album et photo angelina jolie nu
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Sommaire Olga & Olga – les cinéastes Sommerová et ·pátová parlent du féminisme et de la galanterie pp. 4 – 7 Editorial Tractoristes et soldates – «égalité civile» des femmes aux temps du socialisme pp. 8 – 11 Une drôle de demoiselle – le violon et le chant d’Iva Bittová conquièrent les estrades à travers le monde pp. 12 – 15 Mannequins top au grand coeur – histoires de mannequins tchèques démontrent que «celui est beau qui fait de belles actions» pp. 16 – 19 Beauté vaporeuse – celle du vieux métier de dentellerie qui devient art pp. 20 – 21 Ayant promis d’écrire un éditorial sur le thème Femme comme inspiration, je me suis posé la question suivante: Que resterait-il de la littérature s’il n’y avait pas la femme en tant qu’inspiration et espace d’imagination? Et la réponse: Très peu, presque rien. Il n’y aurait pas de poésie, le roman disparaîtrait et le drame ne serait pas dramatique. Le seul genre littéraire qui durerait serait l’éditorial. Eh oui! «Je n’ai pas connu une seule dame ou demoiselle qui prenne du plaisir à lire les éditoriaux dans le journal,» écrivit l’écrivain Karel âapek en 1925. Depuis, beaucoup de choses ont changé, presque toutes, mais aujourd’hui non plus je ne connais pas un seul homme qui connaisse une seule demoiselle ou dame qui se complaise à lire les éditoriaux dans les journaux. Ainsi donc, c’est aux hommes que j’adresse cet éditorial. Hommes, avouons que non seulement nous cherchons la femme partout, mais que l’y trouvons! Cherchez la femme – ce mot a dans la vie la même valeur que, dans les romans policiers, l’affirmation c’est le jardinier qui a commis le meurtre. La femme est responsable de tout – depuis le silex jusqu’au dernier modèle d’auto. Vous croyez, Monsieur, que M. Neadertal tailla le premier silex pour avoir une arme contre le mammouth? Pas moi. A en juger selon moi, il entreprit cette invention révolutionnaire pour se rechauffer – en pleine période glacière – aux rayons de l’admiration de Mme Neandertal. Uniquement grâce au feu qu’elle sut allumer dans ses veines et au foyer qu’elle gardait dans la grotte, l’homme était à même de résister à la nature. Dans la grotte déjà il savait que la femme est le reflet de tous les charmes de la nature, concentrés dans un seul être, mais il ne savait pas l’exprimer aussi bien que Charles Baudelaire dans le Boudoir. Et nous autres hommes, qu’est-ce que nous sommes? Dans la littérature, je n’ai pas trouvé de phrase qui donne une définition satisfaisante. Il faut attendre. Attendons que la présente revue propose le thème Homme comme inspiration et qu’une femme écrive un éditorial que les dames et les demoiselles liront avec plaisir. Eh oui! Tinity & Blanka – Blanka Matragi représente la tradition, SoÀa Hlaváãková est une étoile montante du dessin de mode tchèque pp. 22 – 25 Muses de la photogénie – femme en tant qu’objet exalté du portrait photographique pp. 26 – 29 Eva Fuka – «C’est mon monde à moi», dit la photographe tchèque qui avait émigré aux Etats-Unis pp. 30 – 33 Mosaïque d’événements et de curiosités de la République tchèque pp. 34 – 35 Vítûzslava Kaprálová – phénomène de la musique classique tchèque, étoile prématurément disparue pp. 36 – 38 Le Coeur de l’Europe paraît six fois par an. Sur ses pages, ce périodique donne l’image de la vie en République Tchèque. Les articles expriment les opinions de leurs auteurs qui peuvent ne pas être toujours identiques aux points de vue officiels du gouvernement tchèque. La reproduction des textes figurant dans le présent périodique sans l’autorisation de l’auteur est prohibée. Pour l’abonnement, veuillez vous adresser à la rédaction du périodique. Éditeur: Éditions THEO, en coopération avec le Ministère des Affaires Étrangères de la République Tchèque. Adresse de la rédaction: J. Poppera 18, 530 06 Pardubice, République Tchèque Rédacteur en chef: Pavel ·míd Rédacteur artistique: Karel Nedvûd Président du Comité de rédaction: Vít Koláfi, directeur du Département de presse du Ministère des Affaires Étrangères de la RT et porte-parole du ministre Membres du Comité de rédaction: Vûra StaÀková, Marie Kopecká, Libu‰e Bautzová, Silvie Marková, Lucie Pilipová, Alena Prouzová, Pavla Jedliãková, Eva Ocisková, Milan KníÏák, TomበPojar, Oldfiich TÛma, Martin Krafl, Petr Vágner, Vladimír Hulec, Petr Volf, Vít Kurfürst, Jan ·ilpoch, Pavel Fischer Traduction: Institut de Langues et Littératures Romanes de l’Université Masaryk de Brno. Imprimé à VâT Pardubice ISSN 1211–930X Pavel ·rut poète et traducteur Internet: http://www.theo.cz E-mail de l’éditeur: [email protected] 3 Olga & Olga Toutes les deux sont de noir vêtues, toutes les deux s’appellent Olga, toutes les deux sont cinéastes. Elles ont la même coiffure, celle qui était branchée au temps de Brigitte Bardot. L’une est blonde, l’autre brune. Elles parlent toutes les deux d’une voix voilée qui fait à la fois sexy et poussive. 35 ans les séparent. Pendant l’entretien, elles se disputent de temps en tems, elles se taquinent en camarades et, aussi, elles font de la réclame l’une pour l’autre. L’une, Olga Sommerová (56), féministe éminente, compte parmi les documentaristes tchèques les plus originales; l’autre est sa fille Olga ·pátová (son père est le documentariste Jan ·páta), cadreuse et réalisatrice de cinéma. Ensemble, elles ont fait trois films au cours de l’année passée. Deux d’entre eux – Entretiens (non)censurés et Mon vingtième siècle, consacré à la femme peintre Adriena ·imotová, à la cantatrice SoÀa âervená et à la romancière Lenka Reinerová – ont été très favorablement accueillis par le public du pays après avoir été présentés à la Télévision tchèque. Sommerová: Nous avons partagé la réalisation d’un film, pour le deuxième, c’était Olga qui faisait la mise en scène et j’étais sa victime et, pour le troisième, je l’ai choisie comme cadreuse. Cependant, mes enfants Olga et Jakub prennent avec moi des libertés que personne d’autre n’oserait prendre, car je ne l’engagerais plus. Quelles libertés, par exemple? Sommerová: Jakub refuse de tourner une séquence que je demande ou alors il me donne des leçons comme si j’étais une élève. Avec Olga derrière la caméra, il est plus facile de m’entendre. Mais il est arrivé qu’elle s’est mise à me tracasser... ·pátová: Pendant le tournage, maman est très impatiente s’il me faut du temps pour composer un plan. Dans les Entretiens (non)censurés (il s’agit d’un dialogue intime entre Olga Sommerová et Olga ·pátová), elle frétillait tout le temps. Impossible de mettre la prise au point. Sommerová: Elle avait longtemps cherché le plan et, l’ayant enfin trouvé, elle a mis encore une demi-heure à me tarabuster pour me mettre hors de moi. J’étais perplexe, je mu suis mise à crier. Et puis, je la regarde et je vois son sourire sournois. ·pátová: Ce n’est qu’en ce moment que maman est devenue authentique: assise avec une cigarette au bec, regardant dans le vide et laissant échapper de sages propos à la Tchekhov. PROFESSION Comment se passe la collaboration professionnelle avec les personnes les plus proches? 4 Quelle est votre opinion, en tant que cinéastes, sur le produit qui fait semblant d’être un documentaire – sur le reality show? Olga Sommerová en action (en compagnie de Jan ·páta, son mari et documentariste renommé) Entretien «La femme doit rendre à l’humanité le paradis perdu, cette perle précieuse; mais elle doit savoir tout d’abord que celle-ci se trouve au fond de son propre coeur et que c’est là qu’elle doit plonger pour l’atteindre!» BoÏena Nûmcová (1820-1862) femme de lettres Sommerová: Je l’ai regardé pendant dix minutes. Cela m’a ennuyée et offensée. Il y a une chose qu’il semble avoir en commun avec notre profession. En tant que documetariste, je rêve depuis toujours de devenir une petite mouche qui, du haut du plafond, observe ce qui se passe dans le ménage. Et voilà que le reality show apparaît comme pour réaliser mon rêve. Seulement, les gens du show ne vivent pas une vie réelle, leurs conflits sont nécessairement artificiels et le tout est excité, faux, vide. ·pátová: Dans les Entretiens (non)censurés, nous avons bien fait un petit reality- show privé. Sommerová: Avec cette différence que nos conflits étaient réels et que nous devrons vivre ensemble jusqu’à la fin de la vie. DE LA GALANTERIE Etiez-vous différente d’Olga quand vous aviez son âge? Pendant les trente-cinq ans qui vous séparent, l’attitude à l’égard de la sexualité a changé... Sommerová: Elle est plus mûre que je ne l’étais et elle sait ce qu’elle veut, ce que je ne savais pas, moi. En revanche, j’étais plus cultivée et j’avais lu beaucoup plus qu’elle. C’est qu’à l’époque bolchevique, l’art et la copinerie étaient les choses les plus passionnantes, il n’y avait pas d’autres séductions. Mais je me rends compte que ma mère à moi – qui était une femme bien sage – était loin d’avoir autant de conseils utiles à me donner que j’en ai pour Olga. Et autant de protection mondaine. Je peux donc lui être plus utile dans ce domaine. Sommerová: On disait jadis que le sexe était la mercedès du pauvre. La différence consiste dans le fait que nous, on avait peur de la grossesse, parce qu’il n’y avait pas de bons moyens contraceptifs, tandis qu’aujourd’hui, c’est la peur du SIDA. Mais il y a une différence entre les générations que je sens avec beaucoup de précision: jadis, en tournant avec des hommes septuagénaires ou octogénaires, je les sentais toujours réjouis en présence des femmes. Ils leur faisaient des compliments, ils étaient attentionnés en hommes vraiment galants. Je crois qu’à la campagne, il en reste encore quelque chose. Dans les villes, en revanche, où il y a d’autres attractions, j’ai l’impression que les distances sont plus grandes et même, que les garçons ont peur des filles. Je me rappelle, Olinka, 5 l’expérience que tu as faite avec ta copine Lucie dans les cours de danse de Lucerna... ·pátová: Nous avions une robe rouge toutes les deux, on nous appelait «le commando rouge». Probablement, nous avions l’air très sûres de nous. Quand est venue la danse des dames, les garçons se sont rués vers les autres filles en nous laissant plantées là avec nos belles robes rouges! Nous aurions voulu danser, flirter, mais eux, ils avaient peur de nous. Ils nous l’ont dit par la suite! Nous nous sommes retirées aux toilettes et nous regardions l’une l’autre tout effrayées. Quel genre d’homme désirez-vous? ·pátová: Je désire un gaillard tendre. Sommerová: Bien sûre, un homme – un vrai – doit être tendre. Un macho, par contre, est fragile comme un vase de cristal; au premier problème, il tombe en pièces. ·pátová: Les gars de la génération actuelle sont tendres et fragiles. Ce sont des gentlemans. Sommerová: Et moi, je crois, par contre, que ce sont les vieux qui sont gentlemans, que la galanterie a disparu. Quel est pour vous le contenu du mot ‘gentleman’? Que l’homme vous aide à mettre le manteau? Qu’il paie le repas au restaurant? Sommerová: Ces attentions masculines m’amusent toujours. Mais le gentleman, c’est l’homme qui ne s’intéresse pas seulement à lui-même. ·pátová: Etre gentleman veut dire supprimer son égoïsme. 6 Tournage du documentaire Amour hier, aujourd’hui et demain, présenté actuellement à la TV tchèque. Est-ce que les blagues sur les blondes vous agacent? Sommerová: Ce ne sont pas les blagues sur les blondes, ce sont les blagues sur les femmes. Le plus terrible, c’est quand ce sont les femmes qui les racontent. C’est là que cela commence. Moi, par exemple, j’ai demandé à ton papa de ne pas raconter en compagnie des blagues à mon sujet. Et pourtant, il était si spirituel en les racontant que je ne pouvais pas m’empêcher d’en rire. Et puis, un jour, j’ai dit: Assez! Les femmes feraient beaucoup pour elles- mêmes si elles les refusaient. La solidarité féminine est importante. Alena Plavcová Lidové noviny Photos: TomበÎelezn˘/Lidové noviny, archives Jan ·páta, Jan Tauber – âeská televize Avec toi papa (1981), Tu aimeras ton prochain (1990), MáÀa (1992), BoÏena Nûmcová, étoile immortelle (1997), A quoi rêvent les femmes (1999), A quoi rêvent les hommes (1999); parmi ceux qu’elle a créés dans les ateliers de la société Loserfilm: Fin du monde au coeur de l’Europe (2002) et MáÀa – dix ans après (2003). Dans les années 1991-2002, elle a enseigné à la faculté FAMU et, depuis 1994, elle a dirigé pendant huit ans la chaire du film documentaire. Elle a tourné quatre-vingt films et a remporté vingt-huit prix aux festivals du film nationaux et étrangers. Biographie: www.loserfilm.cz Olga ·pátová (*1984) Fille d’Olga Sommerová et de Jan ·páta, documentaristes tchèques renommés. Les Marguerites, son premier documentaire, a pour sujet la bande de ses camarades d’école et la TV tchèque l’a présenté dans la série Ego. Olga ·pátová l’a tourné à quatorze ans et, comme rétribution, elle a reçu une caméra Hi-8 et elle a commencé à tourner les films avec. Elle a étudié la graphique de propagande à l’Ecole secondaire de la création publicitaire. C’est à l’école qu’elle a tourné – avec sa copine Lucie – ses premiers films joués où les deux jeunes filles étaient actrices et cadreuses à la fois (Mariage, En attendant Godot, Compagnie de thé). Seule elle a tourné les films En se manquant, Seule (huit distinctions gagnées aux festivals) et Triple jeu. SUR LE FÉMINISME J’ai lu quelque part que ce siècle sera celui de la femme. Qu’est-ce que cela signifie pour vous? Sommerová: Pas à pas, la femme conquerra ses droits. Et elle prendra part aussi à la gestion du monde. Mais cela va lentement, parce que les hommes détiennent le pouvoir économique et politique. Et comment trouvez-vous, au fait, le féminisme de votre mère? ·pátová: Quand maman dit que les femmes représentent la meilleure moitié de l’humanité, je ne suis pas d’accord. Si tel était mon avis, j’en serais bien triste. Je veux vivre ma vie avec un homme. Je crois que l’on est des êtres humains, et non les hommes et les femmes. Cependant, tenir de tels propos en présence d’une maman féministe, c’est vraiment risqué. Olga Sommerová (* 1949) ... a fait ses études supérieures à la faculté FAMU de l’Académie des arts pragoise, chaire du film documentaire. Travaillant dans les studios Krátk˘ film Praha, elle a tourné pendant 12 ans des documentaires de format 35 mm que l’on projetait alors dans les salles de cinéma. Depuis la «révolution de velours» de 1989 où la présentation des documentaires dans les salles a été abolie, elle fait les courts métrages pour la Télévision tchèque. Ses films ont pour thèmes les rapports sociaux et les relations interpersonnelles, les personnalités éminentes et les phénomènes de la vie sociale et artistique, le féminisme et l’histoire récente de notre pays. Parmi ses films les plus célèbres, rappelons: Concours pour l’an 2000 (1979), Ecole à classe unique (1981), 7 Tractoristes et soldates Sur l’égalité en droits des femmes sous le socialisme Emancipation de la femme sous le socialisme En lisant les réflexions actuelles de certaines femmes tchèques, russes ou polonaises rappelant (quelquefois avec nostalgie) combien belle et simple était la vie des femmes à l’époque du socialisme, je n’arrive pas à les comprendre. Il n’y a que la nostalgie de la jeunesse révolue qui puisse déformer ainsi leur souvenir. On ne savait rien des droits de l’homme en général, et des droits de la femme et du féminisme en particulier. Il était défendu d’écrire sur ces thèmes et la déclaration des droits de l’homme elle-même était interdite. A l’époque du socialisme, l’émancipation de la femme se réduisait à l’obligation d’avoir un emploi salarié et à l’imitation des hommes. Au fait, il s’agissait de prouver que les femmes savent faire les mêmes professions que les hommes. On fêtait donc les tractoristes, les grutières ou les soudeuse. Il y avait même des femmesmineurs, mais c’était tout de même exceptionnel. La devise communiste «chacun selon ses possibilités, à chacun selon ses besoins» ne fut jamais réalisée, mais en revanche, on 8 chercha à appliquer le mot d’ordre fondamental de la première étape du socialisme: «on ne mange pas sans travailler». Aussi la femme allant au travail jouissait d’une considération plus grande que celle qui se consacrait «seulement» aux soins des enfants et du ménage. La femme et la dictature du prolétariat On n’avait pas de choix. C’est ainsi que, en dehors du diplôme de l’Université Charles et du doctorat, je possède aussi le brevet d’apprentissage d’aide-maçon et un certificat attestant que j’avais fait un stage d’usinage des métaux. On escomptait que, grâce à l’influence de la classe ouvrière politiquement consciente, un stage à l’usine ou dans un atelier changerait la mentalité des gens et les gagnerait aux idéaux du socialisme. Les gens – les femmes y comprises – étaient donc envoyés dans les usines aux fins de rééducation. L’Etat – représenté par le seul parti dirigeant – intervenait dans les affaires privées, la natalité y comprise. Les avortements étant interdits dans les années 50, il n’y avait pas de moyens contraceptifs dans le pays et les femmes en étaient réduites à aller en chercher en RDA et, plus Photo qu’un auteur inconnu a faite dans les années 70 du 20e siècle pour Slovácká jiskra, quotidien publié par le comité du parti KSâ à Uherské Hradi‰tû. Histoire On s’attendait à ce que la femme sache combiner sans complications la fonction de mère et de ménagère, l’activité professionnelle de huit heures par jour et, le cas échéant, l’accomplissement de certaines fonctions publiques. Et chose étrange, j’y ai survécu... tard, en Hongrie. Pendant la première décennie après le coup d’Etat communiste, les avortements étaient défendus même en cas de viol. La femme devait obligatoirement porter l’enfant à terme, mais elle était libre de le mettre ensuite dans une institution d’Etat pour qu’il y reçoive une éducation. Ce n’est qu’au bout de douze ans de la dictature du prolétariat (tel était le nom officiel de la première phase du socialisme) qu’il devint possible de demander l’autorisation de l’avortement, à condition que la femme ait préalablement obtenu l’avis favorable de la «commission d’avortement», composée de médecins et de femmes politiquement conscientes, membres de cellules locales du Parti communiste de Tchécoslovaquie. Si le père potentiel de l’enfant à naître s’y opposait, il était difficile pour la femme d’obtenir l’autorisation. C’était tout de même un progrès, bien que la dignité de la femme ne soit guère ménagée. L’émancipation de la femme était déduite des théorèmes marxistes-léninistes affirmant que la participation au processus de production a un effet libérateur. Ce n’est qu’en prenant part à l’édification de la société socialiste dans le domaine public, et notamment dans la production, que l’individu devient un homme libre et égal Une femme sans défense entre les mains de la justice communiste: procès de Milada Horáková dans les années 50 du 20e siècle (sentence: peine de mort). en droit avec les autres. Ainsi donc une femme sans enfants qui n’allait pas au travail pouvait être sanctionnée pour parasitisme, même si son mari était capable de l’entretenir. Dans de tels cas, cependant, on résolvait la situation par un certificat médical la déclarant malade ou incapable de travailler. A ussi pouvait-on se vanter aux temps du socialisme que 97,8 % des femmes aptes au travail allaient travailler. C’était la réalité. Quand j’ai commencé à aller à l’école, il n’y avait dans ma classe que trois enfants dont les mamans allaient travailler. Ils étaient enregistrés comme des «cas sociaux» venant de familles si pauvres que les mères était obligées d’aller au travail. Quand – à dix-huit ans – je passais mon baccalauréat, seulement trois de mes camarades avaient une mère qui n’exerçait pas d’activité professionnelle. Cela aussi était noté. «La femme au foyer» était considéré comme une survivance de l’époque capitaliste et l’enfant élevé dans un tel milieu avait de la difficulté à obtenir de bonnes réréfrences pour l’admission à une école supérieure. Ma mère à moi allait au travail elle-aussi. C’est que le salaire de mon papa, qui était médecin, ne suffisait pas à nourrir la femme et deux enfants (après les nationalisations de toutes sortes). Travail en deux postes Jusqu’au début des années 60, le congé de maternité ne durait que trois mois. Après ce délai, donc trois mois après l’accouchement, la femme devait reprendre le travail. Elle pouvait, toutefois, placer son enfant dans la crèche de l’entreprise et, si elle l’allaitait, elle avait le droit à deux interruptions de travail, d’un quart d’heure chacune, pour aller retrouver son enfant à la crèche. Je me rappelle les mères qui, 9 avant six heures du matin, passaient dans notre rue en poussant les landaus avec leurs enfants à demi endormis, et les commentaires de ma mère (elle était née en 1902 et sa camarade d’école était Milada Horáková, exécutée par les communistes dans les années 50): «C’est ça, leur socialisme». J’en étais navrée car, voyant la contradiction, j’aurais voulu que le socialisme que nous vivions, que nous devions vivre, soit bon et juste. Il y avait aussi l’antagonisme de deux générations, entre mère et fille. C’est pour cette raison aussi que je veux insister sur les bonnes choses que le socialisme du type tchécoslovaque apporta aux femmes. C’était tout d’abord le fait qu’il les intégra dans la vie publique; ensuite, le niveau d’instruction des femmes monta considérablement. On supposait, en effet, que la troisième guerre mondiale était imminente. En Tchécoslovaquie qui était alors pays vassal ou, comme on dit de façon plus moderne, satellite de l’Union soviétique, il fallait tout d’abord développer l’industrie lourde et l’extraction du minerai d’uranium et du charbon. C’est ainsi que, dans les années 50, les postes des hommes furent pris par les femmes en tant que main-d’oeuvre extensive et non qualifiée. Au bout d’un certain temps, celles-ci acquéraient la qualification professionnelle, le niveau de formation secondaire et supérieure des femmes égala celui des hommes et les femmes tchécoslovaques prirent de l’assurance et elles s’habituèrent à considérer le poste double (le travail de ménage et l’activité professionnelle) comme une évidence. O n s’attendait alors à ce que la femme sache combiner sans complications la fonction de mère et de ménagère, l’activité professionnelle exigeant huit heures de travail par jour et, le cas échéant, l’accomplissement de certaines fonctions publiques et politiques. Et chose étrange, on y a survécu, 10 générations jeunes et les plus jeunes savent, qu’il s’agit vraiment d’une fête internationale de femmes, qu’elle n’avait pas été née en Union soviétique et qu’elle est célébrée dans le monde entier. Elles y reviennent peu à peu, car elles savent que, même aujourd’hui, il est nécessaire que les femmes veillent à leurs droits. Jifiina ·iklová Photos: archives de la rédaction La rédaction remercie Mme Hana Netu‰ilová de lui avoir obligeamment prêté le matériel photographique. même dans le capitalisme ou, pour le dire autrement, dans le milieu de «l’économie de marché». Ce qui est resté moi et toute ma génération. En quelque sorte, cela contribua vraiment à accroître l’assurance des femmes. Par ailleurs, il aurait été difficile pour les familles de s’en tirer avec un seul salaire. Rêves du maquillage Les femmes tchèques persistaient, tout de même, à considérer cette surcharge de travail comme une chose imposée et à rêver de se «reposer» dans le ménage et auprès de leurs enfants. Elles rêvaient de se maquiller et d’utiliser les petits riens à la mode et admiraient les brillants journaux de modes étrangers. Cependant, les femmes que l’on y présentait étaient stylisées et irréelles au même point que les trayeuses et héroïnes du travail – modèles propagés alors dans ce pays. Quand – après l’ouverture des frontières – ces journaux et créations de mode sont apparus chez nous, nous ne sommes restées sous leur charme que très peu de temps. Les jeunes femmes actuelles vivant depuis seize ans déjà dans un monde démocratiques «normal» commencent à mépriser cette forme de culture féminine. Nous sommes rassasiées d’images et de fards et les femmes de la jeune génération, qui ont connaissance de la situation à l’étranger, commencent aujourd’hui à réaliser qu’il faut défendre les droits de la femme Il y a beaucoup de choses que nous avons gardées de la période où les femmes avaient pour modèles les tractoristes et les soldates: l’émancipation non-réfléchie et non verbalisée, mais d’autant plus forte, le sentiment que l’on est à même de «survivre à tout, ou presque». Ces traits sont liés avec une répulsion prononcée pour toute organisation unificatrice de femmes, avec une aversion pour les idéologies, y compris le féminisme que l’on présentait et présente chez nous comme une idéologie. La plupart des femmes tchèques refusent la notion de féminisme, mais, en réalité, nous autres Tchèques sommes féministes à un point que les femmes occidentales pourrait nous envier. Et la Journée internationale de la Femme? Elle nous était imposée pendant longtemps comme une fête obligatoire. Pour Gottwald, Novotn˘ et Husák, présidents détestés, c’était l’occasion de serrer les mains de femmes-déléguées (ce n’est certainement pas nous qui les avions choisies) et de les combler de fleurs. Aussi, après les changements politiques de novembre 1989, l’avons-nous rejetée dans le cadre de la liberté retrouvée. En paroles et en faits. Et pourtant, le 8 mars, Journée internationale de la Femme, peut très bien symboliser le changement que nous avons subi. La génération la plus vieille continue à la refuser comme une fête imposée par les communistes. Les 11 Une drôle de demoiselle Les musiciens tchèques ayant vraiment réussi à s’imposer dans le monde ne sont pas bien nombreux. Hors du domaine de la grande musique traditionnelle, le terrain est presque vierge – à une exception près: Iva Bittová, violoniste et chanteuse, qui fait entendre sa musique absolument originale dans toutes les parties du monde. ment que ce soit? Enfin, ses succès croissants sont attribuables aussi au fait qu’Iva Bittová ne s’endort pas sur ses lauriers, qu’elle n’arrête pas de O n peut se poser la question, d’où vient le succès mondial de cette musicienne (on ne parle pas du monde clinquant du show-business, mais des milieux de connaisseurs sans distinction de genre). Il s’agit très certainement du concours de plusieurs facteurs. Tout d’abord, les racines moravo-slovaques de Bittová, qui transparaissent dans tout ce qu’elle touche. Ensuite, il y a l’originalité absolue de son type créateur: en effet, combien y a-t-il de chanteuses dans le monde qui jouent du violon, ou de violonistes qui chantent, et cela le plus souvent en solo, sans accompagnement de quelque instru- 12 chercher les modes d’expression toujours nouveaux et que, avec l’ardeur qui la caractérise, «elle se produit à l’opéra un jour, on la voit improviser avec un DJ dans une techno-party le lendemain pour l’entendre chanter des chansons dans un club le jour après». Bittová ne cache pas sa volonté de se perfectionner, notamment dans le jeu du violon elle ne cesse de développer ses dons sous la conduite de Rudolf ·Èastn˘, son professeur. C’est ainsi qu’elle est devenue un des «meilleurs articles d’exportation» du paysage musical tchèque, qu’elle apparaît sur les estrades mondiales convoitées, que les maisons prestigieuses publient ses enregistrements et qu’elle collabore avec des artistes insignes de tous genres. I va Bittová est née à Bruntál, dans le Nord de la Moravie, dans une famille de musiciens. Son père Koloman Bitto, multiinstrumentaliste, jouait dans des ensembles flokloriques, mais était également membre d’un orchestre du Spectacle du théâtre Hadivadlo de Brno. Musique «Le violon me forme, me transforme, me comble esthétiquement, me fait voir les valeurs suprêmes dans mon rapport à la musique, aux gens, à moi-même. C’est pourquoi je l’aime; et aimer, c’est vivre!» Iva Bittová (*1958) chanteuse théâtre d’opéra. Iva Bittová (*1958) rappelle souvent, combien sa famille était littéralement imprégnée de musique (sa soeur Ida Kellarová, chanteuse très renommée et pianiste, est spécialisée surtout dans le folklore tsigane). Cependant, c’est dans l’art dramatique qu’Iva Bittová a fait ses premiers pas d’artiste: en 1975, alors qu’elle faisait ses études au Conservatoire de Brno, elle est devenue membre du légendaire théâtre d’avant-garde Husa na provázku. Elle y a joué beaucoup de rôles, dont celui d’ErÏika de la Ballade du bandit, comédie musicale folklorique, est le plus populaire. En effet, la Ballade a été mise à l’écran et on la diffusait aussi comme une pièce radiophonique. Bittová est restée au théâtre pendant dix ans, elle a tourné plusieurs films et téléfilms, mais au milieu des années 80, elle a renoncé à la carrière d’actrice parce qu’elle a «redécouvert» le violon: dans son enfance, elle avait appris le jeu de cet instrument, mais très vite, elle l’avait pris en grippe. «Mon rapport à cet instrument était très différent quand j’étais enfant. Les Représentation au club VaÀkovka, à Brno. aux exercices, dont j’avais honte. Si je suis revenue au violon, c’est parce que je ne me sentais pas l’étoffe d’une vraie actrice. Je ne croyais pas que le travail d’actrice me comblerait dans la même mesure que la musique. Je suis allée trouver le professeur ·Èastn˘ qui m’a dit qu’il fallait repartir à zéro. Je trouvais les exercices tout aussi difficiles que dans mon enfance, mais, à un moment donné, j’ai commancé à chanter avec l’instrument, et c’était une vraie révélation. Pour moi, c’était une découverte dont je ne mesurais pas la portée sur le moment. Mais je savais que chanter avec l’instrument est une chose qui me plaît vraiment et qui m’enrichit. Aujourd’hui je sais que c’était là le moment où a commencé mon vrai développement musical.» leçons de violon, c’était à mes yeux quelque chose que l’on m’obligeait de faire. J’aurais préféré courir en dehors. Cela me tracassait assez et je demandais à mes parents de me retirer des leçons de violon en prétextant la petite tache dans le cou due u milieu des années 80, Iva Bittová s’est intégrée relativement vite dans la communauté de musique alternative à Brno. Avec le batteur Pavel Fajt, une des personnalités insignes de cette communauté, elle a constitué un duo de composition iné- A 13 Participation au spectacle du groupe Dunaj de Pavel Fajt. Chvaletice 1987. dite qui, dès le début, était accueilli avec enthousiasme par le public du pays et puis aussi à l’étranger. Le premier album du duo Bittová & Fajt, de 1987, fait toujours partie de ce qu’il y avait de mieux dans le genre dans la Tchécoslovaquie communiste. Rien d’étonnant qu’il ait connu plusieurs éditions étrangères. D ans la seconde moitié des années 80, Iva Bittová a fait – en dehors du travail dans le duo – de la musique rock en tant que chanteuse du groupe Dunaj, de Brno, avec lequel elle a enregistré un album. Cette collaboration aussi a constitué pour elle une grande inspiration: dix ans plus tard, elle a publié presque tout le répertoire de Dunaj (en versions nouvelles) en tant que disque compact sous le titre Pustit musí‰ (=Il faut lâcher). Peu à peu, son idépendance entière approchait. Les concerts qu’elle donnait en solo dans les premières années 90 se trouvent conservés dans son premier album solo de 1991, réédité en 1997 sous le titre significatif Divná sleãinka (=Drôle de demoiselle). Sa renommée de violoniste avait déjà dépassé depuis longtemps les limites du pays et, même, celles du continent. Ainsi, les voyages avec le violon sous le bras ont commencé à remplir la vie d’Iva Bittová plus souvent que les séjours dans sa Moravie natale. Les éléments du folklore, bien que clairement identifiables déjà dans la musique du duo Bittová & Fajt, prenaient des contours de plus en plus nets dans la création d’Iva Bittová. C’était visible non seulement dans l’album de Noël 1995 intitulé Ko- 14 lednice (=Chanteuse de noëls), mais aussi lors de l’enregistrement des 44 duos pour deux violons de Béla Bartók, sa première apparition remarquée sur la scène de la musique sérieuse. C’est avec la violoniste Dorothea Kellerová qu’elle a fait cet enregistrement des ouvrages du compositeur hongrois fortement inspiré par le foklore. Dans la seconde moitié des années 90, Iva Bittová est revenue pour un temps sur la scène de musique alternative de Brno en collaborant avec les musiciens groupés autour Vladimír Václavek, ancien bassiste de Dunaj et chansonnier original utilisant tant l’influence de la musique ethnique que les éléments du minimalisme. L’album double Bílé inferno (=Enfer blanc), de 1997, dont l’atmosphère est marquée par les textes de Bohuslav Reynek et de Jan Skácel, grands poètes moraves d’orietation spirituelle, a ouvert la voie vers la création de l’ensemble âikori dont le répertoire a marqué l’expression dans les enregistrements de musique pop, folk ou rock en chantant ou en jouant du violon avec les groupes des Frères Eben, du chanteur Richard Müller ou de la chanteuse Anna K. ou JablkoÀ et Monkey Business. Une collaboration très originale était celle avec le DJ Javas de Brno: elle consistait dans l’accompagnement vocal des mixages techno-house modernes, joués dans les clubs. M is à part quelques rares concerts solo, Iva Bittová se consacre à l’heure actuelle à deux grands projets: participation à la mise en scène d’avantgarde de Don Giovanni de Mozart à New York où elle tient le rôle de DoÀa Elvira; depuis sa première en 2004, la représentation jouit d’un grand succès et, à l’heure actuelle, on envisage une tournée mondiale. Le second projet est né à la base d’une commande du Carnegie Hall, prestigieuse salle de concerts new-yorkaise. Iva Bittová le réalise en coopération avec le célèbre ensemble instrumental Bang On A Can All Stars spécialisé d’ordinaire surtout dans la présentation de la musique sérieuse contemporaine. Cependant, la structure de la suite musicale Elida (l’album du même nom est paru en 2005) repose surtout sur la chanson moderne et Bittová y excelle non seulement comme chanteuse, mais aussi comme compositeur. A la manière de grandes stars de la musique classique ou du pop, le calendrier d’Iva Bittová est rempli pour plusieurs années. Très concentrée sur chacun de ses concerts, chacune de ses représentations d’invitée, chacun de ses enregistrements (ce que l’on voit à l’excellente qualité de ses performances), elle parle ces derniers temps de plus en plus souvent du repos dont elle a besoin. Il n’y a pas de doute qu’elle le mériterait. Mais il est certain, de l’autre côté, que son esprit infatigable ne la laissera pas oisive une seule minute. Ondfiej Bezr Photos: Jan Adamec, Bohdan Holomíãek, Indies Records (www.indiesrec.cz) d’Iva Bittová par une légère empreinte du jazz, chose inouie avant. C’est l’époque où Bittová collaborait fréquemment avec d’insignes musiciens mondiaux. L’exceptionnel violloncelliste Tom Core a pris part au tourage de l’Enfer blanc, l’album Ples úpírÛ (=Bal des vampires), où Iva Bittová interprète même quelques compositions de Leo‰ Janáãek, a été réalisé en collaboration avec l’orchestre hollandais Nederlands Blaze Ensemble. Dans le pays, Bittová s’occupe toujours davantage de la musique classique, notamment de son courant qui se réclame de l’inspiration folklorique. Elle en trouve tant chez les classiques du type de Leo‰ Janáãek que chez les compositeurs contemporains, tels que Milo‰ ·tûdroÀ ou Vladimír Godár, dont les ouvrages apparaissent dans ses albums «classiques» qu’elle enregistre le plus souvent avec le Quatuor ·kampa. Tout-à-fait exceptionnellement, Iva Bittová apparaît, en artiste invitée, 15 Mannequins top au grand coeur Eva Herzigová, Karolína Kurková, Daniela Pe‰tová, Hana Soukupová, Paulina Parizkova, Veronika Varekova, Tereza Maxová. La population de la République tchèque se distingue par un taux élevé des topmodels à succès. Serait-ce attribuable au fait que, lors de leurs incursions en Moravie au 17e siècle, les combattants turcs s’inscrivirent par force dans le fonds génétique du pays? Des générations de femmes splendides, nées de la souffrance, en seraient le vestige. Femmes de lignes arrondies et de lèvres charnues, d’yeux profonds et de pommettes saillantes provocantes. Après la «révolution de velours», les dénicheurs de modèles avides ont découvert ces femmes douées d’un charme mystérieux et les ont fait défiler sur les pistes de mode mondiales. Les mannequines tchèques sont belles, elles ont du succès, mais elles veulent, en plus, combiner leur profession avec les activités visant à améliorer le sort des défavorisés. Les modèles top qui voient leur mission dans la vie dans le travail pour les autres sont très certainement plus nombreuses dans notre pays qu’ailleurs. Ces Tchèques aident à changer le monde. Le rendre meilleur. Présentons deux d’entre elles. 16 venir. Elle a porté atteinte à la révolution cubaine. Sous son soutien-gorge elle a, collée sur sa peau, une carte à mémoire; heureusement, les policiers cubains ne connaissent pas le principe de fonctionnement de la caméra numérique. Helena Houdová La rebelle Helena Houdová au Cambodge. Janvier 2006. Une blonde aux yeux verts dans une prison cubaine. On l’interpelle à grands cris. En espagnol. Elle a été arrêtée et ne sait ce qu’elle va de- La faute de la mannequine consistait justement dans le fait qu’elle s’était servie de l’appareil photographique à La Havane. Pendant ses voyages, Helena prend des photos illustrant la vie dure des enfants (Nicagragua)... Fondatrice de l’organisation caritative Sunflower Children, Helena Houdová avait pris des photos dans les balieues pauvres de la Havane pour documenter les conditions dans lesquelles y vivent les enfants et pour se rendre compte en quoi elle pourrait aider. Cette jeune femme menue de 26 ans attire l’attention du monde sur la vie misérable des enfants dans dix pays du monde et le régime cubain la considère dangereuse. On la relâche au bout de onze heures. La carte à mémoire est sauvée. Les photos sont exposées à la Galerie Langhans de Prague et l’ancien président Václav Havel vient les voir. On les vend et le produit de la vente est remis aux familles de prisonniers politiques cubains. «Ne faudra-t-il pas que, dorénavant, je me comporte correctement?» se demandait l’étudiante en anthropologie au moment où on l’a couronnée d’un diadème en lui passant, par dessus sa robe blanche et brillante, l’écharpe portant l’inscription Miss de la République tchèque 1999.«Faudra-t-il renoncer à tout?» était prise de doutes l’activiste écologiste quand on la phtographiait pour la couverture de la revue tchèque Cosmopolitan. «Mais tout au contraire!» s’est écriée la rédactrice en chef Anastázie Kudrnová. «C’est maintenant que vous aurez la chance de réaliser ce que vous considérez comme juste!» Hélène Houdová a souri et quinze jours plus tard à peine, elle se faisait accompagner par la reportrice de Cosmopolitan, dans la neige et dans la boue, au refuge des oiseaux de proie blessés de la Bohême du Sud: elle ...ainsi que leur beauté et leur pondération (Népal). Société «Beauty is as beauty does.» proverbe anglais a voulu attirer l’attention du public sur l’absence de réglementation concernant la protection des rapaces lors de la construction des pylônes électriques. Cette rebelle blonde est probablement la seule mannequine du monde qui ait commencé par travailler dans les institutions caritatives et, plus tard, y a ajouté le métier de modèle en tant que moyen de subsistance. «Dès l’âge de seize ans je suis active dans le domaine des soins sociaux. J’ai appris le langage gestuel, j’allais aux foyers d’enfants,» dit cette anthropologiste dont le travail avec les enfants handicapés physiques et sociaux a abouti à la création de la fondation Sluneãnice (=Tournesol) qui a pour but d’aider les enfants des foyers d’enfants tchèques à retrouver le respect de soi, l’assurance et la confiance en eux-mêmes. Pendant plusieurs années, elle allait avec ces enfants aux camps de pionniers en tant que monitrice d’équipe. La fondation Sluneã- nice a fini par avoir du renom en Tchéque. Parallèlement avec les succès remportés dans le travail pour les enfants, Helena est demandée toujours davantage en tant que modèle. Cependant, cela l’oblige de se déplacer de plus en plus souvent à l’étranger. Elle s’installe à New York. Son métier l’obligeant de voyager beaucoup, elle prend la connaissance des endroits où l’intervention Helena Houdová fait campagne pour les Cherokees, Tesco en faveur des enfants est vraiment urgente. Pendant deux ans, elle voyage à travers le monde et prend des photos. Elle constate que la clé de toute aide efficace réside dans l’instruction. Elle crée Sunflower Children, organisation bénévole à but non lucratif, qui se propose de donner aux enfants l’accès à l’instruction, soutenu obligatoirement par le soin médical et par l’aide alimentaire. Elle commence par construire des écoles dans la région choisie. Ensuite, elle se concentre sur les loisirs des enfants dans les après-midis et pendant les week-ends. Elle oriente son aide vers dix pays du monde. En dehors de la République tchèque, elle est présente à Cuba, au Nicaragua, au Pérou et au Brésil; elle réalise ses activités aussi au Kenya, en Guinée, en Inde et au Cambodge. A l’heure actuelle, elle élabore des projets d’aide aux enfants d’Haïti, de Roumanie et du Srí Lanka. A distance, elle a adopté une fillette cambodgienne malade du SIDA. Au Cambodge, 17 Petra Nûmcová et sa «concurrente» – la top model Tereza Maxová. sa fondation Sunflower Children soutient l’instruction et le traitement des orphelins souffrant de cette maladie. Le budget moyen des projets de Helena Houdová s’élève à 30 000 dollars annuels par pays. Elle réunit l’argent en vendant ses photographies et en organisant des revues de mode au bénéfice de la fondation. Voulez-vous y contribuer? Voici les contacts: www.sunflowerchildren.org [email protected] Petra Nûmcová Ange au sourire Une jeune fille aux cheveux longs suspendue aux branches d’un palmier. Les vagues d’eau froide entraînent son corps en menaçant de l’éloigner du stipe. Elle ne sait pas combien de temps elle pourra tenir. Elle ne sait pas ce qui s’est passé au juste. Elle est consciente d’une douleur aiguë au bassin. Elle veille à ce que les déchets entraînés par l’eau ne bloquent pas ses jambes. Elle prie. Elle s’efforce de garder le calme. Elle est en proie à une sourde tristesse. Il n’y a pas longtemps, elle se promenait sur la plage avec son ami. Ils étaient revenus dans le bungalow cinq minutes avant d’être séparés pour toujours par la vague destructrice déferlant sur la côte. Le 26 décembre 2004, le monde entier a appris l’horrible nouvelle du tsunami destructeur au littoral de plusieurs pays d’Asie. 18 En Tchéquie, on apprend que la célèbre mannequine Eva Nûmcová compte parmi les blessés. Les agences précisent que son état de santé est grave. En même temps elles informent que, dans les enceintes touristiques frappées par la catastrophe, des centaines de nos concitoyens passaient leurs vacances. Malheureusement, plusieurs d’entre eux y ont perdu la vie. Les Tchèques ont réalisé que la catastrophe naturelle lointaine les concerne directement. L’histoire de Petra Nûmcová a attiré l’attention vers la Thaïlande. Une immense vague de compassion avec le pays sinistré a eu pour conséquence qu’au bout de quelques semaines, les citoyens de la République tchèque, pays ne comptant que 10 millions d’habitants (comme Londres), avaient envoyé aux comptes de l’aide aux sinistrés une somme d’argent immense: elle correspond aux 20 % du montant global de l’aide réunie par tous les pays du monde pris ensemble. L’histoire de Petra Nûmcová y a certainement été pour quelque chose. Elle est hospitalisée dans l’hôpital local Hai Tai avec la hanche fracturée. La morphine calme la douleur. Les lèvres gonflées. La mort de son ami Simon Atlee, photographe anglais, ne sera confirmée qu’au mois de mars. Dès à présent, toutefois, les journalistes se rassemblent à Phuket: le malheur des autres fera monter la vente de leur journal, d’autant plus que la victime de la catastrophe est une splendide jeune femme célèbre qui y a perdu son amour et qu’il y a tout autour des bandes d’orphelins sans foyer. Les paparazzi cherchent à se procurer une photo de Petra Nûmcová meurtrie, étendue sur son lit d’hôpital. Celle-ci finit par accepter l’offre du périodique US Weekly et elle donne l’argent gagné par la photo aux dizaines de milliers des enfants qui ont perdu leurs parents pendant la catastrophe. Le photographe s’attend à des larmes mais, sur le visage de Petra Nûmcová, il voit un sourire pondéré. Deux ans plus tard, elle donne aux journalistes l’explication suivante: «Une maman explique à sa fille trois com- Couverture du livre dans lequel Petra fait le récit de la plus dure épreuve de sa vie. Avec les enfants thaïlandais. portements différents que l’on peut adopter dans le malheur en les démontrant sur l’exemple de la carotte, de l’oeuf et du café. Que deviennent ces trois choses quand on les plonge dans l’eau bouillante? La carotte – qui est dure – s’amollit. L’oeuf durcit. Et le café? Dans l’eau bouillante, c’est-à-dire dans les moments les plus difficiles, il livre son arôme et sa saveur. Il change en quelque chose de mieux.» Et c’est le choix exact de Petra. A peine remise, elle retourne en Thaïlande et constate les besoins immédiats des orphelins. Elle crée la fondation caritative Happy Hearts Fund qui aide 1200 enfants thaïlandais. Sa fondation donne 130 000 dollars pour la construction d’une école à Khao Lak et pour l’hébergement de quatre-vingt enfants. Elle trouve 38 000 dollars pour l’aide psychologique aux sinis- trés. Elle trouve la somme de 12 000 dollars pour couvrir les frais de nourriture, de scolarité, de livres, d’hébergement et de transport de vingt orphelins qui ont survécu à la catastrophe sur l’île indonésienne Aceh. La revue américaine Glamour la proclame Femme de l’année 2005. Sur son expérience, elle a publié le livre Love, Allways, Petra. Le bénéfice de sa vente est destiné aux activités caritatives. Elle voyage autour du monde et présente patiemment la fondation Happy Hearts Fund. Elle cherche les moyens. Voulez-vous aider? Pour plus d’information: www.give2asia.org/happyheartsfund Sabrina Karasová Pendant la campagne caritative pour la société Rampage. La fondation Happy Hearts Fund a offert 130 000 dollars pour la construction d’une école à Khao Lak et pour l’hébergement de 80 enfants. rédactrice en chef de la revue Cosmopolitan Photos: Martin Bandzak, Cosmopolitan, Sunflower Foundation (http://sunflowerchildren.org), Happy Hearts Fund. Vente de charité d’oeuvres d’art: on met aux enchères un tableau de Jan Saudek. 19 20 1 2 3 4 5 6 Art «Dès la naissance de la dentellerie, cet admirable genre tardif de création textile, la Bohême sut prendre une place insigne à côté de la guipure italienne ou hollandaise. La dentellerie tchèque a de nouveau confirmé son exclusivité au début du 20e siècle en trouvant pour la dentelle des fonctions nouvelles dans la culture de vie.» Ludmila Kybalová (* 1929) historienne de l’art «Pendant des siècles, la dentelle était admirée pour son caractère décoratif et gracieux, pour sa beauté filigranée. Elle était destinée à faire plaisir et à embellir, elle apportait une touche de noblesse et de selennité.» Jifií Pilka (* 1930) musicologue et écrivain Ouvrages de Milãa Eremiá‰ová – page ci-contre: 1. Pyramide. 2. L’écarlate dans le bleu. 3. Grand arc. 4. Sydney. 5. Arcs gothiques. 6. Noir et gris. 1 Photo centrale: La Vierge dans le buisson. Ouvrages de Svûtlana Pavlíãková – cette-contre: 1., 2., 3., 5. Eléments. Lin coton, soie, cannetille, lurex, grains de verre, pâte à papier. 4 x 25 x 25 cm. 4. Griffon; matériaux: fil de fer, tôle. 190 x 150 cm. 6. Jardin; métal et lin. 122 x 90 cm. 2 3 5 4 6 21 TINITY SoÀa Hlaváãková: «Mon but c’est d’avoir toujours un but à atteindre.» Des beautés souriantes défilent l’une après l’autre et le cône de lumière allume sur elles des robes de couleurs si éclatantes que leurs replis pourraient servir de cache aux papillons pendant la nuit. Un moment on est entouré de robes flottantes comme dans un harem oriental, aussitôt après on se retrouve dans la rue animée d’une grande ville dont les habitants dynamiques ont besoin de vêtements sobres de coupe bien nette. Immédiatement après on se trouve transporté, grâce aux mannequines portant de robes toutes en ouvertures savamment échancrées et en paillettes, à une garden-party dans une station estivale au bord de la mer. Emerveillé à regarder cet extraordinaire défilé multicolore, on se rend compte d’assister à quelque chose 22 SoÀa Hlaváãková, fondatrice et propriétaire de la marque Tinity. d’exceptionnel. A quelque chose qui soutient les critères mondiaux et à quoi on ne s’attendrait pas dans un club de nuit obscure à la périphérie de Prague. La modéliste SoÀa Hlaváãková présente ici une partie de la collection que – seule et première dessinatrice tchèque – elle vient de montrer avec succès à Paris dans cadre du Salon du prêt-à-porter. La jeune fille menue – qui habille les mannequines top tchèques et étrangères, les présentateurs de TV, les acteurs et les sportifs – ne cache pas ses objectifs. «En travaillant avec la même ardeur que jusque ici, j’ai une chance réelle de m’imposer à l’étranger,» estime la modéliste de 28 ans. «Mon but c’est de faire partie de l’élite mondiale des dessinateurs de mode et d’être présente sur le marché de mode en Europe, aux Etats-Unis, au Japon et dans les pays arabes. Mais c’est là une bouchée immense et difficile à Mode «L’empathie est très importante dans l’habillement. On ne peut pas créer un beau vêtement et, même, on ne peut pas s’habiller avec goût et élégance, si l’on se désintéresse du monde environnant.» Natalie Steklová (*1976) modéliste avaler. Il faut y arriver pas à pas. Les grands dessinateurs de mode mondiaux ont aujourd’hui entre cinquante et soixante ans, de sorte que j’ai encore assez de temps devant moi,» dit-elle en riant. La collection qu’elle a présentée à la revue du prêt-à-porter parisienne a été vendue aux acheteurs du monde entier. Elle a acquis à la modéliste deux clients importants: l’immense boutique d’Atlanta, aux Etats-Unis, spécialisé dans la création des dessinateurs de pointe européens, et une des galeries de mode les plus luxueuses de Riyad, en Arabie Saoudite, où ses modèles figureront à côté de ceux de Karl Lagerfeld ou de John Galliano. «Mon but, c’est d’avoir toujours un but,» dit SoÀa. Dès son enfance, elle imaginait et réalisait des modèles pour ses poupées. Elle s’intéressait à l’architecture, à la graphologie, à la sculpture; elle a fait les études d’histoire de l’art, de dessin et d’esthétique. Elle a fini par ouvrir son propre magasin où elle vendait les vêtements importés d’Italie et, de temps en temps, elle y présentait ses propres modèles. Cependant, elle a constaté bintôt que ses clientes s’intéressent beaucoup plus à sa propre création qu’aux vêtements importés. Elle a donc créé sa marque Tinity et s’est consacrée exslusivement au dessin de mode. Elle a fait les costumes pour les comédies musicales Pommade et Chicago et elle est l’auteur des images de marque de nombreuses grandes sociétés tchèques et internationales, telles que Eurotel, T-Mobile, L’Oréal, Hewlett Packard, Nestlé, Danone, Smirnoff ou Camel. «L’époque actuelle demande aux dessinateurs tchèques de garder leur extraordinaire inventivité. Une bonne école de dessinateurs de mode n’existe pas et on doit aller à l’étranger pour apprendre les technologies. On doit se débrouiller tout seul avec des tas de choses. Nous avons l’habitude du travail à la main. Nos grains et perles de verre comptent parmi les meilleurs au monde, mais – ce qui est plus important – nous savons nous en servir. Le travail à la main est une autre chose dont nous pouvons être fiers,» dit-elle en parlant de la contribution tchèque au monde du dessin de mode. En la regardant travailler, on voit qu’en dehors de modèles, elle crée et transforme intentionnellement l’ambiance de la pièce – en arrangeant les fleurs, en mélangeant la musique de genres et couleurs différentes. «Cette année je travaille surtout avec de la soie et des broderies de tous genres. Je laisse ressortir les contrastes entre la finesse et la grossièreté du tissu. Pour les couleurs, je n’en évite aucune.» «J’aime constituer les garde-robes, celle de la femme au galbe bien rempli, par exemple. Elles ont souvent plutôt la tendance de se voiler et moi, je les aide à trouver comment mettre en valeur leurs avantages et avoir l’air vraiment bien. Mes clients deviennent mes amis, ce qui facilite mon travail. Dans les boutiques, les femmes disent souvent:’C’est beau, mais je n’ai où le mettre.’ Quelle absurdité! Sous l’ancien régime, il pouvait être payant d’avoir l’air d’une petite souris grise pour mieux se perdre dans la foule. Mes clientes sont différentes. Elles aiment être bien habillées. Et de telles personnes seront toujours plus nombreuses chez nous, affirme SoÀa Hlaváãková». Sabrina Karasová rédactrice en chef de la revue Cosmopolitan Photos: www.tinity.cz 23 BLANKA Blanka Matragi: «Je me porte garante de chaque robe.» Si SoÀa Hlaváãková est l’étoile montante du dessin de mode tchèque, Blanka Matragi est son astre bien fixe – quoiqu’il brille au Liban lointain. Elle a fait l’apprentissage de tailleur de verre et a étudié ensuite les arts du vêtement. La combinaison des arts plastiques et de la mode constitue toujours un trait caractéristique de ses créations. En 1999, elle a surpris tout le monde par son come-back dans le domaine des bijoux fantaisie en verre et en cristal. E n 1978, elle gagne le concours pour une collection avec le thème des Jeux olympiques de Moscou, ce qui la fait entrer sur la scène du design international, ne soit-ce que dans le cadre du bloc socialiste. Dans le pays, elle fait les costumes pour des mises en scène télévisuelles et elle habille les vedettes de la musique pop. 24 L’année suivante, elle se marie avec Makram Matragi, ingénieur libanais, et quelque mois plus tard, elle le suit à Bey- routh. Ceci marque le début de son chemin vers une clientèle de rêve: dames appartenant aux couches les plus élevées du monde arabe. Elle commence par dessiner les robes de soirée pour une maison libanaise, mais dès 1982, elle ouvre le salon Blanka Haute Couture sur la principale artère de Beyrouth – avenue Hamra. Elle gagne le concours mondial pour le design des uniformes de police d’Abu Dhabi, dans les Emirats arabes unis. Elle habille les épouses, seurs et filles de rois, émirs, cheiks et magnats des pays au bord du golfe Persique, ainsi que la «high society» européenne. Son domaine, ce sont les robes de soirée, mais aussi les robes de noce ou de finançailles. «Chacun désire quelque chose d’exceptionnel, de l’originalité pour lui-même, pour flatter sa vanité. Mais c’est ça la mode, au fond... Aujourd’hui, la mode vise le sentiment de légèreté, le papillon proverbial. La femme se dévoile pour en faire voir toujours davantage de son corps. Pour cette raison, les femmes font de la gymnastique pour Blanka Matragi, étoile fixe de la mode tchèque, a créé la marque Blanka Haute Couture et elle vit au Liban. avoir une figure vraiment bien, mes princesses y comprises. Elles ont toutes leur monitrice personnelle. Et le rôle des coutumes du Proche Orient? Quand elles ne veulent pas que leurs jambes soient visibles, on leur fait une doublure couleur chair, mais le décolleté et les bras restent nus aujourd’hui, tout au plus, on les couvre de foulards en tulle ou en chiffon. Dans les palais, on porte en effet des modèles très sexy, très féminins.» Son salon est unique non seulement par les créations textiles vaporeuses qu’il produit, mais aussi par la composition ethnique du personnel qui y travaille sous les ordres de Blanka, En 2001, un rédacteur de la Radio tchèque y dénombra des Libanaises, Arméniennes, Turques, une Tchèque, une Philippine et une Seychelloise. Les chrétiennes, catholiques et orthodoxes, y collaborent avec les musulmanes sunnites et chiites: cinquante femmes dans les deux ateliers s’affairent autour des conceptions très individualistes de Madame Blanka. Chaque cliente a ici son mannequin, image exacte de sa figure, que l’on rectifie selon que l’original maigrit ou prend du poids. «Mon crédo, c’est que je me porte garante de chaque robe,» dit Matragi. Blanka Matragi a vécu le triomphe symbolique de sa carrière en 2002 où elle a présenté à Prague sa nouvelle collection et un défilé de mode pour célébrer le 20e anniversaire de son salon de Beyrouth. Au printemps de la même année, elle a reçu le est championne du silence. Son dessin ne peut être interprêté comme de la mode. Ce qu’elle crée, c’est de l’art.» En 2003, Mme Blanka Matragi devient, par la décision du Sénat de a RT et du Ministère des Affaires Etrangères, «Femme tchèque insigne dans le monde». A u mois de septembre 2006, il y aura au Palais des Fêtes de Prague la présentation de 60 modèles de soirée exclusifs de Blanka Matragi, accompagnée d’une exposition de modèles créés actuellement ou dans le passé, pour des familles royales. Ces manifestations entreront dans le cadre de la célébration devant marquer les 25 ans du travail créateur de Blanka Matragi. Rédaction Photos: Robert Vano, agence Via Perfecta, www.tinity.cz, www.blanka.com Prix d’art européen et, en été, deux autres distinctions: Prix international Salvador Dalí et Prix Franti‰ek Kupka 2002 accordé par l’Union des artistes graveurs tchèques «pour sa conception picturale et graphique du design de vêtement». Lors de la remise du Prix d’art européen, le professeur Miroslav Klivar de la World Distributes University de Bruxelles a défini le dessin de mode de Blanka en ces termes: «Elle est championne de la mythologie individuelle de la femme. Dans le dessin de mode, elle Quels sont autres dessinateurs de mode tchèques? Alice Abraham www.aliceabraham.com Monika Drápalová www.modra-fashion.cz Helena Fejková www.helenafejkova.cz Daniela Flej‰arová and Eva Janou‰ková www.edaniely.cz Tatiana Kovafiíková www.tatiana.cz Klára Nademl˘nská www.klaranademlynska.cz Ivana Novotná www.ivn.cz Libûna Rochová www.studio-lr.com 25 Muses de la photogénie Les muses dont nous avons hérité de la Grèce ancienne sont au nombre de neuf. La représentation de leurs attributs connut au cours de l’histoire des changements si importants que l’histoire des arts a souvent de la difficulté à les distinguer. On peut dire, au figuré, que c’était là la première marque de la démocratisation du portrait qui, pourtant, ne devait prendre un caractère de masse qu’au cours du 20e siècle. Les portraits les plus anciens remontent au début du siècle passé. C’est qu’en 1903 fut créé, grâce à l’initiative de Franti‰ka Plamínková, Îensk˘ klub ãesk˘ (=Club féminin tchèque) ayant pour but le développement culturel et politique de la société. Significative est le portrait créé par Franti‰ek Krátk˘, insigne explorateur et photographe: il prit et porta pendant un certain temps le relais interminable de la glorification de la féminité. Ce qui l’intéressait, c’était l’exaltation du modèle – conformément au canon de mode de l’époque, bien entendu. Pendant les trente ans que je parcours les boutiques d’antiquaires proposant de vieux portraits photographiques, je n’ai jamais rencontré la présentation de l’auréole au moyen de figures orthogonales, les ovales et les cercles inscrits dans la photo avec ce but étant abondants. Jusqu’à l’année dernière. L es photographies reproduites sont dues exclusivement aux hommes. Elles illustrent l’idée que les générations relativement robustes se faisaient de la moitié plus délicate de l’humanité. D’anciens clichés faits pour mémoire on passe à des photos présentant les rêves cultivés et diffusés au sujet des femmes par les artistes contemporains. 2 5 26 1 3 4 6 7 8 La dame posant dans des photos faites à Kolín ressemble de façon frappante à Bohumila Bloudilová qui a fait l’apprentissage de photographe dans l’atelier de Franti‰ek Krátk˘. Au printemps 1905, elle ouvrit à Kolín son propre atelier. La réussite de son entreprise dans la petite ville de Bohême centrale est d’autant plus admirable qu’elle réalisa sa tentative dans une profession qui, au 19e siècle, était considérée comme exclusivement masculine. Dans les années 20 du 20e siècle, le mouvement d’émancipation de la femme prit un développement impétueux. Au bout de la longue guerre, les hommes européens sont revenus dans un monde changé. Il a fallu qu’ils s’accomodent des femmes qui, de toute évidence, avaient pris de l’assurance. Cela marqua aussi la photographie. Alice 10 9 Masaryková, présidente de la Croix rouge tchécoslovaque prenait à l’occasion le rôle de la première dame pour remplacer sa mère malade. Elle accompagna son père, président de l’une des démocraties créées sur les ruines de l’ancienne Autriche-Hongrie, aussi dans l’atelier photographique du fameux Franti‰ek Drtikol. Drtikol est célèbre surtout grâce à ses nus. Dans sa succession, toutefois, ce sont les portraits qui sont incomparablement plus nombreux. Ils sont imprégnés d’assurance civique. La conscience d’une dignité inaliénable appartenait dorénavant non seulement aux élites qui avaient de tout temps le culte du portrait, mais aussi aux masses de salariés. L’ancien aspect décoratif des portraits disparaît: une simple photo est suffisante pour la représentation. Alice Masaryková, toute proche qu’elle reste de la classe dirigeante, a un air sans prétention. Son portrait n’a pas l’atmosphère de l’Art déco, mais ce n’est plus de l’Art nouveau. Sous l’influence de l’émancipation euro-américaine, les femmes renoncent à la pruderie dans la feçon de se vêtir, elles raccourcissent leur jupe d’un tiers et se montrent de plus en plus souvent en tricots de bain. Leur vêtement de bain ne risque plus de les entraîner sous l’eau par 27 le poids du passé. Devant les objectifs de photographes, les femmes se sentent de plus en plus libres. Les illustrations du recueil de poèmes de Nezval franchissent, sous la direction de Karel Teige, le seuil idéal de l’idée moderne de la femme. Pour que son image puisse être innovée, il fallut – et c’était aussi l’avis de l’avant-garde internationale – l’interpréter dans le contexte social (et critiquement par-dessus le marché). L’adoration idéaliste des femmes (fréquente dans les nus) devait être confrontée avec leur situation sociale réelle, notamment pendant la crise économique mondiale des années 30. Cette conception est, d’ailleurs, toujours présente dans les programmes de photographes. Toujours est-il que le portrait de la femme finit par être le domaine de la femme créatrice elle-même. Mais ce serait là un autre témoignage qui concernerait 12 28 en quelque sorte le problème de la démocratisation de l’art... A la limite, on pourrait indiquer la créatrice seulement pour une photographie reproduite anonymement. Cela représenterait une exception inattendue: elle signifierait que l’idée masculine sur l’utilité des femmes serait diffusée – par procuration – par les femmes elles-mêmes. De toute façon, les femmes sont présentées cette fois-ci dans les rôles diverses, quant à la motivation des photographes. Il n’y a pas de doute que, en tant qu’inspiratrices, elles restent bienvenues devant les viseurs des appareils. Et elles donnent aux visions de photographes une dimension étonamment édifiante. Dans un certain sens, il y a l’effacement de la différence entre les photos mis en scène et ceux des situations arrangées par la vie. Dans un style très passéiste 11 13 14 Et non artistique aussi. En tant qu’individus, les hommes rêvent à autre chose. Pour le bonheur, c’est-à-dire pour la vie, ils n’ont pas besoin d’une femme jolie comme un coeur! est arrangée la scène de l’atelier de notre contemporain Ivan Pinkava. Par contre, l’instantané de guerre de Tibor Honty paraît inventé: il serait bien difficile de mettre en scène une scène plus pathétique, même si l’on disposait de tout l’équipe d’un film à grand spectacle! Josef Moucha revue Fotograf P avel Mára a réservé un extraordinaire rôle double à Anna Fárová, historienne de l’art. D’un seul coup, il a rendu un double hommage à cette personnalité: en tant que motif d’une création libre et en tant que spécialiste de la photographie. En effet, ses aînés parmi les historiens de l’art ne trouvaient pas la photographie suffisamment digne de leur intérêt. Quant à ses collègues plus jeunes, elle a su les motiver à l’imiter. Il est évident que notre présentation ne saurait pas se passer de Jan Saudek, 71 ans, un des photographes tchèques les plus renommés! Faisant preuve de son sens réputé de contradiction dramatique, il déclare: «Mes photos sont purement décoratives et on devrait les accrocher au mur. Je voudrais qu’elles fassent plaisir. Ne parlentelles pas de problèmes humains éternels?» Selon sa propres expression, 15 l’auter crée «des choses qui sont de purs non-sens et que l’on peut croire». Et il donne l’exemple: «Acune fille ne tiendra sa blouse entre les dents pour faire entrevoir ses seins. Je l’ai fait et cela a marché.» Un lecteur attentif aura remarqué que, dans nos réflexions, nous avons laissé de côté la beauté qui, dans les concours, est soumise au jugement collectif du jury. C’est que toutes ces reines des estrades se ressemblent en quelque sorte... Une ressemblance d’affiche, pourrait-on dire... 1. Franti‰ek Krátk˘, Kolín. Sans titre, sans date (début du 20e siècle). 2. Franti‰ek Drtikol, Alice Masaryková, 1919, Collection du Musée des arts décoratifs de Prague. 3. Karel Teige, Illustration de l’Abeceda, recueil de poèmes de Vítûzslav Nezval. 1926 (impression, photo Karel Paspa). 4. Eva Fuka, Tête de paille, 1958. 5. Jan Lukas, Réfugiés des Sudètes après le diktat de Munich, 1938 (propriété de l’auteur). 6. Miroslav Hák, Masque, 1938 (Collection du Musée des arts décoratifs de Prague). 7. MiloÀ Novotn˘, Mannequine, 1964 (collection de la Galerie morave de Brno). 8. Vilém Reichmann, Bombe sexuelle, 1964, cycle Magies (Collection de la Galerie morave de Brno). 9. Alexander Hammid, Maya, vers 1943 (collection de la PPF Group). 10. Jaromír Funke, Soeurs, 1942 (collection de la Galerie morave de Brno). 11. Tibor Honty, Mort dans les dernières secondes de la guerre. Funérailles du colonel Georgi Sakharov devant le Rudolfinum de Prague le 10 mai 1945 (collection de la Galerie morave de Brno). 12. Ivan Pinkava, Salomé, 1966 (propriété de l’auteur). 13. Tono Stano, Sens, 1992 (propriété de l’auteur). 14. Bohdan Holomíãek, Trutnov, 1967 (collection de la PPF Group). 15. Jan Saudek, Marie N° 142, 1972. 29 Eva Fuka C’est mon monde à moi «Je n’ai subi l’influence de personne et je n’ai même pas pensé à essayer des techniques de quelqu’un d’autre. Tout simplement, je créais mon monde. Les résultats pouvaient être marqués de gaucherie, mais c’était mon monde à moi et personne, sauf moi, ne pouvait pas le vivre. Les tendances mondiales ne m’importaient guère; je n’en savais pas grand’chose et elles ne me manquaient pas.» Eva Fuková dans ÚtrÏky Ïivota(=Bribes de la vie. Mémoires d’une photographe) Eva assiste à un vernissage au cabinet de J.Funke, à Brno. Photo Emanuel Frynta. L e film Je reviens au pays du labyrinthe, réalisé par Ale‰ Kisil pour la télévision et sorti l’année passée, rappelle les destinées et l’oeuvre des époux Eva et Vladimír Fuka. Le couple quitta Prague pour traverser l’Océan, revint au vieux continent pour repartir pour New York de nouveau. Aujourd’hui, Eva Fuková (*1927) vit 30 Le temps s’est arrêté, 1957. à Prague. A son avis, l’art est une façon de conserver les impressions vivantes. Cela détermine aussi son mode de narration. C’est son père Franti‰ek Pode‰va, peintre et rédacteur en chef des revues Rozkvût et Salon, qui amena Eva à la photographie dès son enfance. Sa mère Marie Pode‰vová était écrivain et traductrice de plusieurs langues. Les dons littéraires dont elle a hérité sont devenus pour Eva Fuková l’impulsion d’écrire ses mémoires. Toutes les citations du présent texte sont tirées du manuscrit des Bribes de la vie. Les années préscolaires des soeurs Pode‰va se déroulèrent dans la belle maison du quartier résidentiel de Vinohrady à Prague. Le grand appartement lumineux sous un toit vitré était un rendez-vous d’artistes, de photographes et de gens de lettres, de nombreux visiteurs étrangers y compris. «Le tapis orange avec l’éléphant blanc au milieu, don apporté de Chine par un ami, couvrait le parquet du hall et ne cessait de me fasciner,» se souvient Eva Fuková. Cette lumière favorable entrant dans ses jeux d’enfant par le toit vitré, Eva Dernier chemin, 1953 Portrait Fuková devait la retrouver vers la fin des années 60 en photographiant les sculptures et les tableaux dans le studio sous les combles du Musée métropolitain de New York. Les parents élevaient leurs filles dans une discipline spartiate. En l’absence d’un garçon dans le ménage, le père tenait à ce que ses filles portent le pantalon, qu’elles aient les cheveux coupés court comme des garçons et qu’elles s’exercent à la boxe. «Un des invités avait l’habitude de nous effrayer en disant que la guerre approchait et que, si on continuait à être insupportables, on irait dans un camp de concentration. Dans ma tête d’enfant, cette notion abstraite provoquait une terreur inimaginable. Je n’aimais pas le monsieur.» Vint le maussade mars 1939 et les soldats allemands occupèrent les pays tchèques. «Nous avons tous pleuré sur la trahison des alliés. Les parents ont mis au mur les vers de Svatopluk âech: Ne croyez personne dans le vaste monde, nous n’y avons pas un seul ami...Prague était obscurcie par le black-out et les trams, tels les vers luisants bleus, brillaient dans le noir où les gens se heurtaient les uns les autres comme des aveugles. Des étoiles jaunes sont apparues sur les Sur sa propre piste Graisse crue, 1953 Ombre, 1952. «Les essais photographiques de mes douze ans n’étaient pas si mal que ça,» voilà le bilan de l’auteur de deux biographies et de toute une série de catalogues d’exposition. «La photographie m’intéressait toujours davantage, j’ai fait quelques clichés assez bien, je suis entrée en «apprentissage» dans l’atelier de Miro Bernat et me suis inscrite à l’Ecole graphique». Même pendant la guerre, les jeunes adeptes de la photographie y recevaient l’enseignement de Josef Ehm et de Jaromír Funke, les deux d’inspiration surréaliste. Miro Bernat, photographe de la même orientation et future réalisateur de courts métrages, choisissait les lectures de son élève et elle, en revanche, récitait pour lui des poèmes d’une élaboration vocale particulière. L vêtements et, pour marquer ma protestation désespérée, j’ai pris l’habitude de monter dans les voitures arrière, celles de devant étant interdites aux juifs. Tout d’un coup, il y avait des camarades absents de nos jeux et de bancs d’école.» a guerre mondiale se termina pour Eva le 5 mai 1945 avec le commencement de l’Insurrection de Prague. «C’était le jour de mon anniversaire, j’avais dix-huit ans. Jamais je n’oublierai le 9 mai où les blindés sont finalement apparus à l’horizon pour libérer Prague des dernières convulsions de l’étreinte allemande. A cinq heures du 31 Feuilles d’automne, 1953 Rien que nous trois, 1962 matin, le bourdonnement des moteurs nous a réveillés. Très vite, le faible espoir de voir les blidés américains s’est évanoui: Cela signifie la fin, a dit papa quand, debout sur le balcon, nous regardions avancer les géants avec les drapeaux rouges flottant dans le vent.» A u début de l’été 1945, la jeune fille ayant terminé l’école graphique et l’apprentissage de photographe demanda d’être inscrite à l’Académie des beaux-arts de Prague. Elle y fut admise en dépit de l’extraordinaire affluence due au fait que, pendant la guerre, les écoles supérieures tchèques avaient été fermées. Pendant les études communes, elle connut son futur mari Vladimír Fuka (1926-1977). Leur élan juvénil se heurta au coup d’Etat communiste de février 1948 suivi du régime de cortèges, de quais devant les magasins à demi vides et de kitchs du réalisme socialiste. Dans les années 50, Eva Fuková découvrait sa Prague pendant les promenades qu’elle faisait à travers la ville avec sa caméra au cou et sa fille Ivana au dos. C’est alors qu’elle a créé les bases de son oeuvre. La censure étanche la coupait de ce qui se passait dans le monde, les frontières étaient sous le contrôle policier permanent et 32 Le collier d’argent, 1962 Autoportrait, 1962. les activités de groupe étaient considérées comme illégales. Comme sous l’occupation, on pouvait tout juste rêver de rues pleines de lumières ou de cafés on l’on puisse s’amuser librement. Le nouveau régime dictatorial apporta des décénnies d’armement et d’absurdités économiques. Des ombres fantomatiques erraient sur les stores éternellement baissés des boutiques fermées. Les cinémas et les théâtres étaient envahis par la propagande. Le Château en contre-haut de la ville changea en fantôme et les ruelles et les recoins romantiques de la ville s’abîmaient par manque d’entretien. Les crépis de maisons étaient irrémédiablement infiltrés par l’eau dégoulinant de gouttières rouillées. Vladmír Boudník, performer et artiste graveur, approfondissait les contours des crevasses sur place. Eva Fuková changeait les contours de la réalité dans ses clichés. Pour le faire, elle s’en tirait généralement avec une idée très simple: celle, par exemple de retourner le négatif dans l’agrandisseur. Les époux Fuka comptaient parmi les artistes s’inspirant de la poétique du civilisme. Une fois par semaine, les jeunes artistes de leur cercle se réunissaient pour faire voir les uns aux autres les extraits de leurs «journaux». Dans les années difficiles du stalinisme, ils rédigeaient un magazine privé qui Dans la forêt, 1958. Jifií Koláfi, 1954. servait de point de départ de leur création. L’époque de la guerre froide favorisait le glissement de l’imagination lyrique dans l’ironie et dans l’absurdité: «Nous avons constitué un groupe indissoluble qui se réunissait presque chaque jour. Nous étions tous pauvres, personne d’entre nous ne créait rien qui soit au goût du régime. Le sort commun nous liait. Bien entendu, nous n’osions pas nous réunir dans les cafés: les flics étaient à nos trousses et, quelquefois, on les voyait rôder sous nos fenêtres. Au moment de procès politiques, il était interdit de se réunir et nos amis venaient chez nous l’un après l’autre.» A suivre L ’atmosphère de suspicion et la préparation du procès avec les intellectuels valurent neuf mois de détention à Jifií Koláfi. On l’arrêta à Noël 1952. «Heureusement, la mort de Staline a fait échouer le procès. Je me le rappelle très bien: j’allais et venais sous nos fenêtres avec le landau et Vladimir me criait d’en haut les nouvelles Hôtel, 1952. sur l’agonie de Staline. Dans les rues, les haut-parleurs diffusaient la musique funèbre et nos coeurs étaient en joie.» Au bout des trente-cinq ans passés en exil, Eva Fuková est retournée dans sa Prague natale. Le domicile de cette artiste imprégnée de culture classique n’est pas seulement un appartement aménagé avec goût: c’est un milieu dans le sens artistique du mot. Evidemment, il est nettement marqué par l’esprit des peintures, dessins et gravures de Vladimír Fuka. La photographe partage son temps entre les séjours à Prague et les voyages en Amérique et à Paris où elle a un petit-fils et où sa fille possède un studio graphique prospère. Eva Fuková prépare une exposition rétrospective pour son quatre-vingtième anniversaire. C’est pour l’année prochaine. Pour la rétrospective, il faudra réviser à fond les archives des négatifs conservés: il y en a, en effet, que l’on n’eut pas le temps d’agrandir. Josef Moucha revue Fotograf 33 Deux dames de la dentelle tchèque Milãa Eremiá‰ová (*1938) est née à Prague. Après le baccalauréat, elle a fait ses études à l’Ecole supérieure des arts décoratifs, option dentelle et broderie. Elle a enseigné à l’Institut de production artistique et, en 1990, elle est passée à l’Académie privée du design artistique, à Prague. A l’heure actuelle, elle se dédie à l’activité pédagogique tant dans le pays qu’à l’étranger. Dès la fin de ses études, elle s’adonne à la création artistique indépendante. La première présentation publique de ses ouvrages remonte à 1967, sa première exposition indépendante enrichit le paysage artistique tchèque en 1973. Dans son essai intitulé Attouchements mystérieux des dentelles de Milãa Eremiá‰ová, Jifií Pilka dit: «C’est de la fragilité des fils de toutes sortes qu’est composé le monde de Milãa Eremiá‰ová. Ses dentelles abandonnent la bidimensionnalité pour créer un espace plastique en se combinant avec des fragments de bois dans des structures d’arbres. Sa création reçoit des impulsions puissantes de la sphère spirituelle, de la tradition chrétienne: pietà, crucifix, variations multiples de la Vierge et l’Enfant. Les ouvrages de cette inspiration étonnent par leur caractère dansant. La Vierge n’est pas représentée dans le statisme traditionnel: elle est pleine de mouvement, rayonne de joie. Loin d’être descriptive ou même naturaliste, elle insiste sur la compassion. Dans différents ouvrages de l’artiste, on trouve des motifs naturels, empruntés très souvent à la sphère des inspirations musicales (Janáãek, MartinÛ, Stravinski). La nature elle-même, très familière à Milãa Eremiá‰ová, est fréquemment le thème de ses nombreux ouvrages avec prépondérance de différentes représentations de la mer. L’artiste aime revenir au motif de la mer en tant que matière primordiale d’où est née la vie sur cette planète. Difficiles à présenter et, donc, moins connues sont les oeuvres monumentales de Milãa Eremiá‰ová, destinées pour les espaces 34 de grands ensembles architecturaux. Exceptionnelle est la participation de l’artiste à la création cinématographique, c’est-à-dire au dessin animé «Clochette arrachée». L’univers plastique de Milãa Eremiá‰ová porte les marques de la tradition artistique tchèque, celles notamment consistant à porter un message spirituel, à unir les horizons et harmoniser dans un geste créateur original la nature et l’homme, le passé et le présent, les tragédies écrasantes et le désir d’une vie heureuse. Les femmes sont souvent douées du don de sagesse et d’harmonie. Milãa Eremiá‰ová sait, en plus, le refondre en un puissant langage plastique.» Svûtlana Pavlíãková (*1954) est née à Hradec Králové. Elle a étudié l’option dentelle aux fuseaux à l’Institut de production artistique de Vamberk. Elle a travaillé comme dentellière et dessinatrice à Vamberecká krajka, coopérative de production artistique. Depuis 1992, elle s’adonne à la création utilitaire et libre. Ses travaux – que l’on expose depuis 1978 – font partie des collections du Musée de la dentelle, à Vamberk, du Musée de la dentelle à Prachatice et du Musée juif de Prague. «Je me sens attirée vers le matériel textile par quelque chose d’essentiel. C’était mon destin de prendre connaissance de la technique des fuseaux et de m’y perfectionner. Cette destination ne me limite pas. Atteindre et dépasser les limites des possibilités de cette technique est presque impossible dans la création active d’une personne. Elle touche de nombreuses autres techniques, textiles ou pas, dont elle est issue ou qu’elle assimile tout naturellement. Elle utilise l’inspiration morphologique de domaines très éloignés tout en restant elle-même: abstraction s’inspirant librement des structures qui lui sont propres. Le caractère illimité des possibilités techniques constitue un défi, une aventure, un espace pour l’expression personnelle. Dans les multiples branches de l’arbre vivant, je cherche la pierre philosophale et me cherche moi-même.» Une revue de mode soutient la voiture ·koda Roomster Mannequines et danseuses, habillées de robes argentées créées par la dessinatrice tchèque Hana Havelková, attirent cette semaine les visiteurs de la foire de Leipzig vers la voiture ·koda Roomster, nouveau modèle présenté pour la première fois en Allemagne. «C’est une équipe de top-models et de danseuses professionnelles tchèques qui va lutter pour attirer l’attention des visiteurs. Pendant le spectacle, les mannequines arrivent à présenter une trentaine de modèles,» dit Hana Havelková et elle ajoute: «Cette année, nous aurons en plus, à titre excelptionnel, la collaboration du danseur Michal ·tipa, soliste des Ballets du Théâtre national de Prague.» En dehors de la présentation classique de robes, les mannequines souriantes maneuvrent avec grâce le volant, baissent les sièges, chargent une bicyclette dans la voiture. «J’ai dessiné les vêtements en harmonie avec le dessin de la voiture,» ajoute la dessinatrice. Photo: Max Tsiu. Siège de la présidence de l’Union Notre pays continue ses préparatifs pour 2009, année où il devrait assurer la présidence de l’Union européenne. M. Jan Kohout, ambassadeur de la République tchèque auprès de l’UE, a déjà signé le contrat de location de quatre étages de bureaux pour 120 personnes dans le bâtiment contigu de la représentation permanente de la RT à Bruxelles. Le complexe en construction se trouve dans la proximité du siège du Parlement européen. La République tchèque prendra la présidence de janvier à juin 2009. Les frais liés à la présidence, qu’il faudra couvrir, s’éléveront à deux miliards de couronnes environ. Mosaïque Tendances 2007 En collaboration avec les Ballets du Théâtre national, le Centre tchèque de Paris et la Galerie de mode Lucerna Prague ont présenté à Paris la collection Trendy (=tendances) 2007 de la dessinatrice de mode Helena Fejková. La présentation a eu lieu le 21 avril au quartier de La Défense, le plus moderne de Paris, sur la nouvelle piste d’arrivée des cars internationaux de la société Eurolines. Autour d’un môle long de 25 mètres, celle-ci a installé 400 fauteuils d’où le public a suivi le spectacle de danse créé par le chorégraphe Jan Kodet et réalisé par Lenka Vinická. La présentation avait eu sa première le 18 avril au Palais âernín de Prague en présence de M. Cyril Svoboda, ministre des Affaires étrangères. Le bénéfice de la présentation a été remis à la société âlovûk v tísni (l’homme en détresse) aux fins de la réalisation du projet de sauvetage des orphelins de Namibie. Une présentation pareille est envisagée pour le mois de mai 2006 en collaboration avec la Maison tchèque de Moscou. Kurková distinguée par Women Together A 22 ans, la top-model tchèque Karolina Kurková s’est jointe aux personnalités de la taille de Hillary Clinton, ancienne first lady des Etats-Unis, ou de la reine Rania de Jordanie. Women Together, organisation sans but lucratif, l’a distinguée à New York en appréciation de sa contribution à la promotion des droits de la femme. La distinction a été remise a dix femmes qui aident les femmes dans les pays en voie de développement. En dehors des dames mentionnées, ont été distingués Angelina Jolie, actrice hollywoodienne, et la chanteuse colombienne Shakira qui est à la tête du fonds de l’aide aux enfants Pieds nus. «Il faut que les gens aident les uns les autres, sans distinction de nationalité, de religion et de couleurs de la peau. Qu’ils se tolèrent mutuellement. C’est très important. Je crois que l’on nous a choisies, Shakira et moi, pour que nous aidions à faire passer à la jeune génération le message sur la nécessité d’aider les femmes,» a déclaré la mannequine. Photo: Mango. Distinction pour le couple ·kvoreck˘-Salivarová Pendant sa visite à Toronto, le ministre Cyril Svoboda a remis à Josef ·kvoreck˘ et à Zdena Salivarová le prix Gratias Agit accordé pour la propagation à l’étranger de la renommée de la République tchèque. Pendant les décennies de l’exil canadien, le couple ·kvoreck˘-Salivarová s’était adonné – à côté de la création littéraire propre – à la publication de la littérature tchèque. Depuis 1969, leur maison d’édition Sixty-Eight Publishers a fait paraître 220 oeuvres littéraires, historiques et scientifiques interdites dans la Tchécoslovaquie communiste. Lors de la remise du prix, Josef ·kvoreck˘ (81 ans) a fait remarquer que la renommée de la République tchèque au Canada est assurée surtout par les entrepreneurs tchèques locaux. RADIO PRAGUE HORAIRES ET FRÉQUENCES Cet horaire peut être modifié sans préavis TUC kHz m EUROPE 5930 7345 49 41 0800 - 0827 R EUROPE 9880 11600 31 25 1630 - 1657 EUROPE 5930 AFRIQUE-CENTRE 21745 49 13 1830 - 1857 R EUROPE EUROPE/AFRIQUE-OUEST 5930 13580 49 22 2200 - 2227 R AMÉRIQUE DU NORD 11600 15545 25 19 0600 - 0627 ZONE R R - Rediffusion Radio Prague – émissions internationales – fait partie de la Radio tchèque, une institution publique. Son objectif est d’informer continuellement sur la politique, l’économie et la culture tchèques les auditeurs au-delà des frontières de la République tchèque. Les programmes d’actualités d’une demi-heure de Radio Prague peuvent être suivis aussi sur ondes courtes et via satellite – voir la table. Les émissions de Radio Prague, en son et en texte, sont accessibles à tous aussi sur Internet, à l’adresse www.radio.cz. Par courrier électronique Radio Prague offre également l’abonnement gratuit à ses informations. Si vous voulez recevoir, à votre adresse Internet, les informations les plus récentes sur la République tchèque en allemand, en anglais, en espagnol, en français ou en tchèque, faites la demande à [email protected] ou à notre adresse: Radio Prague, Vinohradská 12, 12099 Prague 2, République tchèque, tél. +4202-2155 2901. 35 Vítûzslav Kaprálová Compositrice exceptionnelle Elle n’avait que vingt-deux ans et quelques années de vie devant elle. Ayant obtenu une bourse pour étudier à une école musicale parisienne, elle venait de monter dans le train pour aller à Paris. Elle était une compositrice pleine de promesses et une chef d’orchestre originale. C’était en 1937. C ’est le compositeur Bohuslav MartinÛ qui lui avait recommandé de rédiger la demande de bourse. Depuis 1923, cet homme déjà célèbre vivait surtout en France. Pendant un voyage en Tchéquie, il rencontra Vítûzslav Kaprálová. Elle l’impressionna tant comme compositrice débutante qu’en tant que femme. Arrivée à Paris, elle trouva chez lui un refuge: ils jouaient du piano ensemble, il lui donnait des conseils de composition. Et MartinÛ, son aîné d’un quart de siècle, tomba amoureux de son élève qui, de protégée, devint son amie et maîtresse. 36 Tout le monde tombait amoureux d’elle Jifií Mucha, fils du peintre Alphonse Mucha, était un des hommes dont la vie fut marquée par Vítûzslava Kaprálová pendant son séjour à Paris. Dans son livre Etranges amours, il écrit à ce sujet: «Il n’était pas étonnant que les sentiments de MartinÛ aient changé. Tout le monde tombait facilement amoureux d’elle, mais MartinÛ avait plusieurs motifs en plus. Elle était Tchèque, elle aimait les Hauteurs tchéco-moraves, pays natal du compositeur. et en tant que compositrice, elle était vraiment l’âme de son âme. Il suffirait d’ajouter son expérience au miraculeux talent de la jeune femme pour qu’elle devienne non seulement une grande artiste, mais encore une sorte de superstructure de l’être du compositeur. MartinÛ qui, depuis de longues années, vivait avec la bonne Charlotte désintéressée – bonne ménagère maternelle, mais aucune source d’inspiration – n’avait pas d’enfants. Vitka éveillait en lui un sentiment fait de l’ambition paternelle et de l’amour inspirateur pour un être idéal. Au début, il n’osait la toucher que par la parole, par le regard, par la pensée. Il se rendait compte qu’en dehors de son art, il avait peu de choses à offrir à la jeune fille beaucoup plus jeune que lui, qui lui apparaissait comme Depuis 2001, un excellent quatuor à cordes porte le nom Kaprálová Quartet (avec l’autorisation de M. Josef Kaprál et en accord avec la société canadienne The Kapralova Society). Personnalité Vítûzslava Kaprálová, dessin de Rudolf Kundera. «Il ne nous reste que d’avoir les yeux ouverts pour trouver le bien et de nous tremper par le mal; d’être reconnaissants de la beauté qui nous entoure, et même de la douleur...» Vítûzslava Kaprálová (1915-1940) compositrice (lettre à sa mère) un petit génie volage et sémillant. Il aurait voulu tout lui donner. Sauf ce qui était le plus important et qu’il ne pouvait pas donner.» Au fait, qui était ce «petit génie sémillant»? Originaire de Brno où son père, compositeur respecté, dirigeait une école de musique. Sa mère était cantatrice. Elle hérita des dons de ses parents qui firent tout pour les développer. Peut-être voyaient-ils en elle un enfant prodigieux. Ils l’encourageaient dans son jeu du piano et ils ne s’opposèrent pas à ses essais de composition, ni à son désir de partir pour Prague et, plus tard, pour Paris. Depuis sa première enfance, elle était petite et délicate, mais en même temps têtue et indépendante. A l’âge de cinq ans, elle lisait sans problèmes. Passant beaucoup de temps à l’école de musique de son père, elle apprit à lire les notes et, avec lui, jouait à quatre mains du piano. A neuf ans, elle composa sa première pièce de quelque importance. C’est en ce moment que, pour la première fois, elle tomba gravement malade et dut aller au sanatorium pour tuberculeux à Star˘ Smokovec. Depuis, elle faisait souvent de la température, ce qui signalait qu’il y avait dans son corps quelque chose qui ne tournait pas rond. Une jeune fille de grand talent Ecole primaire terminée, elle choisit le conservatoire en combinant de façon inattandue l’étude de la composition et celle de la direction d’orchestre. Quand une femme voulait se consacrer à la musique à cette époque, il était habituel qu’elle soit professeur dans une école de musique ou répétitrice au théâtre d’opéra. Son père qui avait une bonne connaissance de la profession tenta de la dissuader de ce choix. Mais Vítûzslava était une personne obstinée et elle fut admise au conservatoire de Brno. Elle y développa pleinement son goût pour la composition. En 1935, elle termina ses études au conservatoire par le Concert pour piano, dont l’exécution elle dirigea elle-même. Aussitôt, les critiques musicaux se mirent à écrire sur la jeune-fille de talent musical extraordinaire. Cependant, Vítûzslava Kaprálová voulait continuer – à l’ Académie de composition pragoise où enseignait le compositeur Vítûzslav Novák. Elle se transféra à Prague et y découvrit un milieu artistique nouveau: concerts, expositions, théâtres. Pour la première fois dans sa vie, elle devait voler de ses propres ailes et bien compter ses sous. De temps en temps, elle était devant le dilemme que ne pourront comprendre que ceux qui ont l’obsession semblable à la sienne: acheter des notes nouvelles ou plutôt quelque chose à manger? A ses parents, elle écrivait: «Je me suis donc logée, et assez bien. Je ne suis pas obligée de chauffer, car de la cuisine qui est à côté, on laisse entrer un peu de chaleur dans ma chambre. Le piano joue très bien et, à tout prendre, c’est meilleur marché que l’année passée. 37 Vítûzslava dirige l’orchestre de la Radio Brno. Mon petit déjeuner se compose de cacao et de deux grands pistolets beurrés. Pour casse-croûte, je puise aux provisions que j’ai de maman; les déjeuners que je paie 6 couronnes environ, je vais les prendre chez une dame d’en face. Pour mon goûter, je prends du thé que je prépare de mes propres mains sur le fer à repasser.» une nouvelle bourse. En janvier 1939, elle est repartie pour Paris. Elle composa l’Elégie dédiée à la mémoire de l’écrivain Karel ãapek et d’autres ouvrages. Au printemps, elle rencontra à Paris Jifií Mucha, fils du peintre Alphonse Mucha. Très vite, ils se lièrent d’amitié. En s’appuyant sur les vieilles connaissances de son père, Jifií Mucha organisait la vie sociale des réfugiés tchèques et fréquentait les artistes qui étaient restés à Paris. Ils se réunissaient dans le fameux café Les Deux Magots. Le Café de Flore, fréquenté aussi par Picasso ou par Jean Cocteau, était un autre lieu de rencontre de la communauté tchèque. Pour la jeune artiste, c’était une compagnie très bien choisie. A Paris En 1937, elle termina l’Académie de musique et elle demanda une bourse d’Etat pour aller à Paris. MartinÛ l’y attendait. Elle apprenait à connaître le paysage culturel parisien. Dans une des lettres envoyées à ses parents, elle écrivit: «Hier j’ai assisté à un concert de Triton. On a joué Bach, Honegger, Bartók et encore un dont le nom ne me revient pas. On est allés les saluer (il paraît qu’ici c’est habituel) et ·afránek m’a présentée à des tas de gens, dont je ne citerais qu’Honegger, Milhaud et Flor.Schmidt (comment cela s’écrit?), les autres j’ai oublié. Schmidt était très gentil avec moi, les autres de même et ils disaient que c’était très gentil que j’écrivais, et moi je me disais bien sûr, espèces d’Hottentots, mais en parlant, je me limitais à des «oui» et des «enchantée.» La lettre témoigne d’une belle assurance, mais elle y avait droit. En novembre 1937 eut lieu la première exécution de Sinfonieta militaire qui est aujourd’hui l’oeuvre la plus célèbre de Vítûzslava Kaprálová. Elle l’a dédiée au président Edvard Bene‰, commandant suprême des forces armées tchécoslovaques. Le président vint la remercier personnellement, ce dont elle était très fière. Ses compositions étaient jouées dans le pays et à l’étranger. A Noël 1939, année dramatique, elle dirigea son Prélude de Noël à la Radio française. Elle fut ovationnée aussi à Londres, au Festival international de la musique contemporaine. Sa Sinfonietta militaire ouvrait le programme du festival et, à huit reprises, le public rappela la jeune chef d’orchestre sur la scène. Bohuslav MartinÛ qui accompagnait alors Vítûzslava Kaprálová, envoya à ses parents le télégramme suivant: «Le concert s’est très bien passé. Vitulka a dirigé «comme un lion» et cela a été un grand succès. Enverrons des coupures de journal. Félicitations et saluts.» 38 Mariage sans lune de miel Tous ses hommes Le ciel de la Tchécoslovaquie se couvrait de nuages annonçant le Protectorat, mais à Paris on était insouciant des menaces de la guerre. Vítûzslava Kaprálová composait de la musique et vivait des aventures amoureuses. En mars 1938, elle écrivit à ses parents qu’elle venait de recevoir deux demandes en mariage: l’une de la part d’un docteur Hauner, qui ne l’intéressait guère, et l’autre de l’ingénieur Rudolf Kopec qu’elle avait connu dans la chorale de résidents tchèques. Il lui convenait par son âge et il n’était pas submergé d’émotions à tel point que le tendre MartinÛ. Cependant, ils finirent par ne pas s’entendre en politique. Après Munich, Rudolf Kopec traita Edvard Bene‰ de traître, tandis que Vítûzslav Kaprálová le considérait toujours comme président tchécoslovaque et l’occupation de la Tchécoslovaquie la chagrinait. Elle retourna dans le pays pour un bref séjour, mais MartinÛ ne cessait de lui écrire et il lui procura Elle habitait chez Mucha de temps en temps, mais elle entretenait la correspondance avec l’ingénieur Kopec. Et MartinÛ non plus ne perdait pas l’espoir, car elle lui promit d’aller en sa compagnie en tournée aux Etats-Unis. Jifií Mucha essaya de résoudre cette situation étrange en proposant les fiançailles à Vítûzslava. Mais en tant que membre futur des forces tchèques à l’étranger, il dut partir dans le Midi de la France pour l’instruction militaire. Il revint pour un court congé en avril 1940 et il épousa Vitka (c’est ainsi qu’il l’appelait). Il repartit pour le camp d’instruction en attendant que sa femme vienne le rejoindre. Cependant, celle-ci reculait toujours son arrivée et, dans une de ses lettres, elle nota qu’elle était allée consulter le médecin qui lui a recommandé une opération. Ancien étudiant en médecine, Jifií Mucha en était inquiet. Il demanda un nouveau court congé et alla retrouver sa femme. Il la trouva à l’hôpital. Il l’a emmenée dans le Midi et elle fut hospitalisée à Montpellier. Hospitalisée, pas traitée. On ne savait pas, en effet, d’où venaient ses fièvres et ses douleurs, pourquoi elle dépérissait à vue d’oeil. Les médecins finirent par l’opérer, mais il ne trouvèrent rien. On avança l’hypothèse de dissémination de la tuberculose dans tout l’organisme. Vítûzslava Kaprálová avait vingt-cinq ans. Barbora Osvaldová, revue INSTINKT Photos: Société ArcoDiva, www.opusmusicum.cz; livres: Jifií Mucha, Podivné lásky, (éditions Mladá Fronta, 1988), Jifií Macek, Vítûzslava Kaprálová, (Union des compositeurs tchécoslovaques, 1958). De gauche à droite: Václav Kaprál, Líba HouÏviãková, la mère Kaprálová; derrière eux Vítûzslava Kaprálová et Bohuslav MartinÛ.