C`est (aussi) ça l`amour

Transcription

C`est (aussi) ça l`amour
PSYCHO
PAR VALENTINE VAN GESTEL / ILLUSTRATIONS : CAROLE WILMET
C’est (aussi) ça l’amour...
AVOUER L’INAVOUABLE
Le quotidien de la vie à deux n’est pas toujours fleur bleue.
Parsemé de petites embûches, comme de vérités parfois bien difficiles à révéler.
Comment dire ces choses pas faciles sans vexer, blesser ou perdre son alter ego ?
Des experts du cœur nous aiguillent.
C’
est formidable : vous
vous aimez. Mais voilà
qu’un beau jour, vous
ne supportez plus ce
« détail », chez l’autre
ou chez vous : comment confesser cette
évidence qui va inévitablement blesser
votre moitié ? Dans ce domaine, il y a les
partisans de la transparence absolue et
ceux du petit jardin secret entretenu.
Mais commençons par le début : toutes
les vérités sont-elles bonnes à sortir de
l’ombre ? « Non, répond Catherine
Mainguet, psychothérapeute familiale.
Lorsqu’on est jeune, on est dans cet idéal
de tout confier à l’autre, de ne rien lui
cacher. Mais avec la maturité, on apprend
que tout n’est pas bon à dire. » Sophie
Mercier, conseillère conjugale et familiale, partage cet avis : « Il y a pas mal de
choses que l’on doit garder pour soi, que
l’autre n’est pas en mesure de comprendre ou qu’il est préférable de cultiver en
solo. Etre un couple, ce n’est pas se fondre en un seul individu. Les personnes
qui rêvent de cela recherchent sans doute
l’état de grâce du lien nourrisson-mère,
que nous avons tous perdu. »
Cette fusion crée aussi des obligations
qui peuvent finir, à terme, par étouffer
l’autre et l’amener à... mentir, cacher,
tromper. Yvon Dallaire, psychologue
québécois et auteur d’une trilogie sur le
bonheur conjugal, estime toutefois qu’il
vaut mieux avouer ce qui pourrait hypothétiquement compromettre l’intimité
du tandem : « Chaque personne doit
avoir ses activités, ses amis, ses passions
et ses secrets. Mais ceux-ci ne doivent pas
nuire à la relation d’intimité avec son
partenaire. » Selon le professionnel, les
couples heureux évitent les points sensibles et s’arrangent pour vivre avec leurs
désaccords.
Oui mais comment fait-on quand on n’en
peut plus de ce petit secret qui nous pour-
rit le quotidien ? On réfléchit à deux fois.
« Si ma blonde a quelques vergetures en
plus, est-ce que je lui en parle ? Vaut mieux
pas... Surtout si je sais qu’elle est sensible à
son esthétisme », image Yvon Dallaire. Et
si l’on opte pour le secret, on s’assure
d’abord qu’il soit bien gardé. Pour toujours. Parce que l’apprendre par quelqu’un
d’autre ou des années plus tard fait doublement mal. Prêt à passer aux aveux ? Il
faut attendre le bon moment. « Il y a un
temps pour le mensonge par omission,
voire le mensonge, puis viendra la vérité, si
nécessaire, explique Catherine Mainguet.
Attendez que votre moitié soit dans une
bonne disposition d’esprit, qu’elle ne soit
pas en difficulté. Parce que cette révélation,
elle va devoir l’encaisser... » Derniers
conseils : prendre des pincettes, positiver
son message, utiliser le « je » et non le « tu »
et, si possible, ajouter un peu d’humour
et toujours beaucoup d’amour. Mode
d’emploi en quelques cas concrets. 왘
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PSYCHO
de la lune de miel et on dit à l’autre ce
qu’il veut entendre, il faut être clair sur ses
envies. On prétend que l’amour est aveugle, mais c’est la passion qui l’est... Le
mariage fait recouvrer la vue assez rapidement. Parfois brutalement. » Sophie
Mercier confirme : « Il est important de
ne pas mentir. Le conflit ne représente pas
vraiment un danger, par contre, faire un
enfant sans la permission de l’autre ou
prendre la pilule sans le prévenir serait
plus dérangeant pour l’histoire du couple.
Si ce sujet est délicat, on peut recourir aux
aides extérieures, dans un planning familial ou chez une conseillère conjugale, par
exemple. » Un professionnel permettra en
effet de faire entendre certaines choses...
« De comprendre la volonté qui s’inscrit
souvent dans un passé, une histoire familiale », conclut Catherine Mainguet.
« JE N’AIME PAS
TA FAMILLE »
Avant de vous jeter dans la gueule du loup,
Catherine Mainguet vous conseille d’abord
d’essayer de relever les chouettes côtés de
votre belle-famille. « Après tout, c’est elle
qui a produit cet homme ou cette femme
que vous aimez. Ensuite, ayez de la tendresse pour les traits de caractère qui vous
insupportent, comme vous en avez pour
vos propres parents. » Mais il va de soi que
vous n’êtes pas obligé de vous taper la
smala toutes les semaines. Sophie Mercier
propose de réduire votre présence aux fêtes
principales et de laisser votre compagnon y
aller sans vous le reste du temps. Quant à
Yvon Dallaire, il confirme que ce sujet de
discorde est un classique : « La belle-famille
est la troisième source principale de dispute
dans un couple – après l’argent et l’éducation des enfants. La meilleure façon
d’aborder le problème est de déclarer : « Je
comprends que tu aies envie d’y aller, mais
je ne tiens pas à être présent à chaque fois...
parce que je me sens mal à l’aise. » » Le
conflit le plus récurrent ? Comme dans les
vaudevilles, la belle-mère qui explique à sa
bru comment s’occuper de ses enfants. « Il
n’y a pas de solution miracle, mais il existe
une stratégie efficace, explique le Québécois. Monsieur prendra systématiquement
la défense de sa femme devant sa maman,
et ce, même s’il pense qu’elle a tort ! Pourquoi ? Parce que sa mère sera toujours sa
mère, même si elle est fâchée contre lui,
alors que son épouse... » Enfin, il faudra
garder à l’esprit que « vous n’êtes pas
contraint d’avoir des affinités, souligne
Catherine Mainguet. Les familles recomposées où cela marche le mieux, c’est
quand on dit aux enfants : “Vous n’êtes pas
obligés de vous entendre, vous devez vous
respecter, mais vous ne devez pas vous
aimez.” C’est pareil pour la belle-famille. »
« JE NE VEUX PAS D’ENFANT
(OU J’EN VEUX UN AUTRE) »
Attention, projet de vie. Le sujet est ultradélicat. Selon Catherine Mainguet, il peut
être un motif de séparation et doit s’aborder sans tarder. « Dès la période de
fréquentation, précise Yvon Dallaire.
Même si généralement, on est dans le rêve
« JE NE TE DÉSIRE PLUS
PARCE QUE TU AS GROSSI,
MINCI, EST DEVENU(E)
CHAUVE, POILUE »
Si votre partenaire se laisse aller et que
vous perdez en désir, c’est important de le
souligner, mais délicatement. « Pourquoi
pas en faisant référence à des photos
d’avant et en les trouvant belles ? », invite
Sophie Mercier. « Nous avons tous tendance à prendre du poids, il est
primordial de rappeler à l’autre l’intérêt
de rester en forme en affirmant : “Je t’aimais mieux quand tu étais comme ça”,
suggère Catherine Mainguet. N’attaquez
pas d’emblée en déclarant que vous
trouvez ses sandalettes au comble de l’antisexy. Quand on est bien avec l’autre, on
peut aussi faire ça sous forme de jeu
“Qu’aimes-tu chez moi ou pas ?” – C’est
le moment de reconnaître que le pyjama
“vache” vous coupe la libido... »
Pour tout ce qui a trait au physique,
essayez de communiquer positivement.
Préférez le « j’aime quand tu es rasé de
près » plutôt que « cette barbe de trois
jours, c’est laid » ; le « J’adore cette odeur
de savon » à la place de « tu sens la transpiration ». « Le renforcement positif reste
l’outil le plus performant en matière
d’éducation ou de relation », explique
Sophie Mercier. Toutefois, rappelez-vous
que vous ne changerez pas l’autre. « C’est
votre regard qui doit changer ! Si vous
l’avez choisi trop mince, trop gros, trop
velu... C’était le deal de départ. »
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« TU AS UNE HALEINE DE
PONEY, TU PUES DES PIEDS,
TON HYGIÈNE EST
DOUTEUSE »
« L’odeur, c’est la chose la plus intime,
donc la plus difficile à concéder, explique
Catherine Mainguet. Si votre conjoint
pue des pieds, c’est moins compliqué
parce que c’est terriblement commun :
cela arrive à tout le monde. Mais l’haleine
ou la transpiration, c’est plus complexe,
parce que c’est quelque chose qu’on ne
peut pas contrôler. Il faut ménager les
gens... » Pour Sophie Mercier, si cela pollue votre relation, il est mieux de l’avouer
mais avec énormément de délicatesse. La
discussion pourrait commencer par « Il
faut que je te parle de quelque chose de
délicat. Je ne désire pas te blesser, mais je
voudrais qu’on trouve une solution
pour... » Remettez également la faute sur
votre nez : « Je suis très sensible, je suis un
peu incommodé, probablement que
quelqu’un d’autre ne le serait pas... »
« On ne sent pas tous la même chose et
notre odorat n’est pas formaté de la
même manière, confirme Catherine
Mainguet. Comme dans un cours
d’œnologie où les personnes découvrent
qu’elles n’ont pas la même sensibilité au
goût de l’amer ou du sucré... » Lors de ses
consultations, Yvon Dallaire a été régulièrement confronté à des patientes lui
demandant de suggérer à leur partenaire
de prendre soin de leur hygiène. « Dans
ce cas-là, je leur dis : “Savez-vous que les
femmes ont un odorat jusqu’à dix fois
plus développé que le nôtre ? Lors d’une
expérience où l’on avait enveloppé dix
bébés dans une couverture, toutes les
mamans ont su reconnaître le leur. Pas les
hommes.” »
« TU ES UN(E) MAUVAIS(E)
AMANT(E) »
Mieux vaut discuter de ce point assez
rapidement. Pour Yvon Dallaire, on peut
opter pour une méthode radicale. « On
achète une paire de menottes et on lui fait
l’amour comme on aimerait qu’il nous
fasse l’amour, rigole le conférencier. Ou
alors, on propose une alternance du pouvoir : “les jours impairs, c’est moi, les jours
pairs, c’est toi qui me fais l’amour.” De
cette façon, les deux acceptent de se mettre à l’écoute de l’autre. » Et plutôt que de
déclarer « Je n’aime pas ça », soulignez les
gestes qui vous font du bien. Pourquoi ne
pas se plonger dans un livre ou dans une
activité qui permet d’évoluer ? « Faire
l’amour, cela s’apprend, raconte Sophie
Mercier. Si cela semble désespéré, essayez
la sexothérapie ou le conseil conjugal qui
accompagnent les troubles du désir et de
la libido... » Un point de vue confirmé par
Catherine Mainguet : « Excepté lors d’un
coup de foudre, où les phéromones fonctionnent à plein tube, il est nécessaire
d’apprendre à connaître les endroits qu’il
ou elle aime. Parler de ce qui plaît ferait
perdre en charme et en romantisme ?
Alors proposez un jeu... “Et quand je te
touche là, ça te fait quoi ?” » Les blocages
sexuels peuvent également venir de l’éducation inculquée par les parents. Pour
vous en débarrasser, rien de tel que l’aide
d’un professionnel.
« JE T’AI TROMPÉ »
Une vérité difficile pour le couple. L’idéal
serait d’analyser la tromperie : est-ce un
accident de parcours ou une véritable relation parallèle ? « Une infidélité n’est
jamais banale : vibrer sexuellement peut
amener à vibrer au niveau du cœur,
explique Yvon Dallaire. Si l’on est fidèle à
soi-même, fidèle à son engagement, que le
couple s’épanouit mutuellement au lit,
logiquement l’on reste fidèle. J’aime beaucoup le conseil d’une de mes copines à
son fils de 24 ans, troublé d’avoir trompé
son amie lors d’un séjour Erasmus et qui
ne savait pas s’il devait être sincère ou
non. Sa mère, lui a rétorqué : “A 20 ans,
je t’aurais affirmé que, bien sûr, tu dois le
dire, t’as fait une connerie, une entaille au
contrat implicite, tu l’assumes. A 50 ans,
je pense que cela ne sert à rien de lui faire
du mal pour rien. Cela va être dur et compliqué pour toi, mais ce serait trop facile
de le lui avouer. Si tu es sûr de ton choix,
que c’est elle, alors ne la fais pas souffrir.
Par contre si tu es ambivalent, il ne faut
pas le cacher...” »
Toutefois, quand on sent que le secret n’a
pas été bien gardé, que l’autre commence
à avoir des soupçons et pose des questions,
mieux vaut jouer cartes sur table. Car si
vous niez et que la vérité éclate, le fait
d’avoir été doublement trompé fera plus
mal. « Lorsqu’un infidèle avoue un coup
de canif, le taux de divorce consécutif
serait de 43%. Souvent parce qu’il y a un
déséquilibre dans le couple et que le cocu
utilise la tromperie comme prétexte pour
rompre. A contrario, si le conjoint a posé
la question et qu’on lui a menti, puis qu’il
découvre l’infidélité, le taux de séparation
passe à 86 % ! », évalue Yvon Dallaire.
Rassurez-vous donc : cet aveu ne signe pas
nécessairement la fin du monde. « Mais il
faudra du temps pour guérir de cette blessure qui peut être vécue très différemment
d’une personne à l’autre, explique Sophie
Mercier. Le mieux, c’est de consulter, afin
de mettre au clair la raison de l’infidélité,
la culpabilité de celui qui a fauté et enfin
la blessure narcissique et la rupture de la
confiance que ce genre de découverte provoque très fréquemment chez le partenaire.
Pour moi, les deux personnes du couple
sont en souffrance dans cette situation. »
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