album et photo angelina jolie nu

Transcription

album et photo angelina jolie nu
Sommaire
Olga & Olga
– les cinéastes Sommerová et
·pátová parlent du féminisme et
de la galanterie
pp. 4 – 7
Editorial
Tractoristes et soldates
– «égalité civile» des femmes aux
temps du socialisme
pp. 8 – 11
Une drôle de demoiselle
– le violon et le chant d’Iva Bittová
conquièrent les estrades à travers
le monde
pp. 12 – 15
Mannequins top au grand coeur
– histoires de mannequins tchèques
démontrent que «celui est beau qui
fait de belles actions»
pp. 16 – 19
Beauté vaporeuse
– celle du vieux métier de dentellerie
qui devient art
pp. 20 – 21
Ayant promis d’écrire un éditorial sur
le thème Femme comme inspiration,
je me suis posé la question suivante:
Que resterait-il de la littérature s’il
n’y avait pas la femme en tant qu’inspiration et espace d’imagination?
Et la réponse: Très peu, presque rien.
Il n’y aurait pas de poésie, le roman
disparaîtrait et le drame ne serait pas
dramatique. Le seul genre littéraire
qui durerait serait l’éditorial.
Eh oui! «Je n’ai pas connu une seule
dame ou demoiselle qui prenne du
plaisir à lire les éditoriaux dans le
journal,» écrivit l’écrivain Karel âapek en 1925. Depuis, beaucoup de
choses ont changé, presque toutes,
mais aujourd’hui non plus je ne connais pas un seul homme qui connaisse
une seule demoiselle ou dame qui
se complaise à lire les éditoriaux dans
les journaux.
Ainsi donc, c’est aux hommes que
j’adresse cet éditorial. Hommes, avouons
que non seulement nous cherchons la
femme partout, mais que l’y trouvons!
Cherchez la femme – ce mot a dans
la vie la même valeur que, dans les
romans policiers, l’affirmation c’est le
jardinier qui a commis le meurtre.
La femme est responsable de tout
– depuis le silex jusqu’au dernier
modèle d’auto. Vous croyez, Monsieur,
que M. Neadertal tailla le premier
silex pour avoir une arme contre le
mammouth?
Pas moi. A en juger selon moi, il
entreprit cette invention révolutionnaire
pour se rechauffer – en pleine période
glacière – aux rayons de l’admiration
de Mme Neandertal. Uniquement
grâce au feu qu’elle sut allumer dans
ses veines et au foyer qu’elle gardait
dans la grotte, l’homme était à même
de résister à la nature.
Dans la grotte déjà il savait que la
femme est le reflet de tous les charmes
de la nature, concentrés dans un seul
être, mais il ne savait pas l’exprimer
aussi bien que Charles Baudelaire
dans le Boudoir.
Et nous autres hommes, qu’est-ce
que nous sommes? Dans la littérature,
je n’ai pas trouvé de phrase qui donne
une définition satisfaisante. Il faut
attendre. Attendons que la présente
revue propose le thème Homme comme
inspiration et qu’une femme écrive un
éditorial que les dames et les demoiselles liront avec plaisir. Eh oui!
Tinity & Blanka
– Blanka Matragi représente
la tradition, SoÀa Hlaváãková
est une étoile montante du dessin
de mode tchèque
pp. 22 – 25
Muses de la photogénie
– femme en tant qu’objet exalté
du portrait photographique
pp. 26 – 29
Eva Fuka
– «C’est mon monde à moi», dit
la photographe tchèque qui avait
émigré aux Etats-Unis
pp. 30 – 33
Mosaïque d’événements et de
curiosités de la République tchèque
pp. 34 – 35
Vítûzslava Kaprálová
– phénomène de la musique classique
tchèque, étoile prématurément disparue
pp. 36 – 38
Le Coeur de l’Europe paraît six fois par an. Sur ses pages,
ce périodique donne l’image de la vie en République Tchèque.
Les articles expriment les opinions de leurs auteurs qui
peuvent ne pas être toujours identiques aux points de vue
officiels du gouvernement tchèque. La reproduction des
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Petr Vágner, Vladimír Hulec, Petr Volf, Vít Kurfürst, Jan
·ilpoch, Pavel Fischer
Traduction: Institut de Langues et Littératures Romanes
de l’Université Masaryk de Brno.
Imprimé à VâT Pardubice
ISSN 1211–930X
Pavel ·rut
poète et traducteur
Internet: http://www.theo.cz
E-mail de l’éditeur: [email protected]
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Olga & Olga
Toutes les deux sont de noir vêtues, toutes
les deux s’appellent Olga, toutes les deux
sont cinéastes. Elles ont la même coiffure,
celle qui était branchée au temps de Brigitte
Bardot. L’une est blonde, l’autre brune. Elles
parlent toutes les deux d’une voix voilée
qui fait à la fois sexy et poussive. 35 ans les
séparent. Pendant l’entretien, elles se disputent de temps en tems, elles se taquinent en
camarades et, aussi, elles font de la réclame
l’une pour l’autre. L’une, Olga Sommerová
(56), féministe éminente, compte parmi les
documentaristes tchèques les plus originales; l’autre est sa fille Olga ·pátová (son père
est le documentariste Jan ·páta), cadreuse et
réalisatrice de cinéma. Ensemble, elles ont
fait trois films au cours de l’année passée.
Deux d’entre eux – Entretiens (non)censurés
et Mon vingtième siècle, consacré à la femme
peintre Adriena ·imotová, à la cantatrice
SoÀa âervená et à la romancière Lenka Reinerová – ont été très favorablement accueillis
par le public du pays après avoir été présentés
à la Télévision tchèque.
Sommerová: Nous avons partagé la réalisation d’un film, pour le deuxième, c’était
Olga qui faisait la mise en scène et j’étais sa
victime et, pour le troisième, je l’ai choisie
comme cadreuse. Cependant, mes enfants
Olga et Jakub prennent avec moi des libertés
que personne d’autre n’oserait prendre, car
je ne l’engagerais plus.
Quelles libertés, par exemple?
Sommerová: Jakub refuse de tourner une
séquence que je demande ou alors il me
donne des leçons comme si j’étais une élève.
Avec Olga derrière la caméra, il est plus
facile de m’entendre. Mais il est arrivé
qu’elle s’est mise à me tracasser...
·pátová: Pendant le tournage, maman est
très impatiente s’il me faut du temps pour
composer un plan. Dans les Entretiens
(non)censurés (il s’agit d’un dialogue intime
entre Olga Sommerová et Olga ·pátová),
elle frétillait tout le temps. Impossible de
mettre la prise au point.
Sommerová: Elle avait longtemps cherché
le plan et, l’ayant enfin trouvé, elle a mis
encore une demi-heure à me tarabuster pour
me mettre hors de moi. J’étais perplexe, je
mu suis mise à crier. Et puis, je la regarde et
je vois son sourire sournois.
·pátová: Ce n’est qu’en ce moment que maman est devenue authentique: assise avec une
cigarette au bec, regardant dans le vide et laissant échapper de sages propos à la Tchekhov.
PROFESSION
Comment se passe la collaboration
professionnelle avec les personnes les plus
proches?
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Quelle est votre opinion, en tant que
cinéastes, sur le produit qui fait semblant d’être un documentaire – sur le
reality show?
Olga Sommerová en action (en compagnie de Jan ·páta, son mari et documentariste renommé)
Entretien
«La femme doit rendre à l’humanité
le paradis perdu, cette perle précieuse;
mais elle doit savoir tout d’abord que
celle-ci se trouve au fond de son propre coeur et que c’est là qu’elle doit
plonger pour l’atteindre!»
BoÏena Nûmcová
(1820-1862)
femme de lettres
Sommerová: Je l’ai regardé pendant dix minutes. Cela
m’a ennuyée et offensée. Il y a
une chose qu’il semble avoir
en commun avec notre profession. En tant que documetariste, je rêve depuis toujours
de devenir une petite mouche
qui, du haut du plafond, observe ce qui se passe dans le
ménage. Et voilà que le reality
show apparaît comme pour
réaliser mon rêve. Seulement, les gens du
show ne vivent pas une vie réelle, leurs
conflits sont nécessairement artificiels et le
tout est excité, faux, vide.
·pátová: Dans les Entretiens (non)censurés,
nous avons bien fait un petit reality- show privé.
Sommerová: Avec cette différence que nos
conflits étaient réels et que nous devrons
vivre ensemble jusqu’à la fin de la vie.
DE LA GALANTERIE
Etiez-vous différente d’Olga quand
vous aviez son âge?
Pendant les trente-cinq
ans qui vous séparent,
l’attitude à l’égard de la
sexualité a changé...
Sommerová: Elle est plus mûre que
je ne l’étais et elle sait ce qu’elle veut, ce
que je ne savais pas, moi. En revanche,
j’étais plus cultivée et j’avais lu beaucoup
plus qu’elle. C’est qu’à l’époque bolchevique, l’art et la copinerie étaient les choses
les plus passionnantes, il n’y avait pas
d’autres séductions. Mais je me rends
compte que ma mère à moi – qui était une
femme bien sage – était loin d’avoir autant
de conseils utiles à me donner que j’en
ai pour Olga. Et autant de protection
mondaine. Je peux donc lui être plus
utile dans ce domaine.
Sommerová: On disait
jadis que le sexe était la
mercedès du pauvre. La différence consiste dans le fait
que nous, on avait peur de
la grossesse, parce qu’il n’y
avait pas de bons moyens
contraceptifs, tandis qu’aujourd’hui, c’est
la peur du SIDA. Mais il y a une différence
entre les générations que je sens avec beaucoup de précision: jadis, en tournant avec des
hommes septuagénaires ou octogénaires, je
les sentais toujours réjouis en présence des
femmes. Ils leur faisaient des compliments,
ils étaient attentionnés en hommes vraiment
galants. Je crois qu’à la campagne, il en
reste encore quelque chose. Dans les villes,
en revanche, où il y a d’autres attractions,
j’ai l’impression que les distances sont
plus grandes et même, que les garçons
ont peur des filles. Je me rappelle, Olinka,
5
l’expérience que tu as faite avec ta copine
Lucie dans les cours de danse de Lucerna...
·pátová: Nous avions une robe rouge
toutes les deux, on nous appelait «le
commando rouge». Probablement, nous
avions l’air très sûres de nous. Quand
est venue la danse des dames, les garçons
se sont rués vers les autres filles en nous
laissant plantées là avec nos belles robes
rouges! Nous aurions voulu danser, flirter,
mais eux, ils avaient peur de nous. Ils nous
l’ont dit par la suite! Nous nous sommes
retirées aux toilettes et nous regardions
l’une l’autre tout effrayées.
Quel genre d’homme désirez-vous?
·pátová: Je désire un gaillard tendre.
Sommerová: Bien sûre, un homme
– un vrai – doit être tendre. Un macho,
par contre, est fragile comme un vase
de cristal; au premier problème, il tombe
en pièces.
·pátová: Les gars de la génération
actuelle sont tendres et fragiles. Ce sont
des gentlemans.
Sommerová: Et moi, je crois, par contre,
que ce sont les vieux qui sont gentlemans,
que la galanterie a disparu.
Quel est pour vous le contenu du mot
‘gentleman’? Que l’homme vous aide
à mettre le manteau? Qu’il paie le repas
au restaurant?
Sommerová: Ces attentions masculines
m’amusent toujours. Mais le gentleman,
c’est l’homme qui ne s’intéresse pas seulement à lui-même.
·pátová: Etre gentleman veut dire supprimer son égoïsme.
6
Tournage du documentaire Amour hier, aujourd’hui et demain, présenté actuellement à la TV tchèque.
Est-ce que les blagues sur les blondes
vous agacent?
Sommerová: Ce ne sont pas les blagues sur
les blondes, ce sont les blagues sur les femmes.
Le plus terrible, c’est quand ce sont les femmes
qui les racontent. C’est là que cela commence.
Moi, par exemple, j’ai demandé à ton papa
de ne pas raconter en compagnie des blagues
à mon sujet. Et pourtant, il était si spirituel
en les racontant que je ne pouvais pas
m’empêcher d’en rire. Et puis, un jour, j’ai
dit: Assez! Les femmes feraient beaucoup
pour elles- mêmes si elles les refusaient. La
solidarité féminine est importante.
Alena Plavcová
Lidové noviny
Photos: TomበÎelezn˘/Lidové noviny, archives
Jan ·páta, Jan Tauber – âeská televize
Avec toi papa (1981), Tu aimeras ton
prochain (1990), MáÀa (1992), BoÏena
Nûmcová, étoile immortelle (1997),
A quoi rêvent les femmes (1999), A quoi
rêvent les hommes (1999); parmi ceux
qu’elle a créés dans les ateliers de la société Loserfilm: Fin du monde au coeur
de l’Europe (2002) et MáÀa – dix ans
après (2003).
Dans les années 1991-2002, elle a
enseigné à la faculté FAMU et, depuis
1994, elle a dirigé pendant huit ans
la chaire du film documentaire. Elle a
tourné quatre-vingt films et a remporté
vingt-huit prix aux festivals du film
nationaux et étrangers.
Biographie: www.loserfilm.cz
Olga ·pátová (*1984)
Fille d’Olga Sommerová et de Jan ·páta,
documentaristes tchèques renommés.
Les Marguerites, son premier documentaire, a pour sujet la bande de ses
camarades d’école et la TV tchèque l’a
présenté dans la série Ego. Olga ·pátová
l’a tourné à quatorze ans et, comme rétribution, elle a reçu une caméra Hi-8 et
elle a commencé à tourner les films avec.
Elle a étudié la graphique de propagande
à l’Ecole secondaire de la création publicitaire. C’est à l’école qu’elle a tourné –
avec sa copine Lucie – ses premiers films
joués où les deux jeunes filles étaient
actrices et cadreuses à la fois (Mariage,
En attendant Godot, Compagnie de thé).
Seule elle a tourné les films En se manquant, Seule (huit distinctions gagnées
aux festivals) et Triple jeu.
SUR LE FÉMINISME
J’ai lu quelque part que ce siècle sera
celui de la femme. Qu’est-ce que cela
signifie pour vous?
Sommerová: Pas à pas, la femme conquerra ses droits. Et elle prendra part aussi
à la gestion du monde. Mais cela va lentement, parce que les hommes détiennent le
pouvoir économique et politique.
Et comment trouvez-vous, au fait, le
féminisme de votre mère?
·pátová: Quand maman dit que les femmes
représentent la meilleure moitié de l’humanité,
je ne suis pas d’accord. Si tel était mon avis,
j’en serais bien triste. Je veux vivre ma vie
avec un homme. Je crois que l’on est des êtres
humains, et non les hommes et les femmes.
Cependant, tenir de tels propos en présence
d’une maman féministe, c’est vraiment risqué.
Olga Sommerová (* 1949)
... a fait ses études supérieures à la
faculté FAMU de l’Académie des arts
pragoise, chaire du film documentaire.
Travaillant dans les studios Krátk˘
film Praha, elle a tourné pendant 12 ans
des documentaires de format 35 mm
que l’on projetait alors dans les salles
de cinéma. Depuis la «révolution de
velours» de 1989 où la présentation des
documentaires dans les salles a été abolie,
elle fait les courts métrages pour la Télévision tchèque.
Ses films ont pour thèmes les rapports
sociaux et les relations interpersonnelles,
les personnalités éminentes et les phénomènes de la vie sociale et artistique,
le féminisme et l’histoire récente de
notre pays.
Parmi ses films les plus célèbres,
rappelons: Concours pour l’an 2000
(1979), Ecole à classe unique (1981),
7
Tractoristes et soldates
Sur l’égalité en droits des femmes sous le socialisme
Emancipation de la femme
sous le socialisme
En lisant les réflexions actuelles de certaines femmes
tchèques, russes ou polonaises
rappelant (quelquefois avec
nostalgie) combien belle et
simple était la vie des femmes
à l’époque du socialisme, je
n’arrive pas à les comprendre.
Il n’y a que la nostalgie de la
jeunesse révolue qui puisse
déformer ainsi leur souvenir.
On ne savait rien des droits
de l’homme en général, et
des droits de la femme et du féminisme en
particulier. Il était défendu d’écrire sur ces
thèmes et la déclaration des droits de
l’homme elle-même était interdite.
A
l’époque du socialisme, l’émancipation de la femme se réduisait à l’obligation d’avoir un emploi salarié et à
l’imitation des hommes. Au fait, il s’agissait
de prouver que les femmes savent faire les
mêmes professions que les hommes. On
fêtait donc les tractoristes, les grutières ou
les soudeuse. Il y avait même des femmesmineurs, mais c’était tout de même exceptionnel. La devise communiste «chacun selon
ses possibilités, à chacun selon ses besoins»
ne fut jamais réalisée, mais en revanche, on
8
chercha à appliquer le mot
d’ordre fondamental de la première étape du socialisme: «on
ne mange pas sans travailler».
Aussi la femme allant au
travail jouissait d’une considération plus grande que
celle qui se consacrait «seulement» aux soins des enfants
et du ménage.
La femme et la dictature
du prolétariat
On n’avait pas de choix.
C’est ainsi que, en dehors
du diplôme de l’Université Charles et du
doctorat, je possède aussi le brevet d’apprentissage d’aide-maçon et un certificat
attestant que j’avais fait un stage d’usinage
des métaux. On escomptait que, grâce à
l’influence de la classe ouvrière politiquement consciente, un stage à l’usine ou dans
un atelier changerait la mentalité des gens
et les gagnerait aux idéaux du socialisme.
Les gens – les femmes y comprises – étaient
donc envoyés dans les usines aux fins de
rééducation. L’Etat – représenté par le seul
parti dirigeant – intervenait dans les affaires
privées, la natalité y comprise. Les avortements étant interdits dans les années 50,
il n’y avait pas de moyens contraceptifs
dans le pays et les femmes en étaient réduites à aller en chercher en RDA et, plus
Photo qu’un auteur inconnu a faite dans les années 70 du 20e siècle pour Slovácká jiskra, quotidien publié par le comité du parti KSâ à Uherské Hradi‰tû.
Histoire
On s’attendait à ce que la femme
sache combiner sans complications
la fonction de mère et de ménagère,
l’activité professionnelle de huit
heures par jour et, le cas échéant,
l’accomplissement de certaines fonctions publiques. Et chose étrange,
j’y ai survécu...
tard, en Hongrie. Pendant la première décennie après le coup d’Etat communiste,
les avortements étaient défendus même en
cas de viol. La femme devait obligatoirement porter l’enfant à terme, mais elle
était libre de le mettre ensuite dans une
institution d’Etat pour qu’il y reçoive une
éducation. Ce n’est qu’au bout de douze
ans de la dictature du prolétariat (tel était le
nom officiel de la première phase du socialisme) qu’il devint possible de demander
l’autorisation de l’avortement, à condition
que la femme ait préalablement obtenu
l’avis favorable de la «commission d’avortement», composée de médecins et de femmes
politiquement conscientes, membres de
cellules locales du Parti communiste de
Tchécoslovaquie. Si le père potentiel de
l’enfant à naître s’y opposait, il était difficile
pour la femme d’obtenir l’autorisation.
C’était tout de même un progrès, bien que la
dignité de la femme ne soit guère ménagée.
L’émancipation de la femme était déduite des théorèmes marxistes-léninistes
affirmant que la participation au processus
de production a un effet libérateur. Ce n’est
qu’en prenant part à l’édification de la
société socialiste dans le domaine public,
et notamment dans la production, que l’individu devient un homme libre et égal
Une femme sans défense entre les mains de la justice
communiste: procès de Milada Horáková dans les
années 50 du 20e siècle (sentence: peine de mort).
en droit avec les autres. Ainsi donc une
femme sans enfants qui n’allait pas au
travail pouvait être sanctionnée pour parasitisme, même si son mari était capable
de l’entretenir. Dans de tels cas, cependant,
on résolvait la situation par un certificat
médical la déclarant malade ou incapable
de travailler.
A
ussi pouvait-on se vanter aux temps
du socialisme que 97,8 % des femmes aptes
au travail allaient travailler. C’était la réalité.
Quand j’ai commencé à aller à l’école, il
n’y avait dans ma classe que trois enfants
dont les mamans allaient travailler. Ils
étaient enregistrés comme des «cas sociaux» venant de familles si pauvres que les
mères était obligées d’aller au travail.
Quand – à dix-huit ans – je passais mon
baccalauréat, seulement trois de mes camarades avaient une mère qui n’exerçait pas
d’activité professionnelle. Cela aussi était
noté. «La femme au foyer» était considéré
comme une survivance de l’époque capitaliste et l’enfant élevé dans un tel milieu
avait de la difficulté à obtenir de bonnes
réréfrences pour l’admission à une école
supérieure. Ma mère à moi allait au travail
elle-aussi. C’est que le salaire de mon
papa, qui était médecin, ne suffisait pas
à nourrir la femme et deux enfants (après
les nationalisations de toutes sortes).
Travail en deux postes
Jusqu’au début des années 60, le congé
de maternité ne durait que trois mois.
Après ce délai, donc trois mois après
l’accouchement, la femme devait reprendre
le travail. Elle pouvait, toutefois, placer son
enfant dans la crèche de l’entreprise et,
si elle l’allaitait, elle avait le droit à deux
interruptions de travail, d’un quart d’heure
chacune, pour aller retrouver son enfant
à la crèche. Je me rappelle les mères qui,
9
avant six heures du matin, passaient dans
notre rue en poussant les landaus avec leurs
enfants à demi endormis, et les commentaires de ma mère (elle était née en 1902 et
sa camarade d’école était Milada Horáková, exécutée par les communistes dans
les années 50): «C’est ça, leur socialisme».
J’en étais navrée car, voyant la contradiction, j’aurais voulu que le socialisme que
nous vivions, que nous devions vivre, soit
bon et juste. Il y avait aussi l’antagonisme
de deux générations, entre mère et fille.
C’est pour cette raison aussi que je veux
insister sur les bonnes choses que le socialisme du type tchécoslovaque apporta aux
femmes. C’était tout d’abord le fait qu’il
les intégra dans la vie publique; ensuite, le
niveau d’instruction des femmes monta
considérablement. On supposait, en effet,
que la troisième guerre mondiale était
imminente. En Tchécoslovaquie qui était
alors pays vassal ou, comme on dit de façon
plus moderne, satellite de l’Union soviétique, il fallait tout d’abord développer
l’industrie lourde et l’extraction du minerai
d’uranium et du charbon. C’est ainsi que,
dans les années 50, les postes des hommes
furent pris par les femmes en tant que
main-d’oeuvre extensive et non qualifiée.
Au bout d’un certain temps, celles-ci acquéraient la qualification professionnelle,
le niveau de formation secondaire et supérieure des femmes égala celui des
hommes et les femmes tchécoslovaques
prirent de l’assurance et elles s’habituèrent à considérer le poste double (le
travail de ménage et l’activité professionnelle) comme une évidence.
O
n s’attendait alors à ce que la femme
sache combiner sans complications la fonction de mère et de ménagère, l’activité professionnelle exigeant huit heures de travail
par jour et, le cas échéant, l’accomplissement de certaines fonctions publiques et
politiques. Et chose étrange, on y a survécu,
10
générations jeunes et les plus jeunes
savent, qu’il s’agit vraiment d’une fête
internationale de femmes, qu’elle n’avait
pas été née en Union soviétique et qu’elle
est célébrée dans le monde entier. Elles y
reviennent peu à peu, car elles savent que,
même aujourd’hui, il est nécessaire que les
femmes veillent à leurs droits.
Jifiina ·iklová
Photos: archives de la rédaction
La rédaction remercie Mme Hana Netu‰ilová
de lui avoir obligeamment prêté le matériel
photographique.
même dans le capitalisme ou, pour le dire
autrement, dans le milieu de «l’économie
de marché».
Ce qui est resté
moi et toute ma génération. En quelque
sorte, cela contribua vraiment à accroître
l’assurance des femmes. Par ailleurs, il
aurait été difficile pour les familles de s’en
tirer avec un seul salaire.
Rêves du maquillage
Les femmes tchèques persistaient, tout
de même, à considérer cette surcharge de
travail comme une chose imposée et à rêver
de se «reposer» dans le ménage et auprès
de leurs enfants. Elles rêvaient de se maquiller et d’utiliser les petits riens à la
mode et admiraient les brillants journaux
de modes étrangers. Cependant, les femmes
que l’on y présentait étaient stylisées et
irréelles au même point que les trayeuses
et héroïnes du travail – modèles propagés
alors dans ce pays. Quand – après l’ouverture des frontières – ces journaux et créations
de mode sont apparus chez nous, nous ne
sommes restées sous leur charme que très
peu de temps. Les jeunes femmes actuelles
vivant depuis seize ans déjà dans un monde
démocratiques «normal» commencent à
mépriser cette forme de culture féminine.
Nous sommes rassasiées d’images et de
fards et les femmes de la jeune génération,
qui ont connaissance de la situation à l’étranger, commencent aujourd’hui à réaliser
qu’il faut défendre les droits de la femme
Il y a beaucoup de choses que nous
avons gardées de la période où les femmes
avaient pour modèles les tractoristes et
les soldates: l’émancipation non-réfléchie
et non verbalisée, mais d’autant plus forte,
le sentiment que l’on est à même de «survivre à tout, ou presque». Ces traits
sont liés avec une répulsion prononcée pour toute organisation
unificatrice de femmes, avec
une aversion pour les idéologies, y compris le féminisme
que l’on présentait et présente
chez nous comme une idéologie. La plupart des femmes
tchèques refusent la notion
de féminisme, mais, en réalité, nous autres Tchèques
sommes féministes à un
point que les femmes
occidentales pourrait
nous envier.
Et la Journée internationale de la Femme?
Elle nous était imposée
pendant longtemps comme
une fête obligatoire. Pour Gottwald, Novotn˘ et Husák, présidents détestés, c’était l’occasion de serrer les mains de
femmes-déléguées (ce n’est certainement pas nous qui les avions
choisies) et de les combler de
fleurs. Aussi, après les changements politiques de novembre
1989, l’avons-nous rejetée dans
le cadre de la liberté retrouvée.
En paroles et en faits. Et pourtant,
le 8 mars, Journée internationale de la
Femme, peut très bien symboliser le changement que nous avons subi. La génération
la plus vieille continue à la refuser comme
une fête imposée par les communistes. Les
11
Une drôle de demoiselle
Les musiciens tchèques ayant vraiment réussi à s’imposer dans le monde
ne sont pas bien nombreux. Hors du
domaine de la grande musique traditionnelle, le terrain est presque vierge
– à une exception près: Iva Bittová, violoniste et chanteuse, qui fait entendre
sa musique absolument originale dans
toutes les parties du monde.
ment que ce soit? Enfin, ses succès
croissants sont attribuables aussi au
fait qu’Iva Bittová ne s’endort pas sur
ses lauriers, qu’elle n’arrête pas de
O
n peut se poser la question,
d’où vient le succès mondial de cette
musicienne (on ne parle pas du monde
clinquant du show-business, mais des
milieux de connaisseurs sans distinction de genre). Il s’agit très certainement du concours de plusieurs facteurs.
Tout d’abord, les racines moravo-slovaques de Bittová, qui transparaissent
dans tout ce qu’elle touche. Ensuite, il
y a l’originalité absolue de son type
créateur: en effet, combien y a-t-il de
chanteuses dans le monde qui jouent
du violon, ou de violonistes qui chantent,
et cela le plus souvent en solo, sans
accompagnement de quelque instru-
12
chercher les modes d’expression toujours nouveaux et que, avec l’ardeur
qui la caractérise, «elle se produit à
l’opéra un jour, on la voit improviser
avec un DJ dans une techno-party le
lendemain pour l’entendre chanter
des chansons dans un club le jour
après». Bittová ne cache pas sa volonté
de se perfectionner, notamment dans le
jeu du violon elle ne cesse de développer
ses dons sous la conduite de Rudolf
·Èastn˘, son professeur. C’est ainsi
qu’elle est devenue un des «meilleurs
articles d’exportation» du paysage musical tchèque, qu’elle apparaît sur les
estrades mondiales convoitées, que les
maisons prestigieuses publient ses enregistrements et qu’elle collabore avec
des artistes insignes de tous genres.
I
va Bittová est née à Bruntál, dans
le Nord de la Moravie, dans une famille de musiciens. Son père Koloman
Bitto, multiinstrumentaliste, jouait dans
des ensembles flokloriques, mais était
également membre d’un orchestre du
Spectacle du théâtre Hadivadlo de Brno.
Musique
«Le violon me forme, me transforme,
me comble esthétiquement, me fait
voir les valeurs suprêmes dans mon
rapport à la musique, aux gens, à
moi-même. C’est pourquoi je l’aime;
et aimer, c’est vivre!»
Iva Bittová
(*1958)
chanteuse
théâtre d’opéra. Iva Bittová (*1958)
rappelle souvent, combien sa famille
était littéralement imprégnée de musique (sa soeur Ida Kellarová, chanteuse
très renommée et pianiste, est spécialisée surtout dans le folklore tsigane).
Cependant, c’est dans l’art dramatique
qu’Iva Bittová a fait ses premiers pas
d’artiste: en 1975, alors qu’elle faisait
ses études au Conservatoire de Brno,
elle est devenue membre du légendaire
théâtre d’avant-garde Husa na provázku. Elle y a joué beaucoup de rôles,
dont celui d’ErÏika de la Ballade
du bandit, comédie musicale folklorique, est le plus populaire. En effet,
la Ballade a été mise à l’écran et on
la diffusait aussi comme une pièce
radiophonique. Bittová est restée au
théâtre pendant dix ans, elle a tourné
plusieurs films et téléfilms, mais au
milieu des années 80, elle a renoncé
à la carrière d’actrice parce qu’elle
a «redécouvert» le violon: dans son
enfance, elle avait appris le jeu de cet
instrument, mais très vite, elle l’avait
pris en grippe.
«Mon rapport à cet instrument était
très différent quand j’étais enfant. Les
Représentation au club VaÀkovka, à Brno.
aux exercices, dont j’avais honte. Si
je suis revenue au violon, c’est parce
que je ne me sentais pas l’étoffe d’une
vraie actrice. Je ne croyais pas que le
travail d’actrice me comblerait dans
la même mesure que la musique. Je
suis allée trouver le professeur ·Èastn˘
qui m’a dit qu’il fallait repartir à zéro.
Je trouvais les exercices tout aussi
difficiles que dans mon enfance, mais,
à un moment donné, j’ai commancé
à chanter avec l’instrument, et c’était
une vraie révélation. Pour moi, c’était
une découverte dont je ne mesurais
pas la portée sur le moment. Mais je
savais que chanter avec l’instrument
est une chose qui me plaît vraiment et
qui m’enrichit. Aujourd’hui je sais que
c’était là le moment où a commencé
mon vrai développement musical.»
leçons de violon, c’était à mes yeux
quelque chose que l’on m’obligeait
de faire. J’aurais préféré courir en
dehors. Cela me tracassait assez et
je demandais à mes parents de me
retirer des leçons de violon en prétextant la petite tache dans le cou due
u milieu des années 80, Iva
Bittová s’est intégrée relativement
vite dans la communauté de musique
alternative à Brno. Avec le batteur
Pavel Fajt, une des personnalités insignes de cette communauté, elle a
constitué un duo de composition iné-
A
13
Participation au spectacle du groupe Dunaj de Pavel Fajt. Chvaletice 1987.
dite qui, dès le début, était accueilli
avec enthousiasme par le public du
pays et puis aussi à l’étranger. Le premier album du duo Bittová & Fajt, de
1987, fait toujours partie de ce qu’il
y avait de mieux dans le genre dans
la Tchécoslovaquie communiste. Rien
d’étonnant qu’il ait connu plusieurs
éditions étrangères.
D
ans la seconde moitié des années
80, Iva Bittová a fait – en dehors du
travail dans le duo – de la musique
rock en tant que chanteuse du groupe
Dunaj, de Brno, avec lequel elle a enregistré un album. Cette collaboration
aussi a constitué pour elle une grande
inspiration: dix ans plus tard, elle a
publié presque tout le répertoire de
Dunaj (en versions nouvelles) en tant
que disque compact sous le titre Pustit
musí‰ (=Il faut lâcher). Peu à peu, son
idépendance entière approchait. Les
concerts qu’elle donnait en solo dans
les premières années 90 se trouvent
conservés dans son premier album
solo de 1991, réédité en 1997 sous
le titre significatif Divná sleãinka
(=Drôle de demoiselle). Sa renommée
de violoniste avait déjà dépassé depuis
longtemps les limites du pays et,
même, celles du continent. Ainsi, les
voyages avec le violon sous le bras
ont commencé à remplir la vie d’Iva
Bittová plus souvent que les séjours
dans sa Moravie natale.
Les éléments du folklore, bien
que clairement identifiables déjà dans
la musique du duo Bittová & Fajt,
prenaient des contours de plus en plus
nets dans la création d’Iva Bittová.
C’était visible non seulement dans
l’album de Noël 1995 intitulé Ko-
14
lednice (=Chanteuse de noëls), mais
aussi lors de l’enregistrement des 44
duos pour deux violons de Béla Bartók, sa première apparition remarquée
sur la scène de la musique sérieuse.
C’est avec la violoniste Dorothea Kellerová qu’elle a fait cet enregistrement
des ouvrages du compositeur hongrois
fortement inspiré par le foklore.
Dans la seconde moitié des années
90, Iva Bittová est revenue pour un
temps sur la scène de musique alternative de Brno en collaborant avec les
musiciens groupés autour Vladimír
Václavek, ancien bassiste de Dunaj et
chansonnier original utilisant tant l’influence de la musique ethnique que les
éléments du minimalisme. L’album
double Bílé inferno (=Enfer blanc), de
1997, dont l’atmosphère est marquée
par les textes de Bohuslav Reynek et
de Jan Skácel, grands poètes moraves
d’orietation spirituelle, a ouvert la voie
vers la création de l’ensemble âikori
dont le répertoire a marqué l’expression
dans les enregistrements de musique
pop, folk ou rock en chantant ou en
jouant du violon avec les groupes
des Frères Eben, du chanteur Richard
Müller ou de la chanteuse Anna K.
ou JablkoÀ et Monkey Business. Une
collaboration très originale était celle
avec le DJ Javas de Brno: elle consistait dans l’accompagnement vocal
des mixages techno-house modernes,
joués dans les clubs.
M
is à part quelques rares concerts solo, Iva Bittová se consacre à
l’heure actuelle à deux grands projets:
participation à la mise en scène d’avantgarde de Don Giovanni de Mozart à
New York où elle tient le rôle de DoÀa
Elvira; depuis sa première en 2004, la
représentation jouit d’un grand succès
et, à l’heure actuelle, on envisage une
tournée mondiale. Le second projet
est né à la base d’une commande du
Carnegie Hall, prestigieuse salle de
concerts new-yorkaise. Iva Bittová le
réalise en coopération avec le célèbre
ensemble instrumental Bang On A
Can All Stars spécialisé d’ordinaire
surtout dans la présentation de la musique sérieuse contemporaine. Cependant, la structure de la suite musicale
Elida (l’album du même nom est paru
en 2005) repose surtout sur la chanson
moderne et Bittová y excelle non seulement comme chanteuse, mais aussi
comme compositeur.
A la manière de grandes stars de la
musique classique ou du pop, le calendrier d’Iva Bittová est rempli pour
plusieurs années. Très concentrée sur
chacun de ses concerts, chacune de
ses représentations d’invitée, chacun
de ses enregistrements (ce que l’on
voit à l’excellente qualité de ses performances), elle parle ces derniers
temps de plus en plus souvent du
repos dont elle a besoin. Il n’y a pas
de doute qu’elle le mériterait. Mais il
est certain, de l’autre côté, que son
esprit infatigable ne la laissera pas
oisive une seule minute.
Ondfiej Bezr
Photos: Jan Adamec, Bohdan Holomíãek,
Indies Records (www.indiesrec.cz)
d’Iva Bittová par une légère empreinte
du jazz, chose inouie avant.
C’est l’époque où Bittová collaborait
fréquemment avec d’insignes musiciens
mondiaux. L’exceptionnel violloncelliste Tom Core a pris part au tourage de
l’Enfer blanc, l’album Ples úpírÛ (=Bal
des vampires), où Iva Bittová interprète
même quelques compositions de Leo‰
Janáãek, a été réalisé en collaboration
avec l’orchestre hollandais Nederlands
Blaze Ensemble. Dans le pays, Bittová
s’occupe toujours davantage de la musique classique, notamment de son
courant qui se réclame de l’inspiration
folklorique. Elle en trouve tant chez
les classiques du type de Leo‰ Janáãek
que chez les compositeurs contemporains, tels que Milo‰ ·tûdroÀ ou Vladimír Godár, dont les ouvrages apparaissent dans ses albums «classiques»
qu’elle enregistre le plus souvent avec
le Quatuor ·kampa.
Tout-à-fait exceptionnellement, Iva
Bittová apparaît, en artiste invitée,
15
Mannequins top au grand coeur
Eva Herzigová, Karolína Kurková, Daniela Pe‰tová, Hana Soukupová, Paulina
Parizkova, Veronika Varekova, Tereza
Maxová. La population de la République
tchèque se distingue par un taux élevé des
topmodels à succès. Serait-ce attribuable
au fait que, lors de leurs incursions en Moravie au 17e siècle, les combattants turcs
s’inscrivirent par force dans le fonds génétique du pays? Des générations de femmes
splendides, nées de la souffrance, en seraient le vestige. Femmes de lignes arrondies et de lèvres charnues, d’yeux profonds
et de pommettes saillantes provocantes.
Après la «révolution de velours», les dénicheurs de modèles avides ont découvert
ces femmes douées d’un charme mystérieux
et les ont fait défiler sur les pistes de mode
mondiales. Les mannequines tchèques sont
belles, elles ont du succès, mais elles veulent, en plus, combiner leur profession avec
les activités visant à améliorer le sort des
défavorisés. Les modèles top qui voient leur
mission dans la vie dans le travail pour les
autres sont très certainement plus nombreuses
dans notre pays qu’ailleurs. Ces Tchèques
aident à changer le monde. Le rendre meilleur. Présentons deux d’entre elles.
16
venir. Elle a porté atteinte à la révolution cubaine. Sous son soutien-gorge elle a, collée sur
sa peau, une carte à mémoire; heureusement, les
policiers cubains ne connaissent pas le principe
de fonctionnement de la caméra numérique.
Helena Houdová
La rebelle
Helena Houdová au Cambodge.
Janvier 2006. Une blonde aux yeux verts
dans une prison cubaine.
On l’interpelle à grands cris. En espagnol.
Elle a été arrêtée et ne sait ce qu’elle va de-
La faute de la mannequine consistait
justement dans le fait qu’elle s’était servie
de l’appareil photographique à La Havane.
Pendant ses voyages, Helena prend des photos illustrant la vie dure des enfants
(Nicagragua)...
Fondatrice de l’organisation caritative Sunflower Children, Helena Houdová avait
pris des photos dans les balieues pauvres de
la Havane pour documenter les conditions
dans lesquelles y vivent les enfants et pour
se rendre compte en quoi elle pourrait
aider. Cette jeune femme menue de 26 ans
attire l’attention du monde sur la vie misérable des enfants dans dix pays du monde
et le régime cubain la considère dangereuse.
On la relâche au bout de onze heures. La
carte à mémoire est sauvée. Les photos sont
exposées à la Galerie Langhans de Prague
et l’ancien président Václav Havel vient
les voir. On les vend et le produit de la vente est remis aux familles de prisonniers
politiques cubains.
«Ne faudra-t-il pas que, dorénavant, je
me comporte correctement?» se demandait
l’étudiante en anthropologie au moment où
on l’a couronnée d’un diadème en lui passant,
par dessus sa robe blanche et brillante,
l’écharpe portant l’inscription Miss de la République tchèque 1999.«Faudra-t-il renoncer
à tout?» était prise de doutes l’activiste écologiste quand on la phtographiait pour la
couverture de la revue tchèque Cosmopolitan.
«Mais tout au contraire!» s’est écriée la rédactrice en chef Anastázie Kudrnová. «C’est
maintenant que vous aurez la chance de réaliser ce que vous considérez comme juste!»
Hélène Houdová a souri et quinze jours
plus tard à peine, elle se faisait accompagner
par la reportrice de Cosmopolitan, dans la
neige et dans la boue, au refuge des oiseaux
de proie blessés de la Bohême du Sud: elle
...ainsi que leur beauté et leur pondération (Népal).
Société
«Beauty is as beauty does.»
proverbe anglais
a voulu attirer l’attention du public sur l’absence de réglementation concernant la protection des rapaces lors de la construction
des pylônes électriques.
Cette rebelle blonde est probablement
la seule mannequine du monde qui ait commencé par travailler dans les institutions
caritatives et, plus tard, y a ajouté le métier de
modèle en tant que moyen de subsistance.
«Dès l’âge de seize ans je suis active dans
le domaine des soins sociaux. J’ai appris
le langage gestuel, j’allais aux foyers
d’enfants,» dit cette anthropologiste dont
le travail avec les enfants handicapés physiques et sociaux a abouti à la création de
la fondation Sluneãnice (=Tournesol) qui
a pour but d’aider les enfants des foyers
d’enfants tchèques à retrouver le respect de
soi, l’assurance et la confiance en eux-mêmes.
Pendant plusieurs années, elle allait avec
ces enfants aux camps de pionniers en tant
que monitrice d’équipe. La fondation Sluneã-
nice a fini par avoir du renom en Tchéque.
Parallèlement avec les succès remportés
dans le travail pour les enfants, Helena est
demandée toujours davantage en tant que
modèle. Cependant, cela l’oblige de se déplacer de plus en plus souvent à l’étranger.
Elle s’installe à New York. Son métier
l’obligeant de voyager beaucoup, elle prend
la connaissance des endroits où l’intervention
Helena Houdová fait campagne pour les Cherokees, Tesco
en faveur des enfants est vraiment urgente.
Pendant deux ans, elle voyage à travers le
monde et prend des photos. Elle constate
que la clé de toute aide efficace réside dans
l’instruction. Elle crée Sunflower Children,
organisation bénévole à but non lucratif, qui
se propose de donner aux enfants l’accès à
l’instruction, soutenu obligatoirement par le
soin médical et par l’aide alimentaire. Elle
commence par construire des écoles dans la
région choisie. Ensuite, elle se concentre sur
les loisirs des enfants dans les après-midis et
pendant les week-ends. Elle oriente son aide
vers dix pays du monde. En dehors de la République tchèque, elle est présente à Cuba,
au Nicaragua, au Pérou et au Brésil; elle
réalise ses activités aussi au Kenya, en
Guinée, en Inde et au Cambodge. A l’heure
actuelle, elle élabore des projets d’aide aux
enfants d’Haïti, de Roumanie et du Srí Lanka. A distance, elle a adopté une fillette cambodgienne malade du SIDA. Au Cambodge,
17
Petra Nûmcová et sa «concurrente» – la top model Tereza Maxová.
sa fondation Sunflower Children soutient
l’instruction et le traitement des orphelins
souffrant de cette maladie. Le budget moyen
des projets de Helena Houdová s’élève à
30 000 dollars annuels par pays. Elle réunit
l’argent en vendant ses photographies et en
organisant des revues de mode au bénéfice
de la fondation. Voulez-vous y contribuer?
Voici les contacts:
www.sunflowerchildren.org
[email protected]
Petra Nûmcová
Ange au sourire
Une jeune fille aux cheveux longs suspendue aux branches d’un palmier. Les
vagues d’eau froide entraînent son corps en
menaçant de l’éloigner du stipe. Elle ne
sait pas combien de temps elle pourra tenir.
Elle ne sait pas ce qui s’est passé au juste.
Elle est consciente d’une douleur aiguë au
bassin. Elle veille à ce que les déchets entraînés par l’eau ne bloquent pas ses jambes.
Elle prie. Elle s’efforce de garder le calme.
Elle est en proie à une sourde tristesse. Il n’y
a pas longtemps, elle se promenait sur la
plage avec son ami. Ils étaient revenus dans
le bungalow cinq minutes avant d’être séparés pour toujours par la vague destructrice
déferlant sur la côte.
Le 26 décembre 2004, le monde entier a
appris l’horrible nouvelle du tsunami destructeur au littoral de plusieurs pays d’Asie.
18
En Tchéquie, on apprend que la célèbre
mannequine Eva Nûmcová compte parmi
les blessés. Les agences précisent que son
état de santé est grave. En même temps elles
informent que, dans les enceintes touristiques frappées par la catastrophe, des centaines
de nos concitoyens passaient leurs vacances.
Malheureusement, plusieurs d’entre eux y
ont perdu la vie. Les Tchèques ont réalisé
que la catastrophe naturelle lointaine les
concerne directement. L’histoire de Petra
Nûmcová a attiré l’attention vers la Thaïlande.
Une immense vague de compassion avec le
pays sinistré a eu pour conséquence qu’au
bout de quelques semaines, les citoyens de
la République tchèque, pays ne comptant que
10 millions d’habitants (comme Londres),
avaient envoyé aux comptes de l’aide aux
sinistrés une somme d’argent immense: elle
correspond aux 20 % du montant global de
l’aide réunie par tous les pays du monde pris
ensemble. L’histoire de Petra Nûmcová y a
certainement été pour quelque chose.
Elle est hospitalisée dans l’hôpital local
Hai Tai avec la hanche fracturée. La morphine calme la douleur. Les lèvres gonflées.
La mort de son ami Simon Atlee, photographe anglais, ne sera confirmée qu’au
mois de mars. Dès à présent, toutefois,
les journalistes se rassemblent à Phuket:
le malheur des autres fera monter la vente
de leur journal, d’autant plus que la victime
de la catastrophe est une splendide jeune
femme célèbre qui y a perdu son amour et
qu’il y a tout autour des bandes d’orphelins
sans foyer. Les paparazzi cherchent à se procurer une photo de Petra Nûmcová meurtrie,
étendue sur son lit d’hôpital. Celle-ci finit
par accepter l’offre du périodique US Weekly et elle donne l’argent gagné par la photo
aux dizaines de milliers des enfants qui ont
perdu leurs parents pendant la catastrophe.
Le photographe s’attend à des larmes mais,
sur le visage de Petra Nûmcová, il voit un
sourire pondéré. Deux ans plus tard, elle
donne aux journalistes l’explication suivante:
«Une maman explique à sa fille trois com-
Couverture du livre dans lequel Petra fait le récit de la plus dure épreuve de sa vie.
Avec les enfants thaïlandais.
portements différents que l’on peut adopter
dans le malheur en les démontrant sur l’exemple de la carotte, de l’oeuf et du café.
Que deviennent ces trois choses quand on
les plonge dans l’eau bouillante? La carotte
– qui est dure – s’amollit. L’oeuf durcit. Et
le café? Dans l’eau bouillante, c’est-à-dire
dans les moments les plus difficiles, il livre
son arôme et sa saveur. Il change en quelque chose de mieux.» Et c’est le choix exact
de Petra. A peine remise, elle retourne en
Thaïlande et constate les besoins immédiats
des orphelins. Elle crée la fondation caritative Happy Hearts Fund qui aide 1200
enfants thaïlandais. Sa fondation donne
130 000 dollars pour la construction d’une
école à Khao Lak et pour l’hébergement
de quatre-vingt enfants. Elle trouve 38 000
dollars pour l’aide psychologique aux sinis-
trés. Elle trouve la somme de 12 000 dollars
pour couvrir les frais de nourriture, de scolarité, de livres, d’hébergement et de transport de vingt orphelins qui ont survécu à
la catastrophe sur l’île indonésienne Aceh.
La revue américaine Glamour la proclame
Femme de l’année 2005. Sur son expérience,
elle a publié le livre Love, Allways, Petra.
Le bénéfice de sa vente est destiné aux activités caritatives. Elle voyage autour du
monde et présente patiemment la fondation
Happy Hearts Fund. Elle cherche les
moyens. Voulez-vous aider?
Pour plus d’information:
www.give2asia.org/happyheartsfund
Sabrina Karasová
Pendant la campagne caritative pour la société
Rampage.
La fondation Happy Hearts Fund a offert 130 000 dollars pour la construction d’une école à Khao Lak et pour l’hébergement de 80 enfants.
rédactrice en chef de la revue Cosmopolitan
Photos: Martin Bandzak, Cosmopolitan, Sunflower
Foundation (http://sunflowerchildren.org),
Happy Hearts Fund.
Vente de charité d’oeuvres d’art: on met aux enchères un tableau de Jan Saudek.
19
20
1
2
3
4
5
6
Art
«Dès la naissance de la dentellerie, cet admirable genre tardif
de création textile, la Bohême sut
prendre une place insigne à côté de
la guipure italienne ou hollandaise.
La dentellerie tchèque a de nouveau
confirmé son exclusivité au début
du 20e siècle en trouvant pour la
dentelle des fonctions nouvelles dans
la culture de vie.»
Ludmila Kybalová
(* 1929)
historienne de l’art
«Pendant des siècles, la dentelle
était admirée pour son caractère
décoratif et gracieux, pour sa beauté
filigranée. Elle était destinée à faire
plaisir et à embellir, elle apportait une
touche de noblesse et de selennité.»
Jifií Pilka
(* 1930)
musicologue et écrivain
Ouvrages de Milãa Eremiá‰ová
– page ci-contre:
1. Pyramide.
2. L’écarlate dans le bleu.
3. Grand arc.
4. Sydney.
5. Arcs gothiques.
6. Noir et gris.
1
Photo centrale:
La Vierge dans le buisson.
Ouvrages de Svûtlana Pavlíãková
– cette-contre:
1., 2., 3., 5. Eléments. Lin coton, soie,
cannetille, lurex, grains de verre,
pâte à papier. 4 x 25 x 25 cm.
4. Griffon; matériaux: fil de fer, tôle.
190 x 150 cm.
6. Jardin; métal et lin. 122 x 90 cm.
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3
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4
6
21
TINITY
SoÀa Hlaváãková:
«Mon but c’est d’avoir toujours
un but à atteindre.»
Des beautés souriantes défilent l’une
après l’autre et le cône de lumière allume
sur elles des robes de couleurs si éclatantes
que leurs replis pourraient servir de cache
aux papillons pendant la nuit. Un moment
on est entouré de robes flottantes comme
dans un harem oriental, aussitôt après on
se retrouve dans la rue animée d’une
grande ville dont les habitants dynamiques ont besoin de vêtements sobres de
coupe bien nette. Immédiatement après on
se trouve transporté, grâce aux mannequines
portant de robes toutes en ouvertures
savamment échancrées et en paillettes, à
une garden-party dans une station estivale
au bord de la mer. Emerveillé à regarder
cet extraordinaire défilé multicolore, on
se rend compte d’assister à quelque chose
22
SoÀa Hlaváãková, fondatrice et propriétaire
de la marque Tinity.
d’exceptionnel. A quelque chose qui soutient les critères mondiaux et à quoi on
ne s’attendrait pas dans un club de nuit
obscure à la périphérie de Prague.
La modéliste SoÀa Hlaváãková présente ici une partie de la collection que –
seule et première dessinatrice tchèque –
elle vient de montrer avec succès à Paris
dans cadre du Salon du prêt-à-porter. La
jeune fille menue – qui habille les mannequines top tchèques et étrangères, les
présentateurs de TV, les acteurs et les
sportifs – ne cache pas ses objectifs. «En
travaillant avec la même ardeur que
jusque ici, j’ai une chance réelle de m’imposer à l’étranger,» estime la modéliste
de 28 ans. «Mon but c’est de faire partie
de l’élite mondiale des dessinateurs de
mode et d’être présente sur le marché
de mode en Europe, aux Etats-Unis, au
Japon et dans les pays arabes. Mais c’est
là une bouchée immense et difficile à
Mode
«L’empathie est très importante
dans l’habillement. On ne peut pas
créer un beau vêtement et, même, on
ne peut pas s’habiller avec goût et
élégance, si l’on se désintéresse du
monde environnant.»
Natalie Steklová
(*1976)
modéliste
avaler. Il faut y arriver pas à pas. Les
grands dessinateurs de mode mondiaux
ont aujourd’hui entre cinquante et soixante
ans, de sorte que j’ai encore assez de
temps devant moi,» dit-elle en riant.
La collection qu’elle a présentée à la
revue du prêt-à-porter parisienne a été
vendue aux acheteurs du monde entier.
Elle a acquis à la modéliste deux clients
importants: l’immense boutique d’Atlanta,
aux Etats-Unis, spécialisé dans la création
des dessinateurs de pointe européens,
et une des galeries de mode les plus
luxueuses de Riyad, en Arabie Saoudite,
où ses modèles figureront à côté de
ceux de Karl Lagerfeld ou de John Galliano. «Mon but, c’est d’avoir toujours
un but,» dit SoÀa.
Dès son enfance, elle imaginait et réalisait des modèles pour ses poupées. Elle
s’intéressait à l’architecture, à la graphologie, à la sculpture; elle a fait les études
d’histoire de l’art, de dessin et d’esthétique. Elle a fini par ouvrir son propre
magasin où elle vendait les vêtements
importés d’Italie et, de temps en temps,
elle y présentait ses propres modèles.
Cependant, elle a constaté bintôt que
ses clientes s’intéressent beaucoup plus
à sa propre création qu’aux vêtements
importés. Elle a donc créé sa marque
Tinity et s’est consacrée exslusivement
au dessin de mode. Elle a fait les costumes pour les comédies musicales
Pommade et Chicago et elle est l’auteur
des images de marque de nombreuses
grandes sociétés tchèques et internationales, telles que Eurotel, T-Mobile,
L’Oréal, Hewlett Packard, Nestlé, Danone,
Smirnoff ou Camel.
«L’époque actuelle demande aux dessinateurs tchèques de garder leur extraordinaire inventivité. Une bonne école de
dessinateurs de mode n’existe pas et on
doit aller à l’étranger pour apprendre les
technologies. On doit se débrouiller tout
seul avec des tas de choses. Nous avons
l’habitude du travail à la main. Nos
grains et perles de verre comptent parmi
les meilleurs au monde, mais – ce qui
est plus important – nous savons nous en
servir. Le travail à la main est une autre
chose dont nous pouvons être fiers,»
dit-elle en parlant de la contribution
tchèque au monde du dessin de mode.
En la regardant travailler, on voit qu’en
dehors de modèles, elle crée et transforme
intentionnellement l’ambiance de la pièce
– en arrangeant les fleurs, en mélangeant
la musique de genres et couleurs différentes. «Cette année je travaille surtout
avec de la soie et des broderies de tous
genres. Je laisse ressortir les contrastes
entre la finesse et la grossièreté du tissu.
Pour les couleurs, je n’en évite aucune.»
«J’aime constituer les garde-robes,
celle de la femme au galbe bien rempli,
par exemple. Elles ont souvent plutôt la
tendance de se voiler et moi, je les aide à
trouver comment mettre en valeur leurs
avantages et avoir l’air vraiment bien.
Mes clients deviennent mes amis, ce qui
facilite mon travail. Dans les boutiques,
les femmes disent souvent:’C’est beau,
mais je n’ai où le mettre.’ Quelle absurdité! Sous l’ancien régime, il pouvait
être payant d’avoir l’air d’une petite
souris grise pour mieux se perdre dans
la foule. Mes clientes sont différentes.
Elles aiment être bien habillées. Et
de telles personnes seront toujours
plus nombreuses chez nous, affirme SoÀa
Hlaváãková».
Sabrina Karasová
rédactrice en chef de la revue Cosmopolitan
Photos: www.tinity.cz
23
BLANKA
Blanka Matragi:
«Je me porte garante de chaque robe.»
Si SoÀa Hlaváãková est l’étoile montante
du dessin de mode tchèque, Blanka Matragi
est son astre bien fixe – quoiqu’il brille au
Liban lointain. Elle a fait l’apprentissage
de tailleur de verre et a étudié ensuite les
arts du vêtement. La combinaison des arts
plastiques et de la mode constitue toujours
un trait caractéristique de ses créations.
En 1999, elle a surpris tout le monde par
son come-back dans le domaine des bijoux
fantaisie en verre et en cristal.
E
n 1978, elle gagne le concours pour
une collection avec le thème des Jeux
olympiques de Moscou, ce qui la fait entrer
sur la scène du design international, ne
soit-ce que dans le cadre du bloc socialiste.
Dans le pays, elle fait les costumes pour
des mises en scène télévisuelles et elle habille les vedettes de la musique pop.
24
L’année suivante, elle se marie avec
Makram Matragi, ingénieur libanais, et
quelque mois plus tard, elle le suit à Bey-
routh. Ceci marque le début de son chemin
vers une clientèle de rêve: dames appartenant
aux couches les plus élevées du monde
arabe. Elle commence par dessiner les robes
de soirée pour une maison libanaise, mais
dès 1982, elle ouvre le salon Blanka Haute
Couture sur la principale artère de Beyrouth
– avenue Hamra. Elle gagne le concours
mondial pour le design des uniformes de
police d’Abu Dhabi, dans les Emirats
arabes unis. Elle habille les épouses, seurs
et filles de rois, émirs, cheiks et magnats
des pays au bord du golfe Persique, ainsi
que la «high society» européenne. Son domaine, ce sont les robes de soirée, mais
aussi les robes de noce ou de finançailles.
«Chacun désire quelque chose d’exceptionnel, de l’originalité pour lui-même,
pour flatter sa vanité. Mais c’est ça la mode,
au fond... Aujourd’hui, la mode vise le sentiment de légèreté, le papillon proverbial. La
femme se dévoile pour en faire voir toujours
davantage de son corps. Pour cette raison,
les femmes font de la gymnastique pour
Blanka Matragi, étoile fixe de la mode tchèque, a créé la marque Blanka Haute Couture et elle vit au Liban.
avoir une figure vraiment bien, mes princesses
y comprises. Elles ont toutes leur monitrice
personnelle. Et le rôle des coutumes du
Proche Orient? Quand elles ne veulent pas
que leurs jambes soient visibles, on leur
fait une doublure couleur chair, mais le décolleté et les bras restent nus aujourd’hui,
tout au plus, on les couvre de foulards en
tulle ou en chiffon. Dans les palais, on porte
en effet des modèles très sexy, très féminins.»
Son salon est unique non seulement
par les créations textiles vaporeuses qu’il
produit, mais aussi par la composition
ethnique du personnel qui y travaille sous
les ordres de Blanka, En 2001, un rédacteur
de la Radio tchèque y dénombra des Libanaises, Arméniennes, Turques, une Tchèque,
une Philippine et une Seychelloise. Les
chrétiennes, catholiques et orthodoxes, y
collaborent avec les musulmanes sunnites
et chiites: cinquante femmes dans les deux
ateliers s’affairent autour des conceptions
très individualistes de Madame Blanka.
Chaque cliente a ici son mannequin, image
exacte de sa figure, que l’on rectifie selon
que l’original maigrit ou prend du poids.
«Mon crédo, c’est que je me porte garante
de chaque robe,» dit Matragi.
Blanka Matragi a vécu le triomphe symbolique de sa carrière en 2002 où elle a
présenté à Prague sa nouvelle collection
et un défilé de mode pour célébrer le 20e
anniversaire de son salon de Beyrouth. Au
printemps de la même année, elle a reçu le
est championne du silence. Son dessin
ne peut être interprêté comme de la mode.
Ce qu’elle crée, c’est de l’art.» En 2003,
Mme Blanka Matragi devient, par la décision du Sénat de a RT et du Ministère
des Affaires Etrangères, «Femme tchèque
insigne dans le monde».
A
u mois de septembre 2006, il y
aura au Palais des Fêtes de Prague la présentation de 60 modèles de soirée exclusifs
de Blanka Matragi, accompagnée d’une
exposition de modèles créés actuellement
ou dans le passé, pour des familles royales.
Ces manifestations entreront dans le cadre
de la célébration devant marquer les 25 ans
du travail créateur de Blanka Matragi.
Rédaction
Photos: Robert Vano, agence Via Perfecta,
www.tinity.cz, www.blanka.com
Prix d’art européen et, en été, deux autres
distinctions: Prix international Salvador
Dalí et Prix Franti‰ek Kupka 2002 accordé
par l’Union des artistes graveurs tchèques
«pour sa conception picturale et graphique
du design de vêtement». Lors de la remise
du Prix d’art européen, le professeur Miroslav Klivar de la World Distributes University de Bruxelles a défini le dessin de
mode de Blanka en ces termes: «Elle est
championne de la mythologie individuelle
de la femme. Dans le dessin de mode, elle
Quels sont autres dessinateurs de mode tchèques?
Alice Abraham
www.aliceabraham.com
Monika Drápalová
www.modra-fashion.cz
Helena Fejková
www.helenafejkova.cz
Daniela Flej‰arová and Eva Janou‰ková
www.edaniely.cz
Tatiana Kovafiíková
www.tatiana.cz
Klára Nademl˘nská
www.klaranademlynska.cz
Ivana Novotná
www.ivn.cz
Libûna Rochová
www.studio-lr.com
25
Muses de la photogénie
Les muses dont nous avons hérité de la
Grèce ancienne sont au nombre de neuf.
La représentation de leurs attributs connut
au cours de l’histoire des changements
si importants que l’histoire des arts a
souvent de la difficulté à les distinguer.
On peut dire, au figuré, que c’était là
la première marque de la démocratisation du portrait qui, pourtant, ne devait
prendre un caractère de masse qu’au
cours du 20e siècle.
Les portraits les plus anciens remontent
au début du siècle passé. C’est qu’en 1903
fut créé, grâce à l’initiative de Franti‰ka
Plamínková, Îensk˘ klub ãesk˘ (=Club
féminin tchèque) ayant pour but le développement culturel et politique de la société.
Significative est le portrait créé par Franti‰ek Krátk˘, insigne explorateur et photographe: il prit et porta pendant un certain
temps le relais interminable de la glorification de la féminité. Ce qui l’intéressait,
c’était l’exaltation du modèle – conformément au canon de mode de l’époque, bien
entendu. Pendant les trente ans que je
parcours les boutiques d’antiquaires proposant de vieux portraits photographiques,
je n’ai jamais rencontré la présentation
de l’auréole au moyen de figures orthogonales, les ovales et les cercles inscrits
dans la photo avec ce but étant abondants.
Jusqu’à l’année dernière.
L
es photographies reproduites sont
dues exclusivement aux hommes. Elles
illustrent l’idée que les générations relativement robustes se faisaient de la moitié plus
délicate de l’humanité. D’anciens clichés faits
pour mémoire on passe à des photos présentant les rêves cultivés et diffusés au sujet
des femmes par les artistes contemporains.
2
5
26
1
3
4
6
7
8
La dame posant dans des photos faites
à Kolín ressemble de façon frappante à Bohumila Bloudilová qui a fait l’apprentissage
de photographe dans l’atelier de Franti‰ek
Krátk˘. Au printemps 1905, elle ouvrit à Kolín son propre atelier. La réussite de son
entreprise dans la petite ville de Bohême
centrale est d’autant plus admirable qu’elle
réalisa sa tentative dans une profession
qui, au 19e siècle, était considérée comme
exclusivement masculine.
Dans les années 20 du 20e siècle, le
mouvement d’émancipation de la femme
prit un développement impétueux. Au bout
de la longue guerre, les hommes européens
sont revenus dans un monde changé. Il a
fallu qu’ils s’accomodent des femmes qui, de
toute évidence, avaient pris de l’assurance.
Cela marqua aussi la photographie. Alice
10
9
Masaryková, présidente de la Croix rouge
tchécoslovaque prenait à l’occasion le rôle
de la première dame pour remplacer sa
mère malade. Elle accompagna son père,
président de l’une des démocraties créées
sur les ruines de l’ancienne Autriche-Hongrie,
aussi dans l’atelier photographique du fameux Franti‰ek Drtikol.
Drtikol est célèbre surtout grâce à ses
nus. Dans sa succession, toutefois, ce sont les
portraits qui sont incomparablement plus
nombreux. Ils sont imprégnés d’assurance
civique. La conscience d’une dignité inaliénable appartenait dorénavant non seulement aux élites qui avaient de tout temps
le culte du portrait, mais aussi aux masses
de salariés. L’ancien aspect décoratif des
portraits disparaît: une simple photo est
suffisante pour la représentation.
Alice Masaryková, toute proche qu’elle
reste de la classe dirigeante, a un air sans
prétention. Son portrait n’a pas l’atmosphère
de l’Art déco, mais ce n’est plus de l’Art
nouveau. Sous l’influence de l’émancipation euro-américaine, les femmes renoncent
à la pruderie dans la feçon de se vêtir,
elles raccourcissent leur jupe d’un tiers et
se montrent de plus en plus souvent en
tricots de bain. Leur vêtement de bain ne
risque plus de les entraîner sous l’eau par
27
le poids du passé. Devant
les objectifs de photographes,
les femmes se sentent de
plus en plus libres.
Les illustrations du recueil de poèmes de Nezval
franchissent, sous la direction de Karel Teige, le seuil
idéal de l’idée moderne de
la femme. Pour que son
image puisse être innovée,
il fallut – et c’était aussi
l’avis de l’avant-garde internationale – l’interpréter
dans le contexte social (et
critiquement par-dessus le
marché). L’adoration idéaliste des femmes (fréquente
dans les nus) devait être
confrontée avec leur situation sociale réelle, notamment
pendant la crise économique mondiale des années
30. Cette conception est,
d’ailleurs, toujours présente
dans les programmes de
photographes. Toujours est-il
que le portrait de la femme
finit par être le domaine de
la femme créatrice elle-même.
Mais ce serait là un autre
témoignage qui concernerait
12
28
en quelque sorte le problème de la démocratisation de l’art...
A la limite, on pourrait
indiquer la créatrice seulement pour une photographie reproduite anonymement. Cela représenterait
une exception inattendue:
elle signifierait que l’idée
masculine sur l’utilité des
femmes serait diffusée
– par procuration – par les
femmes elles-mêmes. De
toute façon, les femmes sont
présentées cette fois-ci dans
les rôles diverses, quant à la
motivation des photographes. Il n’y a pas de doute
que, en tant qu’inspiratrices, elles restent bienvenues devant les viseurs des
appareils. Et elles donnent
aux visions de photographes
une dimension étonamment
édifiante.
Dans un certain sens, il
y a l’effacement de la différence entre les photos mis
en scène et ceux des situations arrangées par la vie.
Dans un style très passéiste
11
13
14
Et non artistique aussi. En tant qu’individus, les hommes rêvent à autre chose.
Pour le bonheur, c’est-à-dire pour la vie,
ils n’ont pas besoin d’une femme jolie
comme un coeur!
est arrangée la scène de l’atelier de notre
contemporain Ivan Pinkava. Par contre,
l’instantané de guerre de Tibor Honty
paraît inventé: il serait bien difficile de
mettre en scène une scène plus pathétique, même si l’on disposait de tout
l’équipe d’un film à grand spectacle!
Josef Moucha
revue Fotograf
P
avel Mára a réservé un extraordinaire
rôle double à Anna Fárová, historienne de
l’art. D’un seul coup, il a rendu un double
hommage à cette personnalité: en tant que
motif d’une création libre et en tant que
spécialiste de la photographie. En effet,
ses aînés parmi les historiens de l’art ne
trouvaient pas la photographie suffisamment digne de leur intérêt. Quant à ses
collègues plus jeunes, elle a su les motiver à l’imiter.
Il est évident que notre présentation
ne saurait pas se passer de Jan Saudek,
71 ans, un des photographes tchèques
les plus renommés! Faisant preuve de son
sens réputé de contradiction dramatique,
il déclare: «Mes photos sont purement
décoratives et on devrait les accrocher au
mur. Je voudrais qu’elles fassent plaisir.
Ne parlentelles pas de problèmes humains
éternels?» Selon sa propres expression,
15
l’auter crée «des choses qui sont de purs
non-sens et que l’on peut croire». Et il
donne l’exemple: «Acune fille ne tiendra
sa blouse entre les dents pour faire entrevoir ses seins. Je l’ai fait et cela a marché.»
Un lecteur attentif aura remarqué que,
dans nos réflexions, nous avons laissé
de côté la beauté qui, dans les concours,
est soumise au jugement collectif du jury.
C’est que toutes ces reines des estrades
se ressemblent en quelque sorte... Une
ressemblance d’affiche, pourrait-on dire...
1. Franti‰ek Krátk˘, Kolín. Sans titre, sans date
(début du 20e siècle).
2. Franti‰ek Drtikol, Alice Masaryková, 1919,
Collection du Musée des arts décoratifs de Prague.
3. Karel Teige, Illustration de l’Abeceda, recueil
de poèmes de Vítûzslav Nezval. 1926 (impression,
photo Karel Paspa).
4. Eva Fuka, Tête de paille, 1958.
5. Jan Lukas, Réfugiés des Sudètes après le diktat
de Munich, 1938 (propriété de l’auteur).
6. Miroslav Hák, Masque, 1938 (Collection du Musée
des arts décoratifs de Prague).
7. MiloÀ Novotn˘, Mannequine, 1964 (collection de
la Galerie morave de Brno).
8. Vilém Reichmann, Bombe sexuelle, 1964, cycle
Magies (Collection de la Galerie morave de Brno).
9. Alexander Hammid, Maya, vers 1943 (collection
de la PPF Group).
10. Jaromír Funke, Soeurs, 1942 (collection de la
Galerie morave de Brno).
11. Tibor Honty, Mort dans les dernières secondes de
la guerre. Funérailles du colonel Georgi Sakharov
devant le Rudolfinum de Prague le 10 mai 1945
(collection de la Galerie morave de Brno).
12. Ivan Pinkava, Salomé, 1966 (propriété de l’auteur).
13. Tono Stano, Sens, 1992 (propriété de l’auteur).
14. Bohdan Holomíãek, Trutnov, 1967 (collection
de la PPF Group).
15. Jan Saudek, Marie N° 142, 1972.
29
Eva Fuka
C’est mon monde à moi
«Je n’ai subi l’influence de personne
et je n’ai même pas pensé à essayer
des techniques de quelqu’un d’autre.
Tout simplement, je créais mon monde.
Les résultats pouvaient être marqués
de gaucherie, mais c’était mon monde
à moi et personne, sauf moi, ne pouvait
pas le vivre. Les tendances mondiales
ne m’importaient guère; je n’en savais
pas grand’chose et elles ne me manquaient pas.»
Eva Fuková
dans ÚtrÏky Ïivota(=Bribes de la vie.
Mémoires d’une photographe)
Eva assiste à un vernissage au cabinet de J.Funke,
à Brno. Photo Emanuel Frynta.
L
e film Je reviens au pays du
labyrinthe, réalisé par Ale‰ Kisil pour
la télévision et sorti l’année passée,
rappelle les destinées et l’oeuvre des
époux Eva et Vladimír Fuka. Le couple
quitta Prague pour traverser l’Océan,
revint au vieux continent pour repartir pour New York de nouveau.
Aujourd’hui, Eva Fuková (*1927) vit
30
Le temps s’est arrêté, 1957.
à Prague. A son avis, l’art est une
façon de conserver les impressions
vivantes. Cela détermine aussi son
mode de narration.
C’est son père Franti‰ek Pode‰va,
peintre et rédacteur en chef des revues
Rozkvût et Salon, qui amena Eva à
la photographie dès son enfance. Sa
mère Marie Pode‰vová était écrivain
et traductrice de plusieurs langues.
Les dons littéraires dont elle a hérité
sont devenus pour Eva Fuková l’impulsion d’écrire ses mémoires. Toutes
les citations du présent texte sont tirées
du manuscrit des Bribes de la vie.
Les années préscolaires des soeurs
Pode‰va se déroulèrent dans la belle
maison du quartier résidentiel de Vinohrady à Prague. Le grand appartement
lumineux sous un toit vitré était un
rendez-vous d’artistes, de photographes
et de gens de lettres, de nombreux visiteurs étrangers y compris. «Le tapis
orange avec l’éléphant blanc au milieu,
don apporté de Chine par un ami, couvrait le parquet du hall et ne cessait de
me fasciner,» se souvient Eva Fuková.
Cette lumière favorable entrant dans
ses jeux d’enfant par le toit vitré, Eva
Dernier chemin, 1953
Portrait
Fuková devait la retrouver vers la fin
des années 60 en photographiant les
sculptures et les tableaux dans le studio
sous les combles du Musée métropolitain de New York.
Les parents élevaient leurs filles dans
une discipline spartiate. En l’absence
d’un garçon dans le ménage, le père
tenait à ce que ses filles portent le pantalon, qu’elles aient les cheveux coupés
court comme des garçons et qu’elles
s’exercent à la boxe.
«Un des invités avait l’habitude de
nous effrayer en disant que la guerre
approchait et que, si on continuait à
être insupportables, on irait dans un
camp de concentration. Dans ma tête
d’enfant, cette notion abstraite provoquait une terreur inimaginable. Je
n’aimais pas le monsieur.»
Vint le maussade mars 1939 et les
soldats allemands occupèrent les pays
tchèques. «Nous avons tous pleuré
sur la trahison des alliés. Les parents
ont mis au mur les vers de Svatopluk
âech: Ne croyez personne dans le
vaste monde, nous n’y avons pas un
seul ami...Prague était obscurcie par
le black-out et les trams, tels les vers
luisants bleus, brillaient dans le noir
où les gens se heurtaient les uns
les autres comme des aveugles. Des
étoiles jaunes sont apparues sur les
Sur sa propre piste
Graisse crue, 1953
Ombre, 1952.
«Les essais photographiques de mes
douze ans n’étaient pas si mal que
ça,» voilà le bilan de l’auteur de deux
biographies et de toute une série de
catalogues d’exposition. «La photographie m’intéressait toujours davantage,
j’ai fait quelques clichés assez bien, je
suis entrée en «apprentissage» dans
l’atelier de Miro Bernat et me suis
inscrite à l’Ecole graphique». Même
pendant la guerre, les jeunes adeptes
de la photographie y recevaient l’enseignement de Josef Ehm et de Jaromír Funke, les deux d’inspiration surréaliste. Miro Bernat, photographe de
la même orientation et future réalisateur de courts métrages, choisissait
les lectures de son élève et elle, en revanche, récitait pour lui des poèmes
d’une élaboration vocale particulière.
L
vêtements et, pour marquer ma protestation désespérée, j’ai pris l’habitude de monter dans les voitures
arrière, celles de devant étant interdites
aux juifs. Tout d’un coup, il y avait des
camarades absents de nos jeux et de
bancs d’école.»
a guerre mondiale se termina
pour Eva le 5 mai 1945 avec le commencement de l’Insurrection de Prague.
«C’était le jour de mon anniversaire,
j’avais dix-huit ans. Jamais je n’oublierai le 9 mai où les blindés sont finalement apparus à l’horizon pour libérer
Prague des dernières convulsions de
l’étreinte allemande. A cinq heures du
31
Feuilles d’automne, 1953
Rien que nous trois, 1962
matin, le bourdonnement des moteurs
nous a réveillés. Très vite, le faible espoir de voir les blidés américains s’est
évanoui: Cela signifie la fin, a dit papa
quand, debout sur le balcon, nous regardions avancer les géants avec les
drapeaux rouges flottant dans le vent.»
A
u début de l’été 1945, la jeune
fille ayant terminé l’école graphique
et l’apprentissage de photographe demanda d’être inscrite à l’Académie
des beaux-arts de Prague. Elle y fut
admise en dépit de l’extraordinaire
affluence due au fait que, pendant la
guerre, les écoles supérieures tchèques
avaient été fermées.
Pendant les études communes, elle
connut son futur mari Vladimír Fuka
(1926-1977). Leur élan juvénil se
heurta au coup d’Etat communiste
de février 1948 suivi du régime de
cortèges, de quais devant les magasins
à demi vides et de kitchs du réalisme
socialiste.
Dans les années 50, Eva Fuková
découvrait sa Prague pendant les promenades qu’elle faisait à travers la
ville avec sa caméra au cou et sa fille
Ivana au dos. C’est alors qu’elle a créé
les bases de son oeuvre. La censure
étanche la coupait de ce qui se passait
dans le monde, les frontières étaient
sous le contrôle policier permanent et
32
Le collier d’argent, 1962
Autoportrait, 1962.
les activités de groupe étaient considérées comme illégales. Comme sous
l’occupation, on pouvait tout juste
rêver de rues pleines de lumières ou de
cafés on l’on puisse s’amuser librement. Le nouveau régime dictatorial
apporta des décénnies d’armement et
d’absurdités économiques. Des ombres
fantomatiques erraient sur les stores
éternellement baissés des boutiques
fermées. Les cinémas et les théâtres
étaient envahis par la propagande. Le
Château en contre-haut de la ville
changea en fantôme et les ruelles et les
recoins romantiques de la ville s’abîmaient par manque d’entretien. Les
crépis de maisons étaient irrémédiablement infiltrés par l’eau dégoulinant de
gouttières rouillées. Vladmír Boudník,
performer et artiste graveur, approfondissait les contours des crevasses sur
place. Eva Fuková changeait les contours de la réalité dans ses clichés.
Pour le faire, elle s’en tirait généralement avec une idée très simple: celle,
par exemple de retourner le négatif
dans l’agrandisseur.
Les époux Fuka comptaient parmi
les artistes s’inspirant de la poétique
du civilisme. Une fois par semaine, les
jeunes artistes de leur cercle se réunissaient pour faire voir les uns aux autres
les extraits de leurs «journaux». Dans
les années difficiles du stalinisme, ils
rédigeaient un magazine privé qui
Dans la forêt, 1958.
Jifií Koláfi, 1954.
servait de point de départ de
leur création. L’époque de la
guerre froide favorisait le
glissement de l’imagination
lyrique dans l’ironie et dans
l’absurdité: «Nous avons
constitué un groupe indissoluble qui se réunissait
presque chaque jour. Nous
étions tous pauvres, personne d’entre nous ne créait
rien qui soit au goût du régime. Le sort commun nous
liait. Bien entendu, nous
n’osions pas nous réunir
dans les cafés: les flics étaient
à nos trousses et, quelquefois, on les voyait rôder sous
nos fenêtres. Au moment de
procès politiques, il était
interdit de se réunir et nos
amis venaient chez nous
l’un après l’autre.»
A suivre
L
’atmosphère de suspicion et la préparation du
procès avec les intellectuels
valurent neuf mois de détention à
Jifií Koláfi. On l’arrêta à Noël 1952.
«Heureusement, la mort de Staline a
fait échouer le procès. Je me le rappelle très bien: j’allais et venais sous
nos fenêtres avec le landau et Vladimir me criait d’en haut les nouvelles
Hôtel, 1952.
sur l’agonie de Staline. Dans les rues,
les haut-parleurs diffusaient la musique funèbre et nos coeurs étaient
en joie.»
Au bout des trente-cinq
ans passés en exil, Eva Fuková est retournée dans sa
Prague natale. Le domicile
de cette artiste imprégnée de
culture classique n’est pas
seulement un appartement
aménagé avec goût: c’est un
milieu dans le sens artistique du mot. Evidemment, il
est nettement marqué par
l’esprit des peintures, dessins et gravures de Vladimír
Fuka. La photographe partage son temps entre les séjours à Prague et les voyages
en Amérique et à Paris où
elle a un petit-fils et où sa
fille possède un studio graphique prospère.
Eva Fuková prépare une
exposition rétrospective pour
son quatre-vingtième anniversaire. C’est pour l’année
prochaine. Pour la rétrospective, il faudra réviser à
fond les archives des négatifs conservés: il y en a, en effet, que l’on n’eut
pas le temps d’agrandir.
Josef Moucha
revue Fotograf
33
Deux dames de la
dentelle tchèque
Milãa Eremiá‰ová (*1938)
est née à Prague. Après le baccalauréat,
elle a fait ses études à l’Ecole supérieure des
arts décoratifs, option dentelle et broderie.
Elle a enseigné à l’Institut de production
artistique et, en 1990, elle est passée à l’Académie privée du design artistique, à Prague.
A l’heure actuelle, elle se dédie à l’activité pédagogique tant dans le pays qu’à l’étranger.
Dès la fin de ses études, elle s’adonne à
la création artistique indépendante. La première présentation publique de ses ouvrages
remonte à 1967, sa première exposition
indépendante enrichit le paysage artistique
tchèque en 1973.
Dans son essai intitulé Attouchements
mystérieux des dentelles de Milãa Eremiá‰ová, Jifií Pilka dit: «C’est de la fragilité
des fils de toutes sortes qu’est composé le
monde de Milãa Eremiá‰ová. Ses dentelles
abandonnent la bidimensionnalité pour
créer un espace plastique en se combinant avec
des fragments de bois dans des structures
d’arbres. Sa création reçoit des impulsions
puissantes de la sphère spirituelle, de la
tradition chrétienne: pietà, crucifix, variations multiples de la Vierge et l’Enfant. Les
ouvrages de cette inspiration étonnent par
leur caractère dansant. La Vierge n’est pas
représentée dans le statisme traditionnel:
elle est pleine de mouvement, rayonne de
joie. Loin d’être descriptive ou même naturaliste, elle insiste sur la compassion.
Dans différents ouvrages de l’artiste, on
trouve des motifs naturels, empruntés très
souvent à la sphère des inspirations musicales (Janáãek, MartinÛ, Stravinski). La
nature elle-même, très familière à Milãa
Eremiá‰ová, est fréquemment le thème de
ses nombreux ouvrages avec prépondérance
de différentes représentations de la mer.
L’artiste aime revenir au motif de la mer
en tant que matière primordiale d’où est née
la vie sur cette planète.
Difficiles à présenter et, donc, moins
connues sont les oeuvres monumentales de
Milãa Eremiá‰ová, destinées pour les espaces
34
de grands ensembles architecturaux. Exceptionnelle est la participation de l’artiste à
la création cinématographique, c’est-à-dire
au dessin animé «Clochette arrachée».
L’univers plastique de Milãa Eremiá‰ová
porte les marques de la tradition artistique
tchèque, celles notamment consistant à porter
un message spirituel, à unir les horizons et
harmoniser dans un geste créateur original
la nature et l’homme, le passé et le présent,
les tragédies écrasantes et le désir d’une vie
heureuse. Les femmes sont souvent douées
du don de sagesse et d’harmonie. Milãa
Eremiá‰ová sait, en plus, le refondre en un
puissant langage plastique.»
Svûtlana Pavlíãková (*1954)
est née à Hradec Králové. Elle a étudié
l’option dentelle aux fuseaux à l’Institut de
production artistique de Vamberk. Elle a
travaillé comme dentellière et dessinatrice
à Vamberecká krajka, coopérative de
production artistique. Depuis 1992, elle
s’adonne à la création utilitaire et libre. Ses
travaux – que l’on expose depuis 1978 –
font partie des collections du Musée de la
dentelle, à Vamberk, du Musée de la dentelle
à Prachatice et du Musée juif de Prague.
«Je me sens attirée vers le matériel textile
par quelque chose d’essentiel. C’était mon
destin de prendre connaissance de la technique des fuseaux et de m’y perfectionner.
Cette destination ne me limite pas. Atteindre
et dépasser les limites des possibilités de
cette technique est presque impossible dans
la création active d’une personne. Elle touche
de nombreuses autres techniques, textiles ou
pas, dont elle est issue ou qu’elle assimile
tout naturellement. Elle utilise l’inspiration
morphologique de domaines très éloignés
tout en restant elle-même: abstraction s’inspirant librement des structures qui lui sont
propres. Le caractère illimité des possibilités
techniques constitue un défi, une aventure,
un espace pour l’expression personnelle.
Dans les multiples branches de l’arbre
vivant, je cherche la pierre philosophale et
me cherche moi-même.»
Une revue de mode soutient
la voiture ·koda Roomster
Mannequines et danseuses, habillées de
robes argentées créées par la dessinatrice
tchèque Hana Havelková, attirent cette
semaine les visiteurs de la foire de Leipzig vers la voiture ·koda Roomster,
nouveau modèle présenté pour la première fois en Allemagne.
«C’est une équipe de top-models et de
danseuses professionnelles tchèques qui va
lutter pour attirer l’attention des visiteurs.
Pendant le spectacle, les mannequines
arrivent à présenter une trentaine de modèles,» dit Hana Havelková et elle ajoute:
«Cette année, nous aurons en plus, à titre
excelptionnel, la collaboration du danseur
Michal ·tipa, soliste des Ballets du Théâtre
national de Prague.» En dehors de la
présentation classique de robes, les
mannequines souriantes maneuvrent
avec grâce le volant, baissent les sièges,
chargent une bicyclette dans la voiture.
«J’ai dessiné les vêtements en harmonie
avec le dessin de la voiture,» ajoute la
dessinatrice.
Photo: Max Tsiu.
Siège de la présidence
de l’Union
Notre pays continue ses préparatifs
pour 2009, année où il devrait assurer
la présidence de l’Union européenne. M.
Jan Kohout, ambassadeur de la République
tchèque auprès de l’UE, a déjà signé le
contrat de location de quatre étages de
bureaux pour 120 personnes dans le bâtiment contigu de la représentation permanente de la RT à Bruxelles. Le complexe
en construction se trouve dans la proximité
du siège du Parlement européen.
La République tchèque prendra la
présidence de janvier à juin 2009. Les
frais liés à la présidence, qu’il faudra
couvrir, s’éléveront à deux miliards de
couronnes environ.
Mosaïque
Tendances 2007
En collaboration avec les Ballets du
Théâtre national, le Centre tchèque de
Paris et la Galerie de mode Lucerna
Prague ont présenté à Paris la collection
Trendy (=tendances) 2007 de la dessinatrice de mode Helena Fejková.
La présentation a eu lieu le 21 avril au
quartier de La Défense, le plus moderne
de Paris, sur la nouvelle piste d’arrivée
des cars internationaux de la société
Eurolines. Autour d’un môle long de 25
mètres, celle-ci a installé 400 fauteuils
d’où le public a suivi le spectacle de danse
créé par le chorégraphe Jan Kodet et réalisé
par Lenka Vinická.
La présentation avait eu sa première le
18 avril au Palais âernín de Prague en
présence de M. Cyril Svoboda, ministre
des Affaires étrangères. Le bénéfice de
la présentation a été remis à la société
âlovûk v tísni (l’homme en détresse) aux
fins de la réalisation du projet de sauvetage
des orphelins de Namibie. Une présentation pareille est envisagée pour le mois
de mai 2006 en collaboration avec la
Maison tchèque de Moscou.
Kurková distinguée par
Women Together
A 22 ans, la top-model tchèque Karolina Kurková s’est jointe aux personnalités
de la taille de Hillary Clinton, ancienne
first lady des Etats-Unis, ou de la reine
Rania de Jordanie. Women Together,
organisation sans but lucratif, l’a distinguée à New York en appréciation de sa
contribution à la promotion des droits de
la femme. La distinction a été remise a
dix femmes qui aident les femmes dans
les pays en voie de développement. En
dehors des dames mentionnées, ont été
distingués Angelina Jolie, actrice hollywoodienne, et la chanteuse colombienne
Shakira qui est à la tête du fonds de l’aide
aux enfants Pieds nus.
«Il faut que les gens aident les uns les
autres, sans distinction de nationalité, de
religion et de couleurs de la peau. Qu’ils
se tolèrent mutuellement. C’est très important. Je crois que l’on nous a choisies,
Shakira et moi, pour que nous aidions à
faire passer à la jeune génération le message sur la nécessité d’aider les femmes,»
a déclaré la mannequine.
Photo: Mango.
Distinction pour le couple
·kvoreck˘-Salivarová
Pendant sa visite à Toronto, le ministre
Cyril Svoboda a remis à Josef ·kvoreck˘
et à Zdena Salivarová le prix Gratias
Agit accordé pour la propagation à l’étranger de la renommée de la République
tchèque. Pendant les décennies de l’exil
canadien, le couple ·kvoreck˘-Salivarová s’était adonné – à côté de la création
littéraire propre – à la publication de la
littérature tchèque. Depuis 1969, leur
maison d’édition Sixty-Eight Publishers
a fait paraître 220 oeuvres littéraires, historiques et scientifiques interdites dans la
Tchécoslovaquie communiste.
Lors de la remise du prix, Josef ·kvoreck˘ (81 ans) a fait remarquer que la
renommée de la République tchèque au
Canada est assurée surtout par les entrepreneurs tchèques locaux.
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35
Vítûzslav Kaprálová
Compositrice exceptionnelle
Elle n’avait que vingt-deux ans et
quelques années de vie devant elle.
Ayant obtenu une bourse pour étudier à une école musicale parisienne,
elle venait de monter dans le train
pour aller à Paris. Elle était une
compositrice pleine de promesses
et une chef d’orchestre originale.
C’était en 1937.
C
’est le compositeur Bohuslav
MartinÛ qui lui avait recommandé de
rédiger la demande de bourse. Depuis
1923, cet homme déjà célèbre vivait
surtout en France. Pendant un voyage en
Tchéquie, il rencontra Vítûzslav Kaprálová. Elle l’impressionna tant comme
compositrice débutante qu’en tant que
femme. Arrivée à Paris, elle trouva
chez lui un refuge: ils jouaient du piano
ensemble, il lui donnait des conseils
de composition. Et MartinÛ, son aîné
d’un quart de siècle, tomba amoureux
de son élève qui, de protégée, devint
son amie et maîtresse.
36
Tout le monde tombait
amoureux d’elle
Jifií Mucha, fils du peintre Alphonse
Mucha, était un des hommes dont la vie
fut marquée par Vítûzslava Kaprálová
pendant son séjour à Paris. Dans son livre
Etranges amours, il écrit à ce sujet: «Il
n’était pas étonnant que les sentiments
de MartinÛ aient changé. Tout le monde
tombait facilement amoureux d’elle, mais
MartinÛ avait plusieurs motifs en plus.
Elle était Tchèque, elle aimait les Hauteurs
tchéco-moraves, pays natal du compositeur. et en tant que compositrice, elle
était vraiment l’âme de son âme. Il suffirait d’ajouter son expérience au miraculeux
talent de la jeune femme pour qu’elle
devienne non seulement une grande artiste,
mais encore une sorte de superstructure
de l’être du compositeur. MartinÛ qui,
depuis de longues années, vivait avec la
bonne Charlotte désintéressée – bonne
ménagère maternelle, mais aucune source
d’inspiration – n’avait pas d’enfants. Vitka
éveillait en lui un sentiment fait de l’ambition paternelle et de l’amour inspirateur
pour un être idéal. Au début, il n’osait la
toucher que par la parole, par le regard,
par la pensée. Il se rendait compte qu’en
dehors de son art, il avait peu de choses
à offrir à la jeune fille beaucoup plus
jeune que lui, qui lui apparaissait comme
Depuis 2001, un excellent quatuor à cordes porte le nom Kaprálová Quartet (avec l’autorisation de M. Josef Kaprál
et en accord avec la société canadienne The Kapralova Society).
Personnalité
Vítûzslava Kaprálová, dessin de Rudolf Kundera.
«Il ne nous reste que d’avoir les
yeux ouverts pour trouver le bien et
de nous tremper par le mal; d’être
reconnaissants de la beauté qui nous
entoure, et même de la douleur...»
Vítûzslava Kaprálová
(1915-1940)
compositrice (lettre à sa mère)
un petit génie volage et sémillant. Il
aurait voulu tout lui donner. Sauf ce qui
était le plus important et qu’il ne pouvait
pas donner.» Au fait, qui était ce «petit
génie sémillant»?
Originaire de Brno où son père, compositeur respecté, dirigeait une école
de musique. Sa mère était cantatrice.
Elle hérita des dons de ses parents qui
firent tout pour les développer. Peut-être
voyaient-ils en elle un enfant prodigieux.
Ils l’encourageaient dans son jeu du piano
et ils ne s’opposèrent pas à ses essais de
composition, ni à son désir de partir pour
Prague et, plus tard, pour Paris. Depuis
sa première enfance, elle était petite et
délicate, mais en même temps têtue et
indépendante. A l’âge de cinq ans, elle
lisait sans problèmes. Passant beaucoup
de temps à l’école de musique de son
père, elle apprit à lire les notes et, avec
lui, jouait à quatre mains du piano. A
neuf ans, elle composa sa première pièce
de quelque importance. C’est en ce moment
que, pour la première fois, elle tomba
gravement malade et dut aller au sanatorium pour tuberculeux à Star˘ Smokovec. Depuis, elle faisait souvent de
la température, ce qui signalait qu’il y
avait dans son corps quelque chose qui
ne tournait pas rond.
Une jeune fille de grand talent
Ecole primaire terminée, elle choisit
le conservatoire en combinant de façon
inattandue l’étude de la composition et
celle de la direction d’orchestre. Quand
une femme voulait se consacrer à la musique à cette époque, il était habituel qu’elle
soit professeur dans une école de musique ou répétitrice au théâtre d’opéra. Son
père qui avait une bonne connaissance de
la profession tenta de la dissuader de ce
choix. Mais Vítûzslava était une personne
obstinée et elle fut admise au conservatoire
de Brno. Elle y développa pleinement son
goût pour la composition. En 1935, elle
termina ses études au conservatoire par
le Concert pour piano, dont l’exécution
elle dirigea elle-même. Aussitôt, les critiques musicaux se mirent à écrire sur
la jeune-fille de talent musical extraordinaire. Cependant, Vítûzslava Kaprálová
voulait continuer – à l’ Académie de
composition pragoise où enseignait le
compositeur Vítûzslav Novák. Elle se
transféra à Prague et y découvrit un milieu
artistique nouveau: concerts, expositions,
théâtres. Pour la première fois dans sa
vie, elle devait voler de ses propres ailes
et bien compter ses sous. De temps en
temps, elle était devant le dilemme que
ne pourront comprendre que ceux qui ont
l’obsession semblable à la sienne: acheter
des notes nouvelles ou plutôt quelque chose
à manger? A ses parents, elle écrivait:
«Je me suis donc logée, et assez bien. Je
ne suis pas obligée de chauffer, car de la
cuisine qui est à côté, on laisse entrer un
peu de chaleur dans ma chambre. Le
piano joue très bien et, à tout prendre,
c’est meilleur marché que l’année passée.
37
Vítûzslava dirige l’orchestre de la Radio Brno.
Mon petit déjeuner se compose de cacao et de deux
grands pistolets beurrés.
Pour casse-croûte, je puise
aux provisions que j’ai de
maman; les déjeuners que je
paie 6 couronnes environ, je
vais les prendre chez une
dame d’en face. Pour mon
goûter, je prends du thé que
je prépare de mes propres
mains sur le fer à repasser.»
une nouvelle bourse. En janvier
1939, elle est repartie pour
Paris. Elle composa l’Elégie
dédiée à la mémoire de l’écrivain Karel ãapek et d’autres
ouvrages. Au printemps, elle
rencontra à Paris Jifií Mucha,
fils du peintre Alphonse Mucha.
Très vite, ils se lièrent d’amitié.
En s’appuyant sur les vieilles
connaissances de son père,
Jifií Mucha organisait la vie
sociale des réfugiés tchèques
et fréquentait les artistes qui
étaient restés à Paris. Ils se
réunissaient dans le fameux
café Les Deux Magots. Le Café
de Flore, fréquenté aussi par
Picasso ou par Jean Cocteau,
était un autre lieu de rencontre
de la communauté tchèque.
Pour la jeune artiste, c’était une
compagnie très bien choisie.
A Paris
En 1937, elle termina
l’Académie de musique et
elle demanda une bourse
d’Etat pour aller à Paris.
MartinÛ l’y attendait. Elle
apprenait à connaître le paysage culturel parisien. Dans
une des lettres envoyées à ses
parents, elle écrivit: «Hier j’ai assisté à
un concert de Triton. On a joué Bach,
Honegger, Bartók et encore un dont le
nom ne me revient pas. On est allés les
saluer (il paraît qu’ici c’est habituel) et
·afránek m’a présentée à des tas de
gens, dont je ne citerais qu’Honegger,
Milhaud et Flor.Schmidt (comment cela
s’écrit?), les autres j’ai oublié. Schmidt
était très gentil avec moi, les autres de
même et ils disaient que c’était très gentil
que j’écrivais, et moi je me disais bien
sûr, espèces d’Hottentots, mais en parlant,
je me limitais à des «oui» et des «enchantée.» La lettre témoigne d’une belle
assurance, mais elle y avait droit. En
novembre 1937 eut lieu la première exécution de Sinfonieta militaire qui est
aujourd’hui l’oeuvre la plus célèbre de
Vítûzslava Kaprálová. Elle l’a dédiée au
président Edvard Bene‰, commandant
suprême des forces armées tchécoslovaques. Le président vint la remercier personnellement, ce dont elle était très fière.
Ses compositions étaient jouées dans le
pays et à l’étranger. A Noël 1939, année
dramatique, elle dirigea son Prélude de
Noël à la Radio française. Elle fut ovationnée aussi à Londres, au Festival international de la musique contemporaine. Sa
Sinfonietta militaire ouvrait le programme
du festival et, à huit reprises, le public
rappela la jeune chef d’orchestre sur la
scène. Bohuslav MartinÛ qui accompagnait
alors Vítûzslava Kaprálová, envoya à ses
parents le télégramme suivant: «Le concert s’est très bien passé. Vitulka a dirigé
«comme un lion» et cela a été un grand
succès. Enverrons des coupures de journal.
Félicitations et saluts.»
38
Mariage sans lune de miel
Tous ses hommes
Le ciel de la Tchécoslovaquie se couvrait
de nuages annonçant le Protectorat, mais
à Paris on était insouciant des menaces
de la guerre. Vítûzslava Kaprálová composait de la musique et vivait des aventures
amoureuses. En mars 1938, elle écrivit à
ses parents qu’elle venait de recevoir deux
demandes en mariage: l’une de la part
d’un docteur Hauner, qui ne l’intéressait
guère, et l’autre de l’ingénieur Rudolf
Kopec qu’elle avait connu dans la chorale
de résidents tchèques. Il lui convenait par
son âge et il n’était pas submergé d’émotions à tel point que le tendre MartinÛ.
Cependant, ils finirent par ne pas s’entendre en politique. Après Munich, Rudolf Kopec traita Edvard Bene‰ de traître,
tandis que Vítûzslav Kaprálová le considérait toujours comme président tchécoslovaque et l’occupation de la Tchécoslovaquie la chagrinait. Elle retourna dans le
pays pour un bref séjour, mais MartinÛ
ne cessait de lui écrire et il lui procura
Elle habitait chez Mucha de temps en
temps, mais elle entretenait la correspondance avec l’ingénieur Kopec. Et MartinÛ non plus ne perdait pas l’espoir, car
elle lui promit d’aller en sa compagnie en
tournée aux Etats-Unis.
Jifií Mucha essaya de résoudre cette
situation étrange en proposant les fiançailles à Vítûzslava. Mais en tant que membre
futur des forces tchèques à l’étranger, il
dut partir dans le Midi de la France pour
l’instruction militaire. Il revint pour un
court congé en avril 1940 et il épousa
Vitka (c’est ainsi qu’il l’appelait). Il repartit
pour le camp d’instruction en attendant
que sa femme vienne le rejoindre. Cependant, celle-ci reculait toujours son arrivée
et, dans une de ses lettres, elle nota qu’elle
était allée consulter le médecin qui lui
a recommandé une opération. Ancien
étudiant en médecine, Jifií Mucha en était
inquiet. Il demanda un nouveau court
congé et alla retrouver sa femme. Il la
trouva à l’hôpital. Il l’a emmenée dans le
Midi et elle fut hospitalisée à Montpellier.
Hospitalisée, pas traitée. On ne savait
pas, en effet, d’où venaient ses fièvres
et ses douleurs, pourquoi elle dépérissait
à vue d’oeil. Les médecins finirent par
l’opérer, mais il ne trouvèrent rien. On
avança l’hypothèse de dissémination de
la tuberculose dans tout l’organisme. Vítûzslava Kaprálová avait vingt-cinq ans.
Barbora Osvaldová, revue INSTINKT
Photos: Société ArcoDiva, www.opusmusicum.cz;
livres: Jifií Mucha, Podivné lásky, (éditions Mladá
Fronta, 1988), Jifií Macek, Vítûzslava Kaprálová,
(Union des compositeurs tchécoslovaques, 1958).
De gauche à droite: Václav Kaprál, Líba HouÏviãková, la mère Kaprálová; derrière eux Vítûzslava Kaprálová et Bohuslav MartinÛ.