Fusionman (Yves Rossy)

Transcription

Fusionman (Yves Rossy)
L’exploit
Un vol parfait
C’est l’une des rares images de cette
traversée historique. Seul le photographe à bord de l’avion d’où
l’homme volant a sauté a réussi à
immortaliser l’exploit de Fusionman,
1 m 82 pour 74 kg, traversant la
Manche, porté par son aile de 2 m 50
et propulsé par quatre réacteurs à
une vitesse moyenne de 200 km/h.
Les réacteurs déjà enclenchés, Yves Rossy saute du Pilatus Porter PC-6
qui survole le cap Blanc Nez, à environ 2500 mètres d’altitude.
18
L’ILLUSTRÉ 40/08
Le Vaudois est devenu une légende
de l’aviation le 26 septembre 2008,
un jour qui fera date. Il est le premier
homme à avoir traversé la Manche
avec une aile à réaction sur le dos.
Parcours d’un aventurier hors norme,
qui vit ses rêves en mettant le turbo.
«J’étais
dans un monde
parallèle»
Photos: Bruno Brokken
Yves Rossy,
alias Fusionman
L’ILLUSTRÉ 40/08
19
L’exploit
L’atterrissage
Photo: Bruno Brokken
Le Suisse devait initialement se poser avec son
parachute devant le phare blanc de South Foreland
(en bas de la photo), où l’attendaient ses amis et la
presse. Il atterrira finalement à une centaine de
mètres, dans le champ d’à côté, à l’issue d’un vol
qui aura duré treize minutes.
20
L’ILLUSTRÉ 40/08
L’ILLUSTRÉ 40/08
21
L’exploit
Emu
L’homme-oiseau,
qui vient de traverser
la Manche en treize minutes,
savoure cet instant au milieu
de la foule, l’esprit encore
dans le ciel.
Submergé
Protégé par le service de
sécurité anglais, Yves Rossy
tente de se diriger vers le
phare de South Foreland
sous les flashs et les caméras
des nombreux journalistes
qui l’applaudissent.
Bruno Brokken (à g.), le photographe
qui a immortalisé l’exploit, et Jean-Marc Colomb,
le pilote du Pilatus, aspergent le héros de champagne.
En arrière-plan, tout sourire, Stéphane Marmier
(lunettes noires), assistant de vol.
22
L’ILLUSTRÉ 40/08
Photos: Claude Gluntz
Complices de toujours
Reconnaissant
Le Vaudois remercie la foule
de journalistes et de curieux
qui l’ovationnent.
L’ILLUSTRÉ 40/08
23
L’exploit
Texte: Quan Ly
Photos: Claude Gluntz
«B
onjour, mesdames et messieurs!
Ici votre commandant. Notre
décollage est dans
deux minutes. Je vous souhaite
d’ores et déjà un excellent vol.»
En ce lundi 29 septembre, les
passagers à destination de Charm
el-Cheikh ne connaissent pas le
nom de celui qui est aux commandes de l’Airbus de la compagnie
Swiss. Et encore moins ses surnoms: Yves Rossy, alias Fusionman, Jetman, Rocketman, Rocketeer, l’homme-oiseau, Icare ou,
dernièrement, Buzz l’Eclair, pour
les servir. Ils peuvent partir tranquilles; celui qui est chargé de
leur vie est un as. Savent-ils qu’il
a, à 49 ans, écrit une page de
l’histoire de l’aviation? Au même
titre que celle marquée de l’empreinte d’un Louis Blériot, dont
on va fêter l’année prochaine le
centenaire de la première traversée de la Manche en avion; c’était
le 25 juillet 1909.
La peur, son assurance vie
C’est en suivant les pas de son
illustre aîné tant admiré qu’Yves
Rossy est parvenu au panthéon des
grands aventuriers volants. C’était
le vendredi 26 septembre 2008.
Une date à marquer d’une pierre
blanche. Mais, là où le Français,
aux commandes de son Blériot XI,
avait mis trente-sept minutes pour
parcourir les 35 kilomètres qui
séparent Calais de Douvres, il aura
suffi de treize petites minutes au
Suisse pour entrer dans la légende.
24
L’ILLUSTRÉ 40/08
Prédispositions
Une première
En 1973, au concours de petites fusées
En mai 1994, le Vaudois s’éclate
du Technorama, à Winterthour, Yves, 14 ans, en surfant juste «au-dessus»
voit la sienne projetée à 200 mètres.
du Cervin sur un petit disque.
Beach Boy des airs
Trois objets volants identifiés
Au lendemain du Cervin, le pilote de chasse, qui comptera
plus de 1000 heures de vol à son compteur, surfe sur une mer blanche
à Zermatt, cette fois-ci sur une maquette de son Mirage III.
Le 12 juin 1996, Yves Rossy s’accroche aux poignées situées au bout des ailes de «Charlie Brown»
et de «Honey», deux biplans de 1940. N’ayant pas immortalisé l’exploit, il le réitère le 9 septembre pour
trente secondes de «bonheur», photo à l’appui. Cela lui vaudra de figurer dans le «Guinness Book».
Qui a dit qu’on était lent au pays
du chocolat?
«J’ai juste montré que c’est possible de voler un peu comme un
oiseau», a-t-il déclaré. Un pari qui
n’était pas gagné d’avance: le vol,
prévu le jeudi, est reporté au lendemain pour cause de mauvaise
visibilité. «Le jour où j’ai des craintes, je n’y vais pas. Je n’ai qu’une
vie, et je n’ai pas envie de la perdre.» La peur est sa meilleure
alliée, son assurance vie. Le lendemain, le tableau est tout autre:
un ciel splendide et un vent nordest de 29 km/h de moyenne, avec
tout de même des rafales de
36 km/h. Un vent favorable pour
le vol, mais mauvais pour un
atterrissage de précision.
bout de trente secondes, je savais
que c’était bon.» A un détail près:
il se rend compte dans la première
minute qu’il n’a pas enclenché le
chronomètre pour calculer la
quantité de fuel consommé. Premier réflexe: «Oh, merde, j’ai
oublié!» Second réflexe: «Après un
bref moment de panique, je me
suis dit: «Bon, regarde devant,
continue tout droit et tout ira
bien.» D’autres pensées lui sont
passées par la tête: «De Dieu, ça
va le faire ou non?» «J’espère que
ça va pas caler.» J’ai aussi remercié
le «grand cui-cui», comme je l’appelle, parce qu’il était avec moi
aujourd’hui; ça c’est sûr.»
Merci au «grand cui-cui»
Lui et ses ailes ne font dès lors
plus qu’un; elles bougent au
rythme du mouvement du corps
qui contrôle la direction. «Je volais
avec une aile juste en tournant ma
tête.» La fusion est totale, la tension et la concentration permanentes, l’euphorie indicible.
«C’était un mélange de réalité et
de rêve; j’étais dans un monde
parallèle. Le vol était parfait et se
déroulait comme prévu.» Il ouvre
son parachute à 14 h 17 et, trois
minutes plus tard, touche le sol
des falaises blanches de Douvres,
à une centaine de mètres du phare
de St. Margaret, où l’attend une
meute de journalistes, dont des
Américains, des Brésiliens, des
Russes et des Japonais.
A l’arrivée, il n’aura de cesse de
remercier toute son équipe. «Je me
sentais porté par tous les gens qui
ont participé à ce projet et avec qui
j’ai pu partager ce grand moment,
Le matin, il se rend au port de
Calais, met ses mains dans la mer
et lui parle: «Aujourd’hui, j’aimerais bien qu’on soit copains.» Un
petit en-cas à base de pâtes et d’eau
minérale, et c’est le départ. «On se
voit de l’autre côté», lance-t-il à son
équipe. «Jusqu’ici, j’avais l’habitude des montagnes suisses,
confiera-t-il. Voler au-dessus du
Channel était tout à fait nouveau;
j’étais donc un peu tendu, mais
prêt.» Le Pilatus Porter PC-6
décolle à 13 h 55 (heure continentale) et survole Calais à environ
2500 mètres d’altitude. Fusionman
ouvre les portes de l’avion et saute
dans l’inconnu à 14 h 07. Il raconte:
«Mes réacteurs sont partis du premier coup, j’ai aussitôt déployé les
ailes et mis les gaz pour atteindre
les 200 km/h de croisière. J’ai
vérifié mon altimètre pour me
stabiliser à 1700 mètres en vol. Au
Son cockpit, «le plus beau
bureau du monde»
Photos: Claude Gluntz, Bruno Brokken et DR
«Quand je
serai grand,
je serai
pilotes. Avec
un s.» Une
profession de
foi enfantine
qui l’a porté
jusqu’aux
cimes
Contrôle minutieux
Dimanche 28 septembre,
à Crans-près-Céligny, près
de Nyon, Fusionman examine
minutieusement dans son salon
son parachute.
qui n’était pas un egotrip. Et puis
je pense aussi à tous ces hommes
volants qui m’ont précédé, qui ont
pris des risques et qui se sont tués;
je suis un tout petit par rapport à
eux.» A-t-il conscience qu’il a revêtu
l’étoffe d’un héros de l’aviation? «Je
vais rester moi-même. Si je deviens
con, il faudra me le dire!» La tête
dans les rêves, les pieds bien sur
terre. «C’est vrai que le lieu est
mythique, poursuit-il. Mais, finalement, j’ai fait pas mal de vols bien
avant celui-ci.»
Yves Rossy n’aime rien tant que
sortir des sentiers battus, «pour
aller là où personne n’est jamais
allé». Le mécanicien de formation
a un profil à la Anquetil, taillé pour
les premiers rôles. En 1991, il se
fait connaître avec un tour de
Suisse multisport en un jour, utilisant pas moins de 25 moyens de
locomotion, tels que l’avion, évidemment, le snowboard, le parapente, le saut à l’élastique, l’hélicoptère, le rafting, l’hydrospeed, le
cheval ou le barefoot. Trois ans plus
tard, on découvre le Vaudois, pilote
militaire sur Mirage III, en train
de stabiliser son surf rond à
3500 mètres d’altitude, juste audessus du Cervin. Une première.
Il se fait aussi un petit plaisir en
surfant sur une maquette de
Mirage au-dessus de Zermatt. En
1995, il s’offre la «descente» de
l’Eiger, devant sa mythique face
nord, qu’il frôle de quelques
mètres. Et il enchaîne en coupant
à 20 km/h le sommet du jet d’eau
de Genève, se procurant pour une
fraction de seconde l’incroyable
sensation de surfer sur une vague
de 140 mètres. Inédit. En 1996, il
se retrouve à deux reprises dans le
Guinness Book pour s’être lancé du
sommet d’une montgolfière, pour
cinq minutes d’extase, et pour avoir
volé entre deux Boeing Stearman
de 1940 en les tenant trente secondes. Du jamais-vu. Le 10 novembre
2006, c’est la consécration: Yves
Rossy devient, en 5’ 40’’, le premier
homme volant à réaction de l’histoire de l’aviation.
L’aventure est loin d’être termi-
née. Notre homme bouillonne de
projets: voler dans le Grand
Canyon, développer ses ailes afin
de pouvoir décoller à la verticale,
sans l’aide d’un avion et former
une escadrille d’hommes volants
pour des acrobaties. En attendant
de réaliser ses prochains rêves, le
commandant Yves Rossy s’est installé dans le cockpit, «le plus beau
bureau du monde», de son Airbus
qui a pris tranquillement son
envol. Il y a un pilote dans l’avion.
Un vrai. Q. L. J
Ouvrage de Thierry Peitrequin,
qui sortira cet automne aux
Editions Favre.
L’exploit
Les félicitations
«Maintenant, il ne te reste
plus qu’à démontrer
que t’y arrives à la nage»
Parmi les innombrables messages de félicitations
reçus par SMS, Yves Rossy en a extrait quelques-uns
qui l’ont particulièrement touché.
«Yves, exploit extragrand.
Respect de nous deux. Félicitations.»
Edgar Brokken qui, la veille,
avait confié à son fils, Bruno:
«Moi, je pense qu’il va finir au jus.»
«Super! Juste magnifique! Félicitations!
Je suis heureux d’avoir apporté, même
infime, ma contribution à ton exploit.
Si tu y penses, garde-moi de côté mon
plomb en souvenir, je le récupérerai
à l’occasion. A très bientôt.»
Yvan Almirall, qui a plié la réserve
de parachutes d’Yves Rossy
«Alors, c’est qui le meilleur? Je me
réjouis de voir ça aux nouvelles. Bravo,
bravo, et encore bravo! J’adore cette
osmose contradictoire que tu as entre
l’homme pragmatique et professionnel
jusque dans les moindres détails de
cette folie de l’homme qui rêve d’Icare
et qui se lance dans le vide pour se
réaliser. Et toi, tu es le premier avec
quatre réacteurs dans le derrière.
T’es un barjot. Mes respects.»
Yvan Brulhart, fervent
supporter de la première heure
«Magnifique, superbe. Félicitations.
Maintenant, il ne te reste plus qu’à
démontrer que t’y arrives à la nage.
Pour une loutre, ça ne devrait pas être
trop dur. A+»
François Keller, qui surnomme Yves
la loutre, car ce dernier était pêcheur
Photos: Claude Gluntz
«On a tremblé, crié, pleuré d’émotion
en direct. Bravo pour ta persévérance
et continue de nous faire rêver. Vive les
projets fous et les fous qui vont avec.»
Vincent et Anne-Christine Chabloz,
des super potes
Commandant de bord
Lundi 29 septembre, à l’aéroport de Cointrin,
Yves Rossy, pilote chez Swiss à 65%, est dans la salle
de briefing pour recueillir les informations sur son vol
Zurich-Charm el-Cheikh et sur la météo.

Documents pareils