vie quot/85

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vie quot/85
VIE QUOTIDIENNE
reportage
“ Les Etoiles ” au firmament
DANS LE CANTAL,
UN SESSAD EN IMMERSION
A l’heure de la rentrée, plongée dans le quotidien d’un IME un peu particulier,
puisque spécialisé dans l’accueil des enfants et des ados souffrant d’un
sévère trouble envahissant du développement. Des enfants autistes pour qui
les accompagnements se mettent de plus en plus au diapason des
recommandations, en IME comme en Sessad.
es murs ocres percés de grandes baies
vitrées, une cour d’école de poche plus verte
que bétonnée, avec trampoline et aire de
jeux autour desquels graviter... Ici, aux “ Etoiles ”,
IME installé aux portes d’Etouy, dans l’Oise, règne
un calme matinal qu’aucun nuage ne semble vouloir dissiper. Et pourtant, ce firmament n’est pas
sans tourments. Pas de place non plus pour la
rêverie tant le temps et l’espace y sont calibrés,
structurés, les activités décortiquées, séquencées,
explicitées, imagées...
D
Etablissement 4 étoiles
Photos ci-dessus et
ci-contre : atelier
bricolage le matin et
classe l’après-midi.
Les 24 enfants et ados accueillis dans cet IME
ouvert en juin 2012, plus de 10 ans après avoir été
“ pensé ” par l’Adapei 60, sont rassemblés par un
même mot, l’autisme. Un mot qui reste bien vague
pour qualifier la diversité des maux, des troubles
de la communication qui se traduisent aussi par
DANS LE MORBIHAN, UN IME EN MUTATION
Créer une unité dédiée à l’accueil des enfants TED, cela s’est imposé
à l’IME de Kerdiret tant bon nombre d’enfants déjà accueillis avaient
un diagnostic d’autisme. Cet IME fondé dans les années 60 par
l’Adapei du Morbihan et qui accueille 85 jeunes, fait partie de ces
établissements qui ont décidé de faire évoluer leurs pratiques, en se
calant sur les recommandations de la Haute autorité de santé.
« Cette unité permet aussi d’accompagner des jeunes avec troubles
du comportement importants qui sans cela seraient sans solution »,
estime le directeur Laurent Gaudicheau.
Première étape du changement : tout le personnel éducatif a été
formé à la méthode Makaton et une neuropsychologue a rejoint
l’équipe pour faire des évaluations fonctionnelles, repérer les
troubles associés, dégager l’âge de développement dans certains
domaines et essayer de faire évoluer les jeunes en fonction de leurs
centres d’intérêts. Arrivée en 2008, l’éducatrice référente des ados
est la seule à avoir été formée à ABA. Un de ses projets est de
travailler sur les habiletés sociales et de partager du temps en
activité arts plastiques avec des jeunes du collège voisin.
L’établissement a aussi recruté une éducatrice scolaire. Depuis
février 2014, elle accompagne 3 garçons autistes âgés de 8 à 11 ans
en classe externalisée dans une école du quartier avec leur
référente éducatrice.
On le voit, cette unité multiplie les ouvertures et partenariats :
avec le laboratoire éducation de l’Université de Rennes, avec
la Fondation Orange pour obtenir des tablettes... En cette rentrée 2014,
l’unité aura déménagé dans un local dédié. G
Françoise Bulus-Dalatu
# 34 vivrensemble -121- Septembre 2014
des troubles du comportement plus ou moins
envahissants qu’il s’agit de chasser grâce à une
stratégie éducative tracée au cordeau. Une journée
aux Etoiles ? C’est une journée menée tambour
battant, une anticipation permanente des imprévus et autres incidents qui peuvent vite faire trébucher. Quelque 30 professionnels s’y attèlent
dans ce semi-internat, visiblement soudés par le
défi. Sans parler du réseau médical qu’il a fallu
tisser avec le Centre hospitalier de Clermont-del’Oise, avec un médecin généraliste et un dentiste
pour partenaires privilégiés, des orthophonistes et
psychomotriciens libéraux mobilisés à la carte en
attendant de trouver à embaucher, et, oh privilège,
la visite mensuelle d’un neuropédiatre spécialisé
dans l’autisme.
Grâce aux dons, Les Etoiles, un de ces IME
spécialisés encore trop rares en France au vu de
l’engorgement des listes d’attente, est un établissement 4 étoiles côté équipement, avec notamment
une salle Snoezelen (stimulation multi-sensorielle), des tablettes numériques, dans lesquelles
il est prévu d’intégrer tous les séquentiels et outils
de langage alternatif utilisés dans les multiples
activités....
Répétition du geste
9 h 30, on entre dans le vif de l’activité en participant à l’atelier bricolage avec Pierre*, un jeune de
17 ans. Quand il est arrivé, à l’ouverture de l’IME,
il criait et crachait de manière intempestive,
raconte la directrice. Mais en 2 ans, « il a beaucoup appris », et ses troubles se sont estompés.
« Il a encore besoin de son renforçateur, les
chips, et de guidance pour pointer l’action
mais avant il ne pouvait pas maintenir son
attention pendant plus de 5 minutes », renchérit Thierry, observateur privilégié en tant qu’éducateur technique. C’est lui qui a décomposé
chaque geste et conçu les séquentiels.
Le travail de la motricité fine, de la coordination
bilatérale, l’ajustement corporel, le contrôle postural..., Justine décortique les vertus de l’activité
du jour : l’enfilage de perles. Ergothérapeute, elle
est celle qui trouve des astuces pour adapter l’environnement aux « extrêmes sensibilités » parti-
culières de chaque enfant, pour parer
à leurs déficits proprioceptifs et les stimuler.
Ils sont quatre ados à suivre l’activité,
2 par 2 dos à dos. Difficile de multiplier
les interactions entre Pierre, qui a
besoin d’apartés passés à rebondir sur
un ballon pour « percevoir l’information », Aurélien*, qui ne supporte pas le
bruit et Xavier*, hostile aux transitions.
Aurélien participe aussi au groupe des
émotions, et met en pratique ce jour-là
la parade qu’il a apprise pour canaliser
sa colère : une profonde respiration.
Aurélien fait partie de ceux qui sont
allés plus loin dans la répétition du
geste, au point d’être mis en situation
de conditionnement à l’Esat.
Dessine-moi un triangle
Au carillon, c’est la récréation et le
défoulement salvateur pour Pierre sur
le trampoline. Il enchaînera ensuite,
avec Brigitte, AMP, au travail sur table,
un des rituels des calendriers. A savoir
l’exécution de protocoles éducatifs
conçus par toute l’équipe, autant
d’exercices et de jeux, avec des paliers
dans la difficulté.
Pendant ce temps, branle-bas de combat dans l’équipe : une jeune est partie
en vrille, sans doute perturbée par l’immersion d’un visiteur étranger. Les professionnels se relaient à la porte d’une
des salles d’apaisement, qui, comme les
autres, n’est pas fermée à clef, pour lui
chuchoter du réconfort et lui déciller les
yeux, elle qui a l’illusion passagère d’avoir perdu la vue.
Début d’après-midi, l’heure est à la
classe pour Melvin*, un jeune de 13 ans
qui fait partie des 8 enfants (bientôt 12)
scolarisés dans l’IME, en cours 6 heures
par semaine avec Audrey, l’enseignante
spécialisée à mi-temps. Tous auront
d’abord appris à devenir élève avec
Stéphanie, l’éducatrice scolaire, celle
qui les soutient aussi dans leurs devoirs.
Certains, comme Melvin, viseront le
Certificat de formation générale. « Pour
les plus vieux, je me pose avant tout
la question : de quoi auront-ils besoin
quand ils seront adultes ? ». Melvin en
est à la énième révision du vocabulaire
du triangle mais cette fois ça y est, il est
arrivé à en tracer un avec son compas.
Un pic d’attention qui bientôt s’écroule.
« Là je t’ai perdu, on va faire une
pause, tu vas pouvoir tournicoter ».
L’enfer,
ce n’est plus les autres
Dans la cour, Léonie* est en transition
avant l’activité équitation. Impressionnée
Léonie, la seule à être scolarisée une
partie de la semaine en CLIS TED. Elle
est vite rassurée une fois montée sur
son poney. Au centre équestre, l’éducateur et les AMP sont ravis : l’activité fut
un vrai havre de paix.
« Nous sommes dans un réajustement constant mais une chose est
sûre, tous ont une aptitude pour les
apprentissages », avait dit en préambule la directrice Christelle Velghe pour
présenter le savant mélange des méthodes et approches ici pratiquées, une
recette à base de PECS (échange d’image) et de TEACH (structuration du
temps et de l’espace), avec un zeste
d’ABA (l’analyse appliquée du comportement). D’ailleurs, l’ambiance a bien
changé depuis l’ouverture : « Au
départ, il était impossible de faire des
récréations communes. Aujourd’hui,
on organise des kermesses. Il y a eu
une réelle progression dans la relation
aux autres ». G
Maud Salignat
Dans le Cantal, le Sessad “ Les moussaillons ”, géré par l’Adapei du Cantal
et spécialisé dans l’accompagnement d’enfants autistes de 0 à 6
ans, est implanté dans une école de
Naucelle. En ce vendredi de juin,
Sophie, AMP, accompagne trois enfants dont Rémy qui, en septembre,
fera sa rentrée en CP. Rémy est scolarisé à l’école quasi toute la semaine, excepté ses vendredis au
Sessad. Ce matin, il travaille avec
Sophie sur les phonèmes grâce à
des cartes colorées et adaptées.
Avec Fantou et Laureen, ils se joignent
aux autres enfants de l’école pour la
récréation. « La cour est un lieu très
important pour le travail des professionnels. Elle leur permet d’observer
régulièrement des élèves ordinaires,
ce qui les aidera pour évaluer les
enfants handicapés. Elle leur permet
aussi de travailler avec le jeune
enfant autiste les relations avec
autrui », analyse le directeur
du Sessad. A 10 h, avec les autres
élèves, les trois enfants vont à la
bibliothèque municipale. Là, Sophie et
la bibliothécaire les aident à choisir
un livre correspondant à leurs centres d’intérêt. Pour Rémy, ce sera un
livre sur les voitures. Son vendredi
après-midi, Rémy le passera au
Sessad à travailler en individuel ou
en petit groupe.
Pendant ce temps, une autre
professionnelle, Nathalie, intervient
auprès d’un enfant dans la classe de
maternelle de l’école de son quartier.
L’AMP, échange ensuite avec l’enseignante afin de mettre en place des
réponses à certains besoins de
l’enfant. Nathalie est une vraie
ressource pour cette enseignante
non spécialisée. Une fois la cloche de
l’école sonnée, cette AMP retrouvera
le directeur de son Sessad dans une
autre école élémentaire pour participer à une réunion de suivi de scolarisation, celle de Julien, un petit
garçon autiste qui, à la demande de
ses parents, sera accompagné par
le Sessad dès la rentrée. Une nouvelle année scolaire s’annonce pleine
de nouveaux projets pour un Sessad
qui accompagne tous les ans de plus
en plus d’enfants. G
Prisca Lezeele
* Prénoms d’emprunt
vivrensemble -121- Septembre 2014 35
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