Qui est Charlie? - Diffusion Dimedia
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Qui est Charlie? - Fiche - Diffusion Dimedia Page 1 sur 1 Qui est Charlie? Sociologie d'une crise religieuse TODD, EMMANUEL Éditeur : Seuil Collection : Essais H.C. EAN : 9782021279092 Format : Broché Pages : 252 En librairie le 9 juin 2015 3 à 4 millions de personnes ont défilé en France, les 11 et 12 janvier dernier, sous une revendication d’identité commune : « Je suis Charlie. » Mais qui est Charlie ? Qui sommes-nous, nous qui avons affiché une telle détermination dans le refus de la violence aveugle, la réaffirmation que la République est notre socle commun ? À quoi aspirons-nous vraiment, et de quoi Charlie est-il le nom ? Par sa forme (10 à 12 cartes bichromes in texte) et son ton, ce petit essai prend délibérément la suite du Mystère français (2013), dont il constitue en quelque sorte la conclusion, telle que « l'événement Charlie » autorise à l’écrire. En 140 pages, il pose un diagnostic éclairant sur le mal qui ronge les classes moyennes françaises. Un livre bien peu consensuel, et qui donnera matière à débats, loin de l’unanimisme ambiant. AUTEUR(S) Emmanuel Todd est historien et démographe, chercheur à l’INED. Il a notamment publié Le Rendez-vous des civilisations (Seuil, 2007, avec Youssef Courbage), Après la démocratie (Gallimard, 2008) et, avec Hervé Le Bras, deux ouvrages qui ont fait date, L’Invention de la France. Atlas anthropologique et politique (Hachette, 1981, rééd. Gallimard, 2012) et Le Mystère français (Seuil, La République des idées, 2013). Service de presse (pour le Canada seulement) : Gabrielle Cauchy, attachée de presse / responsable du secteur ESSAIS (514) 336-3941 poste 229 / [email protected] NB : Les prix indiqués sont sujets à changements sans préavis. http://www.dimedia.com/spB0004477--fiche-service-de-presse.html 2015-05-27 L'OBS Date : 30 AVR/06 MAI 15 Page de l'article : p.73,74,76 Journaliste : Aude Lancelin Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Paris OJD : 460780 Page 1/5 EXCLUSIF ii A Quatre mois après les manifestations post-attentats, l'historien et démographe Emmanuel Toddpublie « Qui est Charlie ? ». Un livre réquisitoire contre une France pétrie de bonne conscience, qui a fait sécession de son monde populaire ® PROPOS RECUEILLIS PAR AUDE LANCELIN [H MATHIEU ZAZZO Tous droits réservés à l'éditeur SEUIL 3656483400508 L'OBS Date : 30 AVR/06 MAI 15 Page de l'article : p.73,74,76 Journaliste : Aude Lancelin Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Paris OJD : 460780 Page 2/5 DEBATS I I reste encore quèlques écriteaux « Je suis Charlie » qui jaunissent aux murs des rédactions. Sur les réseaux sociaux, des crayons à papier décorent encore ça et là les profils Facebook. Quatre mois après les tueries de janvier, tout se passe pourtant comme si rien ne s'était passé, comme si le réservoir de l'indignation avait flambé d'un coup dans le noir de la nuit française, sans laisser aucune empreinte. Ni nouveau pacte républicain, ni fraternité régénérée, ni main tendue à une fraction de la jeunesse des quartiers socialement et mentalement désorbitée. Une pure orgie émotionnelle, infertile politiquement, et dont la seule efficacité tangible aura été de demeurer aujourd'hui encore spectralement menaçante pour ceux qui refusèrent de « marcher » - à tous les sens du terme. C'est le moment qu'a choisi l'historien et démographe Emmanuel Todd pour publier « Qui est Charlie ? » (Seuil), réquisitoire terrible contre la France de François Hollande. Un texte écrit dans la fièvre, en trente jours à peine. Son angle d'attaque, particulièrement original, consiste à observer l'origine régionale et sociopolitique des manifestants du ll janvier. Une fois encore, Todd fait parler les cartes et les statistiques pour comprendre, sous les bons sentiments brandis, la signification profonde de ce qui restera comme le plus important rassemblement dè l'histoire moderne du pays. Et ce qu'il voit n'est pas destiné à plaire. Ce qu'il voit, c'est un épisode de « fausse conscience » (Marx) d'une ampleur inouïe. Ce qu'il voit, ce sont des millions de somnambules se précipiter derrière un président escorté par tous les représentants de l'oligarchie mondiale, pour la défense du droit inconditionnel à piétiner Mahomet, «personnage central d'un groupe faible et discriminé ». Ce qu'il voit, c'est un mensonge d'unanimisme aussi, car, ce jour-là, le monde populaire n'était pas Charlie, les jeunes de banlieue, qu'ils fussent musulmans ou non, n'étaient pas Charlie, les ouvriers de province n'étaient pas Charlie. Après le temps de la stupeur, celui du dégrisement. La charge de Todd est rude, mais d'un intérêt considérable pour le débat public. On pourrait bien sûr la discuter de bout en bout. On pourrait notamment trouver très insouciants les raccourcis par lesquels l'auteur ramène tout l'enjeu des affaires dites de « caricatures » à des violences idéologiques infligées à une religion minoritaire. On pourrait craindre aussi que son approche des problèmes posés au pays par un islam conquérant ne pèche par excès d'optimisme, lorsqu'il préconise des accommodements pragmatiques avec la laïcité, dont l'acception française actuelle est à ses yeux trop rigoriste. Reste l'avertissement lancé à une France inégalitaire et autoritaire, en sécession totale avec son peuple, mais n'hésitant pas, encore et toujours, à se parer des oripeaux révolutionnaires d'hier et à se voir si belle dans la devise de ses frontons républicains. Une France qui, ainsi, avance inexorablement vers l'abîme. A.L. Tous droits réservés à l'éditeur Né eh 1951, EMMANUEL TODD est Démographe et historien. Ingénieur cle recherche à l'Ined, il est ' i l'auteur de nombreux essais, parmi lesquels « Après la démocratie » (2008) et « le Mystère ^ancais », avec Hervé Le Bras (2013) Vous avez refusé de réagir à chaud aux événements de janvier. Seul un journal japonais avait fait part de votre méfiance par rapport au mouvement « Je suis Charlie ». Pourquoi ce silence, qu'avez-vous craint alors ? Pour la première fois de ma vie, j'ai eu le sentiment d'être confronté à une vague irrésistible face à laquelle il ne servirait à rien de parler, et même face à laquelle ça pouvait être dangereux de parler. Donc j'ai attendu. Et ce qui m'a probablement décidé à faire ce livre, c'est la déformation professionnelle. Lorsque j'ai commencé à voir la carte des manifestations du ll janvier, leur distribution selon des paramètres régionaux, socioprofessionnels et religieux, j'ai eu la révélation instantanée que les discours unanimistes étaient bidon. Je me suis mis à écrire, mobilisant quarante années de recherche. Olivier Bétourné, le patron du Seuil, m'a dit de foncer. Je l'ai écrit en trente jours secs, porté par une véritable exaspération. Pourquoi porter un jugement aussi dur sur la réaction de masse qui a suivi les attentats ? N'est-il pas permis de la voir simplement comme l'expression d'une révolte face à l'horreur de ces crimes, voire aussi comme un sursaut face au sentiment de délitement du corps collectif que chacun ressent bien depuis des années ? Imaginez si rien ne s'était produit après, si l'atonie avait été totale après des événements pareils, que n'aurait-on pas dit ! On a voulu y voir un salutaire sursaut collectif. Moi, j'y vois au contraire une perte de sang-froid de la part du pays. Pour la première fois de ma vie là encore, je n'ai vraiment pas été fier d'être français. Dans tous les livres que j'avais jusque-là écrits sur la France, il y avait une dimension patriotique. Même un livre comme « le Destin des immigrés », je l'ai fait en 1994 pour répondre aux Anglo-Saxons qui nous renvoyaient sans arrêt à la face le phénomène Le Pen. Je voulais leur dire : mais regardez les taux de mariages mixtes en France ! J'ai toujours défendu mon pays. Et là, pour la première fois, je me suis dit : si c'est en train de devenir ça, la France, eh bien ce sera sans moi. Lorsqu'on se réunit à 4 millions pour dire que caricaturer la religion des autres est un droit absolu - et même un devoir ! -, et lorsque ces autres sont les gens les plus faibles de la société, on est parfaitement libre de penser qu'on est dans le bien, dans le droit, qu'on est un grand pays formidable. Mais ce n'est pas le cas. Il faut aller au-delà du mensonge, au-delà des bons sentiments et des histoires merveilleuses que les gens se racontent sur eux-mêmes. Un simple coup d'œil à de tels niveaux de mobilisation évoque une pure et simple imposture. Il y a certainement une quantité innombrable de gens qui ne savaient pas ce qu'ils faisaient là le ll janvier. Mais nul n'est censé ignorer pour quoi il manifeste, tout de même. Qu'est-ce qui vous a à ce point troublé dans ces manifestations monstres ? A la suite des travaux de Durkheim sur le suicide, ou de ceux de Max Weber, mon but, c'est de faire comprendre aux gens les valeurs profondes qui les font agir SEUIL 3656483400508 L'OBS Date : 30 AVR/06 MAI 15 Page de l'article : p.73,74,76 Journaliste : Aude Lancelin Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Paris OJD : 460780 Page 3/5 et qui ne sont généralement pas celles qu'ils imaginent Quand on observe la carte des manifestations, la première chose qui frappe, c'est ce que l'Insee appelle avec élégance la prédominance des « cadres et professions intellectuelles supérieures ». C'est elle qui permet de comprendre l'importance qu'elles ont prise à Paris, Toulouse, Grenoble, etc. L'autre variable qui, pour moi, d'une certaine manière, est encore plus importante encore, c'est la surmobilisation des vieilles terres issues du catholicisme. Là, il faut que je rappelle ma théorie des deux France, un modèle avec lequel je fonctionne depuis longtemps déjà. D'un côté nous avons la vieille France laïque et républicaine - le Bassin parisien, la façade méditerranéenne, etc. -, la France qui a fait la Révolution en somme. De l'autre, il y a la France périphérique : l'Ouest, une partie du Massif central, la région Rhône-Alpes, la Lorraine, la Franche-Comté. Ce sont les régions qui ont résisté à la Révolution et dans lesquelles l'imprégnation catholique est restée très forte jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Quand on descend au niveau des structures Tous droits réservés à l'éditeur La «Marche republicaine» du11janvier2D15,aLvDn, apres les tueries Al'arnere-plan, la basilique Notre-Dame de Fourviere familiales de ces zones, que j'appelais « catholiques zombies » dans mon précédent livre « le Mystère français », écrit avec Hervé Le Bras, on remarque une absence de valeurs d'égalité, notamment entre frères et soeurs concernant l'héritage. Eh bien, ce qui a inspire ma méfiance immédiate, c'est que le ll janvier, la mobilisation a été du simple au double entre la France de tradition athée et révolutionnaire et cette France périphérique, historiquement antirépublicaine. Ce sont les régions les moins républicaines par le passé qui ont le plus manifesté pour la laïcité, avouez qu'il y a là quelque chose d'étrange. En somme, les bastions ex-catholiques sont les endroits où on a le plus milité pour le droit au blasphème. Si on compare Marseille et Lyon, on voit même que l'intensité des manifestations est du simple au double. Qu'on ne vienne pas me dire dans ces conditions qu'il s'agit de la même laïcité que celle d'hier ! Tout le débat actuel sur la laïcité ne s'inscrit pas dans la continuité des valeurs laïques, écrivez-vous en effet dans ce livre. Les forces qui se réclament aujourd'hui le plus des valeurs laïques sont les forces en réalité les moins républicaines. Comment en est-on arrivé à un tel paradoxe? Ce que j'ai eu, au fond, face à ces manifestations, c'est une sorte d'illumination concernant la vraie nature du système social et politique français. C'est-à-dire pas du tout une République prenant en compte toute la population, plutôt ce que j'appelle une « néo-République » qui n'aspire à fédérer que sa moitié supérieure éduquée, les classes moyennes et les gens âgés. Tous ceuxlà forment un bloc hégémonique qui a une incroyable puissance d'inertie et paralyse tout le système français. Il y a là à l'oeuvre une formidable dynamique d'exclusion : exclusion des électeurs du FN - ce qui en termes sociologiques signifie aujourd'hui l'exclusion des ouvriers - et exclusion des enfants d'immigrés, qui ne sont pas venus manifester. La « néo-République » est cet objet sociopolitique étrange qui continue à agiter les hochets grandioses de la liberté, de l'égalité, de la fraternité qui ont rendu la France célèbre dans le monde, alors qu'en fait le pays est devenu inégalitaire, ultraconservateur et fermé. En gros, la France qui est aux commandes, c'est la France qui a été antidreyfusarde, catholique, vichyste. Mais lorsqu'on le dit comme ça, les gens sont évidemment stupéfaits. Votre livre est particulièrement cruel pour le PS, dont vous faites aujourd'hui la principale incarnation de cette idéologie inégalitaire... En effet, l'objet politique nouveau et important dans l'histoire de France aujourd'hui, ce n'est pas le Front national, c'est en réalité que le PS soit devenu la composante principale de la gauche. A la veille des années 1960 et 1970, il n'en était qu'une composante secondaire, très forte dans le Sud-Ouest, région d'héritier unique qui ne croit pas à l'égalité. La montée en puissance du PS, cela a signifié la prise de contrôle du pays par des régions sortant du catholicisme. Notre illusion fondamentale, notre erreur à tous, ça a été alors de se dire que c'était la gauche qui avait conquis les SEUIL 3656483400508 L'OBS Date : 30 AVR/06 MAI 15 Page de l'article : p.73,74,76 Journaliste : Aude Lancelin Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Paris OJD : 460780 Page 4/5 régions catholiques, au moment même où c'étaient les régions catholiques qui faisaient en réalité la conquête de la gauche. Tl y a eu une subversion de ce qu'était la gauche française. Cette dernière, aujourd'hui dominée par le PS, est en vérité tout à fait autre chose que ce qu'elle prétend être. C'est une gauche qui n'adhère pas aux valeurs égalitaires, et qui n'est pas claire sur la question de l'homme universel, au contraire de la vieille gauche républicaine communiste ou radicalsocialiste. Il faut voir les choses en face : l'agent le plus actif et le plus stable des politiques économiques qui nous ont menés au chômage de masse actuel, c'est tout de même le PS. Le franc fort, la marche forcée à l'euro, toute cette création idéologique extrêmement originale s'est faite sous Mitterrand, traînant Giscard derrière lui comme un bateleur. Le niveau de bonne conscience de ce pays est devenu littéralement insupportable. La France actuelle se gargarise de bons sentiments. Mais la réalité de ce pays, c'est que c'est peut-être la seule des sociétés les plus développées européennes qui accepte de vivre avec 10% de chômage, en massacrant son monde ouvrier et en excluant massivement les jeunes, à commencer par ceux qui sont d'origine maghrébine. Le PS avait jusqu'à encore récemment réussi à faire passer l'idée qu'il était le défenseur naturel des enfants d'immigrés. Il est en fait la force politique principale qui les condamne à la mort sociale. En quoi François Hollande est-il, comme vous l'écrivez, l'apothéose de ce « catholicisme zombie » qui s'était politiquement incarné en 1992 dans le moment Maastricht et s'est aujourd'hui réinvesti dans l'« esprit du ll janvier » ? On voit souvent ce président comme l'incarnation de l'univers torride du conseil général de la Corrèze [rires]. On pense que sa capacité à ne rien faire, à ne prendre Tous droits réservés à l'éditeur Les Mamfs du ll janvier un mensonge d'unammisrnepour car, ce jour-la, le monde populaire n'était pas Charlie « Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse », par Emmanuel Todd, Seuil, à paraître le 7 mai. aucune décision, est un produit dérivé du radical-socialisme. Mais en fait, François Hollande est un catholique zombie typique, avec un père catholique d'extrême droite et une mère catholique de gauche. Et, d'ailleurs, Manuel Valls lui-même vient de Catalogne, province de famille souche différentialiste, et, qui plus est, lui aussi vient d'un milieu catholique catalan parmi les plus durs. A cet égard, Hollande aura eu un rôle historique : celui de révéler que la gauche pouvait se concilier avec les structures les plus inégalitaires, prouvant par là même que le système politique français est totalement détraqué. On pourrait bien sûr me reprocher d'évoquer les origines de ces gens, et moi-même d'ailleurs, je ne devrais pas avoir à faire ma généalogie personnelle, celle d'une famille juive mélangée à des origines bretonnes et anglaises. Mais il est désormais impératif de le faire, parce que si on renvoie tout le temps les musulmans à leur origine, on doit renvoyer tout le monde à son origine. C'est un acte de justice. Vous considérez que l'islam ne compromet nullement en France le ciment républicain et ne pose pas de problème particulier aux sociétés occidentales. Ne peut-on toutefois penser que la vigueur d'une religion, quelle qu'elle soit, lorsqu'elle vient percuter un vieux pays dévitalisé métaphysiquement comme la France, pose au contraire certains problèmes spécifiques ? Tout le monde est dans une logique d'anxiété par rapport à l'islam. Le point de départ du livre, c'est justement de renverser la perspective : d'apercevoir que c'est la France des classes moyennes centristes qui est en état de crise religieuse, qui a été ébranlée par la disparition ultime de toutes ses croyances, qui est dans un état de vide métaphysique abyssal et joue donc un jeu tout à fait pervers avec les musulmans pour se trouver des boucs émissaires. Or c'est dans cette ambiance de reflux inexorable du religieux que la France se découvre d'un seul coup obsédée par les symboliques religieuses. Tout est religieux désormais. Mais tout est religieux parce que la religion s'éclipse, et parce que rien ne l'a supplantée. Le sous-titre de votre livre est : « Sociologie d'une crise religieuse ». A tort, ce dernier peut donner le sentiment que vous prenez au sérieux les histoires de « choc des civilisations », d'affrontement entre bloc occidental et bloc musulman qui fournissent une grille d'interprétation à la fois facile et tendancieuse depuis les années 2000... On doit prendre la religion au sérieux, surtout quand elle disparaît. Je suis totalement sceptique sur le plan SEUIL 3656483400508 L'OBS Date : 30 AVR/06 MAI 15 Page de l'article : p.73,74,76 Journaliste : Aude Lancelin Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Paris OJD : 460780 Page 5/5 religieux, mais il n'a jamais été prouvé qu'une société pouvait vivre sans croyance. Or la réalité de la société française aujourd'hui, c'est quoi ? Une société dominée par des classes moyennes qui ne croient plus à rien, qui ne savent plus où elles vont, qui se sont seulement lancées dans la construction d'un euro qui ne mène nulle part. Tout l'objet du livre est de ne pas tomber dans le panneau manifeste du problème. Ainsi, ce qui m'inquiète n'est pas tant la poignée de déséquilibrés mentaux qui se réclament dè l'islam pour commettre des crimes que les raisons pour lesquelles, en janvier dernier, une société est devenue totalement hystérique jusqu'à aller convoquer des gamins de 8 ans dans des commissariats de police. On entend vraiment dire n'importe quoi au sujet des musulmans de France. Ceux-ci sont tout sauf un bloc. Ils sont au contraire fragmentés par des niveaux de croyance très différents, des nationalités très différentes et on y observe des taux de mariages mixtes extrêmement élevés. Ils sont souvent beaucoup plus assimilés de par leurs unions matrimoniales que les intellectuels néoréactionnaires comme Eric Zemmour ou Alain Finkielkraut qui les ciblent constamment La vraie question aujourd'hui pour la France, écrivez-vous, ce n'est pas le droit ou non à la caricature, c'est la « montée de l'antisémitisme dans les banlieues ». Pour expliquer ce renouveau de la haine antijuive, vous mettez en cause la politique économique menée depuis des décennies, qui, en fragilisant les jeunes musulmans, aurait à nouveau livré les juifs à la vindicte nationale... Pour le moment, anxiétés religieuse et économique mises à part, ça ne va pas trop mal pour les classes moyennes françaises qui tiennent le pays... On lance les minorités les unes contre les autres, c'est génial, c'est du billard ! Les ouvriers « de souche » marginalisés et maltraités s'en prennent aux milieux populaires arabes, les jeunes Maghrébins s'en prennent aux juifs et réciproquement, et pendant ce temps rien ne se passe, le système reste intact. Vous voyez que je ne fais pas dans l'angélisme : l'antisémitisme des banlieues doit être accepté comme un fait nouveau et indiscutable. Ce que je ne peux pas accepter cepen- Tous droits réservés à l'éditeur "La control! (illion hystérique avec lislam, c'est 100% de chances de désastre pour la France/ dant, c'est l'idée qui est en train de s'installer selon laquelle l'islam, par nature, serait particulièrement dangereux pour les juifs. Il n'existe qu'un continent où les juifs aient été massacrés en masse : c'est l'Europe. D'ailleurs, l'une des choses que je reproche fondamentalement à la manifestation charliste, c'est d'avoir considéré que la tuerie de l'Hyper Cacher était secondaire par rapport au problème de crayons à papier et de caricatures. Quant à ce nouvel antisémitisme issu des banlieues, je maintiens que je suis incapable de dire là-dedans ce qui vient de la tradition égalitaire républicaine française et ce qui vient spécifiquement de l'islam. Les deux se conjuguent probablement. Mais j'attends de pied ferme, après la percée de l'islamophobie, le retour de l'antisémitisme dans les classes moyennes catholiques zombies. Il y a tout de même une pointe d'optimisme certain dans ce livre, c'est le moment où vous expliquez qu'un islam de France lui-même devenu zombie pourrait contribuer à un rééquilibrage positif de notre culture politique. Autrement dit, que la culture musulmane pourrait participer au rétablissement d'une véritable culture républicaine en France... Il y a peu de chances que vous soyez entendu sur ce point. Peut-être est-ce excessif. Mais en fait je m'en suis tenu à deux scénarios dans ce livre : le scénario de la confrontation hystérique avec l'islam et le scénario de l'accommodement. Or la confrontation, c'est 100% de chances de désastre pour la France. Donc là c'est une question de règle de vie fondamentale : si tu as le choix entre la mort et l'incertitude, tu choisis l'incertitude, c'est tout. Alors oui, je plaide pour qu'on les laisse tranquilles, les musulmans de France. Qu'on ne leur fasse pas le coup qu'on a fait aux juifs dans les années 1930 en les mettant tous dans le même sac, sous la même catégorie sémantique, quel que soit leur degré d'assimilation, quel que soit ce qu'ils étaient vraiment en tant qu'êtres humains. Qu'on arrête de forcer les musulmans à se penser musulmans. Qu'on en finisse avec cette nouvelle religion démente que j'appelle le « laïcisme radical », et qui est pour moi la vraie menace. SEUIL 3656483400508 Date : 15 MAI 15 Journaliste : H.H. Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Page 1/1 PHÉNOMÈNE Les vieux cathos zombies Le Seuil a réussi un joli coup la semaine dernière, en décrochant la couverture de L'Obs et celle de Libération pour le dernier essai d'Emmanuel Todd, qui s'est attiré une tribune-réponse courroucée du premier ministre Manuel Valls dans Le Monde. Ainsi adoubé, et porté par son analyse furieusement non consensuelle des motivations inavouées de la France manifestante du ll janvier, le livre a soulevé une polémique immédiate et les ventes ont suivi. D'abord tiré à 25 000 exemplaires, Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse en est maintenant à 60 DOO exemplaires après trois réimpressions. D'une lecture souvent stimulante, parfois irritante, l'essai affirme, Emmanuel cartes et statistiques à l'appui, que les défenseurs revendiqués de la liberté d'expression, apparemTodd ment généreux, ouverts et tolérants, trimbalent en fait avec eux les résidus d'un catholicisme mort qu'ils ne pratiquent plus mais qui les nourrit toujours de ses structures profondes et inégalitaires. Au nom d'un paradoxal devoir du blasphème, ces vieux cathos zombies et déboussolés s'en prendraient sournoisement à la religion des dominés, l'islam. Ce que dit Emmanuel Todd « n'est pas scandaleux, c'est tout simplement f aux », répond, dans son édition du 6 mai, le principal intéressé. Charlie Hebdo. H. H. Qui est Charlie? Tous droits réservés à l'éditeur SEUIL 9947893400504 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Page 1/20 -1,80 EURO. PREMIÈRE ÉDITION LUNDI 4 MAI 2015 «K*^Pf WWW.LIBERATION.FR .fc BLASPHEME CONTRE Lf 11 JANVIER Dans un livre polémique, l'essayiste Emmanuel Todd dénonce la fausse unanimité du mouvement «Je suis Charlie». LaurentJoffrinluiapporte *— la contradiction. Tous droits réservés à l'éditeur SEUIL 3199683400508 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Page 2/20 Emmanuel Todd et Laurent Joffrin débattent dè l'aprèsCharlie, du rôle de la gauche, du FN et dè la xénophobie. Un pessimiste revendiqué face à un optimiste forcené. «Le ll janvier est un tour de passe-passe» Recueilli par GREGOIRE BISEAU et CÉCILE DAUMAS omme Us le reconnaissent euxmêmes, ces deux-là ne peuvent pas «sepiffer». Et cela fait presque trente ans que ça dure. Pourtant, ils se revendiquent tous les deux de gauche, et ont voté pour François Hollande en 2012. Sinon, tout ou presque les sépare. Pourfendeur d'une pensée unique de gauche à la fois proeuropéenne, libérale et antiraciste, Em manuel Todd n' a jamais cessé de provoquer sa famille politique d'origine. Le traité de Maastricht (1992), puis le référendum pour la Constitution européenne (2005) ont, selon lui, entériné la grande rupture du Parti socialiste avec les classes populaires, et contribué à l'émergence du Front national. Avec son dernier ouvrage, Qui est Charlie ? (Seuil), ce défenseur de la sortie de l'euro persiste dans son rôle de mouton noir de la gauche, en analysant les défilés du ll janvier comme une «manifes- C Tous droits réservés à l'éditeur tation d'exclusion». Sur des thèses diamétralement opposées, Laurent Joffrin, directeur de la rédaction de Libération et par ailleurs auteur du Réveil français (Stock), lui porte la contradiction. Libération: Après le ll janvier, Libération titre «Nous sommes un peuple», et Laurent Joffrin son édito «Un élan magnifique»... Emmanuel Todd : C'est contre ça que mon livre a été écrit. J'ai vécu ce mo ment d'unanimité apparent, relayé par les médias, comme un flash totalitaire. C'est le seul moment de ma vie où j'ai eu l'impression que ce n'était pas possi ble de parler en France. C'était paradoxal puisque tout le monde était en train de se gargariser du mot «liberté», et pour la première fois de ma vie, j'ai eu peur de m'exprimer. C'est vrai que la situation était compliquée. C'était une énorme manifestation. Impossible de ne pas prendre au sérieux 4 millions de personnes dans la rue, des gens qui avaient de bonnes têtes, qui étaient sympas, qui formellement ne disaient rien d'horrible. Je me suis dit que la seule façon de démonter cette image SEUIL 3199683400508 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Page 3/20 L'ESSENTIEL LE CONTEXTE De nombreux ouvrages reviennent sur l'après-Charlie, dont un essai très polémique de l'historien et démographe Emmanuel Todd. LENJEU Que reste-t-il des manifestations du il janvier qui ont rassemblé plus de 4 millions de personnes en France ? d'unanimité, c'était de faire un véritable travail d'enquête sociologique. J'ai calculé des intensités de manifestations par ville. J'ai fait des cartes. J'ai rapporté cela à d'autres variables, notamment la proportion de cadres et professions intellectuelles supérieures et aussi la carte des empreintes et pratiques religieuses. Ce que je constate, ce jour-là, c'est une surmobilisation des catégories moyennes et supérieures de la société, et en particulier de la partie de la France qui est de tradition catholique. Les régions qui étaient censées se battre pour le respect de la liberté de conscience, de la liberté d'expression et de la laïcité, sont les régions qui, dans toute l'histoire de France, ont combattu la laïcité. Pour moi, il y a une escroquerie fondamentale dans ce qui s'est passé le ll janvier, un tour de passe-passe, qui n'était pas conscient chez les acteurs. La simple exclusion du Front national de la manifestation allait signer l'absence des ouvriers. Ce que j'ai constaté, c'est le contraire de l'unanimité. Laurent Joffrin : Si l'on excepte le chapitre sur l'immigration, je suis en désaccord avec tout le livre d'Emmanuel Todd. Le ll janvier est la plus grande manifestation qu'on ait connue en France. Bien sûr, tout le monde n'y était pas; on l'a dit, on l'a écrit. Certains l'ont dit eux-mêmes, comme Le Pen : «Je suis Charlie Martel» ; c'est une formule. Une partie des jeunes de banlieue ne sont pas venus non plus. Ils étaient Tous droits réservés à l'éditeur choqués par le fait qu'oâ attaque le Prophète, ce qui est légitftne et compréhensible. Mais 3 ou 4 millions, cela fait quand même beaucoup de monde. J'en ai déduit que la culture républicaine, en tout cas s'il s'agit de la liberté d'expression, était largement majoritaire en France ; qu'elle est précieuse à tout le monde, presque tout le monde, quelle que soit l'origine religieuse, politique, etc. C'est rassurant. Ensuite, l'unanimité s'est faite autour de la liberté d'expression, qui est le contraire de l'unanimisme. Tout le monde était d'accord pour dire qu'on a le droit de ne pas être d'accord. La plupart des gens qui sont venus manifester ne lisaient pas Charlie Hebdo, la plupart des gens qui sont venus manifester pouvaient être choqués par tel ou tel aspect de ce qu'il y avait dans Charlie Hebdo, y compris des musulmans, des catholiques ou d'anciens catholiques. On a été unanimes pour dire : «On a le droit de ne pas être unanime.» Deuxièmement, la manifestation a été tout sauf antimusulmane. Au contraire, elle était fraternelle. Son message était clair : «On fait tous partie (même si c'est en partie faux) de la même communauté nationale, qui est républicaine» et «ce sont les valeurs républicaines qui nous tiennent ensemble», et non pas telle ou telle opinion politique, telle ou telle croyance. C'est la république qui est le cœur de l'affaire. E.T. : On démarre dans un débat qui tourne en rond, parce que ce que Laurent a réexposé toute l'autosatisfaction des gens qui ont manifesté, l'unanimité de la classe médiatique. Il ne suffit pas, pour un sociologue et un statisticien, de répéter comme avec un moulin à prières tibétain «nous étions 4 millions». Les Français sont 65 millions. Je fais une analyse statistique... LJ. : C'est la critique fondamentale que je porte a votre livre : je ne pense pas que les structures anciennes de la religion ou de la famille déterminent à ce point les comportements. Elles jouent un rôle, bien sûr, elles ont une influence diffuse. Mais elles ne déterminent pas mécaniquement la vie politique. Il y a bien d'autres facteurs : le SEUIL 3199683400508 Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Page 4/20 taux de chômage, le taux d'immigration, la composition sociologique. Et les mythes politiques qui ont une autonomie, qui influent par euxmêmes sur les comportements. Vous faites une sociologie purement déterministe. Je n'y crois pas. E.T. : Ce que vous dites ne présente rigoureusement aucun intérêt, parce que tout le monde Fa dit mille fois. Je ne suis pas un idéologue, je suis un chercheur empiriste et je dis : 4 millions, ce n'est pas tout le monde. Quand on entre dans le détail, on trouve tout à fait autre chose. Je m'excuse, mais lorsque vous dites un truc du genre : «Cela ne tient pas debout, l'analyse anthropologique et ces trucs sur la sphère familiale», vous êtes un f ache, là ! L.J. : Parce que je conteste la causalité simpliste que vous décrivez... E.T. : Alors démontrez que les cartes sont fausses ! Démontrez que les coefficients de corrélation sont pourris ! LJ.: Ils me paraissent bizarres, oui. Je conteste la méthode. Quelle république ? Pourquoi, Emmanuel Todd, parlez-vous d'une «néo-république» à propos du ll janvier, alors que Laurent Joffrin y voit tout simplement la république ? E.T. : La république au sens où on l'entendait, c'était un système censé être pour tout le monde. C'était associé à l'idée de suffrage universel, d'une gestion en tout cas, pour la république sociale d'aprèsguerre, de l'économie dans l'intérêt de l'ensemble de la population. C'était une république à laquelle les ouvriers et les paysans participaient. Maintenant, ce que j'appelle la néo-république, c'est l'appro priation de tout ce bagage historique prodigieux de la France par une moitié dè la société seulement, c'est-à-dire les classes moyennes et supérieures. Ce que la manifestation du ll janvier, dans sa structure, exprimait, c'était en fait une république Tous droits réservés à l'éditeur Laurent Joffrin et Emmanuel Todd, jeudi à Libération. PHOTO SAMUEL KIRSZËNBAUM SEUIL 3199683400508 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Page 5/20 d'exclusion. Les milieux populaires n'étaient pas là. Les gosses des banlieues, les gosses d'origine immigrée n'étaient pas là. Laurent Joffrin nous dit ; «Nous défendions la liberté, c'était merveilleux.» Mais qu'on ne me raconte pas que blasphémer sur la religion d'un groupe dominé est super classe, parce que la vérité, c'est que les musulmans en France, c'est 5% des gens, principalement en bas de la société ! LJ. : C'est faux. Charlie Hebdo n'est pas du tout antimusulman. Ils sont antireligieux, ce n'est pas la même chose. Dans Charlie, le nombre de couvertures ou de plus éduqués que la moyenne des Fran çais, c'est possible -c'est peut-être aussi pour cela qu'ils ont une culture républicaine historique supérieure - qui savent ce que c'est Suit® page 6 Suite de b page 4 qu'une intolérance ethnique ou raciale ou religieuse. Donc ils disent : «Plus jamais cela. » Quelle gauche? Dans votre dénonciation de l'hostilité à l'islam, vous accusez carrément le PS d'être un parti xénophobe... E.T. : J'ai soutenu François Hollande. J'ai toujours été un électeur de gauche, mais plutôt dans la tradition communiste. Le comportement objectif du PS, ce sont «La manifestation du ses choix de politiques économiques de ll janvier, dans sa structure, puis 1983 ; c'est la politique du franc exprimait une république fort, c'est l'alignement sur des modes de d'exclusion. Les milieux gestion de type allemand inadaptés pour populaires n'étaient pas là. » la société française qui fait un tiers d'enfants de plus, c'est la monnaie unique, Emmanuel Todd c'est l'acceptation d'un taux de cho dessins dirigés contre la religion catho- mage de 10%. C'est la promotion, la lique est au moins égal, sinon supérieur, perpétuation et l'obstination dans des au nombre de caricatures et de couver politiques économiques qui vont détures dirigées contre l'islam. Elles sont truire la classe ouvrière française en géd'ailleurs dirigées contre les terroristes néral. N'oublions pas les Français de et contre les intégristes, ce qui n'est pas souche des milieux populaires, mais la même chose. Du coup, les gens qui aussi, spécifiquement, les plus faibles, manifestent pour Charlie Hebdo ne peu les derniers arrivés, ceux qui sont le vent pas être assimilés à des gens qui, moins protégés par leurs réseaux famimême par contagion, seraient antimu- liaux et de parenté : ce sont les enfants sulmans. Ils sont pour une cohabitation d'immigrés. Ce que j'appelle «xénophoaussi harmonieuse que possible, en tout bie objective», c'est une xénophobie qui cas pacifique, entre les différentes reli- n'a pas conscience d'elle-même. gions. On ne peut pas les accuser d'être, Evidemment, les socialistes pensent même inconsciemment, même s'ils être du bon côte ; que les méchants, ce sont influencés par des structures su- sont Estrosi, Copé, le FN, etc. Mais la breptices, hostiles aux musulmans. Au vérité, c'est que leur attachement à une contraire, ce sont des gens peut-être politique économique qui échoue et qui Tous droits réservés à l'éditeur n'en finit pas d'échouer trahit leurs valeurs latentes. L'idéal d'égalité des hommes, la protection authentique des gosses d'immigrés dans les banlieues, comme des ouvriers français, est nonsincère, et la valeur qui domine dans leur tréfonds subconscient et inconscient est une valeur d'inégalité. En fait, ce qui s'est passé depuis trente ans, c'est que le catholicisme ou, plutôt, les valeurs sociales latentes du catholicisme (les valeurs d'autorité, d'inéga lite, de différenciation humaine), ce que j'appelle dans le livre le «catholicisme zombie», ont conquis la gauche. Une fois qu'on a compris ça, on peut commencer à réfléchir utilement au Front national et à comprendre qu'il n'est qu'un effet de ce mouvement d'ensemble, et pourquoi le FN, ce parti xénophobe et arabophobe, se retrouve de plus en plus implanté dans les vieilles régions libérales égalitaires françaises. LJ. : Ce n'est pas le Parti socialiste qui a créé l'inégalité, c'est la mondialisation et l'économie de marché mondialisée. On peut reprocher aux socialistes ou aux sociaux démocrates de ne pas avoir lutté avec suffisamment d'énergie contre l'inégalité, mais ce n'est pas eux qui l'ont créée. C'est purement polémique de dire cela. Les socialistes pensent, peut-être à tort, que le fait de passer un compromis avec le patronat permettra de relancer l'économie et de réduire le chômage. Cela marche mal pour l'instant, ou pas du tout, en France. Cela a marché dans d'autres pays. Tout cela n'a rien à voir avec leur origine catholique supposée. Quant à imputer la crise à Maastricht et à la monnaie unique, c'est d'un simplisme confondant. On peut le dire pour certains pays qui sont SEUIL 3199683400508 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Page 6/20 en position de faiblesse, mais c'est faux pour d'autres. Certains pays qui sont dans la zone euro ont un taux de chômage très faible. Prenez aussi le Danemark et la Suède, pays proches à tous égards... L'un est dans l'euro et l'autre non. Comment expliquer qu'ils ont à peu près le même taux de chômage et un système social extrêmement protecteur tous les deux? E.T. : La France est le seul des pays très avancés historiquement qui accepte de vivre avec 10% de chômage. C'est tres spécifique de la France. C'est la promotion, la perpétuation et l'obstination dans des politiques économiques qui vont détruire la classe ouvrière française en général. Alors faites une pétition pour sortir de l'euro ! Cessez d'être résigné ! Libérez-nous ! LJ. : Donc, selon vous, c'est l'euro qui crée le chômage ? E.T. : Le taux de chômage de la France à 10% .oui. LJ. : Sortir de l'euro ne résoudra rien. E.T. : Si vous le dites... C'est votre religion. Crise existentielle Selon vous, Emmanuel Todd, la France traverse une crise existentielle, une espèce dè grande dépression spirituelle du fait du retrait du catholicisme, et ce vide est notamment comblé par la recherche d'un bouc émissaire, en l'occurrence l'islam... LJ. : Je ne pense pas que la fin de la religion crée un vide existentiel. Je ne pense pas que la religion soit la seule manière de remplir le vide existentiel. Je pense que les citoyens se réfèrent à des valeurs non religieuses, républicaines, laïques et que cela remplit leur vide «existentiel». On dit qu'il y a un vide depuis 1789, depuis qu'on a répudié les traditions et qu'on aïompu avec certains aspects de l'Eglise catholique ou avec la hiérarchie catholique. On nous explique que les gens ne savent plus où ils habitent, qu'Us n'ont plus de valeurs, qu'ils ne croient plus à rien, etc. C'est complètement faux. La manifestation du ll janvier l'a montré, comme toute l'histoire du XIXe siècle et du XXe siècle. La démocratie est un système imparfait. Tous droits réservés à l'éditeur Il est donc en crise par définition. On n'a jamais vu de démocratie qui ne soit pas en crise. Mais, contrairement à ce que vous affirmez, les sociétés individualistes gardent des valeurs collectives. Elles se sont manifesté le ll janvier. E.T. : Je suis personnellement un scepti que religieux, je n'ai pas de problème avec la religion. J'essaie de démontrer dans le bouquin que dans les trente dernières années, on a vécu l'effondrement de ce catholicisme de résistance qui structurait une partie de la société. On vient enfin d'atteindre une situation de «II y a le vieil antisémitisme bourgeois, mais aussi un antisémitisme que j'appelle égalitaire, universaliste, qui fonctionne selon une logique complètement inverse. Là, ce qui est reproché aux juifs, ce n'est pas de vouloir devenir comme vous, c'est de vouloir rester différents. » Emmanuel Todd vide religieux complet ! Cela n'a jamais existé dans l'histoire de France. Je dis de façon répétitive : «II faut prendre la religion au sérieux, surtout quand elle dis paraît. » Lorsque la religion disparaît, il y a des phénomènes de vide, des problèmes de substitution, des phénomènes de violence. On en est la ! Comme par ha sard, c'est le moment où plus personne ne croit et où tout le monde devient obsédé par la religion. On est obsédé par l'islam... Finalement, il y a une sorte d'inconscient coEectif qui cherche dans l'islam un substitut du catholicisme qui ne peut plus servir. Mais c'est complètement fantasmé, car les indicateurs de pratique religieuse du monde musulman, difficiles à mesurer, sont beaucoup plus faibles que ce qui existait dans les provinces catholiques d'autrefois. Pour vous, c'est l'islamophobie qui renforce l'antisémitisme? E.T. : Si je cherche dans mon irrationnel profond ce qui me rend vraiment inquiet sur le sort du pays, c'est la renaissance de l'antisémitisme, parce que cela me renvoie à l'histoire de ma famille, et je ne pensais pas que c'était possible. J'accepte maintenant l'antisé SEUIL 3199683400508 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Page 7/20 mitisme de pas mal de gosses arabes des banlieues comme un fait sociologique dont il faut tenir compte. Cela a été difficile pour moi. Mais c'est logique : la montée d'une passion religieuse islamophobe, dirigée contre une minorité, ne peut que raviver, inévitablement, toutes les passions religieuses et finalement cibler la religion des autres minorités, conduire donc à l'antisémitisme. C'est ce qui se passe. Mais il existe plusieurs types d'antisémitisme. Le vieil antisémitisme, catholique, bourgeois, différentialiste, ciblait des juifs assimilés auxquels on reprochait d'être différents, malgré les apparences. Il y a aussi un antisémitisme que j'appelle égalitaire, universaliste, qui fonctionne selon une logique complètement inverse. Là, ce qui est reproché aux juifs, ce n'est pas de vouloir devenir comme vous, c'est de vouloir rester différents. C'est celui que subissent les juifs pratiquants dans les banlieues, et il est peut être aussi typique de la France du Bassin parisien que de Tis lam. La France est formidable avec ce concept d'homme universel. Mais être universaliste, pour un anthropologue, c'est penser que les gens sont les mêmes partout. Si les immigrés qui arri vent sont raisonnablement les mêmes, super, on se mélange tout de suite, et on a les sociétés les plus ouvertes qui existent. La France, c'est cela, pour une bonne part. Dans mon village du Midi, quand j'étais enfant, je n'avais même pas compris qu'il y avait des gosses d'origine italienne et des gosses d'ori gine provençale, parce que c'est le même système culturel. Mais si vous voyez arriver des hommes qui ont visiblement un système de mœurs différent, votre système a priori va être mis sous tension tant qu'ils ne seront pas complètement assimilés, et vous avez la possibilité, théorique et pratique, d'un autre type de xénophobie, que j'appelle xénophobie universaliste. Je crois que c'est très important pour comprendre une chose comme le Front national. Il faut essayer de comprendre que ce qu'on appelle le racisme ou la xénophobie des prolos du Front national, ou même des petits commerçants Tous droits réservés à l'éditeur du Midi, n'est pas la même chose que le racisme, l'antisémitisme ou la xénophobie de la bourgeoisie catholique. LJ. : La distinction que vous faites me paraît oiseuse. L'universalisme ne veut pas dire que les hommes sont tous pa reils. Ils sont très différents mais quel que chose les relie. Ils ont des cultures, coutumes et croyances différentes. Mais leur humanité les réunit. C'est pour cela que Jaurès a appelé son journal l'Humanité. E.T. : Ce sont les cultures qui sont différentes, pas les gens. Je suis un universaliste, ce qui n'est pas votre cas, vous êtes un différentialiste. LJ. : En aucune manière ! Pour un universaliste comme moi, les hommes sont différents mais égaux en droit. Pour un différentialiste, les hommes sont trop différents pour avoir les mêmes droits. C'est la base même de la xénophobie ou du racisme. Donc dire qu'un universa liste est un xénophobe est un oxymore complet. C'est un paradoxe mirobolant, qui n'a pas de sens. E.T. : En fait, vous n'aimez pas les progrès de la science... Vous avez une attitude antiscientifique. Je ne suis pas le seul à penser que cela existe. LJ. : Vous êtes plusieurs à vous tromper, voilà tout. Ce concept n'a rien de scientifique. Il a une fonction purement polémique. Il consiste à dire que les antiracistes sont en fait racistes. C'est ridicule. Emmanuel Todd, qu'est-ce qui vous rend particulièrement pessimiste pour l'avenir dè notre pays ? E.T. : II y a une forme d'hégémonie d'un bloc socioculturel qu'incarné de façon assez magnifique Laurent Joffrin. Ce que dit ce bouquin, c'est qu'il y a une structure de pouvoirs très puissante à l'œuvre dans la société française. Et comme je suis un scientifique plutôt qu'un idéologue ou un politique, je n'arrive pas à me raconter que cela va changer d'un seul coup. Il n'empêche, mon livre plaide pour une réconciliation des Français. Que Français d'extrême droite et Français musulmans com prennent les problèmes qu'ils partagent et contribuent à la refondation d'une république. Sortons de SEUIL 3199683400508 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Page 8/20 l'euro et retrouvons nous entre Français de toutes origines pour sortir le pays du bourbier ! L'autre vérité, c'est que le vieillissement de la population française risque d'aggraver les choses. L'âge médian du corps électoral, qui est déjà de SO ans, augmente de 0,2 à 0,3 an chaque année. On est dans une société non seulement crispée sur ses concepts, non seulement frissonnante d'angoisses religieuses accumulées, mais qui, en plus, continue de vieillir. En 2017, on va devoir encore choisir entre François Hollande, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen : trois grands politiques français qui ont tout foiré et qui ne proposent rien. Seule une société «Cette idée selon laquelle on va vers une guerre civile contre l'hégémonie musulmane est une idée folle.» Laurent Joffrin gâteuse peut avoir un système politique comme ça. C'est angoissant et c'est pour ça que je suis pessimiste. LJ. : Contrairement à ce qu'on dit, l'économie française n'est pas en capilotade. Le drame, c'est le chômage. Ce n'est pas l'économie en général, qui est la sixième du monde, qui est ouverte sur la mondialisation, avec une productivité forte et une main-d'œuvre très qualifiée. Je rejoins Todd sur un point : l'Europe a fait une mauvaise politique, qui a étouffé la croissance. Elle vient d'en changer, mieux vaut tard que ja mais. Comme je suis un optimiste, je pense que le redressement viendra à la suite de ce changement de politique. S'agissant des rapports avec les minor! tés, c'est le seul chapitre de votre livre avec lequel je suis d'accord : l'intégration est beaucoup plus forte qu'on ne le croit, l'intégration et la fusion des mi norités, notamment la minorité musul- Tous droits réservés à l'éditeur Placede la République, le ll janvier. PHOTO EDOUARD CAUPEIL SEUIL 3199683400508 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Page 9/20 mane, qui n'est pas du tout un bloc mais très différente selon les catégories socioprofessionnelles ou les pays d'origine. Les citoyens de culture musulmane sont maintenant à 80% intégrés dans la sociéte. Cette idée selon laquelle on va vers une guerre civile contre l'hégémonie musulmane est une idée folle, mais je constate que cette idée folle est légitimée par un certain nombre d'intellectuels qui vivent dans un monde qu'ils ne connaissent pas, qui repro chent à la classe moyenne de ne pas connaître la société, alors que ce sont eux qui la méconnaissent. Et si on élargit le raisonnement, on constatera que l'idée démocratique, sur le moyen terme, est à l'offensive dans le monde, et que l'intégrisme est une réaction contre l'influence croissante des idées de liberté. C'est ce qui me rend optimiste : les hommes préfèrent finalement décider de leur vie par euxmêmes plutôt que se soumettre à la tra- Tous droits réservés à l'éditeur dition, l'Etat, ou je ne sais quel prêtre ou dictateur. Je pense que, in fine, même si c'est un vertige métaphysique, les gens préfèrent être libres. Donc, à terme, à travers toute sorte de convulsions, de reculs et d'avancées, la liberté finira par l'emporter. E.T. : Dire cela dans un pays qui vient de redécouvrir des phénomènes de xéno phobie et d'antisémitisme, cela me laisse sans voix. Votre optimisme n'apaise pas du tout mon inquiétude ! LJ. : C'est typique. Dès que l'on dit: «Vous savez, il y a des éléments positifs», on vous répond «Donc vous pensez que tout va bien». E.T. : Si j'étais psychiatre, je dirais que vous avez une nature optimiste qui vous fait croire que la liberté progresse. C'est juste l'inverse ! LJ. : Je peux le démontrer par les statistiques. E.T. : C'est clair que vous êtres plus heureux de vivre que moi, c'est une évidence. •»• SEUIL 3199683400508 Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Page 15/20 Les catégorisations opérées par Emmanuel Todd et son déterminisme sociologique sont discutables. Un esprit de système caricatural liberte d'expression Que certains commentateurs aient confondu le droit a la caricature avec le «devoir de blasphémer» est indéniable et, a mon sens, inacceptable Maîs es voix discordantes comme comment conclure que tel était celle de Todd sont necessai l'objectif de la majorité des partiel res, sa liberte de ton est de pants ? Hormis une allusion en pre capante, son écriture a du souffle, miere page, Todd finit par oublier un essayiste Imaginatif est un que la France a d'abord réagi a aiguillon utile pour le l'horreur du massacre de chercheur Maîs ces quah TRIBUNE 17 personnes sans defense, tes sont gâtées par des par tuees pour leurs idees, tis pris de fond et de methode irre leurs fonctions, leur religion mediables Des les premieres lignes, «Sociologie d'une crise religieuse», l'affaire est entendue la France a annonce le sous titre Maîs de vécu en janvier un acces d'hystérie quelle sociologie s'agit iPConvo Et Todd d'accumuler sur les mam quer Max Weber est inapproprie car festants du ll janvier les qualifica le sociologue allemand avait a cœur tifs les plus infamants egoisme, de dégager les raisons du compor manque de dignite, mensonge, isla tement Or Todd n'interroge pas les mophobie Aurait il consenti a de acteurs, il fait parler leur mcons filer qu'il eut ete frappe, au eon cient via des «systemes anthropo traire, par le calme de la foule et la logiques latents» attaches au sobnete des slogans, m xénophobes territoire de residence, qui deter m islamophobes maîs attaches a la mineraient leurs choix a travers les Par FRANÇOIS HERAN Démographe et sociologue, ancien directeur de I Institut national detudes démographiques D Tous droits réservés à l'éditeur siècles La coutume successorale egalitaire qui prévalait au Moyen Age dans le Bassin parisien ou en Provence continue ainsi de manœuvrer en douce les habitants du lieu, y compris les immigrants Difficile d'imaginer un modele plus déterministe Porte par l'esprit de systeme, Todd veut tout expliquer Sa technique favorite croiser deux catégories binaires et remplir toutes les cases (si la droite règne en terre egalitaire, il faut bien qu'une gauche lui fasse pendant en terre megalitaire) Ce carre magique des partis et des nations met tout en ordre et lui pro cure un sentiment de «bien etre esthetique» (p 176) Todd juge raciste le fait de coller l'étiquette «musulmans» ou «juifs» sur des personnes de tout milieu ayant un rapport variable a la religion, maîs «catholicisme zombie» ou «protes tantisme zombie» ne valent pas mieux U ouvrage fourmille d'autres SEUIL 3199683400508 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Page 16/20 assignations, comme «classes moyennes», «Charlie», «zone euro», conçues comme autant de sujets collectifs malfaisants, «objectivement» xénophobes à défaut de l'être en conscience. Pire, même s'il s'en défend par une pirouette rhétorique, Todd rabat l'individu sur ses origines : Hollande est le «catholique zombie» tout craché, Valls «l'inégalitarisme» catalan, Melenchon la famille souche occitane. Seuls les musulmans détiennent le privilège de diluer leur fond anthropologique dans le creuset de l'assimilation, pour peu qu'on ait la patience d'attendre. Cette dissymétrie de traitement élude les questions que posent certains musulmans libéraux. Par exemple, peut-on appliquer à l'islam le prin dpe du libre examen et de la critique historique sans ruiner la foi? Ces questions sont en lien étroit avec la radicalisation violente de l'islam, qui est tout de même le Tous droits réservés à l'éditeur nœud de l'affaire. Mais, pour Todd, les assassins de janvier relèvent tout au plus de la psychiatrie. Même légèreté à l'égard de l'antisémitisme propagé dans les banlieues : il tient en dernier ressort à la politique sociale et monétaire du gouvernement, qui «écrase» le peuple et les enfants de l'immi gratien. On en finirait par oublier que l'antisémitisme a sa logique propre, qu'il faut combattre en tant que telle. Désireux d'en finir avec la tentation du bouc émissaire, Todd appelle de ses vœux une attitude «bienveillante» envers l'immigration. Mais croit il y parvenir en désignant à la vindicte publique ces nouveaux coupables que sont le catholicisme ou le protestantisme «zombie», «Maastricht» et, finalement, tout le spectre des partis politiques? A ce compte, nous sommes tous des zombies. Mais qu'y gagne-t-on? SEUIL 3199683400508 Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Page 19/20 Selon la psychanalyste Julia Kristeva, le «déni des Lumières» de Todd «conduit à un défaitisme toxique» : «Des catholiques ont repris le flambeau de Voltaire» our la psychanalyste et sémiologue Julia Kristeva, il est bien qu'Emmanuel Todd rap pelle l'importance de croire, mais elle récuse sa vision «messianique» de la religion. «Face aux profondeurs de la mutation existentielle en cours, des esprits nostalgiques et messianistes préfèrent se bercer de l'illusion que "seule une religion peut encore nous sauver", quand ce n'est pas un "événement révolutionnaire" ou "une idéologie de substitution", comme le suggère Emmanuel Todd. Cette opinion vient sans doute d'une idéologie inconsciente et quasi religieuse. «Je ne suis pas démographe et je n'aimerais pas l'être si je devais analyser une matière si complexe que la croyance religieuse. Je me demande quel inconscient convoque Todd quand il analyse la foule du ll janvier sans passer par l'interprétation de la parole des manifes- P Tous droits réservés à l'éditeur tants, comme le veut la notion freu- est risquée et loin d'être achevée. dienne. Je suis un peu saisie par Pire, elle a pris un retard considécette démarche qui n'est cependant rable depuis deux siècles, en se li pas illégitime pour un démographe. mitant le plus souvent à cibler les «Il est étonnant de noter, abus des religions. Mais cette couchez deux intellectuels qui s'expri- pure a aussi sous estimé, quand ment sur le fait religieux en France, elle ne l'a pas oublié, le besoin de Michel Onfray et Emmanuel Todd, croire: une composante anthropole déni d'un événement historique logique universelle chez l'être parunique au monde, qui s'est produit lant. Investissement de l'autre, en France et en Europe, les Lumiè- dépassement de soi, don, reconres. Onfray considère que la Re- naissance, confiance, dialogue: naissance ouvre une période de dé- c'est sur la satisfaction de ce besoin cadence. Pour Todd, elles semblent de croire préreligieux et prépolitique avoir disparu. Or, ce déni des Lu- que se bâtit - ou pas - le désir de mières, mais aussi du savoir. Et c'est sur ce décontexte international VERBATIM sir de savoir que s'appuie actuel, conduit à l'enferégalement la critique des mement de la pensée et à un défai religions... Les Lumières ne rejet tisme anxiogène, toxique. La Re- tent pas l'expérience religieuse, elnaissance et les Lumières ont les l'interrogent et décèlent en elle pourtant amorcé un mouvement des obstacles, mais aussi des soursans précédent en rompant le fil ces de créativité. Il est possible avec la tradition religieuse. Cette d'accompagner le religieux sans s'y transformation, qui a libéré les soumettre, comme l'envisage énergies des corps et des esprits, d'ailleurs la psychanalyse. Il est SEUIL 3199683400508 Date : 04 MAI 15 Page de l'article : p.1,2,3,4,6,7,...,8 Journaliste : Grégoire Biseau/ Cécile Daumas/ François Héran/ Catherine Calvet Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 93781 Page 20/20 temps d'inscrire Freud dans la mémoire du monde. «Utilisée dans l'ouvrage de Todd, l'expression "catholiqueszombies" est plus qu'étrange. Les catholiques peuvent se sentir l'objet d'une persécution constante d'une vieille Republique. On pourrait dire que des catholiques, enfin civilisés, ont repris, à l'occasion de Charlie, le flambeau de Voltaire. Il existe une culture européenne, dont la catholique fait partie intégrante avec la grecque, la juive et la greffe musulmane, qui ont permis l'expérience intérieure, la liberté comme dépassement de soi, la vérité comme mise en question. La sécularisation, les droits de l'homme, l'athéisme s'approprient cet héritage, pour le problématiser et le rénover. Cet arrachement ne se passe pas dans le ciel suprasensible des idées, mais dans les corps et les biographies des hommes et des femmes qui viennent de ces origines-là. Tous droits réservés à l'éditeur «En revanche, Todd a raison, on n'a pas dénoncé suffisamment l'abominable tuerie de l'Hyper Cacher. On aurait dû le faire le jour même et après la manifestation émotive, dans des discussions à l'école, a l'entreprise. Si l'Europe est capable de poursuivre l'anamnèse de ses crimes ; si elle parvient à assumer et recréer sa culture plurielle, pour laquelle l'identité et la tradition ne sont pas des cuites mais des questions et des expériences, alors elle pourrait être un rempart contre l'antisémitisme, le nationalisme et le fanatisme. Il est possible de rcfu ser le choix entre confrontation et accommodement avec l'islam. Depuis l'affaire Merah, le projet Montesquieu du Collège des Bernardins regroupe des rabbins, des imams, des prêtres et des non-croyants qui essaient de questionner leurs traditions, comme l'exige toute pensée qui se respecte.» Recueilli par CËCILE DAUMAS SEUIL 3199683400508 Date : 12 MAI 15 Page de l'article : p.5 Journaliste : Richard Werly Pays : Suisse Périodicité : Quotidien Page 1/1 «L'esprit Charlie du ll janvier, c'est bien plus que des statistiques» > France L'ex-directeur de «Charlie Hebdo» répond à Emmanuel Todd Cette polémique-la, Philippe Val l'avait en quelque sorte prédite dans son dernier livre, Malaise dans l'inculture (Ed Grasset) Le chroniqueur et essayiste, ancien patron de Charlie Hebdo et de France Inter, voit dans les critiques au vitnol du sociologue Emmanuel Todd sur «l'imposture» constituée par la grande marche du ll janvier la preuve d'une certaine dérive de la part d'intellectuels français avant tout préoccupés selon lur à produire des grilles de lecture Alors que l'ouvrage de Todd Qui est Charlie7 (Ed du Seuil) est partout commenté, il en réftite les présupposés Le Temps: Emmanuel Todd vient de publier un livre réquisitoire contre la France qui, le 11 janvier, s'est donné bonne conscience en manifestant pour «Charlie». Hy voit, cartes et statistiques a l'appui, la trace d'une «néo-république qui n'aspire qu'à fédérer la moitié supérieure éduquée de la population, les classes moyennes et les gens âgés». Qu'en pensez-vous? ~" *] Philippe Val: % ^ L'esprit du ,\ -«Zi ^% 11 janvier, c'est bien plus que ^-^v des statistiques ' C'est une réalité Ce sont des millions de gens qui auraient sans doute, si tout le monde avait pu se rendre à Paris ou dans les grandes villes, été encore plus nombreux On n'aurait aloi s pas eu 4, maîs 40 millions de per- Tous droits réservés à l'éditeur sonnes dans la rue pour dire combien ces attentats les avaient touchées au cœur, et combien elles se sentaient unies, toutes ensemble, dans cette tragédie Emmanuel Todd peut toujours scruter les cartes et les chiffres Ce que nous avons tous vu et entendu, c'est un formidable élan, l'expression d'un besoin commun de démocratie Cela n'enlève nen aux arrière-pensées de certains, maîs pourquoi juger7 Pourquoi ne pas écouter ces gens7 Je n'en peux plus de ces diagnostics sociologiques qui ne laissent aucune chance à la volonté commune qui, soudain, s'exprime Pour ces sociologues, vous n'êtes pas ce que vous faites ou ce que vous dites Vous êtes ce qu'ils écrivent - Ouvrir le débat sur un sujet aussi sensible que la liberté d'expression, la laïcité, l'islam en France, n'est-ce pas salutaire? -Je suis le premier à écrire, dans mon livre, que notre démocratie a besoin d'être provoquée, pour attiser les réflexions Maîs ce que je constate est différent beaucoup de nos intellectuels passent leur temps à juger, à diviser la population en catégories, à refuser le réel Je vis à cheval entre Pans et un village de campagne Je peux vous dire que le 11 janvier, tout le monde aurait voulu être à Pans, ou presque Cette ferveur était palpable Elle n'émanait pas de «catholiques zombies» comme l'écnt Emmanuel Todd line faut pas s'étonner, dès lors, du fossé abyssal qui sépare, en France, ceux qui disent et parlent - professeurs, journalistes, experts - dè la population On dit aux Français ce qu'ils sont On ne regarde pas ce qu'ils font On n'écoute pas ce qu'ils veulent - Parions justement de ce que vous voulez. On vous a connu, à «Charlie», libertaire, pamphlétaire, révolté. Vous dirigiez le journal lors de la publication des caricatures de Mahomet en 2007 et 2008. Puis une crise a éclaté en 2009 et vous avez quitté «Charlie» avec fracas. Et aujourd'hui, vous défendez les idées libérales, reprochant à la gauche son «inculture»... -Je plaide pour qu'en France, on regarde enfin la réalité en face Celle du retour de l'antisémitisme Celle de l'islam radical qui s'installe et progresse Celle de l'échec du discours misérabiliste et des milliards d'euros déversés sur les banlieues Et je suis inquiet lorsquej'apprends que le projet de reforme scolaire va diminuer les heures d'enseignement consacrées aux philosophes des Lumières, ou que l'on ne défende pas plus l'Etat de droit, socle de nos libertés Je déteste la gauche de pensionnat, bien pensante Le respect libéral de la sphère privée est une bonne chose Les musulmans ont besoin de comprendre cela La vie pnvée, ce n'est pas l'affaire de l'Etat Reconnaître cela, c'est le début du bonheur, bien plus qu'une promesse de rencontrer 72 vierges au paradis ' Propos recueillis par Richard Werly PARIS SEUIL 8363593400506 Date : 07 MAI 15 Page de l'article : p.26 Journaliste : William Bourton Pays : Belgique Périodicité : Quotidien OJD : 90091 Page 1/3 l'entretien « La manif pro-Charlie avait un élément xénophobe » Emmanuel Todd a dressé la cartographie et la sociologie des manifestants « pro-Charlie » du ll janvier. En gros : des petits-bourgeois et des « catholiques zombies » crypto-islarnophobes... 'ouvrage n'est disponible qu'aujourd'hui en librairie, mais il provoque déjà d'âpres controverses à Paris, line s'agit pourtant pas d'un pamphlet écrit à la va-vite : Qui est Charlie ? (Seuil) fourmille de tableaux, de courbes et de cartes... Son auteur, l'historien et anthropologue Emmanuel Todd, y fait tout bellement voler en éclats l'image d'unité nationale et de réconciliation républicaine promptement associée à la mobilisation qui suivit les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher. Chiffres à l'appui, Todd soutient en effet que, dans sa structure, les manifestations du ll janvier exprimaient tout au contraire une « République d'exclusion ». En clair, les catégories moyennes et supérieures de la société - et en particulier celles issues de la partie de la France qui est de tradition catholique étaient surreprésentées, tandis L Tous droits réservés à l'éditeur que les Français de confession tion des agglomérations urmusulmane et de milieux popu- baines, j'ai calculé des taux ; laires, avaient été ostracisés. j'ai mis ces taux en rapport Avec des conséquences poten- avec d'autres taux, que j'ai également calculés, de protiellement funestes... pension de cadres, de profesComment avez-vous procédé sions supérieures, d'ouvriers, des indicateurs de pratique pour établir cette cartographie des manifestants? religieuse... Et des corrélaVous parlez au savant Cosi- tions sont sorties à un niveau nus, à un type qui fait des très net et élevé. Bref, il y a du milliers de cartes de France, travail statistique empirique. culturelles, religieuses, etc. J'ai dans le cerveau des indi- Votre méthode se base tout cateurs avancés, et si je vois, à de même sur un culturalisme l'œil, avant même défaire le critiquable. Le fait qu'historipourcentage, que le taux de quement une région ait été manifestation est beaucoup plus élevé à Lyon qu'à Marseille, j'ai déjà une indication qu'il va y avoir une opposition sur les traditions religieuses et les structures familiales. Ensuite, avec l'aide d'un informaticien compétent, j'ai rentré toutes les données disponibles, la popula- SEUIL 4714193400504 Date : 07 MAI 15 Page de l'article : p.26 Journaliste : William Bourton Pays : Belgique Périodicité : Quotidien OJD : 90091 Page 2/3 très catholique implique-t-il que les habitants actuels de cette région, orphelins de Dieu, « catholiques zombies » comme vous les appelez, remplissent leur vide existentiel en se coalisant contre un « autre » - les musulmans en l'occurrence ?... J'ai eu l'occasion de travailler systématiquement, à l'échelle européenne, sur le processus de déchristianisation. En 199O, fai écrit un pavé pas du tout polémique, qui s'appelle L'invention de l'Europe (Seuil), dans lequel j'ai décelé une sorte d'association mécanique entre le reflux des croyances religieuses - qu'on peut mesurer - et des bouleversements de remplacement. En France, entre 173O et 174O, vous voyez s'effondrer la pratique religieuse dans le bassin parisien et sur la façade méditerranéenne et en 1789, vous avez la Révolution. Dans la partie protestante de l'Europe, plus avancée sur le plan éducatif, il n'y a pas de phénomènes comme ça jusqu'en 188O. Mais entre 188O et 193O, le protestantisme, à son tour, s'effondre et en 1933, vous avez le nazisme et l'ensemble de l'Europe du Nord qui se fait un trip natio- Tous droits réservés à l'éditeur SEUIL 4714193400504 Date : 07 MAI 15 Page de l'article : p.26 Journaliste : William Bourton Pays : Belgique Périodicité : Quotidien OJD : 90091 Page 3/3 naliste. La troisième vague de déchristianisation, qui a commencé dans les années SO, a laissé un vide et, oh quelle surprise !, une utopie politique nouvelle arrive : l'euro! Voilà, c'est tout, c'est empirique. On ne peut pas dire: «Mais non...» L'histoire est terrible. Et je l'ai travaillée, en plus, à d'autres échelles. Au Japon, la révolution du Meiji a été précédée par une crise du bouddhisme... Il faut faire de l'histoire comparée pour voir la puissance de ces mécanismes. Moi, je suis un sceptique total, je ne crois en rien du tout. Je m'en sors par une vie familiale sympa, des revenus corrects, la sécurité de l'emploi de la fonction publique et un attachement à la recherche et à la science. Mais pour toute une société, vivre sans cadrage métaphysique, sans définition da sens de la vie, ce n'est pas évident. C'est tout ce que je dis. Et le nier, quand on gère des sociétés en crise économique, ce n'est pas bon... Nous allons y venir. Mais d'abord : vous avez manifesté lei! janvier? Non. J'ai eu instantanément un mouvement de recul - qui n'a pas été produit par la cartographie d'un événement qui n'avait pag encore eu lieu. Je pensais d'abord que c'était glorifier les frères Kouachi, c'était donner un sens à un acte ignoble. Et puis, j'ai une personnalité archaïque et dans ma famille, la doctrine, quand il y a des crises, ou lors des enter- rements, c'est plutôt de se tie de la manif parisienne et pour toutes les manifs de protaire et de serrer les dents. vince, avec leur empreinte « catholique zombie », pour Pourquoi les musulmans et moi, oui : Hy a une empreinte les ouvriers se sont-ils moins mobilisés que les autres ? On isknnophobe, certes inconsles en a exclus? ciente et pétrie de bons sentiAu-delà de l'horreur suscitée ments. Et de fait, dans les par l'attentat du 7, le thème jours qui ont suivi, des gacentral de la manifestation mins de 8 ans ont été convoétait, de manière tout à f ait qués dans des commissariats explicite, le droit de caricatu- de police... La vague d'islarer le personnage central de la mophobie a atteint les classes religion d'un groupe minori- moyennes, c'est ca qui est taire plutôt faible. Il y avait grave. Quand on regarde donc un élément xénophobe. l'Histoire, ce sont les classes Il est donc juste normal qu'en moyennes qui font les révolugénéral, leg musulmans n'y tions, s'appuyant sur les soient pas allés. Les types des classes populaires. La Rêvobanlieues sont des gens intel- lution française, le nazisme ligents... Pour les ouvriers, ce ou la révolution islamique en n'est même pas ca. Le Front Iran, ce sont les classes national, qui est désormais le moyennes. Et là. voir les plus grand parti ouvrier de classes moyennes françaises France, a été explicitement qui commencent à être senexclu de la manifestation. Le sibles à des thèses islamomessage subliminal délivré, phobes, ça, ça méfait peur. c'est qu'on ne tenait pas tellement à avoir les ouvriers. De Mais vous allez plus loin : toute manière, les ouvriers vous faites aussi le lien avec ont été relégués très loin dans l'antisémitisme... l'espace francais, ils sont très C'est la première fois que j'écris un livre noir sur la lain du cœur des villes. France. Car cette islamophoVous laissez entendre que ces bie, en effet, interagit avec l'antisémitisme et le nourrit. milliers de manifestants, « catholiques zombies » pour Dans mon bouquin, j'utilise l'image d'une partie de la plupart, étaient mus par une islamophobie inavouée... billard sociologique. La socié// y a toute une frange des té lance les ouvriers contre les manifestants, et particulière- Arabes et les musulmans ment en région parisienne, contre les Juifs. Et quand au pour laquelle ca n'est sans terme de tout cela, dans votre doute pas correct de donner analyse, dans les mobilisacet ie interprétation. J'irais tions que je considère «proplutôt chercher dans un ré- caricatures de Mahomet », flexe frileuct de classe vous découvres la trace du camoyenne qui découvre l'hor- tholicisme qui vient de dispareur de l'histoire et qui raître, et que vous savez cherche à se réunir elle-même qu'historiquement, les cathopour oublier. Mais liques et les classes moyennes pour une étaient les vrais soutiens du régime de Vichy, vous elites : bonne «Aïe, aïe, aïe ! » II y a danger. parEt pas seulement pour les musulmans. Pour les Juifs aussi, rn Propos recueillis par WILLIAM BOURTON EMMANUEL TODD Qui est Charlie ? Seuil 252 pages, IS euros Tous droits réservés à l'éditeur SEUIL 4714193400504 Date : 21 MAI 15 Page de l'article : p.140-141 Journaliste : Saïd Mahrane Pays : France Périodicité : Hebdomadaire OJD : 383570 Page 1/2 LE POSTILLON POLITIQUE Todd, après la tempête Avec son essai « Qui est Charlie? » (Seuil), Emmanuel Todd a mis le feu à la gauche. Rencontre. PAR SAÏD MAHRANE A rriver en retard à un rendez-vous a toujours été sa hantise. Il confie être là depuis un moment, installe dans une brasserie parisienne du boulevard du Montparnasse, un café fumant sous le nez. Ses yeux rougis disent la fatigue, les nuits d'écriture. Le matin, il a fait RMC, la veille «Le Grand Journal» de Canal +. Mais Emmanuel Todd va «franchementbien». Il insiste, sans que l'on ait pourtant émis Ie moindre doute : «Non, vraiment, ça va, je suis tranquille. » Même la tribune de Manuel Valls dans Le Monde ne semble pas avoir entamé sa quiétude. « Une coquille typographique dans un de mes textes peut perturber mes nuits, une tribune de Valls, non. » II nous explique que c'est de famille, depuis son grand-père Paul Nizan jusqu'à son père, Olivier Todd: dans l'adversité, on fait face, on rend les coups. En parlant du père, bel homme à la chevelure léonine, le voici justement qui pénètre dans la brasserie. Cet ancien jounaliste de 85 ans, venu saluer son fils, raconte qu'il vient de croiser Alain Finkielkraut devant le restaurant La Coupole, à 50 mètres de là, et qu'il n'a pu s'empêcher de lui dire sa colère. «Ila déclaréau 'Emmanuel "chiait sur les lecteurs de L'Obs".' Eh bien, je me suis permis de lui signifier que, venant de la part d'un défenseur de la langue française, ce propos était insupportable. » On règle les comptes. Plus tôt, le fils nous confiait les « vraies raisons » de sa brouille avec Valls. Un jour, sur un plateau télé, Todd a lancé à celui qui n'était pas encore Premier ministre qu'il ferait un meilleur président de la République que lui. Pris d'une «fureur homicide», Valls a éructé jusque dans les coulisses de l'émission... Mais venons-en à l'affaire, celle qui porte son nom. Un nom devenu hashtag sur les réseaux sociaux, qui conduit à des messages de rejet, voire de dégoût. L'objet de l'outrage est ce livre, « Qui est Charlie ? » (Seuil), qui prétend dresser le portrait-robot du marcheur du 11 janvier. Sorti de l'ombre, après trois mois de gamberge et de superposition de cartes, l'historien a pris un angle de vue hors foule pour déconstruire froidement un mouvement structure avec soudaineté. «Et je ne regrette pas d'avoir attendu... » Selon le démographe, les manifestants ne s'étaient pas seulement regroupés pour défendre la liberté d'expression, non. Dans les stylos levés au ciel, Todd a vu une bravade des biennés contre le dieu des «plus faibles». «On devait blasphémer. Dixit Voltaire !» Alors lui aussi blasphème. S'attaque au sacré. Parle d'islamophobie. Au moins, Todd n'est pas homme qui dévie. En 1988, il écrivait dans un livre intitulé « La nouvelle France » : «L'immigréjoue le triste rôle de bouc émissaire dans une sociététemporairementmaladedesestransformations,ravagéepar des angoisses qui lui sont propres. »En remplaçant l'immigré par le musulman, on croirait lire un extrait de « Qui est Charlie ? ». Tous droits réservés à l'éditeur «Ma radicalité langagière masque la modération de mon objectif. Je suis l'anti-Hollande: il a une modération dans les mots qui masque unprojetradical», dame l'auteur. Reconnaissons qu'en face on ne lui fait pas de cadeau et que l'agressivité des commentateurs et des politiques à son endroit s'inscrit parfois dans ce que Régis Debray appelle un «maccarthysme démocratique», le fait de «l'intolérant prêchant la tolérance». Républicain communiste et électeur de Hollande en 2012, Todd a porté la plume là où ça fait le plus mal : la gauche, selon lui, déconnectée et excluante, est incapable de réduire les inégalités, à force de bonne conscience et d'erreurs économiques. « Todddénonce le contre-poison à l'islamophobie, estime Philippe Corcuff, penseur de la gauche radicale et auteur d'un essai intitulé "Mes années Charlie et après ?" (Textuel). Hy a chez lui, en plus des fantasmes, quelque chose de paternaliste, comme si les musulmans étaient incapables de penser par eux-mêmes. » L'intéressé se moque des critiques, jure être libre. «Je n'aurais désormais plus d'amis et en même temps je n'ai jamais reçu autant de mails de soutien. J'ai l'attitude d'un mec qui a 64 ans et qui n'en a plus rien à faire, fe vais bientôt être vieux, alors autant se faire carboniser dignement.» Descendant d'un grand rabbin de Bordeaux, l'essayiste affirme avoir écrit ce livre «en tant SEUIL 8645304400501 Pays : France Périodicité : Hebdomadaire OJD : 383570 Date : 21 MAI 15 Page de l'article : p.140-141 Journaliste : Saïd Mahrane Page 2/2 que juif». Le déclic est venu de l'attentat de l'Hyper Cacher. «Pour le commun des mortels, c'est un argument de plus pour devenir islamophobe. Or, pour moi, l'islamophobie produit de l'antisémitisme.» On peine à le suivre lorsqu'il explique, dessin à l'appui, la montée des haines par la conjonction d'un « vide religieux» et d'une «crise economique» accentuée par l'euro. L'économiste Jacques Sapir, qui dit rester son ami, pointe chez le contempteur des « catholiques zombies» une contradiction: «Quand quelqu'un de pauvre dit une bêtise, cela ne se transforme pas en vérité parce qu'il est pauvre, à moins d'avoir Tous droits réservés à l'éditeur une vision chrétienne, et donc là aussi religieuse, de la pauvreté. » Ce livre n'est en fait rien d'autre que l'expression d'un vieux rêve cher à l'auteur : celui d'une nation retrouvée et forte de l'union de ses damnés. Son contre-i i janvier ressemblerait à une marche de Français d'origine arabe, de musulmans, d'ouvriers abandonnés au FN et même de juifs, que d'aucuns voudraient opposer aux autres. Et si tous pouvaient défendre la sortie de l'euro... En attendant, Todd encaisse et riposte. «Ich kann nicht anders... [NDLR: "Je ne puis autrement"] », soupire-t-il, citant Luther • SEUIL 8645304400501 Date : 08 MAI 15 Page de l'article : p.7 Journaliste : Raphaëlle Bacqué Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 273111 Page 1/2 FRANCE Emmanuel Todd, homme de tumulte L'essayiste n'est pas mécontent de l'émoi que suscite son dernier ouvrage sur « l'esprit du ii janvier » PORTRAIT E mmanuel Todd est un enfant de l'intelligentsia française. Le fils d'une famille à la fois bourgeoise et boheme, dont les figures totemiques comptent un grand-père écrivain, Paul Nizan, un père journaliste, Olivier Todd, un anthropologue mondialement reconnu, Claude Lévi-Strauss, dont il est le petit-cousin, et toute une kyrielle de parents cultivés, athées le plus souvent - même si un aïeul fut rabbin-, éclectiques presque toujours. Ses amis sont journalistes, professeurs ou chercheurs, venus pour beaucoup de la deuxième gauche. «Autant dire que les manifestants du u janvier me sont familiers », lâche-t-il comme pour justifier le portrait brutal - « délirant », disent ses premiers détracteurs - qu'il brosse, dans son dernier essai, Qui est Charlie ? (Seuil, 252 pages, 18 euros), des quelque quatre millions de personnes qui, ce jour-là, défilèrent en France derrière des pancartes affirmant « fe suis Charlie ». Le démographe n'est pas mécontent de l'émoi qu'il suscite déjà. « Mon livre est un missile Exocet magnifiquement construit, sourit-il, un chef-d'œuvre de maîtrise intellectuelle avec quèlques bonnes blagues dedans. » C'est en tout cas un ouvrage qui lui ressemble. On y trouve une excellente idée de départ : construire une géographie des exceptionnelles manifestations nées en réaction aux attentats terroristes contre la rédaction de Charlie Hebdo et les clients juifs d'un hypermarché cacher. On y trouve aussi une interprétation à coup de corrélations discutables. Tous droits réservés à l'éditeur Et des formules à remporte-pièce destinées à heurter les esprits. « II y a toujours, chez lui, un mélange de fulgurance et de maladresse », remarque son ami, l'essayiste Jean-Claude Guillebaud. « Une touche cle folie » Son éditeur au Seuil, Olivier Bétourné, qui faisait partie des manifestants du ii janvier, a relu soigneusement l'ouvrage, écrit fiévreusement en trente jours, biffant parfois les phrases les plus choquantes comme pour protéger l'auteur contre lui-même. «J'ai tout de suite vu que le début du livre, notamment, était excessif et qu'il serait un pavé dans la mare, reconnaît-il Mais j'espère que ces provocations stimulantes ouvriront un débat critique. » A 64 ans - il en tait dix de moins -, Todd n'en est pas à sa première polémique. Depuis ses débuts, ce chercheur traduit au Japon, en Angleterre ou en Allemagne chevauche tous les grands débats politiques de l'époque en portant haut ses travaux éclairants et ses contradictions personnelles. De La Chute finale, son premier livre prédisant la décomposition de l'empire soviétique, publié en 1976 par Robert Laffont, à Après l'empire (Gallimard), son best-seller international analysant, en 2002, le déclin économique et stratégique des Etats-unis, en passant par L'Invention de la France, coécrit avec le démographe Hervé Le Bras (1981, rééd. Gallimard 2012), ses ouvrages mêlant recherche scientifique et sens certain du public sont des succès, et ses réflexions font débat. «Dans n'importe quel pays, il aurait eu une place dans l'université, assure Hervé Le Bras. Mais les commissions universitaires françaises, dominées par les syndicats, lui ont chaque fois refusé un poste. » Malgré de multiples tentatives, Emmanuel Todd n'est jamais parvenu à obtenir plus que la direction de la bibliothèque de l'Institut national des études démographiques (INED), puis ce poste d'ingénieur de recherche qui lui a valu, encore cette semaine, le mépris du normalien et philosophe Alain Finkielkraut, outré par la prétention scientifique de son dernier essai : « Ingénieur de recherche ? Mais qu'est-ce que c'est ? » Est-ce cette marginalisation universitaire qui l'a peu à peu affranchi de toutes les prudences vis-àvis de ses pairs ? Ou un caractère à la fois solitaire, émotif et provocateur ? « II ressent toujours le besoin de sortir l'épée du fourreau », souligne son ami d'enfance, le journaliste Bernard Guetta, qui reconnaît, en souriant : « II n'y a pas eu un seul moment de nos existences où nous n'avons pas été en désaccord complet. C'est bien simple, nous nous effarons mutuellement... » L'écrivain Pascal Bruckner affirme plus nettement qu'il y a chez Todd « une touche de folie », citant à propos des corrélations statistiques brandies abondamment par le démographe ce mot du grand écrivain anglais Chesterton : « Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison. » II y a en tout cas un goût pour le tumulte et les soubresauts. Cet homme, qui n'oublie jamais de convoquer sa famille et cette culture de gauche européenne et so- SEUIL 9447193400506 Date : 08 MAI 15 Page de l'article : p.7 Journaliste : Raphaëlle Bacqué Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 273111 Page 2/2 ciale-démocrate dans laquelle il a grandi, a multiplié les emballements politiques. En 1992, il s'est affiché en fervent militant contre le traité de Maastricht ; en 2005, il clamait son « oui » à la Constitution européenne, avant de redevenir le plus dur contempteur de l'euro. En 2007, il expliquait que Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy étaient « deux candidats du vide » -, en 2012, il a appelé à voter François Hollande, voyant dans le candidat socialiste un nouveau Roosevelt capable de mettre en oeuvre un « hollandisme révolutionnaire ». « Une blague », balaye-t-il aujourd'hui qu'il est redevenu le critique le plus acerbe du PS. On l'a vu flirter dans les années 1990 avec les souverainistes et le journaliste Philippe Cohen, avant de s'éloigner de ce dernier - « Je trouvais son intérêt pour le Front national très exagère et son indulgence pour Eric Zemmour beaucoup trop grande », dit-il -, puis de se réconcilier avec le rédacteur en chef de Marianne, juste avant qu'un cancer ne l'emporte. « Analyse très personnelle » Ces dernières années, bon nombre d'intellectuels ont pris leurs distances, mais ses interventions à la télévision contre l'euro ou le libreéchangisme ont presque toujours battu des records d'audience. S'attaquer aux manifestations du u janvier, c'est autre chose. Même ses plus proches soutiens ont frémi en Usant, dans L'Obs, l'entretien où il affirme que « La France aux commandes (celle de "Je suis Charlie"), est celle qui a ete antidreyfusarde, catholique, vichyste. » Hervé Le Bras, qui juge « très fructueux de travailler avec un homme aussi Imaginatif», reconnaît s'être éloigné lui aussi, « sur des desaccords méthodologiques et son analyse très personnelle des données statistiques ». « Après ce livre, tu n'auras plus aucun ami », lui a souffle l'un de ses proches. Dans son Tous droits réservés à l'éditeur petit appartement, dans le XIV6 arrondissement de Paris, entouré de livres et de cartes, Emmanuel Todd a juste fait mine de s'en moquer. • RAPHAELLE BACQUÉ LE CONTEXTE Mardi, apres avoir entendu Emmanuel Todd sur France Intérêt lu ses interviews dans L'Obs et dans Liberation, Matignon a reclame au Seuil quèlques exemplaires de Qui est Charlie 7 En moins de vingtquatre heures, le livre de l'historien démographe a ete lu par les collaborateurs du premier ministre et un texte signe de Manuel Valls rédige. L'ouvrage n'était même pas encore en vente Devant les debats déjà vifs suscites par l'ouvrage, les editions du Seuil, qui avaient imprime 25 DOO exemplaires pour une mise en place en librairie de 15 000 opus, ont décide d'en imprimer 15 DOO supplémentaires afin de faire face a un éventuel afflux de lecteurs, jeudi 7 mai, jour de la mise en vente « ll y a toujours, chez lui, un mélange de fulgurance et dè maladresse » JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD essayiste et ami d'EmmanuelTodd SEUIL 9447193400506 Date : 08 MAI 15 Page de l'article : p.7 Journaliste : Nicolas Truong Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 273111 Page 1/2 FRANCE Une critique paradoxale des illusions de la France du ii janvier Pour Emmanuel Todd, les valeurs affichées par les manifestants « Je suis Charlie » masquent des pratiques foncièrement inégalitaires U n spectre hante la France. Celui du « catholicisme zombie ». Une survivance de l'empreinte catholique dans les mentalités qui, selon l'historien et anthropologue Emmanuel Todd, explique en grande partie « l'accès d'hystérie » de la mobilisation historique du ii janvier. Une détermination puissante et inconsciente qui permet, pêle-mêle, de comprendre « l'islamophobie » des classes moyennes, la dévotion européiste des élites, le mépris des ilotes taxés de « populistes » et même pourquoi le Parti socialiste de François Hollande est désormais « ancré à droite ». Dans Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse (Seuil, 252 pages, 18 euros), Emmanuel Todd veut démonter « l'imposture » de la communion nationale du ii janvier. Comme l'avaient déjà rappelé de nombreux observateurs, « une partie de la France n'était pas là » lors de cette mémorable journée. En un mot, relève Tous droits réservés à l'éditeur aujourd'hui Emmanuel Todd, c'est la France des classes moyennes supérieures qui a manifesté, pendant que celle du monde populaire, des jeunes des banlieues et des ouvriers de province boudait l'événement. L'unanimisme politique et médiatique lui fit l'effet d'un «flash totalitaire ». En janvier 2015, assure-t-il, « aucune analyse critique n'aurait été audible ». Rony Brauman, ancien président de Médecin sans frontières, contestait pourtant dans nos colonnes « la rhétorique de l'intimidation morale » en expliquant ce qui l'avait empêché de rejoindre le cortège (Le Monde daté du 16 janvier), tandis que le philosophe Alain Badiou raillait cette injonction à manifester : « Cest tout juste si Manuel Valls n'envisageait pas d'emprisonner les absents », écrivait-il (Le Monde daté du 28 janvier). Comme on peut le constater, l'originalité de l'essai d'Emmanuel Todd ne réside pas dans la victimisation d'un auteur alors prétendument bâillonné et qui fait aujourd'hui la couverture des journaux de toute l'intelligentsia de la gauche. « Oligarchie de masse » L'ouvrage est une invitation à comprendre les mécanismes du pouvoir idéologique et politique de notre société à partir du moment « Charlie », une analyse savante et virulente de la « crise religieuse » d'une nation qui « se ment à elle-même » dans la communion laïque. Bien sûr, accordet-il, les manifestants ont, en toute conscience, défilé pour la tolérance. Mais ce n'est pas la réalité des « valeurs latentes » qui les agissaient. Ce jour-là, écrit-il, « U s'agissait avant tout d'affirmer un pouvoir social, une domination ». Celle de la « France blanche » des catégories supérieures qui s'est précipitée dans les rues pour « définir comme besoin prioritaire le droit de cracher sur la religion des faibles ». Celle d'une France méga- SEUIL 1267193400508 Date : 08 MAI 15 Page de l'article : p.7 Journaliste : Nicolas Truong Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 273111 Page 2/2 litaire non dans ses proclamations théoriques et conscientes, mais dans ses comportements pratiques et inconscients. Car « les forces qui se réclament aujourd'hui de la République ne sont pas d'essence républicaine », explique-t-il. Comme l'illustre l'écart entre les manifestations massives de Lyon et celles plus modestes de Marseille, ce sont les habitants des anciennes terres catholiques et hiérarchiques qui se sont mobilisées le ii janvier. C'est cette « oligarchie de masse » qui accepte la ségrégation sociale des populations défavorisées, la relégation des jeunes musulmans dans les ghettos urbains qui s'est indignée, insiste-t-il. Cartographie à l'appui, le démographe veut démontrer qu'une « subculture catholique périphérique », qui perdure malgré le déclin dè l'Eglise, détermine à leur insu les individus. Et favorise l'avènement d'une « néo-République » inégalitaire. Sous son influence, la Tous droits réservés à l'éditeur « divinité cruelle » de la monnaie unique européenne a remplacé la Sainte-Trinité. Car le traité de Maastricht « nous vient du catholicisme et de Vichy plus que de la Révolution », assure-t-il. Sous son emprise également, le PS s'est droitisé. Ainsi François Hollande, fils de parents catholiques, apparaît-il comme « la parfaite incarnation du catholicisme zombie ». Certes, le PS est « subjectivement » antiraciste, mais il est « objectivement xénophobe » assure Todd, car « il exclut les enfants d'immigrés de la nation française ». En résumé, il y a un décalage complet entre les paroles et les actes dè ces dominants qui composèrent l'essentiel des manifestants. De l'islamophobie des beaux quartiers à l'antisémitisme des banlieues reléguées, la responsabilité des notables de cette « néoRépublique » inégalitaire est, selon Todd, immense. Que faire alors ? Combattre « la nouvelle hystérie laïciste », écrit-il, qui n'est autre qu'une « religion » qui fait de l'islam son bouc émissaire en proclamant « le devoir de caricaturer Mahomet ». Après l'outrance de la démonstration, place à l'œcuménisme de la conclusion. Toute la panoplie de la laïcité ouverte du néorépublicanisme que Todd s'acharne à combattre y est sagement déclinée. Droit au blasphème, liberté d'expression protégée par l'Etat, assimilation des immigrés, « intégration positive » de l'islam... Même l'interdiction du foulard à l'école, considérée comme islamophobe par beaucoup, est considérée par l'auteur, qui n'est exempt ni de paradoxes ni de contradictions, comme « une bonne chose ». La cohorte de ses anathèmes s'achève donc sur le catalogue d'un pur catéchisme républicain. Il est enfin temps de répondre à la question posée par l'anthropologue : « Qui est Charlie ? » C'est Emmanuel Todd, mais il ne le savait pas. • NICOLAS TRUONG SEUIL 1267193400508 Date : 08 MAI 15 Page de l'article : p.13 Journaliste : Manuel Valls Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 273111 Page 1/2 DEBATS Nous devons résister au pessimisme ambiant Contrairement à ce qu'affirment de nombreux intellectuels adeptes de l'idéologie du déclin, la France du ii janvier n'est pas une « imposture ». La lucidité sur les failles de notre société doit au contraire nous conduire à réaffirmer notre confiance dans l'idéal républicain PAR MANUEL VALLS C ertains voudraient tirer un trait sur le ii janvier, le remiser, minimiser la portée d'une mobilisation sans précédent, d'un gigantesque élan de fraternité. Il a fait marcher ensemble, dans nos rues, plus de quatre millions de personnes. Contrairement à ce que l'on voudrait faire croire, ce fut bien un mouvement spontané, populaire, venu des citoyens eux-mêmes. Le peuple français, dès le y janvier au soir, s'est dressé. Bien sûr, il faut se garder de toute idéalisation de l'événement. De nombreux Français, notamment dans les quartiers populaires, délibérément, n'y ont pas pris part. D'autres ne se sont pas sentis concernés, non par opposition au mouvement, mais simplement parce que les difficultés quotidiennes - le réel - les empêchent, trop souvent, de croire à cet idéal rappelé avec force par les slogans et les pancartes : la citoyenneté, la cohésion, la solidarité. Que des citoyens aient volontairement fait le choix de se tenir à l'écart doit évidemment nous interroger, et nous commande d'agir. Le ii janvier, je Tous droits réservés à l'éditeur l'ai déjà dit, était d'abord une exigence adressée aux responsables politiques de tous bords. Pour autant, faut-il noircir le tableau, céder à l'autoflagellation ? C'est un fait : notre nation, chahutée par les bouleversements du monde, connaît une forme de dépression, elle-même alimentée par les diagnostics réguliers d'intellectuels. Ceux-ci, bien que venus d'horizons différents, se retrouvent dans un même constat : celui du déclin. Un constat devenu une véritable idéologie, un leitmotiv. Trop souvent, notre nation ne sait plus s'émerveiller d'elle-même. Le devoir des responsables politiques est alors, aussi, de descendre dans l'arène des idées, de répondre, de combattre les faux-semblants. REFUS DES AMALGAMES L'historien et démographe Emmanuel Todd publie un ouvrage dans lequel il entend dénoncer « l'imposture » du ii janvier /Qui est Charlie ?, Seuil, 252 p., 18 €]. D'autres l'ont précédé sur cette voie, et d'autres le suivront sans doute, mais je veux répondre à son analyse en pointant, pour reprendre sa terminologie, quatre impostures. La première, c'est de vouloir faire croire SEUIL 5447193400524 Date : 08 MAI 15 Page de l'article : p.13 Journaliste : Manuel Valls Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 273111 Page 2/2 que le ii janvier était une attaque contre une religion, contre l'islam. « Piétiner Mahomet »? A aucun moment ! Cette manifestation fut un cri lancé, avec dignité, pour la tolérance et pour la laïcité, condition de cette tolérance. Elle fut également un cri lancé contre le djihadisme, qui, au nom de la foi, d'un islam dévoyé, s'en prend à l'Etat de droit, aux valeurs démocratiques, tue des juifs, des musulmans, des chrétiens. Elle fut, enfin, un refus des amalgames. Il fallait entendre cette Marseillaise chantée spontanément dans tous les cortèges pour saisir cet attachement viscéral aux valeurs qui nous unissent, au-delà de nos désaccords politiques, de nos appartenances culturelles ; un attachement à ce qui fait la nation républicaine, son caractère profondément consensuel et contractuel qu'Ernest Renan a si bien démontré. Est-ce que cela veut dire qu'il n'existe pas en France une tentative de stigmatiser les musulmans sous couvert de « laïcité » ? Bien sûr que non. Ces faits existent. On ne peut pas les accepter. La deuxième imposture tient à la définition de la liberté d'expression. Sur ce point, face aux confusions dangereuses, notamment au sein de notre jeunesse, les intellectuels ont une responsabilité éminente : éclairer et non pas tout mélanger. Dans notre pays, la caricature a toujours eu un rôle essentiel dans la construction de l'opinion publique. Elle est ce mode d'expression si singulier qui permet la dénonciation de l'injustice, la contestation des abus, la critique des « puissants ». Elle est le plus souvent, n'en déplaise à Emmanuel Todd, du côté des « faibles » et des « discriminés ». En l'espèce, la caricature de Mahomet est du côté de ceux subissant le poids des fondamentalismes, la violence des fanatiques qui détruisent, terrorisent, assassinent. Il y a là une inversion des valeurs, une perversion des idées, qui consiste à penser que ceux qui tuent sont les faibles. Ce Tous droits réservés à l'éditeur genre de justification provoque des conséquences désastreuses, car elle séduit tant d'individus, tant de jeunes qui pensent que ce sont les assassins les victimes. La troisième imposture, c'est cette théorisation d'une néo-République, concept pour le moins brumeux. Emmanuel Todd veut voir dans le ii janvier une confiscation idéologique par certaines catégories sociales supérieures, coupables par essence. L'historien ne prend alors plus aucune prudence avec sa discipline, au point de devenir inquiétant : c'est la France antidreyfusarde, catholique, vichyste ! N'en jetez plus ! La vérité, c'est que, dans les cortèges, chaque citoyen comptait à égalité, quelles que soient ses croyances, ses origines, sa couleur de peau, sa classe sociale. Propager l'idée que la République serait aux mains de certains et agirait au détriment d'autres, c'est jouer un jeu dangereux : celui des populismes, des extrêmes qui, eux, nous conduiraient vers la ruine. Dans cette crise d'identité que traverse la France, plus que jamais nous devons défendre la République, car elle est protectrice des citoyens et émancipatrice des individus. La République est notre meilleur atout. RELEVER L'ÉTENDARD DE L'OPTIMISME Enfin, quatrième imposture : la définition donnée de la gauche. Une définition qui reflète la tentation populiste en vogue, qui voit dans les « élites » un groupe fondamentalement méprisant, « mondialiste », dont la seule motivation serait de trahir le peuple. La définition de la gauche que donne Emmanuel Todd traduit en fait les passions personnelles de Fauteur : lorsqu'elle est proeuropéenne, la gauche est forcément synonyme de « traîtrise », de « soumission » à un supposé diktat. Tout est noir ou blanc, aucune place n'est laissée à la nuance. La gauche de gouvernement est présumée coupable et même condamnée avant d'avoir été jugée sur son action. Au fond, pour Fhistorien-démographe, devenu gardien du temple, la gauche ne vivrait bien que dans la contestation, le mythe révolutionnaire. Je réponds, ici, à Emmanuel Todd, mais je ne réponds pas qu'à lui. Le plus inquiétant dans ses thèses, c'est qu'elles participent d'un cynisme ambiant, d'un renoncement en règle, d'un abandon en rase campagne de la part d'intellectuels qui ne croient plus en la France. J'aimerais que plus de voix s'élèvent pour défendre notre pays, pour mieux en penser les défis, pour relever l'étendard de l'optimisme. Ce qui n'interdit en rien la lucidité. Je l'ai moi-même rappelé à la tribune de l'Assemblée nationale, dès le 13 janvier : pour beaucoup de nos concitoyens, la promesse républicaine est devenue un mirage. L'accès à l'éducation, à l'emploi, à un logement, à la santé, à la culture se heurte trop souvent à la réalité des faits. Mais c'est au nom de cette lucidité, et parce que je ne conçois pas la politique autrement que comme un combat, que je souhaite participer au débat sur le ii janvier, pour entretenir ce mouvement, cette énergie. Elle est vitale pour notre pays. Le ii janvier, la France s'est retrouvée, forte et fière. Ce souffle ne doit pas s'éteindre. C'est à chaque citoyen de l'entretenir, de lui donner sens, sans prétendre le confisquer. Et, à la place qui est la mienne, je mesure combien ce sursaut comporte d'exigences. Exigence d'agir, de s'élever à la hauteur des enjeux, de faire vivre nos valeurs. La lucidité n'empêche pas l'espoir, et la difficulté de ce combat républicain ne doit jamais nous faire oublier combien il est noble. • «J Manuel Valls est premier ministre SEUIL 5447193400524 Date : 10 MAI 15 Page de l'article : p.25 Journaliste : Patrice Trapier Pays : France Périodicité : Hebdomadaire OJD : 212516 Page 1/2 Le livre de la semaine Todd et « Charlie » sous la provocation, la réflexion C 6d7835f159f0c40f927041e4ad00a5bc19f32e0021a5523 ette semaine, de nombreux lecteurs, par l'odeur du scandale alléchés, ont fait le siège des librairies, réclamant le nouveau livre d'Emmanuel Todd avant même sa sortie. Il faut dire que Todd avait allumé une grosse mèche : le ll-Janvier, « imposture, accès d'hystérie, flash totalitaire, fausse conscience, lâcheté et cynisme, islamophobie... » Scandale donc, mais pas seulement: de nombreux lecteurs citoyens sont à l'affût d'idées nouvelles sur les sujets qui fâchent. Cet appétit, qui n'implique pas forcément adhésion, explique les succès du dernier roman de Michel Houellebecq, des essais d'Eric Zemmour ou de Philippe Val. Emmanuel Todd. E EFEFERBERC/AFP PROVOCATION ET RÉFLEXION... Emmanuel Todd mélange Tous droits réservés à l'éditeur savamment les deux dans ce livre fiévreusement écrit en trente jours : l'anthropologue cartographie les marches de janvier, concluant qu'elles ont rassemblé la France périphérique-catholique « zombie »-inégalitaire plutôt que la France centrale-républicaine-égalitaire. Il n'avait certes échappé à (presque) personne, pas même aux affreux médias toujours « unanimes », que les 3 ou 4 millions de marcheurs n'étaient pas toute la France, que les cités et les zones périurbaines étaient majoritairement restées à la maison. MAIS PEUT-Ot qualifier l'immense défilé de Paris de néo-catho périphérique? C'est le point faible du travail de Todd : on manque d'éléments pour savoir qui a défilé de la République à la Nation, Ménilmontant ou Versailles ou bien les deux (et alors en quelle proportion). Quant aux motivations des manifestants, Todd les interprète follement (de la fausse conscience, on passe vite à la non-conscience), les rangeant tout uniment dans le camp des laïcistes, partisans d'un droit absolu au blasphème. C'est oublier la dignité d'une bonne part des marcheurs, leur vœu d'une France pluriculturelle (pour reprendre SEUIL 9108293400505 Date : 10 MAI 15 Page de l'article : p.25 Journaliste : Patrice Trapier Pays : France Périodicité : Hebdomadaire OJD : 212516 Page 2/2 6d7835f159f0c40f927041e4ad00a5bc19f32e0021a5523 Todd dans le texte), leur refus de toute attaque contre l'islam. L'auteur fait une impasse totale sur la sidération produite par les attentats, la dimension de deuil. Tout comme il évacue la question du terrorisme dans la confrontation actuelle. À ce point, cela relève de l'impensée. /IAIS IL Y A AUTRE CHOSE, et c'est beaucoup plus fécond, dans le travail d'Emmanuel Todd : son étude de la montée d'une pulsion inégalitaire dans cette France centrale, laïque et traditionnellement égalitaire. Todd l'analyse en corrélation avec les effets destructeurs de la crise économique, de l'échec de l'euro, des tensions d'une Europe à direction allemande et aussi, c'est le plus étonnant, de « la plus forte polarisation éducative observée dans les régions de tempérament égalitaire où l'on enregistre, relativement, beaucoup d'éduqués primaires et beaucoup de supérieurs ». in KE i KU' le Todd que l'on lit avec plaisir depuis de nombreuses années, le scientifique qui cherche toujours plus loin, le spécialiste du temps long et des structures familiales, celui qui programmait la fin inéluctable de l'empire soviétique; qui, avec le démographe Youssef Courbage, mettait en évidence les progrès continus de l'alphabétisation des filles et du contrôle des naissances dans l'essentiel du monde arabo-musulman. On aurait tort de laisser la polémique nous détourner de sa démonstration sur « l'égalité malheureuse »; de ses analyses sur les Français d'extrême droite et la tension croissante entre « une idéologie qui affirme Tous droits réservés à l'éditeur unprincipe d'inégalité » et « une détermination égalitaire du vote » ; sur les Français musulmans dont « l'assimilation est en marche » même si elle subit « un coup de frein récent ». TOUTÀ SA FUREUR contre les triomphantes « MAZ » (classes moyennes-personnes âgées-cathos zombies) dont le PS serait le guide suprême, Emmanuel Todd a clos la semaine par sa diatribe contre Manuel Valls assimilé « au maréchalPétain ». Dès qu'il s'approche de la politique, Todd perd toute mesure ; c'est le cas de certains passages de son essai. .N REVANCHE, le Premier ministre a tort de parler « d'intellectuels qui ne croient plus en la France ». À tout prendre, il faudrait entamer la lecture dè Todd par sa double conclusion (la confrontation ou l'accomodement avec l'islam) dans laquelle il fait preuve d'une nuance et d'une finesse remarquables. Il s'y montre tel qu'en lui-même, amoureux viscéral de son pays (osons écrire, depuis tant de générations), inquiet de ses blessures intestines et d'un avenir incertain (islamophobie + antisémitisme) qui conclut son propos par ces mots : « Oui, les choses vont vraisemblablement s'aggraver. Avant de s'arranger ? » Tout est dans le point d'interrogation. PATRICE TRAPIER Qui est Charlie ?, Emmanuel Todd, Le Seuil, 248 p., 18 €. SEUIL 9108293400505 Date : 14 MAI 15 Page de l'article : p.13 Journaliste : Éric Zemmour Pays : France Périodicité : Quotidien Paris OJD : 314312 Page 1/2 IDÉES Le terminus du prétentieux CHRONIQUE Éric Zemmour [email protected] Ce brûlot anti-Charlie fait hurler ses pairs de la gauche antiraciste. Et si Todd lui aussi posait de bonnes questions mais donnait de mauvaises réponses ? QUI EST CHARLIE ? Emmanuel Todd, Seuil, 243 p., 18 € Qui est Charlie? Tous droits réservés à l'éditeur C harlie est un salaud. Un xénophobe, un islamophobe, un raciste. Charlie est un minable. Marche mais ne sait pas vers où et dit le contraire de ce qu'il pense ; défend la liberté pour mieux combattre l'égalité ; dame « pas d'amalgame » pour mieux écraser l'Arabe. Comme naguère David Vincent dans la série Les Envahisseurs, Emmanuel Todd sait. Devine tout, comprend tout, révèle tout. Emmanuel Todd est un universitaire, un anthropologue, un historien. Il est la Science. L'homme se croit libre, mais il est dans la main de Todd. Notre savant a reconnu dans les foules du ll janvier les groupes sociaux qui avaient voté oui au référendum sur Maastricht. Il sait lire une carte, Todd ; mais n'est pas le seul à avoir remarqué que les pays de l'ouest et de l'est de la France, autrefois catholiques et antirévolutionnaires, avaient été les plus fervents européistes. Et que les classes populaires qui votent pour le Front national sont issues des terres historiquement révolutionnaires. Philippe Séguin ne l'avait pas attendu pour deviner que « 1992 serait Panti-1789 ». Partant de cette intuition juste, Todd règle ses comptes avec la gauche européiste sans mesure ni rigueur scientifique. Bien sûr, la caste se cabre. On compte les coups en attendant que les deux boxeurs s'épuisent. Todd estime depuis longtemps que les modèles familiaux déterminent le positionnement politique. Et que les vagues SEUIL 8130793400502 Date : 14 MAI 15 Page de l'article : p.13 Journaliste : Éric Zemmour Pays : France Périodicité : Quotidien Paris OJD : 314312 Page 2/2 d'immigration ne changent rien à l'affaire. On est de son pays avant que d'être de ses origines. « La terre, elle ne ment pas ». Mais Todd est aussi un homme de gauche, un progressiste, qui croit que chaque individu peut s'émanciper de ses déterminismes. Il jongle depuis toujours avec cette contradiction originelle au gré de ses besoins et de ses engagements politiques, avec une mauvaise foi teintée d'arrogance. Pour Charlie, sa religion (i) est faite : « Le droit au blasphème sur sa religion ne doit pas être confondu avec le droit au blasphème sur la religion d'autrui. Blasphémer de manière répétitive, systématique, sur Mahomet, personnage central de la religion d'un groupe faible et discriminé, devrait être, quoi qu'en disent les tribunaux, qualifié d'incitation à la haine religieuse, ethnique ou raciale. » Todd s'en prend à Charlie pour mieux défendre l'islam. Il réclame que la République accepte des « accommodements » avec l'Islam. Qu'elle évite l'affrontement à tout prix. Car elle n'en a pas les moyens. Au diable la laïcité et la liberté, pourvu qu'on ait la paix ! Todd renoue ainsi avec la traditionnelle litanie pacifiste qui traverse l'histoire de France et en particulier de la gauche. « Plutôt Allemand vivant que Français mort », disait Giono dans les années 1930, obsession pacifiste qui conduira nombre d'hommes de gauche dans la collaboration. La double imposture Mais Todd n'en démord pas : « Nous devons accorder à l'islam ce qui a été accordé au catholicisme. » C'est le coeur du livre ; et de sa double imposture. D'abord, la III6 République (et on ne parle même pas de la Terreur et dè la Vendée ! ) n' a pas été tendre avec l'Église. Toujours méfiante, féroce même sous le petit père Combes, entre « mise à jour des inventaires » par Tous droits réservés à l'éditeur l'armée et officiers catholiques fichés. Mais surtout, l'égalité mise entre le catholicisme et l'islam est inique historiquement. Le catholicisme a forgé la nation française. Todd oublie que les confessions minoritaires, judaïsme et protestantisme, ont, elles, accepté de reconnaître la prééminence culturelle du catholicisme (édifices religieux discrets, prénoms choisis dans le calendrier composé de saints catholiques, etc.). C'est cette sujétion culturelle que refuse l'islam ; et cette résistance islamique que Todd et d'autres utilisent comme un bélier pour détruire les derniers reliquats de la christianisation de la France. Ils sonnent ainsi la revanche historique de l'extrême gauche, devenue islamo-gauchiste, sur Briand et Jaurès qui, lors de l'élaboration de la loi de 1905, avaient contenu leurs assauts antichrétiens, en limitant leur combat au seul cléricalisme. Nostalgique impénitent de « la bonne vieille lutte des classes », il veut la ressusciter en sonnant l'alliance « contre Charlie » des deux « universalismes égalitaires » des classes populaires françaises et immigrées. Todd n'invente rien de neuf, et ne fait que reprendre les chimères qui vont de l'extrême gauche à l'extrême droite. Seul le nom dè l'ennemi diffère : quand Besancenot cible les « sionistes », Mélenchon « l'Allemand », Soral parle du «juif», Todd évoque pudiquement « Charlie ». Todd est un Soral gourmet. Un personnage de Houellebecq Mais le catholicisme est lui aussi le produit d'une inspiration universaliste et égalitaire. Comme la Révolution. Et comme l'islam. Ces trois universalismes sont des rivaux inextinguibles ; ils ne peuvent être que des alliés de circonstance. Le Code civil ne tolère pas une religion qui ait des prétentions législatives et politi- ques (Napoléon l'avait fait savoir au judaïsme autant qu'au catholicisme) et l'islam - sous toutes ses variantes - refuse de se concevoir comme une religion confinée au privé. C'est bien pour cela que catholicisme et islam se sont affrontés depuis plus de mille ans. Et que Daech cible la France en souvenir et des croisades et de la Révolution. Pour fonder son alliance, Todd fait le malin avec des chiffres de mariages mixtes mirifiques. Que la démographe Michèle Tribalat conteste. Todd reconnaît lui-même que depuis 1992 cette tendance se retourne ; mais c'est la faute à Maastricht, bien sûr ! Mais quelle est la réalité d'un mariage « mixte » lorsque l'époux français - se mariant avec une étrangère issue d'un pays du Maghreb - est lui-même un Français issu de parents venus du même bled ? Quand le footballeur Ribéry épouse une jeune femme algérienne, qu'il se convertit à l'islam, et chante partout son adoration pour son «pays d'adoption », l'Algérie ? « Hésitant entre une belle exotique et un boudin national, l'universaliste fera en général le bon choix... » À la fin de son livre, Todd ressemble à l'universitaire inventé par Houellebecq dans Soumission : il finit par se convertir à l'islam pour goûter aux délices de la polygamie. «La France redeviendra elle-même quand Paris sera devenue la ville où auront fusionne des représentants de tous les peuples du monde, une nouvelle Jérusalem »... Longtemps, Todd nous a asséné son optimisme méprisant. L'homme avoue désormais son doute. « II est déjà certain que ma génération ne verra pas la terre promise. » Todd se prenait pour le nouveau Moïse d'une « humanité libérée de tout sentiment racial». Todd le prophète s'avère un Docteur Folamour. Dans ses éprouvettes, c'est avec notre peau qu'il joue. • SEUIL 8130793400502 Date : 15/17 MAI 15 Page de l'article : p.18 Journaliste : Jean Emmanuel Ducoin Pays : France Périodicité : Quotidien Paris OJD : 38184 Page 1/2 C'est vous qui le dites LE BLOC NOTES DE JEAN EMMANUEL DUCOIN Charlie(s) ZOMBIES. Emmanuel Todd dit ne pas regretter « d'avoir attendu » avant de reagir aux evenements de janvier dernier Au moins a t il raison d'affirmer qu'un chercheur de son rang doit apporter autre chose « qu'une morale pure ou une idéologie de meilleure qualite, maîs une interprétation objective des faits qui ont échappe aux acteurs eux mêmes, emportes par l'émotion, mus par des préférences souvent obscures ou carrément incons cientes » Quèlques mois donc, avant de publier le tonitruant Qui est Charlie 9 (Seuil), un peu plus de 240 pages souvent brillantes, parfois irritantes, toujours dérangeantes dans la mesure ou le célèbre historien, anthropologue et démographe, qui n'a plus a prouver l'excellence m l'importance de la plupart de ses travaux depuis quarante ans, s'emploie dans ce texte a deconstruire l'une des rares communions solennelles de la République depuis la Liberation, celle du ll janvier, qui avait rassemble dans la rue quatre millions de personnes, censément venues la pour defendre l'essentiel, une certaine idée de la démocratie, de la liberte d'expression et, sait on jamais, un goût pour l'incarnation de l'être republicain Une espèce de sursaut citoyen en somme, que nous imaginions assez populaire pour nous en réjouir, maîs qu'Emmanuel Todd décide a toute force de delegitimer car, selon lui, ce « Je suis Charlie » témoigne « d'une volonté de masse ou emane d'une pure logique mediatique, (et) fut, au cœur de notre societe posûndustnelle, une manifestaûon emblématique défausse conscience » Comment s'accorder avec ces mots qui nous heurtent de plein fouet, même si nous savions que cette émotion hors norme et collectivement partagée face a l'horreur des crimes commis n'était sans doute pas un moment d'euphorie trans cendantal maîs instantané, fugace, et destine a ne pas survivre Derrière quèlques saillies de polémiste et des propos d'une vi rulence qui nuisent a ses intuitions 0 ll cl lld (sincères) comme a ses démons trations (réelles), Emmanuel Todd EfimiaXlliel va beaucoup plus loin pour lui le „ _.j ll janvier n'est qu'une «impos 1 OClCl ÏGHtC tuj-g » ) une « hystérie coîJective » HP ue Hppnn«triiirp uccuiisn un e et un « happeningeuropeiste » Comme lui> avons nous w ^ Jg JJ îaiïvieF. foule de « zombies » islamophobes a l'inconscient « vichyssois », autrement dit non pas une France de l'égalité et de la fraternité maîs celle, sournoise et revancharde, de l'inégalité et des préjuges sociaux et racistes ? L'affaire, en tant qu'instant potentiel de notre Histoire, est sérieuse Tous droits réservés à l'éditeur SEUIL 3449793400524 Date : 15/17 MAI 15 Page de l'article : p.18 Journaliste : Jean Emmanuel Ducoin Pays : France Périodicité : Quotidien Paris OJD : 38184 Page 2/2 ISLAM. Comme le propose Emmanuel Todd, nous pouvons en effet admettre que ce serait « une erreur que de supposer aux foules du ll janvier une homogénéité essentielle », sans forcement accréditer l'idée d'une sécession a la française la théorie fa vonte des neoconservateurs au prétexte qu'une partie de la population, une partie non négligeable et consubstantielle de notre societe, n'était pas la les classes réellement populaires et les Français héritiers de l'immigration, qu'ils soient musulmans ou non, et qui n'ont pas attendu le choc émotionnel du 7 janvier pour être diabolises Attention, voila le point aveugle de la France de 2015 que nous aide a identifier Emmanuel Todd « L'islam est bien le bouc emissaire d'une societe qui ne sait plus quoi faire de son incroyance et qui ne sait plus si elle a foi en l'égalité ou en l'inégalité » L'historien y va fort, il laisse si peu de place a l'es poir qu'il en vient a penser que les classes moyennes, apeurées par le déclassement et menées par les classes supérieures, sont devenues « fondamentalement égoïstes, autistes et d'humeur répressive » et que « les musulmans, catégorie fantasmee, de viennent ainsipour elles un deuxieme problème, a cote de celui des milieux populaires » Pour Todd, la France aurait besoin d'une nouvelle fête de la Federation Car « une accentuation de la lutte contre l'islam ne saurait en aucune maniere aboutir a sa reduction, maîs elle aliénera les musulmans complètement assimiles » qui n'aspirent qu'a «l'egalite republicaine» Dont acte • Tous droits réservés à l'éditeur SEUIL 3449793400524 HD L'HUMANITE DIMANCHE Date : 13/20 MAI 15 Page de l'article : p.18,20 Journaliste : Diego Chauvet / Marc de Miramon Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Paris Page 1/4 (POLITIQUE "ENTRETIE^ La sortie de «Qui est Charlie? » a provoqué une violente polémique dans les médias. Le premier ministre Manuel Valls s'est fendu d'une tribune dans «le Monde» pour condamner le livre et son auteur, le chercheur Emmanuel Todd. Dans ce grand tohu-bohu autour de cette «sociologie d'une crise religieuse», les questions de fond soulevées par le livre sont passées à la trappe. Que l'on soit d'accord ou non avec les constatations révélées par Emmanuel Todd, que l'on apprécie ou pas ses prises de position sur les manifestations dull janvier, «Qui est Charlie?» mérite pourtant que l'on regarde de près le portrait de la France dressé par le chercheur. Nous l'avons donc interrogé sur ses méthodes de recherche, sur l'ampleur cle la polémique qui a accompagné la sortie du livre, et sur «l'esprit dull janvier» qu'il qualifie cle «flash totalitaire ». Entretien avec Emmanuel Todd, sur une France «néo-républicaine» à la mécanique sociale inquiétante. EMMANUEL TODD ont fait dérailler la Repu b iq ue» Tous droits réservés à l'éditeur HD. Vous attendiez-vous à déclencher une telle polémique avec « Qui est Charlie?»? EMMANUEL TODD. Le sujet est central, maîs je ne me projetais pas au centre d'un débat national Je veux aujourd'hui rester sociologue sur l'événement et m'interroger sur la signification de cette violence que je sens autour de moi On m'oppose que tous ces gens étaient dans la rue pour défendre la liberté, l'égalité, la fraternité Maîs, dans mon livre, j'écris clairement que le ll janvier, toutes sortes de manifestants étaient là un peu par hasard, sans savoir vraiment pourquoi, émus par l'horreur de la tuerie du 7 janvier La méthodologie statistique que j'utilise laisse tout à fait sa part à la liberté humaine Les gens qui ont défilé dans les rues de Paris sur la base d'une émotion simple et saine peuvent se dire au pire que l'auteur de ce livre se trompe Maîs la fureur que j'entends autour de moi provient sans doute plutôt des autres, c'est-à-dire des gens qui ont été identifiés comme étant là pour de moins bonnes raisons Mon livre a un rôle de dévoilement d'une réalité qui était cachée aux acteurs C'est ce que je rappelle dans mon introduction en citant Marx, la fausse conscience, Durkheim, Max Weber C'est un livre wébénen dans le sens où l'on doit révéler aux acteurs les motivations profondes de leurs actes, et je le fais avec des méthodes scientifiques banales Avec le concept de « catholicisme zombie », je m'appuie sur une notion élaborée dans «LACULTURE DOMINANTE ACTUELLEMENT AU PS SORTDELAFRANCE CATHOLIQUE PÉRIPHÉRIQUEJUSQU'À RÉCEMMENTDEDROITE, AUTORITAIRE ET INÉGALITAIRE.» SEUIL 8751693400524 HD L'HUMANITE DIMANCHE Date : 13/20 MAI 15 Page de l'article : p.18,20 Journaliste : Diego Chauvet / Marc de Miramon Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Paris Page 2/4 un autre livre, « le Mystère français » (I), écrit avec Hervé Le Bras Nous avions constaté empiriquement, dans l'analyse des performances éducatives et des taux de chômage, la permanence de deux France (une laïque, républicaine, traditionnelle et une France catholique récemment passée à un autre type de laïcité) La culture actuellement dominante au Parti socialiste, avec sa bonne conscience, sort de la France catholique périphérique, jusqu'à très récemment de droite, autoritaire et mégalitaire Elle a produit ce néo-républicanisme qui promeut une politique économique (dont l'euro) menant à des mécanismes d'exclusion, et qui conduisent eux-mêmes au développement de la xénophobie, arabophobie, puis islamophobie, puis antisémitisme Les fondements culturels du néo-républicanisme socialiste sont ici dévoilés' c'est vraisemblablement ce qui produit un effet de fureur chez certains des individus concernés HD. On vous reproche de ne pas être Charlie... Comment avez-vous réagi lors des attentats? E. T. Je regrette qu'on essaie de me faire passer pour un type qui n'était pas conscient de l'horreur du 7 janvier J'ai fait partie de l'immense majorité de Français presses que les frères Kouachi soient trouvés et abattus Je ne dis pas que justice a été faite Maîs j'ai été soulagé quand ça a été réglé L'esprit du ll janvier était sans doute double II y avait des gens sincères maîs j'ai dû évoquer un flash totalitaire avec ces enfants de 8 ans convoques dans des commissariats Des foules immenses qui acclament la police, ce n'est pas le monde habituel des manifestations Tous droits réservés à l'éditeur ouvrières auxquelles je participais dans ma jeunesse Dans le studio de France Inter, le 4 mai dernier, chez Patrick Cohen, où on ne me laissait pas parler avant que je ne menace de quitter le studio, j'ai retrouvé cette face noire du ll janvier Je suis pour le droit au blasphème, maîs je suis aussi un militant du contre-blasphème On a le droit de blasphémer sur toutes les religions On devrait réfléchir à la responsabilité de Bernard Cazeneuve (le ministre de l'Inténeur-NDLR) qui n'a pas été capable de protéger les gens de « Charlie Hebdo » Maîs d'autres Français, d'origine musulmane ou non, ont tout à fait le droit de dire que ce n'est pas très classe de se mettre à 20 contre I pour cibler le personnage central d'une religion minoritaire et d'un groupe qui, quoique très divers, est statistiquement sur les franges plutôt défavorisées de la société HD. Comment en arrivez-vous aux constats, à cette cartographie des manifestants du 11 janvier? E. T. Je suis rentré dans un processus de recherche lorsque j'ai senti que Lyon et Marseille avaient manifesté avec des intensités très différentes, deux fois plus à Lyon qu'à Marseille Ce sont les deux grandes métropoles régionales qui incarnent des types polaires en France Lyon est la grande ville du catholicisme zombie, Marseille celle de la culture laïque, déchristianisée depuis le milieu du XVIIIe siècle J'ai construit toute la carte, en travaillant avec un informaticien cartographe extrêmement compétent Nous avons rapporté les nombres de manifestants publiés par « Libération » à la population des villes, nous avons fait des cartes de la pro- portion de cadres et de professions intellectuelles supérieures dans chacune des villes, de la proportion d'ouvriers, de l'imprégnation religieuse traditionnelle Ensuite nous avons comparé les cartes, maîs pas à l'œil ' Nous avons utilisé les techniques de recherche standards en statistiques Nous avons calculé des corrélations, fait une analyse de régression multiple pour vérifier l'mdépendance réciproque des facteurs économiques et de la variable religieuse Nous sommes arrivés à la conclusion qu'en combinant les trois variables « ouvriers », « cadres » et « religion », nous pouvions expliquer, en première approche, 40 % de la vanance des taux de manifestation dans toute la France Si l'on intègre en plus dans le calcul le fait que les données étaient passablement aléatoires au départ (il s'agit des chiffres publiés dès le 12 janvier), on se situe sans doute au-dessus de la moitié de la vanance expliquée (2) Ça ne dit pas tout des gens qui étaient là. La statistique ne dit pas que les hommes ne sont pas libres Elle dit que les hommes ne sont pas complètement libres des cultures auxquelles ils appartiennent. J'utilise ensuite la manifestation comme un révélateur du système social français, d'un bloc hégémonique MAZ (classes Moyennes, gens Âgés, catholiques Zombies), j'en viens à l'analyse du système politique et j'aboutis à cette bizarrerie qu'une force politique comme le Parti socialiste est plus puissante dans les vieilles régions françaises de tradition mégalitaire que dans les autres Pour ce faire, j'utilise des graphiques qui sont de types standards en biologie ou climatologie. L'une des bizarreries de la «LESPRIT DU 11 JANVIER ÉTAIT SANS DOUTE DOUBLE. DES GENS ÉTAIENT SINCÈRES MAIS J'AI DÛ ÉVOQUER UN FLASH TOTALITAIRE AVEC CES ENFANTS CONVOQUÉSAU COMMISSARIAT.» SEUIL 8751693400524 HD L'HUMANITE DIMANCHE Date : 13/20 MAI 15 Page de l'article : p.18,20 Journaliste : Diego Chauvet / Marc de Miramon Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Paris Page 3/4 Le ll janvier, la foule s'est rassemblée, émue par l'horreur, et suivant des motivations profondes dont le sociologue veut dévoiler « le sens caché». droite, qu il s'agisse du FN ou de I UMP, c'est quel le fonctionne plutôt mieux dans les regions dc tradition égal italie qui ont fait la Revolution française J'en conclus que Ic système fiançais est complètement détraqué C'est de la recherche HD. Certains de vos collègues remettent pourtant en doute vos méthodes d'analyse... E. T. J'ai été extrêmement surpris François Héran a eté directeur de l'INhD pendant dix ans il a le droit dc ne pas être d'accord avec moi Les conti ovei ses entre savants doivent exister Maîs dans son article de « Libéi alien », il ne paile pas de l'anal) se statistique centrale que je viens d'évoquer brièvement Pour rn attaquer raisonnablement, la premiere chose à faire aurait été de contester la legression multiple, les analyses de \anance et de correlation lacartographiedu livre Je ne me souviens pas l'avoir lu dans son ai tick. C'est une critique qui se dit savante, maîs qui est en réalité un rejet de la science Je suis accusé de mettre a priori les gens dans des Tous droits réservés à l'éditeur cases. Je f a i s exactement le contraire je constate empiriquement une distribution statistique non aléatoire des individus Je suis stupéfait de découvrir chez Héran une telle ignorance du sens même «LA STATISTIQUE NE DIT PAS QUE LES HOMMES NESONTPASLIBRES, ELLE DIT QU'ILS NE LE SONT PAS DES CULTURES AUXQUELLES ILS APPARTIENNENT.» de l'analyse sociologique Je suis aile rechercher la lecon inaugurale au Collège dc France, dc mon maître F ni manuel Le Roy-Laduric « Pour nous, letude du hasard ne va pas sans celle de la nécessite, même et surtout quand celle-ci prend le v isage d'une régularité ou d'une probabilité statistique » S'étant assis sur le cœur de la méthodologie standard aujourd'hui, Héran écrit ensuite bizarrement « Cette dissymetne de traitement élude les questions que posent certains musulmans libéiaux Pai exemple peut-on appliquer à l'islam le pimcipe du libie examen et de la critique historique sans ruiner la foi 9 Ces questions sont en lien étroit aveclaradicalisation violente de l'islam, qui est tout de même le nœud de l'affaire » C est une proposition antisociologique et idéologiquenient suspecte Si I on s intéresse sérieusement à la sociologie de la violence islamique en Fi ance. il faut lire l'étude de terrain de FaihadKhosiokhavai (3) Elle nous révèle que « ce n'est pas une connaissance préalable profonde de l'islam qui induit la radicahsation religieuse dans les banlieues, maîs bien au contiane une inculture profonde qui provoque un effet de ciedulité accentuée, une forme de naïveté résultant de la méconnaissance voire de l'ignorance de l'islam qui joue en laveur de l'extrémisme religieux ». La conclusion étrange de Héran sur l'islam est, au minimum, virtuellement islamophobe HD. Votre livre sort concomitamment à celui de Philippe Val (4), qui est une charge contre le « sociologie » et tous ces outils qui aboutiraient à la conclusion que les élites seraient forcément malfaisantes... Qu'en pensez-vous? E. T. J'ai participe il y a quèlques années à un debat sur l'islam avec Philippe Val pour « le Monde des religions », maîs je ne garde aucun souvenir de son contenu II faut due que la journaliste qui gérait le débat était exceptionnellement jolie \h si, je me souviens qu'en partant je pensais • « La culture, c'est SEUIL 8751693400524 HD L'HUMANITE DIMANCHE Date : 13/20 MAI 15 Page de l'article : p.18,20 Journaliste : Diego Chauvet / Marc de Miramon Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Paris Page 4/4 EMMANUEL TODD : « LES SOCIALISTES ONT FAIT DÉRAILLER LA RÉPUBLIQUE = comme la conclure, moins on en a, plus on l'étale » Je ne croîs pas que je vais lire le livre de Val Je peux discuter de sociologie avec des ouvriers de la CGT on se comprendrait certainement Maîs avec Philippe Val, je serais dans Ph} perespace HD. Vous avez aussi décidé d'écrire ce livre en réaction à la tuerie de l'Hyper Cacher.. E. T. C'est la léalisation que l'antisémitisme des banlieues était devenu Fun des problèmes fondamentaux de la societé française qui m'a mis au travail J'essaie ici encore et encore, de rester sociologue durkheimien et wébenen, de résister à la tentation de foncer dans l'évidence Nous sommes dans le développement d'une ambiance islamophobe dans les classes moyennes Dcs gosses d'origine musulmane perpètrent des horreurs antisémites La solution de facilité intellectuelle e est de conclure sans réfléchir que e est une preuve de plus que l'islam est malfaisant Maîs c'est plus compliqué que ça Tout est plus compliqué L'islamophobie et l'antisémit i s m e sont a u j o u r d ' h u i en interaction, deux produits de la société française Mon analyse, que je ne fais ici qu'évoquer, conclut une fabrication de l'antisémitisme par l'islamophobie Remarquez, un bon sens honnête mène à la même conclusion N'importe quelle haine leligieuse fmiia pai encouiagei toutes les haines religieuses C'est une sorte de partie de billard sociologique. Les classes moyennes françaises autosatisfaites maintiennent la société dans le carcan de la monnaie unique, acceptent le pourrissement du bas et de la périphérie sociale, lancent les milieux populaires contie les Fiançais d'origine arabe, eux-mêmes enfermés par la stagnation économique Ce qui produit, dans un contexte de vide religieux l'antisémitisme des banlieues Et quand on a constaté que les milieux sociaux et géographiques qui ont ete dans le passe antidreyfusards ou vichystes sont aux manettes de la société on commence à être inquiet Maîs personne n'a voulu ça, personne n en est conscient C'est une mécanique sociale Je suis le contraire d'un complotiste Tous droits réservés à l'éditeur ciale complètement différente, une République qui procede par exclusion, relegation, et dressage des groupes dominés les uns contre les autres C'est la contribution de mon livre à la sociologie d une France en crise religieuse et économique à la fois -K ENTRETIEN RÉALISÉ PAR DIEGO CHAUVET ET MARC DE MIRAMON «PAR UN COUP DE BILLARD SOCIOLOGIQUE, L'ISLAMOPHOBIE MÈNE À L'ANTISÉMITISME DES BANLIEUES.» d exclusion La IIP République associait les deux minoiites leligieuses protestante et juive au pacte républicain et a la fondation de la laïcité, elle intégrait le monde ouvrier par la valeur d'égalité La néo-République ne fonctionne correctement que poui les classes moyennes, celles-ci étant fortement pénétrées de catholicisme zombie Les ouvriers sont exclus et relégués, les minorités religieuses lancées les unes contre les autres C est une mécanique so- [email protected], [email protected] (1) «Le Mystere français», d'Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, Editions du Seuil, 2013 154 pages, 17,90 euros (2) Régression methode statistique qui permet d'analyser la relation d'une variable par rapport a une ou plusieurs autres Vanance mesure qui permet de mesurer la dispersion d'une distribution ou d'un échantillon de donnees (dispersion autour de la moyenne par exemple) (3) « La Radicahsation », de Farhad Khosrokhavar, Editions de la Maison des sciences de I homme, 2014 224 pages, 12 euros (4) « Malaise dans l'inculture », de Phihpe Val, Editions Grasset, 2015 302 pages, 20 euros RETOUR À LA RÉPUBLIQUE OU CONFRONTATION? HD. Maîs lorsque vous comparez Valls à Pétain ce n'est pas une blague ? E. T. Le premier ministre m'a insulté, j'ai lépondu, pour moi l'affaire cst close Jc préfere parler du Parti socialiste Ce qui rend fous les socialistes, je le répète, c'est le concept de néo-République La gauche est maintenant dominée par un PS qui est lui-même domine par les catholiques zombies Lune des thèses centrales du livre, c'est que c'est le PS qui a fait dérailler la Republique II a remplacé le PCF comme force principale de la gauche, il n'est pas vraiment de gauche, et l'émeigence du FN n'est qu'une conséquence Si la gauche n est plus la gauche, la représentation des ouvriers commence à tanguer La néo-République actuelle est une République Au-delà de la polémique et des recherches sociologiques qu'il livre dans son ouvrage, Emmanuel Todd propose des pistes possibles pour la société française dans « Qui est Charlie ». Qui est Sa page 233 propose notamment un « retour Charlie? à la République » qui passe par un « accommodement avec l'islam ». Et, thème cher au chercheur, « une sortie de l'euro » sans laquelle selon lui il n'y a « pas de politique économique possible, pas de baisse du chômage, pas d'amélioration concevable de la situation des plus fragiles économiquement ». Il rappelle dans cette conclusion que « le droit au blasphème est absolu » et qu'il doit être protége par les forces de l'ordre. Mais que les citoyens qui souhaitent critiquer l'usage de ce même droit soient tout aussi protégés au lieu d'être accusés d'apologie du terrorisme. C'est l'un des possibles que décrit Emmanuel Todd, maîs il n'est pas le seul. La « confrontation » notamment aurait des conséquences redoutables: « ll est évident qu'aujourd'hui, la réduction à un statut de citoyens de deuxième zone de 10 % de sa population jeune et la fuite probable vers le monde anglo-américain des plus doués d'entre eux marqueraient la f in de la France en tant que puissance moyenne. » « Qui est Charlie7 Sociologie d'une crise religieuse », d'Emmanuel Todd, Editions du Seuil 252 pages, 18 euros i SEUIL 8751693400524 Date : 06 MAI 15 Page de l'article : p.8-9 Journaliste : Guillaume Erner / Philippe Lançon Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Page 1/6 DE TOUS US PAYS, UNISSEZ-VOUS! A-T-ON LE DROIT DE CARICATURER «CHARLIE»? Ça vous est déjà arrivé de devenir une «breaking news»? Parce que, ici, à Charlie, oui. L'histoire, vous la connaissez, vous faites des dessins, des papiers. Et puis un jour le ciel vous tombe sur la tête, et vous voilà transformé en machine à buzz. Il y a maintenant les pro-Charlie, les contre, les tout contre. Emmanuel Todd a décidé de participer à ce débat via un livre. Évidemment, il a le droit de caricaturer Charlie. Ce qu'il dit n'est d'ailleurs pas scandaleux, c'est tout simplement faux. Voici pourquoi. mmanuel Todd nest pas le Booba de la sociologie ce serait plutôt lAkhenaton Le chanteur d IAM fait du rap au musee Todd pense une France qui n existe plus Depuis une trentaine d annees Todd applique la même methode convoquer les structures anthropolo giques pour expliquer les phénomènes sociaux Selon lui il existe différentes France façonnées entre autres par la religion les types familiaux Et quel que soit le sujet traite du communisme au suicide il utilise la même recette il sort une carte de France et analyse Aujourd hui la victime de la methode est Charlie Les villes qui ont le plus manifeste pour Charlie dit il sont celles ou le «catholicisme zom ble» est le plus fort Catholicisme zombie parce que pour Todd le christianisme e est Walking Dead dans certains lieux il survit a sa mort Et les statistiques toddiennes démontrent que ceux qui ont manifeste pour Charlie sont des MAZ avec un « M » comprenez des classes Moyennes personnes Âgees catholiques Zombies G est nul d etre un MAZ Parce que sous la plume de Todd ceux ci militent pour une societe megali taire sécuritaire libérale et au fond hberticide Vous avez reconnu les valeurs que Charlie défend depuis sa creation Todd redoute d ailleurs que ce mouvement engendre un «monstre autoritaire et inegahtaire » voila pourquoi il attend de vous lec leur un sursaut L erreur de Todd a un nom la corrélation sans cause Pas la peine de remonter a 1793 et aux guerres de Vendee pour comprendre pourquoi la France de I Ouest a plus manifeste que la France du Sud Todd invoque une mystérieuse «memoire des lieux» maîs les habitants de Marseille au jourdhui ne sont probablement pas les mêmes que ceux de Massilia Inutile de revenir a Chilpenc pour comprendre pourquoi on a surtout manifeste le ii |anvier a Brest Rennes Quimper Grenoble ou Paris Cette carte na rien a voir avec I heritage gallo romain e est avant tout celle de la France riche intégrée et hélas blanche Evidemment cette situation reflète la fracture sociale de notre pays notion qu Emmanuel Todd avait soufflée en 1995 a Jacques Chirac Maîs si ces manifestants révélaient un clivage ils ne le justifiaient pas au cun d entre eux ne cherchait a le defendre Et voila pourquoi Todd pense faux chez lui les individus ne savent pas ce quils font Les E Tous droits réservés à l'éditeur manifestants croient descendre dans la rue pour defendre la liberte d expression' Pas du tout ils soutiennent un mouvement réactionnaire Quelquun qui découvrirait Charlie dans le livre de Todd penserait avoir affaire a Valeurs actuelles avec une caricature de Mahomet en couverture Le o janvier Todd a vu les rues pleines de zom bles voulant s en prendre a un groupe faible et discrimine les musulmans Pauvres Charlie ils se réclamaient de Voltaire maîs e est derrière Zemmour qu ils ont marche Les manifestants ' Quatre millions de crétins ou plus précisément quatre millions d idiots utiles de I extreme droite une extreme droite qui a toujours bénéficie ici même d un soutien sans faille Les marcheurs du IT janvier ne savaient pas ce quils faisaient les trois terroristes non plus Maîs Todd lui le sait I acte des freres Kouachi ne possédait aucun «sens idéologique» il n appelait quune «mterpre talion psychiatrique» Des dingues voila ce quils étaient pourquoi nont ils pas pris leur medica ment a temps J Contre le djihad une pilule et au ht 1 Alors résumons des manifestants zombies une poignee de fous et tant pis pour la pelletée de travaux qui témoignent au contraire de la ratio nalite pleine et entière des terroristes La France 5 Des mabouls contre des MAZ avec une seule conscience claire Emmanuel Todd C est vrai la science aboutit souvent a des paradoxes maîs tout ce qui est paradoxal nest pas nécessairement scientifique La methode de Todd ne révèle pas hnconscient de la societe française maîs le sien Y a t il vraiment quelqu un pour prendre au sérieux une phrase comme «la France qui est aux commandes cest celle qui a ete antidreyfusarde catholique mchyste»^ Hollande Petam Charb cherchez I intrus Du reste a quoi bon lutter contre I extreme droite si celle ci est déjà au pouvoir a quoi bon lut ter contre Minute puisque Emmanuel Ion a Charlie^ Todd ne Todd comprend pas les acteurs quil étudie parce quil les prend pour des zombies Et cest parce quil leur coupe la tete que son exph cation ne marche pas Qui est Charlie? Guillaume Erner • Emmanuel Todd Qui est Charlie "> (editions du Seuil) SEUIL 4448983400503 Date : 06 MAI 15 Page de l'article : p.8-9 Journaliste : Guillaume Erner / Philippe Lançon Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Page 2/6 LES NOBLES AVEUGLES uelques menus problèmes physiques dus a l'attentat du 7 janvier m'empê cheront, hélas, comme d'autres, d'être present a Manhattan pour la remise a Charlie du Prix du courage pour la liberte d'expression par l'Amencan PEN Club Je ne m'attribue pas plus j'imagine, que mes collègues et amis un courage particulier Quant a la liberte d'expression, j'ai grandi comme eux dans les journaux qui m'ont accueilli sans trop y penser, tant elle constituait l'air qu'on y respirait, pour le meilleur et pour le pire Aurions-nous dû être plus conscients du privilege que nous avions ? Nous sentir plus responsables, « juste milieu » ' fe ne le croîs pas Un exces de conscience reduit la liberte, la fantaisie, l'imagination II augmente, non pas la rigueur, maîs l'esprit de sérieux Un tel esprit tuerait Charlie II faut ici de nouveau le rappeler nous étions bien seuls, en 2006, lorsque nous avons publie les caricatures de Mahomet Les uns nous reprochaient de désespérer le Billancourt musulman, les autres, d'afficher des dessins de mauvais goût D'un côte, les idéologues et les couards , de l'autre, les arbitres des élégances Tout ce beau monde faisait mme de croire que Charlie devait se sentir responsable de ses choix au même titre et selon les mêmes criteres qu'un gouvernement, une ONG, un conservateur de musee, une tenancière de salon de the ou le journal Le Monde Cette fable concernait un hebdomadaire satirique, le nôtre, qui avait une histoire politique précise, que nul n'était oblige d'acheter et qui n apparaissait pas même a la devanture des kiosques Sur ce point, la célébration de Charlie par une institution comme le PEN Club me semble relever de l'un de ces hasards cocasses qui rappellent la rencontre entre le parapluie et la machine à coudre sur une table de dissection symbolique Du moins, me semblait, jusqu'au moment où l'on a su qu'un troupeau de plus de deux cents écrivains notables et anglo-saxons, pour la plupart issus d'un univers multiculturel, refusaient de participer a la cérémonie Ces écrivains sont naturellement libres de ne pas adhérer a « Je suis Charlie », de se mefier d'un mouvement collectif de bonne conscience et de ne pas venir au PEN Club Charlie s'est assez fichu des institutions pour ne pas en devenir une a son tour — l'un de ces lieux ou il est indispensable de se montrer bien-pensant pour faire carriere et se croire aime Ce n'est donc pas leur abstention qui me choque, c'est la nature de leurs arguments Que des romanciers d'une telle qualite — Peter Carey, Michael Ondaatje, Francme Prose, Teju Cole, Rachel Kushner, Taiye Selasi — en viennent a dire autant de Tous droits réservés à l'éditeur stupidités mal informées en aussi peu de mots, avec toute la vanité des belles âmes, voila qui attriste le lecteur que )e suis Même si ce lecteur sait, par experience, qu'un bon écrivain n'est jamais rien de plus, ni de moins, qu'un bon écrivain un type qui sait bâtir quelque chose de beau, de surprenant et d'intelligent, maîs qui, en dehors de son art, peut hélas penser et écrire à peu pres n'importe quoi. LIRE RUSHDIE Agglomérée en une phrase, la ratatouille de leurs arguments est la suivante ces atten tats sont regrettables maîs ne comptez pas sur nous pour defendre un journal raciste, admirer un journal blessant et de mauvais goût, devenu emblème d'un pays donneur de leçons, alors que tant d'hommes meurent, victimes de l'Oc cident, sur cette planete L'Américain Teju Cole, dans un article en ligne du New Yorker, publie le 9 janvier et intitule « Unmournable Bodies » (Des corps qu'on ne peut plaindre), avait ouvert le feu Le texte révélait la stupidité du moralisme ethnique americain lorsqu'il s'appuie sur une ignorance complète de ce qu'il dénonce l'histoire d un journal, Charlie Hebdo, que son auteur n'avait probablement jamais lu, maîs aussi le contexte politique et social d'un pays, la France La mauvaise foi ajoutait au reste Cole interprétait ouvertement de travers le célèbre dessin de Cabu (« C est dur d'être aime par des com ») C'est dur d'être condamne par des cons qui ne vous lisent pas L'Australien Peter Carey, bon romancier, dénonce, lui, « l'arrogance » française veut-il parler de Charlie, du mouvement du ii janvier, du gouvernement ou de la France en general, depuis Louis XIV peut-être > Tout cela est si confus, a un tel fumet de dîner en ville trop arrose, qu'il est préférable d'en rire Le mieux est de conclure avec Salman Rushdie, qui aime l'œuvre de Carey, maîs qui sait de quoi il parle « Si le PEN, en tant qu'organisation défendant la liberte d'expression, ne peut pas defendre et rendre hommage a des personnes qui ont ete tuees pour avoir dessine des caricatures, alors je ne sais vrai ment pas a quoi il sert Ce que je peux dire a Peter, Michael et aux autres, c'est "J'espère que jamais personne ne vous prendra pour cibles " » Si je les connaissais, je leur dirais volontiers la même chose Je me contenterai de lire leurs romans sur mon ht d'hôpital Et de relire, avant tout, Joseph Anton Une autobiographie (Folio), livre ou Rushdie raconte, avec beaucoup d humour et de precision, ce qu est sa vie d'homme et d'écrivain condamne par une fatwa Philippe Lançon SEUIL 4448983400503