Dans les vestiaires - Centre Culturel de Doische

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Dans les vestiaires - Centre Culturel de Doische
« DANS LES VESTIAIRES » de François AUSSANAIRE (F)
D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu faire du sport.
Un sport. Oui mais, lequel ?
Choisir, c’est ça qui fut le plus compliqué. J’ai longtemps hésité entre sports individuels et
sports co. En réalité, ce que je cherchais, c’est un sport pas complètement individuel ;
collectif mais pas trop.
Pas simple !
Le tennis ? Non. Trop froid, trop impersonnel. Trop maniéré aussi. Je cherchais un
sport, pas un prétexte à pince-fesses mondain. Et puis, passer des heures à renvoyer une
balle à un type à trente mètres de soi, non merci !
A l’inverse, le rugby ? Non plus. Trente mecs toujours à se rouler par terre, par tous les
temps et à se foutre sur la gueule à la moindre occasion, avant de se réconcilier au bar ; très
peu pour moi.
Le ski, le cheval ? Je n’en avais pas les moyens, et dans le genre maniéré et prétentieux,
c’était pas mal non plus.
Le foot, il faut courir tout le temps, et courir, j’aime pas.
Le basket, je suis trop petit. Le volley aussi, et c’est dommage car l’idée d’avoir deux équipes
séparées par un filet, sans contact, j’aimais assez.
Le ping-pong, le badminton ? Je suis trop lent.
Finalement, j’ai choisi le hand. Sept joueurs, une douzaine maximum avec les
remplaçants, c’est à peine un sport collectif. Un petit collectif on pourrait dire. Un
groupuscule sportif.
Ca m’allait très bien.
En plus, je n’avais pas choisi n’importe quel poste. Gardien de but. Un poste à part.
Un poste individuel dans un sport collectif. C’est exactement ce qu’il me fallait.
Un poste pour lequel il faut un regard particulier sur le sport ; une mentalité différente.
Dans une équipe de hand, tous les mecs n’ont qu’une idée en tête, une sorte d’obsession
collective : marquer des buts.
Le gardien, lui, c’est exactement l’inverse : les en empêcher.
Un job de chieur, d’empêcheur de marquer en rond.
Tout à fait moi.
En plus, c’est le seul à ne pas être habillé comme les autres, à ne pas porter l’uniforme. Un
maillot d’une autre couleur et un pantalon de survêtement à la place du short.
Ca, j’adore !
Et enfin, au hand, les gardiens de but n’ont qu’une obligation de résultat extrêmement
limitée. Si le shooteur en face marque, c’est normal. Mais si tu arrêtes le tir, c’est toujours
un exploit ; comme pour les pénalty au foot.
Le poste idéal, je vous dis.
Rapidement, je me suis révélé être un super gardien. Le meilleur qu’on ait eu dans le
département depuis bien longtemps, m’a dit le Président.
Tous les gars de l’équipe le reconnaissaient, même le gardien remplaçant, qui lui n’était pas
une flèche.
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Grâce à moi, et un peu grâce aux autres aussi, il faut quand même le reconnaître, on a fait
une super saison.
Du coup, en peu de temps, je suis devenu la mascotte de l’équipe. Comme une sorte de
porte bonheur. C’est à peine si les autres ne viennent pas me toucher le crâne avant le début
de chaque rencontre.
Dans l’équipe, chacun a son surnom. Un surnom de vestiaires. Né dans les vestiaires,
et bien souvent dans les douches, et à usage exclusivement interne. Réservé aux vestiaires
et qui n’en sort jamais. C’est une règle inviolable.
Dans la plupart des cas, ce sont les particularités physiques de chacun, et parfois le
caractère, qui font les surnoms. Ainsi, dans l’équipe, le pivot c’est « Brioche ». Un ventre
sculpté à la bière, taillé pour déménager les défenses adverses. Et plus il vieillit, meilleur il
est dans ce registre.
L’ailier gauche, c’est « Clito », vu la taille de son sexe.
Lui, il en rigole.
- Pour ce que je m’en sers ! Il dit tout le temps. Du moment qu’elle est assez longue
pour ne pas me pisser sur les doigts, ça me va.
« Clito », c’est un mec zen.
« Biscotte », c’est l’arrière central parce qu’il a des bras, on dirait mes cuisses, en plus
musclés.
Le gardien remplaçant, c’est « P’tites pommes ». On l’appelle comme ça parce qu’il a
des petites fesses toutes rondes d’après ce que disent les autres. Moi je dis ça mais je n’en
sais rien, je ne les ai jamais vues, ses fesses.
L’arrière droit, lui, il a hérité de « Trois couilles », à cause de sa bite, courte et toute joufflue.
Voilà, et ainsi de suite pour chacun.
Même l’entraîneur a eu droit au sien. C’est « Schtroumpf grognon », forcément, parce qu’il
râle tout le temps et qu’il n’est jamais content, même cette année, avec la saison que l’on
fait.
Moi, mon surnom, c’est « ? », mais les gens m’appellent juste « Point » parce que
point d’interrogation c’est trop long à dire. Ils me surnomment comme ça parce que je ne
vais jamais sous les douches. Même dans les vestiaires, j’y reste le moins possible.
Quand j’arrive, je suis déjà en tenue, et je repars juste après le match, sans me changer.
- Qu’est ce que tu as, tu es pédé ? avait questionné finement « Brioche », la première
fois, comme si c’était une maladie honteuse et contagieuse, assortie de boutons et autres
plaques purulentes et repoussantes.
Je n’ai pas eu beaucoup de mal à leur faire admettre que précisément, si j’avais été
homo, je n’aurais pas laissé passer l’occasion de mater tout un tas de mecs à poil sous les
douches.
Les raisonnements simples, les sportifs, comme ils arrivent généralement à les comprendre,
ils y adhèrent d’emblée.
J’arrivais, je jouais, je repartais. C’était comme ça et pas négociable. Sinon, bye bye.
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Comme ils avaient besoin d’un gardien, et d’un bon, ils ont accepté et on n’en a plus jamais
reparlé.
Il faut dire que pour ce qui est des surnoms, j’ai eu ma dose.
Pendant toute mon enfance, j’ai eu droit à « Bouboule », « le petit gros», « gras double »
ou « bas du bide » entre autres gentillesses. Depuis, j’ai maigri et surtout grandi,
tardivement certes, mais j’ai quand-même grandi et ça m’a vacciné à vie des douches de
vestiaires. Alors plus question d’y retourner et de prendre le risque d’un nouveau surnom.
Et puis, « ? », j’aime assez.
Ce jour-là, c’était le dernier match de championnat. On était deuxième à un point et
on recevait le premier au classement. Si on gagnait, on était champions. Du département,
d’accord, mais champions quand-même.
Question motivation, ça aide.
En plus, ils nous avaient mis une valise au match aller. Neufs buts d’écart et on s’était fait
chambrer sévère pendant toute la seconde mi-temps.
En clair, il y avait comme de la revanche dans l’air.
Durant tout le match, les gars se sont tous sortis les tripes et chacun a fait le match de sa
saison.
Moi le premier.
Rien ne passait ou presque. Les attaquants d’en face, je les ai écœurés.
J’ai même été élu homme du match, avec trophée à la clé. Du plus pur style « sportif
flamboyant » ; un superbe objet d’art très contemporain que je me suis empressé de donner
au Président pour la vitrine du club.
- On est les champions, on est les champions.
Depuis une demi-heure, tout le monde s’acharnait à beugler ça dans le vestiaire,
entre deux coupes de champagne, pour le cas où il en serait resté quelques-uns qui
n’auraient pas compris le résultat.
Le Président avait sorti le grand jeu. Les bouteilles se vidaient les unes après les autres. Pas
du mousseux à trois euros, non, de la bulle millésimée.
Avec la fatigue du match, la tension qui retombait, mine de rien, ça cognait dur.
Ce qui devait finir par arriver, arriva.
Deux gars, « P’tites pommes » et « Biscotte », je crois, ont chopé le Président et l’on traîné
sous les douches, tout habillé avec le costume, le gilet, la cravate et l’étui à cigares et l’ont
maintenu sous l’eau jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un centimètre carré de tissu sec.
Là, j’ai commencé à sentir que ça pouvait mal tourner pour moi et qu’il était temps
de m’éclipser discrètement.
Trop tard !
Me voyant me lever, quatre types, je ne sais plus lesquels, mais peu importe, tous auraient
pu le faire, m’ont attrapé, deux par les bras et deux par les jambes, et m’ont porté jusqu’aux
douches.
Là, ils m’ont arraché, plus qu’enlevé, les fringues, sous le regard amusé de tous les autres,
Président et entraîneur compris.
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Ils m’ont tout enlevé, maillot, survêtement et slip, découvrant un triangle de poils noirs et
soyeux avec… rien en dessous, et révélant les bandages qui comprimaient mes seins.
- Merde, une gonzesse ! s’est écrié l’un deux, avec cette finesse de déduction,
typique du sportif imbibé.
Dans l’état où ils étaient, j’ai bien cru que j’allais être violée sur place.
Mais non. Plus mal à l’aise encore que moi, ils m’ont posée sur le sol, presque délicatement,
et m’on laissée me rhabiller comme je pouvais avec ce qu’il me restait de mes vêtements,
avant de quitter le vestiaire, dans un silence de mort, d’autant plus impressionnant comparé
aux hurlements d’allégresse qui venaient de le précéder.
Un sportif, même ivre mort, ça ne viole pas un co-équipier.
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