Rencontre avec J. Malkovich, Y. Landrein et LH Macarel

Transcription

Rencontre avec J. Malkovich, Y. Landrein et LH Macarel
Rencontre avec J. Malkovich,
Y. Landrein et L.H. Macarel Les Liaisons Dangereuses
Lorsqu’on
rencontre
John
Malkovich, on se demande tout
d’abord comment le saluer.
Une tape sur l’épaule du metteur en scène Molièrisé de la
pièce de théâtre « Good canary » ?
Un bisou esquimau à Osbourne Cox l’agent de la CIA de Burn
After Reading ?
Une accolade à Athos mousquetaire du roi dans L’Homme au
Masque de fer?
Un baisé russe à Valmont dans la version de Stephen Fears des
Liaisons Dangereuses?
Un grand salut à la cantonade en direction de John Malkovich
jouant son propre rôle dans Dans la peau de John Malkovich ?
Une petite bise au réalisateur de Dancer Upstairs ?
Et si nous commencions plutôt par une poignée de main ?
Une poignée de main ferme et directe qui laisserait entendre
que l’on n’est pas des « bénis oui-oui » mais que tout de même
« On aime beaucoup ce que vous faites » !?
Parce qu’avec 50 pièces de théâtre et plus de 60 films à son
actif, John Malkovich est une vedette, un dinosaure de la
culture, en France et à l’étranger.
Mais
pas
un
de
ceux
qui
traînent
des
casseroles embarrassantes. Plutôt un des « happy few » en
orbite de notre XXIème siècle. Il a joué avec les plus grands
mais toujours avec une humilité et une dérision toutes «
malkoviennes » et n’a sur la conscience que sa soif insatiable
de créativité.
En définitive John Malkovich est un dinosaure dont,
à
l’instar de « Denver », on aimerait qu’il soit « notre ami et
bien plus encore ».
Et autant dire que l’on n’en mène pas large quand le dinosaure
entre dans le foyer du théâtre de l’Atelier, où a lieu la
rencontre avec les quelques blogueurs retenus.
Les discussions se font plus silencieuses, les postures se
figent, les sourires s’esquissent … et les chuchotements
peuvent commencer. Et puis très rapidement, l’atmosphère se
détend.
Le metteur en scène s’installe à un tabouret, entame un
premier verre de vin et commence à se prêter aux interviews.
Tout simplement.
En français.
En prenant le temps de répondre à chacune des questions
posées.
En prenant le temps de discuter avec chacun.
En prenant le temps de remercier chacun de l’intérêt dont il
fait l’objet.
Une file se met en place pour aller poser les quelques
questions pensées, préparées, pesées des jours durant …
Essayer d’être original, ne pas commettre d’impair, ne pas lui
demander son plus grand moment de cinéma, son meilleur
souvenir de tournage, son meilleur film …
Eviter l’attendu … « Bonsoir Monsieur de Valmont » !
Et puis, le moment arrive … Plus personne devant nous … C’est
là que l’on comprend ce qu’il nous arrive. Il est temps de la
jouer faussement détendu, et de démarrer l’interview tant
attendue.
Cela ne vous démangeait pas de reprendre le
rôle de Valmont ?
Oh non, cette fois je m’occupe de la mise en
scène!
De plus le rôle de Valmont occupe certes une
grande place dans la pièce mais ce n’est pas
tout, il y a tous les autres personnages et
l’histoire surtout, ainsi que tous les éléments techniques.
Selon vous, les valeurs qui sont dénoncées par le couple
Merteuil – Valmont sont-elles toujours d’actualité
aujourd’hui en 2012 ?
Les valeurs oui, la religion certainement pas en France mais
ailleurs, oui !
Aux Etats-Unis par exemple la religion est plus forte.
Comment concevez-vous la création théâtrale dans notre
société moderne ?
Y a-t-il de nouveaux « grands classiques » qui pourraient
émerger parmi nos auteurs contemporains ?
Les « grands classiques » sont devenus des classiques pour de
bonnes raisons. Ils sont très beaux ! Je ne sais pas si l’on
peut dire qu’il y a véritablement de grands écrivains de
théâtre français depuis quelques siècles.
Des « ok », des biens, des intéressants, il y en a eu mais
des grands non.
Depuis Molière, non.
Intéressant c’est sûr, mais si l’on compare avec l’Angleterre
et l’Allemagne, non.
Je ne peux même pas en citer un seul.
Alors pas de confidence sur une éventuelle adaptation à venir
au cinéma ou au théâtre d’une œuvre française ?
Oh non, je n’ai pas dit ça, je ne parle pas des écrivains,
mais des auteurs de théâtre.
Les auteurs de théâtre sont certes bons, mais il y a sans
doute une raison s’ils sont si rarement joués mondialement.
Jean Genet oui, Ionesco qui n’était pas français mais qui
vivait là, Beckett qui a écrit en français, eux m’intéressent
beaucoup mais tout ça remonte déjà à 40 ou 50 ans.
Tout cela m’amène à vous dire que finalement les grandes
pièces ne vont jamais disparaître.
Et même avec les tablettes, e-books et autres smartphones,
vous prédisez à ces pièces encore un long avenir ?
Votre génération écrit beaucoup plus que la mienne.
Quel est le problème ? La technologie et tout ça ? Ça m’est
égal.
Moi par exemple j’écris 20 fois plus qu’il y a 20 ans.
Non, toute cette technologie, ça n’est pas du tout une
mauvaise nouvelle.
D’où vous vient cet amour pour les français et pour la langue
de Molière ?
Oh Molière ! C’est surtout que j’ai une maison ici depuis
très longtemps.
C’est une longue histoire d’amour avec la France !
Et voilà …
Viennent ensuite le tour de Yannick Landrein (Monsieur de
Valmont) et Lazare Herson Macarel (Azolan).
Bon je sais on a déjà du vous la faire mais
qu’est-ce que ça fait de passer après John
Malkovich ?
Yannick Landrein : Rien du tout, c’est
facile…. Rires
Non au début c’est assez impressionnant et
puisque tout le monde pose la question cela
m’a renforcé dans l’idée que c’était quand même un truc
énorme. Mais au bout du compte John est quelqu’un de très
humble et de très modeste et il n’a jamais ramené son
expérience professionnelle en me disant « Moi quand je l’ai
joué je l’ai fait comme ça ». Il a toujours beaucoup composé
à partir de ce qu’on proposait et de la compréhension
universelle du texte. Il n’a jamais cherché à me montrer
comment il fallait jouer Valmont, nous avons simplement
cherché ensemble à savoir comment l’interpréter le mieux
possible à partir du texte de base. Il s’est comporté comme
un metteur en scène et pas comme un passeur et il ne m’a
jamais dit « Allez !! Y a une grosse charge sur toi… ». Au
contraire il a toujours cherché à me simplifier la vie.
Quelle est la part d’improvisation car la mise en scène est
atypique ?
Y.L. : Ce n’est pas un texte classique puisque
l’interprétation théâtrale a déjà trois ans je crois. Le
livre est classique mais l’adaptation est contemporaine et
faite en tentative de langue ancienne, en vieux français.
John est un metteur en scène contemporain, il a un univers
particulier et qui est un peu déjanté, il aime bien le…
comment dit-il déjà, le « fatras ». Il aime bien quand c’est
drôle, quand c’est con, quand c’est décalé, il adore le
théâtre et il n’a pas envie de le cacher.
En toute logique l’improvisation est un des éléments sur
lequel on a travaillé très très vite. Il fallait que l’on
comprenne très vite le texte et ce qu’on jouait pour pouvoir
avoir la liberté par la suite de s’adapter aux envies et
humeurs de chacun, ce qui fait que ça laisse la pièce dans un
état de vivant enfin beaucoup plus vivant que ce que l’on
peut voir dans d’autres pièces plus classiques.
Lazare Herson Macarel : Ce qui fait qu’on a dû, petit à
petit, se faire à l’idée que l’on faisait du théâtre et qu’on
montrait du théâtre en train de se faire : comme une
répétition.
C’est justement ce qu’on a bien aimé, à savoir un texte
classique mais une interprétation un peu dérangeante.
Y.L. : John Malkovich aime bien déranger un peu les gens, il
aime bien les faire sortir de l’histoire pour les faire
rentrer un peu dans le théâtre.
Quel est le rôle de la tablette et des téléphones portables à
part prendre des photos à la volée sous la jupe de Madame de
Volanges?
Regards complices : Ah bon, t’en avais un toi de portable?
Y.L. : C’est une idée qu’a eue John avant même d’avoir choisi
les comédiens il y a plus d’un an et demi.
Il est vrai qu’au début on nous avait dit que nous allions
beaucoup téléphoner, que l’on écrirait beaucoup de lettres et
qu’il y aurait des écrans derrière nous avec les messages
qu’on enverrait et il s’est avéré que dans le travail on a un
peu oublié cet aspect conceptuel et c’est devenu une
anecdote.
Aujourd’hui on communique par ces moyens-là : l’ordinateur,
les sms, le téléphone donc on ne va pas faire comme si on ne
le faisait pas mais ça n’est pas l’idée principale. Le centre
de tout c’est vraiment le théâtre et pas le téléphone
portable.
Une dernière question : Pensez-vous finir entiers toutes les
représentations ? Qui a déjà des bleus …
Y.L. : On en a tous un peu mais c’est normal et on est tous
très bienveillants les uns vis-à-vis des autres !
Une soirée toute en simplicité, en puissance et en émotions
que Pierre & Stef ne sont pas près d’oublier.
Pour rappel, toutes les informations sur la pièce :
Un court billet rédigé par Stef & Pierre qui ont assisté à la
Générale pour Arkult
Les Liaisons dangereuses ,Théâtre de l’Atelier, 1, place
Charles-Dullin (XVIIIe). Tél: 01 46 06 49 24. Horaires: 20 h
du mar. au sam., mat. sam. et dim. 16 h. Places: de 10 à
38 €. Durée: 1 h 55. Jusqu’en mai.
Twitter :@LesLiaisonsD
Facebook : la page fan
Distribution :
Mise en scène: John Malkovich
Équipe technique:
décor : Pierre-François Limbosch
costumes : Mina Ly
lumières : Christophe Grelié
musique : Nicolas Errèra
maître d’armes : François Rostain
Avec: Sophie Barjac, Jina Djemba, Rosa Bursztejn, Lazare
Herson-Macarel, Mabô Kouyaté, Yannik Landrein, Pauline
Moulène, Julie Moulier, Lola Naymark.
Quand Valmont s'attaque aux
Liaisons Dangereuses ...
Une invitation pour une Générale des Liaisons Dangereuses, ça
ne se refuse pas me direz-vous … John Malkovich à la mise en
scène qui plus est. Et frappée du sceau du théâtre de
l’Atelier pour couronner le tout. Il faudrait être timbré pour
dire non à une telle soirée.
Et pourtant, le doute est là, tapi dans un coin de notre
esprit : comment faire oublier au spectateur le film de
Stephen Frears et ses interprètes légendaires ? Quelle
création envisager et quelle originalité apporter ?
Mais voilà, c’est sans compter le talent créatif de John
Malkovich. Et dès les premières répliques, on se trouve bien
plongé dans d’autres Liaisons Dangereuses, plus modernes, plus
décalées, mais tout aussi puissantes.
Le thème des Liaisons Dangereuses avec ses personnages
emblématiques a été traité par Les Inconnus et d’illustres
réalisateurs, au théâtre, sur grand/petit écran et même sous
forme de comédie musicale. Mais, aujourd’hui en 2012 …
L’introduction des tablettes et des téléphones
portables ne dénature-t-elle pas le caractère
épistolaire de l’oeuvre originale ?
La version portée par John Malkovich sort-elle du lot ?
Est-il possible de retranscrire au théâtre la complexité
mystique des personnages de Choderlos De Laclos déclinée
dans une œuvre de 500 pages ?
Pourquoi le duo Valmont-Merteuil fascine-t-il encore et
toujours?
Acte 1
La pièce s’ouvre avec un rideau métallique brinquebalant sur
un acte sobre, un peu lent à se mettre en place. On y retrouve
les lettres que l’on connaît bien et petit à petit on entre
dans le monde de l’énigmatique et flegmatique Malkovich. Les
rouages de la machine infernale des Liaisons Dangereuses nous
semblent soudain plus visibles, plus purs. Le texte, lui, est
toujours aussi fort.Pourtant ce n’est pas le texte qui porte
les jeunes interprètes, c’est plutôt eux qui le portent et qui
se l’approprient avec une fraîcheur de ton saisissante.
Tablettes et téléphones portables côtoient vieux français,
robes « crinolinesques » et redingotes de style. Et pourtant
ça ne sonne pas faux.Ces appareils technologiques devenus
banals dans notre quotidien s’introduisent avec un naturel
déconcertant dans le XVIIIème siècle originel du texte. On
aurait même pu s’attendre et souhaiter qu’ils soient plus
présents. Les smartphones notamment permettent un second degré
qui restitue parfaitement le caractère libertin et joueur de
Valmont, sans éclipser les méandres de l’intrigue et le poids
de l’écrit.
Acte 2
Après l’entracte dans le chaleureux foyer du Théâtre de
l’Atelier, c’est une autre dimension des Liaisons Dangereuses
qui nous est comptée. Finies la frivolité et la comédie, « bas
les masques » : voici venu le temps du drame mais toujours
avec une mise en scène un peu décalée.Il y a plus de
mouvements, les costumes changent, le décor bouge, les jeux de
lumière se font omniprésents, contrastant férocement avec le
premier acte.
C’est une fracture sauvage par rapport au théâtre classique.
Les fauves sont lâchés, les acteurs sautent ou agonisent et se
démènent dans un excès libératoire.Valmont et Danceny se
battent à l’épée avec force fougue et renfort de ketchup. En
somme, l’interprète de Saint-Pierre dans la série de
publicités fortes de café est ici un bon berger, notre Noé qui
nous embarque tous à bord de son arche. Le final très émouvant
des acteurs sur un large plébiscite de l’audience en est
témoin.
La mise en scène
Le décor, ou l’absence de celui-ci est assez déstabilisante,
surtout dans le premier acte.
Les acteurs sont tous sur scène.
Tout le temps.
Tous les 9.
Assis sur des chaises contemporaines et dépareillées à se
désaltérer et picorer des des clémentines.
On se sent comme à une répétition dans l’intimité de la
troupe.Les costumes sont dessinés par John Malokivch, revêtant
ici sa casquette de dandy styliste. Ils sont ancrés dans le
passé mais bel et bien dans le présent car il y a fort à
parier que la Comtesse de Merteuil ne portait pas de pantalons
et que Valmont ne traînait pas son spleen dans un jeans.
Astucieuse éloge des corps, ils sont évolutifs et résolument
aux services de l’évolution du caractère des personnages. Si
« l’amour est enfant de bohème »*, alors on aime cette pièce
bohème chic qui parle d’amour et de stratagèmes sans que le
bon Choderlos ne se retourne dans sa tombe.
Les acteurs
Une histoire, des décors, une mise en scène. Oui, certes. Mais
sans acteurs valables, avouez que ça sonnerait un peu creux.
Autant dire que M. John n’a pas ménagé ses efforts pour le
casting … Ce n’est pas moins de 300 prétendants qui ont défilé
devant la directrice de casting, puis une soixantaine devant
le metteur en scène en personne. Plusieurs mois d’essais pour
parfaire le choix final.
Et le résultat est là.
Yannik Landrein en Vicomte de Valmont face à Julie Moulier en
Madame de Merteuil. L’humour pince-sans-rire et la légèreté de
caractère face à la perversité manipulatrice et la rancoeur
amoureuse.
L’étonnante maturité des comédiens, âgés de moins de 30 ans
pour la plupart, contribue à déstabiliser le spectateur. Notre
société moderne voit en effet les mariages devenir de plus en
plus tardifs, et la maturité sentimentale reconnue une fois la
quarantaine passée.
La pièce nous plonge dans un entremêlement entre figures
parfois tout juste sorties de l’adolescence, digital natives
armés de tablettes et smartphones, et jeunes adultes soumis
aux impératifs familiaux et maritaux en vigueur au XVIIIème
siècle.
Entre les deux époques … nos coeurs balancent encore !
Une nouvelle mise en scène peut-être, mais les Liaisons n’en
sont pas devenues moins Dangereuses. La modernité et
l’immédiateté ajoutent à la violence des mots, l’immédiateté
de leurs conséquences.
De subtiles touches de technologie, un savant saupoudrage
d’inattendu, de décalé, parfois même d’absurde. La recette que
nous présente John Malkovich sur la scène du théâtre de
l’Atelier est savoureuse. Avec pour brigade, des talents
jeunes et moins jeunes, reconnus ou en passe de l’être dans
les jours à venir.
Alors, n’hésitez pas, succombez à la tentation, et goûtez aux
fruits défendus des Liaisons Dangereuses !
Les Liaisons dangereuses ,Théâtre de l’Atelier, 1, place
Charles-Dullin (XVIIIe). Tél: 01 46 06 49 24. Horaires: 20 h
du mar. au sam., mat. sam. et dim. 16 h. Places: de 10 à
38 €. Durée: 1 h 55. Jusqu’en mai.
Twitter :@LesLiaisonsD
Facebook : la page fan
Distribution :
Mise en scène: John Malkovich
Équipe technique:
décor : Pierre-François Limbosch
costumes : Mina Ly
lumières : Christophe Grelié
musique : Nicolas Errèra
maître d’armes : François Rostain
Avec: Sophie Barjac, Jina Djemba, Rosa Bursztejn, Lazare
Herson-Macarel, Mabô Kouyaté, Yannik Landrein, Pauline
Moulène, Julie Moulier, Lola Naymark.
Note * « L’amour est enfant de bohème »
Carmen
: Georges Bizet