Des racines du mal aux racines du ciel : diplomatie et prescience
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Des racines du mal aux racines du ciel : diplomatie et prescience
DES RACINES DU MAL AUX RACINES DU CIEL DIPLOMATIE ET PRESCIENCE « L’Afrique noire est mal partie ». L’ouvrage de René Dumont fit scandale au moment de sa parution. C’était en 1962. Aujourd’hui, plus de cinquante ans après, tout est différent mais en même temps semblable. Les problèmes à résoudre ne manquent pas à tel point que certains les croient insolubles à échéance raisonnable. En ce début d’année 2014, hormis les diverses crises qui secouent le continent africain, les regards se tournent vers la protection des espèces menacées. Une conférence internationale sur la protection de la faune s’est tenue à Londres le 12 février 2014. Au-delà de cette question spécifique se profile une réalité plus complexe. Comment concilier économie, social, démocratie, sécurité et environnement ? Le défi n’est pas mince. Deux voies s’offrent à l’Afrique : approche partielle ou approche globale. L’approche partielle : Les racines du mal Un enjeu environnemental. Le problème n’est pas nouveau mais il connait des développements importants. En Afrique, le trafic des grandes espèces ne s’est jamais aussi bien porté. Sur les « Big Five » (éléphant, rhinocéros, lion, léopard et buffle des Neiges du Kilimandjaro d’Ernest Hemingway publié en 1936), seul le buffle échappe à la liste rouge des espèces menacées dressée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Chaque année, 22 000 éléphants sont tués dans le monde. En Afrique, la population des éléphants a diminué de moitié depuis 1980. Le moratoire sur le commerce de l’ivoire instauré par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction (CITES) de 1989 a été impuissant à protéger les éléphants. A ceci s’ajoute la dévastation de leur habitat naturel par une agriculture débridée, l’exploitation frauduleuse des forêts et un braconnage effréné qui prospèrent sur la pauvreté. Désertification, dégradation des sols, déforestation, espèces animales menacées… portent atteinte à la biodiversité. Mais le véritable enjeu est ailleurs. Un enjeu global. Comment passer de la loi de la jungle à l’Etat de droit ? La probabilité de voir apparaître une nouvelle ère des conflits complexes, mêlant intérêts économiques, pillage des ressources, ingérences étrangères, trafics et prosélytisme sur fond de pauvreté extrême est très forte. Le trafic international de l’ivoire est devenu une source importante de financement pour les groupes armés. Dans la bande saharo-sahélienne, les liens entre les réseaux de contrebande et des groupes rebelles et/ou islamistes se sont confirmés au fil du temps. C’est la sécurité régionale qui est menacée par l’ampleur des trafics. Aujourd’hui, ce sont deux principaux défis qui doivent être relevés collectivement par les pays africains : protection de l’environnement et préservation de la paix. Tout est dans tout. Le continent africain doit améliorer la transparence de sa gouvernance, mieux lutter contre la confiscation de la richesse par des individus se répartissant pouvoir et prébendes, favorisant la corruption à grande échelle. L’efficacité suppose un travail global de longue haleine à l’échelle nationale et régionale. Telle n’est pas la voie suivie ! L’approche globale : Les racines du ciel Vision d’avenir et prescience écologique. « Nous entrons dans le futur à reculons » écrit Paul Valéry. Tel n’est pas le cas de Romain Gary avec son roman récompensé en 1956 par le prix Goncourt ! Dans Les racines du ciel, qualifié plusieurs décennies après de premier « roman écologique », le diplomate-écrivain lance un des premiers appels pour demander l’abolition de la chasse à l’éléphant sous toutes ses formes car cet animal « est et demeurera l’emblème du prolétariat africain contre l’exploitation capitaliste ». L’agitateur d’idées dérange les conformismes ambiants. Il apparaît comme l’un des premiers défenseurs de l’environnement. Où puise-t-il son inspiration ? Son séjour en Afrique équatoriale française (AEF), au début de la Seconde Guerre mondiale dans les Forces françaises libres, lui ouvre les yeux sur les méfaits de l’homme à l’encontre de la faune. La question de la protection de la nature se pose avant tout en termes de fraternité humaine. Romain Gary estime indispensable une réaction vigoureuse de la société civile internationale épaulée par les Etats, une sorte de devoir collectif pour éviter le pire. Vision d’avenir et prescience internationale. Comme souvent dans l’œuvre de Romain Gary, la démarche adoptée part d’une observation du terrain et se prolonge par une réflexion novatrice, en avance ou en décalage par rapport à son époque. Changer notre manière de penser le monde, tel est le défi que Romain Gary incite à relever. Il suggère une approche globale, trans-dimensionnelle des relations internationales qui s’attaque au fond du problème, ce que l’Islam appelle « les racines du ciel ». Elle embrasse une réalité complexe qui va de la protection de la nature à la protection des populations autochtones contre le pillage de leurs ressources naturelles et la négation de leur identité. L’humanisme constitue une dimension fondamentale de son approche des relations internationales. Le réalisme, aussi. Il pressent que l’interdépendance des enjeux sécuritaires, économiques, écologiques constituera la césure historique du XXe siècle. Dans une tempête de pessimisme, jaillit chez Romain Gary une note d’optimisme, d’espoir en l’homme pour passer d’une « société internationale anarchique » à une « société internationale régulée ». « Diplomatie de combat » « C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt ». Cet avertissement lancé par Marguerite Yourcenar (Les Mémoires d’Hadrien) trouve toute sa justification dans la défense des « Big Five » en Afrique. La tragédie des éléphants, c’est aussi celle d’une époque qui oublie l’histoire et la géographie et qui manque d’ambition et de clairvoyance. Ce ne sont pas les Cassandre qui sont les responsables des grandes catastrophes mais ceux qui les stigmatisent par conformisme ambiant. Quatre ans après avoir reçu le prix Goncourt, le diplomate Romain Gary est contraint de quitter le Quai d’Orsay qu’il avait intégré en 1945. Penser stratégique n’y cadre pas trop avec le tropisme bureaucratique. Diplomatie et préscience sont-elles toujours incompatibles ? Guillaume BERLAT Pseudonyme d’un ancien haut fonctionnaire Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur