1 Daniel Pelligra Coordonnées : pelligra@club

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1 Daniel Pelligra Coordonnées : pelligra@club
Daniel Pelligra
Coordonnées : [email protected] 0616967423 Fax 0474954516
NOUS AVONS OSE !
Impossible, lorsqu’on fréquenté, à la fin des années soixante, les
séances du jeudi soir au Musée de l’Homme, de filmer « comme tout le
monde ». Il y avait bien sûr les films de Rouch, mais aussi ses dernières
trouvailles, ses dernières rencontres, un hommage, parfois, aux
classiques.
De ces nombreuses confrontations, comment un étudiant en
anthropologie qui se sent la fibre cinématographique n’aurait-il pas été
tenté d’expérimenter dans sa propre pratique, ces voies nouvelles qui
s’ouvraient à lui ?
A travers un parcours amazonien, puis saharien, régional enfin
depuis 1982 : monde ouvrier, traditions populaires, immigration, une
trentaine de films qui tentent de témoigner de l’indispensable échangepartage que ne peut qu’être l’anthropologie d’aujourd’hui..
Ce fut l’occasion, au fil des productions, d’appliquer les principes
suivants :
-
-
-
Toujours revenir montrer, fût-ce dans des conditions difficiles, les
films réalisés, aux acteurs concernés
Faire participer au tournage et à la progression du film, en
particulier dès que les moyens de la vidéo furent accessibles
Alterner et confronter commentaire « savant » et point de vue des
intéressés
Se mettre soi-même en situation (présence physique, orale ou
visuelle) aux côtés des autres
Ne pas s’interdire les reconstitutions, lorsqu’elles sont présentées
comme telles
Retrouver les mêmes acteurs-témoins-complices dix puis vingt ans
après pour tourner la suite du film, ou le revisiter
Accorder un droit de regard avant diffusion
Se rendre disponible pour répondre à une demande de film de la
part du groupe
Inviter, autant que faire se peut, les protagonistes lors des
projections : les présenter comme « auteurs », accompagnés de
leur réalisateur…
Ne jamais perdre de vue que le moment du tournage peut
engendrer autant de confrontations, d’échanges, de révélations,
que la diffusion elle même.
Enseigner, transmettre, ici, là-bas
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Je me propose de mettre en parallèle quelques expériences
personnelles en ce sens, avec les réflexions qu’elles m’inspirent, et les
films qui ont pu servir d’invitation ou de prétexte.
LA MAGIE DU BLANC
Il est toujours difficile de lutter contre ce vieux réflexe de nos sociétés
modernes qui consiste à rechercher dans les comportements des sociétés
traditionnelles ceux de nos propres ancêtres préhistoriques. Pourtant,
comment ne pas être tenté de comparer les premiers émois de nos pères et
grands-pères avec les interrogations, encore observables de nos jours, des
groupes mis en présence du cinéma ou de la vidéo pour la première fois ?
Et, sans aller aussi loin, se rappeler notre émerveillement devant la
vitrine du marchand d’électro-ménager où trônait le tout premier poste de
Télévision.
Puis, dans le désordre : les descriptions que faisait Maxime Gorki des
premières projections du Cinématographe, devant les paysans russes,
soupçonneux et superstitieux, les Babaorum de Tintin au Congo, jetant lances et
flèches contre l’écran sur lequel apparaissent le vilain Blanc en train de comploter
avec le méchant sorcier. Oui, je sais, colonial et raciste. Allons donc voir ailleurs:
l’interdiction des armes à feu dans l’Ouest américain encore un peu sauvage,
pour éviter que quelques excités n’en fassent usage contre les bandits de l’écran
des premiers films. Se non è vero…
Ensuite, c’est Dominique Gaisseau qui, pour Le ciel et la boue, fait
parachuter sur la forêt de Nouvelle-Guinée un équipement vidéo : trouble des
Papous découvrant leur image en direct et allant interroger l’arrière du moniteur.
C’est Patrick Deshayes - qu’il me pardonne ce rapprochement avec l’esbroufe
qui précède - montrant aux indiens Huni Kuin d’Amazonie des images
industrielles quasi apocalyptiques de l’Europe, et s’entendant dire que cela
représente exactement ce qu’ils voient depuis toujours dans leurs rêves, assistés
de substances hallucinogènes…
Ce sont les Ouled Sayah, de L’arche très remués de voir la tête de
Belghitar, leur oncle, sur deux mètres de haut, et redécouvrant ainsi ce qui a fait
la fortune du Cinématographe: la dimension des héros. Ce sont enfin les ombres
animées du « Château des Carpathes », parmi les derniers avatars avant
l’invention décisive, de toutes les recherches effectuées depuis l’Antiquité, visant
à reproduire le réel sur un autre support que le vivant.
Une des premières « leçons » (mais il n’était pas un donneur de leçons)
que j’aurai retenue de Rouch, c’est ce souci de restitution, qui a fait l’essence
même de son cinéma, quelles que soient les conditions techniques de la
diffusion. En 1976, expérimentant pour la première fois, après le 16mm, la vidéo
légère, pour un film sur les bijoux kabyles (en langue berbère, une première dans
l’Algérie de cette époque), nous donnions rendez-vous chaque soir aux bijoutiers
pour visionner les rushes du jour et programmer les tournages du lendemain,
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corriger les erreurs, palier aux insuffisances. Agerruj est ainsi devenu « notre »
film.
Pour l’Arche, sur les nomades sahariens, je n’ai pas hésité un instant à
faire rejouer des scènes que j’avais observées un ou deux ans auparavant, alors
que je m’interdisais encore de sortir ma caméra.
En 2006, les retraités fréquentant un centre social à Lyon décident de
raconter leur aventure migratoire - et leur fierté d’avoir pu s’en sortir assez bien
(analphabètes, ils quittent les Aurès dans les années cinquante… ) aux jeunes
générations quelque peu agitées de leur quartier. On me fait appel : La gloire de
nos pères va ainsi faire le tour de la région pendant plus d’un an avec, à chaque
projection, le réalisateur qui bien vite s’efface devant ses « auteurs », lesquels
animent les débats.
De la même manière, les initiateurs de L’île orpheline, sur les parcours
migratoires de la communauté sicilienne à Lyon, viendront régulièrement, l’été
2005, donner leur avis sur le montage avant que nous ne repartions, tous
ensemble, projeter le film sur la place de leur village d’origine. Démarche
similaire avec Jamila, fille des collines, qui viendra valider le film avant sa
diffusion à l’antenne de France3 (son frère incarcéré, était évoqué dans les
interview, et il nous fallait l’assentiment de la famille et de l’intéressé).
Idem enfin pour les fêtes de la Zaouïa de Timimoun, à la fin des années
70, où nous projetons à chaque retour de l’équipe, les images des cérémonies
précédentes, afin de provoquer remarques et suggestions pour les séquences à
venir. Au risque d’ailleurs que les images ne prennent le pas sur le protocole plus
ou moins spontané des cérémonies et ne deviennent la référence à reproduire :
un peu comme les Dogons qui, au prochain Sigui, n’auront peut-être plus comme
modèle que certains films des années soixante dix…
Car déjà, autour de Bandiagara, certains touristes éclairés arrivent avec, à
la main, les ouvrages de Griaule, et vérifient, avec une certaine exigence,
l’authenticité du spectacle qu’offrent les Dogons…
TCHAD
1971. Les séances qu’organise Jean Rouch au Musée de l’Homme,
avec Comité du film ethnographique (Poincaré 3820 : un certaine
continuité !), rassemblent chaque jeudi soir étudiants en ethnologie, mamies
du quartier (le 16ème) et cinéphiles ou spectateurs concernés par la thématique
du jour.
Le Tchad : la soirée commence par un film de Max-Yves Brandilly,
sur les Musiques du Tchad. Très « Connaissance du monde », il a fait la
traversée de Paris depuis Pleyel. Tout le cinéma documentaire que, mes
camarades et moi, nous détestions. Puis vient le tour de Marie-Jo et Joseph
Tubiana, spécialistes de la région, avec un film sur les Danses Zaghawa, puis
un montage de dessins d’enfants de la même ethnie. De la très bonne
anthropologie visuelle, alors à ses balbutiements.
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Rouch nous présente ensuite un type dont le nom ne nous est pas
inconnu, mais dont il semble que ce soit l’un des tout premiers films : il s’agit
de Raymond Depardon, qui revient du Tchad avec Embuscade, un
document assez atypique au Musée de l’Homme, en ce lieu de cultures
éternelles et dont on se hasarde enfin à admettre qu’elles sont périssables et
en tous cas évolutives. Il nous apprend qu’au Tchad, il y a une révolte des
Toubous, dans les montagnes du Tibesti, contre le pouvoir central. Par un
curieux concours de circonstances, son équipe et lui se sont trouvés coincés
dans une école qui vient d’être bombardée (par l’armée française), en
compagnie de rebelles, face à une troupe de goumiers de l’armée
« régulière ». L’immunité de la caméra aidant - pour quelques années encore
- l’équipe a pu circuler entre les deux partis et porter son ambassade de trêve,
avant que les rebelles ne déclinent l’offre de reddition et périssent - quelques
uns d’entre eux - dans leur abri. Ce film poignant par son contenu, par le
contexte de sa réalisation, venait, sans doute pour la première fois, rappeler
aux anthropologues, actuels et futurs, qu’ils ne pourraient plus fermer les
yeux sur les contextes politiques dans lesquels sont très souvent impliquées
les populations qu’ils côtoient.
C’était encore l’époque où le C.N.R.S. raillait Robert Jaulin pour ses
prises de position et sa dénonciation de l’ethnocide missionnaire en
Amazonie colombienne et vénézuélienne. Laisser ou pas faire l’Histoire. Au
lendemain de 68, et avant le retour des mandarins, l’ethno-anthropologie
hésitait encore à devenir citoyenne. Elle s’efforçait de le devenir, « derrière
l’écran » où, avec la complicité de Philippe Luzuy, je mettais le dernière main
à La paix blanche , qui allait me servir de mémoire de maîtrise
Retour aux Zaghawa : en 2003, un certain Omar el Bachir, président
du Soudan, met à l’ordre du jour l’extermination de la population Zaghawa
vivant sur le territoire soudanais.
LE MUSEE DE L’HOMME : UN RESEAU ?
Bien sûr, il y eut Germaine Tillion, ses compagnons de l’ombre et ses
« camarades », selon ses mots, de Ravensbrück. Au Musée de l’Homme, un
des tout premiers mouvements de résistance. Elle n’aurait pas apprécié que
j’associe son nom au film dont il va être question. Gaulliste (je serais tenté de
dire « gaullienne », comme bien peu le furent), elle tenait à détecter dans le
comportement des Français sous l’Occupation des traces de résistance. Nous
n’allions pas tarder à en connaître, par la suite, la version plutôt foireuse…
Bref, elle n’aima pas Le chagrin et la pitié , dénonciation abusive,
selon elle. Film interdit, à sa sortie (donc pas de sortie). C’est alors que,
toujours dans le cadre des projections du jeudi soir, le Père Rouch décida de
le programmer. Sans trop de publicité, autant que je me souvienne. Du
« Rouch à oreille » qui, bien entendu, remplit la salle.
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De flics, d’anciens déportés (quelques tatouages dépassant des
chemises ou des pulls), d’apprentis cinéastes, de cinémateurs, de militants de
la liberté d’expression dans la France pompidolienne.
J’avoue ne plus me souvenir de la présence de ce Marcel Ophuls,
encore inconnu à l’époque.
Rouch ou Langlois ? Aile droite ou aile gauche ? La salle de cinéma
du Musée de l’Homme ou la Cinémathèque ? Choix difficiles, le jeudi soir,
devant le Palais de Chaillot.
Afin de conjuguer les deux, ethnologie et films de création, c’est à la
Cinémathèque de la rue d’Ulm que je découvre enfin, un dimanche de 1971,
Moi un noir. Décisif.
Dès que possible, je tenterai de faire commenter les images par les
sahariens qui m’auront confié la leur : Les seigneurs de la paix, l’Arche. Ces
deux derniers films seront retenus d’ailleurs pour valider mon DEA et mon
doctorat, en 71 et en 79. Balbutiements, le cinéma ethnographique en quête
de reconnaissance universitaire. Et grâce à l’ouverture d’esprit de Germaine
Tillion.
LE SIGUI, ET AUTRES FILMS QUI NE FINISSENT JAMAIS !
Prendre modèle sur Jean Eustache (La rosière de Pessac), Colette
Piault (sa série sur la Grèce), Jean Rouch et les Dogons, Robert et Andrew
Young(Children of fate-Un destin sicilien), Ahmed Lallem (Femmes), Luc
de Heusch (Les amis du plaisir), John Marshall (Naï), Mélissa Llewlyn Davis
(Souvenirs et rêves du pays Maasaï), remettre son ouvrage sur le métier, 10,
20, 30 ans après. Considérer qu’un film n’est pas un aboutissement mais le
point de départ de nouvelles confrontations, de nouvelles envies, de remises
en cause et de signes de changements et de preuves que tout n’a pas été
correctement interprété…
Pour La 14 ne périra pas, en 1983,1993, 2003, je retrouve les conscrits
de La Tour du Pin, dans la même fête foraine, bientôt avec femmes et
enfants. L’Arche, tourné en 1974, attend sa suite pour dire ce que sont
devenus les Ouled Sayah après leur sédentarisation et comment les films
tournés à cette époque, sur l’ancien mode de vie, répondent ou pas aux
questions que se posent les jeunes générations.
Comment, aussi, fut perçu l’anthropologue-cinéaste tombé d’une
autre planète pour dessiner, filmer et déguster les moutons des bédouins
Car s’il est une cinématographie dans laquelle l’auteur se doit d’être
présent, par la voix ou physiquement, et pas seulement pour donner l’échelle
comme les archéologues devant les monuments, ce sont bien les films à
dimension (à prétention ?) anthropologique, qui témoignent de
l’indispensable échange de recettes de survie que constitue cette science, à
égalité, en partenariat avec les sociétés observées.
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FANTOMES D’AFRIQUE
Le début de La croisière noire. Au départ d’une étape, un enfant noir
est assis derrière le chauffeur et le chef d’expédition (Haardt ou AudouinDubreuil ?) Il agite un petit tissu blanc à l’attention de la caméra et des futurs
spectateurs.
Eh bien pas du tout : il est simplement muni d’un chasse- mouches,
c’est ce que confirma un second visionnage, quelques années plus tard.
Cinémathèque algérienne, fin des années 70. Oumarou Ganda
présente Chaïtane, une dénonciation du maraboutisme en Afrique. On
l’interroge sur ses rapports avec Rouch, qui l’a révélé dans Moi un Noir et lui
a montré la voie de la réalisation.
« - Il faut tuer Rouch ! »
Simple provocation entre africains libérés, désir de tuer le père,
rancune Noirs-Blancs ? Il est vrai que le cinéma de Rouch restera atypique
dans le contexte de l’ethnographie post coloniale, clamant l’amitié et l’égalité,
mais ne dénonçant qu’exceptionnellement la domination (anglaise dans les
Maîtres-fous), comme le firent par exemple Alain Resnais et Chris Marker
avec Les statues meurent aussi, film qui, tout comme La bataille d’Alger, Le
chagrin et la pitié, Le rendez-vous des quais, restera longtemps dans les
tiroirs de la censure.
Peut-être Oumarou Ganda et Rouch ont ils réglé leurs comptes, làhaut. Je soupçonne ce dernier d’y organiser des séances interdites, projetées
sur un nuage.
Et, coup de grâce, la fin de L’avenir du souvenir , dans lequel il quitte
ses copains africains et semble dire aussi adieu à ses spectateurs ! Quelques
mois plus tard, au Niger, sa voiture percute un camion.
Ahhh. Mourir à 87 ans, en plein tournage…
Un autre plan me hante désormais, c’est celui dans lequel les Dogons,
renouvelant l’évènement d’il y a un demi siècle, effectuent, comme pour
Marcel Griaule, la sépulture rituelle de Rouch. Dans la grotte de la falaise de
Bandiagara, ils brisent alors son outil de travail : rien moins qu’une caméra
Aäton (certes de la première époque, mais tout de même)…
Jean-Pierre Beauviala présidait le ciné-club de Grenoble en 1966. Je le
revois à la sortie de la salle où l’on vient de projeter Les Maîtres-fous. Pour
l’avoir montré régulièrement à mes étudiants depuis une vingtaine d’années,
je sais à quel point le public d’aujourd’hui, guère plus averti que celui dont je
faisais partie à l’époque, reste choqué, malgré le nombre de films
ethnographiques - certes très inégaux - que la télévision montre désormais.
Le Noir de nos colonies, l’œuvre civilisatrice, étaient présents dans nos têtes
de jeunes provinciaux, peu au fait des débats intellectuels du moment.
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Sans doute est-ce pour racheter mon attitude de dégoût devant les
« Nègres buveurs de sang », que j’ai écrit, trente ans après, lors d’une
exposition de la Ferme du Vinatier, un hôpital neurologique de Lyon, sur le
thème des thérapies comparées, ce petit texte dans lequel revient le cinéma :
« Film maudit ? Film déconseillé ? Film interdit ? Film sur les
interdits, tout juste toléré en son temps, tout juste supportable, cinquante ans
plus tard. Un film ? Plutôt un témoignage sur un jeu de rôles, un spectacle
d’improvisation parfaitement maîtrisé dont seuls les spectateurs non initiés
peuvent être dupes.
Un film ? Bien plus, l’invention en temps réel d’un nouveau rituel.
Protocoles des villes, protocoles de la brousse. Similitudes, simulacres
contrôlés, simulacres sauvages. Mais les logiques s’inversent bientôt. A
l’issue de ce film - en fait une commande des prêtres Haouka - on s’interroge
sur cette nouvelle magie, qui de Rouch à Ruspoli, de Depardon à Wiseman,
confère à l’observation extérieure la force d’un témoignage de l’intérieur et
bouleverse la relation spectateurs-filmés. On connaît la blague, aux grilles de
l’asile : «- dites, vous êtes combien, là-dedans ? ». Dans la rue ? Dans la salle
de projection ? Le cinéma aliène (Allien ?), mais sans cette drogue là, ne
sombrerait-on pas vite dans… la folie ? »
Fureur de Rouch lorsqu’une soirée Théma à la télé, sur les vampires,
entreprend de diffuser Les Maîtres-fous.
En 2006, je risque une projection de Petit à Petit devant mes étudiants
en BTS audiovisuel. 35 ans après, le film parle-t-il encore à des jeunes gens ?
Quelques jours plus tard, je les entend fredonner dans les couloirs, en
se déhanchant : « Petit à petit, j’aurai mon building, … ».
Petit à petit, séance de mensurations anthropologiques sur les
escaliers du Trocadéro, qui vaut son pesant de tours Eiffel en plastique.
Rouch, qui lors du centenaire du Cinématographe à Lyon, glisse des
bouts de ficelle à l’endroit de la première pierre de la future salle Lumière. Le
cinéma ethnographique : de la débrouille, du génie, si possible, à défaut de
moyens.
A KIND OF CAMERAMAN
L’épaule-position. Avant Michel Brault, avant Raoul Coutard ou
Richard Leacock, bien avant l’Eclair 16 ou le Cameflex : impossible. A bout
de bras donc : déjà, Keaton pour Le caméraman , et tant d’autres qui, comme
lui, n’ont pas le temps d’installer le trépied, notamment les opérateurs de la
Grande Guerre.
Terrorisme du cadre propre. J’aurai passé vingt-cinq ans à répéter à
mes élèves : « - Jusqu’à l’examen, apprenez ce que je vous dis, mais ne faites
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pas ce que je fais ! ». Je crois savoir que beaucoup ont compris l’envers de la
leçon. Sinon…
En 1981, Roger Morillère prend sa retraite. Qui va le remplacer ?
Depuis l’Algérie, j’envoie ma candidature, accompagnée d’une copie de
L’arche. Rouch me fait savoir que le film, tourné avec un trépied, est un peu
statique. Ah bon ? Comme je ne possédais pas cet accessoire à l’époque, je
décide d’en faire l’acquisition, pour les films suivants. L’esprit de
contradiction !
J’ai découvert récemment Cinémafia, dans lequel les trois complices,
Joris Ivens, Henri Storck, Jean Rouch, évoquent leurs parcours et leurs
influences réciproques. Beaucoup de cadres de travers : tourné à la suite d’un
repas amical bien arrosé ?
SOUS TITRES
Itto, film français de 1934, réalisé par Jean-Benoît Lévy et Marie
Epstein. Il s’agit de la fille d’un chef Chleuh qui, malencontreusement,
tombe amoureuse du médecin militaire français. Banale histoire coloniale,
seulement c’est à ma connaissance le tout premier film dans lequel la langue
« indigène », berbère en l’occurrence, est non seulement parlée, mais aussi
sous-titrée. On est loin des « Mon z’ami » ou autres courbettes et arabesques
raffinées qui sortent de la bouche des autochtones dans le cinéma du vampire
colonial français.
Il faudra attendre les années soixante-dix pour que nos cinéastes
anthropologues nationaux - à de rares mais notables exceptions près : Rouch
s’y refusera toujours - prennent la même initiative.
Itto. Copie 35 mm unique et en assez mauvais état.
CINE REALITE
« Elle éclatera, la révolution, dans quelques cinq ans, avec vols et
jugements sommaires : pendant ce grand évènement, on verra déboucher des
portes cochères des pilleurs non pas de femmes ou de vaisselles d’or, mais
d’appareils de prise de vues, avides de graver sur pellicule visages et objets
cueillis en dehors de toutes les règles du spectacle » Pensées, 1946.
Cesare Zavattini. Cinéparoles
Il y eut une époque où toute interview dont les questions n’étaient pas en
même temps des réponses était qualifiée d’ « interview ethnographique ».
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A Beaubourg, avant que ce festival ne s’appelle « Cinéma du réel », on
l’avait baptisé « L’Homme regarde l’Homme ». Une main avait ajouté sur
l’une des affiches : « Les femmes regardent tout le monde. »
A Cluny, une reconstitution virtuelle somptueuse de ce que fut l’église
jadis. Puis au fil de la visite, des écrans qui jouent sur la représentation de
l’existant, et la reconstitution des parties disparues. Cela s’appelle « la réalité
augmentée ». A retenir…
Incapacité à produire autre chose que du vrai, du vraisemblable, du
véridique, du vérifiable, jamais du REEL !
Jorge Semprun, visionnant un film sur Buchenwald où il fut déporté
regrette que ces images soient « muettes », car brutes, et donc faussement
authentiques : « Il aurait fallu travailler le film au corps, dans sa matière
filmique même, en arrêter parfois le défilement : fixer l’image pour en
agrandir certains détails (…) Il aurait fallu, en somme, traiter la réalité
documentaire comme une matière de fiction ».
Cinéma vérité, Ciné ma vérité, Cinéma direct, Candid camera, Cinéma du
réel, Fictions du réel, Réalité augmentée, Documenteur, réalité de la fiction,
Télé-réalité, modélisation des « vrais gens » pour en faire des témoins
inattaquables. Peut-être Emile Reynaud avait-il découvert, lui seul, le secret
de la longévité ? Où va-t-on ? Rendez-vous dans dix ans.
Car une nouvelle ère se fait jour avec, entre autres, Valse avec Bachir.
Des docus en images de synthèse : trop tard pour entendre la position de
Rouch. Il avait en tous cas annoncé les avantages du vidéo disque et, en
somme, le repérage facile des séquences avec le montage virtuel : c’était il y a
bientôt trente ans.
Mais quelles que soient et demeurent nos interrogations, nos
incertitudes, nous progressons dans l’action et nous efforçons sans cesse de
ne pas nous laisser aller – c’est une expression qu’il affectionnait, en parlant
de certains collègues – à la « délectation morose ».
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Daniel Pelligra à Marc Piault
Cher Marc
Voici donc mon texte. Sans doute la mémoire m’a-t-elle
parfois trahie : merci de relever les grosses bourdes, avant la
communication de novembre.
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Programme impressionnant !
Au plaisir de te revoir
Daniel
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