Table des matières - La France en Chine
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La durabilité de la croissance chinoise Rapport de stage réalisé au Service économique régional - Shanghai sous la direction de François Blanc Barthélémy PEUCHOT [email protected] Service économique régional - Shanghai Mars 2012 La durabilité de la croissance chinoise Barthélémy PEUCHOT & François BLANC (Services économiques de la France en Chine - Shanghai) Table des matières Résumé ........................................................................................................................................ 4 Introduction ................................................................................................................................. 5 1. La forte croissance de la Chine comporte des points faibles pour sa durabilité ........................... 6 1.1. Le modèle économique mis en place par le gouvernement semble s’essouffler ............... 6 1.1.1. L’industrie chinoise perd de la compétitivité-prix ............................................................. 6 1.1.2. L’Etat, planificateur, mais aussi acteur direct, de l’économie socialiste de marché ......... 9 1.1.3. La consommation des ménages est réduite à portion congrue ...................................... 11 1.2. Le système monétaire repose sur un encadrement du crédit inefficace et coûteux ........ 14 1.2.1. L’organisation du système bancaire engendre une allocation inefficace du crédit ........ 14 1.2.2. L’encadrement administratif du crédit engendre un « mésinvestissement » ................ 15 1.2.3. Le régime de change fixe force à stériliser les surplus de liquidités ............................... 18 1.3. La pollution a atteint en Chine des niveaux très élevés ................................................ 20 1.3.1. La croissance chinoise entraîne la hausse de la consommation de matières premières 20 1.3.2. Le territoire chinois fait face à une dégradation de son environnement........................ 24 1.3.3. Le modèle de croissance et l’urbanisation engendrent pollution et pénuries................ 25 1.4. L’évolution démographique conduit à un vieillissement accéléré de la population ........ 28 1.4.1. La transition démographique, d’un vecteur de croissance … ......................................... 28 1.4.2. … à une contrainte à gérer et qui handicape la croissance future .................................. 29 1.4.3. Vers des pénuries de main d’œuvre en zone urbaine ..................................................... 31 1.5. La répartition inégalitaire des fruits de la croissance ................................................... 32 1.5.1. La pauvreté touche le territoire chinois de façon différenciée ....................................... 32 1.5.2. Le modèle de développement provoque l’accroissement des inégalités ....................... 35 1.5.3. Le système de santé chinois procure une couverture insuffisante ................................. 36 1 2. En l’absence de réformes, la croissance chinoise serait ralentie par ces contraintes .................. 37 2.1. L’économie chinoise se retrouve confrontée à plusieurs risques ................................... 37 2.1.1. Le « piège du revenu moyen » ........................................................................................ 37 2.1.2. La compétitivité chinoise est menacée par de nouveaux concurrents ........................... 38 2.1.3. Les inégalités engendrent une perte de croissance potentielle...................................... 41 2.2. L’économie chinoise est exposée à un risque de surchauffe .......................................... 42 2.2.1. La bulle immobilière constitue un risque de moyen terme ............................................ 42 2.2.2. Une spirale inflationniste pourrait endommager l’économie ......................................... 44 2.2.3. Le surinvestissement risque de provoquer une surchauffe de l’économie .................... 46 2.3. La dégradation de l’environnement aura de lourdes conséquences .............................. 50 2.3.1. Une dépendance croissante aux sources d’énergie d’origine fossile .............................. 50 2.3.2. Les risques pour l’environnement national, régional et mondial ................................... 52 2.4. Les conséquences d’une croissance démographique non contrôlée............................... 52 2.4.1. La transition démographique entraîne le vieillissement de la population ...................... 52 2.4.2. Le vieillissement de la population constituera un handicap pour la croissance ............. 54 2.5. Les inégalités économiques pourraient mettre en cause la stabilité sociale .................. 56 2.5.1. L’insatisfaction face aux inégalités constitue une source d’instabilité ........................... 56 2.5.2. Le risque de dégradation de la santé .............................................................................. 58 2.5.3. Une possible régression de la société ............................................................................. 59 3. Des réformes peuvent contrecarrer ces tendances .................................................................. 60 3.1. Des alternatives existent au modèle d’atelier du monde .............................................. 60 3.1.1. Le développement du marché intérieur et de la consommation .................................... 60 3.1.2. Le secteur tertiaire et la productivité, indispensables à une poursuite de la croissance 63 3.1.3. La montée en gamme et en qualité de la production industrielle doit se poursuivre .... 66 3.1.4. Les réformes pour conforter l’économie de marché doivent être reprises .................... 68 3.2. 3.2.1. Une meilleure régulation financière pour une efficacité accrue .................................... 69 Des reformes pour atténuer les distorsions et les inefficiences économiques............... 69 2 3.2.2. Une réforme du système financier pour l’ouverture du compte de capital ................... 71 3.2.3. La réforme financière de la Chine a débuté, mais devra s’approfondir .......................... 72 3.3. Une Chine écologique pour un développement durable ............................................... 74 3.3.1. La hausse de l’efficacité énergétique pour réduire la croissance de la consommation . 74 3.3.2. Vers une conversion de la Chine au développement durable ? ...................................... 76 3.3.3. Une politique agricole tenant compte des contraintes de production ........................... 79 3.3.4. La Chine bénéficie d’un contexte propice à une réorientation de sa croissance ............ 80 3.4. La gestion de la transition démographique ................................................................. 81 3.4.1. Le gouvernement peut modérer le choc du vieillissement ............................................. 81 3.4.2. Une réforme du hukou permettrait de fluidifier le marché du travail ............................ 83 3.5. Des réformes économiques pour conforter la stabilité sociale ...................................... 84 3.5.1. Réduire les inégalités par une meilleure répartition des revenus .................................. 84 3.5.2. Réduire la pauvreté par la réduction des risques ............................................................ 85 Conclusion ................................................................................................................................. 86 * * * CLAUSE DE NON-RESPONSABILITE Ce rapport de stage est de la responsabilité de ses auteurs et ne reflète pas nécessairement la position des autorités françaises. 3 Résumé La Chine fait face à plusieurs contraintes et limitations à sa croissance, générées par son modèle de développement : - La majorité de sa production nationale, basée sur sa compétitivité-prix, est remise en cause, notamment à l’export, du fait de la hausse des coûts de production ; - alors que ses entreprises cherchent à se repositionner, avec l’appui de l’Etat, sur des industries à valeur ajoutée accrue et sur une économie de services, ce nouveau modèle productif peine à émerger ; - le système bancaire apparaît inefficace à assurer le recyclage de l’épargne et le financement des ménages et des PME, discriminés au profit des entreprises publiques ou des collectivités locales ; il présente des risques de défaut, de bulle et de surinvestissement dans des équipements sous-utilisés ou des capacités excédentaires ; - le pays connaît une dégradation environnementale d’une ampleur sans précédent, qui pèse sur l’environnement local, national, régional et mondial et procède directement du modèle de croissance retenu ; - le vieillissement démographique de la population, conséquence de la politique de l’enfant unique, mais aussi d’une évolution de la société vers un modèle de famille nucléaire, réduira la disponibilité en une main d’œuvre nécessaire à alimenter la croissance, notamment urbaine ; - sans nier un large enrichissement de la population en 30 ans, la croissance des inégalités suscite des frustrations et des tensions, qui pourraient conduire la Chine à tomber dans le « piège du revenu moyen », voire remettre en cause de la stabilité sociale. Ces défis pourraient conduire, s’il n’y est pas répondu, à un ralentissement plus ou moins marqué de l’économie, à l’échelle d’une ou de plusieurs décennies ; il pourrait davantage prendre l’aspect d’une sclérose que d’une crise brutale, à la différence du Japon des années 1990. Des réformes sont néanmoins possibles – un certain nombre sont identifiées, voire expérimentées – pour contrecarrer ces tendances. La Chine dispose d’atouts pour relever ces défis Certaines évolutions sont entreprises, d’autres sont poussées par des évolutions spontanées. La question se pose moins de l’identification des réformes que de la capacité des autorités à les appliquer de manière volontariste, à l’encontre de cercles conservateurs qui ont intérêt au statu quo. Parmi ces défis à relever, le vieillissement démographique constitue une spécificité : il apparaît comme le plus lourd, le plus pénalisant, au moins sur le long terme, mais aussi comme le plus difficile à allévier, tant il procède de causes profondes, disposant d’une forte inertie. 4 Introduction La durabilité de la croissance chinoise fait l’objet de conclusions contrastées, à l’instar des analyses sur ce pays : pour les uns, la Chine est appelée à devenir la 1ère économie mondiale d’ici 10 à 20 ans, dépassant les États-Unis et l’Union européenne1. Pour les autres, la Chine devrait au contraire se heurter à nombre de difficultés dans les dix ans à venir – voire avant – qui la plongeront dans une croissance molle et lui feront perdre son dynamisme2. Ces deux lignes semblent tout autant discutables : d’une part, le courant optimiste se heurte à deux critiques : i) la même prédiction avait été faite à l’égard du Japon dans les années 1990, avant que ce pays ne plonge dans une décennie de récession et une autre de croissance molle, creusant l’écart avec les États-Unis (pays dont il convient de ne jamais sous-estimer l’aptitude à rebondir) ; ii) cette prévision est basée sur la projection des indicateurs, et donc des caractéristiques, de l’économie chinoise actuelle. Or, penser que la Chine de 2030 sera la même que celle de 2011 est irréaliste, tout autant que de considérer que la Chine de 2010 serait identique à celle du début des réformes, en 1979. Au contraire, si la Chine arrive à dépasser les États-Unis, c’est parce qu’elle aura renouvelé son modèle économique et dépassé les contraintes auxquelles elle est confrontée. La vision pessimiste souffre aussi de biais, somme toute assez similaires : i) l’effondrement du modèle chinois a été souvent annoncé au cours de ses 30 ans de développement – et, de fait, a parfois semblé proche ; ii) la Chine a su, à chaque fois, mettre en œuvre les réformes qui ont permis à son économie (et à la classe politique qui la conduisait) de dépasser les menaces – inflationnistes (décennie 1980) ou financières (décennie 1990), par exemple – qui la taraudaient ; iii) enfin, ces critiques sont dues, au moins pour une part, à la difficulté pour une analyse libérale de comprendre un modèle économique aux antipodes du « consensus de Washington » et, en conséquence, à en admettre l’efficacité. Or, force est de conclure que, au-delà de ses limites, le modèle économique chinois a permis d’assurer à ce pays, en 30 ans, une croissance sans précédent (ni le Japon de l’ère Meiji, ni les Etats-Unis du 19ème siècle n’ont eu un développement aussi rapide, ni aussi constant) ; cette croissance a notamment permis de tirer plus de 600 millions de personnes de la pauvreté absolue. Analyser les contraintes au développement chinois nécessite donc d’en reconnaître tout d’abord les atouts, en se distanciant, au moins en partie, de préceptes qu’on a souvent tendance à vouloir lui enseigner. Cette étude s’attache à identifier les difficultés auxquelles le modèle économique chinois se heurte et d’en analyser les conséquences pour sa croissance, non pas à une échéance immédiate, mais davantage à l’échelle d’une, voire de deux décennies ; puis à envisager les réformes possibles – ou l’évolution de celles déjà entreprises – qui permettraient de surmonter ces risques pour l’économie (et, bien souvent, pour la société dans son ensemble). Ce faisant, la prudence et la modestie sont de mise : comme souligné, les prédictions sont difficiles et celles faites pour le Japon il y a 20 ans, fondées sur de solides arguments sans doute, se sont révélées fausses. L’analyse financière montre que l’erreur est fréquente pour des prévisions à 1 cf. notamment : Lyons G. et al. The super-cycle report. Standard Chartered. 147 pp. 15 novembre 2010. 2 Ce courant pessimiste est notamment porté par la Banque mondiale, comme l’illustrent les propos de son directeur Robet Zoellick lors de son voyage en Chine, en septembre 2011 ; mais aussi par des économistes tels que N. Roubini, cf. par ex. : Le pari que la Chine va perdre. Project Syndicate. 14 avril 2011. 5 un mois ou quelques jours seulement ; le « printemps arabe » a illustré à quel point des évènements à faible probabilité d’incidence pouvaient bouleverser les prévisions les mieux établies. « Un économiste est un homme qui vous expliquera demain pourquoi ce qu’il avait prévu hier pour aujourd’hui ne s’est pas réalisé » disait Pierre Desproges. Ce rappel des limites de l’exercice est nécessaire pour souligner que la présente étude tente d’établir des pistes, d’avancer des hypothèses, de tracer des scénarios, sans prétendre ni à l’exclusivité, ni à une pertinence exempte de critiques. 1. La forte croissance de la Chine comporte des points faibles pour sa durabilité La Chine a construit sa croissance sur un effort d’investissement élevé (48,2 % du PIB en 2010), suivant le modèle de ses prédécesseurs asiatiques : Japon, Corée et Taïwan. A partir de son adhésion à l’OMC (2001), l’excédent commercial va constituer un 2ème moteur de croissance, même si son importance est souvent surestimée3, dans un contexte polémique sur l’excédent commercial chinois. Ce modèle a permis de faire de la Chine la 2ème économie mondiale en 30 ans de réformes. Les entreprises chinoises se sont en outre créées voire, pour certaines, ont entamé une expansion internationale dans des secteurs où elles étaient quasiment absentes, il y a dix ans (télécommunications (Huawei, ZTE), ferroviaire (China Northern Rolling Stock, China Southern Rolling Stock), informatique (Lenovo), automobile (SAIC et autres…)). La durabilité de ce modèle pose néanmoins question et, en premier lieu, aux dirigeants chinois eux-mêmes : ainsi, en 2007, le Premier Ministre Wen Jiabao déclarait que « le plus gros problème de l’économie chinoise, c’est que sa croissance est instable, déséquilibrée, peu coordonnée et insoutenable. » Plusieurs limites fragilisent en effet ce modèle et forcent à son évolution. 1.1. Le modèle économique mis en place par le gouvernement semble s’essouffler 1.1.1. L’industrie chinoise perd de la compétitivité-prix Dans un premier temps, l’industrie chinoise s’est positionnée sur : i) l’industrie lourde, en priorité, caractéristique des régimes communistes et nécessaire à alimenter le développement de ses infrastructures ; et ii) des secteurs à faible valeur ajoutée et à faible intensité technologique, comme le textile et les jouets. Ces secteurs sont essentiellement tournés vers l’exportation, à tel point que ces produits bon marché sont devenus emblématiques du « made in China » à l’étranger. Ils ont accompagné l’émergence de la Chine : ses exportations ont gagné 1 point de parts de marché mondial par an entre 2002 (3 %) et 2010 (10 %), permettant à la Chine de devenir, en 2009, le 1er exportateur mondial devant l’Allemagne. Au total, c’est l’industrie qui a porté l’émergence de la Chine : le secteur secondaire y représente 46 % du PIB4 et 28 % des emplois5 grâce à une politique industrielle volontariste, fondée notamment sur la compétitivité-prix : coût du travail bas (notamment du fait de charges sociales faibles), subventions de l’énergie et du foncier, faible taux d’intérêt pour financer les 3 Au plus fort, en 2007, l’excédent commercial ne contribuera que pour 2,5 pdb à la croissance, sur un total de 14,2 % ; il représentera alors 7,6 % du PIB ; cette proportion s’est réduite ensuite (une tendance qui devrait se poursuivre) pour atteindre 3,1 % en 2010. 4 vs 20% au Japon, 19% en Allemagne, 16% en Italie, 13% aux Etats-Unis et 11% au Canada, au Royaume-Uni et en France en 2009 (source : Nations-Unies). 5 Artus P., Mistral J. & Pagnol V. L’émergence de la Chine : impact économique et implication de politique économique. Conseil d’Analyse Economique. 2011. 204 p. 6 investissements, sous-évaluation de la monnaie, crédits à l’export, « patriotisme économique » pour les appels d’offre intérieurs, absence de sanction des dommages environnementaux, etc. Production industrielle chinoise Source : CEIC – calculs Service économique de Hong Kong et Macao. (% PIB) Certes, dès les années 1990, la Chine ne s’est pas limitée à ces deux gammes de produits, mais s’est aussi imposé sur les marchés de l’informatique et des produits électroniques : la Chine en a pris la 1ère place en 2005 ; elle réalise 32 % des exportations mondiales de ce secteur en 2008. Cette percée dans les produits à plus fort contenu technologique doit toutefois être relativisée : elle se confine largement à des activités d’assemblage, dans le cadre d’un commerce de perfectionnement (« processing trade ») intra-firmes, réalisé par les entreprises japonaises, coréennes et taïwanaise. La Chine accueille, par exemple, un tiers de l’ensemble des filiales industrielles japonaises en 2009, contre moins d’1/5ème en 2001. La part des importations dans les exportations s’élève à 46 % ; elle est encore plus élevée pour les produits sophistiqués (entre 60 % et 90%). 78 % de la production dans les hautes technologies en 2008 consistait en l’assemblage de pièces importées, avec une faible création de valeur ajoutée. 82 % des entreprises dans les secteurs de haute technologie sont des entreprises étrangères, dont la technologie est peu partagée. Entre 1997 et 2007, la part des exportations de hautes technologies a doublé (de 25 % à 50 %) pour les entreprises étrangères, mais elle a stagné pour les entreprises chinoises. Au total, les entreprises chinoises ont encore peu bénéficié de cette montée en gamme, portée par les sociétés étrangères installées en Chine. 7 Part de l'assemblage dans les exportations manufacturières chinoises Source : Douanes chinoises ; in : Conseil d’Analyse économique (opus cité). (en %). Les exportations chinoises de produits de haute technologie Source : Douanes chinoises ; in : Conseil d’Analyse économique (opus cité). (en %). La Chine s’est donc insérée au cœur d’un système asiatique de segmentation de la production, dans lequel ses prédécesseurs envoient des composantes à haute valeur ajoutée subir un assemblage (peu rémunérateurs) en Chine, afin d’y bénéficier de coûts de production plus faibles que sur leur propre territoire. Au total, la contribution de la Chine dans la valeur ajoutée des produits de l’informatique n’est que de 4 % (selon l’OCDE) et plus faible encore pour des produits tels que ceux d’Apple6. Elle bénéficie certes de son avantage comparatif en termes de coûts salariaux, mais la 6 L’exemple, fréquemment cité, des produits d’Apple est illustratif : sur le prix de vente d’un iPad (499 USD), la valeur ajoutée en Chine ne représente que … 10 USD, soit environ 2 %. Cf. Kraemer K.L., Linden G. & Dedrick J. Who captures value in the Apple iPad and iPhone? PCIC - UC Irvine. Juillet 2011. 8 pp. In : Rothman A. More on exports. Sinology. CLSA. 9 septembre 2011. 5 pp. 8 montée en gamme de sa propre industrie est plus lente que ce que les chiffres laissent penser. Le rattrapage technologique reste ainsi une perspective distante dans ces secteurs de pointe. Les politiques industrielles étatiques se sont montrées efficaces pour les industries lourdes, les productions à faible valeur ajoutée et pour attirer les entreprises étrangères. Elles peinent en revanche à développer une industrie de produits à plus forte valeur ajoutée et génèrent en outre des difficultés : elles favorisent en effet l’installation d’usines polluantes, nécessitant une main d’œuvre peu qualifiée abondante et à bas salaires. Ces conditions sont attractives pour des marchés où les avantages comparatifs relèvent d’une compétitivité-coût. Elles obèrent par contre une reconversion vers des produits à forte valeur ajoutée, rendue nécessaire par la hausse des salaires et la réduction des disponibilités en main d’œuvre peu qualifiée. C’est en effet la situation à laquelle l’industrie chinoise est désormais confrontée et qui ne fera que s’affirmer dans les deux décennies à venir78. A titre d’illustration, le PIB par habitant de la province la plus pauvre, le Guizhou (1 800 USD en 2010, identique à celui des Philippines), devrait rejoindre en 2020 celui de la Bulgarie (6 300 USD)9. Cette réduction du moteur du commerce extérieur est entamé depuis 2007 ; il s’est confirmé en 2011, lorsque l’excédent commercial s’est limité à 155 Md USD (exportations de 1 899 Md USD ; importations de 1 743 Md USD), en baisse par rapport à 2010 (183 Md USD) ; le ralentissement économique des économies développées n’explique qu’en partie cette évolution. 1.1.2. L’Etat, planificateur, mais aussi acteur direct, de l’économie socialiste de marché Le développement industriel a été conduit à travers de grandes entreprises publiques (StateOwned Entreprises - SOE) ; celles-ci ont un poids considérable en Chine : elles représentent 25 % des entreprises en 2010. Elles contrôlent 30 % des actifs des secteurs secondaire et tertiaire et jusqu’à 50 % des actifs des entreprises industrielles10. La taille moyenne d’une SOE est 13 fois supérieure à celle des entreprises privées en termes de montant des actifs11. Sur les 500 premières entreprises chinoises en 2010 (chiffre d’affaires de 36 310 Md RMB (+ 31,6 % par rapport à 2009) et bénéfices de 2 080 Md RMB (+ 38,7 % par rapport à 2009)), seules 184 étaient privées ; la somme de leurs bénéfices est inférieure à la moitié de ceux des 10 premières SOE ! A elles seules, les 10 premières réalisent 40 % du total des bénéfices des 500 (867 Md RMB) 12. 7 Cieniewzski S., Berder A. & Blanc F. Les tensions sur le marché du travail : vers un rééquilibrage de l’économie ? Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 26. Juin 2010. p 2-7. 8 Le rapport 2012 sur la compétitivité industrielle de la Chine, rédigé par l’Académie Chinoise des Sciences Sociales (CASS) confirme ce risque : si les industries chinoises resteront les plus compétitives sur le marché mondial en 2012, leur indice de compétitivité baisse par rapport à 2011. Le rapport s’inquiète aussi des problèmes structurels de l’industrie, notant que la compétitivité industrielle de la Chine repose toujours principalement sur les secteurs comme le textile et l’habillement, tandis que des investissements insuffisants en matière de R&D nuisent à la compétitivité des industries de haute technologie. 9 Sun M. & Bradbury C. An emerging superpower or a super bubble. China in 2011-2020. Daiwa Capital Markets. Economy / China. 2 mai 2011. 60 pp. 10 A titre de comparaison, la Chine comptait 36 millions d’entreprises privées en juin 2011. Celles-ci détenaient un capital social cumulé de 1 500 Md RMB (235 Md USD) et employaient 73,3 millions de salariés. Les encours de prêts aux PME étaient de 9 850 Md CNY (soit 17 % de l’encours total) en juillet 2011 (+ 26,6 % g.a.). 11 China Business News. 5 septembre 2011. 12 Et notamment : China National Petroleum Corp. (CNPC), China Mobile, China Telecommunications. Corp., China United Network Communications, China National & Chemical Corp. (Chemchina). The Unirule Institute of Economics. The Nature, Performance, and Reform of the State-owned Enterprises. 2011. 195 pp. 9 Outre qu’elles constituent un héritage du système communiste13, les SOE se sont vu fixer plusieurs objectifs dans le cadre de la politique économique et industrielle. Il s’agit notamment d’assurer le contrôle et de conduire le développement de secteurs stratégiques ou essentiels, en constituant des champions nationaux, dans une logique proche de celle de la politique industrielle française des années 1960. Pourtant, leur efficacité à constituer le « fer de lance » du développement de l’économie n’est pas univoque14. Certes, le profit net des SOE a plus que quadruplé entre 2001 et 2009, pour atteindre 4 052 Md RMB (434 Md euros). Les résultats des SOE ne sont toutefois pas à la hauteur de leur poids économique (et ce, malgré une position de monopole qui les favorise) : durant la même période, le taux moyen de retour sur capitaux propres (ROE) a été de 8,16 % pour les SOE industrielles vs 12,9% pour les entreprises industrielles privées. Encore cette moindre performance est-elle faussée par les subventions qui leur sont allouées : ainsi, le coût de location du terrain par l’Etat serait de 3 % des prix du marché ; les SOE devraient, à ce titre, avoir versé 2 579 Md RMB, équivalant à 63 % de leur profit net. Les prix de l’énergie (pétrole, gaz, charbon et électricité) sont également subventionnés. Au total, Le ROE réel des SOE est estimé à - 1,47% ! Pourtant, le revenu moyen des employés y est de 17 % supérieur au salaire moyen chinois, sans compter nombre d’aides dont ils bénéficient15. De plus, de 1994 à 2007, les SOE ne reversaient aucun dividende à l’Etat. Entre 2007 et 2009, le taux d’imposition réel s’est monté à 10 % en moyenne pour les SOE vs 24 % pour les entreprises privées ; en 2009, elles ont reversé 6 % de leurs profits. Cette situation privilégiée est confortée par les appuis dont les SOE bénéficient : sur 183 officiels de 19 ministères et commissions ayant un statut supérieur à celui de vice-ministre, 56 ont travaillé dans une SOE ; sur 123 SOE, chacune emploie en moyenne 2,5 dirigeants ayant travaillé au gouvernement16. Des considérations stratégiques peuvent plaider en faveur du modèle de SOE ; les performances de celles-ci n’en viennent pas moins pénaliser le dynamisme de l’économie chinoise, en comparaison de structures privées et d’un modèle concurrentiel. Celui-ci fait face, à l’inverse, à des handicaps, et notamment une forte instabilité juridique : mise en cause du droit de la propriété17, validité des contrats, protection de la propriété intellectuelle… Si ce travers touche souvent autant les sociétés privées chinoises que les sociétés étrangères, celles-ci y sont particulièrement exposées : à titre d’exemple, le développement du secteur pharmaceutique est entravé par ce type de restrictions : le prix des médicaments y est fixé par les autorités ; seule une liste de 13 Et qu’elles procurent nombre d’avantages aux titulaires de postes dans ces SOE, dont la direction est fortement liée aux milieux politiques. Cette intrication apparaît dans le discours du vice-Premier Ministre Zhang Dejiang, le 30 juin 2011 : il invite les représentations du Parti communiste dans les SOE à l’exemplarité pour le développement de ces SOE, de l’économie et de la société. Il appelle les SOE à constituer la base du rôle du Parti, ce qui justifie de développer leur influence et leur compétitivité. 14 Les performances des SOE sur lesquelles sont fondées ces analyses doivent être prises avec précaution du fait d’un fort manque de transparence commun à l’ensemble des sociétés chinoises, mais particulièrement vrai pour les SOE ; celles-ci n’ont pas intérêt à afficher de trop forts résultats, alors que l’Etat souhaite accroître leur fiscalité. En outre, ; ces résultats sont souvent ceux de leurs filiales cotées, qui sont loin de donner une vue exhaustive de leur situation. 15 The Unirule Institute of Economics. The Nature, Performance, and Reform of the State-owned Enterprises. 2011. 195 pp. 16 The Unirule Institute of Economics. The Nature, Performance, and Reform of the State-owned Enterprises. 2011. 195 pp. 17 Des entreprises privées, étrangères comme chinoises, ont connu des expropriations ou des rachats forcés. 10 2 000 médicaments est remboursée aux consommateurs. Les entreprises étrangères doivent obtenir des licences de production, après en moyenne 2 ans d’attente,18 et produire les médicaments sur le territoire chinois. Ces 20 dernières années, les grandes entreprises pharmaceutiques ont tenté de se développer sur le marché chinois, réalisant des investissements conséquents ; elles ne comptent au total que pour 10 % à 20% du marché des médicaments. Il apparaît en définitive que le gouvernement a mis en place des entraves juridiques et structurelles au développement de l’initiative privée, notamment étrangère, dans le but de protéger les secteurs porteurs de l’économie d’une trop forte concurrence. Cette ingérence, si elle n’est pas toujours condamnable dans un contexte de retapage, risque néanmoins d’handicaper la croissance et de réduire à terme la compétitivité des entreprises. 1.1.3. La consommation des ménages est réduite à portion congrue La part de la consommation des ménages chinois est de 33,5% du PIB en 2010, un pourcentage inférieur à celui des consommateurs américains en 1945, touchés par les restrictions de la 2nde guerre mondiale. Le taux d’épargne des ménages est l’un des plus élevés au monde, oscillant entre 30 % et 40% de 2000 à 2010 ; les Etats-Unis ont culminé à 6,9 % en 2009 (un record sur 15 ans !) ; la moyenne européenne est de 9 %. Evolution de la consommation des ménages en Chine Source : CEIC – calculs : UBS (opus cité). (% du PIB). Plusieurs facteurs contribuent à cette situation : au-delà de la tradition confucéenne, couramment invoquée, des raisons plus contemporaines jouent un rôle : en ce qui concerne les ménages, la faiblesse de la prise en charge par l’Etat des dépenses sociales – en particulier, de santé et d’éducation – forcent ceux-ci à couvrir ces dépenses par eux-mêmes. En outre, la hausse du coût d’achat d’un logement19 a forcé les ménages à y consacrer une part accrue de leurs revenus : ainsi, si le logement était considéré comme un bien durable, la part de la consommation des ménages serait 18 Kaiser F. Barring the pharmacy doors. InterChina Insight. InterChina Consulting. Avril 2009. 9 pp. 19 une priorité en Chine ; près de 80 % des ménages urbains disposent de leur logement. 11 restée à peu près constante depuis 1995. Ainsi, la hausse de l’épargne des ménages a été largement causée par la nécessité pour ceux-ci d’acquérir un logement, à un coût accru ; ce poste a été responsable de la baisse de près de 10 % de PIB de la consommation des ménages en 15 ans20. Le développement de la consommation est pénalisé par des infrastructures de distribution insuffisantes en zone rurale, un accès au crédit limité et, enfin, un prix des produits, en comparaison des revenus, plus élevé pour le consommateur chinois que pour leurs homologues asiatiques. Part des acteurs économiques dans l’épargne en Chine Source : CEIC – calculs : Green S. 14 décembre 2009. (opus cité). Pourtant, les ménages ne sont pas les principaux responsables de la hausse de l’épargne en Chine : ce sont les entreprises et l’Etat qui ont vu leur part s’accroître le plus fortement dans le total de l’épargne. Cette évolution explique l’essentiel de la hausse de l’épargne en Chine. Elle est allée de pair avec la contraction de la part du revenu des ménages de 72 % du PIB en 1990, à 55 % en 2010. Ainsi, les entreprises et, plus encore, l’Etat, se sont appropriées la majorité des bénéfices de la croissance au cours de la décennie 200021 pénalisant, au niveau collectif, la consommation intérieure, et confortant, à leur niveau, leur épargne 22 et leur capacité d’investissement 23 . Au total, les entreprises chinoises, et en particulier les SOE, réalisent plus de 60 % de l’épargne nationale, une part en croissance depuis 200024. 20 Anderson J. The most important sector in the universe. UBS Investment research. Macro keys. 16 mars 2011. 8 pp. 21 Mongrué P. Un nouvel éclairage sur l’épargne chinoise. Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 21. Janvier 2010. p 1-5. 22 Green S. China – The imbalane that does not dare speak its name, part 2. Standard Chartered. On the ground. 14 décembre 2009. 9 pp. 23 Tao Wang & Hu H. How will China grow – 1. The re-leveraging of China. UBS Investment research. Asian Economic perspectives. 9 décembre 2008. 13 pp. 24 Tao Wang & Hu H. How will China grow – 4. Can consumption lead now? UBS Investment research. Asian Economic perspectives. 4 mai 2009. 22 pp. 12 Part des acteurs économiques dans l’épargne en Chine Source : CEIC & Banque mondiale – calculs : Tao Wang & Hu H. Mai 2009. (opus cité). (% du PIB). Ainsi la Chine a vu sa capacité à produire s’accroître plus rapidement que sa capacité à consommer depuis 1979 : le rapport PIB / demande agrégée augmente de 10 % en moyenne par an, alors que l’investissement augmente de 20 % par an25. Ce phénomène est fréquent pour un pays émergent ; il est néanmoins exacerbé, dans le cas chinois, par sa durée et son ampleur. Ses effets sur la consommation sont certes compensés par la hausse des revenus des ménages. Ce modèle privilégiant les entreprises et l’investissement au détriment des ménages et de la consommation ne saurait toutefois pas se poursuivre indéfiniment. Composition du revenu disponible brut en Chine Source : BNS (tableau économique d’ensemble) – calculs : Mongrué P. (opus cité). (part du total du revenu disponible brut, en %). 25 European Chamber of Commerce in China (EUCCC). Overcapacity in China. Causes, Impacts and recommendations. 2009. 56 pp. 13 1.2. Le système monétaire repose sur un encadrement du crédit inefficace et coûteux La place prééminente du crédit dans le fonctionnement de l’économie a été illustrée en 2008-2009 par son rôle dans le plan de relance, mis en place pour face au risque de ralentissement : alors que les pays occidentaux ont réalisé leur soutien par le déficit budgétaire, celui-ci n’a que peu varié en Chine, en tout cas pas avec la même ampleur que dans les économies occidentales (- 0,8 % en 2008 ; - 2,8 % en 2009 ; - 1,6 % en 2010 ; - 1,1 % en 2011). En revanche, les crédits à l’économie se sont accrus de 33 % en 2009 « inondant » de liquidités les opérateurs privés et surtout publics. 1.2.1. L’organisation du système bancaire engendre une allocation inefficace du crédit Le secteur financier a connu une modernisation rapide, mais inachevée, à partir de sa libéralisation, intervenue en 1995 avec la Commercial banks law ; celle-ci a mis fin aux monopoles précédents. Le secteur s’est construit, ensuite, avec la création des divers régulateurs et la mise en place d’un arsenal juridique. Le secteur bancaire fonctionne à deux vitesses, avec l’existence, d’une part, de quatre grandes banques d’Etat, les « Big four »26 (émanations de la People’s Bank of China (PBoC), constituées dans les années 1980) et, d’autre part, de banques de moindre taille, privées ou relevant des collectivités locales. Fortement encadré par les autorités monétaires, le secteur bancaire affiche des résultats satisfaisants, améliore sa situation prudentielle et a été peu affecté par la crise financière, du fait d’une faible exposition aux produits toxiques (moins de 0,5 % de leurs actifs). Cette évolution est toutefois en trompe-l’œil : elle masque les déséquilibres d’un secteur qui n’assure pas un financement de l’économie efficace et au risque contrôlé. D’une part, la situation de ces deux types de banques diffère : Les grandes banques possèdent 50 % environ des actifs bancaires et dominent les classements mondiaux en termes de capitalisation boursière27. Le ratio prêts / dépôts s’établit à 64 % pour les grandes banques et à 84,7 % pour les petites et moyennes28, nettement plus endettées ; à ce titre, ces dernières ne respectent pas le taux de réserves obligatoires, fixé par la Banque centrale (People’s Bank of China) à 19,5%. La structure de leurs dépôts diffère également : les Big four détiennent plus de 50 % de dépôts issus des ménages, alors que cette part pour les autres banques n’est que de 23 %29. Or, une banque, qui doit assurer une offre d’actifs de court et de long termes, doit pour cela posséder un nombre suffisant d’actifs matures, peu circulants et peu corrélés à la conjoncture. Les banques petites et moyennes, disposant d’un fort pourcentage de dépôts d’entreprises, peu matures, peinent en conséquence à jouer leur rôle d’intermédiaire pour le financement de l’économie. D’autre part, ces biais du système bancaire se répercutent sur les entreprises : Les grandes entreprises, et spécialement les SOE, ont un accès privilégié aux prêts de la part des Big four. Ces entreprises disposent aussi d’une importante capacité d’autofinancement, du fait de leurs profits et du peu d’impôts et de dividendes qu’elles distribuent. En revanche, les PME bénéficient – difficilement – de prêts de la part des banques petites et moyennes, du fait du manque de liquidités 26 Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), China Construction Bank (CCB), Bank of China (BoC) et Agricultural Bank of China (ABC) ; la Bank of Communications (BoCom) y est parfois ajoutée. 27 ère e e Classement mondial des capitalisations boursières des banques : ICBC (1 ), CCB (2 ), Bank of China (6 ), ABC e (8 ), Bank of Communications (27 ) à fin 2010. e 28 Lafarguette R. & Blanc F. Contraintes de liquidités et stérilisation : le paradoxe chinois. Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 35. avril 2011. p 4-8. 29 Lafarguette R. & Blanc F. Contraintes de liquidités et stérilisation : le paradoxe chinois. Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 35. avril 2011. p 4-8. 14 de celles-ci et du risque accru d’un prêt aux PME30. Une part majoritaire du crédit est donc allouée aux SOE et aux collectivités locales, préférentiellement aux entreprises privées et aux ménages. Sources du financement en Chine (évolution 2003 – 2007) Source : CEIC – calculs : Tao Wang & Hu H. Décembre 2008. (opus cité) (sources du financement en 2003 (gauche) et 2007 (droite)). Au total, ce système à deux vitesses précarise la situation des banques petites et moyennes, considérées comme le « talon d’Achille » du système bancaire. Il pénalise en outre les PME, contraintes de s’autofinancer dans des conditions défavorables. A l’inverse, l’investissement des grandes entreprises et des collectivités locales bénéficient d’un excès de crédit ; il devient plus facile, et donc plus risqué et moins rentable, générant un risque de surinvestissement. La structure et le fonctionnement du système bancaire et les directives des autorités sont donc à l’origine de comportements biaisés qui échappent aux contrôles et risquent de provoquer un surendettement des acteurs, un non-remboursement des prêts31 et une surchauffe de l’économie. 1.2.2. L’encadrement administratif du crédit engendre un « mésinvestissement » Le secteur financier et son fonctionnement administré apparaissent de moins en moins adaptés aux besoins de l’économie, en termes de financement mais aussi d’épargne : il offre en effet peu d’opportunités de placement : le marché obligataire présente un encours d’obligation faible 30 En 2009, le crédit en Chine était détenu à 12 % par les ménages (10 % pour l’immobilier, 2 % pour la consommation), 6 % par les entreprises individuelles, 9 % par le gouvernement et 73 % par les autres personnes de droit public et les grandes entreprises (cf. Artus, P. & Xu Bei. La dynamique intenable du partage des revenus et de la demande en Chine. Flash Economie Natixis, 13 janvier 2010, 7 pp). A titre de comparaison, les encours de crédit en France, fin 2009, étaient de 989 Md € pour les ménages (48,0 %), 769 Md € pour les sociétés non financières (37,3 %), 108 Md € pour les sociétés financières (5,2 %) et 196 Md € pour les administrations publiques (9,5 %) (source : Banque de France). 31 Comme celui qui s’était produit dans les années 1990 et qui avait nécessité la création de structures de défaisance qui a accueilli les crédits non-performants des grandes banques, permettant de nettoyer leur bilan. 15 (50 % du PIB)32. Le marché des actions est plus important, mais il se caractérise par sa forte spéculation et sa volatilité, avec un price earning ratio entre 15 et 50 ! Le peu de diversification des produits financiers, leur volume trop limité et leur manque de sécurité ont pour conséquence que l’essentiel de l’épargne monétaire est détenue sous forme de dépôts bancaires (souvent rémunérés à un taux négatif, du fait de la hausse de l’inflation, comme en 2011) voire de liquidités. La demande de crédit des acteurs économiques reste donc importante, supérieure à ce que le régulateur autorise via les quotas de prêts ou compte tenu du taux de réserves obligatoires33. Les banques contournent ces restrictions des autorités monétaires par la création de mécanismes et de produits parallèles permettant d’augmenter les crédits hors-bilan et de contourner les quotas de crédits qui leur sont alloués. Ainsi, bien que la part des prêts bancaires sensu stricto ait diminué, l’offre de crédit s’est poursuivie à un rythme élevé en 2010 et encore en 2011, avec un volume à peu près équivalent à celui de 2009, du fait de la diversification des vecteurs : le ratio financement social (total) / PIB a fortement augmenté : il oscillait entre 15 et 25 % entre 2002 et 2008, pour croître à partir de 2009 et dépasser 40 %. Le financement hors-crédit s’est donc accru dans des proportions supérieures à la valeur ajoutée, à la suite du plan de relance chinois et de la demande de crédits qu’il avait générée, notamment pour poursuivre, après 2009, l’effort d’investissement des entreprises et des plateformes d’investissement des collectivités locales34. La dynamique du crédit a été marquée par une explosion d’émission de prêts en 2009, pour financer le plan de relance : fin 2008, 4 000 Md RMB de crédits sur 2 ans ont été annoncés. En 2009, le crédit bancaire a augmenté à un rythme record de + 33 % (9 600 Md RMB de nouveaux prêts). Il a semblé diminuer en 2010 (8 000 mds RMB) ; en fait, les besoins en financement pour 2010, mais aussi pour 2011 ont été en patrie assurés par d’autres instruments de financement : intermédiation réalisée par les trusts35 ; recours accru aux marchés obligataires internationaux et au système 32 Artus P., Mistral J. & Pagnol V. L’émergence de la Chine : impact économique et implication de politique économique. Conseil d’Analyse Economique. 2011. 204 pp. 33 qui permet de stériliser les afflux de capitaux générés par l’excédent de la balance des paiements. 34 Mongrué P. Comment sortir de la politique de relance ? Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 28. Septembre 2010. p 2-5. Pour une analyse fournie du système bancaire chinois et de ses fragilités après le plan de relance, cf. : Mongrué P. Complément A : La politique de relance chinoise : son financement, ses implications. p 165-198. 23 mai 2011. In : Artus P., Mistral J. & Pagnol V. L’émergence de la Chine : impact économique et implication de politique économique. Conseil d’Analyse Economique. 2011. 204 pp. 35 incluant les « credit-backed wealth management products » (CWMP) et les « credit-equivalent trust products » (CTP). Green S. & Shen Lan. China – a lack of trust. Standard Chartered. 14 juillet 2010. 6 pp. Tao Wang & Harrison Wu. All about money. UBS Investment research. Asian Economic perspectives. 15 avril 2011. 7 pp. Yao Wei. The inconvenient truth of China’s monetary tightening. The Economic News. Société générale. 20 avril 2011. p 1-3. Chen Xingdong. China : Money supply (March 2011). Market economics. Asian instant insight. BNP Paribas. 14 avril 2011. 3 pp. 16 bancaire hongkongais ; lettres de changes domiciliées et acceptées36, qui constituent un pis-aller à des problèmes de liquidité de court terme. Décomposition et évolution du financement social total Source : PBoC – calculs : UBS. 15 avril 2011 (opus cité) Il est aussi probable que la finance informelle (« shadow banking ») se soit fortement accrue, avec la création de nombreuses compagnies de collatéral ou de compagnies de garantie ; ce phénomène s’était constaté en 2007, lors du resserrement du crédit par les autorités, puis s’était réduit lors de la relance du crédit37 ; il a repris avec le resserrement monétaire depuis 2010. Désormais, les entreprises privées connaissent à nouveau des problèmes de liquidité38, alors que celle-ci reste abondante pour les SOE et, assez largement, pour les collectivités locales. Au total, l’Etat peine donc à contrôler une part importante du crédit à l’économie, alimentant l’inflation ; et, à l’inverse, certains acteurs de l’économie connaissent des difficultés de financement. Le fonctionnement du système bancaire n’évite pas l’apparition de crédits non-performants (i.e. en défaut) (« non-performing loans » - NPL). Les SOE et les collectivités locales bénéficient d’une attribution privilégiée de crédits, avec une mauvaise estimation des risques. Il en résulte un risque de 36 « Bank’s acceptance bills ». A la différence d’un prêt, une lettre de change n’est pas escomptée par un taux d’intérêt. C’est une mesure transitoire qui permet de libérer des encaisses monétaires pour les entreprises en prenant en gage un collatéral. D’un point de vue comptable, le billet de change n’est pas considéré comme un prêt et n’est pas inclus dans les quotas auxquels sont soumises les banques. 37 Par nature difficile à évaluer, il ne représenterait qu’une faible part du crédit : 1 794Md RMB, soit 1,3 % des prêts bancaires en 2010 selon CEIC database. Ces chiffres officiels sont toutefois sujets à grande caution. 38 D’après le Ministère de l’Industrie et des Technologies, 60 à 70 % des PME ont fait face en septembre 2011 à des difficultés de financement, du fait de l’augmentation du taux de réserves obligatoires, qui a rationné le crédit, et de la hausse des taux d’intérêts, qui en a renchéri le coût. Dans la région de Wenzhou (où l’économie privée est très active), les taux des prêts aux PME seraient compris entre 30 et 40 % pour le long terme et entre 80 et 150 % à court terme, pour des taux de profits varient entre 3 et 5%. Le montant des prêts informels non remboursés s’élèverait à 1 000 Md RMB. 89 % des ménages et 60 % des entreprises de Wenzhou seraient impliqués dans ce système : les ménages empruntent de l’argent auprès des banques en gageant leurs biens immobiliers et prêtent cette somme à un taux usuraire. 10 à 15 % de ces prêts se transformeraient en créances douteuses. 40 % des PME seraient en situation d’arrêt de production partiel ou total, voire au bord de la faillite. In : Marin Y. & Yang J. Les problèmes liés aux prêts consentis par le système bancaire informel se multiplient en Chine. Synthèse hebdomadaire. Services économiques de la France en Chine. 19 septembre 2011. p 5. 17 défauts de paiement – notamment de la part des collectivités, lorsque leurs projets (y compris immobiliers, où celles-ci interviennent) ne sont pas rentables – des surcapacités de production et un surinvestissement en infrastructures publiques (des « éléphants blancs », au niveau des collectivités). La demande dans les secteurs intensifs en capital, tels que l’industrie, ou dans les secteurs primaire et secondaire est fluctuante et sensible à la conjoncture internationale. Le développement rapide de capacités39, provoqué par la recherche d’une croissance élevée, repose sur le maintien d’une croissance tout aussi rapide de la demande, intérieure ou extérieure ; cette option serait remise en cause en cas de ralentissement marqué. L’efficacité et la sécurité d’investissements d’une telle ampleur sont donc discutables. Enfin, l’investissement est peu efficace en Chine : sur la période 2001-2006, 1 USD de croissance du PIB en Chine a nécessité en moyenne 5 USD d’investissement, soit 40 % de plus qu’au Japon ou en Corée du Sud, au même niveau de développement40. 1.2.3. Le régime de change fixe force à stériliser les surplus de liquidités La monnaie chinoise (yuan - CNY ou renminbi - RMB) est ancré officiellement sur un panier de devises, en pratique sur l’USD. Cette politique de taux de change fixe permet la stabilité du RMB face aux fluctuations de l’USD, devise qui reste majoritaire dans les transactions internationales. Ce taux fixe constitue un instrument supplémentaire pour soutenir le développement de l’économie par le biais des exportations. En effet, ce taux est fixé à un niveau sous-évalué, compris entre 20 % et 50 % selon les estimations, afin de stimuler les exportations. Au-delà des polémiques internationales, notamment américaines, les autorités chinoises sont conscientes que l’inconvertibilité41 du RMB a des inconvénients : sur le plan extérieur, elle s’oppose à deux objectifs de la Chine : l’acquisition d’un rôle international pour le RMB et d’un statut de place financière internationale pour Shanghai. L’inconvertibilité entraîne aussi une augmentation des coûts de transaction et maintient les transactions internationales chinoises sous la dépendance de l’USD, une situation que les autorités ne sauraient accepter. Mais les défauts de cette fixité sont également intérieurs : la distorsion du coût du capital, dans un contexte de sous-évaluation du change et de forte intensité capitalistique dans le secteur des biens échangeables, conduit à une hausse de l’investissement, notamment dans le secteur exportateur. Ceci renforce la compétitivité des industries exportatrices, mais limite aussi le développement des entreprises tournées vers la demande interne, augmentant alors le déséquilibre du modèle chinois, trop tourné vers l’extérieur. En septembre 2010, les réserves de change chinoises ont encore augmenté de 100 Md USD, alimentées notamment par l’excédent de la balance commercial. Cet afflux de devises entraîne une augmentation de l’offre de monnaie intérieure, car la PBoC doit émettre 6,4 RMB pour chaque USD reçu. Cette croissance de l’offre de monnaie participe à la hausse de la liquidité, du crédit intérieur et donc de l’investissement, et risque d’alimenter l’inflation et d’induire une surchauffe de l’économie. Afin de lutter contre l’inflation (+ 6,5 % en juillet 2011), source d’insatisfaction de la part de la population, les autorités doivent stériliser des liquidités par l’imposition de réserves obligatoires aux banques42 ou l’émission d’obligations d’Etat. La PBoC utilise aussi des instruments administrés et qui 39 L’épargne et l’investissement chinois représentent 20 % du total du G 20, alors que le PIB de la Chine ne représente que 10 % de celui du G20. 40 Fonds monétaire international. Chine - Revue au titre de l’article IV du FMI. Juillet 2011. 41 ou la convertibilité limitée, si l’on tient compte de l’émergence du marché offshore, notamment à Hong Kong. 42 augmentées sept fois de 50 pb en 2010 et 2011, à 21,5 % pour les grandes banques et 19,5 % pour les autres. 18 n’ont plus cours dans une économie développée, comme les quotas de crédit alloués aux banques. Ces instruments réduisent la liquidité à disposition des banques et contraignent leur offre de crédit. Au total, près d’un quart de la base monétaire chinoise est illiquide. Le ratio M2 / PIB record de 190 %43 masque ainsi une base monétaire plus limitée. Toutefois, cette politique monétaire et ces outils atteignent leurs limites : elles n’empêchent ni une hausse de l’inflation, ni une poursuite du crédit à l’économie, via le développement d’autres instruments financiers depuis 200944. Niveau de stérilisation Source : National Bureau of Statistics - Calculs : Service économique de Shanghai Au total, le système financier en Chine convertit les déséquilibres externes, imposés par le régime de change fixe, en déséquilibres internes (de liquidité et d’allocation du capital)45. Cette politique monétaire se heurte à d’importantes limites : elle engendre des coûts importants pour les autorités et les opérateurs économiques ; elle contribue à l’allocation non-optimale du crédit ; et se montre in fine peu efficace. A cela, s’ajoute le mécontentement des partenaires commerciaux quant à la sous-évaluation du RMB, qui donne aux Etats-Unis un argument pour faire de la Chine le bouc émissaire de leurs difficultés économiques46. 43 Obligations émises en Chine et à l’étranger, lettres de changes bancaires (bank acceptance bills), lettres de garantie, lettres de crédit, titrisation des crédits alloués pour les faire sortir du bilan... si bien que les autorités monétaires mesurent désormais, plus que le crédit sensu stricto, le « financement social total » (environ deux fois plus important) et s’évertuent à contrôler voire réduire ces autres vecteurs de financement, avec une efficacité limitée. 44 Les Echos. La stérilisation monétaire de la Chine. 30 novembre 2010. 45 Les déclarations du candidat à l’investiture républicaine Mitt Romney illustrent que la dénonciation de la Chine sera au cœur de la prochaine campagne américaine, dans un contexte marqué par le chômage et le ralentissement économique. Celles de John Huntsman sont particulièrement intéressantes : « We need American entrepreneurs not only thinking of products like the iPhone or Segway; we need American workers building those products. It's time for “Made in America” to mean something again. » car cet ancient ambassadeur américain en Chine, sinophone, ne peut pas ignorer la pertinence limitée d’un tel argument. 46 Lafarguette, R. & Blanc, F. Contraintes de liquidités et stérilisation : le paradoxe chinois. Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 35. avril 2011. p 4-8. 19 1.3. La pollution a atteint en Chine des niveaux très élevés 1.3.1. La croissance chinoise entraîne la hausse de la consommation de matières premières Le développement de la Chine s’est fondé sur l’industrie, et en premier lieu sur l’industrie lourde, davantage que sur les services. Cette prééminence s’est accrue depuis 2000, suite à la restructuration d’un secteur public obsolète, hérité de la période maoïste, et à l’adhésion à l’OMC. En conséquence, la hausse de la consommation énergétique a plus que doublé entre 2000 et 2010. La Chine est le devenu le 1er consommateur mondial d’énergie devant les Etats-Unis. Le pays est devenu, en 2007 le 1er émetteur mondial de CO2 (22,3 % du total) et de gaz à effets de serre (7,2 Gt équivalent CO247) malgré un PIB alors cinq fois inférieur à celui des Etats-Unis. Poids de la production industrielle en Chine Source : CEIC Database – calculs : Service économique de Hong Kong et Macao (% du PIB chinois) 83 % des émissions de CO2 sont issues du charbon ; 48 % proviennent de la production d’électricité. Cet effort est accru du fait de piètres performances : l’intensité carbone de la Chine est de 2,5 kg. de CO2 par USD48 en 2008, vs 0,4 aux Etats-Unis et 0,2 en France. Les besoins en matières fossiles se sont donc envolés, sans pouvoir être couverts par l’offre intérieure : Entre 2004 et 2009, les importations d’hydrocarbures ont progressé + 47 % par an en moyenne pour le charbon et de + 11 % pour le pétrole brut. En 2010, la Chine a produit 100 % du charbon qu’elle a consommé ; elle a en revanche importé plus de 50 % de sa consommation de pétrole49 et 16 % de son gaz naturel, bien qu’elle soit le 5ème producteur mondial de pétrole et le 10ème producteur de gaz. 47 er En 2005 : 5,6 Gt de CO2 (passé à 6,5 Gt en 2008) ; 853 Mt équ. CO2 de CH4 (1 émetteur) ; er ème 684 Mt Mt équ. CO2 de N2O (1 émetteur) ; 16 Mt équ. CO2 de PFC (2 émetteur) ; 80 Mt équ. CO2 de HFC ème ème (2 émetteur) ; 8 Mt équ. CO2 de SF6 (2 émetteur). Source : World Resource Institute. In : Service de coopération et d’action culturelle. Fiche environnement Chine. Ambassade de France en Chine. 2011. 16 pp. 48 Source : Agence internationale de l’énergie. In : Service de coopération et d’action culturelle. Fiche environnement Chine. Ambassade de France en Chine. 2011. 16 pp. Comme le mettent en avant les autorités, le niveau d’émission de CO2 par tête (4,9 t. en 2008) reste inferieur à la moyenne mondiale. Mais la taille de la population masque la pertinence de cet indicateur. 49 La Chine importe 25 % de son pétrole d’Afrique, 40 % des pays du Golfe, 10 % de l’Asie du sud-est et 10 % de Russie. L’accès aux ressources pétrolières est une forte préoccupation : la Chine a multiplié les accords de partenariat et les investissements dans les pays producteurs (Angola, Soudan, Golfe de Guinée, Russie, 20 La part des diverses énergies dans la consommation d’énergie primaire (3 066 M. tep en 2010) se compose de 70 % de charbon, 18 % de pétrole, 4 % de gaz naturel et 8 % de nouvelles énergies (hydraulique, nucléaire, éolien et solaire). La production électrique (900 GW en 2010) est, quant à elle, assurée à 73 % à partir de charbon (et autres sources fossiles), 22 % d’hydraulique (15 % de la production mondiale), 3 % d’éolienne (12 GW) et 1 % de nucléaire (9 GW)50. Cette production a augmenté de 7 % par an en moyenne entre 1990 et 2001, avant d’accélérer ensuite. En 2010, la production d’électricité a atteint 3 414 TWh (2ème producteur mondial). Estimation des subventions en énergie Source : Lin B. & Jiang Z. Estimates of Energy Subsidies in China and Impact of Energy Subsidy Reform. Energy Economics. 33 (2). pp 273-283. 2010. in : Conseil d’Analyse économique (opus cité). (Md RMB). Note: la subvention de l’électricité est nette de subventions croisées de l’industrie et du commerce vers le résidentiel et l’agriculture. Elle sert tout d’abord à alimenter le parc industriel, qui accapare 73,7 % de la consommation nationale. L’Etat favorise le gaspillage énergétique par la sous-évaluation des prix de l’énergie, inferieurs à la moyenne mondiale : en matière énergétique comme environnementale, la Chine pratique un dumping favorable à ses entreprises, mais aussi à la localisation des productions intensives en énergie et polluantes par les entreprises étrangères. Une grande patrie des industries lourdes japonaise et taïwanaise s’est ainsi installée en Chine. Six industries à forte intensité énergétique y sont responsables de 43 % de la croissance de la consommation d’énergie du pays en 2011 : l’électricité, l’acier, les matériaux de construction, l’exploitation minière de métaux non ferreux, le génie chimique et les industries pétrolières ont contribué pour 5,1 pb aux 12 % d’augmentation de la consommation en 201051. L’augmentation du niveau de vie et l’exode rural chinois – le plus important mouvement de population de l’histoire – accroissent par ailleurs la consommation énergétique. La population Kazakhstan, Turkménistan, Australie, Canada, Amérique latine, Iran, Irak). Pour sécuriser ses approvisionnements, le gouvernement soutient l’internationalisation des compagnies nationales : PetroChina, Sinopec et China National Offshore Oil Company (CNOCC). 50 China Electricity Council. In : Service de coopération et d’action culturelle. Fiche environnement Chine. Ambassade de France en Chine. 2011. 16 pp. 51 China Daily. Energy-intensive industries account for 43 % of China's power consumption growth. 9 juillet 2011. 21 urbaine représente plus de 50 % des Chinois en 2010. Or, les résidents urbains consomment 3,6 fois plus d’énergie que les ruraux52. De plus, le développement de l’immobilier (près de 12 % du PIB chinois), pour répondre à cette urbanisation, nécessite l’apport en masse d’intrants (acier, à 40 % destiné à l’immobilier53 ; béton,…) issus d’industries lourdes et polluantes. Consommation de matières premières en pourcentage de la consommation mondiale Source : Oil Intelligence Market, Bureau Statistics of Metal, OCDE & Natixis. in : Conseil d’Analyse économique (opus cité) Sur le plan agricole, la Chine apparaît certes plus productive que ce qu’il en est dit dans des rapports dénonçant son archaïsme et ses structures obsolètes 54, du fait notamment d’une main d’œuvre abondante (38 % de la population active pour 10 % du PIB). Le pays n’en est pas moins confronté à plusieurs enjeux55 : de manière générale, la rareté des ressources en eau, notamment au nord ; l’urbanisation, qui empiète sur les meilleures surfaces agricoles ; les conséquences du changement climatique. La combinaison de l’ensemble de ces facteurs, en l’absence de contrôle gouvernemental (par une limitation de la conversion des surfaces arables vers l’immobilier ; une irrigation raisonnée ; l’amélioration des techniques de culture et d’élevage) conduit à une production de plus en plus insuffisante à couvrir les besoins et, en cas de maintien des mesures de protectionnisme agricole actuel, à une hausse des prix alimentaires, pénalisant la population. De tous ces facteurs, l’irrigation apparaît comme le principal : l’utilisation agricole représente 80 % de la consommation d’eau dans le bassin du fleuve jaune56, mais l’utilisation industrielle en 52 Shahid Y. & Saich T. China Urbanizes. Consequences, Strategies and Policies. Banque mondiale. 2008. 230 pp. 53 Anderson J. The most important sector in the universe. UBS Investment research. Macro keys. 16 mars 2011. 8 pp. 54 Even M.-A. L’agriculture, clé du devenir économique et social chinois. Centre d’études et de prospective.24. octobre 2010. 8 pp. 55 Green S. China - Masterclass: Water, land, climate and grain. Standard Chartered. Global research. 9 janvier 2012. 8 pp. 56 Nicola Cenacchi. IFPRI. In : Green S. China - Masterclass: Water, land, climate and grain. Standard Chartered. Global research. 9 janvier 2012. 8 pp. L’industrie consomme 100 m² d’eau pour 100 000 RMB, le double de la moyenne des économies développées ! 22 prélève une part croissante. Cette concurrence pourrait ainsi conduire à une baisse des rendements agricoles, d’autant que la tarification de l’eau irriguée conduit à un gaspillage, du fait de son fort subventionnement (50 % à 70 % du coût réel). Consommation de céréales par habitant Source : Center for Chinese Agricultural Policy. In: Huang. J. (2011) (opus cité). (en kg. par an) Les besoins seront encore accrus par les changements alimentaires : de manière classique, l’enrichissement et l’urbanisation conduisent les ménages chinois à consommer moins de produits de base (céréales) et davantage de produits riches (viande, lait, fruits...)57. La forte croissance du PIB agricole58 a permis une amélioration de la satisfaction des besoins alimentaires de la population, y compris du fait d’une part accrue d’aliments riches : ainsi, la part des productions animales (hors pisciculture) est passée de 18 % à 34 % dans le PIB agricole. Ces progrès n’empêchent pas la Chine de devenir un importateur agricole massif, rendant illusoire – voire nocif, du fait des conséquences économiques – tout objectif d’autosuffisance : la balance en céréales est ainsi passée de l’équilibre en 2000 à un déficit de 7 Md USD en 2020 ; la balance en tourteaux (pour l’alimentation du bétail), d’un déficit de 5 Md USD à 25 Md USD ; bien que 1er producteur mondial, la Chine devrait également importer du porc et des volailles. Le pays deviendrait certes exportateur de produits alimentaires transformés, mais ces montants ne seraient pas à même de couvrir le déficit du secteur. 57 Huang J. Economic Modeling and Foresightfor Food Security in China. Center for Chinese Agricultural Policy. Chinese Academy of Sciences. 2011. 46 pp. 58 + 4,4 % en moyenne entre 1978 et 2010, soit 4 fois plus que la croissance de la population, avec des taux de + 3 005 % pour les fruits ; la productivité s’est accrue de 3 % par an en moyenne et de plus de 4 % pour les produits animaux et les fruits et légumes. Ces résultats ont été soutenus par des budgets publics en forte hausse à partir de 1996, qui ont atteint 450 Md RMB par an en 2008. 23 Consommation de produits riches par habitant Source : Center for Chinese Agricultural Policy. In: Huang. J. (2011) (opus cité). (en kg. par an) 1.3.2. Le territoire chinois fait face à une dégradation de son environnement La Chine est confrontée, de manière naturelle, à une situation de sécurité alimentaire tendue et à des contraintes d’approvisionnement en eau : le pays détient 7 % des réserves d’eau douce au monde et moins de 10 % des surfaces cultivables, pour 21 % de la population mondiale. Le nord du pays ne compte que 18 % de l’eau disponible, vs 80 % pour le sud, qui abrite 53 % de la population. La quantité d’eau disponible est de 2 151 m3 par habitant (757 m3 dans le nord, 300 m3 pour Pékin et Tianjin), soit 25 % de la moyenne mondiale ; elle pourrait se réduire à 1 750 m3 par habitant en 2030. Environ 400 villes sur 660 connaissent des pénuries d’eau, parmi lesquelles 108 (dont Pékin et Tianjin) de manière sérieuse. L’eau est non seulement un bien rare, mais l’exploitation qui en est faite accentue la baisse des réserves : 20 lacs disparaissent en moyenne chaque année. Les glaciers du Tibet, qui alimentent les grands fleuves du pays et de la région diminueraient de 7 % par an, soit une fonte plus rapide que partout ailleurs au monde59. L’eau douce est non seulement rare en Chine, elle est aussi polluée, réduisant encore les réserves disponibles ; 50 % de cette pollution provient des rejets de l’agriculture. Les terres agricoles, de plus en plus proches de villes en croissance rapide, rejettent des pesticides et des engrais en quantité60. Les villes et l’industrie constituent deux autres sources de pollution. La présence à des taux élevés de métaux lourds, de phosphore et de solvants indique une pollution croissante issue des zones urbaines. 90 % des nappes phréatiques de moyenne profondeur sont polluées en milieu urbain. 75 % des eaux des fleuves sont impropres à la consommation et à la pêche61. Parmi les 24 800 lacs 59 Service de coopération et d’action culturelle. Fiche environnement Chine. Ambassade de France en Chine. 2011. 16 pp. 60 La Chine a sextuplé les subventions à l’agriculture entre 2008 et 2010, où elles ont atteint 147 Md USD, avec de plus en plus de paiements directs, permettant d'augmenter les revenus des fermiers. Cependant, une part significative de ces subventions subventionne l'emploi de produits ou d’outils comme les engrais. Ces subventions sont non seulement contraires aux règles de l’OMC ; elles ont aussi un effet négatif sur l'environnement. In. : OCDE Politiques agricoles : suivi et évaluation 2011 - Pays de l'OCDE et économies émergentes. OCDE. 21 septembre 2011. 330 pp. 61 Shahid Y. & Saich T. China Urbanizes. Consequences, Strategies and Policies. Banque mondiale. 2008. 230 pp. 24 naturels de Chine, 88 % contiennent une eau de mauvaise qualité62. 25% des eaux de surface sont sévèrement polluées ; 25 % des eaux provenant de plus de 1 000 sources d’eau potable ne correspondent pas aux normes nationales. En 2008, seules 56 % des eaux usées urbaines étaient traitées ; 500 villes ne disposaient d’aucun système de traitement des eaux usées. En conséquence, 300 millions de Chinois n’avaient pas accès à l’eau potable en 2008. 63 millions de personnes consommaient une eau avec une teneur en fluor supérieure aux normes nationales. 190 millions de personnes vivant en milieu rural consommaient une eau avec une teneur en substances nocives supérieure aux normes nationales 63. Dans l’agriculture, 4 M. ha (7,4 % des terres irriguées) sont irrigués avec une eau polluée. 700 incidents liés à la pollution de l’eau auraient eu lieu en 200564. Au problème de l’eau, s’ajoute une désertification ou une dégradation des sols : 90 % des prairies sont dégradés à des degrés divers, jusqu’à la désertification. Le désert occupe 27 % du territoire ; 40 % du territoire est affecté par l’érosion (vent, eaux, salinisation) ; 40 % des marais font aussi face à une forme sévère de dégradation. Les terres arables, dont 10 % seraient fortement polluées, sont grignotées par l’urbanisation. Signe de la pression environnementale, les espèces en voie de disparition sont en nombre croissant (23 % des mammifères). La pollution de l’air en ville est, par ailleurs, devenue un problème de santé publique, contribuant à une augmentation des maladies respiratoires, des cancers et des malformations congénitales : la Chine compte 13 des 20 villes les plus polluées au monde. Selon la Banque mondiale, 750 000 décès par an seraient dus à des maladies respiratoires. Les cancers du poumon, dont 70 à 80 % seraient attribués à la pollution atmosphérique, sont devenus la première cause de mortalité à Pékin. L’impact économique et social de ces difficultés écologiques est conséquent : 51 000 manifestations (soit 1 000 par semaine environ) auraient eu lieu en Chine en 2005 sur le thème de la pollution. Or, la prise en compte de ces dégradations est insuffisante : le calcul d’un « PIB vert » avait été mis en place, pour tenir compte des externalités de la croissance. Ce coût environnemental avait été estimé officiellement à 4 % du PIB en 2008 par le Ministère de la Protection de l’environnement – un résultat jugé sous-évalué : il pourrait représenter jusqu’à 8 à 12 % – avant que cet indicateur ne soit classé secret d’Etat et que sa publication soit interrompue. Au total, la croissance nette des dégradations environnementales pourrait être réduite de moitié au moins en Chine, si ces externalités étaient prises en compte. 1.3.3. Le modèle de croissance et l’urbanisation engendrent pollution et pénuries L’urbanisation alimente la croissance en Chine : 80 % de la croissance provient des villes ; le revenu moyen par tête y est 2,4 fois plus élevé qu’a la campagne. Le marché du travail urbain bénéficie d’un flux de population de 10-15 millions de personnes par an qui alimente les villes en travailleurs dynamiques, en nombre important et à bas couts. A certains égards, cette urbanisation rappelle celle de l’Angleterre des 18ème et 19ème siècles, où 40 % de la population vivait en ville dès 185065 : l’Angleterre de la Révolution industrielle connut alors une croissance très rapide du PIB (quadruplement entre 1700 et 1820) et des salaires (supérieurs à Londres de 50 % à ceux de Paris, 62 Service de coopération et d’action culturelle. Fiche environnement Chine. Ambassade de France en Chine. 2011. 16 pp. 63 Ministère chinois des Ressources en eau. 2005. 64 China Statistical Yearbook, Banque Mondiale. 2008. 65 Nouveau siècle. Le bond en avant de l’incinération des déchets. 2. 9 janvier 2012. 25 par exemple). Un accès facile à une énergie bon marché et un environnement favorable aux affaires furent deux grands facteurs de ce développement, stimulant la croissance de l’investissement, de l’emploi et de l’innovation, à l’instar de la Chine actuelle. L’urbanisation a non seulement accompagné cette croissance économique, elle en a aussi été un facteur essentiel, en stimulant l’immobilier, les infrastructures, l’équipement…, en accroissant les salaires et la productivité, en facilitant les services d’éducation et de santé. Le même phénomène se réplique en Chine, mais à une échelle bien plus large et rapide, aidée par le capital et les technologies accumulées depuis (que le pays s’emploie à assimiler). L’urbanisation est ainsi un facteur indispensable à la croissance chinoise ; et la poursuite de celle-ci dans les années à venir (l’Angleterre compte en 2011 80 % d’urbains) confère à l’urbanisation un rôle de moteur de long terme pour l’économie chinoise. L’urbanisation, toutefois, alimente aussi la pollution : elle va de pair avec le changement de mode de vie et la hausse des besoins en biens de consommation : en 1990, pour 100 citadins, on comptait 42 réfrigérateurs, 59 télévisons et 0,34 climatiseur ; en 2005, cet équipement des ménages était passé à respectivement 93, 135 et 81. L’urbanisation provoque donc une hausse de la consommation en ressources naturelles et, partant, de la pollution. Chaque année la Chine produit plus de 360 M. t. de déchets, soit un tiers de la quantité mondiale66 ; ce chiffre ne cesse d’augmenter. La pression environnementale est accrue par le fait que l’urbanisation chinoise ne se fait pas en faveur de structures optimales d’un point de vue énergétique : la répartition des villes sur le territoire n’adopte pas une structure de réseaux et de villes satellites, qui optimiserait les flux de population et la circulation des biens de consommation. Les villes de 1er et de 2nd rangs (d’une taille supérieure à 2 millions d’habitants) sont favorisées par rapport aux villes de 3ème et de 4ème rangs, car ces pôles plus importants permettent une croissance plus rapide car plus concentrée. Toutefois, ces villes sont construites sur un plan d’occupation désorganisé ; les destructions y succèdent aux constructions 67 . Les aspects de congestion, de flux énergétique et autres considérations indispensables à une urbanisation durable et efficiente d’un point de vue énergétique ne sont pas suffisamment pris en compte68. Ces difficultés s’accroîtront avec l’équipement en véhicules : les Chinois ne disposent que de 60 automobiles pour 1 000 habitants vs 590 en Europe et 820 aux États-Unis ; mais la hausse de pouvoir d’achat des ménages urbains, pour lesquels un véhicule est un élément du statut social, et cette inadaptation des villes en matière de transport stimulent la demande : la Chine est devenue en 2009 le premier producteur et le premier marché mondial, dépassant les États-Unis. Les ventes ont atteint 13,8 M. de véhicules individuels en 2010 et pourraient se monter à 40 M. par an en 2020. La 66 Green S. China – Masterclass: China 2011, England 1890. Standard Chartered. On the ground. 4 juillet 2011. 11 pp. 67 Chaque année, Pékin produit plus de 40 M. t. de déchets de construction, mais le taux de recyclage est inférieur à 40 % ; il n’existe pas d’installations traitant ce genre de déchets : 99 % sont transportés, déversés et ème vendus par les petits entrepreneurs privés. Il existerait plus de 10 000 fossés à déchets illégaux entre le 6 et ème le 7 périphérique, zones qui vont être mis en exploitation. Mais la construction sur les terres recouvertes de déchets coûtera plus chère. La municipalité a annoncé, en juillet 2011, que quatre centres de traitement des déchets seront construits dans la capitale dont la capacité totale de traitement atteindra 4 M. t. soit 10 % des nouveaux déchets ! Source : Phoenix Weekly. 25 août 2011. 68 Salat S., Labbé F. & Nowacki C. Les villes et les formes - sur l’urbanisme durable. CSTB, Laboratoire des morphologies urbaines. Hermann édit. 2011. 544 pp. 26 congestion est si forte à Pékin que la capitale a dû introduire, à l’instar de Shanghai, une restriction à l’acquisition. En conséquence, les constructeurs se tournent vers les villes de l’intérieur69. L’Etat est à l’origine d’une urbanisation désordonnée, du fait des quotas imposés au développement des infrastructures et urbaines. Ces déséquilibres et le gigantisme de l’urbanisation sont poussés par les promoteurs, à actionnariat majoritairement public, et les collectivités locales, soucieuses de développer leur circonscription. Le gouvernement central n’est en effet pas le seul responsable de la pollution : les gouvernements locaux s’emploient à réduire les contraintes au développement tous azimuts des industries et de l’immobilier. Leurs dirigeants sont en effet évalués selon le taux de croissance et le nombre d’emplois créés durant leur mandat. Les amendes infligées par les provinces aux entreprises polluantes sont trop faibles et n’ont pas de caractère désincitatif. Par ailleurs, les recettes tirées de l’attribution du foncier, notamment de terres agricoles (80 % des terres attribuées) au développement immobilier sont considérables (supérieur à 3 % du PIB en 2009) ; elles représentent une part importante des recettes des collectivités locales, gérée hors budget et très mal connue : l’éventail de leur estimation (22 %-32 %70 ; 23 %-51 % des recettes totales, voire jusqu’à 80 % pour Shenzhen en 200971) illustre cette opacité, mais aussi leur importance. Le terrain sert en outre aux collectivités72 de garantie pour les emprunts réalisés auprès des banques. Plus la valeur de celui-ci est élevée, plus la garantie – et donc le prêt – est important. Le système pousse ainsi à l’inflation de la valeur des terrains ; il déboucherait également, en cas de retournement du marché, sur un défaut de paiement et une perte pour la banque prêteuse. Enfin, le marché de l’assurance, qui contribue à réduire ces comportements dans les pays développés, ne jouent pas ce rôle de régulateur en Chine : le montant des cotisations demandées à une entreprise y dépend des risques liés à sa production ; une industrie équipée de façon à moins polluer paiera une cotisation plus faible qu’une entreprise n’ayant aucune structure, du fait d’un moindre risque de devoir payer des amendes ou des compensations, du fait de sa responsabilité. Ce système renforce l’application des normes environnementales. En Chine, à l’inverse, les assurances fixent leur prix en fonction de la branche industrielle d’une usine, et non de ses installations, ni des risques de l’outil de production ; un site équipé pour ne pas rejeter de polluants payera la même cotisation qu’une usine n’ayant aucun équipement d’épuration. Dans ce contexte, la concurrence provoque in fine un ajustement par le bas : elle incite les entreprises à réduire leurs coûts et à négliger de l’impact sur l’environnement. La profitabilité des secteurs polluants en Chine est accrue par cette absence de mécanismes d’internalisation des risques environnementaux. 69 Anon. Moving demand. Business China. The Economist Intelligence Unit. 37 (9). p 2-3. 25 avril 2011. 70 Tao Wang & Hu H. Local government finances and land revenue. UBS Investment research. Asian Economic perspectives. 24 février 2010. 9 pp. cf. aussi les études de Green S., par exemple : China – Bubbly land 1. Standard Chartered. 8 février 2010. 6 pp. China – Bubbly land 2. Standard Chartered. 12 février 2010. 9 pp. 71 Pour une présentation détaillée du fonctionnement et des finances des collectivités locales, cf. CombalWeiss V. Les collectivités locales en Chine. Services économiques de la France en Chine. Juillet 2009. 113 pp. 72 plus précisément : à leurs véhicules d’investissement, chargés de gérer les programmes de développement, car les collectivités elles-mêmes n’ont pas le droit de s’endetter et utilisent ces « faux-nez » pour ce faire. Cf. Lafarguette, R. & Blanc, F. La dette des collectivités locales : une décentralisation fiscale insuffisante. Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 41. novembre 2011. p 4-8. 27 1.4. L’évolution démographique conduit à un vieillissement accéléré de la population La Chine a connu un effondrement du taux de natalité à partir du début des années 1980, suite à la mise en place de la politique de l’enfant unique. Cette évolution est similaire à celle de ses voisins asiatiques. Toutefois, alors que cette évolution s’est étalée sur plusieurs décennies au Japon, en Corée et à Taïwan et a accompagné la hausse du niveau de vie (qui l’a suscitée), la transition a été particulièrement drastique et massive en Chine : l’encadrement administratif des naissances a conduit à abaisser le taux de natalité à 1,7 enfant par femme en 2011, en l’espace d’une génération et avant un enrichissement largement partagé du pays. La transition démographique dans les pays asiatiques Source : PNUD ; calculs: Service économique de Hong Kong et Macao. (en millions par an) 1.4.1. La transition démographique, d’un vecteur de croissance … La poussée démographique (baby-boom des années 1960, puis 1980) et la réduction de la mortalité qu’a connues la Chine lui a procuré un dividende démographique. Malgré le coût humain du Grand Bond en avant, la Chine a bénéficié d’un important dividende démographique à partir des années 1980. Or, la proportion de la population en âge de travailler influe sur la croissance économique : ce dividende est estimé avoir procuré entre 1,5 et 2 points de croissance par an (20 %) entre 1978 et 2010. Un quart de la croissance chinoise serait ainsi due à la hausse de sa population. L’évolution de la population a un autre effet sur la croissance : 80 % en est dû à un gain de productivité du travail, dont 15 % s’explique par la réallocation de main d’œuvre de secteurs moins productifs (l’agriculture) vers d’autres, plus productifs (l’industrie et les services)73. Les Chinois travaillant dans le secteur agricole représentent encore 40 % des actifs (pour quelques pour cents dans les pays développés). Le surplus de population agricole permet donc une migration d’emplois vers des secteurs plus productifs, en zone urbaine. L’augmentation de la population et l’exode rural ont donc des effets majeurs : la « population flottante » de travailleurs migrants (« mingong ») ayant 73 Cieniewski S. Les implications macroéconomiques du ralentissement démographique chinois. Service ème économique de Hong Kong et Macao. 16 mars 2011. La productivité du travail agricole est 1/6 de celle du reste de l’économie. 28 un « hukou » 74 rural mais travaillant en ville est estimée à 230 millions de personnes. Cette population est une source de main d’œuvre pour les villes. Le taux d’urbanisation de la Chine est passé de 19,6 % en 1980 à 50 % en 201175. La hausse de la main d’œuvre urbaine est donc due à un exode rural qui alimente une urbanisation dont l’ampleur et les conséquences sur la construction immobilière (par exemple) donnent le vertige : la Chine construit un parc immobilier peu ou prou équivalent à celui de l’Espagne en un an et de l’Europe en 15 ans76. Construction annuelle chinoise comparée au stock immobilier des pays d’Europe Source : Economist Intelligent Unit (opus cité). 1.4.2. … à une contrainte à gérer et qui handicape la croissance future Les autorités ont toutefois décidé de se protéger d’une croissance trop forte de la population, à partir des années 1970 – tranchant avec l’un des dogmes de la période maoïste – afin de préserver des ressources en quantité limitée. Dès 1971, elles ont mis en place la politique de l’enfant unique. La lente mise en application de la loi n’a pas évité le baby-boom des années 1980, mais les effets de cette politique, appliquée avec sévérité, ont ensuite été radicaux77 : le taux de fertilité a chuté de 5,9 enfants par femme en 1970 à 1,3 en 2005. Le nombre d’enfants par 1 000 habitants a été divisé par 3 en 30 ans, passant de 35 en 1970 à 12 en 2009. La population chinoise est désormais largement constituée de familles nucléaires. 74 Le « hukou », passeport intérieur mis en place en 1958 (mais repris d’un dispositif dont les origines remonteraient aux premières dynasties impériales) assigne chaque citoyen à une localité et à un statut rural ou urbain, pour l’essentiel héréditaire. 75 Shahid Y. & Saich T. China Urbanizes. Consequences, Strategies and Policies. Banque mondiale. 2008. 230 pp. 76 Economist Intelligent Unit. Building Rome in a day, the sustainability of China housing boom. Juin 2011. 15 pp. 77 Pour une présentation des conséquences sociales et démographiques de cette politique, cf. Xinran. Message from an unknown Chinese mother. Vintage books. 2011. 294 pp. 29 Nouvelles naissances en Chine Source : PNUD ; calculs: Service économique de Hong Kong et Macao. (en millions par an) Le gouvernement va parallèlement faire évoluer la régulation des flux migratoires pour permettre les transferts de main d’œuvre du secteur agricole vers les zones urbaines : les possibilités d’exode rural sont relâchées, mais le contrôle de la migration est maintenu via le maintien de différences de statuts : les détenteurs d’un hukou rural ou d’une autre province ne disposent pas d’aide de l’Etat ou de couverture sociale lorsqu’ils émigrent en ville, jusqu’en 2008. Cette migration organisée présente aussi des risques de stabilité sociale : en cas de ralentissement de la croissance à un niveau estimé à moins de 8 % par an78 79, comme cela avait été craint en 2009, il était estimé que les flux de mingong ne trouveraient pas à s’employer en ville. Afin de garantir la stabilité, l’absorption régulière de cette main d’œuvre nécessite de maintenir un niveau élevé de croissance. Les autorités ont ainsi encadré l’évolution quantitative et géographique de la population, et notamment de la population active. Or, la politique de l’enfant unique va présenter des effets qui finiront par échapper au contrôle de l’Etat et impacter la pyramide des âges ainsi que le ratio homme / femme : la Chine connait en conséquence i) un vieillissement de sa population, qui atteindra son maximum (autour de 1 450 millions) en 2020 et ii) un déséquilibre des naissances (il nait 120 garçons pour 100 filles) permis par l’infanticide puis l’avortement sélectif depuis la généralisation de l’échographie prénatale. La démographie, qui a constitué l’un des principaux moteurs de la croissance chinoise, risque ainsi de devenir un frein à celle-ci, à moyen terme. 78 Artus P., Mistral J. & Pagnol V. L’émergence de la Chine : impact économique et implication de politique économique. Conseil d’Analyse Economique. 2011. 204 pp. 79 mais sans doute inférieur désormais, du fait d’une croissance de moins en moins riche en emplois. 30 Evolution de la population chinoise Source : PNUD ; calculs: Service économique de Hong Kong et Macao. (millions par an). 1.4.3. Vers des pénuries de main d’œuvre en zone urbaine Les régions de l’Est, notamment les deltas de la Rivière des Perles, puis du Yangtsé, connaissent des pénuries de main d’œuvre depuis 2004 ; mises entre parenthèses lors de la crise de 2009, leur réapparition en 2010 illustre le poids que les tensions sur le marché du travail joueront en Chine durant la décennie 2010-2020. Les industries des zones côtières se sont développées grâce à la faiblesse du coût de la main d’œuvre, bénéficiant pendant 25 ans d’une réserve quasi-illimitée de main d’œuvre issue des provinces agricoles pauvres de l’intérieur. Les mingong, au nombre de 230 millions en 2011, ont formé cette main d’œuvre bon marché disponible pour des activités intensives en facteur travail, comme l’industrie, l’immobilier ou les services à faible valeur ajoutée. L’abondance de cette main d’œuvre a permis aux entreprises de maintenir des salaires très bas. Ainsi, dans l’industrie, la part des salaires dans la valeur ajoutée s’est réduite : les profits ont augmenté de 28 % par an entre 2000 et 2008 vs 14 % pour les salaires industriels ; en conséquence, les profits du secteur industriel sont passés de 2 à 10 % du PIB de 2000 à 200980. Ces mingong, confrontés à la hausse du cout de la vie, ont toutefois commencé, en 2010, à réclamer une amélioration de leurs conditions de travail, avec le soutien du gouvernement central. Ces actions collectives, débouchant sur des négociations, ont été rendues possibles du fait de l’apparition de pénuries de main d’œuvre en zone côtière, d’un nouveau rapport de force, de l’évolution du droit du travail de 2008, mais aussi d’une évolution sociale : les ouvriers issus de la génération de l’enfant unique ne sont plus aussi « dociles » que leurs parents. Ils connaissent leurs droits, sont conscients de la richesse qu’ils créent et désireux de conditions de vie meilleures. Ces générations bénéficient aussi de supports comme internet ou les téléphones portables pour mettre en place une opposition organisée et efficace, malgré les pressions de leurs employeurs. 80 Cieniewzski S., Berder A. & Blanc F. Les tensions sur le marché du travail : vers un rééquilibrage de l’économie ? Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 26. Juin 2010. p 2-7. 31 Décomposition de la valeur ajoutée industrielle Source : CEIC ; calculs: Service économique de Hong Kong et Macao. (RMB par employé). La crise de 2009 avait dissuadé 20 % des mingong de repartir après le Nouvel An chinois vers leur usine sur la côte81. Dès 2010, la situation change radicalement : le nombre de jeunes arrivants sur le marché du travail plafonne, alors que la reprise de l’économie relance la demande en main d’œuvre. Or, la politique du Go west a créé des opportunités d’emploi aux mingong dans leur province, où le coût de la vie est moindre et où ils choisissent donc de rester82. A cela s’ajoutent des besoins spécifiques à la fois en âge (les mingong ont entre 18 et 35 ans) et en sexe (les industries de l’habillement et de l’électronique emploient une main d’œuvre féminine) pour accroître les déséquilibres et les tensions sur le marché du travail. 1.5. La répartition inégalitaire des fruits de la croissance 1.5.1. La pauvreté touche le territoire chinois de façon différenciée La croissance en Chine a été un facteur majeur de lutte contre la pauvreté : plus d’un demimilliard de personnes sont sorties de la pauvreté en 30 ans ; aucun pays n’a connu un tel résultat, ni aussi rapidement. D’après les normes internationales, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté absolue (disposant de moins de 1,08 USD par jour) est passé de 652 millions en 1981 à 135 millions en 2004 et à 90 millions en 2008 (43 millions selon les normes chinoises). Le taux de pauvreté, tel que défini par la Banque mondiale, était de 4 % en 200783. Toutefois, le rehaussement 81 Cieniewzski S., Berder A. & Blanc F. Les tensions sur le marché du travail : vers un rééquilibrage de l’économie ? Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 26. Juin 2010. p 2-7. 82 Blanc F. La politique du Go West se concrétise. Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 13. Mai 2009. p 4-6. 83 Banque Mondiale. China. From poor areas to poor people. 5 mars 2009. 215 pp. 32 du seuil de pauvreté en zone rurale à 2 300 RMB (361 USD) par an84, en novembre 2011, contre 1 196 RMB (187 USD) depuis 2008, a accru le nombre de pauvres de 27 à 128 millions de personnes. La pauvreté demeure pourtant présente : entre 2001 et 2004, près d’un tiers de la population chinoise pouvait être considérée comme pauvre et, plus encore, soumise à un risque important de pauvreté : cet état procède de composants structurels (un revenu trop bas) et de composants transitoires, dus à la variation des revenus au cours du temps, risque auquel sont soumis les bas revenus. Or, ce risque joue un rôle majeur dans la pauvreté en Chine : 95 % des pauvres en régions côtières sont des pauvres transitoires. De plus, la part de risque conduisant à une paupérisation augmente avec les inégalités de revenus. Or, cette inégalité a considérablement augmenté en Chine, au cours – et malgré – 30 ans de développement, à la différence ses prédécesseurs asiatiques : le pays est classé au 51ème rang des pays les plus inégalitaires (indice de Gini de 0,415 en 2007). Evolution du revenu urbain et rural par tête (1978-2005) Source : Shahid Y. & Saich T. Banque mondiale (opus cité). Plusieurs facteurs déterminent cette répartition inégalitaire de la richesse : en premier lieu, il existe de fortes disparités entre les régions côtières et celles de l’intérieur. Les régions côtières de l’est ont été les premières bénéficiaires de la croissance, supérieure à celle des provinces de l’intérieur jusqu’en 200585. Ensuite, les ruraux sont défavorisés par rapport aux urbains. L’écart de revenu annuel par tête entre la population rurale et la population urbaine était de 1 / 3,4 en 2009, avec des opportunités plus importantes d’emploi en ville, faisant de l’exode rural une option 84 Ce montant de 2 300 RMB est presque égal au seuil de 1,25 USD par jour et par personne, reconnu par l’ONU depuis 2009 (vs 1 USD auparavant) ; il permet une meilleure mesure de la pauvreté. 85 Les provinces de l’intérieur ont toutefois amorcé leur rattrapage à partir de 2005, soutenues par la politique du Go West. Cf. Blanc F. La politique du Go West se concrétise. Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 13. Mai 2009. p 4-6. 33 attractive, retenue par 230 millions de mingong86. L’importance de cet emploi urbain est tel que les salaires de ces mingong contribuent à 40 % des revenus des ménages en zone rurale8788. Le fait que 99 % des pauvres en Chine soient détenteurs d’un hukou rural illustre ces différences de revenus entre zones rurales et urbaines ; de même, la part des pauvres en milieu rural est de 17,9 %, vs 0,3 % en milieu urbain. Par ailleurs, les mingong comptent pour 9 % des pauvres, en termes de revenus ; et la part des pauvres urbains passerait de 1 % à 10-12 % en y incluant les mingong, résidant de fait en ville. Evolution des indicateurs de pauvreté (1981-2004) Source : Banque Mondiale. China. From poor areas to poor people. (opus cité). La pauvreté touche donc également les zones urbaines : en considérant un coût de la vie plus élevé de 50 % en ville qu’en zone rurale, il en ressort que 19,1 % des pauvres (pour lesquels les mingong comptent pour 16,5 %(soit 35 millions d’habitants), les urbains (i.e. disposant d’un hukou urbain) ne comptant que pour 2,6 %) vivent en milieu urbain. L’origine ethnique constitue un autre facteur de pauvreté : une part importante des pauvres est issue d’une minorité ou provient de régions montagneuses (deux critères qui se recoupent en Chine)89. Enfin, la vaste majorité des pauvres n’ont pas été plongés dans cet état du fait d’un accident : il est préoccupant de constater que ce sont des travailleurs pauvres, aux revenus trop bas pour se sortir de cette condition. 98 % des pauvres sont dans des ménages avec aux moins deux travailleurs (plus de 16 ans et en capacité de travailler) ; et les ¾ des pauvres n’ont pas de parents en incapacité de travailler. La plupart des pauvres ont donc la capacité de travailler, mais le système 86 Si l’ensemble des travailleurs disposant d’un hukou rural et travaillant en ville sont comptabilisés; en ne comptant que les travailleurs s’employant de manière saisonnière (moins de 6 mois), ce nombre serait plus proche de 130 millions. 87 Shahid Y. & Saich T. China Urbanizes. Consequences, Strategies and Policies. Banque mondiale. 2008. 230 pp. 88 En 2011, le ratio revenu urbain / revenu rural est toutefois redescendu à 1 / 2,77, en-dessous de 3 pour la première fois depuis 2002. 89 Banque Mondiale. China. From poor areas to poor people. 5 mars 2009. 215 pp. 34 social (accès à l’éducation ; absence de protection sociale ; application insuffisante du droit du travail, dont le revenu minimum) ne permet pas une amélioration de leur situation. C’est donc bien le modèle de développement économique et social chinois qui est responsable de cette rémanence de la pauvreté et, au-delà, de la croissance des inégalités en Chine. 1.5.2. Le modèle de développement provoque l’accroissement des inégalités L’absence de sécurité sociale pour les travailleurs au statut précaire accroît l’exposition de ces populations pauvres aux aléas de la vie. Le désengagement de l’Etat des dépenses sociales90 et la marchandisation des services publics rendent nécessaires l’accès à de bons revenus pour accéder à des soins de santé et à une éducation de qualité. Le coût de la santé et de l’éducation a fortement augmenté pour les ménages : entre 1988 et 2003, la dépense des ménages en frais d’éducation est passée de 1 % à 8,3 % du revenu ; et les frais de santé, de 1,6 % à 5,1 %. Les disparités concernant l’éducation sont accrues par des dépenses publiques inferieures non seulement à celles des pays développés, mais même à celles de certains pays en voie de développement : en 2008, les budgets publics consacrés à l’éducation étaient de 1,7 % en Chine du PIB, mais de 2,9 % au Pakistan, de 3,8 % en Thaïlande, de 4,1% en Malaisie et de 5,9% au Kirghizistan. Cette exposition au risque de pauvreté est une raison de la forte épargne de précaution des ménages, et notamment des plus pauvres, pour faire face aux « trois montagnes » : couverture santé, éducation de l’enfant unique et achat du logement. Du fait de cette nécessité d’épargne pour les bas revenus, beaucoup de personnes bénéficiaires de salaires juste au-dessus du seuil de pauvreté se retrouvent en pratique pauvres en termes de consommation. Au total, le nombre de pauvres en termes de consommation est quasiment le double du nombre de pauvres en termes de revenus. La paupérisation est encore accrue par l’absence d’effet redistributif de la fiscalité : les ménages les plus aisés bénéficient d’une faible imposition : les 1 % les plus riches de la population détiendraient de 30 à 50 % des dépôts bancaires91. Il y a officiellement 271 milliardaires (en USD) en Chine et, selon certains, 300 de plus92 ; et il y aurait près d’un million de millionnaires en USD. De manière plus générale, les salariés urbains, au moins ceux employés dans des statuts protégés, bénéficient en outre d’aides du gouvernement tels que des subventions au logement, une couverture médicale de base, une pension de retraite et une assurance chômage. Ce statut mieux protégé ne bénéficie pas aux mingong, non détenteurs d’un hukou urbain, qui se retrouvent exposés à la pauvreté. L’Etat tend à privilégier les zones urbaines génératrices de croissance aux dépens des zones rurales. L’inégalité des aides publiques est une cause de mécontentement de la population, sans parler de la corruption (ou de l’évasion fiscale) qui contribue aussi à la concentration des richesses et des avantages. Ce modèle, fondé sur un emploi à bon marché d’une main d’œuvre docile et pléthorique, est toutefois remis en cause, non seulement du fait des évolutions démographiques (cf. supra), mais aussi sociales, comme l’a illustré la contestation ouvrière dans des entreprises telles que Foxconn. 90 La fin du modèle de « bol de riz en fer » : les Chinois ne gagnaient pas grand-chose lorsqu’ils étaient employés dans un système étatique, mais leurs besoins en biens sociaux (santé, éducation,…) étaient couverts. 91 Financial Times. China investors : beware of inequality. 5 juin 2011. 92 AFP. Le nombre de milliardaires bondit de 189 à 271 en un an en Chine. 7 septembre 2011. 35 Accroissement des inégalités en Chine : évolution de la distribution des revenus urbains Source : CEIC ; calculs : Service économique de Hong Kong et Macao (par personne, 10 000 RMB par an). 1.5.3. Le système de santé chinois procure une couverture insuffisante Avant la libéralisation des années 80, la part du financement public dans les dépenses de santé avoisinait les 80 %. Le système était très parcellaire, mais il couvrait largement et assez équitablement la population. En 2006, seulement 11 % de la population chinoise était couverte par une assurance maladie93. Près de la moitié des Chinois ne consultent pas lorsqu’ils tombent malades ; selon une enquête de 2003, 64 % des urbains et 75 % des ruraux qui auraient eu besoin d’une hospitalisation l’auraient refusée en raison de son coût. En 2011, la prise en charge publique ne représente plus que 18 %, un niveau parmi les plus faibles au monde, loin derrière les Etats-Unis (50 %), les pays européens et le Japon (80 %). Les dépenses publiques pour la santé sont passées de 25 % du PIB en 1990 à 14,2 % en 1997 et à 4,7 % en 2011. 30 % des dépenses médicales sont couvertes par les assurances et 52 % par les patients eux-mêmes94. Alors que l’économie chinoise connaît une croissance forte, l’état sanitaire de la population stagne, remettant en cause l’amélioration du niveau de vie. En effet, la maladie constitue la première cause de pauvreté pour la population chinoise. Le 12ème plan quinquennal prévoit, à l’instar du 11ème plan, une réforme du système de santé, la mise en place d’une couverture maladie universelle et un budget alloué de 880 Md CNY sur 3 ans (2,8 % du PIB), mais les sommes au titre de ce programme restent modestes une fois ramenées au niveau individuel. Les enjeux en matière de santé sont pourtant considérables : ils concernent aussi bien les maladies infectieuses (SIDA, tuberculose, hépatites…) que les maladies non transmissibles (hypertension, diabète, obésité et cancer…). À cela s’ajoutent la dégradation de l’environnement, les risques en matière de sécurité alimentaire, de transfusion sanguine, de sécurité au travail et liés à la sécurité routière. 93 Ambassade de France en Chine. La Chine en chiffres. Edition 2007. 94 Blanc F. L’impact des réformes sociales en cours sur la consommation sera limitée. Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 14. Juin 2009. p 1-4. 36 L’inégalité de richesse entre zones urbaines et rurales se retrouve en matière de santé : 68 % des ressources publiques sont allouées aux hôpitaux urbains. Les 2/3 des fonds publics bénéficient ainsi à 50 % de la population, essentiellement urbaine95. En revanche, les zones rurales restent mal couvertes et souffrent d’une pénurie d’établissements de qualité et de personnel qualifié. 2. En l’absence de réformes, la croissance chinoise serait ralentie par ces contraintes 2.1. L’économie chinoise se retrouve confrontée à plusieurs risques 2.1.1. Le « piège du revenu moyen » Le développement économique de la Chine emprunte certaines caractéristiques à celui de ses voisins asiatiques (prééminence de l’investissement, importance des exportations,…) ; mais il s’en distingue néanmoins, ne serait-ce que par la taille du pays. Cette spécificité chinoise rend difficile la comparaison des stratégies adoptées, des trajectoires suivies et des contraintes rencontrées. La croissance de la Chine a été plus rapide que celle du Japon ou de la Corée. Elle s’est aussi fondée sur l’investissement industriel et le commerce. De même, l’ouverture aux investissements y reste équivoque et source d’atermoiements, selon des modalités propres à ce pays : les investisseurs étrangers font face à un système juridique peu fiable et instable, à la prédominance des SOE et au maintien de l’obligation de coentreprise (joint-venture – JV) dans de nombreux secteurs. Salaire et revenu des ménages Source : National Bureau of Statistics & Natixis. In: Conseil d’analyse économique (opus cité). (% du PIB). Le Japon, la Corée du Sud et Taïwan ont appliqué le modèle d’Akamatsu de « développement en vol d’oies sauvages » : il consiste en i) un rattrapage technologique fondé sur une spécialisation industrielle internationale ; ii) une substitution des importations par une production domestique de plus en plus sophistiquée ; iii) le développement des exportations qui s’ensuit ; et iv) la hausse des salaires. Ainsi ces économies ont réussi à réaliser un enrichissement de leur population, tout en 95 Conseiller pour les Affaires Sociales. La Santé en Chine. Ambassade de France en Chine. 2011. 38 pp. Il convient d’exclure de la liste des bénéficiaires la plupart des 200 millions de mingong qui ne bénéficient, lorsqu’ils sont hors de leur zone de résidence, que de peu d’accès aux soins. 37 maintenant leur compétitivité à l’international. Ce modèle est moins patent en Chine : le rattrapage technologique, au cœur de la stratégie d’Akamatsu, se produit certes dans plusieurs secteurs, mais ses effets restent moins généralisés ; cette limite est illustrée par la faible création de valeur ajoutée dans les secteurs de pointe comme l’électronique96. Enfin les richesses sont reparties de façon inégalitaire. Or, la Chine est certes la 2ème puissance économique mondiale, mais son PIB par habitant se situe autour du 100ème rang. La croissance chinoise a été de 10 % par an en moyenne sur 20 ans, mais le coefficient de Gini y atteint 0,415, le plus inégalitaire parmi les pays industrialisés, pire que celui de la Russie ou de l’Inde. Or, le revenu par tête est de 4 300 USD par habitant en 2010 ; le risque du piège du revenu moyen se pose donc au cours de la prochaine décennie. Le modèle de développement chinois diffère donc de celui de ses voisins et prédécesseurs. Pour cette raison, des économistes – et notamment ceux dans la mouvance de la Banque mondiale – se sont interrogés sur le risque pour la Chine de tomber dans ce « piège du revenu moyen », c'est-àdire le risque que la majorité de la population n’accède pas à la classe moyenne, à la différence de ses prédécesseurs asiatiques mais à l’instar des pays d’Amérique latine97. En Chine, divers lobbies économiques ont intérêt à s’opposer à une meilleure répartition des bénéfices économiques : monopoles, exportateurs (chinois, mais aussi étrangers 98), et surtout les SOE ; leur mode de fonctionnement conforte l’accroissement des inégalités : les SOE poussent au maintien des salaires à un niveau inférieur à la productivité marginale, entraînant une mauvaise allocation des ressources et des déséquilibres dans l’économie. La décennie 2000-2010 a davantage profité aux entreprises qu’aux ménages, qui ont perdu 10 % du PIB environ dans le partage de la valeur ajoutée, en 10 ans. L’inflation érode encore les plus faibles revenus, dont le pouvoir d’achat stagne. L’Etat doit alors subventionner une relance de la consommation et contrôler les prix, au prix de la compétitivité des entreprises, notamment étrangères, et d’un risque de pénaliser l’investissement et le développement de certains secteurs99. 2.1.2. La compétitivité chinoise est menacée par de nouveaux concurrents Nonobstant cette nécessité de hausses des revenus et les oppositions à son encontre, les coûts salariaux sont en hausse rapide en Chine ; ils restent certes loin du niveau des pays 96 Cf. à nouveau l’exemple des produits d’Apple. 97 Le « piège du revenu moyen » procède du constat selon lequel les pays émergents dont le développement se fait de façon inégalitaire atteignent un plafond de développement : dans un tel pays où la classe moyenne est minoritaire, lorsque le revenu moyen atteint environ 5 000 USD par tête, les classes les moins aisées peinent alors à améliorer leur statut du fait du blocage de l’évolution sociale par les grands groupes d’intérêt proches du pouvoir, soucieux de conserver leurs avantages acquis. 98 Asiatiques, essentiellement. Cf. à ce sujet les positions de la Fédération des Industries Hongkongaises (FHKI) vis-à-vis des hausses de coût de la main d’œuvre ; certains envisagent une délocalisation vers des zones de production encore moins chères. Cieniewski S. Le point de vue hongkongais sur les défis croissants qui se posent à la manufacture chinoise. Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 30. Novembre 2010. p 9-12 99 Les pénuries d’électricité à l’été 2011 ont ainsi eu comme cause conjoncturelle un niveau bas des barrages, alors que l’hydroélectricité représente 22 % en 2010 du mix énergétique, mais aussi, de manière plus structurelle, le manque d’investissements dans la production et la distribution électrique, du fait de l’érosion des marges des opérateurs. Les prix de l’électricité étaient en effet gelés par l’Etat, alors que le coût des combustibles (charbon notamment) augmentait. Il en est de même des raffineries, avec le contrôle du prix de l’essence, voire des denrées agricoles sensibles, comme le porc ou les légumes verts, pour lesquelles les autorités font usage de « moralsuasion » afin d’« inciter » au maintien de prix bas. 38 développés100 ; mais ils mettent en revanche les entreprises de ce pays en concurrence avec les pays émergent qui débutent leur révolution industrielle, au moins pour les produits à faible valeur ajoutée. Or, les autorités entendent doubler le revenu minimum en 5 ans ; les augmentations en 2010 et en 2011 ont avoisiné 15 %. La Chine connaît donc une dégradation de son avantage comparatif dans le secteur manufacturier, très développé, et une délocalisation de celui-ci – notamment des entreprises hongkongaises et taïwanaises, installées dans le Guangdong – vers des zones de production à coût (encore) plus bas, comme le Vietnam. La hausse des salaires industriels a été largement compensée, jusqu’à présent, par la hausse de la productivité. Au total, le coût du travail n’a connu qu’une hausse modique (à l’échelle chinoise). Cette situation est désormais remise en cause, avec une accélération des hausses de salaires et la généralisation des charges sociales, suite à la loi entrée en vigueur le 1 er juillet 2011. Par ailleurs, les coûts du travail ne représentent qu’une part minoritaire des coûts de production. C’est bien l’évolution de l’ensemble de ces coûts qui réduit la compétitivité chinoise. Gains de productivité dans l’économie chinoise et hausse des salaires nominaux et réels Source : Tao Wang. Are wage increases eroding margins in China? UBS Investment research. Macro keys. 25 janvier 2011. 5 pp. (croissance annuelle dans le secteur industriel) L’économie en serait d’autant plus affectée que certains secteurs connaissent une hypertrophie, induite par les biais de la politique publique et en premier lieu le subventionnement des facteurs de production, réduisant leur coût : l’absence de charges sociales et l’application parcellaire du droit conduit à maintenir le coût du travail à un niveau bas, avec une rémunération inférieure à sa productivité marginale. Il en va de même pour le coût du capital – notamment pour les SOE, qui bénéficient d’un crédit subventionné101, à un coût faible, parfois nul voire négatif. Les taux d’intérêt inférieurs au taux de croissance, voire à l’inflation, et le manque d’opportunités alternatives de placements favorisent l’investissement dans les secteurs les plus capitalistiques. 100 Borgonjon J. China in 2011: It’s all about competitiveness. InterChina Insight. InterChina Consulting. 19 janvier 2011. 10 pp. 101 Artus P., Mistral J. & Pagnol V. L’émergence de la Chine : impact économique et implication de politique économique. Conseil d’Analyse Economique. 2011. 204 pp. 39 Le système se complète d’une absence de prise en compte des externalités, permettant un dumping écologique, du fait de l’absence de pénalisation des dégâts environnementaux, et d’une subvention des prix de l’énergie au bénéfice des industries fortement consommatrices. Ce faible coût des facteurs de production améliore la compétitivité-prix des industries et leur ont permis de gagner des parts de marché et de développer encore leur production. Ce cercle vicieux aggrave l’utilisation sous-optimale – à la fois, gâchis et mauvaise allocation – des facteurs de production. L’industrie manufacturière – pilier de la croissance – apparaît ainsi exposée à une baisse de la compétitivité, d’autant que les industries chinoises restent présentes dans des secteurs peu créateurs de valeur ajoutée. Le développement du secteur tertiaire reste en retard sur l’industrie. Le secteur privé est bloqué par des difficultés de financement et la prédominance des SOE, renforcées par les bénéfices qu’elles ont tirés du plan de relance. La pénurie d’employés qualifiés réduit aussi l’adéquation entre l’offre et la demande de travail et handicape la percée de la Chine dans des secteurs à plus haute technologie. La montée en gamme, certes au cœur de la politique industrielle, prendra donc du temps dans nombre de secteurs. La Chine risque donc de peiner à se reconvertir vers des secteurs moins dépendants du cout de la main d’œuvre, alors même qu’elle va perdre sa compétitivité-prix au profit de nouveaux concurrents. Ainsi, il semble que la délocalisation d’industries à faible valeur ajoutée et à forte intensité de main d’œuvre vers des concurrents asiatiques ait commencé102. Le passage de la Chine d’un modèle mercantiliste, amorcé en 1998 jusqu’à la fin des années 2000, à un modèle tiré par la demande interne (qui durerait jusqu’au début des années 2020) semble donc non seulement inévitable ; il est en fait amorcé, tiré par la hausse des coûts de production, la délocalisation des industries de main d’œuvre et une moindre croissance103. Croissance du PIB et Investissement Source : Datastream & Natixis. In: Conseil d’analyse économique (opus cité). (glissement annuel en %). 102 Des discussions avec des entreprises françaises en lien avec ces industries de main d’œuvre du Guangdong confirment cette tendance depuis un an, qui reste toutefois à confirmer sur une plus longue période. 103 Artus P. & Xu Bei. Les trois étapes du modèle de croissance de la Chine. Natixis Flash économie. Recherche économique. 948. 22 décembre 2011, 9 pp. 40 Cette perte de compétitivité serait encore plus ressentie par les entreprises exportatrices. Il est certes abusif de qualifier la Chine d’économie « tirée par les exportations » : en fait, la demande intérieure contribue à l’essentiel de la croissance. Contribution à la croissance chinoise : parts de l’investissement, de la consommation et du commerce Source : CEIC - calculs SE de Shanghai Toutefois, cette demande – investissement et consommation – provient pour partie des besoins des exportateurs (construction d’usines, paiement de salaires, d’impôts, etc.). Ainsi, une réduction de 10 % de la croissance des exportations provoquerait (toutes choses égales par ailleurs) une réduction de 2,5 % de la croissance du PIB. L’effet est particulièrement pénalisant sur les régions côtières tournées vers l’exportation et dont leur activité bénéficie à plein104. 2.1.3. Les inégalités engendrent une perte de croissance potentielle Les pays émergents – y compris lors de la révolution industrielle de l’Europe du 19ème siècle – connaissent souvent, dans un premier temps, une croissance des inégalités. Cette évolution n’est pas forcément néfaste, d’un point de vue économique : les inégalités sont à la base de l’épargne et donc du financement des investissements (en théorie keynésienne notamment). En Chine, les inégalités ont toutefois acquis une telle ampleur qu’elles engendrent des déséquilibres importants : sur le plan géographique, la province la plus riche (Shanghai : 10 540 USD) a un revenu par tête près de dix fois plus élevé que celle la plus pauvre (le Guizhou : 1 270 USD)105 106. Les écarts de revenus, en augmentation, sont source d’une insatisfaction sociale. La mauvaise répartition des richesses est à l’origine du maintien d’une population de travailleurs pauvres et pourrait s’opposer au développement d’une classe moyenne majoritaire, selon la théorie du piège du revenu moyen. Les inégalités deviennent aussi un facteur d’inefficacité : - la propension marginale à consommer étant décroissante avec les revenus, la consommation de la population se réduit avec la hausse des inégalités. Sachant que le 104 Cui L., Shu C. & Su X. How Much Do Exports Matter for China’s Growth ? China Economic Issues. Hong Kong Monetary Authority. 09 (1). Mars 2009. 28 pp. 105 Wu J. & Yang J. China and Taiwan push cooperation. Taiwan financials. BNP Paribas. 15 juin 2009. pp 35. 106 Financial Times. China investors: beware of inequality. 5 juin 2011. 41 taux d’épargne de la Chine est l’un des plus élevée au monde (53,4 % en 2010), le développement des inégalités représente un risque pour la poursuite du développement ; 2.2. - les inégalités ont aussi un effet négatif sur l’efficacité des investissements et entravent le développement de l’initiative privée : les classes moyennes et pauvres n’ont pas accès au crédit pour participer au financement de l’économie à travers l’entrepreneuriat privé ; - la concentration des revenus engendre des comportements illégaux, notamment l’évasion fiscale, qui alimente l’accaparement des bénéfices de la croissance. Une classe de « cols-noirs » s’est développée en Chine. Les revenus non-déclarés atteindraient 10 000 Md RMB107 (30 % du PIB et autant que le revenu officiel des ménages). Les 20 % les plus riches sont crédités des trois quarts de ces revenus illégaux. Sous cette hypothèse, l’écart de revenus entre le décile des plus riches et le décile des plus pauvres passerait de 23 à 65 fois. La combinaison d’une économie d’investissements d’ampleur et de crédits administrés facilite la corruption, à l’origine d’une part importante de ces revenus illégaux. Ses bénéficiaires sont en outre bien placés pour profiter des failles du contrôle des capitaux et pour dissimuler leurs revenus à l’étranger108. L’économie chinoise est exposée à un risque de surchauffe 2.2.1. La bulle immobilière constitue un risque de moyen terme L’immobilier est une activité essentielle à la croissance : les investissements de ce secteur représentent 20 % de la formation de capital fixe. Le secteur immobilier génère 12 % du PIB ; il faudrait toutefois, pour apprécier le poids de ce secteur, rajouter son impact sur d’autres activités : ainsi, 21 % de la production de biens non métalliques, 16 % de celle de métal ainsi que 8 % des activités de transport et de stockage servent à la construction. Le poids du secteur immobilier dans le PIB serait au total plus proche de 25%109. Depuis 1990, la Chine connait une envolée de la construction : le pays a construit entre 120 et 140 millions de logements urbains en 20 ans ; depuis 2000, le prix moyen d’une nouvelle résidence en milieu urbain a cru en moyenne de 9 % par an. Ce développement immobilier en Chine est en phase avec sa croissance, l’évolution de sa population et son exode rural : la population urbaine est constituée de ménages de 2,4 personnes en moyenne, une taille faible pour un pays en voie de développement, due à la politique de l’enfant unique. L’exode rural nécessite le développement de logements d’accueil en ville. Le déséquilibre entre hommes et femmes entraîne aussi une hausse du nombre de logements. Enfin, la durée de vie moyenne d’un logement résidentiel en Chine est de 30 ans vs 132 ans au Royaume Uni110. Le parc immobilier doit donc être renouvelé rapidement, d’autant plus que des ménages qui s’enrichissent cherchent à déménager vers des logements de meilleure qualité, aux normes modernes de confort, en quittant des constructions souvent obsolètes après quelques dizaines d’années. 107 Financial Times. China investors: beware of inequality. 5 juin 2011. 108 Cieniewski S. & Kerchouni S. L’industrie du jeu de Macao, le royaume des excès. Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 34. Mars 2011. p 19-21. 109 Tao Wang. China focus. Bubble or no bubble? The great Chinese property debate. UBS investment research. 25 mars 2011. 18 pp. 110 selon Pan Jiahua, chercheur à l’Académie chinoise des Science sociale (CASS) ; cité par : Economist Intelligent Unit. Building Rome in a day, the sustainability of China housing boom. Juin 2011. 15 pp. 42 Construction de logements résidentiels par tête Source : CEIC database. In : UBS investment research. 25 mars 2011 (opus cité) (m² construits par an) Le fonctionnement du secteur financier contribue à cette hausse des prix de l’immobilier : le manque d’opportunités alternatives d’investissement, le faible cout des taxes d’habitation et la hausse du prix des logements en font un secteur de prédilection de l’épargne des ménages comme des entreprises. Les ménages chinois doivent en effet faire face au sous-développement du marché des capitaux, avec une offre de produits peu diversifiée, et au blocage du compte de capital, qui restreignent leurs possibilités de placement. Ils ont essentiellement à leur disposition le marché boursier – qui a baissé de 60 % depuis son pic en 2008 et dont la volatilité n’inspire pas confiance – et le système bancaire, qui offre un taux d’intérêt bas, voire négatif en 2011 du fait de l’inflation. Les ménages sont donc poussés à investir dans l’immobilier, malgré le faible rendement locatif. Ce phénomène favorise les flux de capitaux vers ce marché, provoquant une hausse des prix, autoentretenue par les anticipations de valorisation, et sans lien avec la rentabilité du bien ; ces conditions sont propices à la création d’une bulle. La logique est similaire pour les entreprises : disposant de près de 40 % du total de l’épargne nationale, elles participent aussi à cette hausse des prix, notamment les SOE, tellement présentes qu’elles se sont vu interdire en 2011 par l’Etat d’intervenir sur le marché immobilier. Le développement, depuis 2010, de placements et de financements alternatifs via les sociétés de trust ou le shadow banking diversifie les opportunités de placement, mais au prix d’un risque mal mesuré mais non négligeable111. En définitive, cette source alternative de financement du marché immobilier permet de contourner en partie le resserrement monétaire, mais contribue ainsi au risque s’instabilité du marché, en accroissant l’endettement des promoteurs. 111 Tao Wang. The Trust Problem. UBS investment research. 23 septembre 2011. 6 pp. 43 Répartition sectorielle des actifs des trusts Source : CBRC, China trust association. In : UBS investment research. 23 septembre 2011 (opus cité) (Md RMB) Enfin, les municipalités sont les premiers moteurs de l’urbanisation, car ils en sont les premiers bénéficiaires. Leur intérêt est multiple : - l’allocation du foncier à des programmes de développement immobilier leur procure des revenus en contrepartie qui, en outre, ne sont pas comptabilisés dans leur budget ; l’urbanisation génère donc une ressource pour financer leurs dépenses de fonctionnement ou d’investissement, avec une large appréciation d’opportunité ; - les municipalités ont intérêt à allouer des parcelles aux industries qui leur procureront des revenus fiscaux. L’objectif de taux d’urbanisation fixé par le gouvernement central est donc appliqué ultra petita par les collectivités, quitte à procéder à des expulsions dans des conditions indécentes de légalité et d’humanité. Le rythme de construction en Chine s’explique donc, en premier lieu, par l’évolution du pays ; cette tendance risque néanmoins d’entraîner des conséquences néfastes si elle se poursuit tel quel. La formation puis l’éclatement d’une bulle immobilière – qui, selon la majorité des analystes, ne s’est pas encore formée – fragiliserait les budgets des municipalités (privées de ressources) et les bilans des banques (non remboursées de leurs prêts au secteur immobilier mais aussi aux collectivités). Elle provoquerait aussi une chute de la production industrielle des secteurs amont (acier, ciment,…). 2.2.2. Une spirale inflationniste pourrait endommager l’économie Le Premier ministre Wen Jiabao a déclaré en mars 2010, à l’issue de l’Assemblée nationale populaire : « L’inflation, ajoutée à une distribution inéquitable du revenu et à la corruption rampante, ce serait assez pour menacer la stabilité sociale et ébranler le pouvoir politique ». Le contrôle de l’inflation est donc un enjeu prioritaire pour le gouvernement. Son impact sur la consommation s’ajoute à la croissance des inégalités pour alimenter le mécontentement. 44 L’impact de l’inflation est accru par la fixité du taux de change RMB / USD : celle-ci engendre non seulement des coûts pour absorber le surplus du compte courant chinois, qui reste l’un des plus élevés au monde (pic de 10,1 % du PIB en 2007, réduit à 5,2 % en 2010) (cf. supra) ; mais aussi, cet ancrage à un niveau sous-évalué accroît le prix des produits importés, alors que la Chine doit faire un recours croissant à l’extérieur pour satisfaire sa demande en matières premières énergétiques, minérales et agricoles. La fixité du change alimente donc l’inflation importée et in fine l’inflation ; celle-ci agit comme une taxe à la consommation des ménages. La consommation est en outre pénalisée par la nécessité de stériliser l’accroissement de la masse monétaire, par une restriction du crédit. Par ailleurs, la sous-évaluation du RMB accroît la compétitivité-prix des exportateurs et les incite à produire davantage. A leur tour, ces exportations génèrent un surplus commercial, alimentant la spirale inflationniste. Les coûts engendrés par cette spirale placent in fine la Chine dans une situation de croissance sous-optimale. Malgré un taux de croissance réel de 10 % en 2009, l’emploi n’a cru que de 1 % ; or, certaines économies génèrent 2-3 % de croissance de l’emploi avec une croissance du PIB de + 3 à + 4 %112. La fixité du taux de change et l’inflation engendrent donc un cercle vicieux de sousconsommation et de sous-développement du marché du travail. La Chine risque de connaître une accentuation de l’effet Balassa-Samuelson 113 : la hausse de la productivité pour les biens d’exportation provoque une hausse des salaires qui se répercute sur l’ensemble des secteurs, y compris celui des biens non échangeables. Cette hausse des salaires engendre une hausse des prix des biens non échangeables et donc une hausse du niveau général des prix. Les chocs de productivité dans les secteurs des biens échangeables, liés à une hausse rapide des salaires réels, impliquent une inflation des prix des produits non échangeables et, du fait du manque de contrôle de l’inflation dans un régime de change fixe, un différentiel d’inflation accru avec le reste du monde et une appréciation du taux de change réel. C’est bien la situation de la Chine actuellement. Hausse des revenus réels en Chine (zones urbaine et rurale) Source : Rothman A. Riders on the storm. Sinology. CLSA. 1 septembre 2011. 6 pp. 112 Straub R. & Thiman C. The external and domestic side of macroeconomic adjustment in China. Banque Centrale Européenne. Working Paper Series. 1 040. 2009. 54 pp. 113 Selon l’effet Balassa-Samuelson, les différences de productivité entre les secteurs des biens échangeables et non échangeables provoquent (en l’absence de coûts de transaction) la baisse des salaires dans les pays à faible productivité et la hausse du niveau des prix dans les pays à forte productivité. 45 L’inflation à 2-3 % qu’a connue la Chine sur la décennie serait, dans ce cadre, anormale. C’est l’inflation actuelle, supérieure à 5 %, qui est cohérente avec la hausse de productivité rapide114 de l’économie chinoise. La forte augmentation de cette productivité entraîne la hausse de l’inflation. L’inflation représente donc un risque majeur et durable pour l’économie, accru du fait de sa politique de change. Bien loin d’être seulement liée à la hausse conjoncturelle des prix alimentaires, elle trouve sa cause dans les biais de l’économie qui trouve là, en quelque sorte, un ajustement à l’ancrage du RMB. La volonté d’accroître la compétitivité, recherchée par la sous-évaluation du taux de change, est ainsi remise en cause. Ainsi, si l’appréciation du RMB par rapport à l’USD a été de 20 % depuis 2005, son appréciation réelle a atteint 50 %. Au total, cette politique est non seulement inefficace à atteindre son but ; elle entraîne aussi des effets pervers. Accroissement de la productivité chinoise Source : Narain M. & Nicolas M. (opus cité) 2.2.3. Le surinvestissement risque de provoquer une surchauffe de l’économie La Chine a mené en 2009 une relance de sa croissance par le crédit et l’investissement : 150 000 projets ont été engagés ; au 1er trimestre 2010, les investissements publics en cours avaient atteint 28 000 Md RMB, soit plus de 80 % du PIB115. Certaines provinces, comme le Hubei, ont connu des investissements en infrastructures sur 3 ans qui ont atteint 600 % de leur PIB. Au total, la Chine est le 1er investisseur mondial, égal à 2 400 Md USD en 2009 (48 % du Pib), supérieur aux États-Unis (2 000 Md USD - 14 % du PIB) et de niveau comparable à celui de l’ensemble de l’Union européenne 114 Narain M. & Nicolas M. CNY – The value of productivity. Standard Chartered. FX Alert – Chinese yuan. 30 mars 2010. 6 pp. 115 Mistral J. La réorientation de la croissance chinoise, sa logique, ses enjeux et ses conséquences. Notes de l’IFRI. IFRI – Centre des études économiques. Mars 2011. 38 pp. 46 (2 900 Md USD - 18 % du PIB). Entre 2001 et 2010, l’investissement a contribué en moyenne pour 5,5 pb à la croissance annuelle de l’économie116. Cet effort correspond certes à un besoin de la Chine : le pays reste en effet sous-équipé : - au regard de sa population : en 2008, le stock d’investissement per capita était de 8 125 USD en Chine, vs 183 692 USD aux Etats-Unis et 174 426 USD au Japon ; une poursuite du développement des infrastructures sera donc nécessaire pour satisfaire les besoins de sa population117 ; - par rapport à son stade de développement : le stock d’investissement / PIB était de 2,5 en Chine, de 3,1 aux Etats-Unis et 4,5 au Japon. A nouveau, la Chine devra poursuivre son effort d’équipement pour éviter qu’un manque d’infrastructures pénalise sa croissance118. Les sommes investies pour le développement de ces infrastructures publiques ont toutefois une contrepartie : elles font dépendre la croissance des provinces et de leurs entreprises à un flux exogène de ressources, car les sommes proviennent le plus souvent de transferts du gouvernement central. Cet effort constitue aussi un facteur de retard dans la mise en œuvre d’une libéralisation et d’une évolution du modèle de croissance en faveur d’une économie de la demande. Le système bancaire risque d’être déstabilisé par une attribution des crédits à des investissements publics d’une telle ampleur. Une mauvaise allocation conduit à des investissements à rendement plus faible que celui escompté ; elle engendre un risque de défaut de remboursement et de prolifération des NPL. Déjà, entre 1999 et 2006, 325 Md USD de NPL avaient dû être transférés à des structures de défaisance (assets management companies), sous la tutelle du Ministère des Finances119. En 1999, les créances douteuses représentaient 36 % du total des créances, vs 1,6 % en 2009 ; la sincérité du ratio de NPL fait toutefois débat, du fait de possibles effets d’habillage, en particulier avec des transferts temporaires de créances sur des structures ad hoc. A plusieurs reprises, le régulateur a mis en garde les banques contre les risques liés au secteur immobilier120 et aux prêts 116 Sun M. & Bradbury C. An emerging superpower or a super bubble. China in 2011-2020. Daiwa Capital Markets. Economy / China. 2 mai 2011. 60 pp. 117 A cet égard, les remarques selon lesquelles la Chine surdimensionne ses infrastructures (aéroports, ferroviaire, etc.) conduisant à des structures vides (cf. par ex. Roubini N. Le pari que la Chine va perdre. Project Syndicate. 14 avril 2011) est discutable : d’une part, un grand nombre de ces infrastructures, notamment dans l’intérieur, marquent par leur qualité et leurs proportions plutôt adaptées ; d’autre part, ces infrastructures ne sont pas construites pour répondre aux besoins présents, mais à ceux d’un pays qui, en 5 à 10 ans, verra une augmentation très forte de leur fréquentation ; sans parler de la nécessité de faire face à des pics d’activité, comme les migrations du Nouvel an chinois l’imposent aux transports (235 M. de passagers par train, 2,8 Md de voyages sur route, 35 M. de voyages par avion en 3 semaines. Source : China Daily. 16 janvier 2012). 118 Il est ainsi prévu que, d’ici 2025, la Chine ait 15 villes de plus de 15 millions d’habitants, plus de 200 villes de plus d’un million, 170 villes supplémentaires équipées de métros, et construise 40 Md m² de logements supplémentaires, pour faire face à son urbanisation. Boyd M. China’s search of a new comparative advantage. The Economist. Présentation à la Chambre de commerce européenne (EUCCC). novembre 2011. 15 pp. 119 Guillemin A., Yannitch J.P. & Marin Y. Que sont devenues les créances douteuses chinoises ? Notes de la Mission économique. Services économiques de la France en Chine. Septembre 2008. 21 pp. 120 La pression des autorités se renforce, notamment pour tarir le financement via les trusts, comme l’illustre l’interdiction de ce mode de crédit à Greentown, le promoteur coté à Hong Kong le plus endetté : sur ses 34,6 Md RMB de dettes (dont 20 % de moins d’un an de maturité), 5 Md RMB proviennent des trusts. Source : Reuters. Analysis: Greentown woes reveal risks in China property boom. 27 septembre 2011. 47 accordés aux gouvernements locaux. La baisse de la demande extérieure et le ralentissement de la croissance de la consommation, pénalisée par l’inflation, aggravent le risque de surcapacité des SOE, de manque de rentabilité des investissements publics et de difficultés pour les entreprises. Les autorités ont tenté de parer à ce risque en procédant à un resserrement progressif, mais de plus en plus marqué, de la politique monétaire pour limiter l’offre de crédit, à partir du 20 octobre 2010 : le taux de réserve obligatoire et les taux d’intérêt de dépôt et d’emprunt ont été augmentés ; des quotas de crédit ont été réinstaurés. Ce sevrage peine toutefois à s’incarner dans les faits, tant l’économie chinoise est dépendante des apports en crédits nouveaux. Face à ce resserrement et à l’encadrement du crédit, les banques ont développé des modalités de financement parallèle, si bien que l’offre de crédit à l’économie est en fait près de deux fois supérieure aux prêts alloués. En définitive, même après la fin du plan de relance, la hausse de liquidités reste très importante (en août 2011, M 2 avait encore augmenté de + 13,5 % sur un an). Les autorités se doivent donc de conduire un pilotage entre surchauffe et emballement du crédit d’une part, et risque d’atterrissage brutal, générateur d’une crise bancaire d’autre part, avec des instruments de contrôle du système financier dépassés. En définitive, le système bancaire et de crédit se montre de moins en moins à même d’assurer un financement efficace et à risque contrôlé. Principaux facteurs explicatifs des difficultés financières des entreprises Source : Coface (Chine & Inde). In : Conseil d’analyse économique (opus cité). (réponse unique, en %). Le système bancaire est menacé par l’excès de liquidités. Les quotas de crédits accordés par les autorités monétaires sont trop faibles pour répondre à la demande des entreprises, notamment des PME, qui se voient discriminées au profit des SOE. Ces restrictions encouragent la réapparition du shadow banking, à des taux élevés voire usuraires, réduisant la rentabilité de l’investissement et grevant les bilans des entreprises. A l’inverse, l’emballement de l’investissement public et privé risque de créer une surchauffe de l’économie, en cas de choc de demande, entraînant en retour une crise du système bancaire chinois et, bouclant la boucle, une chute de l’offre de crédit dangereuse pour une économie qui en est si dépendante. 48 Le développement de cette finance informelle a été illustrée par les faillites à Wenzhou – ville parangon de l’économie privée chinoise, dans le Zhejiang : la restriction du crédit a poussé des entrepreneurs privés à emprunter soit à d’autres entreprises disposant de liquidités, soit à des prêteurs informels. La demande de trésorerie des emprunteurs comme, parfois, leur comportement de spéculation immobilière ou d’usure, rencontrait le souhait des prêteurs de placements plus rémunérateurs que les dépôts bancaires, à un taux inférieur à l’inflation. Le ralentissement du marché immobilier et de certaines activités économiques, dont l’exportation, ainsi que le resserrement monétaire, sont venus enrayer ces circuits et précipiter les défauts de remboursement, les faillites, les fuites précipitées et les suicides. A cette occasion, la dette informelle a été estimée à un montant entre 2 000 et 4 000 Md RMB (équivalent à 7 % du crédit bancaire et à 10 % du PIB)121. Les déclarations catastrophistes sur la solvabilité des collectivités locales, voire sur la dette publique chinoise, semblent néanmoins hors de propos : en ce qui concerne les collectivités, leur dette sera largement reprise par l’Etat : ces dettes ont été contractées sur son injonction122 (même si des dérapages ont été constaté, qui pourraient être sanctionnées, ne serait-ce que pour l’exemple). Par ailleurs, une grande part des revenus des collectivités locales provient de ressources transférées par l’Etat (pour une part estimée entre 18 % et 28 %123, voire à 37 %124). Evolution des revenus et des dépenses des collectivités locales chinoises Source : Guonan Ma & Wang Yi. China’s high saving rate: myth and reality. BRI Working Papers. 312. 29 pp. juin 2010. (en % du PIB ; les données de 1982 à 2001 sont des moyennes sur 5 ans) 121 Tao Wang. Is Wenzhou China’s first domino? UBS investment research. Macro Keys. 11 octobre 2011. 7 pp. L’affaire a eu un tel retentissement et la crainte d’une contagion a été si forte que le Premier Ministre s’est déplacé en personne, accompagné des directeurs de la PBoC, de la CBRC, de la NDRC et du Ministère des finances, ainsi que d’équipes d’experts. Il a annoncé la prise de mesures pour contingenter le risque de défaut et alléger les charges des entrepreneurs privés. 122 Rothman A. & Zhu J. Food, flats and the party. Framework for understanding China. Sinology. China strategy. CLSA. Mai 2011. 46 pp. 123 Combal-Weiss V. Les collectivités locales en Chine. Services économiques de la France en Chine. Juillet 2009. 113 pp. 124 Tao Wang & Hu H. Local government finances and land revenue. UBS Investment research. Asian Economic perspectives. 24 février 2010. 9 pp. 49 Cette dynamique d’endettement est entretenue par les spécificités des finances publiques locales : les collectivités sont confrontées à un « effet ciseaux » imposé par l’Etat, entre des recettes centralisées et des dépenses croissantes, du fait de transferts de responsabilités. La différence est couverte par les transferts du budget central (d’un montant équivalent à celui des revenus budgétaires) lui permettant de mettre – en théorie – les collectivités sous tutelle financière. Les collectivités ont alors développé des ressources propres, par des moyens de légalité douteuse mais rémunérateurs. La vente de terrains constitue la principale de ces ressources, d’autant plus appréciée qu’elle permet un usage opaque et quasi-discrétionnaire. Ce transfert de charges que l’Etat a imposé aux collectivités, les forçant à s’endetter (alors qu’elles n’en ont officiellement pas le droit) ne peut se concevoir qu’avec une remontée des dettes au niveau central, en cas de besoin. 125 Quant à la solvabilité de la dette souveraine, celle-ci, à 91,7 % d’origine interne, doit être mise en regard des actifs publics, évalués en 2010 à 4 200 Md USD (100 % du PIB) 126. La seule participation de l’Etat dans les SOE (50 % au minimum) représente 35 % du PIB ! Au total, la dette publique chinoise est estimée au plus à 72 % du PIB, dont 37 % pour les collectivités locales127. Ce niveau reste donc acceptable pour un pays dont la croissance nominale est supérieure à 15 % par an. Plus inquiétant est le fait que les erreurs du passé (augmentation, puis défaisance des NPL dans les années 1990) n’ont pas été corrigées ; que le mécanisme d’endettement, notamment au niveau des collectivités locales, n’est pas rationnel ; et que le régulateur ne contrôle pas l’offre de crédits (ni son risque, ni son rendement, ni son volume). 2.3. La dégradation de l’environnement aura de lourdes conséquences 2.3.1. Une dépendance croissante aux sources d’énergie d’origine fossile La croissance de la Chine nécessite d’importantes ressources énergétiques ; son modèle industriel est consommateur d’électricité. Or, la production chinoise ne suffit pas à couvrir ses besoins ; la Chine a dû importer 54 % de ses besoins en pétrole en 2010 ; cette dépendance devrait passer à 60 % en 2015128, au grand dam d’autorités soucieuses de sécuriser un approvisionnement le plus autonome possible des vicissitudes internationales. Les pénuries d’électricité survenues à l’été 2010 illustrent le besoin de poursuivre l’installation de nouvelles capacités énergétiques et d’en diversifier l’origine. Les ressources présentes sur le territoire chinois seront de plus en plus insuffisantes pour subvenir à ses besoins croissants. Le développement de ces besoins, pour un pays de la taille d’un continent et doté d’1,3 milliard d’habitants, impacte les équilibres mondiaux et engendre une hausse du prix mondial des énergies fossiles. Les pays en voie de développement sont les plus impactés par cette hausse, du fait d’une croissance davantage fondée sur l’industrie ; les 125 Lafarguette R. & Blanc F. La dette des collectivités locales : une décentralisation fiscale insuffisante Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 41. Décembre 2011. p 4-8. 126 Liu Yihui (directeur à l’Académie chinoise des Sciences sociales (CASS)), comm. pers. in : Mongrué P. Complément A : La politique de relance chinoise : son financement, ses implications. p 165-198. 23 mai 2011. In : Artus P., Mistral J. & Pagnol V. L’émergence de la Chine : impact économique et implication de politique économique. Conseil d’Analyse Economique. 2011. 204 pp. 127 Green S. China – Solving the local government debt problem. Standard Chartered. Global research. 18 juillet 2011. 22 pp. Wei Y. No painless end for China’s debt addiction. The Economic News. Société générale cross asset research. 27 juillet 2011. p 1-3. 128 China Daily & Beijing Times. d’après un rapport de la China Energy Research Society. 29 novembre 2011. 50 pays de l’OCDE, où la part des services est plus importante ou qui ont développé des sources d’énergie alternative (nucléaire en France, solaire en Espagne et en Allemagne) sont mieux à même d’y faire face et de renforcer leur compétitivité. L’agence internationale de l’énergie a envisagé trois scénarios d’évolution des émissions de CO2 en Chine, sur le fondement de l’évolution de sa politique énergétique et environnementale : i) une poursuite de la politique et de la situation actuelles ; ii) la mise en place de nouvelles politiques visant à une baisse de l’intensité carbone et à un rééquilibrage de l’économie vers les services ; iii) un scénario « 450 » fondé sur une réduction importante de l’utilisation des énergies fossiles et une baisse de 45 % de l’intensité carbone d’ici 2020 (objectif du plan). Dans le scénario médian ii), 58 % de l’augmentation des émissions mondiales de CO2 d’ici 2035 proviendraient de la seule Chine. A cet horizon, ses seules émissions dépasseraient celles de l’ensemble des pays de l’OCDE129. La situation est similaire pour les ressources minières et agricoles. La Chine développe ses importations de minerais ou en limite l’exportation, au risque de se mettre en contradiction avec ses engagements internationaux ; sa condamnation à l’OMC, fin 2011, est venue sanctionner cette pratique. La sécurisation de l’accès aux ressources à l’international – axe majeur de sa diplomatie et de ses investissements à l’étranger – se heurte à des difficultés (tensions avec l’Australie sur les approvisionnements en fer ; départ de Libye lors pu Printemps arabe de 2010-2011) et suscite les craintes de ses partenaires. Les vicissitudes de ce développement forcené n’apparaissent donc pas à même de lui garantir la satisfaction de ses besoins futurs ; ce blocage serait exacerbé en cas de tensions internationales, si ses voies d’approvisionnement étaient interrompues. Consommation énergétique de la Chine Source : Conseil d’analyse économique (opus cité). (millions de tonnes-équivalent pétrole (tep). Sur le plan intérieur, la Chine cherche à circonvenir la hausse des couts de l’énergie par des subventions publiques ; cette politique n’est toutefois pas durable ni pour les finances publiques, ni pour l’industrie. La hausse des coûts des intrants et sa dépendance aux énergies fossiles risquent alors de réduire sa compétitivité et de remettre en cause sa croissance. Sa politique mercantiliste ne constitue pas une solution à même de surmonter le défi énergétique auquel le pays fait face. Ainsi, les pénuries d’électricité que la Chine a connues en 2011 pourraient perdurer en Chine en 2012, avec 129 Service de coopération et d’action culturelle. Fiche environnement Chine. Ambassade de France en Chine. 2011. 16 pp. 51 un déficit de capacité de production estimé à 40 GW130. Pourtant, la part des énergies non-fossiles dans le mix énergétique s’est accrue à 9,4 % en 2011 (vs 8,7 % en 2010131). 2.3.2. Les risques pour l’environnement national, régional et mondial La dégradation de l’environnement a des conséquences désastreuses pour la population et l’économie. Pour reprendre les termes du Service de coopération de la France en Chine : « La pollution de l’air dans les villes est devenue un problème de santé publique : la Chine compte 13 des 20 villes les plus polluées au monde. La pollution contribue à une augmentation des maladies respiratoires, des cancers et des malformations congénitales. Selon la banque mondiale, 750 000 décès par an seraient dus à des maladies respiratoires. Les cancers du poumon, dont 70 à 80 % seraient attribués à la pollution atmosphérique, sont devenus la première cause de mortalité à Pékin, selon les autorités chinoises. L’impact économique et social de ces difficultés écologiques n’est pas non plus négligeable : 51 000 manifestations (soit 1 000 par semaine environ) ont eu lieu en Chine en 2005 sur le thème de la pollution. Le coût économique de la dégradation de l’environnement serait par ailleurs de 3 % du PNB annuel (selon le Ministère de la Protection de l’environnement) (jusqu’à 8 à 12 % selon d’autres estimations). » La croissance de la pollution a aussi des effets régionaux. La Chine est déjà responsable de 50 % des émissions de SO2 responsables des pluies acides sur le Japon ; la pollution chinoise se fait ressentir jusqu’en Californie. Les rejets de l’industrie polluent les mers régionales et détruisent les stocks de poissons. La construction intensive de barrages engendre des problèmes d’alimentation en eau pour les pays voisins de la Chine. « Le plateau tibétain, considéré comme le « château d’eau de l’Asie » et qui occupe un quart du territoire chinois (1,6 M. km²), alimente les grands fleuves du continent (fleuve jaune, Yangtsé, Mékong, Salween, Indus, Gange, Brahmapoutre). Sur le long terme, la hausse des températures augmentera les inondations pendant la saison des pluies et diminuera les précipitations pendant la saison sèche, ce qui pourrait affecter la production alimentaire des populations qui dépendent des grands fleuves d’Asie, soit 1 milliard de personnes en Chine, dans le sous-continent indien et en Asie du Sud-est continentale. Ce phénomène sera d’autant plus accentué que l’Asie est déjà le continent disposant du moins d’eau douce (3 920 m3 par personne)132. » 2.4. Les conséquences d’une croissance démographique non contrôlée 2.4.1. La transition démographique entraîne le vieillissement de la population La transition démographique de la Chine est rapide, plus encore que celle de ses voisins asiatiques. La France a mis 115 ans à effectuer sa transition ; la Chine mettra environ 20 ans pour 130 China Daily. 7 février 2012. Selon le China Electricity Council. La consommation d’électricité atteindrait 5 140 TWh (+ 9,5 % par rapport à 2011), 85 GW de capacités supplémentaires de production électrique devraient être installées en 2012 ; la Chine devra aussi améliorer ces capacités de production de charbon et accroître ses importations. 131 China Daily. 10 février 2012, selon l’Administration nationale de l’énergie. Et malgré une restructuration du mix énergétique ralentie du fait du nucléaire, suite à l’accident de Fukushima, et d’une baisse de 3,5 % de l’hydroélectricité (662 TWh). Ceci a provoqué un recours accru aux centrales thermiques dont la production a progressé de 14,4 % (3 897 TWh). La part des énergies non-fossiles dans le mix énergétique devrait atteindre ème 11,4 % en 2015, au terme du 12 plan quinquennal. 132 Service de coopération et d’action culturelle. Fiche environnement Chine. Ambassade de France en Chine. 2011. 16 pp. 52 passer d’une population jeune à une population âgée, sous l’effet de la politique de l’enfant unique ; celle-ci, qui a empêché près de 300 millions de naissances, est responsable de cette transition accélérée. Ce vieillissement est une conséquence du déclin rapide de la mortalité et du déclin, encore plus rapide, des naissances. La population chinoise devrait atteindre son maximum en 2026 avec 1,4 milliard d’habitants. Entre 2000 et 2020, la population âgée de 60 ans et plus va augmenter de près de 7 millions de personnes par an (+ 3,3 % par an vs + 0,66 % pour la population totale). Les seniors seront 400 millions (30 % de la population) à l’horizon 2050, avec une part croissante des personnes plus de 80 ans133. Ce ralentissement procède donc de déterminants démographiques à l’inertie forte, mais aussi de facteurs sociaux qui viennent s’y ajouter : les économies développées d’Asie (Japon, Corée, Hong Kong et Taïwan) n’ont pas connu de politique de l’enfant unique ; elles ne figurent pas moins parmi les pays à la plus faible natalité au monde, du fait de choix individuels ou familiaux aboutissant à restreindre le nombre d’enfants. C’est ce qui est en train de se produire en Chine : au-delà des contraintes réglementaires, la majorité des couples urbains – et sans doute une partie des couples ruraux – n’envisagent pas d’avoir plus d’un enfant, du fait du coût élevé pour éduquer celui-ci (logement, santé, éducation…) et des sacrifices que ce choix impose aux ménages. Les actions mises en œuvre par le gouvernement pour inverser les effets de la politique de l’enfant unique sont limitées. Déjà, l’échec d’autres économies asiatiques a montré la difficulté des politiques à relancer la natalité. Ainsi, Taïwan détient depuis 2010 le record de la plus faible natalité, avec moins d’un enfant par femme ; Hong Kong se situe juste derrière. De manière générale, peu de pays ont réussi à mettre en place une politique nataliste efficace – la France faisant figure d’exception remarquable et disposant ainsi d’un potentiel de croissance accru. L’expérience de Shanghai, qui a abandonné fin 2009 la politique de l’enfant unique, reste peu convaincante134. Evolution de la taille de la population chinoise Source : PNUD ; calculs: Service économique de Hong Kong et Macao. (millions). 133 Durand-Drouhin J.L. Le vieillissement de la population chinoise, ses conséquences et les nécessaires adaptations de la société. Ambassade de France en Chine. 2008. 4 pp. 134 Durand-Drouhin J.L. Le vieillissement de la population chinoise, ses conséquences et les nécessaires adaptations de la société. Ambassade de France en Chine. 2008. 4 pp. 53 De fait, l’encadrement imposé par la politique de l’enfant unique ne concerne plus que la moitié de la population seulement, suite à divers assouplissements : aujourd’hui, la majorité de la population (les paysans ; les minorités ethniques ; les couples divorcés ou formés d’enfants uniques ; les ressortissants du Guangdong et de Hainan) est autorisée à avoir 2, voire 3 enfants. Par ailleurs, alors que nombre de politiques publiques génèrent débats et réflexions en Chine, ce thème semble faire l’objet d’une absence de remise en cause de la part des autorités. Il existe une sorte de tabou qui obère toute politique nataliste, sans parler d’une ouverture à l’immigration – dont les effets ne pourraient être, en tout état de cause, que limités pour un pays aussi vaste que la Chine. 2.4.2. Le vieillissement de la population constituera un handicap pour la croissance Le dividende démographique qui suit un baby-boom vient de la formation d’une génération plus nombreuse qui apporte son dynamisme au marché du travail. Le ralentissement démographique constitue la situation inverse : il va effacer les rebonds successifs de natalité qu’a connus la Chine de telle sorte que les nouvelles cohortes en âge de travailler ne compenseront plus les départs en retraite. Cette absence de remplacement entraînera une hausse du ratio de dépendance (ratio entre la population en âge de travailler (15-64 ans) et la population inactive). La population active va subir une hausse des coûts à supporter pour prendre en charge, d’une manière ou d’une autre (couverture sociale ou dépenses privées), ces personnes dépendantes, réduisant ses revenus et augmentant sa précarité. La baisse de la population en âge de travailler va aussi pénaliser l’activité économique, avec l’apparition de pénuries de main d’œuvre ou l’accroissement des coûts du capital appelé à s’y substituer (par la robotisation, à l’instar du Japon). La hausse du ratio de dépendance mettra sous pression le système de retraites. L’âge de départ à la retraite est en moyenne de 65 ans même si ce chiffre cache la forte inégalité entre ruraux et urbains et entre les statuts – plus ou moins protégés – d’emploi. Les retraités citadins perçoivent 60 % de leurs revenus de fonds publics vs 55 % dans les campagnes. En 2008, seuls 17 % des migrants étaient officiellement couverts. Or, la Chine présente un exemple unique de pays où le vieillissement de la population a lieu « trop tôt ». Il existe en effet une corrélation entre le degré de richesse d’un pays et le degré de vieillissement de sa population. Sur 115 pays, la Chine se classe au 50ème rang en termes de vieillissement, alors que son PIB par tête pointe seulement au 73ème rang135. En résumé, la Chine, à la différence de ses prédécesseurs asiatiques ou des économies occidentales, risque « de devenir vieille avant de devenir riche ». La Chine se retrouve ainsi confrontée au « tournant de Lewis » : tout d’abord, la baisse de la part des 15-24 ans (classes d’âge arrivant sur le marché du travail) dans la population met peu à peu un terme à l’offre de travail élastique (1ère bifurcation de Lewis). A partir de 2030 (voire même dès la décennie 2010), une baisse de la population active est prévue (2ème bifurcation). Ce tournant démographique entraîne l’épuisement de la réserve de main d’œuvre issue des secteurs traditionnels à faible productivité. Toutefois, le maintien d’une forte population agricole procure encore à la Chine des réserves de population migrante issue des campagnes, où l’agriculture gagne en productivité per capita. L’épuisement de cette main d’œuvre rurale et des tensions accrues sur le marché du travail se feront néanmoins sentir rapidement non seulement pour la main d’œuvre non qualifiée – elles ont 135 Artus P., Mistral J. & Pagnol V. L’émergence de la Chine : impact économique et implication de politique économique. Conseil d’Analyse Economique. 2011. 204 pp. 54 débuté dès 2004 – mais aussi pour la main d’œuvre moyennement (tournant en 2013) et hautement (tournant en 2019) qualifiée136. Ratio de dépendance 70 dépendance des retraités (>65 ans) dépendance des jeunes (<14 ans) 60 dividence démographique 50 40 30 20 10 0 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050 Source : SE de Hong Kong et de Macao. Les implications macroéconomiques du ralentissement démographique chinois, 2011. (% des 15-64 ans) La pénurie de demande de travail dans les zones côtières, ou tout du moins les tensions sur le marché de l’emploi, procède aussi d’une autre cause : ces zones offraient, jusqu’à peu, les principales opportunités pour les mingong désireux de rechercher un travail ; ils quittaient leur province rurale pour aller s’employer dans les grands bassins d’emploi des deltas du Fleuve jaune, du Yangtsé et de la Rivière des Perles. A la fin des années 1990, la Chine a instauré une politique d’aménagement territorial visant à rattraper le retard des provinces de l’intérieur : celles-ci bénéficient d’incitations fiscales à l’installation et de budgets publics pour le développement de leurs infrastructures. Cette politique du « Go West » fait sentir ses effets à partir de 2005, lorsque la croissance de ces provinces dépasse celle des zones côtières, où les coûts de production s’accroissent. En conséquence, les mingong trouvent un emploi dans leur province d’origine, sans perdre ni leurs réseaux, ni leurs avantages sociaux, dans des villes où le coût de la vie est moindre qu’à Shanghai, Canton ou Pékin. Cette évolution réduit les flux de main d’œuvre vers les zones côtières et y accroît les difficultés de recrutement. 2010 a été l’année charnière de la perte du dividende démographique en Chine avec, pour la première fois, une augmentation de la population active et une contribution à la croissance quasiment nulles. Toutes choses égales par ailleurs, le ralentissement démographique devrait entraîner la perte de 2 points de croissance annuelle pour la décennie 2010 (dont 0,3 point uniquement via la disparition du dividende démographique137) par rapport à la décennie 2000, soit une croissance potentielle abaissée de 9,5 % à 7,5 % environ. Au-delà de 2020, l’effet récessif ira en 136 Deloitte. Where is China’s manufacturing going? Deloitte China manufacturing study 2011. Deloitte China Research and Insight Centre. Novembre2011. 32 pp. 137 Service économique de Hong Kong et de Macao. Les implications macroéconomiques du ralentissement démographique chinois. 2011. 55 s’aggravant, retirant jusqu’à 4 points de croissance sur la décennie 2030-2040138. La Chine amorcerait alors la 3ème étape de son modèle de croissance, marquée par le vieillissement démographique139, entraînant également une baisse du taux d’épargne et un déficit extérieur. Contribution démographique à la croissance du PIB 2,5 2 1,5 croissance relative de la population en âge de travailler croissance de la population contribution totale de la démographie 1996-2005 1 2011-2020 0,5 0 -0,5 -1 Corée du sud Japon Chine Inde Source : SE de Hong Kong et de Macao. Les implications macroéconomiques du ralentissement démographique chinois, 2011. (% par an, moyenne sur la période) 2.5. Les inégalités économiques pourraient mettre en cause la stabilité sociale 2.5.1. L’insatisfaction face aux inégalités constitue une source d’instabilité Depuis les suicides chez Foxconn (une filiale du Taïwanais Honhai), en 2010, les tensions sociales sont apparues comme une menace pour la stabilité. Foxconn, qui emploie plus d’un million de salariés au monde, a fondé son développement sur le faible coût de la main d’œuvre, comme beaucoup d’usines en Chine, et les cadences soutenues imposées à ses employés. Or, les entrepreneurs, peu habitués à la contestation, font face à des négociations dures de la part des salariés. Pour cause, le statut des ouvriers a évolué depuis le début des réformes, en 1979. Les ouvriers disposaient alors d’un statut public, avec un emploi faiblement rémunéré, mais stable. La libéralisation a bouleversé ce paradigme du « bol de riz en fer » ; mais le modèle social mis en place s’est accompagné d’une croissance des inégalités et d’une baisse de la part des salaires dans le PIB, en recul depuis 1983 et plus encore depuis 2000. Si la rémunération des salariés s’accroît, ceux-ci doivent également faire face à des dépenses précédemment prises en charge par l’Etat (même pour des prestations de piètre qualité), en matière de logement, d’éducation et de santé (les « trois montagnes »). Les ouvriers, notamment, sont maintenant employés par des entreprises à mode de fonctionnement privé (même pour les SOE), étrangères ou chinoises, soumises à la concurrence internationale. Leur rémunération est proche de celle de salariés d’un pays du tiers monde, alors que le PIB par tête en Chine avoisine celui des pays d’Europe de l’Est. Le rythme de travail s’est aussi accru, comme le traduit la hausse de productivité. 138 Peng X. Macroeconomic consequences of population ageing in China. Journal of Population Research. 2006. 139 Artus P. & Xu Bei. Les trois étapes du modèle de croissance de la Chine. Natixis Flash économie. Recherche économique. 948. 22 décembre 2011, 9 pp. 56 Une révolution des mentalités s’ajoute à cette évolution économique : les nouvelles générations d’ouvriers sont celles des enfants uniques ; souvent issus des campagnes, leur migration urbaine représente une sorte de promotion sociale. Ils sont conscients du développement de leur pays et témoins des inégalités criantes. Ils désirent davantage de bien-être matériel, ne se contentant plus, par exemple, de dormir dans des dortoirs collectifs, comme leurs aînés. Ils veulent faire valoir leurs droits, et notamment ceux conférés par la nouvelle loi du travail entrée en vigueur en 2008 et qui établit un droit assez similaire – dans les textes – au corpus français : représentation syndicale, contrat de travail obligatoire, négociation des rémunérations, etc. Le succès des grèves de 2010 et de 2011 a conforté cette attente d’une évolution de leur condition. La situation tendue du marché du travail dans les zones côtières renforce leur pouvoir de négociation. Un rapport de force favorable aux employés s’y met progressivement en place. Emergence de la classe moyenne chinoise Source : Borgonjon J. China in 2011: It’s all about competitiveness. (opus cité). Classe moyenne: revenu disponible 4 000-12 000 USD / an ; classe moyenne aisée & au-delà : revenu disponible > 12 000 USD / an Les conditions de travail ne sont pas les seules sources de mécontentement. Les inégalités indisposent une population de mieux en mieux éduquée, désireuse d’un partage plus équitable des fruits de la croissance et lassée de voir les rejetons de la nomenklatura obtenir des postes plus rémunérateurs d’où leur enfant est évincé. Les scandales venant des « riches de seconde génération » se heurtent aux valeurs du socialisme de marché comme aux attentes d’une classe moyenne en voie de constitution (elle passera de 200 millions en 2010, à 600-700 millions de personnes en 2020) et remettent en cause l’ascenseur social chinois. La prévalence de la corruption, les remises en cause de la propriété à l’occasion des évictions, les dégâts de la pollution ou des accidents alimentaires (crise du lait contaminé à la mélamine et autres) comme … la prolifération des golfs auraient provoqué 180 000 incidents sociaux en 2010, soit 10 fois plus qu’en 2000140. Plus encore, l’insatisfaction qui s’exprime sur les blogs est communément d’une rare violence à l’encontre des autorités, notamment locales. Le gouvernement central tente de s’appuyer sur ces revendications pour faire avancer des réformes se heurtant aux intérêts locaux. Cette situation 140 Wall Street Journal. Unrest Grows as Economy Booms. 26 septembre 2011. 57 nourrit le risque d’une remise en cause du modèle économique, mais aussi social, si ces attentes ne trouvent pas de réponse au cours de la décennie 2010. 2.5.2. Le risque de dégradation de la santé Depuis les réformes des années 1980, le gouvernement a démantelé le service public de santé. 75 % des ruraux et 45 % des citadins sont estimés ne pas avoir accès à des soins suffisants141. La crainte d’un accident de santé vient en tête des préoccupations des Chinois. Les scandales de patients mourant à la porte d’un hôpital par faute de ne pas pouvoir payer la prise en charge, ou « d’incitations », sous forme « d’enveloppes rouges » (hongbao) à remettre au médecin traitant, alimentent l’inquiétude et le mécontentement. Cette libéralisation des soins se heurte à la fois à une nostalgie de l’ancien système communiste où les soins étaient gratuits (bien que limités) et aux attentes, là encore, de la classe moyenne. Le désengagement de l’Etat de la sphère sociale ne correspond plus au développement actuel et à venir de la Chine, encore moins dans un contexte d’accroissement des inégalités. Financement des dépenses des soins de santé Source : Ministère de la Santé. In : Sinclair J.A.C. China’s healthcare reform. Our prognosis for multinational healthcare players. InterChina Insight. InterChina Consulting. mai 2009. 19 pp. Malgré les progrès de la médecine en Chine (où des opérations à cœur ouvert sont régulièrement pratiquées), une partie de la population peut encore mourir d’un abcès mal soigné. La Chine pointe au 144ème du classement de l’OMS, derrière le Burundi ! Cette marchandisation de la santé provoque une dégradation du niveau sanitaire nuisible à la croissance économique : l’état général de la population en pâtit, du fait du développement des endémies. Les populations exposées au risque d’un accident de santé, comme les mingong, développent une épargne de précaution qui pénalise la consommation. La régression sanitaire touche donc une population industrieuse à la base de la croissance et constitue l’un des facteurs de risque du « piège du revenu moyen ». 141 Conseiller pour les Affaires Sociales. La Santé en Chine. Ambassade de France en Chine. 2011. 63 pp. 58 Le développement de maladies infectieuses, notamment au sein des populations défavorisées, ainsi que de maladies non transmissibles (diabète, cancer, obésité, hypertension…) dues aux évolutions du mode de vie, constituent un risque. La pollution de l’eau, de l’air ou des nutriments propage d’importantes maladies et rend d’autant plus indispensable de reconstituer une couverture sociale assurant la santé pour tous. Durant ces dernières années, des scandales alimentaires, graves et souvent mortels (au moins six enfants morts et 300 000 malades lors de la crise du lait à la mélamine), se sont produits ; les réformes du système sanitaire, telles la loi entrée en vigueur le 1er juin 2009, sont peu à même de prévenir de tels dérapages142, qui ne cessent de se produire143. L’absence de couverture médicale participe au sentiment d’insécurité de la population et influe non seulement sur la santé de sa population, mais aussi sur la croissance et la stabilité sociale. 2.5.3. Une possible régression de la société La pauvreté en Chine se caractérise par une forte vulnérabilité aux chocs sur ses revenus. Près d’un tiers de la population s’est retrouvé dans un état pauvre ou proche de la pauvreté entre 2001 et 2004. Le ralentissement de la croissance ou la dégradation des conditions de vie peuvent avoir un impact sur cette population. Eliminer la pauvreté résiduelle devient plus dur au fur et à mesure de la baisse du taux de pauvreté : ces populations sont de plus en plus difficiles à atteindre, car elles sont disséminées entre les régions ; de plus, la pauvreté est de moins en moins élastique à la croissance économique et présente des causes plus structurelles (mode de vie nomade, éloignement des centres urbains, manque d’éducation, handicaps physiques, etc.) Plafonnement de la réduction de la pauvreté en Chine Source : Banque Mondiale. China. From poor areas to poor people. 5 mars 2009. 215 pp. Les personnes de plus de 65 ans apparaissent les plus vulnérables : le niveau de leur retraite est variable et parfois très insuffisant, ce qui aboutit à une situation de précarité. Une large partie de la population urbaine retraitée retourne vivre à la campagne où la vie est moins chère. En outre, les modes traditionnels de prise en charge des personnes âgées se révèlent de plus en plus inadaptés : l’observation des économies asiatiques développées rend irréaliste d’attendre des jeunes Chinois, notamment urbains, qu’ils continuent à prendre en charge leurs parents et leurs grands-parents. Le fossé entre ces 2 voire 3 générations se creuse : 50 % des jeunes Chinois reconnaissent qu’ils ont des 142 APCO. Will China’s Food Safety Law Make China’s Food Safer? Avril 2009. 10 pp : « The law is a step in the right direction, but will likely bring only marginal improvement at best in food safety. » 143 Derniers en date, parmi d’autres : la production d’additifs illégaux, comme le clembutérol, ou d’huile alimentaire frelatée, révélée par une campagne qui a conduit à la fermeture de 5°000 établissements et à 2 000 détentions. cf. South China Morning Post. 5,000 firms shut in additives crackdown. 28 septembre 2001 59 relations conflictuelles avec leurs parents. Symptôme de l’évolution de cette société : d’ores et déjà, 25 % des personnes âgées – 35 % dans les grandes villes144 – vivent seules. Les nouveaux diplômés chinois rencontrent aussi des difficultés pour atteindre des revenus à la hauteur de l’investissement dans l’éducation et des attentes de leurs parents. La concurrence instaurée par le système ultra-méritocratique d’éducation provoque le découragement des étudiants. En 2010, 7 millions de nouveaux diplômés de l’enseignement secondaire sont entrés sur le marché du travail145. Les étudiants doivent souvent accepter des emplois plus modestes que ceux escomptés. C’est un paradoxe du système éducatif que des besoins d’emploi non satisfaites de la part des entreprises coexistent avec un chômage des jeunes diplômés. En fait, le système de formation est, au moins en partie, inadapté : les besoins de croissance de la Chine restent majoritairement fondés sur le facteur travail plutôt que sur le capital humain. L’industrie a besoin d’ouvriers qualifiés, de contremaîtres, davantage que d’ingénieurs, moins employables si leur formation n’a pas été adéquate ; or, elle reste souvent trop théorique, davantage fondée sur l’absorption de connaissances que sur la maîtrise de compétences. Les stages en sont souvent absents. Les diplômés, spécialisés dès le début de leur cursus, manquent de capacités d’adaptation. La difficulté pour les étudiants de trouver un emploi risque d’avoir un effet désincitatif sur l’effort d’éducation des familles, d’autant que le coût élevé des études risque déjà de ralentir la hausse du capital humain. 3. Des réformes peuvent contrecarrer ces tendances 3.1. Des alternatives existent au modèle d’atelier du monde 3.1.1. Le développement du marché intérieur et de la consommation La Chine est souvent présentée comme une économie « tirée par les exportations ». le rééquilibrage consisterait en conséquence en une production davantage orientée vers le marché intérieur. Or, et même si le commerce extérieur contribue de manière non négligeable à la croissance, son rôle est souvent surestimé : il ne fournit en fait qu’une contribution minoritaire à la croissance146 et la Chine apparaît moins dépendante du commerce extérieur que la majorité de ses voisins asiatiques. Le rééquilibrage du modèle de croissance chinois ne se pose pas en tant qu’alternative demande interne / demande externe ; mais en tant qu’alternative investissement / consommation. Or, la consommation chinoise augmente en valeur absolue, mais à un rythme moins rapide que la croissance. L’instabilité de la demande internationale – vérifiée lors de la crise de 2008-2009 et qui se poursuit – et le poids atteint par l’investissement ont incité les autorités à rééquilibrer les moteurs de l’économie en faveur de la consommation, dès l’arrivée au pouvoir du tandem Hu Jintao et Wen Jiaobo. Ce programme a toutefois été mis entre parenthèses lorsque la crise est survenue fin 2008, avec la nécessité de relancer l’économie et de faire appel, pour cela, aux recettes éprouvées, à savoir la relance de l’investissement : en premier lieu public (notamment par l’avancement des projets prévus au 11ème plan), de l’immobilier et des entreprises (surtout des SOE, alors que l’investissement privé ralentissait). 144 Durand-Drouhin J.L. Le vieillissement de la population chinoise, ses conséquences et les nécessaires adaptations de la société. Ambassade de France en Chine. 2008. 4 pp. 145 Source : CEIC Data Base. 146 2,5 pb au pic de celle-ci (14,2 %), en 2007 ; et la croissance a encore atteint 9,2 %, malgré une réduction de l’excédent commercial qui l’avait réduite de -3,6 pb. 60 Poids du commerce extérieur dans les économies asiatiques Source : FMI, Fitch. Lyons G. The world needs a demand boost. The Economic and Financial outlook. Standard Startered Research. 19 septembre 2011. 8 pp. (exports +imports, en % du PIB. La barre indique la croissance maximale et minimale sur la décennie 2001-2010 ; i.e. plus elle est longue, plus la croissance est volatile. Le point représente la croissance moyenne). Cet effort a atteint son but : la relance a soutenu la croissance, au prix d’investissements dont une partie pourrait générer des surcapacités ou se révéler non rentables, et donc d’un risque pour le secteur bancaire, appelé à financer cet effort des collectivités locales, des promoteurs immobiliers et des entreprises. Il appartiendra donc à la prochaine équipe (MM. Xi Jinping et Li Keqiang) de reprendre ce programme fin 2012, qui constitue l’une des priorités du 12 ème plan et, audelà, un effort de longue haleine. Décomposition de la croissance de l’investissement Source : Rothman A. The growth transition begins. Sinology. CLSA. 29 septembre 2011. 8 pp. L’épargne est alimentée par l’insuffisance de couverture sociale. Les dépenses des ménages sont donc réduites par la faiblesse de leur protection et de la rémunération du travail. Cette situation va de pair avec le gonflement de l’épargne des entreprises et de la capacité de financement de l’Etat. 61 Un rééquilibrage en faveur des ménages est nécessaire pour stimuler leur consommation. Cette meilleure répartition des fruits de la croissance et cette reconversion vers la consommation permettront à la Chine d’éviter le piège du revenu moyen et de conforter sa stabilité sociale. En fait, ce rééquilibrage en faveur de la consommation, corrigeant son effacement lors de la décennie 2000, est une certitude : la hausse rapide des salaires – conséquence des tensions sur le marché du travail, mais aussi voulue par les autorités (avec un doublement du salaire minimum prévu entre 2011 et 2015, soit une hausse de 15 %-20 % par an) – en est le vecteur. La Chine est déjà le 4ème marché de consommation au monde en 2010147 ; elle sera le 2ème en 2020 après les Etats-Unis, avec un marché de 4 800 Md USD (soit un doublement par rapport à 2011), dépassant l’Allemagne en 2012 et le Royaume-Uni entre 2013 et 2015148. Le pays devient successivement le 1er marché mondial pour tous les biens de consommation : véhicules (en 2009), luxe (en comptabilisant les achats des touristes chinois à l’étranger), cosmétiques, etc. Le développement de l’internet constitue l’un des vecteurs de cette évolution. Le nombre d'internautes en Chine estimé à 505 millions en novembre 2011149, soit un taux de pénétration de 37,7 %. Le nombre d'utilisateurs de microblogs aurait dépassé les 300 millions. Par ailleurs, le taux de pénétration des smartphones devrait passer de 5 % (2010) à près de 30 % (150 M. unités vendues) en 2013150. Cette envolée du nombre d'internautes en Chine, déjà premier pays au monde, stimule l'expansion de l'e-économie. L’e-commerce est ainsi passé de 4,5 Md RMB en 2004 (0,15 % des ventes au détail) à 495 Md RMB en 2010 (7,25 % des ventes) soit une hausse de … 11 000 % en six ans ! La valeur de l’e-commerce a atteint 780 Md RMB (124 Md USD) en 2011 (+ 66 %)151. Le seul Taobao, la plus grande plateforme de commerce en ligne, aurait créé 2,7 M. d’emplois. La mise en place d’une couverture sociale généralisée à l’ensemble des salariés (avec des avantages harmonisés quel que soit le hukou et un portage des avantages entre provinces), entrée en vigueur le 1er juillet 2011, ainsi que la réforme du système de santé, notamment en zone rurale, y contribueront. Les budgets consacrés à cet effort se sont accrus depuis 2002. L'assurance-vieillesse couvre 364 millions de Chinois ruraux et urbains en 2011152. 103 millions de personnes reçoivent en outre d’autres catégories de pensions. Le programme pilote avait été lancé en décembre 2009 pour les habitants ruraux, puis en juillet 2011 pour les urbains ; il sera étendu pour couvrir davantage de retraités. La pension reste certes modeste (1 531 RMB mensuels par bénéficiaire) ; elle marque néanmoins un retour de l’Etat dans la couverture sociale des retraités. 147 Sun M. & Bradbury C. An emerging superpower or a super bubble. China in 2011-2020. Daiwa Capital Markets. Economy / China. 2 mai 2011. 60 pp. après les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne. 148 Atsmon Y., Magni M., Liu M. & Li Lihua. The New Frontiers of Growth. 2011 Annual Chinese Consumer Study. Mc Kinsey Insights China. Octobre 2011. 48 pp. 149 Xinhua. 12 janvier 2011. d’après le Centre d'information du réseau internet de Chine (CNNIC). 150 Chen L. & Lai Y. Smartphone hype in China. Taiwan technology. Sector report. Equities research. BNP Paribas. 30 septembre 2011. 11 pp. 151 Xinhua. 2 mars 2012. d’après l’International Data Corporation. Alors qu’il était prévu, début 2011, une hausse de 83 Md USD seulement ! (26 Md USD en B2C ; 57 Md USD en C2C) et passer à 176 Md USD en 2014 (71 Md USD en B2C ; 105 Md USD en C2C) Cheung C. Click, click, click… the sound of online selling. EURObiz. EUCCC. Janvier-février 2012. p 34-35. 152 Xinhua. 26 janvier 2011. d’après le Ministère des Ressources humaines et de la Sécurité sociale. L'assurancevieillesse sociale est versée aux citoyens âgés de plus de 60 ans qui ne bénéficient pas de retraites versées par les entreprises (300 millions de personnes). 62 La question porte donc sur l’ampleur de cette réorientation, alors que la consommation des ménages est descendue à 35 % en 2010, un plancher record au niveau mondial. La démographie va mécaniquement jouer en faveur de la hausse des salaires et donc de la consommation. Toutefois, les décisions des autorités seront essentielles pour accélérer et amplifier ce rééquilibrage : alors que la consommation des ménages se hausserait à 38,7 % du PIB en 2025 en l’absence de mesures, elle pourrait atteindre 45,2 % si des mesures spécifiques étaient prises stimulant l’aptitude à consommer des Chinois (politiques sociales, crédit à la consommation…) ; elle ne pourrait aller au-delà et dépasser 50,5 % que si des réformes profondes, de nature générale (privatisation de l’économie, meilleure allocation du crédit) étaient mises en œuvre153. Hausse des budgets sociaux en Chine Source : CEIC – calculs : Green S. 14 décembre 2009. (opus cité) (% du PIB ; 2009 : estimations). Le dirigisme étatique chinois laisse penser que l’Etat peut facilement appliquer ces réformes ; ce serait ignorer le rôle de collectivités locales, qui ont un poids très important en Chine, réalisant, par exemple, plus de 70 % de la dépense publique. Or, ces collectivités sont davantage intéressées à créer de la croissance et de l’emploi – critères sur lesquels leurs dirigeants sont évalués – qu’à mettre en œuvre des réformes sociales. Les hausses du salaire minimum décrétées par les villes chinoises en 2010-2011 ainsi que la bienveillance des autorités lors des grèves dans les entreprises (étrangères, et singulièrement taïwanaises et japonaises !) illustrent néanmoins cette volonté du gouvernement. Il en va de même de la mise en place d’une couverture sociale incluant des allocations maternité, chômage – en bref, un panel similaire à celui d’un pays développé. Les inégalités entre les provinces, ainsi qu’entre les ruraux et les urbains, devront aussi être abordées. Là encore, les succès de la politique du Go West d’une part, le dynamisme des revenus agricoles et ruraux de l’autre (dans un contexte durable de prix agricoles élevés) dessinent des orientations favorables. 3.1.2. Le secteur tertiaire et la productivité, indispensables à une poursuite de la croissance La Chine fait face à une concurrence accrue dans la production de biens de consommation. Des pans de son industrie sont exposés à une baisse de compétitivité du fait de la hausse des coûts de production, et notamment du travail. Les produits de consommation sont des biens échangeables 153 Woetzel J., Devan J., Dobbs R., Eichner A., Negri S. & Rowland M. If you’ve got it, spend it: unleashing the Chinese consumer. Mc Kinsey Global Institute. Août 2009, 74 pp. 63 dont les prix se fixent sur un marché mondial concurrentiel. La baisse de compétitivité de la Chine dans ces secteurs affecte donc la demande qui lui est adressée. Le secteur tertiaire propose en revanche des services peu échangeables. Il est moins vulnérable à des chocs exogènes de demande ou à des chocs endogènes d’offre. Le développement de ces marchés permettrait à la Chine de poursuivre sa croissance, malgré la hausse du coût de la main d’œuvre. Le secteur tertiaire représente 44 % du PIB chinois. Le PIB par tête a atteint 4 658 USD en 2010. La comparaison du développement des services en Chine avec celui d’autres économies souligne leur retard : leur part devrait se situer aux alentours 55 % du PIB154 ; les services n’emploient par ailleurs que 34 % de la main d’œuvre active, bien moins que les 70 % à 80 % des pays développés. Une économie émergente voit, dans un premier temps, la part de son industrie s’accroître dans le PIB, ainsi que la part des biens s’accroître dans la consommation des ménages. La conversion à une économie de services vient à un stade ultérieur ; leur part dans la consommation augmente alors rapidement, après un « palier de décollage ». Or, les services conservent un faible taux de pénétration en Chine. Leur consommation devrait donc progresser de manière très rapide – plus rapide que la croissance – dans les décennies à venir. Le secteur du tourisme semble, par exemple, avoir entamé ce développement. D’autres, comme la santé ou l’éducation, sont appelés à suivre. Le plus en pointe reste toutefois le commerce électronique, où le dynamisme des ventes 155 mais aussi des stratégies commerciales, comme les achats groupés, fait de la Chine un pays d’innovation. Part des services et niveau de développement Source : Deutsche Bank (opus cité). (part de la production de services dans le PIB vs PIB par tête (USD)) Les services sont moins vulnérables à l’impact des hausses de coûts de production, car ils bénéficient d’un pouvoir accru de fixation des prix. Ainsi, aux Etats-Unis, alors que le prix des jouets a baissé de 18 % entre 1977 et 2009, le prix de l’éducation et des services de santé a augmenté de 154 Ma J., Lu W. & Miao H. China: themes and strategy for 2011. From inflation to dinsinflation. Deutsche Bank. 3 janvier 2011. 80 pp. 155 China Daily. 26 octobre 2011 ; d’après iResearch. Alibaba.com domine le marché du B to B avec 53,8 % de parts de marché ; sa plateforme Taobao Mall, a 50,9 % de parts de marché du B to C ; et Taobao.com dispose de 90,5 % de parts de marché du C to C. 64 870 % et de 590 % respectivement, pour une hausse de l’indice des prix à la consommation de 250 %156. La hausse de la productivité dans la production de biens de consommation a été très forte, en comparaison avec celle des services. La hausse du coût du travail débouche donc sur une hausse encore plus forte de la demande et de l’offre de services. En outre, les produits manufacturés sont par nature échangeables et leur prix tend à s’aligner sur ceux des pays à faible revenus, surtout s’il s’agit de biens banalisés comme la Chine en produit beaucoup. A l’inverse, la plupart des services ne sont pas échangeables ; leur prix a tendance à suivre, voire à dépasser, l’évolution locale des revenus. La reconversion de la Chine vers une économie à plus fort contenu en services constitue une réponse à la hausse des salaires. Ce développement suppose néanmoins une hausse de leur consommation. La situation du Japon ou de la Corée durant la décennie qui a suivi le passage à un PIB per capita de 5 000 USD fournit un précédent pertinent : la consommation de services y a augmenté de 14 % par an au Japon et de 15,3 % par an en Corée, vs 10 % et 8,7 % respectivement pour la consommation de biens. Le développement des services en Chine ne peut toutefois s’extrapoler directement de celle de ses voisins asiatiques, du fait de leur taux de pénétration très faible. De plus, la disparité des salaires remet en cause la pertinence du PIB par tête comme indicateur de la richesse de la population. En définitive, c’est bien une hausse du pouvoir d’achat de l’ensemble de la population qui apparaît nécessaire à développer la consommation en services. Ce développement peut être très rapide : L’exemple des jeux vidéo en ligne, en plein essor, illustre la possibilité de développement des marchés de services157 : cette industrie a engrangé 43 Md RMB (6,8 Md USD) en 2011, en hausse de 32,4 % par rapport à 2010. Les jeux développés par la Chine réalisent 63,4% (27 Md RMB) de ce marché, en hausse de + 40,7%. L'industrie des jeux sur téléphones portables enregistre également une croissance rapide (1,7 Md RMB en 2011, + 86,8 %), alors que les jeux sur consoles, dominants en Occident, n’occupent qu’une part négligeable (61 M. RMB). Autre exemple : les recettes de l’industrie du tourisme se sont accrues de 18 % en 2011 (364 Md USD)158. Le nombre de touristes chinois en Chine a atteint 2,6 milliards (+ 12 %). Il est prévu en 2012 une progression de 9 % de ces recettes. Quant au nombre de touristes chinois à l’étranger, il a dépassé celui du Japon en 2002 et celui des Etats-Unis en 2007159. Le faible taux de pénétration de la majorité des services et une population en voie d’enrichissement rapide permettent de conclure que l’émergence chinoise pourrait être très rapide. Les autorités ont inscrit le rattrapage des services comme priorité du 12ème plan. En pratique, l’industrie reste toutefois au cœur des politiques d’appui ; les subventions dont elles bénéficient (crédit, intrants, foncier, exports, recherche, etc.) sont autant d’incitations à investir dans ce secteur plutôt que dans les services ; le décollage de ceux-ci est en conséquence retardé. Le gouvernement gagnerait donc à favoriser davantage la consommation de services pour rattraper ce retard. 156 Ma J., Lu W. & Miao H. China: themes and strategy for 2011. From inflation to dinsinflation. Deutsche Bank. 3 janvier 2011. 80 pp. 157 158 Xinhua, 11 janvier 2012. Global Times. 12 janvier 2012. d’après la China Tourism Academy. 159 Sun M. & Bradbury C. An emerging superpower or a super bubble. China in 2011-2020. Daiwa Capital Markets. Economy / China. 2 mai 2011. 60 pp. après les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne. 65 3.1.3. La montée en gamme et en qualité de la production industrielle doit se poursuivre Alors que les trois facteurs de la croissance chinoise (main d’œuvre à bas coût, accumulation extensive du capital, taux de change sous-évalué) atteignent leur limite, la Chine se doit de fonder un nouveau modèle ; le modèle d’Akamatsu fournit cette alternative. A l’image des produits japonais, le « made in China » doit acquérir une image de moyenne, voire à terme de haut de gamme. Une sorte de « révolution culturelle » serait pour cela nécessaire : les déficiences en qualité de la production restent conséquentes dans l’industrie chinoise, sans commune mesure avec la culture japonaise en la matière. Les déboires du programme aéronautique de l’ARJ 21 – qui aura toutes les peines pour voler, tant sa conception souffre de défauts rédhibitoires – et l’accident ferroviaire de juin 2011, près de Wenzhou, illustrent ces carences. Ce dernier a révélé les négligences en termes de matériel (conception et les tests des équipements de contrôle), de gestion (insuffisamment rigoureuse ; faible conscience des enjeux de sécurité, réponses inadaptées aux dysfonctionnements, absence de respect des règles des marchés publics et de procédures d’examen technique) et de maintenance (inadéquate) du réseau, dans le secteur de la grande vitesse ferroviaire où le rattrapage chinois avait pourtant été le plus impressionnant160. Il est à craindre que d’autres domaines, tels ceux du nucléaire ou des grandes infrastructures publiques, ne soient pas non plus exempts de ces travers. A titre d’exemple, 40 % des systèmes de sécurité incendie présenteraient une non-conformité majeure lors des audits réalisés par les bureaux d’expert ; 10 % ne fonctionneraient pas du tout. Il est possible que ce « coup de tonnerre dans un ciel clair », alors que d’aucuns annonçaient la percée des champions nationaux chinois sur les marchés internationaux, entraîne une révision des pratiques ; elle est en cours pour la grande vitesse. Il serait péremptoire d’affirmer que la Chine est condamnée à des niveaux de qualité médiocre et ne pourra pas percer dans les secteurs de pointe. Le succès de Huawei, l’envoi d’un vol spatial habité, la mise au point de supercalculateurs parmi les plus rapides au monde, mais aussi la qualité de production de l’usine d’Airbus à Tianjin – qui serait du niveau de ses homologues européennes – et d’autres exemples en attestent : les experts occidentaux de la qualité estiment que la qualité des groupes industriels occidentaux est aussi bonne en Chine que dans les pays d’origine ; à partir du moment où des procédures sont en place, le personnel les applique. Les progrès en termes de qualité seraient même très rapides, bénéficiant des dispositions des Chinois à la discipline au travail. Si la qualité de la main d’œuvre chinoise reste faible en moyenne (supérieure à celle du Vietnam ou de l’Indonésie, mais inférieure à la main d’œuvre thaïlandaise), elle est déjà jugée au-dessus de la moyenne pour la chimie, la pharmacie, les machines-outils et l’équipement informatique161. La Chine s’appuie, pour mener à bien son rattrapage technologique, sur un effort conséquent de recherche et de développement, avec un budget désormais équivalent à celui du Japon. Son 160 Selon un rapport du Ministère chinois des Chemins de Fer (MOR), 168 incidents se sont produit sur le réseau ferroviaire à grande vitesse chinois en juillet 2011. 106 de ses 168 problèmes sont dus à des problèmes de matériel roulant, dont 56 problèmes de fonctionnement sur les trains de China North Locomotive and Rolling Stock (CNR). (China Daily. 5 septembre 2011). Tout aussi préoccupant, selon le magazine Caixin Century Weekly, sur les 54 TGV chinois effectuant la liaison Pékin-Shanghai rappelés par le constructeur China North Locomotive and Rolling Stock (CNR) pour cause de « légers problèmes avec des composants », des fissures de 7,1 mm. de long et de 2,4 mm. de large auraient été découvertes sur les essieux des trains. 161 Deloitte. Where is China’s manufacturing going? Deloitte China manufacturing study 2011. Deloitte China Research and Insight Centre. Novembre2011. 32 pp. 66 rattrapage technologique a été conséquent162 et figure au cœur de sa politique industrielle, avec des résultats patents. Tout porte à croire qu’il va se poursuivre et qu’il accompagnera l’émergence de la Chine et de ses grands champions nationaux dans des domaines dont le pays était absent, il y a dix ans. La question se pose de savoir si cette émergence sera suffisamment rapide pour compenser les activités qui restent dominantes dans l’industrie chinoise : production à faible valeur ajoutée ou assemblage pour le compte d’entreprises étrangères, qui réalisent 80 % du commerce de perfectionnement (processing trade) en 2010. La baisse de leur compétitivité-prix et l’apparition de zones concurrentes de production, y compris dans la région, en font une nécessité. L’accord de libreéchange entre la Chine et l’ASEAN – qui accroît les opportunités de délocalisation, y compris pour desservir le marché chinois – en réduit encore l’échéance. L’innovation est donc l’une des clés à même de soutenir la croissance de l’industrie chinoise ; son importance ira croissante. Les autorités l’ont compris et ont placé le rattrapage technologique parmi leurs priorités, notamment au titre du 12ème plan, qui a identifié 7 industries émergentes stratégiques163. Leur poids dans le PIB doit passer de 5 % en 2010 à 8 % en 2015 (soit un taux de croissance annuel de + 24,1°%) puis 15 % en 2020 (+ 21,3°%). L’effort en faveur de l’éducation supérieure et la croissance du nombre de diplômés chinois, ainsi que l’accueil de Chinois ayant fait leurs études voire travaillé à l’étranger, vont favoriser le développement de ces secteurs de pointe. Toutefois, à ce titre, le maintien d’un environnement équivoque de protection de la propriété intellectuelle est préoccupant : si les textes sont conformes aux engagements internationaux de la Chine – comme en a jugé un panel à l’OMC malencontreusement ouvert par les Etats-Unis – l’application de ces textes reste insuffisante. Certes, le fonctionnement des tribunaux progresse, en matière de de protection de la propriété intellectuelle. Cette évolution est d’ailleurs nécessaire au développement de l’innovation des entreprises chinoises, pour réussir leur montée en gamme164. Toutefois, le fonctionnement administratif et judiciaire reste peu fiable, notamment au regard des technologies de pointe ou sensibles. De même, l’environnement réglementaire est conçu pour « inciter » au transfert technologique dans les joint-ventures ou à l’occasion des appels d’offre, dans des conditions de contrôle aléatoire pour les sociétés étrangères. Le maintien d’un rôle prédominant des SOE pour conduire l’émergence économique fait également craindre des retards pour une protection effective de la propriété intellectuelle : ces SOE ont en effet d’autres moyens que judicaires pour obtenir la protection dont elles ont besoin pour leur recherche, mais aussi mettre en cause celle de leurs concurrents, en Chine comme dans les pays où l’influence de la Chine est forte. Ce thème sera une source de tensions croissantes entre la Chine et ses partenaires, dans un contexte où ceux-ci se montrent, de manière légitime, de plus en plus soucieux de relations équilibrées et de réciprocité face à l’émergence chinoise. Il incombera à la Chine de décider, à l’instar de ses prédécesseurs asiatiques, de mettre en place une protection effective de la propriété 162 Berder A., Blanc F. & Pierrat J.-P. La Chine, « laboratoire du monde » ? Trésor-Eco. 60. DGTPE. Juin 2009. 8 pp. 163 1) l’efficacité énergétique et la protection environnementale ; 2) l’informatique de nouvelle génération ; 3) les biotechnologies ; 4) l’industrie de haute technologie (aviation, trains à grande vitesse, etc.) ; 5) les nouvelles énergies ; 6) les nouveaux matériaux ; 7) les véhicules à énergie alternative. 164 90 % des affaires de propriété intellectuelle à Shanghai concernent deux entreprises chinoises entre elles. 67 intellectuelle ou de rester dans une situation ambiguë ; auquel cas, outre la pénalisation de son propre effort d’innovation, les contentieux internationaux ne manqueront pas de se multiplier. 3.1.4. Les réformes pour conforter l’économie de marché doivent être reprises La Chine conserve des atouts pour accroître sa compétitivité. En ce qui concerne les productions à plus forte valeur ajoutée, les coûts en Chine resteront pendant longtemps plus faibles que dans les pays développés, qui sont ses concurrents sur ces marchés. Ce sont les marchés sensibles au coût de la main d’œuvre, à plus faible valeur ajoutée, qui risquent d’être délocalisés dans de nouveaux pays émergents, ses concurrents pour ces produits. Pour ces productions, la migration des entreprises vers les provinces du centre et de l’ouest a commencé, du fait des entreprises asiatiques et américaines, mais aussi de leurs homologues chinois. Ce choix permet de réduire les coûts de production, notamment par une main d’œuvre à moindres coûts et plus facilement disponible, mais aussi de se rapprocher du marché intérieur, dans des zones où la croissance est et sera la plus forte. Cette localisation interne permet de retrouver des coûts plus compétitifs par rapport à ceux des nouveaux pays émergents, tout en bénéficiant d’infrastructures que ceux-ci ne peuvent pas (encore) fournir. Par ailleurs, les industries polluantes y trouvent des conditions d’installation moins sévèrement contrôlées, même si cette tolérance n’est pas une solution à terme : elles devront être assainies ou supprimées. Comparaison du coût du travail entre la Chine et les Etats-Unis Source : Borgonjon J. China in 2011: It’s all about competitiveness. (opus cité). Les autorités gagneraient par ailleurs à optimiser les choix et le fonctionnement de l’industrie, selon des critères proches de la réalité du marché. Les aides publiques ne sont pas condamnables en soi, notamment à l’appui du rattrapage et de l’émergence technologiques. Les prêts à taux zéro, les subventions tous azimuts pour réduire les coûts des facteurs (énergie), l’absence d’application de la réglementation environnementale et la faible pression fiscale sur les SOE (inexistante jusqu’en 2007 ; 68 en 2009, 6 % de leurs profits ont été reversés ; puis seulement 2,2 % en 2010165) sont insoutenables et créent une distorsion des prix et in fine du marché. De même, l’implication directe des autorités locales dans l’économie nécessite d’être recentrée et encadrée, tant elle biaise les choix, stimule une croissance peu durable et qui risque d’être peu rentable, sans parler de la corruption qu’elle génère. Ces mécanismes ne sont, là encore, pas condamnables en soi ; le développement de l’industrie leur doit beaucoup. Néanmoins, l’intervention des collectivités locales dans les décisions à la fois d’investissement des entreprises sous leur tutelle et de prêts des banques sous leur contrôle, ne peut que déboucher sur des choix sous-optimaux, la hausse des prêts non-performants et une impasse. Ce dispositif, qui a conduit à la défaisance de ces prêts à la fin des années 1990 dans des structures ad hoc, est resté peu ou prou en place ; les collectivités locales ont notamment été au centre de la relance par l’investissement, lors de l’envolée du crédit en 2009. Une réforme de fond de leur fonctionnement, par un désengagement des entreprises et des banques publiques locales, apparaît indispensable. Il implique une réforme des finances publiques locales et l’allocation aux collectivités locales de ressources propres, intégralement budgétisées et transparentes, en remplacement des ressources procurées par les attributions de foncier aux développeurs immobiliers166. La taxe foncière introduite à titre expérimental à Shanghai et à Chongqing en janvier 2011 va dans ce sens, mais à ce stade, peu de contribuables sont assujettis et les montants concernés restent faibles. Une généralisation et une extension de l’assiette seraient nécessaires pour faire de cette taxe une ressource significative pour les collectivités locales167. Enfin, la Chine doit respecter les règles du commerce international, sous peine de tensions avec ses partenaires. Le ralentissement de ses exportations vers les marchés des pays développés, englués dans un marasme économique, illustre que la Chine a autant besoin de ses partenaires que le contraire. Sa politique d’ouverture reste, à cet égard, ambiguë : les investissements étrangers se heurtent à des pratiques – voire des textes – discriminatoires, organisant un « patriotisme économique ». Cette situation pourrait les amener à opérer une réorientation vers d’autres zones d’installation, à commencer par les pays de l’ASEAN. Or, la présence étrangère a été déterminante pour le développement de la Chine. Leur poids reste fort, avec environ 20 % de l’investissement industriel et près des deux tiers du dépôt des brevets d’invention ; la présence et même la concurrence étrangères sont indispensables à créer une émulation avec les entreprises nationales. 3.2. Une meilleure régulation financière pour une efficacité accrue 3.2.1. Des reformes pour atténuer les distorsions et les inefficiences économiques L’ancrage du RMB à l’USD à un niveau sous-évalué engendre une distorsion du système financier de la Chine, mais aussi de son économie. Les corrections à y apporter relèvent d’une décision des autorités. Or, celles-ci oscillent entre diverses positions (réformateurs, en faveur d’une 165 The Unirule Institute of Economics. The Nature, Performance, and Reform of the State-owned Enterprises. 2011. 195 pp. 166 Pour une présentation des réformes des collectivités locales et de leur budgets, cf. Green S. China – Solving the local government debt problem. Standard Chartered. Global research. 18 juillet 2011. 22 pp. 167 A Shanghai, cependant, la taxe ne s’applique qu’aux biens nouvellement achetés ; elle aura donc un faible effet sur le marché immobilier. A Chongqing, elle pourrait concerner 3 400 appartements et villas et rapporter plus de 100 M. RMB. Sources : China Business News, China Daily & China Global Times. 29 septembre 2011. 69 libéralisation, opposés aux conservateurs, pour un contrôle maintenu) et lobbys (notamment, celui des exportateurs). A court terme, la transition de dirigeants de 2012 ne laisse pas présager d’évolution majeure, hormis la poursuite progressive de l’appréciation du RMB. Encore cette appréciation est-elle relative : depuis juin 2010, le RMB s’est certes apprécié de 6,9 % face à l’USD ; mais il s’est déprécié de 7,3 % face à l’euro (certes, particulièrement chahuté sur la période) et de 5,9 % en change effectif nominal. Quoi qu’il en soit, l’appréciation du taux de change est la première étape du desserrement des pressions monétaires que subit la Chine. L’appréciation du RMB réduira tout d’abord les flux spéculatifs de capitaux qui contribuent aux pressions inflationnistes. Au-delà, son appréciation à un cours reflétant ses fondamentaux permettra la mise en place d’une politique monétaire disposant de marges de manœuvre, libérée de l’obligation de stérilisation et d’encadrement administratif des liquidités. La hausse des taux d’intérêt, nécessaire pour assurer un taux de rémunération réel positif de l’épargne, et leur libéralisation deviendrait alors possible168. Associé à un recours plus fréquent à l’open market, cette évolution permettrait aussi de passer d’une politique monétaire fondée sur des quotas et un encadrement administratif, à une autre, fondée sur un taux directeur et l’appréciation de la rentabilité. Les banques devront alors chercher des revenus supplémentaires à ceux dégagés par le spread entre les taux prêteur et déposant, fixés par la PBoC, et se professionnaliser. Cette concurrence ne pourra que bénéficier aux acteurs économiques, prêteurs et emprunteurs. Ainsi, le système bancaire sera contraint à une meilleure estimation des risques et des rendements, et à un développement des produits financiers, afin d’améliorer ses profits et d’attirer la clientèle. Les risques externes semblent limités : ses réserves en devises et les outils règlementaires qu’elle ne manquera pas de conserver, ainsi que sa faible dette externe, donnent à la Chine les moyens d’intervenir et de peser sur le marché des changes. Le souci principal semble d’assurer une transition du système bancaire d’un fonctionnement assis sur une gestion de différentiel de taux – et, en théorie, peu risqué et peu exigeant en compétences – vers un autre, fondé sur l’évaluation des projets. Or, le contexte actuel est marqué par une économie très liquide, une atomisation du système bancaire, un manque d’aptitudes à l’analyse de projets et une attribution de crédits selon des considérations souvent plus institutionnelles ou politiques qu’économiques. Le risque est réel de voir les banques, notamment les réseaux de taille modeste, se livrer à une concurrence pour attirer les opérateurs, quitte à sacrifier des considérations de prudence, ce qu’un ralentissement économique viendrait sanctionner. Les autorités sont conscientes de ce risque et ont invité les banques étrangères à rentrer comme partenaire stratégique dans les banques chinoises, pour faire profiter celles-ci de l’expertise internationale. Mais elles n’ont concédé à ces banques étrangères qu’un rôle modeste (20 % au maximum du capital d’une banque) et au total, leur part de marchés reste dérisoire (moins de 2 % des prêts). A nouveau, ce manque de contexte concurrentiel devra être amélioré pour permettre la professionnalisation des banques chinoises. En tout état de cause, les autorités doivent mesurer ce risque à l’aune de celui d’attentisme, bien plus conséquent : la régulation administrative actuelle peine, de manière croissante, à piloter les 168 A l’inverse, les épargnants, lassés de taux négatifs de leurs dépôts (rémunérés à 3,5 %, pour une inflation à 6,5 %), retirent massivement leur argent des banques : les quatre grandes ont ainsi perdu 450 Md RMB (50 Md euros) dans les 15 premiers jours de septembre. Cet argent est ensuite placé sous forme de produits de gestion, voire recyclé dans les réseaux de crédit informel, constituant des placements bien plus risqués. Cf. : Les Echos. En Chine, des épargnants retirent leurs dépôts... pour prêter à leur tour. 28 septembre 2011. 70 conditions de crédit ; son accroissement reste élevé, notamment hors du système bancaire. L’endettement des acteurs privés et publics, comme les collectivités locales (dont la dette est estimée à 10 700 Md RMB (27 % du PIB) par le National Accounting Office (NAO) 169 vient rappeler le risque qu’il y aurait à ne pas évoluer. L’opacité de ces financements, les risques liés à ces emprunts qui ont financé l’exposition des collectivités au marché immobilier et leurs répercussions sur le secteur bancaire sont sources d’inquiétude. Le NAO a en outre indiqué que certaines collectivités locales avaient commis des irrégularités et que le gouvernement serait amené à assumer une partie de ces dettes et à clarifier le cadre juridique de l’endettement des collectivités. Ces ouvertures sur la parité du RMB permettront donc de réformer le système de crédit et de rémunération de l’épargne. Les prêts aux acteurs économiques seront limités et leur coût plus représentatif de la valeur de l’investissement ; les ménages, actuellement marginalisés, y gagneraient. Les marchés financiers, plus liquides et profonds, offriraient alors des opportunités diversifiés et plus attractives d’investissement, aussi bien aux ménages qu’aux entreprises. Le marché de l’immobilier serait alors désengorgé du surplus d’épargne qui s’y accumule et y crée un risque de bulle. 3.2.2. Une réforme du système financier pour l’ouverture du compte de capital La réorientation de la croissance passe par la mise en place d’un système financier plus efficace. Le système actuel correspondait à la phase d’industrialisation lourde. Organisé en circuits spécialisés finançant de grands programmes d’équipement, il répondait aussi au besoin de crédits des industries, notamment des SOE. Cette canalisation des flux devient inadaptée dans une phase du développement où le crédit retrouve ses caractéristiques distinctives d’orientation : la sélection des opportunités profitables et la gestion du risque. Le système financier semble assez à même de financer les PME novatrices, notamment par une activité de capital risque qui pointe au 2ème rang mondial. En revanche, le financement des entreprises (SOE et PME, pour des raisons distinctes) n’apparaît pas optimal. Il nécessite non seulement la mise en place d’un système bancaire plus performant, mais aussi d’un marché financier rénové et diversifié. L’enjeu est de réaliser cette diversification des marchés financiers tout en garantissant leur sécurité. Nombre d’exemples incitent à la prudence : malversations sur les obligations d’entreprises à Shenzhen, qui amena un arrêt des émissions ; effondrement de la bourse de Shanghai, entre 2007 et 2011 170 ; et, récemment, fraudes sur les valeurs des entreprises introduites sur les marchés américains par reverse take-over ; le tout dans un contexte de comptes d’entreprises qui, selon l’opinion des experts comptables, n’ont guère de fiabilité, même pour les plus grandes sociétés, objets de montages complexes impliquant des places offshore comme Hong Kong. 169 Le NAO estime l’endettement des collectivités locales fin 2010 à 10 700 Md RMB (1 650 Md USD), soit 27% du PIB. Près de la moitié en a été contractée après 2009 ; ainsi, le plan de relance de 2009-2010 aurait conduit à un doublement de cette dette. Selon le NAO, 46,4% de celle-ci est détenue par des véhicules d’investissement spéciaux, les collectivités locales ne pouvant en principe pas directement émettre de dette. 170 2006 et 2007 avaient été des années fastes pour la place de Shanghai, avec des gains respectifs de + 130 % et + 100 %. Le creusement de l’écart entre la valorisation boursière et la valeur réelle des entreprises ont, à l’inverse, provoqué une forte correction en 2008 (- 65 %), entamée avant même la chute de Lehman Brothers. 3 000 Md USD de capitalisation (70 % du PIB) et la totalité des gains de 2007 avaient été perdus, ramenant l’indice à son niveau de 2006. Depuis le creux atteint fin 2008, la bourse de Shanghai a repris environ 50 % de valeur, mais reste très volatile. 71 Un développement des produits et des marchés financiers est nécessaire pour répondre, d’une part, aux besoins de financement des entreprises et, d’autre part, de placement de l’épargne ; en bref, pour jouer un rôle d’intermédiation qui existe peu, actuellement, dans l’économie chinoise : le financement des entreprises s’y faisait majoritairement par le crédit jusqu’en 2010 ; et si les vecteurs s’en sont diversifiés en 2010 et 2011, c’est en quelque sorte par défaut, pour répondre au resserrement monétaire. Ces marchés doivent désormais être développés pour leur intérêt et leurs bénéfices propres. En parallèle, une régulation et une supervision financière attentive du fonctionnement de ces marchés doit être instaurée, pour éviter les travers observés précédemment. De manière générale, l’amélioration de la transparence des entreprises et de la sincérité de leurs comptes est un vaste chantier que la Chine ne pourra pas négliger. Le suivi des banques – au moins des principales (cinq grandes, banques privées et grandes banques urbaines) – s’est déjà renforcé, suite à la crise financière et au resserrement monétaire de 2010-2011. Enfin, l’ouverture du compte de capital constitue une réforme d’autant plus nécessaire que la Chine veut voir sa monnaie acquérir un statut international et voir Shanghai remplir son ambition de devenir une place financière internationale. Ces deux objectifs semblent atteignables : le poids acquis par la Chine sur certains marchés financiers et, en tout état de cause, dans le commerce international (près de 12 % de parts de marché) les crédibilise ; ils ne pourront toutefois aboutir qu’avec la mise en place d’un système bancaire compétitif et efficace, ainsi qu’un système financier performant et internationalisé. Une monnaie de réserve doit toutefois procurer une valeur stable, être librement échangeable et supportée par un marché des capitaux profond et liquide ; l’exemple même en est (ou en a été) la monnaie américaine. Dans le cas d’une libéralisation des capitaux, et sachant que le dollar et l’euro font l’objet d’incertitudes sur leurs perspectives, le RMB peut acquérir sa place dans les échanges internationaux. Pour cela, il est nécessaire que le gouvernement confère à la PBoC des marges de manœuvre accrues, lui permettant d’agir rapidement sur les marchés des changes et financiers, et de lui donner une crédibilité en tant que prêteur en dernier ressort. Le RMB ne remplacera sans doute pas l’USD comme principale monnaie de réserve d’ici 2030171. Il est toutefois probable que le RMB s’installe dans les banques centrales des pays d’Asie ou d’autres émergents (à commencer par l’Afrique) entre 2010 et 2015, dans leur portefeuille de monnaies de réserves. La Chine profiterait alors des bénéfices procurés par ce statut de monnaie de réserve ; les doutes sur la dette américaine, mis en lumière lors du psychodrame de l’été 2010, ne peuvent que contribuer à favoriser cette émergence internationale. 3.2.3. La réforme financière de la Chine a débuté, mais devra s’approfondir De fait, le gouvernement a déjà jeté les bases d’une ouverture du compte de capital. Celle-ci ne peut qu’être progressive, tant que la sous-évaluation du RMB expose le système bancaire et monétaire chinois à un choc hétérogène. Le gouvernement avait lancé les programmes de Qualified Foreign Institutionnal investors (QFII) et de Qualified Domestic Institutionnal Investors (QDII) : ces dérogations ont été accordées en 2002 et 2006, respectivement pour permettre à des investisseurs étrangers d’introduire des capitaux sur les marchés financiers chinois (QFII) ou à des investisseurs 171 Des experts l’envisagent toutefois : cf. Reuters. Le RMB pourrait dépasser le dollar d'ici 10 ans. 30 août 2011. C’est notamment l’avis de l’historien de l’économie Barry Eichengreen : il estime que le RMB deviendra la monnaie dominante dès 2020. Cette prééminence commencerait par le commerce sino-africain. Un tel délai de 10 ans semble néanmoins optimiste, au vu des réformes qui sont à conduire… 72 chinois d’investir leurs capitaux sur des marchés étrangers (QDII). Cette ouverture est néanmoins restée limitée, du fait des contraintes engendrées par la politique de change ; de plus, la survenue de la crise financière a suspendu son extension. C’est en fait la place de Hong Kong qui accueille désormais l’expérience de libéralisation la plus marquée : en 2009, le gouvernement chinois y a lancé le marché du CNY offshore, baptisé « CNH ». Il permet aux banques de Hong-Kong d’effectuer des opérations en CNY : swaps monétaires, règlement d’exportations et d’importations, dépôts des résidents permanents hongkongais, émission d’obligations, etc.172 Le CNH permet i) de lancer les bases de l’internationalisation du RMB, en contournant la fixité des taux sur le territoire chinois ; ii) d’expérimenter l’ouverture du compte de capital, notamment en permettant à des investisseurs de détenir des RMB en dehors de Chine ; iii) d’acquérir des compétences dans ce domaine. Les activités en CNH ont cru rapidement, portées par l’anticipation de la réévaluation du RMB. Au-delà d’une expérience dont les effets pratiques restent limités, cette expérience signale la volonté d’ouverture de la Chine et ses ambitions internationales. Volume des nouvelles émissions d'obligations Source : Standard Chartered. (Md CNH) En Chine même, les autorités essayent de développer des centres financiers disposant d’une taille critique et capables d’accompagner la croissance de l’économie. Cet objectif fait l’objet d’un consensus, mais ses résultats restent à conforter173 : Shanghai est certes devenue la 6ème place boursière mondiale en termes de capitalisation ; elle reste toutefois une place strictement nationale : le projet de cotation internationale d’entreprises étrangères est reporté sine die. La valorisation des entreprises s’est réduite de plus de 50 % depuis le pic de fin 2007, acquis du fait du manque d’opportunités d’épargne et de l’engouement des investisseurs individuels, désormais échaudés. La place de Shenzhen, spécialisée dans les opérations de plus petite taille, accueille le Chinext, équivalent du Nasdaq chinois. Son développement est soutenu, même si la conjoncture a conduit à 172 Lafarguette, R. Cieniewski, S. & Blanc, F. La longue marche vers l’internationalisation du RMB. Bulletin économique de Chine. Service économique régional de la France en Chine. 37. juin 2011. p 2-7. 173 Blanc, F. & Marin, Y. Les perspectives de la place financière de Shanghai, entre ambitions et réalité. Revue financière Grande Chine. Service économique régional de la France en Chine. 335. septembre 2009. p 5-7. 73 un ralentissement des IPO en 2011. Elle n’est toutefois pas à l’abri de doutes sur la fiabilité des comptes des entreprises cotées, dans le sillage des révélations sur les fraudes aux Etats-Unis. La valorisation excessive (PER de 70 en 2007 (normalisé ensuite), mais dividende entre 1 % et 2 %) laisse douter de la sécurité de ces placements, bénéficiant là encore du manque d’alternatives. Les autorités signent aussi des accords de swaps avec des banques centrales étrangères ou des accords de règlement en RMB des échanges avec les pays étrangers, notamment leurs proches partenaires. Ainsi, la Chine commerce en monnaie nationale avec la Russie et avec certains pays de l’ASEAN. Elle est donc dans une position favorable pour réaliser l’ouverture de son compte de capital. La libéralisation du système financier, et notamment du système de crédit, ne pourra que se faire par étapes174 ; la première est le retour du RMB à une parité raisonnable, qui permette d’envisager des variations à la hausse comme à la baisse, et non plus seulement des anticipations à la hausse ; celles-ci entraînent en effet des entrées de flux de capitaux spéculatifs en Chine et poussent les autorités à maintenir un contrôle des capitaux. La réduction des excédents commerciaux et la stabilisation de la balance des capitaux (du fait d’investissements chinois à l’étranger plus nombreux) devraient y contribuer. Une libéralisation des taux de crédit et de dépôt en Chine pourrait alors s’ensuivre, qui conduirait à passer d’un système administré à un système fondé sur l’évaluation par les banques de la profitabilité et du risque des opérations. Enfin, ceci permettrait le développement d’un marché obligataire liquide, largement accessible, accroissant la détention de dette (privée et publique) chinoise hors de Chine ainsi que, plus généralement, le développement de produits financiers attractifs pour les épargnants (ménages et entreprises) et alternatifs à l’immobilier. 3.3. Une Chine écologique pour un développement durable 3.3.1. La hausse de l’efficacité énergétique pour réduire la croissance de la consommation La croissance de la Chine est consommatrice en énergie. La pollution générée par la production énergétique comme les rejets industriels rendent des villes ou des fleuves entiers nocifs pour la population. Certes, le gouvernement a prévu de réduire de 40 % à 45 % les émissions de CO2 par unité de PIB entre 2005 et 2020 ; l’efficacité énergétique a été accrue de 19 % entre 2006 et 2010. Cet objectif ambitieux reste insuffisant : la Chine émet six fois plus de CO2 par unité de PIB que les Etats-Unis, 2ème émetteur au monde. Une réduction de 40 % de l’intensité carbone n’implique pas une efficacité accrue, mais simplement la disparition des unités les plus polluantes. Elle irait de pair avec un très fort accroissement du total des émissions : 50 % de la hausse de la demande en pétrole d’ici 2030 viendrait de la Chine175. Le gouvernement doit donc aller au-delà pour faire face aux enjeux. Pour commencer, l’Etat doit démanteler les subventions du prix de l’énergie, afin de réduire le gaspillage, et promouvoir la mise en place d’une consommation plus économe et plus efficace. L’urbanisation apparaît comme inefficace : la construction d’un réseau urbain requiert une planification. La Chine préfère réduire ses coûts pour dégager des bénéfices rapides au détriment d’une vision durable. La minimisation de la consommation énergétique résulte d’une étude du système urbain, nécessitant une gradation des villes et au sein de la ville. La consommation 174 Green, S., Li, W & Shen, L. China - The rules. Standard Chartered. 2 juin 2011. 6 pp, 175 BP statistical review. BP Energy Outlook 2030. Janvier 2011. 80 pp. 74 énergétique des villes chinoises est supérieure à ses homologues occidentaux, du fait de la vision de court terme des investisseurs. L’urbanisation chinoise doit donc se rationaliser ; pour cela, le gouvernement doit encadrer l’action des promoteurs (souvent publics). Depuis 2010, la capacité éolienne installée en Chine est la première au monde, devant celle des Etats-Unis. Le développement du marché de l’éolien a été porté par des entreprises chinoises fortement subventionnées. De même, la Chine est devenue le leader mondial du marché des panneaux photovoltaïques, mais ceux-ci étaient exportés à 96 % en 2007. Ces deux secteurs ont vu une émergence des entreprises chinoises, qui ont assimilé les technologies des sociétés occidentales venues s’installer en Chine, attirées par la perspective de contrats commerciaux176. Les entreprises chinoises sont désormais devenues non seulement des leaders en Chine, dont elles ont évincé les constructeurs étrangers, mais aussi à l’international. En conséquence de ce développement des énergies renouvelables, les objectifs prévoient une part des énergies non-fossiles dans la consommation d’énergie primaire du pays de 8 % en 2011, 11,4 % en 2015, 15 % 2020, 20 % en 2030 et 33 % en 2050 ; de même, la capacité éolienne (proche de 40 GW) devrait doubler d’ici 2015 ; elle fournit environ 1,5% de la production d’électricité en 2011177. En outre, l’objectif de capacité de production d’énergie solaire (moins de 1 GW fin 2010) en 2015 a été rehaussé de 5 GW à 10 GW après l’accident de Fukushima, puis 15 GW en décembre 2011, du fait d’une forte croissance de la capacité installée après l’unification du prix de rachat de l’énergie solaire et la mise en place d’un prix de rachat majoré pour les projets solaires en service178. Toutefois, les difficultés de qualité et d’organisation n’ont pas été résolues : ainsi, la production réelle d’électricité photovoltaïque du pays est inférieure à sa capacité installée : 73 % seulement du parc éolien est rattaché au réseau ; une partie des éoliennes détenues par les SOE ne sont pas en état de marche. La part des énergies renouvelables prévue en 2020 (de 22 % en 2010 (dont 15 % d’hydroélectricité) à 40 % environ, nucléaire compris (dont 22 % d’hydroélectricité)) reste inférieure à celle du charbon (de 73 % en 2010 à 63 % en 2020). Leur développement n’empêchera pas une croissance de le consommation des énergies fossiles (charbon, gaz naturels – la Chine est en train d’attribuer des permis d’exploration des gaz de schiste – et pétrole), même si les centrales les plus polluantes devraient être fermées. L’intérêt de la Chine semble moins d’être celui de rechercher une croissance durable que de mettre en place une industrie et un marché des technologies vertes. La production ne prend en compte ni le coût réel de l’énergie, ni celui des autres intrants. La Chine a donc là un potentiel de réduction de sa consommation. 80 % de la consommation d’eau est le fait de l’agriculture ; de nombreuses récoltes sont encore irriguées par inondation de terrain. L’efficience est délaissée pour la production. Une évolution technologique dans l’agriculture permettrait d’alléger la consommation d’eau et de réduire la pollution par les engrais, utilisés sans considération pour l’environnement. De même, la profitabilité de certaines industries fortement polluantes (la « capitale du jeans » à Xintang, par exemple179) serait remise en cause si les coûts 176 Sarrauste de Menthière O. La montée en gamme de l’industrie chinoise: décryptage du rattrapage technologique et économique à travers des études sectorielles de l’éco-industrie. Ecole Polytechnique – Paristech. Service économique de la France en Chine. 2010. 130 pp. 177 China Daily. d’après l’Institut de recherche sur l’énergie de la NDRC. 6 décembre 2011. 178 Reuters. d’après l’Administration nationale de l’énergie (dépendant de la NDRC). 16 décembre 2011. 179 Le Monde. La Chine asphyxiée par la pollution de l’industrie textile. Ecologie.blog. 28 février 2011. 75 environnementaux de ces industries étaient comptés. Le surinvestissement participe aussi à l’inefficacité de certaines industries : il force à produire, quitte à exporter à bas coût, pour ne pas enregistrer de pertes, engendrant un gaspillage énergétique. Le photovoltaïque représente un exemple d’un tel secteur ; le retournement de la demande mondiale expose à un risque de faillite une multitude de PME – voire certaines grandes entreprises –qui s’y étaient lancées. 3.3.2. Vers une conversion de la Chine au développement durable ? Les améliorations de l’environnement en Chine sont significatives ; certes, les marges de progrès sont considérables et il y a urgence à améliorer la situation. Quoi qu’il en soit, la Chine est devenue le 2ème investisseur mondial dans les énergies renouvelables (12 Md USD) et le 1er investisseur dans les technologies vertes en 2010. Les investissements réalisés ont permis une amélioration en matière d’environnement : ainsi, la part des eaux usées retraitées en zone urbaine est passée de 52 % en 2005 à 75 % en 2011 ; la capacité de traitement en zone urbaine est passée de 65 M. m3 à 125 M. m3 par jour. En conséquence, la demande en oxygène (un indicateur de la pollution de l’eau), s’est réduite de 12,4 % entre 2005 et 2010 (12,4 M. t.), conformément aux objectifs du 11ème plan quinquennal. De même, les émissions de dioxyde de soufre (principal polluant de l’air) se sont réduites de 14,3 %, pour s’établir à 21,9 M. t, du fait de l’installation d’équipements de désulfurisation dans 83 % des centrales thermiques (+ 12 % par rapport à 2005)180. La Chine développe également nombre de projets de bâtiment verts (Green Building Label). L’effort à fournir reste néanmoins conséquent et l’arbre des bâtiments verts (« bijoux » de technologie et d’inventivité pour recycler les flux) cache la forêt d’un parc immobilier chinois, ou les isolants thermiques commencent juste à être utilisés. Fixer des objectifs ambitieux ne suffit en outre pas, si les résultats restent en-deçà : ainsi, les bâtiments à basse consommation énergétique représentent moins de 5 % des nouveaux bâtiments en Chine (moins de 100 M. m² sur les 2 Md m² construits chaque année). En conséquence, la part des bâtiments dans la consommation énergétique (30 %) augmente181. La vision du durable des décideurs chinois se réduit souvent à la rentabilité d’un marché des technologies vertes, qui permet de développer une industrie compétitive dans un secteur à plus forte valeur ajoutée. La Chine a maintenu ou amélioré la qualité de l’air dans plusieurs grandes villes, malgré la forte hausse du parc de véhicules et de l’activité industrielle. Par exemple, 85 % des habitants de Shanghai estiment que la qualité environnementale s’est améliorée en cinq ans ; 68 % se déclarent satisfaits de l’environnement actuel et 26 % s’en contenteraient182. Ce ressenti ne saurait néanmoins masquer une situation qui reste à améliorer : en mai 2010, Shanghai a atteint des pics de pollution record de l’air, avec un AQI de 500 ! La population semble peu consciente de la pollution « invisible », mais qui a des impacts de long terme. La polémique, fin 2011, sur le manque de pertinence des mesures de la qualité de l’air a aussi révélé que, derrière l’amélioration des chiffres, la situation 180 Xinhua. China meets pollution control targets for 2006-2010. 29 août 2011. 181 Global Times & Xinhua, citant l’urbaniste en chef du MOHURD, M. Tang Kai, lors d’un forum économique à Chengdu. 21 novembre 2011. 182 Blanc F. Les autorités municipales de Shanghai se veulent exemplaires en matière d’environnement. Consulat général de France. Lettre de Shanghai. 2 mars 2009. L’Air Quality Index (AQI) mesure la qualité de l’air : 0-50, bon ; 51-100 modéré ; 101-150, malsain pour les personnes sensibles… jusqu'à 301-500, dangereux. 76 réelle restait préoccupante183 : Pékin en 2011 a été recouvert d’un nuage de pollution qualifié de « très légèrement pollué » par les autorités, mais de « dangereux » par l’Ambassade des Etats-Unis, illustrant le caractère obsolète des données officielles. Les Pékinois, confrontés in vivo à cette pollution, en étaient les premiers conscients. Ce décalage entre la mesure et la réalité a incité le Ministère de l’environnement à actualiser son dispositif de suivi. Ces pressions de l’opinion publique sont, de plus en plus fréquemment, un levier pour de telles évolutions. Evolution de la qualité de l’air dans les grandes villes chinoises Source : Environment Protection Agency (2006) Dans le domaine de l’eau, la Chine a investi 345 Md RMB (55 Md USD) en 2011184. Ces investissements ont permis d’approvisionner en eau potable 64 millions d’habitants en zone rurale, de renforcer 400 zones d’irrigation, de nettoyer 46 000 réservoirs et d’installer des systèmes d’alerte d’inondation. Cet effort procède de la décision en 2011 de doubler le niveau d'investissement dans le secteur de l'eau pour le porter à 400 Md RMB (63 Md USD) par an sur la décennie 2011-2020. Les autorités envisagent de nouvelles mesures pour assurer ce financement au niveau local, notamment par l'émission d'obligations par des véhicules d'investissement dédiées à la conservation des ressources hydrauliques. La Chine dispose donc des capacités pour développer une croissance verte à grande échelle, mais le pas n’est pas encore franchi. L’effort dans le photovoltaïque est plus récent, mais tout aussi massif : si la part mondiale de la Chine en capacités installées était de 16,3 % en 2009, les nouvelles capacités installées ont représenté 36 % du total mondial. La Chine a prévu d’investir 2 000 Md CNY 183 Les lignes directrices de l’OMS 2005 fixent des seuils limites de particules en suspension, en fonction du 3 3 diamètre des particules et de leur dangerosité : 10 μg/m en moyenne annuelle et 25 μg/m sur 24 heures pour 3 3 les PM2.5 ; 20 μg/m moyenne annuelle et 50 μg/m sur 24 heures pour les PM10. En Chine, la pollution atmosphérique et sa dangerosité sont évaluées par l’Air Pollution Index (API) ; il se base sur la concentration de trois polluants : le dioxyde d’azote (NO2), dioxyde de soufre (SO2) et les particules en suspension (PM10). Aux USA, l’API inclut en outre l’ozone (O3), le monoxyde de carbone (CO) et les PM2.5 (et non pas les seules PM10, à la différence de la Chine). L’API n’a pas changé en Chine depuis sa mise en place, en 2000 ; or, ces PM2.5 sont désormais responsables d’une grande partie de la pollution ; elles sont aussi les plus dangereuses, car elles pénètrent jusqu’aux alvéoles pulmonaires. 184 China Daily. 31 janvier 2012. citant M. Chen Lei, ministre des ressources hydrauliques. 77 (310 Md USD) entre 2011 et 2015 pour promouvoir une économie à faible émission de carbone185 dans des projets d'économie circulaire, la création de 100 centres de démonstration d’une utilisation intelligente des ressources, et le lancement de programmes pilotes à faible émission de carbone dans 5 provinces et 8 villes. Ces investissements permettront d’accroître l’intensité énergétique. Par ailleurs, la Chine envisage de fixer des objectifs à sa consommation : des niveaux pourraient être imposés aux provinces ; ceci ne manquerait pas d’avoir un impact sur la croissance ainsi que sur la structure du PIB, défavorisant les secteurs les plus consommateurs (industries lourdes)186, et le prix de l’énergie. Enfin, les autorités étudieraient l’application d’une taxe carbone avant la fin du 12ème plan quinquennal. Dans un premier temps, seules les industries les plus consommatrices en énergies fossiles y seraient soumises187 La situation évolue donc, même si ce changement est lent. Le gouvernement est de plus en plus sensible à l’opinion publique, levier principal de la conversion à un développement durable dont elle est le principal bénéficiaire. Le déplacement pour raisons environnementales du projet de raffinage de Nansha (un investissement de 5 Md USD !) dans le Guangdong, en 2008, sur décision du Secrétaire du PC de la province, est illustratif ; cette décision n’aurait pas été envisageable il y a peu. De même, la fermeture de l’usine chimique Fujia Chemical à Dalian, endommagée après le typhon Muifa en août 2011, a été obtenue suite à des manifestations (relayées par les réseaux sociaux Sina Weibo et Renren), comme à Xiamen en 2007. Toutefois, l’effort de qualité doit encore être accru, sous peine de s’exposer à des risques majeurs : ainsi, une centrale nucléaire chinoise dispose en moyenne d’un budget de 500 000 USD pour la sécurité, contre 7 M. USD aux États-Unis. Plusieurs progrès doivent être réalisés pour accélérer les actions en faveur de l’environnement : d’abord, la transparence reste insuffisante 188 . Le calcul du PIB vert a été abandonné en 2008, lorsque les résultats, pourtant officiels, sont apparus trop mauvais ; ils aboutissaient à réduire de moitié la croissance chinoise. Or, cette transparence est indispensable pour informer la population des risques. Par ailleurs, les incitations ou désincitations financières devraient jouer un rôle important dans la lutte contre la pollution : les externalités négatives sont en effet difficilement estimables. La centralisation d’un système de taxation des activités polluantes permettrait de rétablir le coût écologique d’une activité. Enfin, l’édiction de normes au niveau central ne suffit pas ; non seulement elles doivent être déclinées au niveau local (ce qui a souvent été réalisé) ; mais encore, leur application doit être contrôlée. Or, trop souvent, les sanctions des dégâts écologiques restent trop peu dissuasives – quand elles sont appliquées – pour avoir un effet. 185 China Daily. 26 septembre 2011. 186 China Daily. 19 décembre 2011. reprenant une déclaration du président de la NDRC, M. Zhang Ping. 187 Xinhua. 9 janvier 2012. Le prix envisagé serait de 10 RMB (1,6 USD) par tonne de CO2 rejeté, soit relativement bas si par rapport à la tonne de CO2 échangée sur le marché européen (6,22 euros (7,90 USD, niveau pourtant le plus bas depuis 2008). 188 Selon les statistiques sanitaires, bien que le nombre de fumeurs n’ait pas beaucoup changé en 40 ans, le taux de mortalité du cancer du poumon s’est sensiblement accru. En 2008, la mortalité par cancer du poumon est de 30,8 / 100 000, en hausse de 465 % par rapport aux années 1970. Outre l’échec du contrôle du tabagisme, la dégradation de la qualité de l’air est jugée responsable de cette hausse. Les indices de qualité de l’air ne contiennent que la quantité de PM 10 (les particules en suspension dites « respirables », d’un diamètre inférieur à 10 µm), alors que les particules les plus fines (< 2,5 µm, PM 2,5) ne sont pas mentionnées ; pourtant, elles pénètrent plus facilement dans les voies respiratoires. Leur prise en compte réduirait de 25 % à 30 % les résultats satisfaisants de la qualité de l’air des villes. Source : Nouveau siècle. 34. 29 août 2011. 78 Autant les entreprises étrangères sont contraintes d’appliquer les normes en vigueur – il serait imprudent qu’elles se mettent en porte-à-faux – autant les entreprises chinoises trouvent souvent des moyens de s’en dispenser, en réglant les difficultés avec des administrations locales. Ainsi, un contrôle de niveau central – qui semble se renforcer – est indispensable pour réaliser des progrès en la matière. En matière de taxation des externalités, les assurances pourraient enfin avoir un rôle de responsabilisation des entreprises : des cotisations tenant compte des investissements réalisés pour contrôler les risques ou réduire les pollutions, à l’instar de ce qui se fait dans les pays occidentaux, inciteraient les sociétés à équiper leurs sites de production en conséquence. 3.3.3. Une politique agricole tenant compte des contraintes de production La production agricole chinoise n’est pas et sera de moins en moins à même de couvrir les besoins . La poursuite d’un objectif d’autosuffisance alimentaire est non seulement illusoire, mais aussi nuisible : il entraîne une surutilisation des ressources, notamment par l’irrigation ; il débouche sur des mesures protectionnistes à l’encontre des importations ; celles-ci réduisent le disponible alimentaire pour les consommateurs chinois ou les utilisations industrielles, entraînent une hausse des prix sur le marché intérieur et une mésallocation des ressources. Ce protectionnisme ne profite en outre guère aux producteurs, mais en premier lieu aux firmes agroalimentaires chinoises, principales bénéficiaires de la rente ainsi créée. 189190191 La politique agricole chinoise contient des mesures pertinentes, telles que la hausse des budgets en faveur de l’agriculture (subventions à l’équipement, notamment) ou la mise en place, en 2000, d’un prix garanti pour les principales céréales (par exemple, entre 2,4 RMB et 2,8 RMB par kg. pour le riz précoce Indica). La Chine aurait par ailleurs prévu d’investir 4 000 Md RMB d’ici 2021 dans des projets d’irrigation, avec une responsabilité accrue conférée aux associations d’usagers192. Toutefois, un élément essentiel de ce programme réside dans une tarification de l’eau à son prix réel ; son fort subventionnement (50 % à 70 % de son coût) conduit à un gaspillage et une déplétion des ressources (eau de surface et nappes phréatiques) utilisées à des cultures dont le prix de vente ne le justifie pas (céréales de base, coton, etc.). L’autre mesure indispensable à l’agriculture consiste en la préservation des surfaces arables, converties en foncier constructible pour l’urbanisation ou l’industrialisation. Le caractère confiscatoire des procédures, conduisant à de vives réactions populaires, comme dans la ville de Wukan (Guangdong), fin 2011, entretient en outre une insécurité foncière, défavorable aux investissements par les agriculteurs. Malgré les réformes annoncées visant à conforter les droits des paysans193, ceux-ci restent insuffisamment sécurisés. Témoin de sa permanence et de son caractère 189 Even M.-A. L’agriculture, clé du devenir économique et social chinois. Centre d’études et de prospective.24. octobre 2010. 8 pp. 190 Green S. China - Masterclass: Water, land, climate and grain. Standard Chartered. Global research. 9 janvier 2012. 8 pp.. 191 Huang J. Economic Modeling and Foresightfor Food Security in China. Center for Chinese Agricultural Policy. Chinese Academy of Sciences. 2011. 46 pp. 192 Nicola Cenacchi. IFPRI. In : Green S. China - Masterclass: Water, land, climate and grain. Standard Chartered. Global research. 9 janvier 2012. 8 pp.. 193 Blanc F. Les enjeux de la réforme de la tenure foncière en zone rurale. Bulletin économique de Chine. Services économiques de la France en Chine. 6. Octobre 2008. p 5-8. 79 irrésolu, ce thème de la protection des droits fonciers des paysans face à l’urbanisation a fait l’objet du premier dossier de 2012 du Comité central du PCC ; l’enjeu porte sur 120 M. ha194. Enfin, des choix politiques (en faveur des organismes génétiquement modifiés (OGM) ; en défaveur des biocarburants tirés de cultures à usage alimentaire) contribueront à améliorer et sécuriser la production agricole195. 3.3.4. La Chine bénéficie d’un contexte propice à une réorientation de sa croissance La réorientation du développement vers les services, souhaitée par les autorités, contribuerait à un modèle plus durable. Elle réduirait l’impact de la croissance sur l’environnement. En effet, le secteur des services est bien moins consommateur d’énergie que l’industrie ; de même, ses émissions sont inférieures. Une tertiarisation bénéficierait en parallèle au rééquilibrage de l’économie et à la réduction de la pollution. La modération de la croissance, prévue dans le 12 ème plan, de 7,5 % à 7 %, ne constitue pas, à ce titre, un handicap pour l’économie ; elle illustre la prise de conscience qu’une croissance trop forte pose des problèmes de long terme et le choix d’une croissance plus qualitative. Intensité énergétique : consommation d'énergie par unité de PIB Source : Wind. In : Deutsche Bank, China: themes and strategy for 2011, 2011. (tonnes / M. RMB) Une hausse de la productivité agricole par l’intensification de la mécanisation et l’usage de techniques respectueuses de l’environnement, comme la modération des engrais, des herbicides et des pesticides, réduirait la pollution et le gaspillage des ressources. Les techniques d’irrigation plus ciblées permettent de réduire la consommation d’eau. La hausse des revenus ruraux permet aussi de réduire l’exode qui alimente l’urbanisation des grandes villes, au profit de villes de taille moyenne. 194 China Business news. 3 février 2012. 195 Huang J. Economic Modeling and Foresight for Food Security in China. Center for Chinese Agricultural Policy. Chinese Academy of Sciences. 2011. 46 pp. 80 Le ralentissement démographique, au-delà de ses inconvénients sur le vieillissement permet aussi de soulager la pression sur les ressources et stimule l’évolution du modèle vers un développement plus qualitatif et durable. Au total, le gouvernement se trouve dans une période de transition qui lui procure une opportunité pour se diriger vers une croissance plus durable. 3.4. La gestion de la transition démographique 3.4.1. Le gouvernement peut modérer le choc du vieillissement L’âge légal de la retraite est de 55 ans pour les femmes et de 60 ans pour les hommes dans les secteurs protégés (administrations, secteur formel privé ou public), quel que soit le nombre d’annuités. Cependant, conséquence des transformations socio-économiques et des restructurations d’entreprises, l’âge réel de la cessation d’activité est en moyenne de 40-45 ans pour les femmes et de 50-55 ans pour les hommes ; ceci porte l’âge moyen de la retraite à 51,2, soit 10 ans de moins que la moyenne mondiale196. Le vieillissement de la population va accroître la part des individus en âge de partir à la retraite ; or, la plupart d’entre eux disposeront de revenus faibles, sans pour autant pouvoir compter sur une prise en charge par leur enfant. Cette population se retrouve donc confrontée à un risque d’appauvrissement. Taille et évolution de la population active chinoise en fonction de l’âge de départ à la retraite Source : Boyd M. China’s search of a new comparative advantage. The Economist. novembre 2011. (en milliers de personnes) Une première solution serait d’augmenter le nombre d’annuités travaillées ; cette solution – assez spontanée et qui rappelle les solutions mises en place en Europe – aurait pour effet de différer le choc démographique, voire de l’amortir, dans des proportions conséquentes : ainsi, la population active en 2020 ne serait plus de 800 millions de personnes (départ en retraite à 55 ans), mais de 1 milliard (départ à 65 ans) ; mais elle ne pourrait pas supprimer ce défi ; sa faisabilité se heurte en 196 Durand-Drouhin J.L. Le vieillissement de la population chinoise, ses conséquences et les nécessaires adaptations de la société. Ambassade de France en Chine. 2008. 4 pp. 81 outre au déclassement, sur le marché du travail, des générations âgées, voire usées par la pénibilité de leur travail, et confrontées à de jeunes générations ayant bénéficié d’un système de formation de meilleure qualité. Les autorités procèdent de fait à un recul de l’âge de la retraite. Toutefois, le poids de la politique de l’enfant unique est si durable qu’il prendra une génération à s’amortir, s’il s’amortit jamais, par une relance de la natalité et un rééquilibrage démographique. Ce recul ne permet donc que de gagner du temps pour mettre en œuvre des réformes de fond touchant au modèle économique, et non plus des adaptations197. La transition de l’économie vers une économie développée, davantage fondée sur les services et la consommation, permettrait de réduire ce choc. La hausse de la productivité et le développement des services permettraient d’augmenter les salaires et de réduire les inégalités. Ce rééquilibrage passe par l’extension du système de retraites à l’ensemble de la population, à un niveau décent. C’est l’objectif de la nouvelle loi sociale, rentrée en vigueur le 1 er juillet 2011. La mutation du modèle de développement limiterait ainsi le choc démographique, à l’instar de ce que le Japon a mis en œuvre pour financer la prise en charge de sa population âgée. La différence avec le Japon est que le choc démographique en Chine vient « trop tôt ». Ainsi, l’âge médian chinois se situe à 34,2 ans en 2010, soit l’âge médian japonais en 1985, alors que son PIB per capita ne représente encore qu’un tiers de celui du Japon à cette même date. Ce décalage entre enrichissement et vieillissement pose autant de problèmes que la transition démographique elle-même. La Chine dispose toutefois de moyens pour atténuer les effets du vieillissement : d’ores et déjà, seuls 20% de la croissance est due à la hausse de l’emploi ; les 80 % restants proviennent de la hausse de la productivité du travail. L’investissement en capital, l’éducation et l’organisation de la production expliquent la plus grande part de cette hausse de la productivité. Par ailleurs, 15 % en est due au transfert de main d’œuvre entre le secteur agricole et le secteur secondaire, plus productif198. L’exode rural, à l’origine de l’urbanisation, a participé à hauteur de 1 à 1,5 point de croissance. La productivité agricole reste assez faible (1/6ème de la productivité non-agricole) ; 25 % à 30 % des paysans pourraient migrer des campagnes en ville. La hausse de la productivité agricole constitue donc une réserve de main d’œuvre, qui s’orienterait vers les villes de 3ème rang de l’intérieur de la Chine, plutôt que vers les zones côtières. Cette urbanisation serait à la fois bénéfique à la croissance et moins pénalisante pour l’environnement. La Chine bénéficie donc par rapport au Japon de l’avantage d’une urbanisation inachevée. S. Cieniewski résume le dilemme auquel sont confrontées les autorités chinoises : « Les mesures « démographiques », qui pourraient théoriquement atténuer l’impact du ralentissement démographique et prolonger ainsi le modèle économique actuel, restent encore contestées et mises en œuvre avec grande prudence. Certes, celles-ci sont bien identifiées (soutien à la natalité, recul de l’âge de la retraite, hausse du taux d’emploi féminin), ont déjà été explorées dans de nombreux pays et seront à n’en pas douter mises en œuvre en Chine dans les 20 ans à venir. L’assemblée plénière de 197 A titre d’illustration, entre 2010 et 2020 (et à âge de retraite inchangé), la population active chinoise ne s’accroître que de 25 millions de personnes environ, alors que la population active indienne s’accroîtra de 136 millions de personnes, à 917 millions. Source : Boyd M. China’s search of a new comparative advantage. The Economist. Présentation à la Chambre de commerce européenne (EUCCC). novembre 2011. 15 pp. 198 Cieniewski, S. Les implications macroéconomiques du ralentissement démographique chinois. Service économique de Hong Kong et Macao. 16 mars 2011. 82 l’ANP de mars 2011 s’est d’ailleurs fait l’écho de la relance du débat quant au relâchement de la politique de l’enfant unique dans certaines provinces (dans le cas où le 1er enfant serait une fille et / ou l’un des parents serait lui-même enfant unique). Pour autant, cette normalisation du contrôle des naissances demandera encore du temps avant d’être acceptée dans les cercles dirigeants, dans la mesure où nombre d’entre eux continuent à associer, à juste titre, le dynamisme démographique avec le risque d’épuisement des ressources qui a justifié certains des excès du développement économique de ces dernières années. »199 La transition démographique a un effet de catalyseur sur l’économie : elle participe à l’évolution du modèle de développement ; s’y opposer aggraverait les problèmes environnementaux et sociaux, sans régler le problème de l’industrie. Il apparaît au contraire nécessaire d’agir avec cette transition pour stimuler la croissance de la productivité agricole et la création d’un réseau homogène de villes sur l’ensemble du territoire. La transition démographique est un passage obligatoire qui va engendrer une perte de croissance, mais aussi mener la Chine au statut de pays développé. 3.4.2. Une réforme du hukou permettrait de fluidifier le marché du travail Les effets de la transition démographique engendrent une hausse des coûts de la main d’œuvre ; cette évolution constitue une contrainte pour des industries dépendantes de ce coût. L’évolution de ces secteurs industriels est indispensable à celle de l’économie. La hausse des coûts de production est, certes, une tendance inévitable ; elle peut néanmoins être atténuée. La réforme du hukou, ou tout du moins de ses biais, permettrait de fluidifier le marché du travail. En supprimant ceux-ci, les autorités faciliteraient la circulation des salariés sur le territoire en fonction des besoins, des opportunités d’emploi et des coûts auxquels ils font face : or, actuellement, un migrant ne peut acheter d’appartement dans une ville dont il ne possédait pas le hukou ; ses enfants ne peuvent pas y être scolarisés ; il ne bénéficiait jusqu’en 2011 que de la portion congrue d’une couverture sociale. Ce dispositif est obsolète : la population « flottante », composée de travailleurs disposant d’un hukou rural mais travaillant en ville, représente 221 millions de personnes, soit 16,5 % de la population ; elle devrait augmenter de 100 millions de personnes d’ici à 2020, lorsque la population urbaine atteindra 800 millions de personnes, et de 300 millions d’ici 2040200. De fait, le système de hukou est en train d’être réformé : d’une part, les villes côtières, soumises à des tensions du marché du travail, développent divers avantages pour attirer la main d’œuvre : en ciblant sur la main d’œuvre qualifiée à Shanghai ; de manière plus large à Canton. Ainsi, les frais de scolarisation ont été pris en charge par la ville ; l’interdiction d’acheter un logement a été desserrée. Toutefois, ces mesures locales restent ponctuelles et de peu d’effets. C’est en fait une mesure nationale – la loi sociale entrée en vigueur le 1er juillet 2011 – qui a introduit la rupture la plus drastique. Cette loi harmonise les niveaux de prélèvements sociaux (pour l’ensemble des prestations : santé, chômage, maternité, accidents du travail et retraite) à la fois entre les provinces et entre les détenteurs de hukou et les autres. Par ailleurs, elle rend le système 199 Cieniewski, S. Les implications macroéconomiques du ralentissement démographique chinois. Service économique de Hong Kong et Macao, 16 mars 2011. 200 National Population and Family Planning Commission. Rapport 2011 sur la population flottante chinoise. In : China Daily. 10 octobre 2011. Selon ce rapport, 4,5 % de ces migrants gagneraient moins de 500 RMB (78 USD) par mois, et 27 % moins de 1 000 RMB (156 USD). A titre indicatif, le salaire moyen est de 3 000 CNY (468 USD) et le seuil de l’impôt sur le revenu de 3 500 CNY (546 USD) depuis septembre 2011. 83 portable d’une province à l’autre : un mingong ayant travaillé toute sa vie à Shanghai et retournant dans l’Anhui y repartira avec sa retraite. En définitive, sans remettre en cause le principe du hukou201, ses biais sur le marché du travail en seront atténués. Cette évolution permettrait de poursuivre l’exode rural vers les zones d’emploi et ainsi de modérer les tensions sur le marché du travail ; c’est d’ailleurs plus la pénurie de travail que les salaires qui en seront affectés, du fait de la volonté des autorités d’accroître ceux-ci par décision administrative. 3.5. Des réformes économiques pour conforter la stabilité sociale 3.5.1. Réduire les inégalités par une meilleure répartition des revenus La réorientation de l’économie passe par une meilleure répartition des richesses. La hausse de la consommation comme la réduction des inégalités permettront la baisse du taux d’épargne (davantage le fait des entreprises ou des revenus les plus élevés, toutes choses égales par ailleurs) ou de l’économie « grise ». L’action redistributive de l’Etat se heurte en effet aux revenus non déclarés : la corruption, l’évasion fiscale, le secteur informel et les avantages en nature représenteraient 30 % du PIB202. Le manque à gagner pour l’Etat réduit les possibilités de développer les dépenses sociales et constitue une barrière pour la réduction des inégalités ; à ce titre, il entretient l’insatisfaction. Les moyens de l’Etat se renforcent certes au fur et à mesure que le système fiscal se conforte ; mais la différence entre les moyens mis en œuvre (ou les résultats) en matière de contrôle des revenus, d’une part, et d’autres sujets de contrôle d’autre part, illustre les priorités des autorités. La hausse de la productivité, la transition démographique et le développement des services, largement entamés, favorisent la position de négociation des employés et la hausse de leurs salaires. Cette évolution reçoit l’appui des autorités, comme l’atteste la loi du travail de 2008. Le gouvernement est donc conscient de la nécessité de cette évolution ; il appuie souvent les intérêts des employés. La hausse des salaires procède donc de tendances lourdes mais, d’une part, ses effets (sur l’inflation notamment) doivent être gérés ; et, d’autre part, des décisions politiques peuvent venir la renforcer pour réduire les inégalités. C’est l’objet de la généralisation de la couverture sociale ; c’est aussi le sens de l’évolution de la fiscalité : relèvement de l’exemption d’impôt sur les revenus de 2 500 RMB à 3 500 RMB (540 USD environ) par mois au 1er septembre 2010 (diminuant le nombre salariés imposables de 28 % à 8 %) ; volonté d’une taxation effective des bénéfices des SOE. Ces hausses de taxes et d’impôts permettront une redistribution par le biais de la reconstitution d’un service public de la santé, mais aussi de l’éducation. La sécurité sociale suit en 2011 une progression favorable à la réduction des inégalités. Après 30 années de désengagement, la Chine s’oriente vers un retour de l’Etat dans le domaine social, notamment afin d’assurer la cohésion sociale. La loi rentrée en vigueur le 1er juillet 2011 réinstaure le principe d’une couverture généralisée. Les contributions aux risques vieillesses, santé et chômage sont obligatoires pour l’ensemble des 201 Il est surprenant de constater à quel point les termes du débat sur les mouvements entre provinces en Chine ne sont pas si différents de ceux sur l’immigration en Europe : les provinces ou les villes riches (Shanghai, notamment) se montrent réservées vis-à-vis d’afflux de populations pauvres, accusées de nombreux maux, comme de dégrader le niveau des classes ou d’alimenter l’insécurité. Ceci explique la sensibilité qu’aurait une suppression du hukou et le choix qu’ont fait les autorités, dans ce contexte, de modifier les effets sans toucher au principe (une solution pragmatique souvent mise en œuvre en Chine). 202 Financial Times. China investors: beware of inequality. 5 juin 2011. 84 employés et des employeurs. Les employeurs sont seuls tenus de contribuer aux risques accidents du travail et maternité. 3.5.2. Réduire la pauvreté par la réduction des risques Plusieurs obstacles s’opposent à la réforme en cours de la couverture sociale : d’une part, sa mise en place constitue un défi titanesque, à l’échelle d’un pays comme la Chine. Par ailleurs, l’autonomie des collectivités locales rend difficile l’application des décisions prises au niveau central, lorsqu’elles risquent de ralentir la croissance. Les gouvernements locaux subissent les pressions de milieux d’affaires – chinois, mais aussi hongkongais et taïwanais, très remontés à l’encontre de ce qui peut constituer une hausse des coûts – et la mise en place d’un service public de santé peut être perçu comme une contrainte coûteuse, à l’instar de la loi du travail entrée en vigueur en 2008. Son application avait d’ailleurs été largement suspendue dans nombre d’entreprises chinoises, lors de la crise de 2009, au profit de la préservation de l’emploi. La maladie est la première cause de pauvreté en Chine ; elle occupe la 1ère place des risques auquel le gouvernement doit s’attaquer. Le système de santé, même s’il pâtit d’un accès aux soins très inégalitaire, n’en a pas moins connu un fort développement en 30 ans : en 1980, les soins étaient certes gratuits, mais le total des budgets consacrés à la santé était très faible. Il s’est accru ensuite, même si la part des dépenses publiques s’est réduite en son sein. Financement des dépenses des soins de santé Source : Ministère de la Santé. In : Sinclair J.A.C. (opus cité). Le système de santé juxtapose des services et quelques structures de bon, voire de haut niveau – sous réserve d’y avoir accès – et un ensemble insuffisant. L’extension de la sécurité sociale ne serait pas suffisante si le système de santé n’offrait pas un service compétent. Or, la relation entre les patients et les hôpitaux est souvent difficile, du fait des frais supplémentaires à acquitter, de manière directe (et discrète) pour accéder aux soins. La généralisation de la couverture sociale passera donc par la hausse des cotisations à même d’assurer les prestations, mais aussi par la hausse des rémunérations du personnel médical et des investissements dans les structures de santé. 85 En outre, la vente de médicaments, très lucrative pour les hôpitaux, est surdéveloppée. Les hôpitaux capables d’opérations modernes représentent en 2009 seulement 6 % des hôpitaux et cliniques, et sont concentrés dans les principales villes203. Or, une la mise en place d’une couverture universelle de santé constitue un enjeu encore plus difficile en zone rurale. Le gouvernement doit donc y poursuivre le développement du système de santé, entrepris depuis quelques années et nécessaire pour y réduire la pauvreté. Autant dire que ces réformes, quelle que soit la volonté des autorités, mettront du temps à se concrétiser pleinement, d’autant que le texte actuel n’est encore qu’un cadre et devra être complété par des dispositions au niveau local. L’effort est de même ordre pour l’éducation : la Chine a beaucoup investi, depuis 10 ans, dans l’éducation supérieure, en appui au rattrapage technologique et à l’émergence industrielle. Toutefois, l’éducation primaire et secondaire n’a pas bénéficié des mêmes progrès. Très élitiste (et coûteuse, si l’on y inclut les cours supplémentaires (bushiban)), elle laisse de côté des groupes de population, tels que les enfants venus après l’enfant unique (pour ceux des parents qui n’ont pu acquitter l’amende) et, surtout, les mingong ; ceux-ci n’ont pas de droit à l’éducation gratuite en zone urbaine dont ils ne sont pas issus. Leurs enfants ne sont, souvent, pas scolarisés ou sont mal scolarisés ; ainsi, à Pékin, environ 10 % des 433 000 enfants de mingong sont scolarisés dans plus de 100 écoles opérant sans autorisations, sous le coup d’une fermeture administrative204. L’extension et l’allongement de la durée de scolarisation obligatoire seraient des mesures pertinentes pour développer le capital humain nécessaire à l’économie de services et d’innovation, orientée sur la valeur ajoutée, que la Chine souhaite mettre en place. Evolution des budgets sociaux et environnementaux Source : Rothman A. Local Government debt update. Sinology. CLSA. 6 février2012. 5 pp. Il ne faut toutefois pas négliger les efforts de l’Etat dans le domaine social : ils constituent l’une des réorientations majeures du tandem Hu Jintao et Wen Jiabao : les budgets consacrés à la santé, à l’éducation, aux services sociaux ont, à l’instar des dépenses environnementales, connu une 203 Sinclair J.A.C. China’s Healthcare Reform, Our Prognosis for Multinational Healthcare Players. InterChina Insight. InterChina Consulting. Mai 2009. 19 pp. 204 AFP. En Chine, des milliers d'enfants de migrants à Pékin privés de rentrée scolaire. 7 septembre 2011. 86 évolution rapide depuis 5 à 10 ans ; les besoins restent immenses et l’efficacité de ces mesures, au niveau local et notamment en zone rurale, reste à apprécier. Le vieillissement de la population accroîtra en outre fortement les coûts de cette politique, dans les décennies qui viennent. Conclusion La Chine doit, en définitive, faire face à nombre de défis qui pèseront sur sa croissance, dans les décennies à venir : perte de compétitivité et difficulté à faire émerger un nouveau modèle productif, basé sur une industrie à valeur ajoutée et sur une économie de services ; inefficacité du système financier et risques de défaut, de bulle et de surinvestissement ; dégradation environnementale ; vieillissement démographique ; croissance des inégalités et remise en cause de la stabilité sociale. Ces défis pourraient conduire, s’il n’y est pas répondu, à un ralentissement économique plus ou moins marqué, sous forme d’une crise ou, de manière plus pernicieuse (et sans doute plus probable) à une sclérose progressive. Leurs effets ne se feront donc pas forcément sentir à plein sur le plan quinquennal en cours, mais plutôt sur l’ensemble de la décennie, voire au-delà. De manière générale, les autorités – au moins au niveau central – semblent conscientes de ces risques ; il apparaît même qu’elles ont souvent identifié les solutions pour y répondre et conçu des programmes de mesures à cet effet. En définitive, c’est moins l’identification des problèmes – assez claire – et de solutions – souvent crédibles – qui semble poser problème que la capacité à mettre en œuvre les réformes205, et notamment à les imposer aux divers groupes de pression qui se sont constitués et qui ont intérêt au statu quo206 : détenteurs de monopoles, grandes entreprises publiques, collectivités locales, bureaucratie, entreprises exportatrices … soit un ensemble de cercles qui, d’ailleurs, se recoupent largement. Or, l’exercice du pouvoir en Chine a évolué dans un sens de plus forte collégialité, d’une prise de décision plus consensuelle et progressive : les présidents Deng Xiaoping et Jiang Zemin, ainsi que le Premier Ministre Zhu Rongji, ont sans doute été à même d’exercer un pouvoir plus direct ; il leur a permis de faire passer des réformes drastiques voire impopulaires, comme la restructuration des entreprises publiques des années 1990. Hu Jintao, Wen Jiabao et leurs successeurs devront composer avec des modes de décision et de mise en œuvre de ces décisions plus lents. Certes, la politique d’expérimentation des réformes à petite échelle (géographique ou sectorielle) a commencé dès Deng Xiaoping, avec les zones économiques spéciales ; mais elle semble être désormais érigée en principe de gouvernement. Le recours au soutien populaire, à travers l’utilisation de l’internet (blogs et autres), les campagnes « main propre » ou le soutien lors de conflits sociaux (en usine, mais aussi à Wukan, contre des cadres locaux corrompus) peuvent se lire comme la nécessité d’utiliser un levier populaire pour faire avancer des réformes que les lobbys du statu quo s’emploient à bloquer. De fait, peu des risques identifiés apparaissent suffisamment menaçants à court terme, peu de solutions semblent suffisamment indispensables, pour justifier une forte mobilisation. La Chine n’est pas en crise. Il ne faut pas souhaiter celle-ci, mais elle aurait au moins le mérite de hâter la mise en œuvre de réformes. A l’inverse, celles-ci peuvent être différées au profit d’accommodements ou d’ajustements à la marge ; ceux-ci sont certes bien adaptés à la prudence de bon aloi pour diriger un pays de la taille et de la complexité de la Chine. Ils demeurent insuffisants à répondre aux enjeux 205 Xu Bei. Evaluons le risque chinois. Note mensuelle Natixis. Asie émergente. 8 décembre 2011, 8 pp. 206 Sun Jian. Ne pas laisser les groupes d’intérêt empêcher la réforme. Global Times. 6 février 2012. 87 auxquels le pays est confronté et qui nécessite des réformes de fond, fussent-elles étalées. La mandature Hu Jintao - Wen Jiabao n’a pas été radicale à cet égard, même si des progrès en matière économique et social ont été initiés. Il appartiendra à la nouvelle équipe de confirmer et de prolonger les réformes ébauchées, de manière plus déterminée et conclusive. 88