Les Femmes savantes - Atelier Théâtre Jean Vilar
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Les Femmes savantes - Atelier Théâtre Jean Vilar
DOSSIER PEDAGOGIQUE Les Femmes savantes Molière Distribution Mise en scène : Armand Delcampe Avec Chrysale : Patrick Brüll Armande : Morgane Choupay Henriette : Agathe Détrieux Vadius : Alain Eloy Martine : Marie-Line Lefebvre Clitandre : Julien Lemonnier Trissotin : Pierre Poucet Ariste : Freddy Sicx Julienne : Julie Thiele Bélise : Cécile Van Snick Le notaire : Jean-François Viot Philaminte : Nathalie Willame Assistant à la mise en scène : Jean-François Viot Décor et costumes : Gérald Watelet Lumières : Jacques Magrofuoco Régie vidéo : Quentin Huwaert Régie lumières : Jacques Perera Construction décor : Mathieu Regaert et Marc Cocozza Direction technique : Jacques Magrofuoco Une production de lʼAtelier Théâtre Jean Vilar et du Festival Royal de Théâtre de Spa, avec la participation du Centre des Arts Scéniques. Avec le soutien de la Province du Brabant wallon. Dates : Du 16 au 29 avril Lieu : Théâtre Jean Vilar Durée du spectacle : 1h45 Réservations : 0800/25 325 Contact écoles : Adrienne Gérard - 010/47.07.11 – [email protected] • Nʼoubliez pas de distribuer les tickets avant dʼarriver au théâtre Jean Vilar. • Soyez présents au moins 15 minutes avant le début de la représentation, le placement de tous les groupes ne peut se faire en 5 minutes ! N.B : - les places sont numérotées, nous insistons pour que chacun occupe la place dont le numéro figure sur le billet. - la salle est organisée avec un côté pair et impair (B5 nʼest pas à côté de B6 mais de B7), tenez-en éventuellement compte lors de la distribution des billets. En salle, nous demandons aux professeurs dʼavoir lʼamabilité de se disperser dans leur groupe de manière à encadrer leurs élèves et à assurer le bon déroulement de la représentation. 1. La pièce Henriette et Clitandre sont amants, mais pour se marier, ils doivent obtenir le soutien de la famille de la jeune fille. Le père et l'oncle dʼHenriette sont favorables au mariage ; mais sa mère, Philaminte, soutenue par sa tante et sa sœur, veut lui faire épouser un faux savant aux dents longues, Trissotin, qui mène par le bout du nez ces « femmes savantes ». Dans la maison de Chrysale, ses deux filles se querellent au sujet du mariage. Armande, convertie à la philosophie et à l'élévation de l'esprit par sa savante mère, s'offusque que sa jeune sœur, Henriette, l'ait supplantée dans le coeur de Clitandre. Elle fera tout pour empêcher cette union. La mère, Philaminte, s'oppose également à cet amour. Elle projette plutôt de marier la cadette à Trissotin, un soi-disant bel esprit qui achèvera, croit-elle, de faire de cette récalcitrante, une femme savante. Seul le père souscrit au mariage d'Henriette et de Clitandre, mais l'autoritarisme de sa femme le paralyse. Qui l'emportera ? Le mariage d'amour ou la raison trompée ? 2. Note dʼintention du metteur en scène Au risque de répéter un lieu commun, lʼœuvre de Molière reste étonnement jeune. Quel propos plus moderne en effet que celui des Femmes savantes ? Dans un siècle – le nôtre – où lʼintellectualisme a remplacé lʼintelligence, où la limite devient indistincte entre connaissance et prétention, Les Femmes savantes apparaissent comme le plaidoyer nécessaire de la raison contre les envolées lyriques mais improductives. Leçon de réalisme, la pièce résonne aussi comme une violente défense de la sincérité et de lʼhonnêteté. Face à ceux qui se montent le bourrichon avec des mots et des idées, triomphent de la folie, finalement, ceux qui incarnent la mesure, le pragmatisme, la franchise et la vérité. Molière : « lʼhumain parfait » ? De la femme et de lʼhomme, il a tout observé, tout perçu ou pressenti, tout exploré et éprouvé. Rien de la bonté, de la perversité, de la médiocrité humaine ne lui fut étranger. Il se lança à corps perdu dans lʼaventure des désirs insensés. Il prit tous les risques et souffrit tous les tourments. Il dit non, rusa, parla, protesta, se tut, reparla sans se démettre ou se soumettre jamais. Dieu merci, il ne fut pas un « artiste pur ». Il côtoya et chérit lʼimpur comme un fou, il comprit et il aima sans mépris lʼhumain plus quʼimparfait. Poète vivant, il a, plus quʼaucun autre, fait vivre ensemble la poésie, la comédie et le drame, rires et larmes enchevêtrés, élans et faiblesses confondus, désirs infinis avec petites vérités pratiques à lʼexclusion des grands principes abstraits et des dogmes irréfutables. Il a subi, il a enduré le calvaire des pouvoirs imbéciles, absolus et contradictoires, aux titres cumulés dʼauteur, dʼacteur et de chef de troupe… de sorte que mettre nos pas dans les siens nous paraît aujourdʼhui dʼun grand confort et dʼun incessant réconfort. Merci au Saint Patron ! Armand Delcampe (croyant en Molière) 3. Armand Delcampe, metteur en scène Armand Delcampe a voué sa vie au théâtre. Fondateur, en 1975, de lʼAtelier théâtral de Louvain-la-Neuve, il le dirige et le transforme en 1999 en Atelier Théâtre Jean Vilar. Cette responsabilité ne lʼa pas empêché de poursuivre, en parallèle, une double carrière de comédien et de metteur en scène. Il a joué et/ou mis en scène plus de 100 pièces en 40 ans… 4. La vie de Molière Rien ne prédispose Jean-Baptiste Poquelin, fils dʼun bon bourgeois, tapissier ordinaire du roi, à monter sur les planches, après avoir fait ses humanités au collège des jésuites de Clermont (lʼactuel lycée Louis-le-Grand) et obtenu une licence en droit à Orléans. Il renonce au barreau et à la charge de son père pour fonder avec Madeleine Béjart lʼIllustre-Théâtre, entreprise vouée à lʼéchec face aux deux puissantes troupes de lʼHôtel de Bourgogne et du Marais, ce qui le mène tout droit en prison pour dettes. La troupe entreprend une tournée de plusieurs années en province, notamment dans le sud de la France – cʼest durant cette période que Molière se forme et reçoit la protection successive de plusieurs grands personnages du Royaume dont Monsieur, frère du roi ; cela lui permet de jouer à Paris en 1658 devant le souverain, plus sensible à son interprétation dʼune simple farce, le Docteur amoureux, quʼà celle de Nicomède du grand Corneille, et dʼobtenir, en alternance avec les Comédiens-Italiens, la jouissance de la salle du Petit-Bourbon. Molière nʼa alors écrit que des farces aujourdʼhui perdues, à lʼexception du Médecin volant et de La Jalousie du Barbouillé, ainsi que deux comédies, LʼEtourdi, (jouée à Lyon en 1655) et Le Dépit amoureux (jouée à Béziers en 1656) qui ne lui ressemblent guère. Il commence à se trouver avec Les Précieuses ridicules (1659), où sʼallie à la tradition de la farce (déguisements, soufflets et bastonnades) la satire aiguë dʼune mode contemporaine. Il continue de sʼaffirmer, non sans tâtonnements, avec Sganarelle ou Le Cocu imaginaire (1660), LʼEcole des maris (1661), Les Fâcheux (1661), une comédieballet et une tentative malheureuse vers le genre plus sérieux de la comédie héroïque avec Don Garcie de Navarre (1661), qui trahit sans aucun doute sa volonté dʼéchapper à la réputation de « farceur » que ses premiers ennemis lui font. Il réussit son coup de maître, quelques mois après son mariage avec Armande Béjart – fille de Joseph Béjart et sœur de Madeleine Béjart, en écrivant LʼEcole des femmes (1662), 2 la première des comédies de maturité en cinq actes et en vers : sur fond dʼintrigue rebattue (la précaution inutile), il réussit la peinture dʼun Arnolphe, barbon profond et tourmenté par la peur dʼêtre trompé, un obsédé en somme – le premier dʼune lignée à venir – qui fait le malheur de ses proches, de sorte que la pièce oscille entre le comique et le pathétique. Avec une telle matrice dramatique, quʼil réutilisera souvent, Molière a trouvé là sa voie propre. Infatigable, Molière est à la fois le directeur, lʼauteur, le metteur en scène, et lʼun des tout premiers acteurs de la troupe à laquelle le roi accorde protection et pension, ce qui nʼest pas sans susciter des jalousies. Molière y répond au moyen de deux courtes pièces, La Critique de LʼEcole des femmes (1663) et LʼImpromptu de Versailles (1663), dans lesquelles il se défend et surtout entreprend la réhabilitation du genre comique, peu goûté des doctes en regard de la tragédie, et qui ne sʼennoblit que dans les années 1650. En 1664, au moment des somptueuses réjouissances organisées à Versailles, « les Plaisirs de lʼIle enchantée », Molière, sur qui repose lʼorganisation de la fête, jouit du plus grand crédit : pour satisfaire le goût du monarque pour la danse, il conçoit, avec JeanBaptiste Lully (compositeur français dʼorigine italienne qui domine lʼensemble de la vie musicale en France à lʼépoque du Roi-Soleil) le genre nouveau de la comédieballet, qui donnera naissance à lʼopéra français. Le principe de la comédie-ballet est dʼajouter les charmes du ballet (somptuosité des costumes et de la décoration, diversité des entrées, plaisir combiné de la danse, de la musique et des « effets spéciaux ») à ceux de la comédie et de les allier de manière cohérente. Les interventions dansées et chantées nʼy sont pas une série de divertissements conventionnels qui viennent casser lʼunité de la comédie, ils sʼy insèrent et y deviennent nécessaires. Dans Monsieur de Pourceaugnac, par exemple, ces intermèdes sont les fantasmes et les cauchemars des personnages et dans Le Bourgeois gentilhomme, lʼapothéose de la folie de Monsieur Jourdain. À lʼoccasion de la naissance de ce nouveau genre, Molière donne entre autres une première version en trois actes du Tartuffe, dont la représentation publique ne sera autorisée par le souverain que cinq ans plus tard, en raison de la hardiesse du sujet traité : non seulement la mise en garde contre lʼhypocrisie religieuse risque de discréditer les vrais chrétiens, mais le héros, déplaisant bien que lucide et intelligent, nʼest rien moins quʼambigu. En butte à toutes sortes dʼennuis et de tourments, mais fort de la bienveillance royale - en 1665, la troupe devient la Troupe du roi -, Molière va plus loin encore avec Dom Juan ou Le Festin de Pierre, thème à la mode, dont il achève rapidement la rédaction et quʼil fait jouer en 1665, pour remplacer à lʼaffiche le Tartuffe que la cabale des dévots a réussi à faire interdire. Il crée un protagoniste révolté qui défie toute forme dʼautorité ; aucun personnage de théâtre nʼexerce autant de fascination sur les foules que ce héros complexe et mythique, qui se prête à des interprétations dramatiques sans cesse renouvelées. Hélas ! Lʼamitié du roi manque de constance et le conflit avec Lully jette Molière dans une sorte dʼoubli, sinon de semi-disgrâce, qui lʼafflige. Il innove encore avec le Misanthrope (1666), œuvre profonde dans laquelle on rit peu, malgré la satire de certains usages mondains, car le personnage dʼAlceste nʼa que les défauts de sa qualité, lʼexigence morale. Après cet échec, qui nous étonne aujourdʼhui, Molière écrit 3 beaucoup : une farce, Le Médecin malgré lui (1666), une comédie mythologique, Amphitryon (1668), une comédie dʼinspiration bien sombre, George Dandin (1668), et enfin une franche comédie, LʼAvare (1668). Les dernières années de sa vie voient se succéder quelques chefs-dʼœuvre : Le Bourgeois gentilhomme (1670), une comédie-ballet dont Lully compose la musique et qui fustige le snobisme dʼun maladroit imitateur des usages de la noblesse, Les Fourberies de Scapin (1671), une comédie dʼintrigue dont le mouvement et les effets témoignent dʼune exceptionnelle maîtrise scénique, Les Femmes savantes (1672), une sévère condamnation des « femmes-docteurs » et du pédantisme, et enfin Le Malade imaginaire (1673), œuvre comique mais hantée par la présence obsédante de la mort. Au cours de la quatrième représentation de cette dernière comédie, où il raille non plus seulement les médecins mais la médecine même, il est pris de convulsions et sʼéteint quelques heures plus tard. Grâce à lʼintervention de Louis XIV, dont il nʼavait pourtant plus la faveur, il échappe à la fosse commune où finissent les comédiens qui nʼont pu abjurer, et il est enterré de nuit, sans aucune pompe. Tout de suite après sa mort (1673), tous les auteurs comiques se déclarent ses héritiers, se partageant en deux courants : - la comédie de caractère où lʼon retrouve Dufresny et Regnard ainsi que Boursault, Baron et surtout Destouche comme auteurs - la comédie de moeurs où lʼon retrouve Boursault, Varon mais aussi Champmeslé, Dancourt et Lesage. Dʼaprès lʼarticle de G. Conesa consacré à Molière dans Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Bordas, Paris, 1991. 5. Le théâtre Moliéresque La puissance du théâtre moliéresque tient non seulement à la qualité de sa visée satire des manies éphémères et des hantises profondes de lʼhomme - mais aussi à la nature proprement dramatique de son écriture, car Molière est avant tout homme de théâtre. Dans lʼélaboration progressive de sa dramaturgie, son génie éclectique recueille le meilleur de la tradition antérieure : certains types de la comédie latine, perpétuée par les auteurs du XVIème siècle, quelques imbroglios de la comédie italienne, caractérisée par lʼingéniosité de ses intrigues, lʼinvention thématique de la comédie espagnole dont l'abondante production inspire nos créateurs tout au long du siècle, et surtout la conception du jeu théâtral de la commedia dellʼarte, théâtre semiimprovisé, qui laisse une grande part au jeu gestuel de lʼacteur. Molière intègre parfaitement ces divers éléments dans une perspective neuve. Lʼoriginalité majeure de son théâtre tient au fait quʼil repose essentiellement sur un élément de nature psychologique : le travers dʼun héros, isolé dans son idée fixe (maladie imaginaire, avarice, dévotion, snobisme), qui devient la cause dʼune perturbation et, convention oblige, lʼobstacle au mariage des amoureux. Ces personnages, prisonniers de leur obsession et grossis par la nécessité, sont cependant soigneusement individualisés : ils possèdent à la fois un vice majeur et un trait secondaire. Tartuffe est, certes, 4 hypocrite, mais également gourmand et sensuel ; Alceste, héros du Misanthrope, est excessivement rigoureux, mais amoureux dʼune coquette. De sorte quʼils jouissent tous dʼune certaine ambiguïté psychologique et aussi dʼune remarquable plasticité dramatique. Enfin, Molière conçoit la peinture de types moraux dans une société donnée, qui possède elle-même ses propres travers, de sorte que la peinture psychologique se complète dʼune satire sociale : il fustige tantôt lʼattitude intéressée dʼune noblesse ruinée, tantôt le pédantisme des beaux esprits, tantôt encore le matérialisme borné de certains bourgeois. Il va sans dire que, dans cette perspective, le comique qui en résulte est pour le moins sujet à caution et que le ton des pièces – pensons au Misanthrope, au Tartuffe ou à George Dandin - frise souvent le pathétique ou même le tragique. La virtuosité de lʼauteur consiste dʼailleurs à faire alterner ces tons, en ramenant toujours la pièce sur le terrain comique lorsquʼelle risque de tourner au drame, et seule la loi du genre réussit à faire admettre les fins de convention sans lesquelles Tartuffe et Dom Juan seraient victorieux. Une telle équivoque explique, entre autres, que lʼon ait tant débattu sur la morale de Molière. La nature même du genre comique, qui se fonde toujours sur un consensus social, astreint le dramaturge à adopter la morale moyenne de la société, qui condamne les affectations et consacre lʼordre établi, comme on le voit dans George Dandin ou Le Bourgeois gentilhomme. Après tout, un dramaturge nʼa pas à faire bannière, par la bouche dʼun « raisonneur », de tel credo moral, mais à éclairer un problème de manière contradictoire, à exprimer les tensions quʼil suscite ; cʼest à ce prix quʼune œuvre résiste au vieillissement. Ainsi, aux côtés dʼAlceste, Molière crée Philinte, et face à Dom Juan, il imagine Sganarelle. Quant à lʼhomme même, nous ignorons tout de ce quʼil pensait et, sʼil a pu se lier aux libertins de son temps, rien ne le montre en tout cas comme un ennemi acharné de la religion. Cependant, la qualité exceptionnelle de ce théâtre ne saurait sʼexpliquer par son seul contenu satirique, quelle quʼen soit la nature. Molière sʼest formé sur les planches et il a conscience de la nécessaire stylisation du langage quʼimposent les conditions mêmes de la représentation. Il sait dʼexpérience que le dialogue dramatique nʼa rien de naturel ni de spontané – même sʼil doit le paraître – et que le jeu comique demande de la variété et du dynamisme. Cʼest pourquoi on le voit veiller soigneusement à lʼattaque dʼune réplique et à lʼenchaînement des propos, ou encore ménager des séries de répliques parfaitement mécanisées, où ce qui se dit a bien moins dʼimportance que la manière dont cela se dit, car cʼest la forme même de lʼéchange qui traduit métaphoriquement le conflit. Cʼest pourquoi Molière se montre également si attentif aux effets rythmiques qui sous-tendent son dialogue, à ses variations de tempo ou encore à la distribution des répliques. En un mot, il trouve son style propre en élaborant une écriture essentiellement dramatique, qui transcende le parler individualisé de ses personnages, et qui confère à son théâtre toute son efficacité scénique. Enfin, sa création théâtrale est nécessairement marquée par sa formation dʼacteur et donc par lʼenseignement du prestigieux Scaramouche, dont il a été lʼélève. Ses dons dʼacteur comique et surtout de mime ont frappé ses contemporains. « Il était tout comédien depuis les pieds jusquʼà la tête, il semblait quʼil eût plusieurs voix, tout parlait en lui et dʼun pas, dʼun sourire, dʼun clin dʼœil et dʼun remuement de tête, il 5 faisait concevoir plus de choses quʼun grand parleur nʼaurait pu dire en une heure », écrit Donneau de Visé. De sorte que Molière se réserve souvent non pas le premier rôle dʼune pièce, mais le rôle comique : il choisit dʼinterpréter Arnolphe dans LʼEcole des femmes, Orgon dans le Tartuffe ou encore Sganarelle dans Dom Juan. Dʼautre part, Molière chef de troupe « invente » la mise en scène, en prenant soin dʼindiquer à ses comédiens les intonations exactes et les gestes précis quʼil attend dʼeux, ou en réglant les mouvements scéniques dʼensemble, comme le montre LʼImpromptu de Versailles. Molière en habit de Sganarelle, gravure par Simonin, BNF Ainsi, cʼest à une longue pratique et à une réflexion profonde sur les lois propres du genre dramatique que lʼœuvre de Molière doit sa théâtralité et par là son exceptionnelle vitalité. G. Conesa, in Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Bordas, Paris, 1991. En résumé : Le théâtre de Molière tend au naturel et sʼéloigne des stéréotypes. Il copie le vivant pour créer des caractères tels que lʼAvare, le Malade Imaginaire ou le Misanthrope, personnages obsédés, complexes et nuancés. Il réussit la synthèse entre la tradition populaire (farce et commedia dellʼarte) et lʼambition séculaire de la finalité morale du théâtre. Son oeuvre est engagée dans son temps par la satire des modes et des contradictions sociales (Le Misanthrope est une attaque contre la cour et ses grimaces ; LʼEcole des femmes, une attaque contre le mariage imposé aux jeunes filles ; Les Femmes savantes, contre lʼabus dʼintellectualisme des femmes mariées ; …), mais elle vise en même temps lʼuniversalité par la peinture psychologique de lʼhomme, dont les petites manies et obsessions profondes sont moquées par la dérision. 6. Quʼest-ce quʼune femme savante ? Le terme de « femme savante » ne sʼentendait pas de la même façon à lʼépoque que de nos jours. Si maintenant on peut se demander en quoi il y a matière à faire une comédie sur des femmes savantes, ce terme avait une signification bien précise quand Molière a créé la pièce. Il était, avec dʼautres (la coquette, le jaloux, la prude, etc.), un des termes décrivant quelquʼun dʼextravagant, de coupable dʼune entorse à la sociabilité. Cette dernière était une valeur de grande importance dans la haute société de lʼépoque, le milieu mondain. Cʼest dans ce milieu mondain composé de la cour du roi et de la haute bourgeoisie cultivée, quʼest née la notion de femme savante. 6 Le milieu mondain nʼétait pas pour autant misogyne, au contraire. Les salons étaient un lieu de discussions et dʼidées progressistes sur divers domaines comme par exemple ceux de lʼéducation des femmes ou de lʼégalité des sexes. Si lʼon se moque des « femmes savantes », ce nʼest pas pour leur instruction mais pour lʼétalage de leurs connaissances, la pédanterie. Dans lʼétique mondaine, lʼexhibition de ses connaissances et les savoirs hors de propos sont mal vus. Les hommes risquent autant que les femmes le ridicule, seulement cette tare était beaucoup plus rare et incongrue chez les femmes. En effet, rien ne prépare les femmes à détenir des savoirs au vu du peu dʼinstruction quʼon leur accorde dans la société du XVIIème siècle. A lʼépoque de la création des Femmes savantes, les connaissances des femmes sont rudimentaires, même dans les milieux bourgeois. Même pour les plus favorisées, leur formation intellectuelle se limite à la lecture, plus rarement à lʼécriture (car toute la communication du ménage doit passer par le mari) et à la culture religieuse. Elles nʼont pas besoin de savoirs scientifiques ou autres car elles nʼont de toute façon pas accès à lʼuniversité et aux métiers nécessitant des connaissances intellectuelles. Cependant, cʼest sur le public féminin, avide de rattraper son retard, quʼont misé ceux qui cherchaient à promouvoir les sciences modernes, en particulier le Cartésianisme. Les cartésiens cherchaient à conquérir les milieux mondains afin de faire pression sur les résistances de lʼuniversité traditionnaliste. La tenue de conférences savantes à caractère mondain ou encore la traduction en français dʼouvrages latins dans un but de vulgarisation ont vite abouti à des résultats et il est devenu de bon ton dʼavoir du « goût » et des « clartés » pour les sciences et la littérature. Le risque était bien sûr lʼexcès, vu comme un défaut majeur dans une société si préoccupée par lʼéquilibre humain. La science des femmes ne devait pas dépasser certaines limites. Source : http://clio.revues.org/133?&id=133 7 7. Personnages Philaminte (Nathalie Willame), la mère. C'est elle qui dirige la petite « académie » et qui a découvert Trissotin. Parce que celui-ci flatte son orgueil, elle le considère comme un grand savant au point qu'elle pense réellement qu'il peut faire un bon parti pour sa fille. Elle milite également pour la « libération » des femmes et s'attache à diriger la maisonnée, même si c'est en dépit du bon sens. Bélise (Cécile Van Snick), la tante. Sœur de Chrysale, c'est une vieille fille qui ne s'est jamais mariée, et l'on devine que c'est en partie par dépit qu'elle a rejoint les « femmes savantes ». Elle se croit cependant irrésistible et s'invente des soupirants ; elle s'imagine en particulier que Clitandre est amoureux d'elle et qu'Henriette n'est qu'un prétexte. Armande (Morgane Choupay), la fille aînée. Autrefois courtisée par Clitandre, elle l'a rejeté et celui-ci est alors tombé amoureux de sa sœur Henriette. Elle prétend que cela la laisse indifférente, mais en fait, elle est jalouse de sa sœur et n'a qu'un but : empêcher les deux amoureux de se marier. Trissotin (Pierre Poucet), un pédant. Bien qu'il se vante d'être un grand connaisseur en lettres et en sciences, il est tout juste bon à faire des vers que seules Philaminte, Bélise et Armande apprécient. Il semble s'intéresser aux femmes savantes plus pour leur argent que pour l'érudition de ces dernières. Ce personnage est inspiré de l'abbé Charles Cotin. Les poèmes qu'il lit à la scène 2 de l'acte III sont inspirés de textes présents dans les Œuvres mêlées (1659) et dans les Œuvres diverses (1663, 1665) dudit abbé. Chrysale (Patrick Brüll), le père. Il se prétend le maître de la maison et affirme que les femmes ne doivent s'occuper de rien d'autre que des tâches ménagères ; cependant, il a du mal à contredire sa femme quand celle-ci prend ses décisions, notamment sur le renvoi de Martine. Henriette (Agathe Détrieux), la fille cadette. C'est la seule femme de la famille qui ne fasse pas partie des « femmes savantes » : à leur langage pédant, elle préfère les sentiments qui la lient à Clitandre. 8 Clitandre (Julien Lemonnier), le soupirant d'Henriette. Autrefois amoureux d'Armande, il fut éconduit par celle-ci. Vadius (Alain Eloy), un pédant comme Trissotin. Il est tour à tour son camarade et son rival. Sa querelle avec Trissotin sur leurs poèmes respectifs met en relief la petitesse d'esprit de ce dernier. Ce personnage est inspiré du grammairien Gilles Ménage. Une telle dispute est d'ailleurs réellement arrivée entre Charles Cotin et Gilles Ménage à l'époque de l'écriture de la pièce. Ariste (Freddy Sicx), l'oncle. Frère de Chrysale, il n'accepte pas de voir celui-ci se laisser mener par le bout du nez par sa femme, et apporte son soutien à Clitandre et Henriette. Martine (Marie-Line Lefebvre), la servante. Au début de la pièce, elle est renvoyée par Philaminte pour avoir parlé en dépit des règles de la grammaire. Elle revient à la fin pour défendre les arguments de Clitandre et d'Henriette. Julienne (Julie Thiele), le valet de Vadius. L'épine, le valet de Trissotin. Le notaire (Jean-François Viot), chargé du mariage. 9 Opposition des personnages Le nœud de lʼintrigue est le mariage compromis entre Clitandre et Henriette. Ce sont les seuls à se parler véritablement et à mêler la parole au sentiment. Cependant, leur amour est la cause de nombreuses oppositions (dont ils font parfois partie) tout au long de la pièce. Ces affrontements se déroulement par « couples » dont voici les principaux : Henriette – Armande Il sʼagit ici de lʼopposition de deux conceptions de lʼéducation féminine. Henriette est plus traditionnelle dans le sens ou elle se soumet à lʼautorité masculine dès lors que celle-ci est raisonnable. Elle est naturelle et intuitive, sʼintéresse plus à fonder une famille quʼà sʼinstruire. Armande, quant-à-elle, est rebelle à cette autorité et revendique des capacités cognitives égales à celles des hommes. Molière ne condamne pas autant le goût pour les lettres de celle-ci que sa pudeur face à lʼamour et au mariage. Son intellectualisme semble artificiel et sert à cacher sa jalousie et son orgueil. Elle cherche à compromettre le bonheur dʼHenriette mais sa méchanceté nʼest que la conséquence de ses frustrations volontaires. Chrysale – Philaminte Cʼest un couple hors norme. La relation est inversée. La femme a lʼautorité et le mari sʼy soumet. Philaminte est le personnage le plus négatif de la pièce. Par sa manie, elle plonge sa famille dans les conflits. De nouveau, ce nʼest pas lʼintelligence le problème mais les nuisances créées par celle-ci quand elle ne se soumet à aucune mesure : réguler son monde par la grammaire et se positionner en arbitre de lʼintelligence relève de la psychiatrie. En face de cette volonté déséquilibrée, Chrysale, uniquement concerné par sa tranquillité et sa qualité de vie, fuit souvent la confrontation. Clitandre – Trissotin Clitandre est pour Molière lʼexemple parfait de lʼhonnête homme. Son bon sens, son physique agréable, ses bonnes manières et son dégoût des excès (amour platonique préconisé par Armande, pédantisme de Trissotin) lʼopposent en tout point à Trissotin, vulgaire, orgueilleux et intéressé. Les deux cherchent à se marier à Henriette. Ariste – Bélise Oncle et Tante dʼHenriette, ils sont respectivement lʼincarnation de la raison et de la folie. Le premier correspond à un Clitandre vieilli, plus sage. La seconde, malgré son âge, sʼimagine que tous les jeunes gens sont épris dʼelle. Elle donne un aperçu de ce que va devenir Armande si elle persiste à refuser le mariage. Cotin et Ménage (Trissotin et Vadius) Il est de notoriété publique que Molière a pris pour exemple Charles Cotin et Gilles Ménage, deux « beaux esprits » de lʼépoque, pour créer les personnages de Trissotin et de Valdius. Trissotin (ce qui signifie trois fois sot) fait référence à lʼabbé Charles Cotin (16041682). Celui-ci était entre autres membre de lʼAcadémie française, prédicateur et 10 aumônier du roi. Il était une personnalité très en vue à lʼépoque de par sa longue carrière littéraire même si de nos jours il est considéré comme un auteur mineur. Il a, dès le départ, critiqué Molière et ses œuvres. Il a par exemple écrit en 1666 dans La Satire des Satires : J'ai lu de mauvais vers sans blâmer le poète J'ai lu ceux de Molière et ne l'ai point sifflé... Sachant l'art de placer chaque chose en son lieu, Je ne puis d'un farceur me faire un demi-dieu. Il sʼest aussi attaqué aux comédiens dans La Critique désintéressée des satires du temps : « Que peut-on répondre à des gens qui sont déclarés infâmes par les lois mêmes des païens? Que peut-on dire contre eux à qui l'on ne peut rien dire de pis que leur nom? ». Molière a pris Cotin comme modèle pour Trissotin afin de se venger. Il le fait en effet passer pour un faux savant à lʼérudition pédante, un poète raté abondant de préciosités ridicules et très imbu de sa propre personne. Molière a, de nombreuses façons, cherché à faire voir lʼabbé Cotin sous les traits de Trissotin. Il avait au départ nommé le personnage Tricotin mais a changé par la suite pour moins de transparence. Le personnage a à plusieurs reprises pour texte des vers réellement écrits par Cotin. De plus, Molière a acheté des vêtements ayant appartenu à lʼabbé pour les faire porter par celui qui jouait le personnage dans la pièce. La pièce porta un sacré coup à la réputation de Cotin. Après la mort de ce dernier, on écrivit ces quatre vers : « Savez-vous en quoi Cotin Diffère de Trissotin? Cotin a fini ses jours, Trissotin vivra toujours. » Gilles Ménage avait la réputation dʼêtre lʼun des plus grands érudits de son époque. Il était renommé entre autres pour ses connaissances linguistiques et en particulier celle du grec ancien. Il avait, selon une ancienne coutume, latinisé son prénom en Aegidius. Ses contemporains lui reprochaient souvent son manque de créativité et le fait quʼil compensait cela par des emprunts aux auteurs de lʼantiquité. Cela ne lʼempêchait pas dʼaccuser les autres de pillage. Sur le plan humain, ses contemporains peignent de lui un tableau très négatif. Il était vaniteux, teigneux, pédant et avait la manie déjà dépassée à lʼépoque dʼécrire ses poèmes dans toutes les langues quʼil maitrisait. Ces traits de caractère et autres défauts lui ont valu de nombreuses querelles avec ses pairs. Il nʼy a par contre pas de raison connue pour que Molière veuille sʼen prendre à Ménage, mais sans doute sa réputation et son caractère suffisaient à en faire un bon adversaire pour Cotin. Selon les dires, Ménage aurait eu le bon goût de feindre de ne pas se reconnaître dans le personnage de Vadius. La dispute entre les deux savants dans le salon évoque une querelle que Cotin et Ménage avaient eue au sujet de vers que Cotin avait écrit et que Ménage avait dénigrés, comme dans la pièce, sans en connaître lʼauteur. 11 8. La pièce jugée par un contemporain Critique dʼépoque de la pièce par Jean Donneau de Visé, fondateur du Mercure Galant, l'un des premiers périodiques français, fondé en 1672 afin de fournir au public parisien et provincial des nouvelles de la Cour et de la ville, et de rendre compte de tous les événements, mondains (naissances, mariages, décès, nominations, fêtes, concerts, cérémonies religieuses) et littéraires (sermons, nouvelles pièces, nouveaux livres, séances de l'Académie française). Encyclopédie Universalis Jamais en une seule année l'on ne vit tant de belles pièces de théâtre, et le fameux Molière ne nous a point trompés dans l'espérance qu'il nous avait donnée il y a tantôt quatre ans, de faire représenter au Palais-Royal, une pièce comique de sa façon, qui fut tout à fait achevée. On y est bien diverti, tantôt par ces précieuses ou femmes savantes, tantôt par les agréables railleries d'une certaine Henriette, et puis par les ridicules imaginations d'une visionnaire, qui se veut persuader, que tout le monde est amoureux d'elle. Je ne parle point du caractère d'un père, qui veut faire croire à un chacun, qu'il est le maître de sa maison, qui se fait fort de tout quand il est seul, et qui cède tout dès que sa femme paraît. Je ne dis rien aussi du personnage de M. Trissotin, qui tout rempli de son savoir, et tout gonflé de la gloire, qu'il croit avoir méritée, paraît si plein de confiance de lui-même, qu'il voit tout le genre humain fort au-dessous de lui. Le ridicule entêtement qu'une mère, que la lecture a gâtée, fait voir pour ce M. Trissotin, n'est pas moins plaisant; et cet entêtement, aussi fort que celui du père dans Tartuffe, durerait toujours, si par un artifice ingénieux de la fausse nouvelle d'un procès perdu, et d'une banqueroute, (qui n'est pas d'une moins belle invention que l'exempt dans l'Imposteur) un frère, qui, quoique bien jeune, paraît l'homme du monde du meilleur sens, ne le venait faire cesser, en faisant le dénouement de la pièce. Il y a au troisième acte une querelle entre ce M. Trissotin, et un autre savant, qui divertit beaucoup ; et il y a au dernier acte, un retour d'une certaine Martine, servante de cuisine, qui avait été chassée au premier, qui fait extrêmement rire l'assemblée par un nombre infini de jolies choses qu'elle dit en son patois, pour prouver que les hommes doivent avoir la préférence sur les femmes. Voilà confusément ce qu'il y a de plus considérable dans cette comédie, qui attire tout Paris. Il y a partout mille traits d'esprit, beaucoup d'expressions hardies, et beaucoup de manières de parler nouvelles et hardies, dont l'invention ne peut être assez louée, et qui ne peuvent être imitées. Bien des gens font des applications de cette comédie, et une querelle de l'auteur, il y a environ huit ans, avec un homme de lettre, qu'on prétend être représenté par M. Trissotin, a donné lieu à ce qui s'en est publié ; mais M. Molière s'est suffisamment justifié de cela par une harangue qu'il fit au public, deux jours avant la première représentation de sa pièce : et puis ce prétendu original de cette agréable comédie ne doit pas s'en mettre en peine, s'il est aussi sage et aussi habile homme que l'on dit, et cela ne servira qu'à faire éclater davantage son mérite, en faisant naître l'envie de le connaître, de lire ses écrits, et d'aller à ses sermons. Aristophane ne détruisit point la réputation de Socrate en le jouant dans une de ses farces, et ce grand philosophe n'en fut pas moins estimé de toute la Grèce. Mais pour bien juger du mérite de la comédie dont je parle, je conseillerais à tout le monde de la voir, et de s'y divertir, sans examiner autre chose, 12 et sans s'arrêter à la critique de la plupart des gens qui croient qu'il est d'un bel esprit de trouver à redire. Source : Site de la Comédie Française : http://www.comedie-francaise.fr/histoire-et-patrimoine.php?id=386. Consulté le 7/3/2012 9. Notes sur les costumes et la scénographie Gérald Watelet, le chroniqueur et cuisinier de Sans Chichis, mais également pour ceux qui ne le sauraient pas, le couturier, signe avec ce spectacle sa première création de décor et de costumes pour le théâtre. Un défi relevé de manière magistrale et une corde de plus à lʼarc de ce grand monsieur bien connu de notre petit écran qui a présenté six défilés de Haute Couture naguère à Paris. 13