De l`île des larmes à l`île de tous les possibles… - Charleroi

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De l`île des larmes à l`île de tous les possibles… - Charleroi
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De l’île des larmes à l’île de tous les possibles…
Voyage dans le temps et l’espace. Voyage dans l’histoire personnelle de trois danseurs dont la vie, un jour, a basculé. Voyage dans la
continuité des espoirs qui prennent d’autres formes mais ne disparaissent pas.
Carmen Blanco Principal, chorégraphe et plasticienne, met en lien les deux formes d’expression qui l’animent. D’abord, une exposition dans laquelle le
public peut circuler librement: L’isola delle lacrime . Ensuite, un «reportage poético-biographique» autour de trois danseurs: Hurt(ing). Une performance
à double forme, dans le hangar du Palais des Beaux-Arts, où le public parcourt l’espace autant que les danseurs.
L’isola delle lacrime
Le temps d’une installation plastique et sonore, douze objets sont capturés dans des blocs de glace et voués à la chute. L’enveloppe qui les fige fond,
goutte après goutte. L’île des larmes … Pérennité factice. Parce que rien ne dure jamais. Parce que les accidents sont de l’ordre du possible. Parce
que le temps passe et que les choses changent. Et si tout n’était que trace? Baskets, survêt, sac à main féminin, grille-pain, radio, gants, chaussons
de danse, chaussures à talons hauts, boules de Noël, sac plastique, bouquet de fleurs séchées, chemise, violon… Tous immobiles et emprisonnés
dans l’espoir vain de la conservation. Un jour, les choses tombent, se cassent et les larmes viennent. Mais ces larmes, ce sont peut-être des fenêtres
ouvertes vers quelque chose d’autre…
Hurt(ing)
Le temps d’une performance, trois danseurs racontent, au travers de leurs mouvements, comment leur vie a changé suite à un accident, comment ils
sont parvenus à maintenir leurs rêves en éveil. Hurt(ing) et le temps passe, les corps évoluent. Une performance en quatre volets.
Le premier présente des danseurs s’échauffer en survêtements. Assouplissement des corps sur le parquet. S’échauffer… c’est entrer
progressivement dans le mouvement. S’échauffer… c’est déjà presque danser.
Les trois autres parties de Hurt(ing), elles, mettent en lumière un danseur en particulier, qui chacun nous conte à sa façon son histoire personnelle,
sans apitoiement.
D’abord, il y a Antonio Montanier. Un danseur en souffrance de trop de mouvements. D’emblée, il se présente et fait bouger chacune de ses
articulations. Il entre en danse comme on entre en vie, en envie. Ses mouvements rappellent le balancier de l’horloge d’où s’écoulent les minutes qui
nous éloignent inexorablement du présent. Son corps a soif d’impulsions. «Comment danser avec un corps meurtri? J’aimerais pouvoir danser sans
souffrir.» Appuyer, rouler, ne jamais s’arrêter malgré la douleur. «J’ai peur de ne plus bouger. D’être sans vie. Sans espoir. Immobile.»
Vient ensuite Ulysse Vauthier, plasticien de son espace à danser. Danseur-acrobate, Ulysse Vauthier, remarqué dans la Biennale précédente
dans Clash (de Carmen Blanco Principal également), fait couler de la peinture au sol, dessine les vertèbres d'une épine dorsale. Il se couche au sol,
entre en contact avec cette peinture, pour mieux y laisser ses traces. Une musique l’entraîne dans ses enchaînements. Et son corps, recouvert de
peinture, devient œuvre d’art.
Le troisième rendez-vous est donné par Ayin de Sela, fildefériste devenue funambule. Un jour, elle perd l’équilibre mais depuis, continue de marcher
sur le fil. Autrement. Elle reproduit les mêmes mouvements mais au sol, loin du vertige. Fragilité. Les talons. Les chaussons. L’échelle. Et encore le
rêve. Elle présente, sur écran, ce qu’était sa vie sur les fils, avant l’accident. «Le salut, c’est le moment de reconnaissance d’une fildefériste. Quand
on se blesse, on ne peut plus utiliser sa technique pour justifier sa présence. Soit on arrête, soit on essaie de trouver une autre façon...»
L’isola delle lacrime ET Hurt(ing)
L’installation et la performance, finalement, deviennent complémentaires. Car tous les objets de l’exposition constituent une histoire dans l’histoire des
interprètes.
L’émotion prend à la gorge. On ne peut pas rester insensible, on ne peut que rester sans voix. Les danseurs touchent le public, par leur fragilité mêlée
de force. Ils ont vus leurs rêves se briser un jour, ils s’en fabriquent d’autres sur les cendres des premiers. Ils continuent de danser parce que danser,
c’est leur vie… Carmen Blanco Principal préfère le ressenti à une narration par trop articulée. Et le public aime… cette démarche qui suscite l’émotion
loin du pathos. Et si l’on changeait notre regard sur les choses quand on se pense perdu? Et si l’on croyait en la providence des accidents de parcours
qui nous apprennent de nous? …
L'aiguille déchire un trou,
la vieille piqûre familière.
J'essaie de la faire disparaître,
mais je me souviens de tout.
(…)
Plein de rêves brisés
que je ne peux réparer.
Sous les tâches du temps,
les sentiments s'évanouissent.
Tu es quelqu'un d'autre,
je suis toujours bien ici.
Extraits de I hurt myself today / Johnny Cash: http://www.youtube.com/watch?v=SmVAWKfJ4Go
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Ludivine Joinnot