Exposé n°2 : L`AFFAIRE LICRA CONTRE YAHOO!
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Exposé n°2 : L`AFFAIRE LICRA CONTRE YAHOO!
Exposé n°2 : L’AFFAIRE LICRA CONTRE YAHOO! • Qu’est-ce que l’article R.645-1 du Code Pénal Français ? Qu’est-ce que le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis ? En quoi sont-ils contradictoires ? Il résulte de l’article R.645-1 du Code Pénal que le port et l’exhibition en public d’un uniforme, insigne ou emblème nazi, sauf dans le cadre d’un spectacle ou d’une reconstitution historique, sont interdits, et constituent un délit. Le Premier Amendement de la Constitution des Etats-Unis interdit au législateur américain de voter des lois ayant pour objet de restreindre notamment la liberté d’expression. Le Premier amendement défend donc et garantit la liberté d’expression sans aucune limite (1). L’article R.645-1 du Code Pénal et le Premier Amendement de la Constitution des Etats-Unis sont contradictoires pour les raisons suivantes : • Pour préserver l’ordre public interne, le législateur français a restreint les libertés individuelles ou collectives en interdisant certaines pratiques ou comportements. Sur la base de ce texte, la vente et l’achat d’objets nazis par exemple, sont interdites en France. • Par contre sur la base du Premier Amendement de la Constitution des Etats-Unis, la vente aux enchères d’objets nazis est licite sur le territoire américain, et les internautes américains n’enfreignent pas la loi en acquérant de tels objets ou en consultant simplement les sites présentant des objets nazis. Il s’agit simplement d’un acte caractérisant la liberté d’expression. Par contre, en droit français, la vente ou l’exhibition d’objets ou documents nazis, quels qu’ils soient, constituent un trouble à l’ordre public et sont de ce fait sanctionnables. Il s’agit de délits. (1) Site www.01net.com/editorial/Yahoo saisit la justice américaine sur la décision française 1 • Chercher des documents sur l’affaire de la LICRA contre Yahoo!, relative à la vente aux enchères d’objets nazis sur Internet (de l’ordonnance du Tribunal de Grande Instance de Paris du 20 novembre 2000, jusqu’à la décision de la Cour Suprême des Etats-Unis du 30 mai 2006). Montrer en quoi cette affaire illustre le problème de l’application de législations différentes selon les pays pour la vente sur Internet. PREAMBULE La LICRA : Ligue Internationale contre le racisme et l’antisémitisme est une association dont l’objet est de lutter contre le racisme et l’antisémitisme en France, mais aussi sur le plan international (1). Yahoo! Inc. fait partie des moteurs de recherche les plus importants sur internet. Il s’agit d’une société américaine ayant son siège social aux Etats-Unis (Californie). Elle détient différentes filiales à travers le monde, dont Yahoo France. Elle possède également le site « Yahoo.com », hébergeant le service « Auction », permettant l’accès à des milliers d’objets vendus aux enchères, parmi lesquels on peut citer de multiples symboles (croix gammée, insigne SS des gardiens des camps de concentration, etc.) (2) Les faits La LICRA et l’UEJF (l’Union des Etudiants Juifs de France), après avoir appelé au boycott de Yahoo, suite à la vente aux enchères d’objets nazis par « Yahoo Inc » via son site Yahoo.com, en avril 2000, assignent en justice la Société Yahoo! Inc, société américaine, et la Société Yahoo France, dont le siège social est à Paris. La Procédure En avril 2000, la LICRA et l’UEJF saisissent en référé (procédure accélérée pour obtenir rapidement une décision de justice) le Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI) pour aboutir à l’interdiction pour les internautes français d’accéder à des sites leur permettant de consulter ou d’acheter des objets nazis ou documents niant l’holocauste. • Ordonnance du TGI de Paris du 20 novembre 2000 : Condamnation de Yahoo! Inc à « prendre toute mesures de nature à dissuader et à rendre impossible toute consultation sur « Yahoo.com » du service de vente aux enchères d’objets nazis et de tout autre site ou service qui constitue une apologie du nazisme ou une contestation de crimes nazis », sur le fondement de l’article R.645-1 du Code Pénal, sous astreinte de 100.000 francs par jour de retard »(3). Décision : Ordonnance rendue sur la base d’un rapport d’experts sur les possibilités techniques de filtrer l’accès aux sites litigieux pour les internautes français. Cela impliquait de filtrer les internautes en fonction de leur nationalité. (1) Site Juriscom net Assignation en référé – TGI Paris 22 mai 2000 (2) Site Juriscom net Assignation en référé – TGI Paris 22 mai 2000 (3) Le forum des droits sur l’Internet 2 Problématique au vue de la décision du TGI de Paris : L’Affaire Yahoo! nous interroge sur la possibilité pour le juge français d’appliquer la loi française à une société américaine sur la base de sa juridiction nationale (l’article R.645-1 du Code Pénal) en violation selon Yahoo! Inc du Premier Amendement de la Constitution des Etats-Unis, garantissant de manière très large le droit à la liberté d’expression. • Recours de Yahoo! Inc devant la Cour Fédérale de San José (Californie du Nord – juridiction du siège social de Yahoo! Inc) pour déterminer : - si un juge français peut imposer les règles de droit de son pays à une société américaine la compatibilité du jugement français du 20 novembre 2000 avec le droit américain (1). • Décision du 7 novembre 2001 : Pour le juge américain, « Bien que la France ait le droit souverain de contrôler le type d’expression autorisée sur son territoire, cette cour ne pourrait appliquer une ordonnance étrangère qui viole la Constitution des Etats-Unis en empêchant la pratique d’une expression protégée à l’intérieur de nos frontières » (2). Pour le Juge américain, un verdict rendu dans un autre pays n’est pas applicable à une société américaine, qui reste soumise aux lois américaines et n’a de ce fait pas à appliquer une décision de justice rendue hors du territoire national (3). • Appel de cette décision par La LICRA et l’UEJF devant la Cour d’Appel du Neuvième District (EtatsUnis) • 23 Août 2004 : Nouveau Rebondissement dans l’Affaire Yahoo! (4) Annulation par la Cour d’Appel du Neuvième District, du jugement rendu par la Cour de San José (5) pour des raisons de procédure. Elle relève que « la France est dans son droit, comme nation souveraine, de voter des lois contre la diffusion de contenus racistes et nazi en réponse aux terribles agissements des armées Nazi durant la Seconde guerre mondiale. De même, la LICRA et l’UEJF sont dans leur droit de saisir la justice en France à l’encontre de Yahoo! afin de faire sanctionner les violations aux lois françaises. » Toutefois, « Yahoo! doit attendre que la LICRA et l’UEJF viennent aux Etats-Unis pour demander l’application du jugement français avant de revendiquer l’application du Premier amendement » (4). C’est le principe de l’exéquatur. (1) Site Legalis.net Jurisprudences TGI Paris Ordonnance Référé du 20 novembre 2000 (2) Le Forum des droits sur l’internet « La justice américaine se prononce sur l’affaire Yahoo ! » 9 novembre 2001 (3) Site Legalis.net Jurisprudences TGI Paris Ordonnance Référé du 20 novembre 2000 (4) Le Forum des droits sur l’internet – Affaire Yahoo ! La décision américaine invalidée en appel le 24 août 2004 (5) Le Forum des droits sur l’internet – Affaire Yahoo ! La décision américaine invalidée en appel le 24 août 2004 3 • 12 janvier 2006 : la Cour d’Appel du Neuvième District de Californie se prononce sur le fond de l’affaire Confirmation par de ses positions antérieures sur l’application des décisions de justice françaises sur le territoire américain (1). Refus par la Cour d’Appel du Neuvième District de Californie, d’étendre la liberté d’expression américaine au territoire français en relevant que « la France est un pays souverain pouvant de ce fait décider l’interdiction de la vente de certains objets sur son territoire (2) et relève par ailleurs que Yahoo! Inc, société américaine, ayant choisi de développer ses activités à l’étranger, doit faire face à ses responsabilités en cas de violation des législations étrangères (3) ». • La LICRA et l’UEJF veulent obtenir une confirmation de la décision de la Cour Fédérale de San Francisco pour empêcher Yahoo! Inc de saisir d’autres juridictions pour obtenir des décisions en sens contraire et déposent un recours devant la Cour suprême des Etats-Unis. • 30 mai 2006 : Epilogue du feuilleton judiciaire Yahoo! La Cour suprême, disposant d’un pouvoir discrétionnaire, refuse l’examen de l’affaire. Yahoo! Inc. pourra donc saisir d’autres juridictions pour tenter d’obtenir des décisions en sens contraire de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de San Francisco. (4) (1) Le Forum des droits sur l’internet « Affaire Yahoo – Une Cour d’Appel aux Etats-Unis refuse d’étendre la liberté d’expression américaine au territoire français » (2) Le Forum des droits sur l’internet « Affaire Yahoo – Une Cour d’Appel aux Etats-Unis refuse d’étendre la liberté d’expression américaine au territoire français » (3) Le Forum des droits sur l’internet « Affaire Yahoo – Une Cour d’Appel aux Etats-Unis refuse d’étendre la liberté d’expression américaine au territoire français » (4) Le Forum des droits sur l’internet – Fin de l’Affaire Yahoo – 16 juin 2006 4 CONCLUSION Cette affaire illustre par conséquent le problème de l’application de législations différentes selon les pays pour la vente sur Internet. Il pose clairement le problème du conflit des lois. Quel droit appliquer? Cela pose le problème de l’application extra-territoriale d’une loi nationale (la loi française peut-elle s’appliquer à une société américaine ?), en violation du droit américain ! En France, le tribunal compétent en matière délictuelle est celui du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi (1). Il est également de jurisprudence constante en France d’appliquer la loi du lieu du dommage (2). L’application de la législation dans un pays peut enfreindre les règles de droit d’un autre pays, ce qui était le cas dans l’affaire LICRA contre Yahoo! car l’application de l’article R.645-1 du Code Pénal français, viole le Premier Amendement de la Constitution des Etats-Unis, qui lui n’est pas répressif. Il prône au contraire la liberté d’expression sans la limiter. (1) Article 46 du Nouveau Code de Procédure Pénale (2) Commentaire de l’affaire Yahoo – article de Maître Sédallian Conception par Cédric Porcher, Auriane Maquaire et Anita Radja © Octobre 2013 5