité
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de se construire ainsi que le simplisme
et la démagogie de certaines réponses finissent par nuancer le rapport au courant
salafite.
lA DIstAncIAtIon
Les espaces soufis belges sont des zones
de distanciation momentanée avec l’agitation du monde et son apparente attraction. Le soufi rompt avec la mondanité et
promeut un ressourcement spirituel ou
fraternel lors de liturgies ou de rencontres avec les initiés. Cette distanciation
est souvent le fait de personnes fort actives dans la société. Elle est davantage
un « pas de côté » pour une activation de
l’expérience du rapprochement du divin
qu’un désengagement.
Paradoxalement, car presque à l’opposé
des croyants du cœur que sont les soufis,
on rencontre les tenants d’un rationalisme
qui se qualifie de musulman. Ils critiquent parfois les textes de réformistes libéraux, d’humanistes, de laïques, certains
se disant même agnostiques. Minoritaires
dans le paysage, ils sont pourtant très
médiatisés et sont souvent pris comme
interlocuteurs privilégiés par différentes
instances. Les rationalistes partent du modèle occidental comme référence de base.
Ils invoquent la primauté de l’individu
et rejettent la pratique dans le privé qui
est souvent limitée à une expression spirituelle volontariste. Ils privilégient une
visibilité de l’islam civilisationnel plutôt
que cultuel. Ce qui les caractérise, c’est
la distanciation à la lettre du texte coranique et parfois au texte même. Certains
mettent entre parenthèses la notion de la
révélation dans la lecture du Coran, qui
est alors considéré comme un ouvrage
littéraire jailli de l’histoire. Une dernière
distanciation est celle qui est faite par
rapport aux croyants musulmans. Prônant
une assimilation à la société sécularisée,
ils voient d’un mauvais œil la forte visibilité de leurs coreligionnaires dans la
sphère publique. Il y a là une sorte de définition permanente de soi par une mise à
distance de l’autre.
lA synthèsE
Une quelconque convergence avec les
deux premières dimensions parait impossible. L’approche dite réformiste tente
pourtant l’exercice en extrayant l’essence
de chacune des lectures. Elle aspire à la
nécessaire éducation spirituelle des soufis, au raisonnement dans le rapport aux
références et aux enjeux des rationalistes,
à une pratique vivante selon le modèle
prophétique des traditionalistes, à une
référence aux premières générations musulmanes et à un rapport au texte des salafis. La pensée réformiste cherche à créer,
par l’outil de l’ijtihad (« effort »), des intersections entre le texte et le contexte
mouvant. Son succès est dû, en partie, à
sa capacité de rencontre avec un certain
nombre de domaines qui touchent à la
vie des musulmans et à la cohérence avec
laquelle s’élabore son argumentaire religieux. C’est l’objectif du texte coranique
ou prophétique qui est recherché en priorité ; viennent ensuite les modalités de
son application dans la réalité.
Entre ces différentes positions se dessinent
des formes de rivalité, mais conjoncturellement une sorte de coexistence semble
plutôt émerger. Ces démarcations de mé-
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thodes et de pensées font toutes appel aux
mêmes sources. Elles ne peuvent toutefois
être classées en modérées ou en radicales,
ou en « bonnes » ou « mauvaises » voies.
Les réalités sont plus complexes et ruinent toute tentation de simplisme.
Depuis une quinzaine d’années, tous ces
courants proposent des conférences, diffusent des supports écrits et audio. Après
une période de traduction d’ouvrages
classiques, on est passé à l’importation de
références françaises, notamment, puis à
l’apparition d’auteurs locaux. La plupart
sont des éditions de mémoires, de pamphlets moraux ou de guides des bonnes
pratiques. Il s’agit de fait de balbutiements qui nécessitent une orientation
critique, car beaucoup se laissent aller
à des vulgarisations commercialisables
sans pour autant constituer des œuvres
fondamentales dont le marché a besoin.
En effet, un vaste champ d’études reste à
explorer, à penser et à éditer. Se dire reste
vital. La culture, la mémoire, l’imaginaire,
l’esthétique, la norme, la citoyenneté,
l’interreligieux, la spiritualité sont autant
de pistes ouvertes à la réflexion.
un IslAm loIn DEs clIchés
Comme pour toute réalité sociale, celle de
l’islam chemine, change, se construit dans
les débats, par essais et erreurs. À l’encontre d’une image monolithique et figée
de l’islam, souvent véhiculée, il importe
de prendre en compte ces multiples pulsations, de saisir les tendances qui voient
le jour. Cela suppose une connaissance de
l’intérieur qui ne soit pas celle de clichés
et qui ne se braque pas sur des épiphénomènes, l’écume, qui restitue mal le devenir des grands courants. n
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Je suis Charlie, un peu, beaucoup, …. ou pas ?
Les vagues de représentations contemporaines du Prophète de l’islam confirment la structuration de perceptions
réciproques déformantes. Ainsi, la contemporanéité traduit un conflit sémantique de l’image aux issues dramatiques. La lutte engagée porte dès lors sur le droit au maniement des symboles, par le dessin et la satire, et sur la
responsabilité qui découle des actes d’opinions. Les régimes du signifié et du signifiant, d’un référentiel religieux, et
la liberté d’action et d’interprétation du sens restent entièrement questionnés.
1. Champ de mines de crayons
La forme primaire de l’expérience du temps illustre toujours l’évidence d’un avant au présent. Ainsi, la tragédie des
événements parisiens du 7-9 janvier 2015 frappe dans nos consciences avec un arrière-goût de déjà-vu. Le contemporain présenterait une sorte de mythe de Sisyphe autour de la question de la caricature du Prophète de l’islam.
En effet, le scénario des premiers traits satiriques de Muhammad était déjà engagé, en 2006, par le quotidien danois
Jyllands-Posten ; avant de résonner auprès de relais satiriques en France. L’idée était de défier le « tabou » de la
non-représentation du prophète, depuis l’assassinat de Théo Van-Gogh aux Pays-Bas en 2004. L’embrasement fut
alors planétaire et portait le choc de drapeaux brûlés, le boycott de produits danois et l’hystérie de manifestants à
niveau jusqu’alors inégalé. Les morts se comptaient par centaines et les édifices de cultes chrétiens en Afrique où
les bâtiments diplomatiques danois subirent le saccage de foules en transe. C’est un imam d’Aarhus au Danemark,
relayé par des instances au Liban, qui fut le chef de file de cet embrasement. Parallèlement, les institutions musulmanes de France portaient cette affaire, de façon plus démocratique, devant les tribunaux. Charlie Hebdo était alors
déjà en cause pour avoir muté en caisse de résonnace et en soutien aux caricaturistes danois. Ils illustrèrent donc
les 12 images et qui furent réceptionnées comme une « défiance » et une « déviance » à la morale de beaucoup de
croyants musulmans. Le « choc des photos » supplantait ainsi le « poids des mots » avec une portée internationale.
Une bombe dans le turban, des vierges sur un nuage et un barbu exalté à l’épée saillante, voilà donc des clichés à
la communication redoutable. Le pakistanais, l’iranien et le musulman italien s’improvisaient à loisir comme sémiologues de l’offense.
Notons que durant le Ramadan 2012, la sortie d’une série télévisée produite par la MBC1 sur le calife Omar a également suscité de vives polémiques, avant d’entrer progressivement dans les foyers et connaître un succès d’audition considérable. Ce fut une révolution dans le monde sunnite où l’un des plus proche compagnon du prophète
se trouvait incarné par un acteur. Sauf qu’au même moment, le film américain antimusulman « The innocent of
Muslims » s’annonçait outrancièrement sur la toile. Réalisé sur la forme, dans la droite ligne de mauvaises séries Z,
par un copte égyptien aux USA, la résonnance du « film » n’en fut pas moins puissante. Elle engrangea de grandes
mobilisations à travers le monde et la fraicheur de la colère était intacte. Des images de provocations mal-faites et
presque improvisées avaient malgré tout réussi à produire un tas de clichés de désolations et de morts. La colère
n’en finit pas de croître, encore et encore, face à un Occident jugé suffisant et qui se permettait de cracher en sus
sur les fondements de ce qui fait encore sens dans une partie du globe. L’effet des tensions sur les symboles était
atteint et les identités à fleur-de-peau se réaffirmaient dans la globalisation.
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Je suis Charlie, un peu, beaucoup, …. ou pas ?
Quelques années plus tôt, c’est la chute du mur de Berlin et l’affaire Rushdie qui préoccupèrent l’actualité en 1989.
Salman Rushdie venait de romancer le prophète au travers de son imagination débordante et considérée comme
insupportable pour les critiques musulmanes. Au travers d’une mise en scène jugée comme une atteinte à l’intégrité et aux nobles mœurs du Prophète, l’émotivité le disuptera rapidement à l’insupportable. Depuis, une fatwa
de Damoclès pèse toujours sur la tête du romancier d’origine musulmane.
Mais la genèse de la polémique, portant sur la représentation du Prophète de l’islam en Occident, remonte jusqu’en
1977 aux Etats-Unis. Le réalisateur Moustafa Akad, mort dans un attentat à Amman en 2004, venait de diffuser son
biopic sur Muhammad : « Le Message » avec Anthony Queen et Irène Papas comme icône du cinéma international.
Tout en respectant la non représentation du Prophète et de son entourage le plus proche à l’écran, et tout en ayant
été cautionné par de grandes instances religieuses sunnites et chiites, ceci n’empêcha pas des émeutes d’éclater
aux alentours des salles de projection à Washington et même l’organsiation d’une prise d’otages par un groupuscules radical des Blacks Muslims. Le scénariste supposé d’origine juive était accusé d’infiltrer le projet afin de nuire
à l’image du Prophète et la peur de voir utiliser ce support pour entaché le symbole de l’islam a suffit de mettre le
feu au poudre. Aujourd’hui, le biopic est presque dans tous les foyers musulmans et constitue un support central
d’initiation à l’islam et de pédagogie au sein des institutions musulmanes.
La représentation du Prophète touche à une problématique qui repose sur une série de référentiels moraux et
qui veille à ne pas entacher le statut du prophète par une incarnation limitant le champ de la représentation dans
l’imaginaire. Le deuxième frein est bien entendu l’évitement de la représentation comme risque à l’idolâtrie. Seuls
les Talibans ont effacés ce risque avec de la dynamite, éradiquant les statues de Bouddha en mars 2001 à Bâmiyân.
Sinon, le débat du risque d’idolâtrie est caduc et la représentation est à éviter tant que faire se peut. Les miniatures
persanes et les affiches où peintures représentant le prophète sont là pour en témoigner.
Le vrai débat des caricatures portait donc sur l’opinion cachée derrière l’expression et sur le côté satirique de caricatures réactualisant les deux marqueurs imputés à l’islam depuis le 8ième siècle par l’Eglise médiévale : la violence
et la sexualité permissive. Et comme dirait un islamologue de renom en Belgique, on oscille toujours dans les clichés
de l’islam en Europe entre « la Fatwa » et « la Fatma ». L’offense porte donc sur l’obsénité de figures sacrées et le
déni par le contenu plutôt que sur le blasphème de forme. Mais le crime sans nom perd toujours tout argument.
2. Prévenir la radicalisation
Les récents événements en France ont ouverts une dangereuse boite de Pandore. Dix-sept morts et plus de deuxcents actes antimusulmans comptent déjà, en moins d’un mois, dans le palmarès de l’extrémisme et de l’amalgame.
L’empathie collective a été forte et a redonné un brin d’espoir dans un climat tendu. Il s’agit à présent de comprendre pour dépasser.
Le décodage des pratiques et des discours musulmans continue de faire défaut, autant que les apports pragmatiques permettant de dépasser les climats de méfiances réciproques et les controverses stériles. Prenons d’abord
comme un état de fait majeur l’idée que les Musulmans sont définitivement sortis d’une logique migratoire nous
apparaît centrales. Les Musulmans sont là pour rester et beaucoup sont d’ailleurs des européens de naissance. Le
bon sens nous pousse à agir en conséquence de la réalité européenne dans son changement.
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Les défis que pose la présence musulmane en Europe sont importants et touchent de nombreux pôles de la société.
Des pratiques religieuses qui interrogent les limites de la neutralité dans l’espace public, de la liberté de culte et
d’expression, du respect des symboles de foi et des droits aux blasphèmes, jusqu’aux expressions les plus radicales
du religieux exposent la palette des réflexions qu’il est urgent de mener au sein de la société. De plus, le facteur
démographique densifie la visibilité de l’islam ainsi que les débats identitaires et les passions ou dérives qui en
découlent. Il peut en émaner, en sus des aménagements pratiques, des tensions inédites fragilisant tout l’équilibre
social, et jusqu’à réinterroger l’essence qui fonde le vivre-ensemble. L’interférence des actualités internationales
dans le quotidien des citoyens et la localisation, en plein cœur de Paris, d’un extrémisme sanguinaire achève le
processus de la peur cadencée.
Il en découle un précédent troublant où se renforcent les thèses extrêmes, les sacrifices de la citoyenneté sur l’autel
des communautarismes et décomplexe les populismes les plus vifs sont décomplexés. Des politiques et des médias
pointent, dans une évidence déconcertante, le slogan, « sans définition fixe », de l’intégration. Ils le traduisent d’ailleurs, en plein janvier 2015, par l’échec. Un politique flamand a même brandit le Coran dans une hémicycle politique
en le qualifiant de « Licence to kill ».
Les sociétés ouest-européennes possèdent une population d’origine musulmane importante et le défi consiste à
composer avec une majorité tout en faisant face aux outsiders menaçants qui peuvent exister en son corps. L’Europe attend donc, plus que jamais, des pistes concrètes et constructives pour endiguer les carences du savoir-faire.
Car il faut malgré tout continuer d’avancer sereinement dans l’avenir et notamment sur la résolution des problèmes dans leur complexité et la question de la prévention à la radicalisation est un des éléments qui compose la
boîte-à-outils.
Des instruments pour une politique efficace et adaptée à la prévention des actes radicaux qui se réfèrent à une religion, en l’occurrence à l’islam, peuvent s’envisager sans créer de la confusion, de l’essentialisation ou de l’amalgame.
La Belgique est l’exemple même des pays européens les plus concernés par ce phénomène : elle est perçue depuis
quelques années comme le lieu d’épanouissement des thèses djihadistes et le point de départ d’opérations violentes
à l’étranger. De plus, l’attentat du Musée juif perpétré par Mehdi Nemmouche, le procès du groupe Sharia4Belgium
à Anvers, les secousses récentes à Verviers et les interpellations sur Bruxelles ont reposés avec force la question
des moyens mis en œuvre pour prévenir les dérives violentes à caractère religieux. C’est toute la matrice des institutions religieuses, éducatives, des relais sociaux et culturels et des politiques qui sont notamment questionnés.
A cet égard, le politique ne peut plus limiter son action à la seule répression, par exemple, et cela pour plusieurs raisons. La première tient à la relative efficacité de la démarche répressive au vu des moyens financiers considérables
qui y sont alloués depuis des années, tant au niveau national qu’européen. De ce constat découle une deuxième raison : plus le politique se désintéresse de la prévention à la radicalisation – autrement dit, plus il délègue cette question hautement sensible à des instances communautaires peu outillées à y faire face (famille, religion)- plus il ouvre
la voie au renforcement des positions extrêmes qui tirent leur succès de l’instrumentalisation des actes radicaux et
violents. Enfin, en troisième lieu, la non-prise en charge de la question des départs en Syrie et en Irak, notamment,
peut contribuer à nourrir chez les familles, les enseignants et les travailleurs sociaux livrés à eux-mêmes d’intenses
sentiments de désespoir et de frustration, ainsi qu’un ressentiment profond à l’égard du politique, dont l’inaction
pourra être interprété comme le signe d’un manque d’intérêt pour la dimension humaine et sociale du problème.
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Aussi, la prévention de la radicalisation idéologico-religieuse devrait être l’objet d’une réelle prise en charge politique. Toutefois, un examen attentif des différentes solutions de prévention testées chez nos voisins européens
fait apparaître que seules des formations à la détection d’une radicalisation déjà en marche sont jusqu’à présent
proposées. Le temps long de l’éducation jouera certainement comme facteur de prévention aux dérives. Promouvoir une éthique de la responsabilité c’est inciter à réinvestir prioritairement dans l’enseignement.
3. La craie et la règle du changement
Les défis que pose la présence musulmane en Europe sont importants et touchent de nombreux pôles de la société
qu’il est désormais urgent de mener avec les enseignants : une palette de réflexions qui touchent aussi bien aux
pratiques religieuses qui interrogent les limites de la neutralité dans l’espace public, jusqu’aux expressions plus
radicales du religieux nécessitent un pas de côté pour la formation. L’enseignement public possédant en son sein
une population de confession musulmane importante, souffre notamment d’une carence de pistes concrètes et
constructives pour avancer sereinement dans l’avenir et ceci passe par la formation. Le décodage des pratiques et
des discours musulmans fait défaut, autant que les apports pragmatiques permettant de dépasser les climats de
méfiances réciproques et les controverses stériles.
Ainsi, la formation revêt une place centrale dans les priorités d’accompagnement des enseignants et de leurs questionnements à vif. Ces derniers, qui sont au plus près des publics sensibles aux questions du radicalisme, attendent des réponses adéquates et des grilles de compréhension des réalités de l’islam européen. La formation des
accompagnateurs de première ligne des jeunes générations apparaît donc comme cruciale, surtout au regard des
attitudes et des risques des discours extrêmes en circulation.
Notons que depuis la fin des années 1960 déjà, des écoliers d’origine musulmane fréquentent les bancs d’écoles des
pays européens. Cette présence inédite de l’islam, dans les établissements scolaires en contexte nouveau, ne posait
pas les questions qui nous interpellent aujourd’hui. Les publics, les enjeux, les environnements médiatiques et les
proportions ont changés.
Nous avons affaire, ici, à un défi générationnel important et qui demande des scénarios prospectifs insufflés par
une fine connaissance du terrain et de ses enjeux. Notons qu’il reste peu d’options citoyennes de sortie de crise et
les climats dus à une démocratisation de l’accès aux flux de données (à ne pas confondre avec la saine compréhension des faits) ne facilitent pas les choses. De nombreuses question pendent sur le bout des lèvres de beaucoup
d’acteurs musulmans et non-musulmans et elles sont le résultat d’un déficit en matière de connaissances et donc
de compréhension. Ce qui a pour conséquence d’accentuer les mal-réponses, voire de renforcer les impasses d’un
vivre-ensemble exigeant et harmonieux. Convaincu que le caractère inédit et urgent des départs en Syrie et en Irak
ne doit pas conduire à produire des solutions d’urgence qui ne règleront pas le problème de fond, il convient de
recourir à des méthodes pédagogiques précises, notamment en offrant des espaces de compréhension des enjeux
en cours et qui sont adaptés aux acteurs de l’enseignement.
Ces méthodes de prévention s’inscrivent dans une logique de lecture complexe du fait religieux en Europe et d’anticipation de la radicalisation ou de l’acte violent qui la caractérise. La prévention requière une expertise transversale s’articulant au croisement de l’histoire, de la sociologie et des sciences islamiques.
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La sortie de crise passe par une maitrise cognitive des référentiels et des terrains socio anthropologiques. Dépasser les blocages c’est passer par de la connaissance pluridisciplinaire (histoire, sociologie des religions, théologie) nécessaire à la mise en œuvre d’un programme de prévention global. A ces savoirs théoriques s’ajoutent
une expérience de terrain reconnue dans le champ pédagogique, la sphère religieuse et les milieux dits radicaux.
L’approche de cette expérience se doit d’être un espace de formation rigoureux interagissant aussi bien avec la
sociologie de l’islam, l’histoire des religions, l’islamologie que les questions liées à la géopolitique globale. Arrêter
un enfant de huit ans pour refus d’une minute de silence est un non-sens pédagogique et un aveu d’impuissance.
Il s’agit de faire appel au bon sens et à la restauration de la confiance. L’école est avant tout un espace de dialogue,
mais il n’est plus le seul espace de connexion à la connaissance.
Conclusion
Nous traversons donc une crise majeure qui constitue un terreau favorable à l’entretien des imaginaires confirmés
par la violence du réel. La probité intellectuelle exige une prise de position pour dénoncer, par principe, les dérives
existantes où les tragédies de l’actualité. C’est pourtant dans ce climat de turbulences accrues que doit germer le
dialogue qui fait front autant à la ghettoïsation de certaines lectures qu’à la méfiance entretenue à l’égard de l’autre. De part et d’autre des rives de la perception, il convient de faire appel à la nuance et à la complexification des
réalités. Le rôle des médias, dans le dialogue entre les mondes, est en ce sens central. La dialectique entre éthique
de conviction et éthique de responsabilité reste pleinement engagée, à fond.
Pour dépasser le piège des blocs, poser l’impératif d’un dialogue productif, visible sur le terrain du quotidien et non
pas circonscrit au partage de conceptions théoriques en rupture avec l’espace environnant, il faudra éduquer à
l’altérité. En effet, à l’heure où la binarité du monde semble gagner du terrain, il convient de plaider pour une démarche de rencontre transformatrice. Promouvoir un réenchantement de la rencontre avec l’autre, sans angélisme
stérile ni diabolisation à tout va. Une rencontre d’écoute qui sera un rameau constitutif d’un vivre ensemble en mutation et qui se traduit par une complémentarité de la dynamique réflexive avec l’éthique et les valeurs communes.
Nous devons bien cela aux morts tragiques et inutiles de Paris.
Dans les « Nouvelles Peurs », Marc Augé pointait du doigt que nous pressentions l’urgence mais que nous constations l’impuissance. Aussi, l’histoire du temps présent est traversée par des peurs mais également par l’espoir. Et si
la peur pas encore fini de poindre le bout du nez, il faut refuser de cesser d’espérer.
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Les origines de l’humain et sa problématique actuelle dans
Les origines de l’humain et sa problématique actuelle dans l’enseignement. Entre
l’enseignement.
Entre sciences modernes, convictions et
sciences modernes, convictions et (re)lectures du Coran
(re)lectures du Coran
Comme dans de nombreux pays, il existe en Belgique un débat entre les tenants d’une
certaine vision religieuse et, entre autres, celle de l’islam et des enseignements
scientifiques ou des pratiques pédagogiques. Le débat portant sur les origines de
l’Homme dans les écoles belges se caractérise par son aspect sensible, discordant et
imprécis.
Il est très sensible, car il confronte le domaine du savoir – la matière à enseigner – à celui
du croire des apprenants (et parfois des enseignants eux-mêmes). Il est aussi discordant
par les tensions et les conflits de loyauté générés entre savoirs scolaires et extrascolaires
(foyer familial, formations complémentaires) auxquels se trouvent confrontés, selon les
écoles, un nombre parfois important d’étudiants1. Enfin, il est imprécis parce que les
enjeux et les finalités des échanges entre les tenants de positions divergentes ne sont
jamais clairement objectivables et se trouvent en réalité plus passionnés que rationnels.
Le débat est donc complexe, particulièrement lorsqu’il s’agit d’apprenants porteurs de
convictions religieuses affirmées. Il peut concerner des élèves d’origine protestante ou
des Témoins de Jéhovah. Les élèves appartenant à l’islam ne sont évidemment pas
épargnés. Ils alimentent les séances portant sur la question des origines de l’humain par
des angles d’approche relativement inédits et ce, tant par les supports, les revendications
que par les attitudes. Nous nous limiterons, ici, au débat tel qu’il se déroule dans le
contexte musulman.
1.
Le contexte
Le programme de biologie propose, dans le cursus secondaire belge, une approche
scientifique axée sur l’évolutionnisme et le darwinisme. Cette théorie scientifique
provoque des interrogations mais aussi des résistances lorsqu’il s’agit d’assimiler la
matière et de la restituer pour une évaluation de l’apprenant2. Il peut s’ensuivre un conflit
qui alimente la crise d’autorité dont souffrent les enseignants, surtout dans les écoles à
plus forte implantation populaire.
Les arguments sont de provenances diverses : ils peuvent être exprimés ou resteront sousentendus par les étudiants en classe. Pour les jeunes musulmans, ces arguments
proviennent de la transmission familiale, là où l’existence du monde et l’origine de
l’Homme se conçoivent comme résultant d’un acte divin créateur. Ils proviennent aussi
1
2
Cf. La formation interréseaux proposée en Communauté française de Belgique aux enseignants de
religion sur « le conflit de loyauté vécu par les élèves vis-à-vis de ses pairs ou vis-à-vis de sa famille »,
FUNDP, 28 avril, 20 mai, 5 juin 2008.
http://www.fundp.ac.be/universite/asbl/interfaces/outils/creationnisme
Notons tout de même que les enseignants biologistes et normaliens en formation ne sont eux-mêmes
pas tous unanimes quant au contenu du programme portant sur la théorie de l’évolution. Cf. à ce
propos Hugues Dorzee, « Quand Darwin dérange, des futurs professeurs refusent d’enseigner la
théorie de l’évolution. Les ministres sont interpellés », Le Soir, 14 avril 2008.
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36
des discours entendus dans des associations ou mosquées, ou véhiculés par une
production de livres et d’autres outils médiatiques (dvd, cd-rom, logiciels, sites Internet).
La question se pose de manière très spécifique en Belgique francophone. En effet, dans
l’enseignement public obligatoire3, la loi prévoit un cours de religion de deux heures par
semaine. Ce cours est dispensé par des enseignants4 proposés à la désignation et à la
nomination par l’autorité religieuse5 (appelée Organe Chef de Culte). Cette autorité
établit aussi le programme et les contenus de l’enseignement. Depuis 2004, cette fonction
est assurée par trois inspecteurs de la religion islamique6 : ils ont le statut de
fonctionnaires publics relevant des ministères de l’éducation compétente. Commencé peu
après la reconnaissance de l’islam en Belgique en 1974, cet enseignement s’est
progressivement amplifié : en effet, l’organisation de ces cours est obligatoire et répond à
la demande des parents7.
En raison de la fédéralisation de la Belgique, l’enseignement relève de la compétence des
communautés linguistiques. On se limitera ici aux écoles francophones. Les cours de
religion islamique concernaient en 2005 quelque 36.747 élèves du primaire et du
secondaire pour l’ensemble des écoles relevant des institutions francophones (appelées
Communauté française). Y enseignent actuellement quelque 480 enseignants.
Les enseignants ont été recrutés par vagues successives depuis trente ans. Leur formation
est assez diversifiée : elle peut être marquée par leur appartenance à divers courants de
lecture musulmans ou, aussi, à des pays d’origine variés (avec une dominante
d’enseignants marocains et turcs). Un dernier fait mérite d’être souligné : la féminisation
de la profession est proportionnellement plus importante chez les enseignants musulmans
que chez les autres titulaires de cours confessionnels et de morale.
Ces enseignants sont en première ligne dans ce débat. Interpellés par les élèves, ils le sont
aussi par les collègues qui enseignent la biologie, l’histoire ou le français ou par des
collègues d’autres confessions.
Ils sont les dispensateurs de savoirs religieux, avec, dans le sillage de leurs cours, une
présentation des origines de l’Homme selon une conception musulmane. Ils servent aussi
d’interface entre les apprenants et les enseignants d’autres cours. Leur mission est
complexe à tous points de vue. En effet, il leur revient d’expliciter les domaines des
3
4
5
6
7
Appelé « officiel » en Belgique. Il s’agit du cycle primaire et secondaire pour un total de douze années
d’études. En communauté française, cf. http://www.enseignement.be/ En communauté flamande, cf.
http://www.ond.vlaanderen.be/Frans/
Un arrêté de 1999 dresse la liste de leurs titres requis. Le décret du 27 mars 2002 (modifié en 2004 et
en 2005) définit les cas de dérogation aux conditions statutaires. Décret relatif aux maîtres de religion
et professeurs de religion http://www.cdadoc.cfwb.be/cdadocrep/html/2002/20020327s26632.htm
Cf. Arrêté royal portant sur la reconnaissance de l’Exécutif des musulmans de Belgique :
http://staatsbladclip.zita.be/moniteur/lois/1999/05/20/loi-1999009579.html
Les inspecteurs des cours de religion islamique se chargent de la régularisation des enseignants en
possession des titres requis ou entrant dans le cadre des conditions de dérogation. Aujourd’hui la
nomination d’un nombre important d’enseignants est effective. http://reflex.raadvstconsetat.be/reflex/pdf/Mbbs/1999/09/18/63966.pdf
Au travers de l’article 24 de la Constitution, et suite à la communautarisation de l’enseignement en
1988, s’est dégagé un texte dont la mouture finale stipule que la communauté assure aux parents
d’élèves le libre choix dans un enseignement qui se veut neutre (premier paragraphe). Cette neutralité
est respectueuse des conceptions philosophiques, idéologiques et religieuses tant des parents que des
élèves. De plus, il est précisé dans la Constitution que, pour les écoles de l’enseignement public
subventionné, les pouvoirs publics proposent, lors du cursus de formation de douze années d’études, le
choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues ou de la morale non confessionnelle.
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37
savoirs ; ils doivent aussi situer le discours des uns et autres ; et, enfin, ils sont médiateurs
dans les conflits qui peuvent surgir dans une classe, là où cette question des origines
conduit ou a pu conduire à une impasse.
Couverture médiatique à l’école
Les malaises latents depuis pas mal d’années autour de ces questions sont entrés dans le
domaine public. En 2007, la diffusion d’un discours musulman sur la création a été le
catalyseur ou l’événement qui a porté sur la scène publique le débat où se confrontent les
questions de foi musulmane et celles des sciences modernes, plus précisément des
sciences ayant partie liée avec la modernité et ses cultures. Cette année-là, Adnan Oktar,
publiait le volume qui a fait et fait toujours grand bruit en Allemagne, en France et en
Belgique: Atlas de la création 8. Né à Ankara en 1956, l’auteur a signé son ouvrage sous
le pseudonyme de Harun Yahya9
Celui-ci ne fait pas mystère de ses intentions. Il les explicite dans la page introductive de
son site en version française. On ne peut être plus clair que lui lorsqu’il écrit : « La
dictature darwiniste mondiale doit s’excuser pour avoir trompé le monde entier avec ses
contre-vérités évidentes pendant 150 années »10.
La diffusion de cet ouvrage11 résolument antidarwiniste a suscité localement des
demandes de clarification. Son impact est plus symbolique qu’effectif. Il confirme
cependant, et quelquefois auprès d’une partie des musulmans, des affirmations et des
idées peu élaborées sur la question. De plus, beaucoup situent difficilement l’inspiration
de la pensée de Harun Yahya12.
Il n’empêche. L’inquiétude quant à l’impact de ces pensées sur la formation scientifique
des jeunes générations a grandi. Elle donne lieu à la mise en route de recherches sur la
situation dans les écoles : ces recherches sont confiées à l’Université Libre de Bruxelles.
Quant à l’Université de Gand – Communauté flamande de Belgique –, elle leur consacre
un budget de 200.000 euros sur quatre ans, son objectif étant de mettre sur pied un
programme d’information dont le but est de contrer les thèses créationnistes. Selon les
sondages, 20 % des flamands partagent ces thèses13.
8
9
10
11
12
13
Cf. Cet ouvrage à poussé à la mise sur pied d’un document qui à fait l’objet d’une Résolution du
Conseil de l’Europe sur le créationnisme : « Les dangers du créationnisme dans l’éducation », Rapport
Commission de la culture, de la science et de l’éducation, Conseil de L’Europe, Doc. 11297, 8 juin
2007.
Voir dans ce volume les articles de Van den Borgh et Balhan.
http://www.harunyahya.fr
L’envoi de quelque 2.000 exemplaires de cet ouvrage, jugé fort coûteux par la qualité de l’édition,
s’est fait de manière nominative en visant les universités, les écoles et quelquefois des enseignants qui
le reçoivent à leur adresse privée en France, en Allemagne et en Belgique. Notons que la parution de
ce livre a fait l’objet d’une circulaire de mise en garde en Communauté française de Belgique (Année
scolaire 2006-2007) : http://www.adm.cfwb.be/upload/docs/1994_20070323171854.pdf
Harun Yahya reste assez isolé car il synthétise avec son groupe une réappropriation discursive de la
thèse américaine de l’Intelligent Design. Ce qui constitue un cas d’école intéressant dans l’islamisation
des théories créationnistes américaines. Une position que le sociologue suisse Réda Benkirane qualifie
de cheval de Troie dans la tradition musulmane ou de nouvelle affaire Galilée. Cf. Réda Benkirane,
« De la réfutation du créationnisme en islam », in Le Courrier, 30 octobre 2007.
Jean-Pierre Stroobants, « En Belgique, le combat contre le créationnisme s’organise », Le Monde,
8 février 2008.
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Parfois la question suscite des positions très alarmistes. Ainsi, à titre d’exemple, en
septembre 2008, au moment de la rentrée scolaire en Belgique, un hebdomadaire belge,
Le Vif l’Express, titrait : « Comment l’islam menace l’école »14 et présentait un rapport
d’enquête réalisé au sein d’établissements bruxellois. Ce rapport d’enquête, intitulé
« Comment l’islam gangrène l’école » a été dirigé par Soraya Ghali. Cette
professionnelle de l’investigation grand public et « journaliste » constatait, entre autres, la
contestation du darwinisme dans les écoles. Elle épinglait notamment que : « Ici ou là,
des professeurs de sciences se frottent à des élèves contestataires, surtout musulmans,
lorsqu’ils enseignent les théories de l’évolution pour expliquer l’apparition de l’être
humain. Pour ces élèves, l’Univers et le vivant ont été créés par Allah. Ils perturbent les
cours, provoquent de l’agitation, menacent et cherchent à imposer leur vérité. Il arrive
même que des profs, à bout de nerfs, renoncent à dispenser les lois de l’évolution
darwinienne, inscrites au programme de 6e secondaire. Pis, de futurs profs de science,
d’origine musulmane, préviennent : ils refusent d’enseigner la théorie de l’évolution ! »15.
Il convient aussi de rappeler ici que cette enquête a suscité une vive indignation, tant par
le choix du vocabulaire – principalement dans les titres – que par la probité intellectuelle
avec laquelle l’enquêtrice a mené son travail. Des politiques, un certain nombre d’acteurs
associatifs et des citoyens musulmans ont pris position par rapport à ce qu’ils qualifient
de publication stigmatisante, voire xénophobe (pour les titres) et certains se sont même
tournés vers le Centre pour l’égalité des chances afin d’y ouvrir un dossier de plaintes. Le
MRAX, organisme belge de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, a
de son côté saisi à ce propos et pour ces motifs l’association des journalistes
professionnels (AJP)16.
Hormis ces événements liés à l’actualité, le défi du terrain est significatif d’un climat. Il
importe de l’analyser. D’abord, parce que les aspects anecdotiques soulignés ici et là par
l’un ou l’autre professeur témoignent d’une ambiance que tout le monde a intérêt à
élucider. Mais il y a plus : la manière dont une matière scientifique est enseignée devant
un parterre d’étudiants en résistance ou du moins en questionnement à propos de
l’enseignement de la théorie de l’évolution darwinienne est éminemment révélatrice d’un
malaise. Quand il s’agit d’éducation et de formation, il est fondamental de voir de près
comment les apprenants opèrent des différences, des intersections et des articulations
entre les différents pôles de savoirs qu’ils traversent et la manière dont ils entrent en
échange avec l’enseignant.
À ce stade, il nous semble donc tout à fait utile de jeter un regard dans l’univers des
références du discours musulman.
Pour permettre de repérer dans les sources « grand public » de l’information musulmane
sur les questions de création et d’évolution, nous avons établi ici une bibliographie : elle
est typologique, organisée par thèmes. Elle ne se prétend pas exhaustive, mais elle est
assez représentative des tendances sur la question des origines. Nous avons donc dressé
un inventaire à partir des quelques librairies islamiques bruxelloises et des sites
francophones de ventes d’ouvrages sur l’islam en ligne.
Cet inventaire appelle des compléments : ils sont centraux pour connaître les exégèses
des récits coraniques qui ont trait aux origines du monde et à celles de l’Homme. Ces
14
15
16
Le Vif L’Express du 29 août au 4 septembre 2008.
Le Vif L’Express, op. cit., p. 34.
http://www.mrax.be/article.php3?id_article=683
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interprétations traduisent la manière dont les penseurs et intellectuels musulmans situent
le fait scientifique en face du révélé. Ils font l’objet de l’analyse détaillée que je présente
dans ce volume sous le titre « Discours musulmans et sciences modernes : un état de la
question ».
2.
Discours en librairies
Les enseignants de religion islamique ne disposent pas d’un programme étayé concernant
les origines de la vie. L’inspection met à leur service un plan qui agence, dans les grandes
lignes, le schéma à suivre dans chaque cycle d’enseignement, en présentant,
sommairement, les matières à aborder dans chaque année du primaire et du secondaire.
La latitude est donc importante et la manière de présenter cette matière n’est pas
explicitement exposée. Du fait qu’elle est inévitable dans le traitement des questions de
sens, cette présentation variera en fonction du profil des enseignants. Leurs formations
respectives et la nature de leurs diplômes étant diverses, la situation ne permet pas
d’uniformiser un discours sur la question. En fonction des attentes des apprenants, du
profil de l’enseignant et des priorités établies, divers matériaux didactiques ou
pédagogique seront ainsi convoqués pour préparer les cours.
Dans les librairies islamiques, on trouve un certain nombre de supports qui traitent de la
question des origines de la vie. Ainsi des documentaires, des supports audiophoniques,
des livres ou des programmes sur ordinateur sont mis à la disposition du client et peuvent,
au besoin, répondre à l’attente de certains professeurs ou d’étudiants.
Dans le contexte européen et en Belgique, on trouve un large corpus de supports
d’auteurs musulmans consacrés à la question scientifique. Ils sont diffusés dans les
librairies islamiques, dans des magasins, dans des réunions d’associations, dans de grands
rassemblements tels que ceux qu’organise à Paris l’Union des organisations islamiques
de France au Bourget, là où se rend aussi un public belge non négligeable.
Nous avons eu l’occasion de citer une partie des outils de diffusion qui ont contribué à
l’amplification des discours musulmans contemporains. La capacité de l’édition et
l’accroissement des moyens disponibles pour publier des livres, le développement de
l’usage de cassettes, Dvd comme outils de diffusion, la multiplication des sites web, sont
autant de vecteurs qui alimentent la question. Ceci montre la vivacité de la réflexion et
l’éventail des approches respectives. Le caractère lucratif des rééditions et de
l’émergence d’un certain nombre de supports de vulgarisation ne sont pas non plus à
négliger. Aussi, le filtre de la langue reste un frein majeur : les ouvrages les plus élaborés
et les plus consistants sur la question ne sont presque pas encore traduits en français.
Nous nous centrons ici sur des livres, des cassettes, des Dvd et quelques sites web en
français : ils portent sur la question des origines et, plus spécifiquement, sur les origines
de l’Homme. Nous avons travaillé sur un corpus de 39 ouvrages, 9 cassettes (audio et
vidéo), 22 Dvd, parus depuis 1976 et faisant partie du stock vivant des librairies. Ce
corpus constitue un bon inventaire des sources dont peut disposer un musulman belge
désirant se forger une opinion autour de ces questions.
On peut sommairement les classer en cinq catégories générales.
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40
Il y a d’abord les supports qui abordent la question sous un angle essentiellement
religieux, prenant appui sur le Coran et les traditions prophétiques pour élaborer une
conception de l’univers et de l’Homme en islam. Ces références récurrentes sont
généralement pré-darwinienne : datant d’avant le XIXe siècle, elles n’ont pas eu à tenir
compte de la contemporanéité des débats en cours.
D’autres références contemporaines prennent pied dans le champ religieux en explicitant
une vision conceptuelle spécifique de l’Homme en islam. C’est le cas de Vision
musulmane de l’Homme et de l’Univers publié en 2000 aux éditions Ennour. L’auteur,
Temsamani Chebagouda Abdelhamid, est un enseignant de religion islamique bruxellois.
Dans les productions de Tariq Ramadan, on trouve un certain nombre d’extraits
d’ouvrages et de cassettes audiophoniques : son propos n’entend pas discuter l’aspect
scientifique et la question de l’évolution en tant que telle, mais développe la conception
de l’Homme en islam en invitant à un décentrage méthodologique en vue de comprendre,
à partir du champ de vision musulman ladite conception de l’humain et du monde. La
cassette audio produite par Tawhid : « La conception de l’homme en islam » en est un
autre exemple17. C’est là un schéma de pensée qui s’ancre dans la foi musulmane et qui
analyse les concepts coraniques qui touchent à l’humain : Dieu, souffle de Dieu, reins
d’Adam, Fitra… Conscient de la réalité du débat, Tariq Ramadan fait de temps à autre
des pas de côté hors du champ de référence de l’islam et de la vision qui en découle pour
préciser que : « …la théorie de l’évolution des espèces proposée par Darwin est souvent
mise en opposition à l’acte créateur tel qu’il est conçu dans la tradition chrétienne. La
tradition musulmane ne rejette pas, quant à elle, une telle théorie, puisqu’on retrouve dans
certains textes cette idée d’évolution des espèces ; elle est tout à fait admise sans remettre
pour autant en cause une création spécifique de l’être humain à un moment donné de
cette évolution. Par ailleurs, les biologistes n’ont pas de réponses définitives sur l’origine,
et les hypothèses se discutent encore à l’heure actuelle » (Ramadan, 2002, p. 22s).
D’autres ouvrages se veulent aussi des méditations sur les signes de Dieu dans le monde,
lui-même considéré comme un livre de signes. Parmi ces publications nombreuses, citons
ici le livre de Hébri Bousserouel : Ainsi qu’en vous-mêmes, ne voyez-vous donc pas ?
(2002) ou les supports parus dans la collection : « Les vérités de la création » : ils mettent
en avant des documentaires tels que : Les merveilles de la vie sous-marine.
b) Sciences modernes et sources musulmanes
Une seconde catégorie s’affirme par une approche générale articulant islam et science.
Ainsi, les cassettes de Tariq Ramadan intitulées L’islam et les sciences modernes,
développent la dialectique entre ces deux univers. Le livre de Yûsûf al-Qaradawi La
religion à l’époque de la science (traduit et édité en 2003 par Arrisala de Paris) ou, du
même auteur, Le prophète et le savoir (2001) s’inscrivent dans ce même schéma.
D’autres ouvrages partent du postulat de la création divine de l’univers ou du couple
adamique, avec quelquefois la mobilisation d’un argumentaire scientifique, lorsque le
profil de l’auteur est de cette nature (Abdullah, 1997). Il arrive qu’il y ait également une
dialectique permanente entre les arguments à références scientifiques et ceux des sources
islamiques, voire une harmonisation des unes et des autres.
17
Il y a aussi des extraits dans son ouvrage « les musulmans d’Occident et l’avenir de l’islam » qui se
penchent sur cette question (Ramadan, 2003).
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a) Les sources musulmanes et l’anthropologie islamique
Maurice Bucaille est très représentatif de ce courant. Né en 1920 à Pont-l’Évêque,
chirurgien de formation, cet auteur a pratiqué la médecine jusqu’en 1982 et il s’est entretemps converti à l’islam. Formé à la langue arabe pour pouvoir s’investir dans une lecture
directe du Coran, Bucaille y découvre et étudie des données qui lui parlent d’un point de
vue scientifique. Le résultat d’une partie de ses travaux a été présenté dans « La Bible, le
Coran et la science : les écritures saintes examinées à la lumière des connaissances
modernes », étude publiée en 1976 (réédité chez Agora Pocket, 1999).
Cet ouvrage à été rédigé et publié alors que Maurice Bucaille exerçait pour le Roi Faysal
d’Arabie Saoudite. Son but est de rehausser l’image du Coran, notamment aux yeux des
Occidentaux en montrant qu’il est équivalent, voire supérieur aux textes bibliques.
L’auteur s’évertue également à montrer la compatibilité du texte coranique avec l’esprit
occidental et en particulier avec les sciences modernes.
Ces théories contribuent à donner au Coran un caractère d’authenticité et à montrer qu’il
est de provenance divine. Le livre a eu un retentissement considérable dans le monde
musulman : il s’est vu réédité à plusieurs reprises en plus des seize éditions en français et
il a été traduit dans pas moins de dix langues différentes. La production de Maurice
Bucaille a également intéressé un certain nombre de chercheurs en Europe.
En 1981, cet auteur publie une étude qui intéresse directement notre propos : L’homme,
d’ou vient-il ? La réponse de la science et des écritures saintes. Cet ouvrage,
difficilement accessible au grand public, a cependant connu un large succès.
En1988, Maurice Bucaille a publié une étude qui touche un domaine plus académique :
Pharaons et la médecine. L’œuvre lui vaut l’obtention du prix d’Histoire de l’Académie
Française ainsi que le prix général de l’Académie nationale de Médecine en 1991. Cette
double reconnaissance dans le monde des croyants musulmans et dans celui des
académiciens a étayé sa crédibilité scientifique, le dotant d’une véritable aura de rigueur
intellectuelle qui rencontre les attentes de nombreux lecteurs.
Retenons, dans le même esprit, la récente parution de La création de l’homme et son
développement, d’Abdelkhaled, aux éditions Ennour (2008), ainsi que Embryogénèse de
Nas. E. Boutammina, paru chez Al Bouraq en 2007 et, encore, le Mon père Adam du
géologue égyptien Zaghloul an-Najjar. Ce livre n’est disponible qu’en arabe et existe
aussi en version DVD. Du même auteur provient encore un coffret reprenant 10 vidéo
CD portant sur L’interprétation scientifique des versets coraniques.
c) La science dans le Coran ou les miracles scientifiques du Coran
Cette troisième approche alimentera largement le champ littéraire islamique de
productions diverses : elle représente le courant contemporain portant sur les « miracles
scientifiques du Coran ». Il est intéressant de constater l’impact de ce courant et sa large
vulgarisation.
Zaghlûl an-Najjâr, membre du Conseil suprême des affaires islamiques d’Égypte, a été
élu personnalité islamique de l’année 2006 à Dubaï pour ses travaux consacrés aux
miracles scientifiques des sources scripturaires musulmanes. Il possède un site en arabe
entièrement consacré aux miracles scientifiques du Coran et à la tradition prophétique
(www.elnaggarzr.com). An-Najjâr est président du « Comité des miracles scientifiques
du Coran et la Sunna » et est l’auteur d’une littérature importante en la matière. On la
retrouve en abondance dans les libraires islamiques : Le Coran et l’univers ou L’islam et
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la science moderne. Il s’agit de CD-Rom qui reprennent plus de 100 heures de
conférences et, aussi, d’un coffret de 4 Dvd intitulé Les miracles du Coran.
Tous ces supports vont côtoyer, dans les librairies islamiques, les classiques tels que
Gloire à Dieu ou les mille vérités scientifiques du Coran de Kassab, Ceci est la vérité,
sous forme de DVD et d’un livre qui reprend les travaux dirigés, depuis les années 1980,
par le yéménite Abdelmajid az-Zendâni. Ce dernier, pharmacien de formation, confronte
la production de scientifiques internationaux à des versets du Coran qui renferment des
données considérées comme scientifiques. Cet auteur s’est internationalement rendu
célèbre par ses dernières déclarations dans lesquelles il revendiquait avoir trouvé avec
une équipe de chercheurs à Médine, le remède pour guérir le sida18.
Retenons enfin l’ouvrage : Le Qur’an au sujet de la création et de l’expansion de
l’univers de Tahir Ul-Qadri ainsi que les documentaires de Harun Yahya qui ont inondé
le marché en quelques années : La réalité de la création et Le Coran mène vers la science
(2006) ou le Connaître Dieu par la raison.
d) L’attaque de la théorie darwinienne dans la foulée du discours chrétien
C’est une quatrième voie : elle va dans le sens d’une déconstruction de la théorie
darwinienne et conclut, de manière parfois offensive, dans le sens de sa relativisation. On
trouve dans les étals des ouvrages tels que la : Thèse du Darwinisme : antithèse de l’islam
paru en 2007, L’effondrement de la théorie de l’évolution en 20 questions, Le mensonge
de l’évolution, Les désastres causés à l’humanité par le darwinisme par le célèbre Harun
Yahya. Il y a également des livres tels que L’homme descend-il du singe ?, de Lala aux
éditions Tawhid (2004) ou Dieu ou le hasard, il faut choisir, de Abdelkarim Ennour
publié en 1999 ou les ouvrages de Bashmil (1964) ou Boutammina (2007). Restent aussi
des approches plus concentrées sur le sujet que sur la réfutation de la position adverse : à
titre d’exemple, retenons La théorie de Darwin, le hasard impossible de Mohamed
Keskas. Cet agrégé de biologie-géologie présente son livre comme une analyse
scientifique vue avec les lunettes du croyant. Il a d’ailleurs produit une réplique
audiophonique et abrégée de son ouvrage (Hasan, 2007 ; Shirazi, 1972).
e) Interrogations sur les sciences et l’anthropologie musulmane
Il est difficile de trouver des ouvrages, existant par ailleurs, qui mêlent l’argument
religieux à l’argument scientifique tout en posant la spécificité musulmane : celle-ci
admet à la fois la création divine et une certaine évolution des espèces. Nous citons ici
deux ouvrages : l’un, d’un auteur français, Tareq Oubrou, biologiste de formation, discute
le darwinisme en connaissance de cause ; l’autre, d’un auteur égyptien, ‘Abd as-Sabûr
Shahîn, ayant fait polémique, aborde des origines et de l’évolution de l’Homme en
partant des sources islamiques.
Tareq Oubrou19 est biologiste et Imam de la mosquée de Bordeaux. Quelques pages de
son L’Unicité de Dieu, Des Noms et Attributs divins20 (Éd. Bayane, 2006) s’attardent à
18
19
Il appelle aujourd’hui encore les industries pharmaceutiques et les instances internationales à s’assurer
de l’efficacité de sa découverte basée sur une tradition prophétique.
http://www.youtube.com/watch?v=yeFr5t19aQs&feature=related
Voir son texte dans le chapitre 7 de ce volume.
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situer Charles Darwin dans son contexte de pensée. Utilisant la méthodologie de la
démarcation prônée par Popper, l’auteur présente d’abord un cadre paradigmatique qui
structure la pensée occidentale dominante selon une « épistémè judéo-chrétienne ». Il en
vient alors à traiter de l’évolution depuis Saint Augustin jusqu’à Darwin. Il développe
l’idée que cette notion est enfermée dans une vision linéaire de l’origine et du devenir
humain, ce qui aura un impact décisif sur la pensée et le sens de l’histoire. C’est dans
cette matrice qu’il classe la théorie darwinienne dont il se propose de discuter les
contours. Oubrou situe en fait Darwin dans une vision atomiste ancienne de Démocrite ou
de Spinoza dans laquelle Dieu est identifié à la nature. Il est pour lui un homme de son
temps, tout en précisant que « sa vision scientifique correspond totalement au mouvement
de sécularisation qui consiste à matérialiser la vérité de notre monde et de toute
l’existence ». Prenant appui sur Popper, qui ne pensait pas que le darwinisme puisse
expliquer les origines de la vie, l’auteur distingue entre théorie scientifique et
explicitation formelle des origines de la vie. Il cite encore Popper pour affirmer que le
darwinisme est, d’un point de vue épistémologique, un « programme scientifique de
recherche » – titre d’un chapitre de La quête inachevée (Popper, 1989) et non une théorie
scientifique. Tareq Oubrou avance que : « Le darwinisme a permis aux biologistes,
naturalistes de l’époque, de sortir de la simple observation et de la classification pour
passer à l’explication et à l’analyse, et d’accéder ainsi au statut scientifique dont
jouissaient déjà les physiciens. Pour une fois que les biologistes ont une « théorie », la
seule, ils ne sont pas prêts à l’abandonner ». Ainsi l’apport critique de Tareq Oubrou
consiste à se positionner par une démarcation méthodologique sans rejeter le principe
d’une évolution pour autant.
Le livre de ‘Abd as-Sabûr Shahîn, Mon père Adam : entre mythe et réalité n’existe à
notre connaissance qu’en arabe et se trouve difficilement en libraire. Les ouvrages qui
s’écoulent le mieux dans les librairies islamiques sont en français. À la fin des années
1990, l’auteur égyptien rejeta une source souvent utilisée par des historiens et exégètes
musulmans pour lire le Coran ou pour interpréter l’histoire ancienne. Les Isrâiliyyât sont
en effet des récits rapportés qui n’ont pas de fondements historiques avérés et qui ont
souvent éclairé quelques silences de l’histoire. Shahîn retrace ensuite le récit de la
création de l’homme dans le Coran selon une historicisation de la révélation des versets
coraniques. Il met en évidence que les versets mecquois et médinois s’agencent de telle
sorte qu’ils présentent le récit de la formation de l’homme depuis la phase embryonnaire
(‘Alaq) jusqu’à l’élection de l’humain comme lieutenant sur terre (sourate al-Baqara). Il
précise que chaque verset rajoute un élément nouveau au verset précédent. Shahîn pointe
une distinction entre le récit de la genèse coranique et celui de la genèse biblique : il
reconnaît que certaines similitudes peuvent porter à comparaison mais, selon lui, il faut
toujours clarifier ces convergences hâtives.
Il traite ensuite du problème de la datation de l’apparition d’Adam. Il dit que Adam « fut
le premier homme sur terre à représenter la génération devant assumer la responsabilité.
Cette génération est celle qui a commencé par le Prophète Adam et qui continuera
jusqu’au jour de la résurrection. Avant Adam, il n’y avait point la responsabilité de la
charge à assumer, car il n’y avait encore ni prophète, ni loi, ni religion. ». La clé de la
contribution de Shahîn réside dans le fait qu’il suppose une existence humaine avant
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Dans le point « Des origines et de l’évolution en général : une question historique, scientifique,
philosophique ou théologique ? », situé dans le deuxième chapitre du livre, pp. 111-129.
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Adam. Il distingue ainsi l’Homme (al-Bachar) de l’humain (al-Insân). Pour lui, la
paternité adamique renvoie à l’humain et non à l’homme. L’auteur admet une évolution
de la nature sans pour autant être darwiniste : ainsi il réfute au travers de longues citations
de scientifiques que la bipédie a toujours été une spécificité humaine. Il admet aussi les
transformations biologiques subies par l’homme et suppose même la disparition
d’espèces humaines et leur remplacement par des collectivités d’Hommes ayant un profil
autre. En 1999, une des plus hautes instances religieuses du monde musulman, le Majma’
al-Buhuth al-Islamiyya, alors présidé par feu Cheikh Mutwalli Acha’rawi, n’a rien trouvé
à redire au contenu de l’ouvrage, les thèses n’étant pas dogmatiquement en contradiction
avec le Coran et la tradition prophétique.
Conclusion
Nous avons tenté de démontrer, à travers la présentation d’un corpus bibliographique,
qu’il existe un vrai débat interne au monde musulman sur la question de la science et des
origines et que cela se traduit par une importante diversité autant que par une densité de
production en la matière. Notons que la dernière grille de lecture, portant sur les lectures
critiques n’est pas assez diffusée et ne jouit pas d’une visibilité majeure dans le grand
public. Il est aussi important de souligner que cette approche est relativement nouvelle et
que les positions explicites sur la question des origines est pour beaucoup en
réactualisation permanente. L’idée d’une évolution admise laissant cours à de multiples
canaux d’interprétation ne va de toute façon pas uniformiser une position tranchée sur la
question des origines, mais les approches continuent de s’enrichir mutuellement et
gagnent en densité et en questionnements nouveaux. Le dédale interprétatif, axé tantôt sur
le côté allusif ou métaphorique de versets, tantôt sur les silences du Coran, sont des
invitations quasi explicites à la quête du savoir scientifique par le biais de lunettes qui
débordent le corpus coranique. L’interdisciplinarité est donc encouragée et ce, sans
jamais confondre un passage du Coran avec une formule scientifique.
Hormis le fait que les actualités exacerbent en général les débats déjà sensibles au sein
des établissements scolaires, celui portant sur les origines humaines et du monde a une
particularité qui lui est propre. La nature des échanges entre un enseignant de biologie et
un professeur de religion islamique ou protestante consistera par exemple à glisser de son
contenu objectif vers ce qui semble motiver les positions réciproques. En effet, en arrièrefond de l’argumentation sur les origines, il existe un débat, sous-entendu, portant sur la
foi ou la non-croyance supposées des uns et des autres. Il en ressort ainsi l’image que,
lorsque quelqu’un prône avec force le darwinisme, il ne peut être que motivé par une
vision du monde qui met Dieu entre parenthèse. Il en va de même pour une approche
créationniste où celui qui tient compte de l’acte créateur comme causalité de la vie est
considéré comme étant forcément conditionné et déterminé par un univers de foi qui
l’empêche de construire rationnellement un raisonnement scientifique.
Paradoxalement, le débat est ouvert, mais il est évité quant au fond. Les anathémisations
de pensée établissent une binarité où, d’une part, on aura le « scientiste arrogant » et,
d’autre part, le « croyant naïf rétrograde ». L’application de ces considérations sur les
élèves sera de nature à générer des tensions internes dans la classe, voire des conflits de
loyauté qui tiraillent les apprenants.
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Notons aussi que l’islam, religion présente depuis peu en Belgique, en Europe et dans le
paysage scolaire, est associé et traité par le prisme des religions culturellement
dominantes. Aussi, la religion musulmane sera d’emblée perçue comme religion
créationniste, opposée donc aux thèses évolutionnistes. La cristallisation des thèses en
deux pôles, religieux et non-religieux, va renforcer le clivage croyant-créationniste versus
non-croyant-évolutionniste. Le musulman est forcément opposé à la thèse darwinienne et
soutient donc l’approche créationniste (incluant le concept de la fixité des espèces).
Un certain nombre d’enseignants et d’élèves musulmans acceptent d’être confondus dans
ce type de débat, trempant dans des conceptions indéfinies et acquiesçant pour l’essentiel
aux approches juives, protestantes ou catholiques. Ceci parce que ces dernières semblent
construire leur argumentation à partir d’un contenu commun (Adam, Dieu…) et, vu la
temporalité, bénéficient d’une expertise certaine. Et ceci entretient l’idée même d’un
front religieux commun contre le darwinisme.
À la lecture des références majeures sur la question et loin des approches du turc Harun
Yahya, la position musulmane sur la question des origines se fait une place à
l’intersection des approches créationniste et évolutionniste. On peut dire que l’islam
admet une sorte d’évolution et appuie le fait de la création divine de la nature. Il est en
partie évolutionniste et créationniste donc, mais pas selon les définitions qu’on donne
généralement de ces deux concepts. Le darwinisme et la fixité des espèces y sont alors
tous deux critiqués. Dans l’enseignement, ces nuances se perdent par le manque de recul
ou de temps, par méconnaissance des enseignants ou des apprenants sur la question ou
parce qu’elles sont jugées impossibles à présenter sereinement. L’imposition d’un débat
passionné de fait par la confrontation entre foi et raison scelle les choses.
Nous avons synthétiquement présenté le débat portant sur le rapport à la science et aux
origines de l’Homme au sein de quelques références musulmanes. La discussion se
caractérise par la richesse, la complexité et la diversité. Limiter ce débat à Harun Yahya,
dont la pénétration des idées dans les écoles belges et européennes est plus spectaculaire
qu’effective, serait biaisé. Il reste pourtant des interrogations de fond au sein de
nombreuses salles de professeurs en Belgique. Le débat restera d’actualité et le
dépassionner serait de bon augure.
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Bibliographie sélective sur l’islam en Belgique
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VANDERWAEREN E. & TIMMERMAN C. (ed.) (2008), Diversiteit in islam. Over verschillende belevingen van het moslim zijn, Leuven, Acco.
VAN DER HEYDEN K., GEETS J., VANDERWAEREN E. & TIMMERMAN C., 2005, Identiteit en Islambeleving bij hoogopgeleide moslimjongeren in Vlaanderen. Gelijke Kansen vanuit een moslimperspectief, Antwerpen, Universiteit
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VERWILGHEN M. (1992), « Les problèmes juridiques soulevés par l’immigration musulmane », J.-Y. CARLIER et M.
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Brève chronologie de l’islam
Muhammad
VIe siècle
• 571 : Naissance du Prophète de l’islam à La Mecque
• 577 : Décès de la maman de Muhammad à La Mecque
VIIe siècle
• 605 : Muhammad participe au chantier de la reconstruction de la Kaaba
• 610 : Début de la Révélation coranique dans la grotte de Hira aux alentours de La Mecque
• 622 : Hijra (Hégire ou émigration) du Prophète Muhammad à Yathrib (Médine) : Le prophète rejoint une partie
de ses compagnons déjà exilés et s’installe dans la ville. L’année de l’hégire marque le début du calendrier Musulman.
• 624 : Bataille de Badr : C’est la première lutte entre les médinois et les mecquois et qui se termine par la victoire
des Musulmans.
• 625 : Bataille de Uhud : Revanche des Mecquois face à la défaite de Badr. Beaucoup plus nombreux, ils profitent
d’une erreur stratégique des musulmans pour mettre ces derniers en déroute.
• 627 : Bataille du fossé : Le nom de “Bataille du fossé” vient de l’établissement d’une longue tranchée autour de
Médine en vue de stopper la cavalerie Mecquoise.
• 628 : Traité d’al-Hudaybiyyah : Les Mecquois décidèrent d’établir un traité (appelé traité de Hudaybiyyah) avec
Muhammad l’autorisant à se rendre à la Mecque pour effectuer le pèlerinage avec ses compagnons et ainsi engagé une trève de 10 ans.
• 629 : Premier pèlerinage des musulmans à la Mecque. C’est la première fois depuis l’Hégire que le prophète et
ses compagnons revirent la Kaaba.
• 630 : Rupture du traité entre Muhammad et les Mecquois : Ceci à cause d’une attaque des Banu Bakr (alliés de
la Mecque) contre la tribu de bédouins de Khuza’a (allié à Médine) & Prise de la Mecque par Muhammad.
•632 : Pélerinage de l’Adieu : Muhammad effectue son dernier pélerinage avec ses compagnons. Il prononce le
sermon de l’Adieu. Mort de Muhammad : Il est enterré jusqu’à nos jours dans sa mosquée à Médine.
Les califes
• 632-634 : Abu Bakr - premier calife de l’Islam
•634-644 : Umar - second calife de l’Islam. Il s’empara successivement de la Syrie, la Perse mais également
une partie de l’empire Byzantin, dont Jérusalem. Contrairement à son prédécesseur Abu Bakr, Umar mourra
assassiné pendant sa prière dans la mosquée de Médine.
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Brève chronologie de l’islam
• 644-656 : Uthman - troisième calife de l’Islam. Succédant à Umar, il fut, selon la tradition muulmane classique,
le responsable de l’édification du corpus coranique : « la vulgate dite de Uthman ». Le calife fut victime d’un complot fomenté par des dissidents, qui l’assassinèrent dans sa demeure.
• 656-659 : Ali - quatrième calife de l’Islam. Le dernier calife dut faire face à de nombreuses tensions politiques
internes, qui se traduisirent notamment par la rébellion du gouverneur de Syrie, Muawya. Ce dernier s’opposera
à Ali tant et si bien qu’ils se déclarèrent mutuellement la guerre.
Dynasties
•661–750 : Dynastie des Omeyyades (Damas siège du califat). Cette dynastie fut longtemps sujette à de nombreux troubles.
VIIIe siècle
•711 : Débarquement en Europe. Le 11 juillet 711, menés par Tarik ibn Zyad, les Musulmans défont les troupes de
Rodrigue, le roi wisigoth qui règne sur l’Espagne chrétienne.
• 718 : Début de la Reconquista dans les Asturies. Échec du siège de Constantinople par les Arabes. La Reconquête
commence en 718 lorsque les musulmans sont défaits à la bataille de Covadonga par le Wisigoth Pélage (Pelayo).
• 771 : Achèvement des conquêtes de l’Indus et de l’Espagne. L’empire Abbasside atteint des proportions jusqu’à
lors inégalées.
• 732 : Défaite contre Charles Martel à Poitiers. Cette victoire a eu un retentissement important et est devenue à
partir du XVIe
siècle un symbole de la lutte de l’Europe chrétienne face aux conquêtes musulmanes.
•750–1258 : Dynastie des Abbassides (Bagdad siège du califat). Malgré qu’elle fut maintenue pendant une très
longue période, la dynastie Abbasside fit face à de nombreuses oppositions.
• 878 : Occultation du douzième imam, descendant de `Ali. Il s’agit de Muhammad al-Mahdî, né en 869 à Samarra
(Irak).
•1000 : Début des conquêtes en Inde par des souverains turc-musulmans. Mahmûd de Ghaznî, souverain de
l’Empire ghaznévide de 997 jusqu’à sa mort, est responsable de la première vague d’invasion du territoire du
Nord de l’Inde.
•1037 : Mort du penseur Ibn Sina (Avicenne). Il reste connu pour ses travaux immenses dans le domaine de la
médecine, mais également en philosophie et théologie.
• 1099 : Prise de Jérusalem par les croisés.
• 1187 : Saladin reprend Jérusalem aux croisés.
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Brève chronologie de l’islam
• 1198 : Mort du philosophe Ibn Rschd (Averroès).. Il est à la fois un philosophe, théologien, juriste, mathématicien
et médecin arabe du
XIIe siècle.
•1250–1517 : Dynastie des Mamelouks en Égypte. Les premiers mamelouks forment, au IXe siècle, la garde des
califes abbassides à Bagdad. Ils régnèrent sur l’Égypte, la Syrie et le Hedjaz, vainquirent les Mongols à Aïn Jalut
(1260), devinrent les protecteurs des Abbassides rescapés, dont ils recueillirent un descendant à qui ils donnèrent
le titre de calife.
• 1258 : Destruction de Bagdad par les Mongols. Ceux-ci sont dirigés par Houlagou Khan, petit fils de Gengis Khan.
La victoire des mongols sur les troupes du calife Al-Musta’sim marque la fin du règne des Abbassides, et le début
de la dynastie des Ilkhans mongols.
• 1300 : Introduction de l’Islam dans les îles indonésiennes (Sumatra) par des marchands indiens. L’Indonésie est
d’ailleurs aujourd’hui le pays musulman le plus peuplé au monde.
•1419 : Le prince de Malacca se convertit à l’islam. Cette conversion serait due au commerce du port de Malacca avec les marchands musulmans. La conversion du prince aura pour effet de convertir la ville à l’Islam, cette
dernière étant renommée par la suite en Iskandar Shah.
• 1453–1571 : apogée de l’Empire ottoman, entre la prise de Constantinople et la défaite navale de Lépante.
• 1492 : chute du Royaume de Grenade, fin de la reconquête chrétienne en Espagne.
• 1683 : échec relatif des Turcs ottomans devant Vienne. L’empire commence un lent déclin.
• 1798 : Bonaparte en Égypte.
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La campagne pro-djihad :
Un dispositif de propagande moderne et sophistiqué
Un dispositif de propagande moderne et sophistiqué
Ces dernières années ont vu le développement inédit des média en ligne (Youtube, Facebook et Twitter): ces espace de diffusion instantanée ont considérablement renforcé l’action prosélyte radicale, confinée jusqu’alors dans les forums de discussion. Cette publicité pro-jihad mêle des arguments politico-religieux et des modes de persuasion plus profanes.
Les arguments religieux
L’argumentaire djihadiste repose tout d’abord sur l’utilisation anachronique de notions héritées d’une certaine histoire de la
civilisation musulmane. Parmi ces notions, il y a celle opposant le « lieu de la guerre » - ou « dar al-harb »- et le lieu de l’islamou « dar al-islam », territoire légiféré par le background religieux. Sur ce territoire de la guerre, le commun des musulmans
peut déclarer et conduire un «jihad» contre l’oppresseur, et ce sans se référer à une autorité religieuse compétente puisqu’elle
est elle-même perçue comme compromise avec le(s) pouvoir(s) politique(s) à destituer1.
A cette privatisation du croire s’ajoute, dans la rhétorique djihadiste, une dimension fortement collective qui enjoint le musulman à ordonner pour les autres le bien et à interdire le mal (« al-‘arf bil ma’rouf wal nahi ‘an al-munkar »). Cette notion
fait écho à une vision homogène du social où foi, société et Etat ne devraient plus faire qu’un : la référence à l’unicité de la
souveraineté («tawhid al-hakimiya») de Sayyid Qutb, membre des Frères musulmans torturé et tué dans les prisons de Gamal
Abdel-Nasser, est ici tout aussi centrale que récurrente dans la profession de foi djihadiste.
Enfin, et c’est une spécificité de la Syrie, l’obligation de partir est confortée par certains éléments de la tradition musulmane2
qui rapportent la venue du Mahdi (« le Guide suprême ») dans le Bilad as-Shâm (la Grande Syrie) et son combat acharné avec
l’Antéchrist (ou Dajjal) : c’est ce qui rend le départ en Syrie particulièrement attractif pour les néo-djihadistes. Dans cette
optique, la guerre en Syrie est, aux yeux des combattants, annonciatrice de l’Apocalypse.3
Les arguments profanes
Si la campagne pro-djihad s’appuie sur le bricolage d’une caution «religieuse» extraite de son contexte initial, elle mobilise
aussi autour de thématiques plus profanes.
Le djihadisme table également sur la force incitative des rétributions économiques : il s’adresse à une population sensible aux
promesses d’argent facile et de sécurité financière assurée par l’Etat islamique. Les nouveaux djihadistes n’hésitent guère
d’ailleurs à exposer tous les avantages associés à leur nouvelle vie (à travers des photos de vacances, des clichés heureux de
vie de famille etc.) : à maints égards donc, le djihad est associé à une voie de promotion sociale et à un eldorado économique.
Mais ce qui retient en définitive l’attention reste la souffrance des populations civiles et les images mortifères relayées par
les nouveaux média sur Internet. Plus « parlantes » que tous les plaidoyers politiques et religieux, elles ne connaissent pas les
barrières linguistiques. Par ailleurs, les scènes de déshumanisation ainsi mises en scène sont indissociables d’une stratégie
d’auto-responsabilisation, voire de culpabilisation : le musulman ne peut décemment voir ces images sans agir et réagir, tel
est le message qui y est véhiculé.
1 Sur la démocratisation du « jihad », voir les travaux de Bernard Rougier : Bernard ROUGIER, « Le jihad en Afghanistan et l’émergence du
salafisme-jihadisme », dans Bernard ROUGIER (dir.), Qu’est-ce que le salafisme ?, PUF, Paris, 2008, pp.71.
2 Un hadith rapporte ainsi que le Prophète de l’islam a dit : « Innal imane idha katourat al fitane bi châm » : lorsque les troubles (fitane) se
multiplieront, la foi sera au Châm.»
3 La symbolique de la Syrie n’est pas propre à l’univers eschatologique musulman, et concerne aussi les évangélistes américains. Lire :
http://www.slate.fr/monde/77348/syrie-bible-fin-monde-israel
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La lutte contre la radicalisation religieuse en Europe :
un aperçu des moyens de prévention
En France et en Allemagne
Les dispositifs français et allemands sont pour l’heure les enfants pauvres des politiques de prévention dans l’Union Européenne.
Ainsi, en France, la prévention se limite bien souvent en France à la détection d’une radicalisation déjà amorcée depuis
quelques temps. En effet, le numéro vert « anti-djihad », les formations à destination du personnel et des travailleurs sociaux
proposées par le CPDSI1, mais aussi le suivi psychologique de l’entourage familial de l’exilé interviennent en aval, à la fin d’un
processus sans nécessairement fournir les outils et les moyens pour empêcher les départs suivants. En Allemagne, le « Bureau de consultation contre la radicalisation » mis en place par l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés (Bundesamt
für Migration und Flüchtlinge) reproduit le modèle français de prévention-détection.
En l’absence de solutions étatiques de prévention, les mesures de prévention émanent surtout des musulmans eux-mêmes,
et du volontarisme social de certains imams de mosquées.
Au Royaume-Uni et aux Pays-Bas
Les politiques anglaises et néerlandaises en matière de prévention à la radicalisation se démarquent des orientations françaises et allemandes par leur aspect nettement plus interventionniste. Depuis l’assassinat de Theo Van Gogh par un activiste se
réclamant de l’islam politique, les Pays-Bas ont ainsi entamé une réflexion sur la prévention dans le cadre de ce qu’ils ont
appelé « l’approche globale ». La Grande- Bretagne s’est, quant à elle, doté d’un large arsenal préventif depuis les attentats
de Londres en 2005 : baptisé « Channel », ce programme, inspiré de la lutte anti-bandes et antigangs, nouent bien des points
communs avec son équivalent néerlandais.
Le premier point commun est la mise en place de partenariats avec les associations « communautaires » : l’objectif est d’atteindre les personnes vulnérables à la radicalisation. Des financements sont prévus pour l’organisation de dîners intercommunautaires dans les quartiers dits « musulmans », pour celle d’évènements culturels... L’idée est de favoriser le dialogue
entre les communautés et l’intégration de populations musulmanes perçues comme en rupture avec le reste de la société.
A ces projets de mise en relation intercommunautaire s’ajoute une stratégie de promotion des interprétations dite « modérées
» de l’islam. C’est la Grande-Bretagne qui a particulièrement investi cette option par l’intermédiaire des associations « Radical
Middle-Way » (« Radicalement modéré ») et la fondation William. La politique de « counter-narratives » (« contre-discours »)
se poursuit aussi sur la toile (et plus encore, sur les réseaux sociaux) où les conditions de vie « réelles » des djihadistes sur le
front syrien sont exposées à des fins de dissuasion.
Toutefois, le caractère communautariste voire discriminatoire des politiques de partenariats communautaires a été vivement
dénoncé. Concentrées sur des quartiers à importante population musulmane, ces dernières ont donné l’impression qu’il existait « un problème musulman ». Par ailleurs, elles ont indirectement produit une course aux ressources financières et aux
subsides dans les milieux associatifs : du côté anglais, certaines associations «musulmanes» ont même été créées de toutes
pièces pour reproduire le discours du gouvernement. Parfois, la répression a repris ses droits sur la prévention. Ainsi, des
étudiants « pro-palestiniens » ont été dirigés vers des programmes de « déradicalisation » alors qu’ils ne présentaient aucun
danger.
1 Le Centre de Prévention aux Dérives Sectaires Liées à l’Islam, fondée par Madame Dounia Bouzar, ambitionne surtout de détecter des
symptômes de radicalisation déjà avérée, voir : http://www.cpdsi.fr/notre-approche/
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A propos d’emridNetwork
Quel islam pour nos sociétés ? Au sein des contextes européens et belges notamment, le défi se veut
particulièrement pertinent. Il en va de l’avenir du vivre-ensemble au sein de nos pays et des possibilités de
dialogues sereins et tout aussi critiques et constructifs avec l’islam, les musulmans et tous les citoyens européens.
A propos d’emridNetwork
La structure associative emridNetwork est une plateforme européenne de rencontre et d’échange de savoirs et
de savoir-faire sur l’islam. Elle se donne pour principale ambition de promouvoir la transmission, la circulation et
le partage des savoirs théologiques en phase avec le contexte belge et européen. Le canal de la formation (sous
diverses formes) nous semble une priorité qui s’inscrit comme une contribution urgente au champ de la connaissance religieuse islamique en Europe depuis Bruxelles.
Nos principaux objectifs
• Vitaliser un laboratoire de la connaissance sur les finalités et les sources de l’islam au cœur de l’Europe;
• Mettre en exercice la diversité des rapports aux référentiels religieux par l’ouverture de débats critiques et exigeants, sans tomber dans l’anathémisation ni dans le consensuel mou.
• Explorer sociologiquement et théologiquement les discours de Musulmans européens,
• Engager des rencontres thématiques régulières sur les enjeux de l’islam en contexte belge et européen.
• Susciter l’intérêt pour l’étude et la découverte de la tradition coranique et prophétique.
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« Vous devez être le changement que vous voulez voir dans ce monde. » M. Gandhi

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