Allo, Mars ? … Ici la Terre !
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Allo, Mars ? … Ici la Terre !
Allo, Mars ? … Ici la Terre ! Ne vous êtes-vous jamais demandé comment on dialogue avec une sonde spatiale ? Je ne parle pas ici des petits satellites qui tournent autour de la Terre, mais des véritables sondes qui explorent les confins du Système solaire. En effet, dans ce cas, de nombreuses difficultés surgissent. Tout d’abord, le délai. Les ondes radio ne se déplacent « qu’à » 300 000 km/s (la vitesse de la lumière) : il faudra donc 15 min environ La sonde Voyager 2 pour atteindre une sonde martienne, et 9 à 11h pour que les sondes Voyager reçoivent un ordre de la Terre. Et évidemment, il faut ajouter le même intervalle de temps pour recevoir la réponse de la sonde. Il n’est donc pas question de commander « en direct » un petit rover martien ou une sonde exploratrice jovienne : le maître mot, c’est anticiper ! Pour dialoguer avec une sonde, on utilise des micro-ondes, dans trois bandes de fréquences particulières : la bande S (autour de 2 GigaHertz (GHz)), la bande X (autour de 8 GHz) et la bande Ka (autour de 32 GHz)1. Actuellement, on tend à favoriser les fréquences les plus élevées, car le signal est alors émis en un pinceau plus fin, ce qui permet d’augmenter la puissance du signal reçu sur Terre (on perd moins de signal puisqu’on « vise » mieux la Terre). Mais il y a pire : il faut savoir que plus un signal est émis loin de nous, plus l’intensité à sa réception sur Terre diminue. Si la distance double, l’intensité du signal sera ainsi divisée par quatre ! Pour les sondes explorant le système solaire, les distances mises en jeu sont bien sûr énormes – on n’est plus dans la proche banlieue de la Terre –, et le signal arrive sur Terre très diminué. En fait, le signal est émis par la sonde dans un cône, et la Terre n’en intercepte qu’une petite partie : un signal envoyé de Saturne par Cassini sera dispersé dans un disque d’un diamètre de 1000 rayons terrestres… On pourrait penser compenser ces effets par une plus grande puissance d’émission, mais les contraintes de poids – et surtout de coût – imposées aux missions spatiales, limitent la puissance maximale d’émission des sondes à 20 W (soit la puissance électrique d’une ampoule de frigo !). Les signaux reçus sont donc extraordinairement faibles : 10-16 W par exemple pour la sonde Cassini lorsqu’elle sera dans la banlieue de Saturne… Mais les astronomes ont quand même relevé le défi. 1. Sur Terre Tout ceci nécessite obligatoirement un très bon récepteur sur Terre : c’est pourquoi le Deep Space Network (DSN) fut mis sur pied. Au début de la conquête spatiale, les militaires déployaient au besoin des antennes portables lorsque c’était nécessaire ; ensuite, la responsabilité des communications échut à la NASA, qui créa le DSN. Comme la Terre tourne sur elle-même, il faut disposer de plusieurs sites répartis sur le globe terrestre pour pouvoir garder un contact continu avec la sonde. Le DSN comporte ainsi trois sites principaux : Goldstone (Californie), Canberra (Australie) et Madrid (Espagne). Chaque site est équipé de plusieurs antennes paraboliques, dont le 1 diamètre varie entre 9 et 70 m et la puissance d’émission entre 2 et 20 kW ; en cas de problème, cette puissance peut être portée à 400 kW. L’antenne doit être pointée avec un soin tout particulier : pour une antenne de 34 mètres en bande X, la largeur du faisceau radio n’est que de Localisation des sites du Deep Space Network. 0,017° ; il faut bien entendu que l’antenne soit suffisamment stable pour qu’un coup de vent ne la dépointe pas ! De plus, les antennes servent en même temps à l’émission et à la réception des signaux : il faut donc d’abord séparer ces deux signaux de puissances extrêmement différentes (10-16 W contre 400 kW). Le signal très faible reçu de la sonde doit ensuite être amplifié pour pouvoir le traiter. On utilise pour ce faire des amplificateurs à faible bruit, par exemple des masers (l’équivalent des lasers pour les ondes radio), qui permettent d’atteindre des gains de 700 000. Il ne faut surtout pas ajouter du bruit, sinon le signal serait brouillé et illisible : on plonge donc ces amplis masers dans des bains d’hélium liquide à 4 K (– 269°C !), ce qui entraîne malheureusement une maintenance assez lourde. On peut utiliser aussi des amplis d’un autre type, faisant appel à des transistors particuliers refroidis à « seulement » 15 K. Néanmoins, même après toutes ces opérations, le signal peut encore être trop faible. On recourt alors à une technique interférométrique, en mettant les antennes en réseau : les signaux provenant d’une même source sont combinés, ce qui permet d’atteindre la précision d’une antenne fictive bien plus grande que les antennes réceptrices réelles. Pour ce faire, on peut utiliser les radiotélescopes de sites habituellement consacrés à la radioastronomie, comme le Very Large Array (Nouveau-Mexique), Usuda (Japon) ou Parkes (Australie), qui bénéficient en retour de la technologie de pointe du DSN. Notons que le DSN est utilisé pour TOUTES les sondes en vol : pour le moment, il y en a 28 à suivre en même temps… une bonne gestion du temps est indispensable :on ne peut écouter tout le monde à la fois ! Pour faciliter les choses, l’agence spatiale européenne (ESA) a elle aussi construit des stations de réception sur Terre : Redu (Belgique), Villafranca (Espagne), Perth (Australie), … peuvent ainsi « décharger » le Antennes ESA DSN d’une partie de sa tâche. 2 2. Sur la sonde Avoir un bon récepteur, c’est bien, mais encore faut-il décider quoi lui envoyer. Si la sonde ne reçoit que des commandes de la Terre, elle envoie plusieurs types d’information à ses « maîtres ». De la science, tout d’abord, càd des images, des spectres, et autres données prises par les instruments à bord de la sonde en suivant les commandes qui lui ont été envoyées. Ensuite, l’état des systèmes, ce que l’on appelle « télémétrie ». On pourrait croire qu’il n’y a pas grand chose à dire. Mais pour que les ingénieurs sur Terre comprennent le comportement de la sonde, ils Une des antennes de 70 mètres ont besoin de connaître l’état de TOUS les systèmes embarqués, de diamètre du réseau DSN, jusqu’au moindre petit interrupteur électronique. Pour la sonde située à Goldstone, en Californie. Cassini, par exemple, ça fait plus de 13 000 mesures à envoyer ! Pour s’y retrouver, on peut décider d’envoyer à intervalles réguliers toutes ces mesures, dans un ordre déterminé et toujours identique. Mais évidemment, si un système n'a rien à dire, il remplira quand même l’espace-données qui lui est alloué, pour ne pas briser l’ordre de passage. C’est pourquoi certaines sondes utilisent une gestion plus efficace de la télémétrie : les composants envoient leurs informations uniquement quand c’est nécessaire, précédé d’un numéro d’identification pour pouvoir s’y retrouver facilement. La sonde Deep Space 1, quant à elle, a testé une technologie nouvelle, bien plus efficace. Puisque l’envoi de toute cette « télémétrie » consomme du temps pendant lequel la sonde aurait pu envoyer des informations scientifiques supplémentaires, il suffit… de la supprimer. Deep Space 1 était en fait capable d’évaluer elle-même son état et d’envoyer un diagnostic sous la forme d’un signal très simple, un peu à la manière d’une balise. Ce signal peut posséder quatre « tons » différents, allant de « tout va bien, il est inutile Système de balise de Deep Space 1. de pointer l’antenne principale sur moi » à « alerte rouge, prenez-moi en charge immédiatement ». Cela permet d’utiliser une antenne plus petite, moins performante, pour l’écoute de cette balise, libérant ainsi la grande antenne de 70 m et lui permettant de se consacrer complètement – sauf en cas de problème – à la réception des données scientifiques. Une fois décidé ce que l’on envoie, il faut bien sûr s’en donner les moyens. Les sondes disposent à cet effet d’une antenne qui servira aussi à la réception des commandes. En général, on place sur les sondes une antenne à faible gain (LGA) et une antenne à grand gain (HGA). L’HGA, plus grande, permet d’envoyer plus de données par seconde, mais elle nécessite d’être pointée assez précisément vers la Terre. Certaines sondes ont ainsi vu leur mission écourtée ou annulée 3 Galileo et son antenne non déployée… lorsqu’elles « perdaient » la Terre… Un exemple célèbre est la sonde Galileo, dont l’antenne à grand gain, en forme de parapluie, a refusé de se déployer. Heureusement pour elle, Galileo disposait aussi d’une seconde antenne, de type LGA. La mission put ainsi continuer. Evidemment, on était passé d’un possible 100 000 bits/s (HGA) à seulement 10 bits/s (LGA en configuration de base)… mais les ingénieurs ont réussi à « trafiquer » un peu les systèmes informatiques pour porter ce taux de transmission à un respectable 1000 bits/s. Avec ses 20 W de puissance et son antenne, la sonde va donc enfin envoyer des informations… mais elle ne le fait pas n’importe comment. Il est évidemment hors de question de renvoyer le message s’il a été corrompu : on n’a tout simplement pas le temps pour cela ! Il faut donc être sûr que tout arrive correctement du premier coup, et pour ce faire, on va coder le signal. Des codes particuliers (convolutionnel, Reed-Solomon, cfr ci-contre) permettent d’introduire de la redondance dans le signal : la même information Codage convolutionnel : sera reçue plusieurs fois, et si une erreur se glisse, Le codage d’un bloc (=m bits) dépend de ce bloc mais il devient facile de la corriger. D’un autre côté, il faut envoyer le moins d’infos possible, sinon, cela prendra trop de temps et on perdra de précieuses données scientifiques. On utilise donc en plus des codes un algorithme de compression très efficace… même si cela semble contredire l’utilisation du codage ! aussi des k-1 blocs précédents, il permet de construire un nouveau bloc de n bits. Ex. : k=3, m=1, n=3 : chaque bit sera codé en fonction des deux précédents et donnera un bloc de 3 bits : y1 = xi + xi-1 ⇒ xi = y1 + y2 + y3 y2 = xi + xi-2 xi-1 = y2 + y3 Enfin, les communications sont parfois un y3 = xi + xi-1 + xi-2 xi-2 = y1 + y3 peu plus compliquées. Par exemple lorsque la Terre doit contrôler deux (ou plus) sondes à la 1 0 0 sera donc codé 111 101 011 fois. Galileo et sa sonde atmosphérique, Cassini et Les blocs i, i+1, et i+2 donnent chacun une estimation de Huygens, Mars Global Surveyor (MGS) et les xi : s’il y a un conflit, il suffit de choisir à la majorité. rovers, Mars Express et Beagle2,… Il faut faire Codage de Reed-Solomon : ménage à trois ! En général, c’est la sonde principale sui sert de relais aux « auxiliaires », et Avec un paquet de k symboles (m0…mk-1 ), on construit 2 k-1 il n’y a alors qu’un seul système de le polynôme P(x)=m0+m1 x+m2 x +…+mk-1 x que l’on q-1 communication particulier à construire, car les évalue en q valeurs (0, α, α ,…). C’est un code très bon communications entre sondes proches sont très pour détecter les vagues d’erreurs, on l’utilise avant le faciles. Les rovers martiens transmettront ainsi 60 code convolutionnel qui peut en effet produire de tels Mb de données par jour à MGS, pendant les huit problèmes. petites minutes que ce dernier passera au-dessus des rovers… Mais évidemment, c’est une configuration dangereuse : que se passera-t-il si la sonde principale a un problème ? Pour les rovers martiens, on a résolu le problème en leur ajoutant une 4 antenne « d’urgence » pour pouvoir communiquer directement avec la Terre, au cas où. La NASA et l’ESA se sont aussi entendues pour rendre compatibles leurs systèmes de communication, ce qui permet à une sonde ESA de relayer un signal NASA, et vice-versa. Pour les autres missions, il ne reste qu’à faire un voeu sur l’état de santé de la sonde principale… Un dernier cas « pathologique » de communication : les vaillants explorateurs. Les premières sondes lancées par l’homme sont en train d’atteindre les limites de notre système solaire. Pour mieux comprendre ces confins, il est nécessaire de continuer à communiquer avec les Voyager1 et autres Pioneer, même si leur signal devient de plus en plus faible. Début 2003, les astronomes ont ainsi perdu le contact avec Pioneer 10. Lancé en 1972 pour une mission de 21 mois, elle a survolé Jupiter en 1973, a dépassé l’orbite de Pluton en 1983 et se trouvait en janvier 2003 à 82 unités astronomiques de la Terre… Les 30 ans de service actif ont eu raison de la source d’énergie de la sonde, qui a fini par lâcher. Porteuse d’un message destiné à nos voisins galactiques, s’il y en a, elle se dirige actuellement vers Aldébaran, situé à 68 années-lumière, qu’elle atteindra dans deux millions d’années… 3. Science et radio L’analyse du signal envoyé par une sonde permet aussi de connaître sa position exacte et même de faire de la science, de façon indirecte. Tout d’abord, en utilisant l’effet Doppler, on peut déterminer la vitesse de la sonde en mesurant sa fréquence. Pour obtenir une grande précision (« un dixième de la vitesse d’un escargot au galop », d’après un astronome ESA), il faut bien connaître la fréquence de départ. Comme le matériel pour créer une fréquence très stable n’est pas embarquable à bord d’une sonde (restriction du poids et des coûts !), on la crée sur Terre avec des horloges précises (moins d’une seconde de déviation en 30 millions d’années). La sonde n’aura plus qu’à « recopier » la fréquence du signal de commande. Toute variation de la vitesse de la sonde Mars Express communique avec la Terre permettra d’étudier la rotation de l’astre examiné ou les pendant 7.5h, et observe Mars pendant 1.5h 1 Pour citer un astronome de la NASA, communiquer avec les Voyager, c’est comme « envoyer une balle de base-ball vers un bateau situé à des milliers de kilomètres loin dans l’océan, et être capable de faire passer cette balle à travers un petit hublot ouvert »… 5 variations de son champ gravitationnel (montagnes, anomalies gravitationnelles, …). Si on oblige la sonde à renvoyer immédiatement un message court particulier, le temps d’aller-retour de ce message permet de détérminer la distance de la sonde, avec une précision de 5 à 10 m ! Si on ne peut faire cela, on peut utiliser la triangulation : deux stations sur Terre mesurent la position angulaire de la sonde par rapport à une source astronomique connue (un quasar par exemple), et la différence des angles donnera la position de la sonde au kilomètre près. Juste avant (ou juste après) que le passage de Mars Express derrière la planète rouge, vu de la Terre, son signal radio sera déformé par l’atmosphère martienne. Enfin, l’atmosphère d’un astre, peut provoquer un délai dans la transmission du signal radio, diminuer son intensité ou le réfléchir partiellement. Si une sonde passe par exemple « derrière » le Soleil ou une planète, la déformation de son signal radio juste avant sa disparition permettra de déterminer l’évolution de la température, la densité, ou la pression de l’atmosphère avec l’altitude. Des erreurs, dues aux irrégularités de la rotation de la Terre et à l’état de l’atmosphère, pourraient a priori entacher toutes ces mesures. Toutefois, ces effets sont aujourd’hui bien compris ou peuvent être mesurés en permanence (notamment grâce au GPS) et ne posent donc plus de problèmes : il suffit de les « soustraire » du signal Communiquer avec une sonde spatiale n’est pas simple… mais les astronomes ne peuvent se passer de l’observation « in situ », d’une qualité inégalée. Il a donc fallu trouver des solutions. On utilise des codes, des antennes énormes, des instruments incroyablement précis, … Mais ça marche, et on arrive même à faire de la science avec ce signal ! Yaël Nazé (IAGL) 6