les textes entre deux lieux ici et là bas

Transcription

les textes entre deux lieux ici et là bas
LYON – DIEPPE
Laura,
Ça y est! Me voilà partie!
Je ne suis pas dans un TGV, mais dans l'un de ces vieux trains où l'on trouve encore des
wagons à compartiments: (imagine un tableau de Hopper, mais je ne suis pas seule dans
le wagon, je ne suis pas en jupe, je ne suis pas plongée dans un livre et je n'ai pas de
chapeau sur la tête!)
J'ai pour compagnons de voyage un Monsieur d'âge mûr (bien mûr), un brin suranné et
une femme un peu plus jeune que moi (encore que... les apparences sont parfois
trompeuses...).
Mais c'est bien ma veine: je suis tombée sur deux bavards, moi qui voulait d'abord goûter
ce départ en savourant mes premières heures de solitude...
Peut-être aurai-je dû prendre ma bicyclette plutôt que le train, une chanson de Montand au
bord des lèvres: la liberté se mérite.
Je me suis montrée d'abord rétive à la discussion qui s'engageait (tu sais comme je peux
être revêche...)
Cependant, la femme qui grignote en ce moment même mon espace vital attire la
sympathie: franche, ouverte, apparemment cinéphile, elle nous a proposé de la suivre à
Dieppe où a lieu un festival de cinéma en plein air.
La proposition est d'autant plus alléchante, qu’elle s'accompagne d'une promesse de
festin: les meilleurs maquereaux en gratin avec des pommes de terre !
Tu sais où me mène ma gourmandise : elle va me perdre, c'est sûr!
Mais n'est-ce pas un peu ce que je cherche ? Me perdre, pour mieux me retrouver...
Me voilà donc partie pour Dieppe avec deux inconnus: l’aventure, c’est l'aventure!
(oui, je sais, Dieppe...c'est en Normandie! Ça ne rime pas bien avec aventure.)
Mais notre cinéphile imagine les plages de Dieppe comme dans les vacances de M. Hulot:
Finalement, c’est très séduisant, et la bicyclette n'est pas loin...
Mais je m'aperçois que je ne t'ai pas parlé du troisième comparse: c'est donc un monsieur
à la retraite, un tant soit peu dragueur, même s'il s'en défend. Je t'avoue qu'il m'a tout
d'abord un peu hérissée à vouloir savoir si nous étions ou non mariées. Tu sais que je
déteste être définie ainsi.
Je m'en suis défendue toute ma vie.
Mais au fond, il est attendrissant, cet homme! (Non, ne te méprends pas)
Après 30 ans de bons et loyaux services dans la finance(!) (tu vois bien!).
Il part à la recherche du bonheur.
Il était temps qu'il y pense! (je suppose qu'il n'a connu que le bonheur en boite).
Tu te souviens du dernier film que nous avons vu ensemble ?
Une phrase nous avait frappées l'une et l'autre:
«Mieux vaut en finir ici que de continuer à l'extérieur»
Il semblerait que tous les trois ayons pris le contre-pied de cette expression.
C'est peut-être ce qui nous rassemble aujourd'hui dans ce wagon.
Je crois que le hasard est bel et bien intentionné.
Mais je ne connais pas encore la suite de cette histoire.
Je te laisse donc sur tes charbons ardents, en attendant qu'elle s'écrive.
Et pour cela, il me faut retourner avec mes voyageurs !
A très bientôt,
Marie (Chantal)
Cher Antoine,
T’envoyer un courrier depuis cette chambre d’hôtel anonyme va contribuer à me
remettre les idées en place, d’autant que je ne dispose pas de mon ipad.
Imagine que mes collègues m’ont offert un voyage en train, à l’occasion de mon
départ en retraite. Oui ! un voyage en train, comme ceux que l’on faisait au vingtième
siècle ! un vrai plaisir !
Je me suis retrouvé, moi, le cadre mûr récemment libéré de toute contrainte
professionnelle, avec ma chevelure argentée bien tirée à l’arrière, mes fines lunettes
cerclées d’acier, dans un compartiment de la S.N.C.F. en compagnie de deux belles
femmes de style et de tempérament bien différents. Moi qui ne voyageais qu’en classe
affaire, via air mail, avec des cadres de mon espèce, aussi austères que moi !
Le convoi en partance pour Dieppe, via Paris, avait des allures de train buissonnier… Ces
dames très souriantes, m’apparurent bien différentes. L’une portait une grande écharpe
virevoltante aux motifs ethniques qui n’avait de cesse de s’échapper de son cou ; l’autre
moins exubérante, avait une allure garçonne qui me séduisait. Son vêtement, plus discret,
était néanmoins seyant.
Le voyage est long jusqu’à Dieppe. Nous avons bavardé… La grisaille de cette fin
Mars se dissipa tout comme ma mélancolie d’avoir quitté le camp des actifs ! Nous avons
d’abord parlé de tout et de rien. Elles ont été vexées, toutes deux, quand j’ai essayé de
m’informer s’il fallait leur donner du « Madame » ou « Mademoiselle ». Cela ne se
demande plus, paraît-il ! Tu te souviens comment le Directeur Général me morigénait
quand j’oubliais de m’incliner avec élégance devant « Mademoiselle Chloé », la fille de la
baronne de Montgibaud des Escarvilles, dans les salons de notre agence de Neuilly !
Bref, nous avons ensuite évoqué Dieppe, son festival de cinéma en plein air, son marché
aux coquilles St Jacques et son gratin de maquereaux ! J’ai eu la chance de tomber sur
des gourmandes. La petite brune à l’allure garçonne salivait, rien qu’à l’idée de planter ses
crocs nacrés dans des rondelles de pommes de terre cuites en compagnie d’oignons
rissolés et d’une belle paire de maquereaux dodus, rutilants sous leurs peaux irisées !
Rien de tel que la gastronomie pour se faire vite des amis !
Nous avons ensuite parlé du film « Alceste à bicyclette » avec les acteurs en vogue que
sont Fabrice Lucchini et Lambert Wilson…
Ces voyageuses étaient bien attachantes. Moi qui suis si jaloux de mon indépendance,
j’étais presque prêt à me laisser entraver les pieds par deux chiffons d’écharpes !
Dans la bonne humeur et les rires, nous sommes arrivés à quelques kilomètres de
Dieppe… Et là, l’enchantement a soudain cessé : le train grinçait sur ses rails ; le
compartiment rembruni par une grisaille toute normande, ressemblait à une cellule de
prison. Avec un sourire crispé, je contemplais la vitre fixe, maintenue dans un carcan
d’acier et l’inscription : « è pericoloso sporgersi ». Pourquoi est-ce écrit en italien ? dis-je
aigrement. Personne ne me répondit.
A destination, elles quittèrent le wagon sans se retourner, l’air grave. Je n’ouvris
pas la bouche, rendu taciturne par la morosité ambiante mais je les suivis machinalement.
Elles portaient des valises grises sans doute bourrées de vêtements colorés et de regrets.
Je m’arrêtai à quelques mètres de la sortie sur la rue, sortie qu’elles empruntèrent et
j’entrai brusquement dans la salle d’attente, « le cœur gros de rancune et de désirs
amers » avec la ferme intention de prendre le prochain train de retour pour BourgoinJallieu. Mais celui-ci n’était programmé que le lendemain.
Alors je décidai de visiter un peu la ville et de prendre une chambre à l’hôtel. Je sortis et
tentai d’apercevoir deux silhouettes féminines marquant de leur présence, ce quartier de
ville. Mais je ne vis personne : elles s’étaient volatilisées !
Peu doué pour le bonheur le bougre !
Me voici donc dans cette chambre sans âme à attendre le dîner en espérant que la carte
mentionnera « maquereaux à la dieppoise ». Je les dégusterai en solitaire !
Je te salue, amigo !
A bientôt.
Martin (Danielle)
Chère N,
Tu sais que je ne suis pas fan des trajets en train, le bruit, les inconnus parfois
envahissants, mais cette fois-ci ça a été intéressant. Je me suis retrouvée dans un de ces
wagons à compartiments qui m’ont rappelé les vieilles Micheline.
On était trois à faire le trajet Bourgoin-Lyon, un homme et une autre femme. La
conversation est partie sur du banal à propos de correspondances et de destinations. Et
là, très vite il s’est avéré que j’étais la seule à avoir une destination précise –Dieppe, où je
viens te rendre visite après toutes ces années- mais que mes deux compagnons étaient
partis à l’aventure, l’une pour découvrir un « ailleurs », l’autre pour profiter de son statut de
retraité tout neuf (2 jours) de cadre financier à Neuilly ! Imagine un peu. Le choc des
cultures !!
D’ailleurs il nous a bien fait rire avec ses manières distinguées, voire guindées : il
s’obstinait à nous donner du « Madame ou Mademoiselle ? » tant et tant que ma voisine et
moi l’avons prestement remballé, sans même nous concerter. Les féministes en action. Tu
me connais… !
Notre franc-parler de « roturières » le changeait de ses anciennes connaissances mais il
semblait ravi.
Imagine donc, le but de son voyage était de découvrir le bonheur ! Rien que ça…
Une telle déclaration aurait pu plomber l’ambiance, mais non. En fait, la discussion est
partie dans tous les sens. On a parlé du bonheur, de liberté, d’ailleurs,… et tu vas rire –
quoique- mais l’évocation de Dieppe a fait surgir des images de gratins de maquereaux
aux pommes de terre qui ont rallié tout le monde. Comme quoi ! Du coup j’ai enchainé sur
les soles, les coquilles St Jacques, et tous ces fruits de mer qui pourraient avoir
quelques saveurs dégustés en bonne et joyeuse compagnie.
Petit à petit nous nous sommes transformés en un groupe (une bande ? on dit une bande
quand il s’agit de trois adultes ?) d’aventuriers prêts à quelques extravagances. Le festival
de cinéma en plein air a lui aussi conquis tout le monde. Penses-tu, notre aimable covoitureur se trouvait un faux air de Fabrice Luchini !!! Je n’ai pas pu dire… de toute façon
pour avoir vu un Luchini jeune dans un de ses premiers films, fluet à cheveux longs et
ondulés, découvrant les plaisirs de la chair justement en bord de mer, je n’arrivais pas à
superposer cette image sur celle de mon voisin (le titre du film ne me revient pas…c’était
ma période ciné-club à la fac)
Enfin, toujours est-il que nous avons aussi parlé galets, sable. En l’occurrence, absence
de sable.
Je crois avoir évoqué pêle-mêle les galets brûlants des spas et les cabanes de plage du
film de Tati. Toujours le cinéma.
Tu vois combien notre discussion était libre et joyeuse. C’est comme la recette du quatrequarts : tu mets un peu de tout et ça donne un résultat délicieux. (contrairement au
Gloubiboulga où tu mets de tout et c’est immangeable !)
Enfin bref, au bout des 25 minutes de trajet, nous ne connaissions toujours pas nos noms,
mais nous avions en commun une envie de découverte, de bonheur, de rencontres qui
nous ont amené à envisager de nous retrouver à Dieppe déguster un gratin de
maquereaux en discutant des films vus en plein air. J’espère que le climat sera avec nous
pour couronner cette épopée ferroviaire.
Voili voilà
Tu risques donc de me voir débarquer avec deux nouveaux amis à la gare. Mais d’ici là, le
voyage de Lyon à Dieppe nous réservera peut-être d’autres surprises.
Qui sait ?
Florence
LYON – AVIGNON
Chère Catherine,
Comme tu le sais, me voici arrivée à destination. Quel voyage ! Laisse-moi te
raconter...
Sur le quai de la gare glacé par les courants d'air, déjà l'atmosphère était
inquiétante : il faisait sombre, il pleuvait des cordes, le bruit continu des chariots à
bagages m'empêchait de penser. Je regardais sans cesse autour de moi. Des gens
couraient dans tous les sens, d'aucuns agitaient des mouchoirs en signe d'adieu, certains
chuchotaient, d'autres criaient... un vieil homme en guenilles se tenait au bout du quai, l'air
perdu, sans doute un clochard. Que faisait-il ici, seul ? Le vieux vagabond, piétinant
dans la boue, tournait en rond sans sembler avoir conscience de ce qui l'entourait.
Enfin, mon train arriva. Je n'aspirais alors qu'à un peu de calme et de chaleur. Je
trouvai, non sans mal, ma place dans un compartiment aux sièges usés qui sentait l'huile
rance. Trois personnes étaient déjà installées et leurs regards vides laissaient à penser
que le trajet serait tranquille ce qui me détendit un peu. Après quelques minutes d'un
silence assourdissant, tout à coup mon voisin déchira une feuille d'un petit carnet patiné
par le temps, écrivit quelques lignes dessus et la tendit au voyageur qui lui faisait face
lequel griffonna à son tour quelques mots avant de passer ce papier à la voisine qui, à son
tour, écrivit et me le donna. C'est ainsi que durant la plus grande partie des quatre heures
qui nous séparaient de Marseille, nous échangeâmes questions et réponses, qui lançant
une perche, qui répondant par une espièglerie, le tout dans l'atmosphère feutrée d'un
silence absolu. C'est ainsi que j'appris que la femme assise en face de moi ramenait du
turron à ses petits-enfants, que son voisin était tombé en panne d'essence et avait dû
abandonner sa voiture sur la route et que mon voisin partait "s'aérer la tête", comme il
disait ou plutôt écrivait, afin de se préparer à un concours très important pour lui. Moi, tu
me connais, je jouais à ce jeu très sereine, en solo, sans dévoiler quoi que ce soit sur moi,
restant toujours lisse...
Soudain, la porte du compartiment s'ouvrit à la volée déclenchant un terrible appel
d'air qui fit s'envoler nos petites feuilles par la fenêtre ouverte. Le souffle d'air les emporta
toutes. Instantanément, les regards stupéfaits de mes compagnons de route se figèrent et
ils reprirent aussitôt l'air vide qu'ils avaient à mon entrée dans le compartiment. Le voyage
s'acheva ainsi, dans le silence et l'immobilité. Je passai le reste du temps qui nous
séparait de Marseille à me féliciter de n'avoir rien révélé des véritables raisons de mon
départ : qui sait dans quelles mains pouvaient tomber ces petites feuilles? Ma chère
Catherine, je te l'assure, tu peux enfin dormir tranquille, nous ne risquons plus rien.
Je t'embrasse,
Marie-Hélène (Françoise)
Très chère
Déjà tant de jours nous séparent. Je vous vois encore sur le quai, triste à mourir, me
regardant perdu dans le secret de vos pensées, ailleurs.
Où étiez-vous ?
C’est moi qui partait et c’était vous qui étiez dans le train. Je lisais votre soif de partir mais
vous restiez condamnée à un voyage immobile.
Ce départ en vacances, chacun de son côté, vous ici et moi dans cette vieille et trop
grande maison de famille, devait nous révéler à chacun sa propre vérité.
Enfin soi-disant.
Mais depuis point de changement. Si j’ai évolué ce n’est que pour mieux avancer vers
vous !
Cette mise à l’écart, ce recul pour mieux voir en moi, n’a fait que me confirmer que vous
occupiez la première de mes pensées du matin, quand je m’éveille recroquevillé sur
mon lit, l’unique de ma journée et sera la dernière sur mon lit de mort.
Désormais il y aura un avant mon départ et un après votre retour, quand esseulé dans
cette demeure immense comme au milieu de l’océan, vous me reviendrez, créer le
mouvement, le rire et la vie.
Déjà d’évoquer votre venue ma solitude n’est plus ! Mais viendrez-vous ?
Pascal
Chère Kate,
Me voici enfin arrivée à Avignon. Quel voyage !
Moi, qui au départ de Londres, ne rêvait que d’évasion, je suis comblée. J’ai voyagé avec
trois compagnons, hauts en couleur.
Une femme avait un curieux petit sac en cuir usé, garni de fermoirs dorés. Tout en disant y
tenir beaucoup, elle fit tant de mystères autour de son contenu, que nous n’avions qu’une
idée, le lui dérober. Peut-être y avait-elle caché la tête de son amant.
Quant à l’autre femme, une conteuse, elle s’est mise à délirer avec le seul homme du
compartiment. Après toutes ces heures de voyage, je tombai de sommeil au départ de
Paris, mais impossible de somnoler. Pas une minute de silence dans ce wagon. Elle
commença à raconter.
« Un homme marchait sur un chemin pierreux et tenait dans sa main une grappe de raisin.
Il s’approchait d’un monastère. » Quel fantasme !
Et notre compagnon de voyage poursuivit. « L’homme trébucha et tomba face contre terre.
Un oiseau fondit sur la grappe de raisin et s’en empara. » Quel symbole !
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais non ! La femme reprit le fil.
« L’homme était désespéré, sa grappe était pour offrir au moine du monastère. » Tout en
perversité, La coquine continua.
« Une idée folle germa, se déroula, il sortit des graines et un drôle de filet à papillons. »
Devant tant de hardiesse, notre compagnon, tout en émoi poursuivit. « Les oiseaux
prévenus par un éclaireur, se ruèrent sur lui et lui ôtèrent ses vêtements. »
A ce stade de l’histoire, j’eu le choix entre quitter le compartiment ou jouer le voyeur. Tu
connais ma curiosité. Je n’hésitai pas. Hélas ! Nous arrivions à Avignon où Félix
m’attendait. Je suis descendue en laissant les deux poètes poursuivre jusqu’à Marseille.
Je rentre dans un mois. Peut-être, le hasard me permettra-t-il de les retrouver dans le train
du retour.
Je t’embrasse.
Axelle
(Graziella)
LYON – PARIS
Ce lundi soir, 20h30
Ma chère Minouche,
Me voici arrivée à mon hôtel habituel.
Ah ! Quel voyage !
Moi qui étais partie en train pour être tranquille, pouvoir organiser l’entretien que je vais
avoir demain avec les représentants américains et enlever le marché concernant l’entrée
de nos produits « made in France » outre Atlantique. A notre dernière rencontre, ils
semblaient vraiment intéressés par notre collection de vêtements pour enfants. Et tu sais
combien nous en avons besoin pour éviter la mise en redressement qui nous menace ! Je
dois tout faire pour que cela n’arrive pas. Je ne veux pas devoir mettre au chômage des
gens qui me font confiance et en qui j’ai confiance.
Je m’installai donc sur le siège en vis à vis que m’indiquait mon billet. En face de moi, un
voyageur avait déjà pris place.
C’était un jeune homme élégant, en costume d’alpaga gris perle, lunettes à monture d’or,
cravate de soie, boutons de manchette en brillants. Il avait l’air d’un diplomate en mission.
Il semblait désireux d’engager la conversation. Tu me connais, j’aime bien bavarder et
j’avoue que le personnage m’intriguait. Je l’écoutais donc volontiers.
J’appris alors qu’il était le fils d’un émir, qu’il résidait à Dubaï. Il avait fait ses études à
Paris et adorait la France. Il y revenait en touriste pour découvrir toute sa diversité. Il
pensait par la suite investir dans plusieurs domaines, (et pas seulement dans le football),
me confia-t-il avec un sourire magnifique. Pour lors il pensait construire de grands
complexes hôteliers et commerciaux centrés sur le luxe et les grands noms de la mode. Je
me mis sur mes gardes, Il devint tout à coup moins sympathique. Que deviendrait
l’économie française, déjà si mal en point, privée de la partie encore rentable de son
industrie ?
L’arrivée d’une troisième personne dans le compartiment fit diversion. C’était une jeune
femme un peu soixante-huitarde avec sa jupe à volants, son chapeau à fleurs, et ses
bottines en cuir rouge. Elle semblait quelconque, terne, et un peu triste. Elle s’assit
lentement au bord de la banquette à côté du petit prince et se mit à geindre. Elle craignait
que le train déraille, que des terroristes nous attaquent. Elle disait rêver d’aventure, qu’elle
avait tout laissé, parents et amis, pour fuir je ne sais quelle sombre histoire. Elle avait pris
le train pour Paris… Après, elle verrait bien. Je suis quant à moi, persuadée qu’elle
reprendra très vite le train pour rentrer chez elle.
Mais voilà qu’au niveau de Dijon, une femme assez rustique a surgi d’on ne sait où,
encombrée d’un gros sac à dos, d’une valise et d’une mallette qu’elle tenait serrée contre
elle en bougonnant, vraisemblablement suivie par un contrôleur de la S.N.C.F et deux
employés. Elle se laissa lourdement tomber à côté de moi, après avoir tant bien que mal
casé tous ses bagages. Au contrôleur qui lui demandait son titre de transport, elle répondit
qu’elle n’en avait pas, n’en avait jamais eu et n’en aurait jamais. Apparemment c’était une
habituée du fait. Elle refusa aussi de présenter une pièce d’identité en repoussant
violemment le contrôleur qui s’éloigna pour téléphoner, sans doute à la police. Toujours
vociférant, la femme s’en prit aux deux employés de la compagnie, restés dans le couloir,
ces nantis qui rien que pour contrarier (ce n’est pas le mot qu’elle a prononcés) le monde,
font grève sur grève et bousculent les pauvres gens comme elle. Elle nous demanda notre
avis, mais personne ne lui répondit ; il valait mieux. Seule, la jeune femme au chapeau à
fleurs émit quelques regrets de ne pas être intervenue .En tous cas je pense que notre
resquilleuse sera interpellée. Dans le compartiment, le calme était revenu .La rêveuse
avait sorti un roman photo, le petit prince était plongé dans un guide touristique ; quant à
moi ce sont les arguments à développer pour prouver le sérieux de notre projet et de notre
entreprise qui m’ont tenu compagnie. J’avais pensé à en parler à mon voisin mais je crois
qu’il ne vaut mieux pas. Ce serait trop risqué .Portant j’aimerai assez visiter Dubaï. Qu’en
penses-tu ?
Allons trêve de plaisanterie, il est l’heure d’aller dormir !
Au fait, je ne me souviens pas si j’avais dit bonsoir à Loulette, tu sais la chienne de
Victor, le gardien de l’usine. Si tu as un moment, passe la voir. Elle te connait et t’aime
bien toi aussi. Je rentrerai vendredi matin comme prévu
A très bientôt
Bisous
Maman. (Aline)
Mon voyage...
que te dire qui ne te donne pas le tournis ?
Hum! les yeux fermés, la main appuyée contre le mur,
tu pourras peut-être résister.
Quatre personnes, de nuit - dont moi,
tournant à demi
le regard vers l'huis
puis, dans l'espace confiné
dans le silence essentiel,
essayant de trouver un fil
un dé un fruit un défi
pour causer,
une butée une pile un escalier
une cheminée
où grimper et dévider
le moulin à paroles
qui permettrait de se croire
civilisé
de sceller notre sociabilité.
Quelle manne
de pouvoir parler d'un spectacle
d'une moisissure – ou plutôt d'un lichende dons de l'âme,
d'une maigreur de damné
à travers des vêtements bleus,
de voile au repos sur le ciel, bleu
de dunes de marais
et même de cale, et de cas, et de cable !...
Voici déversé ici nos discours douloureux
aussi fuyants qu'insipides
au fil des kilomètres avalés
entre Lyon Part- Dieu et Marseille Saint Charles.
Geneviève
Chère Suzanne,
Tu ne devineras jamais ce qui m'est arrivé.
J'ai pris le train la semaine dernière. Besoin d'air, d'imprévu d'inattendu.
Comme tu me connais, j'avais bien fait ma toilette avant de partir.
Il faut bien l'avouer, j'étais un peu en transe : moi seule dans un train ne sachant pas où
j'allais !
Toutes ces dernières semaines, j'avais la hargne, je me sentais dans un bagne, tronquée
dans mon univers sans liens.
Bref, j'ai pris un billet pour Paris...on verrait bien après.
Je monte donc dans un compartiment et me retrouve en compagnie de deux autres
personnes.
Nous commençons timidement à faire connaissance : deux personnes dans les affaires,
habituées à circuler. Autant te dire que j'étais dans mes petits souliers.
Que de péripéties !
Ils m'ont parlé Dubaï, grève de train, voyageurs voyageant sans billet...comment est-ce
possible ?
Au bout d’un moment, j'en avais le tournis.
Quand je suis descendue à Paris, j'ai pris le premier train pour la Normandie.
Pourquoi ? Aucune idée ? Un de ces deux voyageurs ? Je suis incapable de te le dire.
Dans le train pour Granville, je n'ai plus parlé à personne. Je suis arrivée tard le soir.
J'ai pris un taxi pour le bord de mer.
L'évasion, la vraie, les embruns... J'étais frigorifiée, je ne savais plus combien d'heures
j'étais restée dans le train sans bouger ou presque.
A la descente du taxi, je suis entrée dans l'eau pour me réchauffer !!!
Et... s'il n'était pas arrivé...
Je ne savais pas que le froid rend fou.
Catherine
L'idée était de faire ce voyage pour rencontrer Eva que j'avais déjà repérée
plusieurs fois sur le même sillon de lignes.
Je voulais me redynamiser, découvrir, prendre un peu de repos par ce mode de transport.
Elle était calme, à mon écoute, pour l'instant un peu introvertie. Mais je sentais dans son
attitude qu'elle pouvait au moindre bruit sortir son fusil à plomb, elle se tenait sur son attic:
avec un style de tenue apparenté aux Nudes de Carlson.
Elle ne tua personne parce que l'ambiance était festive, la soirée se passait bien;
c'étaient des retrouvailles très conviviales.
J'adhérais avec son désir de manger bio, de l'avoir comme amie d'abord et sa bille
me plaisait. Cette rencontre improbable, préparée pour une destination qui était de ma
responsabilité me remplit l'âme tout un jour; pas le moindre gramme d'animosité, sa
profession me plaisait. Elle pouvait bien quitter Roger pour moi et ce fut le début d'une
belle aventure avec ma petite EVA.
(Bernard)
LYON – MONTPELLIER
Cher Jean
Je viens d’arriver à Montpellier. Le train n’a pas eu de retard. J’ai bien failli le
manquer. Au dernier moment, je ne retrouvais pas mon billet. Je l’avais pourtant posé sur
mon bureau mais tu me connais, l’ordre et moi nous faisons deux ! Je me demande si, un
jour, je serai capable de ranger mon bureau.
En attendant midi, je vais te raconter mon voyage. Je suis donc monté
précipitamment dans un wagon et me suis assis dans un compartiment déjà occupé par
deux femmes qui ne semblaient pas se connaître. Au début, elles ne parlaient pas. Je
savourais ce calme. Je pensais à mon premier rendez-vous avec Eloïse que j’avais
rencontrée sur Mitic. Je rêvais de ses yeux bleus et de ses 32 ans. Avec mes cinquante
ans saurais-je la séduire ?
Le silence fut vite rompu par ma voisine de droite. En cinq minutes, nous
connaissions presque toute sa vie. Elle s’adressait à l’autre femme. Elles se mirent à
jacasser ensemble. Tous les sujets furent abordés : le soleil, la pluie, les gitans, les
derniers faits divers, la loterie… en un mot rien de très intéressant !
La première, la soixantaine bien avancée, portait un foulard jaune citron d’où
s’échappaient quelques cheveux blancs. Elle semblait vivre dans un autre monde, fuyant
des moments difficiles de sa vie. Elle partait seule, en vacances, retrouver les souvenirs
de sa jeunesse, lorsqu’elle était étudiante à Montpellier. Elle ne se rappelait plus si elle
avait eu des enfants. Etonnant !
L’autre femme, plus joviale, raconta qu’elle portait un chapeau pour dissimuler ses
cheveux en bataille. Elle n’avait pas eu le temps de se coiffer. Elle tenait cette technique
du couvre-chef d’anciennes amies coréennes ! Avait-elle eu le temps de prendre une
douche ? J’en doutai étant donné les odeurs de transpiration qu’elle répandait dans le
compartiment ! Elle allait à Montpellier « pour voir des couleurs, la mer, visiter les musées,
sentir la chaleur du sud, vivre au jour le jour, voir où la vie la mènerait, ». Elle portait un
long manteau, prétextant qu’elle avait toujours froid. Je pense plutôt qu’elle cherchait à
dissimiler quelques marchandises suspectes.
Je faisais semblant de m’intéresser à cette conversation et glissait de temps en
temps quelques mots sans dévoiler le but de mon voyage. Je leur offrais quelques biscuits
sortis de mon sac.
Arrivés à Montpellier, je les saluai tout en espérant ne pas les retrouver dans un
compartiment lors de mon retour à Lyon.
Alphonse (Madeleine)
Salut Rémi,
Je sais que tu as dû être surpris de mon départ précipité. D’ailleurs, j’ai bourré mes
affaires à la va-vite dans mon sac, pourtant tu sais que je n’aime pas l’odeur du linge
sale…
J’avais besoin d’une pause, d’un voyage non préparé, quelque chose de nouveau. Je suis
« Gone with the Wind » en quelque sorte. Je n’avais pas de destination, mais la fortune a
voulu que je jette l’ancre à Montpellier. Je n’en pouvais plus du gris de Lyon. Maintenant,
les dés sont jetés, nous verrons bien…
J’ai fait la connaissance d’Alphonse et Solène dans le train, tous deux la
cinquantaine. Sur le coup, je n’avais pans envie de parler mais ce cher Alphonse, caporal
de l’armée de l’air à la retraite, m’a offert un rafraichissement. Alphonse va retrouver sa
future femme qu’il a rencontrée sur Meetic. Et dire que moi, je pars pour quitter mes
chaines et lui, il va s’enchainer. C’est l’âge tu me diras, je suis encore jeune.
Solène partait plutôt pour se reposer près de la mer ou d’un lagon. Je trouve ça géniale
que les personnes continuent à voyager, même si, pour moi c’est la première fois.
C’est mon rêve depuis toujours, tu le savais. Nager, courir sur la plage, explorer le monde,
découvrir la culture de gens nouveaux, eux l’ont fait depuis tant d’années…
J’espère que tu n’as pas la rage contre moi. Dis-toi que j’ai regagné ma liberté, ma
vie.
En gage d’amitié, je te promets d’écrire régulièrement. J’espère grandir de cette aventure,
c’est une B.A faite par moi, pour moi. Pour une fois.
Je t’embrasse.
Irène. (Yoann)
Chère Violette,
Voici quelques nouvelles de mon dernier voyage à Montpellier. Je suis bien arrivée en fin
d’après midi après quasiment trois heures d’un voyage bien animé.
J’avais lié connaissance avec Irène et Alphonse, assis dans le même compartiment que
moi et nous avions bien discuté tout en dégustant nos petits en-cas. Environ une heure
après le départ, un peu fatiguée, je m’étais assoupie, bercée par les papotages de mes
compagnons de voyage. C’est alors que je me retrouvais au milieu du néant, portes
grandes ouvertes, suite à un coup de foudre sans pitié.
Je découvrais un géant fou à la recherche d’une aventure inédite et une jeune serveuse
en quête de l’aventure avec un grand A, étranglée par son boa de plumes et finement
gantée jusqu’au bout des doigts. Et nous voilà tous incités à nous échapper, délaissant
valises, sacs à dos, malles et autres bagages. Je décidai de les suivre. Tout en
déambulant dans le compartiment vide, je ne ressentais rien, juste attirée par l’espace et
envieuse de m’éclipser moi aussi. J’en oubliais mon incognito et les documents précieux
laissés en gage dans ma petite mallette.
L’incartade ne dura que le temps d’un tango passionné dans un théâtre mythique dédié à
une rebelle grecque.
L’éclaircie nous rappela à la réalité et surtout à bord du train où notre périple se poursuivit.
Avais-je rêvé ? Je ne le sais toujours pas au moment où je t‘écris.
Une main sur mon épaule, Irène me réveillait avant de disparaître. J’apercevais déjà le
centre culturel et historique Antigone.
Une fois sur le quai, je cherchai mes jeunes inconnus parmi la foule mais les avais
définitivement perdus de vue; sans doute étaient-ils partis précipitamment pour une
nouvelle danse ?
Menotté à ma mallette, je hélai un taxi et réussis à rejoindre mon rendez vous secret.
Solène (Brigitte)