Les Rougon Macquart Une « saga » des Temps modernes A l`heure
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Les Rougon Macquart Une « saga » des Temps modernes A l`heure
Les Rougon Macquart Une « saga » des Temps modernes A l’heure de Facebook Classe de Première L Patricia FAUQUEMBERGUE, Lycée Vauban, Aire sur la Lys Première/ Objet d’étude = Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours .Selon le BO du 30 septembre 2010, «Dans cette appréhension de l'univers de la fiction, on n'oubliera pas que la découverte du sens passe non seulement par l'analyse méthodique des différents aspects du récit qui peuvent être mis en évidence (procédés narratifs et descriptifs notamment), mais aussi par une relation personnelle au texte dans laquelle l'émotion, le plaisir ou l'admiration éprouvés par le lecteur jouent un rôle essentiel » Niveaux et entrées du programme « L'appropriation par les élèves de ces connaissances et de ces capacités suppose que soient mises en place des activités variées favorisant une approche vivante des apprentissages en fonction des besoins des élèves. Le professeur vise, dans la conception de son projet et dans sa réalisation pédagogique, à favoriser cet engagement des élèves dans leur travail. Une utilisation pertinente des nouvelles technologies pourra les y aider. » - Il est donc bien recommandé de « pratiquer diverses formes d'écriture (fonctionnelle, argumentative, fictionnelle, poétique, etc.). » Redynamiser la lecture de la genèse des Rougon, et placer l’élève dans une posture mimétique réflexive grâce à l’écriture numérique. Numérique et projet d’enseignement Participer à un jeu de rôle virtuel collaboratif par le biais d’un Facebook qui permette d’incarner les personnages à l’origine de la série des Rougon-Macquart, mais aussi de créer d’autres personnages fictifs pouvant s’inscrire dans la trame narrative Supports exploités Objectifs littéraires et culturels - La Fortune des Rougon, Zola - Etablir des passerelles entre la culture personnelle de l’élève et l’univers romanesque de Zola, entre l’univers des séries connues des élèves, et cette « famille-souche », pour finalement donner corps par le numérique à ces personnages de roman, et incarner par des comptes fictifs, cette combinaison entre l’étude physiologique et l’étude sociale, le « déterminisme du sang et celui du milieu »1 -S’interroger sur la construction narrative de l’œuvre et sa cohésion dramatique. En effet, Facebook s’inscrit dans une forme d’immédiateté, alors que La Fortune des Rougon repose sur des analepses. La narration n’est pas linéaire, chez Zola. L’histoire se déroule sur une semaine, pourtant les premiers chapitres sont consacrés à un personnage et à son histoire, tout en intégrant des passages relatifs au Coup d’Etat de 1851. - Enrichir l’œuvre romanesque par le numérique en imaginant des conversations sur la toile entre les personnages du roman, ou entre des personnages inventés qui seraient dans la continuité de la fiction première. - Réfléchir aux valeurs de la République, et à la question de la Mémoire. La bande des insurgés ayant été cruellement réprimée par Napoléon III, est presque oubliée de nos jours. Lire La Fortune des Rougon, c’est aussi se souvenir que des hommes et des femmes ont été sacrifiés pour avoir défendu les valeurs de liberté et d’égalité de la République. Ressources numériques et outils informatiques mobilisés - Constitution des réseaux sociaux via Wisemapping en classe, et au CDI - Ecriture collaborative via Facebook à la maison - Compétence de lecture : si l’œuvre n’est pas maitrisée, et comprise, les échanges via Facebook seront non fondés, la lecture en profondeur de l’œuvre est une condition indispensable pour que l’exercice soit réussi. - Compétence d’analyse : en faisant vivre les personnages via la toile, les élèves comprennent mieux la « complexité » de ces personnages, à la fois « cobayes » d’une expérience littéraire, inscrits dans une époque de troubles historiques mais aussi avatars de mythes bibliques, voire réminiscences romantiques avec le couple Miette/Silvère. - Compétence d’histoire littéraire et culturelle : pour mieux comprendre l’intertextualité, et l’influence d’une époque sur la genèse des personnages, lecture de documents complémentaires, comme un extrait de Claude Bernard, et des extraits de films documentaires sur l’évolution des Espèces (C’est pas sorcier - Cuvier, Darwin…), visite du Musée d’Histoire naturelle… - Compétence d’écriture : ce travail sur la toile est un travail d’écriture, qui repose sur un véritable travail stylistique. Par exemple, le jeune médecin, ami du Docteur Pascal se doit de parler comme un scientifique. Donc l’élève qui incarne ce personnage doit impérativement maîtriser le lexique de l’observation, de la déduction. Il réutilise des éléments de lecture analytique, exploite aussi les documents complémentaires, ainsi que l’atelier pédagogique sur les insectes réalisé au Musée d’Histoire Naturelle de Lille. De la même façon, le jeune Silvère, ayant lu Rousseau pourra s’en inspirer pour communiquer avec la bande d’insurgés. Quant à Félicité, elle se doit d’être un fin stratège, et doit rassembler la « meute » des Rougon. Compétences exercées Les étapes du projet Etape 1 : Lire dès la première séance La Fortune des Rougon comme un feuilleton Etape 2 : Etudier la complexité des personnages et de leurs rapports Etape 3 : Placer le lecteur dans une posture d’écrivain, en imaginant d’abord les réseaux sociaux Etape 4 : Faire vivre sur la toile ces réseaux Etape 5 : Prendre de la distance par rapport à son personnage et varier les postures de lecteur. Pourquoi recourir au numérique ? Le numérique et en particulier Facebook permet aux élèves d’accéder à une forme de « jeu de rôles » et de varier les postures de lecteur (de lecteur sensible, il devient écrivain, et lecteur critique). En outre, incarner sur la toile les personnages des Rougon Macquart ne paraît pas si anachronique qu’il y paraît à première vue, puisque les évènements sont commentés par les commères, sans qu’on puisse les identifier clairement. Le pronom indéfini « On » est souvent utilisé, comme dans le chapitre II : « On apprit, dans le faubourg, que Macquart venait d’être tué à la frontière par le coup de feu d’un douanier ». De même, lorsque le narrateur raconte le moment où le couple d’amants perce la muraille d’une porte, « trois commères » sont scandalisées, considérant cette porte comme « le comble du dévergondage. » à la page 84. Enfin, il existait bien une association secrète des Montagnards, qui défendait la République, et qui se réunissait dans des « chambrettes », sorte de caves, de souterrains. Les membres de cette association prêtaient un serment. Les informations de Paris ne leur parvenaient pas, néanmoins, ils s’organisaient nécessairement en « réseau », en « clan ». Et précisément, en politique aujourd’hui, certains groupes sont très actifs, sur le net. Il y a donc deux types de « réseaux » possibles dans la Fortune des Rougon : - un réseau qui repose sur des échanges plus légers, laissant la libre parole à ces commères avides de nouvelles qui défient la morale. Dans ce réseau, un personnage nouveau fera son apparition, un scientifique, un double en quelque sorte du docteur Pascal. - et un autre qui repose sur des échanges plus politisés, ou intellectuels. Les deux peuvent d’ailleurs se croiser, se combiner, car il est rare que les personnages restent figés dans l’une ou l’autre de ces représentations. Contexte de l’activité Étape L’activité est menée en 1ère L. L’écriture du Facebook se fait en fin d’étude de l’œuvre, la dernière semaine avant les vacances de Toussaint et se poursuit à la maison pendant les vacances. 1 Lire la Fortune des Rougon comme un feuilleton Problématiser l’œuvre Dès la première séance, des liens ont été établis entre l’œuvre littéraire, les mythes bibliques, et les séries américaines, comme Dallas, Desperate Housewives, qui questionnent aussi l’animalité et l’humanité du héros, problématique au cœur de notre séquence. Dès le début de séquence, l’élève est amené à établir des passerelles entre sa culture personnelle et l’univers romanesque de Zola, entre l’univers des séries connues des élèves, et cette « famille-souche », qui fait écho elle-même à des mythes comme Abel et Caïen. Un extrait des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné est donné en lecture complémentaire. On peut se référer à Vincent Jouve, dans L’Effet-personnage dans le roman, qi affirme que le personnage emprunte « un certain nombre de ses propriétés au monde de référence du lecteur ». Cet être de papier a donc bien une existence textuelle, mais il prend aussi forme dans l’esprit du lecteur, en se nourrissant de sa propre perception du monde extérieur. La première séance fait émerger cet entrelacement d’images qui se superposent. Dans les extraits de synthèse 1 et 2, on voit clairement que l’élève adopte une posture comparative, qui lui permet d’aborder l’intertextualité de l’œuvre, en faisant un lien avec les mythes antiques. Copie 1 : Copie 2 : Étape 2 Etudier la complexité des personnages et de leurs rapports Rendre le lecteur autonome Étape Pour développer ces compétences d’analyse, et de lecture, les élèves proposent par la suite leur propre parcours dans l’œuvre, en lien avec ces séries. Ils rentrent alors dans les blancs du texte et leur lecture se nourrit d’une superposition de références : on peut penser à la citation de Julia Kristeva : « Tout texte se construit comme une mosaïque de citations » à l’univers du lecteur. En effet, quand l’élève découvre un personnage d’une autre époque, il superpose inconsciemment des figures « livresques » romanesques, ou cinématographiques. Faire apparaître cette superposition d’images lui permet d’adopter une démarche réflexive. L’élève devient plus autonome, il s’affirme, et choisit lui-même les lectures analytiques, qui correspondent à la problématique, comme on peut le voir dans cette proposition de Camille, qui interroge le rôle de la Tante Dide dans la famille. 3 Placer le lecteur dans une posture d’écrivain, en imaginant d’abord les réseaux sociaux. La constitution des réseaux L’objectif est d’enrichir l’œuvre romanesque par le numérique en imaginant des conversations sur la toile entre les personnages du roman, ou entre des personnages inventés, s’inscrivant dans la trame narrative. En premier lieu, la mise en place des réseaux questionne la fonction même du personnage dans la narration Deux réseaux ont être créés : celui d’un jeune médecin admiratif des recherches du Docteur Pascal, et celui d’André Ailhaud de Volx, insurgé d’Aix en Provence ayant réellement existé. - Le premier personnage créé fait se croiser des figures diverses : Léon de Pérac fait écho au Docteur Pascal, luimême double de Zola, et se combine avec un souvenir d’enfance : les élèves ont choisi le nom de Pérac en lien avec le personnage de la Marquise des Anges, parce que pour eux, il doit être séduisant. Il coexistera avec d’autres personnages de Plassans. - Le groupe des commères témoigne de ce besoin qu’a l’homme de se construire des histoires. Dans le roman, les commères n’ont pas de visage. Dans le roman, il est écrit « le faubourg se fâcha », et avec le Facebook, on donne corps à cette entité confuse : les commères excellent dans leur art de la médisance. Les élèves apprennent à prendre de la distance, et se montrent ironiques à l’égard de leur personnage, par exemple Catherine de Cubouc est une commère du quartier Saint Marc, une femme médisante, méchante, aimant se repaître d’histoires d’adultère. L’élève crée un personnage dans lequel on perçoit une visée ironique. -Le personnage d’Ailhaud de Volx devient un personnage mythique de la révolte, et incarne le type même du héros, il est aux antipodes de Macquart. Et les élèves ont été fascinés par l’histoire de cet insurgé, qui n’apparaît pas dans le roman, mais qui correspond à l’esprit romantique de Silvère et de Miette, luttant pour un idéal républicain, au point d’en perdre la vie. Voici les deux réseaux créés : Étape 4 Faire vivre sur la toile ces réseaux sociaux. Enquêter comme un naturaliste Les lectures analytiques ayant fait apparaître une forme d’animalisation des Rougon Macquart, les élèves vont d’abord se familiariser avec l’univers des insectes, en visitant le musée d’Histoire naturelle de Lille. Ils adoptent une démarche de scientifique, de chercheur, d’écrivain naturaliste, et apprennent à mieux connaître le comportement des arthropodes, leur vie de groupes. Un travail en interdisciplinarité sera entrepris avec le professeur de SVT de la classe. Les élèves se familiarisent donc avec le vocabulaire scientifique, et aborde la question de l’hérédité en manipulant le logiciel Drosofly avec le professeur de SVT, en croisant deux types de mouches et en observant leur croisement comme le ferait Mendel. Ecrire comme un naturaliste Le premier réseau est celui du jeune docteur et des commères du quartier. Un peu plus tard, au moment du décès de Silvère, voici le emssage posté par le jeune médecin naturaliste Auquel s’associe celui de Lison Deschamps : Le Facebook favorise ainsi la relecture du livre et la pratique d’une écriture à la manière de Zola. Par exemple, au début de l’exercice, sur la toile, l’élève qui incarne le docteur Pascal résume l’histoire de Tante Dide, alors que vers la fin, l’élève qui joue le rôle du Léon de Pérac établit des parallèles entre la famille des Rougon Macquart et ses observations d’insectes à la manière d’un vrai naturaliste. Le personnage les observe comme le fait le docteur Pascal dans le salon jaune. Zola affirme bien dans sa préface, vouloir résoudre « la double question des tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement d’un homme à un autre ». Et l’élève comme Zola essaie d’écrire comme un naturaliste. Il expérimente la théorie zolienne, le vit de l’intérieur en quelque sorte . On voit clairement que grâce les messages des commères relancent en quelque sorte l’écriture, Léon de Pérac s’affirme davantage et son analyse de la famille est tout à fait juste. Il compare les Rougon-Macquart et les fourmis, tout en commentant la famille. Par rapport aux premiers écrits, l’écriture s’affine. Le deuxième réseau se centre autour d’André Ailhaud de Volx. Au fil des écritures, le récit de la Fortune des Rougon se métamorphose. Les personnages prennent parfois une dimension nouvelle. C’est le cas pour le personnage de Joseph Mourgue, qui n’a qu’une existence mineure dans le roman de Zola : pages 442-448. Or sur Facebook, il apparaît plus affirmé et est présent dès les premiers échanges. L’élève qui incarne Jospeh Mourgue, était bien consciente de cette différence, mais ce qui m’a intéressé est de laisser justement l’élève développer sa propre narration, en introduisant une variante de la fiction. Laura a choisi de faire de Mourgue non plus un paysan rustre que l’on découvre au moment de l’exécution de Silvère, mais un double de Silvère, qui intervient dès le début de l’insurrection. Cette modification narrative n’est pas un contresens, au contraire elle peut se justifier par la série des doubles qui parcourent l’œuvre de Zola. BILAN DES USAGES DU NUMERIQUE Intérêt et enjeux de l’exploitation du numérique Le lecteur affine donc son analyse du texte, il prend du recul par rapport à l’écriture zolienne, par rapport à son personnage et au récit de l’œuvre. Le lecteur s’est affirmé et est devenu plus expert. En outre, la dimension collaborative apporte un élément nouveau à la narration. C’est une écriture en mouvement. L’élève devient en quelque sorte un co-auteur, un co-narrateur tout en incarnant un personnage dans une fiction nouvelle rendue possible grâce au numérique. Les élèves ont écrit une œuvre personnelle, qui s’inspire et s’inscrit dans celle de La Fortune des Rougon. Les élèves sont donc devenus co-auteurs, co-narrateurs et personnages ( ?), en écrivant sur Facebook, mais ils se sont également exercé à un autre type d’écrit, en participant à un forum, sur l’ENT. A travers leurs messages, les élèves adoptent une autre attitude. On assiste à une autre métamorphose, puisqu’ils rentrent dans le commentaire spontanément. Bibliographie / sitographie - L’Effet-personnage dans le roman, Vincent Jouve