Fouilles corporelles intégrales systématiques des détenus

Transcription

Fouilles corporelles intégrales systématiques des détenus
Paris, le 1er octobre 2011
Fouilles corporelles intégrales systématiques des détenus :
la persistance d'une pratique illégale
"Le deuxième alinéa de l’article [de la loi pénitentiaire] est parfaitement clair : les fouilles intégrales
ne peuvent être qu’exceptionnelles"
(Jean-Paul GARRAUD, député UMP, rapporteur de la loi pénitentiaire, 8 septembre 2009)
« S’agissant spécifiquement de la fouille corporelle des détenus, la Cour n’a aucune difficulté à concevoir
qu’un individu qui se trouve obligé de se soumettre à un traitement de cette nature se sente
de ce seul fait atteint dans son intimité et sa dignité,tout particulièrement lorsque cela implique
qu’il se dévêtisse devant autrui, et plus encore lorsqu’il lui faut adopter des postures embarrassantes »
(CEDH 12 juin 2007, n° 70204/01 Frérot c/ France)
Contacts :
Samuel GAUTIER / 01-44-52-87-94
Stéphanie DJIAN / 01-44-52-88-00
Nicolas FERRAN / 01-44-52-88-02
observatoire international des prisons – section française, 7 bis rue Riquet, 75019 Paris
Téléphone : 01 44 52 87 90 - Fax : 01 44 52 88 09 - courrier électronique: [email protected] - site internet http://www.oip.org
association loi 1901 à but non lucratif / l'OIP dispose du statut consultatif auprès des Nations unies
numéro SIRET 40766804500054 - code APE 9499Z
1
Ultime humiliation en milieu carcéral, la pratique des fouilles corporelles à nu est de celles que l’OIP combat
sans relâche depuis une dizaine d’années, en particulier devant les tribunaux, tant dans ses modalités
d’exécution que pour la fréquence de son utilisation. Le caractère humiliant de ces fouilles est un constat
largement partagé (voir partie I) : de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui évoque une atteinte à la
« dignité » de la personne1, au Comité européen de prévention de la torture (CPT) 2, en passant par le Comité
contre la torture des Nations-Unies 3, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme 4, ou bien
encore les commissions d’enquête parlementaires sur les prisons en 2000.
Ces quatre dernières années, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France à
trois reprises pour sa pratique des fouilles à nu sur des détenus, considérant alors que celle-ci relevait d’un
traitement inhumain ou dégradant (voir partie II). Largement inspiré de cette jurisprudence européenne, le
Conseil d’Etat, suite au recours d’un détenu, accompagné par l’OIP, avait ensuite entrepris d'encadrer la
pratique de ces fouilles, en exigeant que le recours à celles-ci « soit justifié, notamment, par l'existence de
suspicions fondées sur le comportement du détenu, ses agissements antérieurs ou les circonstances de ses
contacts avec des tiers et, d'autre part, qu'elles se déroulent dans des conditions et selon des modalités
strictement et exclusivement adaptées à ces nécessités et ces contraintes », précisant « qu'il appartient ainsi à
l'administration de justifier de la nécessité de ces opérations de fouille et de la proportionnalité des modalités
retenues »5.
Dans la lignée de la jurisprudence française et européenne ainsi obtenue, mais sans remettre en cause le principe
même des fouilles à nu, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (voir partie III) est venue en encadrer l’usage
en posant trois principes impératifs : un principe de nécessité au terme duquel les fouilles, qu’elles soient par
palpations ou intégrales, ne peuvent être effectuées que si elles sont justifiées par « la présomption d’une
infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des
personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement » ; un principe de proportionnalité qui impose que
la nature et la fréquence des fouilles soient « strictement adaptées [aux] nécessités [de la sécurité] et à la
personnalité des personnes détenues » ; et enfin un principe de subsidiarité qui implique que les fouilles à nu
« ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont
insuffisantes »6. Les débats parlementaires mettaient alors en exergue l’objectif, à terme, de tendre vers une
disparition des fouilles intégrales grâce au recours à des moyens de détection moderne.
Aujourd’hui, près de cinq ans après ces condamnations, et deux ans après l’adoption de la loi
pénitentiaire, force est de constater que les principes posés tant par la jurisprudence de la CEDH que par
la loi pénitentiaire pour encadrer et limiter le recours aux fouilles à nu n’ont pas empêché le maintien
quotidien de cette pratique dans les établissements pénitentiaires. (voir partie IV) L’OIP observe notamment
la persistance des fouilles intégrales effectuées de façon systématique sur l’ensemble des personnes détenues
ayant eu accès à certains secteurs de la détention comme les parloirs. Plusieurs établissements pénitentiaires,
dont la maison d’arrêt de Nantes ou le centre de détention de Vivonne par exemple, disposaient encore en
septembre 2011 de règlements intérieurs prévoyant que « l’accès au parloir implique que les détenus se
soumettent obligatoirement à une fouille par palpation avant et intégrale après la visite ». Et force est
cependant de constater qu’aucune politique d’équipement des établissements pénitentiaires en matériel de
détection (détection électronique ou à rayons X, scanners) n’a été conduite depuis l’adoption de la loi
pénitentiaire.
Dans ce contexte de résistance manifeste de l’administration pénitentiaire à l’application de la loi pénitentiaire
et de la jurisprudence française et européenne, l'OIP a décidé d'intensifier ses recours devant le juge (voir
partie V) en demandant la suspension de ces régimes de fouilles intégrales dans tous les établissements où il
sera avéré qu'ils sont pratiqués et en demandant l'annulation des règlements intérieurs les prévoyant.
Intrinsèquement humiliante, aux effets dévastateurs, la fouille corporelle intégrale devait rester très
exceptionnelle, en attendant d'être purement et simplement supprimée. Il en va de la dignité de la
personne en prison.
1
2
3
4
5
6
CEDH, Arrêt Frérot c. France n°702004/01, 12 juin 2007.
CPT, op. cit., 10 décembre 2007.
Nations-Unies, Observations finales du Comité contre la torture, 20 mai 2010.
CNCDH, Etude sur les droits de l'Homme dans la prison, mars 2004 ; Avis et Etude sur le projet de loi pénitentiaire, novembre
2008.
CE, 14 novembre 2008, El Shennawy et Section française de l'OIP
Article 57 de la loi pénitentiaire.
2
Sommaire
Sommaire..............................................................................................................................................3
I. La fouille corporelle intégrale : une pratique dégradante.................................................................3
II. La France condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour sa pratique des fouilles
corporelles intégrales sur des détenus..................................................................................................7
III. L'encadrement théorique de la pratique des fouilles corporelles intégrales par la loi pénitentiaire
du 24 novembre 2009...........................................................................................................................9
IV. La persistance de pratiques massives de fouilles corporelles intégrales illégales........................12
V. Une campagne contentieuse engagée par l'OIP.............................................................................13
Qu’est ce que la fouille en prison ?
Emblématique du monde carcéral, la fouille est une mesure administrative de sécurité visant la
recherche sur la personne détenue d'objets dangereux ou prohibés. Cette mesure est mise en oeuvre
quotidiennement dans les établissements pénitentiaires, notamment lors des mouvements de détenus
(accès et sortie du parloir, extraction médicale ou judiciaire, transfèrements, permission de sortir,
placement au quartier disciplinaire, etc.).
Il existe plusieurs types de fouilles : fouille par détection électronique, fouille par palpation et
fouilles corporelles intégrales (mise à nu avec ou sans inspection anale). A noter que des fouilles
corporelles internes peuvent également être effectuées : depuis la loi pénitentiaire du 24 novembre
2009, seuls des médecins peuvent la pratiquer sur décision de l'autorité judiciaire. Enfin des fouilles
de cellule, qui s'apparentent à de véritables mesures de perquisition, peuvent être mises en oeuvre,
hors la présence des personnes détenues.
Le présent document traite exclusivement de la pratique des fouilles corporelles intégrales.
I. La fouille corporelle intégrale : une pratique dégradante
Mesure de sécurité visant la prévention des infractions et la sécurité des établissements, la fouille
est une mesure intrusive susceptible de porter gravement atteinte à l'intégrité physique et morale des
personnes fouillées, notamment lorsqu'il s'agit de fouilles corporelles intégrales.
Les fouilles corporelles intégrales impliquent en effet la mise à nu autoritaire des personnes
détenues, souvent devant plusieurs surveillants pénitentiaires, dans des locaux ne garantissant pas
toujours la confidentialité. Elles impliquent l'adoption de positions embarrassantes pour rendre
visible l'entre jambe et rendre possible une inspection visuelle anale. Le fait pour un détenu de
refuser cette mesure constitue une faute disciplinaire entraînant sanction. La force peut par ailleurs
être employée pour contraindre la personne détenue à s'y soumettre en cas de refus de sa part.
• Comme le démontrent divers témoignages de personnes détenues, humiliation, honte,
crainte, dépersonnalisation, exaspération, colère sont les sentiments qui accompagnent ceux
qui subissent des mesures de fouilles corporelles intégrales :
« J'ai connu la prison il y a longtemps en allant voir un copain qui était détenu. La première
fois que je l'ai vu, il était content de me voir. Mais le temps passe vite au parloir. Je lui dis : "ça
va bientôt se terminer." Et là il se met à pleurer. Un type qui avait 55 ans, il se met à pleurer
comme un enfant, y'a pas d'autres mots, à sangloter vraiment. Je lui dit : "mais enfin attends ne
te mets pas dans cet état là, R. vient te voir mercredi, moi samedi prochain tu n'es pas seul."
J'essayais de le réconforter. Il me dit : "mais ce n'est pas pour ça". Je lui dit : pourquoi alors?"
Il me dit : "il faut que tu saches que maintenant je vais être fouillé, et ça c'est terrible » (B.D.,
3
visiteur en maison d'arrêt).
« Je refuse de montrer mon sexe et mets ma main devant. Il me demande quand même de voir et
de lui donner le caleçon. Après avoir vu devant, je dois me tourner. Cela me détruit, j'en ai
vraiment ras le bol. Pour moi, ça reste interdit, je souhaiterai vraiment pouvoir porter plainte.
Ça reste une vraie obligation de faire de l’exhibitionnisme devant eux, voire même une
agression sexuelle » (personne détenue en centre de détention).
« En centrale, les types ont des relations sexuelles au parloir avec leurs femmes et ça se voit.
C'est ça aussi l'humiliation pour toi et le surveillant, même s'ils ont des gants, c'est humiliant.
Et puis même s'il ne se passe rien et que simplement sa présence t'excite, dix minutes avant la
fin du parloir tu fais en sorte d'éviter tout contact, même les mains, pour ne pas arriver à la
fouille en érection. On sait que ça ne répond pas à un souci sécuritaire, la fouille, c'est l'acte
qui te fait passer de la normalité, du statut d'être humain à celui de taulard. C'est de
l'humiliation, s'il devait n'y avoir qu'un mot ce serait humiliation » (personne détenue en
maison centrale).
« Enceinte, je reçois des visites aux parloirs et unités de vie familiale de mes proches très
régulièrement (toutes les semaines) et à chaque fois je suis soumise à une fouille à corps.
Durant celle-ci, je suis contrainte d'ôter en intégralité mes vêtements et sous-vêtements qui sont
palpés et fouillés par la surveillante. Ensuite, on me demande de me décoiffer (même si je n'ai
qu'une frange qui soit retenue par une pince miniature) et de secouer mes cheveux. Puis on me
demande de me retourner (nue, les fesses à l'air) afin que la surveillante puisse regarder
l'intégralité de mon dos, ainsi que la plante de mes pieds. La fouille à corps, telle que
précédemment décrite, est déjà une humiliation avérée, mais récemment il m'a été demandé en
plus, et à deux parloirs différents, de soulever ma poitrine. Je n'ai pas compris cette démarche
dans la mesure où ma corpulence n'a pas, à ce point, changé en un an. Qui plus est, je n'ai
jamais commis la moindre mauvaise action en détention, qui pourrait justifier une méfiance
particulière à mon égard. J'ai de plus en plus l'impression qu'on nous fait subit tout et n'importe
quoi, sous couvert de " sécurité " » (femme détenue en centre de détention).
« J'ai environ 1 parloir toutes les 3 semaines avec mes parents de 80 et 78 ans. A chaque fois,
au retour de parloir, je dois me déshabiller totalement en présence de surveillants, 3 ou 4 en
général car les fouilles à corps se pratiquent dans une pièce contenant 3 ou 4 parloirs ouverts.
Cette pratique de mise à nu est systématique. Je trouve cela humiliant et dégradant. Ce manque
d'intimité dans les boxes de fouille génère des plaisanteries sur la taille des organes génitaux et
la beauté de nos fondements respectifs. Je refuse de subir cette humiliation systématique
d'autant que je n'appartiens pas à la population à risque (...). Je considère cette pratique de
l'administration pénitentiaire comme une des nombreuses tentatives d'humiliation inutiles
instituées dans le centre de détention » (détenu dans un centre de détention).
« Je me souviens d'amies qui avaient droit à une fouille à nu en sortant de la prison pour aller
au palais de justice, puis une en sortant du palais et une quatrième en rentrant à la prison.
Alors qu'elles étaient menottées et encadrées par des équipes de flics. C'est kafkaïen. Si l'on
veut un tout sécuritaire qui ne laisse rien filtrer, c'est possible. Mais d'un autre côté à quoi ça
sert? La proportion d'évasion est infime alors que celle des gens qui pètent les plombs parce
qu'on est traités de manière indigne, c'est ça qui est dangereux. La logique elle-même n'est pas
justifiable » (femme détenue en maison d'arrêt sous le régime de la détention provisoire)
• Certains personnels de surveillance dénoncent eux aussi le caractère à la fois dégradant et
souvent inutile des fouilles corporelles intégrales :
« Dire à un être humain déshabille-toi, enlève ton slip, retourne-toi, baisse-toi, je trouve ça
dégradant. En plus c'est antinomique, parce qu'on nous demande de faire de la réinsertion! Il y
a des gars qui se confiaient à moi, qui voulaient s'en sortir et à un moment donné, je leur disais
de se déshabiller pour les fouiller. J'ai toujours exécré la fouille. En plus, je trouvais ça
parfaitement ridicule parce que je n'ai jamais rien trouvé. Pour moi le produit de la fouille a
4
toujours été nul, pour la plupart des collègues aussi. Si, une fois à Poissy, un gars qui rentrait
de permission avec un rasoir électrique caché dans son slip. Voilà tout ce que j'a trouvé, c'est
pas terrible, hein ? » (V.M. surveillant pénitentiaire pendant 25 ans)
• Le caractère humiliant et dégradant des fouilles corporelles intégrales est en outre un
constat très largement partagé et reconnu.
La Cour européenne des droits de l'homme :
« S’agissant spécifiquement de la fouille corporelle des détenus, la Cour n’a aucune
difficulté à concevoir qu’un individu qui se trouve obligé de se soumettre à un traitement
de cette nature se sente de ce seul fait atteint dans son intimité et sa dignité, tout
particulièrement lorsque cela implique qu’il se dévêtisse devant autrui, et plus encore
lorsqu’il lui faut adopter des postures embarrassantes » (Frérot contre France, 12 juin
2007, § 47 ; Khider contre France, no 39364/05, 9 juillet 2009, § 127 ; El Shennawy contre
France, 21 janvier 2011, §37 ; Guidi contre Italie du 27 mars 2008, §35)
Le Comité de prévention de la torture du Conseil de l'Europe (CPT) :
« (...) une fréquence élevée de fouilles à corps - avec mise à nu systématique - d’un détenu
comporte un risque élevé de traitement dégradant » (rapport du 10 décembre 2007, relatif à
la visite en France du 27 septembre au 9 octobre 2006).
La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) :
Dans son étude intitulée Les droits de l'Homme dans la prison du 11 mars 2004, la Commission
nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) appelait alors à un changement radical de
l'attitude de l'administration à l'égard des fouilles, constatant que « les modalités d’accomplissement
de la fouille intégrale suscitent un sentiment d’humiliation chez les personnes qui en font l’objet.
Elles provoquent également un malaise important chez les agents chargés de la pratiquer », tout en
relevant que « si la pratique de la fouille intégrale est fortement inscrite dans les habitudes de
l’administration pénitentiaire, il n’est pas certain qu’elle présente une efficacité réelle en termes de
sécurité ». Dans un avis en date du 6 novembre 2008 sur le projet de loi pénitentiaire, la CNCDH
"préconis[ait] l'interdiction de la fouille intégrale de la personne détenue et réaffirme la nécessité
d’atteindre le même niveau de sécurité en recourant à des moyens de détection modernes
garantissant le respect de la dignité de la personne et de son intégrité physique et psychique".
Les débats parlementaires de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 :
Lors des débats sénatoriaux en mars 2009 sur le projet de loi pénitentiaire, un consensus s'est fait
jour sur le caractère dégradant des fouilles corporelles intégrales, reconnu et admis par l'ensemble
des sénateurs, tout groupe politique confondu (cf. Compte-rendu des débats au Sénat et à
l'Assemblée Nationale).
• M. Jean-René Lecerf, rapporteur du projet de loi pénitentiaire, sénateur du groupe de l'Union
pour un Mouvement Populaire (UMP), a admis la souffrance des détenus comme des
surveillants à l'occasion de la mise en œuvre des fouilles corporelles intégrales, pariant sur
l'avenir et le progrès technique devant conduire à la réduction des cas de fouilles intégrales.
• Monsieur Hugues Portelli, sénateur du groupe UMP, qualifiait ces fouilles de “pratique
dégradante et humiliante pour le détenu”.
• Monsieur Jean-Pierre Sueur, sénateur du groupe socialiste parlait d’“actes humiliants et
dégradants pour les détenus et difficiles à vivre pour le personnel de surveillance”.
• Madame Eliane Assassi, sénatrice du groupe Communiste, Républicain et Citoyen,
5
expliquait que “les fouilles, en particulier les fouilles intégrales et les investigations
corporelles internes7 constituent l’une des atteintes les plus graves au respect de l’intégrité
physique et de l’intimité. Humiliantes et dégradantes, elles portent atteintes à la dignité des
personnes concernées”.
• Madame Alima Boumediene-Thiery, sénatrice écologiste rattachée au groupe Socialiste,
considérait que “les fouilles intégrales sont par nature dégradantes”.
• Monsieur Alain Anziani, sénateur PS, affirmait que “les fouilles sont véritablement une
atteinte à la dignité humaine”.
• Monsieur Robert Badinter, sénateur PS, exprimait son indignation, précisant qu’”être mis à
nu devant un autre, c’est la première étape de la dégradation du sujet. Les régimes
totalitaires le savent bien, et de multiples témoignages nous sont parvenus de périodes
tragiques et de lieux concentrationnaires. D’abord, mise à nu, ensuite on voit...”.
• Madame Raymonde Le Texier, sénatrice du groupe PS, décrivait parfaitement l’étendue des
souffrances que fait naître la soumission à de telles fouilles : “supposées non intrusives, [les
fouilles corporelles] n’en réduisent pas moins celui qui en est victime à se dénuder
entièrement, obligé de prendre des positions dégradantes afin que rien n’échappe au
toucher ou au regard de celui qui effectue la fouille. De plus, systématiquement réalisées
au moment des parloirs, elles sont d’autant plus humiliantes et difficiles à vivre qu’elles
succèdent aux rares moments un peu chaleureux que connaît le prisonnier durant sa
détention. Alors que ce temps de répit peut lui permettre de garder espoir, de sentir
l’affection et le soutien de ses proches et de se projeter dans un avenir meilleur, ce lien avec
l’extérieur, porteur d’une possible réinsertion, est entaché par la pratique des fouilles. La
redescente est brutale quand succèdent aux retrouvailles avec les siens la honte de la mise
à nue et la dégradation de l’estime de soi qui en résulte ”.
• De leur côté, les députés ont également reconnu l'atteinte à la dignité que constituent les
fouilles corporelles intégrales8, approuvant les modifications apportées par le Sénat en vue d'
encadrer strictement leur pratique.
Précisons enfin que lors de sa convention justice de juin 2006, l'UMP avait déjà affirmé le
caractère dégradant des fouilles corporelles intégrales, considérant que « les atteintes qu’elles
constituent à la dignité des détenus, et d’une certaine manière à celle des surveillants, sont
disproportionnées par rapport à l’objet qu’elles poursuivent et aux résultats qu’elles obtiennent
(nombreux trafics en prison) », le parti avait conclu qu’il était « urgent d’adopter des pratiques
plus encadrées et plus conformes à la dignité, comme l’ont fait de nombreux pays
occidentaux ».
7
8
Lors de leur audition par le rapporteur Jean-René Lecerf, les représentants du collège de soignants intervenant en prison se sont
éléves contre les fouilles corporelles internes jugé particulièrement attentatoire à la dignité humaine et incompatible avec la
déontologie médicale (Rapport Lecerf, n°143, 17 décembre 2008).
Rapport du 8 septembre 2009 de Jean-Paul Garraud sur le projet de loi pénitentiaire, au nom de la Commission des lois de
l’Assemblée Nationale. http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r1899.asp
6
II. La France condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour sa
pratique des fouilles corporelles intégrales sur des détenus
La France a été condamnée ces dernières années à trois reprises par la Cour européenne des droits
de l'homme pour le régime de fouilles imposé à des personnes détenues en violation de l'article 3 de
la Convention européenne des droits de l'homme qui stipule que "Nul ne peut être soumis à la
torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants" (20 janv. 2011, El Shenawy c.
France, n°51246/08 ; 9 juill. 2009, Khider c. France, no 39364/05 ; 12 juin 2007, Frérot c. France,
n°70204/01).
Si la Cour européenne admet la possibilité de recourir à des fouilles corporelles même intégrales,
c'est seulement à la double condition que ces fouilles soient strictement nécessaires à la
préservation de la sécurité et de l'ordre public d'une part, et qu'elles soient menées selon des
« modalités adéquates » d'autre part (voir par ex. El Shennawy, § 38 ; Khider c. France, § 127).
• Sur la nécessité des fouilles sur le plan de la sécurité :
Même isolée, une fouille corporelle intégrale peut constituer un traitement dégradant si elle n'est pas
justifiée par un réel impératif de sécurité (Cour EDH, Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 117 ;
Iwańczuk c. Pologne, no 25196/94, § 59 ; 15 nov. 2001 ; Khider c. France, no 39364/05, § 127).
« (...) compte tenu de la personnalité du requérant, de son comportement pacifique au cours
de toute sa détention, du fait qu’il n’était pas inculpé d’un crime violent et qu’il n’avait pas
d’antécédents judiciaires, l’existence de raisons de craindre qu’il se livrât à des actes de
violence n’a pas été démontrée. Eu égard à la personnalité de l’intéressé et à l’ensemble
des faits de la cause, il n’y a aucun motif de conclure que, pour des raisons de sécurité, il
fallait et il se justifiait que le requérant se dénudât complètement devant les gardiens »
(Iwańczuk, précit. - communiqué de la Cour européenne).
La Cour européenne a par ailleurs très clairement condamné tout recours systématique à des
fouilles corporelles intégrales, cette systématicité ne répondant généralement pas au principe
de nécessité selon lequel chaque mesure de fouille doit être commandée par un impératif de
sécurité.
« Des fouilles intégrales systématiques, non justifiées et non dictées par des impératifs de
sécurité, peuvent créer chez les détenus le sentiment d'être victimes de mesures
arbitraires. Le sentiment d'arbitraire, celui d'infériorité et l'angoisse qui y sont souvent
associés, et celui d'une profonde atteinte à la dignité que provoque l'obligation de se
déshabiller devant autrui et de se soumettre à une inspection anale visuelle, peuvent
caractériser un degré d'humiliation dépassant celui, tolérable parce qu'inéluctable, que
comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus » (Frérot contre France, 12 juin
2007, § 47 ; Khider contre France, no 39364/05, 9 juillet 2009, § 127 ; El Shennawy contre
France, 21 janvier 2011, §37).
Dans l'affaire Frérot contre France, la Cour européenne a ainsi condamné le caractère routinier, et
par conséquent non justifié, du régime de fouilles intégrales imposé au détenu :
« le Gouvernement ne prétend pas que, dans les circonstances particulières dans lesquelles
elle s'inscrivait, chacune de ces mesures reposait sur des soupçons concrets et sérieux (...) il
ressort en fait des écrits non contestés de ce dernier que, dans cet établissement, soumis à la
fouille après chaque parloir, les détenus se voyaient systématiquement ordonner de « se
7
pencher et tousser ». Autrement dit, il y avait dans cet établissement une présomption que
tout détenu revenant du parloir dissimulait de tels objets ou substances dans les parties les
plus intimes de son corps ». La Cour poursuit et conclut en relevant que le régime de fouille
appliqué à M. FREROT ne reposait pas sur un « impératif convaincant de sécurité » et que
l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme a donc été méconnu (§ 47).
Dans l'affaire Van der Ven c. Pays-Bas (no 50901/99, CEDH 2003-II, §§ 58 et suiv.), la Cour a jugé
dans le même sens que la pratique de la fouille intégrale s'analysait en une violation de l'article 3 de
la Convention dès lors qu'elle avait lieu chaque semaine, de manière systématique, et sans
justification précise tenant au comportement du détenu.
La position de la Cour européenne sur les fouilles corporelles intégrales fait d'ailleurs ainsi écho à
celle du Comité de prévention de la torture du Conseil de l'Europe (CPT) qui a souligné en 2007 «
qu’une fréquence élevée de fouilles à corps - avec mise à nu systématique - d’un détenu comporte
un risque élevé de traitement dégradant »9.
• Sur les modalités de réalisation des fouilles :
La Cour européenne a affirmé qu' « en sus d'être "nécessaires" pour [la sécurité], les fouilles
corporelles intégrales doivent être menées selon des "modalités adéquates", de manière à ce que le
degré de souffrance ou d'humiliation subi par les détenus ne dépasse pas celui que comporte
inévitablement cette forme de traitement légitime. A défaut, elles enfreignent l'article 3 de la
Convention. Il va en outre de soi que plus importante est l’intrusion dans l’intimité du détenu
fouillé à corps (notamment lorsque ces modalités incluent l’obligation de se dévêtir devant
autrui, et de surcroît lorsque l’intéressé doit prendre des postures embarrassantes), plus grande
est la vigilance qui s’impose » (Frérot c/ France, § 38 ; El Shennawy c/ France, § 38).
Même si elles sont justifiées pour des raisons de sécurité, les fouilles doivent donc dans tous les cas
être exercées selon des « modalités adéquates ».
Ont ainsi par exemple été jugées contraires à l'article 3 de la CEDH les fouilles réalisées dans les
conditions suivantes : personne mise à nue, contrainte de se pencher et de tousser avec fouilles
menées par plusieurs personnes cagoulés qui filmaient (El Shennawy c/ France, § 39) ; Fouille
corporelle d'un homme avec touché des parties génitales en présence d'un fonctionnaire femme
(Valašinas, précit.) ; Fouilles conduites par des hommes cagoulés (Ciupercescu, précit, § 122) ;
inspections buccales et inspections anales avec parfois obligation de se pencher et de tousser
(Frérot c/ France) ; une fouille à nu isolée (sans inspection anale) devant plusieurs gardiens
accompagnée d'insultes et moqueries de de la part de ces derniers (Iwańczuk, précit.)
Les principes de nécessité et de proportionnalité posés par la Cour européenne ont très
largement inspiré la jurisprudence du Conseil d'État qui dans un arrêt El Shennawy et
Section française de l'OIP du 14 novembre 2008 (n°315622) a estimé que « si les nécessités de
l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l’application à un
détenu d’un régime de fouilles corporelles intégrales répétées, c’est à la double condition, d’une
part, que le recours à ces fouilles intégrales soit justifié, notamment, par l’existence de suspicions
fondées sur le comportement du détenu, ses agissements antérieurs ou les circonstances de ses
contacts avec des tiers et, d’autre part, qu’elles se déroulent dans des conditions et selon des
modalités strictement et exclusivement adaptées à ces nécessités et ces contraintes ; qu’il
appartient ainsi à l’administration de justifier de la nécessité de ces opérations de fouille et de la
proportionnalité des modalités retenues ».
9
Rapport du 10 décembre 2007, relatif à la visite en France du 27 septembre au 9 octobre 2006
8
III. L'encadrement théorique de la pratique des fouilles corporelles intégrales par la
loi pénitentiaire du 24 novembre 2009
1) L'état du droit antérieur à la loi du 24 novembre 2009
Jusqu'à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, aucune disposition législative ou règlementaire
n'avait autorisé les fouilles corporelles intégrales et leur pratique n'avaient donc aucun fondement ni
encadrement légal. De telles fouilles n'étaient en effet prévues que par une circulaire du 14 mars
1986, à laquelle était annexée une fiche technique décrivant les modalités pratiques de leur
réalisation :
" [...] B) La fouille intégrale
L'agent, après avoir fait éloigner le détenu de ses effets, procède à sa fouille corporelle selon l'ordre
suivant.
Il examine les cheveux de l'intéressé, ses oreilles et éventuellement l'appareil auditif, puis sa bouche
en le faisant tousser mais également en lui demandant de lever sa langue et d'enlever, si nécessaire, la
prothèse dentaire.
Il effectue ensuite le contrôle des aisselles en faisant lever et baisser les bras avant d'inspecter les
mains en lui demandant d'écarter les doigts.
L'entrejambe d'un individu pouvant permettre de dissimuler divers objets, il importe que l'agent lui
fasse écarter les jambes pour procéder au contrôle.
Dans les cas précis des recherches d'objet ou de substance prohibés, il pourra être fait obligation au
détenu de se pencher et de tousser. Il peut également être fait appel au médecin qui appréciera s'il
convient de soumettre l'intéressé à une radiographie ou un examen médical afin de localiser
d'éventuels corps étrangers.
Il est procédé ensuite à l'examen des pieds du détenu et notamment de la voûte plantaire et des orteils.
Tout en rendant ses vêtements au détenu dans l'ordre inverse duquel il les a enlevés l'agent procède à
leur contrôle en s'attachant à vérifier notamment les coutures, ourlets, doublures et plus
particulièrement les chaussures et s'assurant que celles-ci ne comportent pas de caches dissimulées.
[...]".
La circulaire prévoyait alors la possibilité de recourir à ce type de fouilles de façon systématique
dans certaines hypothèses : à l'entrée dans l'établissement, lors des levées d'écrou quel qu'en soit le
motif (transfèrement, extradition, élargissement, extractions médicale ou judiciaire, permission de
sortir...), avant tout placement en cellule de punition ou d'isolement ainsi qu’à l'encontre des détenus
qui ont bénéficié d’une visite « dès lors que l'entrevue s'est déroulée dans un parloir ne comportant
pas de dispositif de séparation ».
Le droit des fouilles corporelles intégrales, né de la seule volonté de l'Administration, était si peu
contraignant qu'il s'assimilait à un droit aux fouilles corporelles intégrales que revendique
aujourd'hui encore l'Administration...
2)
Les changements apportés par la loi du 24 novembre 2009
• Sous la pression des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 57 de la
loi du 24 novembre a procédé à un encadrement du recours aux fouilles en disposant :
« Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les
risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des
personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement.
9
Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la
personnalité des personnes détenues.
Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou
l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes.
Les investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement
motivé. Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin n'exerçant pas au
sein de l'établissement pénitentiaire et requis à cet effet par l'autorité judiciaire ».
Sans remettre en cause le principe même des fouilles à nu, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009
est donc venue en limiter l'usage en posant trois principes impératifs et cumulatifs :
− un principe de nécessité au terme duquel les fouilles, qu'elles soient par palpations ou
intégrales, ne peuvent être effectuées que si elles sont justifiées par « la présomption d'une
infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la
sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement »
− un principe de proportionnalité qui impose que la nature et la fréquence des fouilles soient
« strictement adaptées [aux] nécessités [de la sécurité] et à la personnalité des personnes
détenues ».
− un principe de subsidiarité qui implique que les fouilles à nu « ne sont possibles que si les
fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont
insuffisantes ». Dans le prolongement de ce principe de subsidiarité, les débats
parlementaires montrent que l'objectif au moins affiché était de tendre vers une
disparition des fouilles intégrales grâce au recours à des moyens de détection moderne.
M. Jean-René Lecerf et Jean-Paul Garraud, rapporteurs du projet de loi au Parlement, ont en
effet respectivement affirmé que « les cas de fouille intégrale [devaient] se réduire avec le
progrès technique » et, qu'à terme, les équipements de détection « permettront certainement
la suppression des fouilles intégrales ». Le Secrétaire d'État Jean-Marie Bockel avait quant à
lui précisé en ce sens que des expérimentations étaient menées sur « des dispositifs
électroniques de détection permettant que les détenus n’aient pas à se déshabiller, en nous
inspirant d’expériences étrangères ».
Au regard de ces principes, la décision de recourir à une mesure de fouille doit donc être
individualisée, c'est-à-dire prise en considération de la personne à qui elle doit être appliquée. Cela
vaut tant pour la décision même de recourir à une mesure de fouille, qui ne peut être justifiée qu'au
regard du « comportement » de la personne concernée, que pour la définition des modalités et de la
fréquence de ces fouilles qui doivent être « strictement adaptées (...) à la personnalité des
personnes détenues ».
Ce faisant, le législateur a clairement entendu donner aux fouilles corporelles intégrales un
caractère exceptionnel et mettre ainsi un terme à la pratique des fouilles systématiques et
généralisées à l'ensemble des personnes détenues ayant par exemple pour seul point commun de se
trouver dans une situation donnée (détenus ayant eu accès aux parloirs, aux ateliers, etc...), et ce a
fortiori lorsque ces fouilles sont intégrales.
Tel est ce qui ressort d'ailleurs des propos du député Jean-Paul GARRAUD, du groupe UMP et
rapporteur du projet de loi pénitentiaire, dénonçant l'insuffisance manifeste du cadre juridique des
fouilles, l'arbitraire accru de la pratique administrative en matière de fouilles très disparate selon les
établissements, et le caractère intrinsèquement humiliant des fouilles corporelles intégrales. Il
rappelait ainsi qu' « en 2001 déjà, la commission d’enquête du Sénat avait dénoncé le caractère
trop systématique des fouilles, les qualifiant d’« automatisme pénitentiaire » conduisant à
effectuer des fouilles selon les mêmes fréquences et les mêmes modalités « quel que soit le degré de
10
dangerosité de la personne » et « même lorsqu’un détenu est récupéré auprès de la gendarmerie,
ou est transféré vers un centre de semi-liberté ».
Tel est également ce qui ressort de la réponse du gouvernement français répondait au Comité contre
la torture des Nations Unies (CAT), le 19 février 2010 que la loi pénitentiaire « traduit une
évolution du régime des fouilles, reconnaissant ainsi la portée des arrêt de la Cour européenne des
droits de l'homme, en consacrant le principe de stricte nécessité (présomption d'une infraction,
nature et fréquence strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes
détenues), le recours exceptionnel aux fouilles intégrales et l'interdiction des fouilles à corps ».
Le 27 avril 2010, Monsieur Jean-Baptiste MATTEI, représentant permanent de la France auprès de
l’Office des Nations Unies à Genève, confirmait au Comité contre la torture des Nations Unies que
« le recours aux fouilles intégrales est aussi mieux encadré par cette loi. En application de la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg, leur caractère systématique est désormais proscrit et
elles n’ont lieu qu’en cas de nécessité suggérées par des indices sérieux ».
Plus récemment encore, le Ministre de la Justice affirmait que le recours aux fouilles corporelles
intégrales doit rester exceptionnel dès lors que « les principes de nécessité et de proportionnalité
doivent encadrer chaque opération de fouille d'une personne détenue »10
• Les modalités de réalisation des fouilles corporelles intégrales ont par ailleurs été
reprécisées par une circulaire récente du 14 avril 2011. Si les détenus ne sont plus contraints
de se pencher et de tousser, les modalités de fouilles restent extrêmement dégradantes en
prévoyant notamment d'imposer à la personne fouillée à nu d'écarter les jambes.
« La fouille intégrale proscrit tout contact physique entre la personne détenue et l’agent.
Ainsi, la fouille intégrale implique que la personne détenue se déshabille seule. L’agent demande à la
personne détenue de se dévêtir et de déposer ses effets vestimentaires sur un support prévu à cet effet afin
d’éviter que les affaires se retrouvent à même le sol.
Les personnels devront veiller à porter des gants pour des motifs d’hygiène.
L’agent, après avoir fait éloigner la personne détenue de ses effets vestimentaires, procède à la fouille
intégrale selon l’ordre suivant.
Il demande à la personne détenue de passer la main dans ses cheveux et de dégager ses oreilles afin de
vérifier que rien n’y est dissimulé. Le cas échéant, il demande à la personne détenue de retirer son appareil
auditif.
Compte tenu du profil de la personne détenue ou de la situation, il peut lui demander d’ouvrir la bouche et de
lever la langue ainsi que d’enlever, si nécessaire, la prothèse dentaire (par ex : lorsqu’une une personne
détenue a l’habitude de cacher des lames de rasoir dans sa bouche ou encore lorsque la personne vient de
mettre quelque chose dans sa bouche).
Il effectue ensuite le contrôle des aisselles en faisant lever et baisser les bras avant d’inspecter les mains et
lui demandant d’écarter les doigts. L’entre jambe d’un individu pouvant permettre de dissimuler divers
objets, il importe que l’agent lui fasse écarter les jambes pour procéder au contrôle.
Il est procède ensuite à l’examen des pieds de la personne détenue notamment de la voie plantaire et des
orteils.
Tout en rendant ses effets vestimentaires dans l’ordre inverse duquel ils ont été enlevés, l’agent procède à
leur contrôle en s’attachant à vérifier notamment les coutures, ourlets, doublures et plus particulièrement les
chaussures en s’assurant que celles-ci ne comportent pas de caches dissimulés ».
En outre, il est fréquent que dans les établissement pénitentiaires, les locaux dans lesquels sont
effectués les fouilles ne soient pas fermés et qu'ils ne garantissent donc pas la confidentialité du
contrôle.
10
Réponse du Ministre de la Justice et des Libertés, publiée au JO le 30 août 2011, p.9418, à une question n°100330 de Mme
Danielle Bousquet, publiée au JO le 15 février 2011, p.1428.
11
IV. La persistance de pratiques massives de fouilles corporelles intégrales illégales
• Malgré l'adoption de la loi pénitentiaire, le Comité contre la torture des Nations Unies
(CAT)11 a une fois encore récemment exprimé ses inquiétudes sur la pratique par
l'administration française des fouilles corporelles intégrales dont il espère par ailleurs la
suppression prochaine grâce à l'utilisation de moyens électroniques de détection,
conformément aux annonces gouvernementales faites en ce sens :
« Tout en prenant acte des informations soumises par l'État partie, selon lesquelles le
régime actuel des fouilles, tel que régi par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009
est plus restrictif que celui qui prévalait auparavant, et à la lumière de deux
condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme (affaires Khider c.
France et Frérot c. France), le Comité demeure préoccupé par la nature intrusive et
humiliante des fouilles corporelles, a fortiori internes. Le Comité est en outre
soucieux que le régime relatif à la fréquence et aux modalités des fouilles dans les
prisons et les centres de rétention émane de l'administration pénitentiaire. Par
ailleurs, le Comité est préoccupé du manque d’information relatif au suivi des
affaires Khider c. France et Frérot c. France, notamment l’absence d’indicateurs
susceptibles de permettre une évaluation possible du risque futur de violation de
l’article 16 par l’imposition de fouilles corporelles. (Article 16).
Le Comité recommande à l'État partie un strict contrôle de l'application du régime
des fouilles corporelles, a fortiori les fouilles intégrales et internes, en veillant à ce
que seules les méthodes les moins intrusives, et les plus respectueuses de l’intégrité
physique des personnes soient appliquées, et qui soient dans tous les cas conformes
à la Convention. Le Comité recommande en outre la mise en place de mesures de
détection par équipement électronique annoncée par l'État partie, ainsi que la
généralisation d’un tel mécanisme, de façon à supprimer totalement la pratique des
fouilles corporelles » (9 juin 2011).
Plus récemment encore, la sénatrice Mme Maryvonne Blondin interrogeait le Ministre de la Justice
« sur la pratique dégradante de la fouille au corps intégrale et systématique pratiquée, encore, par
certains établissements pénitentiaires »12.
• Force est en effet de constater que depuis l'adoption de la loi pénitentiaire, il n'y a pas eu de
politique volontariste en matière d'équipement des établissements pénitentiaires en matériel
de détection susceptibles de se substituer aux fouilles intégrales (détection par rayons X ou
scanners par exemple). Dans l’avis de la Commission des lois du Sénat sur le projet de loi de
Finances 2011, Jean-René Lecerf, qui fût également rapporteur de la même commission sur
la loi pénitentiaire, notait que « la mise en œuvre [des] dispositions [de la loi pénitentiaire
sur les fouilles corporelles] serait favorisée par le déploiement de matériels de détection
électroniques efficaces dont le coût est aujourd'hui évalué à 150.000 euros par
l'administration pénitentiaire », et soulignait qu’ « il est regrettable que le projet de loi de
finances pour 2011 ne prévoie aucun financement pour permettre une expérimentation
limitée de ce type d'équipement13».
• Parallèlement, et en contradiction avec les principes posés tant par la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l'homme que par la loi pénitentiaire, le maintien d'un
recours massif et quotidien aux fouilles à nu est constaté par l'OIP dans de nombreux
établissements pénitentiaires.
11
12
13
Comité contre la Torture des Nations-Unies, Observations finales sur la France, 20 mai 2010.
Question orale sans débat n° 1396S publiée dans le JO Sénat du 22/09/2011 - page 2411
Avis n° 116 (2010-2011) de M. Jean-René LECERF, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi de finances 2011
(volet justice-administration pénitentiaire), déposé le 17 novembre 2010
12
Est ici particulièrement révélatrice la persistance des fouilles intégrales effectuées de façon
systématique sur l'ensemble des personnes détenues ayant eu accès à certains secteurs de la
détention comme les parloirs.
En outre, dans nombre d'établissements, les règlements intérieurs antérieurs à la loi pénitentiaire et
prévoyant des fouilles intégrales systématiques à l'issue des parloirs n'ont jamais été abrogés
(maison d'arrêt de Nantes, centre de détention de Vivonne, centre pénitentiaire de Caen ou centre de
détention pour femmes de Rennes par exemple).
V. Une campagne contentieuse engagée par l'OIP
Depuis plusieurs années, l'OIP mène une action contentieuse contre la pratiques des fouilles
intégrales attentatoires à la dignité des personnes, que ce soit devant le juge interne ou devant la
Cour européenne des droits de l'homme en accompagnant les détenus qui y sont soumis (comme
dans les affaires El Shennawy et Khider par exemple).
Après le vote la loi pénitentiaire, l'OIP a ainsi fait condamner l'administration pénitentiaire par le
Conseil d'Etat pour la soumission d'une personne détenue à des fouilles intégrales quotidiennes :
« Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment des rapports et compte
rendus versés au dossier, que M.A., tout en cherchant depuis plusieurs années à être
incarcéré en quartier disciplinaire et à vivre sa détention dans le plus grand isolement
possible, a en permanence un comportement paisible et correct ; qu’il a été confirmé
à l’audience publique qu’il avait été rayé de la liste des détenus particulièrement
signalés ; que, dans ces conditions, le juge des référés de première instance a estimé à
bon droit que ni son comportement ni ses agissements ne faisaient apparaître
d’éléments justifiant qu’il soit soumis à un régime de fouilles corporelles intégrales
pratiquées quotidiennement à l’issue de sa promenade ; que l’application d’un tel
régime à M. A constitue ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté
fondamentale consacrée par les principes énoncés ci-dessus et dont l’article 9 de la
loi du 24 novembre 2009 rappelle les exigences » (CE, 20 mai 2010, n°339259).
Ces dernières semaines, et dans le contexte actuel précédemment décrit, l'OIP a réactivé sa
démarche contentieuse en déposant plusieurs recours contre la persistance de fouilles intégrales
systématiques pratiquées par l'administration pénitentiaire :
− au mois de juillet 2011, l'OIP saisissait ainsi en référé le Tribunal administratif de Lille pour
obtenir la suspension d'une note du Directeur du centre de détention de Bapaume (Pas De
Calais) qui prévoyait que "toute personne détenue ayant eu accès aux secteurs suivants fera
l'objet d'une mesure de fouille individuelle intégrale en application des articles R.57-7-79 et
suivants du CPP et en raison des incidents relevés sur ces secteurs : Ateliers / formations ;
Parloirs ; Vestiaires suite à un retour de permission de sortir ou dans le cadre d'une
extraction judiciaire ou médicale". Quelques jours avant l'audience, le Ministre de la Justice
informait le Tribunal de l'abrogation de cette note tout en défendant tout de même son bienfondé.
− au mois d'août 2011, l'OIP accompagnait un détenu du centre de détention de Salon-deProvence pour saisir le juge des référés afin d’obtenir la suspension de la décision de lui
imposer des fouilles corporelles intégrales systématiques après parloirs depuis le mois de
novembre 2010. Ce détenu, âgé de 61 ans, n'avait pourtant jamais causé aucun problème, ni
fait courrir aucun risque en 9 ans de détention. Il convient de préciser que ce régime de
fouilles est plus généralement appliqué à l'ensemble des détenus de l'établissement après
13
leur accès au parloirs comme l'a pleinement assumé l'administration pénitentiaire au cours
de la procédure.
Par ordonnance n°1105516 du 19 août 2011, le juge des référés du tribunal administratif de
Marseille a fait droit à la demande de suspension en relevant que « l'administration n'apportait
aucun élément permettant de justifier l'application à M.D. de mesures de fouilles corporelles
intégrales à l'issue des parloirs dont il bénéficie tous les quinze jours et se borne à se prévaloir de
la nécessité de maintenir le bon ordre et la sécurité des détenus et de leurs visiteurs au regard du
nombre d'incidents commis dans la zone des parloirs au centre de détention de Salon-de-Provence
et au nombre d'infractions à la réglementation sur les objets ou substances prohibés, commises
dans l'établissement ces derniers mois ; qu'en outre le type de fouilles corporelles intégrales
pratiquées sur le requérant impliquent un déshabillage complet, à l'exception des chaussettes, dans
un des trois box, non fermés aménagés à cet effet dans la zone des fouilles, certes elle-même close,
le détenu pouvant être soumis au regard des autres détenus subissant la fouille ; que dans ces
conditions, l'application d'un tel régime de fouilles à M.D., constitue une atteinte grave et
manifestement illégale à la liberté fondamentale de l'intéressé, consacrée par les principes
énoncés ci-dessus, de ne pas subir de traitement inhumain ou dégradants et dont la loi du 24
novembre 2009 rappelle les exigences ».
Saisi en cause d'appel par le ministre de la Justice, le Conseil d'État a infirmé l'ordonnance du juge
de Marseille au motif qu' « une fouille limitée aux occasions de contacts du détenu avec l'extérieur,
soit pour M.D., une fois par quinzaine, quand il est autorisé à rencontrer ses parents aux parloirs »
ne suffit pas établir l'urgence particulière exigée en matière de référé liberté. Mais il a en revanche
constaté l'illégalité des fouilles imposées au détenu en relevant que « la fouille corporelle
intégrale à laquelle M.D. est systématiquement soumis lors de chaque parloir, alors qu'il n'est pas
contesté qu'il a, en permanence, un comportement paisible et correct, et que la situation de
l'établissement pénitentiaire de Salon-de-Provence, si elle appelle des mesures de sécurité
renforcées depuis l'été 2011, ne justifie pas nécessairement pour tous les détenus sans distinction,
une fouille corporelle intégrale répétée à la sortie de chaque parloir autorisé, impose à l'intéressé
une contrainte grave et durable susceptible d'excéder illégalement celle qui est nécessaire pour
l'application de l'article 57 de la loi du 24 novembre 2009 » (ordonnance du 9 septembre 2011,
n°352372).
Quelques jours plus tard, M.D. engageait devant le Tribunal administratif de Marseille une autre
procédure de référé (référé suspension), moins restrictive en matière de preuve de l'urgence que le
référé liberté. Par ordonnance du 16 septembre 2011, le Tribunal prononçait à nouveau dans ce
cadre la suspension du régime de fouille appliqué à M.D. en relevant sa contrariété avec l'article 3
de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 57 de la loi pénitentiaire.
− Le 23 septembre 2011, dans une affaire de fouilles intégrales systématiques appliquées à une
personne détenue après parloirs au centre de détention d'Oermingen (affaire
conjointement suivie par l'OIP et les avocats du détenu), le Tribunal administratif de
Strasbourg a constaté à son tour l'illégalité de ce régime de fouilles dans des termes
identiques à ceux employés par le Conseil d'État dans la décision précitée :
« Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X. est systématiquement soumis
lors de chaque parloir à une fouille corporelle intégrale, alors qu'il n'est pas
contesté que son comportement en détention ne pose aucun problème particulier ;
que si la situation de l'établissement pénitentiaire d'Oermingen appelle des mesures
de sécurité renforcées, elle ne justifie pas nécessairement, contrairement à ce que
soutient l'administration, pour tous les détenus sans distinction, une fouille
corporelle intégrale répétée à la sortie de chaque parloir autorisé ; que
14
l'administration impose ainsi à l'intéressé une contrainte grave et durable
susceptible d'excéder illégalement ce qui est nécessaire pour l'application de l'article
57 de la loi du 24 novembre 2009 ».
Dans toutes ces affaires, le Ministre de la justice a produit des mémoires dans lesquels étaient
défendus et justifiés les régimes de fouilles corporelles intégrales attaqués, témoignant d'une
résistance manifeste au respect des principes directeurs de la jurisprudence tant française
qu'européenne et de l'article 57 de la loi pénitentiaire.
Dans ce contexte, l'OIP a décidé d'intensifier les recours au juge en demandant la suspension
de ces régimes de fouilles intégrales dans tous les établissements où il sera avéré qu'ils sont
pratiqués systématiquement et en demandant l'annulation des règlements intérieurs les
prévoyant.
Intrinsèquement humiliante, aux effets dévastateurs, la fouille corporelle intégrale devait
rester très exceptionnelle, en attendant d'être purement et simplement supprimée.
Document communicables par l'OIP pour information :
− décisions de justice citées
− mémoires en défense produits par le Ministre de la Justice dans les procédures initiées
récemment par l'OIP
− règlements intérieurs des établissements cités
15

Documents pareils