Ces gens qui font du théâtre : rencontres avec Linda Brunelle et

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Ces gens qui font du théâtre : rencontres avec Linda Brunelle et
tronqués pour reproduire et faire vivre, de façon
crédible, une ou
Ces gens qui font le théâtre :
Rencontres
Une chronique de Martin Faucher
Entrevue avec les concepteurs
Linda Brunelle et Jonas Veroff Bouchard
Fréquenter le théâtre, faire du théâtre m’a amené au fil du temps à rencontrer
une multitude d’artistes, des personnalités marquantes, des gens
passionnants. Le hasard, les affinités et les circonstances ont déterminé ces
rencontres qui font désormais partie de ma vie. Dans la foulée de la
préparation des Seconds États généraux, j’ai eu envie de réunir tout
simplement certains de ces artistes que j’aime bien afin qu’ils me fassent part
de ce qui les anime et préoccupe dans leur pratique théâtrale quotidienne.
C’est donc le fruit de ces échanges que je vous livre dans le cadre de cette
petite chronique qui accompagnera les parutions des bulletins REGARDS.
Martin Faucher
J’ai réuni le 23 octobre dernier au Café Eldorado,
deux concepteurs de théâtre, Linda Brunelle et
Jonas Veroff Bouchard. Conceptrice de costumes et
scénographe depuis 17 ans, Linda a signé plus de
70 projets, tant en théâtre pour l’enfance et la
jeunesse, qu’en théâtre pour adulte, en danse
contemporaine et parfois en cirque et en cinéma. De
son côté, Jonas est avant tout scénographe, bien
qu’il travaille également à l’occasion comme
concepteur d’accessoires et d’éclairage pour divers
projets. Diplômé de l’École nationale du théâtre du
Canada en 2000 et ayant déjà une vingtaine de
conceptions de décors à son actif, il fait encore
partie de cette nébuleuse catégorie que l’on nomme
la « relève » théâtrale.
Martin Faucher : Linda, Jonas, bonjour. Vous
avez choisi, afin de vous accomplir, l’art
théâtral. Vous scénographiez, concevez des
accessoires, dessinez et réalisez des costumes
pour la scène. Comment décririez-vous votre
métier?
Linda
Brunelle :
Être
concepteur
implique
d’explorer les dimensions à la fois historique,
contemporaine et scientifique qui composent un
texte de théâtre. On passe parfois par des chemins
plusieurs réalités sur une scène. C’est beaucoup
plus que du dessin, c’est un travail de pieuvre, de
multiprofessionnels. Ce travail d’exploration est
encore plus marqué au Québec, puisque les
ressources sont tellement limitées et précaires.
Jonas Veroff Bouchard : Le concepteur de théâtre
au Québec est un homme à tout faire, un artiste
complet capable de travailler la matière et de
magasiner un lampadaire d’autoroute pour un
Claudel au TNM ou encore de négocier avec un chef
technique de mauvaise humeur! Je suis issu d’une
famille d’artistes, j’ai eu la chance, étant jeune, de
tâter de tout, tant la musique que l’ébénisterie. En
ce sens, le théâtre a l’avantage de réunir plusieurs
de mes centres d’intérêt. Tel un homme de la
Renaissance, il faut être à la fois politologue,
historien et artiste en plus d’être capable d’acheter
des planches de 2x4! C’est une étrange combinaison
entre l’académique et le concret, le très matériel.
De plus, on change de projet aux trois mois, on doit
donc constamment se renouveler, se servir de
nouvelles ressources car on repart toujours à zéro.
Les possibilités sont illimitées. C’est à la fois
stimulant et angoissant...
Linda poursuit dans cette même direction : « Je suis
allée à l’école de théâtre, mais je continue à
apprendre. Le théâtre, c’est aussi l’école de la vie.
Chaque projet est unique, on n’en fait jamais le
tour. La rencontre des humains permet d’apprendre
sur soi et sur les autres. Si j’étais restée dans mon
petit patelin à exercer un autre métier, je n’aurais
probablement pas cette ouverture sur le monde. Il y
a quelque chose de philosophique dans ce métier,
une dimension spirituelle. On ne pourra jamais
dire : « je me suis complètement accomplie ». Je
sens que je grandis chaque année. Les dernières
années de pratique ont peut-être été difficiles, mais
je ne pourrais pas renoncer à mon métier. J’en
mourrais! »
M.F. : Qu’est-ce qui vous excite, vous stimule
encore et toujours dans votre travail?
Linda revient à
nouveau
sur
l’étape essentielle
qui
consiste
à
explorer
les
relations entre les
dimensions
émotive,
culturelle,
historique
et
technique
d’un
texte de théâtre:
« De cette recherche découlera LE filon que l’on
suivra jusqu’à la fin. Il faut que tout converge vers
le même point pour que ça marche. La proposition
qui marche, c’est celle qui peut s’amalgamer à
toutes les directions que prend et peut encore
prendre le projet théâtral. »
« C’est la fécule de maïs! » ajoute Jonas pour qui
l’ensemble du processus de création, où l’on
cherche à combiner une situation réelle avec le
théâtre, est excitant : « À la lecture, je vois défiler
le film du texte, puis le gros du travail, c’est de faire
marcher ce film dans la réalité théâtrale et l’intégrer
à celle du metteur en scène. Il y a de longs
moments où ça cogite, où on doit trouver ˝ la
bonne affaire ˝, puis un autre moment, parfois très
court, où ça sort. Le moment magique, c’est le soir
de la première, lorsque tu réalises que l’idée, ˝ la
bonne affaire ˝, tient la route ».
M.F. : Quels sont les défis, les difficultés
particulières auxquels vous devez faire face
afin de pratiquer votre métier?
Jonas se considère privilégié de pouvoir faire de la
scénographie, tout en demeurant conscient qu’il y a
des métiers beaucoup plus payants et moins
exigeants que le théâtre. Il explique : « Au début de
ma carrière, j’essayais de faire plusieurs shows en
même temps et je crevais de faim. Je vivais avec
300$ par semaine. Je me suis sérieusement
demandé pourquoi est-ce que je me fendais en
quatre pour être si peu payé! À faire quatre shows
par mois, tu n’es plus artiste, mais technicien en
art, parce que tu ne peux plus réfléchir et tu roules
sur tes réserves de culture, d’information, de
recherche. Cette année, je fais un contrat à la fois
et ça va mieux, mais je suis toujours prêt à changer
de branche. »
Pour Linda, ce dilemme entre passion pour son
travail et nécessités matérielles est très vibrant. Elle
résume ainsi les trois étapes de la vie de
scénographe : « La première étape est celle lorsque
tu sors de l’école de théâtre; la seconde, qui dure
entre cinq et dix ans, où tu acquiers de l’expérience,
tu es dans le vent, tu travailles; et finalement, la
troisième, où tu frappes les 40 ans. Celle-là est plus
difficile, tu as acquis de l’expérience, de la maturité.
Tu sais comment ça fonctionne sur le terrain et en
plus, l’imagination est débordante. Tu maîtrises tes
propres mécanismes de création et tu peux mener
tes projets artistiques beaucoup plus loin que
lorsque
tu
débutes
dans
le
métier.
Malheureusement, tu as aussi trop d’expérience
pour le milieu, on prend pour acquis que tu coûtes
trop cher. En plus, il y a d’autres concepteurs qui
ont encore plus d’expérience, alors qu’il n’y a pas
tant de projets costauds à Montréal. Il y a aussi la
relève, nombreuse, avec autant de talent, sinon
plus, et qui coûte beaucoup moins cher. C’est hyper
frustrant, parce que c’est maintenant que j’ai
quelque chose à dire ».
La réalité économique du métier de concepteur
impose ainsi de constantes réflexions sur l’avenir.
Jonas est très conscient du côté éphémère de son
métier : « Je suis de nature cynique, j’ai toujours su
que je ne ferais pas ça toute ma vie. Je reste sur le
bateau tant que l’eau bouge. En même temps, je
prépare ma retraite depuis que j’ai 16 ans, je
pourrais faire de l’artisanat en campagne… Je me
suis toujours entraîné à garder l’esprit ouvert, à
savoir que je pourrais changer de job huit fois dans
ma vie! Au Québec, le bassin n’est pas énorme, ça
prend quelques théâtres qui changent d’avis sur toi
pour mettre fin à une carrière. On est vulnérable. Si
quelqu’un décide que je dessine mal ou un autre
que je coûte trop cher, je suis à leur merci ». En
même temps, il n’essaie pas de se battre contre une
société qui ne valorise pas l’art : « Je ne me sens
pas le pouvoir de changer les mentalités des
directions artistiques, des conseils d’administration.
Je ne m’attends pas à gagner ma vie en faisant de
l’art, même si je la gagne présentement, bien
qu’avec des standards modestes. »
Ce côté éphémère est plus difficile pour Linda
puisqu’elle s’interroge, depuis deux ans, sur son
avenir professionnel: « Honnêtement, je ne me
projette pas comme scénographe dans dix ans,
mais j’en rêve! Le théâtre me rend tellement
heureuse! Le bout du bout serait d’être assurée de
survivre, être capable de payer mon loyer et mes
comptes chaque année. En ce moment, ce n’est pas
le cas. Ça fait mal de penser que je pourrais ne plus
faire partie du milieu théâtral, mais il n’y a pas
assez de place pour tout le monde. Je dois être
objective et me demander comment réorganiser ma
vie. J’ai une formation artistique générale, plusieurs
possibilités de travail dans des domaines connexes
s’offrent à moi. Je prépare mon portfolio pour aller
cogner aux portes du cinéma...»
J.V.B. : Ne va pas là! Le cinéma, c’est tout ce dont
on a parlé à propos du théâtre mais avec une
organisation hiérarchique dans une structure
militaire! Au théâtre, on travaille peut-être 70
heures par semaine, mais on se sent plus libre…
L.B. : Oui, tu as raison. Au théâtre, tu peux parler
au metteur en scène lorsque tu ne trouves pas le
filon, alors qu’au cinéma, on t’achète, tu appartiens
au film. Le théâtre c’est organique. Je ne me suis
pas tapée 17 ans d’expérience, de ténacité, d’efforts
et d’amour pour quitter le théâtre, j’ai trop d’orgueil
pour laisser ça. J’ai envie de parler et dire que ça
n’a pas de bon sens. Dans la belle et grande famille
du théâtre, chacun tire son bout de couverte de son
côté. On n’y arrivera pas comme ça. Je crois que
l’on peut travailler tous ensemble.
M.F. : Justement, quelles sont les relations
avec les théâtres qui vous engagent?
Une des sources de frustration rencontrée par les
concepteurs est celle de la négociation salariale.
C’est ce qu’exprime Linda : « Les relations
demeurent chaleureuses jusqu’à ce qu’il soit
question de salaire, du nombre d’heures de travail
que requiert tel ou tel projet! Même si ce discours
est très présent dans les théâtres, il faut arrêter de
penser que l’on peut faire cinq productions
en même temps, ce n’est pas possible, on ne
peut pas, on en fait une à la fois! »
Jonas ajoute que ce n’est à l’avantage de
personne
que
les
concepteurs
soient
éparpillés entre plusieurs contrats : « Je sens
qu’il n’y a pas suffisamment de volonté des
théâtres de nous amener à notre plein
potentiel, d’investir dans notre métier afin
que nous puissions vraiment explorer, créer.
Et pourtant, le montant d’argent qui ferait la
différence pour verser des cachets acceptables n’est
pas énorme, mais c’est la peur de se retrouver dans
l’obligation de majorer les enveloppes de tous les
concepteurs qui prime! Actuellement, on ne nous
fait pas de cadeau, on ne majore pas les salaires en
fonction de la charge de travail. Il y a un jeu dans la
négociation, il y a beaucoup de disparités de
cachets entre les concepteurs, ça manque de
transparence ». Linda précise que les disparités
demeurent encore marquées par les relations de
pouvoir entre les hommes et les femmes.
La conversation dérive vers les agents d’artistes qui
sont
aujourd’hui
incontournables
pour
les
concepteurs. Avoir un agent neutralise le processus
de négociation et minimise certains conflits. Jonas
s’est tourné vers un agent pour négocier ses
cachets. Linda ajoute que les agents sont devenus
essentiels parce que le statut de concepteur est
davantage compliqué qu’il ne l’était : « On est
concepteur de costumes en plus d’être chef
d’atelier,
acheteur,
directeur
technique
et
gestionnaire de nos budgets ».
M.F. : Et que vous souhaitez-vous pour l’avenir
du théâtre québécois?
J.V.B. : Que le développement de l’art et la culture
soit une préoccupation bien réelle pour nos
différents gouvernements, pas seulement un beau
discours, et que cette préoccupation se reflète de
manière bien concrète dans les budgets alloués aux
différents conseils des arts. Je souhaite également
que le travail fourni par les concepteurs, les
interprètes et les metteurs en scène soit apprécié à
leur juste valeur afin que nous puissions créer
confortablement
tous
ensemble un théâtre riche
et porteur de sens.
L.B. : Je souhaite que tous
ensemble,
subventionneurs,
administrateurs de théâtre
et
créateurs,
nous
reconnaissions enfin la
valeur de la création. Cela
exigera des efforts de
plus! Cela exigera de l’imagination (je ne suis pas
inquiète)! Cela exigera peut-être de réinventer la
façon d’administrer et de gérer le théâtre!? Cela
exigera peut-être aussi de réinventer la façon de
créer!? Et pourquoi pas!? Soyons irrévérencieux,
marginaux, controversés! C’est ça le théâtre. Mais
faisons-le tous ensemble!!!
M.F. : Tout à fait d’accord. Faites que
quelqu’un vous entende! Linda, Jonas, merci
de cet entretien.
Cette rencontre avec Linda Brunelle et Jonas Veroff Bouchard fut fort révélatrice des
difficultés bien présentes avec lesquelles les concepteurs de théâtre doivent composer pour
évoluer dans leur métier. La précarité et l’instabilité financières sont réelles, et ce, à tout
âge. Jonas a récemment travaillé pour la Soirée des Masques et travaille actuellement pour
la Fabuleuse Histoire du Royaume. Ces deux projets plus lucratifs lui permettent de travailler
au sein de compagnies aux budgets plus modestes, Infinitheatre et le Nouveau Théâtre
Expérimental. De son côté, Linda travaille sur un projet de danse multimédia « hyper
technologique » où elle doit aborder le vêtement de façon technique, voir « biomécanique ».
Je leur souhaite donc créativité, succès… Et stabilité financière!!!

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