Article Le Figaro 28 10 2013

Transcription

Article Le Figaro 28 10 2013
M usique
Les instruments traditionnels montent en
gamme
http://www.lefigaro.fr/musique/2013/10/28/03006-20131028ARTFIG00257-les-instrumentstraditionnels-montent-en-gamme.php
,
•
o
o
o
Par Thierry HillériteauOlivier Nuc
M is à jour le 28/10/2013 à 08:18
Publié le 28/10/2013 à 06:00
Les instruments et musiques traditionnels sont de plus en plus à l'honneur. Crédits photo : © Juan
Carlos Ulate / Reuters/REUTERS
Un festival de mandolines, des rencontres de luthiers et maîtres sonneurs, un documentaire sur un
joueur de bombarde… Enquête sur le nouvel âge d'or du folklore français.
Si l'on en croit la prochaine étude de France Festivals et de l'Observatoire des politiques culturelles
- à paraître le mois prochain sous le titre Festivals de musique, un monde en mutation - les
manifestations consacrées aux musiques traditionnelles et aux musiques du monde représenteraient
18 % des festivals en Europe. Avec des rendez-vous phares tels que l'Interceltique de Lorient 1
(700.000 spectateurs cet été) ou les Rencontres internationales de luthiers et maîtres sonneurs de
Saint-Chartier (135 fabricants, 13 nationalités, 2700 instruments exposés en 2013), la France a de
fortes chances de devenir la figure de proue de cette nouvelle vague «folk».
D'autant que le mouvement ne semble pas s'essouffler. En témoigne le succès du Festival de Lunel
dans l'Hérault 2, dont on célèbre, demain et jusqu'au 2 novembre, les dix ans. Un événement
atypique à plus d'un titre. Fondé par un authentique musicien, Olivier Chabrol, il met en vedette la
mandoline, un instrument aussi méconnu que négligé. Son idylle avec elle remonte à la fin des
années 1990. À cette époque, l'homme dirige un orchestre qui inclut deux pupitres de mandolines,
lesquelles attirent tout particulièrement l'attention du public. «Cet intérêt pour un instrument désuet
m'a mis la puce à l'oreille», explique-t-il.
La mandoline, qui existe alors principalement dans le souvenir de quelques grand-mères férues de
chanson napolitaine, occupe vite une place de choix dans sa vie de musicien. Après avoir épousé
une native de Lunel, Chabrol y installe son festival. «La mandoline s'est d'abord développée à
Naples à partir du XVIIe siècle. En me rendant là-bas en 2000, j'ai été frappé par le fait qu'on n'y
trouvait plus un magasin qui en vendait.» D'extraction italienne, elle s'est en effet propagée jusqu'au
XIXe siècle, avant d'être délaissée par le Vieux Continent. Aussi, «lorsque nous avons monté le
festival, en 2004, nous n'avons pas trouvé de mandolinistes modernes capables d'occuper la scène
pendant une heure trente», se souvient-il. Une tendance qui s'est progressivement inversée,
accompagnant la fréquentation grandissante de cette manifestation. «Notre volonté était de faire
connaître l'instrument, mais aussi de montrer qu'on pouvait se le réapproprier: même si la
mandoline est le thème monomaniaque du festival, nous ne sommes pas des intégristes.»
Si la mandoline est le thème monomaniaque du festival, nous ne sommes pas des intégristes.
Olivier Chabrol, fondateur du Festival de Lunel
M ission réussie, si l'on en juge par les artistes invités de cette dixième édition, venus de tous les
pays et de tous les genres musicaux, du classique (Avi Avital) aux musiques du monde (Hamilton
de Holanda), en passant par le rock (John Paul Jones de Led Zeppelin3). «Cette réappropriation de
plus en plus fréquente touche un nombre croissant d'instruments traditionnels», observe de son côté
l'ethnomusicologue Bruno M essina.
Ce regain d'intérêt avait connu un premier âge d'or au XIXe siècle, avec le retour à la terre initié par
George Sand. En témoigne la grande collecte napoléonienne des musiques de nos régions, organisée
en 1852 avec le concours de 212 correspondants dans les provinces françaises. Tombée en
désuétude avec la révolution industrielle, elle connaît aujourd'hui, en partie grâce à l'essor des
musiques du monde, une nouvelle jeunesse. Avec des artistes de tous bords et de toutes générations.
Un réveil dû également au travail de passionnés, qui ont œuvré sur le terrain pour que se
maintiennent ces pratiques instrumentales. Le sonneur André Le M eut, à qui Christian Rouaud
(Tous au Larzac4) consacre cette semaine un très beau documentaire, Avec Dédé, appartient à ces
hérauts d'un patrimoine retrouvé.
Le mandoliniste niçois Patrick Vaillant aussi. Tout comme André Gabriel, «majoral du Félibrige» et
enseignant au conservatoire de M arseille ainsi qu'à l'université d'Avignon.
Ce spécialiste du galoubet-tambourin, emblème de la Provence, est aussi l'un des grands
collectionneurs d'instruments traditionnels: il en possède plus de 2 600. Et a bien voulu nous servir
de guide dans ce tour de France «organologique».
• Galoubet tambourin
Crédits photo : DR
«On estime à 2000 le nombre de joueurs français de galoubet tambourin», explique le
collectionneur André Gabriel. Ses origines remontent au IXe siècle. M ais ce n'est que 800 ans plus
tard qu'il se fixe en Provence, pour y prendre sa forme définitive: celle d'une flûte à trois trous que
l'on joue d'une seule main, complétée par un tambour de grande taille. Il est aujourd'hui «le seul
instrument de sa famille à avoir connu un regain d'intérêt dans trois répertoires: la musique savante
contemporaine, le baroque et les musiques populaires». Emblème de la renaissance mistralienne, on
l'enseigne aux conservatoires d'Aix, M arseille et Avignon. Parmi ses figures marquantes, citons
M aurice M aréchal ou Patrice Conte.
• Toupin
Crédits photo : DR
Les «batteurs de toupin» jouent encore lorsque les bêtes primées défilent dans les fêtes de village.
Énorme cloche que l'on accroche au cou des bêtes pour la montée aux alpages, le toupin reste
emblématique de la Savoie, qui n'hésite pas à détourner certains objets du quotidien. Il
s'accompagne d'autres instruments non moins étranges comme le bagnolet! «En faisant tourner une
pièce de cinq francs suisses dans ce large récipient qui sert à écrémer le lait, on obtient une sorte de
bourdon métallique au-dessus duquel joue le cor des Alpes», explique André Gabriel. Parmi les
ardents défenseurs du répertoire savoyard, citons entre autres Jean-M arc Jacquier et son groupe La
Kinkerne.
• Pivana
Crédits photo : DR
En Corse, le renouveau des instruments traditionnels est à porter en grande partie au crédit d'une
famille de luthiers et de musiciens: les Casalonga. «Depuis trente ans, ils œuvrent pour réactiver ces
pratiques musicales», témoigne André Gabriel. De fait, depuis leur installation à Pigna, en Balagne,
le village accueille chaque année plus de 50.000 visiteurs. Parmi les instruments typiques de la
Corse, la pivana fait figure d'exception européenne. «C'est peut-être la seule survivance des cornes
de flûte de la Renaissance, aussi appelées cors de chamois.» La pivana est aujourd'hui fabriquée en
corne de mouflon, espèce protégée en Corse. Il est donc nécessaire de réserver sa corne du vivant de
la bête.
• Épinette des Vosges
Crédits photo : DR
Ne dépassant guère 40 cm, l'instrument fait partie de la famille des cithares sur table. Leur heure de
gloire remonterait au second Empire. C'est à cette époque que l'on commence à parler d'épinettes
des Vosges, pour les distinguer de l'épinette proche du clavecin. L'instrument a connu un vrai regain
d'intérêt ces dernières années. «On trouve aujourd'hui des ensembles de quarante à cinquante
épinettes.» Une renaissance qui, selon André Gabriel, s'explique par sa sonorité (bourdon
métallique à la main gauche, et douceur à la main droite, qui utilise la pulpe des doigts ou une
plume d'oie). M ais aussi par l'exceptionnelle marqueterie qui accompagne certains de ces
instruments, très prisés des collectionneurs.
• Bombarde
Crédits photo : Atelier Hervieux&Glet
C'est en Basse-Bretagne, à Pontivy, que seraient nés les «sonneurs de couple» à la fin du XVIIIe.
«Ces sonneurs de tradition villageoise, qui jouaient assis sur une table, se distinguent des binious
braz, grosses cornemuses de bagad, de tradition militaire.» À l'époque, les binious sont encore
réalisés en buis. Ils s'accompagnent de la bombarde (ci-dessus) qui joue un octave au-dessous,
«dans un savant jeu de chassé-croisé d'ornements et de variations entre les deux instruments, mais
toujours sur un tempo immuable », précise André Gabriel. Roland Becker, grande figure du jazz
breton, fut l'un des grands maîtres d'œuvre de la réappropriation de ce duo d'instruments par les
musiques actuelles.
• Vielle à roue
Crédits photo : pompanon.fr
Parmi ses implantations historiques, c'est en région Centre que la vielle à roue demeure la plus
vivace. «Elle serait arrivée chez nous par les chemins de Compostelle», estime André Gabriel. Il
s'agit alors d'une fantastique machine à danser, «juke-box avant l'heure qui associe à un jeu de
bourdons un jeu mélodique très souple,et s'accompagne de grelots attachés aux pieds». On la joue
en principe à quatre doigts - comme à l'époque baroque, sans recourir au pouce. Après avoir fait les
riches heures des groupes folkloriques, «la vielle s'est vue réappropriée par les musiques actuelles et
électroniques.» Son fief est à M ontluçon, où il y eut jusqu'en 1914 «un flot de luthiers aussi
important qu'à M irecourt, berceau français de la lutherie.»
• Ttun-ttun
Le ttun-ttun, ou tambourin à cordes de l'arc pyrénéen, n'est pas fait pour être joué seul mais pour
accompagner une flûte à trois trous - le plus souvent la xirula du pays basque. Il s'agit en réalité
d'une caisse de résonance sur laquelle sont tendues de quatre à douze énormes cordes. On les frappe
à l'aide d'une baguette. «Outre la taille de ses cordes, sa spécificité réside dans les clous cavaliers
que l'on adapte juste après le chevalet afin que la corde puisse friser sur ce métal, ce qui donne un
son tout à fait particulier», dit André Gabriel. Parmi ses ardents défenseurs, citons le groupe
Xarnège de Jean Baudouin (enseignant au conservatoire de Pau), ou encore le musicien M ichel
Etchecopar.